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Bda 172.Indd

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Billets d’Afrique…

…et d’ailleurs

Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines Sommaire Éditorial

ËP. 2 Les brèves de la Françafrique ËP. 3 CONGO BRAZZAVILLE «La munici- palisation accélérée» Dénégation Le programme d’assainissement dit as de repentance, a dit et redit , comme candidat puis comme «municipalisation accélérée» fait l’objet de surfacturations effarantes et de président de la République. Même si tout ce qu’a fait la n’est pas clientélisme effréné. toujours très bien, elle l’a fait avec les meilleures intentions. La direction P e d’intention, théorisée au XVII siècle dans les traités de morale des casuistes jésui- DOSSIER tes, est capable de dissoudre absolument tous les crimes. Avec la publication, le ËP. 4 RWANDA La face cassée de la Répub- 5 août 2008, du rapport de la commission d’enquête rwandaise sur l’implication de lique. la France dans le génocide des Tutsis rwandais en 1994, l’exercice est cependant ËP. 4 Un génocide qui questionne la particulièrement acrobatique. Plutôt que de se lancer dans une justifi cation hasar- démocratie française Le contenu du rapport rwandais sur deuse, la réaction a été une pure et simple dénégation. l’implication française dans le génocide Lorsque, le 26 janvier 2008, Bernard Kouchner, actuel ministre des Affaires étran- impose à la France un large débat national. gères, avait parlé à Kigali de «faute politique» commise par la France, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères de 1993 à 1995 répliqua immédiatement : ËP. 4 Le rapport Mucyo et les médias français «Aurions-nous, par exemple, pris systématiquement le parti d’un camp contre l’autre, Sans être aussi caricaturale que le déni des des Hutus contre les Tutsis ? C’est une contre-vérité. » Et il cite, à l’appui de cette autorités françaises, la réception du rap- dénégation, le fait que la diplomatie française a œuvré pour la conclusion des accords port Mucyo par la presse hexagonale reste très décevante. d’Arusha signés le 4 août 1993 pour amener les Rwandais à la réconciliation. Si ces accords n’ont aucunement mis fi n à la division, c’est que n’a mis aucun zèle pour ËP. 7 TCHAD-SOUDAN Déby et contraindre le camp que la France soutenait massivement à abandonner le monopole du Al-Bachir, ex-aequo pour le prix du pouvoir. Au contraire : après l’attentat qui coûta la vie d’Habyarimana, l’évacuation de meilleur incendiaire ses proches vers la France et l’assassinat d’Agathe Uwilingiyimana, Premier ministre, Les Occidentaux misent toujours sur Idriss par la garde présidentielle, c’est à l’ambassade de France à Kigali qu’est constitué le Déby pour faire tomber Béchir. gouvernement dit «intérimaire » qui amène au pouvoir les militaires Hutus extrémistes, ËP. 8 FRANCE Mission d’info ou d’intox? artisans du génocide. La mission d’information sur les relations L’opération Turquoise, en juillet 1994, aura, entre autre effet – je ne parle pas du but af- franco-africaines a brillé par sa discrétion fi ché – de permettre aux éléments de ce pouvoir génocidaire de fuir le Rwanda. Ces faits Le report de la publication de son rapport avérés démentent catégoriquement l’affi rmation d’Alain Juppé selon laquelle la France est-elle le refl et du désintérêt des parlemen- n’a pas pris parti entre Hutus et Tutsis. Où sont donc les «falsifi cations inacceptables» taires ? dont il parle? ËP. 9 FRANCE Peut-on vraiment attendre Au Quai d’Orsay on a qualifi é d’ «accusations inacceptables» le contenu du rapport. des contrepoids politiques au Parlement ? Hervé Morin, ministre de la Défense a parlé d’ «accusations insupportables», de même L’agitation actuelle autour de la présence que Michèle Alliot-Marie, alors ministre des Armées, avait parlé d’accusations «farfe- française en Afghanistan souligne, en lues» pour les plaintes de victimes rwandaises actuellement instruites au tribunal aux creux, le désintérêt des députés pour la armées de Paris. politique de la France en Afrique où les Si ces accusations sont inacceptables, alors que tant de détails les rendent vraisembla- interventions militaires sont nombreuses. bles, il ne suffi t pas de les balayer d’un revers de main. Il faut achever le travail de la ËP. 10 CAMEROUN Trois ans pour éviter le mission d’information sur le Rwanda, en 1998, dont le rapport rwandais reprend beau- pire coup d’éléments, en créant une commission d’enquête parlementaire. Le pays est à un tournant historique après Il ne suffi t pas, en effet, de critiquer la commission rwandaise, comme le fait Jacques la crise politique de l’hiver dernier. Sémelin (Le Monde, 18 août, cf. cec.rwanda.free.fr) quand il affi rme : «Plus que d’un ËP. 11 SÉNÉGAL Le Sénégal de tous les «rapport scientifi que», il s’agit d’un réquisitoire politique sans nuance», oubliant dangers que le réquisitoire est un moment essentiel de la démarche judiciaire. En tout cas, La perspective de voir Karim Wade suc- il faut répondre à ce réquisitoire et, s’il n’y a pas d’autre réponse que la dénégation céder à son père exacerbe les tensions de faits essentiels avérés, il faut en tirer les conséquences et, non pas humilier, mais politiques. rendre un tant soit peu de dignité à la France par une reconnaissance des torts causés aux victimes rwandaises et par un effort de réparation. Il y a des repentances qui ËP. 12 À LIRE La tourmente alimentaire… et agronomique de Matthieu Calame s’imposent humainement et politiquement. Odile Tobner

billetsdafrique.survie.org Lettre mensuelle éditée par Survie // N° 172 Septembre 2008 - 2,30 euros En bref

Un défilé de juges Angolagate Paroles, paroles ... l’Élysée ! Question de très mauvaises habitu- C’est en passe de devenir un marronnier: des, le pouvoir politique a fâcheuse- Nicolas Sarkozy s’est fait, le 27 août, à Au cœur de l’été, La Lettre du continent ment tendance à mettre sous pression l’occasion de la XVIe Conférence des am- (n°546) relatait la saisie, à la cellule afri- l’institution judiciaire dans les dos- bassadeurs, le chantre d’une «nouvelle po- caine de l’Élysée, d’un dossier sur l’affaire siers françafricains. Dans l’affaire de litique africaine». Celle de l’année dernière Kieffer par le juge Ramaël. Il s’agissait d’un l’Angolagate, dans laquelle 42 pré- a donné les résultats que l’on sait. «L’ar- «transport sur les lieux» et non d’une per- venus seront jugés à partir du 6 oc- mée française n’est pas là pour soutenir quisition puisqu’on ne perquisitionne pas tobre, Pierre Falcone et son associé des régimes en Afrique», a-t-il encore af- l’Élysée. Une nuance juridique qui a permis Arcadi Gaydamak distribuaient de firmé en ajoutant :«Nous voulons soutenir au juge de repartir tranquillement avec un généreuses rétrocommissions dans les régimes démocratiques.» Transmis au dossier sous le bras. cette affaire de ventes d’armes illé- peuple tchadien ainsi qu’à la famille d’Ibni Le 6 août, c’est au tour de Fabienne Pous qui gales à, entre autres, Charles Pasqua, Oumar Mahamat Saleh, porte-parole de instruit le dossier sur les pressions politiques Jean-Christophe Mitterrand, Jacques la coalition des partis de l’opposition qui sur la justice dans le cadre de l’affaire Borrel Attali, Jean-Charles Marchiani, Paul- n’est toujours pas réapparu, six mois après de frapper à la porte de la cellule Afrique. Loup Sulitzer et Georges Fenech. Le son enlèvement par la garde présidentielle Elle s’est fait remettre des documents et des coup d’envoi avait été donné à Luanda, d’Idriss Déby (lire p. 7) télégrammes diplomatiques. Le 5 mai 2007, le 23 mai, par Nicolas Sarkozy qui éva- quelques jours avant le départ de Jacques cuait le procès à venir : «Nous avons Chirac de l’Élysée, Fabienne Pous avait décidé de tourner la page des malen- « Suicidé » tenté de perquisitionner la cellule du pa- tendus du passé.» Deuxième couche Le Togo vient de perdre un opposant de lais présidentiel, une première dans l’his- le 11 juillet. Dans une lettre adressée à premier plan sans que cela émeuve grand toire judiciaire, mais l’accès lui avait été l’avocat de Pierre Falcone, Hervé Mo- monde en France. Historien, politologue refusé en vertu du statut pénal du chef de rin affirme que le trafic d’armes n’est et président du Mouvement pour le dé- l’État. Il suffisait donc d’être poli ! pas constitué puisque celles-ci n’ont veloppement national (Modena), Atsutsè pas transité par la France. Ce n’était Kokouvi Agbobli dit AKA a été retrouvé L’affreux Barril pas l’avis de son homologue sous Jos- mort sur une plage. Très tôt, le gouverne- pin, Alain Richard, qui avait déposé ment a trouvé la cause du décès : suicide Encore une info passée inaperçue dans la pres- la plainte. C’est vrai que la fâcherie par noyade avant finalement d’opter pour se française. C’est une dépêche de l’Agence dure depuis trop longtemps avec le dé- une intoxication médicamenteuse. Le de presse africaine (APA) qui nous l’apprend sormais premier producteur pétrolier corps portait des lésions au cou et sur les : le sulfureux Paul Barril, ancien officier de d’Afrique ! parties génitales ce que l’autopsie bidon- gendarmerie et de tous les mauvais coups de née n’avait pas remarqué. Des éléments la Françafrique, serait dans le collimateur de Angolagate bis confortant donc la thèse de l’assassinat. la Cour pénale internationale (CPI) pour son Une ligne de plus à ajouter dans la longue implication présumée dans les crimes com- Le 23 juillet, la Chancellerie confirmait liste des crimes du clan Eyadema. mis par les troupes de Jean-Pierre Bemba en une information de Libération : l’ancien Centrafrique (Billets d’Afrique n°170, juin juge d’instruction et ex-député UMP Joyandet se lâche 2008). C’est à la suite des enquêtes menées Georges Fenech, dont l’élection a été par la CPI sur les crimes contre l’humanité annulée par le Conseil constitutionnel, Après la Françafrique décomplexée, voici commis sur le territoire centrafricain en 2002 allait réintégrer la magistrature à quel- la Françafrique débridée! Dans le même et 2003, que Jean-Pierre Bemba avait été ques mois du procès de l’Angolagate discours, Nicolas Sarkozy souhaite clai- arrêté, le 23 mai, en Belgique. On attend la où il est un des prévenus. «Il ne sera rement que l’aide au développement sou- suite avec impatience. pas affecté en juridiction et sera mis à tienne «en priorité le secteur privé». Rien la disposition des services du Premier de nouveau sous le soleil françafricain mais Sauf l’Afrique ! ministre», qui lui a confié une mission tout de même confirmé, le plus naturelle- d’évaluation des «dispositifs judiciaires ment du monde, par le secrétaire d’État à Le monde comptait moins de pauvres en de lutte contre les dérives sectaires», a la Coopération, Alain Joyandet devant un 2005 qu’en 1981, a indiqué le 26 août, la précisé le ministère. L’amitié, ça s’en- parterre d’ambassadeurs et d’une trentaine Banque mondiale, avec 1,4 milliard de per- tretient! de membres du Conseil français des inves- sonnes disposant de moins de 1,25 dollar tisseurs en Afrique (CIAN). La Lettre du par jour (contre 1,9 milliard), sauf en Afri- Angolagate ter continent rapporte «qu’il n’attend plus que que subsaharienne où leur nombre continue le feu vert du Conseil d’État pour devenir le à croître. Au passage, on remarquera que, Il ne manquait plus que lui : l’écrivain et vrai patron de l’Agence française de déve- pour la Banque mondiale, au dessus de 1,25 financier Paul-Loup Sulitzer a publié un loppement (AFD), la tirelire de la politique dollar, c’est le commencement de la richesse. nouveau thriller politico-financier Le roi africaine». L’Afrique subsaharienne est la seule grande rouge présenté pompeusement comme Au passage, Alain Joyandet a répondu indi- région où la pauvreté stagne en pourcentage le livre révélation sur l’Angolagate où il rectement à Survie en déclarant qu’il n’avait (50 % en 2005, contre 51 % en 1981, mais est également mis en cause. Paul-Loup pas peur d’être confondu avec le secrétaire avec une pointe à 58 % en 1996) et progres- Sulitzer aurait bénéficié, à l’époque, de d’État au Commerce extérieur. Ce que nous se en nombre (384 millions en 2005 contre 380 000 euros de «gratifications» remis lui reprochions publiquement dans un com- 202 millions en 1981). La banque ne précise par Pierre Falcone. Le roi rouge est une muniqué de presse signé par la Plateforme pas sa part de responsabilité dans ce dé- histoire vraie à 98 % déclare-t-il à Sud- France-Afrique en date du 25 juin. sastre. Ouest (4 août). S’il le dit... Raphaël De Benito

 nnn Billets d’Afrique et d’ailleurs nn Septembre 2008 n No 172 Salves

Congo Brazzaville Une spécialité congolaise : « la municipalisation accélérée »

Une partie de La triste réalité conduit malheureusement Personne ne doute un seul instant que cette à dresser la liste, d’une part de travaux gabegie ne bénéficie en fait à quelques-uns, l’enveloppe certes d’utilité publique, mais qui pré- c’est-à-dire à ceux qui font partie du cercle exceptionnelle de sentent la double caractéristique de faire rapproché et dont il convient de s’assurer de 260 millions d’euros l’objet d’une surfacturation effarante et la fidélité à l’heure où le Parti congolais du sur cinq ans, accordée de ne pas être achevés (voire même par- travail (PCT), le parti du président, se fissure fois jamais commencés), et d’autre part dangereusement en voyant s’affronter les ré- par la France, finance de réalisations aussi somptuaires qu’éphé- novateurs et les conservateurs. l’assainissement de la mères avec la construction de villas de Les rénovateurs sont ceux qui constituent la capitale ou « municipalisation grand standing et de palais présidentiels garde rapprochée actuelle du président, et les accélérée ». S’il y a une «symboles de l’État» (sic) pour la seule conservateurs ceux qui, se référant à un passé utilisation du chef de l’État lors des festi- symbolisé par l’image emblématique du pré- accélération, c’est plutôt vités qui sont programmées dans chaque sident assassiné Marien Ngouabi, aspirent à celle des surfacturations ville hôte. bénéficier eux aussi des mêmes prébendes effarantes et du clientélisme. Faut-il préciser que ces différents chan- que les premiers. On mesurera là l’ampleur tiers ne font bien entendu pas l’objet du du renouveau démocratique au Congo… n observateur candide aurait pu moindre appel d’offres et sont attribués Si on en juge par l’accueil mouvementé ré- croire en effet que la famille ré- de façon totalement arbitraire. Le maître servé par la population de Pointe Noire au U gnante Sassou Nguesso, rongée d’œuvre et grand dispensateur des mar- président Sassou Nguesso lors de sa visite en par le remords, enfin touchée par le désar- chés n’est autre que Jean-Jacques Bouya, juillet dernier (voir encadré), il est à craindre roi d’une population privée de l’essentiel, neveu du président, placé à la tête de la que la «Nouvelle Espérance» qu’il prétend ait entrepris d’y porter remède. La munici- délégation générale aux grands travaux incarner, n’ait du plomb dans l’aile. palisation consiste en effet, si l’on en juge (DGGT), organisme censé assurer la Et pourtant voici un homme qui a accepté par les innombrables annonces et discours gestion des «grands projets structurants avec un enthousiasme certes discret, stimu- qui lui sont consacrés, à réhabiliter voire d’équipement et d’aménagement du terri- lé il est vrai par les amicales pressions des à construire des équipements collectifs : toire national», dont le coût est supérieur institutions financières internationales, la routes, adductions d’eau et d’électricité, à 500 millions de francs CFA. Et tant pis création d’un comité chargé de renforcer les hôpitaux, écoles sans oublier les bâtiments pour la décentralisation… capacités de transparence et de gouvernance administratifs. Bref, le rêve… Mais qu’en On peut citer quelques exemples édifiants du gouvernement et dont il a eu la sagesse est-il exactement ? avec des forages d’eau d’un coût unitaire de confier la présidence à un esprit libre et Depuis 2004, le président Denis Sassou de 550 millions de francs CFA (prix du indépendant… le directeur de cabinet du mi- Nguesso a décidé de célébrer chaque année, marché 25 millions) ou un palais présiden- nistre chargé des Finances. dans un département et donc une ville diffé- tiel au demeurant inachevé à Impfondo de Mais que voulez-vous, on a beau faire, le rente, l’accession de la république du Congo 6,5 milliards de francs CFA que des pro- peuple n’est jamais satisfait. à l’indépendance. La ville élue fait dès lors fessionnels du bâtiment évaluent quant à Jean-François de Montvalon l’objet d’une municipalisation dite «accélé- eux à 500 millions au grand maximum. La rée». Jusque-là rien d’anormal si ce n’est que liste de ces éléphants blancs est longue… 1. La semaine africaine, Congopage, Mwinda… les autorités locales sont tenues à l’écart de toute décision. Vous avez dit bizarre ? Cela dit, il est assez légitime qu’une popu- lation se retrouve chaque année à travers Des obsèques houleuses la célébration d’un événement ayant va- Les Congolais viennent de battre le record d’abstention, avec moins de 10% de par- leur de symbole. Évidemment, dans le cas ticipation aux élections locales du 29 juin dernier. Une désertion massive faussement présent, célébrer un État qui a totalement attribuée par Sassou à la « multiplicité des associations et des partis de copains qui renoncé à ses devoirs les plus élémentai- en ont éclipsé les véritables enjeux ». Un signe de l’impopularité de Sassou qui a été, res vis-à-vis de ses citoyens, a quelque par ailleurs, sévèrement conspué à Pointe-Noire par des habitants furieux le rendant chose de tragiquement cocasse. responsable de la disparition, le 20 juin, de l’enfant du pays, Jean-Pierre Tchystère Pointe Noire (Kouilou), Impfondo (Likoua- Tchicaya, plusieurs fois ministre, ancien président de l’Assemblée nationale et fonda- la), Dolisie (Niari), Owando (la Cuvette) teur du Rassemblement pour la démocratie et le progrès social (RDPS). et enfin Brazzaville ont ainsi «bénéficié» Les violentes émeutes ont été réprimées façon Sassou. Ses hommes de main ont été successivement de 2004 à 2008 des inves- lâchés dans Pointe-Noire avec leur cortège d’arrestations arbitraires, de tabassages et tissements promis à cette occasion et dont de menaces principalement dirigés vers les milieux proches du RDPS. Le bilan est d’ores l’enveloppe selon différentes sources1, est et déjà tragique. On déplore la mort d’un homme victime d’un passage à tabac par des passée, au fil des ans, de 60 à 128 milliards agents du régime. Des centaines de jeunes gens, coupables d’irrespect envers Sas- de francs CFA. Encore faut-il préciser sou, sont également embastillés dans ses geôles. RDB qu’il s’agit là des sommes annoncées…

No 172 n Septembre 2008 nn Billets d’Afrique et d’ailleurs nnn  Dossier

Rwanda Le génocide des Tutsi rwandais : la face cassée de la République

Au mois de septembre 2003, sept Un génocide qui questionne la démocratie française mois avant les dix ans du géno- cide des Tutsis rwandais, nous Au-delà de la simple écrivions dans Billets d’Afri- interprétation politique et que : « À ce jour, aucune voix de l’instrumentalisation française relevant, de près ou de loin, des sphères officielles, n’a de la complicité de génocide, osé dire ce que l’histoire, docu- le contenu du rapport ments à l’appui, relate. rwandais sur l’implication La France savait, dès avant avril 1994, que le pire pouvait survenir française dans cet événement au Rwanda. Elle était liée à ceux impose à la France un large qui allaient le perpétrer. Devant débat national. le pire, elle n’a pas rompu le lien. En ce mois de septembre 2008, n ne peut imaginer pire trou noir sept mois avant les commémora- médiatique qu’un début de mois tions des quinze ans du génocide, O d’août, veille des Jeux olympiques, notre pays poursuit son funeste parcours entre le mensonge et l’infamie pour communiquer le tant attendu rapport qu’a tracé son acte criminel. Barricadé derrière le déni des faits, couvert Mucyo sur l’implication française dans le gé- de honte à la face du monde, il espère que le cynisme qui caractérise les nocide des Tutsi du Rwanda. Le gouverne- relations internationales le protègera. Il n’en sera pas ainsi, car les faits ment rwandais ne pouvait l’ignorer. Dès lors, sont avérés. beaucoup de questions se posent, largement Ils sont consignés dans de nombreux rapports (bien avant le rapport Mucyo confortées par les recommandations mêmes qui est loin d’en être l’unique évocation), dont celui de la Mission d’informa- de ce rapport, dont l’une subordonne explici- tion parlementaire française publiée fin 1998. Si celui-ci a ouvert toutes les tement la poursuite des accusations formulées pistes qui mènent à la vérité, il ne va pourtant au bout d’aucune. dans ses conclusions à un règlement politique Aujourd’hui, une commission d’enquête parlementaire s’impose pour entre les deux pays. Pourtant, et ce n’est pas explorer enfin toutes ces pistes. Il s’agit moins d’inscrire la vérité dans rien, la commission Mucyo cite nommément l’histoire de notre pays – car elle y est inscrite – que de restaurer son treize personnalités politiques françaises ain- honneur en reconnaissant son crime. Il s’agit, pour le moins, au nom si que vingt militaires enjoignant «les instan- du peuple français, de disqualifier une fois pour toutes, politiquement et ces habilitées (la justice rwandaise, NDLR) à moralement, les autorités de ce pays responsables d’une complicité avec entreprendre les actions requises afin d’ame- un régime qui a commandité et exécuté le génocide. ner les responsables militaires et politiques Présente, dès le début des années 1990, dans tous les lieux, civils et français incriminés à répondre de leurs actes militaires, du pouvoir rwandais, la France y a exercé des responsabilités devant la justice». Parmi les accusés, les cruciales, et a mobilisé des moyens considérables. Ces moyens ont été mis Mitterrand père et fils, Alain Juppé, Édouard au service du projet d’extermination des Tutsi, dont ils ont encouragé Balladur, Hubert Védrine, Dominique De la programmation et conforté le discours qui le sous-tendait. Ce soutien Villepin ou François Léotard… On le voit, il a été décisif en ce qui concerne l’exécution du génocide : si la France s’agit du sommet de l’État et donc l’affaire avait découragé ce désir d’éliminer l’autre, dénoncé ce projet et fait ce qui devient simplement énorme dès lors qu’un était en son pouvoir pour l’empêcher, il n’aurait pas été mis en œuvre. pays menace de poursuites pour «compli- L’évocation de quelque complexité politique ou régionale que ce soit n’y cité de génocide» les anciens dirigeants d’un change rien, c’était une question de volonté et de choix. autre. Cela impose à la Nation tout entière Nous rappellerons, dans les mois qui viennent, dans une série d’articles d’être correctement informée des termes du intitulée « la face cassée de la République» les éléments qui constituent débat simplement parce que ces élus ont agi et illustrent l’indiscutable réalité de ces faits. en notre nom, au Rwanda, comme d’autres La France, qui se voudrait un grand pays, est, dans cette région de la pla- continuent à le faire ailleurs. nète, gravement disqualifiée. La France est condamnée à la vérité devant Il y a donc plusieurs façons d’aborder le elle-même et devant l’Histoire. rapport Mucyo. Celle des analystes officiels Rappelons les mots d’Arthur Schopenhauer: «Toute vérité franchit trois d’une presse consensuelle, consiste à s’arrê- étapes. D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. ter à l’interprétation strictement politique des Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence.» 331 pages (plus 166 d’annexes) de l’enquête Allons enfants de la patrie, le jour de vérité est arrivé. rwandaise, comme une réponse aux mandats Sharon Courtoux Bruguière et l’élément d’un marchandage oc- culte avec la diplomatie française (lire p 6).

 nnn Billets d’Afrique et d’ailleurs nn Septembre 2008 n No 172 Rwanda Le génocide des Tutsi rwandais : la face cassée de la République

Un génocide qui questionne la démocratie française

Évidemment, cette dimension sauterait aux Si elle n’avait été rédigée par l’une des parties d’Ivoire). Et le voyageur ayant observé cer- yeux d’un enfant. En brandissant ces seules en présence, cette relation des faits devien- tains paras en opération extérieure africaine explications sous couvert d’un pseudo recul drait l’une des «bibles» historiques du géno- accordera encore davantage de crédits aux nécessaire, ceux-là bétonnent, un peu plus, le cide, tant le rappel des faits est clair, synthéti- accusations du rapport Mucyo. paravent des gouvernants de l’époque pour que et précis. La description de l’imbrication Finalement, le cadre dépasse largement le qui l’affaire est entendue : la France n’a rien à de la coopération militaire française dans les contexte du Rwanda. L’Afrique toute entière se reprocher, le reste n’étant qu’affabulations. Forces armées rwandaises (FAR) et les nom- est, depuis cinquante ans, le terrain d’exer- L’avantage de cette interprétation est qu’elle breuses collusions développées en trois ans cice favori de nos ex-troupes coloniales, et n’exige pas de se plonger dans le rapport. par un petit groupe d’officiers des troupes de d’une certaine façon, malgré le caractère Pourtant, la lecture attentive du texte se révèle marine et du Commandement des opérations spécifique du génocide de 1994, le rôle de la une fois de plus accablante pour la France. Il spéciales (COS), est assez édifiante. France n’a guère été différent au Rwanda de débute par un récit chronologique de l’his- Tout autant que le rôle de l’ambassadeur celui qu’elle tint et tient toujours dans ses ex- toire contemporaine du Rwanda, pour ensuite Marlaud, le 7 avril, facilitant la constitu- colonies subsahariennes. détailler, sous l’angle de la coopération fran- tion du Gouvernement intérimaire rwandais çaise militaire, politique et diplomatique, la (GIR) dans les locaux même de l’ambassade Cette fois, « ça a mal tourné » période du 1er octobre 1990 à août 1994. En la de France. Le coup d’état de la nuit était Ainsi, il est absolument nécessaire de repla- matière, le texte s’appuie sur nombre de tra- ainsi avalisé. Il pourrait bien avoir été, plus cer l’implication française au Rwanda dans vaux existants ne livrant pas d’informations que l’attentat du Falcon présidentiel, le vrai le contexte général de la Françafrique. Car historiques nouvelles (travaux de Gérard Pru- événement politique lançant le génocide. si cette fois, « ça a mal tourné» comme le nier, Colette Braeckmann, Alison Desforges, En remettant bout à bout les événements de répètent discrètement et cyniquement le petit Patrick de Saint-Exupéry, la mission d’infor- cette période, tous avérés et assortis de nom- cénacle de décideurs de l’époque, notre pays mation parlementaire en 1998, la commission breux témoignages, la commission nous livre se trouve encore du mauvais côté de la barriè- d’enquête citoyenne, etc.) . une telle description de l’implication françai- re en soutenant, en 2008, les gouvernants san- Son intérêt n’est pas tant dans les révélations se de l’époque que la question se pose : que guinaires d’Idriss Déby, de Sassou Nguesso, que dans la synthèse remarquable qu’il pro- penserions-nous d’un pays à ce point com- de Paul Biya ou de François Bozizé. Aucun pose, celle d’un dossier dont tous les spécia- promis avec les nazis ? enseignement n’a été tiré de ce qui devrait listes savent qu’il est complexe. Là où le rapport Mucyo apporte des accu- représenter, pour le pays, une catastrophe sations «nouvelles», c’est sur le compor- nationale. Avoir été, avant, pendant et après, Une démonstration suffocante tement des troupes françaises présentes sur aux côtés d’un gouvernement génocidaire, ne Ainsi plutôt que de nous démontrer la respon- place au gré des opérations militaires déci- mérite-t-il pas de s’interroger? Cette simple sabilité machiavélique d’un gouvernement dées entre 1990 et 1994. Le rapport impute formulation, en soit synonyme de complicité, français uni derrière le seul but d’exterminer aux militaires de nombreux viols, des inter- devrait suffire à organiser un grand débat, à les Tutsi, le rapport reconstitue un puzzle rogatoires musclés, des tortures et des mas- commencer par la désignation d’une commis- autrement complexe. Celui d’une complicité sacres. Les récits s’égrènent dans toute leur sion d’enquête parlementaire. bâtie comme un mille-feuilles, faite de divers horreur et la gravité des accusations portées Malgré son évidente instrumentalisation, ce enjeux, dont aucun n’a pour finalité un géno- contre l’armée française exige au minimum que nous dit le rapport Mucyo, c’est que le cide, mais dont tous les acteurs partagent le une contre-enquête objective. Sans que l’on génocide des Tutsi du Rwanda, est aussi une même mépris pour une population. puisse penser que nos paras soient tous des affaire nationale strictement française, jetant En ce sens, la démonstration est suffocante. tortionnaires, l’histoire récente accrédite mal- l’opprobre sur le fonctionnement même de Lorsque l’enquête relate des faits, par es- heureusement la plausibilité de certains de notre démocratie. sence incontestable, la complicité française ces récits (cf l’affaire Firmin Mahé en Côte- Isabelle Méricourt devient patente, (dans son assertion du droit international qui n’exige nullement partici- La complicité selon le Tribunal pénal international (TPIR) pation et pas nécessairement connaissance du génocide, voir encadré). Car ce qui ressort «La Chambre considère que le complice dans le génocide n’a donc pas nécessairement de chaque page du rapport, c’est que son ni- à être lui-même animé du dol spécial du génocide, qui requiert l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme veau d’implication, depuis octobre 1990, est tel. » […] Un accusé est complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou tel que la France ne pouvait ignorer ce qui assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que se passait en temps réel au Rwanda. Dans le cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui- contexte de l’époque, on redécouvre que cha- même l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie le groupe national, ethnique, que décision a été prise à l’aune des grands racial ou religieux, visé comme tel.» Musema, chambre de première instance, 27 janvier préjugés géopolitiques français avec pour 2000, § 183 ; Bagilishema, chambre de première instance, 7 juin 2001, § 71. dogme «la menace Tutsi».

No 172 n Septembre 2008 nn Billets d’Afrique et d’ailleurs nnn  Dossier

Le rapport Mucyo et les médias français

Sans être aussi caricaturale «juristes et historiens choisis par le pouvoir» (Rue 89, 6 août), pour ne citer que très briè- que le déni des autorités serait «tantôt distanciée, tantôt outrancière vement les quelques rares journalistes qui ont et teintée d’idéologie», et «certains épiso- également jugé ce rapport digne d’intérêt. françaises, la réception des déjà connus» feraient «l’objet d’une Victor Sègre du rapport rwandais par la présentation biaisée» selon Laurent d’Ersu presse hexagonale reste très (La Croix, 6 août). Il en veut pour preuve la 1. Sur la base d’un document qui constitue version de l’assassinat des coopérants Alain manifestement un faux grossier (dont il serait décevante. Didot et René Maier. Cet épisode, loin d’être intéressant de connaître l’origine) pourtant retenu par les rapporteurs, et qui sert de prétexte à «déjà connu», a pourtant donné lieu a de Bénédicte Charles pour occulter tous les autres orpeur estivale aidant, les journaux multiples récits contradictoires, y compris éléments. télévisés, mais aussi les hebdoma- côté français…2 2. Les différentes hypothèses sont rappelées par T daires, ont opté pour le black-out Philippe Bernard et Laurent d’Ersu mettent Jacques Morel dans «L’assassinat des gen- presque complet. La plupart des radios et par ailleurs l’accent sur des témoignages ju- darmes Didot et Maïer, et de l’épouse de Didot», des journaux ont seulement rendu compte, gés par tous les deux «invérifiables», «par- La Nuit Rwandaise n°2, avril 2008. avec plus ou moins de détails, des accusa- fois un peu trop militants pour être crédibles» tions résumées par le ministère de la Jus- (Laurent d’Ersu) ou «sujets à manipulation» tice rwandais et des réactions officielles (Philippe Bernard), en particulier quand ils À Lire françaises. On peut regretter que certains émanent des ex-génocidaires. Le doute est d’entre eux n’aient pas procédé ultérieu- évidemment légitime, mais pourquoi s’inter- rement à l’examen critique du rapport dire par avance un travail de vérification ? de la commission d’enquête lui-même. «Les interrogatoires de détenus, lorsqu’ils Dans Libération, Thomas Hofnung, qui sont menés par des chercheurs ou des jour- ne l’avait manifestement pas lu non plus, nalistes expérimentés, restent une source ir- croit bon d’ajouter des lieux communs remplaçable d’information», estime pour sa erronés («il n’y avait plus de soldats part le journaliste Jean-François Dupaquier français en 1994») et un titre de nature dans une tribune publié dans Le Monde («Un à susciter l’incrédulité du lecteur, faute rapport rwandais à prendre au sérieux», d’explication sérieuse: «De Mitterrand à 11 août). Il rappelle également les qualités Villepin, tous coupables». Certains jour- des universitaires membres de la commis- nalistes ont néanmoins mené un travail sion et considère que leur travail justifie d’analyse, mais souvent décevant. Passons l’ouverture d’une commission d’enquête sur le cas de Marianne2.fr qui, fidèle à sa française. «Cette lutte de deux décennies ligne éditoriale, juge le rapport «vraiment entre la France et Paul Kagamé n’est tou- pas sérieux» (12 août)1 et laisse à Pierre tefois pas une raison pour rejeter le rapport Péan le soin de le commenter (8 août). Le de la Commission rwandaise, ou présumer Le génocide des Tutsis rwandais a suscité site du Nouvel Observateur se contente que les témoins cités, survivants du géno- une masse de publications, portant notam- pour sa part d’interviewer Jean Hatzfeld, cide ou ex-compagnons d’armes des soldats ment sur la préparation politique et médiati- lequel avance, sans avoir lu le document, français, mentent», juge également Rémy que des tueries ou sur les enjeux internatio- que les accusations de meurtres portées Ourdan, toujours dans Le Monde (6 août). naux, en particulier sur le rôle de la France. contre les militaires français «sont absur- Au nom du «devoir de vérité» dû «envers Mais les raisons et les conditions de mise en des», et qu’en ce qui concerne les politi- les victimes et les survivants», il estime que œuvre sur le plan local restent peu étudiées. ques, «on peut être responsable mais pas «Paris ne peut pas rejeter ces récits sans en- L’étude de Jean-Paul Kimonyo tente de coupable». quêter en profondeur et sans répondre point combler cette lacune en portant l’attention Certes le rapport Mucyo est loin d’être par point à chacune des centaines d’accusa- sur la société rwandaise elle-même, dans parfait et ne saurait être à l’abri de criti- tions.» Et ce d’autant plus que «les mises en laquelle a mûri la haine et a fonctionné le ques. Mais, dans la plupart de ces articles, cause [des témoins] sont circonstanciées et conditionnement, rendant possible ce mas- il est uniquement appréhendé sous l’angle précises, elles se recoupent parfois, ne peu- sacre de masse. L’auteur retrace avec minu- des relations diplomatiques franco-rwan- vent être ignorées», selon Patrick de Saint- tie l’histoire sociale, économique et politique daises. Seulement réduit à cette dimen- Exupéry dans une autre tribune publiée dans vue par le bas de ces régions et localités. sion, il est analysé plus ou moins expli- Libération (13 août). Cette enquête montre un génocide «popu- citement comme le simple produit d’une En outre, le travail de la commission ne s’ap- laire», où les petits cadres locaux jouent instrumentalisation politique. Pour Philip- puie pas uniquement, loin de là, sur des té- un rôle décisif, où les frustrations sociales pe Bernard (Le Monde, 6 août), le travail moignages qui par ailleurs ne sont pas tous face à l’État sont mobilisées contre le bouc uniquement à charge de la commission rwandais. Fruit de «dix-huit mois d’enquête émissaire tutsi. Cette analyse n’exonère en «chargée de rassembler les preuves mon- minutieuse» (Catherine Ninin, RFI, 6 août) rien les tireurs de ficelles, politiques ou trant l’implication de l’État français dans il «repose largement sur des travaux – non militaires, mais elle montre la profondeur le génocide» (selon son mandat officiel) contestés – qui l’ont précédé», ainsi que sur du mal qui rongeait la société rwandaise attesterait du «peu de place laissé aux «des documents inédits» (Bakchich.info, depuis des décennies. vérités complexes». La présentation des 14 août), et confirme de nombreux faits Rwanda, un génocide populaire, Khartala, faits par les membres de la commission, «pour la plupart connus de longue date» 2008, 530 pages, 29 euros.

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Tchad-Soudan Déby et Al-Bachir, ex-aequo pour le prix du meilleur incendiaire

Alors que la situation d’enquête. C’est également une tentative condamnations à mort étaient exécutées. régionale est toujours d’auto-assistance qu’a orchestré Déby en Par ailleurs, le MJE ne perd pas une occasion aussi tendue, les organisant, cet été, un simulacre de justice pour exprimer haut et fort le soutien d’Idriss : il n’a fallu que quelques heures pour que Déby dans son combat contre Al-Bachir, y Occidentaux misent toujours soient condamnés à mort par contumace compris, selon diverses sources, à l’occasion sur Idriss Déby pour faire l’ancien président tchadien renversé par d’une récente tournée aux États-Unis. tomber Béchir. Le président Idriss Déby, Hissen Habré et une douzaine Quant à l’opposition armée tchadienne, de chefs rebelles déclarés coupables «d’at- vouée à la chute d’Idriss Déby, plus dispara- tchadien, tout aussi teinte à l’ordre constitutionnel, à l’intégrité te qu’unie, elle semble attirer des ralliements pyromane, n’a pourtant rien et à la sécurité du territoire»3. Les derniers inattendus, notamment celui du très respecté à envier à son homologue cités s’en amusent tout en confirmant leurs président de l’Union des syndicats du Tchad, soudanais. rebelles intentions. Habré, contre qui une Djibrine Assali Hamdallah. Djibrine Assali procédure judiciaire est engagée au Sénégal, a en effet rejoint l’Union des forces pour le e 2 février dernier, alors qu’une coa- y est accusé de crimes et de violations des changement et la démocratie4 (UFCD, prési- lition de groupes rebelles tchadiens droits de l’homme. Si Déby espérait avoir dée par Adouma Hassaballah) dont il assume L attaque la capitale du pays, N’Dja- concocté un mic-mac susceptible d’annuler désormais le poste de vice-président. ména, dans l’intention (déçue) de renver- la procédure engagée à Dakar en raison de ser Idriss Déby, plusieurs personnalités1 de l’impossibilité de juger une personne à plu- Al-Bachir, ennemi n°1 l’opposition non armée sont enlevées à leur sieurs reprises pour les mêmes faits, c’est Ce mouvement, comme d’autres, ne rai- domicile par la garde présidentielle et mises loupé: les accusations formulées à l’encon- sonne pas qu’à la pointe du fusil, mais toute au secret. Parmi ces dernières, Ibni Oumar tre d’Habré au Tchad ne sont pas les mêmes opposition à Déby attire, au moins, un regard Mahamat Saleh, porte-parole de la coalition que celles instruites à Dakar. de sympathie dans la capitale soudanaise. des partis de l’opposition, manque toujours Ancien compagnon de route d’Habré, coau- Chacun contre son tyran finalement… à l’appel. Dès la fin du mois de février, di- teur de crimes attribués à ce dernier, Déby Comment espérer, dans ces conditions, que verses sources affirmaient que les opposants peut s’attendre à ce que le procès de son ces chefs d’État pyromanes, identiquement avaient été arrêtés à la suite d’informations grand ennemi Hissen évoque son propre rôle nuisibles, débarrassent le terrain ? Et que émanant des services d’écoute de l’armée historique et cela sans mesure. Le maquillage le combat entre le Tchad et le Soudan par française. La France, un peu gênée aux en- du macabre curriculum vitae de Déby n’est groupes rebelles interposés ne continue pas à tournures, avait réclamé une commission donc pas pour demain. se substituer à un objectif plus conforme aux d’enquête2 à son protégé Déby. Remis, le Quoi qu’il en soit, le ministre sénégalais de intérêts de millions de gens ? 5 août, au président tchadien, le rapport de la Justice a confirmé la poursuite de la pro- Selon des observateurs avisés, à une échelle la commission reste toujours confidentiel. cédure contre Habré. Il a cependant ajouté plus globale, l’objectif premier des Occiden- que la seule condition à satisfaire pour son taux serait la chute d’Al-Bachir considéré Des témoins manquants démarrage «c’est que la communauté inter- comme «l’ennemi principal». Quitte pour On peut douter que cette commission d’en- nationale appuie le Sénégal en donnant les une certaine communauté internationale à quête nous éclaire sur cette disparition moyens financiers nécessaires à son organi- privilégier Déby. On ménagerait donc Satan quand on sait qu’un certain nombre de sation.» De mauvaises langues estiment que pour atteindre son frère jumeau. personnes, dont le témoignage est pourtant ce soutien financier pourrait encore tarder, Sharon Courtoux capital, n’auraient pas été entendues. C’est la communauté internationale estimant que le cas par exemple de Ramdane Soulaiman la hauteur des moyens réclamés dépasse les 1. Dont Ngarlejy Yorongar et Lol Mahamat (directeur du contre-espionnage de l’Agen- besoins réels. On finit par se demander qui, à Choua. ce nationale de sécurité, ANS) et d’Adam part les victimes des tyrans tchadiens, a hâte 2. Fin mars, la commission d’enquête Soulaiman (directeur du service B2 des de les voir répondre de leurs crimes. nationale a été remaniée afin d’inclure en son renseignements militaires). sein, avec un statut d’observateur, des Tout comme un autre témoin, un Français : Pendant ce temps, représentants de la communauté internationale, notamment l’Organisation internationale de la un certain capitaine Daniel Goutte qui, se- à Khartoum... Francophonie (OIF) et l’Union européenne, lon le député Ngarlejy Yorongar, aurait ... la justice soudanaise a condamné à mort représentée par la délégation de la Commission assisté à l’extraction de sa cellule d’Ibni par pendaison une cinquantaine de respon- européenne à N’Djaména. Saleh (mort ou vif, on l’ignore). Quant à sables de l’attaque sur la capitale conduite, 3. Une trentaine d’autres membres de la rébellion ce lieu de détention, il n’aurait pas été vi- au mois de mai, par le Mouvement pour la ont été condamnés à des travaux forcés à perpé- sité par la commission afin de vérifier les Justice et l’Égalité (MJE), un groupe rebelle tuité pour «attentats dans le but de détruire ou de affirmations et la description qu’en a faite du Darfour. Parmi les condamnés figure changer le régime » du président Déby. 4. Ce mouvement s’affirme ouvert à tous les Ngarlejy Yorongar dans sa déposition. On le demi-frère de Khalil Ibrahim, chef du Tchadiens désireux de se rassembler pour recon- peut donc penser qu’Idriss Déby sortira MJE. Ce dernier vient d’affirmer son inten- struire leur pays et ne semble appeler à l’usage blanchi des conclusions de la commission tion d’attaquer à nouveau Khartoum si ces de la force qu’en désespoir de la cause.

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FRANCE AFRIQUE Mission d’info ou d’intox ? La mission d’information lement augurer d’un vrai bilan critique ou moins régulièrement et auditionne, sur les relations franco- de la politique de la France en Afrique. toujours à huis-clos une liste assez fournie Du reste, des tensions entre certains de dirigeants français passés et actuels africaines a brillé par sa députés de la mission n’ont pas tardé à (anciens ministres de la coopération, discrétion jusqu’à l’incident apparaître. dirigeants de l’AFD, responsables de qui a provoqué, début juillet, cabinets ministériels), de journalis- le report de la publication Frères ennemis tes spécialisés (Laurent D’ersu de La La présence d’un proche de Nicolas Croix, Philippe Bernard du Monde, An- de son rapport. Est-ce le Sarkozy particulièrement bien connec- toine Glaser de La Lettre du Continent), reflet de l’impuissance té aux réseaux françafricains, Patrick de chercheurs et autres personnalités et du désintérêt des Balkany, pouvait le laisser envisager (Philippe Hugon, Eric Orsenna). Même mais celui ne participera quasiment pas si les premières auditions laissent appa- parlementaires en matière de aux travaux, réduisant de fait sa capa- raître une polarisation des critiques sur politique étrangère ? cité de nuisance redoutée par certains le domaine réservé élyséen et l’inertie députés. C’est entre Jean-Louis Christ au changement présente au plus haut a mission d’information sur les et le rapporteur de la mission, Renaud sommet de l’exécutif, les conseillers relations franco-africaines, créée Dutreil, que les tensions sont les plus «Afrique» de la cellule diplomatique L au sein de la commission des vives. Affrontement idéologique en- de Nicolas Sarkozy ne seront audition- affaires étrangères de l’Assemblée na- tre un démocrate-chrétien, sarkozyste nés qu’à la fin de la mission. Claude tionale et présidée par le député UMP très modéré (et converti tardivement), Guéant (secrétaire général de l’élysée, Jean-Louis Christ a débuté ses travaux à la lecture un peu caritative des rela- très actif sur certains dossiers, notam- début septembre 2007, en toute discré- tions franco-africaines et un jeune loup ment au moment de la réconciliation tion puisqu’aucune communication pu- de l’UMP réputé pour son libéralisme spectaculaire avec , en blique sur le sujet n’est intervenue pen- et sa proximité avec certains réseaux avril 2008) et Henri Guaino (auteur du dant plusieurs semaines. (c’est lui qui aurait suggéré à Nicolas trop fameux discours de Dakar) ne se- Percevant tout de même l’intérêt poten- Sarkozy de décerner la légion d’hon- ront pas entendus. tiel de la démarche, les ONG membres neur à Robert Bourgi1) ? Ou simple de la Plateforme citoyenne France- querelle de leadership entre un député Echec prévisible ? Afrique (dont Survie est membre) ont peu charismatique et sans visibilité Côté africain, les auditions sont plus rapidement tenté d’en savoir plus, ren- nationale et un élu médiatique réputé rares, on notera tout de même un dé- contrant le président de la mission pour pour son ambition débordante, qui a placement de la mission d’information lui remettre leur Livre Blanc pour une envisagé un temps le secrétariat d’État à Addis Abeba pour rencontrer l’an- politique de la France en Afrique res- à la Coopération (d’après La Lettre du cien président malien Alpha Oumar ponsable et transparente. continent, 11 octobre 2007). Difficile à Konaré, parfois auteur de critiques ce stade d’en tirer une conclusion. Tou- courageuses de la politique française Un rapport de plus... jours est-il que cette rivalité multiforme en Afrique. Très vite, les ONG comprennent que a eu des incidences sur le déroulement La société civile, malgré l’insistance la mission n’ira pas très loin. Dans un des travaux, provoquant le rebondisse- de la Plateforme citoyenne France courrier adressé à l’ensemble des dé- ment spectaculaire au début de ce mois Afrique est peu entendue et on le verra, putés de la mission, ils exposent un de juillet avec le rejet par la mission peu écoutée. Le président de Coordi- certain nombre de revendications sur du rapport présenté par Renaud Dutreil nation Sud, auditionné sur la question la forme et le contenu de ce travail, ré- et le prolongement du mandat de cette de l’Aide publique au développement, clamant des séances publiques, l’audi- mission. Peut-être l’échec de trop pour quatre représentants de la Plateforme tion de témoins africains de la société l’ancien ministre des PME, après une citoyenne France-Afrique et un re- civile, insistant en particulier pour que défaite cuisante aux municipales à présentant tchadien de la plateforme l’ensemble de sujets clés soient traités Reims quelques mois auparavant. Publiez ce que vous payez, font figure (ingérence militaire, économique, vio- Le 5 août 2008, il annonce sa prise de d’exceptions. Du reste, les députés ne lation des droits de l’homme, etc.). distance avec la vie politique et son dé- se bousculent pas pour assister aux Le président de la mission est du reste part pour les États-Unis à la suite à son auditions, les priorités des parlemen- le premier à relativiser la portée du recrutement par le groupe LVMH. taires semblant ailleurs. Les membres rapport qui en sera issu : «Un volume Sans être une nouveauté de l’ère Sarkozy, de la Plateforme citoyenne rapportent, de plus sur une étagère de l’assemblée, ce type de reconversion reste toutefois par exemple, que leur courrier aux mais peut être le début d’un travail col- bien dans l’air de ce nouveau quinquen- dix membres de la mission n’a obtenu lectif pour plus de contrôle parlemen- nat dans lequel la proximité entre politi- aucune réponse hormis celle du pré- taire», leur confie-t-il. que et affaires est totalement banalisée. sident et que le jour de leur audition, Une mission d’information, rappelons- Mais revenons sur les quelques mois qui aucun député de l’opposition n’était le, a moins de pouvoir qu’une commis- ont précédé ce mini-clash au sein de la présent. Ce jour là pourtant, Renaud sion d’enquête et la durée des travaux mission d’information. De septembre Dutreil, mi-figue mi-raisin, est bien envisagée, dès le départ, laisse diffici- 2007 à juin 2008, la mission se réunit plus à sa place et se fait remarquer par

 nnn Billets d’Afrique et d’ailleurs nn Septembre 2008 n No 172 quelques questions sur les réseaux de Peut-on vraiment la Françafrique («alors comme ça ils existent encore, vraiment ?»), voire carrément provocantes sur le «consen- attendre des sus à la gabonaise» comme modèle éventuel de démocratisation et insiste plusieurs fois sur les mécanismes pri- contrepoids politiques vés de financement du développement. On comprend alors que l’ambition cri- tique du rapport préparé par le député au Parlement ? avec les services de l’assemblée sera sérieusement émoussée. L’agitation actuelle autour présidentiel en matière de politique exté- rieure, particulièrement en Afrique. Mauvais sous tous rapports de la présence française Mais si la dérive présidentialiste a été un Quelques jours avant la remise offi- en Afghanistan souligne, des arguments les plus brandis par les cielle du rapport, plusieurs personnes en creux, le désintérêt des nombreux députés qui se sont opposés à voient circuler une version finale en- la réforme constitutionnelle, ce n’est qua- core «sous embargo». députés pour la politique de siment jamais dans le cadre de la politique Choc attendu mais choc tout de même. la France en Afrique où les étrangère, l’article qui prévoit que toute Au lieu du rapport attendu, prélude à interventions militaires sont opération extérieure d’une durée supé- un nécessaire aggiornamento, c’est nombreuses. rieure à quatre mois semblant satisfaire un véritable document de prospec- tout le monde. tive économique, digne du Medef qui On peut donc redouter que l’ambition s’étale sur quarante pages, desquelles a politique de la France en Afrique de contrôler la politique extérieure de la les mots qui fâchent («dictature », ne devient un sujet politique qu’à France et de limiter l’ingérence ne soit, «corruption », «répression », «in- L l’approche des élections présiden- dans le fond, qu’un vœu pieu. Au-delà du gérence») sont totalement absents. A tielles et jamais sous la forme d’un thème seul débat sur la réforme constitutionnelle, l’inverse, les termes «intérêts écono- de débat majeur. Les quelques promes- la faiblesse générale de l’investissement miques », «investissement », les ré- ses émises par les principaux candidats à des parlementaires sur les sujets de poli- férences à la Chine et à l’Inde inon- l’élection présidentielle de 2007, Nicolas tique extérieure, lorsque ceux-ci ne sont dent les chapitres. Sarkozy, Ségolène Royal et François Bay- pas sous les projecteurs, reste criant. Effet médiatique ou baroud d’hon- rou, fortement encouragés par les ONG du En effet pour quelques interventions op- neur, Jean-Louis Christ monte au Centre de recherche et d’information pour portunistes sur la libération des infirmiè- créneau dans la presse (La Croix, Le le développement (CRID), n’ont brillé res bulgares détenues en Libye ou des Monde, Le Journal du dimanche) le 8 que par leur relative conformité à celles «humanitaires» de l’arche de Zoé (avec et le 9 juillet et en profite pour régler d’autres candidats en d’autres temps. même, dans le premier cas, la création ses comptes avec le rapporteur Renaud Parmi ces thèmes communs figurait -ce d’une mission d’information parlementai- Dutreil, descendu en flèche par son pendant l’amélioration du contrôle parle- re à la clé), combien de scandales ont été «camarade» avant d’être sommé par mentaire sur un certain nombre de domai- avalisés sans coup férir par le parlement, les députés de la mission (majorité et nes, en particulier la politique extérieure. des remises de dette au à l’inter- opposition réunies) de revoir sa copie La création de la commission Balladur vention militaire de la France au Tchad ? et de s’intéresser davantage, par exem- sur la réforme des institutions, aux pre- Sur ces sujets, on s’en doute, les députés ple, aux questions liées à la démocra- miers jours du quinquennat de Nicolas de la majorité présidentielle sont restés tisation et aux droits de l’homme. Les Sarkozy devait permettre d’avancer en ce quasiment muets, la fidélité au chef étant travaux de la mission sont ainsi prolon- sens. Parmi les 77 propositions énoncées de mise, surtout pour des sujets jugés gés de quelques mois. Peut-être une oc- en octobre 2007 par cette commission, on «périphériques ». casion de leur donner plus de visibilité pouvait recenser plusieurs points à même Plus inquiétant a été le mutisme des dépu- et de susciter un investissement accru d’améliorer le contrôle parlementaire de tés d’opposition, qui ont assisté à la dérive des députés, à moins que les réactions la politique de la France en Afrique. No- françafricaine de la politique présidentiel- au sommet de l’exécutif provoquées tamment les propositions 53 à 55 relati- le, sans jamais essayer d’en faire un sujet par cet incident n’aient raison du sur- ves à la politique étrangère et de défense de débat politique, même en pleine opéra- saut d’honneur des parlementaires de la (autorisation des opérations extérieures tion de sauvetage par la France du régime mission et de leur président. d’une certaine durée, information sur les aux abois d’Idriss Déby. La rumeur d’une publication très ra- négociations diplomatiques, publication L’agitation actuelle autour de la pré- pide d’une version définitive et quasi des accords de défense). Certaines de ces sence française en Afghanistan, dans un identique du rapport, destinée à ne pas propositions, après plusieurs semaines contexte chargé émotionnellement après mécontenter Nicolas Sarkozy circule d’arbitrages et de navettes entre l’Assem- le décès de dix soldats tués en mission, déjà… blée et le Sénat ont été intégrées à la réfor- est-elle susceptible de provoquer un débat Pierre Rohman me constitutionnelle du 21 juillet qui pré- parlementaire sérieux ouvrant la voie à voit, parallèlement au renforcement des de futurs travaux sur la justification de 1. C’est Nicolas Sarkozy lui-même qui en a fait pouvoirs du parlement, une augmentation la présence militaire en Côte d’Ivoire la concession lors de l’allocution de remise de la de ceux du président, laissant donc diffici- ou au Tchad ? distinction. lement présager un abandon du précarré Pierre Rohman

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Cameroun Trois ans pour éviter le pire La situation politique de véritable démocratie. Sur la scène in- (les noms des députés ayant participé au Cameroun ternationale et en France en particulier, au scrutin et la nature de leur vote sont le président camerounais est toutefois connus et proclamés). intéresse peu la perçu comme le «garant de la stabilité » Cinq articles de la Constitution, concer- communauté internationale. du pays. nant le président de la République, sont Le pays est pourtant à Pour ne pas nuire à cette image idyllique, remaniés, dont un concernant la levée de les autorités camerounaises décident la limitation des mandats (art. 6-2) et un un tournant historique d’interdire, le 18 janvier 2008, les mani- autre concernant l’immunité du chef de après la crise politique de festations prévues par l’opposition contre l’État (art. 53-3). Paul Biya, âgé de 75 l’hiver dernier. Pour la rue le projet de réforme constitutionnelle. Le ans, pourra donc se présenter aux élec- camerounaise, le pire reste à 23 février, un meeting de l’opposition, à tions de 2011 et, si un jour il quitte le Douala, est annulé par les organisateurs pouvoir, il ne pourra être poursuivi en venir. en raison de la présence massive de po- justice. out commence par un discours liciers. L’assistance est dispersée par la Dans la foulée, les députés reçoivent du président camerounais, Paul force occasionnant des affrontements quelques cadeaux : leur crédit automo- TBiya, le 31 décembre 2007 dans violents (deux morts, plusieurs centaines bile est désormais une prime non rem- lequel il fait part de son souhait de ré- de blessés). Echaudée par l’interdiction boursable, les salaires du personnel sont former la Constitution de 1996 afin de de manifester et profitant de la grève revalorisés, et enfin l’Assemblée natio- lever l’amendement de l’article 6-2, qui lancée par les transporteurs routiers, le nale aura un nouveau siège avec un bu- prévoit que «le président de la Républi- 25 février, contre la montée des prix du reau pour chaque député. que est élu pour un mandat de sept ans carburant, la jeunesse camerounaise in- Aujourd’hui, le Cameroun est à un tour- renouvelable une fois ». La nation ca- vestit les rues des principales villes de nant historique. Le pays, en crise, a merounaise est prévenue: Paul Biya veut l’ouest du pays pour exprimer son ras-le- besoin d’une réforme profonde de ses rester au pouvoir et il s’en donnera les bol. Rapidement, plusieurs villes s’em- structures politiques, économiques et moyens. Les Camerounais sont pourtant brasent, y compris la capitale politique, sociales. Le gouvernement en place a fatigués de sa présidence qui dure depuis Yaoundé. Les enseignes commerciales trois ans pour améliorer les conditions de 1982: absence de développement écono- françaises seront les premières cibles. vie de ses concitoyens avant la tenue de mique et social, paupérisation croissante Les autorités répondent par une répres- l’élection présidentielle de 2011. L’op- de la population, corruption généralisée sion sanglante (tirs à balles réelles, arres- position observe et compte bien faire dans tous les secteurs de l’État et absence tations massives). Le bilan est lourd : une barrage au candidat Paul Biya, qui vrai- centaine de morts selon l’ACAT-Littoral semblablement se présentera une énième (Action des chrétiens pour l’abolition de fois à la présidence. La préparation et la Une répression la torture), quarante selon les autorités tenue de ce scrutin auront donc une im- camerounaises. Plusieurs centaines de portance primordiale quant au devenir aveugle personnes sont également arrêtées. du pays. Car même si le Cameroun reste Le bilan définitif des violences de Des défenseurs des droits de l’homme apparement l’un des pays les plus stables fin février 2008 ne sera jamais établi et des journalistes sont intimidés (ta- d’Afrique centrale, le pays pourrait bas- faute d’enquête. Face au silence des bassage, brève arrestation, menaces). culer dans les violences post-électorales, autorités camerounaises sur cette Plusieurs médias (Equinoxe TV et radio comme au Kenya ou au Zimbabwe, en question, seule une enquête inter- Magic FM), qui diffusent des images de cas d’élections non transparentes et non nationale aurait pu établir la vérité. la répression ou qui permettent aux audi- démocratiques qui verraient le clan Biya Malheureusement, la communauté teurs de s’exprimer librement sur la si- reconduit, une nouvelle fois, au pouvoir. internationale a, elle aussi, préféré tuation dans le pays, sont fermés manu La communauté internationale a donc, rester silencieuse sur le sujet. militari par la police. Mis en garde, les dès maintenant, tout intérêt à travailler La surpopulation des prisons et les autres médias audiovisuels éviteront par d’arrache-pied avec les autorités came- conditions (torture, assassinats) de la suite tout sujet qui fâche. rounaises pour que les élections en 2011 maintien de l’ordre sont dénoncées Le 29 février, la situation se stabilise. A soient irréprochables sur tous les plans. A régulièrement par la FIDH (2001, grand renfort de soldats puissamment ar- l’heure actuelle, le sentiment général qui 2003). Avec la vague de condam- més, les villes à risque sont de nouveau prime au sein de la jeunesse camerounai- nations arbitraires à la suite de la sous contrôle. Pour la plupart des médias se est que «le pire est à venir». répression des manifestations de français, il s’agira davantage d’émeutes par Clément Boursin février dernier, les conditions de de la faim, résultat de la crise alimentaire chargé de mission Afrique à l’ACAT2 détention sont démentielles (4000 mondiale plutôt qu’une crise politique. prisonniers pour 800 places). La ré- Le 10 avril 2008, les députés de l’assem- pression d’une révolte à la prison de blée nationale – dominée par le parti au 1. Le RDPC détient 153 des 180 sièges Douala a fait dix-sept morts parmi les pouvoir, le Rassemblement démocra- de députés. prisonniers, le 29 juin, un incendie, le tique du peuple camerounais (RDPC)1 2. L’ACAT est une organisation inter- 20 août, vient d’y faire neuf morts. – adopte, à la majorité absolue, la révi- confessionnelle qui milite pour l’aboli- sion constitutionnelle par un vote public tion de la peine de mort et de la torture.

10 nnn Billets d’Afrique et d’ailleurs nn Septembre 2008 n No 172 En bref

Sénégal Mieux vaut tard que jamais Le Sénégal de tous Alain Juppé qui remettait, le 27 août, à Nicolas Sarkozy son «Livre blanc sur la politique étrangère et les dangers européenne de la France» a affirmé qu’il fallait «ouvrir la politique Le climat politique président, aurait ouvertement déclaré étrangère sur l’opinion publique, il qu’ils n’excluraient pas de procéder faut la démocratiser. Pour l’instant et social est a l’élimination physique de certains elle est un peu enfermée dans son de plus tendu opposants en cas de besoin. Pendant donjon». au Sénégal sur fond ce temps, les journalistes continuent de Merci donc à Alain Juppé de le de corruption et défiler à la division des investigations reconnaître. Lui qui fut chef de la criminelles (DIC), haut lieu de crimi- diplomatie française entre 1993 et d’affairisme forcené du nalisation des journalistes et autres 1995, sous la présidence de Fran- clan présidentiel. La réfractaires. Une police politique en çois Mitterrand, aurait été bien ins- perspective de voir somme. piré d’écouter Survie qui alertait, à Karim Wade succéder à Le président du groupe Avenir et Commu- l’époque, des préparatifs du géno- nication, Madiambal Diagne, bête noire cide des Tutsi rwandais. son père exacerbe encore du régime qui continue de subir les affres davantage les tensions du pouvoir vient de porter plainte, suite Arme politiques. à des menaces de mort à peine voilées, proférées par une députée de la mouvan- de guerre ce présidentielle. A cela s’ajoute le sac- écidément le Sénégal n’en fi- cage des locaux des journaux l’As et 24 À 42 ans, le nouveau patron du 1er nit pas d’étonner et de déton- h chrono par un groupe d’hommes armés RPIMa, grand pourvoyeur de for- D ner. Le remplacement au for- et ce après que le ministre des Transports ces spéciales, a un CV conséquent! ceps d’ par son fils Farba Senghor ait ouvertement déclaré De 2004 à 2006, le colonel Eric Vi- à la tête de l’État cristallise toutes les qu’il ferait la fête à ces journalistes. daud a passé deux ans détaché au attentions, tous les ressentiments. Aucune autorité ne semble disposée à ministère des Finances où il a été Il est formellement interdit aux jour- jouer l’apaisement. Dans ce contexte, chargé de la politique économique nalistes de s’intéresser aux dossiers l’opposition et la société civile regrou- en Afrique de l’Ouest et du suivi qui pourraient gripper le scénario pées dans le cadre d’assises nationales, du franc CFA. Une vraie arme de d’une succession à la Eyadema. s’efforcent de trouver des solutions aux guerre donc ! Celle-ci se voudrait pensée, légitime, problèmes du pays, malgré les menaces Rappelons que l’un des instruments voire acceptée par tous. Pour preuve, du pouvoir qui refuse la tenue de telles les plus puissant de l’asservisse- les journalistes sont tabassés par des assises. Au Sénégal, un régime de plus ment économique de l’Afrique, forces de l’ordre lorsque ce ne sont en plus autoritaire se met en place dans après les indépendances, a toujours pas des milices privées proches du ré- un contexte de corruption, de prévarica- été la monnaie. gime qui font le travail de répression. tion et de pauvreté jamais égalées. Depuis l’arrivée d’Abdoulaye Wade Les 4x4 allemands luxueux se multiplient Droit des au pouvoir, nombre d’anciens calots comme des petits pains à Dakar. Des mil- bleus préposés à la sécurité du même liards de francs CFA disparaissent dans affaires Abdoulaye Wade, alors dans l’opposi- la nature sans qu’aucune enquête ne soit tion, ont été recrutés dans la police et menée...Un scénario à l’ivoirienne sem- L’avant-projet de loi sur la dépéna- la gendarmerie. A l’issue d’un match ble se dessiner et la crainte de voir une lisation de la vie des affaires sera de football, les journalistes Boubacar explosion lorsque toutes les médiations le dossier phare de la rentrée pour Kambel Dieng et Karamoko Thioune citoyennes auront été ignorées et que Ka- le gouvernement. Son objectif af- ont été violemment pris à partie par rim Wade succédera à son père est bien fiché: muscler l’économie françai- des policiers. réelle. se. Certaines dispositions donnent Le souhait du président Abdoulaye l’impression d’une justice plus sé- Un régime de plus en plus Wade est en effet de couvrir ses arri- vère. Ainsi, le délai de prescription autoritaire ères et de créer les conditions de son passerait de trois à sept ans pour Depuis, les relations entre la presse immunité sans avoir à répondre de sa l’abus de biens sociaux et la majo- et le pouvoir sont devenues exécra- gestion gabégique du Sénégal. rité des délits financiers. Sauf que bles. Devant le silence complice du Karim Wade, qui a été reçu, le 26 août, dans cette nouvelle loi, le point de pouvoir et depuis que le ministre de par Nicolas Sarkozy a discuté d’un pro- départ du délai serait, dans tous les l’Intérieur, Cheikh Tidiane Sy, an- jet d’installation de centrale nucléaire cas, la date à laquelle les faits ont cien mobutiste, a choisi de défendre au Sénégal selon ses conseillers. été commis. Et non plus à la date sa police, les choses sont allées en Pour s’assurer de son soutien et faire où ils ont été mis en lumière. Une se dégradant. Le président du groupe oublier les déboires de Vincent Bol- astuce qui ferait passer à la trappe parlementaire du Parti démocratique loré à Dakar ? bon nombre de dossiers ! sénégalais Doudou Wade, neveu du Mayacine Diouf Raphaël de Benito

No 172 n Septembre 2008 nn Billets d’Afrique et d’ailleurs nnn 11 À lire La tourmente alimentaire… et agronomique

e système agronomique du Nord de plus rapides et catastrophiques dans les A l’exem- l’Europe, devenu dominant sur une régions chaudes. ple de la L bonne partie de la planète, est à l’ori- Le processus est largement à l’œuvre en p o l i t i q u e gine d’une catastrophe écologique mondiale. Inde (à la faveur de la «révolution ver- a g r i c o l e C’est le point de vue qu’expose Matthieu te»), en Australie, en Espagne… commune Calame, agronome, dans La Tourmente Pour inverser la tendance, Matthieu Ca- de l’UE, alimentaire, pour une politique agricole lame propose d’explorer davantage les il est pos- mondiale. voies de l’agroforesterie qui ont été en sible de Notre système agraire, né il y a plus de dix vigueur sur les bords de la Méditerranée construire mille ans, repose sur la culture de céréales (oliviers et autres arbres fruitiers asso- une agri- associée à l’élevage ; il s’est étendu au ciés aux cultures annuelles et à l’élevage) culture solide sur la base de prix inter- détriment de la forêt, sans cesse défrichée. et qui le sont encore ou à nouveau dans nes élevés et de mécanismes favorisant Après une période où la polyculture-éle- nombre de pays du tiers monde (Sud-Est les petits et moyens paysans. Mais il vage maintenait un équilibre (alternance asiatique, Afrique des grands lacs…) faut aujourd’hui repenser les échanges de cultures annuelles et de cultures four- Il propose également de protéger ou re- mondiaux, dans le cadre de l’OMC, afi n ragères pluriannuelles, fertilisation des constituer la forêt des bassins hydrogra- d’imaginer «un marché construit» et des sols par le fumier des animaux), on arrive phiques pour préserver la ressource hydri- échanges équitables. vers 1950 à une «régression agronomi- que ; et de préserver les marécages que Matthieu Calame avance par ailleurs une que d’une ampleur sans précédent» : sont les rizières. Le tout pour conserver proposition originale celle d’une «mon- la monoculture de cultures annuelles de- la matière organique et «concilier équili- naie biologique», qui pourrait être fon- vient dominante, à grands renforts d’azote bres biologiques et population dense». dée sur le carbone, l’énergie disponible et chimique (les nitrates) pour compenser Les causes de la famine, poursuit Matthieu autres ressources biologiques. l’abandon de l’azote naturel (fumier, lé- Calame, sont multiples mais le combat Philippe Cazal gumineuses fi xant l’azote de l’air). Or, les contre elle repose avant tout sur un «cer- nitrates stimulent la croissance des plan- cle vertueux» dans lequel se rejoignent La Tourmente alimentaire, pour une po- tes mais aussi favorisent les bactéries à la les différents facteurs du développement litique agricole mondiale, de Matthieu source de la minéralisation. Minéralisa- et surtout la volonté politique de dévelop- Calame, éditions Charles Léopold Mayer, tion et disparition des sols sont d’autant per l’agriculture. avril 2008.

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