La Photographie Dans Les Livres Pour Enfants
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Le Petit lion, Ylla, Gallimard, © Photo Ylla/Rapho 48 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS GRAND ANGLE OÙ IL S'AGIT D'UNE PRISE DE VUE SUR LA CRITIQUE FRANÇAISE DE L'ALBUM PHOTOGRAPHIQUE - D'UN INVENTAIRE DES RÉFLEXIONS ET HYPOTHÈSES QUE SUSCITE L'IMAGE PHOTOGRAPHIQUE DANS LES LIVRES POUR ENFANTS - D'UN PANORAMA EN FRICHE ET EN FICHES SUR L'HISTOIRE DU LIVRE DE PHOTO POUR ENFANTS DANS LE MONDE. par Michel Defourny' eu de travaux en langue française « classiques » étrangers de haut niveau n'ont P approchent le livre-album photogra- jamais été révélés dans les pays francophones ? phique pour enfants : à peine quelques articles dispersés au hasard des revues, à Clichés : l'album photographique peine quelques pages dans des essais ou des pour enfants et la critique française catalogues qui traitent de façon générale du statut de l'image. Si les historiens de la littéra- Tout se passe comme si chacun, éditeurs, ture de jeunesse semblent l'ignorer systémati- parents, bibliothécaires, enseignants, libraires, quement, les spécialistes de la photographie critiques avaient intériorisé le « cliché » selon font de même. Reconnaissons d'emblée que les lequel entre enfant et photographie, entre albums photographiques constituent une album et photo, ça ne marche pas vraiment. minorité au sein de la production jeunesse par « Tous les éducateurs - écrivait Marion Durand, ailleurs très abondante et qu'ils n'ont jamais en 1975 - s'accordent à reconnaître que le tout rencontré un réel succès, en dépit de remar- jeune enfant éprouve des difficultés réelles quables réussites. Comment comprendre que à appréhender la photographie ». Selon le co- si peu de titres de Tana Hoban aient été auteur de L'Image dans l'album pour enfants^, publiés en France ? Pourquoi les albums la photographie se révélerait peu lisible ; d'Ylla accompagnés parfois de textes de l'enfant se trouverait dans une situation de Jacques Prévert ne sont-ils pas mieux connus ? désarroi devant une « masse confuse », des Comment se fait-il que 1,2, 3, 4, 5, de Robert détails peu signifiants prenant une impor- Doisneau, si extraordinaire pourtant, ne soit tance injustifiée et occultant la composition de pas réédité, alors que ce poète de la banlieue l'ensemble. Natha Caputo avait défendu un connaît un regain d'intérêt ? Et combien de point de vue similaire quelques années aupa- * Michel Defourny est Maître de conférence à l'Université de Liège, Belgique. 1. Marion Durand et Gérard Bertrand : L'Image dans le livre pour enfants, L'École des loisirs, Paris, 1975. N° 168-169 AVRIL 1996/49 ravant. Elle avait insisté sur les difficultés des pour enfants, trop souvent maternant, aux enfants, incapables à son avis, de cerner un yeux de Philippe Schuwer. En recourant à objet dont le contour n'aurait pas été souligné l'image classique, on éluderait la confronta- par un trait bien marqué. Elle ne pouvait ima- tion avec la réalité. La photographie, sub- giner un seul instant que des enfants puissent versive par nature selon lui, risquerait être séduits par une image qui n'utilisait pas la d'ouvrir les yeux de l'enfance et de la jeu- couleur, indispensable selon son expérience^. nesse sur un monde dur et impitoyable. Convaincue de la supériorité de l'image plas- Interdite donc la photo dans le livre pour tique, Marion Durand ne percevait dans la enfants, au nom d'une innocence à protéger photographie que le résultat d'un processus et d'une réalité sociale à masquer3. mécanique qui reproduit le réel en l'appau- vrissant. Alors que l'illustration s'apparen- Si la réflexion de Philippe Schuwer est tonique terait au monde de l'art et de la création, et critique, ses conclusions n'en restent pas tout dans la photographie nous en éloigne- moins simplificatrices ; on ne peut réduire, rait. Et de surenchérir à propos de l'album quels qu'en soient l'intérêt et l'urgence, photographique pour enfants voué à la l'album photographique au documentaire médiocrité parce qu'abandonné à des tâche- social ou au reportage à chaud. Certes il y rons ayant pour mission d'amalgamer des aurait une place en jeunesse pour certains élé- documents hétérogènes. Jamais, déclarait- ments de l'œuvre de Sebastiao Salgado par elle, un peu inconsidérément peut-être, un exemple, mais l'écriture photographique se album n'a été confié à un photographe de prête avec la même force au lyrisme et à la talent, en raison du coût élevé de réalisation. fantaisie, aux jeux anthropomorphisants d'un petit lion et de ses complices, à des composi- tions rêveuses ou comiques qui mêlent pelli- Et il est exact, constate Philippe Schuwer, en cule, dessins, modelage. Par contre, là où 1981, que les éditeurs-jeunesse ne sont pas nous rejoignons pleinement Philippe Schuwer, prêts à investir dans la photographie trop c'est pour regretter l'ignorance mutuelle dans onéreuse - une équipe de mise en scène laquelle se sont installés confortablement revient plus cher qu'un illustrateur isolé et grands photographes et éditeurs de jeunesse, qui présente moins de risques. Mais le pro- ce qui a pour conséquence d'entretenir dans blème ne se limiterait pas à une affaire de l'esprit du public des parents et des média- budget, pas plus d'ailleurs qu'à un problème teurs ce cliché selon lequel les enfants de perception de la part des enfants puis- n'apprécieraient guère les photos. Peut-être qu'aujourd'hui ceux-ci fréquentent quoti- les choses seraient-elles en train de bouger diennement l'image photographique dès leur parce que le statut de la photo est en pleine plus jeune âge, dans les magazines de leurs mutation et parce que des éditeurs commen- parents ou à la télévision. Et contrairement cent à ouvrir des brèches. Deux signes : le pre- à ce qui avait été affirmé antérieurement, ils mier, le succès récent remporté auprès des se révéleraient d'excellents décrypteurs. Le enfants par les livres de Tana Hoban et auprès problème s'inscrirait au cœur même de la d'une critique unanime à célébrer la réussite représentation que l'on se fait de l'album tant sur le plan artistique que pédagogique et 2. Natha Caputo : « Les Images et l'illustration photographique » dans Enfance, 11° spécial « Les Livres pour enfants », 1956. 3. Philippe Schuwer : « La Photographie dans le livre-alhum-jeunesse », dans Communications et langages, n°48, 1981. 50 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS le second, les éloges qui ont suivi la parution - Le vocable « album photographique » re- d'Album qui se fonde sur la collaboration couvre des réalités très différentes. Quelle d'un auteur-illustrateur talentueux, Grégoire parenté établir entre les arts de la pellicule, le Solotareff, et d'un expert en photographie, cinéma et la photo ? Peut-on considérer Crin- Gabriel Bauret^. Blanc ou Le Ballon rouge d'Albert Lamorisse comme des albums photographiques ? Il en est de même pour Le Haricot ou Niok l'Eléphan- Hypothèses et réflexions teau d'Edmond Séchan. Que dire alors plus Sans entrer dans le débat qui divise les théo- précisément des photographies de plateau riciens sur la spécificité de l'image photo- prises lors du tournage d'un film et utilisées graphique et sur sa place au sein des arts pour illustrer un texte ? Ce fut le cas pour Ven- dredi ou la vie sauvage (Gallimard, Flamma- plastiques contemporains, nombre de ques- rion, 1981) de Michel Tournier avec les photos tions doivent être soulevées. de Pat York/Sygma, prises au cours de la réa- - D'abord, n'y a-t-il pas antinomie entre lisation du film de Gérard Verger en 1981. photo et livre ? Alors que ce dernier implique - Quels rapports existent entre photographie un parcours, de nature narrative ou didac- et récit, entre photographie et littérature ? tique, thématique ou plastique, avec début, Il est des expériences photographiques qui, développement et fin, la photographie au comme les séquences de Duane Michals, se contraire dans son acception la plus classique muent en narration ; les images se suivent au ne se construit-elle pas à partir d'une « cou- service de l'intention de l'artiste et consti- pure » ? La photo prélève une tranche de vie, tuent un récit soutenu par un texte écrit de sa son cadrage découpe l'espace, l'instantané main. Images de l'invisible parfois qui vien- opère une saisie et immobilise un moment . nent habiter le sommeil ou la rêverie. Photos, Une bonne photo ne s'insère pas nécessaire- intentionnalité et texte sont concomitants. ment dans une continuité qui risquerait au Dans d'autres cas, les photos préexistent, contraire d'atténuer sa force. Et si elle fait indépendamment d'un projet narratif, et un partie d'un ensemble, comme dans un repor- auteur opère un montage de manière à créer tage, la revue qui accumule dans la brièveté une histoire qu'il transcrit. Une même série de et l'éclatement ne lui convient-elle pas photos pourra donner naissance à des albums mieux ? L'album photographique (en dehors très différents, selon que tel ou tel écrivain de l'album de voyage ou du répertoire théma- aura été chargé du travail d'écriture ; c'est ce tique) ne correspond-il pas davantage à une qui apparaît clairement avec YUa. vision d'éditeur ou d'homme de lettres plutôt qu'à un projet de photographe ? Voilà peut- Tout à l'opposé, dans une démarche d'appa- être qui expliquerait que parmi les ouvrages rence plus classique en matière de livres photographiques destinés à l'enfance, les plus pour enfants, des photographes illustrent un réussis sont souvent ceux qui tirent parti de la récit littéraire et déroulent sous les yeux du rupture entre les images, même si ces der- lecteur comme un film composé d'images nières sont ordonnées selon une approche fixes, en utilisant toutes les richesses de la conceptuelle (les contraires, objets d'un lumière, le mystère et l'angoisse de l'obscuri- même monde, ordre alphabétique...).