Le Petit lion, Ylla, Gallimard, © Photo Ylla/Rapho

48 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS GRAND ANGLE

OÙ IL S'AGIT D'UNE PRISE DE VUE SUR LA CRITIQUE FRANÇAISE DE L'ALBUM PHOTOGRAPHIQUE - D'UN INVENTAIRE DES RÉFLEXIONS ET HYPOTHÈSES QUE SUSCITE L'IMAGE PHOTOGRAPHIQUE DANS LES LIVRES POUR ENFANTS - D'UN PANORAMA EN FRICHE ET EN FICHES SUR L'HISTOIRE DU LIVRE DE PHOTO POUR ENFANTS DANS LE MONDE. par Michel Defourny'

eu de travaux en langue française « classiques » étrangers de haut niveau n'ont P approchent le livre-album photogra- jamais été révélés dans les pays francophones ? phique pour enfants : à peine quelques articles dispersés au hasard des revues, à Clichés : l'album photographique peine quelques pages dans des essais ou des pour enfants et la critique française catalogues qui traitent de façon générale du statut de l'image. Si les historiens de la littéra- Tout se passe comme si chacun, éditeurs, ture de jeunesse semblent l'ignorer systémati- parents, bibliothécaires, enseignants, libraires, quement, les spécialistes de la photographie critiques avaient intériorisé le « cliché » selon font de même. Reconnaissons d'emblée que les lequel entre enfant et photographie, entre albums photographiques constituent une album et photo, ça ne marche pas vraiment. minorité au sein de la production jeunesse par « Tous les éducateurs - écrivait Marion Durand, ailleurs très abondante et qu'ils n'ont jamais en 1975 - s'accordent à reconnaître que le tout rencontré un réel succès, en dépit de remar- jeune enfant éprouve des difficultés réelles quables réussites. Comment comprendre que à appréhender la photographie ». Selon le co- si peu de titres de Tana Hoban aient été auteur de L'Image dans l'album pour enfants^, publiés en ? Pourquoi les albums la photographie se révélerait peu lisible ; d'Ylla accompagnés parfois de textes de l'enfant se trouverait dans une situation de Jacques Prévert ne sont-ils pas mieux connus ? désarroi devant une « masse confuse », des Comment se fait-il que 1,2, 3, 4, 5, de Robert détails peu signifiants prenant une impor- Doisneau, si extraordinaire pourtant, ne soit tance injustifiée et occultant la composition de pas réédité, alors que ce poète de la banlieue l'ensemble. Natha Caputo avait défendu un connaît un regain d'intérêt ? Et combien de point de vue similaire quelques années aupa-

* Michel Defourny est Maître de conférence à l'Université de Liège, Belgique. 1. Marion Durand et Gérard Bertrand : L'Image dans le livre pour enfants, L'École des loisirs, , 1975.

N° 168-169 AVRIL 1996/49 ravant. Elle avait insisté sur les difficultés des pour enfants, trop souvent maternant, aux enfants, incapables à son avis, de cerner un yeux de Philippe Schuwer. En recourant à objet dont le contour n'aurait pas été souligné l'image classique, on éluderait la confronta- par un trait bien marqué. Elle ne pouvait ima- tion avec la réalité. La photographie, sub- giner un seul instant que des enfants puissent versive par nature selon lui, risquerait être séduits par une image qui n'utilisait pas la d'ouvrir les yeux de l'enfance et de la jeu- couleur, indispensable selon son expérience^. nesse sur un monde dur et impitoyable. Convaincue de la supériorité de l'image plas- Interdite donc la photo dans le livre pour tique, Marion Durand ne percevait dans la enfants, au nom d'une innocence à protéger photographie que le résultat d'un processus et d'une réalité sociale à masquer3. mécanique qui reproduit le réel en l'appau- vrissant. Alors que l'illustration s'apparen- Si la réflexion de Philippe Schuwer est tonique terait au monde de l'art et de la création, et critique, ses conclusions n'en restent pas tout dans la photographie nous en éloigne- moins simplificatrices ; on ne peut réduire, rait. Et de surenchérir à propos de l'album quels qu'en soient l'intérêt et l'urgence, photographique pour enfants voué à la l'album photographique au documentaire médiocrité parce qu'abandonné à des tâche- social ou au reportage à chaud. Certes il y rons ayant pour mission d'amalgamer des aurait une place en jeunesse pour certains élé- documents hétérogènes. Jamais, déclarait- ments de l'œuvre de Sebastiao Salgado par elle, un peu inconsidérément peut-être, un exemple, mais l'écriture photographique se album n'a été confié à un photographe de prête avec la même force au lyrisme et à la talent, en raison du coût élevé de réalisation. fantaisie, aux jeux anthropomorphisants d'un petit lion et de ses complices, à des composi- tions rêveuses ou comiques qui mêlent pelli- Et il est exact, constate Philippe Schuwer, en cule, dessins, modelage. Par contre, là où 1981, que les éditeurs-jeunesse ne sont pas nous rejoignons pleinement Philippe Schuwer, prêts à investir dans la photographie trop c'est pour regretter l'ignorance mutuelle dans onéreuse - une équipe de mise en scène laquelle se sont installés confortablement revient plus cher qu'un illustrateur isolé et grands photographes et éditeurs de jeunesse, qui présente moins de risques. Mais le pro- ce qui a pour conséquence d'entretenir dans blème ne se limiterait pas à une affaire de l'esprit du public des parents et des média- budget, pas plus d'ailleurs qu'à un problème teurs ce cliché selon lequel les enfants de perception de la part des enfants puis- n'apprécieraient guère les photos. Peut-être qu'aujourd'hui ceux-ci fréquentent quoti- les choses seraient-elles en train de bouger diennement l'image photographique dès leur parce que le statut de la photo est en pleine plus jeune âge, dans les magazines de leurs mutation et parce que des éditeurs commen- parents ou à la télévision. Et contrairement cent à ouvrir des brèches. Deux signes : le pre- à ce qui avait été affirmé antérieurement, ils mier, le succès récent remporté auprès des se révéleraient d'excellents décrypteurs. Le enfants par les livres de Tana Hoban et auprès problème s'inscrirait au cœur même de la d'une critique unanime à célébrer la réussite représentation que l'on se fait de l'album tant sur le plan artistique que pédagogique et

2. Natha Caputo : « Les Images et l'illustration photographique » dans Enfance, 11° spécial « Les Livres pour enfants », 1956. 3. Philippe Schuwer : « La Photographie dans le livre-alhum-jeunesse », dans Communications et langages, n°48, 1981.

50 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS le second, les éloges qui ont suivi la parution - Le vocable « album photographique » re- d'Album qui se fonde sur la collaboration couvre des réalités très différentes. Quelle d'un auteur-illustrateur talentueux, Grégoire parenté établir entre les arts de la pellicule, le Solotareff, et d'un expert en photographie, cinéma et la photo ? Peut-on considérer Crin- Gabriel Bauret^. Blanc ou Le Ballon rouge d'Albert Lamorisse comme des albums photographiques ? Il en est de même pour Le Haricot ou Niok l'Eléphan- Hypothèses et réflexions teau d'Edmond Séchan. Que dire alors plus Sans entrer dans le débat qui divise les théo- précisément des photographies de plateau riciens sur la spécificité de l'image photo- prises lors du tournage d'un film et utilisées graphique et sur sa place au sein des arts pour illustrer un texte ? Ce fut le cas pour Ven- dredi ou la vie sauvage (Gallimard, Flamma- plastiques contemporains, nombre de ques- rion, 1981) de Michel Tournier avec les photos tions doivent être soulevées. de Pat York/Sygma, prises au cours de la réa- - D'abord, n'y a-t-il pas antinomie entre lisation du film de Gérard Verger en 1981. photo et livre ? Alors que ce dernier implique - Quels rapports existent entre photographie un parcours, de nature narrative ou didac- et récit, entre photographie et littérature ? tique, thématique ou plastique, avec début, Il est des expériences photographiques qui, développement et fin, la photographie au comme les séquences de Duane Michals, se contraire dans son acception la plus classique muent en narration ; les images se suivent au ne se construit-elle pas à partir d'une « cou- service de l'intention de l'artiste et consti- pure » ? La photo prélève une tranche de vie, tuent un récit soutenu par un texte écrit de sa son cadrage découpe l'espace, l'instantané main. Images de l'invisible parfois qui vien- opère une saisie et immobilise un moment . nent habiter le sommeil ou la rêverie. Photos, Une bonne photo ne s'insère pas nécessaire- intentionnalité et texte sont concomitants. ment dans une continuité qui risquerait au Dans d'autres cas, les photos préexistent, contraire d'atténuer sa force. Et si elle fait indépendamment d'un projet narratif, et un partie d'un ensemble, comme dans un repor- auteur opère un montage de manière à créer tage, la revue qui accumule dans la brièveté une histoire qu'il transcrit. Une même série de et l'éclatement ne lui convient-elle pas photos pourra donner naissance à des albums mieux ? L'album photographique (en dehors très différents, selon que tel ou tel écrivain de l'album de voyage ou du répertoire théma- aura été chargé du travail d'écriture ; c'est ce tique) ne correspond-il pas davantage à une qui apparaît clairement avec YUa. vision d'éditeur ou d'homme de lettres plutôt qu'à un projet de photographe ? Voilà peut- Tout à l'opposé, dans une démarche d'appa- être qui expliquerait que parmi les ouvrages rence plus classique en matière de livres photographiques destinés à l'enfance, les plus pour enfants, des photographes illustrent un réussis sont souvent ceux qui tirent parti de la récit littéraire et déroulent sous les yeux du rupture entre les images, même si ces der- lecteur comme un film composé d'images nières sont ordonnées selon une approche fixes, en utilisant toutes les richesses de la conceptuelle (les contraires, objets d'un lumière, le mystère et l'angoisse de l'obscuri- même monde, ordre alphabétique...). té, la magie des surimpressions. Cela donne

4. Pour les références précises des albums cités, on pourra se référer à la bibliographie générale. 5. Philippe Dubois : L'Acte photographique, Nathan-Labor, Bruxelles, 1983.

N° 168-169 AVRIL 1996/ 51 par exemple Le Petit Chaperon rouge vu par Laure Albin-Guillot (s.d.) ou encore Nativité Sarah Moon ou le conte d'Andersen, Le des mêmes auteurs (1946). On reviendra ci- Sapin, vu par Marcel Imsand et Rita Mar- dessous sur Cœur de Pic de Claude Cahun shall, deux volumes parus dans la collection illustrant des poèmes de Lise Deharme (1937). Grasset-Monsieur chat qui privilégient des Signalons les sept volumes des histoires regards d'artistes quelle que soit la nature de d'Amadou, avec des photos de Suzi Pilet aux leurs images. Dans une perspective voisine et éditions du Cerf-Volant à Lausanne. peut-être plus outrancière WilliamWegman Dans la production actuelle, retenons les fait basculer avec humour le monde des petits théâtres de Muriel Otelli qui réalise en contes dans ses propres scénographies où les papier chiffonné des saynettes dans les- chiens remplacent les héros humains*" ou quelles une fillette se projette dans l'avenir, encore le conte de Grimm Fitcher's Bird par Quand je serai grande, je serai et que pho- Cindy Sherman (Rizzoli, 1992). Les nou- tographie Frédéric Chapotat. Ou tous ces velles technologies, via des programmes albums dont quelques-uns sont parus aux comme Photoshop, permettent également la éditions du Rouergue ou encore Iles flot- recomposition des images qui prennent tantes de Boris Tissot et Paul Fournel (Edi- l'allure de collages surréalistes photogra- tions du Laquet, 1994), qui utilisent la plas- phiques ; YaO Le Chat Botté de Frank Hor- ticine ou la terre glaise, actions de sculpture, vat et Véronique Aubry surprendra plus de modelage, et qui par l'intermédiaire de la d'un lecteur qui, amusé et fasciné à la fois, photo entrent dans un livre sous-tendu par éprouvera des difficultés à se situer par rap- un texte. port à une imagerie plus proche du clip que de l'album pour enfants. - Difficile dans certains cas de tracer une frontière nette entre l'album photographique - Difficulté à se situer peut-être également et le documentaire. Dans la mesure où la face au roman-photo, un genre qui n'a guère photo se prête aux accumulations, nombreux produit d'oeuvre intéressante et qu'ont sont les albums qui répertorient ; ce peut être repris, pour le parodier en le métamorpho- tout et n'importe quoi : les maisons de la sant en photo-roman destiné aux adoles- terre, les chiens de toutes races, les vieilles cents, Christian Bruel et Xavier Lambours locomotives ou les camions. D'autres, proches dans La Mémoire des scorpions. du reportage racontent et montrent la vie - Beaucoup d'albums photographiques pour d'un enfant appartenant à telle ou telle cul- enfants proposent des mises en scène ture. Où classer Horoldamba, le petit mongol d'objets, de figurines, voire même de person- de , avec un texte de Yves Bon- nages, qu'enregistrent des photographes qui, nieux ou la collection Les Enfants du monde après avoir opéré la mise en espace, choisis- créée par Dominique Darbois chez Nathan ? sent une lumière, un éclairage, déterminent Parfois tout en collant à la réalité scientifique, un cadrage, un type de plan, détourent la photo se hisse à un niveau artistique ; telles l'image. Evoquons ici les mises en scène de photos de botanique qui s'appliquent à suivre figurines qui racontent différents épisodes du scrupuleusement la croissance et la floraison Grand Meaulnes d'Alain-Fournier, un d'un coquelicot (Découvertes de Jean-Michel ouvrage de Louise-Edmée Chevallier et de Guilcher et Robert H. Noailles, Père Castor,

6. William Wegman, Carole Kismaric, Marvin Heiferman : Little Red Riding Hood, New York, Hyperion, 1993 (Fay's Fairy Taies).

52 / LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS collection Le Montreur d'images, 1947) ne lement sur un réexamen des sélections de ces relèveraient-elles pas davantage de la Neue auteurs. N'ont toutefois été repris clans ce Sachlichkeit ou des travaux plus anciens de panorama que les ouvrages dont nous avons Karl Blossfeldt que du parascolaire ? pu disposer, raison pour laquelle les livres de photomontages du Danois Ungermann ou du - Enfin, des auteurs recourent dans le même Hollandais Piet Zwart, ceux de l'allemand album à plusieurs types d'images : du dessin, Friedrich Bôer, sont absents en dépit de leur de la photo, du découpage. Les objectifs peu- intérêt. Peut-être aurons-nous l'occasion d'y vent être très différents. Dans Incroyable mais revenir ultérieurement. Pour éviter les répéti- vrai, Eva Janikovsky et Laszlo Reber intègrent tions, on se contentera d'allusions à l'œuvre de vieilles photos de famille et de groupes à leur d'artistes qui sont abordés ailleurs dans ce récit et à leurs dessins pour donner des preuves dossier. C'est le cas notamment pour Robert que les parents ont jadis été des enfants, qui Doisneau et Tana Hoban. eux-mêmes avaient des parents qui jadis avaient été des enfants... Ainsi la photo authen- tifie ce qui paraissait inconcevable. Que dire alors de l'illusion et du rêve ? Seraient-ils enfin Ein Tag aus dem Kinderleben, scenen, nach 1877 croyables, à partir du moment où la photo s'en dem Leben componiert, photos de M. Scherer mêlerait ? Frédéric Clément, dans Le Livre et H. Engler, texte de F. Wiedemann, trad. épuisé ou dans Magasin zinzin joue sur les rap- Z. Topelius, Helsinki-Stockholm, Bonnier ports ambigus du rêve et de la réalité comme si l'une des fonctions de la photo consistait à L'ouvrage présente la journée d'une fillette en « réel-iser » ce qui relève de l'imaginaire et du six tableaux. On le considère généralement poétique. comme l'un des premiers albums photogra- phiques pour enfants (sinon le premier). Paru en 1877, le livre s'inscrit dans une esthétique Panoramique : quelques albums du portrait et de l'ornementation. Images et texte versifié sont entourés d'arabesques ; historiques l'héroïne de cinq ou six ans au centre de la Des expériences majeures jalonnent l'histoire scène pose avec emphase. Son espace est de l'album photographique pour les enfants. encombré de jouets coûteux, de plantes vertes Quelques-unes d'entre elles ont été sorties de et draperies dont l'effet théâtral accentue l'ombre par Barbara Bader, James Fraser, l'artificialité. On se situe entre la photo Ulla Volk, Julia Hirsch ou Bettina d'enfant en studio à prétention artistique, Hûrlimann^. Il faut rendre hommage à leurs telle qu'elle était pratiquée à l'époque, et travaux. Le choix proposé ici se fonde partiel- l'album illustré tel que l'avait conçu d'une

7. Barbara Bader : American Pkture Books, Macmillan, 1976. James Fraser and Ulla Volk : « Observations on Photographie Innovation in Children's Books : The Books of Rodchenko, Ungermann, Steichen, Martin and Bôer », dans Phaedrus, An International Annual Children's Literature Research, 1982 James Fraser : « Photomontage and Photography in books for young people in the twenties and thir- ties », in The artists and the pkture book : the twenties and the thirties, The Japanese Board on Books for Young People, Tokyo, 1992. Julia Hirsch : « Photography in children's books : a generic approach » in The Lion & the Unicorn, vol. 7/8, 1983-1984 Bettina Hiirlimann : Three centuries ofchUdren's books in Europe, London, Oxford University Press, 1967. N° 168-169 AVRIL 19%/53 manière un peu plus vivante cependant L. Froëlich, dans sa série Mademoiselle Lili. On comparera par exemple la photo de la petite fille devant la volière dans l'album de Scherer et Engler avec l'illustration corres- pondante de Froëlich dans Lili en Suisse. A noter que Ein Tag aus Kinderleben est paru à Dresde, ville où Lorenz Froëlich a appris la gravure8.

(1924) Samozveri, Selbst Gemachte Tiere, Rodt- 1980 chenko ITret'jakov,Verlag der Buchhand- lung Walther Kônig - Ko'ln

En 1980, à Cologne, Walther Kônig édite sous forme de livre (avec la complicité des filles des auteurs décédés depuis longtemps) Samozveri ou Animaux faits soi-même, un recueil de poésies pour enfants, écrites par S. Tret'jakov et illustrées de photographies de A. Rodtchenko. Cette publication tardive Samozveri ou Animaux faits soi-même, correspond à un projet artistique qui remonte S. Tret'jakov, photographies de A. Rodtchenko aux années 1927-1928. Des images, avec le Verlag der Buchhandlung Walther Kônig texte correspondant, étaient parues dans la revue Novyi Lef et quelques-unes avaient été sélectionnées par El Lissitzky pour la fameuse exposition de Stuttgart, « Film und Foto », l'enfant à l'imiter en utilisant tout ce qui se de 1929. Varvara Stepanova, l'épouse d'Alex- trouve à sa portée. C'est ainsi qu'il se trans- andre, avait réalisé une série d'animaux et formera en éléphant en balançant devant de petits humains en papier ; elle avait géo- son nez la jambe d'un pantalon en guise de métrisé les formes et les volumes de manière trompe, qu'il deviendra tortue avec pour à tendre vers l'abstraction et avait créé des carapace une bassine à lessiver sur son dos, arrangements, photographiés par Rodtchen- ou qu'il se fera autruche en attachant une ko. Les ombres marquées et la lumière vive pomme de pin au bout d'un manche, en lieu qu'accroche le papier blanc opèrent de vio- et place de cou, surmonté d'une tête. La lents contrastes qui accentuent le côté démarche des trois artistes s'inscrit résolu- constructiviste de l'entreprise. ment dans la perspective anti-illusionniste Chaque poème de Tret'jakov évoque briève- des Soviétiques qui considèrent à l'époque ment un animal dans son milieu, puis invite que l'art est action et fabrication^.

8. Nous devons au Svenska Barnboksinstutet de Stockholm et à Lena Tormjvist d'avoir pu disposer d'une copie de l'édition suédoise de cet ouvrage (1879). 9. Indépendamment de l'édition Walter Kônig, on pourra consulter quelques photos dans Rodtchenko, Photographies, 1924-1954, par Alexandre Lavrantiev, aux éditions Griind, 1995.

54 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS The First picture book, Everyday things met le tissage de différents liens à l'intérieur for babies, by Mary Steichen Calderone d'un même cliché et parfois même entre plu- and Edward Steichen, Harcourt, Brace sieurs d'entre eux. La tranche de pain est and company. découpée, beurrée et déposée sur l'assiette, dans laquelle on aperçoit quelques mies, la Mary Steichen Calderone avait demandé à son timbale métallique juste à côté est remplie de père de créer un imagier photographique, à lait et la nappe elle-même, sur laquelle le tout l'intention de ses propres enfants. Le livre est présenté, est ornée d'un motif décoratif. paraît en 1930. La réputation d'Edward Stei- Un peu plus loin, la paire de chaussettes et en chen est alors solidement établie. Séduit à ses dessous la paire de chaussures viennent d'être débuts par le pictorialisme, l'artiste américain abandonnées sur la carpette unie... de la d'origine luxembourgeoise, à la suite de ses chambre à coucher probablement. La timbale clichés aériens pendant la Première Guerre réapparaît ultérieurement sur la tablette mondiale, n'a cessé depuis lors de travailler la d'une chaise d'enfant, à côté de biscuits prêts précision, qu'il s'agisse du portrait, de la à être avalés. Des jouets apparaissent comme photo de mode ou de la photo publicitaire qui tels, des ballons, la poupée, mais certains a peut-être éveillé en lui le goût des objets. pourraient tout autant représenter leur cor- E. Steichen n'avait pas hésité à déclarer respondant dans la réalité ; ainsi en est-il du qu'une paire de chaussures, un tube de denti- train en bois qui traverse la page en diago- frice, un pot de crème pour le visage ou un nale. Si aucun enfant n'est visible, les photos matelas l'intéressaient pourvu qu'il puisse en frémissent de vie. Les enfants, par contre, faire une bonne photo. Mary, sa fille, trouvait seront présents dans The Second picture que les images destinées aux petits étaient trop book publié en 1931. Dans ce second volume, souvent entachées d'un subjectivisme artis- ils utilisent alors les objets ou jouets pré- tique qu'elle qualifiait de falsificateur. Elle souhaitait des représentations « objectives » qui éviteraient tout « effet ». Une photogra- phie dépouillée, lisible, neutre lui paraissait convenir particulièrement à des enfants d'un an, un an et demi. L'imagier d'Edward Steichen propose une série d'objets (nounours, lit-cage, assiette de fruits, landau, poupée... ) appartenant au monde de la petite enfance. Les objets photo- graphiés dans une lumière répartie de manière uniforme qui évite toute ombre (ou à peu près) se suivent apparemment sans ordre détermi- né. Ils apparaissent de face ou en vue légère- ment plongeante. Pas de décor, des fonds le plus souvent unis. Aucun mot n'accompagne ni ne commente les images en pleine page, non encadrées, à droite uniquement (la page de gauche restant vierge). Si la composition est intentionnellement sobre, presque géomé- The first picture book, E. Steichen, Fotofolio trique, et privilégie l'identification, elle per- © Joanna T. Steichen

N° 168-169 AVRIL 1996/55 sentes dont plusieurs étaient apparus dans « Zèbre » clôt le livre au lieu du « Zèle ». Et l'on The First picture book. pourrait poursuivre puisque que les Editions Cet imagier photographique d'une grande du Compas en publient un autre très réussi beauté plastique a remporté un énorme suc- (1930-1935 ?) d'un certain Gaston Karquel qui cès. Et Edward Steichen en éprouvait une montre un grand sens de la composition... grande fierté ainsi qu'il le laisse deviner à travers une anecdote racontée dans son livre A life in Photography (1963). Devant l'image Men at work, Lewis W. Hine, Macmïllan 1932 du verre et de la brosse à dent, un enfant avait fait semblant d'utiliser ces ustensiles ; Tout le monde n'est pas convaincu que Men puis comme s'il s'était rincé la bouche, il at work (1932) doive être classé parmi les avait réellement craché dans le livre en direc- ouvrages destinés aux jeunes ; c'est pourtant 10 tion du lavabo rempli d'eau . ce que pensent James Fraser, Barbara Bader et Ian Jeffrey^. Quoi qu'il en soit, l'ouvrage Dans les années trente, d'autres artistes ont de Hine a retenu toute l'attention du monde proposé des recueils d'images photogra- adulte et il est peu présent, semble-t-il, dans phiques où lire le monde, aux Etats-Unis évi- les bibliothèques de jeunesse. Dès l'instant où demment, mais aussi en Angleterre11 et en Lewis W. Hine dispose d'un appareil photo, il France. On pourra se reporter aux souvenirs s'engage dans un combat social en faveur des de Marie-Loup Sougez à propos des deux plus défavorisés, qu'il fasse des portraits livres pour enfants de son père. Ce dernier a d'immigrés arrivant à Ellis Island ou qu'il 1932 créé un très bel Alphabet trilingue. Pour enquête sur les enfants au travail, dans le chaque lettre, un mot est retenu, illustré par cadre d'une commande du National Children une photo de l'objet ou d'un jouet corres- Labour Comitee. Aucun souci esthétique, mais pondant. Comme Sougez s'adresse à des une volonté de témoigner. Il était prêt à aban- enfants plus âgés que Steichen, il a étendu le donner la photographie lorsque commande lui registre, intégrant des adultes à ses images ; est passée de faire le reportage de l'édification pour quatuor, on peut voir quatre chanteurs de l'Empire State Building. Hine suit les diffé- avec leur partition. rentes phases de la construction, depuis les fondations jusqu'au sommet, de ce qui est La mode à l'époque aurait-elle été aux alpha- alors le plus haut gratte-ciel du monde. Il en bets photographiques ? Toujours est-il que tire des photos vertigineuses lui servant de Delagrave en édite deux autres avec des pho- point de départ à un livre qu'il conçoit totale- 1933 tos de Pierda, Alphabet en 1933, dans lequel ment, Men at Work, dans lequel il entend pré- une grande fille de cinq ou six ans explique à senter les ouvriers comme des héros : « Some un grand bébé « Arrivée », « Bavardage », «Cueil- of them are heroes ». Alors que la machine lette » ... et JVe bougeons plus, en 1934, d'où tend à devenir objet de cidte des temps mo- les termes plus abstraits ont disparu, ainsi dernes, Lewis Hine souhaite valoriser le travail l'« Harmonica » a remplacé l'« Harmonie », humain. II montre l'audace de l'ouvrier en l'« Image » supplante l'« Immensité » et le

10. The First Picture Book a été réédité par Fotofolio en association avec The Whitney Muséum of American Art ( postface de John Updike), New York, 1991. 11. My little ABC, a book of inspiration to children of ail âges. Pictorial alphabet, de Gilbert Cousland (Collins, London. 1934). 12. Ian Jeffrey : « La vie, comme elle va, De peine et d'espoir » dans Nouvelle Histoire de la Photographie, sous la direction de Michel Frizot, Bordas-Adam Biro, 1995.

56 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS équilibre sur une étroite poutrelle métallique une lumière vive sur l'œuvre multiforme de en plein ciel, il fait ressentir la responsabilité cette artiste, amie d'Henri Michaux qui d'un machiniste au visage grave et concentré l'avait invitée à collaborer à sa revue Le Dis- sur sa tâche. Si le côté héroïque et triomphant que vert u. Poète et photographe, militante et des images a pu gêner quelques critiques, on artiste inspirée par le symbolisme puis par le considère que le livre de Hine est à l'origine surréalisme, elle a publié en 1937 vingt-deux d'une série d'ouvrages photographiques à planches photographiques pour illustrer des caractère documentaire, les uns s'adressant poèmes pour enfants de Lise Deharme. aux enfants, les autres aux adultes^. Une plume est tombée par terre 1933 DASENKA cili zivot stenete, ou « La vie de va la ramasser chiot » écrit, dessiné, photographié et pourquoi faire « expérimenté » pour les enfants par Karel il va pousser des plumiers. Capek, Prague, Frantisek Borovy, 1933. Pour illustrer ce texte amusant, facile et si (Réédité en 1958 par Statni nakladatelstvi proche d'une comptine, Claude Cahun dresse detské knihy. une branche morte à laquelle elle accroche des plumes d'acier. Voilà un arbre à plumes, Un livre singulier mêlant dessins, textes et au pied duquel elle amoncelle un tas de photographies de l'artiste tchèque Karel plumes d'oiseaux. Les plumes se seraient- Capek mettant en scène un petit chien tur- elles métamorphosées en tombant ? Confron- bulent. tation d'images et de mots. Petit théâtre de l'enfance dont les jeux ressemblent parfois à des rituels, dans lesquels les objets dérisoires revêtent, l'espace de la cérémonie, un carac- tère magique. Assemblages saugrenus ou bizarres, ironiques et cruels, qui annoncent bien des recherches à venir. Une question subsiste : quels lecteurs ont eu le plaisir de tenir en main cette œuvre d'artiste éditée chez José Corti qui n'avait pas l'habitude de travailler en direction de l'enfance ? Nous ne savons rien de sa réception. 1937 Cœur de Pic, poèmes de Lise Deharme, photos de Claude Cahun. José Corti, 1937 Les albums d'Ylla II y a dix ans à peine, le nom de Claude Cahun était oublié. Les travaux de François Alors que nombre de photographes présentés Leperlier et une exposition organisée pen- ici n'ont réalisé qu'un livre ou deux pour dant l'été 1995 au Musée d'Art Moderne de enfants, ce n'est pas le cas d'YUa, de son vrai la Ville de Paris ont soudainement projeté nom Kami lia Koffler, artiste née à Vienne, de

13. Men at work est disponible chez Dover, avec un supplément de 18 photos pour cette réédition de 1977. 14. François Leperlier : Claude Cahun, l'écart et la métamorphose, Jean-Michel Place, Paris, 1992. Claude Cahun, photographe, catalogue de l'exposition du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, édi- tions Paris musées et Jean-Michel Place, 1995 ; toutes les planches photographiques de Cœur de Pie sont reproduites en petit format.

N° 168-169 AVRIL 1996 / 57 père hongrois et de mère yougoslave. Passion- grandiose et délirant palais des Maharajahs de née par les animaux, elle a parcouru la pla- Mysore qui caparaçonnaient leurs éléphants nète pour les voir vivre de près et en faire le d'or et d'argent. portrait. Elle a multiplié les albums, qui paraissaient à la fois en France, en Suisse, en La Guilde du livre et Jean Mermoud Angleterre, aux USA, dans des montages et des mises en pages différents, avec des textes Deux petits ours et Le Petit Eléphant de écrits par des auteurs aux préoccupations Ylla, textes de Paulette Falconnet paraissent opposées parfois. Le premier intentionnelle- respectivement en 1954 et 1955, à La Guilde du livre et aux éditions Clairefontaine de 1938 ment destiné aux enfants, Petits et grands, est Lausanne, que dirigeait Jean Mermoud. Ce 1947 paru en 1938. Le Petit Lion, paru en 1947, dernier a largement contribué à la création avec un texte de Jacques Prévert, n'a rien à et à la diffusion d'albums photographiques voir avec The Sleepy Little Lion, raconté par pour les enfants16. C'est lui qui publie 1, 2, (Harper & Brothers, 3, 4, 5, de Robert Doisneau, en 1956. Un 1947). Au départ les mêmes photographies, petit chef-d'œuvre d'invention et de poésie mais assemblées dans un autre ordre, les deux dans lequel Doisneau a fait figurer ses filles poètes dont on s'accorde à reconnaître et qui est probablement l'album photogra- l'immense talent, ont imaginé des aventures phique pour enfants qui s'est le mieux vendu sans aucun lien entre elles. Ce qui a sans dans les pays francophones ; son tirage aurait doute nourri, de part et d'autre, les récits et a atteint les soixante-dix-mille exemplaires17. suscité leur charge poétique ou contestataire Retenons également parmi les publications (au point que Prévert s'est vu censurer1'' par de La Guilde du livre Tak Tak le Teckel de son éditeur), c'est la force expressive des pho- Gisèle d'Assailly (1962). Cette histoire amu- tos d'Ylla. Cette manière toute particulière sante semble plus vraie que vraie ; on y croit qu'elle a de montrer une moue inspirée qui en pour de bon ! Chien et chat jouent dans un dit si long, une attitude si touchante. Le lec- grenier, se disputent et finissent par se récon- teur ne peut alors que projeter ses sentiments cilier ; Paulette Falconnet a mis des mots sur et ses émotions. A travers les animaux, c'est les images de Colyann. Citons encore Pchiff, notre humanité profonde que révèle YUa, un le bébé renard, photos et histoire d'Astrid regard que seule peut-être la photographie Bergman, raconté par Claude Roy (1956). pouvait porter. Si certains albums disent la beauté des animaux que saisit la prise de vue, 1950 ainsi en est-il de Des Bêtes, d'autres se prêtent Une collection, Le Montreur d'Images, 1947 plus volontiers au récit comme The Little Ele- Flammarion 1958 1955 phantILe Petit Eléphant (Arthur Gregor, Harper & Brothers, 1955). Dans ce livre se Autant le Père Castor privilégiait l'image des- croisent humains et beaux pachydermes. Pro- sinée pour les jeunes enfants, autant la photo bablement les photos ont-elles été prises dans lui paraissait riche pour les 12-14 ans. Avec la la réserve de Periyar, pas trop distante du complicité de Jean-Michel Guilcher, natura-

15. Au sujet de cette question, on pourra se reporter aux œuvres de Prévert dans l'édition de la Pléiade, qui reproduit une lettre de protestation du poète. 16. A l'époque les éditions Arts et métiers graphiques, de même que les éditions Ides et calendes, étaient actives dans le secteur albums photographiques pour enfants. On signalera ici les livres de Jean Tourane, notamment Brigitte et Firmin . 17. Peter Hamilton : Robert Doisneau, La vie d'un photographe, Hoëbecke, 1995

58 / LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS liste de formation, Paul Faucher imagina une jouer avec les ombres et les contrastes ? Depuis collection qui révélerait la poésie de la réalité toujours, les enfants sont émerveillés par les aux jeunes ados. Tous deux venaient de ombres et les silhouettes, formes parfois si découvrir Rohert-H. Noailles, un photo- fidèles à leur modèle. Ces négatifs qui s'allon- graphe amoureux des plantes et des herbes gent, rétrécissent, se déforment, bougent, sem- folles. Avec Le Montreur d'Images qui s'ins- blent doués d'une vie autonome. Les ombres crit dans la tradition de l'image pédagogique, sont superbement vivantes dans The Sha- il s'agissait d'écarquiller les yeux et de dows ' Holiday de Larry June et Joseph Alger, prendre son temps pour pénétrer avec atten- images de Larry June (Farrar and Rinehart, tion un monde merveilleux et inconnu, et à la 1931). Dans un premier temps, véritables portée de chacun pourtant. Une extraordi- héroïnes de l'histoire, seules elles apparaissent naire connivence a permis à J.M. Guilcher et sur la page. Elles jouent sur le sol, ballon, à R.H. Noailles, rejoints par Eric J. Hosking, brouette, lapin, cochon et chat. Et l'on ne de concevoir une série d'ouvrages aussi bien passe à la réalité moins magique que dans un documentaires qu'artistiques sur le monde des second temps. plantes et des oiseaux. La qualité des prises de Plutôt que les ombres elles-mêmes, l'album Is vue, leur succession, une mise en pages excep- it hard ? h it easy ? (1960) utilise le contre- tionnelle ainsi qu'un texte fort font de jour ; les silhouettes de quatre enfants se quelques-uns de ces ouvrages des réussites découpent sur la blancheur du papier, presque qu'il serait urgent de rééditer. comme sur un écran d'ombres chinoises, tan- dis que fréquemment leurs mouvements sont 1960 h it hard ? h U easy ? by Mary McBurney décomposés. L'effet est saisissant. La construc- Green, illustrations by Len Gitthman, Young tion du livre repose sur une simple constata- Scott Books tion, ce qu'un enfant est capable de faire, un autre éprouve des difficultés à le réaliser. Le Si faire des photos, c'est écrire avec la lu- monde est différent pour chacun. Alors mière, pourquoi ne serait-ce pas tout autant qu'Ann saute, saute, saute avec aisance, Sue

h it hard ? h it easy ?

° 168-169 AVRIL 1996/59 son amie ne sait pas le faire. Par contre Ann photographe qui dialogue avec l'illustration, est incapable de nouer les lacets de ses chaus- le récit, la poésie et la fantaisie. sures. A vrai dire l'ouvrage était paru avec des dessins de Lucienne Bloch en 1958. Il s'est enrichi et complexifié (quatre enfants au lieu Photo de famille de deux) dans sa version photographique, Sans nous attarder aux productions com- parue deux ans plus tard^. Les silhouettes, merciales et internationales, imagiers-pho- les ombres, les photogrammes ouvrent d'éton- tos-couleurs, sans imagination et sans grand nantes perspectives à l'album photographique intérêt, qui envahissent le marché de l'édi- et des créateurs comme Tana Hoban n'ont pas tion, il faut se réjouir que des initiatives heu- manqué d'en tirer un étonnant parti. reuses aient vu le jour ces dernières années. Photographes attentifs aux enfants, éditeurs prêts à investir dans la photographie, patri- Un dernier titre, moine photographique mis à la portée des 1992 Vpside down, Inside oui, and Backwards, tout-petits et des adolescents, recherches Duane Michals narratives, poétiques, plastiques dialoguant avec la photo... Qu'on nous permette pour Dans des propos recueillis par Pierre Borhan terminer d'imaginer une photo de famille où pour Photographies magazine, Duane nous retrouverions pêle-mêle Tana Hoban en Michels annonçait, lors de son passage à noir et blanc et son éditrice en France, Isa- Paris en 1992, son intention de faire un livre belle Finkenstaedt en blanc et noir, Nadine pour les enfants : « J'ai soixante ans mais je Combet et Max-Henri de Larminat dont le me sens de mieux en mieux. Je crois que mon visage apparaîtrait dans une découpe de leur imagination se développe. J'écris aussi. La collection Révélateur, Gabriel Bauret et Gré- moitié de mon temps est consacrée à l'écri- goire Solotareff tenant en main Album, ture, l'autre moitié à la photographie (...). Nathalie Rizzoni et René Turc, assis sur un C'est un vrai plaisir pour moi d'avoir un vieux banc entourés d'un arrosoir, d'un nouveau projet, ça déclenche le processus de broc et d'une cuvette. Frédéric Clément création, le goût de la fantaisie, les enchaîne- 19 serait penché sur un livre épuisé. Sarah ments d'idées ». Depuis lors, le livre est Moon tiendrait un loup en laisse. Mario paru, sans mention d'éditeur. Il est placé Mariotti ferait de ses doigts colorés des sous le signe d'Edward Lear et sans doute de joueurs de football, et Gabriele Lorenzer Lewis Carroll, comme si la photo associée à croquerait une pomme rouge. Il y aurait l'écriture et à d'autres formes - narrative, aussi Olivier Douzou, Isabelle Simon,Véro- poétique et humoristique - pouvait emmener nique Willemin, Jean-Pierre Orban, Francis les enfants de l'autre côté du réel. On retrouve Jacoby, Muriel Otelli, Frédéric Chapotat, certes les séquences photographiques comme Christian Bruel, Xavier Lambours et dans le départ du grand-père pour les cieux, quelques autres... I les photos narratives et condensées (ainsi lorsque le jeune homme se regarde dans le miroir, l'image qui lui est renvoyée est celle Sans l'aide et la documentation d'Elisabeth d'un enfant), mais on découvre aussi un Lortic, cet article n'aurait pu être écrit.

18. On aurait pu également faire place à The Shadow Book, par Béatrice Schenk de Regniers, photo- graphies d'Isabel Gordon, Harcourt Brace and oompany, New York, 1960. 19. Photographies magazine, n° 44, septembre 1992.

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