Dans l'ombre de la Nouvelle Vague Raoul Coutard

Ciné-club universitaire Alphaville Activités culturelles Jean-Luc Godard culture.unige.ch

Lundi 18 février 2019 à 20h | Auditorium Arditi âge légal: 16 ans

Générique: FR, IT, 1965, NB, DCP, 99’, vo (fr) rencontre la fille du professeur () Interprétation: Eddie Constantine, Anna Karina, et découvre un monde où les sentiments et Akim Tamiroff la poésie sont bannis. Un monde où tout est dicté par une autre création du professeur Le célèbre agent secret en Von Braun, l’ordinateur omnipotent Alpha mission à Alphaville doit neutraliser le professeur 60. Les habitants y sont conditionnés. Nulle von Braun. L’ordinateur central Alpha 60, la fille émotion ne doit apparaître sous menace du professeur, Natacha, et les sbires du pouvoir ne de mort. Cette dernière étant considérée cessent de l’entraver dans ses recherches. comme illogique. Un monde où on ne pose jamais la question «Pourquoi?» mais où l’on Convaincu que demain est déjà présent, Godard doit toujours répondre «parce que». Godard tourne un film d'anticipation avec pour décor s’inspire évidemment des œuvres littéraires la banlieue parisienne et son anonymat. contemporaines que sont 1984 ou Fahrenheit Dynamitant les codes du film noir, il dirige Eddie 451 pour décrire sa dictature technocratique. Constantine dans un rôle tellement attendu Le livre comme moyen de manipulation des qu'il se révèle à contre-emploi. La fragilité masses a en effet une place importante dans d'Anna Karina renforce le tragique de cette fable le régime dicté par Alpha 60. En particulier la politique. Bible qui n’est autre qu’un dictionnaire mis à jour perpétuellement où l’on efface au fur et Article tiré de mondesetranges.fr à mesure tous les mots susceptibles d’ouvrir Lemmy Caution, sous le nom d’emprunt Ivan la conscience de l’humain... le mot conscience Johnson journaliste au Figaro-Pravda, enquête faisant justement partie des mots bannis. pour le compte des pays extérieurs dans la Un régime totalitaire où chaque être humain cité futuriste Alphaville. Dès son arrivée à son est numéroté et où la science domine cette hôtel, d’étranges phénomènes se produisent, humanité annihilée, tout du moins prostrée. il se fait agresser dans sa chambre par un in- Néanmoins, comme dans ses films précé- connu et reçoit les avances d’une demoiselle... dents, Godard se plaît à brouiller les cartes, une séductrice d’ordre 3. Caution a pour mis- à développer les niveaux de lecture comme sion de retrouver l’agent Henry Dickson, porté le caractérise idéalement le héros, ou plutôt disparu, puis de ramener voire d’éliminer le l’antihéros, joué par Eddie Constantine alias créateur d’Alphaville, le professeur Von Braun. Lemmy pour les dames. Lemmy Caution Au cours de son investigation, Lemmy Caution est en effet l’archétype même du détective machiste au look désuet avec imperméable Que reste-t-il alors d’Alphaville pratiquement et chapeau fournis. Le personnage de série 45 ans après sa sortie? Un film fort avec son B des polars noirs des 50’s perdu dans un lot de scènes marquantes telles les exécutions univers anxiogène, «je deviens fou dans cette dans la piscine, la fameuse scène tournée à saloperie de ville», ou comment jouer avec les la Maison de la Radio où Caution ouvre des stéréotypes sans les dénigrer, revus et corrigés portes frénétiquement le long d’un couloir par Godard himself. Le cinéaste franco-suisse (séquence reprise dans l’émission des années ne se dispense pas dès lors d’une love story et 80 Cinémas, Cinémas) ou le regard amoureux de scènes caricaturales de castagne, le héros porté sur Anna Karina. Comme souvent chez évitant aussi avec une maestria certaine les Godard, on a l’impression d’assister à un balles tirées par ses adversaires tout en, à numéro d’équilibriste, la forme et les expé- contrario, faisant mouche à tous les coups rimentations prenant par moment le dessus (enfin pratiquement). À noter que cette sur l’histoire. Et pour reprendre les mots de étrange aventure qui décrit le combat idéolo- son chef opérateur, Raoul Coutard, grand arti- gique entre un détective/agent secret ama- san de la qualité plastique du film, il s’agissait teur de poésie, chantre de Paul Eluard, contre de démontrer «qu’on pouvait faire du cinéma un super ordinateur avait à l’origine pour autrement» au détriment d’une certaine titre Tarzan VS IBM... titre qui étonnamment cohérence... Néanmoins, les partis pris esthé- se changea en Alphaville... Non content de tiques de la paire Godard/Coutard sont dans jouer avec son personnage principal, Godard l’ensemble pertinents, avec une mention très multiplie aussi les références géographiques, spéciale pour les scènes tournées dans les scientifiques, populaires et cinématogra- couloirs. Et le fait de filmer Alphaville dans le phiques dans Alphaville. Hormis l’ancien nom des 60’s n’handicape au passage aucu- du professeur Von Braun, c’est-à-dire Leonard nement l’aspect anticipation du récit, Godard Nosferatu, Godard en plus de Murnau, rend privilégiant des décors modernes ou des lieux de nouveau hommage à un autre réalisa- déshumanisés. Un film parfois bancal, proche teur allemand rencontré quelques années du chef-d’œuvre, qu’on appréciera davantage auparavant, Fritz Lang. Il est en effet judicieux lors d’un second visionnage, serait-on tenté de comparer le génie manipulateur d’un d’ajouter. docteur Mabuse avec l’ordinateur à la voix http://www.mondesetranges.fr/spip. cancéreuse Alpha 60... ce dernier faisant php?article888 étrangement écho par certains aspects au Hal 9000 de 2001, l’odyssée de l’espace. Les Fiche proposée par Giulia Comandini, thèmes dégagés par le film vont d’ailleurs plus Ciné-club universitaire de Genève loin que le simple rapport homme/science ou la déshumanisation de la société, et on peut souligner l’importance du temps, du manque de repères, de la mémoire, Caution photogra- phiant en permanence tout ce qu’il rencontre.

Prochain film du Ciné-club: Le Crabe-tambour ▶Pierre Schoendoerffer, 1977 25 février à 20h, Auditorium Arditi