Prospectives territoriales en pays de Haha

Prospective territoriale et environnementale en pays de Haha, Province d’

Étude réalisée du 7 au 28 février 2009 par Khadidja Amine, Xavier Bonnart, Jean-Baptiste Gratecap, Clotilde Herbillon, Alexandre Jaecque, Léa Ménard, Lucie Roux, Alice Triquenot, Jérémy Vende (MS Forêt Nature Société – AgroParisTech / ENGREF) et Reda Assaidi (Master Tourisme patrimoine et développement durable – Université Cadi Ayyad Marrakech), Mohamed Bounit (traducteur IRD), Kamel Elkhalloufi (Centre d’études et de recherches forestières, Marrakech) Enseignants ayant encadré cette étude : Pierre-Marie Aubert, Sébastien Treyer Chercheurs ayant participé à sa réalisation : Laurent Auclair (IRD), Bruno Romagny (IRD), Mohamed Chamich (IAM), Mohamed Sabir (ENFI)

Mastère Spécialisé Forêt, Nature et Société Promotion 2008 École Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts Module de Sciences Humaines et Sociales

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Table des matières

TABLE DES MATIÈRES...... 1

INTRODUCTION...... 5

MÉTHODOLOGIE ...... 9 1. Une étude prospective territoriale : principes et objectifs...... 9 2. La mise en œuvre de l’analyse prospective par l’entretien sociologique...... 10 3. Une approche inductive et systémique...... 15 DIAGNOSTIC ...... 20 1. Diagnostic du territoire...... 20 2. Diagnostic : gouvernance...... 33 3. Diagnostic : filière huile...... 39 4. Diagnostic : Systèmes de production ...... 46 5. Diagnostic Écosystème ...... 56 SCÉNARIOS...... 67 1. Scénario 1 : les grandes sociétés privées, mainmise sur la filière argan...... 69 2. Scénario 2 : labellisation...... 74 3. Scénario 3 : création d’un réseau d’aires protégées ...... 78 4. Scénario 4 : les produits argans, un effet de mode ? ...... 84 COMPTE-RENDU DU DÉBAT FINAL À ...... 88 1. Retour aux objectifs ...... 88 2. Mise en place du débat à partir des scénarios ...... 89 3. Discussion sur le diagnostic...... 89 4. Discussion sur les scénarios...... 90 CONCLUSION...... 94

BIBLIOGRAPHIE...... 98

TABLES DES MATIÈRES DÉTAILLÉES ...... 100

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Table des figures

FIGURE 1 : ZONE D’ÉTUDE...... 8

FIGURE 2 : DÉMARCHE ADOPTÉE ET TRAITEMENT DES DONNÉES...... 11

FIGURE 3 : RÉPARTITION DES ENTRETIENS PAR TYPE D'ACTIVITÉ...... 17

FIGURE 4 : LES 4 PHASES DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN...... 18

FIGURE 5 : REPRÉSENTATION DU SYSTÈME TERRITORIAL ...... 21

FIGURE 6 : DIAGRAMME OMBROTHERMIQUE DE BAGNOULS ET GAUSSEN SUR LE PAYS HAHA ...... 23

FIGURE 7 : TABLEAU CARACTÉRISANT LA PÉRIODE SÈCHE ...... 23

FIGURE 8 : DÉVELOPPEMENT DU TOURISME SUR LA FRANGE LITTORALE. (SUD D’ESSAOUIRA) PHOTO : J.VENDÉ...... 25

FIGURE 9 : SCHÉMA ORGANISATIONNEL DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE...... 28

FIGURE 10 : LE MODÈLE DE L’ORGANISATION DE L’ESPACE DANS L’ARGANERAIE (BOURBOUZE & EL AÏCH, 2005)...... 30

FIGURE 11 : LA GESTION DE L’AGDAL...... 34

FIGURE 12 : L’ARGANERAIE ET SES ACTEURS (BOURBOUZE & EL AÏCH, 2005, P. 451)...... 35

FIGURE 13 : LA GESTION DE LA MISE EN DÉFENS FORESTIÈRE ...... 36

FIGURE 14 : LA GESTION DES ÉQUIPEMENTS D’ADDUCTION EN EAU POTABLE...... 37

FIGURE 15 : LA GESTION DES BIENS COLLECTIFS SUR LE TERRITOIRE RURAL ...... 38

FIGURE 16 : DIAGNOSTIC DE LA PRODUCTION D’HUILE D’ARGAN ...... 41

FIGURE 17 : CIRCUITS DE COMMERCIALISATION EN FONCTION DU TYPE DE PRODUIT...... 43

FIGURE 18 : DESCRIPTION D’UN SYSTÈME DE PRODUCTION FAMILIAL TYPE EN PAYS HAHA ...... 48

FIGURE 19 : DESCRIPTION D’UN SYSTÈME DE PRODUCTION PATRONAL TYPE EN PAYS HAHA ...... 49

FIGURE 20 : DESCRIPTION D’UNE PETITE EXPLOITATION FAMILIALE TYPE EN CAS DE SÉCHERESSE...... 51

FIGURE 21 : SCHÉMA DES PRINCIPAUX ATELIERS, QUELQUES ACTEURS ET ÉLÉMENTS INTERAGISSANT...... 52

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FIGURE 22 : SCHÉMA DU SYSTÈME DE RÉGÉNÉRATION ET ACTIONS MISES EN ŒUVRE PAR LE SERVICE DES EAUX ET FORÊTS ...... 58

FIGURE 23 : SCHÉMA ILLUSTRATIF DE LA MÉTHODE D.P.S.I.R...... 59

FIGURE 24 : INTRICATION DES DIFFÉRENTS CIRCUITS QUI TOUCHERAIENT LA FILIÈRE ARGAN...... 72

FIGURE 25 : FILIÈRE ARGAN AVAL...... 73

FIGURE 26 : CARTE DE LA PROVINCE D’ESSAOUIRA ET RÉSEAU HYPOTHÉTIQUE D’AIRES PROTÉGÉES ...... 79

FIGURE 27 : SCHÉMA D’UNE ZONE PROTÉGÉE ET RÉSUMÉ DES ACTIVITÉS AUTORISÉES ET DES PRINCIPES DE CONSERVATION ...... 80

Table des tableaux

TABLEAU 1 : SYSTÈME DE GESTION DANS L’AGDAL ET LE MOUCHAÀ...... 31

TABLEAU 2 : CATÉGORISATION DES DIFFÉRENTS SYSTÈMES DE PRODUCTION AU PAYS HAHA ...... 47

TABLEAU 3 : MATRICE D’ANALYSE DES DISCOURS ...... 61

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Remerciements

Nous tenons à remercier personnellement : * L’Université Caddi Ayad de Marrakech et en particulier le Professeur Mohamed Alifriqui et Mohamed Cherkaoui pour leur accueil et leur appui pour ce stage ; * L’École Nationale Forestière d’Ingénieur, et en particulier le Professeur Mohamed Sabir pour ses précieux conseils lors du séminaire de lancement et son appui logistique sans faille ; * L’Institut de Recherche pour le Développement pour son soutien sur le triple plan logistique, financier et académique, et plus particulièrement Laurent Auclair et Bruno Romagny pour leur accompagnement au cours du stage ; * Mohamed Chamich pour son aide durant les deux semaines d’entretiens ; * Le caïd de Smimou pour l’accueil qu’il a fait au projet ; * L’Administration des Eaux et Forêts pour avoir répondu à nos questions et permis à Mlle Nahidi de se joindre à cette exercice et qui y a apporté une plus value non négligeable.

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Introduction

On désigne aujourd’hui communément sous le terme d’arganeraie un ensemble territorial assez vaste, situé dans le sud ouest marocain, entre l’Atlantique, les dernières montagnes de l’Atlas et les portes du Sahara. Ce territoire s’étend sur près d’un million d’hectares et doit son nom à la présence d’un arbre dont les caractéristiques attirent depuis près de deux décennies chercheurs, développeurs et entrepreneurs de tout poil : l’Arganier (Argania spinosa (L.)). Il assure en effet une variété de biens et services remarquables qui peuvent expliquer en partie cet intérêt : formation d’écosystèmes uniques au monde (seule station mondiale d’arganier), participation importante aux systèmes de production paysans locaux et potentialités de valorisation économique des noix d’argan à travers l’essor international du commerce d’huile d’argan, à fins cosmétiques ou alimentaires. Ce territoire fait donc se croiser et se recroiser enjeux économiques, environnementaux et sociaux. Des enjeux sociaux d’une part, caractérisés par une pauvreté rurale importante et des indicateurs de développement humain très faibles. Les 4 provinces concernées par la présence de l’écosystème arganeraie se classent ainsi parmi les plus pauvres du royaume, et ce quel que soit l’indicateur considéré (Banque Mondiale, 2004). La région est aussi très faiblement urbanisée et l’essentiel de l’économie rurale repose sur l’exploitation familiale et la complémentarité entre différents ateliers de production : élevage caprin, céréaliculture en sec, exploitation des arganiers. Chacun de ces ateliers dépend de manière plus ou moins forte de l’exploitation de l’arganeraie : fourrage foliaire et parcours sous forêt pour les caprins, labour sous forêt pour la céréaliculture en sec, production de noix et de bois de feu par les arbres (Bourbouze & El Aïch, 2005). C’est autour de cette dépendance des systèmes de production locaux à l’arganier que se cristallisent en second lieu les enjeux environnementaux. Cette exploitation intensive des arbres mènerait en effet à une dégradation importante de l’écosystème (PNUD, 2003), dont la préservation est présentée comme un enjeu majeur pour au moins deux raisons : - L’écosystème assure un rempart contre les processus de désertification arrivant du Sud ; - Il représente la seule station mondiale d’arganier et possède de ce fait même une forte valeur d’existence1. Enfin, la valorisation relativement récente (un peu moins d’une vingtaine d’années) de l’huile d’argan et le succès grandissant de sa commercialisation à l’échelle internationale placent l’ensemble de la zone productrice au centre d’enjeux économiques importants2. Pour tenter d’intégrer la diversité des acteurs et les enjeux qu’ils défendent dans une vision plus globale du territoire, une Réserve de Biosphère a été créée en 1998, sous la tutelle de l’UNESCO.

1 Il constitue par ailleurs des écosystèmes qui peuvent être originaux, habitats de nombreuses espèces animales menacées ou en voie de disparition. 2 L’essor de l’intérêt pour l’huile d’argan est bien souvent attribué à une équipe de chimistes de l’université d’Agadir ayant cherché, au cours des années 1990, à mettre en évidence ses qualités remarquables tant au plan alimentaire que pour ses usages cosmétiques (Guyon, 2008). 5 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Au cours des dernières années, la possibilité d’embrasser l’ensemble de ces enjeux par une politique unique de valorisation de la ressource « huile d’argan » a été promue et intégrée par de nombreux acteurs. L’équation est simple, au moins d’un point de vue conceptuel : valoriser sur les marchés internationaux une ressource telle que l’huile d’argan permettrait, par les retombées économiques que cela engendre, d’élever le niveau de vie des populations et de réduire leur dépendance à l’écosystème arganier dans son ensemble ; il en résulterait une diminution de la pression exercée sur les arbres et donc indirectement la possibilité de préserver l’écosystème par des mesures restrictives aux conséquences sociales devenues moindres. L’intérêt économique de la ressource « arganier » constituerait de plus une incitation forte à leur protection par les populations elle mêmes, qui en percevraient les dividendes. Ce « modèle de développement durable » a l’avantage de rassembler l’ensemble des parties prenantes autour d’une même idée fédératrice : Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification (en charge de la protection des écosystèmes), projets de développement financés par l’aide publique au développement (Union Européenne, coopération Allemande), entreprises privées de transformation et commercialisation de l’huile d’argan (Absim, etc.). Il est par ailleurs largement encouragé au niveau international, en particulier dans le cadre de la mise en œuvre de la convention sur la diversité biologique (CBD). Pour autant, sa validité semble pouvoir être discutée au regard de premiers résultats portant d’une part sur les faibles retombées locales du développement de la filière huile d’argan et de l’autre sur le lien entre fonctionnement des systèmes de production et dégradation de l’arganeraie. En effet, les analyses économiques menées par (Lybbert, 2007, Lybbert & al., 2002) montrent que les retombées économiques de la commercialisation à l’échelle internationale sont plus que minimes pour les populations locales. Les nombreuses coopératives féminines créées sous l’impulsion de l’aide publique au développement ont cependant tenté d’infléchir le processus et de permettre à une part plus importante de la plus value de rester sur place. Le principe est relativement simple : permettre aux femmes – car ce sont traditionnellement elles qui sont en charge de la transformation des noix en huile – de s’assurer un revenu décent et éviter que la plus value s’échappe hors de la zone de production, même si les modalités de fonctionnement diffèrent grandement d’une coopérative à l’autre. Dans tous les cas, si les coopératives permettent effectivement d’assurer un meilleur revenu aux femmes que lorsqu’elles travaillent pour une entreprise privée, l’essentiel de la plus value réalisée au long de la filière ne reste pas dans la zone de production et est réalisée à l’aval de la filière (Guyon, 2008). Par ailleurs, d’un point de vue environnemental, la logique défendue par ce « modèle » peut elle aussi être questionnée. Il postule que la diminution de la dépendance des systèmes de production locaux à l’écosystème « arganeraie » permettrait de limiter sa dégradation, l’action des paysans en étant la principale cause. Or, à l’échelle de l’ensemble de l’aire de répartition de l’arganeraie, les principales pertes nettes (c'est-à-dire la disparition pure et simple des arganiers) se localisent dans la province d’Agadir. Les défrichements y sont la cause non des pratiques paysannes mais bien de l’urbanisation non contrôlée et principalement liée au développement du tourisme de masse autour d’Agadir, et de l’extension des cultures maraîchères sous serre destinées à alimenter le marché

6 Prospectives territoriales en Pays de Haha européen hivernal en légumes (PNUD, 2003). Par comparaison, la zone de Smimou, caractérisée par une faible urbanisation et une prédominance de l’élevage caprin dans les systèmes de production, a subi au cours des 25 dernières années une perte probablement inférieur à 2 arbres / 1000 ha (Demoulin, 2008). D’autres études menées à l’échelle des peuplements et à l’aide d’indicateurs de qualité des écosystèmes montrent que les fonctionnalités écologiques des peuplements d’arganiers gérés et exploités par les paysans sont souvent meilleures que celles des peuplements collectifs sous tutelle de l’administration forestière (Tarrier & Benzyane, 2003). Le modèle de développement durable proposé, faisant de la valorisation économique de l’huile d’argan un levier à la fois du développement socio-économique de la région et de la protection des écosystèmes, souffre donc d’un certain simplisme au regard de la situation étudiée. Nous proposons donc une recherche qui va au contraire chercher à clarifier les paradoxes de ce modèle, en réintroduisant dans l’analyse les rapports de pouvoir et le caractère stratégique du comportement des acteurs et des organisations. Pour ce faire nous proposons de nous appuyer sur une prospective environnementale de territoire (Mermet & Poux, 2002 ; Poux, 2005; Street, 1997). Celle-ci consiste à élaborer des scénarios d’évolution possible du territoire concerné afin d’explorer les tendances lourdes en cours, les inflexions données par certains projets, les germes de changement et les marges de manœuvre possibles, en s’intéressant tant aux évolutions démographiques, sociologiques, économiques, qu’écologiques ou même climatiques. Cette étude s’inscrit dans le cadre de la formation post-master Forêt, Nature et Société de l’AgroParisTech – ENGREF (École Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts). Il s’agit d’un module pédagogique d’enseignements en sciences humaines et sociales. L’enquête de terrain, d’une durée de 3 semaines, nous a conduits à restreindre en partie la zone d’étude. Celle-ci correspond à la province d’Essaouira sur la côte Atlantique du Maroc (Fig. 1), et plus particulièrement le pays Haha.

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Figure 1 : Zone d’étude Elle est en effet emblématique à de nombreux égards : présence de la Réserve de Biosphère de l’Arganeraie (RBA) et du Site d’Intérêt Écologique et Biologique (SIBE) du jbel Amsitten, zone de création des premières coopératives liées à la filière huile d’argan. L’approche prospective est, ici, construite autour d’entretiens avec un grand nombre d’acteurs de domaines différents. L’entretien sociologique nous permet d’accéder aux multiples visions d’avenir des acteurs, en les questionnant sur les tendances passées et actuelles pour qu’ils anticipent, dans l’avenir, l’évolution de ce territoire et de la filière huile d’argan. En mettant en articulation tous ces éléments concernant l’avenir, on a ainsi imaginé quatre scénarios d’évolution possible du territoire de l’arganeraie et des activités économiques qui y sont attachées. Notre objectif final était de mettre en discussion ces scénarios avec tous les acteurs liés de près ou de loin au système arganier, et de lancer un débat entre leurs multiples visions du territoire. Néanmoins, cette étude n’a pas pour vocation de planifier des actions à mener, ni d’identifier des solutions mais bien d’explorer des trajectoires possibles servant de base pour la discussion et pour la construction du débat. Après avoir détaillé notre méthodologie, nous présenterons les éléments de diagnostic de ce territoire et de son organisation à partir des données collectées lors des entretiens, appuyés par des compléments bibliographiques. Nous détaillerons ensuite les quatre scénarios que nous avons imaginés, et leurs impacts pour le territoire de l’arganeraie. Enfin, toute la richesse des commentaires et arguments soulevés lors du débat final seront repris dans la dernière partie.

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Méthodologie

Cette étude s’appuie sur une démarche prospective basée sur des entretiens réalisés avec des acteurs divers. Il conviendra dans un premier temps de comprendre quelles sont les spécificités et les objectifs de notre démarche prospective. Ensuite, nous verrons comment la méthodologie appliquée lors des phases d’entretiens constitue un véritable gage de plausibilité et s’adapte à la dimension prospective. Enfin, nous décrirons les différentes étapes du processus et leurs enjeux respectifs.

1. Une étude prospective territoriale : principes et objectifs

1.1. Principes généraux Les évolutions évoquées plus haut nous invitent à penser le futur de ce territoire. Pour cela, on utilisera un cadre d’analyse prospectif. On peut définir la prospective comme la construction des conjectures argumentées sur l’état futur d’un système. Faire de la prospective passe ainsi par l’identification de facteurs de changements et par l’élaboration et l’exploration de scénarios multiples sur l’avenir. Cette démarche permet à la fois de tenir compte des changements, de se poser de nouvelles questions par rapport aux évolutions possibles et enfin de mettre en évidence des marges de manœuvre pour les acteurs concernés par ces évolutions. L’interrogation du futur sur laquelle repose notre analyse apparaît ici comme un moyen et non une fin en soi. Cette définition a minima ne doit pas faire oublier la diversité des pratiques et des objectifs qui peuvent être rattachés à une démarche prospective. Il importe ici de définir les spécificités de notre cadre d’analyse prospectif et les buts poursuivis.

1.2. Une analyse à long terme qui ne vise pas à identifier des solutions Avant de mieux décrire les enjeux de notre démarche prospective, il est nécessaire de mettre en évidence les objectifs que notre analyse ne prend pas en compte. En effet, si la prospective peut être un outil pour la planification et l’identification de solutions pour le développement d’un territoire, nous n’avons pas souhaité nous inscrire dans ce cadre d’expertise. Les scénarios construits ne constituent pas des aides à la décision, des prévisions sur lesquelles on pourrait s’appuyer directement pour mettre en place des actions susceptibles de permettre les changements voulus. Si notre analyse prospective vise à améliorer les capacités des acteurs concernés à anticiper et à réagir à des changements futurs, ce n’est qu’indirectement, par le biais d’un débat entre eux, dans lequel les scénarios que nous construisons sont censés apporter transparence et structuration pour que chacun puisse lire plus clairement les conséquences des stratégies individuelles des autres acteurs et les possibilités de convergences stratégiques entre acteurs.

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1.3. La prospective pour contribuer à la réflexion sur l’action collective autour de l’arganeraie L’objectif principal de notre démarche prospective est de contribuer à structurer le débat autour de l’arganeraie sur un territoire défini, en intégrant d’une manière plus poussée la question environnementale de la préservation de cet écosystème endémique. Il s’agit de mobiliser des acteurs dans ce territoire et de participer à la dynamique de concertation locale déjà bien enclenchée dans l’arganeraie, comme le montrent les nombreux projets de développement mis en œuvre. Notre démarche visera à faire évoluer le réseau construit autour de l’arganeraie, en associant par exemple de nouveaux acteurs concernés par les futurs possibles du territoire. On cherchera également à mettre en évidence les marges de manœuvre potentielles pour les acteurs portant une préoccupation environnementale. Ainsi, le processus prospectif apparaît plus important que le résultat. Le statut des scénarios est dépendant de cet objectif. Notre démarche pour la construction des scénarios est de dérouler sur le long terme les représentations de l’avenir ou les projets des acteurs, de mettre en articulation ces perspectives et de voir comment ils pourraient avoir un impact sur le reste du système. Un scénario est ainsi une trajectoire possible parmi d’autres, trajectoire que l’on explore et qui doit ensuite constituer le support du débat autour des futurs possibles de l’arganeraie. Si l’on considère que la prospective peut aider à structurer l’action collective autour de l’arganeraie et que cette structuration en constitue le principal objectif, le débat organisé à la fin de l’étude doit constituer le produit principal de la démarche. De même, la synthèse écrite devra être diffusée au plus grand nombre d’acteurs rencontrés. Nous verrons ensuite que les choix effectués dans la méthodologie (notamment dans l’écriture des scénarios) sont dépendants de cet objectif fondamental.

2. La mise en œuvre de l’analyse prospective par l’entretien sociologique

Nous avons choisi de développer une analyse prospective particulière car basée sur des entretiens bilatéraux. Ces entretiens, que l’on peut définir comme des « interactions discursives délibérément suscitées par le chercheur » (Olivier de Sardan, 1995), sont la base des données produites. Nous traiterons ici des apports de l’entretien par rapport à notre démarche, de leur mise en œuvre et du traitement des données issues de ces entretiens.

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Figure 2 : Démarche adoptée et traitement des données

2.1. Pourquoi utiliser l’entretien sociologique ?

2.1.1. Accéder aux discours sur le futur : construction d’une typologie Les entretiens nous ont permis d’accéder aux visions de l’avenir des acteurs, à leurs représentations concernant les évolutions à la fois passées, présentes et futures sur le territoire (Fig. 3). Les entretiens ont montré que les visions de l’avenir pouvaient résider dans des discours très différents. On essaiera ici de faire une typologie des visions du futur décrites dans les entretiens, tout en ayant conscience que les différentes catégories ne sont ni exhaustives ni exclusives. Construire cette typologie peut s’avérer utile pour interroger les visions du futur.

* Les tendances Les acteurs font souvent référence à des « tendances », c'est-à-dire à des évolutions qui prolongent les dynamiques passées et actuelles. L’évolution de la hausse du prix de l’huile d’argan est ainsi considérée comme une tendance par la quasi-totalité des acteurs rencontrés. La tendance peut aussi renvoyer à des éléments implicites du discours, comme la perte de pouvoir des forestiers. Ces évolutions régulières relevées dans les discours sont intéressantes à questionner, notamment par le

11 Prospectives territoriales en Pays de Haha biais de la construction des scénarios. Il est ainsi intéressant d’envisager des ruptures dans ces dynamiques. * Les incertitudes critiques Les acteurs interrogés envisagent également des évolutions incertaines, pour lesquelles plusieurs futurs sont possibles, selon les dynamiques écologiques en cours, telles que la pérennisation de la sécheresse, ou bien selon les actions menées par d’autres acteurs. Certains facteurs de changements peuvent être considérés comme une tendance par certains acteurs et au contraire comme une incertitude par d’autres. * Les projets Les projets énoncés par les interviewés renvoient à deux notions différentes : - Le projet peut correspondre à une action volontariste, à un plan défini pour l’avenir, comme le Plan Maroc Vert. Les acteurs peuvent alors se positionner par rapport à ce projet et envisager ses impacts possibles sur leur propre stratégie. - Le projet peut également correspondre à une projection sur le futur de ce que l’acteur aimerait voir se réaliser, sans pour autant qu’il n’envisage la mise en place concrète de ce projet. La création de circuits écotouristiques, thème très présent dans les discours, constitue un exemple de ces projections. Il est nécessaire de s’interroger sur la concrétisation de ces projets, par exemple en se posant les questions suivantes : Qui pourrait les impulser ? Qui pourrait les financer ? Quel réseau social pourrait les appuyer ? De tels projets ont été systématiquement creusés pour en étudier le réalisme, notamment par l’intermédiaire des scénarios.

2.1.2. L’entretien pour accéder aux stratégies des acteurs Notre cadre prospectif constitue d’abord une voie d’analyse possible des marges de manœuvre des acteurs, des rapports de force et des différentes stratégies qui se déploient autour de l’arganeraie. Ce détour par le futur permet à l’acteur interrogé de se distancier un peu par rapport au territoire actuel ; il est ainsi possible d’aborder la question de ses stratégies d’une manière plus posée lors des entretiens. En intégrant cette perspective stratégique dans l’entretien, on peut de plus répondre à une question fondamentale : qui pourrait porter et mettre en œuvre les changements ?

2.1.3. La construction d’un guide d’entretien

Le guide d’entretien construit lors de la phase préparatoire ne constituait pas un questionnaire strict, mais plutôt un cadre global, un « canevas » (Olivier de Sardan, 1995) sur lequel improviser les questions adaptées à l’acteur et à son discours, un pense-bête pour ne pas oublier d’aborder la dimension temporelle caractérisant notre étude prospective. Il s’agissait ici de « réduire au maximum l’artificialité de la situation d’entretien » pour le rapprocher au maximum d’une conversation banale et quotidienne. Pour cela, ce guide a volontairement été très général. La construction de ce guide a également constitué une phase de réflexion nécessaire pour anticiper les difficultés et les biais possibles dans les entretiens à venir. Le problème de la traduction a été 12 Prospectives territoriales en Pays de Haha abordé : la construction conjointe du questionnaire entre arabophones, berbérophones et francophones ainsi que la participation des traducteurs ont permis de limiter les biais potentiels. Néanmoins, on a pu remarquer que ces biais pouvaient réapparaître lorsque des traducteurs différents intervenaient. Ce guide d’entretien peut être divisé en 3 phases, qui ne sont ni exclusives ni ordonnées. Nous décrirons ici les éléments de ce guide d’entretien, les biais possibles relevés lors de la construction et les réponses apportées pour limiter ces biais.

* La phase de présentation Le début de l’entretien est fondamental pour limiter les biais pendant la suite. La présentation du projet devait nous permettre d’annoncer en partie nos grandes problématiques sans trop en dire. Nous nous présentions ainsi généralement comme des étudiants réalisant un travail sur l’environnement, sur l’arganeraie, sur ses évolutions et son devenir, ce qui restait suffisamment vague mais introduisait néanmoins la dimension temporelle à la base de notre démarche prospective. En restant vague, il était également possible de réduire la dissymétrie symbolique forte entre l’enquêteur et certains interlocuteurs (entretiens avec agriculteurs), source de biais importante. Le mot « projet » a été rejeté de notre présentation pour que l’acteur ne fasse pas de confusion avec les projets de développement, nombreux dans la région. Suite à cette présentation, nous démarrions par une discussion la plus informelle possible sur les activités de l’interlocuteur.

* Parler des évolutions passées Pour prendre en compte ces évolutions, nous avons choisi de parler dans un premier temps des évolutions générales pour passer ensuite aux impacts de ces évolutions sur l’acteur interrogé. Il s’agissait ici de qualifier les processus tels que perçus par les acteurs, en leur demandant de décrire systématiquement les critères qui leur permettaient d’appréhender les évolutions évoquées. La compréhension de ce que les acteurs entendaient par « dégradation » de l’arganeraie s’est par exemple avérée nécessaire ; on a ainsi cherché à identifier dans le discours des acteurs les critères utilisés pour qualifier cette « dégradation » (baisse de la densité des arbres…). Pour mesurer ces évolutions on a pu parfois utiliser des indicateurs chiffrés, comme le prix de l’huile d’argan. Ces indicateurs nous ont également permis de « trianguler » les résultats entre les entretiens.

* Parler du futur A l’inverse des évolutions passées, pour amener les acteurs à discuter de leurs visions du futur, nous avons commencé par aborder la question de leur avenir en particulier, pour ensuite poser des questions sur le futur de la région et de l’arganeraie en général. Pour accéder aux visions du futur des acteurs, nous avons utilisé plusieurs types de questions, que ce soit sur l’avenir de leurs enfants, sur ce qu’ils pensaient faire dans 10 ans ou sur leurs projets. Accéder aux visions des futurs des acteurs comporte des difficultés, notamment chez les acteurs peu habitués à déployer une stratégie sur le long terme. Si l’institutionnel est amené à envisager le long

13 Prospectives territoriales en Pays de Haha terme en élaborant des projets, ceci est moins évident pour le petit agriculteur. Pour accéder aux visions du futur des personnes peu habituées à adopter une perspective stratégique dans le futur, nous avons par exemple choisi de leur présenter des mini-scénarios issus de la bibliographie ou de précédents entretiens pour tester leur réaction face à ces représentations du futur (par exemple « que pensez-vous qu’il arriverait si le statut de l’arganier change ? »).

2.2. Traitement des données issues des entretiens : une « triangulation triple » Lors de la restitution de nos travaux devant les acteurs, la question de la pertinence des données qualitatives issues des entretiens a été soulevée, notamment par rapport à la possibilité que des interlocuteurs aient caché des éléments importants ou aient fourni une vision trop partiale de la situation. Pour maximiser la pertinence des diagnostics et des scénarios construits à partir des données des entretiens, une « triangulation triple » de ces données a été utilisée. Elle constitue un gage fondamental de la plausibilité de nos analyses.

2.2.1. Une triangulation entre les différents discours Le croisement des données issues des entretiens s’est avéré fondamental pour mieux analyser les discours des acteurs. La triangulation des données chiffrées s’est ainsi révélée particulièrement intéressante pour discuter la pertinence des propos de certains acteurs (exemple de la polémique sur les salaires des femmes dans les coopératives et dans les sociétés privées fabriquant de l’huile d’argan). Plus fondamentalement, cette triangulation nous permet de mettre en évidence des désaccords à étudier et des controverses souvent instructives sur la stratégie de l’acteur interrogé. Il s’agissait de faire émerger des « discours contrastés » face à un même enjeu (Olivier de Sardan, 1995).

2.2.2. Un croisement avec la bibliographie Olivier de Sardan (1995) relève la nécessité de mettre en « synergie » les diverses sources de données (ici la bibliographie et les entretiens) : « Tout plaide (…) pour prendre en compte des données qui sont de référence, de pertinence et de fiabilité variables (…) dont l’entrecroisement, la convergence et le recoupement valent garantie de plausibilité accrue ». L’étude préalable de la bibliographie abondante sur l’arganeraie, réalisée à Montpellier, nous a ainsi permis de nous familiariser avec le terrain et de délimiter des facteurs de changement fondamentaux pour notre étude prospective. Néanmoins, cette étude bibliographique ne nous a pas servi de base pour la suite de l’étude, la bibliographie étant plus utilisée comme un point possible de comparaison avec les discours des acteurs.

2.2.3. Une stratégie d’enquête collective Cette étude constitue une démarche collective, ce qui s’est avéré fondamental pour le traitement des données obtenues lors de l’enquête. Les débriefings réalisés le soir ont permis d’objectiver des premières impressions issues des entretiens. Plus fondamentalement, ils ont rendu possible une 14 Prospectives territoriales en Pays de Haha triangulation par la mise en débat des données et des interprétations qui en étaient faites, ce qui a pu limiter les éléments de subjectivités propres à chaque participant (Bierschenk & Olivier de Sardan, 1997). Cette stratégie d’enquête collective constitue ainsi un gage de plausibilité des résultats obtenus.

3. Une approche inductive et systémique Pour mener à bien l’objectif principal de notre démarche prospective - contribuer à structurer le débat autour de l’arganeraie en mettant l’accent sur la dimension environnementale - on a fait le choix d’une démarche inductive et systémique. L’objectif était de mettre en évidence à travers notre diagnostic et les scénarios proposés les interactions réelles, ou potentielles entre des sous-systèmes habituellement abordés de manière indépendante, notamment dans le cadre des politiques sectorielles.

3.1. Le choix d’une approche inductive Ce choix s’explique par la nécessité de s’abstraire, au moins temporairement, des nombreux travaux déjà réalisés sur l’arganeraie (recherches, littérature grise des projets de développement, séminaires de préparation…). Cette approche inductive permet d’éviter de plaquer les résultats de ces études traitant de l’arganeraie sur la Province d’Essaouira. En effet, on verra ultérieurement que la dynamique de l’arganeraie dans cette province ne se superpose pas avec les dynamiques de l’arganeraie dans d’autres provinces, dont certaines ont pu être abondamment étudiées, comme par exemple la problématique de la déforestation dans la Province du Souss-Massa (Chamich, 2008). Lors de cette étude, nous n’avons pas cherché à définir a priori des groupes d’acteurs à partir des travaux précédents. En effet, certains acteurs sont difficiles à classer du fait de leur appartenance à plusieurs catégories différentes (exemple d’un agriculteur président d’une association sylvo- pastorale). L’enjeu est ainsi de laisser l’acteur se définir lui même à travers le récit de ce qu’il fait, de ses interactions avec les autres. A partir du même principe, on a choisi de ne pas baser notre analyse sur les travaux précédents pour éviter de s’enfermer dans une vision analytique et trop sectorielle de la problématique. Cette approche inductive est donc nécessaire pour mettre en place la vision systémique que nous avons souhaité développer. Nous verrons que cette vision systémique est nécessaire pour la démarche prospective, notamment pour la construction des scénarios.

3.2. Une stratégie d’enquête « buissonnante » La stratégie buissonnante consiste à partir d’une première liste de contacts pour ensuite en obtenir d’autres etc. Cette stratégie s’adapte bien à l’approche inductive privilégiée ici. Selon Olivier de Sardan (1995), cette stratégie permet de ne pas sélectionner les acteurs à interroger en fonction de 15 Prospectives territoriales en Pays de Haha leur appartenance à un « groupe », mais permet au contraire de mettre en valeur les réseaux et les connexions entre acteurs : « Les interlocuteurs ne sont pas choisis à l’avance par une méthode de tri (statistique, aléatoire), mais ils prennent place selon un compromis permanent entre les plans du chercheur, les disponibilités de ses interlocuteurs, les opportunités qui se présentent, les filières de parenté ou d’amitié déjà constituées, et quelques autres variables (…). De chaque entretien naissent de nouvelles pistes, de nouveaux interlocuteurs possibles (…). La dynamique de l’enquête suscite ainsi son propre cheminement, largement imprévisible au départ (…), mais où se reflètent cependant les réseaux réels du milieu étudié ». Olivier de Sardan met en évidence le danger pour l’enquêteur de rester enfermé dans le réseau reconstruit au fur et à mesure par le cheminement de l’enquête. La multiplicité des contacts initiaux (obtenus notamment par Aïcha Nahidi) et donc, des points de départ possibles pour le cheminement de l’enquête, nous a permis de limiter ce biais possible. Cette volonté d’élargir au maximum la palette des acteurs interrogés est également liée à notre approche prospective : il était nécessaire de consulter un éventail très large d’acteurs pour voir émerger les germes de changements, les représentations non-conventionnelles de l’avenir. Pour cela, on ne peut se contenter des acteurs « incontournables » du réseau constitué autour de l’arganeraie tels que les leaders ; il faut également aller parler aux acteurs des échelons plus locaux ou encore aux acteurs non-conventionnels qui gravitent autour de l’arganeraie. Par exemple, nous sommes allés voir des entrepreneurs touristiques situés sur le littoral, des marchands de bois de thuya. L’élargissement maximal des acteurs interrogés se fait aussi sur le plan géographique. Il n’était en effet pas envisageable de ne prendre en compte que les acteurs « locaux », ceux résidant ou travaillant dans le territoire étudié. D’autres acteurs pouvaient et peuvent avoir une influence forte sur ce territoire sans nécessairement être fortement connectés avec la région, comme les dirigeants des grandes entreprises privées exploitant les noix d’argan.

3.3. Les acteurs rencontrés Conformément à notre volonté d’élargissement maximal, on a interrogé une large gamme d’acteurs (voir figure ci-dessous). Néanmoins, le cadrage environnemental de notre étude nous a conduit à a nous concentrer en partie sur des acteurs fortement impliqués dans les actions de conservation de l’arganeraie. De nombreux forestiers ont ainsi été interviewés à tous les niveaux hiérarchiques, puisque ces acteurs sont ceux qui sont officiellement chargés de porter les enjeux environnementaux liés à l’arganeraie. Au final, 67 entretiens ont été réalisés, répartis comme suit (la classification porte bien sûr une part d’arbitraire) :

16 Prospectives territoriales en Pays de Haha

TOTAL enseignement 3% TOTAL agriculteur 10%

TOTAL association 10% TOTAL administration 41%

TOTAL élus 4%

TOTAL coopérative 9%

TOTAL commerce 23%

Figure 3 : répartition des entretiens par type d'activité

3.4. Les différentes phases de l’étude L’enquête de terrain s’est étalée sur une durée de 3 semaines, découpée en 4 grandes phases, comme indiqué sur la figure ci-dessous :

17 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Figure 4 : les 4 phases de l'enquête de terrain À chacune de ces phases correspondent des enjeux particuliers, présentés dans les paragraphes qui suivent.

3.4.1. Une phase exploratoire pour fonder l’approche systémique La première semaine a été consacrée à une série d’entretiens réalisés en binôme. Chaque groupe a pu ainsi réaliser des entretiens très variés dont les résultats ont été ensuite mis en discussion par le biais de restitutions en commun. Chaque participant a pu acquérir une vision suffisamment large de la problématique nécessaire pour mettre en place l’étude systémique. De plus, les restitutions collectives ont permis une analyse interprétative à chaud et l’élaboration de premières hypothèses concernant les représentations du futur des acteurs ; elles ont constitué un « lieu d’émergence privilégié d’interprétations au plus près des matériaux empiriques » (Bireschenk & Olivier de Sardan, 1997). Cette phase exploratoire a permis d’être réellement inductif : plutôt que de plaquer des catégories issues de la bibliographie sur un territoire et de partir de ces catégories (typologie des acteurs…) pour réaliser notre étude, cette exploration préalable de la problématique nous a permis de construire une ébauche de système et d’en délimiter 4 grands thèmes qui nous semblaient structurants pour son évolution : - L’écosystème arganier et les stratégies de conservation afférentes ; - Les systèmes de production agricole ; - La filière « huile d’argan » et sa structuration ; - Le système de gouvernance entre collectifs coutumiers, associations, collectivités locales et administrations de l’État. D’autres thèmes structurants, comme l’urbanisme, le tourisme, la ressource en eau ou encore le climat ont été laissés en toile de fond pour plusieurs raisons : - Le fait de laisser de côté, dans un premier temps, certaines composantes du système résulte surtout d’un choix assumé par l’équipe, qui souhaitait insister sur certains thèmes qu’elle considérait centraux. On a ainsi considéré nécessaire d’intégrer pleinement la composante écosystémique en en faisant l’un des 4 thèmes structurants de notre étude systémique, et en la différenciant du système agro-sylvo-pastoral. Au contraire, on a choisi de ne pas se centrer sur des thématiques très orientées sur le développement de la région, comme l’urbanisme, le tourisme et les ressources en eau. Les analyses précédentes, notamment celles des bailleurs de fonds, se centraient principalement sur le développement associé à l’arganeraie, ce qui amène par exemple la GTZ à revoir sa politique d’aides en faveur de la dimension environnementale. Ces thèmes ont certes un impact sur l’écosystème de l’arganeraie mais cet impact apparaît secondaire par rapport aux systèmes de production par exemple. Ils ont donc été laissés en toile de fond pour pouvoir être mobilisés lors de l’analyse mais n’ont pas fait l’objet d’une étude poussée. 18 Prospectives territoriales en Pays de Haha

- Ce choix résulte aussi de contraintes propres aux compétences et aux capacités d’analyses regroupées dans l’équipe de recherche. La présence dans l’équipe d’agronomes, d’économistes, de sociologues, d’écologues… nous a notamment permis d’analyser les systèmes de production, la filière huile d’argan, la dynamique de la gouvernance et celle de l’écosystème. Au contraire, nous manquions d’outils pour bien analyser les dynamiques climatiques ou encore l’urbanisme. Ces thématiques ont donc été laissées en toile de fond pour notre analyse. Partir d’une démarche inductive était nécessaire pour mettre en système les données issues des entretiens. En construisant ce système et en mettant en connexion les différents facteurs de changements, il était possible de dépasser la simple « prévision » du futur (prolongation des tendances actuelles). L’approche systémique était fondamentale pour créer des scénarios qui soient des trajectoires d’évolutions, des mises en articulations des différents facteurs de changements.

3.4.2. Une phase d’approfondissement des thématiques structurantes La deuxième semaine a été consacrée à des entretiens spécialisés par thématique qui nous ont permis de mettre en place des diagnostics pour chaque grande composante délimitée en amont. En triangulant les données issues des entretiens et de la bibliographie, il s’agissait de tester la plausibilité des visions du futur et d’accéder à de nouvelles pistes d’avenir. A partir des diagnostics, plusieurs pistes d’évolutions pour chacune des composantes ont été envisagées. Certaines pistes d’évolution ont ensuite servi de point de départ pour l’écriture de nos scénarios.

3.4.3. La phase d’imagination des scénarios Les scénarios ont été construits à partir du traitement des éléments de diagnostic. De ces diagnostics, certaines de ces visions du futur ont été extraites pour créer nos scénarios. Ensuite, il s’agissait d’imaginer ce qui pouvait « bouger » dans le système si on développait la vision du futur choisie comme base du scénario.

3.4.4. Phase de mise en discussion des scénarios La mise en débat des scénarios produits doit être considérée comme faisant partie intégrante de la méthodologie. Nous verrons ultérieurement comment les choix faits lors de la mise en place de la restitution ont pu influencer les résultats

19 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Diagnostic

1. Diagnostic du territoire

1.1. Choix de la province La province d’Essaouira se situe au nord de l’aire de répartition de l’arganeraie. Cette province située à l’ouest du Maroc a été par ailleurs ciblée par de nombreux projets autour de l’arganier : premières coopératives d’huile d’argan, intégrée dans la réserve de biosphère de l’arganeraie, zones protégées comme le jbel Amsitten. Les bailleurs de fonds fortement impliqués dans la région favorisent une logique de développement centrée sur le développement économique et le volet social (coopératives, volet femmes). Par ailleurs, comme beaucoup de provinces à dominante rurale au Maroc, cette province est soumise à des dynamiques socio-économiques en rapides mutations et qui reposent pour beaucoup sur l’exploitation des ressources naturelles. Les fortes pressions sur les ressources naturelles ont amené certains environnementalistes à tirer la sonnette d’alarme quant à la durabilité environnementale de l’utilisation importante des ressources naturelles ainsi que sur les dégradations pouvant en résulter. Les investissements importants de la part des bailleurs de fond pour le développement de la filière de l’huile d’argan extraite à partir des amandons d’arganiers est basée sur l’implicite que le développement économique et social représente un levier d’action important pour la conservation des ressources naturelles. La valorisation d’une ressource comme l’huile d’argan devrait induire une responsabilisation des utilisateurs pour aboutir à une appropriation des enjeux environnementaux liés au renouvellement d’une ressource économique importante. On peut cependant s’interroger sur la réalisation de tels objectifs, ce que nos scénarios contribuent à faire.

1.2. Représentation du système Dans ce cadre d’analyse, une représentation systémique incluant les composantes les plus significatives pour notre problématique a été élaborée (Fig. 5). Cette approche cherche à analyser les liens entre les composantes environnementales et les facteurs structurant le développement de cette région : les productions, le tourisme et l’organisation territoriale.

20 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Figure 5 : représentation du système territorial

La ressource en eau est représentée comme étant à la base de ce système du fait de son importance pour le maintien de l’écosystème, le développement de l’agriculture et le développement du tourisme. Le système de production agro-sylvo-pastoral local s’appuie sur l’écosystème particulier de la zone d’étude. Ces deux systèmes imbriqués sont au centre de ce schéma car ils représentent notre principal point d’entrée au regard de notre problématique. Auparavant, le territoire était structuré par un système de diverses productions profondément intégrées. L’engouement récent pour l’huile d’argan à l’échelle internationale, poussé notamment par les bailleurs de fond et les plans de développement agricoles ont permis un développement important de cette filière, la rendant largement structurante. Elle sera analysée comme une filière à part entière. D’autre part, cette logique de développement basée sur la création de coopératives tend à structurer et individualiser de la même manière les autres filières de production : la filière caprine, la filière bois, les plantes aromatiques et médicinales. La ville d’Essaouira joue un rôle important notamment pour le tourisme du fait de sa localisation côtière. Ce secteur en plein développement représente un pôle attracteur pour l’emploi et l’investissement, implique une consommation importante de la ressource en eau (sanitaire, piscines, golfs, …)

21 Prospectives territoriales en Pays de Haha

En termes de gestion du territoire et de gouvernance, les administrations sectorielles et les autorités nationales se superposent à des systèmes de droit coutumiers. Les associations de développement et environnement connaissent un essor important depuis quelques années. Ces associations deviennent des interlocuteurs privilégiés des administrations et sont encouragées par la politique des bailleurs de fonds pour s’impliquer dans la gestion du territoire. Suite à la construction de ce schéma, nous avons choisi de focaliser notre analyse sur 4 composantes qui seront étudiées de façon individuelle et seront détaillées dans les diagnostics de l’écosystème, des systèmes de production, de la filière huile d’argan et de l’organisation territoriale. Avant cela, nous commencerons par brosser un portrait général du territoire d’étude.

1.3. Cadre physique La province d’Essaouira se divise en 2 zones relativement homogènes : * une zone Nord dominée par des plaines et des plateaux * une zone Sud (pays de Haha) dominée par les piémonts et moyenne montagne qui sera la zone sur laquelle se focalise cette analyse.

1.3.1. Relief Dans le pays de Haha, le relief est une composante importante. Les plateaux représentent 45% de la surface du territoire, les montagnes 40 %, les plaines 9% et les collines 6% (monographie DPA). Conjointement à la rareté en eau, ces reliefs représentent de fortes contraintes pour le développement de l’agriculture.

1.3.2. Climat Le climat est de type semi-aride avec une période sèche de 6-7 mois (pluviométrie moyenne annuelle 318.8 mm, température annuelle ; température moyenne minimale : 10°C, température moyenne maximale : 34°C). Sur le pays de Haha, certains gradients climatiques différencient la frange côtière et les reliefs plus à l’est. Le front de mer bénéficie de températures relativement stables au cours de l’année, d’une pluviométrie plus importante et aussi d’une brume fréquente. Les zones de reliefs au contraire ont une pluviométrie mois importantes, saisonnières et plus variables en fréquence et quantité. Les températures varient beaucoup au cours de l’année. La période sèche est aussi la période la plus chaude (Fig. 6). Le diagramme ombrothermique de type Bagnouls et Gaussen a été élaboré dans le but de caractériser un climat, en observant les composantes de la pluviométrie et de la température mensuelle. Cette caractérisation met l’accent sur la période sèche qui a une grande importance sur le développement de la végétation. Selon Bagnouls et al (1957), un mois peut être considéré comme sec si le total des précipitations mensuelles (en mm) est égal ou inférieur au double de la température moyenne mensuelle (en °C) pour un même mois considéré. Par conséquent, sur le 22 Prospectives territoriales en Pays de Haha diagramme ombrothermique (avec P = 2C), quand la courbe des températures est au dessus des histogrammes de précipitations alors, il est possible de caractériser la période sèche.

Diagramme ombrothermique (type Gaussen) du pays Haha

100 50,0

80 40,0

60 30,0

40 20,0

20 10,0

0 0,0

Moyenne des Précipitations Moyenne des températures

Figure 6 : Diagramme ombrothermique de Bagnouls et Gaussen sur le pays Haha Source des données pluviométries : CNRF de Rabat, 2007 (Moyenne entre 1974 et 2006) Source des données thermiques : Benzyane, 1989 (Moyenne entre 1933 et 1966)

Printemps Eté Automne Hiver Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. Nov. Déc. Janv. Fév.

Période sèche

Figure 7 : Tableau caractérisant la période sèche

Le pays de Haha est localisé dans région où la période sèche dure en moyenne 7 mois. Cela signifie que le climat est semi-aride. D’après les entretiens, en particulier ceux avec les agriculteurs, la sécheresse des 3-4 dernières années a eu des conséquences importantes en particulier pour la production agricole. Le climat détermine largement les activités praticables sur le territoire notamment en termes de productions agricoles via l’accessibilité à l’eau. Dans le cadre de cette étude, le changement climatique est intégré comme un élément structurant les évolutions du territoire. Conformément aux scénarios du GIEC (IPCC, 2007), les changements climatiques dans la zone sont considérés de façon globale et intégrés dans la démarche prospective comme toile de fond : les variations des scénarios climatiques ainsi que la variabilité des conséquences sur les systèmes de production et l’écosystème en général ne seront pas abordés dans le cadre de cette étude mais envisagés comme des tendances générales s’appliquant à tous les scénarios. La tendance retenue pour les années à venir dans cette zone est une augmentation de la température, une diminution de la pluviométrie et une augmentation en fréquence des évènements extrêmes (en particulier des périodes de sécheresse).

23 Prospectives territoriales en Pays de Haha

1.3.3. Formations végétales Sur ce territoire différentes formations végétales sont présentes et font parties de l’écosystème considéré, il ne s’agit pas d’un écosystème homogène : * l’arganeraie représente la majorité du couvert forestier de la zone considérée ; * les écosystèmes dunaires répartis le long de la bande côtière à partir d’Essaouira ; * les forêts de thuya notamment sur les reliefs tels que le jbel Amsitten Peu de données sont disponibles quant à l’état écologique de ces formations végétales rendant difficile la définition d’un état de référence ou d’un état non dégradé de ces écosystèmes. D’après la DPA3, pour le pays de Haha, la forêt représenterait 60 % de la surface du territoire, la surface agricole utile 26 %. Il est à noter que la base de la filière agricole repose sur une utilisation conjointe des terres agricoles et des zones forestières.

1.3.4. Le système agro-sylvo-pastoral : pilier de l’agriculture au pays de Haha L’agriculture est l’activité dominante des habitants de cette région et est aussi la principale source de revenu de la population (DPA, monographie). En effet, la population est pour une grande majorité rurale. L’agriculture est à caractère extensif, principalement vivrière. Dans ce système de production, surfaces forestières et agricoles sont largement connectées. Les systèmes de production reposent sur une imbrication forte entre les composantes agricoles (céréaliculture), sylvicoles (arganiers) et pastorales (chèvres). Les filières économiques associées sont les filières de l’huile d’argan, la filière caprine, la filière bois, les plantes aromatiques et médicinales ainsi que l’apiculture. De nombreux projets ont tenté de structurer ces filières par le biais de coopératives.

1.4. Le tourisme dans la province d’Essaouira : un contraste majeur entre le littoral et l’arrière-pays

1.4.1. Essaouira : une destination à part entière La ville d’Essaouira connaît un développement touristique important depuis les années 1990. La renommée internationale de cette destination est basée sur les activités nautiques (surf, windsurf, kite surf, …) mais aussi sur l’image culturelle de la ville (médina au patrimoine mondiale de l’UNESCO depuis 2001, festival Gnawa de musique du monde, …). Il existe actuellement une dynamique forte d’installation de ressortissants étrangers dans la Médina ; ces étrangers (principalement des français) développent des maisons d’hôtes qui connaissent un succès important (bouche à oreille, sites internet, …) et qui participent à l’essor de la ville en tant que destination à part entière.

3 Direction provinciale de l’agriculture 24 Prospectives territoriales en Pays de Haha

1.4.2. Un développement touristique fort sur le littoral Ce développement peut prendre deux formes différentes : la construction de la station balnéaire de Mogador, située à proximité d’Essaouira, et le développement de petites structures sur la frange littorale. Le projet de création de la station Mogador a été initié en 2004 dans le cadre du Plan Azur, plan national qui vise le développement de grandes stations balnéaires. Cette station constitue, selon le délégué au tourisme d’Essaouira « une ville dans la ville » : elle représente une superficie de 580 Ha et une capacité de 10000 lits, dont 6000 pour des lits hôteliers et 4000 pour des logements résidentiels (Délégation du tourisme). L’hôtellerie de luxe y sera dominante et sera associée à des maisons d’hôtes. Des équipements importants sont prévus dans la cadre de la construction de cette station ; un golf a ainsi déjà été construit. Le développement touristique sur le littoral se fait également par une installation récente de petites structures (hôtels, maisons d’hôtes, …) fortement connectées à Essaouira. Ce développement de la frange littorale est particulièrement important au sud de la ville, sur la commune de Sidi Kaouki (Fig. 8). Ces petits hôtels accueillent principalement une clientèle de passage principalement étrangère, même si la clientèle marocaine devient de plus en plus importante.

Figure 8 : Développement du tourisme sur la frange littorale. Sidi Kaouki (sud d’Essaouira) Photo : J.Vendé

Le développement touristique sur le littoral pose de multiples problèmes qui pourront être intégrés à dans la construction des scénarios : * Quel impact sur l’emploi dans la région et sur les migrations en provenance de l’arrière-pays ? 25 Prospectives territoriales en Pays de Haha

* Comment se fera l’accès à l’eau potable ? * Quel impact sur les écosystèmes, dont les arganiers sont une composante importante (écosystèmes dunaires, …) ?

1.4.3. Quel développement touristique pour l’arrière-pays ? Le territoire étudié est caractérisé par un développement touristique très contrasté entre le littoral et l’arrière-pays. En effet, si le littoral connaît un essor touristique rapide, l’intérieur des terres est caractérisé par un tourisme très peu structuré si l’on excepte un petit tourisme de passage sur la route entre Essaouira et Agadir. Aujourd’hui, les touristes rentrent très peu dans l’arrière-pays. Pourtant, le tourisme rural est considéré par de nombreux acteurs comme une voie de développement d’avenir pour les zones rurales, notamment grâce à la création de circuits écotouristiques connectés à un pôle représenté par Essaouira. Il apparaît fondamental d’étudier les possibilités de ce développement éco-touristique et d’intégrer cette problématique dans le cadre de notre réflexion prospective : quels circuits sont potentiellement intéressants, quels moyens en termes financiers sont disponibles, quelles infrastructures sont à développer et par qui ? Quels seraient les impacts possibles sur le développement de l’arrière-pays ? Les entretiens n’ont pas permis de répondre à ces questions, ce qui montre bien que ces visions d’avenir restent largement de l’ordre de projets encore très peu objectivés.

1.5. Développement des infrastructures Pour l’administration marocaine, l’extension du réseau routier représente un enjeu important pour le développement de la province d’Essaouira. La direction provinciale de l’Équipement en charge de la construction, de la maintenance et de l’entretien du réseau routier assure deux axes majeurs d’intervention : (i) le programme national des routes rurales qui vise à désenclaver le territoire rural. Actuellement le taux d’accessibilité, défini comme le nombre d’habitant ayant accès à une route goudronnée ou aménagée, est de 50 % avec un objectif à 2012 de 72 %. Les routes permettent à la population d’accéder aux services socio-économiques et sont nécessaires pour susciter les investissements ; et (ii) l’élargissement et développement du réseau routier national. Dans le cadre de projets touristiques, certains grands axes comme la voie entre Chichaoua et Essaouira sont en cours de dédoublement, de même que l’axe entre Agadir et Essaouira et la route qui va vers Safi sont à différents stades d’avancement. Le projet d’élargissement de la route nationale entre Essaouira et Agadir doit relier deux stations touristiques, celle de Mogador (proche d’Essaouira) et celle de Tarazoute (vers Agadir). Cette route permettra les échanges et rendra accessible l’ensemble du littoral entre Agadir et Essouira. Les projets actuels concernent 480 km de routes rurales (réparties sur toutes les communes). Le ministère du tourisme finance 60 km de voies express comprenant un pont de 240 m entre Essaouira et Dyabat. Ce pont appartient à la nouvelle station touristique de Mogador et permet la liaison à la

26 Prospectives territoriales en Pays de Haha ville. Ces projets de développement routier se construisent en parallèle d’une urbanisation croissante de la zone notamment pour les projets touristiques.

1.6. Ressource eau : Adduction en eau potable, barrages et périmètres irrigués La gestion de la ressource eau est un élément très structurant pour l’évolution du territoire. * Eau potable : Il existe un contraste fort pour l’accessibilité à l’eau potable entre Essaouira et les zones rurales. Pour la ville d’Essaouira, le développement touristique, très consommateur en eau, appelle de nombreux investissements. D’après l’ONEP4, la ville d’Essaouira et ses alentours est actuellement alimentée par des eaux souterraines avec un débit de 278 L/s. Les perspectives d’évolution de la demande en eau potable reposent largement sur la mise en eau du barrage sur l’oued Ksob, proche de la ville d’Essaouira. La dotation du barrage pour l’ONEP est de l’ordre de 300 L/s et sera nécessaire pour alimenter le développement touristique et urbain principalement autour de la ville d’Essaouira, la nouvelle Essaouira (11 000 logements), la commune de sidi Jazuli et la station touristique de Mogador et des autres sites touristiques de Sidi Kaouki. Dans les zones rurales, le taux d’accessibilité à l’eau potable est de 52%. La profondeur des nappes phréatiques, et les coûts des citernes rendent les investissements difficiles pour de nombreuses communes rurales. De nombreux projets en cours de réalisation vont augmenter l’accessibilité à l’eau potable des communes rurales à 90% à l’horizon 2011 via des projets mis en place par l’ONEP et l’INDH5. Dans certaines zones côtières, des problèmes de salinisation des nappes par l’eau de mer se superposent à la difficulté d’accès.

* Eau agricole : Alors que beaucoup de projets de développement agricoles « classiques » se focalisent sur le développement de périmètres irrigués, les usages agricoles de l’eau ne sont pas au centre des enjeux dans cette région. Le projet de barrage de l’oued Ksob a principalement pour vocation d’alimenter la ville d’Essaouira en eau potable. Certains barrages comme celui de sont aménagés avec des périmètres irrigués destinés à une plantation d’agrumes. D’autres petits périmètres irrigués sont répartis sur le territoire, mais restent limités en termes de superficie. Certains périmètres irrigués et petites retenues d’eau sont soumis à des problèmes d’envasement et des problèmes de gestion des aménagements.

4 Office national de l’eau potable 5 Initiative nationale pour le développement humain 27 Prospectives territoriales en Pays de Haha

1.7. Organisation du territoire Au niveau rural, le territoire s’organise autour d’un ensemble de communes rurales qui se superposent à une organisation coutumière de l’espace. Depuis une dizaine d’années, des tendances prennent forme dans la gestion du territoire. Elles se caractérisent notamment par l’émergence d’associations pour la gestion du bien collectif et des projets de développement, sous la tutelle des autorités locales, représentant l’autorité du Ministère de l’Intérieur au niveau local. Celles-ci sont garantes du respect de la loi et de l’ordre public. Elles appuient la création des associations, et sont présentes lors des réunions des conseils communaux. Les services extérieurs de l’État interviennent également en fonction de leurs prérogatives (Délégation du Tourisme pour le tourisme, Direction Provinciale de l’Agriculture (DPA) pour l’agriculture, les Eaux et Forêts pour la forêt, …). Certains de ces services cherchent à attirer des investisseurs. Au niveau institutionnel, le Ministère de l’Intérieur constitue l’élément centralisateur de l’administration territoriale. Cette autorité est déléguée au niveau régional au Préfet de Région, puis au niveau provincial au Gouverneur de la Province, au Super Caïd, et enfin au Caïd dont dépendent les Moqadem et les Cheikh au niveau de la commune rurale.

Ministre de l’Intérieur Région Préfet de Région

Gouverneur de Province Province Super Caïd

Caïd

Cheikh Commune rurale Mokadem

Figure 9 : Schéma organisationnel de l’administration territoriale

Le territoire rural est également marqué par la structure sociale propre à une population dite « berbère » ou Amazigh. Le « fait » berbère est lié à un système linguistique s’étendant pour certains de l’Égypte à l’Atlantique et de la Méditerranée au fleuve Niger. Le territoire de notre étude est ainsi historiquement le territoire de la confédération des Hahas, regroupant une douzaine de tribus et dont l’origine remonte aux alentours du XII° siècle (Faouzi, 2005).

28 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Ce « fait » berbère se caractérise ainsi par une organisation socio-spatiale particulière et structurée autour de différents niveaux segmentaires, du foyer à la tribu. On peut distinguer traditionnellement 5 niveaux segmentaires : - la takat, ou foyer, unité socio-économique de base rassemblée autour du père de famille ; - l’ighs, ou lignage, qui regroupe par filiation de deux à près d’une dizaine de foyer ; - le douar, village composé de plusieurs ighs - la fraction, comprenant plusieurs villages - la tribu puis la confédération de tribu. Cette structure sociale se traduit en termes d’appropriation des ressources naturelles et influe fortement sur l’organisation du territoire (Auclair, 2000). Du champ aux pâturages collectifs en passant par les peuplements privatisés, différents régimes d’appropriation coexistent, laissant une large place aux régimes de propriété communs (Ostrom, 1990). Les champs, proches des habitations, sont en général privés (dits melk), appropriés par les takkat (ou foyer) ; en s’élevant sur les pentes, les zones dites « d’agdals » correspondent à des peuplements clairs d’arganier eux aussi privatisés (au niveau familial ou parfois au niveau de l’ighs, ou lignage) et sous lesquels la céréale est cultivée. Puis plus haut encore, les zones de pâturage collectif sous arganiers sont partagés à l’échelle de la fraction ou de la tribu. On peut ainsi identifier 3 grandes zones en fonction du type d’appropriation et du type d’occupation du sol : - les champs, sur lesquels on cultive la céréale en sec et qui sont privés ; - les « agdals » qui sont des zones où la récole d’arganier est appropriée privativement et sur lesquelles se trouvent parfois aussi des cultures céréalières en sec ; - les mouchàa, espace de parcours collectifs communs à un village ou une tribu. À cette première classification se surimpose la législation en matière forestière. En effet, le droit forestier moderne établi à l’époque du protectorat par le Dahir de 1917 (« grande loi ») institue la « domanialisation » des espaces forestiers dont la gestion est confiée aux services des Eaux et Forêts. Une législation spécifique, le Dahir de 1925 (« petite loi ») prend en compte les droits d’usage des ressources naturelles forestières des populations riveraines sur l’arganeraie. Ces deux lois forestières définissent deux types d’espace forestier en fonction des droits qui y sont accordés aux populations locales : - les forêts dites « à 7 droits », relevant de la « petite loi » de 1925 et concernant les forêts à Arganier pur. Sur ces forêts, les populations riveraines se voient reconnus les droits suivants :

o le ramassage du bois mort à terre ; o le parcours du troupeau familial ; o l’utilisation du sol (à des fins agricoles) ; o la récolte des fruits d’argan ;

29 Prospectives territoriales en Pays de Haha

o l’exploitation de bois de chauffage, de charbonnage et de service ; o la coupe des branchages pour clôtures ; o l’enlèvement de la terre, du sable et des pierres ; - les forêts dites « à 2 droits », qui relèvent de la « grande loi » de 1917 et qui concernent toutes le forêts en mélange et de thuya. Là, les seuls droits autorisés sont le ramassage du bois mort et le parcours du troupeau familial.

Ces différents éléments donnent une structuration particulière au territoire de l’arganeraie, schématisée dans la figure ci-dessous.

Zone céréalière

«mouchaa» collectif Zone «agdal » ou domanial « privatisé »

Forêt Terroir privé (melk) Forêt domaniale d’arganiers à 7 droits domaniale à 2 droits

Figure 10 : Le modèle de l’organisation de l’espace dans l’arganeraie (Bourbouze & El Aïch, 2005)

L’espace rural de l’arganeraie est constitué de propriétés privées individuelles, appelées également melk, où se trouve une partie des terres cultivées, et de la forêt domaniale qui se décompose en agdal et en mouchaa collectif. L’agdal est un terme polysémique qui désigne à la fois un espace privatisé de la forêt domaniale, caractérisé par une organisation agro-sylvo-pastorale spécifique, la pratique de la mise en défens sur

30 Prospectives territoriales en Pays de Haha cet espace, et la période de cette mise en défens6. En terme de gouvernance, l’agdal illustre un mode de gestion des ressources naturelles alliant le droit coutumier et le droit positif moderne (code forestier, code administratif, …). L’imbrication de la règle coutumière et de la loi issue des pouvoirs législatifs et réglementaires de l’État définit l’appropriation et l’usage des ressources par les ayants droits sur cet espace territorial spécifique. Selon la loi (Dahir) forestière de 1925, sept droits spécifiques sont accordés aux populations locales dans l'agdal : ramassage du bois mort, coupe de branchage, cueillette des fruits, parcours des troupeaux, labour, prélèvement du bois de chauffage, de charbonnage et de construction avec l'autorisation des services forestiers, prélèvement de terre, pierres ou sable. Le mouchaa désigne les massifs forestiers plus éloignés qui ont un statut collectif et sont librement accessibles et utilisés par tous. Ces espaces sont notamment utilisés d’une part par les paysans qui n’ont pas de terres pour faire pâturer leurs troupeaux, et d’autre part, par tous pendant la période de mise en défens annuelle de l’agdal. L’agdal constitue la forêt à sept droits par opposition à la forêt à deux droits où la population riveraine dispose uniquement un droit de ramassage du bois mort et de cueillette de fruits. Le schéma suivant proposé par Alain Bourbouze, illustre la dualité du système de gestion de l’agdal et du mouchaa, faisant appel à la fois à des droits et interdictions issus de la réglementation forestière et des usages définis par la règle coutumière.

Tableau 1 : Système de gestion dans l’agdal et le mouchaà

Réglementation forestière Usages et Réglementation coutumière • Droits de jouissance principaux : cueillette • Mise en agd al des parcelles à usage des fruits, ramassage du bois mort, privatif, choix d’un gardien, mise en place pâturage des troupeaux (sous entendu au éventuelle de clôtures, pâturage commun sol, le pâturage dans les arbres est en dehors des périodes d’agdal simplement toléré), mise en culture des • Accès libre aux « mouchaa » vides labourables, droit de clore, coupe de bois (soumis à accord préalable) • Application du droit successoral (héritage) pour les parcelles à usage privatif • Interdictions portant sur la coupe d es arbres, sur la mise en défens après les • Distinction entre droit de culture (orge), coupes droit de pâturage (sur chaumes) et droit de récolte (argan) • Droit imprescriptible d’exploitation de l’arganeraie par coupe à blanc (affectation de 80 % des recettes à la CR)

6 On retrouve par ailleurs l’agdal sous d’autres formes dans quasiment tous les terroirs berbérophones, s’appliquant à une grande diversité de ressources et pouvant être régis par une diversité de règles tout aussi grandes : agdal forestier, pastoraux, de culture, parfois même marins, apicoles… Tous ont en commun cette particularité d’être des espaces soumis à mise en défens plus ou moins temporaires dans le but de régénérer l’une des ressources portées par cet espace. 31 Prospectives territoriales en Pays de Haha

1.8. Historique des projets de développement La province d’Essaouira, caractérisé par un système socio-économique et écologique particulier, fait l’objet d’un intérêt certain de la part de nombreux organismes nationaux et internationaux (institutions publiques, ONG, Bailleurs de Fonds, …) ces dernières années. Nous choisissons de présenter, de manière non exhaustive, l’historique des projets ayant été mis en place dans la province depuis les 20 dernières années. 1988 : Projet d’Action Intégrée Interuniversitaire. Issu de la coopération entre la Faculté des sciences d’Agadir et de Grenoble, l’INRA de Dijon et de Jouy-en-Josas, ce projet s’inscrit dans la volonté de développer des recherches d’intérêt sur la valorisation socio-économique de la région. Il a permis, entre autres, la création d’un Programme de Recherche en Coopération (PRC) intitulé Agriculture Durable dans le Sud-ouest Marocain chargé de caractériser les sols et leur fertilité ainsi que des développements autour de la biologie et de l’agroforesterie. 1989 : OSS Observatoire du Sahara et du Sahel. Ce programme vise à aider les pays à lutter contre la désertification et les effets de sécheresse. 1995 : Expertise de la FAO sous financement de la Banque Mondiale. Ce projet s’est axé autour de la conservation et le développement de recherche pour une amélioration génétique forestière au Maroc. Une prise en compte de l’Arganier est apparue comme un nouvel enjeu dans le cadre de la stratégie du projet. 1995-2002 : Programme PCDA (Projet de Conservation et de Développement de l’Arganier) mis en place par la GTZ7. Ce programme s’est articulé autour de trois champs thématique : (i) des actions de sensibilisation à la création de coopératives dans l’aire Arganier, (ii) constitution de l’UFCA (Union Féminine des Coopératives d’Argan), (iii) l’accompagnement à la reconnaissance de la RBA (Réserve de Biosphère de l’Arganier) créée par l’UNESCO. 1998 : Création de la RBA (Réserve de Biosphère de l’Arganier) par l’UNESCO avec le support de la DREF (Direction Régionale des Eaux et Forêts) et de la GTZ (Coopération Allemande). 2001-2003 : Programme SMAP conduit par EnDA-Maghreb (Environnement, Développement et action au Maghreb) et le WWF sous financement de l’Union Européenne. Ce programme s’est centré sur des actions de gestion participative de l’Arganier et l’établissement de coopératives (Arganier et Plantes Aromatiques et Médicinales) à Imi-n-tlit. 2002 : Création du RARBA (Réseau d’Association de la RBA). Le RARBA, composée de 150 associations toujours en activités, agit pour promouvoir les différentes composantes dans le but de créer une action associative puissante et solidaire. 2003-2008 : Projet Arganier mis en place par l’ADS (Agence de Développement Social) sous financement de l’État et de l’UE. Ce projet a visé l’amélioration des conditions de vie, de travail et

7 Coopération technique allemande 32 Prospectives territoriales en Pays de Haha de revenus des femmes qui exploitent l’Arganier. Il s’est axé autour de trois thématiques : (i) développement des coopératives, (ii) stratégie de valorisation des produits Argan et (iii) mécanisation des procédés d’extraction. 2007-2009 : Programme POPULAR, financé par l’Agence Nationale de la Recherche Celui-ci cherche à comprendre l’articulation entre les politiques publiques et les dynamiques des systèmes locaux pour la valorisation, en utilisant une démarche interdisciplinaire. 2007-2010 : Projet PIC (Projet Interuniversitaire Ciblé) avec la collaboration de l’UCL (Université Catholique de Louvain) Ce projet vise à promouvoir une stratégie pour combiner le développement socioéconomique local et la conservation des écosystèmes autour de quatre communes entourant le jbel Amsiten. Ces différentes interventions extérieures ont contribué à modifier et à refaçonner le paysage local : création d’associations, de coopératives, appui aux collectivités locales et/ou aux administrations sectorielles… Le paragraphe suivant, dédiés à l’analyse du système de gouvernance territoriale des ressources naturelles, va nous permettre d’appréhender l’impact de ces interventions sur la dynamique institutionnelle locale.

2. Diagnostic : gouvernance

Le questionnement sur la gestion de l’action collective sur le territoire s’est faite par l’entrée environnementale et donc à l’aune des questions de gestion des ressources naturelles et de la ressource forestière en particulier. Le travail exploratoire nous a permis de mettre en évidence 4 fondements à l’organisation de l’action collective : * issu du droit coutumier * à travers les collectivités locales, et plus particulièrement les communes rurales * l’émergence d’un mouvement associatif plus ou moins structuré * et l’importance du rôle de l’administration territoriale : autorités locales représentant le Ministère de l’Intérieur au niveau local, ainsi que les différents services déconcentrés de l’État.

Ces modes d’organisation ne sont pas exclusifs les uns aux autres et, dans les faits, des interconnections entre ces formes d’organisation peuvent être notées, notamment par la présence de mêmes individus évoluant dans ces différentes sphères d’organisation. La gouvernance territoriale en terme de gestion des ressources naturelles sur notre zone d’étude a notamment émergé lors des entretiens à travers les questions relatives à la gestion coutumière de l’agdal et à la gestion des biens collectifs tels que la ressource forestière avec la mise en défens ou des adductions d’eau potable.

33 Prospectives territoriales en Pays de Haha

2.1. Gestion coutumière et organisation agro-sylvo-pastorale : le cas de l’agdal Les entretiens ont permis de donner une illustration (Fig. 11) de la gestion coutumière à travers l’exemple de la mise en défens temporaire coutumière (par opposition à la mise en défens dans un objectif de régénération) durant la période de fructification de l’arganier (de mai à Août).

Eaux et Forêts Plaintes

Plaintes PV

Auto Propriétaires surveillance Agdal Amine Gestion des conflits Renseignement sur la date

Crieur Nomination

Caïd

10 dh/famille/mois

Figure 11 : La gestion de l’agdal

Les propriétaires ayant des droits d’usage sur cet espace se réunissent pour décider de la date de fermeture de l’agdal. Cette date est communiquée au Caïd qui l’a transmet à un crieur au souk afin d’en faire l’annonce publique le jour du marché. La surveillance de la mise en défens se fait soit par les propriétaires (auto-surveillance) suivant un calendrier établi à l’avance, soit par un « amine », personne reconnue pour son intégrité qui est nommée par le Caïd et rétribuée par les familles (10Dh/famille/mois). Sur l’agdal, la gestion des conflits se fait par le Caïd, notamment sur des querelles de droits sur les terrains. Toutes infractions relevant du code forestier sont signalées au forestier (soit par l’amine, soit par les propriétaires) qui verbalise et dresse les procès verbaux. Dans ce mode de gestion, la commune rurale n’intervient pas bien qu’elle joue un rôle dans la décision des coupes proposées par les forestiers. En effet, les entretiens notamment des présidents de communes et de Caïd ou Khalifat ont spécifié que les communes rurales avaient le pouvoir de refuser des coupes sur des parcelles lorsque la population se montrait hostile à de telles opérations. Les communes rurales sont cependant en porte à faux sur ce type de décision, car du fait du dahir de 1976 relatif à l’organisation de la participation des populations au développement de l’économie forestière, elles perçoivent 80 % des revenus de la coupe, ce qui peut représenter une part non négligeable de leur budget. Pour ce qui concerne la gestion de la ressource forestière sur le territoire de l’arganeraie, A. Bourbouze propose d’illustrer le jeu d’acteurs selon le schéma ci-dessous.

34 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Forestiers Élus • protection et gestion sylvicole • recherchent des revenus pour de la forêt (coupes à blanc étoc la CR et souhaitent des coupes pour charbon de bois), 20 % (80 %) des revenus réinvestis • peu intéressés au long terme • souci de régénération de la gestion sylvicole • hostiles à la présence des • plus ou moins "tenus" par caprins leurs électeurs • favorables à la production Agriculteursd'argan Autorités locales • peu enclins à régénérer • souhaitent le calme et la paix l'arganier sans garanties de sociale et défendent propriété partiellement les intérêts des • l'arganeraie doit être un lieu populations de production d'huile d'argan, • aident les élus à aménager la d'orge et de viande caprine. CR Respect des usages • soutiennent "mollement" les • surpaturent l'arganier quand il forestiers est à usage commun ("mouchaa") • hostilesFigure aux coupes12 : L’arganeraie et ses acteurs (Bourbouze & El Aïch, 2005, p. 451)

2.2. La gestion des biens collectifs : exemple de la mise en défens forestière et des adductions en eau potable La gestion des biens collectifs telle que les adductions en eau potable et la mise en défens de parcelles situées dans l’agdal ou le mouchaa suite à des coupes à des fins de régénération donne une autre illustration des modes de gouvernance sur le territoire. Cette gestion illustre les relations parfois ambiguës entre les différents acteurs : bailleurs, services extérieurs de l’État, autorités locales, communes et associations de douar. Les entretiens montrent l’importance de plus en plus grande des associations sectorielles qui se constituent sous l’impulsion des services extérieurs de l’État et des autorités locales pour la gestion de biens collectifs : l’eau potable, l’électricité, la mise en défens forestière…

35 Prospectives territoriales en Pays de Haha

2.2.1. La gestion de la mise en défens forestière La décision de mise en défens (Fig. 13) forestière d’un espace sur une période de plusieurs années (interdiction de pâturage pour les caprins de 10 à 12 ans), par exemple, est prise par le service des Eaux et Forêts. Elle est ensuite confiée par cet office à une association sous les auspices de l’autorité locale du Caïd. En contre partie de la mise en défens l’association reçoit une subvention pour l’ensemble des usagers lésés par cette décision qui peuvent disposer de cette compensation en l’investissant dans des projets intéressant l’ensemble des parties (projets de pistes, de creusements de puits, …). La commune rurale reste en dehors de ce processus. Les Eaux et Forêts souhaitent que l’INDH (Initiative Nationale pour le Développement Humain) appuie les associations sectorielles afin qu’elles se diversifient et deviennent multisectorielles.

Figure 13 : La gestion de la mise en défens forestière

2.2.2. La gestion des adductions en eau potable Le mode de gestion pour la mise en défens forestière est quasi identique à celui des équipements en eau potable. A travers le programme PAGER (programme d’adduction en eau potable pour les populations rurales), l’ONEP (office nationale de l’eau potable) et la DPE (Direction Provinciale de l’Équipement) planifient la mise en place des adductions en eau potable et réalisent l’installation des équipements. La commune rurale est ici consultée dans ce processus et donne son point de vue. L’autorité locale intervient également en cas de conflits sur la localisation de telles installations et joue un rôle de médiation lorsque certains douars s’estiment désavantagés. Après la construction des équipements, leur gestion est confiée à une association sectorielle. Dans ce cadre, l’INDH et l’ONEP poussent pour que ces associations sectorielles deviennent multisectorielles. Soutenant les initiatives locales pour le développement, l’INDH encourage, en effet, l’implication de ces acteurs 36 Prospectives territoriales en Pays de Haha dans la création de projets de développement. Ces projets doivent être basés sur la promotion sociale des populations défavorisées et intégrer une dimension de respect pour l’environnement naturel. L’impossibilité de mettre en place une association pour la gestion de biens collectifs met souvent en exergue des difficultés voire des conflits politiques ou tribaux (et peut être les deux à la fois) pour la gestion de ces biens. Dans ce cas de figure et faute d’alternatives, la commune rurale prend en charge la gestion de ces équipements.

Figure 14 : La gestion des équipements d’Adduction en Eau Potable

2.2.3. Bilan concernant la gouvernance et la gestion du collectif Le modèle de gouvernance liée à la gestion des biens collectifs tel que nous l’avons observé sur notre zone d’étude est un système dynamique, évoluant au gré du jeu des différents acteurs, parties prenantes et de leurs interrelations.

AL ONEP EF DPA Autres Société civile Association AL : autorité locale sectorielle CR ONEP : Office Nationale de Association l’Eau Potable sectorielle Gestion ? EF : Eaux et Forêts DPA : Direction Provinciale Association Bien collectif sectorielle de l’Agriculture CR : Commune Rurale Coopératives Autres Association multisectorielle

37 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Figure 15 : La gestion des biens collectifs sur le territoire rural

Comme le montre le schéma ci-dessus (Fig. 15) de manière synthétique, concernant les communes rurales que nous avons étudiées, la gestion d’un bien collectif est souvent confiée à des associations sectorielles créées par les services extérieurs de l’État avec l’appui des autorités locales : Les Eaux et Forêts pour la ressource forestière et les mises en défens, l’ONEP pour la gestion des adductions en eau potable, la DPA pour l’agriculture, … Certaines associations sectorielles souhaitent ensuite se diversifier et devenir multisectorielles. Cependant, certaines personnes interrogées ont souligné le manque de moyens financiers qui ne permettaient pas à ces associations de mener à bien des projets de développement. Des intérêts contradictoires ou mésententes pour la constitution d’associations dans un objectif de gestion de biens collectifs ont également été évoqués. Le Khalifat de par exemple a mentionné ces difficultés pour la commune de Tidzi où il n’a pas été possible de créer une association pour un projet de gestion des adductions d’eau potable réalisées il y a cinq ou six ans : « Outre les difficultés liées aux frais de carburant pour la pompe, il y a deux autres types de difficulté : politique ; liés à la tribu. Pour les difficultés politiques, les camps opposés dans le conseil municipal ne sont jamais d’accord. On a essayé de gérer ça il y a 3 mois, mais ça n’a pas marché. Pour la tribu, idem, si je suis de la tribu A et vous de la B, je dirai non si vous dîtes oui et inversement, même si je suis d’accord. Et les deux se mélangent sans cesse. Ici, il y a une seule tribu : Aït Mhamed. Mais il y a plusieurs douars. Ici, 11 douars. Moi je suis de celui-ci, moi de celui là, et puis il y a les histoires liées aux familles de nobles. Si je suis d’une famille de noble, je ne vais pas vouloir discuter avec quelqu’un un d’une famille de pauvre». Dans ce processus de gestion, la commune rurale est le plus souvent absente ou mise à l’écart. Ce fait peut paraître paradoxal car la commune s’est vue attribuer une compétence générale en matière de gestion des affaires locales comme le souligne un rapport récent sur les rapports entre gouvernance et développement participatif au Maroc : « Outre les prérogatives économiques qui lui sont accordées, elle est chargée de l’ensemble des aspects ayant un rapport avec le cadre de vie des populations assurant ainsi la mise en place d’équipements et d’infrastructures de base, susceptibles de promouvoir les bases du développement local » (Royaume du Maroc, 2005, p. 23). Ce rapport souligne les difficultés d’application du droit communal liées aux rivalités et conflits politiques, tribaux ou personnels suscités par l’exercice du pouvoir communal et les risques que la compétition pour la magistrature communale fait encourir à l’intérêt local sur fond de pluralisme politique et de confrontation d’intérêts. Ces avatars dans la gestion communale ont été exprimés par certains acteurs locaux en signifiant leur désintérêt vis-à-vis de la commune car elle ne leur apporte rien, et selon eux c’est la raison pour laquelle la population n’en attend rien. Une étude de Bergh (2008) souligne cet aspect à propos des relations entre les associations et les communes rurales ; la plupart des membres associatifs qu’elle a interrogés, mentionnent qu’ils n’ont aucune coopération avec les communes, même si par ailleurs, plusieurs d’entre eux font état de demandes d’aide (notamment financière) faites auprès de ces mêmes communes. Son étude montre les faiblesses en terme de

38 Prospectives territoriales en Pays de Haha capacité et d’autonomie de ces communes rurales, notamment en terme financier : elles dépendent à 86 % des fonds issus des taxes prélevées par le gouvernement central. Enfin, selon elle, l’émergence d’une culture gestionnaire de la commune rurale n’a pas eu lieu, notamment à cause des tensions entre les membres de la commune rurale (personnel, conseillers et président de la commune), du rôle important joué par les autorités de tutelle et le Caïd dans le processus de décision local, et de la dépendance à l’égard des autres départements ministériels pour la planification et le financement des projets. A partir de la gestion des biens collectifs et du diagnostic des relations observées entre les différents acteurs sur le territoire autour de ces enjeux, des évolutions futures possibles de la composante « gouvernance » ont pu être dégagées.

2.3. Les évolutions envisagées de la composante « gouvernance » * Une première évolution envisageable correspond à un scénario de type « statu quo » : les services extérieurs de l’État continuent de soutenir le développement des associations sectorielles pour la gestion du bien collectif. * Une seconde évolution possible verrait les associations diversifier leur champ d’activité et se développer en associations multisectorielles. * Enfin une troisième possibilité réaliserait une rupture par rapport à la situation présente et permettrait aux communes rurales d’intensifier leur pouvoir et leurs marges de manœuvre ; elles seraient amener à gérer le bien collectif.

3. Diagnostic : filière huile

3.1. L’huile d’argan : un produit identitaire de l’arganeraie A l’origine, l’huile d’argan était produit pour la cellule familiale. Elle occupait une place importante dans le régime alimentaire et l’organisation sociale des populations locales. Les fruits étaient toujours transformés de manière traditionnelle par la femme, et l’huile était vendue sur le souk en cas de besoin financier par le père de famille. A partir des années 60, l’huile devient de plus en plus populaire, notamment avec les migrations, qui entraînent la création d’une demande par des urbains originaires de l’arganeraie qui se sont expatriés pour trouver du travail. Des circuits commerciaux (générant des revenus) spécifiques émergent alors pour répondre à la demande croissante liée au développement de pôles urbains régionaux (Agadir, Tiznit, Taroudant, Essaouira…). C’est l’apparition de nouveaux opérateurs, intermédiaires et commerçants, spécialisés dans l’approvisionnement en fruits, amandons ou huile, et qui visent une clientèle régionale, nationale, voire internationale. Ce sont eux qui les premiers tenteront d’améliorer les techniques de transformation.

39 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Les années 90 voient arriver la reconnaissance scientifique des vertus alimentaires, cosmétiques et thérapeutiques de l’huile (Z. Charrouf, 1984 ; biologistes et généticiens de l’université d’Agadir : Nouaïm, Belcadi, …). L’huile d’argan aurait des propriétés protectrices, adoucissantes, cicatrisantes et nettoyantes pour la peau, les cheveux et les ongles, et elle lutterait contre le vieillissement prématuré des cellules. Ces découvertes sont alors utilisées pour développer de nouveaux produits, notamment cosmétiques, et entraînent une forte augmentation de la demande sur divers marchés. . Très rapidement, les organismes de développement (Union Européenne, GTZ, Banque Mondiale, …), suivies par les ONG et les associations locales, mettent sur pied des projets pour valoriser au mieux cette ressource originale. Les premières coopératives féminines sont créées en 1996, avant même la création de la RBA. Aujourd’hui il en existe plus d’une centaine dans toute l’arganeraie. Avec les coopératives et l’essor du secteur privé, le produit argan rencontre un succès important : l’huile est vendue en grandes surfaces et dans les boutiques de luxe. L’exportation devient un débouché majeur et le produit se diversifie. Actuellement, la production d’huile d’argan est estimée à 4 000 tonnes par an, soit de 4 à 8 % de la production marocaine d’huile d’olive, mais le prix moyen du litre d’huile cosmétique est de 160 € sur les marchés d’exportation ! La filière argan s’est donc profondément et très rapidement transformée et est devenue une filière commerciale avec des potentialités économiques qui ne sont plus à prouver. Il est donc essentiel d’analyser cette filière pour comprendre la structuration du territoire. Pour cela, nous allons détailler la fabrication de l’huile, les différentes filières qui se partagent le marché et à la commercialisation des produits. On cherchera notamment à mettre en évidence par qui et où se fait la valeur ajoutée tout au long de la filière.

3.2. Étapes de fabrication La transformation du fruit de l’arganier en huile appelle différentes étapes de fabrication : * Le dépulpage des fruits afin d’obtenir des noix d’argan * Le concassage manuel : la noix est cassée afin d’obtenir les amandons * La torréfaction des amandons : les amandons sont grillés (uniquement pour l’huile alimentaire) * L’extraction d’huile par pressage des amandons. Aujourd’hui, toutes les étapes sont mécanisables, sauf l’étape du concassage, car les noix sont trop irrégulières en taille et en forme.

40 Prospectives territoriales en Pays de Haha

3.3. Filières On peut au premier abord distinguer 4 grandes filières de production / distribution de l’huile d’argan, schématisées ci-dessous :

Figure 16 : Diagnostic de la production d’huile d’argan

3.3.1. Filière traditionnelle La filière familiale traditionnelle perdure encore aujourd’hui, mais l’huile est de plus en plus vendue au dépend de la consommation personnelle. Les fruits sont ramassés par la famille, puis la femme s’occupe d’extraire l’huile manuellement, pour obtenir le produit traditionnel unique. Les agriculteurs sont toujours les seuls ayant-droit sur la production de fruit, et sont à la base de toutes les filières parallèles à la production familiale. Les autres filières qui se sont développées récemment sont beaucoup plus formelles et s’appuient sur la mécanisation et la différenciation de deux produits marchands : l’huile alimentaire et l’huile cosmétique.

3.3.2. Les coopératives Les premières coopératives féminines de production d’huile d’argan ont été créées dans les années 90. Il s’agissait de valoriser le travail de la femme, en lui permettant de s’organiser avec d’autres et de recevoir des cours d’alphabétisation. Dans ces structures, les femmes effectuent le même travail qu’auparavant, mais elles le réalisent à la coopérative et le salaire leur revient directement. Ce n’est plus le mari qui récupère le produit de la vente d’huile sur le souk. Elles sont rémunérées entre 20 et 41 Prospectives territoriales en Pays de Haha

40 Dh le sac d’amandons obtenu. De plus, les femmes des coopératives sont adhérentes, c’est-à-dire que l’outil de production leur appartient, et que les bénéfices sont redistribués en fin d’exercice, ou réinvestis dans l’outil de production. Le concassage est réalisé à la coopérative. Certaines grosses coopératives font également appel à des groupes de concassage dans des douars plus éloignés : les femmes travaillent alors dans un local loué ou bien chez elles. L’extraction mécanique de l’huile permet d’obtenir de l’huile cosmétique et alimentaire (dans ce cas, précédée d’une torréfaction), en vrac et en conditionné. Certaines coopératives ont gardé une extraction manuelle sur l’huile alimentaire, afin de valoriser un produit traditionnel. Les coopératives ont été développées sous l’impulsion et le financement de bailleurs de fond, la plupart du temps Européens. Aujourd’hui, seules quelques-unes sont parvenues à s’affranchir de ces soutiens financiers, mais elles ont dû dans ce cas supprimer le volet éducation et les crèches qui étaient proposées. Les autres ne sont toujours pas rentables en elles-mêmes.

3.3.3. Les sociétés privées Avec l’engouement pour l’argan, des sociétés privées se sont développées en parallèle des coopératives et leur nombre est en constante augmentation ces dernières années. Elles achètent des fruits sur les souks auprès des fournisseurs ou bien directement aux familles, et font concasser les noix par des femmes dans des locaux ou bien à domicile. Le salaire de ces femmes pratiqué sur le marché est calculé en fonction du sac de fruits dépulpés et concassés (50 Dh par sac de 60 kg de fruits), ou bien directement en fonction du kilo d’amandons concassé (12,5 Dh/kg). Ces deux systèmes sont équivalents, sachant qu’avec un sac de 60 kg de fruits, une femme obtient généralement 4,2 kg d’amandons. Le travail à domicile est souvent mis en avant car il permet à la femme de continuer à s’occuper du foyer et de travailler à son rythme en fonction de ses autres occupations familiales. Mais le salaire apparaît tout de même nettement moins élevé que dans les coopératives et les femmes sont de simples salariées. Les sociétés privées, qui produisent de très gros volumes d’huile (1000 à 2000 L/mois contre 1000 à 2000 L/an pour les coopératives), achètent souvent des amandons directement sur les souks. La traçabilité et la qualité des produits sont alors mises en doute. En effet, dans les familles qui élèvent des chèvres, une partie des amandons sont ramassés dans la chèvrerie (la chèvre a mangé le fruit et les amandons se retrouvent dans les déjections), et sont revendus au souk. Or, ce type de matière première garde une odeur de chèvre et donne une huile de moins bonne qualité. L’extraction est mécanique et permet, comme dans le cas des coopératives, d’obtenir de l’huile alimentaire et cosmétique, en vrac ou en conditionné. Il leur arrive également de vendre sur place toute une gamme de produits dérivés qui ont été produits à base de leur huile vrac dans un laboratoire au Maroc.

42 Prospectives territoriales en Pays de Haha

3.3.4. Les intermédiaires Avec le fort développement du marché, le nombre d’intermédiaires dans les transactions a explosé. En effet, les coopératives et encore plus les sociétés privées, vus les volumes visés, ne peuvent s’approvisionner directement auprès des familles, car chaque famille ne possède généralement que très peu d’arbres et le nombre de fournisseurs serait exagérément élevé. Des fournisseurs intermédiaires se sont donc installés sur le marché. Ils achètent des fruits ou des amandes directement aux familles ou bien sur les souks, souvent par l’intermédiaire de grossistes. Ils ont également développé leurs activités en faisant travailler des femmes à domicile ou dans des locaux pour concasser les noix, sur le même modèle que les sociétés privées. Certains vont même jusqu’à extraire de l’huile et la vendre sur les mêmes circuits que les sociétés privées.

3.4. Commercialisation

Figure 17 : Circuits de commercialisation en fonction du type de produit

Les circuits de commercialisation sont assez divers, avec un grand nombre d’intermédiaires et une grande partie du produit vendu en vrac (Fig. 17). L’huile produite traditionnellement à la maison reste à usage familial ou bien est vendue sur le souk. Concernant les deux autres types d’huile produites par les sociétés privées et les coopératives, une partie de la production est conditionnée sur le lieu de production et vendue sur place ou dans des établissements touristiques des villes balnéaires proches (centres de massage d’Agadir, magasins spécialisés à Essaouira), ou bien

43 Prospectives territoriales en Pays de Haha exportée. Le reste de la production est vendu en vrac par bidon de plusieurs centaines de litres directement à des sociétés étrangères ou bien à des intermédiaires qui prennent en charge l’exportation ultérieure. Pour les sociétés privées et les coopératives, le vrac représente en général au moins 60 % de la production, alors que c’est sur des produits conditionnés que la valeur ajoutée est la plus forte (1000 Dh/L contre 300 Dh/L pour le cosmétique). Simultanément, la majeure partie de la production est exportée (80 %) vers les pays occidentaux. Enfin, c’est l’huile cosmétique qui tire la production puisqu’elle représente jusqu’à 70 % du marché. Cette forte demande peut également expliquer pourquoi la proportion de vrac est si forte. En effet, le consommateur occidental de produits cosmétiques est peu habitué à utiliser de l’huile brute. Par contre, il sera beaucoup plus attiré par un produit dérivé à base d’huile d’argan, plus facile d’utilisation et bénéficiant d’un packaging plus « vendeur ». Les clients des coopératives et sociétés privées sont donc, en majeure partie, de grandes sociétés cosmétiques occidentales ou des laboratoires à Casablanca qui achètent en vrac puis retravaillent le produit pour le vendre élaboré sur les marchés occidentaux. Ainsi, l’essentiel de la valeur ajoutée s’effectue sur des produits dérivés qui ne contiennent qu’une infime partie d’huile d’argan (shampoings, crèmes, savon, …) et bénéficie à ces sociétés mais pas aux coopératives qui les fournissent en huile vrac. Il ressort de ce diagnostic de la filière huile quelques tendances structurantes qui serviront de base à la construction des scénarios.

3.5. Points importants pour la construction des scénarios

3.5.1. La multiplication des acteurs et des spéculateurs Avec le développement du marché de l’huile d’argan, le nombre d’opérateurs s’est multiplié : intermédiaires, sociétés privées, coopératives… Les intermédiaires, en particulier, ont pris une grande place sur le marché. Or, cela implique qu’une grande partie de la valeur ajoutée du produit est captée par ces intermédiaires, au détriment des coopératives par exemple. De plus, de grandes sociétés privées achètent des fruits ou des amandons dans la région et les transportent ailleurs pour la transformation (à Casablanca ou même à l’étranger). Il y a donc une fuite importante de la valeur ajoutée vers d’autres zones du Maroc et vers l’étranger. Ces sociétés privées prennent donc un poids de plus en plus important dans la filière, d’autant qu’elles ont beaucoup plus de liquidités pour pouvoir acheter la matière première au prix fort. La concurrence pour cette matière première est donc très forte envers les coopératives qui ont moins de marges de manœuvre et restent très dépendantes des subventions des bailleurs de fond. On peut donc se demander quelle place elles pourront conserver à l’avenir dans un contexte de rareté de la ressource face à des sociétés privées agressives, en particulier dans le cas où les bailleurs de fonds réduiraient ou arrêteraient leur apport financier.

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3.5.2. Une image fragilisée L’image du produit argan n’est plus aussi fiable qu’auparavant. Avec l’augmentation des prix et la multiplication des acteurs, on observe une augmentation des fraudes (des huiles mélangées) et baisse de la qualité (avec par exemple l’utilisation d’amandons passés par le tube digestif de la chèvre). Cette baisse de la qualité s’accompagne également de la baisse de la confiance accordée aux vendeurs, suite à des reportages mettant en cause les discours de certaines sociétés privées et vendeurs qui jouent sur l’image de la femme et de la coopérative pour vendre leurs produits aux touristes, alors que dans ces structures, la femme est beaucoup moins mise en valeur que dans les coopératives. Un projet d’Indication Géographique est en cours, afin de garantir une meilleure qualité du produit et de conserver la valeur ajoutée dans la région. En effet, selon la loi marocaine de 2008, une indication géographique sur un produit assure qu’une étape au moins de la production/transformation de ce produit est effectuée sur la zone désignée pour l’IG (ici l’arganeraie). Ce projet est porté par l’Amigha (Association Marocaine d’Indication Géographique d’Huile d’Argan), qui regroupe des coopératives, des GIE ainsi que des sociétés privées. L’IG va même beaucoup plus loin que ce qu’exige le texte de loi, car selon quelques acteurs rencontrés, toutes les étapes de transformation devraient être effectuées sur place. Un tel label peut avoir des conséquences importantes car toutes les activités de transformation et conditionnement qui s’effectuent actuellement à l’extérieur de l’arganeraie devraient être relocalisées dans le territoire de l’arganeraie. Cela obligerait de grosses entreprises de Casablanca par exemple à se déplacer vers Agadir ou Essaouira, avec un retour de la valeur ajoutée vers la région productrice de noix d’argan. Le cahier des charges imposerait également des normes de qualité qui donnerait une meilleure image et une meilleure confiance dans le produit labellisé. Mais le cahier des charges (concernant le lieu des différentes étapes de transformation ainsi que les normes de qualité) n’est pas encore finalisé et on peut donc se demander quelle sera la portée réelle d’un tel label.

3.5.3. Le succès de l’huile d’argan : un effet de mode ou une tendance durable ? Le succès de l’huile d’argan a pour moteur une très forte demande des pays occidentaux, en particulier pour l’huile cosmétique. Le marché est ainsi tiré par l’export, avec une demande souvent supérieure à l’offre. La tension sur les ressources, qui sont limitées, est donc très forte et les prix des matières premières se sont multipliés en une décennie (de 1dh/kg en 2003 à 4-5 Dh/kg en 2009 pour les fruits ; de 45 Dh/kg en 2003 à 70-90 Dh/kg en 2009 pour les amandons). Cette hausse s’est répercutée sur le produit qui atteint un prix très fort (jusqu’à 1000 Dh/L pour l’huile cosmétique conditionnée). On peut dès lors s’interroger sur la tendance du marché avec des prix si élevés : la demande va-t-elle se maintenir ou l’effet de mode pourrait-il disparaître ?

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4. Diagnostic : Systèmes de production

Ce diagnostic se décompose en deux parties. Dans la première, l’analyse se place à l’échelle de l’exploitation afin de définir les principaux traits la caractérisant. Ensuite, nous nous intéressons aux principaux éléments moteurs agissant sur le système de production afin de mettre en perspective les leviers d’actions pour l’avenir.

4.1. Exploitations agricoles : homogénéité autour de deux systèmes de production et diversité en termes de taille d’exploitation

4.1.1. Caractérisation des éléments qui expliquent l’homogénéité et la diversité au pays Haha A l’issue de ce diagnostic, il apparaît qu’il n’existe dans le pays de Haha que très peu de systèmes de production de type « capitaliste », reposant sur la production de produits agricoles à forte valeur ajoutée, l’irrigation, et utilisant uniquement de la main d’œuvre salariée. La grande majorité des exploitations est en effet de type extensif et diversifié. La caractéristique extensive peut être définie comme un mode de production avec un rapport rendement par unité de surface assez faible. La situation de l’élevage caprin dans ce pays Haha en est un bel exemple. Le pâturage est pratiqué au fil de l’année et les chèvres sont très rarement gardées et nourries en enclos ou en stabulation. La gestion du troupeau repose principalement sur le système de la vaine pâture. La diversification au sein des exploitations se traduit par un ensemble d’ateliers animaux et végétaux. Le système de production peut être défini comme un ensemble structuré de moyens de production combinés entre eux pour assurer une production végétale et/ou animale en vue de satisfaire les objectifs et besoins de l’exploitant et de sa famille (Jouve, 1992). La différence entre les exploitations ne se traduit pas par une grande diversité des productions végétales et/ou animale. Une certaine homogénéité peut être observée entre ces exploitations à l’échelle des ateliers (animal et végétal). La différence entre les exploitations se caractérise davantage au niveau des moyens de production de par leur taille. Trois facteurs ont été retenus pour différencier les moyens de production : 1) La Surface Agricole Utile (SAU) localisée sur les terres privatives (Melk) varie en fonction des exploitations. 2) La Taille du cheptel caprin et de manière secondaire du cheptel ovin. 3) La Main d’œuvre familiale ou salariée dominante sur l’exploitation

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4.1.2. Description de la typologie des exploitations et mise en lumière des différences entre les systèmes d’exploitation familiale et patronale.

Tableau 2 : Catégorisation des différents systèmes de production au pays Haha Source : DPA Essaouira, 2000 Taille du cheptel Catégorie % SAU (ha) Main d’œuvre caprin Petite 77,8 < 5 < 30 familiale exploitation

Moyenne familiale 19,2 Entre 5 et 20 Entre 30 et 70 (+ salariée exploitation saisonnière) Grande 3 > 20 > 70 salariée exploitation Note : Dans le tableau ci-dessus, le pourcentage est exprimé en terme de superficie cumulé de l’ensemble des exploitations de la catégorie / SAU total disponible au pays de Haha (SAU total = 81 411 ha)

La catégorie « petite exploitation » regroupe la majorité de celles présentes dans le pays Haha. Ces petites exploitations sont caractérisées par une SAU inférieure à 5 ha et par un cheptel caprin ne dépassant pas les 30 têtes. La main d’œuvre est familiale. A l’inverse, la catégorie « grande exploitation » ne couvre que 3 % de la SAU totale bien que ces systèmes de productions aient une SAU supérieure à 20 ha. Outre la surface, le type de main d’œuvre nécessaire pour faire fonctionner ce système de production est différent : la majorité du travail est réalisé par de la main d’œuvre salariée. Les personnes issues de la famille se chargent davantage de la gestion de cette main d’œuvre. Ainsi, deux grands systèmes de production peuvent être définis : (i) un système de production qualifié de « patronal », regroupant les grandes exploitations ; et (ii) un système de production qualifié de « familial », englobant les petites exploitations. En ce qui concerne les moyennes exploitations, elles sont à mi-chemin entre les petites et les grandes exploitations, même si elles se rapprochent davantage d’un système de production familial. Après cette typologie des exploitations, la description des sources de revenus permet d’apporter une nouvelle dimension à la compréhension du fonctionnement des exploitations agricoles au pays Haha.

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4.1.3. Comment se composent les sources de revenus au sein des systèmes de production familiaux et patronaux ?

Figure 18 : Description d’un système de production familial type en pays Haha Source : Élaboration propre selon données de terrain

Afin de déterminer les principales sources de revenus dans une exploitation de type familiale, il est nécessaire de comprendre comment ce type d’exploitation fonctionne. L’élément qui est apparu comme central lors des entretiens pour ce système de production, est l’élevage caprin. En effet, la vente de chevreaux (souvent âgés entre 6 et 12 mois) représente une part importante des revenus des familles. Autour de cet élevage, gravitent la céréaliculture et le pâturage dans l’arganeraie. La céréaliculture, généralement à base d’orge, est destinée dans la plupart des cas au cheptel de l’exploitation ainsi qu’à la réserve de semence pour les années à venir. La récolte de cet atelier est souvent consommée sur l’exploitation sauf quand la famille a un besoin d’argent à court terme. Dans ce cas précis, le chef d’exploitation va vendre une partie de sa récolte au souk. Parfois, il fait appel à un entrepreneur agricole pour réaliser des travaux : labour, épierrage, moisson, transport d’eau sont les principales activités qui peuvent être sous-traitées grâce au tracteur. La main d’œuvre est exclusivement familiale. Et durant des années sèches, il est nécessaire que le chef d’exploitation aille travailler à l’extérieur afin de ramener quelques revenus à la famille. Depuis le boom de l’huile d’argan, beaucoup de familles ont cessé d’auto-consommer les produits issus de la noix d’argan et préfèrent les vendre à des intermédiaires ou directement au souk (pour l’huile alimentaire). Cette vente n’est pas négligeable dans les revenus de la famille. En ce qui concerne les arbres vergers tels que l’olivier ou l’amandier, la récolte est souvent aussi autoconsommée par la famille. Cependant, il est apparu lors des entretiens que certaines familles vendaient une partie de leur production pendant les périodes sèches. L’apiculture est une autre production possible, les années où la sécheresse est modérée. Mais cette production n’est pas stable : comme la céréaliculture, elle est très dépendante des conditions climatiques. 48 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Cette diversification des revenus est essentielle pour les familles car elle permet de mieux résister aux aléas. Mais cette configuration d’exploitation ne permet pas de garder un nombre important de personnes sur l’exploitation car elle génère un revenu faible, dépendant du cheptel et de la SAU. L’émigration d’une part très importante de la famille constitue un apport de ressources vital pour ce type d’exploitation.

Figure 19 : Description d’un système de production patronal type en pays Haha Source : Élaboration propre selon données de terrain

Concernant le système de production patronal, les différents ateliers sont de même nature que l’exploitation familiale. La différence réside principalement dans la taille des ateliers et la main d’œuvre qui y travaille. Le chef d’exploitation emploie généralement de la main d’œuvre non familiale qui est payée à la tâche ou au mois. Par exemple, l’encadrement du troupeau est délégué à un berger, étant donné la taille importante du cheptel (plus de 70 caprins et autres animaux tels que les ovins). Comme l’exploitation familiale, ce système de production base une bonne partie de ses revenus sur la vente de chevreaux. Les céréales (orge et blé dur principalement) sont exclusivement réservées au cheptel de l’exploitation. L’autoconsommation d’huile d’olive et d’huile d’argan est plus courante que chez l’exploitation familiale de petite taille. Ce type d’exploitation a pu profiter de l’aide de l’état pour planter des arbres tel que le caroubier. Parce qu’ils ont pu arroser ces arbres lors des longues périodes sèches, ils n’ont pas eu trop de pertes, à la différence des petites exploitations. La majorité des membres de la famille de ce type d’exploitation semble avoir fait des études et a émigré en ville pour chercher un travail plus rémunérateur que dans l’exploitation. C’est une des raisons qui explique pourquoi ce type d’exploitation préfère employer de la main d’œuvre extérieure plutôt que familiale.

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Après avoir décrit l’organisation au sein des deux types de systèmes de production, nous allons essayer d’analyser comment se réorganise le système de production familiale dans le cas d’un aléa climatique devenu structurel : la sécheresse.

4.1.4. Comment sont connectés la SAU, le cheptel caprin et les revenus, avec la sensibilité aux facteurs structurants? Analyse sur le cas de la sécheresse. Le relief accidenté dans la région de Haha (piémont et montagnes moyennes) s’ajoute aux faibles superficies et au morcellement des parcelles. Il en résulte une faible adoption de techniques performantes de mise en valeur agricole comme la mécanisation. A peine quelques exploitations ont recours à la mécanisation (tracteurs) pour les travaux du sol essentiellement le labour superficiel et pour la moisson. Sinon ces machines seront utilisées pour les travaux d’épierrage et de transport d’eau.

Le crédit agricole, qui est en principe destiné au financement des travaux agricoles et à l’achat des animaux de trait ainsi qu’au creusement des puits, se heurte au problème de la taille de la propriété et surtout au manque de bornages qui empêche d’officialiser les parcelles en propriétés qui pourront être un gage pour la banque. Les petits propriétaires restent donc privés de ces prêts.

Les ressources en eau dans la région de Haha sont très limitées. Les précipitations jouent donc un rôle primordial dans l’activité agricole. Puisque le climat de la zone est de type semi aride ou la saison sèche s’étend sur plus de 7 mois. La sécheresse est un élément structural qui affecte les systèmes de production. En cas d’insuffisance, les exploitants ont recours à diverse stratégies parmi lesquelles : - La réduction du cheptel - L’abandon de culture ou réduction des superficies cultivées - Les migrations saisonnières ou permanentes vers des villes comme Agadir, Marrakech ou Casablanca (travaux agricoles et travaux en bâtiment). Ce phénomène d’exode peut vider les douars de leur force active où ne restent que les femmes, les enfants et les vieillards.

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Figure 20 : Description d’une petite exploitation familiale type en cas de sécheresse Source : Élaboration propre selon données de terrain

En cas de sécheresse, la configuration du système de production des petites exploitations est modifiée. Ce facteur structurel agit à différent points, et affecte la gestion « classique » de l’exploitation : la production d’orge est compromise par cet aléa. Sans moisson de l’orge, l’exploitant doit puiser dans ses réserves constituées durant les années pluvieuses afin de compléter l’alimentation de son cheptel, en plus du pâturage dans l’arganeraie. Cependant, il doit avoir recours à l’achat de farine d’orge ou de blé dur achetée au souk. Cet achat ne peut être que temporaire car il pèse lourdement sur le budget. Les revenus de la vente de chevreaux diminuent car la sous nutrition les affaiblit. Par conséquent, à la sortie de la période sèche, le nombre de chevreaux et leurs poids carcasses sont plus faibles qu’en période normale. Si les ventes de noix ou d’huile d’argan des années précédentes ne parviennent pas à combler le coût d’achat d’aliments et d’eau pour le troupeau, l’éleveur doit décapitaliser une partie de ses biens en vendant des chèvres au souk afin de rééquilibrer l’exploitation. Parfois, quand les exploitants ont cotisé à un groupement d’éleveurs, ils peuvent recevoir des subventions en aliment en cas de sécheresse ainsi que des traitements sanitaires sur le troupeau caprin. Cette vulnérabilité à la sécheresse semble dépendre principalement de l’épargne que l’exploitation, qu’elle soit familiale ou patronale, arrive à tirer de sa production. Si un exploitant a des revenus suffisants pendant les années pluvieuses, il peut épargner une partie. Avec cela, il sera capable, en cas de sécheresse, d’acheter des compléments, de l’eau, etc. De même, s’il a rejoint un groupement, il recevra certaines garanties face à cette sécheresse. Les revenus, comme il a été mentionné précédemment, dépendent de la SAU. D’après les entretiens, la chèvre est considérée comme un capital facilement mobilisable. De plus, un grand troupeau de chèvres est perçu comme un facteur de réussite dans les villages. Ainsi, il est

51 Prospectives territoriales en Pays de Haha possible de mettre un lien positif entre la SAU, les revenus agricoles, la taille du cheptel caprin et la résistance du système de production face à la sécheresse. Outre les conséquences de la sécheresse, les problèmes d’accès au crédit par les exploitants et le morcellement du foncier sont des enjeux majeurs dans le pays Haha.

4.2. Quels sont les éléments moteurs agissant sur le système de production ?

Figure 21 : Schéma des principaux ateliers, quelques acteurs et éléments interagissant Source : Élaboration propre selon données de terrain

L’arganier, considéré de par la loi comme un arbre forestier et non fruitier, tient une place assez importante dans les systèmes de production de Haha. Les forêts d’arganier dans cette région couvrent une superficie de 107 772 ha, elles assurent la production des noix d’argan et la production de l’huile d’argan. Elles représentent la base d’alimentation des cheptels caprins, elles fournissent du bois de feu, etc. Les principales productions sylvicoles proviennent de l’arganier et du thuya. Ce dernier est largement exploité dans l’artisanat (les souches sont utilisées pour les objets de décoration et le tronc pour le mobilier). Les forêts de thuya sont affectées à des activités ciblées autour de la production de bois (madriers, bois de construction et menuiserie) et souches pour la marqueterie. Or le volume mis sur le marché est de plus en plus faible, particulièrement quand il s’agit des souches et madriers qui deviennent de plus en plus rares. En ce qui concerne la filière de bois de feu, on peut distinguer deux sous-filières : l’une officielle, l’autre illégale, concernant les pratiques illicite à travers les délits de coupe et de carbonisation. Cette dernière est très importante car le bois de feu est très recherché et les acteurs de cette sous-filière constituent des opérateurs dynamiques dans le 52 Prospectives territoriales en Pays de Haha

processus de vente de bois. Les produits sont écoulés directement en ville, sans intermédiaire, sauf parfois pour le charbon de bois. Cette pratique semble constituer une source de revenu non négligeable pour une population rurale assez pauvre. La production sylvicole est du ressort du forestier. En dehors des forêts d’arganiers, toutes les forêts sont aménagées ; la programmation des coupes suit le plan de gestion, en dehors des coupes sur proposition spéciale (comme dans le cas des coupes sur des arganiers). Ces coupes sont censées permettre la régénération végétative de superficie dépérissante ou vielle, surtout d’arganier, l’alimentation en bois de feu et charbon du bois, et l’encaissement des trésoreries des communes rurales. Elles peuvent donner lieu à une opposition de la population, surtout du fait des mises en défens (interdiction de parcours) qu’elles entraînent. Mais globalement ces mise en défens paraissent respectées. En ce qui concerne les Plantes Aromatiques et Médicinale (PAM), aucune filière proprement dite n’est identifiée au niveau de la zone. Il n’y a qu’un circuit de récolte et de commercialisation local. A l’époque, les gens ramassaient le thym ; cette pratique semble abandonnée au profit des apiculteurs et de la production de miel. Néanmoins, la richesse floristique locale a poussé l’ONG ENDA Maghreb à s’investir dans la mise en place d’une coopérative « Tudert » pour mettre en valeur ces PAM, et d’une pépinière villageoise pour la production des diverses potentialités des PAM de la région pour les transformer en savon, ou autre produit. La production est concentrée au niveau de la pépinière. Cette faible production a permis la production de savons. Le marché local est le premier demandeur de ce produit. Mais l’espoir concernant le développement du tourisme rural permettra peut-être d’étendre les perspectives commerciales de ces produits. Actuellement une convention de partenariat est en cours d’élaboration entre la coopérative Tudert et le HCEFLCD. Une convention qui s’étale sur 3 ans et qui visent l’exploitation par la coopérative de 6 tonnes de thym (destinées au séchage et conditionnement). La recherche du miel et l’élevage d’abeilles traditionnel, utilisant des ruches fabriquées à partir de bûches et d’écorce font depuis longtemps partie de l’économie complémentaire. La ruche à cadre qui caractérise l’apiculture moderne est très peu répandue même si elle est connue de la plupart des paysans. Le besoin d’investissement supplémentaires, le manque de connaissance sur leur conduite et l’utilisation des équipements auxiliaires constituent des freins du développement de l’apiculture moderne.

4.2.1. Mise en évidence des facteurs structurants (sécheresse, foncier, tourisme) et en quoi ils peuvent ou pourraient interagir avec le système de production. Si le littoral connaît actuellement une nouvelle dynamique liée au développement du secteur touristique (station Mogador, quelques projets touristiques déjà installés à Sidi Kaouki et des demandes d’autorisation en cours de traitement à Sidi Kaouki, Essayéh et ), les 53 Prospectives territoriales en Pays de Haha retombées tardent à se faire sentir dans l’arrière pays. Les populations dont l’activité principale reste l’agriculture, sont touchées par les dernières années de sécheresse. Une autre question qui se pose aujourd’hui par rapport au développement de ce secteur est d’ordre foncier : une grande partie de la superficie de la province est occupée par la forêt, domaniale et inaliénable. Une des solutions pour l’extension des surfaces des exploitations serait le recours à la procédure d’occupation temporaire du domaine forestier. Toute occupation temporaire est assujettie à des redevances annuelles (redevance relative à l’occupation du sol et redevance relative à la superficie bâtie), dont 80% sont versée à la commune et 20% au Fonds National Forestier.

4.2.2. Présentation des acteurs qui interagissent avec le système de production (amont et aval) * Les coopératives déjà mises en place (coopérative de l’huile d’argan, PAM, …) * Les intermédiaires au sein de plusieurs filières comme les commerçants et les transformateurs pour la filière caprine, les grossistes de noix, d’huile ou d’amandons pour la filière argan, et les acheteurs de noix de caroube. * Direction Provinciale de l’Agriculture (DPA). D’un point de vue encadrement, la DPA assure le suivi, la vulgarisation et la modernisation agricole. Elle est organisée en service (service de production végétale, élevage, étude et programmation). Sur le terrain des centres délocalisés appelés Centres de Travaux (CT), assure un service de proximité par la vulgarisation de l’innovation agricole. Le personnel des CT s’appuie sur des séances de sensibilisation et de démonstration, information sur prix afin de faire passer les messages aux agriculteurs intéressés. * L’administration des Eaux et forêt. En tant qu’arbre forestier, l’arganier est sous tutelle de l’administration des Eaux et forêts. Aussi les PFNL8 tels que les PAM sont soumis au régime forestier comme l’activité mellifère. Installer une ruche sur domaine forestier nécessite une autorisation d’occupation temporaire du domaine forestier. La gestion des peuplements d’arganier et de thuya (sylviculture, rajeunissement, régénération, …) relève des compétences du SPEF d’Essaouira. En l’occurrence le CDF de Smimou. Sur le terrain ce sont les chefs district, de triage et les cavaliers qui surveillent et contrôlent le territoire (suivi des travaux de sylviculture, répression de délits, surveillance des mises en défens). * Le Groupement Essaouira-Argane. C’est un groupement d’éleveurs caprins dans la province d’Essaouira crée en 2005 sous la tutelle de l’Association National des éleveurs Ovins et Caprins (ANOC). Cette association a pour objectif d’identifier les races caprines et ovines et de les homogénéiser. Le groupement Essaouira-Argane s’est constitué afin de regrouper des éleveurs qui souhaitaient participer à l’homogénéisation de la chèvre du pays Haha.

8 PFNL : produits forestiers non ligneux 54 Prospectives territoriales en Pays de Haha

4.2.3. Mettre en évidence les leviers d’avenir Le Maroc vient d’élaborer un nouveau plan de développement de son agriculture au niveau national, très sectoriel : le Plan Maroc Vert (désormais PMV). Ce dernier vient en remplacement d’un plan plus intégré au succès mitigé (MADR, 2005), la stratégie 2020 de développement rural. L’objectif général de ce PMV est de « faire entrer l’agriculture marocaine dans le XXIème siècle ». Dans une volonté de devenir une puissance agricole sur la scène internationale, l’Etat marocain a choisi de développer ses potentialités agricoles en modernisant sa politique d’appui et d’encadrement de l’agriculture. Le PMV a une portée nationale mais sa mise en œuvre se fait à l’échelle des provinces, sous l’autorité du gouverneur et de la DPA. A la date où le diagnostic a eu lieu, le PMV n’a pas encore été appliqué par des actions concrètes. L’étape dévoilant les grands principes fondateurs ainsi que le lancement d’une étude de potentialités agraires de chaque province s’est déroulé durant l’année 2008. Ces principes valables à l’échelle nationale reposent sur deux grands piliers : le premier pilier est caractérisé par l’exploitation de terres inexploitées actuellement, fautes de statut juridiques précis, en encourageant des investisseurs privés à mettre en valeur ces zones. Le second pilier s’adresse principalement à l’agriculture et l’élevage pratiqué par les populations locales. Ce second pilier s’appuie sur une approche sectorielle. Le choix des secteurs agricoles à développer est réalisé par province. En ce qui concerne la province d’Essaouira et plus précisément en pays Haha, le second pilier est la pierre d’angle du plan provincial. Début 2009, la deuxième étape a été amorcée avec le dévoilement des secteurs agricoles qui allaient être soutenus par ce plan ainsi que les objectifs fixés en deux phases : 2009-2013 et 2013-2020. Les principaux secteurs stratégiques visés par DPA, pour la région de haha, dans le cadre du PMV sont : * Élevage caprin : le PMV vise la valorisation de la viande caprine d’origine sylvo-pastorale. Il appui par là le système chèvre-arganier et souhaite structurer une véritable filière autour du chevreau de l’arganier avec un label, des groupements, des intermédiaires définis. * La filière Argan : le PMV espère, en appuyant l’organisation des acteurs en associations permettre le développement de l’amont de la filière. * L’apiculture : L’objectif est de moderniser la production mellifère de la région par le changement des pratiques : adoption de ruches à cadre, formation des exploitants, création de transhumance des ruches pendant les périodes de sécheresse et agrégation des producteurs de miel en groupement. * Le caroubier : Avec les récents travaux réalisés par la DPA sur le greffage des caroubiers, il est envisagé de supporter la distribution de plants aux exploitants afin de développer de manière considérable la production de noix de caroubes afin de les transformer dans l’usine à Essaouira ou bien de les exporter hors de la province. * Les PAM

En dehors du PMV, notre diagnostic met en évidence la vulnérabilité des petites exploitations aux éléments structurels, en particulier de la sécheresse. De plus, il est apparu que le développement de 55 Prospectives territoriales en Pays de Haha la filière huile d’argan et la filière chèvre pourraient jouer dans l’intérêt des systèmes de productions, en particulier des grandes. Ainsi, il est important de se questionner sur l’avenir des ces systèmes de productions familial et patronal car ces deux types de systèmes de production n’auront certaines pas les mêmes intérêts à faire valoir dans ce PMV.

5. Diagnostic Écosystème

5.1. Contexte et objectifs L’arganeraie représente un écosystème agro-sylvo-pastoral d’une grande originalité. Cette espèce endémique du Maroc se répartit depuis le Nord-est d’Essaouira jusqu’à la vallée du Souss. Avec l’objectif de préserver cet espace, le gouvernement marocain a obtenu, en décembre 1998 auprès de l’UNESCO, sa reconnaissance en tant que Réserve de Biosphère d’Arganeraie (RBA).

Le diagnostic Écosystème est établi à partir de deux types de données : celles recueillies à partir des entretiens menés auprès des acteurs et celles issues de la littérature (articles scientifiques, thèses et rapports de stage). Il ne constitue nullement une expertise ; une part de l’analyse est issue de positions que nous adoptons et de certains critères que nous choisissons volontairement de mettre en avant. La réalisation de ce diagnostic sur la dynamique actuelle et future de l’écosystème arganeraie s’est heurtée à une difficulté majeure, le manque de données écologiques sur la zone étudiée. Comment, dans ce contexte, réaliser ce diagnostic à partir des entretiens ? On peut distinguer plusieurs enjeux par rapport à ce diagnostic, enjeux qui ont été intégrés dans le guide d’entretien (voir annexe) : * Accéder à la vision de l’arganeraie de la personne interviewée (est elle vue comme un écosystème, comme une ressource, …) par l’intermédiaire des interactions entre acteurs et arganeraie. On interroge ici les pratiques des acteurs par rapport à l’arganeraie pour accéder à ces représentations. * Interroger la dynamique de « dégradation » : certains acteurs mettent en avant la dégradation de l’arganeraie, d’autres non. Elle est donc enjeu de controverses qu’il nous faut mettre en lumière : quelles sont les caractéristiques de la « dégradation » chez les acteurs qui en parlent, quelles dynamiques écologiques mettent-ils en avant, quels critères utilisent-t-ils pour évaluer cette dégradation ? * Effectuer un zonage de la dégradation en prenant en compte le zonage coutumier (agdal, mouchaà, …), le zonage administratif (forêt à deux ou sept droits) et les zones de protection de l’environnement (zones A de la RBA, SIBE). Cette problématique est très difficile à traiter par les entretiens. En effet, ce zonage de l’espace n’est pas également pertinent pour tous les acteurs rencontrés. En l’absence de données exploitables sur cette problématique, on ne la développera pas dans ce diagnostic. Le seul zonage qui ressort assez bien des entretiens concerne les différents écosystèmes (arganeraie vs. forêt de thuyas). 56 Prospectives territoriales en Pays de Haha

5.2. Traitements des données

5.2.1. État de l’écosystème Dans un premier temps, nous cherchons à comprendre la vision des acteurs en ce qui concerne l’état de l’écosystème dans le but de distinguer ceux qui mettent en avant la dégradation et ceux qui, au contraire, mettent en avant sa conservation. Les résultats montrent que cette vision varie selon le discours des acteurs et selon le type de forêt considérée. Certains d’entre eux envisagent l’arganeraie à l’état d’équilibre. Ils considèrent qu’il existe une complémentarité entre les activités humaines, agriculture et pâturage notamment, et la pérennité de l’écosystème. D’autres acteurs considèrent l’écosystème arganeraie comme dégradé et invoquent différentes causes pour expliquer cette dégradation ; surpâturage et perte des plantes accompagnatrices liée au labour des terres font parties des arguments les plus souvent cités. Enfin, certains acteurs établissent des diagnostics de l’écosystème différents selon le type de forêt. Selon un forestier, il apparaît par exemple que la forêt de thuyas serait plus dégradée que la forêt d’arganiers : « La forêt d’arganiers est relativement bien conservée comparativement à la forêt de thuyas ». D’autres acteurs mettent en évidence des dynamiques différentes en fonction du statut des forêts : selon un écologue, la forêt à deux droits connaîtrait « une dégradation forte et rapide » comparée à une arganeraie à sept droits en bon état. D’une manière générale, la dégradation ne paraît pas caractérisée dans la province d’Essaouira, même si les acteurs ne sont pas tous d’accord sur le sujet. On peut relever ici le discours de ce même écologue : « Est-ce que c’est dégradé ? Tout le monde est d’accord pour dire que pas trop ». Cependant, la plupart des acteurs interviewés nous font part d’un problème essentiel : la régénération. L’absence de régénération naturelle de l’arganier compromet la viabilité de cet écosystème sur le long terme et représente le facteur limitant de la dynamique de l’écosystème.

La régénération : Le problème de régénération est considéré comme la menace principale qui pèse sur l’arganeraie, voire même comme le principal critère de dégradation : « la dégradation, c’est lorsque l’initiative à la régénération a beaucoup manqué depuis 20 ans ». Nous avons donc choisi d’étudier plus en détail ce processus. La régénération est un processus complexe dont l’absence engendre des conséquences en cascades sur l’écosystème (Fig. 22). Les pressions anthropiques modifient la dynamique de l’écosystème qui engendre à son tour des problèmes pour la régénération de l’arganier. L’absence de régénération a des impacts à long terme sur la dynamique de l’écosystème. Le phénomène de sécheresse accentue encore cette tendance ; des cercles vicieux se mettent en place. Des épisodes de sécheresse successifs provoquent une baisse des récoltes qui augmente l’effet néfaste des pratiques humaines sur l’écosystème. En effet, l’exploitation s’intensifie et accélérant la dynamique de dégradation qui, à son tour, renforce les impacts de la sécheresse. La 57 Prospectives territoriales en Pays de Haha sécheresse peut être perçue à la fois comme un facteur négatif agissant directement sur la dynamique de l’écosystème et comme un facteur d’augmentation des pressions anthropiques. Ceci nous est confirmé par les dires d’acteurs qui jugent les pratiques humaines plus impactantes en période de sécheresse. Les réponses apportées par le service des Eaux et Forêts au problème sont par ailleurs d’une efficacité incertaine. Les mises en défens ont pour objectif de diminuer la pression anthropique (pâturage) pendant la période de régénération assistée. Cependant, de nombreuses incertitudes nous ont été transmises quant au respect de ces dernières. Les coupes à blanc étoc sont censées augmenter la régénération par rejet de souche mais cette technique ne prend pas en compte le vieillissement de la souche et donc la baisse de fructification et la mortalité des arbres à plus long terme. En ce qui concerne les plantations, les problèmes sont liés aux taux de réussite encore très faibles et aux incertitudes liées aux évolutions techniques.

Figure 22 : Schéma du système de régénération et actions mises en œuvre par le service des Eaux et Forêts

5.2.2. La méthode D.P.S.I.R. Le canevas de la méthode DPSIR vise à décrire les interactions entre la société et l’environnement à l’aide d’indicateurs et de statistiques diverses. Il permet d'analyser les relations entre des facteurs qui ont une incidence sur l'environnement selon une logique de causalité. Les relations entre les activités humaines et l'environnement sont établies grâce aux cinq catégories du modèle (Fig. 23) : 58 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Drivers (forces motrices), Pressures (pressions), State (état), Impacts (impacts) et Responses (réponses). Il a été développé par l’Agence Européenne pour l’Environnement à partir d’un modèle initial de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE), le modèle PER (pressions-état-réponses). Cette méthode est utilisée pour comprendre les systèmes complexes de rétroaction liés aux causes de la dégradation. Elle permet également de comprendre quelles sont les réponses apportées et à quel niveau ces réponses agissent.

Figure 23 : Schéma illustratif de la méthode D.P.S.I.R.

Nous partons de l’état du système le plus souvent invoqué pour expliquer l’absence de régénération naturelle : la perte des plantes accompagnatrices. Il est possible d’identifier, en amont, les pressions responsables de cet état du système : le pâturage et le labour qui sont eux-mêmes issus de forces motrices comme l’élevage et l’agriculture. L’état du système « perte des plantes accompagnatrices » engendre une absence de régénération naturelle. D’autre part, les impacts « perte de biodiversité » et « érosion » engendrent à leur tour un nouvel état du système avec une diminution de la résistance et de la résilience de l’écosystème ainsi qu’une contribution au phénomène de désertification. Les uniques réponses apportées par le service des Eaux et Forêts à l’absence de régénération sont la coupe à blanc et la mise en défens. Ces actions sont entreprises pour permettre le rajeunissement du

59 Prospectives territoriales en Pays de Haha peuplement mais ne répondent en rien au problème de régénération naturelle et ne permettent pas d’envisager la pérennité de l’écosystème sur le long terme. Il est également intéressant de remarquer que les actions menées n’interviennent pas à la source du problème, au niveau des forces motrices elles-mêmes. Nous observons alors une disjonction entre la réalité d’un problème et les actions mises en œuvre pour le résoudre.

5.3. L’analyse des représentations : démarche et objectifs Le but de cette analyse est de comprendre comment les acteurs parlent de l’arganeraie et de quelle manière cet « objet » leur est utile. L’analyse des discours permet de mettre en avant la représentation que se font les acteurs de l’arganeraie : vue comme une source de revenus, comme pouvant fournir des services environnementaux et possédant une valeur paysagère ou comme possédant une valeur d’existence et patrimoniale. Cette analyse permet parallèlement de comprendre le point de vue des acteurs selon l’échelle de leur discours : centré sur l’arbre, centré sur le système agro-sylvo-pastoral ou centré sur l’écosystème et le paysage (Tab. 3). Elle permet de plus d’identifier les nouvelles représentations de l’arganeraie ; celles-ci constituent des germes de changement pour l’avenir que l’on pourra réinjecter dans les scénarios.

60 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Tableau 3 : Matrice d’analyse des discours

Le croisement de ces deux variables permet la construction d’une matrice facilitant la cartographie des acteurs ; c'est-à-dire la place qu’ils occupent selon le discours qu’ils tiennent. Cependant, les résultats montrent qu’une typologie d’acteurs n’est pas envisageable et que la plupart des personnes interviewées avancent des représentations complexes de l’arganeraie.

5.3.1. Des représentations complexes de l’arganeraie C’est le cas par exemple d’un responsable d’une association de développement qui dans le même discours parle à la fois de l’arganier en tant que source de revenus : « Au lieu de vendre un arganier avec 50 Dh, il faut le vendre avec 2000 Dh » et de l’arganier en tant que patrimoine : « Nous avons l’arbre d’arganier. C’est la première chose de l’environnement de la région. Il y a une relation historique entre l’arbre et le citoyen. Les anciens disent la femme, la terre, la chèvre et l’arbre. Ça c’est le quatuor, il y a une grande relation… ». On voit bien ici que le discours de cet acteur est complexe même s’il reste centré sur l’arbre en lui- même. Au contraire, certains acteurs utilisent des représentations de l’arganeraie intégrant des échelles variables. C’est le cas par exemple d’un acteur engagé dans l’éducation environnementale : « L’arganier est d’abord un écosystème, avec des serpents, des aigles (…) En protégeant l’arbre on ne protège pas seulement l’arbre ». Ses propos font coexister au sein d’un même discours l’échelle écosystémique et l’arbre ; dans cette représentation, l’arganier constitue le pivot de l’écosystème, ce qui correspond assez bien au discours des acteurs rencontrés. Si la vision écosystémique de l’arganeraie apparaît nettement dans les discours, les autres composantes de cet écosystème ne semblent pas considérées en elles-mêmes mais le plus souvent dans leur relation avec l’essence « clé », l’arganier. Les « plantes

61 Prospectives territoriales en Pays de Haha accompagnatrices », déjà mentionnées plus haut, sont ainsi principalement des éléments de protection des jeunes pousses d’arganier. On met en évidence une complexité forte des discours sur l’arganeraie en utilisant la matrice ci- dessus. D’une manière globale, cette matrice nous permet de sortir des caricatures et des idées reçues quant à la représentation de l’arganeraie par les acteurs. Elle propose également un cadre pour comparer le discours des acteurs avec les stratégies de protection qu’ils mettent en avant pour assurer la protection de l’arganeraie.

5.3.2. Représentations et stratégies de protection de l’arganeraie Il s’agit ici d’étudier le lien possible entre le discours des acteurs et leur positionnement par rapport aux stratégies et aux actions sur l’arganeraie. Notre propos n’est pas ici d’établir des correspondances systématiques entre les représentations et les pratiques mais plutôt de présenter des exemples qui nous permettent d’aborder des stratégies importantes ou innovantes visant à la protection de l’arganeraie. Nous étudierons dans un premier temps les discours des acteurs porteurs d’enjeux environnementaux avant de nous intéresser aux acteurs dont les pratiques pourraient avoir un impact indirect sur l’arganeraie et sa dynamique.

Représentations et stratégies des acteurs porteurs d’enjeux environnementaux * Les forestiers Les forestiers constituent les principaux acteurs chargés de s’occuper des aspects environnementaux de l’arganeraie. Nous étudierons ici les représentations de deux forestiers qui divergent fortement et nous montrerons que les logiques d’intervention déployées pour la protection de l’arganeraie sont fondamentalement différentes selon ces représentations. Le diagnostic du premier forestier insiste sur la bonne santé globale de l’arganeraie dans la région. Selon lui, « les peuplements d’arganiers sont respectés et en très bon état », surtout par rapport à la forêt de thuya qui, selon lui, est plus touchée par l’exploitation délictueuse, ce qui provoque une pression plus forte sur la forêt. La stratégie à mener pour la protection et la régénération de l’arganeraie est liée à ce diagnostic, puisque ce forestier propose de continuer l’exploitation par les coupes à blanc étoque, associée à une mise en défens après exploitation. Ces pratiques sont considérées comme suffisantes pour la préservation : « maintenant pour l’arganier, la meilleure opération pour la régénération c’est l’exploitation ». Ces opérations sont considérées comme plus efficaces que la régénération assistée, dont les taux de réussite sont très bas, et qu’il faudrait par conséquent abandonner. Il met enfin l’accent sur le rôle aussi de la sensibilisation et insistant sur la nécessité de diffuser auprès des populations locales les bonnes pratiques d’élagage pour préserver la ressource. Le deuxième forestier émet un diagnostic opposé et propose également une stratégie différente pour la protection de l’arganeraie. Il met en évidence la « dégradation » de la forêt d’arganier – « le malheureux arganier » – rendu visible selon lui par des baisses de densité des arbres. Cette baisse

62 Prospectives territoriales en Pays de Haha de densité « visible à l’œil nu », constitue le « premier reflet » d’un processus de désertification qui pourrait aboutir selon lui à une disparition de l’arganier d’ici 20 à 30 ans. La stratégie à adopter face à ce processus est différente : contrairement au forestier précédent, il considère qu’il faut trouver « des solutions en parallèle à la coupe pour reconstituer l’arganeraie » et propose d’améliorer les opérations de replantation. L’opposition entre les discours de ces deux forestiers montre une certaine cohérence entre le diagnostic qui est fait concernant l’état de l’arganeraie et les bonnes pratiques nécessaires à la protection de cet écosystème. Elle met également une évidence les différences de représentations fortes qui existent au sein d’une même administration, notamment concernant l’existence ou non d’une « dégradation » pour l’arganeraie.

* La sphère associative Les autres acteurs chargés de porter les enjeux environnementaux sont peu nombreux. On peut mentionner ici le discours de deux membres du RARBA, dont l’un fait également partie de l’association AESVT (Association des enseignants des sciences et vie de la terre), association chargée de faire de l’éducation environnementale. A partir de ces entretiens, on peut accéder aux marges de manœuvre de ces acteurs du milieu associatif. Pour ces deux acteurs, l’arganeraie de la région est relativement bien conservée même s’ils identifient des menaces possibles qui font que l’on peut « parler de dégradation ». Pour assurer une conservation à long terme de l’arganeraie, l’un des deux acteurs identifie une « action majeure », la création de la Réserve de Biosphère de l’Arganeraie par l’UNESCO en 1998. Selon lui, la RBA a eu un impact majeur en générant « une poussée de la conscience écologique dans la région ». L’éducation à l’environnement constitue ici une des voies principales de protection, en permettant de diminuer les « mauvaises pratiques » menaçant la forêt. De même, la diffusion d’informations concernant les AGR (Activités Génératrices de Revenus, notamment l’apiculture) peut contribuer à faire baisser la pression actuelle sur l’arganeraie. Ces deux acteurs ne proposent pas de projets qui visent à améliorer directement la ressource ; ils mentionnent bien un projet de plantation développé par le RARBA mais ce projet a échoué faute de terres suffisantes. Aucun acteur n’a parlé d’actions concrètes en faveur de l’environnement développées dans le cadre de la RBA. On voit bien ici que l’éducation environnementale constitue la seule marge de manœuvre réellement identifiée pour ces membres d’associations ayant une visée environnementale. Les acteurs chargés de porter la thématique environnementale n’ont pas un discours commun, que ce soit au niveau du diagnostic ou des actions à mener pour protéger cet écosystème, ce qui ne favorise pas un traitement efficace de cette thématique. De plus, l’interpénétration forte entre les enjeux de développement et les enjeux environnementaux pour l’arganeraie fait que l’écosystème et sa valeur d’existence sont encore peu pris en compte dans les stratégies de ces acteurs. Si l’un des membres de la RARBA souligne l’enjeu de « biodiversité » associé à l’arganeraie, c’est pour mettre en évidence tout de suite après celui des « équilibres entre les populations locales et les ressources naturelles ». En général, les représentations portant sur l’écosystème et sa valeur d’existence ne

63 Prospectives territoriales en Pays de Haha sont jamais totalement dissociées des représentations de l’arganier comme une « ressource » pour le développement.

Le discours des autres acteurs, porteur de germes de changement (l’essor d’une valeur patrimoniale de l’arganeraie ?). Discours et moyens envisagés pour conserver l’arganier L’interpénétration forte entre les enjeux de développement et d’environnement nous invitent à prendre en compte les représentations des acteurs ne portant pas de manière privilégiée les enjeux environnementaux mais qui pourraient avoir un rôle important dans la protection de l’arganeraie. Si ces acteurs ne développent pas de pratiques visant à conserver directement l’arganeraie, ils mettent en avant dans leur discours des éléments qui pourraient à l’avenir contribuer à cette préservation et qui justifient leurs actions présentes. Il convient d’analyser ce discours pour étudier les marges de manœuvre possibles de ces acteurs et pour identifier des germes de changement important. Nous avons choisi d’étudier en particulier le discours développé par des acteurs impliqués de près ou de loin dans le développement touristique, que ce soit des administrateurs chargés de ce secteur, des hôteliers, des associations de développement ou même des coopératives. En effet, ce secteur d’activité encore embryonnaire dans la région étudiée est très souvent mentionné en relation avec la protection de l’arganeraie (circuits écotouristiques, …) et pourrait constituer à l’avenir un facteur important sur la dynamique de cet écosystème. Les différents acteurs mentionnés ci-dessus ont des modes d’interactions nouveaux avec l’arganeraie ce qui implique l’essor de représentations originales associées à cet espace : l’aspect paysager propre à l’arganeraie est ainsi fréquemment mentionné, même s’il ne débouche actuellement pas sur des pratiques particulières ; en effet, le faible développement actuel du tourisme dans l’arrière-pays d’Essaouira induit une valorisation nulle de ce paysage. Les représentations touristiques touchent plus particulièrement l’arganier en lui-même. Il peut être considéré comme un arbre ornemental, permettant d’offrir de l’ombre aux touristes. Il peut même constituer pour certains acteurs du tourisme un arbre patrimonial : l’un d’eux parle ainsi d’un « arbre noble » grâce à son caractère « ancestral » lié aux utilisations par les populations rural. L’arganier est ainsi inséré dans une stratégie de développement touristique portant sur les grandes stations du littoral. Dans ce cadre, jamais l’écosystème n’est pris en compte : cet acteur ne nous fournit ainsi aucune information sur la problématique de destruction des écosystèmes dunaires mixtes protégés par les SIBE. L’arbre n’est intégré dans ces projets que comme une vitrine de la région, chargé d’apporter une touche d’authenticité à ces stations. Ces acteurs ne prévoient pas d’actions directes pour la préservation de l’arganeraie. L’arbre, parce qu’il constitue une source de revenus et un patrimoine valorisé dans un cadre touristique, se protège « de lui-même », ce qui ne nécessite pas la mise en place d’actions particulières. On voit bien ici que le tourisme, s’il développe des représentations nouvelles de l’arganeraie, ne semble en revanche pas porteur de marges de manœuvre importante pour la préservation de cet écosystème. On observe

64 Prospectives territoriales en Pays de Haha ici une disjonction forte entre les discours de justification des acteurs en lien avec le tourisme et leurs actions concrètes sur l’arganeraie. D’autres acteurs peuvent au contraire avoir un impact direct sur la préservation de l’arganeraie par l’intermédiaire d’un mécanisme de compensation qui s’applique depuis peu dans cet écosystème. En effet, dans le cadre d’un projet autoroutier, des plantations d’arganiers vont être effectuées pour compenser les destructions induites par ce projet. En l’absence de renseignements, il nous est difficile de développer ce mode d’action. Néanmoins, on voit bien que par ce biais, de nouveaux acteurs pourront être amenés à avoir un impact sur la dynamique de l’arganeraie.

5.4. Mise en dynamique du diagnostic La mise en dynamique du diagnostic par l’intermédiaire de l’analyse prospective et des scénarios apparaît intéressante à plus d’un titre. Elle permet ainsi de mettre en perspective la problématique de « dégradation » et d’intégrer les éléments de changements possibles (nouvelles représentations de l’arganeraie, nouvelles stratégies de protection, nouveaux acteurs concernés, …) et enfin de réintégrer la thématique environnementale par l’intermédiaire d’un scénario qui considérera pleinement l’écosystème dans son lien avec le territoire.

5.4.1. Une mise en dynamique de la problématique de la « dégradation » Les résultats de notre diagnostic montrent que la « dégradation » de l’écosystème constitue une controverse importante entre les acteurs interrogés. En effet, le problème environnemental ne semble pas actuellement se poser de manière très nette sur le territoire observé. Si la dégradation est aujourd’hui difficile à observer et à mettre en évidence en l’absence de mesures diachroniques précises, on peut en revanche penser que l’absence de régénération de l’arganier et la recrudescence probable des épisodes de sécheresse puissent contribuer à la mise en place de boucles de rétroactions négatives. Dans ce cadre, l’analyse prospective et la mise en dynamique de la composante écosystème prend tout son sens. En effet, d’ici à 20 ans, on peut penser que des premiers signes de dégradation pourraient être observables (baisse de la densité des arbres, mortalité importante, baisse de la fructification liée au vieillissement des arbres, …).

5.4.2. De nouvelles représentations de l’arganeraie, de nouveaux acteurs, de nouvelles stratégies pour la préservation Notre analyse nous a permis de mettre en évidence des germes de changement dans les discours des acteurs, que ce soit au niveau des représentations (intégration des dimensions paysagères et patrimoniales), des acteurs concernés par la préservation de l’arganeraie (acteurs touristiques, associations de développement…) ou encore des stratégies envisageables pour assurer cette préservation (mécanismes de compensations par plantation après destruction, paiement pour

65 Prospectives territoriales en Pays de Haha services environnementaux, notamment pour la préservation des paysages…). Ces germes de changement pourront être intégrés ultérieurement dans la construction des scénarios.

5.4.3. De la nécessité d’intégrer pleinement la thématique environnementale : l’élaboration d’un scénario à message L’arganeraie est principalement considérée dans une perspective de développement, c'est-à-dire comme un espace proposant des ressources. L’enjeu de la biodiversité et la valeur d’endémicité propre à l’arganeraie sont rarement cités dans les entretiens. De plus, les actions menées par les acteurs porteurs de la thématique environnementale ne nous semblent pas nécessairement suffisantes pour permettre une préservation à long terme de l’écosystème. On a ainsi vu que les stratégies actuelles des Eaux et Forêts ne permettaient pas de résoudre le problème de régénération de l’arganier. Les actions des ONG n’ont pour l’instant pas eu d’impact réel sur la protection de l’arganeraie. La stratégie de la GTZ portait ainsi initialement sur la problématique de développement. On pensait en effet que le développement de la filière huile et l’appui aux coopératives féminines allaient en effet valoriser la ressource et déclencher une dynamique de conservation des arganiers. Aujourd’hui, ce bailleur de fonds tend à réajuster sa stratégie pour se concentrer sur des enjeux environnementaux, comme par exemple la lutte contre la désertification. Il s’agit clairement de réaffirmer l’importance des objectifs de conservation de l’arganeraie par rapport aux enjeux de développement, jusque là omniprésent dans l’action de la GTZ. De même, après 10 ans d’existence, la RBA n’a pas réellement abouti à la mise en place de mesures concrètes pour la protection de l’écosystème. L’évaluation décennale de ce réseau d’aires protégées pourrait permettre l’essor d’une approche plus environnementaliste de l’arganeraie Pour prendre en compte cette évolution des discours, nous choisissons de mettre en avant dans un scénario un élément déclencheur en rupture avec les discours d’acteurs pour porter la cause environnementale : la création d’un réseau d’aires protégées, caractérisé par des contraintes plus fortes que celles de la RBA. Cette stratégie d’actions pour la protection de l’arganeraie n’a jamais été pleinement abordée lors des entretiens. Nous pensons néanmoins que ce point déclencheur peut avoir un impact majeur sur l’ensemble du système (voir scénario plus loin).

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Scénarios

Nous utilisons le diagnostic territorial pour élaborer des scénarios, histoires possibles de l’évolution du système dans le futur. L’analyse du système effectuée dans ce diagnostic permet d’identifier les éléments structurants (piliers), les tendances en cours et faire des hypothèses sur les évolutions probables. Toutefois, en règle générale, il reste difficile de se projeter dans l’avenir. Nous utilisons les hypothèses structurantes, déterminées dans le diagnostic, pour imaginer la mise en mouvement du système dans son ensemble et déterminer les mécanismes sur lesquels celui-ci pourrait reposer dans le futur. Parmi les tendances et évolutions principales possibles, évoquées dans la partie diagnostic, seules certaines, considérées comme particulièrement structurantes, sont utilisées comme point d’entrée pour les scénarios. Les tendances choisies nous paraissent intéressantes car elles nous permettent de construire des scénarios contrastés et d’une certaine manière « extrêmes ». Ces tendances trouvent une origine différente dans leur formulation. Une partie est issue de l’analyse des entretiens (et traduisent donc certaines visions du futur des acteurs). Une autre partie repose sur l’analyse des discours d’acteurs et sur une expertise du fonctionnement du système mais fait intervenir des évènements que l’on a nous même imaginés comme point de départ ou éléments structurants. Cinq des principales tendances sont utilisées pour la réalisation des quatre scénarios : * Le premier scénario propose de partir de l’hypothèse suivante : les sociétés privées on la mainmise sur le marché de l’argan. Cette tendance apparaît plusieurs fois dans les discours comme une évolution probable du système. Il nous semble alors intéressant de voir comment évolueraient les secteurs de productions face à cette domination, en particulier pour les coopératives. * Le second scénario se base sur deux propositions d’avenir issues des entretiens qu’il nous semble intéressant d’associer car elles apparaissent interdépendantes. La mise en place d’une labellisation – indication géographique (désormais IG) et appellation d’origine contrôlée (désormais AOC) – semble pouvoir accompagner le projet de modernisation, de diversification des productions d’un territoire et de spécialisation des systèmes de production porté par le Plan Maroc Vert. * L’étude des différents projets/programmes mis en place dans la région depuis quelques années met en évidence la présence d’une logique de conservation mise en avant par les différents protagonistes (ONG, Associations, Bailleurs de fonds, RBA). Cette logique est également explicitée par les acteurs dans les entretiens. Il nous semble alors intéressant de voir comment évoluerait le système si cette logique était poussée à ses limites et effective. Le troisième scénario nous décrit cette évolution possible. * L’analyse du système permet de mettre en évidence des piliers fondamentaux sur lesquels le système repose, parmi lesquels la filière huile d’argan. Le dernier scénario propose un écroulement de la filière huile suite à l’atténuation d’un effet de mode dans les pays du Nord,

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dont la survie de la filière dépend. Nous analysons la réaction du système dans son ensemble face à ce krach. Ces quatre scénarios sont présentés sous la forme d’histoires plausibles de l’évolution du système. Il ne s’agit pas de prévisions ni de projets en cours, dans le but de servir à une prise de décision immédiate.

Chacun d’eux est formulé selon les mêmes étapes : justification du choix du scénario, hypothèses structurantes, récit du scénario et impacts du scénario sur le territoire. Les tendances structurantes sont utilisées comme point d’entrée pour tirer le système et voir comment celui-ci réagit et se reconfigure (éventuellement, cela pourrait nous donner des éléments d’appréciation de sa résilience) sur un horizon temporel de 20 ans (2010-2030).

Ces scénarios ont été conçus pour trouver leur utilité dans le cadre d’un débat en fin de travail de terrain, en présence des différents acteurs invités. Nous avons donc choisi de mettre en avant les hypothèses structurantes sur lesquelles reposent nos scénarios afin de les soumettre à la discussion et à la critique. Les scénarios présentés ci-après prennent en compte les différentes remarques, objections, contradictions, propositions émises lors du débat.

Nota : Dans la suite, la présentation des scénarios souligne que ceux-ci sont constitués essentiellement d’un ensemble structuré d’hypothèses sur l’avenir, qui apparaissent en italique, et qu’il ne faut donc pas prendre comme des prévisions ou des évaluations du présent, mais comme des possibilités d’évolution future. Ces hypothèses en italique sont par endroits complétées par des éléments d’analyse et de justification qui ne sont alors pas mis en italique.

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1. Scénario 1 : les grandes sociétés privées, mainmise sur la filière argan

1.1. Pourquoi ce scénario ? L’une des questions les plus prégnantes qui ressortent de l’étude du territoire concerne le devenir des coopératives face aux sociétés privées. Quoique émanant d’une approche filière, elle se révèle avoir un impact considérable sur l’avenir de l’ensemble de la zone d’étude. Deux tendances peuvent être distinguées à ce sujet actuellement. D’une part, l’État accorde indirectement des facilités aux sociétés privées. Leur nombre augmente ainsi rapidement. D’autre part, les coopératives bénéficient du soutien de l’État et de bailleurs, notamment européens. En effet, la création et le développement des coopératives ont été fortement soutenus par des initiatives telles que le Projet de Conservation et de Développement de l’Arganeraie (désormais PCDA), mené par la GTZ et la DREF9-SO, ou le Projet Arganier, résultant du partenariat de l’ADS10 et de l’UE. L’appui aux coopératives figure également parmi les priorités du Plan Maroc Vert, puisqu’il constitue l’une des composantes du volet favorisant l’agrégation des acteurs autour des produits en amont de la filière argan. Mais qui pourrait dominer le marché de demain au regard du constat ambigu que nous donne à voir le présent ? Et quels pourraient être les effets de cette domination sur la filière argan, les systèmes de production et les autres éléments constitutifs du système ? Le scénario suivant met en scène les grandes sociétés privées comme les grandes gagnantes au sein de la filière argan, pour imaginer les conséquences et le déroulement d’un tel scénario qui paraît bien être du domaine du possible.

1.2. Hypothèses structurantes L’écriture du scénario repose sur des hypothèses envisagées pour le futur, c’est-à-dire des images vraisemblables que le pays Haha pourrait revêtir dans quelques années. L’une de ces images concerne le développement du Plan Maroc Vert, qui pourrait être un franc succès, surtout concernant le volet « développement de l’arboriculture à base d’arganier». L’ensemble de l’organisation qui lui est relative permet de croire en l’imminence de sa mise en œuvre. L’un des points de départ du scénario a également été l’hypothèse d’un exode rural massif dans les deux prochaines décennies, ainsi qu’une hausse notable du niveau de vie. Envisager une telle évolution paraît raisonnable si l’on considère les tendances actuelles, montrant un flux important de jeunes vers les grandes villes. De plus, par analogie entre la situation actuelle du Maroc et celle de l’Espagne il y a 30 ans, qui a depuis subi un développement rapide la menant au niveau des pays les plus développés, une augmentation du niveau de vie au Maroc paraît vraisemblable. Par ailleurs, le scénario s’est basé sur une structuration de l’aval de la filière argan. Jusqu’à présent, le marché des produits élaborés à base d’argan est resté peu organisé et la concurrence apparaît davantage au niveau de l’approvisionnement en matière première que dans la compétition pour trouver des clients. Les commandes ne manquent pas. Mais on peut imaginer que dans

9 Direction régionale des Eaux et Forêts- Sud Ouest 10 Agence de développement social 69 Prospectives territoriales en Pays de Haha plusieurs années, la filière argan pourrait atteindre un équilibre dans son essor et que peu à peu, le marché se saturerait. C’est alors qu’une véritable concurrence s’instaurerait entre entreprises pour trouver et garder leurs clients. Dans ce contexte, on peut penser que la filière se structurerait en différents marchés mieux définis, points d’appui d’une poignée d’entreprises qui, au gré des lois du marché, auraient petit à petit acquis de plus en plus d’importance jusqu’à exercer une emprise considérable sur la filière. Enfin, dans l’optique d’une structuration de la filière et pour répondre aux attentes de certains de ses acteurs, le scénario s’est appuyé sur la conception d’un « marché au cadran de noix d’argan ». A l’heure actuelle, de nombreux fournisseurs s’approvisionnent dans différents souks, où les prix sont flottants et variables d’un souk à un autre. C’est d’ailleurs par téléphone que les fournisseurs comparent les prix du marché. Cette situation est peu confortable et nombreux ont été les entretiens à révéler un besoin à ce niveau : un grand nombre d’acteurs aspirent à une clarification du marché, notamment à travers la création d’un organisme centralisateur d’achats. Le scénario qui suit propose la création d’un « marché au cadran ».

Qu’est-ce qu’un marché au cadran ? Basée sur l’anonymat, la vente au cadran est un système de vente aux enchères qui ne prend en compte que la qualité des produits mis en vente. Il permet aux acheteurs d’acquérir ce qu’ils souhaitent rapidement et aux vendeurs d’optimiser leur prix de vente. En plus d’accorder à ces derniers la garantie d’être payés immédiatement après la réalisation de la transaction au moyen d’un système clair de transactions bancaires strictes, le marché au cadran assure la promotion de la qualité des produits. Il constitue ainsi un outil moderne de commercialisation. http://www.gueugnon.fr/projet/cadran/def_cadran.htm (consulté le 16 mars 2009)

1.3. Quelle évolution pour la filière argan ? De la sorte, un marché au cadran de noix d’argan permettrait de clarifier les échanges en rassemblant tous les acteurs en un même lieu pour toute la Province. La vente procèderait par adjudication par lot, c’est-à-dire par attribution par autorité de justice d’un lot de marchandise vendu aux enchères. Au final, on aurait une plus grande transparence au niveau des prix. En revanche, ce système ne permettrait pas de réduire le déséquilibre déjà existant entre acheteurs. Par ailleurs, il donnerait aux entreprises la possibilité d’avoir une emprise sur l’ensemble des processus impliqués dans la transformation des noix d’argan en produit fini. Au contraire, il n’est pas rare actuellement que les sociétés privées se fournissent non pas en noix, mais en amandons, voire en huile. Concernant la main d’œuvre, compte tenu de la hausse du niveau de vie, les sociétés privées développeraient une stratégie différente, en préférant embaucher des salariés meilleur marché hors

70 Prospectives territoriales en Pays de Haha du Maroc. Les noix seraient ainsi exportées et transformées pour obtenir un produit élaboré à l’étranger, qui reviendrait ensuite au Maroc par des circuits qui seront explicités plus loin. L’image du produit changerait, passant d’une « production au Maroc » à une « origine marocaine de la noix ». Face au développement effréné des sociétés privées et dans le contexte de concurrence croissante et à différentes échelles qui a été dépeint plus haut, les coopératives n’auraient d’autre choix que de s’unir pour lutter contre les géants du secteur. Les coopératives restées indépendantes se regrouperaient massivement en GIE (groupements d’intérêt économique), déjà existants aujour’hui mais exclusivement chargés de la commercialisation. Il leur faudrait aussi se construire des niches qui leur laisseraient une place particulière sur le marché. On peut ainsi imaginer que les coopératives tireraient parti du fait qu’elles n’auraient pas renoncé à impliquer des femmes du terroir dans l’élaboration du produit (et ce du début à la fin) en mettant en valeur cette pratique sur une niche « équitable ». Ne peut-on en effet envisager que les prochaines années vont voir se développer un intérêt de plus en plus important pour de tels débouchés, en particulier au Nord ? Telles sont les grandes évolutions touchant la filière argan qui peuvent venir à l’esprit si l’on mise sur un essor des sociétés privées sur ce marché, mais quelles en seraient les impacts sur les autres composantes du système, en particulier les systèmes de production et l’écosystème ? Quelles en seraient les retombées en terme de gouvernance ?

1.4. Impacts sur le territoire Suite au Plan Maroc Vert, on assisterait à des investissements massifs dans des plantations irriguées d’arganier, notamment provenant des sociétés privées qui auraient les moyens de faire face à ces investissements. Les plantations couvriraient une surface encore agrandie par le départ de propriétaires vers les grandes villes, qui auraient accepté de se dessaisir de leurs terres, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Finalement, deux statuts de l’arganier coexisteraient : d’une part, le nouveau statut d’arbre de verger, cultivé dans des domaines privatifs, exclusivement détenus par de grands et moyens exploitants, d’autre part, le statut historique d’arbre forestier, dont petits et grands exploitants collecteraient les fruits sur l’agdal. Répondant aux besoins du moment, les Eaux et Forêts placeraient la production de noix d’argan au premier plan dans le plan de gestion de l’arganeraie, avant la régénération ou le pâturage.

Une telle évolution pose la question du devenir des chèvres dans ce nouveau système. Celles-ci pourraient réaliser leur parcours dans le reste de l’agdal et la forêt à 2 droits, dont le mouchaà. Pour harmoniser au mieux l’usage des ressources, des associations multisectorielles se constitueraient, dans un objectif de gestion participative. Ces associations comprendraient les

71 Prospectives territoriales en Pays de Haha

éleveurs, les céréaliers ayant troqué des patchs de céréales contre un arganier et d’autres usagers concernés, ainsi que des représentants des Eaux et Forêts et le Président de la Commune.

L’ensemble de ces circuits intimement intriqués les uns dans les autres est représenté ci-dessous (Fig. 24).

Bailleurs concertation Ministère de Eaux et forêts l’Agriculture

Arganier Arganier Associations PMV privatif domanial

gestion récolte

Gros exploitants Tous les éleveurs Taxe Vente de noix Vente de noix Marché au cadran de noix d’argan Vente de noix Vente de noix Grossistes Vente de noix

Grandes GIE entreprises coopératives

Figure 24 : intrication des différents circuits qui toucheraient la filière argan.

Provenant d’arganiers de statut différents, d’un côté privatif de verger, géré par de grands exploitants, de l’autre domanial forestier, géré par les Eaux et Forêts en concertation avec les multiples usagers au sein d’associations, les noix parviendraient au marché au cadran où serait prélevée une taxe reversée aux Eaux et Forêts. Les noix seraient ensuite vendues par adjudication par lot, soit directement à des GIE de coopératives, soit à des grossistes qui les revendraient à des grosses entreprises.

L’aval de la filière argan Subsiste encore la question des débouchés structurés qui apparaîtraient. Le schéma ci-dessous (Fig. 25) en propose une représentation. Les coopératives, survivant en GIE dont les activités dépendraient de niches « équitables », verraient les grandes sociétés privées rafler les plus gros

72 Prospectives territoriales en Pays de Haha marchés, en commençant par le marché international, particulièrement développé sur les gammes cosmétiques, qui inonderait le marché au Maroc, touchant lui-même d’une part le créneau « tourisme de bien-être » qui devrait se développer à Essaouira dans le cadre du Plan Azur et d’autre part le marché à l’échelle de la province plus généralement, comprenant également les petites boutiques touristiques que toucheraient marginalement les GIE de coopératives.

Grosses GIE entreprises coopératives

Délocalisation de la production Conditionné

Marché international

Marché Marché au équitable Maroc

Marché tourisme Marché Province bien-être à Essaouira

Figure 25 : Filière argan aval

73 Prospectives territoriales en Pays de Haha

2. Scénario 2 : labellisation

2.2. Pourquoi ce scénario ? Pour développer une filière déjà établie mais qui fait face à des problèmes de rentabilité ou de qualité, il est souvent envisagé un système de labellisation pour donner une valeur ajoutée et une image plus fiable à un produit. Dans notre région d’étude, c’est le cas pour les deux filières prédominantes : la filière huile d’argan et la filière chèvre. Des discussions sont déjà en cours et sont plus ou moins sur le point d’aboutir. Ainsi, une Indication Géographique sur l’huile d’argan est déjà lancée, avec une loi votée en 2008, et son cahier des charges est en discussion chez le ministre de l’agriculture. L’idée d’une Appellation d’Origine Protégée chez la chèvre a également été évoquée chez un certain nombre d’acteurs rencontrés. Cette labellisation « chèvre de l’arganeraie » pourrait bénéficier de la dynamique de labellisation de la filière huile, qui est déjà un produit à forte valeur ajoutée. De plus les deux filières sont déjà structurées pour rendre possible ces appellations : * Pour la filière huile, les coopératives se regroupent de plus en plus en GIE, et des coopératives et des sociétés privées ont collaboré pour créer une structure réservée pour la mise en place de l’IG : l’Association Marocaine d’Indication Géographique d’Huile d’Argan (AMIGHA) ; * Pour la filière caprine, un certain nombre d’éleveurs se sont regroupés au sein de l’Association Nationale des Origines Contrôlées (ANOC). Le scénario consiste donc à imaginer les conséquences sur le territoire et les filières en 2030 d’une double labellisation huile et chèvre, et des transformations des systèmes de production qui seraient associées à un tel projet.

2.3. Hypothèses structurantes

2.3.1. Indication Géographique sur l’huile L’objectif principal d’une IG sur l’huile est de conserver la valeur ajoutée dans la région. En effet, actuellement, les fruits viennent de l’arganeraie mais peuvent être transformés ailleurs au Maroc ou à l’étranger. Selon les acteurs interrogés, le cahier des charges de l’IG en discussion garantirait que toutes les étapes de fabrication ont lieu dans l’arganeraie, avec un temps d’adaptation pour des entreprises comme ABSIM qui transforment à Casablanca et ont besoin de temps pour s’implanter à Agadir. Il s’agit également de produire un produit de qualité avec un label reconnaissable, afin de se différencier d’autres produits du marché de moins bonne qualité. Le périmètre de l’IG serait toute l’arganeraie : en effet, il paraît difficile de différencier plusieurs IG dans cette zone, en fonction de la commune d’origine. Cela créerait une distorsion de concurrence, en particulier pour la région du Souss. 74 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Même si le cahier des charges n’est pas encore publié, on fait l’hypothèse que toutes les étapes de fabrication devraient être réalisées dans la région, même si le texte de loi pour l’IG n’en impose qu’une. Il va de soi que cette IG ne serait appliquée que sur les produits bruts à 100% d’huile, et pas sur les produits dérivés ou le vrac. Parallèlement à cette labellisation, on imagine une amélioration de la traçabilité en amont, surtout en ce qui concerne l’approvisionnement en matière première, éventuellement par le biais d’une centrale d’achat gérée par l’AMIGHA, qui serait un moyen de gérer la rareté de la ressource. L’IG argane est déjà portée par l’AMIGHA, qui regroupe des sociétés privées et des coopératives, qui adhéreront au cahier des charges. Cette labellisation n’est pas possible sans le soutien du roi et de l’État à travers la DPA, qui assurerait le contrôle et le suivi. Des bailleurs de fonds seraient également présents pour aider les coopératives dans leur passage vers l’IG, en particulier pour celles qui ne sont pas encore structurées en Groupement d’Intérêt Économique.

2.3.2. AOP chèvre D’ici quelques années, les moyens et gros éleveurs de la région arriveraient à avoir des cheptels homogènes en matière de phénotype. La chèvre « Haha » serait facilement reconnaissable sur le marché. De plus, la mode serait à la biquette, moins grasse que le mouton. La demande serait forte, les touristes d’Essaouira friands de tagine pourraient être alimentés par cette filière. L’AOP donnerait une forte valeur ajoutée à un produit de terroir reconnu et normalisé. La chèvre « haha » serait sélectionnée et définie génétiquement. L’ANOC prendrait l’initiative et lancerait le label « Chèvre de l’arganier ». Le mot d’ordre est qualité. L’organisation établirait un cahier des charges précis. L’alimentation, le temps de pâture minimum en extérieur serait défini. Une partie de l’alimentation proviendrait des sous-produits de la filière huile (pulpe, tourteau). Les animaux devraient être vaccinés et abattus dans des abattoirs aux normes. Les infrastructures seraient financées par la DPA en lien avec l’ANOC. Le transport des chèvres serait assez coûteux. Mais le produit connaîtrait un immense succès parmi la classe aisée marocaine et les hôtels de luxe qui se développent autour d’Essaouira. L’Etat financerait les contrôles et des GIE seraient créés comme pour les coopératives d’argan pour aider à la commercialisation.

2.4. Quelles conséquences pour les filières ?

2.4.1. Renommée et qualité des produits avec des débouchés touristiques majeurs L’huile d’argan avec IG conserverait une image de qualité appréciée dans le monde entier. Elle s’accompagnerait d’un autre produit de terroir reconnu : la viande de chèvre de l’arganeraie. Le développement du tourisme permettrait d’écouler cette production à forte valeur ajoutée. 75 Prospectives territoriales en Pays de Haha

2.4.2. Exclusion des petites structures liée au coût élevé de la labellisation (adhésion, mise aux normes et contrôles) Les acteurs déjà importants de la filière huile (grosses coopératives anciennes et sociétés privées influentes et reconnues), qui participent déjà aux discussions, bénéficieraient sans trop d’effort de ce signe de qualité, qui permettrait de redorer l’image du produit, d’autant plus qu’ils sont déjà bien implantés et bénéficient déjà d’un réseau de commercialisation important. Pour les petites coopératives et les plus récentes, l’adhésion à l’IG deviendrait donc un passage obligé pour avoir un produit reconnu. Or, elles ont moins de marges de manœuvre. Elles seraient donc obligées d’adhérer à des GIE et continueraient à dépendre de bailleurs de fonds pour financer cette labellisation. Du côté de la filière chèvre, l’ANOC subventionnerait le grain lors des périodes sèches et les soins aux chèvres. Pour bénéficier de ce service, il faudrait cotiser pour l’ANOC, payer les vaccins et payer pour le label. Lors des années sèches qui se succèderaient, les stocks de céréales diminueraient, les agriculteurs recevraient du grain subventionné. Les moyens et gros agriculteurs auraient des terrains privatifs qui leur permettraient de faire pâturer leurs bêtes et de les maintenir à un poids qui rendrait la vente des chevreaux intéressante. Pour les petits agriculteurs, la situation serait plus ardue. Les petits agriculteurs adhèreraient assez peu à l’ANOC. Les chèvres coûteraient plus cher que les anciennes chèvres. La sélection a un prix : une chèvre de race coûterait 15 % de plus que les autres. Or, lors des périodes sèches, il faut vendre les animaux pour obtenir des liquidités, mais dans ce cas les animaux sont maigres et ne seraient donc pas bien valorisés pour répondre aux critères de qualité de l’AOP. Du coup, il leur serait difficile d’investir sur des chèvres qu’ils ne seraient pas certains de garder et encore plus d’adhérer à un label. Ils seraient donc exclus de la filière AOP caprine et auraient du mal à subsister.

2.4.3. Différenciation de deux filières : une classique et une labellisée Le résultat principal de cette double labellisation serait donc la différenciation de deux filières : la filière labellisée et la filière classique. Pour la filière chèvre, les moyens et gros éleveurs développeraient le label, mais une filière informelle resterait d’actualité pour les petits éleveurs. Pour la filière huile, la filière labellisée cohabiterait avec une filière classique dans laquelle on retrouverait les produits des sociétés privées qui ne répondraient pas au cahier des charges (par exemple si elles étaient localisées ailleurs que dans l’arganeraie), les produits vendus en vrac destinés à être transformés en produit dérivés à base d’huile d’argan (qui ne pourraient donc pas bénéficier de l’IG), et enfin ceux des petites coopératives qui n’auraient pas les moyens d’adhérer à ce label.

76 Prospectives territoriales en Pays de Haha

2.5. Impacts sur le territoire

2.5.1. Systèmes de production : pression sur la ressource arganier Il résulterait de ce scénario que deux ressources majeures structureraient les systèmes de production et le territoire : * La noix d’argan, qui serait donc sujette au risque de surexploitation avec une filière dynamique et importante qui fait pression sur la ressource, * Les chèvres, qui pâtureraient sur des terres à usage collectif et risqueraient de mettre une pression trop forte sur l’arganeraie en cas de cheptel trop important.

2.5.2. Écosystème Les cahiers des charges de l’IG huile et de l’AOP chèvre ne prendraient pas en compte la protection de la ressource arganeraie, la labellisation ne semblerait donc pas être un levier fort pour la conservation. On conserve donc un scénario tendanciel pour la dynamique écologique de l’arganeraie, avec une faible régénération qui implique une dégradation visible en 2030 (baisse de la densité et de la fructification). La pression sur l’arganeraie serait maintenue voire augmentée, en particulier en période de sécheresse. Le seul avantage de l’IG pour la conservation de l’écosystème pourrait être les paiements pour services environnementaux, dans le cas de compensations des grands investisseurs, avec des plantations en lien avec les Eaux et Forêts pour compenser la destruction du milieu par des constructions d’infrastructures.

77 Prospectives territoriales en Pays de Haha

3. Scénario 3 : création d’un réseau d’aires protégées

3.1. Pourquoi ce scénario ? Nous avons vu dans la partie Diagnostic « Écosystème » que l’état de l’écosystème ne présentait pas de dégradation réellement caractérisée dans la province d’Essaouira. En revanche, il est important de noter que cet écosystème présente une dynamique sensible (absence de régénération naturelle, structure d’âge simplifiée, …) et donc que sa pérennité et son évolution à long terme peuvent être remises en causes. Le scénario « Création d’un réseau d’aires protégées » s’appuie sur ce constat et se présente en rupture par rapport aux discours des acteurs. Cependant, il prend tout son sens lorsqu’on considère le long terme et la nécessité de mettre en place des actions concrètes en faveur de la protection de l’environnement.

3.2. Hypothèses structurantes D’autres stratégies sont d’ores et déjà mises en place dans la Province d’Essaouira. La Réserve de Biosphère de l’Arganeraie (RBA) ainsi que le Site d’Intérêt Biologique et Écologique (SIBE) du Jbel Amsitten sont les principales mesures en faveur d’une conservation et d’une protection de l’écosystème. Il apparaît cependant que ces actions n’apportent pas les résultats escomptés et qu’elles ne contribuent que faiblement à la préservation de l’écosystème. En effet, les mesures concrètes de protection n’ont pas été appliquées et les moyens humains et financiers n’ont pas été alloués aux objectifs initiaux de conservation. C’est dans cette optique que nous imaginons la création d’un réseau d’aires protégées réellement efficace et basé sur un objectif central de conservation de la biodiversité des écosystèmes de la Province d’Essaouira.

3.3. Point de départ L’élément déclencheur à la base de ce scénario pourrait être le rapport d’évaluation décennale de la Réserve de Biosphère de l’Arganeraie qui s’annonce très sévère aux vues des actions mises en œuvre dans le cadre de ce réseau d’aires protégées. Parallèlement à cet élément déclencheur, nous misons sur une prise de conscience des enjeux de conservation à long terme par l’État qui se placerait dans une logique conservationniste et prendrait en charge la question de la protection de l’environnement. L’initiative de l’État s’appuierait sur une démarche participative en association avec les communes rurales. L’implication du service des Eaux et Forêts serait favorisé par l’encouragement des bailleurs de fonds. L’intérêt de proposer un tel scénario est de comprendre les enjeux et les problèmes liés à la création d’un réseau d’aires protégées. Il a également pour but d’identifier les acteurs susceptibles de prendre part à sa mise en place et ceux susceptibles d’être les plus défavorisés par sa mise en place. L’objectif final sera alors de réfléchir à un mécanisme (de type compensation) permettant une acceptation facilitée du réseau d’aires protégées voire même, pour les populations usagères, de trouver un intérêt à y adhérer.

78 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Ce scénario s’inspire d’éléments déjà mis en place dans le cadre de la RBA mais reste cependant une conception de notre imagination.

3.3.1. Principe du réseau d’aires protégées Ce réseau couvre l’ensemble des écosystèmes sensibles et originaux de la Province d’Essaouira ; il abrite des milieux variés, forestiers et dunaires. Le choix de la création d’un réseau plutôt que d’une grande zone nous paraît plus plausible aux vues des nombreuses activités humaines reposant sur des ressources naturelles ou s’appuyant sur les écosystèmes.

Aires protégées envisagée

Figure 26 : Carte de la Province d’Essaouira et réseau hypothétique d’aires protégées

La réserve présente deux grands ensembles : (i) la Zone de Protection Intégrale (ZPI) et la Zone de Protection Gérée (ZPG) sont situées dans la forêt à 2 droits et le mouchaa ; (ii) la Zone 79 Prospectives territoriales en Pays de Haha

Périphérique Multifonctionnelle (ZPM) est présente au sein des terres concernées traditionnellement par l’agdal. Le zonage est de type concentrique.

Figure 27 : Schéma d’une zone protégée et résumé des activités autorisées et des principes de conservation

* Zone de Protection Intégrale (ZPI) Principe et intérêts : Cette zone constitue une réserve intégrale stricte de l’écosystème forestier ou dunaire. Son évolution poursuit une dynamique naturelle. Activités : Aucune activité humaine et aucune intervention sylvicole du service des Eaux et Forêts ne sont autorisées dans cette zone. Des activités scientifiques expérimentales permettent le suivi de l'évolution naturelle de la végétation. Le gestionnaire de la réserve a accès à cette zone ; il a en charge la délimitation physique et la surveillance de celle-ci. Surface et localisation : La zone centrale est de surface importante et d’un seul tenant ; sa forme est la plus circulaire possible (dans le but de limiter les effets de bords). Elle se situe dans la forêt à deux droits dans le cas d’un écosystème forestier.

* Zone de Protection Gérée (ZPG) Principe et intérêts : L'objectif de cette zone est d’amortir l’impact des activités anthropiques sur la zone centrale. Elle constitue une zone de transition entre le cœur et la zone périphérique de la 80 Prospectives territoriales en Pays de Haha réserve et tente de concilier la conservation des écosystèmes naturels et les activités économiques à faible impact environnemental. L'intérêt de cette zone est de valoriser le zonage de conservation, en permettant aux activités traditionnelles qui font partie de l’écosystème et qui modèlent le paysage de se maintenir. Les acteurs de l'écotourisme peuvent également en tirer des bénéfices en s’adressant à un public national et international. Activités : Le service des Eaux et Forêts effectue différents types d’opérations sylvicoles : des coupes sanitaires et des coupes d’entretien pour sécuriser l’accès au public, ainsi que des coupes d’exploitation pour la filière bois. Les actions sylvicoles suivent un cahier des charges strict ; les coupes à blanc étoc sont interdites dans cette zone. Parallèlement aux actions sylvicoles, le service des Eaux et Forêts développe des activités de restauration écologique dans les zones de mouchaa très dégradées. Cette activité consiste à la mise en défens d’une partie du mouchaa pour la plantation et la régénération assistée. Les plants choisis pour restaurer les fonctions de l’écosystème sont issus de fruits prélevés dans le peuplement où sont plantés les arbres ; ceci dans le but de ne pas modifier le pool génétique des populations. Le service des Eaux et Forêts a également pour objectif de surveiller les activités dans cette zone afin de lutter contre les coupes illégales et les mauvaises pratiques. Certaines activités économiques sont autorisées à condition qu’elles limitent leurs impacts environnementaux. L’implantation d’infrastructures écotouristiques est autorisée ; des circuits de randonnées, des gîtes ruraux, des stations apicoles, des présentations de Plantes Aromatiques et Médicinales (buvette, dégustations…) sont mis en place. Le pâturage caprin/ovin est possible mais les activités agricoles de type céréaliculture ou arboriculture ne sont pas autorisées. L’activité de récolte des noix n’est pas modifiée. Surface et localisation : La zone se situe en périphérie de la zone de cœur, dans la forêt à deux droits et sur différents mouchaas.

* Zone Périphérique Multifonctionnelle (ZPM) Principe et intérêts : L'intérêt de cette zone est d'officialiser le statut des ayants droits vis à vis de leurs arganiers et de les protéger contre des coupes à blanc étoc les privant de « leurs » arbres. La production de noix d'argan peut également être optimisée dans cette gestion. Activités : Les usages autorisés dans cette zone dépendent du statut coutumier des terres : - Dans les zones de mouchaa non incluses dans la zone périphérique, l’organisation s’articule autour d’un système de rotation de 10 ans environ. À tour de rôle, une partie du mouchaa est mise en défens (interdiction de pâturage) pour des activités de régénération et de restauration écologique. Les éleveurs n'ayant pas de droit d'usage dans l'agdal et qui étaient traditionnellement habitués à faire paître leurs chèvres dans l'ancien mouchaa peuvent amener leurs troupeaux dans la zone non mise en défens. Tous les 10 ans une nouvelle zone est utilisée pour la régénération, alors que les chèvres ont de nouveau accès aux zones régénérées lors de la précédente période.

81 Prospectives territoriales en Pays de Haha

- Dans l'agdal, il n'y a pas de profonde modification dans le fonctionnement des différentes activités agricoles : céréaliculture, arboriculture « classique » (oliviers, caroubiers, amandiers) et élevage. La nouveauté est que, comme le caroubier avant lui, l'arganier passe du statut d'arbre forestier à celui de fruitier : les agriculteurs qui s'étaient traditionnellement approprié des arganiers passent du statut de simples ayants droits à celui de propriétaires à part entière de leurs arganiers. A priori, hors zone, le statut de l’arganier ne serait pas modifié. Toutefois, pour clarifier ce point précis, l’avis des différents acteurs du territoire nous semble très précieux. Lié à ce changement de statut de l’arbre, les Eaux et Forêts n'exercent aucune coupe à blanc étoc. Les agriculteurs et éleveurs, ainsi que les coopératives féminines, peuvent continuer leurs activités. Surface et localisation : Autour de la zone périphérique, sur les mouchaa et les agdals.

3.3.2. Délimitation La délimitation de la Zone de Protection Intégrale (ZPI) de l’aire protégée est placée sous l’autorité chargée de l’administration de la faune et de la flore, à savoir le service des Eaux et Forêts. Il engage la procédure administrative de création d’aire protégée. Elle fait suite aux conclusions de l’étude de faisabilité technique et financière menée par des experts scientifiques. L’AP est, par conséquent, placée sous le contrôle de l’État. L’expertise se base sur l’état de l’écosystème et sur la représentativité des différents habitats. La zone de cœur doit comprendre une surface importante de forêt permettant aux communautés végétales de retrouver une dynamique naturelle. Elle est constituée de la majorité des habitats présents et de leur végétation associée (arganier, thuya, chêne vert, …) et se fonde sur la géomorphologie du site et sur le fonctionnement naturel des bassins versants. La mise en place de parcelles expérimentales permet le suivi de l’évolution de la végétation. La réserve intégrale garantit une ressource génétique des espèces et peut constituer une source de dispersion de celles-ci. La délimitation de la Zone de Protection Gérée (ZPG) est sous la responsabilité des Eaux et Forêts. Le choix de la délimitation est fonction du périmètre de la zone de cœur et s’appuie sur des expertises scientifiques. La délégation du tourisme collabore avec les E&F pour la construction de gîtes ruraux, la mise en place de chemins de randonnées, de stations apicoles et de stations de plantes aromatiques et médicinales. La délimitation de la Zone Périphérique Multifonctionnelle (ZPM) passe par une concertation avec les différents partenaires, usagers et collectivités concernés par le réseau. Les Associations locales organisent des réunions d’information et de concertation : le but est de discuter des conflits liés à la mise sous protection d’une partie de la forêt, notamment des mouchaa, et de proposer des compensations prévues en contrepartie. Toutes les parties concernées par la zone peuvent prendre part aux négociations pour la délimitation de celles-ci.

82 Prospectives territoriales en Pays de Haha

3.3.3. Financement Il est important de noter qu’aucune notification relative aux modalités de financement des aires protégées n’est présente dans les projets de loi. Le réseau d’aires protégées sera doté d’un budget annuel prévisionnel basé sur des financements de l’État et de la GTZ. Le financement s’appuiera sur une politique active de financement et de compensation pour rendre les ZPI acceptables, même pour les petits éleveurs. Ce projet pourrait également s’appuyer sur la mise en défens qui représente le principal outil actuel efficace des Eaux et Forêts pour les opérations sylvicoles en envisageant qu’il soit utile dans un objectif de protection.

* Paiements pour Services Environnementaux Le secteur touristique rural se développe par la mise en place de circuits pédestres dans la zone périphérique de la réserve. Ce développement s’accompagne de paiements pour services environnementaux pour la valeur paysagère de l’écosystème, et financent l’entretien des sentiers.

* Compensations La mise en défens d’une partie du mouchaa est compensée par les revenus supplémentaires liés à la culture en verger de l’arganier. Les arbres vergers sont financés par l’État et sont données aux populations usagères pour une plantation dans l’agdal ou sur les terrains privés. Une clause impose aux familles la revente des noix directement aux coopératives. Une taxe s’applique alors sur cette transaction et permet d’indemniser les éleveurs pour la mise en défens d’une partie du mouchaa.

3.4. Impacts sur le territoire La mise en place du réseau d’aires protégées ne modifie que partiellement le territoire. La mise en défens en ZPI sera facilitée par des compensations envers les éleveurs qui faisaient habituellement pâturer leur troupeau dans cette zone. En ce qui concerne la filière huile, le réseau d’aires protégées pourrait représenter un intérêt dans le cas où il serait envisageable de mettre en place un label lié au réseau, et qui s’articulerait avec une Indication Géographique ou une Appellation d’Origine Contrôlée. Pour l’agriculture, aucun grand changement n’est à prévoir, car la ZPM permet de telles activités. Les activités touristiques se résumeraient aux circuits éco-touristiques, le tourisme de masse n’étant pas autorisé dans la zone de protection gérée.

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4. Scénario 4 : les produits argans, un effet de mode ?

4.1. Pourquoi ce scénario ? Nous nous intéressons à l’évolution de la région dans le cas où la croissance du marché de l’argan se révélerait être lié à un phénomène de mode qui disparaîtrait. Le scénario n’est pas conçu pour être totalement exhaustif mais doit plutôt être interprété comme une invitation à la discussion. Il est élaboré en analysant l’évolution du système au regard de trois hypothèses structurantes.

4.2. Hypothèses structurantes Une analyse du marché de la filière huile d’argan permet d’établir le constat suivant : 80% des produits Argan (Huile alimentaire, Huile cosmétique, Savons, Crèmes, etc.…) sont destinés à l’exportation. Nous faisons ici l’hypothèse que cette dépendance à l’exportation pourrait constituer une fragilité dans le cas où ce marché international se révèlerait volatile. En revanche, on propose de faire également l’hypothèse que le tourisme sera en plein boom dans la province d’Essaouira et une station balnéaire de luxe, le projet Mogador, continue son expansion explosive dans le cadre du Plan Azur. De plus, la région devrait devenir prochainement une cible pour le développement du Plan Maroc Vert (PMV). Une baisse de l’effet de mode semble tout à fait plausible dans le cas des phénomènes liés aux marchés mondialisés. L’intérêt de construire ce scénario est de mettre en évidence la complexité du système, et sa résilience dans le cas de l’effondrement de la filière huile d’argan. Les hypothèses structurantes apparaissent alors comme de nouveaux éléments autour desquelles le système peut se réorganiser. Ce scénario permet d’envisager des pistes alternatives dans le cas où le développement régional ne serait pas tiré par la filière argan.

4.3. Point de départ L’effet de mode qui a entraîné les pays du Nord à consommer des produits « argan » a progressivement disparu, au profit d’un autre type de production d’une autre région du monde. Une nette baisse de la demande est observée dans ces pays importateurs, et les prix dégringolent car l’offre ne suit pas. Le secteur le plus touché par cette baisse nette de consommation est le secteur des huiles cosmétiques et produits transformés (qui représente quand même environ 70% des ventes à l’export). La chute des prix touche tous les secteurs. Malgré cette chute, le secteur de l’huile alimentaire reste notable mais se focalise sur le niveau national (car les ventes internationales ont diminué). Il y a alors conversion vers un marché national de l’huile alimentaire, mais ce marché reste peu impactant. Le système territorial réagit face à ces changements économiques majeurs.

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4.4. Impacts sur le territoire Le discours qui suit est articulé en deux phases à évolution différenciée : une phase où est détaillée l’évolution du système suite au krach et une phase de réaction et de rebondissement du système.

Pour les activités liées à la filière de l’huile d’Argan, la récolte et la production de l’huile redeviennent des produits pour la consommation familiale. La vente au souk n’apparaît plus comme nécessaire pour augmenter les revenus, mais celle-ci reste existante. Les familles gardent plutôt leurs produits chez eux. Les coopératives rencontrent d’importants problèmes de rentabilité. On note une forte baisse d’activité ; 3 tendances peuvent alors apparaître : * Il y a fermeture et départ des membres des coopératives les plus dépendantes des financements extérieurs. * Certaines coopératives (les plus autonomes) décident de rester sur le marché national de l’huile alimentaire. Les transformations sont minimes car les équipements et infrastructures sont déjà en place. Nous pouvons envisager l’achat d’équipements complémentaires. * D’autres coopératives tentent une reconversion dans d’autres secteurs d’activités (PAM, Miel, etc.…). Les bailleurs de fonds en collaboration avec ces coopératives permettent de faire le suivi financier de cette reconversion. Des programmes sont en route pour spécialiser les membres coopérants sur les nouvelles techniques à apprendre.

Les sociétés privées s’écartent du marché qui n’est désormais plus rentable. Quelques sociétés de taille importante décident de s’orienter sur le marché national de l’huile alimentaire et cosmétique en rachetant les petites sociétés qui ne peuvent suivre la chute des prix. Ces entreprises assurent une grosse production mécanisée, qui entraîne une concurrence avec les coopératives restantes. Toutefois, cette production accentuée entraîne une baisse de la qualité des huiles. L’huile alimentaire se banalise (un peu comme l’huile d’olive). Les fournisseurs (entre le souk et les coopératives/sociétés) décident de diversifier leur activité sur des marchés plus rentables. Cette évolution est facilitée par les bonnes relations qui existent entre fournisseurs et coopératives/sociétés (qui ont nouvellement changé leur activité). Certains fournisseurs (ceux qui peuvent transformer le produit) décident de reprendre le marché de l’huile alimentaire, laissé vacant depuis le départ des petites sociétés privées. Ces fournisseurs peuvent trouver de la valeur ajoutée au souk car ils sont en lien direct avec les grosses sociétés nouvellement orientés vers l’huile alimentaire. Ces tendances sont directement en relation avec la naissance d’un marché strictement national dû à l’évolution d’un effet de mode dans les grandes villes du pays.

En parallèle, le Plan Maroc Vert commence à se mettre en place dans la province d’Essaouira. On peut noter l’émergence d’un certain nombre de sociétés privés orientées vers la production 85 Prospectives territoriales en Pays de Haha d’arbres fruitiers (oliviers, caroubiers, …). Quelques emplois sont proposés à la population locale pour l’implantation de ces entreprises. Par ailleurs, les moyens et gros propriétaires (désormais MGP) décident d’adhérer à la mise en place du PMV. Ces MGP sont des personnes riches et au réseau social développé dans la région ; elles peuvent donc s’approprier facilement l’information et les enjeux de mise en place du PMV. Les petits propriétaires (désormais PP),en revanche, en raison de leur statut, ne se tiennent pas informés sur les profondes mutations possibles entraînées par le PMV. Les vergers sont essentiellement installés dans les terrains privés des MGP. Les seules incitations proposées pour l’instant par le PMV sont les 80% offerts sur l’achat des plants. Ces exploitants ont assez d’argent pour subvenir aux besoins en eau, accrus par des épisodes de sécheresse répétés. Il est possible d’envisager une augmentation du cheptel pour ces MGP, pour compenser la baisse des revenus directement liés à leurs arganiers. Les PP qui ont un accès proche à l’eau, peuvent envisager de suivre la tendance engagée par le PMV. Les premiers plants sont achetés grâce aux recettes moyennes que procure l’huile alimentaire. Par contre, l’augmentation du cheptel n’est pas envisageable pour eux. Les autres PP qui n’ont pas d’accès à l’eau ne peuvent envisager cette solution. On peut alors envisager un début d’exode temporaire vers les nouveaux centres touristiques qui demandent de l’emploi, pour récupérer des revenus qui seraient reverssé aux familles restées sur place.

Dans le même temps, le tourisme est en plein essor. La station Mogador est opérationnelle. Il y a de plus en plus de touristes dans la région. On observe un début d’urbanisation galopante qui part de la côte vers les terres, et conduit à des expropriations des terres agricoles au bord des villes. Comme dans les années 2000, les communes rurales (CR) ont peu de pouvoir et de marges de manœuvre. La gestion du bien collectif est réalisée par des associations sectorielles de développement local. La région a mis en place les circuits touristiques, mais pas nécessairement de tourisme rura). Cette vision s’inscrit dans le développement touristique de la province. La CR envisage des solutions pour bénéficier des rentes du tourisme (produits du terroir, gites, hébergement, …). En parallèle, on note le développement de coopératives et des infrastructures autour du tourisme (routes, eau potable, …). Les associations continuent d’assurer la gestion de ces infrastructures.

Dans une deuxième période, les mêmes évolutions sont toujours en cours mais les précédentes mutations ont désormais eu lieu. Le système rebondit face à ce krach. Concernant les systèmes de production, les MGP commencent la commercialisation des vergers (exploitation des fruits). Ils emploient de la main d’œuvre. Leur cheptel a augmenté et en cas de période de sécheresse, ils peuvent aisément assurer l’alimentation des chèvres par des compléments alimentaires. Pour les PP, on observe un statu quo en quelque sorte. En effet, il n’y a pas eu réellement d’augmentation du cheptel. Les pressions sur l’Arganier sont minimes. Le système du collectif

86 Prospectives territoriales en Pays de Haha coutumier (agdal) est toujours en place mais en profonde mutation. On remarque la baisse du système coutumier au profit d’une gestion du territoire par les MGP. La forêt dans son ensemble ne semble pas souffrir du surpâturage. Les Eaux et Forêts (EF) n’entre pas en conflit avec les populations locales. Pour les PP, malgré cette stagnation d’activité, les revenus ont tout de même baissé à la suite de la chute du prix de l’huile d’argan. En prenant en compte le renouvellement des générations, et l’alphabétisation croissante des jeunes, il apparaît que les jeunes ne veulent plus (ou de moins en moins) devenir bergers. L’exode rural est en accélération (car l’urbanisme s’accélère) et devient dans quelques cas définitif. Il n’y a plus personne pour garder les troupeaux chez ces PP. Ils décident donc de vendre une partie de leurs chèvres pour récupérer de l’argent car la surveillance du cheptel est limitée. La baisse du cheptel pour les PP est compensée par l’augmentation chez les MGP. Ces derniers ont repris le marché et ont racheté les terres laissées par les PP qui ont émigré. Les coopératives et certaines sociétés privées ont réussi la reconversion d’activité car ils se sont adaptés à la demande croissante des touristes.

En parallèle, les infrastructures touristiques dans les campagnes sont en place. On peut supposer quelques hypothèses sur le devenir des CR. Il est probable que la CR verrait ses pouvoirs augmenter. Des éléments de diagnostic actuels et futurs permettent de justifier une telle hypothèse. Il y a eu alphabétisation des élus, renouvellement des générations, des mutations sociales, et un certain retrait de la part du ministère de l’intérieur. Toutefois, l’augmentation du pouvoir de la CR est en relation directe avec sa capacité d’autonomie financière. Ainsi, ces hypothèses sur la croissance du pouvoir de la CR ne sont justifiées qu’en prenant en compte les facteurs susceptibles d’assurer l’autonomie financière. Ces hypothèses sont donc mises en discussion pour le débat. Nous supposons alors pour la suite que la CR gagne en pouvoir par rapport au contexte décrit dans le diagnostic. Ainsi, la gestion du bien collectif est assurée par la CR et deux issues sont possibles pour les associations de développement local i) Elles se voient dispenser de la réalisation des travaux et la gestion des infrastructures et s’effacent peu à peu. ii) Elles s’associent aux CR pour augmenter l’efficacité de la gestion des biens collectifs. L’urbanisation croissante à entraîné un fort exode rural définitif. Quelques problèmes épineux restent posés dans ce scénario, et pourraient mettre en danger la trajectoire de développement appuyée sur le tourisme et l’agriculture intensive. D’une part, la limitation des ressources en eau pourraient conduire à des problèmes concernant l’eau potable et l’irrigation, qui connaissent un développement important dans ce scénario. D’autre part, quel sera le devenir de l’écosystème dunaire et péri-urbain dans le cas de l’urbanisation croissante. La conservation et la préservation des paysages entreront-elles dans les enjeux futurs en matière touristique ? Quel sera alors l’état de l’écosystème en milieu rural ?

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Compte-rendu du débat final à Smimou

Nous proposons de résumer dans cette dernière partie les éléments de discussion soulevés au cours du débat organisé à l'issue de nos trois semaines de terrain, à Smimou, le 26 février 2009 et qui a été en quelque sorte le point d’aboutissement de cette étude. Le but de la construction des scénarios étant de parvenir à structurer et organiser une discussion sur les options stratégiques individuelles et collectives entre les acteurs du territoire, cette partie constitue donc une première piste d’évaluation de la pertinence et de l’utilité de cette analyse prospective.

1. Retour aux objectifs Dès le départ, notre objectif était, à partir de l'analyse des données récoltées lors des entretiens, de mettre en discussion les quatre scénarios que nous proposions. Nous n'avons pas cherché, en présentant ces scénarios, à nous positionner en tant qu'experts proposant des solutions pour l'aménagement du territoire de l'arganeraie et la gestion de la filière huile d'argan. Tout l'enjeu pour nous était de susciter le débat entre les acteurs présents lors de cette réunion à partir des scénarios que nous présentions : ces scénarios devaient servir de matériau de base pour lancer une discussion entre les participants. D’un point de vue pratique, nous avons d'ailleurs choisi pour cette présentation un lieu neutre, à savoir les locaux du Centre d'éducation à l’environnement, à coté de l'école de Smimou. Et nous avons tenu à rassembler tous les participants autour d'un couscous à l'issue de la réunion, non seulement pour les remercier de leur participation au débat, mais aussi pour que la discussion se poursuive de manière plus informelle. Quoique pouvant sembler anecdotiques, ces éléments, dont l’effet a pu être déterminant pour l’instauration d’un climat de confiance propice au débat, ne sont pas à négliger. Le nombre relativement important de participants au débat (25 environ, en plus de notre groupe d'étudiants et de notre équipe pédagogique) a montré l'intérêt que les différents acteurs du territoire portaient à notre étude. Par ailleurs, au cours du débat, chacun a pu prendre la parole à tour de rôle pour réagir à nos scénarios et aux points de vue exprimés par les autres participants. Pour que tout le monde puisse y participer, les principaux éléments de la présentation ont été traduits en arabe et en berbère. Par la suite, la triple traduction du débat (en berbère, arabe et français), quand cela restait possible, a été une tentative de n'exclure aucun acteur de la discussion. Diverses critiques ont été soulevées concernant les scénarios, et ont révélé des divergences d'opinions entre les personnes. Si on ne peut pas parler de « représentativité » au sens statistique, le débat a accueilli des acteurs aux statuts variés. Manquaient à l’appel les « petits agriculteurs » et « petits éleveurs », dont l’absence s’est révélée particulièrement dommageable ; en effet, les quatre scénarios proposés aboutissaient tous à des situations dans lesquels les petits éleveurs caprins (fortement dépendants des terres collectives pour faire paître leurs chèvres) étaient largement « perdants » et lésés. Les entendre à ce sujet n’aurait pas été inutile, soit pour valider ou invalider certaines des hypothèses de nos scénarios, soit pour en proposer un autre.

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2. Mise en place du débat à partir des scénarios Pour lancer la discussion, nous avons lancé des pistes de réflexions sur chaque scénario en mettant en lumière les messages dont ils étaient porteurs :

* Scénario 1 : Si la concurrence au sein de la filière huile d'argan repoussait les coopératives dans une niche de marché, l'impact social et environnemental ne serait-il pas problématique?

* Scénario 2 : Deux projets cohérents d'appui aux filières viande de chèvre et huile d'argan pourraient réussir à porter le développement du territoire, mais les petites structures ne risquent-elles pas d'être exclues et l'impact environnemental incertain?

* Scénario 3 : La mise en place d'un réseau d'aires protégées pourrait se justifier pour préserver l'arganeraie, mais quel serait alors l'impact local et à l'échelle du territoire?

* Scénario 4 : Si l'effet mode d'argan passe, le tourisme et le développement agricole pourront-ils porter le développement du territoire?

Ces pistes de discussion constituent une sorte de conclusion de notre analyse prospective invitant à saisir pour chacun des scénarios ces interrogations comme une question stratégique importante à envisager. En fait, la discussion s'est vite orientée sur chacun des scénarios, sans forcément s'appuyer sur ces pistes de réflexions proposées. Nous nous proposons donc à présent d'effectuer un retour critique sur nos scénarios à partir de la richesse des commentaires et éléments de discussion soulevés lors de ce débat.

3. Discussion sur le diagnostic et la méthode Pour commencer, le diagnostic en lui-même a été critiqué car basé sur un traitement qualitatif de données d’entretien, perçues comme beaucoup trop subjectives. Cette faiblesse du diagnostic a été utilisée par certains discutants pour remettre en question la pertinence et la crédibilité de nos scénarios. Leur élaboration est par ailleurs apparue trop superficielle. Certains acteurs auraient souhaité voir réalisée une véritable étude stratégique, mettant davantage l'accent sur les points forts et faibles surtout concernant les coopératives, les GIE, l'ACA, l'AMIGHA, etc… Un point précis du diagnostic a également été discuté, à savoir la définition de l'agdal : un schéma portait à confusion, car il ne s'agit pas d'un territoire délimité mais d'un mode d'organisation et de gestion de ce territoire, qui consiste à exclure temporairement les chèvres d'une zone très précise qui peut se trouver n'importe où, même dans la forêt à deux droits. Il ne nous a pas forcément était simple de justifier des choix méthodologiques faits dans le cadre de cette enquête au cours du débat lui-même. Néanmoins, la première partie de ce mémoire apporte des réponses claires et sans ambiguïté aux deux premières critiques : triangulation « triple » afin de valider les données d’entretiens, refus de se positionner comme « médiateur » ou expert en aide à la décision. 89 Prospectives territoriales en Pays de Haha

4. Discussion sur les scénarios Par ailleurs, les scénarios ont également été discutés en détails, les uns après les autres. Malheureusement, par manque de temps, l'accent a été mis essentiellement sur le premier scénario, au détriment des trois autres, même si tous ont été abordés à un moment ou à un autre.

4.1. Scénario 1 Concernant le premier scénario, dans lequel les sociétés privées ont une mainmise sur la filière huile d'argan, les avis divergent : certains pensent qu'un tel scénario n'aurait d'incidence ni sur l'arganeraie ni sur la population locale. En effet, la population locale, et en particulier les femmes adhérentes aux coopératives, détiendraient la ressource argan. Par conséquent, quel que soit le développement des sociétés privées dans l'avenir, elles ne pourraient jamais avoir une mainmise sur la matière première. Par ailleurs, la production de noix d'argan serait forcément limitée et déjà intégralement récoltée et aucune augmentation de la pression sur l'arganeraie ne serait donc envisageable. Avec le temps, face à l'augmentation de la valeur de l'huile d'argan, la population n'aurait pas d'autre choix que de s'organiser localement pour faire face à la concurrence des sociétés privées. C'est donc à la population locale que reviendrait l'organisation de la filière de A à Z, car c'est elle qui détient la ressource Argan. D'autres confirment qu'il n'est pas possible d'exclure ni les sociétés privées ni les coopératives de la filière huile d'argan, car il s'agit d'un système libéral. Des associations existeraient déjà pour défendre les intérêts des coopératives, d'ailleurs un cahier des charges pour l'IG serait en cours de rédaction. De plus, le Plan Maroc Vert travaillerait sur l'axe de création de nouvelles coopératives. Tous ces éléments mettent en avant, dans une telle perspective, que les coopératives ne pourraient pas être amenées à disparaître. Face à ce point de vue, un autre groupe d'acteurs pense que la femme rurale adhérente à une coopérative serait bel et bien touchée par la concurrence des sociétés privées dans le cas du premier scénario, car des coopératives viendraient à disparaître et ces femmes deviendraient alors salariées de sociétés privées. D'ailleurs, il a été souligné que la filière serait d'ores et déjà confrontée à une pénurie de noix d'argan. Certaines femmes du monde rural ne pourraient donc déjà plus travailler chez elles et souhaiteraient adhérer à une coopérative. Or, ces dernières sont saturées de membres et ne peuvent plus accepter de nouvelles adhésions. Face à cette impossibilité de rejoindre une coopérative, les femmes concernées rejoindraient alors des sociétés privées. Par ailleurs, il a également été précisé au cours du débat que seulement 2 % des personnes ayant des droits de jouissance sur la ressource arganier sont membres de coopératives. Ainsi, les coopératives ne détiendraient en fait que très minoritairement la matière première. Dans ce cas, elles pourraient potentiellement être évincées par les sociétés privées. Plus encore, les femmes ayant accès à la ressource n'adhéreraient pas aux coopératives : elles préféreraient concasser des amandons chez elles ou produire elles-mêmes de l'huile à la maison. D'autre part, il a également été souligné que des associations et investisseurs privés plantaient actuellement des arganiers sur des terrains privés. Quelle sera alors la part de la production naturelle 90 Prospectives territoriales en Pays de Haha de noix d'argan demain ? Aucune coopérative n’aurait en fait de prise sur la ressource. Ce serait même une erreur d'avoir mis l'étiquette « production féminine » sur les produits tirés des noix d'argan, car en fait ce serait l'homme qui maîtriserait la matière première. Les coopératives féminines seraient donc condamnées à acheter des noix d'argan ailleurs, ou à planter. Et c'est le secteur privé qui structurerait la filière. Le marché international serait d'ailleurs d'ores et déjà inondé par une production régulière et conditionnée d'huile d'argan provenant d’autres pays (ont été cités la Tunisie et Israël). Le problème résiderait donc dans le fait que les coopératives ne sont pas assez ancrées dans le territoire pour survivre dans le cas du premier scénario. Enfin, toujours concernant le premier scénario, un troisième avis exprimé considère qu'il en résulterait un statu quo : les sociétés privées et les coopératives évolueraient de toute façon dans la même filière huile d'argan, même si elles entrent en concurrence. En fait, tout concorderait alors pour le bien du consommateur, car ce sont les produits de qualité qui demeureraient sur le marché. De plus, comme le concassage ne peut pas être mécanisé, les coopératives ne pourraient pas disparaître et la valeur ajoutée reviendrait à la femme du monde rural. Certains ont même poussé la réflexion jusqu'à proposer des pistes de solutions pour aider les coopératives à faire face à la concurrence des sociétés privées. Il faudrait commencer par revenir aux textes législatifs réglementant l'entrée des sociétés privées dans la filière huile d'argan, car il existerait un vide législatif à ce sujet. Le texte législatif qui concerne les sociétés privées serait ambigu et il faudrait le préciser pour notamment reconnaître des droits d'usage sur l'arganeraie en faveur des familles rurales et des coopératives. En effet la présence des sociétés privées sur le territoire ne serait pas justifiée, selon certains acteurs. D'autres acteurs insistent sur la nécessité de reconnaître un droit particulier aux coopératives, notamment concernant l'accès à la matière première, afin de les protéger face à la concurrence des sociétés privées. Ce serait aux Eaux et Forêts que reviendrait cette mission.

4.2. Scénario 2 Concernant le 2ème scénario sur le développement conjoint des deux filières par la mise en place de deux Identifications Géographiques, sur la viande de chèvre de l'arganier et l'huile d'argan, certains considèrent que le processus est déjà en cours et qu'il ne peut avoir que des effets positifs pour la population locale. Le développement de la filière chèvre vers une production intensive aurait même un impact positif sur l'écosystème, quoique cela dépende de l'impact réel de la chèvre sur l'arganeraie. Pour y répondre, il serait nécessaire de savoir jusqu'à quel nombre de chèvres un équilibre entre la pression exercée par les chèvres et la ressource arganier subsiste. Le débat a ainsi rejoint la controverse autour de la définition d’une certaine « capacité de charge » de l’arganeraie

4.3. Scénario 3 Concernant le 3ème scénario, qui voit la mise en place d'un réseau d'aires protégées, certains pensent que ce serait la meilleure des choses pour le territoire. Mais cela ne pourrait être rendu possible qui s'il existe d'autres sources de subsistance pour la population rurale, pour compenser la 91 Prospectives territoriales en Pays de Haha mise sous cloche d'une partie du territoire. Dans notre scénario, nous aurions dû mieux préciser quel type d'agriculture serait permise dans la Zone Périphérique Multifonctionnelle, car l'agriculture moderne intensive a un impact négatif sur l'arganeraie. De plus, nous n’avons pas assez clarifié qui serait derrière la mise en place d'un réseau d'aires protégées, et nous avons négligé le rôle que pourraient jouer les associations. Selon un participant, elles seraient plus concernées que les bailleurs de fonds. Il est indispensable d'impliquer les populations locales pour que le projet réussisse. Enfin, d'autres personnes ont insisté sur l'importance de la terminologie employée pour rendre une aire protégée acceptable : il vaut mieux parler de « Parc » que d'aire protégée et éviter d'utiliser le terme de « clôtures ». Il faut expliquer aux habitants que plusieurs activités y seraient permises, selon la zone, et que tout le monde doit pouvoir participer à la mise en place et à la gestion de ces aires protégées.

4.4. Scénario 4 Enfin, la crédibilité du 4ème scénario, qui envisage le ralentissement de l'effet de mode « huile d'argan », a été remise en question par le caractère limité de la ressource Argan. Par conséquent, il y aurait peu de chance que le différentiel entre cette offre limitée et la demande d'huile d'argan et des produits dérivés disparaisse. De plus, l'intitulé du scénario a également été l'objet de critiques : la production d'huile d'argan aurait déjà été passée sous l'œil expert des scientifiques, qui auraient prouvé son impact positif sur la santé humaine. Il s'agit donc de quelque chose de plus solide qu'un simple effet de mode. Plus généralement sur les quatre scénarios, la discussion s’est notamment orientée sur une analyse plus approfondie de l’impact des scénarios sur le territoire. Se pose notamment le problème de concurrence des arbres subventionnés, comme le caroubier ou l'olivier, face à l'arganier.

4.5. Questions transversales aux quatre scénarios Concernant la question transversale à nos 4 scénarios qu'est la dégradation de la ressource arganier, là encore les avis divergent. Certains considèrent qu'il existe le même degré de conservation de l'arganeraie depuis plusieurs années. Au contraire, d'autres ont mis l'accent sur la question de la dégradation environnementale : pour la résoudre, il faudrait en priorité investir dans les missions d'éducation et de sensibilisation. Tous les autres problèmes (pression sur la ressource arganier, ...) se résoudraient d'eux-mêmes, pour certains. Plusieurs acteurs ont ainsi insisté sur le grand besoin de sensibiliser la population et les jeunes notamment, aux questions de protection de l'environnement pour lutter efficacement contre la dégradation de la ressource. Par exemple, il faudrait sensibiliser la population par rapport à la cueillette. Il faudrait que l'éducation passe par les enfants, pour assurer un meilleur avenir à moyen et long terme. Pour l'agdal, il faudrait respecter les périodes de cueillette dans la forêt, contrairement à ce qui se voit pratiquer actuellement. La réglementation de

92 Prospectives territoriales en Pays de Haha l'agdal serait amenée à devenir de plus en plus importante si la demande des noix augmente. Enfin, certains ont apporté d'autres éléments sur l'avenir de la ressource arganier en précisant que la régénération naturelle de l'arganier est meilleure, mais que des progrès restent à faire. D’autres questions transversales ont été posées. Le tourisme empiète sur les aires de parcours des chèvres et l'évolution de la démographie doit également être davantage prise en compte. De plus, qu'en serait-t-il des coopératives après le sevrage des différents financements qui leur permettent de vivre actuellement ? Il existerait un réel problème d'autonomie et de durabilité des coopératives créées récemment.

4.6. Autres scénarios proposés Enfin, d'autres scénarios ont également été proposés. Par exemple, un 5ème scénario envisage que les avancées dans l'amélioration génétique permettraient la mise en place de vergers d'arganiers pour augmenter la production de noix d'argan. Ces vergers se concentreraient sur la zone d'Imi-n- tlit. Les principales sources de revenus seraient l'agriculture, l'élevage, les PAM, le miel, l'huile et l'écotourisme. Avec toutes ces sources de revenus, ainsi que l'appui du Plan Maroc Vert, on pourrait imaginer un nouvel aménagement du territoire : le développement agricole, appuyé par la construction du barrage Djezouli à côté de Smimou, pourrait constituer une nouvelle source de revenus et modifier le mode de vie de la population locale. Passer d'un mode de production extensif à intensif conduirait à une nette augmentation du revenu de la population locale, et irait dans le sens de la préservation de l'écosystème Arganiers et Thuyas. Ce scénario proposé en séance, mériterait d’être examiné en fonction des différentes caractéristiques du systèmes analysé dans la partie diagnostic ; en effet, un certain nombre de freins et de blocages identifiés dans cette partie doivent trouver une réponse pour que ce scénario puisse fonctionner.

Un 6ème scénario a aussi été suggéré au cours du débat : il verrait la création d'une labellisation (type AOC) d'huile d'argan traditionnelle, faite à la maison. Cela permettrait aux populations locales de tirer profit de ce produit.

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Conclusion

Nous proposons de revenir sur les points les plus éclairants de la discussion que nous avons suscitée ente les différents acteurs et plus généralement de l'ensemble de notre démarche. Notre objectif a été d'emblée de nous placer dans le cadre d'un diagnostic dynamique basé sur des entretiens. A partir de multiples rencontres, que nous avons tenté d'étendre largement sur tout le territoire de l'arganeraie et même au delà lorsque cela était nécessaire, nous désirions atteindre tous les acteurs concernés de près ou de loin par la valorisation de la ressource « huile d'argan » et ce, à différentes échelles : nous avons ainsi rencontré des éleveurs, des agriculteurs, des adhérentes à des coopératives féminines de production d'huile d'argan et de plantes aromatiques et médicinales, des femmes produisant de l'huile d'argan chez elles, mais aussi des institutionnels tels que la DPA, les Eaux et Forêts, l’Office National de l'Eau Potable et d’autres services déconcentrés de l'État, des agents de la filière touristique, des sociétés privées de production d'huile d'argan, etc.. Au cours de ces entretiens, nous avons essayé d'amener les personnes rencontrées à nous parler des tendances économiques, sociales et environnementales, passées et actuelles, sur le territoire de l'arganeraie. A la lumière de ces tendances lourdes, nous avons cherché à comprendre leurs stratégies actuelles dans leurs activités, quelles qu'elles soient. Ces stratégies nous ont permis d'explorer leurs visions de l'avenir, leurs craintes et espérances pour demain. Et c'est à partir de toutes ces données tirées des entretiens que nous avons imaginé les quatre scénarios proposés. Nous mettons alors en évidence une première limite possible de notre étude, ou du moins une caractéristique sujette à discussion : en s'inspirant principalement des éléments tirés d’entretiens pour élaborer des scénarios, le travail présenté possède une certaine part de subjectivité. Et nous avons été confrontés à la difficulté de mettre en cohérence les différentes visions des acteurs, qui peuvent parfois s'avérer incompatibles. La structuration de scénarios multiples, mais chacun devant rester porteur d’une vision cohérente du monde, a cherché précisément à permettre la mise en discussion rigoureuse de ces différentes visions subjectives. Le compte rendu des débats montre qu’en partie nos scénarios ont cependant pu servir de points de référence pour que les différents acteurs puissent positionner leur propre vision de l’avenir, nous y reviendrons plus loin. Par ailleurs, au cours du débat proprement dit, nous avons assisté à l'instauration d'un certain jeu d'acteurs. Compte tenu notamment des contraintes liées à la traduction du débat simultanément en arabe, berbère et français, nous avons éprouvé des difficultés à attribuer équitablement les temps de parole entre tous les acteurs souhaitant s'exprimer et à répondre à toutes les remarques et questions soulevées. Notre capacité d’animation du débat a donc influencé les résultats produits par ce débat, dans lequel les institutionnels déjà familiers de l’exposé de plans et de programmes d’action ont pu avoir la part belle. Il est cependant

94 Prospectives territoriales en Pays de Haha notable qu’un certain nombre d’acteurs moins habitués à manier le langage de l’anticipation stratégique a pu s’appuyer sur nos ébauches de scénarios pour souligner un point de vue divergent, un projet alternatif. De plus, nous souhaitons également nuancer la position de neutralité que nous avons mise en avant au cours de notre étude. En effet, si nous avons été rigoureux dans la manière de retranscrire et utiliser fidèlement tout le matériau issu des entretiens, les choix des composantes du diagnostic puis des quatre scénarios imaginés sont nécessairement arbitraires, et sont issus de notre problématique de départ : cette dernière est fortement axée sur la question environnementale et le souci de préservation de l'écosystème. Cependant, notre travail nous semble avoir rempli les objectifs que nous nous étions fixés au départ, et ce à plusieurs niveaux. En effet, il est intéressant de souligner les intérêts d'inscrire notre étude dans une démarche de prospective. Tout d'abord, cette démarche présente l’intérêt et la relative nouveauté de ne pas se limiter à une image fixée de l'arganeraie, mais d’inscrire notre diagnostic dans la vision d'un territoire en perpétuel changement. Ensuite, l'outil de prospective a ici été utilisé afin d'intervenir dans une discussion stratégique. En effet, « mettre les gens autour d'une table » pour parler de l'avenir est certes utile pour confronter des visions différentes d'un même territoire, mais ce n'est guère suffisant. Le plus délicat reste de susciter mais surtout de structurer l'échange entre les différents acteurs, pour permettre à la discussion de progresser vers une meilleure cohabitation de toutes les activités sur un même territoire. En ce sens, nous considérons comme un certain succès le fait que nos scénarios, avec tous les points de faiblesse soulignés lors du débat (et peut-être grâce à ceux- ci !), aient efficacement permis de susciter un débat entre les acteurs. Il est en effet plus facile, lors d'un débat, de s'appuyer sur des propositions d'avenir fondées pour réagir et clarifier ses visions et opinions de la manière dont il faudrait agir sur le territoire, plutôt que de partir de zéro. Par conséquent, notre travail aura au moins été utile pour amener les acteurs à échanger leurs points de vue respectifs sur les projets d'avenir pour le territoire de l'arganeraie. Notre principal objectif, dès le départ, était de proposer un cadre pour la discussion, et cet objectif nous semble avoir été atteint. Par cet échange, les acteurs avec des stratégies convergentes ont pu prendre conscience de l'intérêt qu'ils peuvent avoir à mettre en commun leurs efforts pour défendre leurs opinions. Par exemple, une certaine convergence des points de vue a émergé sur le fait que la collecte de la noix d'argan était en quelque sorte un maillon faible de la filière sur lequel des efforts devaient être axés. Pour conclure, nous sommes conscients que notre travail n'a pas abouti à l'émergence d'un consensus autour de l'avenir de ce territoire et des actions à mettre en œuvre pour la préservation de l'arganeraie et le développement économique de la région, mais cela n'était pas notre objectif. Nous avions pour seule ambition d'aider à susciter un débat constructif entre les acteurs, pour les amener à découvrir ou redécouvrir leurs stratégies respectives. A

95 Prospectives territoriales en Pays de Haha présent, nous espérons que ce travail pourra alimenter la réflexion autour du devenir de l'arganeraie et de l'aménagement du territoire de notre zone d'étude.

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Abréviation : ADS : Agence de Développement Social ANOC : Association Nationale des Ovins et des Caprins CDF : Centre de Développement Forestier CR : Commune Rurale DPA : Direction Provinciale de l’Agriculture DREF – SO : Direction Régionale des Eaux et des Forêts ENDA : FNF : Fond National Forestier GTZ : Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit HCEFLCD : Haut Commissariat des Eaux, de la Forêt et de la Lutte Contre la Désertification PAM : Plantes Aromatiques et Médicinales PCDA : Projet de Conservation et de Développement de l’Arganeraie SAU : Surface Agricole Utile SPEF : Service Provincial des Eaux et des forêts UE : Union Européenne

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Bibliographie

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Ressources électroniques : http://www.gueugnon.fr/projet/cadran/def_cadran.htm consulté le 16 mars 2009

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Tables des matières détaillées

TABLE DES MATIÈRES...... 1

TABLE DES FIGURES ...... 2

TABLE DES TABLEAUX...... 3

REMERCIEMENTS ...... 4

INTRODUCTION...... 5

MÉTHODOLOGIE ...... 9

1. UNE ÉTUDE PROSPECTIVE TERRITORIALE : PRINCIPES ET OBJECTIFS ...... 9 1.1. Principes généraux ...... 9 1.2. Une analyse à long terme qui ne vise pas à identifier des solutions ...... 9 1.3. La prospective pour contribuer à la réflexion sur l’action collective autour de l’arganeraie...... 10 2. LA MISE EN ŒUVRE DE L’ANALYSE PROSPECTIVE PAR L’ENTRETIEN SOCIOLOGIQUE...... 10 2.1. Pourquoi utiliser l’entretien sociologique ?...... 11 2.1.1. Accéder aux discours sur le futur : construction d’une typologie...... 11 2.1.2. L’entretien pour accéder aux stratégies des acteurs ...... 12 2.1.3. La construction d’un guide d’entretien ...... 12 * La phase de présentation...... 13 * Parler des évolutions passées...... 13 * Parler du futur...... 13 2.2. Traitement des données issues des entretiens : une « triangulation triple »...... 14 2.2.1. Une triangulation entre les différents discours ...... 14 2.2.2. Un croisement avec la bibliographie...... 14 2.2.3. Une stratégie d’enquête collective ...... 14 3. UNE APPROCHE INDUCTIVE ET SYSTÉMIQUE ...... 15 3.1. Le choix d’une approche inductive ...... 15 3.2. Une stratégie d’enquête « buissonnante »...... 15 3.3. Les acteurs rencontrés...... 16 3.4. Les différentes phases de l’étude...... 17 3.4.1. Une phase exploratoire pour fonder l’approche systémique...... 18 3.4.2. Une phase d’approfondissement des thématiques structurantes ...... 19 3.4.3. La phase d’imagination des scénarios...... 19 3.4.4. Phase de mise en discussion des scénarios ...... 19 DIAGNOSTIC ...... 20

1. DIAGNOSTIC DU TERRITOIRE ...... 20 1.1. Choix de la province...... 20 1.2. Représentation du système ...... 20 1.3. Cadre physique ...... 22 1.3.1. Relief ...... 22 1.3.2. Climat ...... 22 1.3.3. Formations végétales ...... 24 1.3.4. Le système agro-sylvo-pastoral : pilier de l’agriculture au pays de Haha...... 24 1.4. Le tourisme dans la province d’Essaouira : un contraste majeur entre le littoral et l’arrière-pays...... 24 1.4.1. Essaouira : une destination à part entière...... 24 1.4.2. Un développement touristique fort sur le littoral...... 25 1.4.3. Quel développement touristique pour l’arrière-pays ? ...... 26

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1.5. Développement des infrastructures...... 26 1.6. Ressource eau : Adduction en eau potable, barrages et périmètres irrigués...... 27 1.7. Organisation du territoire ...... 28 1.8. Historique des projets de développement ...... 32 2. DIAGNOSTIC : GOUVERNANCE...... 33 2.1. Gestion coutumière et organisation agro-sylvo-pastorale : le cas de l’agdal...... 34 2.2. La gestion des biens collectifs : exemple de la mise en défens forestière et des adductions en eau potable...... 35 2.2.1. La gestion de la mise en défens forestière ...... 36 2.2.2. La gestion des adductions en eau potable ...... 36 2.2.3. Bilan gouvernance et la gestion du collectif...... 37 2.3. Les évolutions envisagées de la composante « gouvernance »...... 39 3. DIAGNOSTIC : FILIÈRE HUILE...... 39 3.1. L’huile d’argan : un produit identitaire de l’arganeraie...... 39 3.2. Étapes de fabrication...... 40 3.3. Filières ...... 41 3.3.1. Filière traditionnelle...... 41 3.3.2. Les coopératives...... 41 3.3.3. Les sociétés privées...... 42 3.3.4. Les intermédiaires...... 43 3.4. Commercialisation...... 43 3.5. Points importants pour la construction des scénarios ...... 44 3.5.1. La multiplication des acteurs et des spéculateurs...... 44 3.5.2. Une image fragilisée ...... 45 3.5.3. Le succès de l’huile d’argan : un effet de mode ou une tendance durable ? ...... 45 4. DIAGNOSTIC : SYSTÈMES DE PRODUCTION ...... 46 4.1. Exploitations agricoles : homogénéité autour de deux systèmes de production et diversité en termes de taille d’exploitation...... 46 4.1.1. Caractérisation des éléments qui expliquent l’homogénéité et la diversité au pays Haha...... 46 4.1.2. Description de la typologie des exploitations et mise en lumière des différences entre les systèmes d’exploitation familiale et patronale...... 47 4.1.3. Comment se composent les sources de revenus au sein des systèmes de production familiaux et patronaux ?...48 4.1.4. Comment sont connectés la SAU, le cheptel caprin et les revenus, avec la sensibilité aux éléments structurels ? Analyse sur le cas de la sécheresse...... 50 4.2. Quels sont les éléments moteurs agissant sur le système de production ?...... 52 4.2.1. Mise en évidence les éléments structurels (sécheresse, foncier, tourisme) et en quoi ils peuvent ou pourraient interagir avec le système de production...... 53 4.2.2. Présentation des acteurs qui interagissent avec le système de production (amont et aval) ...... 54 4.2.3. Mettre en évidence les leviers d’avenir...... 55 5. DIAGNOSTIC ÉCOSYSTÈME ...... 56 5.1. Contexte et objectifs...... 56 5.2. Traitements des données...... 57 5.2.1. État de l’écosystème ...... 57 5.2.2. La méthode D.P.S.I.R...... 58 5.3. L’analyse des représentations : démarche et objectifs ...... 60 5.3.1. Des représentations complexes de l’arganeraie...... 61 5.3.2. Représentations et stratégies de protection de l’arganeraie...... 62 5.4. Mise en dynamique du diagnostic...... 65 5.4.1. Une mise en dynamique de la problématique de la « dégradation » ...... 65 5.4.2. De nouvelles représentations de l’arganeraie, de nouveaux acteurs, de nouvelles stratégies pour la préservation ...... 65 5.4.3. De la nécessité d’intégrer pleinement la thématique environnementale : l’élaboration d’un scénario à message ...... 66 SCÉNARIOS...... 67

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1. SCÉNARIO 1 : LES GRANDES SOCIÉTÉS PRIVÉES, MAINMISE SUR LA FILIÈRE ARGAN ...... 69 1.1. Pourquoi ce scénario ?...... 69 1.2. Hypothèses structurantes...... 69 1.3. Quelle évolution pour la filière argan ? ...... 70 1.4. Impacts sur le territoire...... 71 2. SCÉNARIO 2 : LABELLISATION ...... 74 2.2. Pourquoi ce scénario ?...... 74 2.3. Hypothèses structurantes...... 74 2.3.1. Indication Géographique sur l’huile...... 74 2.3.2. AOP chèvre ...... 75 2.4. Quelles conséquences pour les filières ? ...... 75 2.4.1. Renommée et qualité des produits avec des débouchés touristiques majeurs...... 75 2.4.2. Exclusion des petites structures liée au coût élevé de la labellisation (adhésion, mise aux normes et contrôles) ...... 76 2.4.3. Différenciation de 2 filières : une classique et une labellisée ...... 76 2.5. Impacts sur le territoire...... 77 2.5.1. Systèmes de production : pression sur la ressource arganier ...... 77 2.5.2. Écosystème...... 77 3. SCÉNARIO 3 : CRÉATION D’UN RÉSEAU D’AIRES PROTÉGÉES ...... 78 3.1. Pourquoi ce scénario ?...... 78 3.2. Hypothèses structurantes...... 78 3.3. Point de départ...... 78 3.3.1. Principe du réseau d’aires protégées ...... 79 3.3.2. Délimitation...... 82 3.3.3. Financement ...... 83 * Paiements pour Services Environnementaux...... 83 * Compensations...... 83 3.4. Impacts sur le territoire...... 83 4. SCÉNARIO 4 : LES PRODUITS ARGANS, UN EFFET DE MODE ?...... 84 4.1. Pourquoi ce scénario ?...... 84 4.2. Hypothèses structurantes...... 84 4.3. Point de départ...... 84 4.4. Impacts sur le territoire...... 85 4.5. Limites et perspectives...... Erreur ! Signet non défini. COMPTE-RENDU DU DÉBAT FINAL À SMIMOU...... 88

1. RETOUR AUX OBJECTIFS ...... 88 2. MISE EN PLACE DU DÉBAT À PARTIR DES SCÉNARIOS ...... 89 3. DISCUSSION SUR LE DIAGNOSTIC...... 89 4. DISCUSSION SUR LES SCÉNARIOS...... 90 4.1. Scénario 1...... 90 4.2. Scénario 2...... 91 4.3. Scénario 3...... 91 4.4. Scénario 4...... 92 4.5. Question transversale aux quatre scénarios...... 92 4.6. Autres scénarios proposés...... 93 CONCLUSION...... 94

BIBLIOGRAPHIE...... 98

TABLES DES MATIÈRES DÉTAILLÉES ...... 100

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