Lapurdum Euskal ikerketen aldizkaria | Revue d'études basques | Revista de estudios vascos | Basque studies review

2 | 1997 Numéro II

Jean-Baptiste Orpustan (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lapurdum/1769 DOI : 10.4000/lapurdum.1769 ISSN : 1965-0655

Éditeur IKER

Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 1997 ISBN : 2-84127-142-0 ISSN : 1273-3830

Référence électronique Jean-Baptiste Orpustan (dir.), Lapurdum, 2 | 1997, « Numéro II » [Linean], Sarean emana----an 01 mai 2008, kontsultatu 20 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/lapurdum/1769 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/lapurdum.1769

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Propriété intellectuelle IKER UMR 5478 1

SOMMAIRE

A propos de quelques noms de lieux d'Anglet et de Biarritz Hector Iglesias

Problèmes de substrat (suite) Michel Morvan

La situation de la langue basque en Pays Basque Nord Bernard Oyharçabal

Hiru aditz aurrizki zahar 16. mendeko testuetan. Bernard Oyharçabal

Remarques sur le pronom Haina Georges Rebuschi

L'orient comme virtualite dans le carnet de 1835 d'Antoine d'Abbadie Aurélie Arcocha-Scarcia

Le magicien-guérisseur du carnet de voyage de 1835 d'Antoine d'Abbadie Yvette Cardaillac-Hermosilla

L'irrintzina : de la valeur emblématique à la désaffection Jean Casenave

L'identité basque dans l'œuvre de M. de Larramendi, S.J. (1690-1766) Txomin Peillen

Joañes Castet-en-Kantu Kahierra (Oztibarre, 1936) Charles Videgain

Histoire et onomastique médiévales.L'enquête de 1249 sur la guerre de Thibaud I de Navarre en Jean-Baptiste Orpustan

Structures familiales et destins migratoires à Sare au XIXe siècle Marie-Pierre Arrizabalaga

Wascones in plana descendunt... Civitas Lapurdum... Renée Goulard

Les origines labourdines d'Anglet Manex Goyhenetche

Une confrérie originale au Moyen Âge : l'Armandat du pays de Labourd Maïté Lafourcade

L'Aufklärung et la basquité Pierre Bidart

Politique culturelle et langue basque.Le centre culturel du Pays Basque (1984-1988) Denis Laborde

Linguistique, que d’erreurs en ton nom ! Txomin Peillen

Les relations internationales du nationalisme basque depuis son apparition jusqu'à la guerre civile espagnole (1890-1939) Alexander Ugalde Zubiri

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A propos de quelques noms de lieux d'Anglet et de Biarritz

Hector Iglesias

1. Le microtoponyme angloy Chiberta

1 Dans un précédent article1 nous avons déjà expliqué pourquoi le toponyme Chiberta, nom désignant un lac d'Anglet, est l'avatar populaire du nom très connu Gibraltar : ce dernier fut tout au long du XVIIIe siècle, ce que l'on ne savait jusqu'à la découverte, entre autres, de certains actes notariés, l'ancienne appellation officielle du lac.

2 L'existence, fait extrêmement important, d'une forme occitane ou plutôt « occitanisée » Gibarta, « Gibraltar » citée par Frédéric Mistral dans son célèbre Trésor dóu Felibrige, nous conforte dans notre hypothèse et ne laisse plus de place au doute. 3 Dans notre précédent article deux questions étaient néanmoins restées en suspens : 1°. Pourquoi a-t-on appelé Gibraltar cet endroit d'Anglet ? 2°. Pourquoi les formes Gibraltar ou Gibaltar, constamment utilisées dans les archives du XVIIIe siècle, disparaissent-elles complètement au cours du XIXe siècle ? 4 En ce qui concerne la première question, nous sommes en mesure d'apporter une réponse plus satisfaisante que celle que nous avions apportée précédemment. L'existence d'un mamelon ou dune ayant une hauteur de 20 m (sa hauteur maximale atteignant même 25 m., ce qui est considérable puisque les falaises biarrotes de la Côte des Basques ont une hauteur grosso modo de 40 m.) situé au bord du lac pouvait, comme nous l'avions écrit dans notre précédent article, fournir une explication tout à fait plausible. En tout cas, elle n'avait rien d'invraisemblable. Une carte levée par les Officiers du « Corps d'Etat-Major », et publiée par le Dépôt de la Guerre en 1856, outre celle dressée entre 1888 et 1892, nous montre parfaitement cette colline. Or, nous avons découvert un document qui nous prouve que cette éminence non seulement existait déjà au XVIIIe siècle, mais au demeurant qu'elle devait être considérable à l'époque, sa hauteur étant probablement plus importante qu'au XIXe siècle. Il s'agit d'un acte

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notarié dressé par Guillaume Monho (notaire exerçant à Anglet et à ) et daté de 17142 dans lequel il est fait mention d'une vigne « Scituée aux Sables dud. anglet de la Contenance denviron onze milliers et demy de pieds de vigne Comfrontant (sic) du levant a (sic), la riviere (sic) de cette ville Sable Commun dud. anglet entre deux, du Midyaune mon-taigne de Sable Commun, du Couchant a pinadar (sic) Comun (sic) de lad. parse. et du nort aussy a Sables Communs de la même parse. (...) ». 5 Les vignes angloyes de l'époque étant désignées par le nom de leur propriétaire ou par des appellations plus ou moins pittoresques, il est possible qu'une de ces vignes, probablement plantée sur cette dune ou colline appelée ici « montaigne de Sable », fût baptisée Gibraltar par dérision (phénomène extrêmement répandu partout et de tout temps). Par la suite, le nom de la vigne se serait appliqué au lac voisin ; c'est-à-dire le lac qui se trouvait près de la « vigne de Gibraltar » : le « lacq appelle (sic) Gibraltar ».

6 On pourrait également inverser le raisonnement : la vigne dite de Gibraltar aurait pris le nom du lieu-dit Gibraltar (c'est-à-dire très probablement le nom de cette « montaigne »), cette dernière hypothèse étant d'ailleurs la plus probable. 7 Ce phénomène, qui consiste dans le fait qu'un nom désignant dans un premier temps un endroit bien particulier finit par désigner également la plupart des lieux qui se trouvent aux alentours, s'est aujourd'hui poursuivi puisque la forêt du Pignada (nom officiel) qui se trouve à côté du lac est appelée forêt de Chiberta (forme populaire de Gibraltar). A tel point que l'écrasante majorité de la population locale ne sait pas que le véritable nom de cette forêt est Pignada. 8 Du reste, la découverte de l'existence à Anglet au début du XVIIIe siècle de cette « montaigne de Sable » située en bord de mer ne fait que renforcer, sinon confirmer, notre hypothèse. C'est ainsi qu'il faut certainement expliquer la présence du toponyme Gibraltar à Anglet : ce devait être le nom donné par la population à une énorme dune surplombant une sorte de chenal ou passe (cf. infra). En outre, Jean Goyhenetche a découvert en consultant les délibérations de la communauté (archives municipales d'Anglet) un document extrêmement intéressant qu'il a eu l'amabilité de nous communiquer : « Le Vingt sixieme du mois de decembre 1762, En Lassemblée generalle tenue par les hans [habitants] de la parroisse danglet, il a ete fait lecture du reglement que les Sr abbé Jurats [illisible] ont fixe devoir etre paye par les particuliers qui ont Souffert des domages et qui ont ete remplacés dans le nouveau Sable, et ceux qui ont achepté (sic) les nouveaux sables dans la sable (sic) laissé par la mér (sic) (...) Nouveaux Sables de gibaltar (...) [signé] Pene [et] Landalde [notaire] Dithurbide ». 9 Il s'agit de la plus ancienne mention jamais découverte jusqu'à présent en ce qui concerne le nom de ce lac (mais il est probable qu'on en trouvera d'autres). Plusieurs remarques : le fait qu'il soit fait mention des « Nouveaux Sables de gibaltar » laisse supposer qu'il y en avait d'autres plus anciens, donc que le nom « gibaltar » (variante de Gibraltar) existait déjà auparavant.

10 Si on en croit cette délibération, il s'est produit un événement en 1762 qui a eu pour conséquence que la mer s'est retirée. On est donc autorisé à penser que l'actuel lac était relié à l'océan par une sorte de chenal, canal ou passe ; autrement dit, si l'on devait utiliser une métaphore : un détroit (cf. la carte de 1779). La situation semble se préciser de plus en plus. Un bras de mer qui s'enfonce à l'intérieur des terres et qui pour une cause indéterminée, probablement une tempête ayant entraîné un déplacement des dunes, se retire et un lac (jusqu'alors relié à la mer) situé au pied d'une colline,

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mamelon ou « montaigne » relativement important. Il ne s'agit pas d'une simple hypothèse. Un plan du cours de l'Adour daté de 17313 nous montre parfaitement quelle était à cette époque la situation topographique de cet endroit d'Anglet, du moins en ce qui concerne le tracé du fleuve car la dénivelée du terrain n'y est malheureusement pas indiquée. A l'époque l'embouchure de ce dernier était située grosso modo à deux kilomètres au sud du lieu où elle se trouve actuellement (soit 1000 toises ; 1 toise = 6 pieds ; 1 pied = 0,324 m. ; 1000 toises = 1944 m.). L'actuel lac appelé Chiberta est manifestement la seule trace visible de ce qui reste de cette ancienne embouchure « qui - est-il précisé dans ledit plan - n'est plus pratiquée depuis 1729 » (il y en avait également deux autres situées plus au nord ; au total il y en avait trois, désignées dans ledit schéma par les lettres A, B, C). 11 De là à penser que la population ait, par dérision, comme cela s'est toujours fait un peu partout (cf. le rocher toulonnais appelé lou pichoun Gibarta, « le petit Gibraltar » cité par Frédéric Mistral), baptisé Gib(r)altar (d) ledit endroit d'Anglet et cela en souvenir des célébrissimes rocher et détroit, il n'y a qu'un pas. 12 Quoi qu'il en soit, il existe une certitude : cet endroit était à une époque appelé Gib(r)altarid). Les preuves abondent. Les écrits, étalés sur quarante ans, de quatre notaires d'Anglet (les deux Dhiriart, probablement père et fils, Dithurbide et Darancette) et une carte du Génie (une des plus belles du XVIIIe siècle d'après René Cuzacq) le prouvent de façon incontestable puisque trois formes Gibraltar, deux formes Gibraltard et deux formes Gibaltar sont attestées dans les documents. 13 La forme Gibraltar, attestée en 1771, en 1779 et en l'an IX, est une forme correctement orthographiée en français pour des raisons de prestige social (la forme Gibraltard, attestée en février et en novembre 1790, notaire Pierre-Florentin Dhiriart, étant une forme hyper-corrective et francisante construite par analogie avec les finales en -ard très courantes en français). 14 Nous disposons aussi de la forme Gibaltar (attestée en 1762, notaire Dithurbide et en 1779, notaire Darancette et en ancien provençal, d'après Mistral, où elle est à l'origine du toponyme moderne Gibarta < Gibaltar). Il ne s'agit pas d'une erreur. Ces deux formes apparaissent à deux dates différentes et sont rapportées par deux notaires d'Anglet. Cette forme devait être plus proche de la prononciation locale, en tout cas elle devait en constituer un meilleur reflet que la forme Gibraltar (d). 15 En ce qui concerne la vibrante finale, il ne peut s'agir manifestement que d'une graphie étymologique ou traditionnelle. A l'époque, fin du XVIIIe siècle, et même au début du XIXe siècle dans les documents émanant de la sous-préfecture de Bayonne, Pignada est écrit Pignadar (graphie étymologique < pin (h) + ata + are). 16 Or, il est absolument certain qu'au XVIIIe siècle ce r final ne se prononçait plus : on écrivait pignadar mais on prononçait pignada. A la fin du XVIII e le notaire Dhiriart écrit Betbeder et plus loin, dans le même document, Betbedé, ce qui prouve aussi que dans ce patronyme la vibrante finale ne se prononçait plus ; Betbeder étant simplement une graphie traditionnelle faisant apparaître la vibrante étymologique comme dans la forme Pignadar. 17 La forme Gibalta n'est pas attestée (du moins, nous ne l'avons pas encore trouvée), mais il est clair que dans la forme Gibaltar le r final ne se prononçait plus. Les notaires angloys Darancette et Dithurbide écrivaient -tar ce que les autochtones angloys

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prononçaient [-'ta] (accentué en gascon sur la dernière syllabe, avec vibrante finale non articulée : -tá (r)). 18 Au demeurant, cela rejoint la forme provençale Gibarta (autrefois Gibaltar ; forme identique à celle d'Anglet) et la catalane Gibraltá citées par Mistral (qui ne note jamais les vibrantes finales étymologiques ; il écrit Lesca au lieu de Lescar, etc.). On pourrait ajouter la forme andalouse écrite Gibraltar mais prononcée en réalité Gibraltá ou Gibraltáa (avec une jota et allongement compensatoire de la voyelle finale). Les exemples sont très nombreux : les localités béarnaises Lescar, Lagor, Montaner, Mur. Bourgaber « se prononcent aujourd'hui, écrit Valentin Lespy dans sa Grammaire béarnaise..., certainement parce que telle en a été de tout temps la prononciation : Bourgabè, Lago. Montané, Mu ». Certains spécialistes donnent comme date la fin du Moyen-Age, époque à partir de laquelle cette vibrante finale ne devait plus se prononcer. 19 Le digramme initial < gi > dans gibaltar est plus délicat à interpréter. En théorie, il devait correspondre à une prononciation angloye et gasconnisante [ji-] : Jean > Yan ; Jules > Yules ; Julien > Yulièn ; Jacques > Vaques ; etc. En ce qui concerne la région bayonnaise au XVIIIe siècle, on en a la preuve : les notaires angloys écrivent parfois « auyé » et « menyon » les noms de maisons qu'ils écrivent par ailleurs la plupart du temps « auger », « oger » et « menjon ». 20 Autrement dit, à la fin du XVIIIe siècle, les graphies auger et oger équivalaient à Anglet à une prononciation oyé, c'est à dire/o'je/. La graphie gibaltar devait donc correspondre en théorie à une prononciation *yibaltâ, c'est-à-dire/jibal'ta/. 21 Le passage de -bralta (r) > -berta, s'explique ainsi :

22 1°. La simplification du groupe consonantique -br-, qui passe à -b, avec chute de la vibrante par dissimulation dans -bralta > -balta, est attestée, nous l'avons dit, par les formes Gibaltar (en 1762, en 1779 et dans le dictionnaire de Mistral) et par le toponyme moderne Xibaltarre que l'on trouve à Saint-Palais et à Ostabat (avatar récemment basquisé de la forme française Gibraltar et qui, comme nous l'avons déjà expliqué dans notre précédent article, n'a absolument aucun rapport avec le toponyme angloy Gibraltar). 23 2°. La fermeture de la voyelle a en e lorsque les voyelles i et u se trouvent dans une syllabe antécédente est attestée dans plusieurs endroits du Pays Basque (cf. Michelena, FHV, §2.4 : aita > aite, Donibane > Doniane > Doniene, etc.). Mais ce phénomène n'est pas propre au basque. On sait que ce sont spécialement les voyelles qui s'influencent à distance ; la dilation vocalique étant parfois appelée métaphonie. Dans le cas présent la fermeture de la voyelle a est due à l'influence dilatrice de la voyelle palatale i qui se trouve dans la voyelle précédente. On appelle ce phénomène harmonie vocalique. Dans le dictionnaire de Simin Palay, on trouve plusieurs doublets où alternent dans le corps d'un mot les voyelles a et e, alternance qui est due très probablement à la présence d'un i (élément palatal) dans la syllabe précédente : afidance / afidénee, « confiance » ; alibarat / aliberat, « alerte, vif ; bialè / bielè, « hameau » : etc. Il est difficile de savoir si le passage de *Chibarta à Chiberta est dû à l'influence du basque ou du gascon. 24 3°. Le passage de -l- à -r- devant une autre consonne, sourde ou sonore, n'est pas rare en basque (arbendol, armendol < esp. almendro, arphutx < alplwrtxa < esp. alforja, remorke < esp. remolque, komurgatu < komulgatu < esp. comulgar, etc.). Mais ce phénomène n'est pas propre à la langue basque : on le retrouve en languedocien, en provençal, en béarnais et en français.

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25 4°. Le passage de l'initiale Gi- à Chi-, c'est-à-dire l'assourdissement de la sonore initiale, pourrait être dû à l'influence directe du basque, c'est-à-dire le fait de bascophones comme cela a été le cas en Basse-Navarre où ces derniers prononcent Xibaltarre les deux toponymes bas-navarrais Gibraltar. Dans la région bayonnaise, la chose paraît moins évidente car il faut tenir compte ici également d'une situation linguistique plus complexe due à la présence du gascon de Bayonne et par conséquent à l'existence de lois phonétiques qui lui sont propres. 26 En français standard le j de jeune est une fricative apico-alvéolaire sonore à laquelle correspond une sourde, c'est à dire le ch- de cheval ; ce ch étant, quant à lui. le plus souvent une apico-prépalatale. D'après Jean-Baptiste Orpustan, dans le français populaire de la région de Bayonne ce j ne se prononce pas exactement comme en français d'oïl. Henri Gavel avait déjà souligné qu'à Bayonne sa prononciation n'était pas tout à fait celle du français (cf. infra). Ce j aurait peut-être à Bayonne un type d'articulation prédorso-prépalatal, et non pas apico-alvéolaire ou apico-prépalatal. Il est possible que cette réalisation particulière du phonème en question ait été, dans le cas de notre toponyme angloy, interprétée et rendue en français, du moins d'un point de vue graphique, par < ch >, c'est à dire le son [š]. 27 Pour accepter cette hypothèse, il faudrait admettre que la graphie < gi > correspondait à une prononciation locale gi- (à peu près comme dans le français gîte, mais avec une réalisation particulière) et non pas yi-, ce qui n'est pas impossible puisque Henri Gavel note qu'au XIXe siècle les Biarrots - mais pas les Angloys - d'un certain âge prononçaient l'initiale des mots your, « jour », you, « moi », etc. « à peu près (c'est nous qui soulignons) comme un j français » 4 et, au début du siècle, le chanoine G. Larre 5 célèbre curé de l'église Sainte-Eugénie de Biarritz, faisait remarquer que les Biarrots du quartier Saint-Martin disaient you, « moi » et ceux du quartier Sainte-Eugénie jou, « idem ». Ainsi la forme attestée gihaltar aurait peut-être correspondu à une prononciation locale *gibaltá ou *gibartâ et non pas *yibaltâ ou *yibartâ (avec y du mot yatagan). 28 En revanche, le phénomène /ž/ pouvant avoir en gascon une réalisation [ž] ou [j], si l'on part d'une initiale y- (c'est-à-dire la fricative dorso-palatale sonore ou yod) qui aurait dû, en théorie, se présenter régulièrement en sous-dialecte gascon angloy puisqu'on prononçait à Anglet, entre autres, Yan, « Jean », « auyé » et « menyon » les noms écrits normalement Jan, « idem », « auger », « oger » et « menjon », ce qu'en outre les divers travaux de dialectologie gasconne qui existent semblent confirmer, il faudrait alors admettre un passage de [j-] à [š-]. Ce dernier est attesté en basque (par la suite ce [š-] est passé à [x-], c'est à dire la jota espagnole dans plusieurs endroits, principalement en Guipuscoa) et dans certains parlers romans hispaniques : galicien, astu-rien, aragonais, etc. (cf. Luis Michelena, FHV, § 9.3). 29 Dans le dictionnaire de Simin Palay on trouve seulement deux paires léxématiques où alternent à l'initiale le yod et la fricative prépalatale sourde [š-] : yancàyre « qui gambille » / cliancàyre, « qui va à cloche-pied » et yanques, « les jambes, en style plaisant ; usité surtout en parlant de jambes longues » / chanque, « échasse ». Ces mots sont employés dans les Landes ; le groupe graphique < ch > pouvant représenter dans certains endroits des Landes, d'après Simin Palay, un t mouillé. 30 Il se peut également qu'il se soit produit chez les locuteurs angloys une confusion entre les chuintantes pures que sont le j et le ch ; la première étant sonore et la seconde sourde. La perte de la sonorité se serait produite alors naturellement.

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31 Ce phénomène est attesté ailleurs. D'après Henri Gavel, en espagnol la confusion entre ces deux chuintantes s'est également produite. A partir du XVIe siècle, le j espagnol (équivalent du j français de jeune) subit une évolution parallèle à celle de l'x (c'est à dire [š] qui à cette époque commence à passer à [x], c'est à dire la jota espagnole actuelle). Dans la seconde moitié du XVIe siècle « l'assourdissement du j devient à peu près général, et dans le premier tiers du XVIIe très rares sont les Espagnols pour qui l'ancienne distinction répond encore à une réalité6 ». En sorte qu'en espagnol, la jota est l'aboutissement unique de l'évolution subie par les deux anciennes chuintantes, l'une sourde et l'autre sonore et à l'époque « graphiées » respectivement < x > et < j >. 32 Toutefois, il est possible aussi que le nom Gibraltar (de l'arabe Djabal al-Tariq, « la montagne de Tariq », du nom d'un chef berbère qui conquit le lieu en 711) nous soit tout simplement parvenu d'Espagne à une époque où la chuintante sonore était déjà devenue sourde (mais pas encore une jota), c'est à dire à une époque où en Espagne on prononçait *Xi-, prononciation assourdie qui se serait conservée à Anglet jusqu'à nos jours. Cette explication présente néanmoins deux difficultés : 33 1°. Elle implique qu'au XVIe siècle, cet endroit d'Anglet était déjà appelé Gibraltar, ou plutôt *Xib(r)altá (r), ce qui, dans l'état actuel de nos connaissances, est invérifiable mais cependant tout à fait plausible. 34 2°. Elle ne permet pas d'expliquer pourquoi au XVIIIe siècle les notaires et le Génie utilisaient toujours la forme Gibraltar (d) ou Gibaltar au lieu d'une forme théoriquement attendue *Chib(r)altar (d). Ici, la seule explication est que les notaires et le Génie utilisaient, pour des raisons de prestige social, une graphie étymologique (dans le cas de Gibaltar, plus ou moins étymologique) qui ne correspondait pas à la véritable prononciation du moment. A cette époque, les notaires et le Génie auraient ignoré cette dernière pour des raisons de renommée sociale, des raisons qui les poussaient à éviter l'emploi de formes considérées « vulgaires » : Betri/Petri très souvent remplacé par Pierre, Ganixume (« Ganichoumé ») par Jeanpetit, etc. Du reste, dans certains cas, comme nous l'avions déjà souligné dans notre précédent article, le notaire Darancette écrit Chocou le patronyme Jocou et chavello ou chavollo le nom de famille angloy Javelot 7. Or, en dehors du fait que cela semble confirmer ce dont nous nous doutions déjà fortement, c'est-à-dire que ce notaire angloy était très certainement bascophone (ou que son ou ses clients étaient bascophones ; voire les deux, le(s) client(s) et le notaire), cela prouve également que la réalisation graphique Jocou pouvait tout à fait correspondre à une prononciation attestée Chocou. Rien ne nous empêche, par conséquent, de penser que la réalisation graphique < gi- > pouvait correspondre à une prononciation populaire chi-. 35 Autrement dit, sans que personne ne parlât nécessairement basque à Anglet, il aurait peut-être été possible qu'on ait pu aboutir en gascon à la forme actuelle Chiberta soit : 36 1°. A partir d'une forme gasconne *Gibertá < *Gibartá < Gibaltá(r) (où à l'initiale la chuintante sonore caractéristique de la région aurait été rendue en français par une fricative apico-prépalatale sourde ou bien tout simplement confondue avec elle par les locuteurs angloys ; sans qu'on puisse toutefois expliquer dans ce dernier cas cette confusion, qu'il faudrait alors considérer comme spontanée). 37 2°. A partir d'une forme *Yibertá < *Tibartá < *Yibaltá(r) ; avec à l'initiale une alternance yoc / fricative prépalatale sourde, alternance qui semble avoir existé en gascon, quoique rare (deux cas seulement dans l'imposant dictionnaire de Simin Palay) 38 3°. A partir d'une ancienne forme espagnole *Xib(r)altá(r), avec < x > = [š].

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39 Par conséquent, il est malaisé de trancher : s'agit-il d'une évolution romane dans laquelle des locuteurs bascophones n'auraient eu à jouer aucun rôle ou bien s'agit-il d'une basquisation phonétique due à la présence, comme dans le cas de la forme bas- navarraise Xibaltarre, d'une population euskarophone ? 40 En effet, il n'est pas impossible que la forme gasconne du toponyme ait été basquisée à son tour car, comme nous le démontrerons dans un travail ultérieur, il est probable qu'à la fin du XVIIIe siècle, et même au début du XIX e siècle, il y avait à Anglet une population bascophone autochtone. De plus, cette hypothèse, si on écarte celle construite à partir de l'ancien espagnol, a l'avantage d'être très simple ; la basquisation impliquant automatiquement l'assourdissement de la sonore. 41 Nous avons effectué quelques recherches complémentaires. Nous avons consulté un nombre considérable de délibérations de la commune d'Anglet rédigées entre le début du XIXe siècle et l'année 1832, époque à laquelle le cadastre est réalisé. Cependant, nous n'avons trouvé ni la forme Gibraltar (attestée pour la dernière fois le 02 frimaire de l'an IX, c'est-à-dire l'année 1800, cf. notaire Pierre-Florentin Dhiriart) ni la forme Chiberta. Il est probable cependant que des recherches encore plus poussées permettent un jour d'en trouver une ; voire les deux. 42 Le 1er août 1832, M. Delfosse, Contrôleur des contributions directes, se réunit avec M. Martin-Charles Chégaray Maire-Président d'Anglet, qui a convoqué son conseil municipal « au lieu ordinaire des Séances pour Entendre les propositions des Classifïcateurs du Contrôleur et de l'Expert qui ont procédé à l'Expertise Cadastrale de la Commune ». M. Delfosse rend alors « compte à l'assemblée de ce qui a été fait pour parvenir à la Classification du Territoire », après avoir « Exposé, 1 ° que M. M. les classifïcateurs, & L'Expert après avoir parcouru avec lui le Territoire, ont arrêté ainsi qu'il Suit le nombre de classes dont chaque nature de propriété leur a paru Susceptible ». 43 Que l'expert dont il est fait mention ci-dessus - on pourrait probablement en dire autant des classifïcateurs -est originaire d'Anglet ne fait guère de doute car, dans ce genre de situation, il est toujours fait appel à des autochtones comme cela fut le cas le 12 fructidor de l'an XI8 où il est clairement indiqué que les experts représentant Anglet sont deux Angloys bien au fait des réalités locales : « Pierre Poydenot, et florentin Dhiriart, experts d'anglet ». Ceux qui représentent Bayonne sont également deux Bayonnais. 44 En ce qui concerne l'exposé de M. Delfosse, le maire d'Anglet, M. Chégaray, et son conseil municipal n'émettent pas, semble-t-il, la moindre réserve quant à la forme Chiberta, manifestement la seule qu'ils connaissent, forme qui apparaît à plusieurs reprises dans le compte-rendu du géomètre en chef M. Baraud9, ainsi que, bien entendu, dans le plan cadastral. 45 Manifestement ni le maire ni le conseil municipal, ni la population en général ne doivent plus savoir ce que peut bien signifier le nom Chiberta et encore moins qu'il s'agit d'une forme populaire du nom de Gibraltar (au même titre qu'en Occitanie on a Gibraltar > Gibarta, avec < Gi- > réalisé [dži-] ou [dzi-]) : ce qu'en revanche les notaires angloys, probablement plus cultivés, savaient tout au long de la deuxième partie du XVIIIe siècle. 46 Le conseil municipal d'Anglet, maire en tête, confirme, suppose-t-on alors, les informations recueillies par le géomètre en chef. Quoi qu'il en soit, d'après le plan

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cadastral, que le maire et le conseil municipal ont consulté, le nom du lac en 1832 est Chiberta. 47 Par conséquent, la forme Chiberta ne devait pas être le fait d'une minorité car si cela avait été le cas, le maire et son conseil municipal auraient rectifié, autrement dit écarté une forme Chiberta considérée comme marginale et rétabli la prononciation la plus courante. 48 D'autre part, il existe une forme Chimberta attestée en 1874 et en 1876. Cette dernière apparaît une première fois dans un plan de la commune qui fut offert en 1874 par le maire d'Anglet. M. Bernain, au Marquis de Nouilles. Il s'agit d'une très belle carte (cf. notre précédent article) signée en personne par le maire et réalisée par lui puisqu'on peut y lire : « Lith. F. Bemain, Bayonne ». D'autre part, elle apparaît également dans une délibération municipale angloye (12 novembre 1876) découverte par Jean Goyhenetche. Ce dernier a eu l'amabilité de nous communiquer ce document où il est écrit : « Mise en ferme du droit de pêche dans le lac de Chimberta (sic) ». 49 Le maire, bien qu'angloy, était relieur-imprimeur-lithographe de profession dans la ville voisine. En Tan III10, son père ou grand-père, Jean Bemain, qui était « marchand relieur » à Bayonne, avait acheté à la citoyenne angloye Marie Landalde, veuve Hitze, la maison d'Anglet appelée Larroque, dont elle était la « maitresse fonciere ». 50 Ce plan a très certainement été réalisé par des autochtones, en tous cas lithographié par le maire. La forme Chimberta a donc bien été prononcée par des Angloys de cette époque. Le maire n'a pas jugé bon de la rectifier tout simplement parce qu'elle devait constituer un reflet de la réalité linguistique qui était celle de ses concitoyens. 51 En théorie cette forme Chimberta paraît simple à expliquer si on admet une basquisation phonétique due à une présence in situ de locuteurs bascophones. 52 En basque, les exemples sont nombreux où une nasale -m-, dépourvue de valeur étymologique, apparaît devant une labiale, surtout la bilabiale -b- (cf. notre précédent article et l'article de Jean-Baptiste Orpustan11). Henri Gavel, quant à lui, cite également, entre autres, l'exemple du basque kimpula, aujourd'hui écrit kinpula, variante de kipula, « oignon ». Mais le phénomène existe également en castillan où, écrit Henri Gavel12, « les cas de cette sorte, on le sait, sont particulièrement fréquents » ; par exemple dans des formes telles que trampa, issue d'une racine trap ; zambullir, « plonger, se baigner » (et son doublet zabullir), du latin subbullire. Il est vrai que pour chaque exemple castillan qu'il cite, notre auteur émet une hypothèse qui pourrait parfaitement expliquer cette nasalisation en espagnol - mais ses hypothèses n'expliquent pas les exemples basques qu'il cite. 53 Par conséquent, deux faits ne nous permettent pas de savoir quelle est exactement la cause de la présence de cette consonne -m- dépourvue de valeur étymologique, puisque : 54 1°. Il peut s'agir d'un « de ces phénomènes de nasalisation, précise Henri Gavel, auxquels est particulièrement favorable, dans toutes les langues, la proximité d'une labiale, et surtout d'un b ». 55 2°. Cette nasalisation peut également avoir existé en occitan de Gascogne et être présente, entre autres, dans le mot gascon cabriole, capirole, « cabriole » qui a pour variantes les formes cambriole, cambirole. Dans ce mot gascon, la nasale -m-, qui apparaît devant la labiale, ne peut pas être étymologique puisque le mot cabriole est issu de lit. capriola, de capriolo, « chevreuil », avec b par influence de cabri et que le mot chevreuil,

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quant à lui, est issu du lat. capreolus, de capra. Il n'est pas impossible, toutefois, qu'il y ait eu contamination ou croisement avec des mots gascons tels que càmbre, cambòt, cambùs, etc. 56 Dans le dictionnaire de Simin Palay, nous n'avons trouvé apparemment qu'un seul autre exemple : dab, dap, dat, dabe, « prép. avec » qui a pour variante dans le Gers une forme dàmbe où la consonne interne -m- n'est pas non plus étymologique ; mais ici aussi il est probable qu'il y a eu un phénomène de contamination. Il faudrait réaliser une étude approfondie du lexique gascon afi de savoir s'il existe ou non de véritables cas d'« anticipation nasale de la bilabiale » comme cela est le cas en basque. 57 Ainsi, sans que personne ne parlât basque, l'évolution Chiberta > Chimberta aurait peut- être pu se produire. Mais en basque le phénomène étant manifestement plus fréquent qu'en gascon, l'hypothèse d'une basquisation reste dans le cas présent la plus probable. D'autre part, ce phénomène consistant en une évolution -b- > -mb- est dû à un substrat bascoïde. 58 A cette époque plus d'une centaine de propriétaires portent un patronyme basque sur un total de 547 propriétaires recensés. Cela ne nous autorise pas à dire qu'ils étaient tous bascophones (ni que ceux qui portaient des patronymes romans ne l'étaient pas), mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'un fait intéressant.

2. Le nom basque du quartier de Biarritz appelé La Négresse

59 D'après le dénombrement de la population de 185113, Biarritz était composé de 366 maisons (quasiment le même nombre qu'en 1764, cf. Rôles de Capitation d'après le docteur Joseph Laborde), de 418 ménages, de 2048 habitants (« Français d'origine 1999 ; naturalises (sic) 0 ; Belges 1 ; Suisses 3 ; Espagnols 44 - presque tous portant un patronyme basque - : autres 1 ») et de huit quartiers ou hameaux : « quartier de Boussingorry » (dans plusieurs minutes notariales de XVIIIe siècle ce nom apparaît également sous la forme « Boustingorry », c'est-à-dire « argile rouge » en basque < buztin-gorri) ; « quartier de Bas » ; « quartier de Hurlague » ; « quartier de Haut » ; « hameau de Salon » ; « hameau de harausta dit La Négresse » ; « hameau de Gardague » ; « quartier de Legure » (ou « Lagurre », cf. minutes notariales du XVIIIe siècle). Au XVIIIe siècle, il existait également un « quartier de Chabiague » (cf. minutes notariales), aujourd'hui connu sous le nom de La Milady14 ; la mise en place progressive de la signalisation routière bilingue, qui a lieu actuellement dans la commune de Biarritz, a rétabli le nom historique basque : Sabiaga (cependant, sous la pression de certains partis jacobins qui siègent au conseil municipal, toutes les appellations historiques, c'est-à-dire Hurlaga. Buztingorri, etc., seront certainement écartées et celles qui ont déjà été mises en place, comme Sabiaga, probablement supprimées).

60 En 1896 le quartier historique de Boussingorry ou Boustingorry fut amputé du Domaine Impérial et de la zone du Phare, qui furent rebaptisés « quartier neuf. D'autre part, le nom du site rocheux où est situé l'actuel phare était Haissart (forme attestée en 1770 et 1793), avatar « gasconnisé »15 du basque haitz-arte, « entre les rochers » et non pas « entre les chênes », erreur que beaucoup d'auteurs16 commettent encore de nos jours. 61 En 1918, l'ensemble du quartier de Bous(s)/(t) ingorry (dont le « quartier neuf était, on l'a dit, une sous-division) fut partagé en deux grands quartiers, rebaptisés : quartier du Gaz

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(il y avait là une usine à gaz qui produisait de l'électricité) et quartier de La Rochefoucauld ; lui-même divisé par la suite en trois sous-quartiers : La Rochefoucauld (ex-propriété du Comte de La Rochefoucauld ; actuels collège Jean Rostand et lycée André Malraux), Aguiléra (ex-propriété de Joseph Aguiléra) et Braou (nom de ferme). A la même époque, le quartier historique de Hurlague (avatar « gasconnisé » du basque Hurlaga), englobant la côte depuis la villa Hélianthe jusqu'à la plage de La Milady, fut désormais appelé quartier Beau-Rivage, une partie de ce dernier étant désigné sous le nom populaire de Bibi (entre l'actuelle rue d'Espagne et la rue Harispe). 62 Ainsi, l'ancien nom de La Négresse était Harausta (la forme Harrausta, avec vibrante forte, étant manifestement la plus répandue). Ce furent les soldats napoléoniens du début du XIXe siècle qui donnèrent ce sobriquet à une femme très brune qui tenait une auberge dans le quartier17. Le sobriquet concurrença dans un premier temps le toponyme historique, ce que prouve le recensement de 1851, finissant par le supplanter au début du XXe siècle. 63 Le nom est basque, mais sa signification n'est pas très claire. Au XVIIe siècle, il désignait une maison du lieu, située près de l'actuelle gare SNCF. Dans l'un de ses ouvrages18, le docteur Joseph Laborde rapporte un acte notarié du 14 avril 1694 où apparaît un certain « Pernaut Durcos [maître de la maison de] Harosta ». A côté de cette maison, il y en avait une autre connue sous le nom de Har (r) austa autrement Sorhainde (« Lheritage ou metterie apellée de harausta aud. Sr Sorhainde app'c du chef de Feu M. Jean de Sorhainde ancien notable de lad. ville [de Bayonne] », décembre 1726, cf. infra références), située près de l'actuel lac Marion de Biarritz. 64 Le fait de ne pas savoir si dans la forme Harrausta, semble-t-il la plus répandue, la vibrante forte est étymologique ou simplement la conséquence d'une mauvaise interprétation imputable à des personnes ne sachant pas le basque rend difficile l'explication de ce nom. 65 En effet, en basque, comme en espagnol, la vibrante forte et la vibrante faible constituent deux phonèmes d'articulation apicale : ils permettent de distinguer des vocables tels que ero, « fou » / erro, « racine » ; ere, « aussi » / erre, « brûler, brûlé » et en espagnol pero, « mais » / perro, « chien » ; cero, « zéro » / cerro, « colline » ; carro, « char » / caro, « cher » ; etc. 66 Cassini cite une forme Herausta avec vibrante faible. Peut-être s'agit-il d'une erreur. Quoi qu'il en soit, dans les formes Ilbarits et Biarits, qu'il cite également, l'erreur est manifeste. 67 La deuxième difficulté à laquelle nous sommes confrontés est que nous ne savons pas exactement quelle valeur donner au « digraphe » ou digramme < au > présent dans Har (r) austa. Les notaires angloys et biarrots, voire les notaires bayonnais s'en servent constamment pour représenter le phonème /o/ : Pierre-Florentin Dhiriart, pour ne citer que lui et qu'un seul exemple, écrit « Clause » puis, plus loin, « close », etc. Les exemples sont très nombreux où il est clair que < au > = /o/. Mais parfois, ils se servent de ce digramme pour retranscrire la diphtongue au ; par exemple dans le nom de maison Coulau, parfois écrit également Coulaou et où, par conséquent, il est manifeste que le « digraphe » < au > représente bien une diphtongue. 68 L'emploi d'un même digramme pour représenter deux réalités phonétiques différentes a pour conséquence que nous ne savons pas dire si dans Har(r)austa nous avons ou non affaire à une diphtongue.

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69 Il est vrai que la forme Harosta de 1694, semble nous indiquer que ce « digraphe » < au > représente un o. Mais il se peut que ce o soit secondaire, c'est-à-dire issu d'une monophtongaison occasionnelle d'une diphtongue primitive : arraultze > arroltze i (h) aute, ihauteri. iñaute > iñote ; etc. ; en basque la réduction de la diphtongue au à o étant un phénomène attesté, quoique plus rare qu'en roman où il est courant. 70 Si l'on part du principe que < au > = la diphtongue au et que cette dernière ainsi que la vibrante forte intervocalique -rr- sont étymologiques dans Harrausta, on pourrait alors penser au basque arrauts, « esp. serrin, fr. sciure » (cf. Azkue) ou herrauts, « poussière » dont la forme de composition est herraus-. Une diphtongue primitive accompagnée d'une vibrante intervocalique faible à l'origine rendrait plus difficile une explication car herau (t) s signifie en basque, d'après Pierre Lhande, « verrat, truie en chaleur » et heraus, « sens de foulure » ; herausi signifiant « se fouler » en Labourd et « mugir, aboyer » en bas-navarrais. 71 L'ouverture de la voyelle e- précédant la vibrante forte intervocalique est quelque chose de courant en phonétique basque. Les exemples ne manquent pas : berri, « nouveau » > barri ; gerri, « ceinture » > garri, etc. ; d'où une évolution : herraus- > *harraus- avec adjonction du suffixe locatif basque -eta dont la forme réduite est -ta. On aurait alors : *herraus-eta > harraus-ta > harrausta, « endroit poussiéreux » (cf. le microtoponyme bas-navarrais Izozta < izotz-eta, « lieu de gelée blanche » 19 et le topo- nyme navarrais Elusta < Eluseta, attesté en 1795 < elu (t) s + -eta, « umbría, paco, lugar donde no llega el sol en invierno »20). 72 La carte de Cassini où l'on peut voir écrit Herausta (ici la vibrante faible, nous l'avons dit, n'est sans aucun doute rien d'autre qu'une erreur de Cassini qui écrit également Biarits et Ilbarits au lieu de Biarritz et Ilbarritz) peut appuyer cette hypothèse selon laquelle la forme ancienne pourrait être *herraus-eta. 73 Une autre possibilité consisterait à partir d'une forme Herrauste (a), « (la) destruction ». litt. « le fait de rendre « poussière de chose brûlée » » < erre + auts +-te + a ; -te étant en basque, entre autres, un « suffixe dérivatif d'infinitifs nominalisés », cf. Azkue. Dans ce cas, l'évolution aurait été : *Harraustea > Harrausta avec une hypothétique transformation -tea > -*taa > -ta par assimilation, peut-être sous l'influence du déterminant. D'un point de vue sémantique, l'acceptabilité de cette hypothèse reste néanmoins très faible. D'autre part, d'après Luis Michelena, la présence de ce suffixe -te (qui est très courant dans la langue actuelle) dans les noms de lieux et patronymes paraît peu probable, en tous cas sujette à discution. 74 En revanche, si le digramme < au > = /o/ et que ce o est étymologique (ce qui en théorie est plausible), on trouve dans le vocabulaire botanique basque le mot errosta, « gentiane » (cf. Azkue, Duvoisin, Lacoizqueta21). Il est tout à fait courant en Pays basque qu'une maison porte le nom d'une plante, les exemples sont nombreux. Le passage errosta > *arrosta ne fait aucune difficulté. Quant à la présence d'un h, il faut savoir qu'au XVIIe et au XVIII e siècles les notaires, entre autres, le mettent un peu partout sans qu'on sache très bien pourquoi : authorisé, venthe, dhue. etc. D'autre part. en basque arrosta, arriista signifie « soupe au vin » (cf. Azkue, Lhande). Mais il paraît invraisemblable qu'une maison se soit appelée ainsi, à moins qu'il se fût agi d'un sobriquet dépréciatif. 75 Tout cela reste hypothétique. Pour pouvoir trancher, il faudrait disposer de formes plus anciennes que des recherches ultérieures nous permettront peut-être de trouver.

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76 Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce nom est encore employé, quoique sous une forme populaire. Les bascophones d'un certain âge, et même certains jeunes, des communes avoisinantes, c'est-à-dire d'Arcangues, Bidart, Arbonne et désignent communément La Négresse par le nom basque Heustarre. 77 M. Beñat Abeberry, âgé de 70 ans, originaire de la maison Arangoenia d'Arbonne et maire honoraire de cette commune, se rappelle parfaitement que La Négresse a toujours été appelée, et même continue encore de nos jours à être appelée, par les bascophones de la région, Heustarre (avec h aspirée, semble-t-il) : Heustarreko eskola, « l'école de La Négresse », etc. Depuis une vingtaine d'années, voire plus, certains jeunes des environs, et moins jeunes, auraient tendance à dire Lanegreza ; Lanegreziat gaki naiz, « je vais à La Négresse » (parler de Bidart). 78 M. Sabaltçagaray, originaire d'Arcangues se rappelle que son père disait toujours Heustarre en basque et jamais Lanegreza, contrairement à lui qui n'emploie que cette dernière forme. Mme Inchaurraga, une dame âgée originaire de Bidart, se rappelle vaguement d'une forme *Haustarre (avec h aspirée, semble-t-il ; l'astérisque indique ici qu'un petit doute subsiste de la part de notre informatrice quant à cette forme ; mais il semble logique de supposer que la forme Heustarre ne peut être issue que d'une forme *Haustarre). 79 M. Xabier Aphestéguy se rappelle parfaitement que feue sa grand-mère, Mme Jeanne Aphestéguy, née en 1900, décédée à l'âge de 92 ans et originaire de la maison d'Arbonne appelée Allecliarréa (Allecharria dans la carte de Cassini, moderne Alexa (r) ria) disait toujours, lorsqu'elle s'exprimait en basque et à l'instar de son entourage, Eguastarre (sans h, semble-t-il et avec -ua- = [wa]) pour désigner La Négresse. 80 Que Heustarre est une déformation populaire de Har (r) austa paraît probable. Si on part du principe que < au > = la diphtongue au22 et que la vibrante intervocalique primitive est forte, il est possible que nous ayons eu une évolution : Harrausta > Harrausta + - (t) ar (suffixe formant les noms, entre autres, de peuples), c'est-à-dire *Harraustar, « habitant de, originaire de Herausta, Har(r)austa » ; puis chute de la vibrante interne par dissimilation avec la vibrante forte présente dans le suffixe - (t)arr > *Haaustarr > *Haustarr > Heustarre avec -e final des noms de lieux. Le passage ultérieur de la diphtongue initiale (h) au- à (h) eu- est attesté en basque, comme l'a démontré René Lafon23. 81 L'existence de cette forme Heustarre semblerait, à première vue, nous prouver indirectement que dans le nom Har (r) austa, attesté jusqu'au XIXe siècle, le « digraphe » < au > représentait la diphtongue au et non pas la voyelle o. Il faudrait alors considérer que, dans la forme Harosta attestée en 1694, le o est le résultat d'une monophtongaison, ce qui est plausible. 82 Quant à la forme Eguastarre, prononcée Egwastarre, citée par feue M me Jeanne Aphestéguy (d'après sa famille), le g intervocalique semble être épenthétique et non pas primitif. D'après nos informations, il est très probable qu'une forme *Hegostarre a également existé. Cependant, nous ne pouvons pas l'assurer ; notre informateur, M. Casaubon, un vieux Biarrot de longue date originaire d'Ostabat, ne s'en souvenant plus très bien. En revanche, il est catégorique au moment d'affirmer que lorsqu'il s'entretenait en basque avec des gens de la région (Arcangues, Arbonne, Bidart. etc.), la forme basquisée Lanegreza n'était jamais employée à propos de ce quartier.

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83 D'après la famille Aphestéguy, il n'y a aucun doute possible. Cette forme Egwastarre existait bien, et c'est d'ailleurs la seule que cette famille d'Arbonne se rappelle avoir entendue de tout temps. 84 Une évolution Heustarre > *Hegostarre est facile à expliquer. En revanche, la forme attestée Eguastarre (sans h, semble-t-il, et avec u semi-consonne) est plus atypique, mais il ne peut s'agir ici que d'une forme secondaire de *Hegostarre > *(H)egoastarre > Eguastarre > Egwastarre. D'après Henri Gavel 24 en basque, « dans la prononciation courante du moins », le groupe oa donne ua et « alors que, dans les autres dialectes, cet u reste voyelle, c'est-à-dire ne forme point diphtongue avec l’a suivant, en bas- navarrais et en labourdin (c'est nous qui soulignons), au contraire, il devient consonne, du moins dans la prononciation usuelle ». 85 Le passage de l'initiale (H) ego à Egwa- est peut-être due à l'analogie avec les vocables egoa, egua, « le sud, vent du sud », variantes de hego, hegoa (cf. Lhande). En entendant *Hegostarre (forme dont l'existence semble avoir été plus que probable), les bascophones de la région devaient probablement croire que l'initiale (h) ego- signifiait « (le) sud », (h) egoa, egoa. egua ; d'où le changement ultérieur de (H) egos-tarre en Egwastarre. D'ailleurs, la famille Aphestéguy croyait que dans cette forme Egwastarre, il y avait le mot (h) egoa, ce qui renforce notre hypothèse. Il s'agit de toute évidence d'une étymologie populaire.

3. Le ou les noms basques des lacs biarrots actuellement appelés Mouriscot et Marion

86 Nombre d'auteurs ont écrit que ce lac — un des plus beaux de la Côte basque — fut appelé Mouriscot (le -t final n'est pas articulé) vers 1611, « lorsque, écrit Mme Rousseau25, 40 000 Morisques traversèrent la Bidassoa au grand émoi des édiles luziens et bayonnais. Une ordonnance royale avait exigé leur embarquement pour l'Afrique du Nord ou leur repli au-delà de la Garonne. Certains éléments parmi ces migrants se seraient fixés autour de ce qui allait devenir le lac Mouriscot ».

87 Que certains d'entre eux se sont fixés dans la région bayonnaise est un fait historique connu (cf. infra Francisque-Michel). En revanche, dire qu'ils se sont fixés autour de ce lac de Biarritz en particulier est plus douteux ; il s'agit là de toute évidence d'une légende destinée au grand public. 88 Néanmoins, il semblerait que le nom du lac ne soit pas en relation directe avec le passage en masse desdits Morisques. A ce propos, Francisque-Michel, dans l'un de ses ouvrages26, relate en détail leur expulsion d'Espagne et leur séjour au début du XVIIe siècle, entre autres, en pays de Labourd. 89 Il faut citer également, à propos du terme Morisquo, si fréquent en Pays Basque Nord — celui de Biarritz étant le plus connu ; citons toutefois, entre autres, l'ancienne maison d'Ustaritz appelée Moriscorenea, etc. —, l'article très intéressant de B. Echegaray27. 90 Il semblerait qu'il n'y ait pas de relation directe entre l'apparition à Biarritz de ce microtoponyme et l'événement historique que nous venons de citer puisque, d'après Pierre Laborde28, en 1586 il est fait mention à Biarritz d'un « héritage de Morisquo » et qu'en 1526, d'après Les Registres Gascons29, un Biarrot de l'époque était déjà connu sous le nom de Morisquo.

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91 Une des plus anciennes mentions connues du nom de ce lac est rapportée par le chanoine Daranatz30. Il s'agit d'une minute notariale bayonnaise datée de 1685 (il n'est pas malheureusement précisé les références exacte de cet acte notarié) où il est fait mention de la vieille métairie appelée Mouriscot, « située à Biarritz, conf. du levant à la vigne de Pasco, du midy au lac de Herausta, du nord au verger de Hilline, et du couchant aux landes communales de Biarritz » 92 Tout au long du XVIIIe siècle, le nom de ce lac semblerait être à première vue Har(r)austa, comme nous le laisse supposer, à tort comme nous le venons par la suite, un document de 172631 où il est mention du « lac de harausta » et une minute notariale de novembre 176932 dans laquelle on peut lire : « Lad metairie [de Sorhainde] de La contenance d'une journée et trois quarts confrontant du coté du Soleil Levant a Letang ou reservoir du moulin de Brindos du midy aux padouents de La communauté du present lieu, du couchant au lac de har- rausta. et du nort a une autre moura de Lad communauté (...) ». 93 A tort car en ce qui concerne ces deux derniers documents, ils désignent manifestement le lac actuellement appelé Marion.

94 Cassini et l'auteur ou les auteurs (très probablement le Génie) de la carte appelée « de Fontarabie à Capbreton » de 1779 ne donnant pas de nom à l'actuel lac Mouriscot, nous nous sommes procuré dans la capitale espagnole, par l'intermédiaire des services de la Bibliothèque Municipale de Bayonne, une photographie — ayant fait l'objet d'un agrandissement — concernant une partie d'une très belle carte (vue représentant le Labourd) datée de 179333 et actuellement conservée dans un musée militaire de Madrid (Museo del Ejército, Servicio Histórico Militar). Sur cette carte, on voit deux lacs : l'un est appelé « Estanque de Rusta » (pour l'autre cf. infra). 95 Au musée San Telmo de Saint-Sébastien, il existe une autre carte du même auteur34, mais datée quant à elle de 1770, où on peut voir deux lacs ; l'un d'entre eux étant appelé « estanco de Rousta ». Dans cette carte le toponyme Bayonne apparaît sous une forme typiquement basque, c'est-à-dire Mayona, quoique très rare, même parmi les bascophones. 96 R (o) usta est une variante « romanisée », où l'aphérèse est notoire, du nom Har(r)austa. La dénomination s'est conservée dans la voirie de Biarritz : la « rue de Rousta » et la « rue (et impasse) Harausta ». Dans les deux cas, il s'agit d'un même nom apparaissant sous deux formes différentes. 97 Un examen détaillé des deux cartes que nous venons de citer laisse planer une petite ambiguïté. Dans ces dernières apparaissent en effet deux lacs l'un à côté de l'autre et de taille à peu près identique ; l'un est appelé, nous l'avons dit, « Estanque de Rusta » (sic) et l'autre « Estanque de Chubigue » (sic), c'est-à-dire Chabiague. L'hypothèse la plus logique veut que dans ces deux cartes espagnoles le nom « Chubigue » représente l'ancien étang, aujourd'hui asséché, des deux moulins de Chabiague et que l'« Estanque de Rusta » ou « estanco de Rousta » représente l'actuel lac Mouriscot ; il faut alors supposer que l'auteur a, contrairement à Cassini, omis de faire apparaître le lac actuellement appelé Marion (néanmoins, chez Cassini, le toponyme Marion désigne avant tout une métairie). 98 Le nom « R (o) usta » pourrait-il désigner ici l'actuel lac Marion ? On serait d'autant plus en droit de se le demander que la « rue de Rousta » se trouve à côté du lac Marion, auquel d'ailleurs elle conduit.

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99 Le cartographe Tomás López Selles se serait-il trompé ?

100 Il existe une magnifique carte (dont la qualité est comparable à celle dite de « Fontarabie à Capbreton » et à laquelle, d'ailleurs, elle ressemble étrangement, du moins, en ce qui concerne sa conception) intitulée Carte des environs de Bayonne. 1724, Echelle 1500 toises qui peut nous permettre de répondre à cette question. Le Conservateur de la Bibliothèque Municipale de Bayonne, M. Husson, ne dispose malheureusement que d'une photographie35 de cette carte dont nous ne connaissons pas d'autre part, et cela malgré plusieurs recherches de notre part, ni la provenance exacte ni l'auteur ou les auteurs. 101 Cette cane corrobore les dires du cartographe Tomás López Selles. D'après son ou ses auteurs, le petit lac aujourd'hui connu sous le nom de Marion était appelé « Etang de Rausta » (sic) et celui connu sous le nom de Mouriscot « Etang de Chubiague » (sic). López Selles s'est uniquement trompé dans la taille qu'il donne au lac appelé Marion, taille qui est manifestement trop grande.

102 Ces trois cartes ne font que confirmer les informations fournies par le document de 1726 (cf. supra) et la minute notariale de 1769 ; excepté celle de 1685 citée par le chanoine Daranatz et où le toponyme Herausta désigne, semble-t-il, l'actuel lac Mouriscot et non pas Manon. 103 Autrefois, un petit ruisseau biarrot connu sous le nom de Har (r) austa ou Hondarrague (cf. infra) se jetait, sauf erreur, dans le lac Mouriscot et non pas dans celui appelé Manon. Ce cours d'eau avait sa source, semble-t-il, à côté de la maison Har (r) austa, dont il tenait probablement son nom (l'appellation de ce ruisseau n'avait donc probablement aucun rapport avec celle de l'autre lac portant le même nom et appelée aujourd'hui Marion). La microtoponymie est souvent complexe. Aucune de ces trois cartes ne représente le lac actuellement connu sous le nom de Chiberta.

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104 En conclusion, il semblerait qu'on puisse dire qu'autrefois le lac de Mouriscot ne s'appelait pas ainsi, mais, et cela jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, Chabiague (c'était également le nom d'une vieille maison située près du lac : variantes Chubigue et Chubiague, avatars « romanisés » du basque Sabiaga qui peut avoir plusieurs significations en basque : probablement Cliabiague < Etchabiague, 1678, Anglet36) ; le petit lac aujourd'hui connu sous le nom de Marion étant désigné, quant à lui, par le nom de Har(r)austa (variantes Harosta. Rusta, Rousta, Rausta), ce qui explique que l'actuelle rue biarrote de « Rousta » soit justement celle qui y mène. 105 D'autre part, Pierre Laborde a eu l'amabilité de nous faire savoir qu'il possédait parmi ses archives personnelles (archives de la famille Laborde) un document datant de la fin du XVIe siècle et concernant la métairie biarrote appelée « Morisquo » dont nous avons déjà mentionné l'existence (cf. supra). Il s'agit d'un acte officiel de vente daté de 1586 dont la lecture est malaisée et au milieu duquel nous avons également trouvé une minute notariale datée de 1583 et dressée par un certain « de Lahiton no. « royal ». Dans le document de 1586, il est fait mention de « La Lague dudit biarritz ». D'après Simin Palay, lague, laguë sont des termes gascons utilisés dans les Landes. Ils signifient « lagune, mare, marais ». Quant au document de 1583, il est fait mention d'un « quartier apelle La Lague » situé à Biarritz. 106 Le gascon fut jusqu'au début du XVIe siècle la langue administrative, entre autres, du pays de Labourd, et par la suite, dans les documents rédigés en français, on continua parfois à utiliser des termes gascons. C'est pourquoi le fait de constater qu'un lac de Biarritz était désigné à l'époque, dans des documents officiels, par le vocable gascon lague, ne nous est pas d'un grand secours. 107 On est en droit de se demander si l'ancien quartier biarrot appelé Legure (variantes La Gulle, Le Gure, Lagurre, qu'il faut rapprocher de la forme Legure déjà citée dans le Livre d'Or au début du XIVe siècle) ne serait pas tout simplement une déformation, due peut- être au basque, non du terme landais lague, car le passage lague > lagure serait impossible en basque, mais du terme lagune. En basque, l'alternance entre n et r étant bien attestée, une évolution lagune > lagure est possible. C'est peut-être là qu'il faut chercher l'origine des formes Legure, Lagurre, etc., difficilement explicables autrement. 108 C'est manifestement au XIXe siècle que le lac commence à être désigné sous le nom de Mouriscot prononcé Mourichco (t)37 (le -t final semble, sauf erreur, ne jamais avoir été prononcé, même parles gasconophones ; en fait, il s'agit vraisemblablement d'une cacographie due à l'influence de l'orthographe française : par ex. on écrit Tauziat au lieu de Tauzia (r), le -t final n'ayant aucune raison d'être : c'est également le cas de la maison angloye de Pi (t) chot et de celle de Biarritz appelée Petricot (sic) (aujourd'hui quartier de Pétricot) dont les noms sont toujours « graphiés » au XVIIIesiècle Pi (t) cho et Petrico ou Betrico < basque Betriko, Petriko, « petit Pierre, Pierrot », ce qui nous prouve qu'ici aussi nous avons affaire à une cacographie, etc.), c'est-à-dire le nom de la maison ou métairie de Mouriscot située au bord du lac portant aujourd'hui le même nom. La forme Morisquo, Morisco a uniquement subi une francisation graphique qui explique la présence du -t final. 109 Mais ce nom ne semble pas faire l'unanimité au XIXe siècle, car les habitants de Biarritz semblent hésiter au moment de designer cet endroit. La seule certitude est que le microtoponyme historique Chabiague ou Chubi (a) gue, utilisé sans interruption pendant grosso modo un siècle pour désigner, entre autres, cette étendue d'eau, n'est plus désormais utilisé pour désigner ce lac, sauf erreur.

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110 En effet, Mme Rousseau a eu l'amabilité de nous communiquer plusieurs documents qui s'avèrent très intéressants et qui concernent directement le sujet traité ici. En 1845. Jean-Louis-Séverin Derrecagaix (graphie « romanisée » du patronyme basque Errekagaitz), propriétaire de la célèbre et vieille maison de Biarritz appelée Chapeau- Rouge, écrit au maire de la commune car il « desire acheter Le terrain situé pres de la lande ouverte de m. Hondarague jusqu'au champ Nomme pierre bordé d'un Cote par l'Etang dit Hondarague et de l'Autre par le chemin qui Conduit au quartier dit de Libarrits [= Ilbarritz] (...) derrecagaix Biarrits Le 9 7bre 1845 »38. 111 En 1849, le même « Louis-Séverin Derrecagaix, officier de sante, vend à Pascal Darritchon et marie Sarrebeyrous, son épouse, cultivateur, une maisonnette bâtie en pierre chaux & sable sur le bord du lac hondarrague et le terrain vague en dépendant, quartier d'harausta. Vente pour 190 fr. »39. 112 En 1853, Pascal Darritchon et son épouse « hypothèquent une maison par eux agrandie sur le bord du lac dit hondarrague, appelée petite espérance »40. 113 Enfin, pour notre part nous avons trouvé un document daté de 1852 et adressé au maire de Biarritz dans lequel ce même « Pascal darrichon (sic) propriétaire de la maison près le lac de mouriscot a biarrits, à (sic) l'honneur de Soumissionner à la Commune, deux lopins de terre vague Communale ». 114 Il semblerait que le nom Hondarrague soit ici un patronyme comme l'expression « la lande de m. r [monsieur] Hondarague » (cf. supra) semble l'indiquer. D'après le recensement de 1851, plusieurs habitants de Biarritz avaient pour patronyme ce nom.

115 Par conséquent, il est probable que ce nom n'a rien à voir avec le toponyme médiéval Fondarraga du Livre d'Or, nom qui désignait autrefois un endroit d'Anglet : verger de Fondarraga. XIIe siècle, ce verger portant très certainement le nom du lieu où il avait été planté (Fondarraga est une forme hyper-corrective et latinisante du nom basque Hondarraga dont Hondarrague est l'avatar « gasconnisé »). 116 Paul Raymond dans son Dictionnaire Topographique... mentionne un « Hondarrague, h [ameau] détruit, c. ne de Biarrits. — Fondarraga, XIIIe siècle (...) ». D'après le Livre d'Or, dont nous avons consulté l'édition de 1906, et la thèse d'Eugène Goyheneche sur l'Onomastique du Nord du Pays Basque..., ce toponyme désignait un endroit d'Anglet. A moins que nous ne soyons en présence d'une erreur imputable à l'un de ces deux auteurs, il est possible qu'il y ait eu deux endroits appelés Hondarrague, l'un situé à Biarritz et l'autre à Anglet. 117 Pour savoir quel était le nom de ce lac au Moyen-Age, il faudrait découvrir de nouveaux documents. A partir des seules archives connues de nos jours, cela ne semble pas être possible. Quoi qu'il en soit, il semblerait qu'on puisse dire que l'expression « lac de Mouriscot » semble être relativement récente.

4. Le microtoponyme biarrot Chinchourre

118 Ce toponyme biarrot est probablement très ancien. C'était le nom donné aux landes qui surplombaient le lac Mouriscot du côté de la vieille maison biarrote appelée Uhalde ou, si on préfére, les landes situées le long de la RN 10 qui mène à l'actuel quartier historique

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de Bidart appelé Agorreta (cf. Landes de Chinchoure (sic), Plan de Biarritz en 1764 41 d'après les travaux du Dr Laborde qui, dans l'un de ses ouvrages, cite également « les Bedats de Chinchourre et de Gardague », en 171642 ; d'après Simin Palay, en gascon bedàt signifie « lieu, bois ou pâturage mis en défens »).

119 Chinchourre < du basque xinxur (r) forme diminutive de zintzur (r), « gorge » d'après Pierre Lhande. Ce mot a très souvent été appliqué de manière métaphorique à la toponymie selon Jean-Baptiste Orpustan. D'après Luis Michelena, qui cite le nom Chinchurreta, ce mot signifie aussi « passage entre deux montagnes, cime, sommet » 43, voire « petite élévation ». Au demeurant, ce nom semble correspondre à la topographie du site qu'il désignait. 120 Ce nom était encore connu et employé à Biarritz au XIXe siècle. On en a la preuve. il s'agit d'un courrier44 adressé en 1836 au maire de la commune par un Biarrot du nom de Daraspe : « Monsieur le maire de la Commune de Biarritz Monsieur ayant apris que la Commune, a été autorisée de Vendre une partie de terre Landes qu'elle possede ; en Conséquence, Je viens monsieur Le maire, vous en faire la Soumission de 3 arpents Situé a la chincliourre, qui confronte, du Levant ó (sic) la terre Lande demandé par le S. Béchindaritz demeurant à Jean Bouton (...) Pierre Daraspe Biarritz le 10 avril 1836 (sic) » 121 Il est fort probable qu'à la fin du XIXe siècle ce nom devait encore être connu et employé à Biarritz ; voire peut-être même au début du XXe siècle, bien que nous ne disposions pas de preuve en ce qui concerne notre siècle.

122 En guise de conclusion, on constate que la plus grande partie de la microtoponymie euskarienne présente de tout temps dans le secteur littoral de Biarritz-Anglet — pour la toponymie basque de Bayonne se référer à l'article de Jean-Baptiste Orpustan45—, dont nous n'avons mentionné ici que quelques cas bien particuliers et significatifs (il en existe d'autres), a survécu en grande partie jusqu'à une date relativement tardive, en tout cas beaucoup plus tardive qu'on eût pu le croire dans un premier temps, c'est-à- dire grosso modo jusqu'au début du XXe siècle.

NOTES

1. « Le toponyme Chiberta », Bulletin du Musée Basque, n° 147, 1997. pp. 43-64. 2. Notaire Monho. 2 décembre 1714, E III 3750. 3. Plan du Cours de la Rivière de la Dour, depuis la Baye St Bernard, jusqu à la jonction de la Mer. en L'étal ou elle Se trouve jusqu'au 13 juillet 1731 par lequel on voit les Ouvrages necessaires pour en Redresser les Sinuosités, et retréssir Son Cours pour en faciliter Son Débouché à la Mer. Collection de la Bibliothèque Municipale de Bayonne. Cote : C. 232. 4. Gavel, H. Justin Larrebat : Poésies gasconnes, nouvelle édition annotée, avec deux portraits de l’auteur, une Notice biographique et une étude sur le gascon de Bayonne, Imprimerie du Courrier. Bayonne, 1927. p. 43.

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5. Larre. « Biarritz », Conférence donnée au Grand Séminaire de Bayonne le 14 février 1927, compte- rendu disponible à la Bibliothèque de Bayonne, pp. 21-22. 6. Gavel, H., Essai sur l'évolution de la prononciation du castillan depuis le XIV° siècle d'après les théories des grammairiens et quelques autres sources. Ed. Edouard Champion, Paris, 1920, p. 488. 7. Minutes notariales E III 4730, 4 décembre 1779 et E III 4733, 6 avril 1784. 8. « Pièces ayant rapport au Partage de propriétés Entre la ville de Bayonne et anglet En l'an 11 et l'an 12 », Arch. Mun. d'Anglet. G. 59. 9. « Bulletin des Propriétés de la Commune », Arch. Mun. d'Anglet, G.59, n° 7. 10. Minute notariale III E 4748,09 messidor. 11. « L'anticipation nasale de -b- et la graphie -mb- dans les mots composés de l'ancienne toponymie basque ». Bulletin du Musée Basque, n° 115. 1987, pp. 1-11. 12. Gavel. H., « Eléments de phonétique basque ». Revista Internacional de Estudios Vascos, 1921. XII, §137. § 138. pp. 296-297. 13. « Etat nominatif des habitants de la Commune de Biarrits ». Arch. Mun. de Biarritz. 14. La Miladv est le surnom que les Biarrots donnèrent à Lady Mary Caroline, descendante des anciens rois d'Ecosse et épouse de Sir Brudwell Bruce, qui avait fait bâtir dans l'ancien quartier de Chabiague une villa mauresque qui imitait les cours de l'Alhambra de Grenade (cf. Rousseau. M. & F., Biarritz promenades. T. 11. Ed. Rousseau. 1981. p. 103). 15. Gavel. H.. « L'accent tonique dans les formes gasconnes des noms propres basques », Gure Herria. 1955. pp. 213-219. 16. Rousseau, M. & F. Biarritz promenades, T. V. Ed. Rousseau. 1997. p. 127. 17. Dr Laborde, Le Vieux Biarritz. 1905, p. 4. 18. Le Vieux Biarritz. 1905. p. 82. 19. Orpustan. J.- B. Toponymie basque. Presses Universitaires de Bordeaux, p. 74. § 82. 20. Bclasko. M. Diccionario etimológico de los nombres de los pueblos, villas y ciudades de Navarra. Ed. Pamicla. Pamplona-Irufla. 1996. p. 173. 21. Diccionario de los nombres euskaros de las plantas. Pamplona, 1888. pp. 118-119, §§§ 459. 460. 461. 22. Si on part d'une forme *(h)arrosta l'évolution aurait été : *(fi)arrosta + - (t)ar> *(H)arrostarr > *(H) aostarr > *(H)austarr > (H)eustarr > Heustarre. 23. « Passage de au à eu. e en basque ». Revista Internacional de Estudios Vascos, XXV, 1934, p. 290-293. 24. Orpustan. J.- B., Toponymie basque. Presses Universitaires de Bordeaux, § 10. p. 23. 25. Biarritz promenades. T. II. Ed. Rousseau. 1981. pp. 87. 26. Histoire des Races Maudites de la France et de l'Espagne. Paris. Ed. Franck. 1847, rééd. 1983. Elkar. T. II. pp. 55-98. 27. « ¿ Se establccieron los Moriscos en cl pais vasco de Francia ? ». Bulletin Hispanique. Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux. T. XLVII. n° 1. 1945. pp. 92-102. 28. Biarritz : Huit siècles d'Histoire, deux cent ans de vie balnéaire, Biarritz, 1984. p. 10. 29. Ed. Lamaignèrc. 2 vol. (1474-1514/1514-1530). Bayonne. 1898, cf. T. II. p. 464. 30. « Autour de Bayonne du XVe au XVIIIe siècle d'après les « Archives notariales bayonnaises ». Bulletin de la Société des Sciences Lettres et Arts de Bayonne, n° 17. 1936, p. 69. 31. « Pièces de procédures et accords relatifs à la vente de la coupe d'arbres ». Arch. Mun. de Biarritz. DD.2 (1678-1772). 32. Notaire Bertrand Planthion. III E 4775. 33. López Selles. T., Caria que comprende el país de Labur. la Navarra boxa y fronteras de Guipúzcoa v del Revno de Navarra ; por Don Tomas Lopez (sic) y su hijo D. Juan. Geografo de S. M. Madrid año 1793. Cette carte peut être également consultée dans l'ouvrage de Martin Izagirre intitulé Cartografta antigua y paisajes del Bidasoa. Ed. Martin Izagirre. Irun. 1994. lamina n° 144, p. 237. Cependant, les détails y apparaissant sont très peu visibles, c'est pourquoi la Bibliothèque Municipale de

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Bayonne a dû demander à ce musée militaire un exemplaire agrandi d'une partie (représentant le Labourd) de cette carte. 34. López Selles. T.. Mapa de la M (uy) N (oble) y M (uy) L (eal) Provincia de Guipúzcoa (1770). Musco de San Tclmo. San Sebastiân / Donostia. Cette carte peut être également, à l'instar de la précédente, consultée dans l'ouvrage de Martin Izagirre intitulé Cartografta antigua y paisajes del Bidasoa, Ed. Martin Izagirre. Irun. 1994, lamina n° 138, p. 229. Ici aussi, il a fallu se procurer un agrandissement afin de bien pouvoir saisir tous les détails. 35. Carte des environs de Bayonne, 1724. Photographie en couleur. 500 - 600 mm. Collection de la Bibliothèque Municipale de Bayonne. Cote : IE. C. 1474. 36. En 1678. le registre des décès de la commune d'Anglet mentionne un Joan petit d'Etchabiague, aujourd'hui Chabiague (renseignement communiqué par Jean Goyhenetche). On trouve le nom Chabiague à Biarritz et à Anglet. Leur origine semble identique : Chabiague + aga. « lieu des deux maisons ». Il existe d'autres explications, également basques. 37. « Remarques sur les substrats ibériques, réels ou supposés dans la phonétique du gascon et de l'espagnol ». Revue de Linguistique Romane. T. XII. janvier-juin 1936, n° 45-46. p. 39. 38. Arch. Mun. de Biarritz, « Carton O. n° 8/n° 350 in Divers (aliénations collectives, n° 21) ». 39. Notaire Tisset. 13/03/1849 (document communiqué par Mme Rousseau) 40. Notaire Tisset. 02/08/1853 (document communiqué par Mme Rousseau) 41. « Biarritz en 1764 », IV e Congrès de l'Union Historique et Archéologique du Sud-Ouest. 1911. pp. 136-141. 42. Arch. Mun. de Biarritz, série BB.3. 43. Apellidos vascos. San Sebastian. 1973. § 565. p. 154. 44. Arch. Mun. de Biarritz. « Carton O. n° 8/n° 350 in Divers (aliénations collectives, n° 15) ». 45. « La toponymie basque de Bayonne ». Lapurdum. n° 1. octobre 1996, pp. 25-36.

RÉSUMÉS

Argitara emana ginuen lehenagoko artikulu batean (cf. oharrak, §1), Chiberta leku-izen angeluarra Gibraltar Espainiako izen famatuaren forma « herrikoia » zela jadanik frogatua ginuen. Artikulu honetan, aldiz-hitz-hastapenean izan zen aldaketa, hau da, hastapeneko ozenaren elkortzea, fonetika mailan pausatzen duen korapiloa, iragan denboretan Angeluko herriari zegokion egoera linguistiko berezia kondutan hartzen badugu, ahalik argikiena desopilatzera eta azaltzera entseatzen gara, hala nola baita ere XIX-garren mendean agertzen den Chimberta forma ohargarriak pausatzen duen arazoa. Bestalde, Miarritzeko La Négresse deitzen den auzoalde ezinago ezagunaren eus-kal izen historikoa eta dagozkion ondotikako forma ahozkoak aztertzen ditugu. Bestetik, egun Mouriscot eta Marion deritzaten Miarritzeko aintzira famatuen euskal izenak aurkitu-eta, ezagutzera emaiten ditugu : Chabiague lehenbizikoarentzat (erran nahi baita, euskaraz teorikoki erran-nahi batzu izan ditzazkeen Sabiaga euskal forma « gaskoindua » ; hala ere, Chabiague formari dagokion et 1678-an agertzen den Etchabiague formatik datorkigukeela pentsa daiteke) eta Rausta bigarrenarentzat (Harrausta euskal izenaren forma « erromanizatua » eta dagozkion ondotikako alda-penak : Harosta, Rusta. Rousta). Laburzki emanez, Mouriscot aintziraren kasuan, azken mende hauetan agertzen zaigun aldakuntza ondokoa da : XVIII-garren mendean aintzira Chabiague deitzen zen, XIX-garren

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mendean Hondarrague (Hondarraga euskal izenaren itxura « gaskoindua ») eta, azkenik, XX-garren mendean Mouriscot, erran nahi baita gaurko izena. Bestalde, egun Marion deritzan aintziraren kasuan, orai badakigu XVIII-garren mendean Rausta deitzen zela (cf. supra). Artikuluaren azken partean, Miarritzeko Chinchourre euskal leku-izen historikoaren azterketa etimologiko bat egiten dugu.

INDEX

Index chronologique : 18e siècle Thèmes : linguistique Mots-clés : onomastique, toponymie Index géographique : Anglet, Biarritz

AUTEUR

HECTOR IGLESIAS

Doctorant en Etudes Basques [email protected]

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Problèmes de substrat (suite)

Michel Morvan

1 Sans doute paraîtra-t-il présomptueux de reprendre comme titre du présent article celui, fameux, qu'avait utilisé V. Bertoldi dans le Bulletin de la Société de Linguistique de Paris1. Il nous a semblé pourtant que l'on pouvait aujourd'hui, tout en nous appuyant sur ce prestigieux prédécesseur, apporter de nouveaux éléments qui seraient en mesure d'élargir ou de compléter notre vision d'ensemble, si tant est que l'on puisse avoir une vision autre que « floue » des substrats pré-latins et pré-celtiques qui étaient utilisés en Europe ou en Eurasie dans une nuit des temps qui, il faut l'avouer, donne le vertige.

2 La perplexité qui nous envahit face à ces problèmes est bien rendue par l'introduction de l'onomasticien E. Nègre dans la première partie de son excellente somme, désormais incontournable, intitulée Toponymie Générale de la France2, dont voici le premier paragraphe : « Quand les Gaulois, venus de l'est, ont envahi la Gaule par vagues successives à partir du Xe siècle environ avant J.-C, ils ont soumis ou chassé des populations qui habitaient ce pays avant eux. Quelles étaient ces populations ? D'où étaient-elles venues ? Dans quel ordre chronologique s'étaient-elles superposées ? Quel genre de langues parlaient-elles ? Peut-être arrivera-t-on à répondre un jour à ces questions, grâce aux efforts conjugués de la préhistoire, de l'anthropologie et de la linguistique. L'apport de cette dernière sera décisif, à condition qu'elle procède avec prudence et avec des méthodes rigoureuses. La toponymie, à titre de science linguistique, tout en bénéficiant de tous les travaux de préhistoire, leur apporte sa contribution, car elle est un des rares moyens d'investigation sur les races et les langues préceltiques... ». 3 La première constatation à faire est donc une évidence : nous ne savons pas grand chose de ces substrats et l'on pourrait baisser les bras une fois pour toutes et en rester à une lancinante litanie de points d'interrogation. Mais le chercheur est ainsi fait que sa curiosité le pousse à aller toujours plus avant pour tenter d'éclairer les zones d'ombre qui demeurent, sans toujours savoir où il va. Et « on ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où l'on va » pour citer Rivarol ! 4 Avant les Celtes, c'est-à-dire en gros avant les Indo-européens, l'Europe était occupée par des Pré-indoeuropéens. On les nomme ainsi faute de mieux. Il nous reste de ces Pré-

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indoeuropéens le fabuleux et quasi-miraculeux témoignage offert par la langue basque plus quelques inscriptions étrusques ou ibères bien problématiques. Enfin il y a heureusement la toponymie qui a permis tout de même quelques avancées. Un des exemples les plus connus de racine toponymique substratique est celui du morphème *kuk- dont on a pu déduire l'idée de hauteur, notamment grâce à des tautologies telles que Montcuq (département du Lot) avec démotivation, c'est-à-dire perte du sens étymologique par les populations locales de l'élément le plus ancien. Cf. pour le basque et les Pyrénées le cas bien connu du Val d'Aran où aran signifie déjà « val, vallée ». 5 Notre ignorance n'est pas totale, heureusement, mais nous devons prendre garde de ne pas confondre substrat pré-latin et substrat pré-celtique. En effet une racine prélatine peut être indo-européenne. Ainsi on a d'abord cru que *kuk- était une racine celtique parce qu'on la trouvait en Gaule en plusieurs endroits aussi éloignés les uns des autres que le Pas-de-Calais (commune de Cucq) ou la région de Marseille (marseillais cuco « tas, monceau »). Puis on s'est avisé du fait que cette racine existait aussi dans des zones où les Gaulois n'étaient pas parvenus : Corse, Sardaigne, Sicile et sud de l'Italie comme le rappelle E. Nègre3. Ce dernier, au demeurant, ne va pas assez loin puisque la racine *kuk- est présente aussi dans tous les Balkans, comme l'a par ex. fort bien montré R. Bernard dans un article du BSL sur les emprunts grecs en bulgare il y a déjà plus de quarante ans4. L'auteur montre en effet que si beaucoup de termes balkaniques du type *kukul- sont sans doute explicables par le greco-latin, en revanche d'autres formes ne le sont pas et doivent provenir d'un substrat plus ancien. C'est le cas du roumain cuca « colline assez haute et élevée » (Cartea Româneasca), « colline isolée qui se dresse dans la plaine »5. De même pour le serbo-croate kük « grosse pierre, paroi rocheuse, rocher, pic montagneux »6. Il est bien difficile d'expliquer de telles formes par une évolution rétrograde à partir de formes comme cucullus, cuculla, etc. A l'évidence les formes simples proviennent d'un substrat ancien dans lequel *kuk- et ses variantes *tuk-, *suk- avaient une valeur oronymique. 6 Dans un premier temps, G. Dottin7, A. Dauzat, E. Meillet avaient considéré cette racine comme celtique, mais cette hypothèse ne résiste pas à un examen approfondi. Pour ce qui concerne les variantes de la base primitive, on se reportera notamment à la longue note de R. Bernard8 qui conclut avec netteté que « il est probable que nous atteignons ici le substrat balkanique irréductible au grec, au roman ou au slave. »9. 7 V. Bertoldi et beaucoup de ses successeurs en étaient donc arrivés à la conclusion logique qu'il existait un substrat pré-indoeuropéen en Europe et plus particulièrement autour du Bassin méditerranéen. Pour notre part, nous voulons élargir encore ce substrat en montrant qu'il s'étend plus loin encore qu'on pourrait le penser. C'est la raison pour laquelle nous n'hésiterons pas à parler désormais de substrat eurasien, car le temps nous semble venu de le faire. 8 Pour continuer avec la racine *kuk-, il est tout à fait frappant de constater qu'elle est également présente dans les langues dravidiennes pré-aryennes de l'Inde. Le dictionnaire étymologique de Burrow/Emeneau donne en effet les formes suivantes : kurukh kukk « head, extremity », malto kuku « head » 10. On peut difficilement parler de coïncidences dans la mesure où d'autres racines bien connues des substrats occidentaux apparaissent à leur tour en dravidien. Ainsi peut-on y relever la non moins fameuse racine *kal-/kar- « pierre, dur, etc. » : tamoul kal, kar « stone, pebble, boulder, precious stone, milestone », malayalam kal. kallu « stone, rock », kota kal « milestone, bead », kalïr « round river stone », kannada kal, kalu, kallu « stone, hard, staff state of

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mind ». kodagu kallï « stone », tullu kallu « id. », telugu kallu « id. », parji kel « stone », gondi kal, kall (i), kalu « id. », konda kalu « id. », pengo kal « id. » 11 Il est intéressant de constater que cette racine connaît aussi des variantes dravidiennes kand, kandu, notamment en gadba, qui pourraient éventuellement être rapprochées de la base *kand/gand- « crête » de la toponymie pré-celtique ouest-européenne que Bertoldi avait largement évoquée dans son article. 9 Loin d'être confinées à l'Europe occidentale ou centrale, ces racines semblent donc s'étendre sur de vastes territoires et si les linguistes ont eu raison de mettre en relief la tendance « méditerranéenne » des substrats, notamment en posant qu'une des principales caractéristiques de ces racines serait l'alternance sourde/sonore (*kar/gar, kallgal. etc.), alternance qui a amené A. Martinet à parler de « sourdes douces » originelles, il n'en reste pas moins vrai qu'on peut les trouver loin de l'aire méditerranéenne. Ainsi la racine *kal- est présente en finnois avec kalio, kallo « pierre, crâne », ce qui est tout de même fort intéressant. Voilà pourquoi nous proposons de parler d'aire d'extension « eurasienne ». 10 C'est ce qualificatif d'eurasien que nous nous proposons d'appliquer également à la langue basque. L'avantage de cette dénomination réside dans le fait que l'on n'a plus ainsi à choisir entre l'éternel débat langue basque = langue totalement isolée ou langue basque = langue rattachée à une famille de langues précise. La grande ancienneté du vocabulaire de la langue basque ne permet pas de la rattacher à une famille de langues précise au sens où on l'entend habituellement (famille indo-européenne, chamito- sémitique, ouralo-altaïque, etc.). Il convient de dépasser ce stade et de montrer que les parentés du basque ont un caractère bien particulier et qu'on ne peut les étudier que dans un cadre élargi. D'aucuns parlent de super-familles ou phyla. Nous préférons utiliser le terme de « langue eurasienne » pour désigner le basque. 11 Si l'on observe attentivement le basque et d'autres langues d'Eurasie, on peut découvrir des similitudes qui ne laissent pas d'être troublantes dans la formation des lexèmes. Prenons par ex. le cas de la racine eurasienne *gVb- « forme en creux ou en bosse ». Cette racine se voit curieusement adjoindre un morphème suffixal -Vr identique en basque, en finnois ou en hongrois qui se réalise souvent par -or et -ur. Ainsi a-t-on par exemple la série suivante : bsq. gopor « bol » < *gop-or fi. kopor « dos » < *kop-or hgr. hoporcs « motte » <*kop-or-cs12 12 On notera que *gVb- existe aussi en indo-européen (cf. lat. cavea entre-autres), en hébreu ou en arabe (cf. le fr. alcôve de l'arabe al qub), etc. Nous pensons qu'il est impossible, quand bien même il s'agirait d'une racine expressive, que celle-ci se soit développée de façon indépendante par génération spontanée dans diverses familles de langues sans aucun lien entre-elles. Cette racine remonte nécessairement à un prototype commun situé très haut dans le temps. L'expressivité n'est pas un obstacle à la parenté génétique comme on l'entend dire trop souvent, sauf dans le cas d'onomatopées évidentes. Prenons un autre exemple, celui de la racine eurasienne *mok- « émoussé, coupé ». Cette racine est présente en basque, mais aussi en mongol, en tchouktche et même en algonquin. bsq. mok-or « émoussé, coupé, tronc ». mo. mok-or « émoussé ». tch. mok « couper ». alg. mok-man « couteau ».

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13 Là encore, on peut constater que la racine *mok- se voit adjoindre, en basque et en mongol, un suffixe eurasien -Vr. Dans les deux langues le terme mokor désigne les cornes émoussées d'un animal. D'autres termes sont construits sur le même modèle. C'est par ex. le cas du basque labur « court » qui doit être analysé en *lab- suivi du suffixe -ur comme le prouvent d'autres termes issus de la même racine tels que labio « bigleux, myope »13 qui n'ont pas le suffixe en question. On peut donc admettre, puisque dans le cas de labur nous avons affaire à un adjectif, que le suffixe eurasien *-Vr s'applique aussi bien aux substantifs qu'aux adjectifs. On parlera donc de « suffixe nomino-adjectival eurasien ».

14 L'existence du morphème eurasien -orl-ur permet ainsi d'analyser de nombreux termes basques et d'isoler la racine : Labur < *lab- « court » Maker < *mak- « tordu » bi(h)ur < *bi (h)- « tordu » leiho < *leih- « sec » konkor < *konk- « sommet » gezur < *gez- « mensonge » zuhur < *zuh- « sage » sudur < *sud- « nez » sokor < *sok- « motte » 15 Comme on le voit, la particularité de ce suffixe est bien d'être nomino-adjectival. Dans le passé lointain des langues, nom et verbe ou nom et adjectif comme c'est le cas ici n'étaient pas nettement distingués. Ce type de raisonnement va nous permettre d'isoler un autre suffixe proto-basque, également nomino-adjectival, sous la forme d'un morphème terminal -n. Gemen < *geme-n « force, énergie » Gizen < *gize-n « gras, graisse ». Sakon < *sako-n « profond »14 Zokon < *zoko-n « concave »15 Orin < *ori-n « tache, rousseur »16 Lagun < *lagu-n « compagnon, ami » Lizun < *lizu-n « sale » Zikin < *ziki-n « sale » Aran < *ara-n « vallée » Likin < *liki-n « gluant » 16 La mise en évidence de ces suffixes proto-basques nomino-adjectivaux revêt donc une importance toute particulière et permet une avancée décisive dans l'analyse de certains lexèmes basques par l'isolement des racines premières. Ainsi se trouvent confirmés des faits que l'on connaissait par ailleurs. Dans le terme likin, on voit que le -n se trouve confirmé dans son rôle de suffixe par l'existence de ligi « boue » dans le lexique basque (et bulgare !). Le cas de zokon dérivé de zoko « coin » est également remarquable. Pour tout ceci, et pour la démarche d'une langue basque conçue comme « langue eurasienne », on pourra se reporter également à notre ouvrage sur les origines linguistiques du basque17.

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NOTES

1. V. Bertoldi. Problèmes de substrat, BSLP. n°XXXII. 1931, pp. 93-183. 2. E. Nègre. Toponymie Générale de la France, vol. 1. Genève, 1990. p. 19. 3. E. Nègre, op. cit.. p. 20. 4. R. Bernard. Mots grecs en bulgare. BSLP, 44, 1948, pp. 90-115. 5. R. Bernard, art..cit., p. 104. 6. R. Bernard, ibid..p. 105. 7. G. Dottin. La langue gauloise. Paris. 1920, pp. 231 et 249. 8. R. Bernard, ibid., note 1. pp. 108-109. 9. C'est nous qui soulignons. 10. Burrow/Emeneau, A dravidian etymological dictionaty, Oxford, 1986, n° 1630, p. 149. 11. Burrow/Emeneau. op. cit.. n° 1298, p. 121. 12. Proto-hgr. k- donne h- en hongrois moderne. 13. Cf. R.M. de Azkue. Diccionario Vasco-Español-Francès, Bilbao. 1905, vol. I, p. 516. 14. Cf. par ailleurs saki « entaille, mortaise » « sakan “vallée encaissée ». 15. Le terme zoko seul sans suffixe signifie « coin ». 16. De ori “ jaune, jaune-orangé, roux”. 17. M. Morvan, Les origines linguistiques du basque, Bordeaux, 1996.

INDEX

Index chronologique : 20e siècle Thèmes : linguistique Mots-clés : basque (langue), langue eurasienne, substrat

AUTEUR

MICHEL MORVAN

UPRESA du CNRS

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La situation de la langue basque en Pays Basque Nord

Bernard Oyharçabal

NOTE DE L'AUTEUR

Texte d'une communication présentée lors du colloque sur les langues régionales de France tenu à Philadelphie du 4 au 6 octobre 1996 au Penn Language Center (University of Pennsylvania).

1 Lorsque durant le Premier Empire Coquebert de Montbret en charge du bureau de la statistique au ministère de l'Intérieur, adresse aux préfets de l'Empire son questionnaire relatif aux parlers utilisés dans leur circonscription, le préfet Castellane en place dans les Basses-Pyrénées en 1806, traça sur une carte du département une ligne marquant les limites de la zone bascophone (document reproduit dans Oyharçabal 1992), et dressa la liste des villages limitrophes en accompagnant ce relevé de quelques brefs commentaires relatifs à certaine localités qu'il considérait comme bilingues (Brunot, 1927).

2 S'agissant, selon tous les témoignages de l'époque, d'une zone linguistiquement homogène, c'est sur cette base que, pour la première fois, furent dénombrés les bascophones du Pays Basque aquitain, c'est-à-dire par simple addition du nombre d'habitants des diverses localités incluses dans la zone bascophone. Le dénombrement publié dans l'annuaire du Bureau des Longitudes présenté en 1809 fut de 108 000 locuteurs bascophones. 3 Hélas, cette attention portée par l'administration française aux faits de langue de cette nature n'eut guère de prolongement, et jamais depuis lors aucun effort n'a été fait pour dénombrer les locuteurs bascophones, et encore moins bien sûr pour affiner cette connaissance. Les chiffres rapportés un peu plus tard, en particulier durant la seconde partie du 19ème siècle par F. Michel (135 000), E. Reclus (120 000 au maximum), et L-L. Bonaparte (125 000), suivi par J. Vinson, semblent avoir été fondés sur la même démarche que celle de 18061. Il en fut de même au 20e siècle. Les estimations ainsi

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obtenues avaient une certaine fiabilité, car jusqu'à la période d'après-guerre le Pays Basque aquitain a conservé une relative stabilité en ce qui concerne la bascophonie. Il était possible dans ces conditions d'évaluer approximativement le nombre des habitants sachant le basque dans la zone bascophone à partir du nombre d'habitants. C'est encore sur cette base qu'à la fin des années 1960 Yrizar (1973) fonda son enquête, en dénombrant un total de 85 000 locuteurs environ ; il dut toutefois, pour obtenir ce nombre, pondérer les chiffres de population en demandant aux responsables civils ou religieux en charge sur place de lui fournir une estimation en pourcentage des bascophones dans les communes. 4 C'était là toutefois un pis-aller, qui au surplus devint bientôt pratiquement impossible à utiliser, même dans le Pays Basque à dominante rurale. Au demeurant celui-ci était sur le recul, représentant un pourcentage des habitants de plus en plus faible, et connaissant un déplacement de sa population vers les zones plus urbanisées de la côte et notamment de l'agglomération bayonnaise. Par ailleurs, il était difficile de continuer à ignorer celle-ci, exclue de la zone bascophone traditionnelle et où se trouvait concentrée non loin de la moitié de la population du Pays Basque, et vers laquelle se dirigeait une partie non négligeable des personnes quittant le Pays Basque intérieur. 5 En ce qui concerne les études de démographie linguistique, la situation du Pays Basque ibérique ne fut pas meilleure jusqu'à une date récente. Cependant, au début des années 1980, peu après la fin du franquisme, la reconnaissance du basque comme langue officielle en Navarre et dans les provinces de la Communauté Autonome du Pays Basque, et la mise en place d'une nouvelle administration régionale en Espagne, les recensements inclurent des questions relatives à la connaissance des langues officielles d'Espagne, ce qui permit d'effectuer dans la Communauté Autonome les premiers travaux de démolinguistique du Pays Basque, lesquels furent basés sur le recensement de 1986 (HPIN 1989). 6 C'est après cette première étude qu'il fut décidé d'entreprendre en 1991 une véritable enquête sociolinguistique, non plus dans la seule Communauté Autonome, mais sur l'ensemble du Pays Basque, dans la mesure où institutionnellement cela s'avérait possible. Cette enquête fut effectuée dans de bonnes conditions dans la Communauté Autonome, et également en Navarre, dont le Gouvernement provincial s'associa au projet. En Aquitaine, en l'absence d'instances administratives se consacrant à la politique linguistique au sein des institutions départementales ou régionales, l'Institut Culturel Basque fut sollicité, mais de manière très tardive car lui-même de création récente. C'est donc en urgence, et dans des conditions pas vraiment satisfaisantes sur le plan technique, que l'enquête fut réalisée au nord de la frontière. Il convient toutefois de dire que cette première expérience, malgré des circonstances difficiles, permit de procéder à une première approche quantitative et d'élaborer des analyses comparatives fort utiles (Aizpurua, 1995)2. 7 En 1995, lorsque le gouvernement de la Communauté Autonome et le Gouvernement de Navarre convinrent de réaliser une nouvelle enquête l'année suivante, cinq ans après celle de 1991, le Pays Basque aquitain fut dès le départ associé à l'élaboration de l'enquête. Un comité de pilotage fut mis en place par l'Institut Culturel Basque avec la participation de linguistes et de sociologues. L'INSEE fut sollicité pour élaborer des échantillons destinés à la réalisation des enquêtes. A défaut d'un support financier de la part des autorités publiques nationales ou locales, c'est auprès des institutions de

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l'Union Européenne que fut obtenue la plus grande partie du financement de l'enquête en Pays Basque aquitain. 8 La présente communication expose et analyse les principaux résultats relatifs à la compétence en basque de la population de plus de 16 ans résidant dans le Pays Basque aquitain, tels qu'ils apparaissent à la suite de l'enquête de 19963.

1. L'enquête de 1996

9 L'enquête de 1996 a été réalisée par la méthode des sondages sur l'ensemble du Pays Basque, mais par des organismes spécifiques selon les parties du Pays Basque concernées4. L'ensemble des résultats ont été regroupés et traités par informatique à Vitoria-Gasteiz sous la responsabilité du cabinet technique du secrétariat à la politique linguistique du Gouvernement de la Communauté Autonome du Pays Basque.

1.1. Les zones d'enquêtes

10 Comme en Pays Basque Sud, où les zones non bascophones ou débasquisées, parfois depuis des siècles, sont inclues dans les enquêtes linguistiques, et comme ce fut le cas en 1991, l'enquête de 1996 a été effectuée pour la partie aquitaine avec pour base la population de 16 ans et plus, résidant dans la partie du département des Pyrénées- Atlantiques qui correspond au Pays Basque de France tel que celui-ci est délimité aujourd'hui dans diverses instances d'études ou de réflexion mises en place par l'administration préfectorale, départementale et consulaire, et qui suit les limites du département y compris les zones situées sur la rive droite de l'Adour.

11 Compte tenu d'une part de l'hétérogénéité sociologique et démographique qu'on y observe, et d'autre part de l'inégale répartition des bascophones, ce territoire a été divisé dans le cadre de l'enquête en quatre zones correspondant à une partition socio- démographique recoupant partiellement les limites traditionnelles linguistiques et historiques. Les quatre zones sont les suivantes : 12 L'agglomération Biarritz-Anglet-Bayonne (avec le canton du Boucau), qui est très urbanisée, et qui n'appartient pas à la zone bascophone traditionnelle5. 13 La côte-sud, qui englobe les cantons incluant les villes de la bordure maritime au sud de Bidart jusqu'à la frontière ; elle correspond à deux cantons du Labourd appartenant à la zone bascophone traditionnelle et centrés sur deux villes côtières : Hendaye et Saint- Jean-de-Luz. 14 Le Labourd intérieur, qui englobe les cantons labourdins qui n'incluent pas de commune côtière : il s'agit – en dehors de quelques communes de la bordure de l'Adour – d'une zone traditionnellement bascophone, appartenant jusqu'à une date récente au Pays Basque rural, mais qui abrite désormais une population dont une proportion non négligeable, voire importante ou très majoritaire, travaille dans l'agglomération bayonnaise ou dans les villes de la côte. Sur le plan démographique, ces cantons se caractérisent par rapport aux autres cantons du Pays Basque intérieur par le fait qu'ils ont présenté un solde démographique positif entre les deux derniers recensements. 15 La Basse-Navarre et la . Traditionnellement bascophone, cette zone, qui correspond aux anciennes provinces intérieures du Pays Basque aquitain, regroupe dans l'enquête les cantons à solde démographique négatif.

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16 Pour chacune de ces zones, des échantillons de la population ayant 16 ans d'âge ou plus, ont été définis, et fournis à partir des listes des annuaires téléphoniques, sans tenir compte de l'origine, ni de la nature de la résidence6. Les enquêtes ont eu lieu en février- mars 1996 auprès de 1400 personnes. 17 Les résultats ont été ensuite pondérés selon la distribution de la population sur la base du recensement de 1990 et sa projection en fonction du sexe et de l'âge.

1.2. Le questionnaire

18 Un questionnaire unique a été élaboré pour l'ensemble des enquêtes qu'elle fussent réalisées dans la Communauté Autonome, en Navarre, ou en Pays Basque aquitain, avec quelques retouches d'adaptation lorsque cela s'avérait nécessaire. Ceci permet un traitement unique des données recueillies.

19 Le questionnaire comprend une cinquantaine de questions que l'on peut regrouper, outre celles relatives à la personne interrogée, en trois gros chapitres : questions concernant la compétence en basque, questions concernant le comportement (emploi effectif du basque), questions concernant les opinions ou les attitudes à l'égard du basque.

1.3. Les types de locuteurs

20 Dans une situation telle que celle de la langue basque, l'une des difficultés rencontrées pour quantifier les locuteurs réside dans la définition des types de compétence permettant de prendre en compte les situations intermédiaires.

21 Le questionnaire a visé à définir les types de locuteurs sur la seule compétence en basque et en français en Pays Basque Nord ou en espagnol en Pays Basque Sud. La typologie suivante a été élaborée pour la partie aquitaine7 : • bascophones, non francophones ou francophones passifs ; - avec basque dominant • bilingues - équilibrés - avec français dominant • francophones, bascophones passifs ; • francophones non bascophones.

22 Pour des raisons de clarté et de simplicité, nous ne retiendrons pas compte dans notre présentation que trois types de locuteurs :

23 Les bascophones à compétence active (bascophones actifs dans les tableaux). Nous ne distinguerons pas bilingues francophones et non-francophones, la proportion de bascophones ignorant le français étant statistiquement négligeable, puisqu'elle est inférieure à 1 %. De même nous rassemblons dans cette même catégorie les différents types de bilingues, pour ne retenir comme critère que le fait d'avoir ou non une compétence active en basque. Indiquons simplement que les trois types de bilingues sont en proportion sensiblement égale. 24 Les bascophones à compétence passive (bascophones passifs dans les tableaux). Il s'agit d'une catégorie intermédiaire sans doute quelque peu hétérogène ; elle regroupe les personnes indiquant pouvoir parler un peu en basque, ou être en mesure de bien ou assez bien le comprendre, à l'écrit ou à l'oral.

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25 Les non-bascophones. Cet ensemble regroupe les personnes disant ignorer totalement le basque, ou n'en connaissant que quelques mots ou ne le comprenant qu'un peu. 26 Les options offertes dans les réponses pour auto-évaluer la compétence était pour les quatre types de compétence (compréhension orale, expression orale, compréhension de l'écrit, expression écrite) : rien, quelques mots, un peu, assez bien, bien.

1.4. L'origine et la langue maternelle de la population interrogée

27 Il convient de signaler également certaines caractéristiques générales concernant l'échantillon ou bien la population et pesant directement sur la compétence linguistique des personnes. • Le premier élément concerne le nombre de bascophones dans l'échantillon, avant que ne soient effectuées les répartitions : 480 personnes (soit 34 %) étaient bascophones et 920 non- bascophones (66 %)8. • Le second élément est relatif au lieu de naissance : sur l'ensemble des zones d'enquête les non- natifs représentent 38 % ; entre 16 % dans la zone 3 (Basse-Navarre et Soule) et 51 % dans la zone 1 correspondant à l'agglomération bayonnaise. Ces chiffres sont évidemment très importants : en effet dans la situation socio-linguistique qui est celle du basque, où le seul mode d'acquisition du basque a été la transmission familiale, il ne peut s'agir statistiquement que d'une population non bascophone. • Le troisième élément regarde le lieu de résidence. Le tableau 1A ci-dessous indique quelle est, selon le recensement de 1990, la population de 16 ans et plus de chacune des zones d'enquêtes et le nombre d'enquêtes réalisées dans chacune d'elles.

TABLEAU 1.A. Population de 16 ans et plus en chiffres absolus (recensement de 1990) et nombres d'enquêtes réalisées en 1996 dans chaque zone

28 Comme on peut le constater le nombre d'enquêtes réalisées dans les zones 2 et 2'est faible et leur regroupement est souhaitable, et même nécessaire pour une exploitation plus fine des résultats9.

2. Résultats généraux relatifs à la compétence

29 Les tableaux 2.A et 2.B présentent les résultats en nombres absolus et en pourcentage regardant la population bascophone et non-bascophone.

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TABLEAU 2A. Nombre de bascophones et non-bascophones au sein de la population de 16 ans et plus du Pays Basque aquitain, et répartition dans les différentes zones d'enquête

TABLEAU 2.B. Pourcentage des bascophones et non-bascophones au sein de la population de 16 ans et plus du Pays Basque aquitain et des 4 zones d'enquête

30 Comme le montrent ces tableaux, la proportion des personnes résidant en Pays Basque aquitain et ayant une compétence active en basque correspond à un gros quart de la population. Celle de ceux n'ayant qu'une connaissance passive du basque approche les 10 %. Près de deux sur trois ignorent le basque. 31 Le nombre de personnes ayant 16 ans ou plus en mesure de parler le basque est d'environ 56 000 personnes sur une population totale de plus de 16 ans évaluée à 212 000. Le nombre des bascophones passifs est approximativement de 20 000. 32 Une nette majorité des bascophones actifs vit dans les cantons non côtiers (zones 2' et 3), où ils sont 39 700, soit 70 % du total. 33 Néanmoins 15 % des bascophones vivent dans l'agglomération bayonnaise (8 200 personnes). 34 Si Ton tient compte de la répartition géographique, le nombre de bascophones ayant une compétence active n'est nettement majoritaire (près de 2 habitants sur 3) que dans la zone 3, correspondant à la Basse-Navarre et à la Soule, région économiquement et démographiquement en difficulté, puisqu'elle est composée des cantons ayant présenté un solde démographique négatif entre les précédents recensements. 35 La différence entre l'agglomération bayonnaise et le reste de la côte de Bidart à Hendaye est sensible : en effet l'agglomération bayonnaise, qui n'appartient pas à la zone traditionnellement bascophone, a une proportion de bascophones actifs inférieure à 10 %, contre 20 % pour le reste de la côte. Dans le Labourd intérieur cette proportion est nettement supérieure : 40 %. 36 La répartition par zones est manifestement pertinente, comme le montre l'approximation du nombre de bascophones pour 10 habitants dans chacune des zones telle qu'elle est résumée dans le tableau 2.C :

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TABLEAU 2.C. Approximation du nombre de bascophones pour 10 habitants selon les zones

37 Il peut être intéressant de comparer ces résultats avec les travaux démolinguistiques effectués auparavant et mentionnés en introduction (Coquebert de Montbret 1806, Reclus 1867, Yrizar 1973). Comme ces derniers se limitaient à la prise en considération de la seule zone bascophone traditionnelle, il convient de retrouver une base de comparaison territoriale identique. La partition en zones utilisée permet d'effectuer une approche assez fine, en excluant l'agglomération bayonnaise (zone 1) du territoire d'enquête. En effet, même si les communes de la bordure de l'Adour n'appartenant pas à la zone bascophone traditionnelle (Urt, La Bastide-de-Clairence, Bidache) sont inclues dans la zone 2 du fait des découpages cantonaux, l'incidence statistique de cette inclusion peut être considérée comme réduite.

TABLEAU 2.D. Nombre et pourcentage des bascophones et non bascophones de 16 ans et plus dans la zone bascophone traditionnelle

38 Le tableau 2.D fournit l'évaluation en nombre et pourcentage des bascophones et non- bascophones dans la zone bascophone traditionnelle (zones 2, 2' et 3). Comme on le voit, si la présence du basque est mieux marquée que par rapport à l'ensemble Pays Basque aquitain, près de la moitié de la population (47 %) de la population ignore le basque. Rappelons que lors des enquêtes du 19ème siècle ce territoire était considéré comme universellement bascophone en dehors des personnes récemment installées dans les villes. La population n'ayant guère varié depuis le recensement de 1866 sur cette zone (120 300 selon le recensement de 1990 pour les plus de 16 ans, 123 000 pour la population totale en 1866 d'après E. Reclus), on peut considérer que la perte du basque sur cette zone a été d'environ 60 %.

3. Transmission familiale et acquisition tardive ou perte de compétence en basque

39 L'enquête met en évidence que pour la population considérée la transmission familiale est le moyen d'acquisition pratiquement unique de la langue basque.

40 Ceci n'est pas surprenant étant donné l'éviction du basque du système d'enseignement jusqu'à une date récente, et son exclusion de fait de la vie sociale publique.

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41 Pour mesurer ceci on peut d'abord se reporter au tableau suivant (3.A) qui fait apparaître la compétence en basque selon que l'euskara est ou non langue maternelle.

TABLEAU 3.A. Types de compétence en basque selon la langue maternelle (évaluations en pourcentage sur la population totale)

42 Comme on le voit, 1 % seulement de la population totale est constitué de personnes n'ayant pas le basque comme langue maternelle mais ayant une compétence active. Le nombre pour la compétence passive n'est guère supérieur (3,5 %). En un mot, très peu de personnes n'ayant pas eu le basque comme langue maternelle acquièrent la capacité d'utiliser sans difficultés cette langue. 43 Le basque est la langue maternelle d'un petit tiers des habitants, et c'est presque exclusivement parmi eux que se comptent les bascophones actifs. 44 Le même tableau (3.A) fait également apparaître la perte d'une compétence active en basque chez les personnes ayant eu le basque comme langue maternelle. Cette perte est certes limitée, mais néanmoins sensible puisqu'elle correspond à 6 % de la population totale, soit environ 20 % de la population ayant eu le basque comme langue maternelle. 45 Contrairement à ce que prétend l'idée reçue, le basque appris dans l'enfance se perd s'il n'est pas employé, et cette circonstance se trouve réalisée aujourd'hui en Pays Basque même. 46 La difficulté d'acquérir le basque hors de la famille est également mise en évidence lorsque l'on considère la compétence en basque des groupes de population constitués selon le lieu de naissance. Quatre groupes ont été formés selon que les personnes étaient nées ou non en Pays Basque, et également, lorsque tel était le cas, selon que les deux parents ou l'un des deux étaient eux-mêmes natifs. Les résultats sont ceux du tableau suivant (3.B).

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TABLEAU 3.B. Mesure de l'acquisition par immersion sociale : pourcentage des bascophones et non-bascophones dans la population classée selon l'origine géographique des personnes et celle de leur parents (critère du lieu de naissance)

47 Le tableau ci-dessus (3.B) confirme qu'en raison du caractère exclusif de la transmission familiale comme facteur de maintien transgénérationnel de la langue, l'origine géographique des personnes est un élément déterminant au regard de la compétence linguistique en basque. 48 En effet un très faible pourcentage parmi les non-natifs, ou les enfants de non-natifs, déclare avoir une compétence active. La basquisation par immersion des personnes non natives est certes bien attestée jusqu'à une date relativement récente dans le Pays Basque rural, mais cette immigration est très minoritaire, et l'acquisition tardive par immersion a probablement cessé de jouer à peu près partout depuis l'après-guerre. 49 La proportion de non-bascophones chez les non-natifs d'une part, et les natifs ayant les deux parents, ou a fortiori un seul des parents, non natifs, d'autre part, ne varie pas considérablement (8 ou 9 sur 10). Autrement dit il n'y a pratiquement pas d'acquisition de la compétence en basque à la deuxième génération. 50 Nous ne possédons la ventilation par zone et par âge de ces chiffres (au demeurant ils seraient difficilement exploitables en raison de l'étroitesse de l'échantillon), mais il est probable que les personnes elles-mêmes non natives ou ayant un des parents non natif et étant bascophones (1 à 2 sur 10 respectivement pour chacun des deux groupes) correspondent à des personnes à la fois âgées et vivant en Pays Basque intérieur, c'est- à-dire ayant connu une situation où la présence sociale du basque permettait l'apprentissage par immersion dans la vie locale. Il est difficile d'estimer ici la part des personnes ayant appris le basque à la suite d'une démarche personnelle volontaire, car le dénombrement de ces bascophones n'apparaît pas dans l'enquête. Néanmoins il serait surprenant que ce nombre soit statistiquement significatif. Ces éléments sont très importants puisqu'ils montrent clairement que, contrairement à ce qu'il en a été dans un passé peu lointain dans la zone bascophone traditionnelle, il n'y a plus actuellement d'intégration linguistique des populations non-natives, lesquelles représentent pourtant un pourcentage important de la population totale (38 %). 51 Le tableau suivant (3.C) fournit un autre élément permettant d'apprécier l'importance de la transmission familiale. Il fait apparaître le pourcentage de bascophones de langue maternelle en fonction de la compétence en basque des parents.

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TABLEAU 3.C. Transmission du basque comme langue maternelle selon la compétence linguistique des parents en basque (pourcentages)

52 Le tableau ci-dessus (3.C) montre que parmi les personnes interrogées dont le père et la mère étaient bascophones 17 % n'ont pas eu le basque comme première langue (en même temps éventuellement que le français), ce qui représente la mesure de la rupture de la transmission familiale. On observera également que selon ce tableau l'acquisition par apprentissage tardif chez les enfants de non-bascophones n'est pas statistiquement observable. 53 Cette rupture est évidemment beaucoup plus marquée lorsqu'un des deux parents n'est pas bascophone. Soulignons qu'alors l'écart observé n'est pas proportionnel, mais qu'il est considérable, en particulier s'il s'agit de la mère : en effet, en ce cas la rupture dans la transmission est de 85 %. 54 Cette différence confirme, au niveau de la famille, le principe bien connu concernant les langues minorées dans les ensembles à bilinguisme partiel (c'est-à-dire une situation où seuls les locuteurs d'une langue minorée ont une double compétence), et selon lequel la place prise par la langue minorée dans les choix linguistiques des locuteurs n'est en rien proportionnelle au nombre de locuteurs de cette langue au sein du groupe.

4. Compétence en basque selon les générations

55 Les données les plus inquiétantes apportées par l'enquête sont sans doute celles qui concernent la répartition par classes d'âge des résultats relatifs à la compétence.

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TABLEAU 4.A. Répartition en pourcentages de la population (non-) bascophone selon les classes d'âge en Pays Basque aquitain (population ≥ 16 ans)

56 Comme on le voit, la proportion de bascophones au sein de la population baisse très significativement avec l'âge. De plus d'un tiers chez les plus de 65 ans (37,5 %), cette proportion descend à 11,5 % chez les 16-24 ans. 57 La plus grosse rupture, avec une chute de moitié dans cette proportion se situe dans la génération née après la guerre : en effet, si dans la génération née approximativement entre 1946 et 1960 les bascophones représentent 27,5 %, pour celle née entre 1961 et 1970 ce rapport descend à 13,5 %. 58 Pour la génération née après 1970 la baisse se confirme, mais avec un ralentissement sensible dans le rythme. 59 Ces données (tableau 4.A) contrastent fortement avec les résultats observés en Pays Basque Sud, où c'est la tranche d'âge la plus jeune qui montre la plus forte proportion de bilingues actifs, dépassant même celle observée chez les plus de 65 ans. Le tableau suivant (4.B) montre quels sont les résultats de l'enquête dans la Communauté Autonome du Pays Basque :

TABLEAU 4.B. Répartition en pourcentages de la population (non-) bascophone selon les classes d'âge dans la Communauté autonome du Pays Basque (population ≥ 16 ans)

60 Le tableau ci-dessus (4.B) est intéressant car il montre les effets relativement rapides d'une action volontariste en faveur du bilinguisme afin d'accroître le nombre de locuteurs compétents dans une langue historiquement minorée devenue nettement minoritaire. 61 Le contraste avec les résultats du Pays Basque aquitain est frappant. Pourtant celui-ci partait après la guerre d'une situation démolinguistique bien meilleure, et les circonstances politiques ne furent guère favorables au basque pendant longtemps outre-Bidassoa.

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62 C'est en effet avec la génération née après 1945 que cesse dans les provinces de la Communauté Autonome la chute du pourcentage des bascophones au sein de la population de chaque classe d'âge. Avec les générations nées après 1960 commence le processus de remontée qui s'accélère ensuite avec les générations nées après 1970. 63 Tandis que la génération des 25-50 ans, née entre 1945 et 1970, a accéléré considérablement le processus de débasquisation en Pays Basque aquitain, au contraire, dans la Communauté Autonome, elle est celle qui a fait cesser, puis inversé, ce processus.

Conclusion

64 Nous nous sommes limités dans cette présentation aux données relatives à la compétence, sans nous arrêter sur d'autres facteurs intervenant également dans l'examen des situations linguistiques : à savoir les circonstances et conditions d'emploi effectif de la langue, et, dans une moindre mesure, les opinions et les attitudes. Mais ces éléments suffisent amplement pour formuler un diagnostic hélas sans équivoque : la langue basque est dans une situation critique sur le territoire français, et sa survie sociale gravement en cause.

65 La transmission familiale, qui s'est pourtant maintenue à une niveau relativement élevé jusqu'à une date récente, et qui s'avère plus que jamais indispensable à la continuité de la langue, n'est plus en mesure de préserver à elle seule la présence sociale du basque pour l'avenir. La chute dramatique de la proportion des bascophones actifs dans les classes d'âge les plus jeunes ne laisse aucune espèce de doute sur ce point. 66 Les facteurs pesant sur l'évolution de la géographie (concentration urbaine, dévitalisation du Pays Basque intérieur demeuré socialement le plus bascophone) et des flux migratoires (importance grandissante de la proportion des personnes nées hors du Pays Basque et qui se trouvent privées, de fait, de toute possibilité d'intégration ou d'accommodation linguistique respectueuse du basque) rendent donc indispensable la mise en place d'une politique linguistique spécifique en faveur de la langue basque, dans l'enseignement bien sûr, mais également dans l'organisation quotidienne de la vie sociale, y compris dans les zones les plus urbanisées, démographiquement dynamiques et porteuses des modèles de comportement les plus prégnants. Ceci passe nécessairement par la reconnaissance par les autorités publiques de la langue basque et la légitimation de son enseignement et de son usage effectifs dans la vie publique du Pays Basque. 67 Certains auteurs de la fin du 19e siècle, tel P. Broca ou encore M. Unamuno outre- Bidassoa, prédisaient, et souhaitaient même pour le bien des populations, la fin prochaine de la langue basque irrémédiablement condamnée, pensaient-ils, par le progrès des mœurs et des sociétés10. C'était le temps où l'idée d'évolution était associée, par une extension de la théorie darwiniste hors du domaine de la biologie, à des classifications hiérarchisées des populations, des civilisations, et des langues dont le fondement réel résidait dans les préjugés racistes et nationalistes bien connus, y compris parfois chez des esprits se voulant éclairés. Ces conceptions n'ont plus cours, du moins dans le monde scientifique, et aucun linguiste ne songerait aujourd'hui à classer les langues selon leur degré d'évolution, de développement ou de dégénérescence, à partir de données typologiques, comme le proposait Schleicher11.

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68 Nul n'oserait non plus défendre de bonne foi l'idée qu'un Pays Basque sans langue basque serait, du fait de la perte de sa langue, plus ouvert à la modernité et à l'universalité. Les faits ont démontré combien était fausse la croyance que la bascophonie pouvait être un obstacle à l'acquisition de langues plus répandues, à l'accès aux connaissances, et simplement à l'exercice de la pensée, comme avait pu le penser, par exemple, J. Vinson, dont le témoignage est d'autant plus significatif, que sa contribution et son attachement aux études basques ne sauraient être mésestimés. Prédisant la disparition prochaine de la langue basque, il formulait ce jugement bien illustratif d'un certain type de pensée, qui a longtemps été, et demeure encore, sous- jacent à bien des comportements discriminatoires dans la définition des politiques linguistiques : « Au point de vue social et humanitaire, il faut sans contredit se féliciter de la mort prochaine d'un idiome défectueux et incommode, qui est un obstacle redoutable à l'éducation des populations intelligentes. » (Vinson 1876 : 14)12. 69 A vrai dire, la crispation anti-moderniste et la fermeture à l'ouverture et à la diversité culturelle sont probablement plus aujourd'hui dans les Etats-Nations centralisés une caractéristique des opposants à la reconnaissance des langues autochtones et minorées, qu'un trait des mouvements les défendant. Ceux-ci voient au contraire dans la pluralité linguistique, tant sociale qu'individuelle, non seulement une obligation, mais une chance d'enrichissement et d'épanouissement. 70 Il est difficile d'évaluer quels seront à moyen terme les effets des efforts observés ces dernières années en faveur de la langue basque en particulier dans le domaine scolaire, hélas souvent à l'extérieur, ou en marge, du cadre institutionnel normal. Du moins peut-on espérer que la prochaine enquête sociolinguistique, probablement au début du prochain millénaire, laissera apparaître de manière plus nette les premiers effets des efforts entrepris. 71 Les résultats obtenus dans la Communauté Autonome, et même en Navarre, montrent de façon incontestable qu'il est possible de modifier, voire d'inverser, les tendances lourdes dans l'évolution des données sociolinguistiques dans des situations relativement comparables (en ce qui concerne les pourcentages des locuteurs) à celle exposée ici. Ainsi apparaît-il qu'une action volontaire dans le domaine de l'aménagement linguistique pourrait améliorer grandement une situation très préoccupante pour qui ne se résigne pas à voir ce témoignage exceptionnel de l'Europe linguistique que représente la langue basque progressivement éliminé de la vie sociale de cette partie du Pays Basque.

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NOTES

1. F. Michel (1857 : 2-3) apporte les indications suivantes sans préciser la manière dont il les a recueillies : Le Labourd compte environ soixante mille Basques (...), la Soule environ trente mille (…), et la basse-Navarre quarante cinq mille. La somme est donc de 135 000. E. Reclus (1867 : 2) indique pour sa part avoir effectué dans la zone bascophone un relevé de la population commune par commune pour 1866 et obtenu le nombre de 123 810, qu'il restreignait néanmoins un peu, car

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ajoutait-il : mais il faut défalquer les étrangers domiciliés dans les villes de Saint Palais. Mauléon. Saint Jean de Luz, etc. Le décompte de L-L. Bonaparte est rapporté dans Vinson (1876 : 16). Vinson (1882 : 68), quant à lui, après avoir interprété les résultats du recensement de 1876 en fonction de la carte de Bonaparte, propose une estimation identique avec la partition suivante : 65 000 dans l'arrondissement de Bayonne (sur 102 000 habitants), et 60 000 dans l'arrondissement de Mauléon (sur 63 000 habitants). Je ne mentionne pas dans le texte le dénombrement de 80 000 bascophones proposé par Velasco (1879 : 488), manifestement mal informé. Ces estimations ne concernent que la zone bascophone, mais il va sans dire que dans la zone contiguë également, particulièrement dans l'agglomération bayonnaise, on rencontrait également des bascophones. C'est ce qu'indiquait le Préfet Castellane dans sa lettre de 1806 au Ministre de l'Intérieur : Je n'ai pas besoin de faire remarquer à votre excellence que l'extrême voisinage ou de rapports d intérêts font que dans beaucoup de communes de la langue française une grande partie d'habitants parlent le basque. C'est là un effet naturel des relations entre ces peuples voisins et qu'on aperçoit dans toutes les frontières. (cf. Oyharçabal 1994 : 80). 2. Je rappelle ici les principaux résultats de cette enquête pour le Pays Basque Nord (cf. Aizpurua 1995 : 61) : - bascophones actifs : 69 100 33 % - bascophone passifs : 14 700 07 % - non bascophones : 125 100 60 % - population totale : 208 000 100 % Selon l'enquête de 1996, la proportion de bascophones actifs est nettement inférieure (26 %). Bien sûr, on ne saurait attribuer cet écart à la seule baisse effective, dans une telle proportion durant une période aussi brève, du nombre des locuteurs, mais surtout aux conditions de réalisation des enquêtes. 3. Nous ne mentionnerons pas ici les résultats du questionnaire concernant les opinions et les comportements, qui constituent néanmoins une partie importante de l'enquête. 4. Pour la partie aquitaine c'est l'INSEE qui a procédé à la sélection de l'échantillon. 5. L'appellation de zone bascophone traditionnelle fait référence à la zone bascophone telle qu'elle fut délimitée au siècle dernier par le Prince Bonaparte, en 1863, et qui ne diffère guère d'ailleurs de celle du Préfet Castellane réalisée en 1806. Le principal écart par rapport au Pays Basque en quelque sorte socio-géographique ou administratif tel qu'il est défini dans l'enquête de 1996 concerne les cantons de Biarritz. Anglet. Bayonne et du Boucau, qui n'étaient pas inclus dans la zone bascophone délimitée avec précision par Bonaparte. 6. L'enquête ayant eu lieu durant l'hiver, on peut considérer néanmoins que pour les personnes effectivement interrogées il s'agissait de la résidence principale. 7. Comme ce sont les personnes enquêtées qui définissent leur propre compétence, le risque de distorsions ou d'insincérité des réponses existe. On a ainsi parfois constaté dans d'autres contrées une sur-évaluation de la compétence dans la langue autochtone dans les enquêtes démolinguistiques. Toutefois, dans le cas présent, la procédure de réalisation des enquêtes a permis de réduire au maximum cet écueil. En premier lieu toutes les enquêtes ont eu lieu après avertissement par courrier de la sollicitation et exposition de son objet, et ensuite prise de rendez-vous par téléphone avec la personne qui, au sein du foyer sélectionné, devait répondre au questionnaire (choix fixé de manière aléatoire). En second lieu, les enquêteurs posaient une question préalable visant à déterminer si la personne possédait bien ou assez bien le basque, cl en cas de réponse positive, utilisaient le basque comme langue de communication au cours de l'enquête (dans le respect néanmoins des options linguistiques des personnes interrogées, si celles-ci refusaient l'emploi du basque ou préféraient employer le français ou l'inverse). Enfin, la richesse du questionnaire permettant de nombreux recoupements au cours d'un entretien relativement long (environ trois-quarts d'heure pour les bascophones, favorisait des réponses, non seulement sincères, mais aussi mesurées et sérieuses. Comme indiqué, les échantillons des

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foyers sollicités pour l'enquête ont été fournis par l'INSEE, et les enquêteurs, tous bilingues, ont reçu, sous l'égide de l'Institut Culturel Basque, une formation préalable, de la part de l'INSEE. Les précautions prises dans la répartition des échantillons, comme les conditions de réalisation des enquêtes, constituent les principales améliorations apportées par rapport à l'enquête de 1991. 8. Le faible nombre de bascophones parmi les personnes interrogées interdit en pratique l'analyse statistique des sous-groupes que l'on pourrait distinguer au sein de cette population. 9. Les responsables de l'INSEE ayant collaboré à la réalisation de l'enquête recommandent le regroupement des zones 2 et 2' en une zone unique pour l'exploitation des données, de manière à atteindre un échantillon atteignant un seuil de 400 environ, niveau minimum souhaitable pour l'exploitation. Ils indiquent toutefois que pour la seule quantification des groupes de locuteurs, la partition n'altère pas les résultats de manière significative. Ceci est confirmé par l'examen des résultats obtenus après regroupement des échantillons, très proches de ceux obtenus par simple addition des résultats dans chacune des zones : Zone 2 unique (Labourd sans l'agglomération bayonnaise) : bascophones actifs : 27 499 31 % bascophones passifs : 12 352 14 % non-bascophones : 48 753 55 % Total : 88 604 100 % 10. L'expression la plus claire de ce sentiment parmi les bascologues se retrouve chez J. Vinson, lequel, à propos de la déclaration d'intention de l'association navarraise Euskara, créée en 1878, de s'opposer à la disparition de la langue et de promouvoir une littérature d'expression basque, déclarait : « c'est précisément parce que cet idiome est incompatible avec leur civilisation actuelle - toute espagnole - qu'il ne peut plus vivre et qu'il doit fatalement disparaître. Le basque n'est ni une langue littéraire ni une langue convenable aux instincts démocratiques de notre siècle » : (Vinson 1878 : 466-7). Sur le fondement scientiste sous-jacent à cette attitude, voir la note 12. 11. Schleicher (1821-1868) fut l'une des figures de la linguistique historique du milieu du 19ème siècle. Quatre années après la publication des thèses de Darwin sur l'origine des espèces et la sélection naturelle (1859), il publiait un ouvrage sur l'application de la théorie darwinienne à la linguistique, ainsi que le remarque B. Malberg (1991 : 302). C'est à Schleicher que l'on doit la célèbre classification des langues selon leur typologie morphologique (langues isolantes, langues agglutinantes et langues flexionnelles), et qu'il faisait correspondre pour sa part à des stades d'évolution des langues. Dans le monde de la bascologie, les idées de Schleicher furent surtout portées par J. Vinson, qui ne cachait pas sa dette à son égard (1876 : 9). Cela le conduisit d'ailleurs, en certaines circonstances, face à des zélateurs parfois ridiculement enthousiastes du basque, à formuler des jugements péchant par excès inverse : « ce remarquable reste des vieux âges [il s'agit évidemment du basque] correspond manifestement à une mentalité inférieure et à une période primitive de l'humanité. » (Vinson 1900 : 292-3). (La mise en relief du passage en gras n'appartient pas à l'original). 12. Pour une étude concernant les idées de Vinson concernant le basque, on se reportera notamment à Granja (1986). Les idées linguistiques de Vinson sont également situées dans le contexte général de la linguistique et des études basques de la fin du 19e siècle par Michelena dans sa préface à la réédition de la bibliographie basque de Vinson (1891-1897).

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INDEX

Index chronologique : 20e siècle Mots-clés : bascophone, basque (langue), enquête sociolinguistique, non bascophone, sondage Index géographique : Pays basque (France) Thèmes : linguistique

AUTEUR

BERNARD OYHARÇABAL

UPRESA du CNRS [email protected]

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Hiru aditz aurrizki zahar 16. mendeko testuetan. A propos de trois anciens préfixes verbaux dans les textes du 16e siècle

Bernard Oyharçabal

1 Adizkera jokatuetan agertzen diren elementuen artean, luzaz, euskal gramatikariek ez dituzte elkarretarik berezi, aditz jokadurari berari dagozkion markak eta mendera- kuntzari dagozkionak. Hobeki errateko, aditzaren beraren jokadurako fiexio gisa azter- katu izan dituzte menderagailu batekin agertzen diren adizkerak, morfologiaren eta joskeraren arteko aldea kontuan hartu gabe. Ikuspegi horren ondorio adierazgarriene- tarik bat da Humboltek (1817) euskal partizipioez erran zuena, harentzat perpaus erla- tibo libroen adizkerak (dakidana) baitziren egiazko partizipioak, ideia bera errepikat- zen zuelarik haren ondotik A. d'Abbadiek (1836) ere.

2 Perpaus jokatuetan menderagailu gisa baliatzen ditugun morfemek bi ezaugarri dituzte : lehenik, orain gogorarazi dugun bezala, adizkera jokatuari lotzen zaizkio, harekin morfologian bat egiten dutelarik ; bigarrenekorik, hizki gisa agertzen dira : edo atzizki gisa, edo aurrizki gisa. 3 Euskara tipologikoki hizkuntza posposizionala denaz geroz, ez da harrigarria atzizki gisa agertzea menderagailuak. Are gehiago, azterketa diakronikoak egin dituz-ten autoreek kontsideratu izan dute, atzizki menderagailuen oinarrian agertzen den -(e)n, hain segur, kasu marketarik heldu dela. Genitiboari dagokiola baieztatu dute Gavelek (1929) eta N'Diayek (1970), inesiboari, berriz, de Rijkek (1972) eta Jacobsenek (1977), morfo-fonologia kontuan harturik. Dakigun bezala atzizki hura da kausitzen erlatiboetan, zeharkako galderetan, perpaus subjonktiboetan, bai eta, beste zenbait atzizki harturik, beste forma askotan ere, agerian ((e)n-ean, (e)n-etik,...). 4 Halere, menderagailu guziak ez dira atzizki, baititugu beste batzuk aurrizki moduan agertzen zaizkigunak. Hauek diakronikoki ez dira kasu paradigmari lotuak, baina enontziazioari, eta bereziki baieztapen markatzaileari (Lafon 1966). Hor ditugu. alde batetik, ba- baldintzetako protasietan euskalki guzietan baliatzen dena, eta bes-tetik, bait- egun ekialdeko euskalkietan bereziki baliatzen dena, baina 16. mendean bizkaieraz ere agertzen dena bai(st)- forman.

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5 Beste aurrizki bat sar daiteke sail horretan. usaian gramatikariek horrela egiten ez badute ere : inperatiboan agertzen den b(e)- aurrizkia, hain zuzen. Gutiz gehienetan, b(e)- aurrizkia aurkezten da d-, z-, eta l- denbora-moduzko aurrizkiak agertzen diren tes-tuinguru morfologikoan, eta horregatik paradigma berean sartua izan da. Ez du iduri. haatik, egoki dela horren egitea, ezen aurrizki horren ezaugarri sintaktikoak kontuan hartzen badira, argi eta garbi ikusten da menderagailuen bereizgarriak dituela, eta ez denbora-moduzko markatzaileen(a)k. Bi argumentu eman daitezke honen erakusgarri :

- b(e)- aurrizkiak ez ditu onartzen forma alokutiboak ; - b(e)- aurrizkiak ez daiteke ager beste rnenderagailu batekin batean (aur- rizkia edo atzizkia izan dadin).

6 Bi ezaugarri horiek menderagailuek badituzte, ez, aitzitik, denbora-moduzko mar- katzaileek. Bestalde morfologikoki ere ez dirudi b(e)-, arras, d-, z-, eta /- denbora- moduzko aurrizkiekin pareka daitekeela. Alabaina, 18. eta 19. mendeko lapurterazko testuetan inperatiboko aurrizkia, hastean marka pertsonala duten adizkerekin ere aur- kitzen da. Adibidez, nihork ez bezaitzate kondena dio Haranederrek (Kolos. 2, 16), adizkera horretan be-, z- pertsona-aurrizkia duen zaitzate adizkerari lotua izanik. Dakigun bezala, hori guziz ezinezkoa denbora-moduzko aurrizkiekin, hauek aitzinean pertsona markarik ez duten adizkeretan baizik ez baitaitezke ager, salbuespenik gabe (*dazaituzte). Beraz, hirugarren argumentu hau ere eman daiteke, b(e)- aurriziki men- peratzaileen artean sartzeko :

- b(e)- aurrizkia erabilia izan da zenbait euskalkitan pertsona-aurrizkiak zituzten adizkerekin ere.1

7 Aurrizki menderatzaile bat inperatiboan agertzea ez da batere harrigarri. Lehenik, hizkuntza anitzetan defektiboak direlakotz inperatiboko formak, bereziki 2. pertsona subjektua ez den formetan (gaur egun euskalki gehienetan b- aurrizkia agertzeko betea izan beharden baldintzetarik bat2) ; bigarrenekorik euskara zaharrak gisa bereko leku- kotasunak ematen dizkigulakotz.

8 Hain zuzen ere, Etxepareren olerkietan eta Leizarragaren itzulpenetan oinarrituz, lekukotasun horiek aurkeztuko ditugu hemen hiru aurrizki bereziki aztertuz : alba-, albait- eta ai-. Aipamen guti izan dute aurrizki horiek gure gramatiketan, salbu Lafonen tesian (1943 : 477-78, 491-495), eta horregatik denen biltzera eta sailkatzera entseiatu gara. 9 Beraz, hiru aurrizkiak aldizka aurkeztuko ditugu, aldi bakoitz haien agertzea muga- tzen duten baldintza morfosintaktikoak zehaztuz, bai eta haien balioa ere. Aipuak ema- nen ditugu, Leizarragarenen ondotik 1564eko Genèveko testamentu berriaren frantse- sezko testua ere eskainiz, bai eta Haranederren itzulpena ere (aditz forma bera itzulia denean bederen). Frantsesezko testu hori zergatik hartu dugun argi da : Leizarragak frantses testua izan zuen eredu bere itzulpena egiterakoan (Ruiz Arzallus 1991), eta 1564eko argitalpen bat harturik, pentsa dezakegu Leizarragak erabili zuen bertsioa izan gabe ere, ez zatekeela biziki urrun3. Hala erakustera ematen ere dute hemengo itzulpenek. Haranederren erreferentzia aukeratu dugu, denboran hurbilena baitzen. Ordean, 170 urteko aldea bada bi itzulpenen artean, eta kontuan izanik jatorrizko bert- sioak ere ez zirela berak, ez dezakegu konparantza horretarik ondorio handiegirik atera. Halere, konparantzak aurrizkien galera agerian emateko balio duela uste dugu.

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1. ALBA- aurrizkia

10 Alba- aurrizkia hiru aldiz agertzen da Leizarragaren testuetan, eta sei aldiz Etxeparerenetan.

11 Adizkera trinkoekin (erran, egin, *edun) eta adizkera laguntzaileekin aurkitzen da. Azken kasu honetan, adibideen arabera behintzat, aditz lexikala aspektu markaduna bada, aspektu burutua izan behar du. Hots, ez dugu aurkitzen alba- aurrizkia, aditz lexikalak - tzen (edo are gutiago -tuko) aspektu marka dakarren kasuetan4. 12 Alba- duten adizkera trinkoak, eta *edin eta *ezan laguntzaileak, hipotetikoan dira. salbu kasu batean, eta orduan partizipio perfektuarekin erabilia da (ik. (1)). 13 Subjektuak lehen (4, 9), bigarren (5, 7) edo hirugarren (1, 8) pertsonak izan dai-tezke. Alba aurrizkia al+ba morfemez osatua da, eta haren balioa elkarketa horri dago-kio : alde batetik. ahala eta. beste aldetik. baldintzako suposizioa adierazten baitu, hala nola ahal ba- erabiltzen delarik. (3) adibidean ikus daiteke nola Leizarragaren egin alba dadi dioenean (Errom. 12,18), eguin ahal badadi ematen duen Haranederrek, bi formen baliokidetasuna agerian emanez. Adibide anitzetan, halako agiantza kutsu bat badute adibideek. supositiboarekin maiz gertatzen den bezala (cf. balinba). 14 Ikusirik aurrizkiak metatzen dituela haren barnean agertzen diren bi morfemen balioak, batek galde egin dezake ea egiazki aurrizki baten aitzinean gauden. Alabaina hegoaldeko testuetan guziz hedatua izan da al eta ba- modu berean elkarri loturik eta aditzari erantsirik baliatzeko ohitura, bai testu zaharretan, bai eta, adibidez, Larramendiren gramatikan ere. Eta haien kasuan alba ez da aurriki gisa kontsidera- tzen, baina bi morfema desberdin gisa. Zergatik ez gauza bera egin hemen ? Arrazoi bakar batengatik : ez Leizarragak eta ez Etxeparek ez dute sekula silaba bakarreko eta aspiraziorik gabeko formarik erabiltzen ahal adierazteko, salbu alba- morfoarekin. Auziaren trinkatzeko bide segura izanen genuen, agertu izan balira ezezkako adibi- deak. Orduan, ezen. ikusiko zen ez non agertuko zen : alba- aurrizkiaren aitzinean (ezalba-), ala ba- aurrizkiaren aitzinean (al ezba). Lehen kasuan, argi geldituko zen alba morfema konplexua izanagatik bat zela, hala nola gertatzen baita albait- morfe-marekin (ik. §2); bigarren kasuan, alderantziz, frogaturik geratuko zen bi morfemak zirela, hegoaldeko tradizioan gertatzen den bezala. Zorigaitzez ezezkako adibiderik ez dugu aurkitu, eta, beraz, frogabide hori ezin baliatuzkoa dugu hemen. 15 Erran behar da. ordean, gure testuetan ahal morfema agertzen dela supositiboetan, eta beraz ez dezakegula pentsa ahal supositiboetan hartzen duen forma dela al. Hona Leizarragaren bi adibide : Baina deus ahal badaguic (Mark. 9, 22) Baldin hori sinhets ahal badeçac (Mark. 9, 23) 16 Segurtamenik ez badugu ere, horrek alba- bestelako formatzat hartzera bultzatzen gaitu, hala nola egin baitzuen Lafonek (1943) ere.

1.1. ALBA aurrizkia aditz jokabide perifrastikoan.

17 • ALBA + *EDUN [+HIP].

18 ALBALUTE : egin albalute

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19 (1) Eta eguna ethorri cenean, herria etzeçaten eçagut : baina portu itsas adar çuen bati ohart cequizquion, hartara, eguin albalute, vncia egotzi aiher ciraden. (Apos. eg. 27, 39) 1564ko Genèveko biblia : Et le iour venu ils ne cognurent point le pays : mais apperceurent un golphe ayant riuage, auquels ils deliberoyent ietter le nauire s'ils eussent pu. Haraneder : eta gogo çuten untciari han joaracitceco, ahal baceçaten 20 • ALBA + IZAN [+HIP].

21 ALBALIZ : izan albalitz

22 (2) Ceric cen bada çuen dohainontassuna ? ecen testificatzen drauçuet, baldin possible içan albaliz, çuen beguiac idoquiric eman cendrauzquedetela. (Galat. 4, 15) 1564ko Genèveko biblia : Quelle estoit donc vostre beatitude ? car ie vous porte temoignage que s'il eust este possible, vous eussiez arrache vos yeux, & les m 'eussiez donnez. Haraneder : Non da bada orduco çuen dohatsutasuna ? Ecen lekhukotas-sun hau errenda dieçaqueçuet, possible içan balitz çuen beguiac iraciric emanen cinarozquitedala. 23 • ALBA + *EDIN [+ ORAIN].

24 ALBADADI : egin albadadi

25 (3) Eguin albadadi, çuetan den becembatean. guiçon guciequin baquea duçuen. (Errom. 12, 18) 1564ko Genèveko biblia :Si se peut faire, en tant qu 'en vous est, ayez paix avec tous hommes. Haraneder :Eguin ahal badadi eta çuen baitan dagoen guçiaz, duçuen baquea guiçon guciequin. 26 • ALBA + *EDIN [+HIP].

27 ALBANENGIDIO : parti albanengidio

28 (4) Parti albanenguidio harc ezluque pareric/Alavana nic ezticit hayn hon deriçadanic. (Amorosen partizia) 29 • ALBA + *EZAN [+HIP].

30 ALBAHEZA : eskusa albaheza

31 (5) Vercen gaztigari inçan oray adi gaztiga/Pena honez orhit eta hangoa ezac cogita/ Hebengoaz vercecoa albaheça escusa/Vnsa enplegatu duquec heben eure denbora. (Mossen Bernat echaparere cantuya) 32 ALBANEZA : itzul albaneza

33 (6) Elas yzul albaneça yragan den denbora/Segur oray enyqueci dudan gogoan veharra. (Amorosen partizia)

1.2. ALBA aurrizkia aditz jokabide trinkoan. :

34 • ALBA + EGIN [+ORAIN].

35 ALBADAGIK

36 (7) Albadaguic ioan adi eliçara goycian/leyncoari han gomenda bere eche saynduyan. (Doctrina Christiana. Goycian) 37 • ALBA + *EDUN [+ORAIN].

38 ALBADITU

39 (8) Hirur gauça albaditu ehorc ere eguiaz/Nola ere hil vaytadi doha saluamenduyan. (Doctrina Christiana, Harmac eryoaren contra)

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40 • ALBA + ERRAN [+HIP].

41 ALBANERRA

42 (9) Albanerra eguya nyc dut pena handia/Secretuqui minça guiten bioc othoy may-tia. (Amorez errequericia.)

2. Albait- aurrizkia.

43 Albait- aurrizkia alba- baino gehiago agertzen da 16. mendeko testuetan. Leizarragaren testuetan 27 adibide bildu ditut, eta 8 Etxeparerenetan.

44 Albait- aurrizkia morfologikoki aitzinekoaren irudikoa da, ezen elkarretaratzen ditu al morfema eta aditz aurrizki bat, kasu honetan ez ba- supositiboa, baina bait-. Haatik, guziz desberdina da semanukoki : al morfemak ez du ahalezkoa deusetan adierazten, eta aurrizkia agintera irudiko perpausetan agertzen da, Lafonek. horrengatik, prescriptif deitu baitzuen. Bestalde, albait- ez da edozein alditako adizkerekin baliatzen. baina hipotetikoan direnekin bakarrik. 45 Albait- bi formatan agertzen zaigu : diptongoa hetsiz darabil kasik beti Leizarragak (albeit-), hetsi gabe Etxeparek (albait-)5. Aldaketa hori guziz ezaguna da bait morfe- maren kasuan. 46 Albait- morfema konposatua bada, aurrizki bakarra da. Hori erakustera ematen digute ezezkoan diren hamar bat adibideek (salbuespenik gabe). Horrelakoetan ez morfema albait- aurrizkiari juntatzen zaio (ez bait- morfemari) : eta campoetan dira-denac ezalbeilitez hartan sar (Luk. 21, 21). 47 Lafonek oharrarazi zuen albait- noiz baliatzen zen : pour exprimer un ordre dont l'exécution n'est subordonnée à aucune condition et doit avoir lieu immédiatement.. Quand le verbe est au prescriptif, I'exécution du procès voulu, ordonne par le sujet parlant n'est pas rapportée au présent immédiat : tantôt, subordonnée à l'accomplissement d'un autre procès qui n'est pas d'ores et déjà realise, elle concerne de ce fait l'avenir, tantôt elle dépasse et déborde le moment présent parce que le verbe exprime une prescription permanente. qui peut être catégorique ou subordonnée elle-même à une condition. (1943 : 491) 48 Lafonek errana adibide gehienetan egiaztatzen da. Adibidez :

49 • - Perpauseko subjektua (edo beste osagai argumental bat), solas ingurumenaz beste egoera bati dagokion erlatibo libro batek gorpuzten du (cf. (35), (36), (37)), edo erlatibo korrelatu batek (cf. (20), (24), (34), (39)) : Orduan Iudean diradenec ihes albeileguite mendietarát (Luk. 21, 21) ;(37). Eta norc-ere nahi vkanen baihau bortchatu lecoa baten eguitera, albeitin-doa harequin biga. (Mat. 5, 41) ; (34). 50 • - Agindua denbora markatzaile bati lotua da eta honek haustura markatzen du solas ingurumenaren aldetik. Denbora markatzailea izan daiteke : denborazko perpaus menderatua (cf. (17), (18), (22), (23), (25), (42) (43)), edo denborazko izen sin-tagma hala nola bertze aldian (cf. (19)), egun hartan (cf. (21)), orduan (cf. (43)) : lgor deçadanean Artemas hiregana edo Tychique. diligenta albeitendi ene-gana ethortera Nicapolisera (Tito 3, 12) ; (17). Aleguera albeitzinteizte egun hartan, eta bozcarioz iauz. (Luk. 6, 23) ; (21). 51 • - Agindua baldintza baten konplitzeari darraio (cf. (28), (41)) :

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Eta orduan baldin nehorc badarraçue, Hund hemen Christ. edo. Hard han : ezalbeitzineçate sinhets. (Mark. 13, 21) ; (28). 52 Hala ere. ez dirudi Lafonek azpimarratu puntu, hori ezin besteko baldintza dela albait- enplegatzeko. Alabaina Etxepareren testuetan badira adibide batzuk aipatu azterbideari bizkar ematen diotenak. Horrela Potaren galdacia olerkian dialogoak zuzenean ekarriak dira, eta hala-hala andereak pot galdez dagokionari erranak (ik. (30), (33)) : Horrelaco hiz gaixtoric niry eztarradala/Vercer erran albaytiça enuc vste duyana. (Potaren galdacia.) ; (33). 53 Nekez holako adibide baten kasuan erran daiteke agindua solas egoeratik kanpo kokatzen dela.

54 Dena dela ongi azpimarratu behar da albait-ekilako inperatiboak eta bestelakoak ez direla banaketa konplementarioan. Koordinazioa gertatzen denean, ikus dezakegu batzuetan a/frm-ekilako formak koordinatzen direla (ik. adibidez (15), (16), (22),...), eta beste batzuetan, berriz, inperatibo arruntak (ik. (10), (26), (33),...). Hona bi koor-dinazio moten adibide bedera : Eta gauça hauc eguiten has ditecenean, chuchent albeitzinteizte, eta goiti albeitzinçate çuen buruäc, ecen hurbiltzen da çuen redemptionea. (Luk. 21, 28) ; (22). Eta hatzamanic eramanen çaituztenean etzaretela aitzinetic ansiatan cer erranen duçuen, eta ezalbeitzineçate medita (Mark. 13, 11) ; (26)). 55 Albait- aspektu markarik ez dakarten adizkerekin agertzen da : edo *edin eta *ezan aditz laguntzaileei loturik aditz nagusiak aspektu markarik ez izanez, edo adizkera trin- koekin. Bi baldintza badira albait- agertzeko : • adizkera hipotetikoan izan behar da ; • subjektua 2. edo 3. pertsona izan behar da.

56 Ohar bedi subjektua 2. pertsona denean ere hipotetikoa agertzen dela albait-aur- rizkiarekin. eta ez orainaldiko adizkera bat. Beraz kontraste garbia dugu puntu horre- tan inperatibo arruntekin : so afbaitegi (= so egin ezak), utzi albainenzak (= utzi nazak), albeitindoa (= (h)oa), etab.

2.1. Albait- aurrizkia aditz jokabide perifrastikoan.

2.1.1. Albait- aurrizkia *edin aditz laguntzailearekin.

57 • ALBAIT + LEDI : ALBAILEDI

58 - albailedi segura

59 (10) Vercen gayçaz cençacia çuhurcia handi da/Yzterbegui duyen oro nitan vedi gaz- tiga/Abantallan dabilela albayledi segura. (Mossen Bemat echaparere cantuya) 60 - ezalbeiledi jauts

61 (11) Eta etche gainean datena, ezalbeiledi iauts deusen bere etchetic eramaitera. (Mat. 24, 17) 1564ko Genèveko biblia : Et celuy qui sera sur la maison ne descende point pour emporter aucune chose de sa maison. Haraneder : etche gaiñean ditequena ez bedi jauts etchetic deussen eramaterat 62 (12) Eta etche gainean datena. ezalbeiledi iauts etcherat, eta ezalbeiledi sar deusen bere etchetic eramaitera. (Mark. 13, 15)

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1564ko Genèveko biblia : Et celuy qui sera sur la maison, ne descende point en la maison. & n'y entre point pour emporter aucune chose de la maison. Haraneder : etche gaiñean dena ez bedi jauts etcherat, ez barnerat sar, cer-bait eramateco guraz. 63 - ezalbeiledi itzul

64 (13) Eta landán datena, ezalbeiledi guibelerat itzul bere abillamenduén hartzera. (Mat. 24, 18) 1564ko Genèveko biblia : Et celuy qui est au champ, ne retourne point en arriere pour emporter les habillemens. Haraneder : eta larrean içanen dena ez bedi bihur bere arrobaren hartcerat. 65 (14) Eta landan datena ezalbeilediguibelerat itzul, bere abillamenduaren hartzera. (Mark. 13, 16) 1564ko Genèveko biblia : Et celuy qui sera au champ, qu'il ne retourne point en arriere pour emporter son vestement. Haraneder : eta landan ditequena ez bedi bihur guibelat bere tresnen hart-cerat. 66 (15) Egun hartan etche gainean datena, eta bere ostillamendua etchean badu, ezalbeiledi iauts haren eramaitera : eta landan dena, halaber ezalbeiledi itzul guibelecoetara. (Luk. 17, 31) 1564kn Genèveko biblia : En ce jour-la qui sera sur la maison, & aura son mesnage en la maison, qu'il ne descende point pour l'emporter : & qui sera és champs, semblablement ne retourne point à ce qui lui est laissé derriere. Haraneder : Ordu hartan etche gaiñean ditequena eta bere mubleac etchean dituena, ez bedi jauts hequien eramaterat ; eta landan ditequenaez bedi bihur guibelat. 67 • ALBAI (T) + LITEZ : ALBAILITEZ

68 - retira albeilitez, ezalbeilitez sar

69 (16) : Orduan Iudean diradenéc ihes albeileguite mendietarat : eta haren artecoac retira albeilitez : eta campoetan diradenac ezalbeilitez hartan sar. (Luk. 21, 21) 1564ko Genèveko biblia : Alors que ceux qui sont en Iudée, qu'ils s'en-fuyent aux montagnes : & ceux qui sont au milieu d'icelle, qu'ils se retirent : & que ceux qui sont és champs n'entrent point dedans icelle. Haraneder : Orduan Judean direnec ihes eguin beçate mendietarat eta her-riaren erdian direnac biohaz urrun eta ingurutaco herritan direnac ez dai-tecela hartan sar. 70 • ALBAIT + (H) ENDI : ALBEITENDI

71 - diligenta albeitendi

72 (17) : Igor deçadanean Artemas hiregana edo Tychique, diligenta albeitendi enegana ethortera Nicapolisera : ecen han neguaren iragaitera deliberatu diát. (Tite 3. 12) 1564ko Genèveko bihlia : Quand j'enuoroyeray vers toy Artemas ou Tychique. diligente-toy de venir vers moy à Nicopolis : car i'ay deliberé de faire là mon hyuer. Haraneder : Igorri darotçuquedanean Artemas eta Tichique, khecha çaite eneganat etftorcerat Nicopoliserat, ecen han iragan gogo dut negua. 73 - orhoit albeitendi

74 (18) Eta erran cieçón Iesusi, Orhoit albeitendi niçaz, Iauna, ethor adinean eure resumara. (Luk. 23,42) 1564ko Genèveko biblia : Et disais a iesus, Seigneur aye memoire de moy quand tu viendras en ton regne. Haraneder : Guero Jesusi erraten cioten : «Jauna, orhoit çaite nitaz çure erresuman sarthu çahezauenean.

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75 • ALBAIT + ZINTE : ALBAITZINDE

76 -mintza albaizinde

77 (19) : Etay lelo rybay lelo pota franco vercia vego/Andria minça albaycinde verce aldian emiago. (Etchepare, Potaren galdacia) 78 • ALBAIT + ZINTEZTE : ALBAITZINDEZTE, ALBEITZINTEIZTE

79 - ilki albaitzindezte6

80 (20) Eta cein-ere etchetan sarthuren baitzarete, han çaudete, eta handic ilki albaitzindezte (Luk. 9, 4) 1564ko Genèveko biblia : Et en quelconque maison que vous entriez, demeurez-y, & vous en allez de la. Haraneder : Cein ere etchetan sarthuco baitçarete, han egon çaitezte eta ez çaiteztela ilkhi handic 81 - alegera albeitzinteizte

82 (21) Aleguera albeitzinteizte egun hartan, eta bozcarioz iauz. (Luk. 6, 23) 1564ko Genèveko biblia :Esiouissez-vous en ce jour-la, et sautez de ioye. Haraneder : Orduan çaitezte aleguera eta bozcaria. 83 - xuxent albeitzinteizte

84 (22) Eta gauça hauc eguiten has ditecenean, chuchent albeitzinteizte, eta goiti albeit- zinçate çuen buruäc. (Luk. 21, 28) 1564ko Genèveko biblia : Or quand ces choses commenceront à ce faire : dressez-vous en haut, & leuez vos testes. 85 - ezalbeitzinteizte izit

86 (23) Eta ençun ditzaçuenean guerlac eta seditioneac ezalbeitzinteizte icit (Luk. 21, 9) 1564ko Genèveko biblia : Et quand vous orrez des guerres & seditions, ne vous espouantez point. Haraneder : Adituco duçuenean, bada, mintçatcen guerlaz eta albora-menduz, ez çaiteztela espanti.

2.1.2. Albait- aurrizkia *ezan aditz laguntzaiiearekin

87 • ALBAIT + ZINEZATE : ALBEITZINEZATE

88 - iharros albeitzinezate

89 (24) Eta norc-ere recebituren ezpaitzaituzte, eta ez çuen hitzey behaturen, etche edo hiri hartaric ilkitean iharros albeitzineçate çuen oinetaco errhautsa. (Mat. 10, 14) 1564ko Genèveko biblia : Et quiconque ne vous receura & n'escoutera vos paroles, partans de la maison ou de la ville, secouez la poudre de vos pieds. Haraneder : Eta norbaitec errecibitu nahi ez çaituztenean eta çuen hitçac aditu nahi ez dituenean, etchetic edo hiritic ilkhitçearequien batean, iharros çaçue çuen oiñetaco herrautsa. 90 - ezagut albeitzinezate

91 (25) Halaber çuec-ere ikussiren duqueçuenean gauça hauc eguiten diradela, eçagut albeitzineçate ecen hurbil dela Iaincoaren resumá. (Luk. 21, 31) 1564ko Genèveko biblia : Pareillement aussi quand vous verrez ces choses estre faites, sachez que le regne de Dieu est pres. Haraneder : Hala çuec ere icusten dituzquetçuenean gauça horiec guer-tatcen, jaquiçue liurbil ditequela Jaincoaren erresuma.

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92 - ezalbeitzinezate medita

93 (26) Eta hatzamanic eramanen çaituztenean etzaretela aitzinetic ansiatan cer erranen duçuen, eta ezalbeitzineçate medita (Mark. 13, 11) 1564ko Genèveko biblia : Quand donc ils vous meneront pour vous liurer, ne soyez deuant en souci de ce que vous direz, et & n'y medites point. 94 - ezalbeitzinezate sinhets

95 (27) Orduan baldin nehorc badarraçue, Huná hemen Christ, edo han : ezalbeitzineçate sinhets. (Mat. 24, 23) I564ko Genèveko biblia : Lors si quelcun vous dit, Voici le Christ, ici ou là, ne le croyez point. Haraneder : Baldin orduan cembaitec erraten badarotçue : Huna Christo hemen da et (a) horra hor da, ez deçaçuela sinhetx. 96 (28) Eta orduan baldin nehorc badarraçue, Huna hemen Christ, edo, Hara han : ezalbeitzineçate sinhets. (Mark. 13, 21) 1564ko Genèveko biblia : Alors donc si aucun vous dit, Voici le Christ ici, ou le vola, ne le croyez point. Haraneder : Orduan baldin nihorc erraten badarotçue : Huna non den Christo, edo, Horra non den, ez deçaçuela sinhetx. 97 • ALBAIT + ZIN(I)TZATE : ALBEITZINTZATE

98 - goiti albeitzintzate

99 (29) Eta gauça hauc eguiten has ditecenean, chuchent albeitzinteizte, eta goiti albeit- zinçate çuen buruäc, ecen hurbiltzen da çuen redemptionea. (Luk. 21, 28) 1564ko Genèveko biblia : Or quand ces choses commenceront à ce faire : dressez-vous en liaut, & leuez vos testes : car vostre deliurance approche. Haraneder : Gauça horiec hasten direnean bada heltcen, idec çatciçue beguiac eta altcha buruac, cergatic hurbill baiditeque çuen errestecamen-dua 100 • ALBAIT + NENZAK : ALBAINENZAK

101 - utzi albainenzak

102 (30) Hire potac bacyaquyat berce gauça nahi dic/Anderia azti cira nihaurc erran gaberic/ Bada vci albaynençac ny holacoz yxilic/ Horreyn gayz ciraden guero eguinen dut verceric. (Potaren galdacia : 4) 103 • ALBAIT + (H)EZA : ALBAITEZA

104 - albaiteza konserba

105 (31) Honequila albayteça bethiere conuersa/Gaixtoequi ecin ayte gayzqui beci prouecha/Bercer eguin eztaçala nahi eçuqueyena. (Doctrina Christiana) 106 - egin albaiteza

107 (32) Eliçara içanian so eguic bateyarrira/Pensa eçac han duyala recebitu fedia/ Ieyncoaren gracia eta saluaçeco vidia/Hari eguinalbaiteça lehen eçagucia. (Doctrina Christiana, Batheyarria) 108 • ALBAIT + (H) ITZA : ALBAITITZA

109 - erran albaititza

110 (33) Horrelaco hiz gaixtoric niry eztarradala/Vercer erran albaytiça enuc vste duyana. (Potaren galdacia.)

Lapurdum, 2 | 1997 54

2.2. Albait- aurrizkia aditz jokabide trinkoan

2.2.1. Joan aditza

111 • ALBAIT + (H)INDOA : ALBEITINDOA

112 (34) Eta norc-ere nahi vkanen baihau bortchatu lecoa baten eguitera, albeitindoa harequin biga. (Mat. 5, 41) 1564ko Genèveko hiblia : Et quiconque te voudra contraindre d'aller une lieuë, vas-en deux auec luy. Haraneder : Eta nihoc bortchatu nahi baitçaitu harequien goaterat milla pausu, çohazco bertce bi mila pausu ere.

2.2.2. Egin aditza

113 • ALBAI(T) + LEGITE : ALBEILEGITE

114 - ihes albeilegite

115 (35) Orduan Iudean diratenéc, ihes albeileguite mendietarat. (Mat. 24, 16) 564ko Genèveko biblia : A donc que ceux qui seront en ludée, s'enfuyent aux montagnes. Haraneder : Orduan Judean direnec ihes eguin beçate mendietarat. 116 (36) Dacussaçuenean bada desolationearen abominationea, Daniel Prophetáz erran içan dena, behar ezten lekuan dagoela (iracurtzen duenac adi beça) orduan Iudean diratenéc, ihes albeileguite mendietarat. (Mark. 13, 14) 1564ko Genèveko biblia : Or quand vous verrez l'abomination de la deso-lation (qui est dite par Daniel le Prophete) estre où elle ne doit (qui lit l'en-tende) alors que ceux qui seront en Iudee, fuyent aux montagnes. Haraneder :... orduan Judean içanen direnec eguin beçate ihes mendietarat. 117 (37) Orduan Iudean diradenecihes albeileguite mendietarat (Luk. 21, 21) 1564ko Genèveko biblia : Alors que ceux qui seront en ludee, qu'ils s'en-fuyent aux montagnes. Haraneder :... orduan Judean direnec ihes eguin beçate mendietarat. 118 • ALBAIT + (H)EGI : ALBAITEGI

119 - so albaitegi

120 (38) Vertan guero soalbaitegui non den gorpuz sainduya. (Doctrina Christiana. Gorpuz saynduya)

2.2.3. Erran aditza

121 • ALBAIT + ZINARRATE : ALBEITZINARRATE

122 (39) ALBEITZINARRATE : baina cer-ere emanen baitzaiçue ordu hartan, hura albeitzinarrate : ecen etzarete çuec minço çaretenac, baina Spiritu saindua. (Mark. 13, 11) 1564ko Genèveko biblia : mais tout ce qui vous sera donné en cet instant-la, dites cela : car ce n 'estes-vous qui parlez, mais le saint Esprit. Haraneder : bainan cer ere ordu hartan berean emanen baitçaitçue, eta hura erraçue 123 (40) Ihardets ciecén, Othoitzeric eguinen duçuenean, albeitzinarrate hunela : Gure Aita... (Catech. Orationeaz).

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2.2.4. Jakin aditza

124 • ALBAIT + LEKI : EZALBEILEKI, ALBAILIAKI

125 - ezalbeileki

126 (41) Baina hic elemosyna eguiten duanean, ezalbeilequi hire ezquerrac, cer eguiten duen hire escuinac. (Mat. 6, 3) 1564ko Genèveko hiblia : Mais quand tufais aumosne, ta senestre ne sache ce que fait ta dextre. Haraneder : Çuc, bada, eguiñen duçunean amoiña, ez deçan jaçuin (sic) çure escu ezquerrac cer eguiten duquen çure escuiñeco escuac. 127 - albailiaki

128 (42) Eta hoyec eguiazqui ehorc hala ezpaditu/Albayliaqui duda gabe ecin dateyela salbu. (Doctrina Christiana) 129 • ALBAIT + ZINEKITE : ALBEITZINEKITE

130 (43) : Hala çuec-ere dacusquiçuenean gauça hauc guciac, albeitzinequite écen borthan hurbil datela. (Mat. 24, 33) 1564ko Genèveko hiblia : Vous aussi pareillement, quand vous verrez toute ces choses, sachez qu'il est prochain à la porte. Haraneder : hala çuec ere horiec guciac icusten dituzquetquenean, jaqui-çue Guiçonaren Semea hurbill eta athean ere diteguela. 131 (44) Eta ikus deçaçuenean Ierusaleme gendarmeriaz inguratua, orduan albeitzinequite ecen hurbil datela haren destructionea. (Luk. 21, 20) 1564ko Genèveko hiblia : Et quand vous verrez Ierusalem estre enuironnee d 'armees, sachez adonc que sa desolation est prochaine. Haraneder : Icussico duçuenean, bada, Jerusalem armada batec ingurat-cen duela, jaquin çaçue hurbill ditequela haren desolacionea.

3. Ai- aurrizkia

132 Ai- aurrizkia gaur egun guziz zaharkitutzat edo hiltzat eman behar badugu ere, lehen aipatu bi aurrizkiek baino luzezago iraun du ekialdeko euskalkietan. Hala iduri du behinik behin.

133 Joan den mendeko zuberotar gramatikariek ematen digute haren berri : bai Chahok (1836 : 158), bai Inchauspek (1858 : 105-113), bai Gèzek (1873 : 167-8, 191-2),erran gabe hila zela edo desagertzen hasia zela. Bonapartek ere bere Le verbe basque en tableaux (1869, 183. o. aldien bildumako taulari mugatuz gero) ematen ditu forma hauek, temps n'appartenant qu'au souletin direla gaineratuz, gero. 134 Orain testuei berei behatzen hasten garenean bizitasun horren hatzik ez dugu kau- sitzen batere. Ez ditugu eiki testu guziak miatu, baina anitz bai, eta egiaren aitortzeko, ondorioak ez dira gramatikek erranak ikusiz iguriki zitezkeenak. 135 16. mendean, Etxeparek ez zuen erabili, bai, ordean Leizarragak, baina guti (lau adibide). 17. mendean, Axularrek bi aldiz erabili zuen eta Oihenartek ere berdin. S. Pouvreauk, berriz, anitz, eta kasu batzuetan berak bakarrik eskaintzen dituen forma batzuekin. Antza denaz, ez Tartasek eta ez Belapeyrek ez zuten baliatu, idazle horien argitaratzaileek ez baitigute seinalatzen ( P. Altuna, P. Agirre). Gero, 17. mendearen

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ondotik Mirande arte (erran gabe doa Mirandek liburuetan ikasia zukeela) ez dugu inon kausitzen, salbu aipatu gramatika lanetan. 136 Chahoren lekukotasuna garrantzi handikoa da. Berak zubererazko paradigmak eskaini zituen bere gramatikan, ai- aurrizkiarekilako formak izan (NOR bakarrean) eta *edun (NOR-NORK) aditz paradigmen arabera emanez (eta adibiderik gabe). Nola aurreko gramatika lanetan ez baita batere aipatzen ai-, eta nola zubererazko testuetan ez baita agertzen (Oihenarten bi adibide haiek izan ezik, ik. 6. oh.), pentsa dezakegu ahozko mintzairatik ezagutzen zuela Chahok. Bonaparteren erranak ere hipotesi honen berme dira, nahiz bitxi baino bitxiago den ikustea zein guti baliatua izan duten beren testuetan zuberotarrek hango gramatikariek aipatu morfema hori. 137 16. mendean ai- agertzen da albait bezala adizkera hipotetikoetan. edo *edin eta *ezan aditz laguntzaileekin, edo aditz trinkoekin. Ez zatekeen hori ezin besteko bal-dintza, Oihenarten adibideek erakustera ematen duten bezala. Alabaina honek ez ailiz jaio forma erabili zuen, izan aditz laguntzailearekin eta aditz nagusia aspektu burutuan izanik (ik. 6. oharra)7. 138 Haren balioa agiantzari dagokio eta botibo moduan definitua da. Duvoisinek, adi-bidez, edo Haranederrek, oxala edo balinba erabiliko dute zenbaitetan ingurumen beretan. Leizarragaren lau adibideen frantsesezko bertsioan, berriz, a la mienne volonte espresioa kausitzen dugu, iraganaldiko edo perfektuaz haragoko subjonkti-boko forma batekin : aihinz ‘ à la mienne volonté que tu fusses’ (47). 139 Ohargarria da, halaber, aditz jokatua aitzinean emana dela, jokabide perifrastikoan aditz nagusia baino lehenago (ailitez trenca, ainençaçue supporta, aitzineçate regna) eta kopulari dagokionean, predikatua baino lehen (aihinz hotz edo eraquin). 140 Gure 16. mendeko adibideetan holakorik agertzen ez denarren, subjektua edozein pertsona izan daiteke, lehena ere bai. Horrela diote 19. mendeko gramatika guziek. Egia errateko adibide guti da testuetan holakoa denik. Kausitu direnak Pouvreaurenak dira8, hala nola hau : 141 Hala ere aineza oren erditsu hura bedere behar bezala iragan ! (Iesusen imita-zionea, 246. o.).

142 Bururatzeko derragun, kasu batean izan ezik, ai- dela beti aurrizkia. (48) adibidean ait- agertzen da (aitzineçate). Haatik, hapax denaz gero, hutsa izan daiteke edo bait- ekilako analogiaz agertu forma bat.

3.1. AI + IZAN (trinkoa)

143 • AIHINZ

144 (45) Baceaquizquiat hire obrac, ecen ezaicela ez hotz ez eraquin : aihinz hotz edo eraquin. (Apok. 3, 15) 1564ko Genèveko bihlia :A la mienne volonté que tu fusses froid ou bouillant. Haranedern : Badaquizquit çure eguitateac. ez çaretela ez hotz, ez bero. Ochala hotza baçiñe edo beroa.

3.2. AI + *EDIN

145 • AILITEZ : ailitez trenka

146 (46) Ailitez trenca çuec trublatzen çaituztenac. (Galat. 5, 12)

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l564ko Genèveko bihlia : A la mienne volonté que ceux qui troublent vostre repos, fussent retranchez. Haraneder : Ochala ebakiak ere balire çuec alraratcen çaituztenac.

3.3. AI + *EZAN

147 • AINENZAZUE : ainenzazue suporta

148 (47) Ainençaçue supporta appurbat neure erhogoan, baina aitzitic supporta neçaçue. (2 Korin. 11, 1) 1564ko Genèveko biblia :A la mienne volonté que vous me supportissiez un petit en ma folie : & certes vous me supportez. Haraneder :Nahi nuque paira bacineçate aphur bat ene erguelqueria ! Duvoisin :Ochala aphur bat jasan bazinezate ene sendokeria ! 149 • AIZINEZATE : aitzinezate regna

150 (48) Ia asse çarete, ia abrastu çarete, gu gabe reguetu çarete : eta aitzineçate regna, guc-ere çuequin batean regna deçagunçat. (1. Korin. 4, 8). 1564ko Genèveko biblia :& a la mienne volonté que vous ne regnissiez, afin que nous aussi regnions avec vous. Haraneder : Ja asseac çarete. ja aberastuac çarete ; gu gabe erreguñatcen duçue eta ochala erreguiñatcen bacindute guc ere cuequien batean erre-guiña deçaguntçat.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Testu hau Donostiako udako ikastaroetan emanikako hitzaldi bati dagokio. Gaia : Euskararen his-toria : arazo zahar, bide berri (1997/07/3Oelik 1997/08/01 arte). 2. Beste baldintza da aditz ergatibodunetan absolutiboa lehen edo bigarren pertsonakoa ez izatea. eus-kalki gehienetan bederen : beza edo bitza vs nazala eta zailzala.

Lapurdum, 2 | 1997 59

3. Joan den mendearen ondarrean, bai van Eysek, bai Dogsonek, Schuchardtek eta Vinsonek erc nahi ukan zuten Leizarragaren eredu nagusia aurkitu. eta eztabaida biziak ere izan zituzten beren artean grekozko. latinezko eta frantsesezko testuak zenbatetaraino baliatuak izan ziren izartzcko. Ruiz Arzallusek (1991) ezta-baida horiek gogorarazi ondoan. erakustera ematen du, hipotesi arrazoizkoena dela Leizarragafrantses bert-sio baten arabera ari izana zela. Van Eysek ere bere denboran agerian utzi zuen bezala, frantsesezko anitz bertsio argitararatu ziren eta gehientsuenak galdu izan baitira, arras neke da, edo ezinezkoa, Leizarragaren frantsesezko iturri haren aurkitzea. 4. 16. mendean, ahal morfema iraganari ez dagokion egoera bati buruz baliatzen denean ez da izan e do *edun aditz laguntzaileekin agertzen, baina beti adizkera trinkoekin, edo *edin eta *ezan (eta *iro) lagunt-zailcckin. Hots, ez dugu kausitzen, egun guziz arruntak izanagatik, egiten ahal dut bezalako formarik Etxeparc eta Leizarragaren testuetan. Alderdi horretarik alba- aurrizkiarckin gauza bera gertatzea guziz normala da 5. Oihenartek 384. errefrauan albai(t)- forma erabili zuen : Otsoa lagun duanean. albaihu hora sai- hetsean. 6. Hemen dakargun adibidea (20) eztabaida baten sorburua gertatu da euskal filologian. Ikus daite-kecnaz, Leizarragak dioena eta Haranederrek dioena elkarren aurkakoak dira. Lehenbizikoak delako etxe hartarik jalgitzeko manatzen du (handic ilkialbeitzindezte), bigarrenak, berriz, ez ateratzeko dio (ez çai-teztela ilkhi handic). Desberdintasun horren iturburua grekozko testuaren ela Vulgataren arteko diferent-zictan aurkitzen da. Leizarragak dioena grekozko testuari darraio, Haranederren imerpretazioa, aldiz, Vulgataren erranari dagokio. Michelenak (1978) hori ikusiz pentsatu zuen menturaz Leizarragak grekozko testua batzuetan behintzat segitzen zuela, Lafonek ere (1943) erran zuen bezala. Ordean, kasu honek alderdi horretarik ez du gauza handirik frogatzen, baldin eta frantsesezko bertsioan ere baiezkoan bada agindua Ruiz Arzallusck (1991) 1561eko bertsio baten lekukotasuna ekarri zuen gisa horretakoa, eta hemen dakar-guna ere halakoa da : & vous en allez de la. Beraz, Leizarragaren itzulpena hemen ere arras hurbiletik jar-raikitzcn zaio frantses testuari. 7. Hona lau adibideak : - Egundan'ez ailiz jaio gaxtagina/Edertza, neskato onaren zegina/Edo jaï'-eta, berhala/Hil ailiz. inhar bezala. Oihenart. Neunitzak, 6, 13-16. - ta gaixtoeneko kontuan,aillekitzahek ere, edo hek bedere geldi. Axular § 116 - aur dira. (eta lainkoak ailliotsa liren asko) haragiaren bekhatuan ez eronzeko eta eroriz gero ere iaikitzeko hartu behar diren erremedioñk prinzipalenak. Axular § 271. 8. Galda daiteke Pouvreauren lekukotasuna kasu honetan arras fldagarria ote den, ezen ai- batzuetan ustc gabcko maneran crabili zuen, hala nola orainaldian -n edo -la atzizkia zuten subjonktiboko formetan, eta pertsona marka edo denbora marka aurriki gisa zekarten formetan. Ondoko hiru adibideek hori erakusten digute. - ainadilla bada bizi egin merezi eta behar bezala. (Iesusen Imitacionea. 203). - Jesus Jauna erran eta prometatu duzun bezala. egin ere bedi hala. eta ainadin merezidun gertha. (Iesusen Imitacionea, p. 228) - Berdin pairatu behar dut. eta aidezadan emeki paira, ekaitza eta tenpesta ioan dadin eta hobeki gerta dakidan artean. (Iesusen Imitacionea, p. 170). Ohargarri da lehen adibideari dagokion pasartea Inchauspek ainendi erabiliz itzuli zuela : Haur naiçula. çoure cerbutzaria, prest nuçu orotara : ezpeiniz bici enetaco, bena bai çouretaco : ainendi ounxa eta çuc merechi beçala ! (Inchausperen itzulp. 154. o.) Pouvrcau dakigun bezala cuskaldun berria zen. Bcrak bere buruz. analogiaz-edo, asmatu ote zituen forma horiek ? Edo ai interjekzioa dugu horrelakoetan, loturik idatzia ? Hots, ez aurrizkia, baina beste morfema bat.

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RÉSUMÉS

En basque le marquage de la subordination des phrases conjuguées se réalise au moyen d'affixes se joignant aux formes personnelles des verbes. Ces affïxes sont soit des suffixes, diachroniquement issus de marqueurs casuels, soit des préfixes, lesquels sont reliés à la particule d'affirmation positive bai ‘oui’. Dans ce second cas, il s'agit de ba- ‘si’ qui marque les protases de conditionnel, et bait- qui est un complémenteur utilisé dans diverses constructions, et qui peut prendre parfois une valeur causale. Il est proposé dans l'article, d'y joindre également b(e), qui est utilisé à l'impératif lorsque le sujet est de 3e personne, bien que ce morphème soit d'ordinaire analysé comme appartenant au paradigme des préfixes modaux-temporaux (d-, z-, l). La vieille langue a laissé le témoignage dans les dialectes labourdins et bas-navar-rais d'autres préfixes issus du marquage énonciatif ou modal. Ils sont associés à l'expression de la condition (alba-), de la prescription (albait-), ou du souhait (ai-). Ces préfixes, parmi lesquels les deux premiers surtout ont pris rapidement une allure archaïque, sont inconnus dans la langue moderne, et ont toujours eu, avant même de disparaître, une position plus ou moins marginale. Seul Lafon dans sa thèse sur le verbe au 16e siècle avait prêté attention jusqu'ici à ces morphèmes. Aussi l'article reprend-il les données de manière exhaustive en se fondant sur les textes du 16e siècle, et plus précisément de ceux de Liçarrague et Etchepare, car lesdits préfixes n'apparaissent dans aucun autre texte du 16e siècle. Chacun d'eux est successivement examiné, en indiquant les conditions morpho-syntaxiques régissant son emploi, et sa valeur. Tous les exemples rencontrés sont cités suivant le classement des formes verbales préfixées. Pour chacune des formes employées par Liçarrague, et extraites de la traduction du Nouveau Testament, nous produisons la version française proposée par le catéchisme de Genève publié en 1564, car il restitue de fort près le principal texte source qu'a dû utiliser Liçarrague (la source précise n'est pas connue). Chaque fois que la forme préfixée est également traduite dans la version de Haraneder, nous joignons à titre de comparaison cette version. Bien que postérieure d'environ 170 ans, puisque datée de 1740, elle est la plus proche dans le temps de celle de Liçarrague. Ainsi peut-on mettre en évidence que dès le 18e ces morphèmes semblent avoir disparu de la langue, le cas de ai-, cependant, méritant une examen particulier de ce point de vue.

INDEX

Thèmes : linguistique, littérature Index chronologique : 16e siècle Mots-clés : basque (langue), littérature basque, préfixe verbal, verbe

AUTEUR

BERNARD OYHARÇABAL

UPRESA du CNRS [email protected]

Lapurdum, 2 | 1997 61

Remarques sur le pronom Haina

Georges Rebuschi

1 1. Le pronom basque haina, tombé en désuétude à la fin du XIX e siècle, pose des problèmes variés et intéressants à la fois pour l'histoire du basque, et pour la linguistique générale*1. Tout d'abord, du point de vue dialectal, s'il est effectivement typiquement labourdin, le DGV, qui en fait une « palabra exclusiva de la tradition labortana », donne pourtant comme illustration des premières occurrences attestées de cet élément des extraits de Liçarrague (1571), dont le moins que l'on puisse dire est que sa position dialectale est peu claire, et intuitivement nettement plus orientale, et termine par une citation de J. Moulier « Oxobi », poète bas-navarrais de la première moitié de ce siècle2. En second lieu, sa disparition il y a une centaine d'années est une énigme, dans la mesure où ses occurrences sont très nombreuses chez Duvoisin. Troisièmement, d'élément « simplement » anaphorique, haina a évolué pour ne plus apparaître, à partir du milieu du XVIIIe siècle environ, que dans un type de contexte tout à fait particulier qui en fait, pour reprendre un terme technique de la sémantique contemporaine, un « pronom de type E » un peu particulier : ce sont certains aspects de cette dernière question qui vont m'intéresser au premier chef ici.

2 2. Comme ce pronom n'est plus usité, commençons par examiner ce qu'en disent les autorités. Dans Azkue (1905), haina est traduit par des démonstratifs : « aquel, aquella, aquello » ; les exemples cités méritent d'être répétés ci-après, mais la numérotation est de moi ; de plus, l'ordre même des constructions révèle que l'auteur n'a pas cherché à distinguer entre les emplois : on trouve en effet successivement mes (1), (2a), (2b), (3), (2d) et (2c)3 4 :

(1) NORK ERE maiteago BAITU aita edo ama ni baino, HAINAezta enetzat on [...] (Har., Mt 10, 37) 4 — ‘Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi [il/ celui-là] n'est pas digne de moi.’ (2) a Haina haek (« L-s » [=lab. de Saint-Pée]), ‘celui d'autrefois’ ; b Haina hark [sans indication dialectale], ‘celui-là’ ; c Haina hura (« Lc » [=lab. commun]), ‘cette personne-là’ ; d Haina batek (« BN-ald. » [=bas-nav. des Aldudes]), ‘certaine personne’. (3) Halakoari eta halakoei, HAINARI ETA HAINEI (Axular), ‘à tel et tels, à celui-là et à ceux-là’.

Lapurdum, 2 | 1997 62

3 Lhande (1926) propose une traduction un peu plus complexe : « celui-là, une personne telle, de cette sorte », mais ne fournit comme exemples que celui d'Axular cité en (3) à l'instant, et une variante de (2c), à l'ergatif : HAINA HORREK erran daut « cette personne me l'a dit ». Dans Lafitte (1962 : § 263), c'est maintenant une variante de l'ex. (3) d'Axular qui est proposée : H AINAK eta H AINEK erranen dute, d'abord traduite par « tels et tels diront », puis glosée : « litt. : la personne et les personnes diront ». Du côté étymologique, Agud & Tovar (1988), après avoir repris (sans en citer la source) la traduction de Lhande : « un tal, una persona de este tipo », renvoient simplement à la forme génitive du démonstratif hura, de base (h)ar-.

4 Evidemment, dans le DGV (vol. I, 1987), qui propose comme traduction « el tal » et propose un renvoi à halako (pour des raisons dont on verra par la suite qu'elles sont évidentes), les exemples sont beaucoup plus nombreux, et accompagnés de références précises ; mais aucune classification des emplois n'y apparaît. Dans le cadre de celle que j'esquisse ci-après (§ 3), on découvre cependant deux nouveaux types d'emploi, illustrés respectivement par (4), passage tiré de P. d'Urte (début du XVIIe), et (5), tiré de Duvoisin(1857) :

(4) Aurkitu izan zuen HAINA iturri ur baten aldean.(Gen 16, 7) — ‘Il [=l'ange] LA trouva près d'une fontaine d'eau.’5 (5) HAINA da lur gizonik hoberena ZEINAK bihia eta bazka bazter berean altxatzen BAITITU. — ‘Le meilleur cultivateur est celui qui retire d'une même terre la moisson et le fourrage.’6

5 Dans (4), le contexte n'est pas fourni, mais la version de Duvoisin (1859-65), dans laquelle nul pronom explicite n'apparaît, rend les choses claires :

(6)6... Agar eman zen ihesari. 7 Eta Jaunaren aingeruak atzeman zuenean eremuan, [...] mortuan den itur-uraren aldean,8 erran zioen [...]-6 ‘Agar s'enfuit.7 Et quand l'ange du Seigneur la trouva dans le désert, près d'une fontaine isolée, 8il lui dit [...].’

6 Il s'agit ici d'un cas d'anaphore textuelle tout à fait banal, ce qui n'est pas le cas de la structure (5), sur laquelle on reviendra.

7 En résumé, les outils de travail existants nous disent fort peu de choses - mais ce silence partiel est en soi révélateur : hormis le DGV- construit sur un dépouillement assez systématique des anciens auteurs -, plus on s'éloigne du 19e siècle (vers le nôtre), et moins les exemples sont significatifs. En effet, et c'est là à la fois la thèse centrale de ce travail et une restriction importante qui lui est apportée, je considère que les emplois de haina qui ont été séparés des autres dans (1) et (5) ci-dessus manifestent une remarquable spécificité, que je souhaite approfondir dans les pages qui suivent. D'une part en effet, il s'agit du fonctionnement typique, pour ne pas dire exclusif, de ce pronom chez des auteurs comme Chourio (1720), Haraneder (1742) et Duvoisin (1857-1865), qui, à de très rares exceptions près, n'offrent pas d'occurrences des types (2), (3) ou (4), et, d'autre part, il s'agit aussi d'un « oiseau rare » sur le plan typologique -suffisamment rare en tout cas pour mériter une mention explicite dans tout travail général portant sur les propriétés des pronoms et leurs emplois dans les langues naturelles. 8 3.1. Sur quels critères ai-je donc distingué entre les exemples (1) à (5) ? On notera tout d'abord que l'extrait d'Axular en (3) ne révèle aucune propriété spécifique, si ce n'est

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que haina n'y a aucun référent quel qu'il soit : il ne s'agit donc ni d'un emploi anaphorique, ni d'un emploi déictique (il n'en existe d'ailleurs aucun pour ce mot, sauf, bien entendu, lorsqu' il est accompagné explicitement d'un démonstratif, comme en (2a-c) ; la fréquence si basse de l'usage de haina chez cet auteur, ainsi que le fait que ce soit toujours dans ce type d'expression coordonnée distributive « à l'aveugle » qu'il y apparaît, ne permettent d'adopter qu'une attitude raisonnable, qui est de n'en point tenir compte (on peut penser à un calque du français tel et/ou tel, mais cela ne nous avancerait guère : l'analyse sémantique précise de ce genre de tournure reste de toute manière à faire)8. 9 3.2. Quant aux exemples sous (2), ils montrent que haina pouvait être accompagné d'un déterminant, ce qui permet de réfuter les présupposés de la remarque du DGV selon laquelle haina « se emplea siempre determinado a diferencia de hain » : en effet, si haina était la forme déterminée sg. de hain ‘tant’, la forme attendue devant un démonstratif, cf. (2a-c), ou le numéral bat, cf. (2d), devrait précisément être cette forme nue hain - or le DGV ne cite aucun exemple du type *hain hura ou *hain bat, et je n'en ai pas trouvé non plus au cours de mes lectures des textes anciens. 10 En fait, il est possible d'éliminer totalement le « type » exemplifié par (2) en posant que haina est. morphosyntaxiquement, un nom (sémantiquement) pronominal se terminant par la voyelle a ; à ce titre, il est compatible avec les déterminants usuels, dont le déf. sg. -a, le déf. pl. -ak (à l'absolutif), les démonstratifs, comme en (2a, b, c) ou encore l'indéfini sg. bat, comme en (2d). De plus, conformément à la morphophonologie du dialecte considéré, le -a radical final se confond alors avec le suffixe défini, si bien que haina est analysable en [haina + a], de manière parallèle à aita’ père’ ou’ le père’, etc. Au vu de l'analyse sémantique qui sera proposée pour haina, on comprendra que la forme déterminée soit naturellement utilisée, le choix d'un démonstratif (plutôt que du -a absorbé) étant tout à fait redondant : le DGV semble donc avoir créé à tort une entrée particulière pour haina hura.9 11 3.3.1. Quelle est donc la spécificité de l'usage illustré en (1) par rapport à (4) ? Dans le cas de (4), haina renvoie proprement à un individu déterminé mentionné dans le co-texte (Agar en l'occurrence) - tout comme le ferait le démonstratif hura ou le pronom abstrait (ou phonétiquement non-réalisé) pro. De ce point de vue, et en l'absence de tout contexte indiquant explicitement le contraire, il semble que l'usage illustré par (4) - et peut-être celui de certaines des expressions complexes de (2), tel que le révèlent les traductions d'Azkue -, relève de la simple reprise, d'un renvoi plus ou moins ordinaire à un être mentionné auparavant dans le discours. 12 Considérons maintenant (1), ou encore le texte de Haraneder rétabli par Altuna en (7a), et la traduction du même verset par Duvoisin, un peu plus d'un siècle plus tard, en (7b)10 :

(7) a NORK ERE maiteago BAIDU bere ai ta edo bere ama ni baino. eta HAINA ez da ona enetzat ; eta NORK11 maiteago BAIDU bere semea edo bere alaba ni baino. HAINA ez da gai enetzat. [voir (1) pour la trad.] b NORK ERE bere aita edo ama ni baino maiteago BAITU, HURA ez da enetzat egoki ; eta NORK ERE nitaz gainetik maite BAITU bere semea edo alaba, haina ez da enetzat egoki. [id.]

13 Certes, haina (ou encore hura dans la première proposition de (7b)) est toujours « anaphorique » ici, comme dans l'ex. (4), mais il s'agit d'un type d'anaphore très

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différent12 : dans (7a) et (7b) comme dans (1), il n'y a pas d'individu déterminé ou possédant de référence propre qui pourrait servir de référent à haina (ou à hura). Bien entendu, on a depuis longtemps observé qu'un indéfini (par ex. un interrogatif ou un quantificateur universel), donc un élément non pourvu de référence actuelle, peut servir d'antécédent linguistique à un pronom, mais une certaine condition structurale doit alors être remplie, celle de la c-commande, qui exige que l'anaphore soit sous la portée de son antécédent - en termes de structure de constituants, que l'anaphore soit contenue dans un constituant « sœur » de l'antécédent lui-même13. Ainsi, en français, le sujet d'une proposition principale c-commande-t-il toujours, quand l'ordre des mots est non- marqué, un pronom qui l'anaphorise (les crochets indiquent la partie pertinente de la structure de constituants, qui branche à droite, et donc le fait que le premier élément de chaque exemple a tout le reste de la structure sous sa portée) :

(8) a [QUI [a dit [qu'il partirait]]] ? b [CHACUN [croit [qu'il est le meilleur]]]

14 3.3.2. Pour ne pas anticiper sur l'analyse de (1)/(7), qui sera effectuée dans la section 5.3, considérons les structures (9) et (10), logiquement équivalentes à celles-là, dans lesquelles la phrase complexe comporte une protase subordonnée, qui contient à son tour l'« antécédent »14 de haina, puisqu'il s'agit d'un argument du verbe de cette protase : cet antécédent ne peut avoir de portée syntaxique sur aucun terme extérieur à la subordonnée, et ne peut par conséquent pas c-commander haina (pour plus de clarté, je note la subordonnée entre crochets).

(9) a [Baldinetariak bada ZENBEITEK uste BAdu erreligionetsu dela, bere mihia bridatzen ez duelarik, hainan bere bihotza enganatzen duelarik], HAINAREN erreligionea banoa da eta ergela. (Haran. : Jc 1,26) - ‘SI donc QUELQU'UN s'imagine être dévôt alors qu'il ne retient pas sa langue et trompe son propre cœur, SA dévotion est vaine et débile.’ b [Baldin NORBAITEK bere burua jainkotiar badaduka, bere mihia ez duelarik trabatzen, bai ordean bere bihotza enganatzen], alferra da HAINAREN jainkotiartasuna. (Duv. : id.) (10) a [Baldin EDOZEINEK hutsik egiten ez BAdu bere hitzetan], HAINA gizon perfeta diteke. (Haran. : Jc 3,2) - Litt. : ‘Si QUI QUE CE SOIT ne commet pas d'écart dans ses paroles, C'est homme parfait.’ b [NORBAITEK mihitik ez Badu Adu hutsegiten], HAINA gizon perfeta da. (Duv., id.)

15 3.3.3. Dans les ex. ci-dessus, la protase était explicitement hypothétique, et l'antécédent de haina, soit l'indéfini existentiel norbait ou zenbait, ‘quelqu'un’, soit l'indéfini universel edozein ‘qui que ce soit’. Un troisième type d'indéfini est encore attesté, nihor litt. ‘personne’, qui a toutes les propriétés des soi-disants items de polarité négative. En voici trois exemples, le premier, en (11), d'Etcheverry de Sare (1712), cité par le DGV, et les suivants, de Haraneder et Du voisin (en 12) :

(11) a BALDIN BAliz oraino NIHOR hain burugogorrik egia hunetaz dudatzen luenik. HAINA ren sinhetsgogortasunaren bentzutzeko... - ‘S'il y avait encore quelqu'un d'assez têtu pour douter encore de cette vérité, pour vaincre SA résistance à la foi...’ (12) a Elkar hartuak ziren Juduak, BALDIN NIHORK aitortzen BAzuen Jeus zela Kristo. kasatua izanen zela HAINA sinagogatik. (Har. : Jn 9,22) – ‘Les Juifs avaient décidé ensemble que si QUELQU'UN disait que c'était le Christ, IL serait chassé du temple.’

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b Alabainan Juduak hitzartuak ziren orduko, baizik-eta NIHORK aitor bihurtzen BAzuen Jesus Kristo zela, HAINA sinagogatik kanpo ezarria izanen zela. (Duv. : id.)15

16 3.3.4. Chez Duvoisin, la protase peut aussi être apparemment concessive, avec comme marque de subordination l'emploi du « simple subjonctif » en -(e)n, comme l'indiquent les versets de (13) (la trad. de Haraneder, qui correspond à la structure de l'ex. (5), est indiquée à titre de comparaison en (14)) ; -le sujet de la subordonnée semble alors toujours être edozein (auj. edozoin), ‘qui que ce soit’ :

(13) a Eta [EDOZEIN izan DADIEN maitazale], HAINA Jainkoaren ganik sortua da. (Duv. : 1 Jn 4,7) - Litt. : ‘Et QUE QUICONQUE aime, CELUI-LÀ est né de Dieu.’ b [EDOZEINEK beraz adi eta bete DETZAN ene hitz haukiek], HAINA harriaren gai-nean bere etxea jarri duen gizon gurbilaren kide eginen dute. (Duv. : Mt 7,24) -Litt. : ‘QUE donc CHACUN entende, et mette en pratique ces paroles, on LE comparera à un homme sage, qui a construit sa maison sur le roc.’ (14) a Eta NORK ERE maitatzen BAIdu, eta HAINA Jainkoaganik sortua da eta HAINAK ezagutzen du Jainkoa. (Haran. : 1 Jn 4,7) b NORK ERE bada entzuten BAiditu ene hitz hauk eta obretan ematen, eta HURA izanen da gizon zuhur baten pare, zeinek bastitu baiduke bere etxea harriaren gainean. (Haran. : Mt 7,24)

17 3.3.5. Enfin, on notera un dernier type de structure, proprement « corrélatif », qui est très fréquent chez Chourio :

18 (15) [Zenbatenaz baita NIHOR humilago, zenbatenaz haren baitan Jainkoak kausitzen baitu kontresta gutiago,] hanbatenaz du HAINAK zuhurtzia eta sosegu gehiago. (Ch. : 1-4-2, p. 40) – ‘[Plus QUELQU'UN est humble et moins Dieu trouve en lui de résistance,] plus CETTE PERSONNE a de sagesse et de paix.’

19 La « corrélation » en question est établie par l'association, d'une part, de l'inter-rogatif en ze-, ici zenbatenaz ‘de combien’, la marque de subordination en bait- et la fréquente apparition d'un morphème de comparaison, ici le suffixe-ago, dans la pro-tase, et, d'autre part, d'un quantitatif assertif en ha-, ici lianbatenaz ‘d'autant’, et d'un autre comparatif, dans la principale. La structure corrélative est donc indépendante de la présence de nihor et de celle de haina, bien qu'il existe un indéniable parallélisme entre ces associations (v. Oyharçabal 1997).16 20 4.1. Avant d'analyser la forme syntaxique de (1) ou (7), et de (5), il nous faut nous résumer. Chez Haraneder et Chourio comme chez Duvoisin, haina, qui n'est jamais obligatoire, car un pronom implicite (pro), un démonstratif, voire un emphatique, peuvent (presque17) toujours se trouver dans la même position, semble n'apparaître que dans un contexte syntaxique et sémantique spécifique, dans lequel :

(i) son antécédent, s'il en a un18, ne le c-commande pas, au moins à partir d'une position argumentale (voir la note suivante) ; (ii) cet antécédent n'est pas référentiel19 ; (iii) quelle que soit la forme de l'antécédent, y-compris lorsqu'il s'agit apparemment d'un indéfini existentiel, comme dans (9a, b) ou (10b), son interprétation est universelle20.

21 Les points sémantiques (ii) et (iii) ci-dessus peuvent être représentés par la formule suivante :

(16) x [P(x) → Q(x)]

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22 où P note le prédicat qui s'applique à l'antécédent dans la protase, et Q, celui qui s'applique à haina21. (Pour simplifier, je laisse de côté la restriction qui confine généralement les éléments x à l'ensemble des humains22).

23 Bien entendu, (16) pose de nombreux problèmes, qui ont d'ailleurs donné lieu à de vives discussions chez les théoriciens (si l'existence d'un pronom ayant les propriétés spécifiques de haina est peu courante, toutes les langues naturelles semblent posséder des structures globales du type (9), dans lesquelles, comme on l'a noté, l'indéfini existentiel de la protase est à première vue interprétable universellement). Nous allons aborder certains de ces problèmes dans les pages suivantes (voir aussi les questions soulevées en 6.1), mais toujours par rapport au fonctionnement de haina. 24 4.2. La première question qui se pose est la suivante : si (16) semble bien contenir les ingrédients formels nécessaires à la représentation du contenu vériconditionnel des phrases qui ont servi jusqu'ici à illustrer l'emploi de haina en labourdin du XVIII e et du XIXe siècles, est-ce le cas de toutes les occurrences de ce pronom dans cette tranche dialectale et historique du basque ? 25 Eh bien non : (16) ne saurait effectivement représenter toutes les structures contenant haina, car son antécédent peut être externe à la proposition maximale (ou « radicale ») le contenant. En voici un double exemple, où Haraneder et Duvoisin se retrouvent à nouveau :

(17) a NOR ote da zuen artean zuhur eta jakintsun delakorik ? Erakuts beza HAINAK bere egitatea bizitze on baten jarraikitzan, emetasunez beterikako zuhurtzia batean. (Har. : Jc 3,13) – ‘Qui y a-t-il parmi vous de sage et d'expérimenté ? QU'IL (le) fasse voir (par) sa conduite, dans la poursuite d'une vie bonne associée à une sagesse empreinte de douceur.’ b NOR da zuen artean zuhurrik eta jakinik ? HAINAK erakuts betza bere eginka-riak bizitze on batetik zuhurtziaren eztitasunaz.(Duv. : id.)

26 Dans l'exemple suivant, l'antécédent ‘une personne’ est d'abord repris par/jro, noté Ø, puis par haina ; on notera de plus que le point-virgule qui sépare la proposition qui contient haina aurait aussi bien pu être un point.

(18) Jainkoak bere grazia batean emanez bertzean kenduz PRESUNA BAT argitu duenean, ezin atrebituko da Ø sinhestera deus onik bere ganik baduela ; bainan aitortuko du HAINAK gauza guziez dela pobrea eta bilhuzia. (Chou. 2-10-3, p. 162) - ‘Quand Dieu a instruit UNE PERSONNE en lui donnant un jour sa grâce et en la lui enlevant le lendemain, elle n'osera s'attribuer aucun bien d'elle-même, mais ELLE confessera plutôt qu'elle est pauvre et nue en toute chose.’

27 Toujours chez Chourio, on trouve plusieurs exemples du type suivant, où l'« antécédent » de haina, un SN à tête absente (puisque batzu (ek) est fondamentalement un article indéfini pluriel) est introduit par une proposition existentielle (et est donc nécessairement indéfini) :

(19) Halere BADIRE BATZUEK zeinak tentazionerik dorpeenak garaitu ondoan erortzen baitire xumeenetan, eta ardurazkotan, Jainkoak hori permetitzen du HAINAK humilia daitezentzat, eta bere indarretan fida ez ditezentzat okasione handietan. (Ch. : 1-13-8, p. 65) - ‘Cependant, IL Y A DES GENS=il y en a certains qui, après avoir surmonté les plus grandes tentations, succombent aux plus petites, et aux [plus] quotidiennes ; Dieu permet cela afin que DE TELLES PERSONNES/CES

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PERSONNES soient humiliées et ne se fient point à leurs forces dans les grandes occasions.’

28 A partir de tels exemples, on peut donc poser que l'« antécédent » de haina n'a pas besoin d'appartenir à la même proposition (syntaxique) maximale que celle le contenant ; si l'on maintient l'hypothèse standard, mais contestée (cf. déjà Evans (1977), et divers travaux plus récents en DRT [Discourse Representation Theory]), que les formes logiques correspondent aux phrases (syntaxiques), l'antécédent de la variable correspondant à haina en forme logique peut donc être fourni par le contexte. En d'autres termes, (16) est effectivement une caractérisation trop restrictive des structures dans lesquelles le haina typique des XVIIIe et XIXe siècles apparaît.

29 4.3.1. Inversement, ce qui donne le contenu sémantique du prédicat P de (16) peut apparaître dans la proposition complexe globale contenant haina, sans pour autant que haina ait un antécédent. Il s'agit des structures du type (5), très fréquentes chez Chourio (un tiers exactement de toutes les occurrences de haina dans son ouvrage ;, et également bien attestées chez Haraneder et Duvoisin. Les exemples choisis ci-dessous montrent que le cas morphologique de haina est indépendant de celui de zein, le premier étant déterminé par la valence du verbe de la principale, et celui du second, par le prédicat de la relative ; ceux de Chourio, en (20), indiquent aussi qu'il y a ici possibilité de choix de nombre (entre le singulier et le pluriel), alors que seul le singulier apparaissait dans les autres structures (sauf en (19)) :

(20) a Ala dofiatsu baita eta zuhur HAINA ZEINAK bere anal guziak egiten BAITitu bizit- zean halakoa izateko, nolakoa nahi bailuke lieriotzean kausitu ! (Ch. : 1-23-4, pp. 103-4) – ‘Qu'heureux et sage est CELUI [abs. sg.] QUI [erg. sg.] fait tous ses efforts pour être tel dans la vie qu'il voudrait l'être en trouvant sa mort !’ b Orduan ikusiko da egia[z]ko zuhurrak zirela HAINAK ZEISEK nahi izan BAI Tute mundu huntan izan mesprezatuak edo erhotzat idukiak Jesu-Christoren amore gatik. (Ch. : 1-24-5, p. 111) — ‘On verra alors qu'ils étaient vraiment sages, CEUX [abs. pl.] QUI [erg. pl.] ont voulu être méprisés dans ce monde-ci, ou tenus pour fous, par amour de Jésus-Christ.’ (21) a Ardietsiko du bizitzea HAINARENTZAT, ZEINAREN bekatua ez baidoha heriotzerat. (Har. : 1 Jn 5,16) – ‘Il obtiendra la vie pour CELUI [prolatif] DONT [lit. DE QUI, gén.] le péché ne va pas à la mort’23 b Eta nihork ez du ezagutzen Aita Semeak baizik eta HAINAK ZEINARI Semeak nahi izan BAITio ezagutarazi. (Duv. : Mt 11,27) — ‘Et personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et CELUI [erg.] À QUI [datif] le Fils a voulu le faire connaître.’

30 Comme l'indiquent les traductions, on ne peut comprendre ces phrases, qui ont formellement une relative à droite, qui prend donc apparemment haina comme antécédent, que comme contenant des relatives libres. Et ce n'est pas qu'une question de traduction en français. En effet, dans les deux cas, l'autre version basque nous donne une relative libre tout a fait banale, en -n+-a [+Cas], c'est-à-dire en -n-Ø-a [+Cas], où -n est la marque de la subordination (le complémenteur), suffixée à la forme verbale fléchie, où Ø représente l'absence d'antécédent (de nom-tête du SN) spécifique à ce type de relative, et où, enfin, -a est simplement la marque de définitude :

(22) a Nihork ezagutzen Aita Semeak baizen eta Semeak erakutsi izan nahi dioeNAK baizen. (Har. : Mt 11,27) [comparer (21b)] b Heriotzera ez daraman bekatua egin dueNARI emanen zaio bizia. (Duv. : 1 Jn 5,16)

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[comparer (21 a)] - Litt. ‘La vie sera donnée À CELUI QUI a commis un péché qui ne mène pas à la mort.’

31 4.3.2. Par ailleurs, le mot haina et la proposition introduite par zein n'ont pas besoin d'être adjacents ; ce n'était pas le cas dans (5), et ce n'est pas non plus le cas dans (23b), qui paraphrase une relative libre ordinaire donnée en (a) :

(23) a H URAXE24 da antekrist bat, Aita eta Semea ukatzen ditueNA. (Har. : I Jn 2,22) – ‘Celui-là-même est un antéchrist, (celui) qui nie le Père et le Fils.’ b HAINA da antekristo. ZEINAK ukatzen baititu Aita eta Semea. (Duv. : id.)

32 C'est encore plus évident dans (24b) ci-après, de Duvoisin, où l'ordre de la « relative » et de son « antécédent » est inversé - dans (a), de Haraneder, on a à nouveau une relative libre ordinaire - mais on peut se demander si zeinak ne joue pas en fait ici le rôle de l'interrogatif nork (voir la discussion en 5.3) :

(24) a Profeta bat errezibitzen dueNAK profetaren izenean, izanen du profetaren saria. (Har. : Mt 10,41) – ‘Celui qui reçoit un prophète en tant que prophète aura la récompense du prophète.’ b ZEINAK profeta bat, profeta delakoz baitu liartzen, HAINAK profeta saria izanen du. (Duv., id.)

33 5.1. Que se passe-t-il donc ? Jusqu'ici, on avait vu des constructions dans lesquelles haina prenait un terme sur sa gauche comme antécédent (sémantique ?), et maintenant, c'est, syntaxiquement, haina qui semble servir d'antécédent à une proposition relative, le tout s'interprétant comme une relative libre, mais avec une liberté dans l'ordre des mots et des syntagmes qui contraste singulièrement avec la fixité de ce dans ce que..., ou de celui dans celui qui/que... en français.

34 Ce paradoxe peut être résolu si l'on admet que HAINA doit s'interpréter comme jouant lui-même le rôle d'une relative libre, sa contribution sémantique pouvant alors se caractériser par (25a), dont (25b) n'est que la transcription formelle25 :

(25) a haina = le/tout x qui a la propriété P (cette propriété étant donnée par le contexte) b haina => λQλP. x [P (x) → Q (x)]

35 Comme en (16) supra, le prédicat Q est celui de la proposition principale dont haina est le sujet, ou, plus généralement, un prédicat sémantique monovalent prenant hainax comme argument, et correspondant au prédicat syntaxique, éventuellement plurivalent, de la même proposition. Quant à P, c'est également un prédicat sémantique mono-actanciel prenant la même variable x comme argument, mais dérivé maintenant du prédicat syntaxique fourni par la subordonnée. (Cette formulation alambiquée semble nécessaire, dans la mesure où, pour rendre compte de (21a) par exemple, il faut construire successivement un prédicat à une place correspondant au bénéficiaire, et non au sujet, du verbe de la principale, puis au « possesseur » du sujet, et non au sujet lui-même, du verbe de la subordonnée.) Pour simplifier la présentation, je me contenterai dans ce qui suit de travailler avec une version simplifiée de (24), à savoir (26a), traduite par (26b), glosée par (26c), et partageant donc avec (26b) la forme logique (26d) :

(26) a HAINAK saria izanen du, ZEINAK profeta bat errezibitzen BAITu. b Quiconque reçoit un prophète aura une récompense.

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c Le x tel que x reçoit un prophète aura une récompense. d x [RECEVOIR-UN-PROPHÈTE(X) → AVOIR-UNE-RÉCOMPENSE(x)]

36 Le rapport entre (25b) et (26d) devrait être clair : le prédicat Q, fourni par la principale, est ‘AVOIR-UNE-RÉCOMPENSE’ ou plus exactement'ly. ‘ AVOIR-UNE-RÉCOMPENSE(y)’, et le prédicat P, fourni par la relative adjointe, est ‘λz. RECEVOIR-UN-PROPHÈTE (z)’26.

37 5.2. Ce qui précède revient à dire que le rôle de la subordonnée est de fournir ce prédicat, ce qui est manifeste dans le cas de (26a), mais qui est également vrai dans le cas des autres structures impliquant haina. En particulier, si, comme on l'a supposé jusqu'ici, il y a quantification universelle, c'est le « quantificateur généralisé » haina qui la fournit, et qui impose cette quantification à la subordonnée. De là suit alors très simplement le fait que le quantifieur linguistique de la subordonnée ne joue aucun rôle ; en effet, il peut être existentiel, comme on l'a noté dans (9a, b), ou universel, comme dans (13a. b), mais ce peut aussi être un item de polarité négative, comme dans (12), ou encore un élément qui semble absolument non-quantifié27, comme dans (23b) ou (26a) : quel que soit le cas de figure, la force quantificationnelle de la phrase complexe reste la même. Ces différents types sont respectivement regroupés dans (27), dont le dernier exemple n'a pas encore été analysé :

(27) a Baldin NORBAITEK profeta bat errezibitzen BAdu, HAINAK saria izanen du. – ‘Si QUELQU'UN reçoit un prophète, IL aura une récompense’ b EDOZEINEK profeta bat errezibi DEZAN, HAINAK saria izanen du. – ‘ QUE QUICONQUE reçoiVE [subjonctif] un prophète...’ c Baldin NIHORK profeta bat errezibitzen BAdu. HAINAK saria izanen du. - Litt. : ‘Si « PERSONNE » reçoit... d HAINAK saria izanen du. ZEINAK profeta bat errezibitzen BAITU. - Litt. ‘TEL aura... QUI reçoit...’ e NORK ERE profeta bat errezibitzen BAITU, HAINAK saria izanen du.

38 Quel est donc le statut de la construction (1)/(7), rencontrée à nouveau en (14a, b), et qui apparaît ici comme (27e) ? Si elle semble être la structure en miroir de (27d), puisque, dans les cas usuels (l'ordre de (24b) est très rare), la subordination est marquée de la même manière dans les deux cas, par préfixation de bait- à la forme verbale fléchie, il y a malgré tout une grosse différence, qui réside en ceci que c'est un relatif, zein-, qui introduit la subordonnée si elle suit la principale, alors que c'est un interrogatif, nor (souvent suivi de ere, cf. ever en anglais, etc.), qui le fait si elle précède la principale.

39 5.3.1. Qu'on me comprenne bien : je ne veux évidemment pas dire que la protase de (1), (7), (14) ou (27e) est une interrogative. Je voudrais cependant contester l'analyse standard qu'en a proposée Oyharçabal (1987, 1997), et montrer qu'il ne s'agit probablement pas d'une relative, même « libre » ou « corrélative ». 40 La question n'est évidemment pas que terminologique. Elle mérite d'être approfondie, parce que si les propositions relatives en zein-... bait- ont disparu aujourd'hui, elles ont été employées par tous les auteurs (labourdins ou autres) jusqu'au 19e siècle, y-compris par ceux qui n'utilisaient jamais, ou que très marginalement, haina (Axular, Pouvreau), et parce que les structures en nor (ere)... bait-, tout aussi anciennes, ont, elles, survécu jusqu'à nos jours. Donc, s'il s'agissait également dans ce second cas de relatives, l'évolution de la langue serait incompréhensible28.

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41 5.3.2. Que la parenté entre les relatives et les interrogatives soit étroite, nul n'en doute, mais le choix même de l'élément initial est crucial -que l'on compare l'interrogatif objet direct qui en français, qui ne peut servir de relatif, ou encore la distinction entre les interrogatifs où et quand, qui est neutralisée au profit du premier dans les relatifs. 42 Il semble que la situation ait été la suivante en labourdin des XVIIIe et XIXe siècles : l'interrogatif « ouvert » portant sur les humains y était nor ; si le parcours s'effectuait sur une classe restreinte, donnée par le contexte ou la situation, zein pouvait s'employer (de même que lorsqu'il déterminait un nom), au lieu de nor, mais même dans ce cas. il n'était pas obligatoire : voir l'ex. (17), où le caractère contextuellement restreint de l'ensemble parcouru ne déclenche pourtant pas son apparition29, ou encore la paire suivante de traductions :

(28) a Z EIN diteke zuen artean gizon A30 ardi bat lukeena, eta, hura erortzen bazaiolarunbat egun batezputzu batean, harturik handik atera ez lezakena ? (Har. : Mt 12, 11) – ‘Lequel d'entre vous serait un homme qui, ayant une brebis, celle-ci tombant dans un trou le jour du sabbat, n'irait la prendre et l'en retirer ?’ b NOR da zuetan gizona, zeinak ardi bat izan-eta, larunbat egunean zilho batera eror balakio, atzemanen eta ateratuko ez lukeena ? (Duv. : id.)

43 Inversement, en tête des relatives aujourd'hui disparues, on ne trouve pas nor, mais bien zein, même quand l'antécédent est humain.

44 Outre cette différence, on remarque aussi que la présence de ere (traduit usuellement par ‘même’ ou ‘aussi’ dans d'autres contextes) est particulièrement fréquente dans les subordonnées initiales, mais ne semble pas attestée dans relatives proprement dites (les subordonnées qui sont à droite). 45 Enfin, les propositions en nor (ere)... bait- n'occupent jamais de position argumentale : elles sont toujours disloquées (isolées du reste par une virgule), ce qui n'est pas le cas des relatives libres en -n+-a, dont on a vu la structure en 4.3.1, et qui ne sont que très rarement « corrélées » à un pronom comme haina ou hura. Si donc les protases de (1), (7) etc. sont des relatives libres, il faudrait expliquer pourquoi elles ne peuvent occuper la position typique d'une relative libre, à savoir, celle d'un syntagme nominal argumentai31. 46 5.3.3. Si donc l'analyse de (5), (26a) ou (27d) proposée supra est correcte, le vrai problème réside dans la structure syntaxique de (1), (7), (14) ou (27e), et dans la manière dont cette structure contribue à l'interprétation sémantique de la phrase complexe. De ce point de vue, rappelons-nous ce qui a été dit plus haut : une analyse unifiée de haina implique une variable de prédicat, et une proposition adjointe à celle contenant haina (ou, à défaut, une proposition plus lointaine, comme dans les ex. (17) à (19)), peut lier cette variable. On a vu que c'était le cas des relatives en zein... bait, mais aussi des protases conditionnelles, par exemple. 47 Dans le cas de (1)=(26e), je proposerai donc l'hypothèse suivante : il s'agit d'une proposition subordonnée « de type WH- » 32 sans autre spécification catégorielle, et neutralisant donc l'opposition entre relatives et interrogatives. 48 Le gain est évident, et on peut le récapituler ainsi : s'il s'agissait d'une relative ordinaire, il lui faudrait un antécédent, et il n'y en a pas ; s'il s'agissait d'une relative libre, elle devrait pouvoir occuper une place argumentale, ce qui n'est pas le cas, et elle fournirait elle-même la quantification de la forme logique, ce qui est incompatible avec

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l'analyse unitaire de haina, qui présuppose que c'est cet élément lui-même qui donne sa force quantificationnelle à la phrase complexe ; enfin, s'il s'agissait d'une relative corrélative du type usuel, l'interprétation référentielle ou spécifique, plutôt qu'universelle ou générique, de l'argument concerné (cf. le x de « Q (x) » dans (16) ou (25b)), devrait être naturelle (voir par ex. Srivastav 1991), ce qui, je vais le montrer maintenant, n'est pas vraiment le cas non plus dans la variété de basque étudiée. 49 6.1. On a supposé jusqu'ici que la forme logique des phrases complexes contenant haina était de la forme (16), cet élément possédant lui-même, et apportant, la force quantificationnelle universelle notée dans (16), cf. (25b). Deux questions au moins se posent à ce sujet. La première concerne la force quantificationnelle des relatives libres en général, et la seconde, les rapports entre haina et le démonstratif hura (ou le pronom abstrait pro), car, à supposer (i) que hiaina soit bien à interpréter comme une relative libre dont le prédicat est donné contextuellement, et (ii) que la quantification universelle caractérise bien la relative libre en question, il reste à se demander si c'est en général le cas des pronoms associés à des protases comme celles de (9) à (11) qui, si elles ne sont pas universelles, sont en tout cas attestées dans les langues les plus diverses, et donc si l'analyse proposée pour haina est généralisable, ou doit rester spécifique. 50 6.2.1. La première question peut être explicitée de la manière suivante : les relatives libres ne sont-elles pas ambiguës, et donc redevables de deux analyses distinctes, comme en (29) ci-après -j'emprunte (en modifiant le choix des lettres de prédicats) les formules à Jacobson (1995 : p. 458) ?

(29) a (interprétation universelle) : NP = λQ [ x [(P (x) → Q(x)]] b (interprétation définie) : NP = λQ[Q (ix [P (x)])]33

51 La différence entre (29a) et (25b) réside donc en ceci qu'une relative libre interprétée universellement apporte elle-même le prédicat P, à gauche de la flèche d'implication, alors que ce prédicat n'est, par définition, pas fourni par haina. D'autre part, le symbole ι (iota) de la seconde ligne est l'opérateur russellien marquant la définitude singulière : (29b) pose P(x) et ajoute que pour tout v différent de x, il est faux que P(y).

52 6.2.2. Cela dit, il faut savoir que Jacobson (op. cit.) a proposé de neutraliser les deux interprétations ci-dessus. Son analyse repose sur l'idée que les individus (au sens logique du terme : il ne s'agit pas que des humains) peuvent être soit atomiques, soit pluriels. L'idée a son origine dans la méréologie du logicien polonais Lesniewski, mort en 1939 (voir par ex. Lesniewski (1989)). La relation de base entre des objets et leur classe est, contrairement à la distinction bien établie entre éléments d'ensembles et parties d'ensembles, transitive : si α est une partie de β et que β est une partie de y, alors αest une partie de y (qu'on pense aux parties du corps, ou encore à des segments de segments). C'est un peu comme si on laissait s'établir une relation transitive entre des éléments d'un ensemble E, les élements de l'ensemble des sous-ensembles P(E), et enfin P(E) lui-même. Dans un groupe de quatre individus A, B, C et D, on a ces quatre individus comme individus atomiques, mais A + B, B + C, A + C + D, etc., jusqu'à A + B + C + D. sont aussi des individus — seulement, ce sont des individus pluriels. Sur cette base, Jacobson, permettant de plus aux individus atomiques d'être considérés comme un sous-ensemble des individus pluriels (au sens large donc), propose de construire la notion d'individu pluriel maximum (ou IPM). Si l'ensemble de départ est un singleton (ne

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contient qu'un individu), l'IPM correspondra à cet individu ; mais si l'on reprend notre groupe de quatre individus, son IPM sera la somme A + B + C + D. 53 D'où la possibilité de n'utiliser que la formule définie (29b), réécrite comme (30), où le X majuscule correspond à l'IPM du groupe considéré ou appartenant à l'univers de discours.

(30) NP = λQ [Q(ι X [P(X)])]

54 6.2.3. En conséquence, nous disposons maintenant de trois possibilités : il y a celle de Jacobson, et celles, plus classiques, exprimées en (29a, b), qui ne recourent qu'à des individus atomiques, et la question se pose de savoir si une sémantique unifiée doit être donnée pour toutes les relatives libres.

55 Les relatives libres basques en -n+a sont clairement ambiguës, et peuvent par conséquent être traitées soit selon (29), soit sur le mode jacobsonien. Mais est-ce pour autant le cas de la relative libre posée par hypothèse comme interprétation de haina ? Cela n'est pas évident, dans la mesure où les structures où ce pronom apparaît sont, de manière extrêmement majoritaire, des structures génériques. 56 6.3. Considérons maintenant un contre-exemple (apparent ?) comme le suivant :

(31) Jatekoan enekin eskua bustitzen dueNAK, HAINAKnau salduko. (Duv. : Mt 26,23) — ‘Celui qui a plongé la main avec moi dans le plat, c'est LUI qui me trahira.’

57 Cette phrase est irrégulière de deux points de vue : d'un côté, elle n'a pas de protase stricte, mais une relative libre adjointe à gauche ; et, de l'autre, la référence est clairement (?) faite à un individu, Judas Iscariote.

58 Il me semble qu'il faut traiter ces propriétés indépendamment l'un de l'autre. D'abord, quoique rares, les structures dans lesquelles haina « reprend » une relative libre en -na sont attestées ailleurs. J'en ai relevé deux ex. chez Chourio, dont le suivant :

(32) Ni zinzinez maiten naueNA fermu dago tentazioneen erdian, eta estute HAINA etsaiaren agintzek enganatzen. (Ch. 3-6-1, p. 203) – ‘Celui qui m'aime vraiment demeure ferme au milieu des tentations, et les promesses du diable ne le trompent point.’

59 On remarque ici deux choses : d'abord, la relative libre en -na ne c-commande pas haina ; ensuite, l'interprétation reste clairement générique ou universelle. Une telle structure est donc compatible avec l'analyse proposée ici ; simplement, la variable de propriété P est interprétée non pas directement à partir d'une proposition adjointe (les relatives en zein..., les protases conditionnelles, etc.), mais comme étant identifiée à la propriété définitoire de l'individu générique caractérisé par la relative libre. Les trois propriétés dont la liste est fournie en 4.1 sont donc présentes, et l'on peut garder l'interprétation classique (29a).

60 Si nous revenons maintenant à (31), on note que cette assertion est la réponse à la question collectivement posée par les apôtres : « Est-ce moi qui te trahirai ? ». Le locuteur, qui connaissait la réponse, aurait pu donner le nom de Judas. S'il ne l'a pas fait, c'est qu'il souhaitait l'identifier indirectement, par le recours à une définition en intension, et non extensionnellement, comme le font nécessairement les noms propres.

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61 Comparons maintenant les valeurs de vérité des phrases suivantes, ou encore la phrase (33c) comme « conséquence logique » des précédentes :

(33) a Jacques Chirac est le Président de la République. b Le Président de la République est élu tous les sept ans. c Jacques Chirac est élu tous les sept ans.

62 L'effet, bien connu, est dû au fait que l'expression définie le Président de la République peut être interprétée soit comme dénotant un rôle, et donc purement en intension (ou compréhension) - celui, quel qu'il soit, qui est Président - soit comme dénotant un individu spécifique. C'est la même distinction que l'on retrouve dans les relatives libres usuelles, comme l'indique le fait que l'expression [celui qui dirige le pays] a les mêmes propriétés que l'expression [le Président de la République] dans (33).

63 Or il en va de même pour les relatives libres basques en -na. On peut donc maintenir l'hypothèse que haina apporte effectivement comme contribution à la signification de la phrase la quantification universelle notée dans (25), et qu'une relative libre non spécifique ou interprétée en compréhension comme celle en -na de (32) peut lui fournir la valeur du prédicat libre associé à ce pronom : dans le cas de (31), il suffit alors de poser, comme cela semble conforme au contexte, que le fait qu'un seul individu soit décrit par la relative libre en -na, et que cet individu soit spécifique (i.e., connu du locuteur34), sont des données extra-linguistiques. 64 6.4.1. Résumons-nous. Aux trois caractérisations des relatives libres (29a). (b), et (30), correspondent trois hypothèses d'interprétation sémantique pour un pronom πcomme haina ou hura :

(34) a π => λQ [λP[ x[P(x)→Q(x)]]] (cf. (25) et (29a)) b π =>λQ [λP[Q(tx[P(x)])]] (cf. (29b)) c π => λQ [λP[Q(tX[P(X)])]] (cf. (30))

65 Le résultat partiel obtenu ci-dessus nous indique directement que (34b) ne saurait être la bonne solution pour haina. On peut toutefois se demander si (34c) ne risque pas de fournir, lorsque l'ensemble d'« individus » considéré ne comporte qu'un élément, le même type de construction de référence, et l'on doit aussi se demander si les différences distributionnelles entre haina et hura ne relèveraient pas d'un choix dans les caractérisations lexicales offertes par (34). Avons-nous les moyens de trancher ? Dans ce qui suit, je vais esquisser une argumentation qui, prise en bloc, semble cohérente — mais j'avoue qu'il faudra des recherches complémentaires pour savoir si le résultat pourra être considéré comme acquis.

66 6.4.2. A une brève remarque près (4.1), nous avons considéré jusqu'ici que le second élément pouvait s'utiliser partout où le premier le pouvait. La réciproque de cette proposition est bien entendu fausse (un démonstratif comme hura peut aussi bien fonctionner déictiquement qu'anaphoriquement), mais il faut ajouter que, même dans le cas des structures étudiées ici, il est un cas (qu'on vient de discuter) dans lequel haina ne peut remplacer hura : celui des relatives libres d'interprétation spécifique ou définie. Pour en revenir à l'autre non-équivalence, il s'agit du fait que je n'ai pas trouvé d'exemples ou le démonstratif hura 35 correspondait au haina des structures (5). (20), (21), ou encore (27d). En résumé, on peut dresser le tableau suivant comme marquant les contextes qui admettent, ou rejettent, l'un ou l'autre de ces deux pronoms :

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(35) Distribution de haina et hura dans les contextes corrélatifs structure associée HAINA HURA a norbait ba- √ √ b nor (ere) bait- √ √ c -na 1 (universel) √ √ d -na 2 (spécifique) * √ e - zeina bait-(=sg.) √ * f - zeinak bait-(=pl.) √(hainak, pl.) *(hek, pl.)

67 Supposons que hura soit caractérisé par (34c), donc « à la Jacobson » ; cela permettrait de rendre compte de tous ses usages : renvoi anaphorique à à l'individu pluriel maximal construit sur la classe des individus donnée dans l'univers de discours (si c'est un singleton, on a vu que l'on obtenait naturellement la référence définie ou spécifique au singulier) ; mais on a de plus un présupposé d'existence, fourni par l'opérateur iota, que ne saurait fournir une relative en zein... bait-, puisqu'un tel objet syntaxique ne peut fournir qu'un prédicat. L'impossibilité de hura (au sg.) et de hek (au pl.) dans (35e,f) suit alors directement.

68 Mais si tel est le cas, on a en même temps un argument de plus pour ne pas considérer (34c) comme la caractérisation de haina : il n'y a pas de présupposé d'existence associé aux structures (5), (20) ou (27d), la proposition correspondant à ces phrases étant trivialement vraie si aucun individu ne « vérifie » le prédicat P. 69 On peut résumer comme suit : haina a l'interprétation fournie par (34a), et hura, celle fournie par (34c), ce que résume (36) ci-après.

(36) a liaina => λQ [λP[ x[P(x)→Q(x)]]] b hura => λQ [λP[Q(tX[P(X)])]]

70 6.5.1. En d'autres termes, la subtile construction de Jacobson (1995), qui visait à neutraliser l'opposition entre relatives libres définies et relatives libres universelles, doit être relativisée : il est très probable, au vu de ce qui précède (et indépendamment des arguments qu'elle offre elle-même), que la notion d'individu pluriel maximal soit pertinente dans la sémantique des langues naturelles, et plus particulièrement dans l'interprétation des pronoms anaphoriques dans certaines structures corrélatives. Cependant, cette notion n'élimine pas pourtant la nécessité de recourir à une interprétation plus classique en termes de quantification universelle sur des individus atomiques — je ne serais d'ailleurs pas étonné qu'une langue naturelle ou une autre dispose d'un pronom anaphorique qui ne puisse être caractérisé de manière non- ambiguë que par (34b).

71 En tout état de cause, nous avons ici un argument qui montre que la manière de construire la référence (y compris virtuelle) dans les langues naturelles est multiple, et que l'on aurait tort de chercher à établir une sémantique universelle par trop rigide. 72 6.5.2. Dans le domaine syntaxique plus spécifique du basque, nous avons aussi maintenant un argument fonctionnel raisonnable (c'est-à-dire, aussi raisonnable que tout autre argument fonctionnel, ou encore, évidemment non-décisif) concernant la disparition de haina. En effet, l'opposition ci-dessus entre (36a) et (36b), construite sur les données du tableau (35), n'a de rendement réel que dans le cas où tout présupposé d'existence doit être éliminé : dans les autres cas, hura peut remplacer haina, comme on l'a dit. Or il se trouve que les seules structures correspondant à ce cas de figure

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particulier sont celles représentées en (27d) ou (35e, f), c'est-à-dire les structures dans lesquelles c'est une relative en zein... bait- qui donne le contenu du prédicat P. 73 Lorsque, pour des raisons qui ne nous concernent pas ici (cf. la note 28), les relatives de ce type ont disparu en basque, il n'y avait plus aucune raison de conserver haina, qui faisait office de doublet avec hura, sans pour autant pouvoir remplir toutes ses tâches. Il est donc en quelque sorte naturel que haina ait disparu précisément au moment où les relatives en zein... bait- disparaissaient. 74 7.1. Les pages qui précèdent ont peut-être résolu quelques problèmes, mais elles en ont probablement soulevé autant. On peut résumer l'analyse qui a été faite de la distribution syntaxique et de la contribution sémantique du pronom haina en labourdin des XVIIIe et XIX e siècles comme suit : ce pronom est un élément exclusivement anaphorique, qui s'interprète comme une relative libre universelle (et non définie) dont le prédicat est normalement fourni par une proposition adjointe à celle contenant haina (sinon, il faut aller chercher dans le contexte une proposition « saillante » qui peut fournir le contenu de ce prédicat). Dans le cas usuel, la proposition subordonnée adjointe peut être (i) une protase conditionnelle contenant un indéfini existentiel, un item de polarité négative, voire un indéfini universel, (ii) une pseudo-relative libre construite à l'aide de pronoms interrogatifs, en nor(ere)... bait-, (iii) éventuellement une véritable relative libre en -n+a (mais qui doit alors s'interpréter comme quantifiée universellement plutôt que comme spécifique), ou encore (iv) une relative en zein... bait-. 75 Ce pronom s'oppose au pronom démonstratif hura qui peut figurer dans les trois premiers contextes cités à l'instant par le fait qu'il apporte une quantification universelle à la forme logique de la phrase dont il fait partie — au contraire de hura, dont la contribution est plutôt celle d'un individu pluriel maximal, pour reprendre les termes de Jacobson (1995), ce qui lui permet de reprendre autant des noms propres que des relatives libres spécifiques ou définies. 76 7.2. On peut conclure de cette opposition que puisque hura peut prendre un antécédent défini, il fonctionne effectivement comme un « pronom de type E » au sens d'Evans (1977, 1980) dans les contextes examinés, alors que le type de pronom instancié par haina n'est pas exactement le même ; en effet, Evans insistait sur le fait que l'antécédent d'un « pronom de type E » pouvait être spécifique, et que la quantification apportée par l'antécédent est réelle, alors qu'elle ne compte pas ici - au contraire, pourrait-on dire, car l'analyse proposée dans les sections 5 et 6 revient à nier que haina ait eu, dans la période qui nous a concerné, un antécédent quelconque. 77 Par contre, haina et hura partagent bien l'idée, plus clairement exprimée par Cooper (1979), que dans les emplois étudiés ici, on a une variable de prédicat qui est. comme on l'a dit, soit interprétée localement, si une subordonnée peut en fournir le contenu, soit interprétée pragmatiquement, dans un contexte plus large que la phrase maximale contenant le pronom. 78 Dans tous les cas, il semble qu'une approche distincte des modèles développés en DRT (voir Kamp 1981, Heim 1982, 1990, et aussi Chierchia 1995) qui proposent un liage non- sélectif par un opérateur qui peut être soit un quantificateur, soit un adverbial temporel, soit un modal) soit requise, si l'on veut pouvoir rendre compte de l'interaction syntaxique autant que sémantique des propriétés du pronom haina et des relatives en zein... bait-, mais aussi de leur disparition simultanée.

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79 Cela ne veut bien entendu pas dire que ce type d'approche ne soit pas nécessaire pour traiter correctement d'autres pronoms dans d'autres langues (cf. Cheng & Huang 1996, qui défendent l'idée que le chinois utilise les deux stratégies)-de même que je n'ai pas exclu en 6.4.3 qu'une langue naturelle pourrait bien posséder un pronom anaphorique particulier, ayant lexicalement - et non seulement comme emploi possible -la valeur d'une relative libre référentiellement déterminée. 80 7.3. Du point de vue empirique, j'ai laissé nombre de questions de côté, parmi les quelles je citerai : • L'éventuelle spécificité sémantique de l'association haina + hura, évoquée en 32. • Le rôle de eta, litt. ‘et’, introduisant très fréquemment la proposition principale. cf. (7a), (14a, b), etc. • Le rôle de ere dans les protases de (1), (7), etc. • L'étude de l'opposition entre les formes au singulier et au pluriel de haina dans les constructions où il est associé aux relatives en zein... bait-., cf. (20b). • Celle des pronoms dérivés des adverbes de « manière » eux-mêmes dérivés des démonstratifs (cf. la note 35). • Celle de la restriction typique de haina au domaine des humains : est-ce une propriété lexicale de ce terme (v. la note 22), ou bien n'est-ce pas une propriété impliquée par le prédicat qui figure dans la subordonnée adjointe ? • Plus prosaïquement, les données du DGV étant fort parcimonieuses et très peu circonstanciées en ce qui concerne l'usage de haina au XVIIe siècle, il serait aussi très utile qu'une monographie recensant tous les emplois de ce pronom du XVIe au XVIIIe siècles se fasse, qui pourrait peut-être permettre de faire l'histoire « complète », depuis sa mise en place comme pure anaphore jusqu'à sa disparition décrite en 6.4.4 supra. d'un élément grammatical basque.

BIBLIOGRAPHIE

LE CORPUS

[NB. Les entrées des sources secondaires d'information (dictionnaires et grammaires) sont dans la deuxième partie de cette bibliographie.]

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OYHARÇABAL Bernard [Beñat]. 1987. Etude descriptive de constructions complexes en basque : propositions relatives, temporelles, conditionnelles et concessives. Thèse. U. Paris VII.

OYHARÇABAL. Beñat 1997.‘Korrelazioz moldaluriko perpaus erlatiboak’. Rapport pour la Commission de grammaire de l'Académie basque.

SRIVASTAV. Venceta. 1991.‘The Syntax and Semantics of Correlatives’. Natural Language and Linguistic Theory 9/4. 637-686.

NOTES

*. Diverses idées défendues ici ont été discutées avec Beñat Oyharçabal, dont les remarques m'ont évité bien des erreurs. Celles qui restent me sont évidemment entièrement redevables - sans parler du fait que nous restons en désaccord sur de nombreux points, parfois essentiels ; ce texte aura au moins, je l'espère, le mérite d'avoir posé quelques questions et d'avoir tenté d'avancer dans une direction qui n'avait jamais été explorée auparavant. 1. On peut donc hésiter entre deux attitudes : considérer que l'usage de haina chez Liçarrague est un argument en faveur d'un statut relativement occidental de sa langue (dans la tradition septentrionale évidemment), ou. au contraire, avancer que l'emploi d'un tel mot illustre les tendances unificatrices ou supra-dialectales de Liçarrague et de ses collaborateurs. (Pour moi, les convergences morphologiques et syntaxiques entre sa langue et celle des proverbes d'Oyhénart sont telles que je ne puis qu'opter pour la seconde solution.) 2. Suit même une citation d'Orixe, mais il est évident qu'il s'agit de gipuzkera osotua, c'est-à-dire d'une tentative d'intégration d'éléments dialectaux variés dans la construction d'une koinè à base guipuzcoane. 3. Faute de place, je ne donne pas le mot-à-mot des exemples, mais emploie des petites capitales pour en faire ressortir les éléments structuraux importants : haina lui-même, son antécédent, et la marque de subordination de la proposition contenant ce dernier. 4. Azkue donnc ‘Har[aneder]’ comme source, mais il s'agit de la version révisée par Harriet (cf. l'introd. d'Alluna à l'édition du ms. réel de Haraneder) ; le texte préparé par Altuna offre en effet une leçon assez différente dans les détails, donnée en (7a) infra. 5. Le DGV ne proposant pas de traductions, je donne la mienne. 6. Texte fr. de L.-L. Bonaparte. Voir 4.3 pour une étude de cette structure. 7. L'ouvrage publié en 1720 a forcément été rédigé plus tôt, puisque son auteur (je devrais dire le traducteur) est mort en 1718. Je confirme ici au passage le jugement impressionniste que l'on peut tirer des comparaisons effectuées dans le DGV entre sa trad. de L'imitation de J.-C. de Th. a

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Kempis et celle faite par Pouvrcau en 1669. soit environ deux générations plus tôt : ce dernier texte ne contient jamais haina. La présence de ce pronom chez Liçarrague est donc d'autant plus étonnante... 8. Noter cependant cet ex. chez Chourio : Batak bilha beza hau. bertzeak hori ; HAINAK eman beza ber je] loria gauza batean. eta hark bertzean ; izan beitez laudatuak ehun mila presunez. (3-49-7, p. 360) - ’Que l'un recherche ceci, et l'autre cela ; que CELUI-CI se glorifie d'une chose, et celui-là de l'autre, qu'ils soient loués par mille personnes...’ 9. C'est probablement cette redondance qui est responsable de la rareté des occurrences des combinaisons illustrées en (2) chez les auteurs étudiés ici. En voici cependant un ex. relevé chez Haraneder (Duvoisin a simplement HAREN baitan) : (a) Amodioan dagoeNA Jainkoa baitan dago eta Jainkoa HAINA HAREN baitan (1 Jn 4.16) - 'CELUI QUI est dans l'amour est en Dieu et Dieu (est) EN LUI.’ Il semble bien, cependant, que cette combinaison permette plus facilement de renvoyer à un individu spécifique, introduit plus tôt dans le discours. Beñat Oyharçabal m'a ainsi aimablement communiqué le contexte gauche de certains exemples du DG V qui étaient inexploitables autrement. Dans le suivant. de Larréguy (1775-1777), on voit que la forme complexe haina + Dém. ne fonctionne pas comme haina seul, mais rappelle plutôt l'ex. (4) : (b) Davitek batuzuen dohatsuki GAIXTAGIN HETAR1K BAT guzia hagorandua. hirur egun hetan yan eta edan gabea : eman-zitzaion behar zena. Davitek yakin zuenean HAINA HURA amalezitar baten gathibua zela. erran zioen... (I, 292) : - ‘David rencontra heureusement un de ces malfaiteurs, qui était agonisant, n'ayant ni mangé ni bu pendant trois jours, et il lui donna ce dont il avait besoin. Quand David apprit que C'était un prisonnier d'un habitant d'Amalétie [?], il lui dit...’ Noter aussi l'existence d'exemples de HAINA comme déterminant suivant un nom, mais je n'en ai trouvé que chez Haraneder, par ex. dans Mc 14,21 (gizon HAINARENTZAT pour un tel homme') Luc 12,47 (Zerbitzari haina ‘ un tel serviteur’), ou Rom 2.29 (judu hainak ‘ de tels juifs’). 10. Je modernise l'orthographe, supprimant l'aspiration des plosives et les marques redondantes de palalalisation, mais laissant en évidence les particularités de chaque auteur, comme le non- assourdissement de d- après bail- (noté alors bai-) chez Haraneder, ou le passage de z à s devant t chez Chourio. 11. Altuna signale l'absence de ere ici, absence qu'il avait déjà notée dans un passage précédent : ce phénomène est également attesté chez Liçarrague ou Chourio. 12. Les définitions françaises les plus classiques de l'anaphore ne distinguent pas entre ces deux types : cf. par ex. Ducrot (1972 : 358) : « Un segment de discours est dit anaphorique lorsqu'il est nécessaire, pour lui donner une interprétation [...], de se reporter à un autre segment du même discours », ou Corblin (1985 : 126) : « On parle d'anaphore lorsqu'un élément, par exemple un pronom, exige d'être interprété par emprunt à un terme du contexte proche, lorsqu'il y a dépendance nécessaire d'un ‘anaphorique’ à un antécédent qui se comporte comme une source. » 13. D'où la définition usuelle en termes de branches, c'est-à-dire de représentations arborescentes de la structure de constituants : α c-commande βsi et seulement si le premier nœud branchant y qui domineα domine aussi, directement ou non, β, et que α ne domine pas β ni réciproquement. 14. Les guillemets indiquent que cette notion sera remise en cause ultérieurement : cf. les §§ 5 et 6. 15. Les trad. de Har. et Duv. se correspondent rarement point par point, et l'on a souvent Ø ou hura, ou d'autres variantes encore, chez l'un, quand on a haina chez l'autre. Quelques versets plus loin, on a cependant la même structure globale, mais avec hura dans la principale, chez les deux traducteurs à nouveau (mais l'antécédent change) : (a) ...bainan NIHORK Jainkoa zerbitzalzen BAdu eta haren nahia egiten. HURA due la entzulen Jainkoak (Har. : Jn 9.31) – ‘...mais si QUELQU'UN/QUI QUE CE SOIT sert Dieu et fait sa volonté. Dieu

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L'entendra.’ (b) ... bainan NORBAIT haren zerbitzari bada. eta haren nahia egiten badu, entzuten du HURA.(Duv. : id.) 16. Ce n'est pas un hasard si l'on retrouve les racines ha- et ze- tant dans les corrélatives du type (15) que dans l'association haina... zeina de (5). Cependant, les structures corrélant des quantifications adverbiales, comme (15), semblent privilégier nihor, au détriment des autres éléments disponibles, indépendamment du choix lexical du pronom de la principale, cf. l'ex. ci- dessous, et donc interdire de cette manière que deux structures formellement corrélatives ne s'enchevêtrent : Eta ZENBATENAZ NIHOR aitziñatzen BAITa GEHIAGO bizitze spirilualean. HANBATENAZ zaio [pro-datif] bizitze hau kiratsez beleAGO (Ch. : 1-22-2, p. 97)’ — Et plus quelqu'un s'avance dans la vie spirituelle, plus cette vie [matérielle] lui semble remplie d'odeurs fétides.’ 17. Le cas exceptionnel est fourni par les ex. (5), (20) et (21) : sa signification est abordée en 6.4. 18. Cette restriction s'expliquera au cours de l'analyse de la structure de phrases comme (5). 19. Voir la discussion de l'ex. (30) en 6.1.3. 20. Cette question n'a rien d'original : v. Geach (1962) et bien d'autres depuis. 21. Il s'agit bien d'une forme logique de sémanticiens, et non de la « Forme Logique » (avec majuscules) chomskyenne. En particulier, le prédicat Q de la seconde proposition logique et son argument x n'ont pas besoin de correspondre à la dichotomie SN sujet - SV prédicat que donne la syntaxe dans une analyse configurationnelle du basque : voir par ex. (9a), (9b), et (11) où haina, au génitif, est interne au SN sujet, ou encore (13b), phrase dans laquelle il correspond à l'objet direct de eginen dute. Voir aussi la section 5.1. 22. Le DGV signale l'exemple suivant, de Duvoisin (1858), qui a la même structure que (5) : Ikusten dut orai HAINA dela oftziorik hobeena. ZEINAK ere uzten BAITu bihotzean gozorik gehiena - ‘ Je vois maintenant que le meilleur métier est celui qui laisse le plus de douceur au coeur’, mais dans lequel la restriction au domaine des humains n'est clairement pas vérifiée. On notera que, d'un côté, cet exemple est très marginal. et, de l'autre, que la restriction apportée au domaine est explicite - alors que dans les cas qui nous intéressent, elle ne l'est pas. Il faut donc probablement préciser la définition de haina en disant que le domaine de restriction sur lequel porte sa quantification est par défaut l'ensemble des humains. 23. Le sujet de ardietsi, ‘obtenir’, est évidemment disjoint du référent « virtuel » de la relative. 24. Le suffixe -xe est emphatique. 25. On va revenir en 6 sur l'ambiguïté quantificalionnelle des relatives libres. 26. Partant de (25b), répété comme (a) ci-dessous, l'interprétation (26d) de (a), (f) ci-après, s'obtient à partir de la formule (b), dans laquelle les prédicats sont fournis comme arguments des λ-expressions, puis par quatre λ-conversions successives : (a) haina => λQλP. x [P(x) → Q(x)] (b) λQ[λP. x [P(x) → Q(x)](λy.RECEVOIR-UN-P(Y))]( λZ.AVOIR-UNE-R(z)) (c) λP. x [P(x) → (λy.AVOIR-UNE-R(y))(x)]( λz.RECEVOIR-UN-Kz)) (d) x [(λz.RECEVOIR-UN-P(Z))(x) → (λy.AVOIR-UNE-R(y)(x)] (e) x [(λz. RECEVOIR-UN-Pz))(x) → (AVOIR-UNE-R (X)] (f) x [RECEVOIR-LN-P (x) → AVOIR-UNE-R (x)] 27. Cf. Jacobson (1995). qui assimile les pronoms relatifs à des opérateurs d'identification. 28. Tout aussi incompréhensible serait d'ailleurs le purisme militant d'Azkue (1905. vol. II. entrée zein), qui condamne explicitement les constructions en zein-... bail- mais ne dit rien des autres ! 29. Il en va de même, pour les traductions relevant de traditions orientales que j'ai pu consulter, de Liçarrague (1571) à Casenave (1985 : 331 - souletin), en passant par Etchehandy (1991 : « navarro-labourdin » plutôt bas-navarrais).

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30. Le -a final de gizona signale que l'on ne peut considérer ici que zein aurait été détaché d'un syntagme nominal qu'il aurait « déterminé », comme dans ’quel homme’, car la marque de définitude est alors interdite. 31. Noter aussi que dans une langue qui n'a pas de pronoms relatifs, comme le chinois, ce sont bien des interrogatifs qui fonctionnent dans des phrases complexes du type étudié ici, cf. Cheng & Huang (1996), mais dans les deux propositions : (a) SHEI xian lai. SHEI xian chi QUI premier venir, QUI premier manger ‘Celui qui arrive le premier mange le premier’ 32. De type « NZ » chez les bascologues. 33. Il n'y a pas d'abstraction sur le prédicat P, car il est interne à, ou fourni par, la relative libre. 34. Voir Comorovski (1995). 35. Une forme pronominale (ou adnominale pronominalisée) dérivée d'un élément adverbial lui- même démonstratif, comme horrelakoa - ou holakoa, cité par le DGV, cf. § 2 -, est possible, mais cela n'est pas pertinent pour notre propos, même si de telles formes méritent évidemment une étude détaillée. Par ailleurs, rappelons qu'il existe évidemment des séquences de type hura (...) zeina.... mais le démonstratif est alors déictique.

INDEX

Index chronologique : 18e siècle, 19e siècle Mots-clés : dialectologie, lexicologie, protase, syntaxe, traduction Thèmes : linguistique

AUTEUR

GEORGES REBUSCHI

UPRESA du CNRS - Sorbonne - Paris III [email protected]

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L'orient comme virtualite dans le carnet de 1835 d'Antoine d'Abbadie

Aurélie Arcocha-Scarcia

« Un homme fait le projet de dessiner le Monde. Les années passent : il peuple une surface d'images de provinces, de royaumes, de montagnes, de golfes, de navires, d'îles, de poissons, de maisons, d'instruments, d'astres, de chevaux, de gens. Peu avant sa mort, il s aperçoit que ce patient labyrinthe de formes n'est rien d'autre que son portrait. » (Borges) 1 A. Abbadie, en cette année 1835, ne tient pas seulement un carnet pour garder en mémoire les itinéraires parcourus1 et sacrifier à la mode romantique du récit de voyage. Tenir le carnet fait en effet partie d'une discipline qu'Abbadie s'impose pour préparer un autre périple qui n'est que virtuel pour l'instant car outre l'observation des us électoraux des Londoniens, la description détaillée des architectures gothiques ou néo-gothiques d'Angleterre, d'Irlande ou d'Ecosse, outre les temps du voyage en bateau à vapeur et en malle-poste, parfaitement minutés et consignés2, existe, sous- jacent, le voyage dans le voyage, mise en abyme présente de façon constante du début à la fin : l'Orient rêvé : « (... ) depuis que j'ai quitté Dublin, je n 'ai pas ajouté un mot à mon journal. (...) Je l'ai dit à Burnes, je me le suis promis avant de quitter la France, je veux me préparer à tenir un autre journal dans ces lieux où il n'y a ni guides imprimés, ni autorités vivantes qu'on puisse consulter, où moi je dois tout voir où moi seul je dois tout noter. Le temps me presse : je vais donc reprendre à partir de Londonderry quitte à y renouer le fil plus tard si je puis en retrouver les traces à Dublin »3

I. Echos d'un Orient imaginaire :

2 L'Orient est encore une contrée mal définie au début du XIXe siècle, la formule « voyages en Orient » semble ne dater que de 1772 et l'usage au singulier de 1835,

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précisément, date où Lamartine publie son livre, « Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient. »4

3 Voyage long, coûteux et dangereux selon les destinations, nous verrons que le jeune A. d'Abbadie s'y prépare rigoureusement en cette même année 1835. Mais quoiqu'en filigrane la quasi totalité du journal soit consacrée à ladite préparation, un Orient imaginé, rêvé apparaît çà et là tant à travers le texte du « magicien guérisseur »5 que dans la « poésie arabe »6. 4 Ce dernier texte, bien dans la veine orientaliste de l'époque est probablement de la main de d'Abbadie. Il y parle déjà de la violence du vent de Simoun. « Le vent du Simoun enlève des habits des voyageurs tous les autres parfums mais il n’enlève jamais du coeur l'odeur de cette fleur merveilleuse. » 5 Antoine d'Abbadie a très certainement été mis en garde par ses lectures sur les dangers de ce vent brûlant qu'il nomme encore de façon erronée « Simoun ». La « brève » mais fort documentée notice qu'il lui consacre en 1873 dans « Géodésie d'Ethiopie », montre qu'il fait, pour la première fois, l'expérience du vent « empoisonné » en 1841, lors de son séjour dans la mer Rouge. L'article de 1873 critique rétrospectivement, tout en les dévoilant, les sources livresques de 1835 : « Le samuwm (...) que nos lexiques ont tort d'appeler simoun ».

6 La place importante accordée au « samuwm » dans la « poésie arabe », puis les explications détaillées données dans « Géodésie d'Ethiopie », fruits cette fois de l'expérience, témoignent de la véritable fascination exercée par ce vent sur l'imaginaire du voyageur et du scientifique Abbadie : « Le vent mystérieux dit samuwum par les Arabes mérite une courte notice. On dérive ce mot de sumuwm pluriel de sim, poison, et à en juger par son action délétère sur l'économie animale, le samuwm serait une brise empoisonnée. (...) Le samuwm (...) ne dure que quelques minutes. Les Habab qui l'appellent harur, c'est à dire chaleur par excellence, disent que s'il dure un quart d'heure de suite aucun être humain ne survit à son terrible souffle ; Du haut des montagnes, les pâtres voient alors les voyageurs et leurs bêtes rester immobiles là où ils se sont laissés tomber, et n'accourent que pour relever des cadavres. Je n'ai entendu parler du samuwm que dans les environs immédiats de la mer rouge, et seulement dans la saison chaude ou l'été boréal. Le 20 juillet 1841, à Muçaww’a. il venait de la terre ferme et sa température était égale à 46°5, la plus forte chaleur de l'air que j’aie constatée en me préservant autant que possible des effets du rayonnement qui élève souvent ce chiffre. Il n 'est pas étonnant que par une température pareille l'eau d'un bain à 36° m'ait semblé tellement glaciale que je n'ai pas osé m'y plonger. Revenons au samuwm. Je l'ai observé à Addi Habib le 22 du mois suivant. Le sol s'était échauffé jusqu'à 60°, ce qui nous forçait à chausser nos sandales pour marcher sur un sol d'alluvion si doux qu'on préfère y cheminer à pieds nus. Nous étions réfugiés dans une hutte de nattes qui protégeaient fort bien des rayons du soleil quand tout d'un coup le samuwm s'éleva pendant quelques minutes. (...) Ce qui frappe le plus dans les phénomènes du samuwm c‘est l'étonnante prostration de forces que ce vent amène dès qu'il se manifeste. En 1841 je caressais encore l'hypothèse qu'un phénomène météorologique peu commun se présentait toujours trois jours de suite. Le 23 septembre je m'attendais donc au samuwm pendant notre halte sur le terrain ouvert de Tarakaba. Après avoir choisi le moins mauvais ombrage, un acacia qui avait plus d'épines que de feuilles, je tirai mes thermomètres de leur étui et les plaçai sur une pierre à quelques décimètres de moi. L'effort à faire était minime, et cependant je ne pus l'effectuer quand le samuwm vint de la mer et, comme la veille, presque subitement. J'en appelai à toute l'énergie de ma volonté pour dominer l'agonie si subite de mes forces musculaires, et quand j'y réussis enfin, le samuwm avait déjà cessé. »7

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7 Le carnet de 1835 contient aussi, outre l'allusion aux Mille et une nuits qu'il fait relier à Bayonne8, la description imaginaire d'un château à l'architecture néo-gothique et de ses intérieurs. Le divan retiendra plus particulièrement notre attention : « Un divan à l'orientale éclairé par le haut et portant la nuit trois lampes, les murs tapissés de belle faïence là où des tablettes sculptées ne portent pas de livres. Ceux-ci sont tous romans naufrages et voyages gracieux. Un divan tout autour avec tapis de Turquie et une ou deux tables à échecs etc., entourent deux beaux houkas9. Un nègre sert le tabac à genoux. »10 8 Pour qui connaît le château d'Abbadia, un tel décor sera familier...

9 La « Sirène de Ceylan » (Mermaid of the island of Ceylon) qu'A. d'Abbadie voit un beau jour dans un bazar d'Edimbourg et qu'il prend soin de dessiner, vient, elle aussi, de cet Orient mystérieux aux frontières floues et lointaines. Le jeune scientifique sait bien, au fond, qu'il est face à un faux grossier, mais on sent bien qu'il préférerait croire à l'être fabuleux des légendes : « La baroque figure ci-contre est dans le bazar à Edimbourg, avec l'inscription Mermaid of the island of Ceylon. Sa hauteur totale est d'environ 0m5. La peau est desséchée et comme conservée dans l'alcool : il y a 4 nageoires sur le corps et une dorsale sur la queue. Si ceci est une fabrication comme c est probable, du moins je ne puis en voir les joints. »11 10 Mais A. d'Abbadie ne se complaît pas longtemps dans un Orient imaginaire ou des voyages vécus par procuration. Il veut, au contraire, dès bien avant 1835, donner corps au désir d'explorer, vivre le voyage dans sa relation à l'espace, au temps, à son propre corps et à sa propre histoire par un entraînement physique régulier et une préparation d'une rigueur tout à fait Spartiate. Et d'Abbadie a beau, comme tout voyageur, être parfois rassuré en retrouvant ailleurs des repères qui résonnent dans sa propre mémoire, seule l'intéresse, l'aire à cartographier, aire « vierge » à ses yeux de Blanc occidental vivant dans un siècle « d'aspiration au progrès »12.

II « Voyager avec fruit » :

II. 1. Arpenter l'inconnu :

11 En 1867 Antoine d'Abbadie écrit : « Quand il s'agit de voyager en pays nouveau et relativement inconnu, on veut avant tout savoir jusqu'où le voyageur est allé, les directions et les distances des lieux qu'il a visités, enfin leur altitude, qui donne de prime abord une idée très approchée du climat. Ces résultats sont les premiers qu'on demande à l'explorateur dès qu'il est revenu dans sa patrie » 12 Ces lignes ont été rédigées trente-deux ans après la rédaction du carnet qui nous occupe : pour lors, d'Abbadie a réalisé une partie des explorations rêvées, il été en Egypte, (1836/1837, 1848), il a exploré la mer Rouge (1839)13 puis l'Ethiopie (1840 à 1848)...Cela ne l'empêche pas de se référer encore à la genèse de ses voyages et notamment aux conseils prodigués par Mac Gregor Laird dans le carnet de 1835.

13 Un article rédigé bien des années plus tard nous apprend qu'Antoine d'Abbadie projette d'aller en Afrique dès 1929 et qu'il s'y est préparé assidûment jusqu'en cette année 1835 : 14 « Ayant formé au sortir du collège, en 1829, le projet d'une exploration dans l'intérieur de l'Afrique où je voulais alors entrer par Tunis ou le Maroc, je consacrai une grande partie des six années suivantes à étudier les sciences nécessaires pour voyager avec fruit. »14

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15 Des « Notes autobiographiques » rédigées par Abbadie sur le tard et encore inédites 15 complètent le portrait ébauché ci-dessus puisque nous le voyons après 1832, date du décès du père, menant une vie de « complète solitude » à Paris avec le reste de sa famille et étudiant sans relâche pour préparer ses futurs voyages : « Je passais », dit-il, « mes journées soit aux cours de la Sorbonne, soit dans un laboratoire savant où je travaillais satisfaire cette passion des voyages qui me hantait depuis mon enfance » 16 Antoine d'Abbadie est, à l'époque, un jeune homme introverti16, studieux et volontaire, habité par une passion et qui étouffe probablement au sein d'une société trop bourgeoise et corsetée. Le goût pour le nomadisme ne lui vient-il pas aussi de famille, lui, dont la mère est Irlandaise, qui est né en Irlande et dont le père basque « commis chez un négociant français à Séville », puis promu négociant a dû lui faire le récit de ses propres déambulations ? Les mêmes « Notes autobiographiques », décidément bien précieuses, nous apprennent, au passage, que le père d'Antoine avait quitté la France avant la Révolution17 et non par la suite : « Mon aïeul aimait l'ancien régime, mais pressentant la Révolution, il envoya en Espagne son fils Arnaud Michel. C'est ainsi que mon père entra comme commis chez un négociant français à Séville, s'enrichit par des conseils et devint son associé. Tout marchait à souhait quand le Roi d'Espagne irrité après la mort de Louis XVI, ordonna à tous les français, alors nombreux, de se faire Espagnols ou de quitter ses Etats dans les 24 heures. Mon père s'embarqua aussitôt pour l'Angleterre et s'y associa avec un négociant protestant établi dans la ville de Hull. (...) Livré à ses propres ressources et privé par la mort de son premier associé à Séville, mon père parvint néanmoins à amasser une fortune. Il alla en Irlande et s'y maria. »18 17 Les heures passées en bibliothèque ne forment qu'une partie de l'entraînement ; trois années plus tard, date à laquelle il écrit son journal, nous pouvons constater que les exercices physiques sont intenses, courses par tous les temps en Béarn, aux environs du château d'Audaux, en Soule, sur la Côte Basque et en particulier au-dessus des falaises entre Socoa et Hendaye19.

18 Cet entraînement physique a vraisemblablement dû commencer bien avant 1835, dès la décision d'aller en Afrique prise. Le journal de 1835 dévoile aussi que l'entraînement suivi ne se limite pas à tester et à augmenter l'endurance. Il est indissociable de l'étude topographique : mesurer la largeur d'une rivière, la hauteur d'une montagne, et se complète par des exercices et des calculs « in situ » réalisés à l'aide de divers instruments et lunettes ou à l'oeil nu, ainsi ceux réalisés (probablement à Bordaberri à Urrugne) avec l'aide de Domingo son domestique : « J'ai mesuré une base de 500 m. dans ma prairie et me plaçant de façon à voir Domingo projeté sur un mur couvert de lierre et distant de 1000 m. j'ai fait les observations suivantes à l'oeil nu. A 500 m. je vois la couleur tranchante des vêtements et le mouvement de la marche même quand il a lieu dans la direction du rayon visuel. En repos je vois à peine la personne. Un cheval perd tout le moelleux des formes. Un cri médiocre s'entend assez bien quand il va avec le vent mais faisant un angle de 20° contre le vent je ne me ferais pas entendre à cette distance en criant de toutes mes forces ; A 400 m. tout ceci est un peu mieux défini, mais il n'est rien de bien tranché A 300 m. je sépare le visage du corps je vois le mouvement des vêtements quand ils sont poussés légèrement par le vent. (...) Avec la lunette ayant le diaphragme : A 500 m. le visage est blanc, confus sans traits : les doigts même ouverts ne se distinguent pas. (...) »20

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19 En voulant rendre connu ce qui est inconnu, en désirant mesurer, répertorier, cartographier les terres du Levant, A. d'Abbadie prend part au vaste mouvement de « célébration collective » qui porte l'occidental du XIXe à affirmer son ordre culturel21. Ceci dit, la manière de voyager de d'Abbadie doit beaucoup au siècle qui l'a précédé et notamment à un philosophe des Lumières comme Diderot qui conseille comment « voyager utilement » : « Je voudrais au voyageur une bonne teinture de mathématiques, des éléments de calcul, de géométrie, de mécanique, d'hydraulique, de physique expérimentale, d'histoire naturelle, de chimie, de dessin, de la géographie, et même un peu d'astronomie ; ce qu'on a coutume de savoir à vingt deux ans, quand on a reçu une éducation libérale. (...) Que la langue du pays ne lui soit pas tout à fait inconnue ; s'il ne la parle pas, du moins qu'il l'entende. Ayez lu tout ce qu'on aura publié d'intéressant sur le peuple que vous visiterez. Plus vous saurez, plus vous aurez à vérifier, plus vos résultats seront justes. »22 20 L'auteur du carnet est bien un jeune homme dans l'esprit de Diderot, son voyage en Orient est préparé dans les moindres détails par une solide formation dans les disciplines essentielles que sont pour tout explorateur les mathématiques, l'astronomie, la physique, la géographie, l'histoire, la technique, l'étude des langues (le carnet donne la preuve que d'Abbadie est en train d'étudier l'arabe en 1835). Cela ne l'empêche pas, outre les entraînements physiques dont nous avons parlé, de consigner les précieux conseils glanés auprès des explorateurs Mac Gregor Laird, Burnes ou Cailliaud. Ces conseils lui seront utiles fort longtemps puisqu'il ne cessera, par la suite, de les compléter par des observations personnelles et d'y ajouter les récits de voyage d'autres explorateurs comme, par exemple M. Palgrave23.

21 Les maîtres mots de tous ces conseils sont l'adaptation et la prudence.

II. 2. S'adapter et ouvrir l'œil :

22 Il faut tout d'abord s'adapter au climat, au terrain, aux moyens de communication. Abbadie mentionne souvent, dans son carnet, les « causeries » de Burnes et notamment ses observations sur le voyage à dos de chameau : « Pour connaître la marche d'un chameau il mesurait le terrain occupé par une dizaine de ces bêtes attachées à la file l'une de l'autre, puis le temps qu'elles mettaient à le parcourir. » 24

23 Le scientifique n'est rien sans ses instruments de mesure, il s'agira donc de les adapter à la situation. Peut-on les porter sur un chameau ? « M. Tiarks croit qu'il est bon de porter un chronomètre même sur un chameau. »25 24 Il est évident qu'il faudra les modifier, les rendre pliables ou plus petits (« une règle en cuivre entrant dans le portefeuille »)26, plus légers afin qu'ils soient aptes au transport. Abbadie qui inventera lui-même plusieurs instruments scientifiques insiste souvent sur la nécessité de voyager léger, d'emporter le minimum nécessaire et il établit, pour ce faire, une liste détaillée de « l'attirail de petit voyage », de « grand voyage », de même que ce qui est nécessaire « pour une course rapide à pied »27

25 Autre nécessité : adapter son habillement au climat. Abbadie recopie précieusement dans le carnet la lettre en anglais de l'explorateur du Niger Mac Gregor Laird (de même qu'il note tout aussi précieusement les conseils donnés par Cailliaud)28, lettre qu'il

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traduit intégralement plus de trente ans plus tard dans les « instructions pour les voyages d'exploration » : « Si vous avez pris l'habitude de porter flanelle, continuez à le faire ; sinon, ne vous y mettez point. Une couverture ordinaire en laine est le préservatif le moins cher et le plus sûr contre la chaleur ou le froid. Une ceinture de laine ou même de coton, portée au creux de l'estomac, prévient la dysenterie. Tenez votre tête rasée et bien couverte. Ne portez jamais de bas et usez de souliers le plus rarement possible. Adoptez l'habillement indigène en tant qu'il vous semblera commode ; ne vous déguisez jamais en tâchant de passer pour un indigène. »29 26 Ceci nous amène à l'autre corollaire : la prudence. Prudence dans l'alimentation, Mac Gregor Laird conseille de manger le moins possible, de « ne jamais boire de l'eau pure, mais bien mélangée de farine ou d'un peu d'eau de vie » et de ne jamais user de viande rôtie mais bouillie30. Car le grand danger c'est la maladie : dysenteries, ophtalmie (dont Abbadie souffrira beaucoup), constipations, hémorroïdes. Abbadie note, tout d'abord pour lui- même en anglais en 1835, puis en 1867 en français pour les lecteurs français, les remèdes indiqués par Mac Gregor Laird : « Si vous reconnaissez l'invasion de la fièvre par la douleur ou un serrement autour des tempes, des maux de coeur et une forte chaleur aux mains et aux pieds, prenez deux grains (un décigramme) d'émétique et deux cuillerées de sulfate de magnésie, mélés avec autant d'eau tiède que vous pous pourrez en avaler. »31 27 Parmi les maladies redoutables : celles sexuellement transmissibles comme la terrible syphilis ou la blennoragie citées dans le carnet de 1835, puis à nouveau dans l'article de 1867 : « On guérit les hémorroïdes et la blennorragie par des compresses d'eau froide souvent renouvelées & portées pour le 1er cas, peu à peu, à la température de 0°. »32 « Un homme qui s'est fait connaître comme chirurgien & que j'ai vu au Havre me dit qu'une femme avait apporté de l'Amérique du Sud une maladie vénérienne telle qu'au bout de 36 heures le pénis et les testicules se détachaient du corps sans que du reste la santé générale en souffrît notablement. Quelqu'un présent cita à cet effet une maladie vénérienne du Portugal connue sous le nom de Yaws et qui est dit-il, terrible »33 28 « Les femmes sont à redouter »34 dit Abbadie en 1835, puis en 1867, revenant sur le conseil de Mac Gregor Laird : « Be virgin »35, il ajoute : « La règle d'Horace s'applique au voyageur tout aussi bien qu'à l'athlète : abstinuit venere et vino. C 'est avant de partir et en Europe même qu'on doit apprendre par la pratique ses limites personnelles pour tous les exercices du corps, pour l'abstinence, le jeûne même, et pour la faculté de supporter la soif et le manque de sommeil. En voyage on devra toujours rester bien en deçà de ces limites. »36 29 ***

30 En cette année 1835, Antoine d'Abbadie, vingt cinq ans, projette depuis longtemps déjà de quitter l'Europe et de se diriger vers l'ailleurs, vers un Orient lointain qui l'attire irrésistiblement. Il croit le départ proche, il devra cependant d'abord obéir au Professeur Arago qui l'envoie en 1836 en mission au Brésil avant d'embarquer le 1er octobre 1836 à Marseille pour l'Egypte. 31 Le « deuxième dimanche » après son départ. Le Caire lui apparaît « telle que Fénelon l'a dépeinte, presque aussi basse que la mer »37. 32 Désormais, il pourra juger par lui-même.

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NOTES

1. Pour avoir davantage de détails sur les itinéraires figurant dans le carnet de 1835, cf A. Arkotxa-Scarcia « Les itinéraires d'Antoine d'Abbadie : année 1835 », in Antoine d'Abbadie Pensées Etudes et Voyages de 1835 (carnet inédit) tome 1. Ed. Patri Urkizu, 1997. 2. En ce qui concerne les caractéristiques du voyage de 1835 (temps, paysages ruraux et urbains, architectures. habitants...), cf. A. Arkotxa-Scarcia « 1835eko A. Abbadiaren bidaietaz » in Actes du colloque sur A. d'Abbadie (à paraître). 3. A. d'Abbadie. Pensées, études et voyages de 1835. p. 81. 4. Cf. J.C. Berchet. Le voyage en Orient, anthologie des voyageurs français dans le Levant au XIX e siècle. R. Laffont, 1985, p. 4. 5. Cf. l'analyse qu'en fait, dans ce même numéro. Y. Cardaillac-Hermosilla. « Le magicien guérisseur du carnet de voyage de 1835 d'Antoine d'Abbadie. » Le texte pourra être consulté en annexe 1 du même article ou in Pensées études et voyages de 1835 d'A. d'Abbadie, pp. 123/124 où l'on remplacera « owictan », erreur de transcription, par « orvietan » qui est le terme approprié. 6. Cf.A. d'Abbadie, in op. cit.p. 105, cf aussi remarques apportées par Y. Cardaillac-Hermosilla in op. cit. de même que le texte du poème en annexe 2. 7. A. d'Abbadie. « Géodésie d'Ethiopie », in Recueil de textes, tome 2, Ed. Urkizu 1997. 8. Cf. Pensées études et voyages de 1835, p. 121. 9. Houka : pipe orientale analogue au narguilé. 10. In op. cit. p. 108. Cf. aussi p. 107. 11. In op. cit. p. 85. 12. A. d'Abbadie « Notes pour voyager avec fruit », in Recueil de textes, tome 2, Ed. Urkizu p.167) 13. « Les armes et les savants de la France nous semblent n'avoir rien laissé à dire sur la Syrie et l'Egypte. La Mer Rouge seule est restée dans les ténèbres de l'éloignement. Nous voulûmes étudier ses parages, dont les destinées éveillent l'anxiété légitime de toute l'Europe, et, après une excursion sur ses rivages orientaux, chez ces tribus arabes encore si peu connues, nous sommes allés vers l'Occident visiter ces peuples d'Ethiopies qui s étendent mystérieusement jusqu'aux contrées centrales de l'Afrique. » (1839, « Souvenirs d'un voyage dans le sud » in op. cit. p.84) 14. A. D'Abbadie « Géodésie d'Ethiopie », in Recueil de textes.... Ed. Patri Urkizu tome 2, 1997 p. 220. 15. Cf. article de J.B. Orpustan : « Les noms de maisons issus du latin abbatia dans le Pays Basque médiéval... » in Actes du colloque sur A. d'Abbadie (à paraître). 16. Voici par exemple comment Antoine définit les différences psychologiques et donc de comportement qui le séparent d'Arnauld : « On sait assez la différence d'esprit qui existe souvent même entre frères. Né pour commander le mien prenait son parti rapidement et s'exprimait d'ordinaire sur un ton qui n'admettait pas la contradiction. Il était tout simple que par sa manière de parler et d'agir il façonnât son entourage, même sans le vouloir, à cette pente de son esprit. La mienne était toute différente au lieu de surmonter hardiment 1 obstacle je trouvais qu'il était plus facile de le tourner ; cédant en apparence, je persévérais toujours et parvenais à force de patience à gagner le même avantage que mon frère obtenait de prime saut. Fallait-il tenter une route évidemment dangereuse ? Il annonçait son projet hautement et si longtemps d'avance, que les partis armés qui interceptaient le chemin renonçaient à le faire devant une volonté trop bien affirmée pour ne pas la supposer étayée de moyens matériels suffisants, ou bien parce qu'ils ne croyaient plus à un voyage toujours remis au lendemain. Je parlais au contraire si subitement que les voleurs de grand chemin n'avaient pas le temps d'être prévenus. » {Recueil de textes, tome 2, Ed. Urkizu 1997, pp. 300, 301) 17. M'étant fiée aux sources habituelles et n'ayant pas eu connaissance de ce dernier texte de d'Abbadie lorsque je rédigeais l'avant-propos des Pensées, études et voyages de 1835..., intitulé « Les

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itinéraires d'Antoine d'Abbadie : année 1835 », j'ai, moi aussi fait la même erreur en écrivant qu'« Arnaud Michel. » (avait) « émigré à Londres en 1793, sous la Terreur... » (in op. cit.. p. 30). Cf. aussi à ce propos l'article de J.B.Orpustan « Les noms de maisons issues du latin abbatia dans le Pays basque médiéval (Labourd. Basse-Navarre et Soule) » in Actes du colloque sur A d'Abbadie (à paraître) 18. Cf. article de J.B.Orpustan in op. cit. 19. Cf. A. Arkotxa - Scarcia « 1835eko A. Abbadiaren bidaietaz » in Actes du colloque sur A. d'Abbadie (à paraître). 20. A. d'Abbadie : Pensées études et voyages de 1835..., p. 127. 21. Cf. J.C. Berchet. Le voyage en Orient... p. 12. 22. Denis Diderot « Voyager utilement » cité par J.M. Goulemot. P. Lidsky et D. Masseau in Le voyage en France. Anthologie des voyageurs européens en France, du Moyen Âge à la fin de l'Empire. Robert Laffont 1995. p. 517. 23. Cf. A. d'Abbadie « L'Arabie, ses habitants, leur état social et religieux, d'après la relation du voyage de M. Palgravc », in Recueil de textes p. 127. 24. A. d'Abbadie, Pensées études et voyages de 1835. p. 52. 25. In op cit p. 62. 26. In op cil p. 132. 27. In op. cit. p. 106/107. 28. In op cit p. 134. 29. In Recueil de textes... p. 180. 30. In op cit p. 181 31. In op cit p. 181. 32. Pensées, études et voyages de 1835... p. 106. 33. In op cit p. 110. 34. In op cit p. 86. 35. in op cit p. 103 36. In op cit p. 179 37. A. d'Abbadie. « Lettre à un ami », in Recueil de textes p. 87/88

INDEX

Thèmes : philologie Index chronologique : 19e siècle Mots-clés : Abbadie Antoine d' (1810-1897), carnet de voyage

AUTEUR

AURÉLIE ARCOCHA-SCARCIA

UPRESA du CNRS [email protected]

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Le magicien-guérisseur du carnet de voyage de 1835 d'Antoine d'Abbadie

Yvette Cardaillac-Hermosilla

1 Les éléments orientaux et magiques structurent le journal de voyage de 1935 écrit par Antoine d'Abbadie, âgé de 25 ans, à la recherche d'orientations en train de construire un destin marqué par les étoiles selon la conception astrologique et astronomique qui hantera toute l'époque classique et le Moyen Age avant de se dissocier et de s'opposer à la Renaissance. Le jeune homme ne va pas se démarquer de cette notion originelle puisqu'il va vivre tout au long de sa vie selon cette double orientation, c'est-à-dire la connaissance scientifique du monde stellaire comme l'a bien montré dans sa conférence lors du centenaire Agustin Sánchez Lavega1 et la perspective symbolique, poétique et religieuse des étoiles, comme nous avons essayé de l'expliquer dans notre exposé « L'orientalisme au château d'Abbadie »2. Ainsi, au folio 15, apparaissent les notes sur son horoscope, situées environ au 2/9e du texte, comprenant 73 folios. De même, 2/9e avant la fin, au folio 53, nous relevons le mot « Quiromancier » qui nous semble-t-il doit être lu « chiromancien ou chiromancie », en tenant compte des problèmes orthographiques répétés de ce basque français anglophone apprenant l'arabe. Il s'agit du titre d'un livre à relier qui montrerait l'intérêt concernant les diverses aspects des arts magiques ou divinatoires. En particulier la chiromancie, très pratiquée au XVIe siècle et au début du XVIIe, retrouve une grande vogue au XIXe siècle. Le capitaine d'Arpentigny et Desbarolles publient des ouvrages traitant à la fois de chiromancie3 et de chirognomonie4. Sur la même page5 nous trouvons une poésie arabe. Il présente le Cheikh, personnage clef de la poésie orientale, sublimé ici et nimbé d'une lumière mythique à la Delacroix6. Mais il recherche la femme fleur, l'amour dans une oasis ou le vent du désert. Ils apparaissent comme des stéréotypes qui nourrissent l'imaginaire de la bourgeoisie éclairée et de la noblesse du XIXe siècle dans sa représentation d'un Orient mythique. Rêve fugace d'un jeune homme de 25 ans, il relève des images et de l'échange timide qui caractérise l'attitude du magicien- guérisseur qui montre bien la communauté de construction entre les deux textes. Le portrait du magicien situé au dernier 9e du texte par sa position apparaît comme le développement et le point d'orgue des thèmes magiques et orientalistes structurant le

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volume qui finit sur une note intéressante qui nous donne une possibilité d'analyse, le livre lui-même est considéré comme un premier-né, un fils chéri résultant du travail de l'écriture, écho du fils esclave du magicien et d'Antoine d'Abbadie, fils orphelin de père en 1835.

Portrait de chef éthiopien (volé) château d’Abbadia

2 Ces textes se répondent en écho dans le recueil et semblent former un tout car ils font référence à des intérêts et des connaissances complémentaires de leur auteur. Le portrait du magicien guérisseur qui voyage en Orient figurant sur le carnet de voyage d'Antoine d'Abbadie7 en 1835 se situe du folio 65 verso au folio 66 recto, c'est-à-dire dans la partie finale. Selon son auteur, résultat d'un travail fait avec amour (« j'ai chéri », « caresses ») et opiniâtreté (« corrections ») comme préparation au voyage en Orient, dont rêvaient les jeunes gens bien nés et fortunés de l'époque romantique.

3 L'archétype du magicien est présent ici avec les instruments de son pouvoir, charmes, talismans, amulettes, soins, fabrication de l'or8. Une technique de la narration individualise le personnage. Un syncrétisme des influences orientales et de l'attitude romantique mêle des références autobiographiques à une problématique aux limites flottantes entre magie, science et religion qu'il résout à sa manière (science, astuce/ ignorance, foi). 4 L'archétype du magicien guérisseur présenté ici correspond à un modèle éternel qui se reproduit à travers le temps et l'espace avec des éléments fixes dont quelques aspects varient en fonction des circonstances historiques et des modalités géographiques. Ici, les attributs de son pouvoir sont les amulettes9, talismans et charmes. Antoine d'Abbadie en fait des mots synonymes mais en réalité les spécialistes les différencient. Le talisman du persan « tilismat » vient du mot grec byzantin ‘cérémonie religieuse’ et du grec ‘faire un sacrifice’. C'est un mot d'origine savante d'importation européenne. Il apparaît en français en 1637. Les musulmans composent des talismans avec

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l'inscription sur une feuille ou un parchemin de versets du Coran et en particulier celles désignées sous le nom de Kousi (le trône). On les porte habituellement dans une boîte en or ou en argent suspendue au cou ou aux vêtements. Les amulettes se forment avec des plantes, du métal ou des pierres précieuses, souvent réunies dans des sachets de tissu précieux, elles apparaissent comme de second ordre par rapport aux talismans religieux. En Espagne, les nouveaux chrétiens ou musulmans convertis se caractérisent aux yeux des chrétiens par le port de talismans et cela même si les chrétiens eux- mêmes s'adonnent assez souvent à cette pratique. Dans le texte les charmes sont constituées par des inscriptions latines indiquant la place, la santé et les projets du magicien. Les instruments du pouvoir sont des talismans et le mot amulette conviendrait. Les boussoles et la montre sont présentées comme grandes amulettes avec un emploi convenable. 5 Dans ce portrait qui se veut noble et majestueux, la précision n'est pas le problème, au contraire l'écrivain crée toute une esthétique du flou destiné à donner du relief aux éléments indiscutables et essentiels. Le narrateur omniscient est le maître du pouvoir que lui confère l'écriture comme celui que le Verbe donne au magicien. 6 Dans cette fiction, les activités curatives se limitent aux pratiques courantes de soin en milieu rural mais elles n'abordent jamais les réalisations maléfiques des sorcières telles qu'elles se sont développées dans les fantasmes populaires succédant à ceux des clercs au XVIe et XVIIe siècles en Europe10. Le développement juridique de divers cas dans le village de Zugarramurdi, peu éloigné d'Hendaye et sans doute connu par le très cultivé Antoine d'Abbadie, ne s'intègre pas dans sa vision du monde. Par sa création il nous montre qu'il partage l'attitude éclairée de l'inquisiteur espagnol Salazar y Frías11 qui, à Logroño, n'ajouta pas foi aux dires des enfants et des vieillards, témoins, croyaient-ils. de terribles manifestations. D'ailleurs comme le montrent les portraits de magiciens mis en annexes, le guérisseur en Orient fuit toute magie diabolique ou maléfique. Les concepts magiques précis peuvent être intervertis sans nuire à la fresque d'ensemble. Et l'essentiel est de brosser une scène de genre non à la manière de la peinture hollandaise réaliste du XVIIe mais selon la mode régnant au XIXe siècle. 7 Les guérisons s'effectuent au moyen de produits simples « écorces de fruits secs et pulvérisés » et « substances innocentes ». Bien que les indications ne soient pas très précises elles s'intègrent dans la tradition de la médecine naturelle à base de simples utilisées dans les civilisations agraires. La relation avec l'au-delà est présentée lors de la consultation de ses boussoles ou de sa montre : pour le vulgaire il s'agit de se mettre en relation avec l'âme du père ou avec le bon génie/ange gardien. La fabrication de l'or à partir de métal vulgaire fait référence au rêve des alchimistes relié à la position des étoiles « il disait ne pouvoir en faire que sous certains aspects des astres » nous dit le narrateur. 8 Le point de vue de ce dernier, facteur essentiel de la mise en scène de la fiction détermine par son regard donne une vision qui hiérarchise, dirige et fixe les significations. Ici, il est omniscient car il dévoile les mécanismes de fonctionnement du personnage : - « Sa boussole... était avec sa montre... ses grandes amulettes », il apparaît que les objets fruits de la science semblent des amulettes à ceux qui en ignorent le fonctionnement. - « Ses charmes étaient des inscriptions latines indiquant sa place, sa santé, ses projets ».

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9 Enfin les talismans du magicien sont représentés concrètement par des pages similaires à celles du carnet de voyage mais écrites en latin, là aussi c'est l'ignorance de cette langue qui permet d'ajouter foi aux pouvoirs de ces inscriptions. Ce sont donc les connaissances scientifiques qui donnent le pouvoir sur des populations de culture agraire et traditionnelle qui correspondent tout à fait à l'optique colonisatrice du XIXe siècle. Cette politique crée cet Orient mythique considéré comme inférieur à l'Occident détenteur de la connaissance.

10 Le flou volontaire des notions de religion, magie et science projette certains aspects par contraste qui se détachent avec la plus grande netteté : - « Tous les soirs lui et son fils, à deux genoux, priaient le Dieu des chrétiens et la Vierge Marie. » - « Il se disait partout un basque, petite nation indépendante entre France et Espagne ». 11 La religion chrétienne, la nationalité basque sont les éléments centraux de la personnalité de ce magicien ambigu qui dans ses agissements mêle fiction et réalité pour entretenir le prestige qui lui permettra par ses activités de survivre lors de ses missions scientifiques.

12 Ce portrait se caractérise par le contraste entre le réel et l'imaginaire. L'absence de description du visage, lieu de l'affectivité et de la représentation de l'âme, ou du corps laissent place à une silhouette : « il portait l'habit de chaque pays mais beau et distingué ». Le narrateur nous parle de son air d'une gravité obstinée. La relation sociale est extrêmement importante, le magicien chercheur garde une attitude de maître et dans sa relation avec les autres son fils sert d'intermédiaire : « comme un esclave ». Lui ne traite qu'avec les marabouts c'est-à-dire les saints hommes qu'il traite d'égal à égal ou avec les chefs qu'il récompense à l'occasion de façon astucieuse pour se valoriser avec de l'or caché dans les ruines. L'utilisation de la parole distancée et noble, parler de soi à la troisième personne est exactement ce que fait l'écrivain dans ce texte qui lui sert de miroir où il essaie de lire le futur en employant le passé. A côté de ce rôle social le portrait moral nous campe un homme plein de ténacité qui « reste debout toute la journée sans manger si nécessaire » pour montrer qu'il respecte l'engagement pris. Malgré l'attitude hautaine de maître et de chef, le voyageur garde son humilité religieuse en priant à deux genoux, sorte d'intermédiaire privilégié entre Dieu et les hommes peuplant l'Orient montrant ainsi un sens aigu de son rôle dans le monde qui ne lui laisse pas oublier une conscience encore plus profonde des rapports reposant sur l'argent et les échanges. Le paiement, les récompenses, les demandes ponctuent le texte comme un leitmotiv. Il caractérise le personnage de fiction : les rapports à l'argent se répètent de façon presque obsessionnelle : - « Il se faisait payer de tous à moins que le malade ne déclarât qu'il n'avait pas de quoi » - « Il portait six mille francs en or »... « il avait projet de cacher quelques pièces de temps en temps dans les ruines et de les y faire prendre par un chef auquel il aurait besoin de donner quelque récompense » - « Quand il y avait une surabondance d'objets de valeur inférieure, il les faisait échanger par son fils contre chameaux, chevaux, couvertures de laine... » - « Quand il n'avait pas reçu assez, il ne se faisait pas scrupule de demander... » - « S'il avait gagné assez d'argent il faisait tuer un ou deux moutons ou bœuf et les faisait distribuer aux pauvres »

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13 Ces cinq références relativement abondantes dans un texte court font écho à d'autres créations de magiciens dans la fiction littéraire mais aussi à la réalité des procès d'Inquisition où la magie est une source de revenus. Elle motive souvent cette activité. Les notations d'intendance ou de prix peuvent être relevées tout au long du carnet de voyage12. Les problèmes financiers semblent au centre des intérêts d'Antoine d'Abbadie aussi bien dans la réalité que dans la fiction, l'achat de nombreux hectares à Hendaye et le financement de ses expéditions doivent être la cause essentielle d'une certaine dureté dans les rapports financiers. Mais c'est aussi un moyen de cultiver son prestige par l'astuce du trésor découvert, de pratiquer la charité envers les pauvres lorsqu'on se trouve dans l'abondance. Mais ces comptes de caractère systématique correspondent certes à une attitude scientifique et méthodique d'un administrateur comme d'ailleurs l'ordre systématique pour ranger les instruments scientifiques dans le coffre du magicien. Cependant, il laisse à son fils ou esclave13 les rôles secondaires ou peu prestigieux comme les échanges grâce aux aiguilles qui ne lui apporteraient ni honneur ni prestige. Mais dans la tradition de la charité orientale, un des piliers de l'Islam, il veut bien partager l'excès de bénéfice avec les pauvres par des sacrifices d'animaux se coulant dans la tradition comme le sacrifice du mouton coutumier pour la fête de l'Aïd El Khebir.

14 Les romantiques se contentent d'une appréciation imaginaire lorsqu'ils traitent le thème de l'Orient mythique, Victor Hugo dans Les Orientales (1829) utilise ses souvenirs enfantins d'une Espagne lumineuse pour peindre la Grèce et Musset décrit Venise la Rouge sans l'avoir encore jamais vue. Cet intérêt pour l'Orient, généré en particulier par la traduction des Mille et Une nuits par Galland au XVIII e siècle provoque des fantaisies fragiles dont on a conscience. Musset n'écrit-il pas : « Si d'un coup de pinceau je vous avais bâti quelques villes au toit bleu, quelques blanches mosquées, quelques tirades en vers d'or et d'argent plaquées, m" auriez- vous répondu : vous en avez menti ? »14 15 L'attitude du poète romantique s'accompagne de tout un courant de pensée surgi du bon sens populaire et qui convient au magicien-chercheur dans un pays d'Orient : « A beau mentir qui vient de loin », il est pris au sérieux, et « Nul n'est prophète en son pays ». 16 La vogue de l'exotisme15 au XIXe siècle concerne les productions des pays étrangers et lointains et génère la production de tableaux colorés qui montrent des moeurs différentes des nôtres.

17 La problématique posée par le texte laisse une volontaire imbrication des notions de magie, de science et de religion au profit de la création d'une auréole de mystère et de prestige autour du personnage, d'ailleurs teintée d'exagération volontaire : « Ces instruments d'astronomie servaient à voir dans son pays... Si eux voulaient aller dans son pays il leur ferait voir leurs tentes ». (Science/magie) - « (Il) faisait toutes ses préparations, prières et incantations pour fabriquer des talismans en secret ». (religion/magie). 18 Cependant il est clair que le narrateur omniscient qui révèle les mécanismes de fonctionnement de ce système différencie parfaitement les connaissances scientifiques et la magie. Tout ce qui permet une explication rationnelle s'exclut de cette dernière notion. Au contraire, les effets obtenus sous l'influence de l'expérience et de l'intuition peuvent en dépendre. Il est clair que les progrès dans le domaine des diverses sciences réduisent le champ d'action de la magie. Mais à la fois l'intégration complète de

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l'homme dans la société de consommation, dans la ville, ont tendance à lui faire oublier tout un savoir traditionnel nécessaire à l'équilibre du groupe social. Par ailleurs, religion et magie sont en concurrence dans les sociétés traditionnelles dans un système théocratique, les valeurs religieuses et les règles morales imposées par le pouvoir tendent au rejet de la magie que l'on craint lorsque son influence dépasse le cadre familial de la vie quotidienne. Cependant le regard de l'autre est fondamental pour la distinction entre ces deux notions. Pour l'oriental les formules latines par le mystère qu'elles représentent peuvent avoir un caractère magique.

19 Le travail conscient de réflexion sur l'écriture par le jeu des personnes, par la mise en abyme (note 28) s'apparente à des recherches déjà entreprises par Cervantés. En outre les écrivains réalistes et parnassiens ont introduit en littérature un besoin d'exactitude pour ainsi dire scientifique qui avait manqué jusqu'alors. Cependant Barthes montre comment le réalisme dans la description-portrait est lui-même une copie au second degré du réel, la reproduction par le langage d'une image picturale du monde conventionnelle et socialisée. L'autoportrait et l'auto-mise en scène sont des genres narcissiques dans l'art de l'écriture ou de la peinture. L'écrivain s'affirme comme individu créateur depuis la philosophie humaniste et cette tendance se développe à l'époque romantique. Ces techniques posent le problème de l'image projetée de soi, de la représentation de soi pour les autres. Dans son procédé même la mise en abyme du geste, de l'attitude (je me dépeins en me décrivant) renvoie sans fin de la cause à l'effet, à la mort (mort du père, mort anticipée de soi-même), à l'aliénation, au vertige narcissique qui ici devient féroce et presque caricatural dans le rapport aux gains ou aux dons, rappelant des autoportraits célèbres comme ceux de Goya ou de Van Gogh.

Portrait d'Antoine d'Abbadie en costume éthiopien accompagné de son esclave Abdullah (volé)

20 L'image de soi dans ce type de production est socialement reconstituée à travers les codes culturels dominants en conformité avec un modèle intériorisé. Il est intéressant

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de constater sa permanence puisque la silhouette, l'allure, l'image donnée du corps dans le texte correspond à celle du tableau commandé puis volé de Monsieur d'Abbadie en toge d'Ethiopien et turban accompagné de l'enfant esclave Abdullah, image d'un fils qu'il n'aura pas. Mais si dans le tableau les silhouettes sont statiques selon la tradition du portrait en pied, dans le texte nous avons des silhouettes agissantes jeunes et dynamiques, un portrait en mouvement, en voyage, le voyage de la vie, symbolique et réel, centré sur la magie de l'Orient mythique puis réel et enfin recréé des années plus tard au château d'Abbadia.

NOTES

1. Sánchez Lavega. Agustín, “Planeta en el universo”. Congrès International pour le centenaire d'Antoine d'Abbadie. 1997-1998. Eusko Ikaskuntza. Faculté Pluridisciplinaire de Bayonne. 1997, (sous presse). 2. Cardaillac. Yvette “L'orientalisme au château d'Abbadie”. Congrès International pour le centenaire d'Antoine d'Abbadie. 1997-1998, Eusko Ikaskuntza. Faculté Pluridisciplinaire de Bayonne, 1997, (sous presse). 3. Chiromancie : du grec kheir. kheiros : main et manteia : divination, art de deviner et de prédire par l'inspection des lignes de la main. 4. Chirognomonic : art de connaître le caractère des personnes par la forme de la main. 5. p. 105. 6. Jamet. Christian. Delacroix, images de l'Orient. Paris. Herschcr. 1995, 64. “Le combat du giaour et du pacha”. 1826. Art Institute of Chicago, tableau d'après le poème de Byron où l'on observe la mêlée furieuse des hommes et des animaux combattants selon la tragique histoire de Leila jetée à la mer par le Turc Hassan (ici sur un cheval blanc), p.30. Une nouvelle version est peinte en 1935, p. 31, elle est plus précise, on distingue le visage des cavaliers car le peintre a séjourné en Orient. 7. Urkizu Patri. Arkotxa-Searcia Aurelia, Arkotxa Fermin. Pensée, études et voyages de 1835. II. Antoine d'Abbadie 1810-1897. Congrès International de Hendaye, San Sébastien, Eusko Ikaskuntza, 1997, 160 p.p. 123-125. 8. L'alchimie est une des “sciences” traditionnelles de l'Islam désignée par le même terme que la chimie proprement dite. Al-Kimya en arabe. Thoraval Yves. Dictionnaire de civilisation musulmane. Paris. Larousse, 1995. 332 p.p. 11. 9. Amulette : du latin amulctum. Certaines amulettes sont utilisées contre le mauvais œil et constituent un des éléments essentiels de la magie prophylactique. La main de Fatima est un symbole utilisé de l'Afrique du Nord à l'Inde dans cet objectif. On porte aussi divers objets (coquilles de mer. comes de corail, crocs de sanglier, peaux de couleuvre) pour se protéger des caprices des génies. 10. Cohn. Norman. Démonolâtrie et sorcellerie au Moven Age. fantasmes et réalités. Paris. Payot 1982. 318 p. 11. Heningsen. Gustav. The witche's advocat : Basque witchcraf and spanish Inquisition (1609-1614). University of Nevada. 1980. El mayor proceso de la Historia. Navarra 1609-1614). in Historia 16. n° 80. année VII. p. 46-54.

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12. P. 59 : créance / p. 76 : Doyle / p. 77 : intendance / dunne bail / Walsh arriéré / p. 78 : Mme Dunne / P 79 : comptes / P. 80 Dublin 21 février / P. 105 lettre à Daguerre / P 109 dette /P. 117-118 : livres à relier /P 120-121 /P. 122 : frais de toiture/P. 124. 13. Voir la représentation d'Antoine d'Abbadie en toge et turban éthopien accompagné par son esclave Abdullah. 14. Musset. Alfred, de, Namouna, XXIV, 1832. 15. Exotisme : mot qui vient du grec.

INDEX

Thèmes : littérature Mots-clés : Abbadie Antoine d' (1810-1897), carnet de voyage, magicien Index chronologique : 19e siècle

AUTEUR

YVETTE CARDAILLAC-HERMOSILLA

Université de Bordeaux III [email protected]

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L'irrintzina : de la valeur emblématique à la désaffection

Jean Casenave

1 L'élaboration d'une image culturelle est un processus complexe dans lequel les échanges intertextuels tiennent une place parfois déterminante. C'est le cas de « l'irrintzina » qui, pour un large public, figure encore aujourd'hui parmi les représentations symboliques les plus superficielles mais les mieux établies de l'identité basque, au même titre que le “makila” par exemple.

2 Or, en tant que motifs emblématiques, ces symboles sont généralement de création récente. Leur apparition comme leur cheminement dans l'imaginaire collectif racontent comment les auteurs de langue basque et les acteurs culturels d'un passé encore tout proche ont tenté d'illustrer l'identité de leur communauté. Dans leur démarche de création, ils ont puisé dans leurs ressources personnelles et, bien sûr, dans le fonds traditionnel. Ils ont également utilisé le miroir que leur tendaient des artistes et des savants généralement étrangers à la région mais passionnés par le Pays basque. 3 Dans l'imagerie culturelle élaborée au cours du XIXe siècle pour illustrer l'identité basque, on trouve, en simplifiant, deux séries de représentations et de motifs esthétiques : l'une, en plein essor dès le milieu du siècle, offre une vision solaire et héroïque, l'autre reflète le climat assombri du dernier quart de siècle. La première et la plus ancienne se développe alors que le monde savant européen éprouve un regain d'intérêt pour la question de l'origine des Basques et celle de leur langue. Elle mêle volontiers démarche para-historique et explication mythique à l'image d'auteurs comme d'Iharce de Bidassouet1 ou Chaho 2. Dans les décennies suivantes, les poètes Jean-Martin Hiribarren et Jean-Baptiste Elissamburu, par exemple, transposent cette thématique dans la création littéraire. Ils inscrivent une partie de leur production dans cette veine archaïsante qu'ils magnifient par une imagerie héroïque. 4 Comme indiqué plus haut, dans le dernier quart du siècle, la question des origines cède progressivement du terrain devant une interrogation aux accents nettement plus sombres et angoissés. Les auteurs de passage mais surtout, les écrivains bascophones

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concernés au premier chef, se montrent essentiellement préoccupés par la survie de la langue basque et celle de l'identité elle-même. 5 En quelques années, on passe d'un mythe solaire à une perspective crépusculaire. A la revendication d'une large reconnaissance et à l'aspiration à l'universalité perceptibles chez Augustin Chaho succède une stratégie ethnocentrique de repli sur soi et sur un système de valeurs données pour immémoriales. On fait alors jouer à la langue basque un rôle de rempart3 sans doute dommageable pour son évolution ultérieure. 6 Cependant, dans la production littéraire, dans le discours savant comme dans les manifestations culturelles, ces deux ensembles d'images apparemment contradictoires, loin de s'exclure mutuellement finissent par se mêler de façon étroite pour constituer le fonds thématique et esthétique de la première moitié du XXe siècle. 7 Les quelques lignes qui précèdent ne constituent qu'une présentation succinte et incomplète d'une situation culturelle fort complexe. Elles ne figurent ici qu'au titre d'introduction à une courte étude sur l'irrintzina. Ce dernier est abordé en tant qu'illustration de la veine héroïque propre à l'imagerie culturelle de cette époque. Par l'intermédiaire d'une démarche essentiellement descriptive, il s'agit de suivre son parcours à travers la production littéraire en basque comme en français et de situer son apparition sur le devant de la scène culturelle.

1. La définition du dictionnaire

8 Au Pays basque, le long cri poussé lors d'une danse ou pour saluer un exploit sportif est aujourd'hui communément désigné en langue basque comme en français par le mot « irrintzina ». Pour beaucoup d'étrangers comme pour nombre de Basques, ce cri et le terme qui le désigne semblent, de longue date, étroitement liés. Or, il est intéressant de constater que, sous cette orthographe, le mot ne figure pas en tant qu'entrée dans le dictionnaire de R.M. Azkue de 1905-1906, Diccionario vasco-español-frances. Ceci, alors que l'expression est utilisée à l'époque pour qualifier l'épreuve du même nom dans les concours organisés lors des Fêtes basques. Pour le terme générique Irrintsi, Azkue propose les deux acceptions suivantes : 1° Hennissement des bêtes. 2° Cri strident, sonore et prolongé, dont les pâtres aiment à faire résonner les flancs des montagnes, et que les Basques poussent volontiers en signe de joie.

9 Dans le dictionnaire « dit de Lhande »4, on trouve l'entrée « Irhintzina » et les deux définitions suivantes : 1° Hennissement, cri ordinaire du cheval. 2° Cri basque de joie ou de ralliement. 10 Voilà pour ce que disent les deux sommes lexicologiques les mieux informées du début du siècle. D'autres commentateurs évoquent « l'irrintzina » à la même époque. On peut dire que devançant l'évolution linguistique du terme, ils en donnent une interprétation culturelle qui préfigure déjà son très riche parcours symbolique.

2. Une définition évolutive

11 Parmi les auteurs basques qui développent le thème de « l'irrintzina » au tout début du siècle, on trouve notamment Edouard Dibildots et Pierre Lhande. En 1921, dans les numéros d'octobre et de novembre de la revue Gure Herria, le premier nommé publie les deux volets d'un article intitulé, « Les Basques. Essai de psychologie pittoresque ».

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Comme il l'indique dans son introduction, il se propose de définir l'identité intime du Basque : Essayons donc, en méditant notre pays, de prendre conscience de notre tempérament et de notre âme. Gure Herria. 1921. p. 587. 12 Il signale aussi qu'il reprend dans cet article une conférence prononcée lors des Fêtes de la Tradition Basque célébrées en 1897 à Saint-Jean-de-Luz. Parmi de nombreuses considérations, il livre la définition suivante de l'irrintzina : L'irrintzina est ce cri aigu et prolongé par lequel les Basques s'appellent, la nuit, d'une montagne à l'autre. Op. cit. p. 635. 13 Cela recoupe bien les définitions proposées par R.M. Azkue ou Pierre Lafitte. Mais, quelques années plus tard, Pierre Lhande ajoute les précisions suivantes à la définition couramment admise : Cri national des Basques, sorte de hennissement strident, sonore et prolongé qu'on lance, généralement, en signe de joie ou de défi. Autour d'un foyer basque, Paris. 1908. p. 120. 14 Par quel cheminement ce cri d'appel est-il devenu en peu de temps un motif emblématique de l'identité basque ?

3. La cristallisation d'éléments épars.

15 En tant que représentation identitaire, « l'irrintzina » s'inscrit dans le droit fil de la production écrite du XIXe siècle et de l'incessante interrogation des auteurs de cette période au sujet de l'origine des Basques. Il se rattache à la symbolique héroïque évoquée dans l'introduction. L'image du Basque irréductible qui a su rester libre alors que son pays était traversé par des vagues successives d'envahisseurs était à la fin du XIXe siècle, largement répandue. On en trouve une illustration dans le programme distribué à l'occasion des Fêtes de la Tradition Basque de Saint-Jean-de-Luz, en 1897 : ANTIQUITE DES BASQUES : Les Euskariens sont la nation la plus antique, la seule antique de l'Europe. (...) Les Basques repoussèrent le joug de Rome avec gloire et fureur. (...) Les Barbares de l'invasion n'ont pas conquis un seul de leurs villages au cinquième siècle, ils conservèrent leur indépendance et furent la terreur des Visigoths espagnols pendant trois cents ans. 16 C'est également dans une perspective « historique » qu'Edouard Dibildots replace sa définition de l'irrintzina. Il l'inscrit tout naturellement dans l'évocation du passé glorieux des « Vascons » : Nos origines sont dans la nuit ? Cherchons dans cette longue nuit du passé, qui n'est pas, tout de même, sans quelques incertaines lueurs de distance en distance. (...) Dans les batailles, ils se montraient tour à tour farouches et facétieux, se ruant sans casque dans la mêlée : mais, si l'affaire tournait mal, prenant sans façon et sans préjugé leur course vers la montagne, sautant de rocher en rocher, et jetant à leurs ennemis de sauvages cris moqueurs (traduisez : des irrintzinas). Car cette fuite n'avait rien de la panique ni de la peu, mais, ils préféraient tout à la perle de leur indépendance. Gure Herria. 1921. p. 634. 17 Cette mise en scène imagée des circonstances d'utilisation de l'irrintzina consacre son caractère emblématique. Il résume à lui seul les qualités prêtées aux combattants basques. Au-delà des marques classiques du cri de guerre, sa tonalité moqueuse atteste que le repli des guerriers n'est pas un acte de lâcheté mais bien la preuve d'un

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indéfectible attachement à leur liberté, donc à leur différence. On peut lire ce tableau comme l'aboutissement très esthétisé d'une conception mythique de l'histoire des Basques et d'une manière de la raconter. En tant que motif symbolique et esthétique, l'irrintzina y trouve tout à la fois, une justification, une légitimité et un enracinement historique.

4. Un motif inutilisé au XIXe siècle

18 Si l'on se fie au commentaire de Pierre Lhande déjà cité (« irrintzina », cri national des Basques), on devrait pouvoir trouver trace de ce cri de guerre dans la production littéraire qui a élaboré cette vision archaïsante et solaire de l'identité basque, à savoir celle de la deuxième moitié du XIXe siècle. Or, si la tradition écrite attachée à cette « imagerie héroïque » donne une certaine importance à la notion de cri de guerre, elle n'a pas recours au terme d'irrintzina lui-même.

19 L'un des premiers exemples de transposition littéraire de cette idée du combat des Basques pour sauver leurs « antiques libertés » se trouve dans le « Chant d'Altabiscar » reproduit en 1857 par Francisque-Michel dans son ouvrage intitulé Le Pays Basque 5 La pièce s'ouvre par les deux vers suivants : Oyhu bat aditua izan da, Escaldunen mendien artetic... Un cri s'est élevé, Au milieu des montagnes des Basques... 20 En lieu et place de « l'irrintzina », on trouve donc le terme « oihua », le cri. C'est ce même mot qui apparaissait quelques années plus tôt dans le poème épique Escaldunac (1853) de Jean-Martin Hiribanen pour évoquer la même situation dans des termes quasi-identiques6. On le retouve également dans la deuxième strophe de la chanson écrite par Jean-Baptiste Elissambuni en 1880 et intitulée Eskuara eta Eskualdunak (Arbasoak)7.

5. La consécration de l'irrintzina

21 Si l'irrintzina ne figure pas dans les tableaux héroïques de la deuxième moitié du XIXe siècle, il devient, en revanche, un motif de premier plan au tournant du siècle. En 1898, Jean Barbier présente une pièce en vers intitulée « Irrintzina mendian » aux Fêtes basques de Saint-Pée-sur-Nivelle. Il y campe un décor très voisin de celui proposé par J.B. Elissambum. La montagne basque est décrite dans le climat paisible du crépuscule. Soudain, un long cri sauvage s'élève dans la nuit et le poète de retour de sa promenade, se trouve alors plongé dans le tourbillon de l'histoire. Comme dans les trois poésies déjà citées, suit une évocation de la bataille de Roncevaux : Ibañetan ere lehen irrintzina aditu zen. (...) Eskualdunen irrintzina zen dei-adarrari nausitzen8. A Ibañeta aussi jadis on entendit l'irrintzina. (...) L'irrintzina des Basques dominait le cor.

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22 Par l'intermédiaire de cette poésie couronnée lors des Jeux floraux, « l'irrintzina » est associé avec cet événement fondateur de l'imagerie culturelle moderne qu'est l'attaque de l'armée de Charlemagne par les Basques. Insensiblement, le cri de guerre s'est mué en « cri national » et c'est sous cette forme qu'on le retrouve chez Edouard Dibildots ou, un peu plus tard, sous la plume de Pierre Lhande. Récompensée sur la scène des Fêtes basques, la poésie « Irrintzina mendian » connaît la consécration de l'écrit en 1910 avec la parution, à compte d'auteur, du premier livre de Jean Barbier, Nere Kantuak. Au passage, on peut noter que parmi les pièces présentées figure aussi un chant intitulé « Nere Makila ». Au début du XXe siècle, ces deux motifs de second niveau apparaissent donc comme susceptibles d'illustrer une partie de l'identité basque et bénéficient tous les deux d'un traitement esthétique.

6. Intertextualité et symbolique identitaire.

23 On peut s'interroger sur l'origine de cet emblème soudain si prisé par les auteurs de langue basque. C'est Gratien Adéma qui fournit l'explication la plus plausible en la matière en indiquant clairement qu'il s'agit d'un thème emprunté à Ramuntcho, le roman de Pierre Loti paru en 1897.

24 Dans une courte étude intitulée « L'Art poétique basque » qu'il fait paraître sur plusieurs numéros dans les colonnes de l'Eskualduna au printemps de l'année 1899. G. Adéma analyse longuement la poésie de Jean Barbier « Irrintzina mendian »9. Au milieu d'une série de remarques techniques, il fait le commentaire suivant : Irrintzina bat mendian... le choix seul de ce sujet fait honneur à l'auteur de la pièce. Voilà qui est digne d'inspirer un poète basque, comme il avait déjà inspiré le prestigieux prosateur français, M. Loti, dans son Ramuntcho. 25 Suit la reprise dans son intégralité du passage que Pierre Loti consacre à la description de l'irrintzina (voir plus loin). Pour clore son évocation des sources qui ont inspiré Jean Barbier, G. Adéma ajoute : Le poète basque de L'irrintzina a été très heureux dans les détails vraiment poétiques dont il a encadré la reproduction de cette perle trouvée dans Ramuntcho. 26 Pour comprendre ce mouvement d'appropriation, il faut d'abord revenir au texte- source lui-même, c'est-à-dire au passage de Ramuntcho (fin du chapitre 8) qui a tant séduit les auteurs basques du début du XXe siècle : Mais tout à coup, de cette barque qui était si tranquille et qui n'avait plus que l'importance d'une ombre à peine réelle au milieu de tant de nuit, un cri s'élève suraigu, terrifiant : il remplit le vide et s'en va déchirer les lointains... Il est parti de ces notes très hautes qui n'appartiennent d'ordinaire qu'aux femmes, mais avec quelque chose de rauque et de puissant qui indique plutôt le mâle sauvage : il a le mordant de la voix des chacals et il garde quand même on ne sait quoi d'humain qui fait davantage frémir ; on attend avec une sorte d'angoisse qu'il finisse, et il est long, long, il oppresse par son inexplicable longueur... Il avait commencé comme un haut bramement d'agonie, et voici qu'il s'achève et s'éteint en une sorte de rire, sinistrement burlesque, comme le rire des fous... 27 Bien évidemment, Pierre Loti n'a pas inventé l'irrintzina de toutes pièces. A la fin de sa description, le romancier en livre d'ailleurs une définition tout à fait prosaïque qui recoupe parfaitement celles des dictionnaires de la période : On pousse ce cri pendant les fêtes, ou bien pour s appeler le soir dans la montagne, et surtout pour célébrer quelque aubaine imprévue, une chasse miraculeuse ou un coup de filet heureux dans l'eau des rivières. (Fin du chapitre 8)

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28 Cependant, ce n'est pas cet aspect somme toute bien conforme à la réalité ordinaire que le romancier souhaite mettre en valeur. On voit tout le parti esthétique qu'il peut tirer de cette forme d'expression spontanée et populaire. Pourtant, il ne se contente pas d'une exploitation artistique de l'irrintzina. Il approfondit son tableau vivant en lui donnant une perspective culturelle et une profondeur historique : (...) Et après quelques secondes d'apaisement silencieux, un nouveau cri semblable part de l'arrière, répondant au premier et passant par les mêmes phrases. – qui sont de tradition infiniment anciennes. C 'est simplement l'irrintzina, le grand cri basque, qui s'est transmis avec fidélité du fond de l'abîme des âges jusqu 'aux hommes de nos jours et qui constitue l'une des étrangetés de cette race aux origines enveloppées de mystère. Cela ressemble au cri d'appel de certaines tribus Peaux-Rouges dans les forêts des Amériques ; la nuit, cela donne la notion de l'insondable effroi des temps primitifs, quand, au milieu de solitudes du vieux monde, hurlaient des hommes au gosier de singe. 29 Ainsi, le romancier laisse entendre que l'acte individuel prend place dans une pratique collective très ancienne et presque universellement répandue chez les peuples les plus primitifs. Cette évocation romanesque convenait bien à la figure du Basque que P. Loti souhaitait brosser dans Ramuntcho. Elle donnait au roman une dimension mythique qui transcendait le caractère un peu fruste des personnages.

30 On sait bien que cet écrivain était porteur d'une thématique et d'une esthétique néoromantiques. Il était soucieux de créer des atmosphères aux tonalités nostalgiques dans lesquelles il mettait en évidence l'unité menacée ou perdue entre l'homme et l'univers qui l'entoure. C'est ce qui ressort bien de sa description du Pays basque dans Ramuntcho : ... l'Esprit des ancêtres flottait, sombre et jaloux aussi, dédaigneux de l'étrange, craintif des impiétés, des changements, des évolutions de races ; – l'Esprit des ancêtres basques, le vieil Esprit immuable qui maintient encore ce peuple les yeux tournés vers les âges antérieurs ; le mystérieux esprit séculaire, par qui les enfants sont conduits à agir comme avant eux leurs pères avaient agi, au flanc des mêmes montagnes, dans les mêmes villages, autour des mêmes clochers... 31 A la lecture de ces quelques lignes, on comprend aisément pourquoi les écrivains basques de la fin du XIXe siècle, eux-mêmes porteurs d'une vision crépusculaire et nostalgique de l'identité basque, ont si bien reçu les images créées par P. Loti. En fait, l'auteur de Ramuntcho se trouve à l'unisson des idées les plus largement répandues à la fin du XIXe siècle sur le sujet. Cependant, il les renouvelle sur le plan esthétique en proposant, entre autres, un motif inédit comme l'irrintzina.

32 Les auteurs de langue basque ont donc été immédiatement sensibles au climat du roman. Ils ont très volontiers adopté les caractéristiques psychologiques et morales proposées par P. Loti (ex : la notion d'atavisme dans L'Emigration basque 10 de Pierre Lhande ou Les Basques, Essai de psychologie pittoresque d'Edouard Dibildots). On retrouve aussi son influence en ce qui concerne les tableaux d'ensemble (les passages descriptifs -parties de pelote, paysages, etc. – dans Buruchkak 11 de Jean Etchepare et Piarres12 de Jean Barbier) ou encore certains motifs esthétiques d'ampleur plus restreinte au premier rang desquels il faut, bien sûr, relever l'irrintzina. Lire ces quelques commentaires de Pierre Loti sur l'irrintzina permet aussi de comprendre ce qui encourage Jean Barbier. Edouard Dibildots ou Pierre Lhande à faire de l'irrintzina le cri national des Basques, c'est-à-dire un emblème identitaire aussi ancien que le peuple qui l'utilise.13

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7. L'élaboration d'une représentation

33 Il y aurait beaucoup à dire sur le tableau du Pays basque proposé par P. Loti dans Ramuntcho. Mais cette question complexe mérite de faire l'’objet d'une étude particulière. On peut toutefois se demander qui a attiré l'attention de l'écrivain sur l'irrintzina. La dédicace qui figure dans Ramuntcho en donne, peut-être, l'explication si on prend la peine de mettre ce détail en rapport avec une remarque de Pierre Lhande. Pierre Loti dédie son livre à Madame V. d'Abbadie, l'épouse d'Antoine d'Abbadie, l'explorateur de l'Ethiopie, le savant et le promoteur des Fêtes basques organisées par le comité qui porte son nom : A Madame V. D'ABBADIE qui commença de m'initier au pays basque, en l'automne de 1891. Hommage et affectueux respect. Pierre Loti. (Basses-Pyrénées). Novembre 1896. 34 Or, Pierre Lhande indique dans Autour d'un foyer basque (1908) que c'est « sur la demande de Madame d'Abbadie » (p. 120) que les concours d'irrintzinas ont été introduits dans le programme des Fêtes basques organisées par le Comité d'Abbadie. La châtelaine d'Abbadia et l'écrivain ont, semble-t-il, trouvé dans ce cri usuel un support pour leur imaginaire. Ils en ont fait le point de rencontre entre leurs goûts esthétiques et les pratiques populaires qu'ils avaient sous les yeux. Est-ce à dire que l'irrintzina tel qu'il est codifié à cette époque serait avant tout une création obéissant essentiellement à des motivations esthétiques ? Il y a là un pas que l'état actuel de la documentation ne permet pas de franchir.

8. Les heures de gloire de l'irrintzina

35 En tant que symbole identitaire c'est dans les dernières années du XIXe siècle et la première moitié du siècle suivant que l'irrintzina s'est installé sur le devant de la scène culturelle. Dans le cadre des Fêtes basques, il donne notamment lieu à des concours âprement disputés auxquels hommes et femmes participent indifféremment. C'est d'ailleurs une femme qui l'emporte en 1906 lors de l'édition célébrée à Cambo comme le souligne, avec un peu d'étonnement, Pierre Lhande dans son livre (Autour d'un foyer basque, p. 120).

36 La conséquence majeure de cette reconnaissance à la fois populaire et institutionnelle est sans nul doute l'établissement de règles précises qui régissent désormais la pratique scénique de ce cri. Dans son compte rendu des Fêtes basques de 1905, Jean Etchepare laisse entendre que les cris récompensés correspondent à un modèle sur lequel les juges comme le public semblent s'accorder : Oihanburu ltxassoukoa zen gehienen iduriko hobekienik ari. (...). Aldi andana batez egin du. eta bethi berdin. horrela erakusten zaungularik irrintzinak baduela menderen mendetan iraun duen soinu bat. nehork orai bere nahitara alda dezakena. Buruchkak. « Eskualdun phestak Baigorrin 1905-ean ». Selon la plupart des gens, c'est Oihanburu d'Itxassou qui réussissait le mieux. (...). Il l'a fait à plusieurs reprises, et toujours de la même façon, nous démontrant ainsi que l'irrintzina a une modulation qui a perduré au fil des siècles, et que personne ne peut aujourd'hui changer selon son bon vouloir. 37 L'irrintzina fait donc l'objet d'une véritable codification dont les juges-experts sont chargés de définir les normes techniques et que des spécialistes reconnus et fêtés

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comme tels viennent illustrer sur la scène. La pratique du cri obéit donc à une esthétique qui pour être récente n'en est pas moins contraignante si l'on se fie aux remarques de Jean Etchepare.

38 En fait, l'irrintzina accède au rang d'expression artistique à part entière au même titre que la danse, la poésie et les improvisations chantées. Réunis dans le cadre des Fêtes basques, ces éléments composent un spectacle qui met en scène sinon l'identité basque dans son ensemble, tout au moins l'expression que souhaitent lui donner les organisateurs. C'est sur cette définition que semble s'établir un certain consensus au tout début du XXe siècle. 39 Cette éphémère unanimité autour des éléments constitutifs de l'identité basque qui marque le passage d'un siècle à l'autre n'est pas propice à l'émergence d'un regard critique. C'est ainsi que, parmi les auteurs de langue basque, on adopte l'image du Pays basque proposée par P. Loti sans réserves. A propos de l'irrintzina par exemple, Pierre Lhande est l'un des rares auteurs à relever un point négatif dans le tableau fondateur de Pierre Loti. Dans la note qu'il lui consacre dans Autour d'un foyer basque, il indique en effet : Dans Ramuntcho. Pierre Loti le compare au cri sauvage “de l'homme primitif au gosier de singe”. Peu flatteur, mais expressif. (p. 120) 40 P. Lhande a sans doute perçu que cette imagerie diffusée par l'auteur de Ramuntcho possède un caractère ambivalent. S'il renforce le caractère singulier des Basques, il contribue aussi à les confiner dans le rôle de témoins privilégiés du passé, irrémédiablement écartés des évolutions du monde moderne environnant.

41 La réussite de l'irrintzina est également d'ordre littéraire puisque les Fêtes basques voient le couronnement de la poésie de Jean Barbier « Irrintzina mendian » en 1898. A ce propos, il faut noter un dernier point avant d'aborder la question de la survivance de ce motif. L'irrintzina présent dans le poème chanté14 de Jean Barbier montre qu'un glissement à la fois contextuel et métaphorique important s'est opéré par rapport au modèle développé dans Ramuntcho. 42 Dans le roman, c'est un contrebandier heureux d'avoir échappé aux douaniers qui pousse un cri de victoire et de défi. Cependant, lorsqu'il intègre l'irrintzina au sein de l'imagerie culturelle basque, Jean Barbier l'assimile sans explication préalable ni précaution rhétorique au cri du guerrier évoqué par les poètes antérieurs. Poussant jusqu'à son terme un lien suggéré dans le roman, il place le nouveau motif créé par P. Loti au cœur du tableau devenu classique de la Bataille de Roncevaux. Il en fait un élément emblématique de l'identité basque. 43 On voit bien pourquoi les auteurs basques ont tout de suite adopté cette image de l'irrintzina. Ils y ont trouvé l'exaltation des vertus guerrières ancestrales à travers un élément qui, parmi tous les cris de guerre connus au monde (le Ki-Haï japonais, le Haka maori, etc.), permet de distinguer le combattant basque. En fait, l'irrintzina illustre parfaitement les notions d'ancienneté et d'originalité qui sont attribuées aux Basques tout au long du XIXe siècle. 44 L'élément emprunté puis considérablement enrichi par Pierre Loti est donc réintégré dans la culture basque au sein de laquelle, pendant quelques années, il va conserver un caractère dynamique et créatif sur les plans métaphorique comme symbolique. Grâce au succès de Ramuntcho auprès du grand public francophone et à sa diffusion dans toutes les couches de la population bascophone par l'intermédiaire de la chanson et des

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Fêtes basques, l'irrintzina a donc acquis une incontestable notoriété qui consacre sa fonction symbolique et sa dimension esthétique.

9. De la valeur emblématique à la désaffection.

45 Au cours de la première partie du XXe siècle, l'irrintzina tient une place privilégiée dans l'imagerie culturelle basque. Mais c'est à l'occasion de la guerre de 1936 que la « fiction littéraire » rejoint tragiquement la réalité historique. En effet, durant cette période, l'irrintzina trouve un emploi à la mesure de sa portée symbolique puisqu'il figure dans les paroles de Eusko gudariak15, le chant de marche des soldats basques.

46 Il faut noter que, dans ce chant, les deux motifs esthétiques chargés d'illustrer la notion de patrie sont le drapeau (l'ikurriña) – emblème universellement utilisé – et rirrintzina. Le cri de guerre et le tableau conventionnel qui l'accompagne (un irrintzina retentit au sommet de la montagne) constituent, sans doute, un rappel implicite de la bataille de Roncevaux. Le recours à l'irrintzina dans ce contexte et dans ce type de texte apparaît comme l'aboutissement de l'imagerie héroïque élaborée tout au long du XIXe siècle. 47 Cependant, cette utilisation marque aussi la transformation de l'image poétique en cliché. En effet, le terme et le motif esthétique qu'il porte sont progressivement abandonnés par la génération des auteurs de l'après-guerre et leurs successeurs. Un exemple suffit pour illustrer cet effacement. Jon Mirande, l'un des poètes marquants de cette époque, a recours, pour des raisons idéologiques et esthétiques qu'il serait trop long de développer ici16, à une imagerie héroïque dans une partie de son œuvre poétique. Ainsi dans une pièce versifiée de 1951 intitulée « Eresi »17, il reprend la figure du guerrier aux prises avec l'ennemi dans la montagne pour en brosser une image épurée et empreinte d'esthétisme. Dans ce texte, il ne fait pas référence à ce cri de guerre, à cet irrintzina que n'auraient pas manqué de placer dans un tel contexte les poètes du début du siècle. Pour lors, l'image a, sans doute, vieilli. Elle a perdu sa dimension métaphorique et sa capacité de renouvellement en matière de création littéraire. 48 Pourtant, rirrintzina existe toujours en tant que motif esthétique dans les manifestations culturelles notamment par le biais de concours spécifiques ou en complément d'autres formes d'expression artistiques, la danse ou la chanson populaire notamment. Mais, cette survivance revêt un caractère très convenu. Sous sa forme actuelle, il rend bien peu compte de la puissance d'évocation qu'il possédait en tant que motif symbolique et esthétique pour les gens du début du siècle. 49 A partir de l'exemple de l'irrintzina, il serait tentant d'avancer des remarques plus générales sur la manière dont les Basques (par l'intermédiaire de leurs écrivains) se voyaient, se racontaient et se rêvaient à la fin du XIXe siècle. C'est bien évidemment prématuré. Pour l'heure, il est préférable de recenser les motifs esthétiques et les représentations identitaires de la période avant de procéder à une analyse d'ensemble de l'imagerie culturelle.

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NOTES

1. L'Abbé d'Iharce de Bidassouet a rédigé deux essais dans cette veine historico-mythique : Essai. Quelques notes sur la langue basque par un vicaire de campagne, sauvage d'origine. Bayonne. 1808. Histoire des Cantabres ou des premiers colons de tome l'Europe, (avec celle des Basques, leurs descendants directs qui existent encore et leur langue asiatique-basque, traduite, et réduite aux principes de la langue française). Paris, 1825. 2. Augustin Chaho : Histoire primitive des Euskariens-Basques. Bayonne, 1847. 3. On pourrait ici évoquer les propos de Jean-Pierre Arberlbide dans Igandea (1895), de Basilio Joannatéguy dans un court essai intitulé eEskuara » (1902) ou encore ceux de Pierre Lhande dans Autour d'un foyer basque (1908) : « Et maintenant, s'il nous est permis d'interroger l'avenir, quel sort est réservé à ces petites communautés qui ont su nous conserver, à travers les âges, les traditions tranquilles du passé ? Jusqu'ici leur langue cet -isolant- les a gardées ; et aussi la position stratégique de leurs montagnes. » p. 144. 4. En fait, comme chacun sait, ce dictionnaire a été conçu par Pierre Lafitte à partir de la lettre E. Le jeune grammairien a pris le relais de Pierre Lhande qui n'avait plus à cette époque de sa vie suffisamment de temps libre pour se consacrer à des travaux de recherche de cette ampleur. Etabli par P. Lhande, le premier fascicule a été publié en 1926. 5. Francisque-Michel, Le Pays basque. Elkar, 1994. Voir la strophe complète en fin d'article (Annexes). 6. L'expression (Oihu bat aditu da...) se trouve dans le premier vers de la stophe 1145 du premier chapitre. p. 68 dans la nouvelle édition proposée par la collection « Klasikoak », Bilbao, 1994. Cf. Annexes. 7. J.B. Elizanburu, Ikusten duzu goizean eta bertze. Bayonne, Ikas, 1991, p. 43. 8. J. Barbier, « Irrintzina mendian ». Nere Kantuak (1910). La strophe complète est citée en fin d'article. 9. Gratien Adéma « Zalduby » fait lui-même partie du jury chargé de juger les pièces présentées à ces concours littéraires. 10. Pierre Lhande. L'Emigration basque, Elkar. 1984. 11. Jean Etchepare. Buruchkak, Euskal Editoreen Elkartea, 1992. 12. Jean Barbier. Piarres (I), Euskal Editoreen Elkartea, 1992. 13. Jean Etchepare, “Baygorryko phestak » dans le numéro du 11 août 1905 de l'Eskualduna : article repris dans Buruchkak, sous le titre de « Eskualdun phestak Baigorrin 1905-ean ». Le texte complet figure dans les annexes. 14. Dans son recueil Nere Kantuak (1910), Jean Barbier indique que Irrintzina mendian doit être chanté sur l'air de Sor-lekhua utziz geroz. 15. Le texte de ce chant est reproduit en fin d'article. 16. Sur ce sujet, on peut se référer à une étude d'Aurelia Arkotxa intitulée « Mirande eta Thanatos : heriotz heroikoa » qui doit paraître prochainement. 17. Jon Mirande, Poemak 1950-1966. Erein, 1984. p.81.

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INDEX

Index chronologique : 19e siècle, 20e siècle Thèmes : linguistique, science politique Mots-clés : identité, symbole

AUTEUR

JEAN CASENAVE

Doctorant en Etudes basques [email protected]

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L'identité basque dans l'œuvre de M. de Larramendi, S.J. (1690-1766)

Txomin Peillen

1 Le Siècle des Lumières valut au Pays Basque l'apparition de plusieurs réflexions sur les identités culturelle et nationale du peuple basque, en contradiction avec le libéralisme et le césarisme politique de l'Ilustración espagnole. Dans l'œuvre du Père Larramendi, connue dans toute l'Espagne et une partie de l'Europe, nous distinguerons deux sortes d'ouvrages, ceux destinés à l'Espagne et ceux destinés aux Basques.

2 Le document de base dans le premier cas sera la préface du Diccionario Trilingue de 1745 où les Basques sont définis à l'intérieur de l'hispanité. Le second type d'ouvrage est son recueil Sobre los Fueros de Guipuzcoa, (1745-1765) ensemble de conférences prononcées en public, devant les Batzar Orokor ou Juntas Generales de Guipuzcoa. Après son séjour à Bayonne (1730-1733) il définit l'identité basque contre cette même hispanité. Il n'est pas douteux que ces textes furent connus des frères Garat qui demandèrent un département basque à la Convention, et firent à Napoléon Ier des propositions identiques à celles de Manuel de Larramendi, d'un royaume basque des sept provinces. Les conférences de Larramendi, vu leur virulence, ne purent être publiées qu'au XXe siècle 3 Des historiens du Pays Basque ne reconnaissent pas au Père Larramendi la paternité du nationalisme pourtant clairement exprimé sous le prétexte qu'il n'aurait pas fondé de mouvement ni de parti nationaliste. Soyons sérieux ! Larramendi est du XVIIIe siècle et la question des nationalités ne se posa en Europe que cent ans après. De même les partis politiques au sens moderne du terme n'apparaîtront qu'au siècle suivant. Notre but sera de démontrer textes à l'appui l'apport de notre jésuite à la réflexion sur l'identité basque et les relations avec des pensées anciennes plus confuses et des mythes historiques hérités des XVe et XVIe siècles. 4 L'ensemble des textes de Sobre los fueros de Guipuzcoa, comprend trois parties et contient des allusions aux autres provinces basques. Il est d'ailleurs troublant de trouver vingt ans plus tard, en basque, des textes d'un enseignant souletin du collège de Mauléon qui

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répètent l'argumentation de Larramendi qu'il cite sans cesse, quant à l'identité culturelle (les douze qualités de la langue basque) et dans sa défense des fors souletins. 5 Les trois parties du texte de Larramendi sont une étude de l'origine des fueros guipuzcoans, une étude de l'avenir de ceux-ci et une étonnante et première définition complète de la revendication protonationaliste basque.

L'origine des fors et les Basques hommes toujours libres

6 Dès la première conférence nous lisons sur l'ancienneté du droit basque que : « Nous voyons le Guipuzcoa vivre depuis toujours et sans interruption avec les activités et les conséquences bénéfiques des Fors et que cela est connu et lui est reconnu par l'Espagne entière » (op. cit. page 10, traduction Tx. P.) 7 Pour préciser la nature des fors il rappelle que : « Les fors n'ont pas été écrits sous le titre d'Ordonnances ou de Privilèges, mais approuvés par le Roi et le Tribunal Suprème de Castille » (op. cit. p. 11) 8 Puis il nous parle de la liberté originelle des Basques, de celle qu'ils ont connue avant les monarchies, de celle qu'ils connaissent depuis qu'ils sont retirés et repoussés dans leurs « montagnes- citadelles » : « Pero retirado a estos Montes Cantabros como a ciudadela inexpugnable » (Prologue du Dictionnaire Trilingue de 1755). 9 Il insiste sur le fait qu'avant que n'existe un roi ou que les Basques en aient un, l'on n'a jamais écrit ou dit que les Basques n'étaient pas des hommes libres sur leur terre. Page 16 de son ouvrage sur les fueros il rappelle la formule de serment exigé du roi d'Espagne pour que les Basques l'acceptent comme roi : « He venido en declarar y mandar en su consecuencia que a la provincia de Guipúzcoa se mantenga en sus Fueros, privilegios y costumbres como los ha gozado y debido gozar hasta ahora ». 10 Larramendi distingue bien les deux adversaires de ces fors, d'une part les juristes castillans qui expriment la pensée absolutiste des Bourbons nouvellement montés sur le trône d'Espagne, d'autre part les riches libéraux partisans de l'uniformisation de l'Espagne qui favoriserait leur développement capitaliste. Plus loin il reconnaîtra que la seconde catégorie n'est pas rare parmi les Basques, bradeurs de leur liberté, parfois en échange de quelques repas annuels.

De la nécessité des Fors pour l'avenir de l'identité basque

Les menaces de l'époque contre les Fueros.

11 Dans tous ses livres Larramendi définit le Basque, à l'instar de tous nos historiens basques des XVIe et XVIIe siècles, comme un homme libre, comme un homme noble, comme un homme qui a choisi son roi. Aussi la première étape de son projet politique est la consolidation prioritaire des Fueros et leur défense. Il résume et renouvelle l'argumentation des origines :

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« le droit guipuzcoan ne se discute pas, alors qu'on veut nous le nier, il n'est pas comparable à celui de Castille, il n'est pas une fantaisie, un caprice, il n'est pas récent, il n'est pas d'hier, mais très ancien ; on n'en trouvera pas le début, puisque nous l'avions bien avant de nous unir à la Castille et même avant l'union avec la Navarre » (op. cit. p. 97). 12 Les historiens et juristes espagnols centralistes de l'époque tentaient déjà d'entretenir une confusion entre le fuero de la ville, charte de fondation accordée par le roi et le Fuero General, ensemble de lois reconnu et juré par le roi.

13 Le Guipuzcoa ne cédera pas sur ses Fors et ses libertés. En premier le Guipuzcoa ne peut écarter le service de Dieu, pour celui du Roi. En second, parce qu'il perdrait sa gloire, son renom, son honneur et sa noblesse. En troisième lieu parce que ce serait, les ayant reçus des premiers habitants, une perte pour nos descendants, (op. cit. p. 130-135) 14 La conclusion est ferme : « On ne peut laisser au pouvoir du Roi la possibilité de prêter ou de ne pas prêter serment. » (op. cit. p. 139) 15 Et les conséquences sont poussées à l'extrème : « il y a d'autres façons d'user de la violence pour rendre nuls les contrats et ce sont ceux qui se pratiquent en Guipuzcoa » (op. cit. p. 165) 16 Deux voies sont proposées pour lutter contre la tyrannie royale des nouveaux rois Bourbons le « pase foral » où on obéit aux ordres du Roi, sans les exécuter. « Le roi qui pratique injustice et « anti-forisme » ne mérite plus le titre de Roi mais reste avec celui méprisable de tyran, et alors il ne faudra pas suivre ses ordres et ses décisions, ce que l'on appelle obéir et ne pas exécuter » (op. cit.p.197) 17 L'autre voie conduit à la révolte armée contre le tyran : « Se contiene la conclusión presente de que pueden defenderse por armas cuando un Rey quiere atropellarlos tiránicamente. » (op. cit. p. 197). 18 Il n'est pas étonnant de lire dans « Mosde Etxeberriren gogamenak » du souletin J. Egiategi vers 1780 les mêmes considérations sur la tyrannie royale française : l'idée était commune aux penseurs de ce siècle.

Des mauvaises influences françaises

19 Parmi les menaces françaises il analysera plus loin le comportement du centralisme royal contre les fors du Pays Basque nord, mais pour le Guipuzcoa il craint deux choses, le jansénisme (puisqu'il est jésuite) et le principe de la royauté de droit divin qui va à rencontre des idées ibériques sur la question et du projet de Larramendi que nous analyserons plus loin.

20 Scandalisé par la résistance des jansénistes (dont trois bayonnais) à Louis XIV il la qualifie de « rebelión sostenida de los maniáticos » et les mêmes maniaques révoltés sont qualifiés de « nacion hypócrita de los jansenistas ». Larramendi craint plus les jansénistes que les protestants puisque la vision des premiers est opposée à celle des jésuites. Ayant séjourné trois ans à Bayonne il n'était pas sans connaître les Messieurs de Camp de Prats. Jansen et compagnie. Il accuse d'ailleurs le gallicanisme d'avoir servi de couverture au jansénisme.

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« Les libertés de l'Eglise de France que nous voyons ramper, servent de couverture et de prétexte aux Jansénistes et permettent de cacher des hérésies, des schismes des révoltes tant de fois condamnées » (op. cit. p. 204). 21 Voici son argumentation, sur la Royauté : « Contrairement à ce que certains croient (les Français et les Bourbons) vous devriez savoir que le pouvoir du Roi ne vient pas directement de Dieu mais indirectement, parce que la société et les peuples ont été créés par Dieu ». (op. cit. p.226) 22 Dans l'esprit de Larramendi la souveraineté est donc populaire, elle appartient au pays et non au Roi ; cette argumentation n'est pas inconnue des juristes hollandais, espagnols et même français, de l'époque et depuis le XVIe siècle, pour le moins.

Le combat pour les Fueros

23 Larramendi prophète ? On pourrait le penser quant il écrit : « Si le Guipuzcoa refuse d'exécuter les ordres, des décisions pourront lui ôter ses franchises, et en placer la frontière au bord de la mer. » (op. cit. 178) 24 En effet c'est à cette époque que Philippe V tentera de supprimer les ports francs basques et de ramener les douanes de l'Ebre au bord des rivages cantabriques. Il y renoncera par suite de l'opposition sanglante de tous les Basques, puis de la guerre contre la France, mais après la seconde guerre carliste en 1877 le Pays Basque sud perdra son autonomie et ne sera plus une zone franche.

25 D'ailleurs l'intuition et la prophétie larramendiennes vont plus loin, puisqu'il pense que pour défendre ses libertés contre l'Espagne, le Guipuzcoa ne pourra pas aller au combat seule, et la prémonition des guerres carlistes est claire : « Et si le Guipuzcoa n'est pas avec ses habitants suffisant à riposter aux ennemis, nous pourrions appeler nos concitoyens amis de France, de Navarre, d'Alava, de Biscaye et le Guipuzcoa se donner à un autre Roi qui protégerait ses fors et ses libertés ». (op. cit. p.282) 26 Larramendi imagine ces guerres forales, même s'il pense que l'on n'en arrivera pas à ce point là. Ces combats, s'ils ont lieu, seront rudes mais pas inorganisés : il devront être contrôlés, commandés par les Juntas Generales. « Pour lutter contre les injustices et les violences faites aux Fueros, il ne faut pas accepter des désordres populaires, au contraire les actions devront être menées après décision des Juntas Generales, en ordre, en bonne entente », (op. cit. p. 282)

La dernière étape : la République des Provinces Unies des Pyrénées

27 Informé des théories et de l'organisation qui permirent aux Pays Bas de se séparer de l'Espagne et ayant à l'esprit les expériences des Missions jésuites des pays guaranis, Larramendi va plus loin et propose de fonder entre les sept provinces basques une nation indépendante avec une royauté élective, alternant entre toutes les provinces basques. Le roi jurerait une constitution ou Pacta Conventa et serait un militaire.

28 Devant les graves menaces qui pèsent sur les Fueros du sud et les Fors du nord du Pays Basque du fait des Bourbons centralisateurs, Larramendi propose plusieurs solutions qui sont toutes des ruptures avec l'Espagne :

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« La seigneurie de Biscaye comme nous commence à gémir sous le joug. Aux uns et autres, demandons-leur de prendre le nom de Provinces Unies des Pyrénées ». 29 La principale argumentation repose sur l'identité culturelle : « Pour quoi la langue basque aussi vive et plus vivace que beaucoup d'autres ne doit-elle pas voir tous ses bascophones réunis dans une seule nation ? Pour quoi les trois provinces d'Espagne (Guipuzcoa, Alava, Biscaye) et le royaume de Navarre doivent-ils être dépendants de la Castille et le Labourd, la Soule, la Basse-Navarre dépendre de la France ? » (op. cit. p.58) 30 Trois solutions sont proposées :

31 La première une nation sous protection anglaise, la seconde possibilité une nation sous protection française, la troisième solution une nation totalement indépendante : il est donc le père du nationalisme idéologique basque 32 Avec l'Angleterre. Sous cette protection le commerce basque serait plus brillant, le Guipuzcoa vendrait mieux son acier et les nombreux produits anglais parviendraient à meilleur prix. Cela permettrait aussi politiquement d'équilibrer l'Europe, face au bloc Espagne-France des Bourbons, (op. cit. p.56). Bien que le Royaume Uni soit protestant et en réservant les droits des catholiques basques, l'entente serait possible avec la couronne anglaise. 33 Avec la France. Tout est problématique, malgré le voisinage, parce que la monarchie française ne tarderait pas à supprimer les Fueros et les Juntas generales, comme elle a commencé à le pratiquer dans ses pays d'Etats. Par ailleurs Larramendi craint la contamination janséniste, qu'il a bien connue à Bayonne lors de son séjour dans cette ville. Cependant cette solution permettrait d'éviter les guerres entre la France et l'Espagne, et l'idée de l'état-tampon que développera Joseph Garat auprès de Napoléon apparaît ici.

L'organisation de la « république » indépendante.

34 Larramendi préfère la troisième solution, même si elle lui semble la plus ardue, la plus longue à mener et à maintenir. « Nous créerons entre tous les Basques une républiqueSi cela nous convient nous choisirons un Roi et pour notre profit ce roi sera élu. Nous le choisirons à tour de rôle dans toutes nos provinces. Ce roi devrait avant tout recevoir une formation militaire, être d'un grand courage, d'une énergie farouche pour mener à bien et faire durer notre action héroïque » (op. cit. p. 59). 35 L'élection du roi qui revient dans la pensée de cet homme du XVIIIe siècle n'est pas chose nouvelle, les Francs à l'origine, puis les Castillans, les Navarrais, les Aragonais, la pratiquèrent longtemps et les « dynasties » furent parfois courtes. La nouveauté est la nécessité d'une sorte de général à la tête de la république, mais cela s'explique par les propos de notre auteur dans les pages 67 et suivantes.

36 Le militaire. Le Pays Basque pris entre deux voisins puissants, qui l'ont toujours convoité, devra pour durer être organisé militairement : une armée de 30.000 hommes et tous les autres armés à domicile, (comme les Helvètes). Il faudra prévoir dans tout les pays des dépôts d'armes et munitions discrets. La marine de guerre devra être importante. 37 Le civil. Les Fueros devront veiller à deux écueils : interdire la jurisprudence justinienne cause de la ruine des gens en procès, et d'autre part combattre le luxe

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source également de dégâts économiques pour les petits états (et obsession des jésuites depuis leur origine). La même argumentation est soutenue par le souletin J. Egiategi en basque, dans son livre de philosophie de 1785 « Filosofo heüskaldunaren ekheia ». Les lois seront modifiées par les Basques sans intervention de quelque roi que ce soit. La langue des institutions politiques et des assemblées sera le basque : ceux qui ne le savent pas l'apprendront, comme les Basques l'ont fait avec le castillan. 38 L'Education. Dans cette république la petite école enseignera uniquement le basque et le latin ; Dans le secondaire tout le monde apprendra quatre langues : basque, latin, français, espagnol, puis les sciences des mathématiques, de l'agronomie, de la navigation. Larramendi avoue que jusque-là et comme la Castille respectait leurs Fueros, par loyauté, les Basques du sud ont choisi d'écrire en castillan, mais que devant la dégradation politique des relations evec Madrid, de la baisse de qualité de la langue. c'est le basque qu'il faut porter à l'école. 39 La constitution. Le roi devra prêter serment en plus des Fueros à une Constitution ou Pacta Conventa. Cette république ne sera viable que si au Guipuzcoa s'ajoutent les six autres provinces basques. 40 Quand et comment ? Larramendi pense que la république des Provinces Unies des Pyrénées sera longue à constituer, face au harcèlement castillan et à l'inquiétante évolution préjacobine de la France. Il est intéressant de remarquer que ce projet opposé à celui des « Lumières » espagnoles n'est pas césarien comme le leur, et qu'il est plus moderne que celui de Sabino Arana Goiri qui au départ plongea ses racines dans les obscurités du XIXe siècle et les débuts du capitalisme sauvage en Biscaye. 41 Les conceptions semi-mythiques de l'identité culturelle basque chez Larramendi passèrent au Pays Basque nord où sa grammaire et son dictionnaire trilingue furent connus. Peut-être furent-ils apportés par l'auteur au cours de séjours à Bayonne et par des contacts que les gens du Pays Basque nord maintinrent avec Loiola où l'auteur s'était retiré. 42 Ses écrits politiques n'eurent pas la même diffusion au nord mais il est certain que l'idée des Guipuzcoans de s'unir à la France au tout début de la Révolution, l'accueil qu'ils firent aux premières troupes s'expliquent autant par les conflits avec Madrid que par les idées semée par Larramendi et ses suiveurs. 43 Ce qui reste à étudier, ce sont les éléments larramendiens dans l'œuvre de Dominique Joseph Garat notamment dan son traité Recherche sur le Peuple Primitif de l'Espagne, sur les révolutions de cette péninsule, sur les basques espagnols et français (Paris 1818) dont le titre rappelle le livre de Poza au XVIe siècle, De la antigua lengua Poblaciones y comarcas de las Españas et le contenu du premier de Larramendi Discurso histórico de la Famosa Cantabria. Le livre fut un prélude à la lettre que Garat écrivit à Napoléon Ier pour la réunion de sept provinces dans un royaume de la Nouvelle Phénicie. 44 Cet ensemble d'observations nous montre l'effervescence de la pensée dans un coin prétenduement isolé de l'Europe où l'Inquisition espagnole saisit les 2/3 des encyclopédies de la péninsule et qui au siècle précédent connut les débuts du jansénisme. 45 Comme dans tous ses écrits dans Sobre los fueros de Guipuzcoa, l'identité basque est définie par 46 un peuple qui n'a pas connu le servage un peuple qui possède « la noblesse générale »

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un peuple qui choisit ses rois un peuple qui fait ses lois un peuple qui se défend mais n'attaque pas hors de ses limites un peuple dont la langue est l'euskara un peuple qui met les biens indivis au dessus des biens particuliers un peuple prêt à se battre pour ses libertés. 47 A cela s'ajoutent des arguments obsolètes tels la supériorité des Basques en métallurgie parce qu'ils seraient les descendants du Tubal biblique, justifiant leur esprit d'indépendance par la prétention d'être les descendants des Cantabres qui résistèrent aux Romains, mythes historiques mal fondés, alors que nos ancêtres avaient su si bien repousser les dominations franques et wisigothiques pendant deux siècles et auraient pu en tirer gloire. 48 Certains des arguments de Larramendi seront repris par Sabino Arana Goiri, mais le jésuite au XVIIIe siècle avait vu plus clair que le Biscaïen ; par contre Sabino, l'époque étant plus propice, créa un Parti Nationaliste Basque, qui diffusa son idéologie de manière plus efficace. 49 L'originalité de l'analyse larramendienne réside dans la définition et le projet d'organisation d'un état basque, d'une identité politique euskarienne, thème sur lequel il est le premier penseur, mais sa notion du nationalisme n'est pas celle plus stricte, économiquement mieux définie, des XIXe et XX e siècles, c'est le fruit antérieur à la bourgeoise Révolution française de 1789. Cette idéologie n'est pas sans rappeler l'utopie que les jésuites réussirent à maintenir parmi les Indiens guaranis sur les confins de l'Argentine du Brésil et du Paraguay et que le film « Missions » de De Niro a tenté d'illustrer. 50 Par contre la réflexion du père jésuite sur l'histoire basque est encore imprégnée des théories de la Renaissance sur le tubalisme et le cantabrisme, malgré les judicieuses observations de l'historien Oihenart dans sa Notifia de 1638 ; enfin sa vision de la langue basque est presque totalement inspirée, par les écrits inédits en euskara – antérieurs à son œuvre – du Docteur Etcheberri de Sare et qu'il reprend, parfois, mot pour mot. Ce dernier vécut à Vergara au Guipuzcoa : en effet, nous savons que ses manuscrits du début du XVIIIe siècle passèrent entre les mains de Larramendi. 51 Quant à l'idée que le basque s'était parlé dans toute l'Espagne elle provient des écrits du licencié biscaïen Poza au XVIe siècle et de l'œuvre d'Esteban de Garibay, historien du roi d'Espagne à la même époque, idée répétée au cours des siècles malgré les doutes scientifiques émis, dans ce cas encore, par Oihenart au XVIIe siècle.

BIBLIOGRAPHIE

COLLECTIF (bilingue) sous la direction de J.A. LAKARRA. Manuel Larramendiren mendeurrena (1690-1990) Andoain, 1992

Lapurdum, 2 | 1997 116

ETXEBERRI Joanes, Joanes Etxeberri Sarakoaren lan hautatuak Ed. Kriselu Lur Donostia, 1972 (manuscrit de 1715) Traité d'enseignement du latin et du basque.

EGIATEGI (Jüsef) Lehen libüria edo Filosofo Heüskaldünaren Ekeia (1785), Txomin Peillen, Ed. Euskaltzaindia, Bilbao, 1983.

LARRAMENDI (Manuel de) S.J. De la antigüedad y universalidad del Bascuence en España, Salamanca 1728 - El imposible vencido. Arte de la lengua vascongada, Madrid 1729 (grammaire) - Discurso historico sobre la famosa Cantabria, Madrid, 1736. - Diccionario trilingue Castellano, Bascuence y latin, Donostia, 1745 - Conferencias curiosas politicas, legales y morales Sobre los fueros de la M.N. y M.L. Provincia de Guipuzcoa. (1745-1765) Publiées pour la première fois aux Ed. Edili Donostia, 1983.

OIHENART Arnaud Notitia utriusque Vascoiniae tum Ibericae tum Aquitanicae, Paris 1638.

PEILLEN Txomin, « Jüsef Egiategi Larramendiren zuberotar jarraitzailea » [Egiategi disciple souletin de Larramendi] in Egan, Donostia, mars 1963. « Jüsef Egiategi historien -philosophe de langue basque au XVIIIe siècle », Bulletin du Musée Basque, 2e trimestre, Bayonne 1984. « EuskaI aberri ezagutza ideologia testu ta literaturaren bitartez » in Ernaroa, Deustu-Bilbao, 1985 [historique de la conscience nationale basque par les textes idéologiques et la littérature].

POZA (Licenciado Andres de) De la antigua Lengua Poblaciones y Comarcas de las Españas, Ed. Mares Bilbao, 1597. Ed. Castilla Madrid, 1959.

INDEX

Thèmes : littérature, science politique Index chronologique : 18e siècle Mots-clés : identité, Larramendi Manuel de (1690-1766), nationalisme

AUTEUR

TXOMIN PEILLEN

UPRESA du CNRS - UPPA [email protected]

Lapurdum, 2 | 1997 117

Joañes Castet-en-Kantu Kahierra (Oztibarre, 1936)

Charles Videgain

1 Gure eskuetara jin kantu-kahier bat aurkezten dugu ondoko orrialdeetan. Oztibartar batek atxiki zuen kahier hori lekuko gisa argitaratzen dugu : kantu frango ongi eza- gutuak izanik ere, beste batzu badira ahatik, ez bagaude oker, nehungo kantutegietan agertzen ez direnak.

2 J. Castet nor zen aipatu eta, kahierreko kantuen hitzak emanen ditugu. Ohar zon-bait eginik grafiaz eta testuetaz, ez ezaguntzat jotzen dugun kantu baten aldakia aipa-tuko dugu, Ziberoko Urdiñarbe herrian bildu baitugu. 3 Kahierraren jabea gure osaba Joañes Castet (1915-1981) zen. Larzabalen sortu zen aitamak herrian etxetiar zituela. Oztibarreko lurretan egon zen familia, Larzabaleko Phagolateian eta Jaureian, Jutsiko Amestoian, edo Arhansusiko Zolakian. Joañes Castet 1936ean soldado egon zen Bordelen hemengo kahierra izan zuelarik ; gerla-denboran Alemanek preso altxatu zuten beste hanitz bezala. Gerlatik landa guziz ezaguna egin zen garraion eta otobusgoan lanean hasi baitzen, lehenik Ondarts etxean Donaphaulen eta laster beregain, merkazaleak Donibane-Garazira, Maulera, Baionara eta Donaphaulerat aste oroz garraiatuz, bera beti xofurgoan. Berantago eta merkatuen mugimendua ttipi-tuz zoala. eskolierren biltzea eta SNCFko ibilbideak hartu zituen, Hiruak bat deitu batasuna Donaphaulen sortuz Oraarreko Detchart eta Landibarreko Haramberry lagu-nekin. Bere egoitza Donaixtiko Ithurraldean kokatua zuen. 1981ean hil zen. 4 Eskerrak emaiten dizkiogu hemendik Joañesen alarguntsa Marie-Thérèse Ayçaguer Uhartiarrari kahier hori gure eskutan utzirik. 5 Nolakoa ote da kahier xume hori ? Eskolako kahierra da, 17x22 zentimetroko for-matoa erakusten duena ; pixka bat higaturik, kanpoko azala galdu du eta 94 orrialde baditu : lehenbiziko 48 orrialdeetan 23 euskal kantuak emaiten ditu, lehen orrialdean liburuaren jabea aipatzen duelarik. Hogoi ta hiru euskal kantuen ondotik orrialdeak xuriak egon dira salbu ahatik azken bi orrialdeetan frantsesezko La valse des artilleurs

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kantua hor agertzen baita. Ez ahantz 196e R.A.LT. artillerako armadako errejimentua Bordeleko Nansouty kasernan zegoela. 6 Denboraren poderioz paperaren kolorea histu da bainan aski ongi irakurtzen da testu gehiena. Luma bat bera izan da kantu guzien idazten erauntsi dena testu batean ez ezik : Letxeroen kantua bestek idatzi du. Lau tinta agertzen dira ; briulet eta urdina haboroenik, gorria eta beltza ez hainbeste. Zuhaldegaray deitu lagun bat izan diteke kahierra idatzi duena. 7 Izkirioa aski garbi eta itxura oneko dela diogu : Casteten izkirioa ez da. Ahozko kultura aberatsa zuen Joañesek ; aldiz izkirioz nekez baizik ez zen ari. Luma atxiki duena Casteten eskua ez dela izan segurtzat daukagu. Aldiz ez dugu zuzen jakin ahal izan kantuak lagun batek kahierrean nolaz edo zergatik idazten zizkion. Ez dakigu ere bestalde hori usaia zabaldua zenetz soldadoen artean, edo oro har aise idazten ez zute- nen artean. Uste izaiteko da laguntza mota hori ez zela arraroa. Bestalde, segur aski, norbaitek kantatu arau idazten zuen idazkariak, ondoko kantuak ez baitira kopiatuak izan beste testu idatzi batetarik, itxura guzien arabera. Gerta zitekeen beraz Castetek edo beste lagun batek kantua abesteak, ongi idazten zuen batek paperean emaiten zue- larik kantua entzun arau. 8 Horra kahierrean agertzen diren kantuak. Grafia ez dugu aldatu. Ekartzen duen titu-lua parentesien artean emaiten dugu : 9 1. Milla zortzi éhuneta hamalau garrena [galerianoarena] 2. Hemen ...... [Ainhizarra] 3. Bi hertzu nahi nuzke nik égun moldatu 4. Sor leklma dut Frantziac duen eskual [herri] ederrean 5. Mila zortzi éhun eta gehiago duena [Bankako nexkatxa] 6. Primaderan dira gora arbolak oro lilitzen 7. Ourcho churi polli batbaigorrin sorthua (Baigoriara) 8. Atfiarase jauregian bi sitroin doratu 9. Argisari ederra argi egidasu (La lune) 10. Anderia ikus nesasu kampaan gaiski naisela 11. Izena dut Pierres deisten eliseri (Saint-Just-Ibarre) 12. San bartolomé arratsian milla francatik jitian 13. Arrosak eder floria ederago coloria 14. Lili polit bat badut nik 15. Cantore berri cliarmant batsuen hastera noa kantatzera (Luzaidiarra) 16. Ibarlan baditugu kantore berriak (Ibarlarra) 17. Sortus geros gusiek sordugun hiltzia 18. Charmegarria nik zure berririk ezdut 19. Hogoi garen urtherat ari naiz hurbiltzen [gastea hiltzeat doana] 20. Zazpi zortzi bertsu berri nahi ditut ezari (Bi gazten kitatzea ?) 21. Suyet eder bat deklaratzen dut gastek exemplu liartzeko 22. Amerika hortako esne saltzaleak (Ameriketako letxeruaren kantuak) 23. Kantuz emanizan tut zenbaiten berriak 24. .La valse des artilleurs 10 Ondoko orrialdeetan kahierraren testua emaiten dugu.

11 VIVE LA QUILLE (30 au jus) Cahier de chansons Basques appartenant à

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Monsieur l'Ordonnance du Commandant Médecin Fouchet dénommé M. 3Larceveau et faisant actuellement son service au 196° RALT à Bordeaux. Caserne Nansouty Cahier destiné à Melle [& ..] Boniche à Bordeaux à Bordeaux le 18/5/36. Certifié exact [signé illisible] 12 [1] 1. Milla zortzi éhuneta hamalau garrena Ni hatzparnen prejo hartu nindutena Poma gaineko prima orok dakitena Galeretan higatu berko naitzena 13 2. Kantazera banoa alegera gabe Probetchurik ez baitut trichtaturik ere Nihun deujik ebatji gitzonik hilgabe Sekulakotz galerak ene tako dire 14 3. Huna sorigaitzezko primu itzaitia Harek ekari baitaut bethiko galtia Aitari galdeginik etcheko partia Galeretan emanau hau da ene dotia 15 4. Aita dut aitzineko arreba ondoko Otsaba puyes hori diru fornitzeko Ez ordia enetako bi seï liberako Galeretan bederen leher egiteko 16 5. Ene lehen kutjia Kayet borda churi Fagoreat banuke egiteko zuri Ontgi adressa zaite enen arrebari Ene galtzeko zombat eman dautzun jarri 17 6. Gure aitada gitzon kontjideratua Semia galeretan du segurtatua Nunahi othoitzian belhaunikatua Iduri Jeindu duzu madarikatua 18 7. Elitzara doatzi debotzionerekin Iduri doatziela jeindu gutziekin Bere libru eta arrojoriekin Deruak bejta hunik étgitendu horiekin 19 8. Sortzi garen bertjua anaya hiretako Konjellu bat banikek hiri emaiteko Gobema hadi untja ezauk dolutuko Nibaita etjemplua erech duk hartuko 20 9. Kantu hauk eman ditut Paueko hirian Burdinaz kargaturik oï prejondegian

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Bai da kotpiatu dembora berian Gaztek kanta detzaten ahastparne herian 21 10. Hamar garen bertjua orok kantatzeko Ene gaste Iagunek etjenplu hartzeko Eta partikulazki aita zuretako Kantu hauk aditztan semiaz orroitzeko Fini 22 [2] Airea : [orri puxka bat falta da, doinuaren izena eta lehen lerroa ez direlarik irakurtzen] 1. Hemen ...... Casernan sarthu nintzan Bordeleko hirian Astearta zen eta Urriko hoita bian 23 2. Herritar bat ere badut enekin betan jina Etcherry Martty du harek bere izena Lagun hoberik izaitea da ezin daitekena 24 3. Sortzi garren egunean ez untsa gerthaturik Infirmerian eman naute bronchita baten gatik Oraino hemen nago ongi eneaturik 25 4. Ganbara handi bat dut eta lau ohe laguntzat Kadrerik batto ez dut murru gamigailutzat Trichtezia handi bat da segur hoi enetzat 26 5. Omniasaindu eguna kantuz hasi nintzena Herriaz orhoit eta oi bihotzean pena Ganbaran egon behar duk hauche duk ba lastima 27 6. Seinhuak entzuten ditut dorretik errepika Ikusten ere ditut hantchet ene herri & & [bazterra falta] ...... ederrentan 28 7. lau...... pentsaketan emanik Begiak busti ditut orotaz orhoiturik Othoitz bat ere segur bihotzain erditik 29 8. Kurutze arin hori nik gogotik hartzen dut Urrikiz betherik nago hutsak egin baititut Jauna zarela laudatu eskerrak derauzkitzut 30 9. Ainhizan sorthua naiz haunditua ere ba Carricart deitzen eta Mañech izen ttipia Eskualdun seme eta girichtino nahia fini.. Souvenir de Jean Recart 31 [3] Airea : Lili bat ikhusi dut baratze batean 1. Bi bertzu nahi nuzke nik égun moldatu Bainan ez nuke nahi nehore kolpatu Ez baitut entzun nahi naitzenian zahartu Gazte denboran naizela bertzetaz trufatu 32 2. Nahi nuke hemen ongi esplikatu Zer bizi dutan nik gaztean phazatu

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Izar bat ezagutu bai eta maithatu Bai eta oraialdiz elgar haztiatu 33 3. Bi lerro sauzkidan harek ichkiatu Ez duela munduan bertzerik maithatu Bai eta orai aldiz hark nau akuzatu Haren konfïdentzia dudala trompaturik 34 4. Unhe bat badu laster zintudala maithatu Bainan gerostik dira egunak phasatu Zure letra politek naute ni dudatu Bai eta askenïane arrunt khambiatu 35 5. Amodioak baitu ainhitz kalitate Fidela ez denian zanyatzen da fithe Guk ere gindion élgar gindiela maité Gauza bera guretzat erran bailitaké 36 6. Maitia hemen nago bizitza trichterik Faltzuagorik ez dela orai suk erranik Nola atheraturen naiz atheka huntarik Laguntzen ez banau yainkoak beguirik 37 7. Bada bai munduan arima noblerik Anhitzez gehiago kontzintzia gaberik Zure arabera bainaiz ni horietaririk Enetzat ez da izanen oi salbamendurik 38 8. Erran baiterautazu nautzula maithatu Berze guzien artetik ere ba hautatu Zertako nuzu beraz zuk hola chekatu Hortan zira gaichua ederki trompatu 39 9. Baitzindion etzela munduan zortherik Bakhotchak berak nahi duenaz bertzerik Zuk ere hori zinnuen bai dejiraturik Quontent zarenaz geroz urrunduz nitarik 40 10. Ez dautzut egin nahi hemen mehachurik Nik bertzen yujatzeko ez dut kurayerik Bada lurrean oraino bai nitaz bertzerik Maithatuko duzuna oi ni ahantzirik 41 11. Khantu hok eman ditut Bordelé hirian Aizina n'en basez errechimendian..... Zorionik othé den nago ni mundian...... Nola bizitziaoi libertatian...... (Souvenir d un copain. Fini) 42 [4] 1. Sor lekhua dut Frantziac duen eskual ederrean (sic) Neure ait-améc altchatu naute girichtiki haurean Hastapeneko urthe gochoac hemanic heien aldean Orai hemen naiz Californian desertu baten erdian Gau egun oroz arthalde baten alhatzen mendi gainean

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43 2. Aurthen bi urthé hala beharra herrirat nintzan agertu Izar bat charmagarria laster nuen ezagutu Ni hartaz eta hura nitaz ongi ginen agradatu Beldurez bertzek hauta zezaten ezkontzaz nuen galdatu Bizi guzikotz enia zela eman zautan arapostu 44 3. Egin gintuen biek botuak esposlagun izaiteko Bai eta ere tinkatu eskuak bethi fidel egoiteko Erran zerautan sinhetz nezazu nik etzaitut ahantziko Lehenago dut zure gatik odola guzia ichuriko Ene bihotzian emana zaitut eternitate guziko 45 4. Zorigaitza ezin egona nik maitiaren aldian Hura behartzen bizi hirian eta ni mendigainean Ikusterat ene juaiten nintzan bethi ahal nuenian Eraztuño bat erosi nion eta ezari erhian Hari behatuz kontsola zadin ni falta ninduenian 46 5. Bizi guzian orhoituren naiz juanden erramu bezpera Orduan ere juana nintzen maitiaren ikustera Gauazko zortzi orenetan heltzian haren etcherat Athé chilotik behatu nion sartu gabe sukaldera Jaun gazte baten ondoan zagola gochoki maite fidela 47 6. Ichil ichila nintzan sarthu ni maitiaren gana Elgar ginuen besarkatu eta eman musu bana Ordu berian ohartu nintzan nik erosi erhaztuna Jaun gazte harek zabilala beré eskian emana Lantza ukaldi bat bezala zautan sartu bihotzian barna 48 7. Aratzartzeko aphairua biharamun egurditan Izar hura zen nahi lurian jaun gaztiaren aldian Ez nuen jaten ez edaten han nindagon errabian Eta ni gaicho trichtia arrotz guzien erdian Bihotzak zautan zampaka jotzen eta nigarra begian 49 8. Aphairua akabatu eta etzen ez nitaz orhoitzen Jauntoarekin alegeraki egon zen.... Aski dembora elgarrekin egon eta jaun hura atheratzen Ordu berian maitiaren gana ni ere agertu nintzen Eta erran nion zendako zuen bertce hua preferatzen 50 9. Intzun orduko zen hegaldatu ene besoen artera Ez etzuela ni bezen maiterik sinhesten ahal nuela Solas guziez hatz perahen zeinetan zuen ikara Bere gaizki lotsagaria ez baitzezaken deklara Azkenian bortchatu nuen egiaren erraitera 51 10. Berriz ere erraiten zautan ez dut zu bezen maiterik Bainan ere ezin bertzian behar naiz urrundu zure ganik Zorigaitzian eroria zuri fidel ez egonik Fruitu baten esperantchetan gerthatzen naiz bertzen ganik Sabela barnian hezur biziak seinditzen ditut jadanik

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52 11. Orhoitzen zirea egun batez eginik juramentu Ez zinuela nitaz bertzerik behar mundian maitatu Nahiago zinuela zuri odolaz gabetu Ez zira ez gabetu baian bertzetarik emendatu Nik jakin gabe nahi jostatu ederki zira trompatu 53 12. Infidelak izan dira mundia hasiz geroztik Ebak ere zuen jainkoa maitatu orozgainetik Bainan sugeak enganatu fruitu janarazirik Zu ere zira bertzer fidatu ni maithé ninduzulaik Enetzat zinen maite pollita izan ez balitz bertzerik 54 13. Orhoituz eni eman duzula sekulako trichtezia Fruitu hori ongi alhatuz egizu penitentzia Ez emaitekotz su garretan etemitate guzia Orai beretik imita zazu Madelenaren bizia Nigar eginez ardietz dezazun jaun jainkoaren grazia 55 14. Adios izar ederra uzten zaitut sekulakoz Pasatu ditugu oren gochoak bethi ere oroitzeko Hamalau pertzu ezartzen ditut gaztek etsemplu hartzeko Nechkatchen promes ederreri sekulare ez fidatzeko Hitz emaiten ez nautela bietan inganatuko Fini Souvenir d un grand copain 56 [5] 1. Mila zortzi éhun eta gehiago duena hiruetan hogoi eta hamalau garrena Sérioski izan dut numbeitik ordena Pertsuen pagatzeko har dezadan pena. 57 2. Pertsuen pagatzera orai abian niz Suietak nola diren informatu bainiz Jelosguan bizida neska gazté ainhitz Nik ez nitzazké salla publiko ez balitz 58 3. Publiko da Bancan nechkatchen solasa Oraino ez baladi aintzinago paza Sinhesteko maneran izan dut abisa Joka arizan direla adichkidé gisa 59 4. Adichkidé bezela behar zuten izan Elgarri mendekatzen ez baliré arizan Ez da gauza propia samurtzia phatzan Bakotchak beré faltak beharkotu jesan 60 5. Zer erran ez dakiké gazté inozentak Punitu behar luzké gure prejidentak Numbeitik heldu dira holako sujetak Guzien jujatzalé dira mendisentak 61 6. Medisentzia hori ez da ene aldetik Bainan salhatarian badira nunbeitik

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Behin edo bietan entzun dut egun goitik Neckatchak dabiltzala mutillen ondotik 62 7. Nechkatchak gerlan eta mutikoak baké Amoranten, solasa dabilate merkhé Beharbada zombeitek fortuna egin duté Eta bertze batzuk sekulako neké. 63 9. Coleratu zirela dudarik han ezta Bainan pena guziak ezin manifesta Ofisiale onak badu arrakasta Barnetik eri dena sendatzera presta 64 10. Zombeit hunkitzen dira oraino suyetaz Nok eman dio kondu obra horietaz Erramu den bezala ni segur naiz hortaz Ainitz lazo badela aitamen faltaz 65 11. Nechkatila gaztian eziztela fida Bertzen deshoratzen gaizki ari dira Aropa largo hortan lanjeros baitira Serioski liberti goitzik erretira 66 12. Obeditzen balira ama eta ama Ainhitz delikatu bitaké gaztiaren kreita Bertzen satifatzia imposible baita Imprudentik ez daiké bihotzetik maita. 67 13. Gaztiak badabila mila pentzamendu. Geroko segidari egin beza kondu. Bakotchak bere falta jesan beharko du Penatuko bada ere nahi du ezkondu. 68 14. Ezkondu eta gero aihitzak malhuruz Elgarrekin disputan gau eta egun oroz Amodioa diruz ez ditaké uruz Neké da maitatzia hastiatuz geroz. 69 15. Geroko lanjerrari ez dira behatu Comeni den bezela nahi dut déclaratu Uruski ez baluzté gizonek beiratu Norbeitec behar zuen larrutic pagatu. 70 16. Larriaren izaitia ere ez da aski. Nagusi denak ere badu abantailik aski Compainian zirenek badakité naski Soldado huna zela bat partikulazki. 71 17. Guzien galgarri da gurré urgulua Hunac ez du nahi gaiski ibilia Izpirituz goberna denboraz balia Aisiago haziren du bere familia 72 18. Comeni florian da amodio duena Guziec hobé ginuké holaché bagina Odolaren phizteko jiten da adina

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Aisé conda ditaké hoalako changrina Fin 73 Zuhaldégaray

74 Biba : Garazi. Aujourd hui je suis heureux d avoir écri ces quelques lignes, parce que je me trouve en compagnie de deux autres Basques. Mais quand même mon coeur est triste à la pensée de savoir notre dévoué ami Pochulu à l'Hôpital avec un bras-cassé. signé : Zuhaldegaray 75 [6] 1. Primaderan dira gora arbolak oro lilitzen Lilia denian agertzen yendia alegeratzen Fruitua hundu denian lurerat erortzen 76 2. Mendia bethé belharez begithartia nigarrez Lan eginez urriki dut bainan probechurikan ez Orai hemen niagossu sabeletik minez 77 3. Erramiaren ostua bethi berde diagossu Besten dako erraitekuak lehenago ukan tusu Orai aldis suretako nork ukanen esdu 78 4. Ene maite pollita so eguidassu leyhora Eta ez ukhan herabe bortharen idoikizia Espresuki yina nusu sure ikhusterat 79 5. Baratsian udare ez nikisi ez herabe Beste maiterik indusula jakin isan dut nik ere Bestela idok niosu dudarikan gabe 80 6. Ene maitia ser dusu sek hola trichtasen saitu Berse maitiak oro utsirik sure galde heldu nusu Ni suria nusu suk nahi baduzu Castet [siñadura] Fin 81 [7] Baigorriara 1. Ourcho churi polli bat baigorrin sorthua Urgulutan ginduen gaichua sorthua Nahi zuen abilki trompatu mundua Bainan bera isanda ongi kolpatua. 82 2. Ourchuaren bisia charmegarriasen Haren parerik ez da munduan agertzen Bijia bat bezala beti elisan sen Kolperik basuela nork suen pensatzen. 83 3. Ourchuaren bisia elisan sen dena. Nun nahi othoitzian ahuspez emana. Hura saukaten jendek saindu handiena Galdu isan ez balu hegalpetik luma.

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84 4. Amodiotan nintzen nechkatcha harekin Hitsemanak ere ba biak elgarrekin Soaste fidatzerat oraiko gastekin Ez dela eskonduko eran daut enekin. 85 5. Nechkatcha harek eguin du eni etsamina Esin disimulatuz bere hutz egina Ez duela segituko eran daut aintzina Sertako hitseman daut inochent arima. 86 6. Amodioak badu ainhitz kalitaté Fida ez denian sainatzen da fité Ene maite pollita nitaz orhoit saite Oraino ourikitan isan baisitazké. 87 7. Ondoko urrikia deuz esdu balio Bihotzari changrina emandatzen dio Maitia ez nindusun demboran hastio Orai ez dusu enetsat hambat amodio. Fini 88 [8] Atharatzeko kantu 1. Atharase jauregian bi sitroin doratu Hongriako erregiak batto du galdatu Errepostu ukhan du ez direla hondu Hondu direnian batto ukanen du 89 2. Atharatzeko hiria hiri ordoki Hur handi bat badu alde batetik Erregue bidia erdi erditik Maria Madalena beste aldetik 90 3. Aita saldu nausu idi bat besala ama bisi ukan banu aita su besala e nindusun ez juanen hongrian behera Bena ba eskonduren Atharratze Salharat 91 4. Ahispa juan site portalialat Engoitik jinen dusu hongriako erregia Hari eran ezosu ni eri nisala Saspi ourthe huntan ohian nisala 92 5. Ahispa enukesu ez sinhetsia Saspi ourthe huntan ohian sirela Zaspi ourthe hountan ohian sirela berak nahi dikezi jin su ziren lekura 93 6. Ahispa ezarasu aropa berdia Nik ere esariren dut ene churia Ingoitik hor dussu hongriako erregia Botzik kitta sasu sure zor lekia 94 7. Aita juanen gira oro elgarrekin Etcherat jinen sira changnna handiarekin

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Behotza (sic) kargaturik begiak bustirik Eta sure alaba thomban éhortsirik 95 8. Ahispa soasi salako leyhorat Iparra ala hegua denes jakiterat Iparra balimbada goraintzi saldari (sic) Ene gorputzaren cherka jin dadin sarri 96 9. Atharratzeko seinia berrak erepikatzen Hango jende gasteria belches da beztitzen Andere santa clara handik phartitzen Haren aspiko samaria urhez da selhatzen Souvenir 97 [9] La lune 1. Argisari ederra argi egidasu Bidaya luse batian juan behara nuzu Maitia nahi nuke gaur behin mintsatu Haren ganatu arte argi egidasu 98 2. Lotara sireya losare polita Lotara es basira so egisu leyhora Eta egiaz mintsa oi izar charmanta Heya sure aita den engoitik lotara 99 3. Aita lotara bias ez isan dudarik Egiaren erraiteko oi ama ez dakit aitaren besain beldur amaren beharniz ene guardian baitaude lo guti eginik 100 4. Nekaturik heldu naiz bide luse huntan Urhas pausu gusiez bethi pentsaketa Athorra bustia dut bulhar errainetan Idortu nahi nuke zure ondogno hortan 101 5. Athorra bustia hori gareya esasu Nik hola manaturik bustia ez dusu Eta berris caldian suk condu emasu Bidiaren burian nahi situsten su 102 6. Es dea bada pena eta dolore Ni hauren maitegñoak hola suntsitzia ametz bat bezala egin dut zure maitatsia Es dea deitoragarri hola en (sic) enganatsia Fini Souvenir 103 [10] 1. Anderia ikus nesasu kampuan gaiski naisela Eskugno bates tira nesasu sure gambera hortarat Segeretu bat nahi daisut kondatu ene manera 104 2. Suri eskuaren emaiteko ku yarikan es dut nik Ene gamberan ez dizit sekula fidatu isan gisonik Fidatu isan direnen dako berri gaichtuak entsunik

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105 3. Lilia churi lilia gori charmegaria zirare Bihar berian jar banindadi bi erresuman jabe Horic oro jeus ez laiste ene maitia su gabe 106 4. Polita sira charmanta sira agradamendus betia Sure eskutik nahi nikesi bisi naizeno ogia Osua ez badite [?] ene maiteno baten erhia [?] Souvenir Fini 107 [11] St Just-Ibarre -1- Izena dut Pierres deisten eliseri cantasera noa zoibait pertsu berri Mila mila goraintzi nahi dut igorri Ene askasi eta esagun orori. 108 -2- Cayer berri bat disit orai inprimatsen Ene penak ser diren huntan deklaratzen Lehenagoko dembores orai nis orhoitzen Eta ene bihotza hayek du trichitatzen. 109 -3- Nuen deliberatu bai eta komplitu Hamasaspi urthetan frantzia kitatu Ama maitia etchian nigarres gelditu Hayek serautan eni bihotza hunkitu. 110 -4- Urrikaltzeko baita aita amen pena Haurak hasi ondoan orok abandona Gorarik beha dago salbaile jauna Harek lagunduren du justo dabilana. 111 -5- Leku aberatsa da famos amerika Frantsiatik heldu da jendia milaka Balakite ser diren amerikak untsa Hoinbertsek ez liote itsasua pasa. 112 -6- Soinbait ait-amen seme miserauble Bada ameriketan moyenikan gabe Balute frantsiatik diru eta galde Soinbeit mila presuna balitsaite (?)juaile. 113 -7- Es gira itsuliko menturaz sekula Osagariarekin gure sor lekurat. Sosik ez dugu eta denbora badoa Horra montebideko mutilen mudua. 114 -8- Donajustitik landa lehena ibarre Arrangura gusiak eniak han dire

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Nik han ditut aita amak aurhidia barne Bai eta bildotchgno bat senalerik gabe. 115 -9- Bildosa utsi nuen otsua gidari Harek arrapatsen badu eginen du auhari Nik ere pasutu dut gose bai egari Contserbatu beharez bildotz eder hori. 116 -10- Hain baita charmagari ene bildotz hori Parerik baduela ez baitsaut iduri Ilia du beltcha lau hatsetan churri Hortarik desir nuske bospasei achuri. Fini. 117 [12] 1. San bartolomé arratsian milla francatik jitian Hirru mutil gastek eman dituste bersu berriak bidian Muguere hortan ser guertatu den Aphirilaren erdian 118 2. Barber gastia adisassu othoi phatser baduzu (sic) Eritasun gaichto batek acabihur niaucosu Erremediorik badusu Orai beharretan nusu 119 3. Emanesadasu escua, icu desadan foltsia Sukarik ére ez dusu eta esti daukasu larrua Nuntik eré sofritzen dusun Eradasu othoi egia 120 4. Erran niosu eguia suprenï ez baladi mundia Aspaldian mintso dusu plasa horietan yendia Oillachko luma hori horrek duen kafia 121 5. Oillanda luma horria har sasu pasientsia Sei edo saspi ilabethe huntan gaitz Bederatzi hararetako [?] : seriosian sira Sendaturen ahal sira : Fini 122 [13] 1. Arrosak eder floria ederago coloria Sure gatik kita nesake bisi naisen herria Zurekin isaitia gatik oi isar charmegarria 123 2. Saspi urthe baditu uda huntan konplitu Amodio perfeit batez sindudala maitatu Bainan orai beldur nusu saukidan kambiatu 124 3. Eri nusu bihotzez eraiten dausut bihotzez Sukar malinak harturik nago su zukan beldurrez Othoi othoi har nesasu hil ez nadin changrinez

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125 4. Eritasun ororen kontrako erremedio badire Sukhar malina balinba saisu zerbisa saite barbarez Eta ez jin ene ganat ni mediku beharez 126 5. Ehastun bat badu nik bere ederez harturik Hura ikusi arteraino zure erhian sarturik Ene bihotzak ez du isanen mundu huntan plaserik 127 6. Erhastuna badusu bertse norbeiti emosu Ene ganat jinik ere probechurik ez dusu entseya saite bestetan eta emplega ahal badusu 128 7. Kitatsen nusu beras bihotzaren erditik Thomba bâtera banoasu ehortera bizirik Bestegnaz ez du ene bihotzak isanen deskantsurik 129 8. Hola maite banusu serbeit marka emadasu Bai an gero desplaserik emangogo badusu Nahiago dut hemenberian hurez estal nesasun 130 9. Horra beraz fedia suria nusu gusia Nitas satifatsen bada sure bihotsa den gusia Othoitsen saitut ene maitea esauskidan kambia souvenir Fini 131 [14] 1. Lili polit bat badut nik Aspaldian begistaturik Bainan ez naite mentura Haren eskurat hartserat Baitakit serden lanjerra Hari behatsia sobera. 132 2. Lili ederra behasu Maite nausunez errasu Sure begiek ene bihotza Barnarik dute kolpatu Colpe huntarik badu nik Makur isaitea hirisku. 133 3. Pena nikesu ni gatik Balibasindu makkurik ez nuke uste ene begiek eman dautzuten kolperik ez dusu beraz lanjerrik ez zira hilen hortarik 134 4. Mintzo zirade poliki Poliki eta dendreki Bizitagno bat nikezi Su ganat nahi laburki Desira badut segurki Bazinedazat permeti.

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135 5. Permeti niro maitea Ez du hain bihotza dorpia Bainan lehenik nahi dut Jakin sure gogoko berria Su ene ganat jitias Estona laite mundia. 136 6. Ez ahal nusu printzia Ez eta aitonen semia Hola nerhoren estonatzeko Ez da sujet bat handia Su hain sirare chimplia Ilusionez bethia. 137 7. Badakit chimple naizela Hori segurki hala da Iduritzen zaut atsulutoki Ezagutzen naizula Nik ere badut fortuna Bainan ez dut ez suk emana. Souvenir Fini 138 [15] Lusaidiarra 1. Cantore berri charmant batsuen hastera noa kantatzera Ignorant denik balimbada guziek jakin dezaten Isar eder bat badakissue orok badela Lusairen Gaichua hasi da trichtatzen. 139 2. Jinko Jaunaren probidentsia ez deya bada handia Irauteko plasa hortan holako originablia Isar eder horrek meresi luke ederki adoratzia Offeri bat emakossie mirra edo gizentsua Ahal duenak urhea. 140 3. Barber gazte bat jiten omen da espainiako aldetik Izar eder horen kontsolatzerat erremedioz betherik Barber gazte horrek eginen othe du oi mirakulurik Erremediauk egin ditu bainan utzi du penaz betherik Eta gaichua trichterik 141 4. Contseilu bat banikezi charmantik emaiteko suri Barber gaste haren ganikan ez balibasira eri Nahi balinbadusu kontzerbatu sure argi eder hori Gesour sonbait errakosu eta katsa hori Eta ez fida nehori. 142 5. Amodiotan den presuna ez bethi aldegera Plaser besainbat penarekin pasatzen du dembora Ni ere hementche niagosu galdurik neure odola Maitea gabe mundu huntan ni ez naiteke contzola Hilikan ere esdut achola. souvenir Fini

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143 [16] Ibarlarra -1- Ibarlan baditugu kantore berriak Suyetaren conforme dire essariak Ainitzetarik dira isan famatiak Declaraturen ditugu gausa passatiak. 144 -2- [...... ]ko alaba suri nais mintzatzen Yendia sutas baita arras estoniatzen Isena [& & ... ] ez dute ahasten Aurthen eskual herri gussian baitzuste aipatzen. 145 -3- Amegin hasi eta Donesaharrirat Arte hortako phasak etziren sobera Ilhun ondoan jiten sinen gibelerat Sure atzegina sen guardiekin etcherat. 146 -4- Amak erremedio egin sendotzeko Etzuten aski indar efetu egiteko Sainetan barna sartua sen gaitza orduko Eta demborarik ez aski handik jalgitzeko. 147 -5- Basko sahar goisian goisik argitu sen Fruitu doloresko bat mundura sorthu sen Haren sortze trichtias orok pena suten Burrego kriminelek gastigatu suten. 148 -6- Ene ama maitea suri niagosu Sure semia nisala kontzidera sasu Hasi nahi ez banuzu bataya nesasu Ene arimak hori galdegiten dausu 149 -7- Oi habil partiadi desgusta garria Ahalas jakin gabe mundiak berria Dakitalarik untsa hudala semia Ainitzez diat herabe bichtan sofritzia. 150 -8- Adios beras ama saude alegerarik, Sure desirak oro nitan compliturik Mundua kitatzen dut bai nahi gaberik Arras jalgi ere gabe sure sabeletik. 151 -9- Adios dautak erraiten furia haundian Eta ni plaser hartzen hori entzutian Epantchu iten hautan aspaldi haundian Orai ariko nuk ni neure aldian.

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152 -10- Desertuetan bada bai animalerik Ene amaren bihotza baino hobiagorik Nik isan banu beden ama heyetarik Mundu huntan bisitzia ez nuken dudarik. Fini. Souvenir. 153 [17] 1. Sortus geros gusiek sor dugun hiltzia Deusik ez da gure munduko bizia Kita kita desagun hemengo hausia Garbiki esamina gure kontzientizia Bertze mundian da gure justisia Asken setensia ser aren trichtia Eternitateko penaren lusia 154 2. Pena hetara geros ezda libratzerik Eternitatïak ez du finitzerik Sombat arima gaicho han kondenaturik Sekulan libratzeko ez esperanteharik Hetaz orai turik [?] gauden lasaturik Etsemplu harturik..... Nois nahi partitzeko mundu huntarik 155 3. Jaunak igoriren du serutik galdia Herioa du bere mandataria Harek erranez geroz juaiten ahal gira Gure seintzaliak han prest egonen dira Egin ditun ongiez bai eta gaiskiez Heyen arabera yuyaturen gira Memento lasgarriak ordian dira 156 4. Andre dena Maria birjina garbia Sure laguntsaren beharetan gira Seren ofentsatzen dugun gure gidaria Sure seme dibino eta jaunhandia Gaiten humilia denboras balia Eternitateas orhoitzen bagira Seruko athiak idekiren dira 157 5. Mundu huntako penak estira deus ere Bertzekuen aldian itzal baten pare Urtiak miliunka pasaturik ere Han esta errekompentsarik batere Seruko erregea oro suri gaude egisu fagore Handik altcha saite gure arima doloratuen jabe 158 6. Nahi balin basinu hil eta salbatu Arte huntan behar gira kombertitu Bekatu egiteko kostuma kitatu Lehenago egines urrikitan sartu

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Es berris lerratu ahalas beiratu Ongi kofesatu mais hiltziaz orhoitu Dembora juan eta es da probretchu Biba Garazi Biba Erligionia 159 [18] 1. Charmegarria nik zure berririk ezdut nihundik jakiten Sure ganako amodioak ardura nau orhoitarazten Ni zembat gisaz maluruz naizen duzia kontzideratzen Zutaz ardura aipatu eta bihotza (bis) zeraut nigarrez hurtzen ! 160 2. Nik zu maitatu zaitudan orena oren trichtia zena Gerostik hunat pasatzen ditut bihotzian ainitz pena Ni othe naiz munduan lehena Amodioak trompatzen nauena Ondokuen gatik gehio sofri nio nitan fini baladi askena (bis) 161 3. Othe da zeruan aigemirik elgar maitatzen dutenik Zu eta ene arteko amodioa bezain fidelago denik Ene penak ahantziren dira ni juanez geroz mundutik Bertze erregretik ez dut eremanen Charmegarria zuria baizik (bis) 162 4. Oh zer gauza lanjerosa den amodioa Gasten dako Ez dea bada bihotz gogor hori Ene ganat itzuliko Ala ni uzten othe nauzue hobe- chago baten dako Hak ere ez othe du berekin izanen Eguna gauaren ondoko (bis) X Infidel 163 [19] Gaztea hiltzeat doana 1. Hogoi garen urtherat ari naiz hurbiltzen Eta nere oinetan tomba dut ikusten Ni zertako mundura ethoria naitzen Ondikotz ez sortzea neuretzat hobe zen 164 2. Sekulan zoriona zer den jakin gabe Anitz du nik lurrean izan atsegabe

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Lore sortu orduko histu baten pare Bizi ustera guri naiz herabé 165 3. Ez ez nau izitzen ez ni heriotzeak Laster ken dezala bizia Yainkuak Beharkan (?) galdu ditut ene burasuak Zerden ez dut jakin etchekoen gozoak 166 4. Aita ama maiteak zertako mundutik Zerurat juan zineten ni hemen utzirik Ez dut nik mundu huntan izan sorioniksuslengurik Ez baitut ezagutu amaren musurik 167 5. Hamazazpi urthetan zorigaitz dorpea Izar bat maitatu dut parerik gabea Aingeru bat zateken zeruko umea ene bihotzetik juan deraut bakea 168 6. Nahiz aingeru ono ez duzun sekulan Munduan jakin zembat maite zaitudan Uros zarenaz geroz jinkoaren oinetan Ez nezala ahantz zure othoitzetan 169 7. Anaya bat banuen gazte nitzalaik Soldado juantzen eta nik ez dut berririk Aita amekin dela nik ez dut dudarik Niri begira daude hiruak zerutik 170 8. Ohitzen banarama nere oinazeak Burhasoen alderat deitzen nau sortheak Nork ditu arthaturen aita ama maiteak Zuen tomba gainean nik eman loreak 171 9. Nere gorputz flakoa lurerat deneko Nor othe da munduan nitaz orhoituko Nere ehortz lekura nor da hurbilduko Lore berririk ez da neretzat sortuko 172 10. Mendian hur chirripa harien artean Auhen eta nigarrez jausten da bidean Izan nahi bailuke zelai ederrean Hala nere egunak badoatzi lurrean Fini Harluchi 173 [20] Bi gazten kitatzea ? 1. Zazpi zortzi bertsu berri nahi ditut ezari Suyetak zer diren deklaratzen orori Pena changrina handietan orai sartzera noa ni 174 2. Aitak erran zautan niri utzak utzak neska hori zertako duk etchen hori zeren baita bethi eri Utzak utzak neska hori gostarik ere sernahi 175 3. Nik hari errepostia bainan ezti eztia Balinbada eria ez du bere nahia Haren gainean dut begia imposible zaut ustea

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176 4. Aita jarizen ordian bai eta furia handian Hori nahi baduk etchian biziko hiz heure phartean Ni ere inen nuk neurian jinkoak plazer duenian 177 5. Aita zaude ichilik zer behar dugu samurturik Ez dut nahi espusatu hura nahi dut kitatu Eta aita zu obeitu 178 6. Aratz hortan berian nere maitearen etchian Sartu nintzanean bai nigana begian Jarri nintzan kaderan neure maitearen aldean 179 7. Gauzak neraskonian ziren bezala kondatu Haur bat bezala nigarez gaichua zautan abiatu Biak eskuak emanik hantchet ginen despegitu souvenir Fini 180 [21] Sujet eder bat deklaratzen 1. Suyet eder bat deklaratzen dut gastek exemplu hartzeko Amodioa zoin lanjeros den gazterik hari lotzeko Izar eder bat hautatu nuen besuen arteko Behin bihotzian sartu zaut eta handik neke da ateratzeko 181 2. Amodio berria gazten zoragarria Hamalau urthe komplitu gabé erne nuen fedea Gerostik hunat gomendatzen dut zeruko jinko haundia Hura baitan ezarria dut ene esperantza guzia 182 3. Amodiorik duenak penak zer diren ez daki Ni gaichua aspaldian atakatzen nau bortizki Kontzolatzeko ene maitia ardura nahi ikusi Hura gabe mundu huntan ni ez naitake luzaz bizi 183 4. Arazoin duzu ene maitia ez gira luzaz biziko Behar baino ainitzez lehen girare tomban sartuko Behin maitatu zaitut eta ez zaitut hastiatuko Ene bihotzian sartia zira eternitate guzikotz 184 5. Dudarik gabe ait-amen ganik hori nuen merezi Zeren zaitudan guzietatik espos laguntzat berezi Desertaturik igortzen naute zure menetik ihesi Sure ganako amodioa nahiz arras galarazi 185 6. Ene ganako amodioa ez ahal duzu galduko Zuk utziz geroz ene maitea laster naiz tomban sartuko Emeki emeki ez othe dugu lan hori obtenituko Menturaz zure aita amak dira oh gutaz urikalduko 186 7. Despeditzean abiatu zaut beguietarik nigarra Adios beraz sekulakotz oi ene maite leyala Apeentziaz zu etzinen ene kin bizi behara Jaun zerukoak cherka dezala suk behar duzun bezalakua 187 8 Ez ahal zaude despeditzera hoinbertze urthen burian Batek bertziari gure manerak deklaratu ondoan

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Jakinezazu jende ukaturik ez dela sartzen zeruan Ez eta esposik ez nio hauta zutaz bertzerik mundian 188 9. Hombertze urthe bizi izan gira biak elgarrez agradoz Bai eta gero fite trichtatu ait amek jakinez geroz Amodioa zoin handia den diruz ez ditake uros Hori dela medio gare biak biziko agrados Fini Souvenir de Pierre Uhart n°118 route de Medoc, Le Bouscat Gironde 189 [22] Ameriketako letcheruaren kantuak 1. Amerika hortako esne saltzaleak (bis) Libertisionerako parerik gabeak Girichtinotasuna dira ikasiak Bathaiatzera dituzte guziek esniak Ez dire empatchatuko haur sorthu berriak 190 2. Errepartu egiterat, goizetan badoazi (bis) Beren kantinetatik eginez sombait jauzi Batian hartu eta bertzeari utzi Karruan ura frango barman esne guti Irakiturik ere ez da joaiten goiti 191 3. Omore ona dute, goizetik ardura (bis) Nork daki sombat aldiz trempatuz zinzura Bortaz borta oihuka bero letche purra Lauetarik hiru segurikan ura Ez du balio ezartzia berotzeko sura 192 4. Yuaden egun batian, zioten sonbeitek (bis) Gostuz edaten die sendo eta eriek Ordenatuz gerostik beren medikuek Ez die ezagutzen lauetarik biek Hobia edaten dutela kanpoan cherriek 193 [23] [3. Bertsutik hasten da] 3. Kantuz emanizan tut zenbaiten berriak Kantuz gustatu isan saut erraitia egiak Kantuz eman baditut noizbeit afruntuiak Kantuz barka bitzate ené bekatiak Kantuz eginen ditut nik penitentziak 194 4. Kantuz eginez geroz mudurat sortzia Kantuz behar dut ba egin yalitzia Kantuz emaiten badaut jainkoa grazia Kantuiz idekiko daut San Pedrok athia Kantuz egin dezada zeruan sartzia 195 5. Kantuz ehortz nezaten hiltzen naizenean Kantuz ené lagunek harturik airian Kantuz ariko dira ni lurian sartzian

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Kantuz frango utziko diotet munduan Kantuz edan dezaten nitaz orhoitzian 196 [24] La valse des artilleurs 1er couplet Dans le quartier qui sommeille encore Vient de sonner la trompette Lers artilleurs déjà remplkis d ardeur Au bat du lit sautent encore L adjudant n est pas loin Et méfiez-vous en bien Prenez garde aux quatre perles ! > 197 Refrain

198 C est la valse des artilleurs Que l on chante au bruit des tracteurs Dans les agrés et les mouflages Chacun chante avec courage Tout en songeant que bientôt On chantera aux échos : Vive la classe c est dommage Elle n arrive pas trop tôt. 199 2. Et le briquage commence aussitôt Chacun empoigne sa brosse Un bout de cire et on [tona bat bada paperean].... pour bien briquer le parquet... puis une autre sonnerie Que l on connaît tous ici Dans le quartier retentit Cest la valse.... 200 3. Puis le margis prend sa plus belle voix Pour crier d un air feroce Dans cinq minutes tout le monde en bas Tenue deux capote trois Tous les treillis sous le bras On se rassemblera En murmurant tout bas C est la valse.... 201 4. Puis patientons jusqu au bout Ou l instruction y en a mare Puis c est la soupe qui sonne Nous allons boire du bon vin Mais cruelle déception Le pinard n est pas bon Les fayots flottent dans le bouillon C est la valse des artilleurs.... Fin

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GRAFIA

202 Kahierrak dakarren grafia bere hartan utzi dugu, ulert ez daitekeen pasarte kora- pilatsu hainitzik ez duelakoan emaiten. Grafiaren aldetik, gauza arrarorik ez du era- kusten dokumentuak, huts zonbait kendurik.

203 Bokalismoaren aldetik, gehienetan [u] ‘u’ grafemaz ordezkatzen da, nun ez den arras gutitan ou grafemaz adierazten : ourcho, ourikitan, hountan, gesour, [e] soinua e eta é grafemez agertzen da. Azentua emaiten du egileak bereziki hitz-bukaeran : maité, othé, urthé bainan bestalde ere ; éhuneta, égun, égiten, déclaratu. 204 Bokalen arteko – i-ren ondorioa ‘y’ letraz adierazten da : puyes, Kayet, suyetaz, cayer... Bainan diptongoan ere agertzen da : leyhora, bejta. Izen berezietan, [i] baizik ez du adierazten y letrak ; Etxerry, Martty. Azkenik, herskari-igurzkari sabaikoaren berri emaiten du y letrak : yainkoak, yuyatzeko, yendia, yina, yua(n)n den nahiz gehienetan ‘j’ grafema erabiltzen duen : jainkoa, jujatzalé, jendia, jin, joan. 205 Diptongoetan pundu hau gaineratu behar da : gutitan ez balinbada ere, ‘ï’ grafema agertzen da : seï, oï. Bitxiago da askenïan hitzean agertzea. 206 Herskarietan, usaia zen bezala, [g]-ren kasuan u emaiten du, gue eta gui formetan bainan oso gutitan : erregue, guertatu, beguirik, eguidassu. Gehienetan ga eta ge idazten du : erregea, segeretu, gelditu, begira, ginen. [k]-ren kasuan, ‘k’ letra dara-bila ardurenean, nahiz c zonbait agertzen zaizkion, bereziki hitz-hastapenetan : cayer, escua. conforme, declaratu. 207 Zonbait aldiz, g-ren eta p-ren aintzinean t bat sartzen du : ontgi, étgiten, kotpiatu.

208 Txistukariak nahasiago direla erran daiteke eta ez da harritzekorik. Igurzkarietan, [s] bizkarkaria gehienetan ‘z’ grafemaz adierazten da. Hala ere eta noiztenka, beste hiru grafema baliatzen ditu : ‘ss’ : adressa, niagossu, essariak... ; ‘s’ grafema, bereziki hitz- hastapenean : sorigaitzeko, sauskidan, saitu, soasi, sonbait, geroztik... ; ‘ts’ behin agerten da : otsaba. ‘tz’ agertzen da iduriz afrikaturik ez den tokian : naitzenian. ‘c’ grafema ahatik ez du erabiltzen. 209 Igurzkari sabaikoa, [∫] beti ‘ch’ grafemak adierazten du, denbora hartako usaian bezala : churi. hauche... Eta [s] apikaria ‘s’ grafemak adierazten du : seme. saldu. hasi...‘j’ eta ‘tj’ grafema arraroak emaiten ditu : prejo, lehen kutjia, jeindu, kantu bakar batean agertzen direnak. ‘ch’ ez du sekulan erabiltzen apikariaren kasu honetan. 210 Afrikatuetan [ts] soinua gehienetan ‘tz’ grafemaz adierazten da : zortzi, goraintzi ...... Bainan ‘ts’ ere erabiltzen du : baratsian, utsirik, hitseman, mintsatu, itsuliko. 211 [ts] apikaria ere ez da beti molde berean agertzen : gehienetan ‘ts’ emaiten du : untsa, kontsolatzen. Bainan ‘tz’ ere zonbaitetan eskapatu zaio ; bereziki hitz-bukaeran : sinhetz, hatz perahen, ardietz, ametz, (= amets), bertzu, pertzu. ‘s’ grafema ere baliatzen du : Atharaze. Behin 'x' agertzen da mailegu batean : exemplu. ‘z’ grafema gutitan baizik ez da ikusten : kantazera. Bitxiago da kantu batean agertzen den ‘tj’ grafema, ozena adierazten ez duena : ebatji, kontjideratua, untja, etjemplua ...... 212 Azkenik, [t∫] sabaiaurrekoa ‘tch’ grafemaz ordezkatzen da : prohetchurik. etcheko, beltcha... 213 Dardarkarietan, oposizioa aski garbi begiratua da. Halere ‘r’ grafema erabiltzen du dardarkari ainitzaren adierazteko ere : eran, behara, sukarik, ederago...

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214 Sudurkarien sailean, b eta p-ren aintzinean m edo n erabiltzen ditu : zombat, trompaturik, zampaka, edo nunbeitik, denporaz. 215 ‘gn’ grafema erabiltzen du gehienik palatalaren adierazteko : ondogno, eskugno, bildotchgno, bestegnaz, bizitagno, ignorant. Bainan bi aldiz ‘ñ’ emaiten du : Mañech, eraztuño eta behin ‘gñ’ : maitegñoak. 216 Hasperenduak : hasperenketa ezagutzen duten herskariak ‘ph’, th’ eta ‘kh’ grafemek adierazten dute : aphairu, epliantxu, bethiko, sorthu, othoitz, merkhe. ukhan. sukhar. ‘h’ idazten du ere l-, r- eta n-ren ondotik : ilhun, belhaunikatua, alhatzen, bulhar, aurhide, orhoit. erhian, erliaztuna, urhas, burliasoen, seinhuak, ainhizan. ainhitz. sinhetz. Behin ‘ll’ grafema agertzen da, dudarik gabe [lh] adierazten duena : salla.

KANTUAK

217 24 kantu ekartzen ditu kahierrak, denak euskaraz azkena salburik : La valse des artilleurs, frantses armadetan kantatzen omen zena. hain zuzen Bordeleko Nansoutyn kokatua zen taldea artillerazkoa zeiakotz.

218 Kantuen mamiaz aritzea ez bada gure xedea ere, ohartaraztekoa da kantu gehienek amodioa dutela aipagai : gertakari historikoak, kantu politikoak ez dira sartuak izan ; aldiz nehun agertzen ez den haur-hiltze bat deitoratzen duen kantu interesgarria eskaintzen digu. Oker ez bagaude, 5 kantu badira kahierrean beste kantutegietan agertzen ez direnak 219 Horren egiaztatzeko Iparraldeko kantuak biltzen dituen antologia bat hautatu dugu, hemen agertzen diren kantuek hartan aipurik dutenetz so egiteko : Khantu Khanta Khantore liburu ezagunaz gain, badago hain zuzen P. Urkizuren eta P. Garziaren gida- ritzapean argitaratua izan den liburua : Lapurdi, Baxanabarre eta Zuberoako Bertso eta Kantuak, Etor, 1, XXXIX-918 orrialde ; 2, XLVII-936 orr., 1991. Tonarik gabeko obra ez da baina hura da erreferentzia gisa hartu duguna eta hemendik aintzina LBZK laburduraz deituko duguna. Goazen bada banan bana kantuen aipatzera. 220 1. Galerianoaren kantua : guziz ezaguna da M. Larralde Bordaxuriren kantua (LBZK2, 664 orr.). Baina aldaketa ttipi zonbait ageri dira kahierreko testuan eta bertso bat falta da 10 bat bertso baizik ez baita ageri kahierrean. 1. Poma ; horrela da testuan eta ez Pluma. 4. Payes : beste bertsioetan burjes. 8. Ni baita : horrela dakar esku-izkribuak et n letraren ahanztea frangotan gertatzen zaio kopiatzaileari. Etjemplua : horrela testuan. 221 2. Hemen...... Kantu hau ez da agertzen kantutegietan. Testuak dioen arabera, Ainhizeko Mañex Carricartek ondu zuen ospitalean Omiasaindu inguruan, erizainek brontxita txar bat artatzen ziotelarik. Beste lagun baten izena emaiten du : Martti Etxerri. Kahierra han hemenka andeatua izanik, lerro batzu ez dira irakurtzen ahal. 6. Ederrentan dakar testua, seguruenik ederretan edo ederrenetan ezarri beharrean. 222 3. Bi bertzu nahi nuzke : LBZKl-k ez du emaiten : kahierrak kantuaren doinua emaiten du : Lili ba ikhusi dut baratte batean. 6 : yainkoak beguirik (?) : testua ez da ongi irakurtzen eta hitz horren gaineko partean beste bat idatzirik da, irakurtzen ez duguna. 7. Horietaririk : horietarik irakurri behar da. Azken lerroaren ondotik hitz hauk ezarri ditu frantsesez : Souvenir d un copain. Fini. Hitz berak agertzen dira beste kantu zonbaiten ondotik. 223 4. Sor lekfuia dut.../ LBZKl-k emaiten du 353. omaldean, lerro bat falta duela 4. bertsuan. Aldaki ttipi batzu ageri dira kahierreko bertsioan. 1. Eskual ederrean. Herri hitza ahantzi

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du kopiaegileak ; girichtiki : horrela testuan. Hemanik : horrela testuan. Zabilala : horrela testuan bainan badakigu ‘ibili’ aditza noiztenka ager dai-tekeela ergatibozko kasu batekin. 8. Egon zen hitzen ondotik xurigune bat badago, behar bada autozentsurarengatik : Beste bertsioek alabainan ganberan sartu zen emaiten dute. 9 hatz perapen ; hasperapen. 14 : hitz emaiten hitzen ondotik dut hitza ahantzi a izan da. 224 5. Mila zortzi éhun eta gehiago... LBZNl-k ez du ekartzen. 1. Pagatzeko eta Ipagat-zera : obratu edo paratu erran nahi bide du. 6. Salhatarian : salhatariak behar luke. 14. Aihitzak : ainhitzak irakurri behar da. Uruz : eros hitza hobeki jin laiteke. Orrialdeko behereko partean, badago testu bat frantsesez idatzia, Pochulu laguna-ren izena aipatzen duena. Biba Garazi ere idalzi du kopiaegileak ezkerreko partean, bera nuntsukoa ote zen nolazbait salatuz. 225 6. Primaderan dira gora arbolak. LBZKl-k (577. orr.) emaiten duen Mendiak bete belarrez kantuaren aldakia da sei bertsurekin. Aldiz Khantu khanta khantore liburuan, kasik hemen bezala hasten da testua : Primaderan gora dira arbolak loratzen. Ohartarazteko da hemengo testuan Lekunberri brigada aipatzen duen bertsua ez dela agertzen. 5. Nikisi : horrela da testuan, nahiz ustez nikezi erraiten den. Behereko partean, bere sinadura eman du Joañes Castetek. Erran gabe doaez dela hargatik kantuaren egilea izan. 226 7. Baigoriara : Kantutegietan ez da ezaguna nahiz hegalpeko lumaren metafora aski zabaldua den. LBKNl-k aipatzen duen Baigorriko urzoaren kantua, Mila zortzi ehun eta hogeita hemeretzi tituluaz, oso liferent da. 227 8. Atharatzeko kantu : guziz ezaguna den Zuberoko kantua da. 9 bertsu baizik ez du emaiten kahierrak. Ziberotarrez dagoen ü eta u-ren arteko diferentzia salbatua da ‘ou’ eta ‘u’ grafemen bidez, beste kantuetan horrelakorik ez delarik agertzen. 5. : lerro bat errepikatu du kopiaegileak. Berak nahi dikezi : ergatiboa emaiten du bertsio honek, bera nahi dükezü usaiakoaren ordez. 7. Beliotza : Bihotza irakurri behar. 8. saldari : Salhari irakurri behar. 228 9. Argisari ederra : LBZKl-k emaiten du 532. orrialdean bainan lau bertsutan, kahierrak sei bertsu eskaintzen dituelarik. Aldaketa ttipi zonbait baditu. 6. Ni hauren : nihauren ulertu behar da. Ametz : amets ulertu behar da. Kahierak titulua frantsesez ekartzen du, beste tinta batez idatzirik : La lune. 229 10.Anderia ikus nezazu. LBZKl-k ez du horren berririk emaiten. 1. Nezazu : behar bada ezazu hobeki jin laiteke. 4. Azken lerroa ez da ulertzen. 230 11. S-Just-Ibarre : Izena dut Pierres deisten eliseri. Kantutegietan ez da ageri Oztibarreko emigratuaren kantu hau. 1. Deisten : deitzen irakurri behar. 4. Salbaile : salbatzaile ulertu behar. 7. Mudua : horrela testuan. 10 : hatsetan : hatzetan irakurri behar. 231 12. San Bartolomé arratsian : 774. orrialdean LBZKl-n. Aldakiak baditu hemengo bertsioak. 2. Acabihur : Akabi hurran irakurtzea proposatzen dugu. 5. Bederatzi hararetako : ez da ulertzen. 232 13. Arrosak eder floria ederago. Kantua ez da ezaguna oro har. Egia da hemengo bigarren bertsua agertzen dela Zazpi urthe badizu uda huntan konplitu (LBNK1. 617. orr.) titulua duen kantuan. Hemengo 5. eta 6. bertsuek egite badute segurki LBNK1 -ko bertsioarekin bainan besteak ez dira ezagunak. Aldiz ez da ageri hemen Juandonejakiren izena. 3. Su zukan : ez da ulertzen. 4. Barbarez : horrela da testuan eta ez barberez. 7. Ehortera : mota bereko beste daturik ez izanki, ez daiteke ahatik erran Zuberoko testua denik.

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233 14. Lili polit bat badut nik : LBZKl-k kantu berdintsua ekartzen du Lili eder bat badut nik tituluarekin (546 orr.). 2. Badu nik : badut nik irakurri behar. 4. Dendreki : horrela testuan. 5. Ez du : ez dut behar luke. 234 15. Lusaidiara : cantore berri charmant. Borddeleren kantu ezaguna da. Lerro bat falta da lehen bertsuan eta 5 bertsu baizik ez du ekartzen kahierrak 1. Luzairen : horrela testuan. Irauteko plaza hortan Itolako originablia : Irauzketako plaza hortan holako argi noblia behar luke. 3. Erremediauk : erremedioak irakurri behar da. 235 16. Ibarlarra : Kantu hori ez da ezaguna. Gehiago dena, mota honetako kanturik ez da ageri kantutegietan. Alta badakigu kantu honetan aipatzen den haur-hiltze ez zela hain bekan gertatzen. Historio-egileek erakutsi duten bezala, lege-hauste molde hau usu gertatzen : horren lekukoak dira tribunaletako artxiboak eta adineko jendeen oroitzapenean oraino bizirik dauden manera bereko kasuak. 236 Bigarren bertsuan kahierrean idatzirik dauden etxe baten izena eta emaztearen izenak kendu ditugu. Ez gara ibili inkesta egiten egiazko gertakariaren inguruan. Halere, kantu honen irakurtzearekin gogoan igan zaigu jende bati baino gehiagori egoizten zitzaiola modu bereko zafraldia, xehetasun zonbait gorabehera. Bestela erranez, galarrots, tzintzarrots, berdura, astolaster edo salaketa-kantuetan bezala, uste izaiteko da kantuaren egitura beti bertsua izan zitakeela. Gogo horretan ginaudelarik, kantu beraren beste bertsio bat Urdiñarben bildu genuen eta hurrunago emaiten dugu. Bai eta ere haur abandonatu baten kantua, hura ere Urdiñarben bildua, nahiz ez den Zuberoko mintzairan emana. 237 Horrela antolatua da Ibarlarra deitu kantua : ohizko sarreraren ondotik (1. bertsua), nexkatilari berari mintzatzen zaio koblakaria (2.) eta gertakarien segida emaiten hasten da : nola ibiltzen zen guardiekin (3.), nexkatilaren ama nola entseatu zen haur- egoxtearen eragitera, debaldetan (4.) eta Bazko zaharrez bizirik sortu haurra nola hil zuten (5). Ondoko 5 bertsuetan, haurraren eta amaren arteko alegiazko elgarrizketa gogorra badator berri gehiago emanez, hala nola haurra bateiatu gabe hiltzen dela eta haurraren hiltzeaz amak plazer hartzen omen duela. 238 Oharrak : 5. erremedio : ekei abortiboetaz ari da. 9. Epantchu : oztopo, poxulu erran nahi du, haur-beharretan dela eta. Hautan : iraganaldiko forma da (‘hinautan’). 239 17. Sortuz geroz gusiek sor dugu... LBZNl-ek ez du ekartzen

240 18. Charmegarria nik zure berririk ez dut... ; LBZKl-kXarmegarria, zure berririk (Arbonarrak) ekartzen du 702. orrialdean eta aldakiak baditu kahierreko testuak. 3. Aigerrurik : horrela testuan, aingerurik eman beharrean. 241 19. Gaztea hiltzeat doana ; kantu ezaguna da eta Harluchi izena agertzen da kahierrean. 3. Beliarkan : Sehaskan behar luke 242 20. Bi gazten kitatzea : Zaspi zortzi bertsu. LBZKl-k ekartzen du 705. orrialdean. Aldaki ttipiak baditu hemengo bertsioak. 243 21. Suyet eder bat deklaratzen dut gaztek... kantu ezaguna da, LBZK-k 700. orrialdean emaiten duena. 244 22. Ameriketako letcheruaren kantuak : guziz ezaguna den Mendiagueren obra da. 4 bertsu emaiten ditu kahierrak eta ez 10. 245 23. Kantuz : hemen ere Mendiagueren testua ez da osoa ; ez da hasten lehen bertsutik baizik eta hirugarrenetik. 246 24. La valse des artilleurs : kahierreko azken orrietan den frantsesezko kantu bakarra da.

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URDIÑARBEKO KANTUAK ETA HAUR-HILTZE : BESTE BERTSIO BAT

247 Casteten kahierrak eskaintzen duen kanturik inportanteena hamaseigarrena dela erran ginezake, erran nahi baita, haur-hiltzea aipatzen duen kronika, Ibarlarra tituluarekin. Jadanik erran bezala. Oztibarren kokatua da, Donaixti-Ibarreko etxe bat eta hango nexkatila bat izendatzen baititu koplakariak. Geroztik beste bertsio baten edi-reitea gertatu zaigu. Eskerrak zor dizkiot Urdiñarbeko Pierre Zubiri jaunari kantu horren berri eman baitigu eta kantatu digulakotz. Geroztik Euskal-Herriko Atlas Linguistikoaren inkesten egiten ari ginelarik, kantua manetofoian hartu genuen 1989ean.

248 Zubiri jaunari. Donaixti herria ez zaio txit arrotz. Garaibiko tinian sorturik 1910ean, Bordagai etxean, Naphaleko lepo altexean, han Donaixtirekin mugakide zen. Kantuaz zer ote zakien galdegin giniolarik, kahier bateau idatzirik bazuela erran zigun. Gertakariaren berri amak eman zion bestalde. Bainan bere kahierrean agertzen den kantuan aipu den etxearen izena eta Casteten kahierrean emaiten den izena liferent dira. Iduri luke beraz kantu berdintsua erabilia izan dela bi gertakari desberdinen karietara. Horrela egina izan bada eta jadanik aditzera eman dugun bezala, kantuaren mamia ez zitekeen hanitz alda kasu batetik bestera. Bi kantuak bi aldaki dira, ber egitura batetarik idokiak. 249 Gauzak horrela eta bi kantuak elgarren askazi balinbadira ere, egiari zor diogu erraitea bi kantuak ez direla ber moldean egitaratuak hurrunago erakutsi bezala. 250 Baina lehenago Zubiri jaunak bere amari entzun istorioa gogora ekarri behar dugu. Jendeak jakin omen zuen haur sortuberna hil zuela ama gazteak. Halako kasuetan bastart izena zerabilan jendeak, ezkontzatik kanpo sortu haurraren izendatzeko. Gehienetan, haurraz zen erraiten eta ez haurrari berari. Halere eta diotenez, gure kantuaren protagonista nausia, haurraren hil zueneko ama beraz, auzoan egoiten zen hogoi urteko mutiko bati behin trufan mintzatu zitzaion. Mutiko hori auzoko nexkatila batek egin zuen eta osabak etxean berean hazi zuen, potikoa ahatik mutilgoan bezala lanean ari zitzaielarik. Egun batez mendira edo bortura zoalarik behien eramaitera, gure kantu huntako emazteak erran omen zion : « Ba, hi mithila merkhe gozatzen hute ! ». Eta delako bastartak errefera itzuli omen zion ahoan bilorik gabe : « Ba ! zük ere ez bazünü hil-arazi sorthü zünien hua, zük ere mithila bazunükien orai ! » Eta horrekin utzi zuen emaztea. Diotenez ere, emazte hori ezkondu zen delako haur- hiltzearen ondotik eta familiarik ez zuen izan. Senarrari auzoko mutikoak zer erran zion aipatu ziolarik, esaera zaharra baliatuz gizonak hauxe igorri omen zion : « Eh ! thira zan ! thira zan korda ! entzünen dün geo zeñhüa ! » haur-hiltzea jendearen ixilean ez zelakoan arras gertatu. 251 Dena den, horra Zubiri jaunaren kahierretik kopiatu kantua : [Etxe baten izena dakar kahierrak, hemen emaiten ez duguna]. 252 1. Basco sahar goisian argitu sen Frutu doloresco bat mundura sorthu sen Haren sorthé tristias oroc phena suten Burreu crimineles atacaturic sen.

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253 2. Désértietan bada oi animaleric Oi ene ama béno bihots hobecoric Ama bat ukhen banu aments haietaric mundian bisitsias es nuquian dudaric. 254 3. Ené ama maitia souri niagosu Sure semé nisala countsidera esasu Hasi nahi espanaisu ere batheia nesasu ene arimac haour galthegiten deisu. 255 4. Adios éne ama saoudé alagéraric Souré désirac oro nitan counplituric Mundia quitatsen dit oi nahi gaberic Osoki jelkhi gabé soure sabéletic. 256 5. Adios déreitaca trichtésia handin Nic éré plaser hartsen hori entsutin Ephantchu égiten heitan igaran aspaldin Ni éré mendecatsen orai éné aldin. 257 6. Tristéric agertsen nis éné Jinco Jauna Su souré serbutchuco creatu naisuna Argiric gabes badit malur éta phena Ené amac bésala es othoi aboundena. 258 7. Hil ondoan es da asqui éhorstia Gibeletic heldu da laster justiçia Harec chéhéquiren du éné khorpits trichtia Ordian agerturen da souré crima gordia. 259 8. Amaguei gusiec harsasie etsenplu Ené amaren obrés égin gabe casu Halaché nai tratatu bai eta dolutu Béré ouhouria oro holas beitu galdu. 260 Erran bezala diferentziak badira bi bertsioen artean. Zortzi bertsu badauzka Zubirik, Castetek aldiz hamar bat. Zubiriren kahierrean hatsarreko bertsua dena bost-garrena da Casteten bertsioan : beraz Casteten sarrera (captatio benevolentiae) etager-takarien kronika ez dira agertzen Zubiriren testuan. Casteten azken bertsua (hamar-garrena izanki) bigarrena da Zubiriren testuan, mintzairan diren aldakiak aldaki. Zubirik lehenbiziko partean zerbait ments balinbadu beste bertsioaren aldean, aldiz ondarreko bertsuetan dakarrena ez da hatzemaiten Casteten kahierrean, hala nola Jinkoari haurra mintzatzen zaioneko bertsua (6.), justiziak egia argituko duelako bertsua (7.) eta koblakariak amagei guziei eman abisua (8.). Bainan biak egite handikoak dira eta ber moldetik idokiak, duda izpirik gabe. Beraz bi kantu hauk gertakari-mota baten salatzeko leitmotiv baten bi aldaki arradotzat har genezazke. 261 Paradaz balia, beste kantu bat emaiten dugu, beti Zubiriren kahierretik harturik. Gaiak egite badu aintzinekoarekin : alabainan, haur sortuberriaren hiltzea du aipatzen. Amak haurra kanpoan abandonatzen du, beste norbaitek altxatuko duelakoan. Altxatu, andere gazte batek altxatzen du. Bainan biharamunean haurra hiltzen da, bateiatua izan ondoan (bataioa beste kantuan ere aipu da). 1929ko data eman du Zubiri jaunak kan-tuaren ondotik. Ez dugu jakin anal izan nun egina izan den kantu hori. Eskuararen

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alde-tik mendebaldekoagoa da (nauzue, iruzkia. etorri, etxatu) nahiz ortografian Zuberoko ezaugarri zonbait sartu dituen kopiaegileak : oen eta ez oren. Horra testua : 262 Nigares sorthuric

263 1. Nigares sorthu nintsan nigares hiltzeko Es ordéan mundu hountan lusa [s] bisitcéco Yendec isanen duté éraitéco frango Aita ama maiteac souen biendaco 264 2. Aita ama maitéac mundura sertaco Eman isan nausué sorigaits hountaco Nic ez nouen hobénic hola tratatséco Fédéric éman gabé abandonatséco 265 3. Sorthu nintsanétic hiou oén gabé Bérec chokho batéan gaichoua éman naute Nihaur bakharic bisi choriac aurhide Ene contsolatsérat khantus heldu diré 266 4. Ni goiséco aruen hémentche paratu Gérostic iruskiac gainetic pasatu Aitaric esdut eta amac nau etchatu Ez othé nauté béhar norbeitec altchatu 267 5. Sorthé triste hountan nais mundura ethori Oi hemen niagosu bildots bat iduri Lura saheska eta serua estali Noréna othé naisen yancoak badaki 268 6. Iruskia sénian séruan aphaldu André gaste bat sautan aldétic pasatu Aingeru bat nintsela senian ohartu Amoltsuki ninduen bésuétan hartu Sato enekin sato aingeru maitéa Dolu eingari litake su hemen ustea Boskario énétsat sutas yabetséa Eracutsico dautsut séruco bidéa Bathaitu éta biharamunian Yaincoak éraman du adin édérrian Haura ez da géhiago munduco bisian Aingeruekin dago séruco lorian ler Mai 1929 269 Oharrak : 01. Lusa : luzaz irakurri behar. 5. Saheska : seaska. Estali : izena da (ohe-estalgia, alegia)

AZKEN DOKUMENTUA : DOMINTXINEKO OILARRAK

270 Oztibarreko kantuak utzirik, lekuño bat eman nahi genioke Zubiri jaunak kopiatu zuen beste kantu bati : kantu horren entzutea frangotan gertatu zaigu, Ustaritzen, Zuberoan, eta Amikuzen besteak beste. Arrakasta handiko kantua, nunbait. Kantuegietan ez hatzemanik, testua hemen ekartzen dugu. Domintxañeko oillarrak du titulua.

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271 Dominchagnéco oillarac

272 1. Bi berset baditut orai éginic Sujeta ukhenik domintchagnétic Oillarac ditustéla aras gnaphurturic Aisoko olllouétan bisiaturic. 273 Errepika Biba oillar saharra oi ser oillakaria Biba oillar handi lepho lusia 274 2. Etchengo oillouetan ez duté gousturik Nahiago beitusté kampokouetaric Atsamaïten dutela oi es da dudaric Menturas ez béthi nahi dutenétaric 275 Errepika

276 3. Oillouez ere ez dira bethi countentatsen Oillandac ere dituste gaiski atakatsen Haien inousentsias dira baliatsen Lehouïn baten pare gero aplicatsen 277 Errepika

278 4. Orai nahi dianac cambiatu oillara Domintchagnen bada mota particulara Arasas handi eta ilhun coloria Oillouen jocatséko pare gabia Octobre 1929 Refrain Fin 279 Oharra : 1. gnaphurturik : ‘ñapur’ erraiten da aizoan usu sartzen den kabaleaz bai eta ere jendeaz. Ikusten da 'lapur' hitzaren aldakia dela. 2. Etchengo ; forma honek ongi erakusten du Zuberoko morfologiaren eta Baxe-Nafarroko fonologiaren gurut- zamendua, oraindik ere Domintxinen hain zuzen eta auzo-herrietan entzun ditekeen forman. 3. Aplicatsen : errannahi gordina du : 'jokatu', 'apaindu' adierazten du. Bardozen adiera beraren entzutea gertatu zaigu, hain zuzen oiloari aplikatzen omen zaion hegazti harrapakari batez.

RÉSUMÉS

Nous présentons ici un cahier de chansons basques propriété de notre oncle Joañes Castet (1915-1981), originaire de Larceveau en pays d'Ostabarret, Basse-Navarre, copié alors qu'il était sous les drapeaux en 1936 à Bordeaux. Ce cahier comporte 23 chansons en basque qui représentent une partie du répertoire d'un jeune Basque durant l'avant-guerre. Presque toutes tirées du répertoire amoureux, si la plupart sont bien connues, certaines sont inédites : c'est le cas en particulier d'une chanson qui stigmatise un infanticide. Ce type de chansons est rarement répertorié à notre connaissance mais nous en avons trouvé une variante à Ordiarp, en Soule limitrophe, dont nous donnons aussi le texte.

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INDEX

Thèmes : littérature Index chronologique : 20e siècle Mots-clés : Castet Joañes (1915-1981), chanson, chant basque

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Histoire et onomastique médiévales. L'enquête de 1249 sur la guerre de Thibaud I de Navarre en Labourd

Jean-Baptiste Orpustan

I

1re partie : les réclamations des Bayonnais et Labourdins

1 Avant-propos

2 Le texte de ce document exceptionnel du milieu du treizième siècle demandait à être mis d'urgence à la portée des lecteurs et des chercheurs. C'est pourquoi, après l'avoir découvert grâce à la bienveillance de notre regretté collègue Eugène Goyheneche, qui en avait fait la première transcription pour sa thèse sur l'onomastique basque médiévale, et l'avoir utilisé comme l'une des sources principales pour la documentation de notre thèse d'Etat sur les noms des maisons basques médiévales soutenue à l'Université de Bordeaux III en 1984, nous en présentons les deux parties aux lecteurs de LAPURDUM II et aux chercheurs des diverses disciplines concernées : parmi celles-ci, il y a d'abord l'histoire médiévale du Pays basque encore si insuffisamment prospectée sur nombre de points.1 3 La première partie du document comportant les doléances du roi d'Angleterre, des Bayonnais et Labourdins, rédigée en latin, est présentée ici en traduction française. Des deux rédactions d'archives à très peu de choses près (quelques graphies des noms de personnes et de lieux) identiques, c'est la seconde qui a été retenue. L'original, écrit dans la graphie la plus soignée et la plus lisible des chancelleries médiévales du temps, contenant quelques passages écrits d'une seconde main, se contente de séparer les diverses rubriques par des blancs, sans aucune numérotation, et le détail des déclarations individuelles par des alinéas précédés des abréviations d'item habituelles et des lettres initiales mises en marge. Pour la commodité de lecture, une numérotation romaine a été ajoutée ici entre parenthèses à la tête des rubriques principales. La

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deuxième et dernière section (la troisième en tenant compte des deux versions de la section labourdine), comportant les doléances du côté navarrais, rédigée en langues romanes, sera présentée à la suite. 4 C'est le document lui-même qui fournit le plus clair des renseignements sur ce conflit totalement ignoré de la « grande histoire », qui suivit de peu l'arrivée sur le trône navarrais, d'abord contestée, de Thibaud Ier comte de Champagne, plus célèbre dans la littérature française que dans l'histoire politique : « Thibaud le Chansonnier », le plus grand « trouvère » de son temps, lié à une prestigieuse lignée de princes poètes qui remontait à... Guillaume IX duc d'Aquitaine, le premier des « troubadours » d'oc. Neveu par sa mère de Sanche le Fort mort sans héritier en 1234, mais qui l'avait déshérité, il avait eu quelques difficultés à s'installer sur le trône de Pampelune. Il avait aussi tenté de réformer les divers « fors », textes des droits et libertés que les premiers rois de Navarre avaient concédés à la plupart des territoires du royaume. Des historiens considèrent aujourd'hui qu'il dut accepter les points de vue et les limites à son autorité que lui imposa l'assemblée des « Cortes » à laquelle tout nouveau roi de Navarre devait prêter serment, ce qui se perçoit assez clairement dans des articles comme celui des preuves de l'infançonnie ou noblesse. De là naquit le Fuero General de Navarra (1237) qui resta, avec quelques amendements partiels et conjointement à la coutume locale propre à chaque vallée, la loi navarraise jusqu'à l'annexion castillane de 1512. 5 D'après les termes de l'enquête elle-même, les hostilités entre les Labourdins et les Bas- Navarrais se sont développées durant ces mêmes années. Comme le rappelle le professeur Ricardo Cierbide dans une étude sur les quatre langues utilisées dans ce document2, la situation des terres de l'actuelle Basse-Navarre (le terme ne sera pas inventé avant le XVIe siècle) à l'égard de l'ancien comté de Gascogne annexé par le duc d'Aquitaine au milieu du XIe siècle était, sinon incertaine en droit, du moins disputée, et pas seulement pour Mixe et Ostabarret qui relevaient depuis toujours de l'évêché de Dax : le comte de Leicester - c'est le fameux Simon de Montfort - représentant le duc d'Aquitaine devenu roi Angleterre depuis le mariage d'Aliénor un siècle plus tôt revendiquait aussi comme possession du duc-roi Iholdy et Armendaritz et d'autres territoires déjà passés sous suzeraineté navarraise. C'était en effet tenir pour nuls et non avenus les serments d'allégeance au roi de Navarre des seigneurs principaux, celui du seigneur de Labrit seigneur « naturel » pour Mixe et Ostabarret dès la fin du XIIe siècle, celui de Gramont en 1203 etc., comme le roi de Navarre le rappellera en tête de ses propres réclamations dans la seconde partie. 6 La cour de Pampelune attirait depuis longtemps des nobles labourdins : non seulement Garro de Mendionde, frontalier des pays navarrais d'Ossès, de Hélette, d'Ayherre3, mais aussi une branche d'Espelette, dont la maison éponyme du Labourd avait pourtant conservé son seigneur propre et fut incendiée par les Navarrais, et d'autres comme « Sanz de Cambo ». Ainsi des Labourdins tout au moins d'origine pouvaient être dénoncés pour leurs méfaits commis contre d'autres Labourdins ou des Bayonnais, et de même pour les Bas-Navarrais, d'autant plus que l'enquête scellait en 1249 la fin d'une douzaine d'années d'escarmouches. Les hostilités avaient culminé, après le double siège de Garro par les Bayonnais, le premier ayant été interrompu par les Navarrais, avec le véritable raid que Thibaud en personne mena avec ses partisans pour l'essentiel navarrais et bas-navarrais, loin en Labourd jusqu'à Saint-Jean-de-Luz et Urrugne d'un côté, Mouguerre. Lahonce, Briscous de l'autre, et l'avancée en Mixe

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jusqu'à Came et le siège du château de Gramont à Viellenave. Cet événement se situe en 1244. 7 La rédaction des doléances, de part et d'autre, fournissait l'occasion de régler bien des comptes et des mécomptes personnels, les longues années d'hostilité ayant mêlé les meurtres et les faits de guerre véritables à divers chapardages et exactions de petite envergure, avec tous les degrés intermédiaires. Si l'on en croit les destructions dénoncées, ici au détriment des Labourdins, en plus des dizaines de tués, des très nombreux hommes pris pour être ensuite libérés contre rançon selon la mode du temps, l'armée royale et les partisans de Thibaud, souvent constitués de familles et fratries de guerriers (le père et les frères Garro évidemment, mais aussi les frères Arraidu d'Ayherre, Soraburu de Saint-Esteben, Nagithurri et Leizarraga d'Ossès etc., nobles et laboureurs mêlés), avaient brûlé des centaines de maisons, nobles « aulas » ou non « domos », surtout à Hasparren et Ustaritz où se trouvaient les deux principaux « castra » ou châteaux-forts (le Gaztelu d'Ustaritz qui a hérité en basque de son nom latin castellu, celui de Zaldu, autre latinisme, à Hasparren), scié les vergers, détruit les outillages, emporté le bétail. S'y ajoutaient les dommages particuliers qu'avaient subi artisans et marchands bayonnais : prêts non remboursés, vêtements et outils impayés, denrées perdues (jusqu'à un curieux « esturgeon » !), soldes réclamés par les marins ayant transporté le roi Thibaud, ce qui ouvre aussi le chapitre des fonctions portuaires et maritimes de la ville avec ses « nefs »... 8 Comme tous ces dommages sont calculés en monnaie - dont la diversité signale la place des échanges extérieurs dans l'activité du port et du commerce bayonnais : morlans régionaux, sanchetes navarrais, livres bordelaises, toulousaines, tournois français, poitevins, parisis, marcs anglais... -, il est aisé d'établir une sorte de « mercuriale » du milieu du XIIIe siècle : le prix, variable selon son importance et sa notoriété - mais étonnamment modeste au regard d'aujourd'hui comparativement à celui du bétail -, d'une maison avec tous ses outils, d'un moulin, d'un cheval, d'un roussin ou d'un âne, d'un bœuf, d'une vache, d'une chèvre, d'un mouton, d'un cochon et des troupeaux parfois nombreux qu'ils constituent, d'un couteau même et de divers vêtements, étoffes, fourrures et cuirs... Mention est faite des cultures, avec les vignes, les céréales, blé et froment, mil et avoine, et surtout les « pommeraies » parfois de plusieurs milliers de pieds, les pressoirs, les cuves omniprésentes, dans ce pays de cidre évoqué un siècle plus tôt par le pèlerin de Compostelle Aymeri Picaud, de la présence des volailles et des abeilles : voilà de quoi dresser un tableau de l'économie régionale qui devrait tenter les historiens. 9 ***

10 Pour l'onomastique médiévale l'intérêt du document n'est pas moindre. Les noms de personnes, surnoms et prénoms d'abord, sont sans doute les moins intéressants pour 1'onomastique, basque en particulier : leur abondance permet de noter les vogues du moment, matière à comparaison avec les périodes suivantes. Il est vrai que, dans la rédaction latine de cette première partie présentée par la chancellerie anglo- labourdine et le comte de Leicester, ils subissent comme de règle la latinisation, non sans diverses irrégularités et apparitions de formes dialectales (par exemple Garcias, Garcia, Garcie ou Gassie, Petrus, Petri ou Per, Sancius ou San(t)z..., soit au nominatif : Anerius, Amaldus, Comitissa, Michael, Petrus, Raymundus, etc., soit dans les divers cas de la déclinaison. Ils sont présentés ici pour la plupart en traduction française (« Comtesse, Marie, Michel, Pierre, Raymond... ») ou, parfois, dans leur forme ancienne locale la plus

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connue : « Garcia, Sanz, Aner, Arnalt (qui a fait le français Arnaud), Johan, Eneco... ». Quelques autres, de forme plus rare ou plus spécifique, sont conservés sous la forme textuelle entre guillemets, comme « Per, Petri-Santz (qui est passé aux noms locaux d'état-civil sous cette forme), Ispanus, Auria » etc. 11 Deux traits dominants caractérisent ces anthroponymes médiévaux du XIIIe siècle : 1° la présence à peu près constante du double prénom, le second presque toujours au génitif latin et représentant alors le nom paternel (ce qui peut se comprendre toujours comme « fils de... »), usage traditionnel qui ne disparaîtra tout à fait qu'au siècle suivant ; 2° la rareté relative des surnoms, alors qu'ils sont légion dans les textes médiévaux et tout spécialement dans les régions de langue basque : Esquerra « le gaucher », Chipja « le petit », Suria « le blanc » toujours très répandus dans les textes médiévaux, Estua sans doute « l'enfermé », Bague qui pourrait bien être - paradoxe dans ce contexte guerrier — la première mention de l'emprunt basque au latin pace « paix », forment, en complément aux toponymes, les seules traces visibles du parler basque ayant résisté à la traduction latine, quoiqu'on puisse aussi les trouver traduits, comme certains toponymes, en langue romane ou en latin (blanc, parvum...). 12 Les prénoms et surnoms sont presque tous complétés par le nom indiquant la provenance et le lieu d'origine : ce peut être la terre ou la vallée, la paroisse ou hameau, mais c'est presque toujours dans les villages basques intérieurs le nom de la maison, véritable « nom de famille et d'état-civil » de ces temps, dont l'usage quotidien au lieu de celui d'état-civil moderne même s'il est en fort recul n'a pas encore totalement disparu aujourd'hui. Ces indications peuvent renseigner sur le pays ou la maison d'origine de certains habitants installés hors de leur lieu éponyme, à Bayonne ou ailleurs. Elle permettent surtout de disposer d'un nombre considérable de noms de maisons, presque toutes parfaitement localisées, pour la première moitié du XIIIe siècle : pour la plupart d'entre elles ce texte offre la plus ancienne citation documentée, les noms cités auparavant (Livre d'Or de Bayonne et Cartulaire de Sorde ainsi que quelques textes navarrais pour les XIe et XIIe siècles) étant relativement peu nombreux par comparaison. Il va de soi aussi, trait commun à toutes les maisons citées dans ces documents médiévaux, même les plus anciens, que ces maisons existent encore pour la plupart dans les mêmes lieux, sinon avec les mêmes murs - détruits, brûlés, rénovés sans aucun doute encore un grand nombre de fois depuis lors -, du moins avec les mêmes noms. 13 Le document latin, probablement rédigé ou réécrit par des non bascophones, fait subir bien des outrages à ces toponymes ou « domonymes », et certains restent même à peu près méconnaissables sous leur forme textuelle. Ils ont tous été reproduits tels quels sans modification orthographique - sauf pour les majuscules, minuscules et ponctuation pour lesquelles la traduction commande l'usage actuel, ainsi que pour l'apostrophe dans les élisions après détachement de la préposition ou de l'article -, et en caractères gras à chaque première apparition, comme tous les noms de lieux d'origine. Une citation entre guillemets rappelle à l'occasion les formes du texte original. 14 En dehors des noms en général basques du pays intérieur ou de Haute-Navarre, le document cite de nombreux noms de personnages venus des zones aujourd'hui « landaises » (le vicomte d'Orthe à la tête de sa compagnie, tué par les Navarrais au siège de Garro, en est l'exemple le plus illustre) proches de Bayonne, et de Bayonnais : parmi ces derniers beaucoup sont connus et cités dans d'autres textes du milieu du XIIIe

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siècle, en particulier dans les listes des habitants « censitaires » de la cathédrale du Livre d'Or4, « cens » auquel le texte lui-même fait d'ailleurs allusion à la rubrique III des réclamations bayonnaises. 15 Aux noms de lieux cités, en particulier ceux des pays, hameaux et maisons du pays intérieur, ont été ajoutés, entre parenthèses, la forme actuelle ou historiquement attestée (graphie basque ou romane selon l'origine) la plus correcte, attestation qui remonte elle-même parfois à des époques antérieures, contemporaines ou de peu postérieures au texte de 1249, et si possible ou si nécessaire des renseignements sur le lieu ou l'établissement nommé. Toutes les sommes d'argent et autres nombres en chiffres romains dans le texte ont été transformés par commodité de lecture en chiffres arabes. 16 ***

17 (I) Voici les réclamations du seigneur comte de Leicester (« Leycestrensis ») qu'il expose au nom de l'illustre roi d'Angleterre (« Anglie » désormais traduit « Angleterre ») : 18 Le seigneur comte fait savoir que durant les trêves entre les rois, des gens du roi de Navarre (« Navarre ») obligèrent le sénéchal et les gens du seigneur roi d'Angleterre à quitter le siège de Garro (château des seigneurs labourdins du même nom à Mendionde), lequel lieu est du fief et du domaine (« de feodo et dominio ») du même roi d'Angleterre ; et que durant le même siège les gens du roi de Navarre précité tuèrent le vicomte d'Avorta (Orthe) avec lui un autre gentilhomme 5 et 19 hommes du même vicomte ainsi que 18 citoyens bayonnais venant par devoir pour le service du nommé seigneur roi d'Angleterre au siège précité. Et à la suite du susdit éloignement forcé il fut nécessaire que le sénéchal du seigneur roi d'Angleterre, après avoir augmenté son armée, revînt pour assiéger le dit lieu de Garro, ce pourquoi il lui fallut faire de grandes dépenses et subir beaucoup de préjudices. Le comte fait savoir aussi que durant les dites trêves le roi de Navarre occupa le château (« castrum ») de Monte Ferrandi (à Itxassou : le nom castrai et roman Montferrand. inventé sans doute par l'administration anglo-aquitaine, a fini pas s'altérer pour faire l'actuel Mondarrain qui désigne l'ensemble de ce site montagneux) qui est du domaine du roi d'Angleterre et il le tient encore. Le comte fait savoir aussi que, quand il y avait les trêves entre les rois, Amigot de Garro alors bailli du roi de Navarre et les siens tuèrent un féal et vassal du roi d'Angleterre, soit P. Arnalt de Saut (Zaldu qui était le « castrum » ou château-fort de Hasparren) et un de ses servants, et le susdit roi de Navarre accueille ces meurtriers sur sa terre, injustement à l'égard du seigneur roi d'Angleterre et en violation des trêves. 19 Item le comte fait savoir que durant les dites trêves Pierre Arnalt de Luxa (Luxe, le principal seigneur de Mixe) vassal et gentilhomme6 du mentionné roi de Navarre assiégea un château du seigneur roi d'Angleterre, à savoir le château de Saut (voir ci- dessus), ce pourquoi le même seigneur roi fit de nombreuses et grandes dépenses et subit beaucoup de préjudices, en plus du meurtre de beaucoup d'hommes. 20 Le comte fait savoir aussi que durant les trêves le roi de Navarre prit le château de Camer (Came en basque Akamar(re)), qui est du fief du seigneur roi d'Angleterre, et pour le récupérer le seigneur roi dut faire de grandes dépenses. 21 Item le comte dit que durant les trêves Amigot de Garro et Garcia Arnalt son père avec les hommes du roi de Navarre brûlèrent environ 200 maisons et des moulins ; ils tuèrent 7 laboureurs (« agricolas ») du roi d'Angleterre et dévastèrent les pommeraies

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du château de Saut et de son district (c'est-à-dire le pays de Hasparren) qui est du fief du roi d'Angleterre ; ils volèrent des bœufs et du bétail, ce qu'il estime à 7.000 sous morlans. 22 Item le comte dit qu'au temps de la guerre que le roi de Navarre menait injustement le même roi de Navarre et les siens brûlèrent le château de Saut et environ cent maisons au château d'Ustaryds (le « castrum » est constitué de l'ensemble du village ou hameau fortifié autour du château : actuelle mairie dite en basque gaztelu) et ils dévastèrent les pommeraies à Ustaryz (sic), prix 300 marcs. 23 Item le comte fait savoir que dans les trêves les gens du roi de Navarre brûlèrent les maisons de Sansa et de Crussyaga (Azantza et Kurutxaga deux des maisons infan-çonnes de Cambo), dommage qu'il estime à 100 marcs. 24 Item le comte dit que dans les trêves les gens du roi de Navarre brûlèrent trois maisons dans la paroisse de Sancti Johanis de Luyz (Saint-Jean-de-Luz), et volèrent 120 porcs et tuèrent un homme, dommage qui est estimé à cent marcs, le meurtre de l'homme en plus. 25 Item le comte dit que dans les trêves les gens du roi de Navarre volèrent quatre-vingts vaches à Pierre Arnalt de Saut et tuèrent un homme du même P. A. de Saut et en prirent un autre, et ils l'obligèrent à se racheter pour 60 sous morlans. 26 Item le comte dit que, alors que les gens du seigneur roi d'Angleterre assiégeaient les envahisseurs de ses terres (le texte écrit par erreur « treugarum » : des trêves) et graves malfaiteurs à l'égard de lui-même et des siens, et qu'ils les réduisaient en telle nécessité qu'ils ne pussent plus se défendre longtemps, les gens du roi de Navarre et sur son ordre par menaces et terreurs les refoulèrent du siège7 et ainsi les dits malfaiteurs s'échappèrent sains et saufs. 27 Item le comte dit qu'au temps de la guerre que le roi de Navarre menait injustement il prit Bastitam (cette « bastide » ne peut être Labastide-Clairence fondée par le roi de France et de Navarre seulement un demi-siècle plus tard : puisque la rubrique concerne le pays d'Ostabarret, c'est probablement Ostabat, ou bien Larceveau dont le plan ancien correspond aux modèles d'urbanisme généralement nommés « bastides ») et toute sa terre qui sont du fief et du domaine du roi d'Angleterre. Item dans le même temps le même roi de Navarre prit Ostebares (Oztibar ou pays d'Ostabarret, quoique le nom désigne aussi parfois Ostabat) qui est du fief et du domaine (« feodo et dominio ») du roi d'Angleterre, et les gens du roi de Navarre tuèrent en Mixe Bernard de Bauta (à moins d'une erreur pour Arraute en Mixe, ce nom peut représenter, avec l'oubli du signe abréviateur par le copiste, Berrauta, forme romane du basque Berroeta. maison infançonne à Asme) damoiseau (voir plus loin la note 17) du seigneur Guillaume B. de Samacos (pour ce Samacos correspondant à la maison mixaine de Samakohz voir plus loin la rubrique IV : le « seigneur » de Berraute devait être Latsaga ou Laxague d'Asme et le nom pouvait en désigner le propriétaire du moment et sa maison d'origine), Raymond d'Orsahaco (pour Orsanco) meunier du seigneur de Mansbarrauta (la « salle » de Masparraute ou Martxoeta était la principale des quatre maisons nobles ou infançonnes du lieu) et un bourgeois de Mansbarrauta ; de plus ils brûlèrent les maisons, dévastèrent les pommeraies, détruisirent les moulins et causèrent d'autres ravages, ce qu'il estime à cent mille sous morlans.

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28 Item le comte fait savoir qu'au temps où Mixa (le pays de Mixe) fut prise, le roi de Navarre prit deux paroisses du roi d'Angleterre, à savoir Hyhout (forme romani-sée de Iholdy) et Armendaryz, et il les tient encore. 29 Item le comte dit que dans les trêves et quand les hommes du roi d'Angleterre allaient au siège du château (« obsidionem castri de Garro ») de Garro, les gens du roi de Navarre détruisirent les engins (pour le siège) du roi d'Angleterre et tuèrent deux hommes et firent des dommages jusqu'à la valeur de 40 marcs et davantage. 30 Item le comte dit qu'au temps de la guerre que le roi de Navarre menait injustement, le même roi brûla la maison d'Espeleta (la maison seigneuriale d'Espelette, qui n'avait donc pas, comme Garro, Saut, Ustaritz, Came, le rang et la fonction de château-fort ou « castrum ») et dévasta les pommeraies, brûla les moulins et les maisons et provoqua d'autres dommages : prix 5.000 sous. 31 Item le comte dit qu'Amigot tua deux hommes du roi d'Angleterre à Hesparrena (Hasparren. dont c'est ici une des formes anciennes, et déterminée en basque). 32 Item le comte fait savoir que dans les trêves, des gens de Garcia Arnalt de Garro et d'Amigot coupèrent deux mâts de navire et rompirent les cordes (sans doute celles d'un navire) de Seingnoret prévôt du Labourd, c'était « Martinus Bracsa », « Johannes Ortyz », « Domingo Harraca » (pour une autre graphie de ce nom voir rubrique XVII), « Senescala ». 33 Telles sont les demandes du comte, sauf le droit d'ajouter, diminuer, déclarer et corriger, et de poser la somme des dépenses et aussi des dommages. 34 Ceux-ci sont les hommes du roi de Navarre qui intervinrent dans le meurtre ou assassinat des citoyens bayonnais et du vicomte d'Orthe et des siens : Bernard d'Alsu gentilhomme (Alzu maison infançonne de Saint-Michel en Cize), Loup d'Erro (la vallée de Haute-Navarre), « Bracs » (sic) et Bernard de Sorarburu frères (Soraburu maison infançonne de Saint-Esteben), Garcia d'Arraide (Arraidu à Ayherre), Sancius d'Arraide (id.), Arnalt seigneur de Le Carra (la salle de Lacarre en Cize), Sanz-Anso Sanz d'Etsau (ce nom semble représenter, vu le nombre de combattants de ce nom sans lien de parenté apparent, plutôt des gens venus du quartier Etsaba ou « Exave » d'Arrossa en Ossès que la salle d'Etxauz en Baïgorry), Sanz seigneur d'Alsueta (sans doute l'une des maisons infançonnes d'Alciette en Cize), Loup Sanz de Sorrossa (pas de maison de ce nom en Basse-Navarre : il doit être Navarrais) et « Petriz Esquerra » son frère. Sanz Arnalt de Le Tarsa (Latarza nom de l'un des deux quartiers anciens de Lecumberry en Cize où la plupart des maisons étaient nobles), Loup Arnalt de Caragar (nom inconnu résultant peut-être d'une cacographie : par exemple pour Saradar maison d'Iholdy en limite d'Irissarry ; s'il s'agissait de Çaragorri d'Ossès ce serait la première mention avant le... XVIIe siècle !), Sanz Arnalt d'Etsau, Anso Sanz d'Etsau, Arnalt Loup « Chipya », Garcia de Herriart (pour Iriarte, impossible à localiser vu le nombre de maisons du même nom en Basse-Navarre et ailleurs), « Lupus » A. d'Etsau, Arnalt Sanz de Caragar, Aner de Hyruberi (il s'agit d'Iriberri d'Ossès comme on le comprend par la suite, nom écrit ici en phonétique labourdine avec aspiration), Garcia Arnalt, Bernard, Sanz de Neguytorri frères (Nagithurri de Horça en Ossès) et beaucoup d'autres. 35 (II) Celles-ci sont les demandes des citoyens bayonnais ; jureurs ou taxeurs (ceux qui ont fixé les sommes dues sous serment) : P. de Rauset et Laurent de Puiana.

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36 Bernard de Belus a subi des dommages à l'occasion de la guerre du roi de Navarre pour le cens des dîmes à l'église de Bayonne, pour 60 livres morlanes. Bernard de Hatcha (sans doute « Ahaxe » ou Ahatsa en Cize) obtint de Pierre Arnalt de Larras (peut-être originaire de la maison de ce nom à Villefranque, actuellement Arlasea : voir rubrique VIII) 65 sous pour le rachat de son frère. Amigot détruisit le moulin de Vital de Luc : prix 50 livres. Sanz de Cambo doit à Pierre de Senseres 50 sous moins 6 deniers pour des pains. B. de Hatcha vola un roussin et deux conques de blé à Garcia Arnalt dels Puis : prix 50 sous. Sanz d'Arraidu vola au même un roussin et 5 conques de froment : prix 50 sous. « Johannes » de Sateriz (ou Satharitz maison noble ancienne d'Isturitz) et « Aneco » (pour Eneko) volèrent au même un roussin : prix 30 sous. Le fils d'Arnalt de Luiar (Elhuiarte est une maison de Hasparren) vola au même cinq conques de froment et d'autres choses : prix 15 sous. Sanz de Cambo reçut en commande (« per comendam » : vieux français « comande » pour ce qu'on nomme un « contrat à cheptel ») 30 vaches d'« Assarida » de Perer et de son mari : elle (ou : il ?) demande les vaches et leur nourriture pour les cinq ans révolus ou davantage. Sanz d'Arraidu vola au même 4 vaches : prix 40 sous. « Gonsalvo Johannis » doit à Marie de Corneillan pour son père 14 livres bordelaises. Guiralt de Lisserrague ( Leizarraga maison ancienne d'Ahaïce en Ossès aujourd'hui disparue, ou peut-être de Mendionde) et d'autres servants de Garcia Arnalt de Garro brûlèrent la maison de Pierre Arnalt de Luc et volèrent des vaches : prix 35 livres. P. de Meharren (la salle de Méharin) doit à Daunet de Herryague (Harriaga maison infançonne de Mendionde) 4 livres pour fidéjussion que son mari fit pour lui. Arnalt de Garue prêtre mit à la recommandation de Garcia Arnalt de Garro 48 vaches et trois bœufs. Il demande les vaches et les bœufs et la nourriture des vaches pour les 10 ans passés. Item il lui transmit 6 livres sur garantie et il paya pour cela à ses créditeurs quelques 6 livres et 5 sous. Item Raymond d'Ostebares (la ville d'Ostabat, ou le pays d'Ostabarret) et Arnalt B. de Garro volèrent au même une vache : prix 20 sous. Item Aneco d'Arraidu et Martin son frère et P. de Mongelos (la paroisse de Cize du même nom) et Raymond de Londais (Londaitz maison infançonne d'Ayhene) volèrent au même 260 brebis : prix 15 livres. Loup Aner prit Pero A. de Naner et l'obligea à se racheter pour 62 sous. Martin d'Arraido et Aneco son frère et leurs complices prirent Guillaume de Bordeu et l'obligèrent à se racheter pour cinquante sous. Item ils prirent Johan de Prad et l'obligèrent à se racheter pour 25 sous. Sanz d'Arraido prit Johan de Taron et l'obligea à se racheter pour 32 sous et 6 deniers. Garcia A. d'Espeleta et Guillaume son fils volèrent à Jacob de Lesquira et Dominique d'Endrein (Andrein en Béam) et B. Fierer 60 porcs, prix 12 livres. P. dels Puis paya pour Garcia Arnalt de Garro 6 livres et 5 sous qu'il lui demande. Guillaume A. de Luc paya pour le même 6 livres et 5 sous qu'il lui demande. Item il doit au même 50 sous pour transport. Item le même Guillaume Arnalt de Luc paya pour Amigot de Garro 30 sous qu'il lui demande. Johan Desbor paya pour Garcia A. de Garro 6 livres et 5 sous. Item le même Amigot doit au même 30 sous et 6 deniers qu'il lui demande. Item le même Garcia Arnalt de Garro doit 6 sous à Johan Desbor qu'il lui demande. Item Guillaume de Naubica (le nom renvoie sans doute à la maison d'Arcangues actuellement dite Albeintz, résultat d'une métathèse de l'ancien Nalbais 1083 puis par

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romanisation phonétique Naubeis à partir du XIIIe siècle) paya pour le même 6 livres et 5 sous. Item il doit au même pour des pains 38 sous et 7 deniers. Pélégrin de Faurgues paya pour le même Garcia A. de Garro 6 livres et 5 sous. La femme de Guillaume de Sumset paya pour le même Garcia A. de Garro 6 livres et 5 sous. Bernard de Hatche (château d'Ahaxe en Cize) obligea V. de Saint-Félix à se racheter pour 16 sous et lui emporta ses outils, prix 8 sous. B. de Hatche prit Michel de Casanova et l'obligea à se racheter pour 9 livres et à cela a participé Garcia Arnalt de Belsunsa (forme déterminée de Belzuntz la plus importante des maisons infançonnes anciennes d'Ayherre). L'illustre roi de Navarre doit à Marie « Davorta » (d'Orthe) alors épouse de Maître Garcia 40 sous pour la fourniture d'un navire. Guillaume A. de Re Labord alors mari de « Grazide » de Poyes acheta à Garcia A. de Belsunsa 8 douzaines de ruches (« bornacj ») que son épouse lui demande. Item Sanz d'Arraidu emporta une douzaine de « hubornu » au mari de la même femme, prix 60 sous. Item elle paya pour Aneco Sanz de Sateliz (Satharitz) 30 sous à Pierre de Polencs. Sanz A. Blanc servant de Garcia A. de Garro prit Johan d'Estela (originaire de cette ville de Navarre) et l'obligea à se racheter pour 50 sous sanchets. Item Domingo de Galvensu (Guelbenzu en Navarre dont c'est ici la plus ancienne mention connue) prit le même Johan et l'obligea à se racheter pour 30 sous sanchets. Item Martin Michel obligea le même à se racheter pour 10 sous sanchets. Item le même Johan est fidéjusseur en faveur de Michel de Lerin pour 53 sous morlans et 7 livres tournoises, fidéjussion dont il demande à être acquitté. Amigot vola 8 porcs à P.S. de Beguios (la salle de ce lieu en Mixe), prix 30 sous, et l'obligea à se racheter pour 12 sous. Raymond d'Aragon péager du roi de Navarre emporta 70 sous tournois à Pierre Angles (surnom roman d'origine « l'Anglais » qui a pu devenir prénom « ethnique »). Amigot de Garro emporta à Pierre d'Yruber (nom ancien de Saint-Pierre d'Irube) deux vaches : 28 sous. Sanz d'Array du prit Julien de Salies et l'obligea à se racheter pour 9 sous. Petri-Sanz d'Arraidu vola une tunique à Fort-Aner de Sancto Johanne (plusieurs maisons « Saint-Jean » existent en Labourd et dans les environs, outre les paroisses du même nom) : prix 30 sous. Garcia « Baque » prit Guillaume Marques et l'obligea à se racheter pour 20 sous. Aneco et Martin d'Arraidu volèrent 1 bœuf à Johan Desbor : prix 20 sous. Item Amigot de Garro vola au même Johan Desbor une vache : prix 15 sous. Sanz d'Arraidu doit à R. de Garans 14 sous pour le manteau de son épouse et 3 sous pour un dessus de tunique et il lui enleva un drap, prix 3 sous ; et il lui remit sur garantie 3 sous : il demande le tout. Gracie de Sant Girons (« Saint-Girons » dans le pays d'Orthez probablement) épouse de Garcia Arnalt d'Arrauns demande un taureau que son mari remit à la recommandation de Sanz de Cambo. Amigot de Garro vola 16 chèvres et le bouc à Raymond du Tremolet : prix 26 sous. « Petri-Sanz » d'Arraidu obligea Johan de Le Fijte (pour « Lafitte ») au rachat 14 sous. Pierre et Michel Maignan (origine sans doute du nom « Maignon ») doivent Il sous à Guillaume de Sort au titre de fidéjussion. Arnalt Guillaume fils de Guillaume Escolan, Loup Arnalt de Garagar (sic), Sanz son frère,

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Johan de Irryvaren (plusieurs maisons Iribarren en Ossès et ailleurs, aujourd'hui Iribame), Sanz « Faber », Loup Johan, B. de Sufaratsu (pour Zultaratzu toponyme cité au XIIe siècle, disparu aujourd'hui), Sanz de Sufaratsu, Arnalt de Sancta Maria (plusieurs maisons nobles de ce nom en Basse-Navarre) fils de Garcia Arnalt d'Eusees (pour « Ossès » : comme il n'y pas eu de maison « Sainte-Marie » à Ossès, le fils de ce personnage doit habiter une maison située ailleurs, peut-être à Hélette), Amigot de Garro brûlèrent la « salle » (c'est-à-dire la maison noble, « aulam » dans le texte) de Pierre d'Arraused (maire de Bayonne : à la sortie de la ville vers Urt, l'actuel « Moulin d'Arrousets » perpétue le souvenir de son domaine) et coupèrent ses vergers. Prix 200 marcs. Item Pierre de Ferriague (Harriaga) doit au même Pierre d'Arrauset 20 sous qu'il paya pour lui à titre de fidéjussion. Item Pierre « Aleman » (prénom ethnique médiéval très répandu) d'Iruyta (outre le village du Baztan, il y a une maison Intrita à Saint- Esteben d'Arbéroue, citée encore au XIVe siècle et parmi les 128 anoblies de 1435)8 vola au même un bœuf : prix 30 sous ; mais il subit depuis un dommage de 10 livres. Item « Petrus » Ladron vassal du roi de Navarre enleva au même un cheval qu'il détient encore. 37 Ceux-si sont les marins9 qui naviguèrent sur la nef du roi de Navarre la dernière fois que ce même roi traversa la mer, et chacun d'entre eux demande son salaire : soit Raymond d'Os, Arnalt de Senguinet (Sanguinet dans les Landes), Fort Aner de Faurgues, Arnalt de Fort, Pierre Guillaume de Legieta (sans doute « Ligeta » nom de quartier et maisons nobles de Cize, aujourd'hui déformé en « Libieta »), Arnalt de Naubil. Raymond R. de Cimbads, Pierre de Lastres, Pierre de Seingnosa (Seignosse dans les Landes), Guillaume de Le Bruguerre (c'est-à-dire « La Bruyère »), P. d'Avorta, « Vitalis » de Monen (Monein en Béarn), Salvat de Le Peruilla (une maison d'Ustaritz se nommait « Pend » ou « Peruil », actuellement Perulea), Mathieu de Seubist, Em(ile ?) Arnalt de Plaieds, Bertrand de Le Furie (sans doute pour « Lafaurie »), Guillaume Arnalt deu Flis, Michel de Fort, Bertrand de Pui. Arnalt de Baliros. Arnalt d'Ere (sans doute pour « Aire »), Amat de Sorrain (ce nom représente peut-être « Sorano » de Hasparren) le fils de seigneur André (par « seigneur André » nous traduisons la formule gasconne qui intervient dans le texte latin : « lo fil nandriu »). 38 « Vitalis » de Villa fut pris par « Semen » de Beraids ( »Beraitz » village de Haute- Navarre) qui lui vola un paquet de marchandises, après quoi le même Vitalis fut forcé à se racheter : 68 sous sanchets. Garcia Baque vola à P. de Luxerror 31 broches (tiges de fer) quand il y avait le siège de Garro : prix 10 sous. Sanz d'Arraidu vola à Sancia (nom féminin) Arnalt d'Ossau 14 sous et demi. Garcia Baque prit Arnalt de Prad et l'obligea à se racheter 63 sous. Pierre Arnalt de Giestars (Gestas) fut pris pas Dominique Pascal de Larressoina (Larrasoain en Navarre) qui tua son père à Bayonne. Garcia d'Arraidu et ses frères obligèrent Guillaume Pierre de Laugar à racheter 120 porcs : 18 sous (sic). Garcia Arnalt de Garro et les siens prirent Bernard Espert et le blessèrent de 7 blessures et lui enlevèrent ses armes. Prix des armes et des dépenses des médecins : 40 sous. Aneco d'Arraidu et Martin obligèrent « Gardon » de Lanson à se racheter à Beios pour 3 sous. Palatin (« Palazinus » dans le texte) perdit du fait de « Semen Sementz » 4 livres et 12

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sous sanchets qu'il lui extorqua pour le rachat des poissons qu'il portait pour les vendre en Navarre. Item le même perdit du fait de R. d'Aragon à Pampelune 20 sous pour le prix d'un certain esturgeon. Raymond Guillaume de la Fiite perdit du fait de Martin d'Arraidu et de P. Sanz et Johan de Saterids 13 sous morlans. Pierre Johan de Mugron (originaire de ce village landais) perdit du fait de M. Periz péager de Maier (Maya en Navarre) 1 roussin : prix 60 sous. Bernard de Mascarat (ce nom d'origine doit désigner une maison Amezkarate non identifiée) perdit du fait de Garcia Arnalt de Garro 1 roussin et 3 vaches, et il perdit du fait de B. d'Orcuit (ce n'est sans doute pas le village labourdin, mais la maison homonyme Urkieta d'Ayherre anoblie en 1435 : voir note 8) servant du même Garcia Arnalt de Garro 16 chèvres. Prix du roussin 20 sous, prix des vaches 40 sous, prix des chèvres 16 sous. Item Amigot de Garro lui retient 20 sous qu'il demande. Item « Jordana » d'Orquieta Hugon (forme plus basque du précédent « Orcuit » et désignation de l'une des maîtresses de maison impliquées dans ces rivalités ; « Hugon » prénom masculin semble ici une erreur : il faut peut-être comprendre « suson », en gascon « situé au-dessus ») lui retient 20 sous qu'il demande de même. Arnalt Sanz de Sorarburu doit à Guillaume du Tremolet 10 livres qu'il demande. Pierre Arnalt de Goos (dans les Landes) fut pris par Sanz Arnalt de Chaua (hameau d'Etsaba ou Exave en Ossès) et les siens et conduit à Garcia A. de Garro et il dépensa en allant vers le roi et en revenant sur son ordre et pour ceux qui le conduisaient 8 livres. Item le même fut spolié par B. de Hacha (Ahaxe) qui lui prit 25 sous. Pierre Arnalt péager retient à Pascal Cordaler (ou « le cordelier ») 10 livres mor-lanes. Item Dominique fils de M. Cordaler lui retient 6 livres et 6 sous. Item Johan d'Autefalle lui retient 4 livres de sanchets et 10 sous pour ses dépenses. Pierre Maignan et Michel son fils doivent à Guillaume A. de Pagasu (cette maison était située à Saint-Jean-de-Luz) et à son épouse 12 livres morlanes. Sanz chapelain du seigneur évêque de Bayonne perdit du fait de Sanz Arnalt d'Espeleta et des siens et de Johan Ortytz et des hommes de Garcia Arnalt de Garro 13 vaches : prix 8 livres morlanes. Sanz Arnalt de Maverned perdit aussi du fait des mêmes un bœuf et une vache. Guillaume Bergoin fut blessé par Garcia Arnalt de Garro et les siens et subit un dommage de 20 livres. Arnalt Garcia de Bisaudun subit de la part de Garcia « Ochoa » alors bailli de Roquefort (c'est-à-dire gouverneur du château royal de Rocafort dont il reste encore une tour en ruines au-dessus des grottes d'Oxocelhaya) un dommage de 30 sous. Bernard Guillaume de Bagneires (nom d'origine : Bagnères) prêta à Loup Arnalt de Meharren (Méharin) et S. Loup son fils 10 livres et demie qu'il demande à Pierre de Meharren. Bartolomé de Stella (sans doute Estella en Navarre) demande 36 sous moins 2 deniers à Bon Ami le marchand qu'il paya pour lui. Item il demande 11 sous 3 deniers à Johan Sanz de Saint-Jean-Pied-de-Port. Le précepteur de Saint-Jean du bout du pont de Bayonne (le Sancti Johannis in capite pontis Baione du texte nommant l'établissement des hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem correspond à l'actuel Saint-Esprit) perdit du fait de « Lope Ochoa » alors bailli de Camer (Came) 5 vaches : prix 4 livres morlanes, et il demande pour les dépenses faites sur cela 40 sous morlans. Pierre de Saint-Nicolas clerc perdit du fait de PS, d'Arraidu 1 couteau : prix 20 deniers.

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Guillemat de Garans demande à Fortaner de Mendilla harsu (Mendilaharsu maison franche d'Isturitz) pour des douelles (planches pour faire des tonneaux) 15 livres morlanes. Pierre Arnalt de Lescum (nom du village béarnais Lescun) retient à Michel de Mangs 71 livres morlanes qu'il demande, excepté qu'il reçut de lui une fourrure blanche de lapin. Johan d'Aiossa (peut-être pour Aziotz maison infançonne de Macaye) fut pris par M. d'Arraidu et obligé à se racheter pour 20 sous morlans. Garcia Arnalt de Belsunsa doit à Pélégrin de Saubaignag (pour Sauvagnac) et Johan de Sordua (nom de l'abbaye de Sorde) une douzaine et demie de « huborn » ; Loup Brasc qui demeure à Saint-Jean-Pied-de-Port doit à R. de Larreula (nom d'origine : Larreule en Béarn plutôt que La Réole) 10 sous morlans. Pierre de Meharren doit à Johan de Sordua (idem) 4 sous 4 deniers pour une tunique d'estamine (un tissu léger en laine ou coton) forte. Pierre Sanz et Eneco d'Arraidu prirent Guillaume de Laurhontan (aujourd'hui Lahontan) dans son verger pendant les trêves et extorquèrent au même 12 sous morlans. Johan Ambazedor (titre « ambassadeur » devenu nom de personne plutôt que fonction de ce personnage) doit à la femme du bailli (« baillencs » dans le texte, au sens de « gouverneur ») d'Ortes (Orthez) 26 sous morlans et demi qu'elle paya pour lui au titre de fidéjussion. Sanz d'Arraidu et Arbeu (forme gasconne de « Arbel » qui doit être un surnom) son frère volèrent à Bénévent de Pui à Anurt (cacographie probable avec finale romane pour Ahurti c'est-à-dire « Urt ») 20 sous morlans. Johan de Pinu neveu de Johan « Beu » (semble une forme romane irrégulière pour « Bel » surnom) doit à « Baillargue » de Pinu 5 sous. Sanz d'Arraidu et Michel son frère extorquèrent à B. d'Agremont (forme ancienne et altérée de Gramont, mais cité ici comme marchand et bourgeois bayonnais) tant en numéraire qu'en vêtements 12 sous. Esclarmonde de Mangs demande à Per Ortitz 15 livres et 15 sous sanchets qu'il devait à P. de Baded en ce temps-là son mari. Item elle demande à Dominique Pusque 4 livres sanchètes qu'il devait à son dit mari. Arnalt de Claromonte (Clermont) demande à Arnalt de Lelherreguy (semble une cacographie pour Leherregi sur leher « pin » base de plusieurs toponymes basques anciens) alors bailli (représentant du roi qui deviendra plus tard le « mérin ») dou Sees (Ossès) pour « Martinco » Pascal 10 douzaines de cercles (de barriques), que le même bailli brûla : prix 40 sous. Ferrand muletier de Sancto Leone (Saint-Léon quartier de Bayonne) demande à Guillaume d'Espeleta fils de Garcia Arnalt d'Espeleta 4 roussin, du froment et une tunique neuve, toutes choses qu'il lui confisqua. Prix du tout 4 livres et demie. Guillaume Arnalt demande quatre livres à « Peirona » de Faiet au nom de « Troite » son épouse et 9 sous morlans que sa dite épouse paya pour la même Peirona à Pierre de Villa en fidéjussion. Bernard de Tissaul demande à Guillaume B. Huil de Taichon 2 bœufs qu'il vola de la cabane d'Alsueta (le nom Alzueta est, entre autres, celle d'une maison de Hasparren, la « cabane » étant ce qu'on nomme aujourd'hui une « borde ») : prix 40 sous morlans. Johan de Lesgor (doit correspondre au toponyme Laskor documenté en Cize et Mixe, mais non en Labourd ; peut-être aussi forme ancienne et altérée pour Lescar, de même étymologie que le précédent, nom d'origine de plusieurs censitaires bayon-nais cités en

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1266 au Livre d'Or) demande à M. d'Arraidu 1 couverture qu'il lui vola : prix 18 deniers. Raymond Guillaume Terreberd demande à Arnalt d'Orinsu 12 sous qu'il lui doit pour ses poissons, qu'il apporta à Mayer (Maya) aux hommes du roi de Navarre. Pierre « Blanc » et « Araldus » d'Amor demandent à Garcia Arnalt de Garro 15 sous. Item ils demandent à Sanz de Cambo 15 sous pour un bœuf qu'il leur vola. B. de Mosserrole perdit du fait de Garcia Baque à Aurt (Urt) 6 sous 4 deniers. Jordan de Salias demande à Ochoa Sanz 10 sous moins une obole pour les poissons qu'il lui vendit. Amigot de Garro prit A. de Lissabe (pour Elizabe nom de maison peut-être située à Bardos et connue aussi en Soule médiévale) et le conduisit à Sees (l'une des nombreuses cacographies du texte pour « Ossès » où les seigneurs de Garro étaient posses-sionnés par les rois de Navarre) et l'obligea au rachat pour 4 livres et 4 sous. Garcia Arnalt de Belsunsa et ses compagnons, Pierre Sanz d'Arraidu et Arbeu (« Arbeui ») et les leurs volèrent aux frères de la maison de Saint-Félix 117 grands porcs, des étoffes et d'autres choses et prirent un de leurs hommes et le forcèrent à se racheter pour 15 livres morlanes et demie. Prix de tout cela avec le rachat de l'homme : mille sous morlans. 39 (III) Celle-ci est la plainte de la communauté bayonnaise. Jureurs : P. de Rauset et Laurent de Puiana. 40 Le maire et la communauté bayonnaise disent qu'eux-mêmes étant au siège de Garro sur l'ordre de Nicolas de Molis en ce temps sénéchal de l'illustre roi d'Angleterre leur seigneur, les gens du roi de Navarre en grand nombre les couvrirent de coups étant à l'armée, blessant certains d'entre eux, en tuant d'autres. Et avec toute l'armée ils les molestèrent tant qu'ils durent revenir du siège sans avoir pris la dite maison de Garro. C'est pourquoi ayant augmenté l'armée avec d'autres fidèles du seigneur roi d'Angleterre il leur fallut revenir une autre fois à main armée au lieu susnommé, en quoi ils firent de grandes dépenses et encoururent de graves dommages. La maire et la communauté bayonnaise susdits font savoir aussi qu'eux-mêmes se trouvant au premier siège de la dite maison de Garro, les gens du roi de Navarre tuèrent 18 de leurs concitoyens venant au siège pour le même devoir et blessèrent gravement beaucoup d'autres de leurs concitoyens, et ils tiennent encore sous mainlevée 4 de leurs concitoyens qui furent pris par eux en ce temps. Estimation des dépenses et des dommages reçus pour revenir assiéger la dite maison de Garro : 100 livres qu'ils demandent leur être restituées, en plus des tués au sujet desquels ils demandent que leur soit faite juste réparation. Le maire et la communauté bayonnaise disent aussi que quand leurs concitoyens et le vicomte d'Orthe furent tués ils perdirent tant en bêtes, armements, cordages, vêtements qu'en deniers et pains et autres préparatifs de guerre pour la valeur de 100 livres morlanes ou au-delà, en exceptant les morts pour lesquels ils réclament et requièrent que réparation leur soit faite. 41 Ceux-ci sont les meurtriers qui participèrent au meurtre et à l'attaque à l'épée des citoyens bayonnais et du vicomte d'Orthe et des siens, à savoir : Garcia Arnalt de Garro, Pierre « Estua » (voir l'Avant-propos) son fils, les frères Loup Garcia et Bernard de Suiars (nom sans doute déformé et qui apparaît sous diverses graphies), Arnalt seigneur de Lecarra (Lacarre) et son frère, Bernard d'Alsu et son fils qui détient encore les armes du vicomte d'Orthe, Lope Sanz Sorrossa, Aneco Sanz de Larrassa (il n'y a pas de maison Larratz documentée en Cize au Moyen Age, mais à Villefranque : voir rubrique II et VIII)

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et son fils qui demeure en Cize, Semen de Lecharrague (autre graphie pour Leizarraga déjà cité) et son frère qui demeurent en Ossès, les trois frères de Naguiturri qui demeurent en Ossès, Aner de Villanova (traduction de Iriberri cité plus haut) qui demeure en Ossès, Bernard Guillaume d'Orcuit (pour Urkueta) qui demeure à Beelhoritz (Belhoritz nom ancien de Saint-Martin d'Arbéroue), Dominique d'Espila (il n'y a pas de maison de ce nom documentée par la suite à Armendaritz) qui demeure à Armendaritz, lequel ayant abandonné le roi d'Angleterre se mit sous l'autorité du roi de Navarre, Loup d'Erro (vallée de Haute Navarre), Johan d'Orbare et son frère et les leurs, Sanz d'Arraide, Garcia Baque, Aneco, Martin, Raymond d'Arraidu et les leurs, Sanz de Cambo et deux fils d'Arnalt Sanz de Hatche (Ahaxe), à savoir Garcia et Raymond avec les complices et les servants du dit seigneur de Hatche et son frère, qui tous au siège de Garro attaquaient les fidèles du roi d'Angleterre de jour et de nuit. Furent aussi présents dans le dit meurtre plus de deux cents hommes qui tous, exceptés 15, sont et étaient du domaine du roi de Navarre. 42 Item le maire et la communauté bayonnaise disent que le roi de Navarre perçut de la maltote10 qu'il mit à Mayer (Maya) sur eux et leurs marchands 20.000 sous mor-lans qu'ils demandent leur être restitués. 43 Item le maire et la communauté bayonnaise disent qu'à cause du règlement que la cité et le bourg de Pampelune (« burgus pampilonensis ») firent à leur préjudice et grief, à savoir que celui qui apporterait des poissons à vendre à Pampelune (« Pampilinam ») les en ferait sortir le jour suivant celui où il serait entré dans la cité ou le bourg susdit, ils ont subi un dommage de 10.000 sous morlans qu'il demandent leur être restitués. 44 Ils font ces demandes sauf le droit d'ajouter, diminuer, corriger et fixer les sommes des dépenses et des dommages. 45 (IV) Celles-ci sont les plaintes du vicomte de Tartas. Le vicomte de Tartas fait savoir que lorsque le seigneur roi de Navarre à l'occasion de la guerre qu'il menait injustement contre le seigneur roi d'Angleterre attaqua la terre qui se nomme Mixe, le même roi et les siens tuèrent B. d'Arraute gentilhomme (voir plus haut rubrique I : les deux maisons nobles d'Arraute, forme officielle romane issue du basque Arrueta, sont Elizaitzin et Elizetxe), Guillaume B. de Samacoidz (une maison Samacoitz est citée à Charritte en 1551) et Guillaume Garcie de Mazberraute (Masparraute), Arnalt son frère, Bernard de Mazberraute, Guillaume molier (ce « meunier » occitan est peut-être déjà un nom patronymique) de Mansberraute (cette forme est la plus conforme aux textes les plus anciens, mais le premier élément pris au latin mansum commence à s'altérer au XIII e siècle), Arnalt Garcie de Sosaute (de Sussaute, en basque Zozueta, dont la maison noble portait le nom de Galos) et Raymond d'Orzanquem (forme latinisée d'Orsanco). Et le dit roi avec son armée brûla une église avec tous ses ustensiles, à savoir les livres, les vêtements et, malheureusement, avec l'eucharistie. De plus ils anéantirent beaucoup d'autres églises avec les livres, les vêtements et les autres ornements. En plus de cela le dit roi de Navarre avec son armée détruisit les bourgs, les villages et les moulins et ils anéantirent les salles (« aulas ») des gentilshommes et des clercs et incendièrent les maisons (« domos ») des laboureurs (« agricolarum »)11, et aussi scièrent les vignes, les pommiers et les arbres fruitiers. A côté de cela ils leur firent des dommages soit en bétail, en blé et autres choses pour la valeur de cent mille sous, en plus du meurtre des hommes. Et il est prêt à le prouver

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tant par des gentilhommes que par des clercs et des agriculteurs (« agricultores ») et d'autres dignes de foi. 46 Ils font (sic) ces demandes sauf le droit d'ajouter, de diminuer, de déclarer, de corriger et de fixer la somme des dépenses et des dommages. 47 La dame de Bedaumes (nom apparemment altéré, ressemble à Behaune nom de quartier de Lantabat) veuve demande à Amigot de Garro 202 porcs à elle qu'il lui vola quand il était bailli du roi de Navarre, avant que le même roi de Navarre entrât en Mixe. 48 Item elle demande au même Amigot de Garro 230 sous morlans qu'elle lui paya pour le rachat de cinq hommes, et elle est prête à le prouver par des clercs, des gentilhommes et des ruraux (« ruricolas »). 49 (V) De la paroisse d'Ustaridz. Aner d'Aldave (maison Aldabea) juré dit que le roi de Navarre avec son armée lui enleva la maison, le pressoir, une cuve et du mil : prix huit livres morlanes. 50 « Per » de Guerre (pour Aguerre) juré dit que le roi de Navarre lui enleva deux toits, des cuves et du cidre et beaucoup d'autres choses : prix 8 livres et dix sous morlans. Comtesse de Gusquieguia (forme déterminée, aujourd'hui Iguzkihegia maison située à Jatxou) jurée dit que le dit roi lui enleva la maison et des cuves avec du cidre, et des coffres et du froment : prix 8 livres morlanes. Sanz de Hyrigoien (maison infançonne) juré dit que le dit roi lui enleva la maison et des cuves : prix 70 sous morlans. Pierre de Hyspirue (Aizpurua ou Haizpurua maison au hameau d'Hérauritz) juré dit que le dit roi lui enleva la maison et deux bœufs : prix 70 sous morlans. « Eneco » de Hyrigoien juré dit que le dit roi lui enleva une maison, des coffres et deux bœufs : prix 70 sous morlans. Arnalt de Landaida (Landaldea à Hérauritz, maison infançonne) dit que le dit roi lui enleva la maison et un bœuf et des coffres et des cuves : prix 4 livres. Marie de Gelos (maison Jelosea) jurée dit que le dit roi lui enleva un bœuf : prix 20 sous morlans. Garcia de Saraspe (à Hérauritz) juré dit que le roi lui enleva la maison et d'autres choses : prix 30 sous morlans. « Per » de Hyriart (Hiriartea) juré dit que le dit roi lui enleva la maison, des coffres et des cuves : prix 30 sous morlans. Johan de Marrituri (nom d'état-civil à Jatxou écrit Marithurry à l'époque moderne) 12 juré dit que le dit roi lui enleva une maison et d'autres choses : prix 20 sous morlans. Tous ces jurés donnèrent leur témoignage chacun à son tour. 51 Item de la paroisse d'Ustaridz deux taxeurs jurés : Martin de Iruber et B. de le Lana (« Le lane » ou « Lalanne » traduit le nom basque Larrea maison infançonne). Johan de Saut (nom d'origine extérieur à Ustaritz : voir Hasparren) gentilhomme perdit une maison du fait de Garcia Arnalt de Garro et des siens, trois vaches du fait de Garcia Arnalt d'Espelete, un cheval du fait de Garcia d'Anaidu : prix de toutes ces choses 11 livres et demie. Martin d'Yruber gentilhomme perdit du fait de l'armée du roi de Navarre lui étant présent une maison avec ses outils et du cidre : prix 500 sous. Pierre B. de le Lana perdit du fait de l'armée du roi de Navarre lui étant présent une maison, les outils et le pressoir : prix 300 sous.

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Martin de Juncars (maison infançonne dont le nom apparaît toujours sous la forme romane, correspondant au basque Ihitz ou Ihitzaga) perdit du fait de l'armée lui étant présent une maison, les outils, le pressoir et les cuves : prix 700 sous. Aner de Surayda (nom d'origine pour Souraïde, dont c'est l'attestation la plus ancienne connue à ce jour) perdit deux maisons du fait de l'armée du roi lui étant présent : prix 100 sous. Garcia Guillaume perdit une maison du fait de l'armée du roi : prix 8 livres. Sanz d'Auryotz perdit un bœuf et une vache du fait de Dominique Estremil et « Otsoeta » (ce nom de lieu pour anthroponyme semble une erreur) de Berroeta (nombreux lieux et maisons de ce nom partout : la forme non romanisée en « Berraute » semble indiquer une localisation en Navarre), et 33 porcs du fait d'Arnalt Loup d'Etsava et Arnalt Loup le petit (« parvum » dans le texte) et Sanz de Chava (sic) et Loup Arnalt Belhare (la maison Belhar est documentée à Urdos en Baïgorry, le mot au sens « face, devant, front » paraissant aussi ailleurs dans divers composés : Elizabelhar, Iguzkibelhar...). Prix du bœuf et de la vache 42 sous ; prix des porcs : 68 sous. Porquet perdit deux bœufs et une vache, les bœufs du fait d'Arnalt B. dit Pied de chèvre (le surnom est donné en gascon : « pei de crabe »), la vache du fait de Sanz d'Issuri (Ixuri l'une des sept maisons infançonnes anciennes d'Ayherre). Prix des bœufs 40 sous ; prix de la vache 10 sous. Garcia de Cambo perdit du fait de l'armée du roi lui étant présent une maison avec ses outils et du cidre, prix 100 sous. Bernard de Naguilha (diverses maisons de ce nom en plus de celle d'Ustaritz) perdit du fait de l'armée du roi de Navarre lui étant présent une maison avec ses outils et 5 porcs du fait de Johan de Sombilh : prix de la maison 130 sous ; prix des porcs 20 sous. Arnalt Fortin de Hariza (sans doute le nom de la principale maison noble d'Ustaritz, Haitz ou sous forme déterminée ancienne Haitza documenté ainsi partout ailleurs, qui apparaît ici réécrit par confusion avec haritz « chêne »)13 perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils, deux ânes du fait d'« Arsisart do Sees » (sic), un bœuf du fait d'Arnalt de Bidart (maisons nombreuses en Basse-Navarre et ailleurs), et un âne du fait d'Amigot de Garro dans l'armée de Garro (sans doute celle qui alla assiéger Garro). Prix de la maison et des outils 100 sous ; prix des deux ânes 12 sous, du bœuf 16 sous, du troisième âne 8 sous. Bernard Aner de Garraut (normalement ce nom reproduit en phonétique romane Garralde) perdit du fait de l'armée du roi lui présent deux maisons avec leurs outils : prix 4 livres. Bernard de Hahistura (semble une cacographie pour Haizpurua : voir plus haut) perdit du fait de l'armée du roi une maison avec ses outils : prix 30 sous. Pierre Garçie (sic) perdit du fait de l'armée du roi lui-présent une maison avec ses outils : prix 20 sous. Garcia Fortin de Lachalda (pour Latsalde avec une palatalisation qui se retrouve dans Latchalde 1256) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils et du cidre : prix 4 livres. Arnalt « Xemen » perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 30 sous. Marie Johan de Surueta (pour Soroeta dite Sorta maison infançonne) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils et du cidre : prix 40 sous. Aneco de Larçebau (romanisation de Larzabal nom d'origine) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils et du cidre : prix 9 livres.

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« Petri-Santz » de Hiryberri (ici nom de maison) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils et du cidre : prix 30 sous. Arnalt Sanz d'Estubil (les graphies divergent pour le nom de la maison Ustubil) perdit un cheval du fait de Garcia d'Arraidu et de ses frères, trois vaches du fait de Garcia Arnalt d'Espeleta, trois autres vaches du fait de Sanz d'Arraide, deux boeufs du fait de Loup d'Erro et 26 porcs du fait de Sanz d'Arrade. Prix du cheval 9 livres, des vaches 45 sous, des trois autres 40 sous, des deux bœufs 30 sous, des porcs 50 sous. Pierre Sanz de Briscoz (nom d'origine : Briscous et sans doute la salle de ce lieu) perdit du fait de l'armée du roi une maison avec ses outils : prix 25 sous. Pierre de Larrande (maison Larranda) perdit du fait de Garcia Arnalt de Garro qui le prit et l'obligea à se racheter 60 sous et un double (« unius ancipitris » : monnaie). Il perdit aussi 10 brebis du fait de Guillaume de Murua (ancienne maison de Hortza en Ossès) : prix des brebis 10 sous. Santz d'Ustaridz perdit du fait de l'armée du roi une maison avec ses outils : 30 sous. Marie B. perdit dans l'armée de Garro un âne : 8 sous. Comtesse femme de Guillaume perdit un bœuf du fait de Guillaume de Ratsu (Erratzu en Bastan) : prix 20 sous. Désirée Sanz perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 30 sous. Marie de Hesperru (pour Haizpuru : voir plus haut) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 25 sous. Sanz Johan de Berasu perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 40 sous. Pierre Bernard de Peruil (actuellement Perulea) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 40 sous. Sanz de Ferriague (graphie hypercorrective romane pour Harriaga) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 300 sous. Item il perdit deux bœufs du fait de Garcia Arnalt de Larsebau (pour Larzabal maison d'Ayherre anoblie en 1435) et Sanz de Bastan et 17 porcs du fait de Sanz de Cambo. Prix des bœufs 40 sous ; prix des porcs 30 sous. « Lobet » (diminutif roman de « Lup » ou « Loup ») de le Salda (pour Latsalde : voir plus haut) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 41 sous. Comtesse de Subieta (Zubieta) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 30 sous. Johan Arnalt perdit 14 sous du fait de Garcia Arnalt de Belsunsa ; et 3 porcs : prix 6 sous. « Ispanus » (prénom ethnique correspondant à « Espagnol ») de le Lana perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 100 sous. Arnalt Loup de Villanova (traduction de Iriberria précédemment cité) perdit du fait de l'armée du roi lui étant présent une maison avec ses outils : prix 15 livres. Et 20 porcs du fait de Garcia Arnalt de Belsunsa, et 2 bœufs. Prix des porcs : 40 sous ; prix des bœufs : 40 sous. Aner de Bidart (forme romanisée habituelle de Bidarte) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils, des cuves et le pressoir : prix 15 livres. Item il perdit deux bœufs du fait de Garcia Arnalt d'Arraidu et A.S. et leurs frères : prix 40 sous. Bernard de Castaingnada (la version basque est Gaztenaldea) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils et des cuves : prix 150 sous.

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Arnalt d'Arrauts (pour Arrauntz) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 4 livres. Item il perdit un bœuf et demi (« unum bovem et dimidium » sic !) du fait de Garcia Arnalt de Belsunsa : prix 28 sous. Arnalt de Heguio (sans doute pour Hegia sinon Hegito quoique le suffixe -o soit bien attesté dans d'autres toponymes anciens) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 30 sous. « Auria » de Torobyz perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 150 sous. « Maria » Johan perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 30 sous. « Jordana » de Harauriz (quartier Herauritz) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 15 sous. Comtesse Arnalt perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 10 sous. Arnalt de Mespa (doit représenter Amezpea) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 100 sous. Marie de Berria perdit du fait de l'armée du roi un tonneau et un coffre : prix 3 sous. « Gaieta » perdit du fait de l'armée du roi une maison avec ses outils : prix 100 sous. Daunet d'Aranseta (le nom de maison Arhantzeta « lieu de prunelliers » est très répandu) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 100 sous. Pierre B. de le Lana perdit du fait de Arnalt Loup le petit (« parvum ») 6 porcs : prix 24 sous. Pierre R. perdit du fait de Sanz Arnalt de Naguyturri 2 vaches et 6 sous, prix des vaches 32 sous. Item il perdit du fait de l'armée du roi lui présent 1 bœuf, deux porcs et demi (sic) : prix 30 sous. Arnalt de Chavahen (forme altérée avec mécoupure romane pour Etxabarren. forme ancienne correcte devenue aujourd'hui Etxebarne) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 4 livres. B. « Faber » de Jatsu (vu les troupeaux possédés il ne s'agit sans doute pas du « forgeron de Jatxou », et le nom de métier faber ou son héritier roman local faure doit être utilisé comme nom de personne) perdit du fait de G.A. de Garro 24 grandes vaches et 22 petites (« peguillos », des mots romans apparaissant au milieu du latin : le sens se déduit de l'opposition avec « maiores ») qu'il demande avec leur nourriture. 52 (VI) De la paroisse de Saint-Etienne de Pagandurua (c'est-à-dire : Macaye)14 Pierre de Pagandurua (la maison noble principale de Macaye) gentilhomme perdit du fait de Garcia Arnalt de Garro et Loup d'Erro et Loup Garcia de Syvars (ce nom étrange répété semble l'altération romane avec mécoupure de Etxebertze : nombreuses maisons en Basse-Navarre et ailleurs) 34 porcs et 34 sous pour le rachat de sa porcherie (le troupeau de porcs) : prix des porcs 100 sous. Item il perdit une maison avec ses outils du fait d'Amigot de Garro : prix 7 livres. Item il perdit du fait des hommes de Garcia Arnalt et Amigot de Garro deux ânes et des étoffes de son épouse : prix 20 sous. Item Garcia Arnalt de Garro lui doit pour emprunt garanti (« ex mutuo ») 50 sous. Jureurs pour cela : Garcia Arnalt d'Uhalda ( Uhaldea maison de Macaye) et Arnalt Sanz de Hyrygoien (actuellement Irigoinia). Item il perdit du fait de G.A. de Garro 19 porcs : prix 30 sous.

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53 (VII) De la paroisse d'Arcangos (Arcangues, en basque moderne Arrangoitz) 54 Arnalt Johan de Naubeis (voir plus haut rubrique II Naubica) juré dit que « Johannes » de Sancto Petro (la maison noble Saint-Pierre Donapetria de l'actuel Saint-Jean-le- Vieux est citée depuis le XIIe siècle et le raid de Richard Cœur de Lion qui la détruisit alors ; parmi d'autres du même nom celle d'Armendaritz qui n'avait pas le statut de noblesse) alors compagnon de Sanz de Cambo lui prit 20 porcs et les mena en Cize : prix 8 livres morlanes. Et Martin « Chuste » (sans doute un surnom : il rappelle les formes basques ichusco/ichusto très répandues dans les documents de l'époque) lui enleva 1 bœuf et 1 vache : prix 40 sous. 55 (VIII) De la paroisse de Biela franque (Villefranque : portait le nom basque Bazter « vord » documenté du XIe siècle au XIIIe). Raymonde de Sancto Martino (l'une des nombreuses maisons nobles Saint-Martin en basque Donamartea est à Villefranque et nomme comme très souvent la paroisse du lieu) jurée dit que Sanz de Cambo lui enleva 29 porcs et un âne dont le prix est (espace blanc dans le manuscrit) 3 sous morlans. Et Sanz d'Arradu (sic) 25 brebis : prix 20 sous. Et Garcia Arnalt de Belsunsa 29 porcs : prix 9 livres et 15 sous. Et Pierre Sanz d'Arraidu 3 porcs : prix 14 sous. Garcia Arnalt d'Espeleta lui enleva 4 vaches : prix 4 livres. Arnalt Guillaume juré dit que Bernard de Hatche (Ahaxe) et Pierre B. de Sancto Martino (il s'agit ici de Bas-Navarrais : les deux maisons nobles Saint-Martin étaient à Lecumberry en Cize. dont une actuelle maison-tour datant de ce temps) le blessèrent et l'emmenèrent lié et le tinrent en captivité 11 semaines et l'obligèrent à se racheter pour 48 sous. Et les hommes de Garcia Arnalt de Garro et Amigot lui enlevèrent deux bœufs : prix 40 sous. Et Sanz d'Arradu avec ses compagnons lui enleva un bœuf : prix 28 sous. Et le dit B. de Hatche et P. B. de Sen Martin (sic : forme romane du nom) prirent Bonet et l'obligèrent à se racheter pour 68 sous. Guillaume Pierre de Tismar (cette maison est nommée Chimar en 1690) juré dit que Sanz de Cambo lui enleva 5 sous, et Guiralt de Lissarrague lui prit 7 sous. Pierre Arnalt d'Irrissarri (nom d'origine qui peut désigner aussi bien un habitant de ce village que le commandeur de l'hôpital) lui retient 9 sous. Les compagnons de Garcia A. de Garro lui enlevèrent 2 bœufs : prix 25 sous. Guillaume Arnalt de Larras (maison nommée Arlas en 1690) juré dit que P. Estua et Guiralt de Lissarrague et Martin de Sancto Johane (sans doute de Saint-Jean-Pied-de- Port : pas de maison Saint-Jean documentée en Basse-Navarre) lui volèrent deux bœufs et d'autres choses : prix 47 sous. Item Arnalt Loup d'Exagoe (vu le contexte peut représenter l'une des maisons Etxagoien d'Ossès ou ailleurs plutôt que « Etsaba », mais semble plus proche du nom du village navarrais d'Echagüe) et Garcia Arnalt de Harismendi (maison infançonne d'Ossès) lui volèrent un bœuf : prix 25 sous. Tous ces jurés donnèrent leur témoignage sur ces choses chacun à son tour. 56 (IX) De la paroisse de Saint-Jean-de-Luz (« Luis » avec diphtongue héritée de Lohitzun) La dame Valence de Jaldai (ancienne maison noble Jaldai) perdit du fait de Pierre Gonsalvo de Bastan 70 porcs : prix 8 livres et 15 sous. Aneco de Santz (plus loin écrit Sansu, nom de maison infançonne) perdit du fait de Garcia Arnalt d'Espeleta et des siens une maison avec ses outils : prix 10 livres.

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Johan Sanz de Sansu perdit du fait de Garcia Arnalt d'Espeleta une maison avec ses outils et 25 porcs et 30 chèvres et 17 abeilles (c'est-à-dire « ruches »). Item il perdit du fait de Johan Peires mérin du roi de Navarre 2 vaches. Item il perdit du fait de Garcia Arnalt d'Espeleta 12 conques de froment et 10 d'avoine et 60 de mil : prix de la maison avec ses outils 100 sous ; prix des porcs 75 sous ; prix des abeilles 17 sous ; prix des vaches 30 sous ; prix du froment 20 sous ; prix de l'avoine 8 sous ; prix du mil 50 sous ; prix des chèvres : 30 sous. Aneco de Sansu perdit du fait de Garcia Arnalt d'Espeleta et des siens une maison avec ses outils et du blé : prix 9 livres. Item il perdit du fait de Johan Peires mérin du roi de Navarre 6 vaches : prix 4 livres. Arnalt Johan de Pagandu (nom écrit Pagueundo en 1257, ce qui suppose Pagondo « près du (des) hêtre(s) » plutôt que « tronc de hêtre », mais Pagandu « souche(s) de hêtre » n'est pas impossible) perdit du fait d'Arnalt B. d'Orcuit un bœuf : prix 20 sous. Tous ces jurés donnèrent leur témoignage sur les choses susdites chacun à son tour. Pierre de Sansu perdit du fait de Garcia Arnalt d'Espeleta 59 porcs : prix 15 livres moins 5 sous. Item le précité Garcia Arnalt d'Espeleta tua son frère et il perdit du fait du même G. A. des vêtements et des armes : 8 livres. Arnalt de Naubeis jura pour cela. 57 (X) Bernard B. prieur du Paradis (« prior paradisi » : voir la rubrique XXVI)15 juré dit qu'il perdit du fait de Garcia Almoravid et des siens 100 brebis et 32 porcs : prix des brebis 150 sous morlans ; prix des porcs 8 livres morlanes. Frère Pierre B. prieur de le fonsa (écriture romane hypercorrective et latinisante avec « f » pour « h » pour l'abbaye de Lehuntz ou « Lahonce »), ayant juré sur l'âme de son abbé et la sienne propre, dit que « Gassie » Baque et Sanz d'Arraidu et ses frères volèrent de l'abbaye de le fonsa 6 vaches et 7 porcs et 1 bœuf : leur prix 106 sous morlans. Item il dit que dans la capture de ses hommes et le vol de ses autres biens les malfaiteurs susdits grevèrent la dite abbaye de 4 livres morlanes et demie. Item il dit que Garcia Arnalt de Garro obligea Sanz, homme de la dite abbaye, à se racheter pour 6 livres et 12 sous morlans. Item il dit que Sanz de Yssuri leur vola 2 porcs : prix 15 sous morlans. Espagne (« Hispania ») d'Orcuit (il s'agit ici du nom d'origine du village voisin d'Urcuit) jurée dit qu'elle perdit du fait de la famille de Martin Enecotz (sic) 100 moins 2 (sic) porcs : prix 35 livres. 58 (XI) De la paroisse de Sancti Johanniz de Biudz (nom roman ou romanisé ancien de Mouguerre)16 Johan de Sancto Johanne (nom d'une maison noble Saint-Jean, disparue depuis, qui avait dû fonder la paroisse, ou nom d'origine de Hasparren) juré dit que Garcia Arnalt de Garro prétextant injustement de fidéjussion lui vola 13 vaches : prix 9 livres et deux sous. Arnalt de Heriart (actuellement Iriartea) juré dit que Raymond d'Espilla (plusieurs maisons Erspila ou Espila en Cize et Baïgorry) et ses familiers le prirent et l'obligèrent à se racheter pour cent et 20 sous morlans et lui enlevèrent 12 porcs : prix 48 sous. Item il perdit du fait de S. d'Araide un bœuf : prix 20 sous. Raymond de Lariat (doit être le nom Larrarte) juré dit qu'il perdit 2 bœufs du fait des servants du vicomte de Baigur (forme semi-romanisée avec chute de voyelle finale de Baïgorry) et d'Arnalt Arnalt et Sanz de Naguitori : prix 40 sous. Arnalt d'Onderiz (la maison Underitz ou Honderitz moderne Hondritz était à Anglet ; à

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Mouguerre deux maisons portent le nom Irundaritz et il y a probablement confusion) perdit un bœuf du fait de Garcia Arnalt de Garro : prix 20 sous. Johan d'Onderiz perdit du fait de Raymond d'Espilla 16 porcs : prix 55 sous. Tous ces jurés donnèrent leur témoignage sur ces choses chacun à son tour. 59 (XII) De la paroisse d'Espeleta. Garcia d'Espeleta perdit du fait d'Arnalt Loup le petit et « Gassia » de Heriart et Sanz Arnalt d'Etsau 39 porcs : prix 4 livres moins 2 sous et 6 deniers. Item il fut racheté par (sic : pour « fut obligé à se racheter ») Michel Garcia de Lerin (val de Haute-Navarre) 18 sous et 6 deniers. Item il perdit du fait de Sanz Arnalt d'Etsau 7 chèvres : prix 9 sous. Jureuse pour cela : « Gracia » de Berindoz (maison noble à Anglet actuellement Brindos) sa femme. Raymond Arnalt chapelain (c'est-à-dire « curé ») d'Espeleta perdit du fait des compagnons d'Amigot de Garro 1 bœuf : 24 sous. Jureurs pour cela Aneco d'Uxainda (sous cette forme correspond à Otxanda, mais c'est sans doute une erreur pour Uxavida) et Lope d'Organvede (pour Orgambide). Item le chapelain ayant juré sur l'âme d'Arnalt de Gortairi (nom aujourd'hui partout altéré en Bortairi), comme il parle sur son ordre, demande pour le même Arnalt de Gortairi 1 bœuf qu'il perdit du fait de Martin Baratsa (forme probablement raccourcie pour une maison Baratzearte) compagnon de Guillaume d'Espeleta : prix 25 sous. Item le chapelain ayant juré sur l'âme de Sanz seigneur d'Espelete (la maison noble ou salle dont dépendait toute la paroisse), comme il parle en son nom, demande pour le même Sanz le paiement des moulins d'Espeleta et de la salle et des celliers d'Espeleta et des outils et du cidre, de 100 brebis brûlées et de deux mille pommiers dévastés et des dommages portés à son épouse qui lui succéda comme héritière, du fait du roi de Navarre et des siens et de Loup d'Erro et des siens : prix de tout mille sous. Aneco Uxavide (c'est-à-dire Otsabide) perdit 40 porcs du fait d'Arnalt Loup de Chaga (peut-être pour l'actuel Echagüe en Navarre) et ses compagnons. Item il perdit une maison du fait de Loup d'Erro et ses compagnons et les outils de la maison : 4 livres : prix de la maison et des (objets) contenus : 100 sous. Jureur pour cela le chapelain susdit, lequel chapelain fut admis à la place des susdits Arnalt de Gortharri (sic) et Sanz d'Espelete (sie) parce que, selon lui, ils n'osaient pas entrer dans Bayonne. 60 (XIII) De la paroisse de Hetsa (pour Ahetza). Pierre de Herenbillague (pour Haranbilaga avec mouillure notée et étendue dans ce type de nom) perdit du fait de Loup Aner et ceux d'Espeleta (ceux de ce nom du parti navarrais) 8 têtes de bœufs et de vaches (« capita boum et vaccarum » se retrouve exactement aussi dans l'expression basque courante pour le compte du bétail idiburu, behi-buru etc.) : prix 6 livres. Jureurs pour cela Johan Arnalt et Bernard de Carreta (semble une altération de Lakarreta ou Agerreta), ses voisins (« vicini ejus »). 61 (XIV) De la paroisse de Hyruber (forme attestée depuis le XII e siècle pour l'actuel « Saint- Pierre-d'Irube », ce qui peut laisser entendre que l'ancien composé était fait sur -berri « neuf »). Arnalt de Hytsa (maison Ihitz en forme déterminée) perdit du fait d'Aneco Sanz et de

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Sanz de Viura frères 9 porcs : prix 19 sous. Il perdit du fait des mêmes 1 bœuf qu'il leur racheta 8 sous. Item il dit qu'il dépensa pour chercher les dits porcs 8 sous. Garcia Arnalt de Leichague (pour Elizaga avec palatalisation caractéristique du labourdin côtier qui passera aussi au gascon bayonnais) perdit du fait d'Aneco d'Arraide et Martin son frère et des leurs 59 brebis. Item il perdit du fait d'Amigot de Garro 41 sous avec lesquels il racheta 9 têtes de bœufs et de vaches : prix de toutes les brebis 78 sous moins 3 deniers. Pierre de Huhagon (pour Uhagun nom qui se trouve aussi à Ayherre) perdit du fait d'Amigot de Garro 3 vaches : prix 29 sous. Et il lui racheta deux autres vaches 16 sous. Item il perdit du fait de Garcia Arnalt de Garro une vache : prix 16 sous. Item il perdit du fait d'« Aossa » (sic : erreur probable d'écriture) Sanz de Viura et Arnalt Guillaume dou Sees une vache : prix 16 sous. Tous ces jurés donnèrent leur témoignage sur les choses susdites à tour de rôle. 62 (XV) De la paroisse de Briscos (forme romane qui a donné l'officiel Briscous). Jureurs et taxeurs : Arnalt Sanz de Garat et Fort Guillaume de Firiart (pour Hiriarte). Arnalt Sanz de Garat (maison Garatea) perdit du fait d'Amigot de Garro et des siens, et il sortit de « Rupe forti » (Garro sortit du château navarrais de « Rocafort » - ici latinisé - pour faire ce coup de main), une maison et ses outils : prix 20 livres morlanes. Item il perdit du fait de Sanz de Cambo 110 sous morlans et il le (« ipsum » qui désigne normalement le spolié, mais semble renvoyer plutôt à l'argent) mit à le Carra (Lacarre). Fort Guillaume de Firiart perdit 24 porcs du fait de Sans d'Arraidu : prix 60 sous morlans. Arnalt Sanz de Hiriague (romanisation de la finale et cacographie pour Harriaga) et Guillaume son frère perdirent 200 sous morlans du fait d'Amigot de Garro et des siens et il (Garro) sortit de « Rupe forti » et il retourna avec eux (les sous) à « Roque Fort » (sic : voir plus loin). « Sorbe » de Hirumberri (doit correspondre à Hiriberria, la nasalisation devant -b- s'étant perdue depuis) perdit du fait d'Amigot de Garro et des siens une maison et ses outils : prix 10 livres ; et Amigot sortit de Rupe Fort et retourna à Roquefort (sic pour le mélange linguistique). Item elle perdit du fait de Johan d'Orsasenete deux ânes : prix 20 sous morlans ; et il (ce dernier) demeure à Orsoe (Urzua désignant sans doute ici le village d'Arizcun où se trouve la fameuse maison plutôt que celle-ci) en Bastan. Navarre de Guerre (maison Agerrea) perdit du fait d'Amigot de Garro et des siens une maison et ses outils : prix 10 livres morlanes ; et Amigot sortit de « Rupeforti » et il y retourna. Navarre d'Olhatse (maison Olhatzea) perdit du fait d'Amigot de Garro et des siens une maison et ses outils : prix 11 livres morlanes ; et Amigot sortit de Rupe forti et y retourna. Navarre d'Olhatse perdit du fait de A.B. Pied de chèvre un bœuf : prix 10 sous. Navarre de Guerre perdit du fait de P. Sanz d'Araidu (sic) un bœuf : prix 18 sous. Pierre de Paganduru (cette maison était à Macaye et c'est peut-être ici un nom d'origine, ou une erreur d'écriture pour Pagadoi) perdit du fait de Garcia A. de Naguiturri 6 porcs, prix 30 sous ; et il (ce dernier) demeure à Ossees. Sorbe d'Errimberri (sic : il est curieux de retrouver au XIIIe siècle des variantes de ce nom rappelant des citations de l'Antiquité) a été obligée à se racheter par Fort Arnalt de Mendilleharsu pour 100 sous et il (celui-ci) demeure en Arbéroue (« Arberoe »). « Messeriat » de Paganduru perdit du fait de G.A. de Garro et des siens 14 porcs et 16

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brebis : prix des porcs 70 sous, des brebis 39 sous. Item il fut pris par le même G.A. de Garro qui le mit à Bayonne fidéjusseur pour Guillaume A. de Luc et ses compagnons, lesquels pour cela lui demandent 1000 sous. 63 (XVI) De la paroisse de Bassessarri (Bassussarry qui dut être d'abord en composition basque régulière Basasarri). Pierre d'Ossadges (doit correspondre à un nom comme Otsatz) perdit du fait des servants d'Amigot de Garro 1 bœuf que retint contre son gré (« ipso invito » : sans doute... le gré du propriétaire) la dame de Rutia (avec aphérèse et mécoupure romanes habituelles c'est la maison Urrutia d'Isturitz anoblie en 1435 puisqu'il s'agit de la compagnie de Garro, plutôt que l'une des maisons de ce nom en Cize ou Baïgorry). Item il perdit du fait de P. Sanz d'Araidu et ses frères 2 bœufs et des outils : prix des outils 3 sous, et prix des bœufs 66 sous. Johan de Faurgues perdit 1 bœuf du fait de Garcia Baque et ses frères et trois paillets (balles de blé) et 4 soldées de pains et 1 charrette (« currum ») : prix du bœuf 20 sous, prix des paillets 6 sous, prix de la charrette 4 sous. Aimée (« Amata ») de Larrer (ce nom pourrait représenter Lorrairi ou un autre composé de larre « lande ») perdit du fait de G. Baque et ses frères 2 bœufs : prix 40 sous. Item elle perdit par les mêmes une charrette et un paillet qu'elle estime 3 sous. « Angeler » (s'agit-il d'un surnom d'origine en basque « Angeluar », roman « Angloy » ?) perdit du fait de G. Baque et de ses frères une charrette et un paillet : prix 8 sous. Ceux-là ayant juré chacun à son tour donnèrent leur témoignage sur les choses susdites et dirent pour eux-mêmes et pour certains de leurs voisins absents qu'il furent pris par Amigot de Garro et rachetés à (le texte dit « par ») lui-même et son père pour 4 livres. 64 (XVII) De la paroisse de Suraide (« Souraïde »). Johan de Suraide perdit du fait de Garcia Arnalt d'Espelete et ses compagnons, à savoir S. Arnalt fils d'Arnalt Blanc, Johan Ortiz et quelques autres 120 brebis : prix 9 livres. Seignoret prévôt d'Ustaritz perdit 2 mâts avec des cordages du fait de Martin Bracs, Johan Ortiz, Dominique Haretha (si ce nom n'avait été écrit d'abord Harraca, il rappellerait le toponyme médiéval Harretxe) et Senescala (ce titre doit être un surnom) compagnons de Garcia Arnalt et Amigot de Garro : prix 18 livres morlanes. 65 (XVIII) De la paroisse d'Orroingna (graphie qui correspond à l'actuel Urruña : Urrugne). Deux taxeurs jurés : P. de Horsebau (forme romanisée de Horzabal ou Orzabal) et A. de Sancto Vincentio (les maisons nobles « Saint-Vincent » étaient à Lécumberry en Cize et c'est peut-être ici un nom d'origine). Pierre de Horsebau perdit 5 porcs et un porc (sic) du fait de S. A et d'autres compagnons de G. d'Espelete : prix 40 sous. Arnalt de Saint-Vincent fut obligé par Johan de Herismendi (Harizmendi voir plus haut rubrique VIII) et d'autres servants de G.A. de Garro au rachat : 11 livres et 5 sous. Il perdit aussi du fait des mêmes 76 porcs : prix 11 livres. Pierre Arnalt de Le Lane (pour Larrea) perdit avec son père 24 vaches du fait de Loup Aner : 20 livres. Item il perdit du fait des compagnons de Sanz de Lisserague 3 porcs : prix 30 sous. Pierre Arcidz (probablement pour le nom d'origine « Artix ») perdit deux vaches du

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fait de Sanz Tyso (semble un toponyme comme on le voit plus loin) et ses compagnons : prix 30 sous. Johan de Horsabaus (sic) et Dominique Johan perdirent du fait de Martin de Saxo et Johan de Thais 36 porcs : prix 7 livres. Item Sanz Arnalt et les autres servants de G.A. de Garro l'obligèrent à se racheter pour 8 livres et 8 sous. (Suit un segment non relié au reste nommant peut-être un témoin : « Acearium parvulum sororium ipsius Johannis de Horsebaus », qu'il faut entendre comme « Aznar le (tout) petit beau-frère du même Johan de H... »). Marie Sanz perdit du fait de Garcia Sanz et Martin de Thala (peut représenter Chala pour Sal(h)a) une maison, un moulin et des outils : prix mille sous. Dominique Pierre perdit du fait des servants de Martin « Enecotz » et Sanz de Tyso et Sanz de Lagornaga 28 porcs : prix 6 livres. Et il perdit un bœuf du fait d'Aner d'Amots (nom d'un quartier de Saint-Pée-sur-Nivelle) servant de Martin « Enecoidz » : prix 20 sous. Item Arnalt de Saint-Vincent perdit 33 porcs du fait de G. de Sancto Stephano (il s'agit de la salle de Saint-Esteben d'Arbéroue ou de la maison infançonne du même nom à Bustince en Cize) : prix 100 sous. La dame Gracie de Laralda (Larraldea) perdit une maison avec ses outils du fait de Loup Aner et les compagnons de G. d'Espeleta : prix 50 livres. 66 (XIX) De la paroisse de Sancti Petri d'Ivarren (Saint-Pierre d'Ibarron pour Saint-Pée-sur- Nivelle). Deux taxeurs jurés : Guillaume Arnalt de Feuti (pour Heuti) et Fortin Ortitz. Guillaume Arnalt de Feuti à qui Egide d'Ordaidz (c'est, sur les termes urd- « plat. plateau » et l'oronyme aitz le toponyme très répandu Urdaitz, représentant sans doute ici le monastère navarrais voisin ou un autre nom d'origine) doit 6 livres pour les pacages des porcs (sic : phrase inachevée). Item Aner de Bertin doit au même 100 sous qu'il paya pour lui. Il demande les dûs susdits. Fortin Ortiz perdit du fait de Garcia Almoravitz (sic) et de l'armée du roi de Navarre une maison et d'autres choses : prix 100 sous. Garcia Sanz perdit du fait de l'armée du roi une maison avec ses outils : prix 100 sous. Item Dominguet perdit du fait de Johan Ortitz et ses autres compagnons 27 porcs : prix 100 sous. Arnalt del Haaz perdit du fait de Garcia Almoravi (sic) et l'armée du roi une maison avec ses outils : prix 4 livres. Arnalt d'Armola (maison dite actuellement Armora) perdit du fait de G. Almoravi (sic) et G.A. de Garro une maison avec ses outils : prix 8 livres. Aneco d'Ordoiz (sans doute même nom que plus haut, avec une ouverture voca-lique banale, et une assimilation vocalique qui l'éloigne du modèle) perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 4 livres. « Maria del Fleis » perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils : prix 60 sous. Garcia Arnalt perdit du fait de l'armée du roi des étoffes avec d'autres choses : prix 10 sous. 67 (XX) De la paroisse de Sancti Martini d'Arribera Longa (ce nom roman « rive longue » était donné à Larressore, du basque Larrasoro, et Halsou. de part et d'autre de la Nive). Deux taxeurs jurés : G.A. d'Uhalda (Uhaldea maison infançonne de Halsou) et Guillaume de Locata (maison infançonne dite en 1505 Locata jaureguy, moderne Loketa).

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G.A. d'Uhalda perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison avec ses outils, des cuves et du cidre : prix 20 livres. Guillaume de Lochata (sic) perdit du fait de l'armée du roi lui présent du cidre, une cremaillère (« cremalium ») et d'autres outils : prix 60 sous. Guillaume Sanz de Hiriguian (pour Hirigoien) perdit du fait de l'armée du roi du froment, de l'avoine et des étoffes : prix 30 sous. Pierre de Narbayz (les maisons Narbaitz connues étant en Basse-Navarre c'est peut-être un nom d'origine) perdit du fait de l'armée du roi lui présent trois maisons : prix 100 sous. Fortin d'Alduyda (maison homonyme des « Aldudes », l'actuel Aldaia pouvant en être issu quoiqu'il soit plus naturel de penser à un ancien Aldabea) perdit du fait de Dominique d'Estremil 2 bœufs : prix 50 moins 4 sous (sic). Item il perdit du fait de Michel fils de Gracie Chemen et Loup le blanc (sic : « Lupum suria ») 16 sous et 8 deniers. Sanz de Halsu juré au nom de son père perdit du fait de l'armée du roi lui présent du blé. des pommiers, des cuves et des coffres : prix 60 sous. Marie Guillaume de Landaldeta (actuellement Landaldea) perdit du fait de l'armée du roi lui présent des coffres, des abeilles et des pommiers : prix 70 sous. Comtesse de Hiriguian perdit du fait de l'armée du roi lui présent du blé et des étoffes. Arnalt de Heruspa (pour Harizpea) perdit du fait de l'armée du roi lui présent 1 vache, du blé, des brebis et des cuves : prix 70 sous. Garcia de Hyriart (Hiriartea) perdit du fait de l'armée du roi lui présent 20 conques de mil, une cuve et du cidre : prix 20 sous. Item le même ayant juré (« jura-duz » sic) pour Gracie de Hyriart sa sœur qui ne pouvait venir dit qu'elle perdit du fait de l'armée du roi lui présent une maison, du cidre et des vases : prix 30 sous. Arnalt Bernard de La Cata (voir plus haut Locata) perdit du fait de l'armée du roi lui présent 6 sous en numéraire et des pommiers : prix 9 sous. Garcia de Garat (maison Garatea) perdit du fait de l'armée du roi lui présent du blé, du cidre et des outils : prix 9 sous. L'église de Saint Martin d'Arribera Longa (l'église de Larressore où se trouve la maison noble Saint-Martin) perdit du fait de la même armée un livre et un vêtement : prix 20 sous. Elle perdit aussi deux grands pots (« ollas » : oulles). 68 (XXI) De la paroisse de Bardoz. Bernard de Bardoz (la salle ou maison noble dite en 1203 et 1256 domus de bardoz) damoiseau17 perdit du fait de Bernard de Belsunsa 7 bœufs : prix 7 livres. Il perdit aussi du fait de Martin d'Arraidu et Aneco d'Arraidu l'arbre du pressoir, les meules et le fer du moulin : prix 6 livres. Jureurs pour cela Guillaume d'Armendariz (désigne sûrement ici la salle du lieu, actuel « château d'Armendaritz » : voir plus loin) et Pierre B. de le Lana (maison Larrea). Bernard « Tornerius » (nom de métier « tourneur » peut-être employé comme nom de personne) d'Aignoa (nom d'origine Aïnhoa où la mouillure a disparu) fut pris par B. de Belsunsa et Sanz Arnalt de Herryeta (pour Harrieta maison franche d'Ayherre anoblie en 1435) et obligé à se racheter pour 18 livres et 5 sous. Jureurs pour cela : Guillaume d'Armendaritz et B. de Bardos. Guillaume d'Armendariz (il s'agit certainement du seigneur de la salle d'Armendaritz retiré ou réfugié à Bardos après l'intervention des Navarrais, les dégâts concernant un grand domaine, où a même eu lieu comme à Hasparren la politique de la terre brûlée

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pour ne pas avantager l'agresseur : le nom semble être resté à Bardos où la maison Arbendaritz est citée au XVIIe siècle) perdit du fait de G. A de Garro et Loup d'Erro et des leurs ses pommeraies, noyers, maisons, moulins et granges et le père du même perdit deux chevaux du fait de Garcia d'Arraydu et de ses frères. Item Guillaume lui-même brûla une autre maison, craignant que le roi de Navarre ne l'occupât : prix de cette dernière maison 35 livres ; prix de tout le reste mille sous et 36 livres. Jureurs pour cela : Bernard de Bardoz et Pierre Bernard de le Lana. 69 (XXII) De la paroisse de Sansa (pour Azantza principale maison noble de Cambo servant à nommer ici le village). Jurés (sic). Deux taxeurs jurés : Guillaume d'Armendariz et Pierre B. de le Lana. Sanz de le Lana (pour Larrea cette fois à Cambo) perdit du fait d'Amigot de Garro et Sanz de Cambo (originaire du lieu mais partisan navarrais comme dans d'autres cas) deux maisons, des cuves et du cidre : prix 40 livres. Item il perdit du fait d'Amigot de Garro et Sanz de Cambo 73 porcs : prix 20 livres. Bernard de Cruchiague (Kurutxaga) perdit du fait d'Amigot de Garro et Sanz de Cambo une maison, une borde (« bordam ») et 7 cuves, des arbres, des noyers : prix 35 livres. Il perdit aussi du fait d'Amigot et Loup Aner 110 brebis et 2 vaches : prix 7 livres. Et il perdit du fait des mêmes 43 sous. Sanz d'Urcjndoi (cacographie pour la maison infançonne Urkudoia) avec son père perdit du fait de l'armée du roi de Navarre, le roi étant présent, 111 porcs : prix 7 livres. Son père perdit aussi du fait du fils de Garcia « Chemen » d'Oarriz (Oharriz dans le Bastan) 16 sous et 8 deniers. 70 (XXIII) De la paroisse de le Saca (nom donné anciennement à Itxassou). Deux taxeurs jurés : Guillaume d'Armendariz et Pierre B. de le Lana. Johan de Larrando (pour Larrondo maison infançonne) perdit 22 porcs du fait des servants du vicomte de Begur (Baïgorry) : prix 7 livres. Arnalt Sanz de Savaloa (Zabaloa maison infançonne) perdit du fait des servants du vicomte de Begur 14 porcs : prix 42 sous. Il perdit aussi du fait de Guillaume Sanz et Aneco Sanz deux brebis et 6 chèvres : prix du tout 9 sous. 71 (XXIV) De la paroisse de Saut (la maison seigneuriale de Saut ou Zaldu identifie l'ensemble du « castrum » et la paroisse, la plus importante, hors Bayonne, du Labourd à cette époque : Hasparren)18 Arnalt de Saut perdit du fait de G. A. de Garro et Amigot son fils des maisons et leurs outils, une vache et des pommeraies : prix 25 livres. Bernard d'Ostebil (graphies diverses pour la maison Ustubilea) perdit du fait de l'armée du roi de Navarre lui présent des maisons19 (19) avec leurs outils : prix 20 livres. Il perdit aussi 9 porcs du fait de Pierre de Herriague (pour Harriaga) et du fait de « Domicu » (l'une des formes locales de Dominique) Arressayga (aucune autre mention d'une maison Harresiaga « lieu de clôtures de pierres » n'étant connue, il faut peut-être comprendre Haritzaga bien qu'il n'y ait pas non plus de maison ancienne de ce nom en Basse-Navarre) 4 vaches : prix 4 livres. Arnalt Guillaume de Bassu (diverses graphies pour cette maison notée en 1193 bassuren puis bassoign, bassuen, baissen moderne Ibasunea) perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons avec leurs outils, des vaches, des porcs, et lui-même fut capturé : prix

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40 livres. Arnalt d'Oyharsa (forme déterminée de Oihartz) perdit du fait de Garcia Arnalt de Garro et des siens des maisons, porcs, brebis, vaches : prix 35 livres. Garcia d'Ansuete (pour Alzueta avec altération courante de -1- en -n-, moderne Alzuieta avec « yod » intervocalique souvent articulé par réduction de diphtongue avec -i- long Alziita) perdit du fait de Garcia Arnalt de Garro et des siens des maisons avec leurs outils : prix 13 livres. Il perdit aussi du fait de Johan de Setheriz (Satharitz) 2 vaches : prix 30 sous. Arnalt « del » Ofalso (cacographie avec aspiration rendue par f pour Olhaso maison infançonne) perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons avec leurs outils : prix 100 sous. Il perdit aussi du fait d'Arnalt de Cyvars (cacographie déjà notée pour un possible Etxebertze : maisons de ce nom à Ayherre, Saint-Martin d'Arbéroue, Ossès etc.) 3 porcs : prix 15 sous. Pierre de Bidart perdit du fait de G. A. de Garro et des siens des maisons avec leurs outils et un porc : prix 100 sous. Guillaume de Hifarat (cette graphie romanisée devrait correspondre à un (E)ihar-(r)ate par ailleurs non attesté) perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons avec leurs outils et un bœuf : prix 4 livres. Arnalt de Hiluar (actuellement Elhuiartea) perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons avec des outils (et) 4 porcs : prix 4 livres. Guillaume de Hiriart (Iriartea : une maison de ce nom au quartier Sorano) (perdit) du fait de G. A. de Garro et des siens une maison avec ses outils et 11 bêtes (« peco- ribus ») : prix 8 livres. Arnalt d'Arteguieta perdit du fait de G.A. de Garro et des siens une maison avec ses outils et des pommiers chargés de fruits (sens apparent de « succissis » : sic) : prix 10 livres. Arnalt de Larart (pour Larrarte) perdit du fait de G.A. de Garro et des siens une maison et lui-même fut capturé : prix 7 livres. Guillaume de Baremdeira (pourrait être pour Barrendeiria ou Barrandairia mais semble plutôt une cacographie de Barrandegia : voir plus loin) perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons avec leurs outils : prix 50 livres. Il perdit aussi du fait d'Arnalt de Garris (il y avait à Garris une salle qui avait rang de château-fort dont le nom apparaît ici parmi les partisans navarrais) des porcs : prix 25 sous. Il perdit aussi du fait de Bernard de Crincheta (pourrait être pour Kurutxeta ; il y a aussi à Lapiste en Mixe une maison dite en 1350 Trinchayn actuellement Trinchiñea qui pourrait prendre place ici à côté du Mixain Garris) un porc et des vaches : prix 25 sous. Guillaume de Lavin (semble le nom roman de « la vigne » malgré la forme actuelle Labia plutôt qu'un dérivé de labe « four, brûlis ») perdit du fait de G.A. de Garro et des siens une maison avec ses outils et des chèvres : prix 10 livres. Montagne de Landa perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons avec leurs outils : prix 12 livres et 10 sous. De même G.A. retient à la même femme une dîme dans la paroisse de Heleta, au prix annuel de 8 sous. Elle perdit de même du fait de Petronille d'Ensiart ( Aintziartea maison franche de Hélette anoblie en 1435 : la participation des maîtresses de maison aux rivalités est à remarquer) 11 brebis qu'elle reçut d'elle en commande. Marie de Hyrigoien perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons, une vache, des brebis, un porc : prix 23 livres. Comtesse de Lavin perdit du fait de G.A. de Garro et des siens une maison avec ses outils

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et des chèvres : prix 10 livres. Item elle perdit du fait de S. d'Arraidu un bœuf : prix 20 sous. Elle perdit du fait de Martin et Aneco d'Arraidu des brebis : prix 7 livres. Jourdaine (« Jordane ») de Cheverri (pour Etxeberri) perdit du fait de G.A. de Garro et des siens une maison avec ses outils : prix 10 livres. Marie de Lavin perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons avec leurs outils : prix 100 sous. Elle perdit aussi du fait de S. d'Arraidu un bœuf : prix 20 sous. Bernard d'Olfais (il y avait deux maisons Olhaitz à Hasparren) perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons avec leurs outils, des porcs et des vaches : prix 45 livres. Loup Garcia de Sivars et Loup d'Erro et B. de Sivars furent avec le dit G.A. pour causer ces dommages. Item il perdit du fait d'A. Loup servant de Sanz d'Arraidu des porcs : prix 6 livres. Sanz de Lagiade (sans doute pour Latxadia actuellement Latxedia) perdit du fait de G.A. de Garro et des siens des maisons (et) des porcs : prix 25 livres. II perdit aussi du fait de Sanz Fabre (« fabri » génitif de « faber » : voir plus haut) une vache : prix 18 sous. Guillaume de Barrendeguy (dit Barrandeia qui fut au début de ce siècle la maison du docteur Broussain) perdit du fait de Sanz d'Arraidu des porcs : prix 30 sous. Il perdit aussi du fait de Guillaume de Saint-Esteben une vache : prix 15 sous. Aner de Firiart perdit du fait de Garcia Arnalt de Belsunsa des porcs : prix 12 sous. 72 Arnalt de Saut, seigneur de ce même lieu, perdit du fait de Garcia Almoravitz et de l'armée du roi de Navarre et Garcia A. de Garro et Amigot son fils une salle à Saint- Pierre d'Ivaren (c'est-à-dire la salle ou château de Saint-Pée-sur-Nivelle), des moulins, des cuves, du cidre, du vin, un pressoir, du blé et des outils. Item il perdit au même lieu de leur fait 4 autres maisons, 100 brebis, une bête de trait (« jumentum ») et quarante pommiers et la moitié d'une vigne : prix de tout cela trois mille cinq cents sous. Item Arnalt perdit du fait du roi de Navarre présent et des siens la salle et toutes les maisons de ce même château (le « castrum » de Saut représentant comme à Ustaritz l'ensemble de la paroisse) avec leurs cuves et leurs outils. Et aussi il perdit ces choses du fait du roi parce que, le roi lui-même venant en ce lieu personnellement, il fut nécessaire qu'Arnalt lui-même les fît brûler en voyant qu'il ne pouvait se défendre contre lui et craignant que le roi lui-même fortifiât ce même château. Il perdit aussi du fait de G.A. de Garro et les siens un moulin à Saut, deux mille pommiers et une borde : prix des dommages du roi (sic) 50 livres ; prix des dommages de G.A. de Garro avec une autre maison qu'il lui brûla à Buynot (peut-être pour Bunus) deux mille sous. Item il perdit du fait du sénéchal du roi de Navarre et G.A. de Garro trois hommes morts une autre fois à Saut. Jureurs pour cela : Johan de Saut, Arnalt de Lobers et Pierre de Paganduru. 73 (XXV) Frère « Aldabertus », prieur de l'hôpital de Fontarrabie, demande au nom du même hôpital 4 vaches que les servants de Martin « Anecoids » lui volèrent. Item il demande à Dominique Estremil servant du vicomte de Baigur 4 livres. Item il demande à Garcia Semeniz 60 sous. Ces choses sont demandées sauf le droit d'ajouter, diminuer, déclarer et de poser la somme des dépenses et des dommages. 74 (XXVI) « Qu'il soit gardé en mémoire que Garcia Arnalt de Bensunçe (sic) prit à Hurt (Urt) Pierre Martin de Pontons citoyen dacquois. et eut de lui tant en deniers qu'en d'autres choses pour une valeur de 35 sous morlans ; et de Johan de Cabanes citoyen dacquois 18 paires de souliers (c'est sans doute le sens de « sotularium ») dorés de Burgis (Bruges

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ou Burgos ?) et deux adosses (« adossas » : peut-être des vêtements) dorées de Stella (Estella). toutes choses que, avec quelques autres comme des cordes de soie (« de serica ») il estime à 27 sous morlans. Johan de Pui Berd citoyen de Pampelune reçut de Bives Dantes citoyen(ne) dacquois(e ?) 40 sous morlans que payèrent pour elle (« illa ») le dit Johan P. Arnalt lo Ros (surnom « le roux ») et Pierre « Boneu ». Sanz d'Arraido (sic) prit Guiralt Johan de Corcoste et Bernard de Moras citoyens dacquois et Bernard s'enfuit (« affugit »), et le dit Sanz tint captif en Arbéroue G. Johan pendant 10 jours et il reçut de lui 6 livres morlanes tant en deniers qu'en autres choses sans toutes celles qu'il lui remit. Pierre Sanz d'Arraido spolia à Paradis (« Paravisum » : la forme du nom suggère l'ancien hôpital dit Parebis et son quartier à Souraïde : voir note 15) Garcia Arnalt de Veira citoyen dacquois au vu des frères et des sœurs de ce même hôpital et lui enleva 4 livres tournoises et 18 deniers morlans. »

II

2e partie : les réclamations des Navarrais et Bas-Navarrais.

75 Avant-propos

76 A la suite et en opposition aux réclamations des Bayonnais et Labourdins sujets du roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine (voir la première partie), texte latin parsemé de quelques termes romans, mais aussi de nombreux toponymes (noms de maisons ou de pays et villages) et de rares surnoms basques, la dernière section de l'enquête de 1249 qui mettait fin aux hostilités entre les Labourdins et les Navarrais est rédigée dans le navarro-castillan de la chancellerie de Pampelune mêlé de gascon et même de vieux français20. Cette dernière partie est présentée ici en traduction française comme la première. 77 Le document original, écrit dans la même écriture dite parfois « gothique » des chancelleries du XIIIe siècle, soignée et parfaitement lisible dans l'ensemble, diffère pourtant de la section précédente par plusieurs traits qui touchent la forme comme le fond. 78 1) Le trait principal est le mélange linguistique : on doit l'attribuer aussi bien à l'état de la chancellerie navarraise, où la maison de Champagne a renforcé la présence du français, qu'à la diversité culturelle du territoire, avec ses terres sous influence castillane au sud, gasconne et, depuis peu, française au nord. Comparée à la première section, qui suit dans l'ensemble la division hiérarchique et territoriale (d'abord le comte de Leicester, puis la communauté bayonnaise, en une section pourtant un peu complexe, puis le vicomte de Tartas pour les terres de Mixe et Ostabarret, enfin toutes les paroisses du Labourd touchées par l'intervention navarraise), cette seconde partie présente une composition beaucoup moins bien organisée. Il est manifeste que les auteurs ont suivi un modèle unique pour les deux enquêtes, probablement mis au point lors des réunions préparatoires, mais que les Navarrais s'en sont accommodés avec une fantaisie certaine, sans compter par exemple, comme les Labourdins, tous les détails des dommages en argent. En revanche, le lecteur bénéficie cette fois d'une chronologie, peut-être un peu approximative pour des faits mineurs remontant parfois à plus de dix ans, mais bien commode pour reconstituer la suite des événements, compte tenu des faits d'histoire connus par ailleurs, comme la défaite des armées du roi d'Angleterre à Saintes (voir Annexe 1).

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79 Le premier plaignant, comme il se doit, est le roi de Navarre lui-même, expliquant comment il a trouvé dans le changement de camp du seigneur de Gramont, passant au parti anglais après avoir prêté serment à plusieurs reprises aux rois de Navarre, et les divers désordres qui s'en sont suivis, le motif d'une intervention personnelle largement justifiée par le refus de tenir les promesses de revenir à une situation que l'on dirait aujourd'hui » normale » et par la gravité même de la rébellion. Les premières démarches de conciliation au moment du siège de Viellenave, malgré l'importance de la délégation aquitaine pour le parti anglais, prélats en tête, n'ayant pas été suivies d'effet, la poursuite de l'offensive navarraise est présentée comme un acte de droit et de justice. Ensuite, pendant symétrique aux plaintes bayonnaises, viennent les réclamations, « neuves » et « vieilles », de la capitale de la châtellenie bas-navarraise, Saint-Jean-Pied-de-Port, puis le texte alterne, sans intitulé régulier et dans un désordre manifeste, les plaintes des vallées frontalières du Labourd (Arbéroue et Ossès d'abord, les plus abondamment citées) et celles des communautés, établissements religieux et habitants navarrais (Pampelune, Roncevaux, Salazar, Bastan...). Il est vrai que la Basse- Navarre et la Navarre n'étaient pas, comme le Labourd, partagées en « paroisses », mais en terres et vallées. 80 2) L'impression néanmoins, et ici la forme révèle sans doute le fond, est que la chancellerie a voulu accumuler les griefs, soit pour faire pièce « coûte que coûte » à la plainte des Labourdins et Bayonnais, soit pour montrer que l'acte n'est qu'une simple formalité voulue par les termes de la trêve aux hostilités, puisqu'aussi bien Thibaud a réussi son entreprise : sauf le territoire proprement labourdin, le château de Garro compris (qui sera reconstruit après cet épisode), la terre navarraise ne changera plus de camp jusqu'à l'invasion castillane de 1512, non seulement les vieux territoires de Cize, Baïgorry, Ossès et Arbéroue qui ont fourni le gros de l'armée navarraise, mais aussi Iholdy et Armendaritz, l'Ostabarret, le pays de Mixe et les territoires de Gramont. De ce point de vue la réussite de Thibaud confirme son pouvoir navarrais d'abord contesté, et sans doute aussi l'alliance au trône de France et contre le parti anglais, qui finira moins d'un demi-siècle plus tard par la réunion temporaire des deux couronnes. 81 Au plan du détail, et comme pour les Cambo ou Ezpeleta labourdins, la dénonciation de Navarrais ou Bas-Navarrais par d'autres Navarrais du moins d'origine (comme Nagithurri d'Ossès, famille pourtant active contre les Labourdins fortement dénoncée dans la première section, et d'autres exemples) montre d'une part que l'origine commune et les liens familiaux pouvaient être contrecarrés par des appartenances à des factions ennemies, et ici des Etats, soit installation dans le territoire voisin si proche, soit allégeance particulière et personnelle selon le système féodal ; d'autre part, car l'appartenance à la faction adverse n'est pas toujours avérée et certaines réclamations se situent dans le cadre des relations de vallée à vallée et même de maison à maison, que l'enquête n'a pas dû être examinée sur ce point de très près ni par la partie adverse, ni par la chancellerie de Pampelune. Le fait souligne ainsi, sans doute contre la volonté de la même chancellerie peut-être peu informée encore des réalités d'outre-monts (avant les listes détaillées de maisons bientôt dressées pour les fouages du XIVe siècle), que les hostilités réelles de ces temps étaient des faits d'ordre quasi individuel, le plus souvent à l'intérieur de la châtellenie elle-même, comme beaucoup d'autres documents de cette époque et du siècle suivant le confirment. La cause réelle de ces rivalités était, comme on le sait, l'usage des terres dites « communes » ou

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« royales » sur lesquelles chaque vallée exerçait ses propres droits d'exploitation et de pâturage et les saisies fréquentes de bétail qui s'ensuivaient. 82 On note que, à la différence du texte labourdin, peu de mentions de noblesse apparaissent, à l'exception de rares « chevaliers du roi de Navarre », ce qui veut dire sans doute qu'ils ont été armés par le roi lui-même. En revanche, le « don » est quasi général, aussi bien pour les marchands et commerçants que pour les maîtres de maisons, même nobles, et plus souvent pour ceux-là que pour ceux-ci. Les noms de métier, assez nombreux, donnent une idée, rare pour ces époques, des activités d'artisanat et des circuits d'échanges commerciaux, en particulier à Saint-Jean-Pied-de- Port, entre Bayonne et la Navarre, vers le nord aquitain. En détaillant les pertes subies par les « nefs » aux noms de saints, Sainte-Marie, Saint-Jacques, Saint Michel, Saint André et leurs chargements, ou saisis à l'arrivée au port ou volés dans un naufrage, le texte éclaire le rôle de Bayonne dans les liaisons maritimes, et l'importance des relations marchandes bayonnaises et, par Bayonne, navarraises, avec les pays du nord et notamment avec l'Angleterre (sans oublier le voyage personnel et guerrier du roi de Navarre signalé dans la première partie, probablement entre Provins sa capitale de Champagne et le port de Bayonne). 83 Les nombreuses saisies de bétail et de leurs gardiens, ceux-ci armés de lances et de javelots, font directement allusion aux périodes de transhumance et au maintien des troupeaux, porcs en grand nombre, bovins, ovins et chèvres, parfois venus de fort loin (abbayes de Leyre et d'Oliva) dans les bordes ou « cabanes » et les vastes zones montagneuses des pâturages d'été et d'automne. 84 Comme pour la première section, mais d'une façon plus arbitraire vu le désordre du document signalé plus haut, des chiffres romains ont été introduits entre parenthèses pour subdiviser le texte, parfois accompagnés d'indications signalant des articulations secondaires, le tout n'étant ici aussi qu'un artifice pour faciliter la lecture et la compréhension. De même aussi les noms de lieux, et en particulier de maisons (moins systématiquement utilisés ici que dans la première section, en particulier pour le pays d'Ossès, ce qui peut être attribué à l'ignorance de la chancellerie et peut-être aussi à une précaution d'anonymat en cas de représailles), sont reproduits en caractères gras et accompagnés de notes explicatives entre parenthèses selon les mêmes principes. Leur graphie est en général plus proche de la phonétique basque réelle (sauf l'élimination de l'aspiration, trait du roman navarrais puis des dialectes basques péninsulaires) que celle de la première section labourdine. Les citations du texte entre guillemets obéissent au même principe. A la différence de la première section, tous les noms de personnes, prénoms et autres ainsi que les « don, dona » qui les précèdent souvent, ont été reproduits tels quels, vu que le texte en donne en donne en général la forme usuelle navarraise, quelque peu variable, mais sans les modifications introduites par la déclinaison latine. Les chiffres romains ont été transcrits en chiffres arabes. 85 (I) Celles-ci sont les réclamations que le roi de Navarra (désormais écrit « Navarre ») fait au sujet du roi d'Anglaterra (idem « Angleterre ») et de ses gens. 86 Premièrement du château d'Agramont21, que Vivian d'Agramont reçut du roi don Sancho sous serment et susceptible de lui être remis (« jurable et rendable »), ce dont le roi de Navarre possède des lettres divisées par a-b-c ; et après la mort de ce Vivian c'est Arnalt Guillem qui le reçut du roi don Sancho22, et après la mort du roi don Sancho Arnalt Guillem le reçut du roi don Thibalt et il lui rendit l'hommage des mains et de la

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bouche devant tous les hommes23 et jura de lui remettre le château toutes les fois qu'il le lui demanderait (à lui-même) ou à celui de ses conseillers qui apporterait ses lettres patentes (« letras pendientes ») ; et le roi lui demanda le château, et il le lui remit une fois et don Garcia Semeneitz le reçut de la main du roi à sa convenance ; et le roi de Navarre se rendit dans le château pour le lui remettre et il lui fit serment et hommage des mains et de la bouche de garder toujours ces dispositions devant de nombreux chevaliers, et le roi en possède des lettres patentes et des témoignages vifs de suffisamment de chevaliers. Puis le sénéchal de Vascoinna (désormais transcrit « Gascogne ») vint trouver cet Arnalt Guillem d'Agramont et il lui donna de l'argent du roi d'Angleterre de sorte que le château lui fut remis par le roi d'Angleterre et il fit hommage à celui-ci ; et le roi garde ses enfants comme otages en Angleterre. 87 Et le roi de Navarre se plaint grandement au sujet du bien (« aver ») de ses bourgeois de Navarre (ces bourgeois sont en particulier ceux de Pampelune) que saisirent ceux de Bayona (dorénavant transcrit « Bayonne ») sur l'ordre du sénéchal ; et le roi le fit demander par 2 ou 3 fois à ceux de Bayonne et au sénéchal par des caviers (« cave- ros ») et par des gens d'église et ils ne voulurent pas le rendre. 88 Et le roi se plaint à présent du sénéchal qui fit abattre son château d'Arçar24 pris par force et le mit en pièces et il fit tuer tous les hommes qui étaient à l'intérieur et les massacra, toutes choses que le sénéchal fit avant que le roi entrât dans sa terre ; et quand le roi vit que ces torts lui étaient faits, il s'adressa à lui une nouvelle fois, mais on ne lui défit aucun tort. Alors le roi se mit en marche pour aller sur la terre du roi d'Angleterre et il fit encercler Vylla nueva (sans doute Viellenave où se trouvait le premier château de Gramont) et il la faisait assiéger. Et vinrent à lui l'archevêque de Bordel (Bordeaux) et l'évêque de Basatz (Bazas) et le seigneur de Blaues (Blaye) et le seigneur de Blancafort (Blanquefort) et don Guillem d'Andon (Andoins) et d'autres hommes bons, pour parler avec le roi de la paix. Et le roi leur répondit de lui défaire les torts qu'il avait reçus et qu'il partirait volontiers et qu'il lui en coûtait d'entrer dans la terre du roi d'Angleterre et qu'il accepterait volontiers la réparation par égard pour eux-mêmes ; et ils ne firent rien ; à la suite de quoi il fit envoyer une importante mission pour redresser ces choses, au sujet de quoi le roi demandait qu'il lui en fût rendu compte comme il est juste. Car toutes ces choses lui furent faites durant la trêve (trêve entre les rois de France et d'Angleterre : cf. la note 1 de la première partie) laquelle ne devait pas être rompue pendant un an après qu'elle fut déclarée. 89 Et le roi se plaint encore au sujet de 27 chevaux que le sénéchal saisit un autre jour avec tous leurs harnais et d'autres objets de valeur (« ioyas ») que le roi envoyait par terre et lui-même (voyageait) par mer (voir dans la première section la rubrique II). Et le roi se plaint de Iohan de Camera (Came dont les Navarrais prirent le château) qui lui brûla ses moulins et lui tua un bailli (« bayle ») et lui vola sa terre, et le roi le fit montrer au sénéchal de Gascogne et celui-ci lui répondit qu'il ne pouvait y remédier. Et le roi se plaint au sujet de trois chevaux que saisit un autre jour Amalt Guillem d'Agramont et il les retient au point que l'un est endommagé (« afoyllado »). 90 (IIa : Saint-Jean-Pied-de-Port)) Celles-ci sont les réclamations nouvelles de ceux de Sant lohan de pie de puer-tos (Saint-Jean-Pied-de-Port). Pero Guillem le savetier se plaint de Bernart Arotze (ce mot basque peut être compris comme nom de métier « forgeron » ou un nom de personne qui en est issu, comme « faber » etc. dans l'enquête bayonnaise) de Labort qui lui vola

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deux vaches et un bœuf et de Iohan de la lana d'Utztaritz (maison noble Larrea) qui lui prit une vache. 91 Pero Lopeitz le muletier se plaint de Ioan (sic) de Camer (Came) qui lui prit une mule et un roussin qui lui avaient coûté 7 livres de morlans. Arnalt d'Irissarci (sic pour Irissarry) est plaignant contre don Guillem deu Boys et contre don Tomas le doreur (« daurador ») et ses fils qui lui prirent 7 livres de morlans, et de Ferrant dou Poy (c'est-à-dire « du Puy ») de Bayonne pour 12 sous de ster-lings et 4 livres de morlans qu'il dépensa en frais et en mission pour cet argent. Arnalt Santz et Santz de Sant Miguel (nom d'origine pour « Saint-Michel-le-Vieux » plutôt que la maison de ce nom de Juxue en Ostabarret) sont plaignants contre des hommes de Bayonne pour 8 sous 8 deniers. Auger le marchand se plaint de don Blasc d'Armendariç qui lui prit sur le chemin du roi (la grand-route qui se dit aussi en basque errepide) la recette de 20 sous de morlans. Don Petri Santz d'Urutie (pour Urrutia désignant un originaire de l'une des maisons de ce nom nombreuses en Cize et ailleurs) est plaignant contre don lohan d'Armendariç qui lui prit 8 porcs au temps où don Franc de Brene était sénéchal. Don Ramon Santz le magasinier est plaignant contre les 3 frères d'Espelete qui étant avec le roi d'Angleterre lui prirent une vache pleine. Eneco A. le pelletier est plaignant pour 100 écureuils (peaux) et 5 sous de bordelais et pour quelques chaussures que lui prirent les fils d'Espelete. Bernart savetier est plaignant contre les hommes de Bayonne qui lui prirent 2 sous de morlans. Dona Guiralda est plaignante contre don J. de Camer qui lui tua son mari et lui prit ce qu'il transportait. Bernart d'Ariete (originaire de Harrieta maison noble à Saint-Jean-le-Vieux) est plaignant contre don Guillem d'Armendariç qui lui prit 15 porcs. Pero le mercier est plaignant contre A. Guillem de Salt de Gascoyne (doit être Zaldu de Hasparren, par opposition à Zaldu de Cibits) pour 10 livres de morlans qu'il lui prit. 92 (IIb : idem) Celles-ci sont les plaintes anciennes de Saint-Jean-Pied-de-Port : don Benedit est plaignant contre les 12 de Bayonne (le conseil communal) pour 4 livres de morlans et 5 sous. 93 Don Guillem Per d'Arion (toponyme inconnu en Cize) est plaignant pour 2 douzaines de cordouans (mot dérivé de Cordoue réputé pour ses cuirs, désignant souvent des chaussures de cuir). Dona Amade d'Arrion (sic : c'est la bonne orthographe, sauf la suppression probable de l'aspiration initiale) pour 26 sous de morlans. Don Guillem Arnalt le pelletier se plaint de don Fort Arnalt d'Erspile pour 25 livres de morlans qu'il lui prit en draps et 4 livraisons de tissu (« liuradas de ropa ») et pour l'avoir gardé prisonnier 40 jours. Ferrando se plaint de don Arnalt Guillem d'Agramont pour 300 sous de morlans et 2 bêtes que lui enleva le muletier (sic) qui le prit. Arnalt Bergoyn et Ferrando se plaignent de don Johan des Borcs de Bayonne pour 100 sous de morlans qu'il enleva à leurs parents. Don Pero Santz se plaint de sire Richat (sic) de Gree et de sire Johan de Gree pour 80 marcs d'argent qu'ils lui enlevèrent à Granasui (sans doute Guemesey ; « Granoni » désigne aussi parfois l'actuelle Pointe de Grave) alors que le roi d'Angleterre avait

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bonne paix et trêve avec le roi de Navarre. Don Amalt Guillem pelletier se plaint d'A. Guillem d'Agramont pour 800 sous de morlans que lui emprunta son beau-père. 94 (IIc : Ossès) Celles-ci sont les plaintes que les hommes d'Osses font des hommes de Labord. 95 De don J. de Lana (Larrea d'Ustaritz) il se plaignent au sujet de 20 chèvres et d'autre part de Pedro d'Aribeleta qui était serf (« siervo » qui peut être entendu « au service de ») des Francs de Breuas (sic : « de los franquos de Breuas », mais il s'agit sans doute d'une erreur du copiste pour le même sénéchal « Franc de Brene » signalé en IIa ; sinon, ces « Francs » restent ici assez incompréhensibles) pour 12 porcs et d'autre part d'Eneco Arnalt et B. Santz serfs (id.) de Seinoret pour 10 porcs et d'autre part d'Eneco A. et A. pour deux vaches et 1 bœuf et d'autre part du fils de B. Faor (pour « faur(e) » mot gascon « forgeron » : voir la première section du document) pour 1 bœuf et d'autre part d'Eneco A. pour une vache et d'autre part d'Atznar de Soranoa (quartier de Hasparren) et d'Atznar de Hutze (forme erronée représentant Ihitz ou Haitze maisons d'Ustaritz) pour 4 vaches et d'autre part du seigneur de Vados (sic : probablement pour « Bardos ») pour 20 porcs et d'autre part de don Santz d'Urstuvil (forme pleine pour Ustubil à Hasparren) pour deux bœufs. Somme : 11 vaches (sic : les bœufs compris) et 42 porcs et 20 chèvres. 96 (III : Haute-Navarre 1) Celles-ci sont les plaintes que les hommes de Maye (Maya) font contre les hommes de Labord de la Lana25 : 97 Ceux de Maya se plaignent pour 40 bœufs et vaches que les hommes de Labord de Lana leur ont pris par force et pour 9 veaux et pour 26 clochettes (« esquilas ») et 14 mesures (« arrovos ») de blé et une cape de Stanford (drap de qualité venu à l'origine de la ville anglaise de Stanford) et autre cape de bure (« sayal ») et 2 sous et 5 deniers de morlans avec la bourse et 4 sacs qui coutèrent 6 sous de sanchets et 2 lances et 2 javelots (« azconas ») et 1 couteau qui valait bien 4 sous, et du seigneur d'Aribileta qui racheta (sans doute : le força à se racheter) un homme de Maya (sic) pour 25 sous de morlans, et des hommes de don Brasc d'Armendariç et de 16 porcs (sic) et de don Guillem d'Armendariç pour un épieu de chasse (« venable ») et de don Oger de Salt qui leur retient 2 bêtes sous promesse de 100 sous de morlans. 98 Don Bernait Peritz de Sarasa (Salazar, vallée navarraise) se plaint des hommes de Bayonne pour 20 porcs, les meilleurs des 101 porcs qu'ils prirent en Batztan et il en fit les réclamations aux hommes de Bayonne et eux prirent les 20 meilleurs et enlevèrent aux porchers leurs lances et leurs javelots et leurs couteaux et leurs courroies et les dépouillèrent jusqu'aux braies (sic : « ata las bragas », c'est-à-dire les culottes...) et le voleur fut Bemart Pes. Yenego d'Erro se plaint pour 3 bœufs et deux vaches que lui prirent Eneco Erlanç d'Echague (ce nom apparaît dans la première section parmi les Navarrais) et Sancho Goria (sic pour gorria « le rouge ») Gorost apasequo (sic : ce nom peut représenter. comme cela arrive parfois dans ces textes romans médiévaux, l'intrusion d'un génitif basque usuel désignant la maison ou le lieu d'origine, de la maison Gorostabaso ou Gorostapate pourtant non identifée par ailleurs) hommes de don Blasquo de Salt et don Blasquo les partagea. Miguel Erascotz et Domingo Johanes d'Odariç (Oderiz au val de Larraun en Navarre) se plaignent de Guillem Amalt de Salt et de don Oger son frère qui leur enlevèrent 25

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vaches à Jaç. ogayno (sic : peut représenter un toponyme basque, peut-être Jatsu, avec le terme « gain ») en carême. Don Santz d'Alçu et l'alcade d'Aezquoa (Aezcoa vallée de Navarre) se plaignent de Sancho Naguiturin (ici nom déformé d'un partisan labourdin originaire de la maison d'Ossès Nagithurri) qui lui enleva autrefois 30 porcs (6). Garcia Muquoç se plaint de Sancho Larrea qui emporta un bœuf de Maya de la maison de don Domingo Esnos. Bernait de Fariete (pour Harrieta) se plaint de Guillem d'Armendariç qui lui prit 15 porcs avec leurs compagnons (sic : « compaineros » doit nommer ici les porchers). Ils (les gens de Maya) se plaignent de Seiñoret châtelain (il avait le titre local de « prévôt ») d'Utztariç qui emporta de la cabane de San Salvador (nombreuses chapelles et lieux-dits de ce nom) 33 vaches et elles avortèrent toutes et de plus il retint les 3 meilleures et il enleva 5 vachers et il les frappa et blessa et prit les clochettes de toutes les vaches. Un garçon de Pampalona (Pampelune) se plaint des hommes d'Ax (Dax) qui lui prirent 8 quintaux de lin qui coûtaient 24 livres de sanchets, et il voulait aller à Bordel (Bordeaux) et ils lui rendirent pour le tout 40 sous de morlans et ils le gardèrent prisonnier 40 jours et 40 nuits dans de grands fers (c'est-à-dire « enchaîné »). Ils (sic) se plaignent de don Guillem Bigot et de Guiralt neveu du trésorier qu'ils avaient à Bayonne avec 15 balles de cordouan à la veille des Rameaux et ils entendirent dire qu'on marquait à Bayonne les cuirs de Navarre et ils allaient à Bearritz (forme ancienne correcte pour le moderne « Biarritz ») et les hommes de Bayonne arrêtèrent les balles et de la part du commun (c'est-à-dire « la communauté ») de Bayonne : et le jour des Rameaux le maire envoya bien 40 hommes qui leur prirent les balles et les emportèrent à Bayonne, et des 15 balles ils en perdirent les 5 meilleures et ils leur retinrent toutes les 10 autres dans lesquelles il y avait 110 douzaines et un quart (« caern ») de cordouans dont chaque douzaine coûtait quand elle était à Bayonne 45 sous de tournois. 99 (IV : Arbéroue 1) Celles-ci sont, seigneur, les réclamations que font ceux d'Arberoa 100 Don Garcia Arnalt de Belcunçe (sic pour Belzuntz première maison noble d'Ayherre) chevalier du roi de Navarre se plaint de Ramon de Pomars qui lui prit un cheval qui valait 20 livres de morlans à Urgos sur le chemin de Rochamador (Rocamadour dans le Lot) avec le pouvoir de la ville d'Urgos ; et d'autre part il se plaint de Ramon de La Reula franca de Bayonne qui lui retient 8 livres de morlans et un mât qu'il lui vendit et il ne veut pas les lui rendre. Et d'autre part il a à se plaindre de Bernart Garcia de Bayonne qui lui retient 36 sous de morlans qu'il lui enleva. Don Petri Arnalt de Bidart (Bidarte à Isturitz ou Apara-Bidarte à Ayherre, maisons anoblies en 1435) se plaint de don Johan Par et d'Amalt Par qui lui prirent 15 porcs qui valaient 10 sous de morlans. Arnalt Santz de Puillaga (aucune maison de ce nom étrange n'est recensée en Arbéroue, et il est difficile d'y reconnaître une forme semi-romane pour le « lieu de poules », probablement sauvages, qu'indique le premier élément d'Oilloeta-agerre de Saint-Martin d'Arbéroue anoblie en 1435) se plaint d'Arnalt de Sorano qui lui retient un bœuf qui valait 30 sous de morlans. Sancho Yssuli (altération d' Ixuri ancienne maison infançonne d'Ayherre) se plaint d'Arnalt Santz d'Urstubil et de Guillem de Barendeguj (sic, à Hasparren) et de Garcia

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Arnalt de Sorano qui lui prirent 7 bœufs par la force. Guillem de Laquoagua (Lakoaga maison de Saint-Martin anoblie en 1435) se plaint d'Arnalt Santz d'Urstubil et de Guillem de Barrendeguj qui lui prirent un bœuf par la force et d'autre part il se plaint de don Sancho d'Açança (maison noble de Cambo) qui lui prit 4 porcs par la force. Eneco Iriveri (pour Iriberri maison d'Isturitz anoblie en 1435) se plaint de Iohan de Camer et de J. Arbeu (ce nom qui est peut-être un surnom était celui d'un fils d'Arraidu d'Ayherre dans les réclamations des Labourdins) qui lui prirent un bœuf. Guillem Garcia de Londaitz (maison noble ancienne d'Ayherre) se plaint de Bernart Pes et de Garcia Arnalt d'Alçuburu et de Lop Bernait son frère qui lui prirent 6 brebis par la force. Dona Jurdana d'Arguain (l'une des maisons Argain de Sent-Esteben, l'une infançonne, l'autre anoblie en 1435) se plaint de Bernart d'Albat qui lui prit 60 porcs. Bernart de Bidart se plaint de Garcia de Goleyotz (encore une dénonciation de Navarrais, puisque ce quartier est à Saint-Martin d'Arbéroue) et d'Açeari de Isça (pour Ihitz : c'est peut-être la forme basque, en phonétique péninsulaire, pour Juncars d'Ustaritz) pour deux bœufs qu'ils lui prirent par force. Bernart Guillem de Sant Martin (la salle, seule maison noble ancienne de Saint-Martin) chevalier du roi de Navarre se plaint de Rostain du Soler pour 50 livres de morlans pour ses équipements (« garnjments ») qu'il lui racheta et d'autre part il se plaint de Seinoret et de J. de le Lane et de Bernart Pes qui lui prirent 80 porcs et d'autre part de Bernart Pes et de Pes de Josse habitant (« vetzino ») de Bayonne qui lui prirent un roussin durant les trêves. 101 (V : Haute-Navarre 2) Don Per Semeneitz d'Oarritz (actuellement Oharriz) chanoine de Pampelune se plaint de don Bernait d'Armendaritz qui lui prit 18 porcs à Aynoa (Aïnhoa à la frontière) des porcs de Sainte Marie de Pampelune (c'est-à-dire la cathédrale) et d'autre part il se plaint d'Amalt Guillem d'Aynoa qui lui retient 31 porcs. Don Aymar Crozat se plaint de don Arnalt Guillem d'Agramont qui lui prit par la force 7 marcs et 10 sterlings il y a eu deux ans à la dernière Saint Jean (soit en juin 1246) et il dut les lui donner de bonne foi à la dernière (fête de) Noël passée et de ceci il y a des témoins chevaliers et des citadins (« homes de rua »). Bernart de Camo (nom d'origine : Camou en Mixe ou en Soule) de Ronçavals (Roncevaux) se plaint des hommes d'Ax qui lui prirent 2 balles de poivre (« pebre »). Guarcia (sic) Peritz de Ronçavals se plaint des hommes du seigneur d'Agramont qui lui prirent 6 sous de tournois. Don Arnalt d'Esparça se plaint de don Sancho qui est seigneur d'Espeleta qui retient 5 porcs de Saires et 4 d 'Utzcharros (pour Uscarres dans le val de Salazar) et 5 de Ochogavia (Ochagavia) et 6 de don Arnalt lui-même. Don Sancho Lopeitz d'Esparça se plaint de don Sancho d'Espeleta qui retient 6 porcs d'Aspartz (sic) et 3 de Navasques (Navascues romanisation phonétique de Nabaskoz) et 2 de Guessa (Güesa en Salazar, en basque Gorza) et 1 de Ciralda L'abbé d'Urdais se plaint de Guillem Amalt de Guissen (forme ancienne de Guiche, en basque Gixun) qui est entré dans sa maison d'Aynoa par la force et prit par la force des biens de la maison pour 20 sous et 6 deniers de morlans. Dame (« Na ») Ramona Lastreira se plaint de Santz de Naguiturri (voir plus haut) et d'Arnalt son neveu pour 15 porcs qu'ils prirent par la force et ils furent pris dans la maison de Heguidoa (il y a une maison infançonne Hegito à Ispoure en Cize, proche des

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zones de pâturage de l'Arradoy et des monts d'Ossès, et une maison à Mendionde). L'abbé de San Salvador de Leurum (le monastère de Leyre) se plaint de Seynoret qui lui prit 30 vaches de sa cabane et causa du dommage à ses hommes, et le prix de ces vaches était de 400 sous morlans. Arnalt Bernait de Vilanova (l'un des nombreux Villanueva navarrais) se plaint de Franc de Brena pour 23 porcs de 3 ans. Don Petri Santz de Legassa se plaint de don Guillem Arnalt de Salt pour 31 porcs. Semeno Atznareitz de Larazpe se plaint de Guillem Eirlantz de Gandaratz (les maisons Ganderatz connues sont à Saint-Martin d'Arbéroue) et de Johan Domincuitz d'Etzçan (aujourd'hui Esain) pour 16 porcs qu'on lui prit par la force. Pascal de Lantz se plaint de don Sancho de Lana (sic) et d'Espaynol et de Johan qui lui prirent 13 mesures (« arrovos ») de blé. Semeno de Lantz se plaint de don Johan de la Lana et de son frère le clerc qui lui prirent 2 porcs par la force. Pedro d'Escati se plaint du seigneur d'Agramont et de son frère don Auger qui lui prirent un roussin qui valait 4 livres de sanchets et 9 sous de morlans et le couteau et la ceinture et une cape (sic) et 1 surtunique (« sobercot »). Domicu Johanetz de Madoz (au val de Larraun) se plaint de don Guillem Arnalt de Salt qui lui prit 12 vaches pleines (« prenyaderas »). Domicu Beraiscojtz (ce toponyme basque d'où dérive « Briscous » en Labourd est ici nom d'origine) se plaint de don Guillem Arnalt de Salt qui lui prit 10 vaches pleines et don Auger de Salt une (sic). L'abbé d'Oliva se plaint de Seynoret qui lui prit 12 porcs par la force. Le prieur de Ronçavals se plaint de don Johan neveu de don Arnalt de Nobeins (pour les formes de ce nom voir la première partie). 102 (VI : Garro, Ossès 2, et autres) Celles-ci sont les réclamations que don Guaissia (sic) Amalt de Garro fait contre les hommes de Labort. Seynoret et ses hommes et Johan de Lana lui enlevèrent 80 porcs. Item Franco de Brena (sic) lui enleva 100 porcs. Arnalt de Bassuen (nom d'origine issu d'une maison de Hasparren : voir première partie) et Per Amalt des Puis bourgeois de Bayonne vinrent avec d'autres compagnons de Bayonne et don Arnalt de Salt et Johan de Salt et Santz Arnalt de Bearritz (et) ils lui brûlèrent la maison d'Osses26 et scièrent le verger et lui firent du mal pour 100 livres de morlans et tuèrent 3 hommes. Et Santz Arnalt de Çepurua (peut-être pour Haizpurua) et Santz de Naguiturri lui emportèrent 20 porcs qui valaient 20 sous de morlans. Eneco Arnalt de Sague (voir plus Echague) lui emporta 6 grandes têtes (sic) de bœufs et de vaches. Bernait d'Osses et son fils lui emportèrent 6 têtes de bœufs et de vaches. Arnalt Santz d'Ustubil et les hommes de don Arnalt de Salt tuèrent le frère de don Guaissia Arnalt de Garro alors qu'il n'était pas en guerre et se trouvait en Baztan. Don Auger de Salt a tué le fils de sa sœur qui était du roi (de Navarre). Arnalt Santz d'Ustubil et Per Arnalt d'Arriaga ( Harriaga maison infançonne de Mendionde) tuèrent le gouverneur (« alcajt ») du château de Rocafort (à Saint-Martin d'Arbéroue) avec un autre guerrier (« peon »). Don Arnalt de Salt et ses compagnons tuèrent le cheval d'Amigot et 1 « cavier » (on peut se demander, vu le contexte, si le mot « cavero » dérivé du latin caput ne commence pas à être confondu avec le terme « cavalier », comme cela arrive à l'époque moderne) et lui prirent un roussin qui valait 5 livres de morlans et les armes et les garnitures ; et ceux de Bayonne vinrent brûler Garro (le château de Mendionde) et don Gaissia Arnalt prit un homme et don A. de Garroia (ce mot semble la forme basque déterminée du nom « Garro » lui-

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même) le libéra pour 100 sous de morlans et il ne peut les récupérer. Per Johan de Beor lui doit 100 livres de morlans pour un homme qu'il libéra (« manlevo »). Et tout ceci fut fait pendant les trêves du roi. 103 Baldoyn le clerc du roi de Navarre se plaint d'hommes d'Ax qui lui volèrent sa malle qui valait bien 7 livres de tournois. Les hommes d'Osses se plaignent de Yenego A. de Sague et de Guillem de Sague pour 6 vaches et 18 bœufs. Don Gassia A. de Belçunçe se plaint du seigneur d'Agramont et de Per Martin de Miramont (maison noble d'Amorots en Mixe ou de Bardos en Labourd) et de Condet de Miramont et de Guillem d'Aguerrea (de même maison de ce nom de Bardos ou d'Amorots) et de Per Gassia de Miramont et de Bernart d'Agramont qui lui enlevèrent 27 têtes de bœufs et de vaches et 6 hommes « derdemudos » (sic : le mot d'espagnol moderne « tartamudo » a le sens de « bègue » qui ne convient évidemment pas ici) pour 500 sous morlans. Dona Sol a à se plaindre de don Per A. de Salt et de ses fils pour 40 vaches qu'ils lui enlevèrent. L'hôpital d'Irissairi (pour Irissarry) a à se plaindre de Pedro d'Aiza et de Johan d'Oçaçaneta (noms navarrais) pour 5 vaches. Dominguo d'Arizcon (pour Arizcun en Navarre) a à se plaindre de Guillem A. de Salt pour 80 porcs qui valaient 8 sous (sans doute chacun). Dona Maria de Chalatz (pour Echalaz en Navarre) a à se plaindre de Santz de Naguituri (sic) et de Johan de Luidudo (nom altéré qui représente peut-être Alduide pour « Les Aldudes ») qui lui prirent 31 porcs et d'autre part 40 porcs qu'il menèrent à Agramont. Gil d'Orseis (le nom d'Ossès apparaît ici proche de l'étymon basque Orzaiz) se plaint de Arnalt Johan et de Sancho Landa frères et d'Eneco A. d'Echau et de Hancho (sic sans doute pour « Sancho ») Sele qui prirent 17 bœufs et 7 vaches par la force. Ceux d'Oses (sic) ont à se plaindre de Guillem le fils du chapelain d'Ustaritz pour 100 sous de morlans qu'il leur prit par la force. Arnalt Brasc se plaint de Sans Guaisia de Çavaloe ( Zabaloa maison infançonne d'Itxassou) qui lui a volé une vache. Issemen de Larragua (pour Laharraga maison d'Ossès) se plaint de B. de Meçcarat (voir la première section : doit être pour Amezkarate) et de B. Gaissia pour 7 sous de morlans. Arnalt d'Arulose (sans doute une cacographie pour Arlausa nom de maisons d'Eyharce en Ossès ayant évolué en l'actuel Arrossa) se plaint de Pes d'Urguri (sans doute pour Urgorri) et de J. d'Oleritz (peut-être originaire d'Oloriz en Navarre) pour 8 porcs qu'ils lui prirent par la force. Gayssia Guillem de Murue (une maison Muru ou Murru existait à Ossès) se plaint de Santz d'Etsague pour 7 porcs qu'il lui vola et l'un des porcs fut mangé à Laralde (écrit « al aralde » ! pour Larralde : la maison ancienne de ce nom la plus proche est à Macaye). Sanç d'Oses se plaint de sire (« den ») J. de la Lana et de Pez le fils de Naregure (nom probablement altéré d'une maison du Labourd, rappelle Nagore en Navarre) pour 30 sous de morlans qu'ils lui prirent par la force. Isemen (sic) de Larraga se plaint d'Aner de Sorane (Sorano à Hasparren) pour une vache qu'il lui a volée. 104 (VIIa. La nef « Sainte-Marie ») Mémoire de ceux de la nef Sainte-Marie d'Espagne (« la nau sancta maria des- paynna ») qu'a volée sire Pes de Laudoar en Gironde (« Gironda ») ; et don Arnalt

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Bernart jure et dit qu'il avait dans la nef Sainte-Marie son valet (ou garçon : « macip ») et on lui fit entendre que sire Pes de Laudoar de Bayonne lui avait pris son avoir de 44 douzaines de cordouan, et ils (sic) les rachetèrent 23 livres moins 12 deniers de morlans que son valet a payés à Bernart Bernardon de Bayonne ainsi que son valet le lui fit entendre. Témoins ou jurés qui entendirent que don Bernart Bernardon se tint pour payé de l'argent susdit : don Belenguer et Salvador Motça (surnom basque courant au Moyen Age : « le court »), mais ils ne savent pas de combien de deniers il s'agit. Et item il perdit dans la nef Saint-Jacques (« la nau Sant Jacme ») selon ce que son valet lui fit entendre la valeur de 45 marcs de sterlings employés en draps qui lui furent enlevés en Angleterre au port de Plemua (c'est-à-dire Plymouth). Et on lui prit à Bayonne 110 sous 6 deniers de morlans en parts de maltôte (taxe indue : voir la première partie). Et item ils prirent son valet Guiralt de les Cumbes en Ax et les lui firent racheter 8 livres 12 deniers de morlans ainsi que le valet le fit entendre. Témoins de ce qu'il perdit dans la nef Sant Jacme au port de Plemua : Guillem de Sant German et don Arnalt Bernart le jeune jurés qui garantirent l'affaire à plusieurs reprises à la cour du roi d'Angleterre ; mais ils ne furent pas sur place et ne savent combien valait ce bien ni s'il fut pris. 105 Salvador Motça jure et dit que sire Pes de Laudoar lui prit son bien dans la nef Sancta Maria de don Johan d'Espainna et on le lui fit racheter 20 livres 4 sous 9 deniers de morlans, (et) 37 sous et demi de tournois à don Pes de Lesquila pour le fret de la nef, qu'il paya sans (compter) les frais et les missions qu'il a fait(e)s qui lui coûtent bien 20 livres de tournois ; et ceci advint en l'ère 1244 de l'Incarnation, au mois de novembre : il n'a pas de témoins. 106 Don Arnalt Peyre le changeur jure et dit qu'il avait dans la nef Sancta Maria 32 charges de sumac (arbuste à tanin) et 3 charges de (appartenant à) Domingo Bel Bufon, selon ce que son hôte lui fit entendre, à qui il avait envoyé son sumac ; et sire Pes de Laudoar les prit, et il les trouva à Bayonne et il les racheta 7 livres de morlans et les paya de sa main à don Guilleumes (sic) Doutej de Bayonne, et de ceci il doit y avoir des témoins à Bayonne selon ce qu'il dit ; et il paya pour la maltôte (taxe) des galères (« galees » : petits navires) 40 sous de tournois. Et ceci lui fut pris en l'an 44 au mois de novembre. Pour l'avoir de la nef et celui des galères ce fut avant. 107 Guillem de Fenes jure et dit qu'il avait dans la nef Sancta Maria 2 balles de cordouan et sire Pes de Laudoar les y prit ; et il trouva son bien à Bayonne et ils les lui firent racheter 11 livres 16 sous 6 deniers de morlans et il les paya de sa main à don Pes dels Puys ; et ceci advint en l'an 44 au mois de novembre ; il n'a pas de témoins. 108 Belenguer jure et dit que Bernart de Puyvert son compagnon chargea dans la nef Sancta Maria 8 grands sacs (« costals ») (pleins) de cordouans selon ce que son compagnon lui fit entendre et sire Pes de Laudoar les prit et Belenguer sait que son bien avait été pris à Bayonne ; et il fut à Bayonne et le trouva et le racheta 21 livres 18 sous moins 3 deniers de morlans et les paya de sa main à don Guillem Arnalt de La Gaillardia qui était des 12 (voir plus haut) et ceci advint en l'an 44 au mois de novembre. Et il perdit dans cette même nef 5 douzaines de cordouans et don Guillem Vidal de Perer sait qu'on trouva de ce cordouan chez un cordonnier (« cordoaner »). 109 Miguel de Gandulayn (aujourd'hui Guendulain nom de plusieurs villages navar-rais) jure et dit qu'il avait 9 ballots (« boyllons ») d'étamine (étoffe) dans la nef Sancta Maria et il trouva son bien à Bayonne et ils passèrent outre et son maître don J. del Salin y envoya son valet à Pere de Mendolorri (sic pour l'actuel Mendillorri en Navarre, qui a acquis une mouillure dans le second terme el(h)orri « aubépine ») et le racheta selon ce

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qu'il fit entendre 10 livres moins trois deniers de morlans et il les paya à don Guillem Arnalt de la Gaillardia, sans les frais et les missions qu'il fit, ce qui monte bien à autant ; et ceci advint en l'an 44 au mois de novembre. 110 (VIIb. Les nefs « Saint-Jacques » et « Vianaise ») Don Grimait jure et dit qu'il avait dans la nef Sant Jacme (« Saint Jacques ») 2 valets et ils lui firent entendre qu'ils avaient pris son bien et qu'on les avait volés dans 5 ports dans la terre d'Angleterre, et il y avait du sien et de celui de son frère bien 100 marcs et de ses valets tant du leur que de commande bien 100 autres selon ce qu'ils disent ; et ceci advint en l'(an) 44. 111 Don Domingo de Longuida (vallée de Navarre) jure et dit qu'il avait 6 balles dans la nef « Vianesa » (cet adjectif « de Viane », ville de Navarre, doit nommer une nef appartenant à des marchands navarrais) dans laquelle les biens de Navarre furent laissés à Bayonne et il les racheta 8 livres de tournois et c'est le prévôt qui était au roi d'Angleterre qui prenait la maltôte en ce temps-là et il les paya à don Bernart Guillem de Bayneres (Bagnères) qui donna l'assurance pour lui ; et aussi deux mariniers et le petit prévôt (sic : ancien français « prevostel » diminutif de « prevost ») qui l'aidèrent (veut peut-être dire « et qui aidèrent le prevostel ») eurent 50 sous de tournois ; et aussi quand il chargea les balles dans la nef il paya au prévôt 22 sous et demi de morlans de maltôte. Somme : 10 livres et demie de tournois et 22 sous et demi de morlans ; et ceci advint en l'an 44. 112 Martin de Berrio (lieux-dits et maisons en Navarre) jure et dit que don Joan (sic) de Camer lui prit 2 balles de cordouan selon ce que le muletier qui les portait lui fit entendre et il fut à Bayonne et il les racheta à ce susdit don Johan (sic) de Camer 12 livres et demie de morlans et don Bernart del Potz paya l'argent à don Johan de Camer devant don Miquel de Maus et devant J. d'Ardir et devant don Guillem Vidal de Perer selon ce qu'il dit et cela advint en l'an 38 (1238). 113 Don Esteven Arnalt jure et dit qu'ils lui prirent à Bayonne pour maltôte de la maison de leurs galères 13 sous 4 deniers de sterlings et il paya cela à don Guiralt Alaman et à don Guillem Arnalt d'Ondres, et ils lui prirent les péages de ce temps 75 sous de morlans pour la maltôte du cordouan qu'il portait. Les sterlings lui furent pris en l'an 35 (1235) et les 75 sous de morlans en l'an 41 (1241). 114 Johan de Puyvert jure et dit que des hommes d'Ax le prirent et le tinrent 40 jours dans les fers et le tenant dans les fers ils lui endommagèrent 4 grands sacs de lin qui lui avaient coûté 24 livres de sanchets, et il n'eut pas plus de 54 sous de tournois et le lin s'endommagea dans une nef (bateau) qui était à la Pointe (« la pointa » : lieu dit « Punte » sur le cours de l'Adour) et ceci advint en l'an 43. 115 Don Aznar de la Rocha jure et dit que Johan Logros (sumom roman qui deviendra aussi un fameux nom de maison en Cize : Logras) de Bayonne et Lorençet son fils lui doivent 9 livres de vieux sanchets pour des tissus (« sayals ») et des cordages qu'il eurent et de ceci ils lui firent promesse (« homenage » : voir plus loin) qu'ils l'auraient payé dans 15 jours, et ils ne l'ont pas payé. 116 Don Garcia d'Olcoz (nom ancien du quartier d'Occos en Baïgorry et d'un village de Navarre) jure et dit que don Guillem Arnalt d'Eutej (peut-être nom d'origine rappelant celui de la maison Heuti de Saint-Pée-sur-Nivelle) lui prit quatre mesures de froment selon ce que Johan d'Ualde le muletier qui portait le froment lui fit entendre sur le chemin où il le portait à Fonta rabia (Fontarrabie) en l'an 47.

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Esteven Guillem jure et dit que le prévôt de Bayonne lui prit 25 sous de morlans de maltôte pour le cordouan et ceci advint en l'an 44. 117 Don Lop de Loli jure et dit que Lorentz fils de don Per Johan de Magron de Bayonne lui doit 13 livres 14 sous de sanchets pour 3 cordages qu'il eut et dont il lui fit hommage des mains et de la bouche27 qu'il le paierait entièrement à la Saint André, et il lui en paya 100 sous et Pelegrin Borrel de Bayonne 20 sous de sanchets pour 1 cordage de mescle (« mescla »), et ceci advint en l'an 43. Don Garcia Peritz Yvon jure et dit qu'on lui prit à Bayonne 40 sous de maltôte pour le cordouan et c'est Guillem le doreur qui le prit pour le prévôt et autres 7 sous de maltôte pour faire la maison de leurs galères ; et ceci advint en l'an 43. 118 Don Bernart de Sant German jure et dit que don Johan Marin (peut-être nom de métier) d'Estela (Estella en Navarre) avait reçu de lui en commande 33 marcs et demi de sterlings et il les employa en draps et ils les mit (les draps) dans la nef Sant Jacme selon ce que Johan Marin d'Estela lui fit entendre ; et ce bien lui fut pris en Cornoaylla (Comouaille) dans la terre du roi d'Angleterre, et il en reçut 4 marcs et 1 ferton (petite monnaie d'argent valant le quart d'un marc), et ceci advint en l'an 39. Et de cela est témoin jureur don Gil Martin qui sait avec certitude que ce bien lui fut pris dans la terre du roi d'Angleterre. 119 Don Gil Martin jure et dit qu'on lui prit dans la nef Sant Jacme qui fut volée au port de Plemua 7 stanforts (« estanfortz » : pièces de tissu de laine qui tirait son nom de la ville de Stanford) de Raç (probablement « d'Arras ») dans une balle qui lui coûtèrent 16 marcs de sterlings, et ceci advint en l'an 39. Guillem de Sant German jure et dit qu'on lui prit à Bayonne 74 sous de morlans de maltôte du cordouan (sic) (pour) le prévôt (ou : « le prévôt lui prit » bien que le verbe soit au pluriel), et autres 60 sous de morlans pour dona Andregaylla de Fenes que lui- même paya de sa main quand le roi d'Angleterre partit de Bayonne. Esteven de Fenes jure et dit qu'on lui prit à Bayonne 32 sous de morlans de maltôte du cordouan (pour) le prévôt (idem) quand le roi d'Angleterre partit de Bayonne. 120 Don Per Arnalt le changeur jure et dit qu'il confia (« comanda ») à don Garcia (son) valet 6 cordages et ils les vendit et acheta 4 stanforts de Bruges et 1 « peyscan » (ou « peysoan ») selon ce qu'il lui fit entendre, et il les mit dans la nef Sant Jacme et ils lui furent volés au port de Plemua et ceci advint en l'an 39. Don Simon de Conches jure et dit qu'il perdit dans la nef Sant Jacme 25 marcs de sterlings employés en draps qu'il mit lui-même de sa main dans la nef et ce bien lui fut pris dans la terre de Devensire (Devonshire) au port de Plemua ; et ceci advint en l'an 39. Felip Martin jure et dit qu'il perdit en la nef Sant Jacme 37 marcs de sterlings employés en draps qu'il mit lui-même de sa main dans la nef, et ce bien lui fut pris dans la terre de Devensire au port de Plemua ; et ceci advint en l'an 39. Don Esteven d'Ortes jure et dit qu'il perdit dans la nef Sant Jacme 30 marcs de sterlings employés en draps et son valet mit les draps dans la susdite nef, selon ce qu'il fit entendre ; et ce bien lui fut pris dans la terre de Devensire au port de Plemua ; et de ceci sont témoins qui jurèrent et savent avec certitude que le valet le mit ainsi et que don Esteven le perdit : don Simon de Conches et Felip Martin qui étaient sur place : et ceci advint en l'an 39 ; et d'autre part on lui prit à Bayonne 12 sous de morlans de maltôte pour faire la maison de leurs galères et ceci advint en l'an 43.

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121 (VIIc : commerçants navarrais) Don Johan Marra jure et dit qu'il confia 100 marcs à don Guilleumes d'Eutey de Bayonne sur l'assemblée communale (« contra el comunal ») de Bayonne de telle manière que, quelque accord ou quelque accommodement qui serait conclu sur le bien qui restait à Bayonne, les hommes de Bayonne avaient arrêté avec les hommes de Navarre qu'il en serait fait de ce bien selon l'accord ; (et) qu'ainsi en répondit don Johan Marra de ces 100 marcs qu'il confia à don Guilleumes d'Eutey. Don Arnalt la Ceilla et don Arnalt Peyre changeur jurent et dirent qu'ils furent au lieu où don Guilleumes d'Eutey paya la taille (« se taylla ») pour 100 livres de tournois pour les 100 marcs de sterlings, disant qu'il était garant pour don Johan Marra, et ils restèrent en telle condition à titre de garantie (« en voz de marca ») pour libérer les prisonniers que, d'après ce qu'ils disaient, le seigneur de Garro détenait. Et si à la vue du sénéchal les prisonniers étaient laissés (libres) sinon que les susdites 100 livres de tournois resteraient à titre de garantie pour libérer les prisonniers. Et don Arnalt la Ceilla libéra les 2 prisonniers pour 110 sous de tournois de rançon et 80 sous de tournois de mission, et comme les autres prisonniers étaient relâchés pour moins de 100 livres de tournois, ils avaient à rendre le surplus des 100 livres ; et ils convinrent de ceci de bonne foi. 122 Joan d'Uritz (village de Navarre) jure et dit que Pere Rosset le maire de Bayonne lui enleva 16 sous 8 deniers de tournois de maltôte pour faire la maison de leurs galères ; et ceci advint en l'an 43. 123 Miquel d'Un castel (sic pour Uncastillo) jure et dit que les péagers de Sant Thomas prirent à Julian son frère à Sant Thomas de Conturberi (Canterbury) selon ce que Julian son frère lui fit entendre parce qu'il ne voulait pas entrer dans le district (« la iura » : l'espace sous la juridiction de la ville) pour payer le péage de son bien et qu'il lui faisait faire le tour à 4 lieues de distance de la ville de Sant Thomas 60 sous de sterlings en l'an 41. Et d'autre part Pere de Rosset qui était maire de Bayonne prirent (sic) à Miquel d'Un castel 15 sous de tournois de maltôte pour la maison de leurs galères ; et ceci advint en l'an 43. 124 Don Johan Peritz jure et dit que les gens de Maçanges (sans doute Messanges, dans les Landes) lui prirent 55 livres de tournois dans 1 vaisseau qui cinglait de Bayonne pour la Bretagne (« Bretaynna » peut représenter la « Grande Bretagne ») et le vaisseau fut volé et se brisa sur la côte de Maçanges et il n'y eut point d'épave ; et il le prit à grand tort et il alla les réclamer à don Rostain qui était en ce temps sénéchal et il n'a pu encore les recouvrer ; et ceci advint en l'an 43. 125 Don Garcia Santz de Çandueta ( Zandueta en Navarre) jure et dit que les gens de Maçanges lui prirent 8 marcs de sterlings et 40 sous de tournois dans 1 vaisseau de Bretagne qui se brisa sur la côte de Maçanges et il n'y avait point d'épave ; et ceci advint en l'an 43. 126 Domingo Ortitz jure et dit que Johan de Bernardis celui d'Ax lui doit 48 sous de morlans pour trois fourrures et un vêtement (« vestit ») de lapin qu'il eut de lui et il lui avait promis sans tromperie qu'il les paierait dans 8 jours et de ceci sont témoins don Bernart de Lay et Peyron de Rigada et Domingo Eregue (sic pour erregue, surnom « roi » devenu par la suite nom de maison) selon ce qu'il fit entendre ; et il fait plainte de cela ; et ceci advint en l'an 43.

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127 Don Arnalt Johan jure et dit qu'on lui prit à Bayonne 38 sous 1 denier de morlans de maltôte pour le cordouan comme péage : et d'autres 39 sous et demi de morlans de maltôte pour faire la maison de leurs galères ; et ceci advint en l'an 43. 128 Don Aznar de la rassojnna (sic pour Larrasoaña au val d'Esteribar en Navarre) jure et dit que le comte maréchal (sic « lo compte mariscalt ») lui prit 1 cheval et après il s'entendit avec lui pour 26 marcs et dit qu'il le paierait en Angleterre et qu'il lui ferait une lettre que lui apporterait son valet ; et il lui fit une lettre avec son sceau pendant et il y envoya son valet et il lui prit les lettres et il ne le paya pas, sauf 13 marcs de sterlings selon ce que le valet lui fit entendre, et il réclame pour les 13 marcs qui restent et pour la dépense que fit le valet en 1 an en suivant le comte ; et ceci advint quand le roi d'Angleterre fut à Sayntes (Saintes). 129 Dominicu Varacutz d'Odeyn jure et dit que Guillem Arnalt de Sant (sans doute pour « Saut ») lui prit 22 vaches en « caromie » (peut-être « à la Chandeleur », ancien français « calamai ») en l'an 47, et Ogiers de Sant (idem) une vache et il fait serment que chacune valait 20 sous de morlans. 130 (Villa Basse-Navarre : Ossès 3) Simen d'Orses jure et dit qu'Arnalt de Sorane lui prit 5 vaches, et Guillem le fils du curé (« labat ») d'Ustaritz des planches qui valaient bien 10 livres de morlans et les vaches lui furent prises par 4 (sic) fois en l'an 45 et 46 et 47, et elles valaient bien les 3 vaches 20 sous de morlans chacune et les deux autres chacune 15 sous de morlans. Et Bernart de Mescare et Bernart de Garsis lui prirent 7 sous de morlans à Bayonne. 131 Garsias Guillem d'Orses jure et dit qu'Eneco Rolantz d'Eschaugue et Guillen d'Eschaugue et leurs cousins lui prirent 7 vaches qui valaient 101 sous de morlans à ce qu'il dit en l'an 45 au mois d'août et 6 chèvres qu'Eneco Rolantz lui prit qui valaient 10 sous de morlans et 1 porc que Santz d'Eschaugue lui prit qui valait 4 sous 6 deniers de morlans, et une vache qu'Ausamos (sic, sans doute une cacographie) lui prit qui valait 14 sous de morlans en l'an 41. Arnalt d'Orisbusti (sic : aucune maison ancienne d'Ossès ne se rapproche de ce nom qui semble une cacographie, peut-être pour... Orpuztan cité au siècle suivant) d'Ousers (sic) et Arnalt d'Erlause (voir plus haut) témoins jurèrent et dirent qu'ils savaient bien (le fait) des vaches et qu'elles furent prises, sauf l'une dont ils ne savaient rien, et ils savent (le fait) du porc et des chèvres mais il n'en savent rien du prix ni de la valeur. 132 Arnalt d'Iriverri (quartier et maisons Iriberri) d'Orses jure et dit que Bernart d'Orçaintz (sic : forme proche de l'étyrnon d'Ossès) d'Onnaçu (c'est à peu près la forme basque et étymologique d'Oneis en Mixe) et Pedro Bernat son fils d'Onnaçu lui prirent 1 bœuf en l'an 47 au mois d'août qui valait 20 sous de morlans. Témoins jurés de cette chose (en vieux français dans le texte comme tout ce passage : « iure de ceste chose ») : Martins d'Uaurcengo (très probable cacographie pour un génitif locatif basque correspondant à Ugarzango « du quartier d'Ugarzan »), Garsias Guillen de Murusco (maison ancienne de ce nom disparue avant le XIVe siècle, si ce n'est encore un génitif erroné pour Muru encore cité au XVe) ; mais ils ne savent pas le prix. 133 Lop Santz d'Orses jure et dit qu'Arnalt de Saut lui fit du dommage en planches (« tables ») et millet « jusques » (sic) à la valeur de 30 sous de morlans en l'an 47 au mois d'août. II n'y a pas de témoins (cette dernière phrase est en latin). 134 Arnalt de Rause (voir ci-dessus les formes pleines Erlausa, Arlausa) d'Orses jure et dit que Ferrant de Brene et Petri Harambileta (la maison de ce nom anoblie en 1435 est à

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Ayherre, mais il y a confusion avec Aribileta cité plus haut dans le même contexte) et Johan d'Ondezitz (sic pour Underitz de Mouguerre) et leurs compagnons lui prirent 8 porcs qui valaient 32 sous de morlans, et Eneco Rolantz d'Eschaigue (sic) lui prit 19 chèvres qui valaient 31 sous de morlans et pour faire cette prise fut (présent) Johans (sic) de la Regue (probablement forme francisée de Larraga pour Laharraga : maisons de ce nom à Ossès et Armendaritz), et ceci advint quand le roi de Navarre fut en guerre (« fu a ost ») en Gascogne. Témoins jurés de ceci : Pedro d'Orses et Garsias Guillen d'Oses (sic) qui approuvèrent et dirent ce que celui-là dit (sic : « distrent cel que cil dist »). 135 Pedro Osois d'Orses jure et dit qu'Eneco Rolans d'Eschaugue et Garsias Sens (sic) de Jacsu (déjà en prononciation française : pourrait être pour Jatxou en Labourd, mais semble plutôt désigner Jaxu en Cize) et Pedro de Jassu (sic) qui est mort lui prirent 10 porcs qui valaient 40 sous de morlans en l'an 46 au mois d'octobre, et Sanz (sic) d'Eyars (pour Eiharz quartier du pays d'Ossès actuellement à Saint-Martin d'Arrossa) témoin jure et dit qu'il ne sait rien de ces porcs sauf que les parents de ce Pedro de Jacsu qui est mort l'avaient prié qu'il s'en prît (on peut comprendre ainsi le « porta-chast » du texte mis sans doute pour l'ancien français « porsachast ») à ce Pedro Osois et qu'il pardonnât au mort ce vol où il avait été car il l'a allégé par sa mort (si l'on peut entendre ainsi « quar il legei a sa mort ») comme le dirent ses parents. 136 Martin d'Uartegon (sic : pas de maison de nom, sans doute une cacographie pour un nom vu plus haut) d'Orses jure et dit que Garcia Guarre (pour Agerre maison de Bardos) et Arnalt Santz et Bernart de la Sague (pour Latsaga, maison de Bardos) homme du seigneur de Vardos (c'est-à-dire « Bardos ») qui lui prirent 20 porcs qui valaient 4 livres de morlans à « Caresme prenent » (sic : carême prenant) passé en l'an 47 (d'où se déduit que l'enquête d'Ossès est faite au début de 1248). Sont témoins de ceci Symon de La Harragua d'Orses et Lop Santz d'Orses qui jurèrent ce qu'il dit. Mais ils ne savaient pas qui étaient les hommes ni rien de la valeur. 137 Berasco d'Orses jure et dit que Sancho Santz de Naguiturri (voir plus haut) et Domingo Berari (aucune maison de ce nom : le nom le plus proche est Irari en Baïgorry) lui prirent 11 porcs qui valaient chacun 4 sous et 6 deniers de morlans, et trois de ces hommes sont vassaux du seigneur de Saut (à Hasparren) et l'autre (sic !) est vassal d'Espaynol de le Lana (à Ustaritz) ; et 2 bœufs qu'Eneguo (sic) Rollan (sic) d'Eschaugue et Sancho de la Landa (sic : sans doute pour le précédent « Lane » dont c'est la forme basque et étymologique) lui imputent (? « amiet lui ») qui valaient 34 sous de morlans, et les porcs lui furent pris à la Saint Michel en l'an de 48, et les bœufs quand le roi de Navarre alla en guerre (« d'ost ») à Vilanova (Viellenave) ; et on lui demande s'il avait des témoins et il dit que toute la terre (d'Ossès) le savait mais qu'il ne savait nommer personne. 138 Sancho Ochoa d'Orses jure et dit que Johan de la Lana d'Ustaritz lui prit 30 sous de morlans en la terre de la bon (sic : Labourd) à Pâques fleuries (« Pasca florida » : nom ancien du dimanche de Quasimodo octave de Pâques, qui se dit en basque bazko zahar « vieille pâque ») en l'an de 47 ; il n'a pas de témoins. 139 (VIIIb Basse-Navarre : Arbéroue 2) Celles-ci sont les réclamations de ceux d'Arberoa. 140 Bernart Guillem de Sant Martin d'Arberoa (voir IV : Arbéroue 1) jure et dit qu'il fut garant pour le seigneur de Garro de telle manière que s'il conduisait le seigneur de Garro à Bayonne qu'il serait quitte et il l'y conduisit et ils ne voulurent pas le prendre

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et ceux de Bayonne le prirent et le mirent en prison aux fers à Bordiaus (Bordeaux) pour 1 an et puis il convint qu'il se rachèterait pour 76 livres 6 sous de morlans et son justaucorps (vêtement rembourré porté sous la cotte de mailles) et son chapeau et ce qu'il avait perdu (? l'expression « ses perti » semble une erreur de graphie) et 1 palefroi (« palafre ») que Pere d'Iorse lui prit : pour le palefroi sont témoins Garcia Arnalt de Belçinçu (sic pour Belzunz) et Garcia Baque et non pour l'argent. 141 Sancho d'Urquido de Helieta (Urkudoi de Hélette : nom d'origine semble-t-il pour cet habitant) en Herberoa (sic) jure et dit que don Pere de Çeurt (pour Zuhurte maison infançonne de Macaye) en Labor (sic) lui prit 75 sous de morlans quand on le tint pris dans la tour de Bayonne parce qu'il sortit à l'appel (« la pelit ») pour la guerre en l'an 44. 142 Arnalt d'Aguarrete (peut représenter la maison dite plus tard Agorreta à Saint-Martin d'Arbéroue ; il y a aussi une maison ancienne de ce nom, justement, à Bardos) d'Erbero (sic) jure et dit que Seynoret lui brûla ses maisons et Santz d'Aristoitz (pour Hariztoi maison infançonne de Bardos) et Guillem d'Arbinoritz (pour Albinoritz maison de Bardos) lui prirent 28 porcs et ses maisons valaient 6 livres de morlans et les porcs 4 livres 4 sous de morlans, et ceci advint pendant la guerre. 143 Martin d'Arroses (pas de maison de ce nom : sans doute nom d'origine) jure et dit qu'on lui prit à Bayonne 11 sous de morlans de maltôte pour faire la maison de leurs galères et ceci advint en l'an 42 ; et aussi des hommes du roi d'Angleterre de Gujnçaliseu (sans doute pour Winchelsee port anglais en relation avec Bayonne) et de la côte lui prirent dans la nef Sancta Maria de Laredo (ville de Biscaye) dont le patron était Johan de Beta de Bayonne 27 tonneaux de vin ainsi qu'on lui fit entendre et ces vins valaient vingt et 9 livres de parisis (ce doit être le sens de « parensins »), et ceci advint en l'an 46 en carême. 144 (IX. Haute-Navarre 3 : Pampelune) Sancho Gil jure et dit qu'il vendit à sire Jofre de Maude Vile 1 cheval pour 18 marcs et de cela il lui prit 5 marcs et demi et il se plaignit au maire du roi d'Angleterre (sic) et il ne put avoir son droit, et ceci advint quand le roi d'Angleterre alla à Sayntes et sire Jofre alla au combat sur ce cheval. 145 Bertolomeu de Ronçavals bourgeois de Pampalona jure et dit que les gens du roi d'Angleterre lui prirent au port de Plemua en draps une valeur de 11 livres de sterlings qui étaient à don Thomas Iurdan et ceux qui le prirent étaient Gualter le Flamand (« le flamenc ») d'Antonie et Daniello Breton et leurs compagnons en l'an 39. Témoins ayant juré : Pere Johan de Morlans (c'est-à-dire Morlaas en Béarn où se faisait aussi la monnaie locale) qui dit qu'il vit bien quand on lui prit son bien mais il ne sait pas combien. 146 Lorentz le fils de don Pere Guillem de Pampalona jure et dit qu'il avait dans la nef Sanct Jacme 9 draps de Bruges entre lui et son compagnon et ils leur en prirent 4 selon ce que lui dirent les marins qui gardaient les draps et 12 sous de tournois que Pere de Roset (sic) lui prit à Bayonne. 147 Autztorc Arroer (sic pour ces étranges noms de personne) jure et dit que ceux de Bayonne lui prirent 20 sous 10 deniers de morlans pour 50 douzaines de cordouans pour la maltôte et ceci advint au temps où ils prirent la maltôte aux autres ; et ils lui prirent 51 douzaines et 8 peaux de cordouan dans la nef Sant Miquel en Angleterre ainsi que ses valets le lui firent entendre ; et on lui demanda si les valets étaient en

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Navarre et il dit que non ; et on lui demanda ce que valaient ses cordouans et il dit qu'ils valaient bien 51 livres de sterlings car c'est ainsi que fut vendu le restant qu'il mena par terre. Ensuite Ramon d'Urditz (variante probable d'Urdaitz ce qui signale un maître de navire d'origine navarraise en principe) qui était le maître (« maiestre ») de la nef et qui devait garder le bien lui prit 2 douzaines qui valaient 40 sous de sterlings. Il n'a pas de témoins. 148 Johan Matheus jure et dit que lui et ses parents avaient donné leur avoir à don Enequo Crique et comme il le leur fit entendre il le mit dans la nef Sant Jacme qui fut perdue à Plemua en Angleterre et il y perdit bien jusqu'à la valeur de 90 marcs comme le valet le fit entendre. Témoins : Bartolomus de Ronçavals et Pere Johan de Morlans qui dirent qu'ils savaient bien qu'il avait du bien dans cette nef mais ils ne savaient pas combien. 149 Johan Murgue (ce pourrait être la romanisation du nom basque de lieu Murgi, village d'Alava et maison à Ossès, mais semble plutôt un nom de « Franc » navarrais originaire de France, moderne « Mourgue ») de Pampalona jure et dit qu'1 des chevaliers du comte d'Ayrefort lui prit un roussin à Seintes (sic) ils lui en donnèrent 1 mauvais et il s'en plaignit au roi d'Angleterre et il ne peut avoir son droit et il perdit bien 8 livres de tournois. 150 (X. Arbéroue 3) Pere Heruans de Bidart (voir IV) d'Esberoa (sic) jure et dit que Jehans d'Esparre et Arnautz (sic) d'Esparre lui prirent 9 porcs qui valaient chacun 6 sous de morlans ; et ils lui furent pris en l'an 43 au mois d'octobre. Témoins qui jurèrent ces paroles et témoignèrent : Sancho d'Içuri (sic) et Guillem Arsis de Londatz (sic).28 151 Santz d'Içurri (sic) d'Esberoa jure et dit qu'Arnaltz Santz d'Ituvil (sic pour Ustubil) lui prit 7 bœufs qui valaient 7 livres de morlans, et ces boeufs lui furent pris en l'an 43 le jour de Pâques fleuries (« pasque florie » : voir ci-dessus) ; et ceux qui furent prendre ces boeufs furent Guillem de Barrendeguj et Garsias de Heriart (Hiriarte) de Sorane ; et il se plaint (aussi) de Seynoret et de ceux de la Lane et de don Santz de la Lane et d'Espaynol de la Lane et de Pedro Bernart de la Lane qui brûlèrent sa maison avec tout son pain et sa garde-robe (sens de « sa robe ») et avec toutes ces choses qui valaient 1000 sous de morlans. Témoins qui jurèrent et dirent ces choses : Guillem Garsis d'Aitar et Pedro Arnalt de Bidart, sauf qu'ils ne savent pas la valeur de la maison ni des choses brûlées. 152 Guillem Garsis de Londiritz (sic pour Londaitz) d'Esberoa jure et dit que Garcia Arnalt de Hyherauçu (nom sans doute altéré) et Lop Arnalt son frère lui prirent 5 brebis en l'an 42 au mois de décembre (« detzenbre »). Témoins qui jurèrent ces mêmes (choses) : Garcia Vaque et Sancho d'Içurri. 153 Guillem Domicu de Chegoiane (maison Etxegoien d'Ayherre, Saint-Martin ou Saint- Esteben, toutes trois anoblies en 1435) d'Arberoa jure et dit que Guillem d'Armendaritz et son frère don Sancho Arnaltz et Arnalt de Saut et son père et Johan de la Lane et Santz de la Lane lui brûlèrent sa maison avec toutes ses brebis et avec toutes ses choses qui valaient bien 15 livres de morlans en l'an 43 au mois de septembre. Témoins qui jurèrent et virent ces choses : Garcia Vaque et Sancho d'Içurri. 154 Guillem de la Coague (pour Lakoaga) d'Esberoa jure et dit qu'Arnalt Santz d'Ustuvil et Guillem de Barrandeguj et Garcia Arnalt d'Iriart lui prirent 4 bœufs qui valaient 4 livres de morlans en l'an 42 entre la Pentecoste et la Seint Johan. Et Pierres Bernart de la Lane et Santz de la Lane lui prirent 3 porcs qui valaient 18 deniers de morlans au terme ci-

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dessus indiqué. Témoins qui le jurèrent et le virent : Garcia Vaque et Sancho d'Içuri (sic). 155 Garcia Arnalt de Belcinçu (voir plus haut) jure et dit qu'il allait au pèlerinage à Rocamador ; Raimos de Pomeros et ceux d'Usdos avec lui prirent son péage et ensuite lui prirent son cheval duquel il ne voulut avoir 9 livres de tournois. Et Arnalt Guillem d'Agramont lui prit 11 puis 18 tant vaches que bœufs au temps où le roi de Navarre vint à la guerre en Gascongne ; et il racheta 6 hommes pour 20 livres de morlans. et Amiec (sic : peut représenter l'équivalent de l'Amigot gascon) Arnalt Guillent d'Agramont fît ces choses (avec) Pierres Martin de Miramont, Guillem d'Aguerre (qui prit) le cheval et Arnalt de Çalane (maison noble de Camou en Mixe) et Pedro Garssias de Bidageign (maison noble de Biscay en Mixe : la mouillure finale, aujourd'hui disparue, est à remarquer dans ce texte écrit en vieux français). Témoins qui jurèrent et entendirent ceci : Garcia Vaque et don Pere de Mehari (pour la salle de Méharin). 156 Enequo de Sancta Maria (maison noble) de Heleta en Arberoa jure et dit que Seynoret lui prit 120 et 13 (sic) porcs. A cette prise participèrent Arnalt Santz d'Ustubil et Arnalt Guillem sire de Vasson (pour Bassuen de Hasparren : voir la première partie) et don Santz de Briscorz (sic : Briscous) et Arnalt Garsis d'Arteguieta (maison de Hasparren : aujourd'hui Artaieta) et Bernart Pedro de Belçuncu (sic : il y a aussi un Belzuntz dans le parti labourdin) qui demeure à Bayonne, et les porcs furent pris en l'an 43 aux environs de la sient (sic) Michiel (à la Saint Michel le 29 septembre commençait le pâturage libre des porcs dans les forêts communes). Témoins qui jurèrent et entendirent ceci : Guillem Arnalt de Heleta et Ramons (sic) d'Issurri. 157 Guillem Arnalt de Heleta d'Esberoa jure et fait dire à Pedro de Garat (maison de Hélette anoblie en 1435) que Seynoret et Arnalt Santz d'Ustuvil et Arnalt Guillem sire de Vasson et don Santz de Briscoitz et Arnalt Garcia d'Arteguieta et Bernait Pedro de Belçinçu lui prirent 7 porcs en l'an 44 aux environs de la seint Michiel. Témoins qui jurèrent et entendirent ceci : Johanes de Sancta Maria de Heleta et Arnalt Ramon d'Issurri. 158 Don Garcia d'Arraidu (pour le rôle de cette maison dans la guerre contre les Labourdins : voir la première partie) d'Erberoa (sic) jure et dit que les hommes de Bayonne depuis que le roi don Thibalt fut roi29 lui tuèrent son frère avec 14 hommes et ceci advint en l'an 42, et Seynoret lui brûla ses maisons qui valaient mille sous de morlans et la maison de son frère et ce qu'elle contenait qu'il évalue à 200 sous. Il a pour témoins Guillem Gaissia de Limidart (nom probablement altéré) et Pere Arnalt de Bidart qui dirent que c'est vrai. 159 Arnalt Aramon (forme à prothèse pour « Ramon ») Issulicho (sic : intrusion d'un génitif basque d'origine en -ko plutôt qu'un diminutif, pour ce personnage qui semble déjà cité comme témoin, et qui paraît le désigner comme maître de la maison noble Ixuri d'Ayherre) jure et dit que don Pere Arnalt de Salt et le seigneur d'Armendaritz lui brûlèrent ses maisons et ce qu'elles contenaient qu'il estime à 700 sous de morlans. Il a pour témoins don Garcia d'Arraidu et Saut (sic, sans doute pour « Santz ») de Issuli qui virent cela mais ils ne savent ce qu'il y avait à l'intérieur, en l'an 42. 160 Garcia Lopiz de Beldarais ( Bildaraitz hameau de quatre ou cinq maisons autrefois indépendant, aujourd'hui intégré à Ayherre) jure et dit que Seynoret et ceux de Salt (veut dire « ceux de Hasparren ») et ceux d'Armendaritz et Bernart Pes lui brûlèrent ses maisons avec ce qu'il y avait dedans et son gendre qui y fut brûlé, et il estime la maison

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avec ce qu'il y avait dedans à 300 sous morlans, en l'an 42. Il a des témoins : Santz de Issuli et Guillem de Ioy (nom sans doute altéré) qui disent qu'il en est ainsi. 161 Bernart d'Aguerre (l'une des maisons d'Ayherre ou Saint-Esteben anoblies en 1435, plutôt que la maison noble ancienne de Hélette qui pourrait être nommée au paragraphe suivant) jure et dit que Seinoret et ceux de Salt et ceux d'Armendaritz et ceux de la Lana lui brûlèrent ses maisons et ce qu'il y avait dedans en l'an 42 et il estime la maison (sic) à 200 sous de morlans avec ce qu'il y avait dedans. Il a des témoins : Santz d'Issuli, Guillem d'Oiosen (mot peu lisible et altéré : c'est apparemment le même témoin que ci-dessus). 162 Peirona d'Anerart (nom altéré par le copiste ou le recopieur, qui doit représenter Anciart pour Aintziarte maison de Hélette anoblie en 1435) jure et dit que Seynoret avec sa compagnie lui brûla ses maisons et ses. bordes et son aire à battre le blé (« trillar ») avec les cuves et 80 porcs qu'elle estime à mille sous de morlans ; et elle racheta son fils qu'ils lui prirent pour 200 sous de morlans en l'an 42. Elle a pour témoins Santz de Issuli et Arnalt de Agarrea (pour Agerrea) qui virent cela. 163 (XI. Cize et autres) En Petri Santz d'Urrutia de Cissa (plusieurs maisons nobles - le en gascon désigne un notable - en Cize, la plus connue étant celle précisément de « Saint-Jean d'Urrutia » qui a donné son nom à « Saint-Jean-le-Vieux ») jure et dit que Johan d'Ondritz lui prit 8 porcs qui valaient 40 sous de morlans en l'an 43 aux environs de Noël. 164 Don Aymar Crozat de Pampalona jure et dit qu'il envoya avec Bernart de Montaner à Bordel (Bordeaux) 7 marcs de sterlings et 10 deniers et ainsi que Bernart de Montaner le lui fit entendre don Arnalt Guillem d'Agramont lui prit ces sterlings. Et ensuite il vint avec don Helies Davi (sic) et don Arnalt Guillem était présent et il lui fit demander par don Helies qu'il lui rendit les sterlings ; mais (il demanda) qu'il lui fixât un terme pour amour de lui, et il lui fixa un terme jusqu'à Noël passée de l'an 47, et il ne lui a pas rendu les sterlings et ce vol fut fait aux environs de la saint Jean en l'an 47. Il a pour témoins don Bernart de Hatsa (le seigneur d'Ahaxe) et don Navarr (sic) de Hassa (sic), Pes d'Ones (sans doute Oneix en Mixe) qui dirent à don Arnalt Guillem d'Agramont que pour l'amour de don Helies David il devait rendre cet argent, mais ils disent qu'ils ne savent pas combien d'argent. 165 Ceux-ci sont ceux de Cisa (sic) : Lope Santz Corroça dit et jure qu'Arnalt border (ce mot est sans doute le nom de métier « bordier ») d'Ustaritz lui prit 1 vache en l'an 43. Témoins : Lope Ochoa qui jura qu'il vit emporter la vache. 166 Arnalt Lopis de Sant Johan jure et dit qu'en Brasc d'Armendaritz lui prit 15 porcs en l'an 44 et il dit qu'ils valaient 7 sous (sic) de morlans. Témoins : Lop Achaatz son père et Lop Santz Çorrotça (sic) qui virent emporter les porcs et dirent qu'ils valaient tant et plus (sic : pour « encore plus »). 167 Peiron mercier de Sant Johan jure et dit qu'Arnalt Guillem de la Barra de Salt en Tascama (sic : mot sans doute altéré) lui prit un roussin qui lui coûta 60 sous de morlans et 60 sous en deniers et en achat (« enpleite » : le sens est peu clair) qui valait 60 sous et 20 sous que lui coûta la mission en l'an 47. Témoin Eneco Santz qui jure et dit qu'il était présent sur le lieu à Salt, mais il ne sait pas ce que valait ce qu'ils prirent. 168 Arnalt Santz de Sant Johan jure et dit qu'1 homme de Bayonne Pes de Badet le blessa et il y eut un jugement sur cela et celui qui le blessa fut taxé (« peito ») de 366 sous pour

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prix de la violence (« calonia ») par don Pes de Rosset qui était alors maire ; et de cet argent celui qui fut blessé devait avoir 8 livres 3 sous de morlans ; et don Pere (sic) de Rosset lui prit de force ces 8 livres 3 sous, et ceci advint en l'an 41. 169 Pes d'Argena (s'il s'agit d'un Cizain ce pourrait être une cacographie pour Argaba maison infançonne d'Uhart-Cize) que Pes de Hurt (pour « Urt » en basque Ahurti) lui prit 8 charges de sumac et il supporte un dommage de 20 sous morlans, et la mission pour le réclamer lui coûta 20 sous de morlans. Témoins : en Johan Santz de Garritz témoigne que Pes de Hurt lui prit 8 charges de sumac, et pour la mission il n'en sait pas le montant. 170 Aner d'Estrena jure et dit qu'en Guiralt de Hon (peut-être pour lhune maison infançonne d'Uhart-Cize) doit pour 2 charges de poix qu'il lui emporta à Pampalona 26 sous de sanchets. Il n'y a pas de témoins. 171 Arnalt d'Aassa (Ahaxe) de Sant Johan jure et dit qu'en Santz de Assa (idem) seigneur d'Espeleta30 le mit garant pour 700 sous de morlans et il l'a laissé prolonger et il a demandé sa part (« su heretage » qui n'est pas au sens propre un « héritage ») pour cette garantie. Il a pour témoins Johan de Garris (sic), Bernart Artus, Arnalt Haissia de Luc (pour « Luxe » en Mixe), en l'an 47. 172 Adam de Sant Johan jure et dit qu'en Johan de Camer lui prit 1 roussin qui valait 60 sous de morlans. Témoins Arnalt de Hassa, Arnalt Guaissia de Luc, en l'an 43. 173 Maria Guarceitz de Vila nova (soit le hameau d' Iriberri en Cize soit la maison infançonne du même nom à Bascassan) jure et dit que le seigneur de Paganduru (à Macaye) prit à son mari sur le chemin de Bayonne 12 sous de morlans et 8 mesures de mil avec 2 ânes, et qu'il racheta et les ânesses (sic) et le mil avec une vache pleine et elle estime la vache 20 sous de morlans et ceci advint en l'an 38. 174 (XII. Haute-Navarre 4 : Bastan, Roncevaux, Larraun, Maya) Ceux-ci sont de Lerin Bastan : 175 Pere Santz de Lagassa de Lerin jure et dit pour son père et pour lui que Guillen Arnalt de Salut (sic, pour « Sault ») lui prit 31 porcs qui valaient 9 livres sanchètes en l'an 44 environ à la Sant Miquel. 176 Esteven de Lagassa jure et dit que don Blasco d'Armendaritz lia les mains à son fils dans la montagne et lui emporta 21 porcs, et Martin Eniegueitz et toute la terre le savent selon ce qu'il nous dit et ceci advint en l'an 47. 177 Baldoujn jure et dit qu'ils lui prirent en deçà d'Ax une mallette à la sortie de la ville et ce qu'il y avait dedans valait bien 7 livres de tournois et ils firent ceci de nuit en l'an 45. 178 Ceux-ci sont ceux de Ronçavals : Domingo Pascal de Ronçavals jure et dit que Pierres d'Iorse lui prit 8 juments pleines et 3 roussins et 2 poulains de chevaux et une pouliche qui valaient 40 livres de morlans en l'an 45 environ à la Sant Andreu (au 30 novembre la Saint André marquait la fin des pâturages libres) ; et il dit sous serment qu'il prise autant ce qui en est issu que l'autre château nommé auparavant (passage peu clair en vieux français). Témoins furent Arnalt Santz de Soraburu (maison noble de Saint-Esteben en Arbéroue) et Pierres Arnalt son frère et Pierre de la Lane (pour ce témoin sans doute cizain on peut penser à la maison noble Larrea d'Ispoure) et Arnalt Bemart de Sant Johan qui entendirent qu'il vint manifestement à ce Pierre (sic) de Iorse qu'il les avait pris pour marque des porcs (passage également obscur) et le sire de Hasse (Ahaxe) voulut lui rendre ses porcs par

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preuves et sur ce ils se mirent à se quereller et les juments ne furent pas rendues et pour le prix il ne voit pas bien ce que les juments valaient. 179 Sanchetz Ortitz du Val d'Agueil jure et dit qu'Arnalt Peire de Saut lui prit 1 boeuf pour raison d'herbage (c'est-à-dire saisie sur les lieux de pâturage) en l'an 47 au mois de mai et ceux de Ronçavals avaient payé l'herbage et il dit que le bœuf valait 23 sous de morlans. 180 Bernart de Caumoz qui est à Ronçavals jure et dit que ceux d'Ax lui prirent et enlevèrent 2 charges de poivre et ils prirent son corps (c'est sans doute ce que veut dire. avec une cacographie, « pristrent son cos », sic) et le tinrent tant en prison qu'il dépensa 4 livres 13 sous de morlans ; et puis ils donnèrent son poivre à Bernart dou Lac de Bayonne et il convint de racheter son poivre 23 sous 7 deniers de morlans. Domingo Pascal le sait qui fut présent, mais il ne sait pas bien quelle fut la dépense. 181 Pere Tastif jure et dit que n'Ogiers d'Agramont lui prit son roussin et sa selle et tout son harnois qui valait bien jusqu'à 100 sous de sanchets en l'an 48. 182 Domicu d'Ayçua qui demeure à Ronçasvals jure et dit que Bernart d'Aroçe et Arnalt d'Irundaritz (maison de Mouguerre) lui prirent une vache en l'an 36 qui était à la « vacherie » (sic, sans doute la « cabane » ou « borde » de montagne et non « l'étable ») de Bernart de Lomberi (représente un Irumberri, maison noble en Cize notamment). 183 Garcia de Biscarret (le village navarrais proche de Roncevaux) jure et dit que Johan de Larrando et Anso Erlans de Çepuru (sans doute pour Larranda et (H)aiz-puru à Ustaritz) lui prirent 30 porcs au val d'Erro (en Navarre) et les menèrent au pouvoir d'Arnalt de Salt ; et d'autre part Jaun (ce mot basque remplace ici les « en », « sire » et « don » romans habituels) Petri Johan d'Albeintz (maison d'Arcangues), Ochoa Falsart (pour Haltzarte), Garcia Bergara. Anso Domicuitz qui sont dans la lettre du roi. prirent 54 porcs qu'ils menèrent à Agramont et de ces porcs les 53 étaient à dona Maria d'Echalatz (en Navarre) et à sa fille, 10 à G. le porcher, 8 à Santz de Biscarrz et 8 à Eneco Ortitz d'Ureta (en Navarre), et ils valaient bien pour chaque porc 8 sous. Ceci advint en l'an 47 au mois de février. Témoins jurés : don Arnalt de Biscarret et Ocho de Biscarret son fils. 184 Ceux-ci sont ceux de La Raun (pour l'un des Larraun en Navarre) : Domingo Yvaynes de la Raun jure et dit que don Guillem Arnalt de Salt lui prit 22 vaches pleines et don Ochier de Salt une en carême et ceci advint en l'an 44. 185 Ceux-ci sont ceux de Mayer (Maya) jurats : Ramon de Mayer jure et dit que Santz de Lane prit à ceux de la terre de Maya (sic) 14 bœufs et 12 vaches en l'an 46 au mois d'avril ; il ne sait pas le prix des bœufs et des vaches et il leur prit 18 mesures de froment et une vache qui avait coûté 17 sous 8 jours avant. 186 Durant de Mayer jure et dit que Santz de Lane leur (sic) prit 14 bœufs et 12vaches et 14 mesures de froment ; et ensuite don Bernart de Mandaritz (sic pour Armendaritz) 14 porcs et Guillem Arnalt de Salt 4 porcs qui valaient chaque porc 8 sous de sanchets et une vache qui avait coûté 17 sous 8 jours avant en l'an 47 au mois d'avril et les porcs furent pris en l'an 47 au mois de novembre. 187 Qu'il soit en mémoire que don Martin jure et dit qu'il avait envoyé Johan Martin son neveu en Flandres et il arriva au port de Plemua en Angleterre dans la nef Sanct Jacme et on lui prit son bien pour une somme de 60 marcs et plus ; ceci advint en l'an 39 ainsi

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que le firent entendre les exécuteurs (testamentaires) là où fut tué Johan Martin son neveu. 188 Don Per Guillem Gosser jure et dit que son valet lui fit entendre que quand il vint dans la nef Sant Andreu de don Garcia de Lissaga (pour Elizaga nom de nombreuses maisons, en Labourd à Saint-Pierre d'Irube et ailleurs) ils trouvèrent les galères du roi d'Angleterre à Sant Mayeu. Nicholas de Antont était le maître (sans doute le commandant) des galères et il lui prit son bien : 120 hermines qui coûtèrent 38 sous de sterlings et d'autre part une robe qui valait 26 sous et demi de sterlings dans la ville de Mayagatz, 7 livres de tournois que lui prit Helias Aspes et 15 sous de bordelais et 10 sous de morlans. Et quand il sortit de la prison il lui en coûta 60 sous de morlans pour le rachat. Ceci advint quand le roi de Navarre fut à la Pointe (sic : voir plus haut), et la première perte eut lieu quand le roi de Navarre s'en alla (c'est ainsi qu'il faut entendre sans doute le mot « fu » qui termine la phrase). 189 Don Pere d'Ayeta jure et dit qu'il avait dans le nef Sant Jacme 10 draps de Santhomer (Saint-Omer) et deux tierçains (sans doute le sens de « terç » : petit tonneau, comme unité de mesure) de draps blancs qui coûtèrent 15 livres de sterlings et ceci fut pris au port de Plemua ainsi que son valet le lui fit entendre en l'an 39, et 50 sous de morlans et 6 sous de sterlings de maltôte. 190 Don Andreu Climent jure et dit qu'il avait dans la nef Vianesa à Bayonne 15 mesures (« costals ») de cordouans et on lui fit un dommage de 20 marcs ; ceci advint en l'an 44, et ils payèrent 66 sous de morlans de maltôte. 191 Martin de Montaner jure (et) dit qu'on lui prit à Bayonne 39 douzaines et 1 caern de cordouans ce qui lui fit un dommage de 25 livres de tournois et on lui prit par mauvaise raison 40 sous de tournois pour péage ; ceci advint en l'an 44. 192 Don Guillen Bigot et Guiralt jurèrent et dirent que le maire de Bayonne don Lorentz de Puiaga (sic pour Puiana ou Pouyane) lui prit 110 douzaines et 1 caern de cordouans qu'il mit en son pouvoir. Ceci advint en l'an 44 ; et ils avaient coûté 64 sous de tournois la douzaine et ils donnèrent 40 sous de maltôte aux galères, et il leur en coûta bien 100 livres en missions. Il y a des témoins pour les 110 douzaines et 1 caern de cordouans qui ouïrent l'hôte de Bearritz là où le cordouan fut pris, ainsi que le maire de Bayonne et ses hommes qui auraient... (ici un mot illisible) le cordouan : don Martin et don Andreu Climent qui étaient là où ils pouvaient le savoir (passage obscur : « que eran dor lo conoissiren »). Cette saisie (« tolte ») fut faite en l'an 44 le jour de Pâques fleuries (voir plus haut) et ils lui prirent une balle de drap qui avait coûté 12 livres et demie de sterlings. Le maire de Bayonne don Pere Ramon de Veneça (pour Bénesse : la phrase inachevée veut dire sans doute que c'est le maire au moment de la rédaction en 1248). 193 Don Johan Bigot jure (et) dit qu'on lui avait pris 10 livres de morlans de maltôte. Don Gil Bigot jure (et) dit qu'on lui avait pris 40 sous de maltôte pour les galères. Bernait Montaner jure (et) dit qu'Arnalt Guillem d'Agramont lui prit 6 livres de tournois et 7 marcs de sterlings et on lui prit 5 chevaux en 5 semaines ce qui lui fit un dommage de 200 morlans et il dépensa pour les chevaux 8 livres de tournois ; ceci advint en l'an 47 au mois d'août. 194 Sancho Gros jure (et) dit qu'on lui prit 5 conques de froment qui valaient 10 livres de morlans ; et de cela on lui donna 50 sous de morlans. Ceci advint quand le roi d'Angleterre était en guerre avec le roi de France.

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195 Don Pontz Peritz jure (et) dit que les bourgeois de Bayonne prirent dans la nef Sancta Maria à Royam (sans doute Royan) son bien à son valet Thibalt et il racheta son bien pour 33 livres de tournois à Bernart d'Usot, ce fut en l'an 45. 196 Durant Martin jure (et) dit qu'il avait dans la nef Sant Jacme 9 draps de Santhomer qu'on-lui prit au port de Plemua, qui valaient 10 livres et 16 sous de strelings. Ceci advint en l'an 39. Don Johan Gros jure (et) dit qu'on prit à son compagnon à Royam 20 livres de morlans. 197 Johan Folques jure (et) dit qu'on lui prit en Loreront (sans doute Oléron) 52 charges de sumac et il le racheta pour 10 livres de poitevins (« peitevins » monnaie du Poitou) qu'il eut de Rostayn del Soler et ensuite on lui rendit le sumac pourri ; ceci advint quand le roi fut à Sayntes (sic). 198 Garcia de Lort garantit et dit sur sa garantie (sic) que Guillem de Saumat prit sa fille à Bayonne et il la racheta pour 7 livres de sanchets et ce fut en l'an 45 au mois de septembre. Il paya cet argent par 1 More qu'il acheta à Guillem de Saumat et il le perdit en Navarre. 199 Gaissia Arnalt de Garro jure et dit que Pere de Rosed (pour Arrauset) qui était maire de Bayonne et ceux de Salt et les 4 frères de Lana. le seigneur de Nobeis (voir plus haut), don Pere de Subist et d'autres bourgeois de Bayonne lui ont fait un dommage qui vaut 43 fois 1103 sous de morlans (sic) pour le rachat de ce qui fut racheté et pour les maisons qu'ils lui détruisirent et pour les vergers qu'ils lui coupèrent à lui et à ses parents, sans compter la mort des hommes au nombre de 41. Et nous lui demandons quand cela lui fut fait et quand il avait subi ce dommage ; et il nous dit que c'est quand il était vassal du roi d'Angleterre et depuis.31

NOTES

1. Archivo General de Navarra. cajón 5 n° 39. I. II. III 2. Ricardo CIERBIDE. « Encuesta cuadrilingüe de 1249 y el occitano de la cancilleña de Navarra », Actes du IV Congrès de l'Association Internationale d'Etudes Occitanes (Vitoria-Gasteiz 22-28-VIII-1993), Vitoria 1994. tome II, p. 701-714. Le commentaire linguistique du Professeur R. Cierbide porte sur la partie navarraisc de l'enquête (section III du document) rédigée en navarro-castillan auquel se mêlent des passages d'occitan et même de vieux français (voir la deuxième partie). L'auteur y rappelle d'abord le contexte historique du conflit, auquel ne fut pas étrangère la guerre entre le roi de France Louis IX (saint Louis), dont Thibaut était le vassal comme comte de Champagne, et Henri III roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine (et à ce titre lui aussi vassal du roi de France). La guerre des princes coalisés contre Louis IX se termina par la victoire de celui-ci en 1242, et la trêve qui s'ensuivit. Celle-ci fut rompue en Gascogne (dont le Labourd faisait partie) par les entreprises du parti anglais puis par la riposte foudroyante de l'armée que Thibaud conduisit en personne, dont le texte énumère les dégâts. La paix fut conclue le 29 octobre 1248. et le document rédigé au début de l'année suivante, relatant un ensemble de rivalités qui s'étaient étendues sur une douzaine d'années.

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3. Les partisans et combattants navarrais le plus souvent cités, généralement par le nom de leur maison. sont les frontaliers du Labourd. habitants d'Ossès et d'Arbéroue au premier chef, qui avaient bien des relations avec les Labourdins, et aussi bien des contentieux révélés par les comptes annuels navarrais, soigneusement tenus à partir de cette même période : incursions des troupeaux et saisies, coupes de troncs dans les forêts du Baïgura etc. Les Cizains et Baïgorriens, présents aussi et cités pour les seigneurs principaux (Lacarre. Ahaxe, Alzu, vicomte de Baïgorry...), apparaissent beaucoup moins. 4. Cf. J. BIDACHE, Le livre d'Or de Bayonne. Pau 1896, voir principalement les listes d'habitants censitaires des chanoines et de l'évêque datées de 1266. p.199-262. 5. « Gentilhomme » traduit le mot latin miles, « soldat » en latin classique, le seul, à deux exceptions près (cf. note 17). que le texte utilise pour nommer la qualité de « noble », ignorant les termes locaux d'origine hispanique, infançon ou hidalgo. Si la fonction guerrière du noble est ainsi indirectement rappelée, il s'en faut de beaucoup que les combattants, même les plus fréquemment cités, à l'exception de certains chefs de compagnies, appartiennent tous à des maisons connues pour nobles à cette époque ou plus tard. Un règlement nouveau de l'appel aux armes, peut-être en souvenir de cette période et de ces événements, sera édicté sous Thibaud II en 1258 : cf. J.-B. ORPUSTAN « La vallée d'Ossès de 1258 à 1418 ». Bulletin du Musée Basque n° 65. 1976. 6. Bien que revendiquant pour le roi-duc les terres de Mixe et Ostabarret que le roi de Navarre a envahies pour les remettre sous son autorité, l'enquête tient Luxe, le principal seigneur de Mixe et en même temps seigneur de Lantabat et d'Ostabat, pour un vassal du roi de Navarre. Le seigneur de Garris est aussi cité parmi les partisans navarrais. 7. C'est une allusion au siège de Garro, maison noble et fortifiée (castrum) située à Mendionde (Gréciette) à quelques pas de la frontière navarraisc de l'Arbéroue, et qui semble avoir été. à part le raid navarrais de Thibaud. le fait de guerre principal de ce conflit. Cf. J.-B. ORPUSTAN : « Garro : un nom dans l'histoire », Bulletin du Musée Basque n°J37, 1er semestre 1994. p.25-40. 8. Cf. J.-B. ORPUSTAN : « L'anoblissement de 128 maisons d'Arbéroue en 1435 ». LAPURDUM I, Biarritz 1996. p. 199-221. 9. Ce passage ajoute à la plainte des marins proprement dits, celle de nombreux autres habitants, soit bayonnais. soit labourdins, soit béarnais et chalossais du moins d'après leur nom d'origine. 10. Le nom d'ancien français malto(s)te daté de ce milieu du XIII e siècle, mais probablement bien plus ancien, repris tel quel dans le texte latin, littéralement « levée faite à tort » au sens de « mauvais » impôt, c'est à dire injuste, a été donné plus tard à l'impôt que Philippe le Bel et ses successeurs levèrent en France pour financer la lutte contre... les Anglais. 11. L'incendie des maisons de Mixe signalée ici a peut-être laissé une trace dans la toponymie locale : il fallait en effet un « incendie » extraordinaire, hors des accidents courants à cette époque dans des maisons construites de charpentes et colombages (modèle qui se voit encore à l'intérieur des murs de pierre qui ont servi plus lard à renforcer les édifices), pour avoir laissé à une maison de Beyrie un nom purement latin, et précisément celui de Combusta « brûlée » que répèlent tel quel tous les documents postérieurs jusqu'au XVe siècle compris. Si le nom a subi une légère détérioration dans l'usage moderne par simple assimilation vocalique d'abord (Combosta en 1551). Composta actuellement avec un assourdissement de consonne devant nasale en principe contraire à la phonétique basque et qui ne s'explique que par analogie (« compote, compost » et même... « Compostelle ») pour un nom depuis longtemps incompréhensible, il n'a, dans ses origines conservées dans une longue tradition écrite, strictement aucun rapport avec... quelque route com-postcllanc que ce soit. Mais le rattachement de cet étrange nom latin au raid de Thibaud, dont la brutalité en Mixe est particulièrement, dénoncée, n'en reste pas moins une simple hypothèse certes invérifiable, mais non invraisemblable. 12. Le nom de maison Marithurri (avec une première vibrante simple) est resté nom d'état civil jusqu'à l'époque moderne. La vibrante double ne dit rien, vu les cacographies nombreuses dans le

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texte pour les toponymes basques, quant à la forme primitive, et le segment marr- reste de toutes manières impossible à identifier (à la rigueur une altération d'un barr- lui-même peu explicable dans ce contexte). Il ne s'agit pas pour autant d'une quelconque « Marie » chrétienne, dont la présence dans les noms des maisons médiévales basques (et nobles toujours) est parfaitement cataloguée. C'est pourquoi il faut bien envisager un rapport possible avec l'être que la mythologie populaire ancienne a reconnu sous le nom de Mari, et cette « fontaine ou source de Mari » rejoindrait alors, mais à une époque - le nom étant inventé comme presque tous les autres bien avant ce XIIIe siècle où il est documenté - qui ne fournit guère d'informations sur les croyances populaires, bien des Laminosin, Laminithurri et autres « gouffres » et « sources des lutins »... 13. La confusion entre haritz « chêne pédonculé » et haitz « rocher », résultat de l'affaiblissement de la vibrante simple intervocalique, n'est pas apparue en labourdin avant le XIXe siècle. Pour tous les noms antérieurement documentés, et tout particulièrement dans la toponymie médiévale, haritz se distingue sans exception de haritz (et des formes apparentées qui n'en sont, certaines sûrement d'autres probablement, que des altérations : iz. az. aez. ahetz. ahaitz etc.). Il est d'autant plus étonnant de lire à Ustaritz, où la maison noble principale Haitz n'a varié ni de forme ni sans doute de prononciation depuis le XIIe siècle, un Hariza : ou c'est une des nombreuses erreurs graphiques relevées dans le document, ce qui paraît le plus probable. ou il s'agit réellement d'un toponyme sur haritz, soit le mol simple déterminé, ce qui est possible quoique rare (« le chêne »), soit d'un dérivé raccourci, mais alors nom d'origine extérieur à Ustaritz. 14. Dans l'usage de la chancellerie anglaise certaines paroisses du Labourd étaient nommées par le nom de la maison noble principale (Cambo, Hasparren, Macaye) ou unique (Espelette). L'enquête que le roi d'Angleterre fait faire en Labourd en 1311 précise à propos d'Espelette et de Macaye : « Le seigneur d'Espeletta a des pâturages et une paroisse entière sienne nommée Espeletta (...) Le seigneur de Paganduru a sa propre paroisse de Maqueya (...) » (traduit de l'original en latin). Cf. J. BALASQUE, Etudes historiques sur la ville de Bayonne, Bayonne 1862-1875. T. II p. 693-700. 15. Un prieuré de ce nom se trouvait à Saint-Léon près de l'actuel cimetière de Bayonne : Edouard DUCERE, Dictionnaire historique de Bayonne, Bayonne 1991, Laffitte Reprints 1976. Il y avait aussi un « hôpital du Paradis » ou Parebis à Souraïde. Hors du Labourd une maison de Barcus en Soule portant ce nom est citée depuis le XIVe siècle. 16. Ce Biudz médiéval de Mouguerre a été compris et traduit à tort tardivement (XVIII e siècle) par le latin velus « vieux ». La voyelle -u- semble une vocalisation romane, ce qui peut renvoyer au radical basque bit en toponymie au sens de « arrondi, groupe, colline » : voir par exemple « Viodos » en Soule résultant de Bildoz. 17. Le mot domicellus d'où procède le français « damoiseau » a été utilisé plus haut pour un noble de Mixe ou d'Ostabarret mais c'est ici l'unique emploi du texte pour un noble labourdin. Or l'enquête de 1311 nomme ainsi les soixante ou soixante-dix maisons nobles anciennes du Labourd. Celle de 1316 pour la réforme du for de Mixe donne son équivalent gascon donzet à vingt-cinq maîtres de maisons nobles qui n'ont pas droit au titre de « monseigneur » : voir J.-B. ORPUSTAN : « La réforme de la coutume de Mixe par Amanieu d'Albret, vicomte de Tartas, en 1316 », Le pays de Mixe. Izpcgi 1992, p.71-87. 18. Comme Macaye par la maison noble Paganduru et Cambo celle d'Azantza, la paroisse entière de Hasparren, où se trouvaient plusieurs maisons nobles anciennes, est nommée par le « castrum » de Saut ou Zaldu (voir note 14). C'est sans doute la maison nommée actuellement Zalduzahar ou « Vieux Saut », qui ne se trouve pas sur la hauteur occupée par les ruines du château de Saut, peut-être installé là après les destructions du XIIIe siècle. 19. Le pluriel « les maisons » peut correspondre au fait que des maîtres de maisons possédaient effectivement par héritage plusieurs maisons, comme c'est le cas précisément du seigneur de Saut de Hasparrenégalement seigneur de la salle d'Ascain. Mais il s'agit plutôt dans la plupart des cas des bâtiments ou maisons annexes de plus ou moins grande importance (à l'exception des

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moulins toujours désignés comme tels et appartenant aux nobles) dites au XVIIesiècle « petites maisons », bordes ou métairies, que les maisons principales possédaient comme on le voit par exemple à cette époque pour les maisons de Mendionde. 20. Pour le commentaire de certains aspects linguistiques très curieux de cette seconde partie de l'enquête de 1249, après le texte en latin mêlé de rares intrusions romanes et basques (celles-ci seulement en onomastique) de la première partie, qui passe tour à tour du navarro-castillan habituel de la chancellerie de Pampelunc à l'occitan gascon et au vieux français, avec diverses formules bâtardes de ces langues, y ajoutant encore des formules latines, et bien entendu, une large part d'onomastique basque (noms de lieux et de personnes), se reporter à l'article de Ricardo CIERBIDE signalé dans la note 2 de la première partie. 21. Les ruines du château de Gramont primitif sont à Viellenave et occupent le sommet d'une butte qui porte aujourd'hui le nom de La Mulari, nom roman qui semble se référer à l'ancien moulin sur le cours d'eau qui passe au pied de la butte. C'est ce site et ce château qui portaient le nom roman ou peut-être romanisé de Gramont dont les traductions latines nombreuses montrent que ce ne fut pas un « grand mont » mais un « mont aigu ». La construction du château de Bidache qui prit le nom des seigneurs est postérieure aux événements relatés dans ce document, et en particulier au siège de Viellenave, c'est-à-dire sans doute du château lui-même, conduit par le roi de Navarre en personne. 22. Pour le serment prêté au roi de Navarre Sanche le Fort par Vivien II de Gramont dans son château de Viellenave le 17 décembre 1203, reconnaissant devant témoins sa suzeraineté et hissant le drapeau du roi sur sa tour, se reporter aux articles de Clément URRUTIBEHETY : Bulletin de la Société de Borda p.332-332. Dax 1964, et Bulletin de la Société des Sciences. Lettres et Arts de Bayonne. n°129 p.93-124. 23. Cette formule exprime le rituel de l'hommage féodal souvent représenté dans l'enluminure médiévale, qui engageait chaque contractant à rester fidèle au serment prêté en public et devant témoins : en 1203 ce furent 26 seigneurs de Mixc qui jurèrent à leur tour « de faire tenir à Vivien de Gramont cet engagement et tout ce qui est écrit dans la lettre », la lettre dont précisément Thibaut fait mention dans sa réclamation. Si le château de Gramont a été remis ensuite à un fidèle de Thibaud autre que le seigneur Arnalt Guillem, comme le nom du nouveau « titulaire » le laisse supposer, il aurait eu quelque raison d'accepter la protection anglaise. 24. Le château royal d'Arçar, nom basque signifiant « vieux rocher », correspond sans doute au site de Charritte en Mixe nommé en gascon (c'est la frontière linguistique) « Castel biel » au- dessus d'un coude de la Bidouze : cf. Clément URRUTIBEHETY « La marche de Lauhire », Cure Herria. La carte de l'IGN « Pcyrchorade 1344 Est » signale à proximité un Errenborda qui est évidemment Erregerenborda ou Erregemborda que le gascon nomme « borde dou rey », et un « Chemin du roi » : on ne saurait dire, faute de fouilles, si le site fut abandonné après que les Labourdins et les Gramontais eurent rasé la forteresse, ce qui semble le plus probable, ou s'il fut reconstruit et détruit dans un nouveau conflit. 25. L'expression « Labor de la Lana » ou « Labourd de la lande » ne semble pas désigner ici le Labourd « et » la lande, c'est-à-dire le territoire au sud du département actuel des Landes qui se nommait sous l'Ancien Régime « les Lannes », mais le domaine des seigneurs de « la Lane » d'Ustaritz si souvent nommés dans les entreprises contre les Bas-Navarrais, traduction gasconne et à ce titre quasi officialisée du basque Larrea, nom porté par de nombreuses maisons médiévales aussi bien en Labourd que dans les autres provinces. 26. La maison des Garro en Ossès (ou les Espeleta du parti navarrais avaient aussi une demeure) a été à l'époque moderne « La Châtaigneraie » dite en basque un peu différemment Gaztenarena, à laquelle le rang de noblesse de ses possesseurs donnait le titre de « noble salle », et qui se trouve au-dessus du quartier de Gahardu au centre de la vallée. Au Moyen Age, où aucune maison de ce nom n'apparaît parmi les maisons nobles anciennes de la vallée au nombre de sept (sans compter le « palacy » d'Unhaizeta disparu au cours du XIII' siècle sans qu'on en sache davantage sur ses

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seigneurs ni sur son emplacement ancien), la maison de Garro était peut-être ailleurs : il reste toujours au quartier d'Ugarzan, d'où l'on est entré dans la vallée jusqu'au XVIIIe siècle en venant de Bayonne et du Labourd par la route romaine, Garro et Hélette, une borde ruinée qui a gardé le nom de Garroa. C'est par là que la compagnie des Labourdins est venue à coup sûr pour brûler la maison de Garro. 27. Ce Nagithurri installé en Labourd, soit engagé au service personnel du seigneur de Saut ou Zaldu de Hasparrcn selon le système des relations féodales, soit marié dans l'une des maisons de Hasparren. a gardé le nom de sa maison d'origine en Ossès, alors même que ses homonymes et sans doute proches parents sont très actifs dans l'armée navarraisc. C'est le même schéma que celui des Espeleta, mais inversé. 28. Ici le manuscrit ajoute les noms suivants qui ne sont apparemment pas reliés au paragraphe qui précède. mais laissent entendre sans doute que ces trois personnages sont les responsables des exactions commises par leurs subordonnés : « Arnalt de Saut, don Augcr de Saut et don J. de la Lane ». 29. Ce rappel de l'arrivée de Thibaud sur le trône navarrais, l'année 1234, lie effectivement les événements rapportés et le début des hostilités entreprises par les Labourdins contre les Navarrais à une prise de pouvoir et un acte politique, dont on sait qu'il fut d'abord contesté à l'intérieur même du royaume navarrais. ce qui réveilla peut-être aussi à l'extérieur les appétits (ou les craintes : Thibaud était vassal et proche du roi de France) des pouvoirs voisins. Il laisse même entendre, au moins aux yeux du lecteur moderne, qu'ils en furent une sorte de conséquence. 30. Voilà une filiation qui donne un nouvel exemple des liens familiaux inextricables entre les deux partis : le seigneur d'Espelctte dont les Navarrais, les autres « Espelette » compris, ont ravagé la maison et les biens, est issu des seigneurs d'Ahaxe, alors même que le seigneur d'Ahaxc du moment à la tête de sa compagnie est très actif dans l'armée de Thibaud. 31. Ces deux derniers paragraphes sont séparés du reste et entre eux par un blanc dans le manuscrit. La dernière phrase laisse entendre que le seigneur de Garro n'est plus, au moment de la rédaction au début de l'année 1249, attaché au roi d'Angleterre par un lien de vassalité. Mais il l'était encore quand on a assiégé son château de Mendionde et brûlé ses biens, ce qui laisse entendre qu'il a été injustement attaqué par les Bayonnais, mais que la contre-attaque qu'il a menée avec l'aide des Bas-Navarrais était donc juste.

RÉSUMÉS

XIII-garren mendean Nabarrako errege Zantxo Azkarra hil eta (1234), haren iloba Thibalt edo Thibaud Xampañako kondeak ukan zituen Nabarrako korona eta erresuma. Berehala gataskak hasi ziren orduan Angeleterrako erregeren meneko ziren Baiones eta Lapurtarren eta Nabartarren artean : artalde eta abere bahitze larre-mendietan, untzietan zeramatzaten salgai ebaste eta zergatze Baionan eta portu angelesetan... Gauzak oraino gaixtatu ziren, bertze guzien artetik Garroko jauregia, hango jaunak Thibalten zerbit-zuan izanez, Baionesek hartu nahi ukan zutelarik. Agaramunteko jaunak aldiz Nabarrako erregeri berak eta aitzinekoek eman hitza janik, Thibalt bere arma-darekin sartu zen, Oztibar eta Amikuzen gaindi, Agaramuntiarren Erreitiko jauregiaren setiatzera. Bide nabar edo handik landa, Baxe-Nabartar (gehie-nik Arberoar eta Ortzaiztarrak, Garazi eta Baigorriko jaun zenbait bere muti-lekin lagun) eta Nabartarrek, errege buru, suntsitu zituzten Lapurdiko gaztelu, jauregi eta herri gehienak etxez etxe : Hazpane 'ta

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Uztaritzetik Urruñara, Milafrangatik Bardozeraino. Bakea egin zelarik 1248-ko azken egunetan, alderdi bakoitzak eman zituen paperrean gertakari horietan jendeak jasan zituen galtze guziak : jende hiltze, abere bahitze eta ebaste, etxe erretze, salgai eta diru galtze... Hortako 1249 hastapenean egin zen inkesta gelditzen da Erdi-Aroko Lapurdi eta Baxe-Nabarreko bizi molde, etxe eta jendearen ezagutzeko izan daitekeen lekuko- tasun baliosena, bereziki bi gaietan : 1) gehienak oraino ezagunak diren ainitz etxe izen hor agertzen baita, jabe eta egoiliarrekin, lehen aldikotz, 2) baita-kigu hortik zer ziren orduko sal- erospenen harat-hunatak, Irunetik Baionara, Baionatik Angeleterrako portuetara, zer salgeiak (oihal, larru, arrain...), zer etxe eta gauzen balio zuzenak, zer zerabilzaten diru motak, eta holako ainitz xehetasun. Inkesta horren bi zatiak emaiten dira hemen frantseserat itzulirik : Baiones eta Lapurtarrena latinetik, Baxe-Nabartar eta Nabartarrena gazte-lera, gaskoin eta frantses zaharretarik.

INDEX

Index chronologique : 13e siècle Thèmes : histoire, linguistique, littérature Mots-clés : onomastique, toponymie

AUTEUR

JEAN-BAPTISTE ORPUSTAN

UPRESA du CNRS – Université Michel de Montaigne – Bordeaux III [email protected]

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Structures familiales et destins migratoires à Sare au XIXe siècle

Marie-Pierre Arrizabalaga

NOTE DE L'AUTEUR

Marie-Pierre Arrizabalaga est enseignante en histoire à l'Université de Cergy-Pontoise. Le présent article est le résumé de sa thèse américaine, préparée dans le cadre d'un Ph.D. (Doctorat) en histoire à l'Université de Californie - Davis (USA), et terminée en 1994. Cette thèse, intitulée « Family Structures. Inheritance Practices, and Migration Networks in the Basses-Pyrénées in the Nineteenth Century : Sare » (Structures familiales, pratiques successorales et réseaux migratoires dans les Basses-Pyrénées au XIXe siècle), a été entreprise grâce au soutien et aux encouragements de Monsieur Ted W. Margadani. En outre, Marie-Pierre Arrizabalaga est sur le point de terminer une thèse de troisième cycle dans le cadre d'un Doctorat à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris sous la direction de Monsieur Maurizio Gribaudi et François Weil, une recherche qui a pour objectif d'étudier les mouvements migratoires de cent vingt couples, leurs enfants et leurs petits-enfants originaires de six villages basques répartis dans tout le Pays Basque au XIXe siècle.

1 C'est la diversité des comportements migratoires et des destins professionnels des Basques au XIXe siècle qui nous a mené à entreprendre cette recherche sur les structures familiales, les stratégies successorales et les mouvements migratoires à Sare au XIXe siècle. Notre objectif était de tenter de comprendre pourquoi et dans quelles circonstances, au sein d'une même famille, certains individus ne quittaient jamais la maison familiale (l'etche) et les autres s'établissaient dans leur village d'origine, un village voisin, une ville locale ou régionale ou, enfin, en Amérique. Certes, l'augmentation de la population, responsable d'un excédent démographique notoire, et les conditions écologiques peu favorables à l'expansion économique expliquent pourquoi les individus, incapables de trouver les ressources économiques pour subvenir à leurs besoins vitaux, ont dû quitter leur famille et leur village. Cependant,

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cela ne permet pas de comprendre les raisons qui justifient le choix d'une destination plutôt qu'une autre et les différentes destinations choisies par les membres d'un même famille. Pour comprendre ces différents choix et comportements, nous nous sommes tout particulièrement intérrogés sur les circonstances individuelles et familiales qui ont permis à certains descendants de préserver leurs modes de vie dans le milieu rural au Pays Basque et à d'autres de totalement changer de cadre de vie en ville ou à l'étranger. Il nous est apparu que les choix et les destins individuels dépendaient des ressources économiques, professionnelles et individuelles de chacune de ces familles. Par conséquent, c'est à partir de l'analyse des comportements individuels au sein de la cellule familiale et par rapport au contexte économique, social et professionnel de l'époque que nous parviendrons à justifier les choix et les destins individuels.

2 Ce qui fait l'originalité de cette recherche, c'est d'une part sa perspective microhistorique (les reconstitutions de famille) et d'autre part, l'analyse du phénomène migratoire dans le cadre familial, soit la comparaison des comportements individuels au sein d'une même famille. La grande majorité des études sur les mouvements migratoires au Pays Basque au XIXe siècle justifie l'émigration des basques en Amérique par l'extrême pauvreté des exploitations familiales et des conditions économiques au Pays Basque. Il nous est apparu évident que ces arguments économiques ne suffisent pas à comprendre pourquoi, au sein d'un même famille, certains individus s'établissaient en milieu rural et d'autres en ville ou à l'étranger. Ce que notre étude s'est efforcé de mettre en évidence, c'est que les pratiques de l'héritage unique et de la famille souche encourageaient les uns à rester vivre dans la maison familiale et les autres à la quitter. Bien que quelques co-héritiers célibataires étaient autorisés à résider chez l'héritier unique, les autres devaient trouver les moyens de subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille au village ou ailleurs. En apparence, cette répartition des destins individuels au XIXe siècle ne différait pas particulièrement de celle observée sous l'Ancien Régime. Cependant, nous démontrerons que les conditions de mise en application de l'héritage unique (l'aînesse intégrale), les modalités de transmission du patrimoine, et les choix et les destinations migratoires des co-héritiers non-héritiers au sein d'une même famille différaient considérablement au XIXe siècle par rapport à la période pré-révolutionnaire.

Méthodologie

3 La méthode choisie pour aborder cette recherche sur les pratiques familiales et les mouvements migratoires à Sare au XIXe siècle, est celle de la micro-histoire, ou l'étude longitudinale des expériences individuelles pendant toute la durée de leur cycle de vie1

4 Nous pensons que les individus et les familles sont les acteurs principaux et intéractifs de l'histoire sociale collective. Par conséquent, l'étude des comportements et des expériences individuelles au sein des familles et à travers le temps contribuera à identifier la nature et les causes des phénomènes sociaux tels que l'émigration. Ainsi, l'analyse micro-longitudinale des vingt familles sélectionnées à Sare nous a permis de déterminer l'évolution des pratiques familiales et des structures de la famille souche basque au XIXe siècle et de construire des modèles évolutifs et divergents sur les choix et les comportements individuels à l'échelle des familles, voire même à l'échelle de la commune.

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5 Sare a été choisi comme étude de cas parce que c'était un village rural, isolé et situé en zone de montagne, d'où de nombreux individus ont émigré2. Dans un premier temps, nous avons sélectionné vingt couples qui se sont mariés pour la première fois entre 1805 et 1812. Ensuite, nous avons reconstitué leur parcours matrimonial, professionnel et migratoire en recherchant leurs actes de naissance, mariage et décès, ainsi que ceux de leurs enfants et de leurs petits-enfants entre 1805 et 1960. Pour cela, nous avons dépouillé de manière systématique l'état civil de Sare, ainsi que celui des communes et des bourgs environnants, des chefs-lieux de canton basques, des villes côtières et enfin, de Bayonne et de Pau. Grâce à la méthode des reconstitutions de famille, nous avons retracé les destins individuels, les expériences de vie, et les trajectoires migratoires des vingt couples et de plus de 80 % de leurs descendants, enfants et petits-enfants. Enfin, nous avons dépouillé les registres de l'Enregistrement pour le canton d'Espelette (dont Sare fait partie) entre 1800 et 1895, les registres des notaires depuis 1800, et le cadastre. L'exploitation de toutes ces sources et archives avait pour but de reconstituer l'histoire économique, professionnelle et sociale de chacun des descendants, enfants et petits- enfants, issus de ces vingt familles, y compris parfois le destin individuel de ceux qui ont quitté le département de manière définitive et qui n'apparaissent pas dans les registres de l'état civil. 6 Pour mettre en évidence l'originalité de cette étude micro-historique par rapport aux études macro-structurelles traditionnelles, nous avons d'abord entrepris une analyse quantitative classique des sources démographiques et économiques à l'échelle du département, des cantons et des communes. Nous souhaitions ainsi reconstituer l'histoire économique et démographique du département à partir des recensements quinquennaux et des statistiques agricoles et industrielles du XIXe siècle. Cette analyse a apporté peu d'éléments nouveaux par rapport à ceux que nous connaissons déjà sur la région. En effet, le département a connu une croissance démographique de 15.6 % entre 1806 et 1846 (année démographique maximale) grâce à l'augmentation de la natalité et la baisse de la mortalité. Ensuite, il a connu une période de dépression démographique de 22.7 % entre 1846 et 1906, dûe à un plus grand contrôle des naissances et à l'émigration. La commune de Sare n'a pas échappé à ce phénomène. Elle a connu une période de croissance démographique de 22.4 % entre 1806 et 1851 (de 1 909 à 2 336 individus), suivie d'une période de décroissance démographique de 17.5 % entre 1851 et 1906 (de 2 336 à 1 934 individus). De toute évidence, la population de Sare, comme celle d'autres villages ruraux au Pays Basque à la même époque, a été affectée par l'émigration dont les effets se sont faits ressentir dès 18513. 7 Ce que l'étude des conditions économiques du Pays Basque au XIXe siècle a mis en évidence et qu'il est important de souligner, c'est que l'agriculture tenait une place de plus en plus importante dans l'économie locale. D'une part, la production et la productivité du mais et du blé ont considérablement augmenté au cours du siècle. D'autre part, l'élevage ovin et bovin, en remarquable augmentation aussi, constituait la source principale des revenus des populations des montagnes. Ainsi, l'amélioration des revenus agricoles dans les cantons basques situés en montagne, notamment dans la première moitié du siècle, a permis à une grande proportion de la population de subvenir à ses besoins au village et éviter par conséquent l'exode rural massif, tel que l'ont connu d'autres départements français situés en zone de montagne4. Il convient de souligner cependant qu'en dépit de cette augmentation de la production agricole au Pays Basque dans la première moitié du siècle, la natalité s'est accrue de manière telle

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que les ressources économiques rurales ne pouvaient à long terme satisfaire les besoins vitaux d'une population sans cesse grandissante5. Dans ces circonstances, il était évident qu'une partie de la population était contrainte d'émigrer. 8 Une analyse macro-structurelle et transversale plus approfondie des sources démographiques et économiques des cantons basques au XIXe siècle ne nous aurait rien appris de plus que ce que nous connaissons déjà, d'autant que les listes nominatives de la plupart des villages basques au XIXe siècle ont disparu. Au lieu de cela, nous avons préféré changer d'échelle d'analyse et choisir la méthode micro-longitudinale des reconstitutions de famille dans le but de comprendre le fonctionnement des pratiques familiales et des successions, reconstituer le destin des enfants et des petits-enfants des vingt couples et enfin, justifier les choix de chacun dans leur contexte économique et professionnel familial. Notre objectif était, rappelons-le, d'expliquer pourquoi et dans quelles circonstances certains individus issus de la même famille ne quittaient jamais la maison familiale tandis que d'autres s'établissaient dans des villages ruraux ou des bourgs basques, dans les villes départementales ou régionales, ou à l'étranger.

Structures familiales

9 Ce que, dans un premier temps, notre analyse des structures familiales des vingt couples de Sare et de leurs descendants (enfants et petits-enfants) a permis de démontrer, c'est que, contrairement aux conclusions de Frédéric Le Play6, la famille souche au Pays Basque au XIXe siècle n'était pas sur le point de disparaître. Au contraire, les parents donataires, l'héritier et sa famille continuaient à vivre sous le même toit et à partager les mêmes taches agricoles. Ils préservaient ainsi les modes de vie traditionnels basques. En outre, nous avons pu constater que, comme le préconisaient les coutumes basques du Labourd sous l'Ancien Régime, les familles continuaient à mettre en pratique le système de l'héritage unique traditionnel. Ces pratiques familiales ont considérablement évolué au cours du siècle de telle sorte que l'aînesse intégrale n'était plus le seul modèle de transmission du patrimoine. En effet, dans la première moitié du siècle, les parents donataires choisissaient encore l'aîné des enfants, fille ou garçon, comme héritier de la maison (etche) et des terres. Dans la seconde moitié du siècle, les comportements des propriétaires concernant l'aînesse ont changé au point que les donataires ne limitaient plus le choix de l'héritier à l'aîné des enfants, mais à l'aîné ou un cadet, fille ou garçon. Ainsi, 78.6 % des aînés, filles ou garçons, des couples propriétaires de la seconde génération héritaient des biens de leurs parents alors qu'à la troisième génération, ils n'étaient plus que 41.7 %. Par contraste, 21.4 % des cadets seulement héritaient des biens de leurs parents dans la première moitié du siècle tandis que 58.3 % des cadets héritaient dans la seconde moitié du siècle7

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Tableau 1. Choix de l'héritier à Sare au XIXe siècle

10 De toute évidence, les comportements des familles en matière de succession ont évolué au cours du XIXe siècle de telle sorte que les biens étaient systématiquement transmis à un seul enfant, l'aîné d'entre eux, fille ou garçon, dans la première moitié du siècle et l'aîné ou un cadet, fille ou garçon, dans la seconde moitié du siècle8. Ces changements répondaient probablement à des exigences individuelles et à des intérêts économiques familiaux propres au XIXe siècle. Quoi qu'il en soit, l'équilibre éco-démographique des familles et du village dépendait de la transmission intégrale des biens familiaux à un seul héritier d'une génération à l'autre. Peu importait en fait si cet héritier était l'aîné des enfants ou un cadet, fille ou garçon, car il fallait avant tout sauvegarder l’intégralité de la maison et des biens ancestraux. La viabilité économique de toute la communauté et la cohésion familiale en dépendaient9. 11 Les reconstitutions de famille ont ainsi pu mettre en évidence que les pratiques de l'aînesse intégrale n'étaient plus aussi strictement respectées par les familles de Sare au XIXe siècle, soucieuses avant tout de préserver le patrimoine intact. Il est important de souligner qu'en matière d'héritage, il n'existait aucune discrimination entre les sexes. En effet, les familles ne préconisaient pas la sélection d'un héritier plutôt qu'une héritière, aîné ou cadet. En fait, les filles avaient autant de chance, sinon plus, de devenir héritière de la maison ancestrale. Soulignons qu'à la seconde génération, huit des quatorze héritiers étaient des femmes (cinq aînées et trois cadettes contre six aînés). De même, à la troisième génération, sept des douze héritiers étaient des femmes (quatre aînées et trois cadettes contre un aîné et quatre cadets). Ainsi, non seulement les aînées n'héritaient pas toujours du patrimoine familial, mais lorsque l'aîné, fille ou garçon, se désistait, les filles cadettes pouvaient tout aussi bien assurer les responsabilités du patrimoine. 12 Il convient de se demander pourquoi les familles ont peu à peu changé leurs pratiques familiales en matière de transmission du patrimoine au cours du XIXe siècle et dans quelles circonstances les aînés, filles ou garçons, n'héritaient pas. L'une des raisons qui forçaient les parents donataires à choisir le fils ou la fille deuxième né comme héritier ou héritière était l'incapacité physique ou mentale de l'aîné (un seul cas constaté) ou bien le refus de l'aîné à contracter un mariage (cas relativement courant). Célibataires, ils résidaient toute leur vie chez l'héritier. Une autre raison invoquée pour justifier le désistement d'un héritier premier né était la religion. En effet, certaines filles aînées préféraient rentrer au couvent d'Ustaritz ou de Bayonne et certains fils aînés (un seul cas constaté dans notre échantillon) souhaitaient exercer la prêtrise dans un village basque. Par ailleurs, il arrivait que les aînés choisissent parfois d'épouser des héritiers. Dans ce cas, ils perdaient leurs droits, recevaient une dot, et épousaient un héritier de même statut social et originaire de Sare. Un héritier n'épousait jamais une héritière car

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cela occasionnait la disparition d'une des deux maisons, l'une automatiquement absorbée par l'autre. Cas extrêmement rare, nous avons constaté à Sare le mariage de deux héritiers aisés. Ils n'ont pas souhaité que les deux maisons fusionnent parce qu'à la génération suivante, deux de leurs enfants ont chacun hérité d'une maison. 13 Le mariage de l'héritier était vital pour garantir la pérennité de la maison ancestrale. C'est pourquoi les parents donataires devaient consentir au choix du conjoint- adventice qui devait ensuite vivre avec eux. Certains aînés cependant concevaient leur premier enfant avant le mariage, espérant peut-être imposer le conjoint de leur choix à leurs parents. En cas de désaccord, les parents donataires retiraient à l'aîné ses droits d'héritier (un cas constaté). Enfin, pratique beaucoup plus courante dans la seconde moitié du siècle, les héritiers préféraient émigrer, notamment en Amérique. Ils renonçaient à leurs droits, recevaient un dédommagement financier et quittaient la maison de manière définitive. Soulignons que la plupart du temps à la seconde génération, lorsque l'aîné renonçait ou perdait ses droits d'héritier, c'était l'enfant deuxième né, fille ou garçon, qui prenait sa place. Par contraste, à la troisième génération, c'était le plus souvent un cadet (deuxième, troisième né, voire plus jeune), fille ou garçon, qui héritait. 14 Il apparaît donc qu'un seul des quatre enfants en moyenne par famille au XIXe siècle avait la possibilité de résider avec son épouse et ses enfants dans la maison familiale. Que devenaient alors les autres co-héritiers ? Nous avons constaté que les familles autorisaient parfois un ou plusieurs de leurs enfants à résider temporairement ou de manière définitive dans la maison familiale à partir du moment où ces individus restaient célibataires. Le taux de célibat était élevé parmi les descendants de ces familles. Il atteignait environ 25 % parmi les enfants de la seconde génération et plus de 30 % parmi les enfants de la troisième génération. Tous ne résidaient pas dans la maison familiale ; cependant, ils étaient nombreux à ne jamais la quitter. Tout dépendait de la taille, des besoins et des moyens des familles. Plus la propriété était grande, plus les familles acceptaient qu'un ou plusieurs co-héritiers célibataires partagent le même toit. Par contraste, les petits propriétaires n'avaient pas les moyens de subvenir aux besoins d'adultes célibataires dans la maison familiale. En fait, ces derniers étaient autorisés à y résider pendant quelques années seulement, après le mariage de l'héritier. Ensuite, ils devaient quitter la maison et subvenir à leurs besoins comme ils le pouvaient. Par contraste, les propriétaires moyens pouvaient se permettre de loger et nourrir un adulte célibataire. Enfin, les propriétaires aisés autorisaient un ou plusieurs adultes célibataires à vivre dans la maison familiale durant toute leur vie. L'étendue de leurs terres justifiait la présence de cette main d'oeuvre disponible et peu coûteuse. 15 De telles pratiques affectaient considérablement les structures familiales de ces familles car au début de leur cycle de vie, les parents donataires, l'héritier et sa famille et parfois, un ou plusieurs co-héritiers célibataires, résidaient ensemble dans la maison ancestrale. Dès lors, les structures complexes de ces familles ressemblaient à celles que décrivait Frédéric Le Play : celles de la famille souche traditionnelle. A mesure que les parents donataires décédaient et que les co-héritiers célibataires (notamment ceux issus des familles de petits-propriétaires) quittaient la maison ancestrale, les structures familiales se simplifiaient. En fin de cycle de vie, lorsque les jeunes héritiers transmettaient la maison et les biens à un de leurs enfants, aîné ou cadet, fille ou

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garçon de la génération suivante, les structures familiales complexes, celles de la famille souche, réapparaissaient et duraient jusqu'au décès des parents donataires. 16 Ainsi, grâce aux reconstitutions de famille, nous avons pu constater que les structures de la famille souche au Pays Basque au XIXe siècle connaissaient généralement trois phases : une phase complexe lorsque les deux couples d'héritiers (un à chaque génération) et leurs enfants résidaient ensemble dans la maison ; une phase simple après le décès des parents donataires et le départ des co-héritiers ; enfin, une phase complexe à nouveau après le mariage de l'héritier à la génération suivante. Les familles aisées étaient celles dont les phases complexes étaient les plus longues car de nombreux co-héritiers célibataires résidaient chez l'héritier jusqu'à leur décès. Cela peut paraître surprenant que les familles aient pu perpétuer ce système de la famille souche et transmettre intégralement le patrimoine familial à un seul enfant car le Code civil préconisait le partage égalitaire des biens entre tous les co-héritiers. Cependant, la plupart des familles de Sare au XIXe siècle ont mis en place des stratégies successorales qui leur permettaient de préserver le patrimoine familial intact, sous le contrôle d'un seul héritier, tout en dédommageant les co-héritiers.

Pratiques successorales

17 Ce que l'analyse des archives de l'Enregistrement et des actes successoraux ont révélé en matière de transmission du patrimoine au Pays Basque au XIXe siècle, c'est que les co-héritiers faisaient preuve de complaisance dans le but de maintenir une forte cohésion familiale et sauvegarder l'indivisibilité de patrimoine familial. Pour cela, les co-héritiers non-héritiers de la famille consentaient à un dédommagement parfois minimal de leur part d'héritage, voire même à aucun dédommagement pour les célibataires. Il ne s'agissait pas de transgresser les lois du Code Civil en transmettant la totalité du patrimoine familial à un seul enfant et priver ainsi les co-héritiers de leurs droits à une part équitable des biens de leurs parents. Les co-héritiers consentaient parfois à faire don de leur part légale à l'héritier, soit par acte de donation, soir par testament. Tandis que la plupart des co-héritiers recevait un dédommagement financier lors de leur départ définitif de la maison familiale, les enfants de petits- propriétaires, mariés ou célibataires, ne recevaient aucun héritage et ne percevaient aucune dot. En fait, ils pouvaient exiger leur part d'héritage et forcer l'héritier à vendre le patrimoine familial. Cependant, après paiement des dettes et des frais successoraux, il ne leur restait pas grand chose à partager. Plutôt que de liquider totalement l'exploitation familiale, ils renonçaient à leurs droits, tout simplement.

18 Les pratiques successorales que les familles de propriétaires moyens élaboraient apparaissent complexes car les enjeux économiques étaient particulièrement importants. Le mariage de l'héritier était au cœur de ces enjeux. C'est à ce moment que les familles s'efforçaient de préserver intact le patrimoine familial et de perpétuer les pratiques anciennes des coutumes. Pour cela, ils évitaient le partage égalitaire du patrimoine entre les co-héritiers et détournaient quelque peu les lois imposées par le Code civil. Dans son contrat de mariage, l'héritier recevait la part préciputaire équivalente à au moins un quart de la valeur des biens à hériter10. En échange, son conjoint (ou adventice) devait apporter une dot à peu près équivalente à cette part préciputaire. La dot servait à racheter la part d'un ou plusieurs co-héritiers qui ainsi dédommagés, quittaient la maison. Grâce à la dot de l'adventice, l'héritier récupérait

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plus des trois quarts du patrimoine familial (sa part préciputaire, sa part légale et les parts rachetés aux co-héritiers grâce à la dot de l'adventice), le reste appartenant au (x) co-héritier(s) célibataire(s) qui résidai (en) t dans la maison et qui volontairement renonçai (en) t à sa (leur) part d'héritage. Ces célibataires allaient parfois vivre en ville ou à l'étranger où ils séjournaient jusqu'à leur décès. Dans certaines circonstances, ils revenaient finir leurs jours chez l'héritier. N'ayant jamais reçu leur part d'héritage, ils préservaient leur « droit de chaise », un droit ancien, inscrit dans les coutumes du Labourd, qui permettait aux célibataires non-dotés de revenir vivre dans la maison familiale chaque fois que cela était possible ou nécessaire11. Nous avons constaté trois cas de ce type à Sare au XIXe siècle. 19 Par ailleurs, l'analyse des archives de l'Enregistrement nous a permis de constater que les familles de propriétaires aisés étaient celles dont les pratiques successorales restaient les plus traditionnelles. Non seulement elles n'avaient aucune difficulté à préserver intactes les pratiques familiales de l'héritage unique et de la famille souche, mais elles tenaient à ce que l'héritier épousât un conjoint de même statut socio- économique et professionnel et du même village qu'eux. En outre, la dot que le conjoint ou adventice devait rassembler était parfois très élevée. Elle devait être disponible immédiatement afin que l'héritier puisse dédommager les co-héritiers, ces derniers pouvant alors s'établir confortablement dans la commune, en ville ou à l'étranger. Quant aux célibataires, ils demeuraient dans la maison ancestrale pour travailler sur les terres familiales et aider au bon fonctionnement de la maison. Comme nous le verrons, rares étaient les descendants de propriétaires aisés qui quittaient le village de Sare, notamment dans la première moitié du siècle. 20 Les pratiques successorales n'ont pas toujours permis aux donataires et à leurs descendants d'atteindre les objectifs socio-professionnels souhaités. En effet, trois couples à la seconde génération et deux à la troisième génération n'ont pu transmettre le patrimoine familial à leurs descendants. Faute de descendance, un de ces couples a transmis le patrimoine à un cousin éloigné. C'est la faillite qui a forcé un autre couple à vendre les biens. Dans un autre cas, tous les descendants ont choisi de quitter Sare, préférant faire leur vie en ville ou à l'étranger. Enfin, le patrimoine de deux couples à la troisième génération a été mis en vente, l'un en raison de son endettement, l'autre faute d'accord possible sur les modalités de la transmission. 21 En dépit de ces cas isolés, les pratiques de l'héritage unique étaient rigoureusement respectées à Sare au XIXe siècle. Certes, les familles ont quelque peu changé les modalités de ces pratiques afin de les adapter aux choix individuels, parfois particuliers, des aînés. Quoi qu'il en soit, les héritiers, aînés ou cadets, filles ou garçons, issus des vingt familles de Sare ont maintenu leur statut social en épousant des hommes ou des femmes dotés, originaires de Sare ou de villages des environs et issus souvent du même milieu socio-professionnel que celui dont ils étaient issus. Que devenaient les co-héritiers. frères et soeurs qui quittaient la maison ?

Choix migratoires

22 Les reconstitutions de famille ont permis une analyse détaillée, voire minutieuse des choix et des comportements des co-héritiers non-héritiers, enfants et petits-enfants des vingt couples sélectionnés à Sare. Les descendants qui ne pouvaient ou ne souhaitaient pas vivre dans la maison familiale sous l'autorité de l'héritier préféraient

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changer de résidence, mais pourquoi certains s'installaient-ils au village et les autres en ville ou à l'étranger ? Pour quelles raisons choisissaient-ils une destination plutôt qu'une autre et une profession plutôt qu'une autre ? L'analyse des reconstitutions de famille a permis d'arriver aux conclusions suivantes. Les choix professionnels et les destins migratoires des descendants des vingt familles de Sare au XIXe siècle étaient fonction de leurs conditions économiques, de leurs relations professionnelles et commerciales à l'intérieur et à l'extérieur de Sare, de leur statut social et enfin, de leurs priorités individuelles. Selon que les familles possédaient aucun, peu ou beaucoup de biens, les réseaux et les comportements migratoires des individus variaient considérablement12. Parmi les vingt couples que nous avons sélectionnés, il y avait trois couples de cultivateurs locataires, six couples de petits propriétaires (qui possédaient une maison et de 1 à 5 hectares de terres), huit couples de propriétaires moyens (qui possédaient une maison et de 5 à 10 hectares de terres), et enfin, trois couples de propriétaires aisés (qui possédaient une ou plusieurs maisons et bien plus de 10 hectares de terres). Les destins migratoires des descendants de ces couples différent considérablement selon qu'ils appartenaient à un catégorie sociale plutôt qu'une autre, et selon leur sexe et leurs objectifs socio-professionnels.

23 Les conditions de vie des métayers étaient particulièrement précaires et instables car ces derniers signaient des contrats de métayage temporaires qui les forçaient à déménager périodiquement. Adultes, les enfants de ces couples devaient quitter la métairie de leurs parents : certains, mariés, louaient une métairie à Sare ou ses environs et les autres acceptaient le célibat. Leurs comportements migratoires, professionnels et matrimoniaux apparaissent extrêmement endogames car la plupart d'entre eux choisissaient des emplois de laboureurs métayers ou bergers à Sare et les autres comme cultivateurs ou artisans locataires à Saint-Pée-Sur-Nivelle et Urrugne, villages voisins de même importance économique et démographique que Sare. Ils épousaient des enfants de métayers ou, cas plus rares, des descendants non-dotés de propriétaires. A force d'économies, il leur était possible d'épouser des héritiers et améliorer ainsi leur statut social. Cependant, rares étaient ceux qui y parvenaient. 24 Les réseaux migratoires des ces descendants évoluaient à l'intérieur d'un environnement géographique, professionnel et social restreint, notamment dans la première moitié du siècle (seconde génération). Ils utilisaient l'environnement local et l'entraide familiale, à la recherche d'une stabilité économique et sociale semblable à celle de leurs parents, dans le but de préserver leurs chances de survie économique, même si leur statut social restait au niveau le plus bas de l'échelle sociale (voir Tableaux 4 & 5). Ils ne se risquaient jamais en ville ou à l'étranger car leurs situations économiques et professionnelles leur offraient peu de chance de réussite, voire de survie en dehors de l'environnement familial rural. Ce n'est qu'à partir de 1860 (troisième génération), grâce aux agents de l'émigration, que les enfants de métayers choisissaient parfois d'émigrer en Amérique (voir Tableaux 2 & 3). Ces destins migratoires les forçaient probablement à prendre des risques économiques et individuels importants. Cependant, certains n'hésitaient pas à aller rejoindre d'autres émigrants (parfois des parents plus ou moins éloignés) originaires de Sare établis en Amérique à la génération précédente. Notre étude a ainsi mis en évidence que ce n'était pas les enfants de métayers, appartenant à la couche la plus pauvre de la communauté de Sare, qui, désespérés, émigraient massivement en Amérique entre 1840 et 1860,

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période de grande émigration Basque vers l'Amérique13. Qui étaient donc les émigrants ? 25 Tableau 2. Destins migratoires des descendants de Sare à la seconde génération

26 Ce sont les descendants de propriétaires, moyens et petits, qui constituaient la plus grande partie du contingent d'émigrants entre 1840 et 1860 (seconde génération)14. Il est apparu que les descendants de familles de petits propriétaires, les co-héritiers non- héritiers, avaient des comportements plus exogames que ceux issus de familles de métayers. Tandis que certains restaient à Sare ou dans un environnement rural proche de Sare où ils bénéficiaient de la solidarité villageoise et familiale, d'autres étaient davantage attirés par les opportunités professionnelles et économiques des villes et de l'étranger. Rappelons que les aînés n'étaient pas toujours les héritiers de la maison et que les co-héritiers non-héritiers, hommes ou femmes, se devaient de quitter la maison, trop exiguë pour les nourir et les loger. S'ils n'héritaient pas, s'ils n'épousaient pas un héritier de même statut social ou s'ils ne s'intallaient pas au village ou près du village comme artisans, leur situation économique et leur statut social en milieu rural ne pouvaient que gravement se détériorer. Plutôt qu'accepter une mobilité sociale descendante comme cultivateurs métayers à Sare, certains préféraient rechercher en ville l'indépendance économique et la stabilité financière comme artisans, employés ou jardiniers, refusant néanmoins de s'y marier et d'y élever une famille. Après y avoir séjourné pendant quelques années ou toute leur vie, ils retournaient au village ou bien alors émigraient en Amérique. Ainsi, le milieu urbain ne constituait jamais une destination finale ou définitive, mais servait de tremplin permettant aux femmes restées célibataires de travailler comme employées dans les services toute leur vie et aux hommes d'économiser un pécule pour ensuite émigrer en Amérique. Ainsi, selon que les individus choisissaient de résider dans leur environnement familial ou de le quitter, leurs comportements migratoires, professionnels et matrimoniaux apparaissent diversifiés : plutôt endogames pour les cultivateurs en milieu rural désireux de préserver leurs modes de vie traditionnels et leurs pratiques familiales au risque d'un déclassement social et plutôt exogames pour les artisans en milieu urbain, les émigrants bergers ou artisans qui pour éviter un déclassement social allaient tenter leurs chances ailleurs, notamment en Amérique (voir Tableaux 2 à 5). 27 Les destins migratoires des descendants des familles de propriétaires moyens à Sare apparaissent encore plus exogames. Certes, certains descendants s'efforçaient de s'établir au village dans les mêmes conditions que les descendants de petits propriétaires : en épousant des hommes ou des femmes de même statut social, fils ou filles de propriétaires, pour les héritiers ; en épousant des héritiers, hommes ou

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femmes du village ou ses environs, pour les adventices ; en choisissant le métier d'artisan ou en épousant des artisans pour les co-héritiers non-héritiers ; ou enfin, en exerçant le métier de berger pour les hommes célibataires ou employées, couturières ou matelassières pour les femmes célibataires. Cependant, pour éviter des destins à mobilité sociale descendante en milieu rural comme cultivateurs métayers ou employés journaliers, ils étaient nombreux à choisir de s'installer en ville ou à l'étranger où ils exerçaient parfois des professions liées à l'agriculture (comme éleveurs ou jardiniers), des professions artisanales (notamment charpentiers et cordonniers) pour les hommes et domestiques (femmes de chambre ou cuisinières) pour les femmes (voir Tableaux 4 & 5). Bien que beaucoup d'émigrants choisissaient le célibat, certains émigraient en famille ou se marier dans le milieu d'accueil. Ceux qui quittaient le village en famille observaient des pratiques matrimoniales endogames, choisissant des conjoints originaires de leur village ou d'un village voisin et issus de familles de cultivateurs ou de cultivateurs-artisans. Les émigrants célibataires qui ensuite se mariaient choisissaient des conjoints d'origines sociales et professionnelles parfois très différentes et avaient des pratiques matrimoniales exogames. Naturellement, leurs origines économiques et sociales réduisaient les risques d'échec et, grâce à leur dot ou à leur dédommagement successoral, ils avaient les moyens de financer leur départ et élargir leurs options migratoires. Ils n'hésitaient donc pas à quitter Sare pour s'installer directement en ville (Bayonne, notamment) ou à l'étranger où beaucoup d'entre eux au milieu du siècle et à la génération suivante ont émigré (voir Tableaux 2 & 3).

Tableau 3. Destins migratoires des descendants de Sare à la troisième génération

28 Vers la fin du XIXe siècle, il est clairement apparu que les mouvements migratoires des descendants des familles de propriétaires moyens, ainsi que leurs destins professionnels et matrimoniaux étaient encore plus diversifiés ou exogames qu'au milieu du siècle. Il est vrai que certains évoluaient à l'intérieur du milieu rural et comme leurs parents, perpétuaient les modes de vie traditionnels et les pratiques familiales locales. Néanmoins, les autres construisaient de nouveaux relais vers d'autres villes de France et d'Europe et vers l'Amérique de telle sorte qu'ils choisissaient des cadres de vie très diversifiés (rural, urbain ou étranger), des conjoints basques, français ou espagnols, issus d'un milieu rural ou urbain et exerçant des professions agricoles, artisanales, commerciales, administratives ou militaires. De tels comportements n'étaient pas le résultat de contraintes économiques. Au contraire, cela

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correspondait à une volonté individuelle de mobilité sociale ascendante, même si pour cela, il fallait sacrifier les modes de vie traditionnels, le cadre de vie familial et les pratiques familiales (voir Tableaux 2 à 5). Il s'agit là du groupe social le plus diversifié, à la fois endogame et exogame, les uns reproduisant les comportements de leurs parents et les autres (de plus en plus nombreux) adoptant des comportements en rupture avec les pratiques familiales basques. Ce sont ces individus (et probablement d'autres individus issus du même groupe social à Sare) qui ont émigré en Amérique dès 1840 et qui ensuite encourageaient leurs compatriotes à les rejoindre. Les reconstitions de famille nous ont ainsi permis de mettre en évidence l'origine socio-professionnelle de la majorité des émigrants partis entre 1840 et 1860 : les co-héritiers non-héritiers, dotés ou dédommagés de leur part d'héritage. L'émigration a ensuite touché une population basque beaucoup plus large, socio-professionnellement : les enfants de métayers et les co-héritiers non-héritiers aisés. 29 Contrairement à ce que nous pensions, les destins migratoires, professionnels et matrimoniaux des descendants des familles de propriétaires aisés sont les plus endogames. Rares étaient les co-héritiers non-héritiers issus de ces familles qui quittaient Sare. Pourtant, ils avaient les moyens de financer leur départ et leur installation en ville ou en Amérique. D'une part, l'héritier unique héritait de la totalité du patrimoine familial. D'autre part, plusieurs co-héritiers recevaient des dots parfois très importantes. Les uns épousaient des héritiers aisés à Sare, les autres, célibataires, résidaient dans la maison familiale toute leur vie (voit Tableaux 2 & 5). Il a fallu attendre la fin du siècle pour constater le départ d'un petit nombre d'individus issus de la nouvelle génération. Grâce au soutien financier de leurs parents, ces individus ont émigré en Argentine pour exercer des professions agricoles, notamment celles d'éleveurs propriétaires. Leur dot ou leur dédommagement successoral leur a permis d'investir dans le foncier et faire fortune. A la fin de leur vie, ils se déclaraient propriétaires aisés ou rentiers. Ils avaient trouvé là le moyen de s'assurer une prospérité économique et un statut social élevé. Bien que satisfaits de leur réussite économique, ils refusaient de fonder une famille. Au lieu de cela, ils encourageaient leurs parents à les rejoindre : leurs frères, leurs soeurs, leurs cousins parfois, mais surtout leurs neveux et nièces, fils et filles de leurs frères et sœurs restés au village. Pour ces individus, la décision d'émigrer à l'étranger ne résultait pas d'une nécessité économique, mais correspondait à une volonté individuelle de réussite économique et sociale, par l'acquisition de larges étendues de terres, notamment en Argentine.

Conclusion

30 Notre étude sur les familles de Sare nous a permis de constater que s'il existait une émigration de pauvreté, elle était notamment celle des descendants de métayers qui avaient peu ou pas de moyens à leur disposition pour s'assurer un niveau de vie stable. Cette population, néanmoins, reproduisait les comportements endogames de leurs parents à Sare ou dans les villages voisins, refusant de s'installer en ville ou à l'étranger. Ce sont tout particulièrement les descendants des familles de propriétaires, petits ou moyens, qui dès 1840 (seconde génération) s'établissaient en ville ou émigraient en Amérique. Ils cherchaient à préserver, voire améliorer leurs conditions socio-professionnelles. En outre, ils avaient les moyens financiers et les réseaux migratoires, professionnels et commerciaux vers les villes (notamment Bayonne) et

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surtout vers l'étranger (l'Argentine) pour organiser une émigration à moindre risque. Leur décision de s'installer en zone urbaine ou à l'étranger n'était, en aucun cas, accidentelle et désorganisée, mais semblait au contraire très structurée au départ comme à l'arrivée. Ils mettaient à profit leurs réseaux familiaux à Saint-Jean-de-Luz et à Bayonne pour organiser des projets migratoires et professionnels à mobilité sociale ascendante.

31 Tandis qu'un petit nombre de nos descendants étaient attirés par les villes où ils devenaient artisans, la grande majorité d'entre eux préféraient s'établir en Amérique où les opportunités correspondaient davantage à leurs ambitions. Pour cela, ils étaient prêts à parcourir des milliers de kilomètres et changer parfois de profession (comme artisans). Rares étaient ceux qui dans un premier temps acceptaient de se marier. Dès que les premiers émigrants s'y étaient installés confortablement (notamment comme éleveurs), ils encourageaient leurs frères/soeurs, neveux/nièces et cousins à les rejoindre. De même que les métayers, les descendants de familles aisées s'efforçaient de perpétuer les modes de vie de leurs parents et mettaient en pratique des comportements extrêmement endogames. Rares étaient ceux qui quittaient le village de Sare et lorsqu'ils le faisaient, c'était pour aller en Amérique. Ils y exerçaient les professions d'éleveurs et achetaient de larges étendues de terres, notamment en Argentine et en Uruguay, où ils faisaient fortune. 32 Ainsi, notre étude sur les structures familiales, les stratégies successorales et les mouvements migratoires à Sare au XIXe siècle a démontré que ce n'était pas la pauvreté des conditions économiques des familles au Pays Basque qui a forcé les individus à quitter le village pour s'installer en ville ou en Amérique. Il apparaît évident que les raisons principales de l'augmentation de l'émigration des Basques en Amérique au cours du siècle sont les structures familiales de la famille souche, les pratiques successorales de l'héritage unique, et la volonté des individus de maintenir leur statut social. S'ils ne trouvaient pas au village le moyen d'élaborer un projet professionnel qui leur permettait de préserver leur statut, ils acceptaient de sacrifier leurs modes de vie traditionnels, leur cadre de vie familial et leurs pratiques familiales pour atteindre leurs objectifs socio-professionnels. Néanmoins, un grand nombre de descendants, notamment à la seconde génération, préféraient vivre dans le milieu rural, même si parfois ils connaissaient une mobilité sociale descendante. Le milieu urbain leur apparaissait peut-être plus hostile et limitait leurs choix socio-professionnels. C'est en Amérique que les descendants de propriétaires moyens et petits d'abord et ensuite les descendants de métayers ou de familles aisés préféraient tenter l'aventure. Ces comportements ne correspondaient pas à une nécessité économique, mais les individus souhaitaient ainsi améliorer leurs conditions sociales et éviter des choix à mobilité sociale descendante (comme cultivateurs locataires). 33 Le choix des vingt familles de Sare est sans doute un peu restreint pour être représentatif des comportements de toute une population, même s'il nous donne des indications intéressantes. Dans le cadre d'une nouvelle recherche à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris, nous avons décidé d'étendre notre analyse des mouvements migratoires à six villages ruraux au Pays Basque dont quatre se situent en zone de montagne et deux en zone de plaine. Les cent-vingt reconstitutions de famille ainsi entreprises nous ont déjà conduit à retracer les expériences et les destins d'environ 2000 individus (3000 individus environ si l'on tient compte des conjoints des descendants issus de ces familles) : elles nous permettront non seulement de tester la

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représentativité des comportements des descendants des vingt familles originaires de Sare, mais aussi de comparer les choix et les comportements des individus originaires de villages de montagne avec ceux des individus originaires de villages de plaine.

Tableau 4. Professions des descendants de la seconde génération à Sare

34 Il convient de souligner que la plupart des individus appartenant à la catégorie « inconnu » sont des émigrés établis en Amérique dont on ne connaît pas le destin professionnel exact.

Tableau 5. Professions des descendants de la troisième génération à Sare

35 Il convient de souligner que la plupart des individus appartenant à la catégorie « inconnu » sont des émigrés établis en Amérique dont on ne connaît pas le destin professionnel exact.

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NOTES

1. A propos des méthodes micro-longitudinales et leur usage pour l'étude des mouvements sociaux, il convient de se référer à l'ouvrage collectif publié par Jacques Revel (Ed.), Jeux d'échelles. La micro-analyse à l'expérience, Paris, Seuil/Gallimard, 1996. Nous avons consulté l'Etat civil de toutes ces communes aux Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques à Pau pour la période la plus ancienne (les trois quarts du XIXe siècle). Le procureur de la République du Palais de Justice de Pau et celui de Bayonne nous ont ensuite autorisé à consulter l'Etat civil plus récent (fin XIXe et XXe siècles) au greffe de Pau et celui de Bayonne. Nous les remercions sincèrement pour leur aimable coopération. Les sources de l'Enregistrement que nous avons consultées aux Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques sont celles d'Ustaritz : Mutation par décès, de 1839 à 1895, 303Q1-34. Pour le Cadastre, nous avons consulté la Matrice cadastrale des propriétés foncières de la commune de Sare, 1841. 3P3/504 et la Matrice cadastrale des propriétés baties de la commune de Sare, 1882,3P2/504. Pour les actes notariés, nous nous sommes rendus chez Maître Hiribarren, notaire

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d'Espelette, qui nous a chaleureusement accueilli et laissé consulter les actes, préservés chez lui à l'époque et depuis, déposés aux Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques à Pau. 2. En ce qui concerne la commune de Sare, soulignons l'existence d'un ouvrage collectif qui retrace l'histoire politique, économique, sociale et démographique de Sare depuis ses origines. Voir Sare. Saint-Jean-dc-Luz. Ekaïna. 1993. 3. A propos de l'évolution démographique des cantons du département des Basses-Pyrénées au XIXe siècle, il convient de consulter les travaux de G. Callon, « Le mouvement de la population dans le département des Basses-Pyrénées au cours de la période 1821-1920 et depuis la fin de cette période », Bulletin de la société des sciences, lettres et arts de Pau. 81-113 et de Jacques Saint- Macary, La Désertion de la terre en Béarn et dans le Pays Basque. Pau. Lescher-Mouloué, 1939. 4. Les autres départements pyrénéens au XIXe siècle, ainsi que les départements situés dans les Alpes. les Vosges et le Massif Central, ont connu un phénomène de dépopulation beaucoup plus important que le département des Basses-Pyrénées car leurs ressources économiques ne permettaient pas à une population grandissante de trouver les moyens de survivre dans le milieu rural. 5. Pour de plus amples détails concernant l'évolution démographique et économique des pyrénées occidentales, consultez l'ouvrage de Théodore Lefebvre, Les Modes de vie dans les Pyrénées-Atlantiques occidentales, Paris, Armand Colin, 1933. Il convient de souligner que les Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques ont subi de nombreux dommages, notamment lors de l'incendie de 1908. Les archives détruites concernent tout particulièrement la période révolutionnaire, ainsi que le XIXème siècle. De nombreuses listes nominatives des communes basques ont ainsi disparu. 6. Frédéric Le Play, La Réforme sociale en France déduite de I observation comparée des peuples européens. Paris, Dentu. 1878 & L'Organisation de la famille selon le vrai modèle signalé par l'histoire de toutes les races et de tous les temps. Paris, Tequi, 1871. 7. Les articles des coutumes basques du Labourd sous l'Ancien Régime ont été codifiés en 1514 et publiés en 1760. Voir Les Coutumes générales, gardées et observées au Pais et bailliage de Labourt, et reffort d'icelui. Bordeaux, J-B. Lacornée, 1760. Sur les pratiques familiales et successorales des familles de Sare au XIXe siècle, voir l'article suivant : Marie-Pierre Arrizabalaga. « The stem family in the French Basque Country : Sare in the nineteenth century ». Journal of Family History, vol. 22. n. 1. Janvier 1997. 50-69. 8. Ibid., p. 55. Sur les vingt couples soulignons que trois étaient des locataires. Par ailleurs, trois couples n'ont eu aucune descendance et par conséquent, n'ont pas pu transmettre les biens à un héritier ou bien ils ont vendu leurs biens dans la première moitié du siècle. A la génération suivante, deux autres propriétaires n'ont pu transmettre leurs biens à un héritier, en l'absence de descendance. Dans ce cas, la maison et les terres étaient transmises à un cousin ou une cousine plus ou moins éloigné, descendant d'un parent d'une autre branche de la lignée. 9. De nombreux ouvrages ont été publiés sur les structures familiales pyrénéennes, dans le but de mettre en évidence les pratiques de l'héritage unique qui étaient de coutume dans les Pyrénées. Il convient de se référer à quelques ouvrages essentiels : Baronnies des Pyrénées, sous la direction de I. Chiva et J. Goy, Paris. EHESS. vol. 1. 1981 et vol. 2, 1986. En outre soulignons le travail de Maïte Lafourcade, Mariages en Labourd sous I Ancien Régime. Les contrats de mariage du pays de Labourd sous le règne de Louis XVI Bilbao, Universitad del País Vasco. 1989 : Anne Zink, L'Héritier de la maison. Géographie coutumière du Sud-Ouest de la France sous l'Ancien Régime, Paris, EHESS, 1993 ; André Etchelecou, Transition démo graphique et système coutumier dans les Pyrénées-Occidentales, Paris, PUF, 1991. Pour de plus amples informations sur les données ci-dessus, voir les travaux suivants : Marie- Pierre Arrizabalaga, Family Structures..., o.c., chapitre trois et l'article. « The stemfamily... », o.c., p. 50-69.

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10. Selon l'article 913 du Code civil de 1874, un co-héritier pouvait hériter d'une part supplémentaire par donation et du vivant du donataire. Cette part préciputaire équivalait à un quart de la valeur du patrimoine familial lorsque les co-héritiers survivants étaient au nombre de trois ou plus. Cette part s'élevait à un tiers de la valeur du patrimoine familial lorsque les co- héritiers survivants étaient au nombre de deux. Enfin, celte part correpondait à la moitié de la valeur des biens pour les enfants uniques. Ces derniers recevaient le reste des biens au décès des parents donataires. 11. Dans ce domaine, consultez l'ouvrage de Maïte Lafourcade sur les coutumes matrimoniales et successorales au Labourd sous l'Ancien Régime, cité ci-dessus. Pour de plus amples informations sur les données ci-dessus, voir l'ouvrage suivant : Marie-Pierre Arrizabalaga, Family Structures.... o.c., chapitre quatre. 12. Ces conclusions sont celles que nous avons détaillées dans le chapitre cinq de la thèse citée ci-dessus. ainsi que dans l'article « Réseaux et choix migratoires au Pays Basque. L'exemple de Sare au XIXe siècle ». Annales de Démographie Historique, 1996, 423-446. 13. A propos des mouvements migratoires en Amérique au XIXe siècle, de nombreux ouvrages témoignent des dépans massifs des Basques et de leur installation notamment dans les pays d'Amérique latine et du Sud. Soulignons quelques travaux : P. Barrère. Emigration à Montevideo et à Buenos Ayres, Pau. Vignancour, 1842. P. O'Quin. Du décroissement de la population du département des Basses-Pyrénées, Pau. Vignancour. 1856. L. Etcheverry. « L'émigration dans les Basses-Pyrénées pendant soixante ans », Revue des Pyrénées. 1893, 509-520. W. A. Douglass & J. Bilbao. Amerikanuak : Basques in the New World, Reno (USA). University of Nevada, 1975. Voir aussi. la thèse de Doctorat de Hernán Gustavo Otero. Démographie historique différentielle de familles migrantes. L'immigration française à Tandil (Argentine). 1850-1914. Paris. Ecoles des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1993. Enfin, l'ouvrage collectif réunis par Bernard Lavallé, L'Émigration aquitaine en Amérique Latine au XIXe siècle. Bordeaux, Maison des Pays Ibérique, 1995. Les professions d'artisans étaient les suivantes : charpentiers dans les constructions navales de Bayonne, menuisiers, forgerons et cordonniers. Les relations commerciales vers l'Amérique étaient nombreuses au départ de Bayonne et Saint- Jean-dc-Luz. De Bayonne, les bateaux se destinaient vers l'Argentine et ceux de Saint-Jean-de-Luz vers Saint-Pierre de Terre neuve. Les femmes célibataires que nous avons localisées en ville (dans les villes locales rurales ou dans les villes côtières) exerçaient les professions suivantes : cuisinières, femmes de chambre ou domestiques. 14. A ce propos, il convient de consulter les ouvrages de Louis Etcheverry, notamment, « L'émigration dans les Basses-Pyrénées pendant soixante ans », Revue des Pyrénées. 1893.509-520. Dans cet article. Louis Etcheverry explique que les émigrants étaient les co-héritiers non- héritiers qui émigraient en Amérique pour préserver leur niveau de vie et leur statut social. Il n'était pas question pour ces individus de se contenter des conditions de laboureurs locataires au village ou des emplois instables en ville. Ils allaient donc tenter leurs chances en Amérique où ils exerçaient avant tout des professions artisanales. A l'époque, les besoins en main d'oeuvre artisanale à Buenos Aires (Argentine) et Montevideo (Uruguay) étaient très importants, selon Louis Etcheverry. A propos de Bayonne, consulter l'ouvrage de J. Pontet-Fourmigue. Bayonne : un destin de ville moderne à l'époque moderne (fin du XVIIIe – milieu du XIXe siècle). Paris. J. & D. Editions, 1990.

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INDEX

Index chronologique : 19e siècle Thèmes : sociologie Mots-clés : famille, flux migratoires, succession Index géographique : Sare

AUTEUR

MARIE-PIERRE ARRIZABALAGA

Université de Cergy-Pontoise [email protected]

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Wascones in plana descendunt... Civitas Lapurdum...

Renée Goulard

1 Que l'on veuille bien pardonner un tel titre pour cet article : ce sont les mots-mêmes qui mirent le feu à une Histoire, celle de la Wasconia devenue Gascogne dans le royaume franc. Ils sont extraits des Dix livres d'Histoires de Grégoire de Tours1. Entre la sainteté de l'auteur et la critique cinglante des historiens, on donna finalement tort aux intéressés eux-mêmes, nécessairement exclus de toute entreprise historique digne de ce nom, et rangés de façon péremptoire parmi les troublions2.

2 Une fois encore, et sans crainte, penchons-nous sur cette Histoire et relisons ces textes3. 3 En dehors du temps indiqué, celui de la fin du VIe siècle, des guides sont donnés. C'est d'abord la première mention connue des Wascones sur le territoire des Francs, d'autant importante que ces Wascones sont ensuite devenus peuple éponyme d'une région des Gaules. Cette mention est suivie, dans l'œuvre de Grégoire de Tours mais sans indication d'un quelconque rapport entre les deux faits, de la transcription d'un texte dont Grégoire fut sinon l'auteur du moins le conseiller, celui du pacte d'Andelot conclu le 28 Novembre 587, document qui cite Lapurdum parmi les civitates des Gaules.

La fin du VIe siècle marque-t-elle le point de départ d'une Histoire ?

4 Le texte de Grégoire de Tours concerne les Pyrénées et la province ecclésiastique des Neuf Peuples bordière de la chaîne, province politiquement découpée, morcelée selon des clivages variables lors des partages royaux puisque les rois francs sont le plus souvent multiples. Elle dépend de diverses capitales politiques, résidences de ses rois, au nord de la Loire. On pourrait suivre, mais ce serait ici inutile, le devenir de chaque diocèse au gré des conciles qui reflètent les partages et repérer d'une autre manière cités et régions selon les actions des divers rois. On en retiendra surtout que la province

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des Neuf Peuples ne forme que rarement un tout, et n'est jamais le centre d'un royaume4.

5 Entrée en théorie depuis 507 dans le territoire franc, cette province a fait auparavant partie de façon très dynamique du royaume goth des Balthes. La bataille de Vouillé n'a cependant mis fin ni à la royauté gothique, ni aux espérances des Goths. Tant que vécut Amalaric, le dernier descendant mâle des rois balthes, les tentatives de restauration sont manifestes5. Ensuite, les rois francs qui se veulent les héritiers des Goths, n'ont cessé d'intervenir en Espagne, suscitant lors de leurs éventuelles défaites les espérances gothiques. Mais il y a plus. Les Goths de la province des Neuf Peuples n'ont pas tous quitté les Gaules devenues franques. Le concile d'Orléans de 51 leur faisait immédiatement une offre de résidence, à condition toutefois de se convertir, et cette offre englobait les prêtres goths hérétiques eux-mêmes qui pourraient demeurer en un sacerdoce6. Dans des régions mieux pourvues de textes que la province des Neuf Peuples, en Auvergne ou à Rodez par exemples, on voit que les Goths sont demeurés nombreux et savent manifester leur présence jusqu'en cette fin de VIe siècle7. Les rois francs sont de leur côté désireux d'apparaître comme héritiers des Balthes. Ils nouent avec les Goths d'Espagne des alliances matrimoniales aux succès divers : Brunehild, Galeswinth quittent Tolède pour la Francia, Clotilde, Ingonde, et Rigonde –qui fut interceptée à Toulouse- épousent des rois goths. Le pays des Neuf Peuples vit au milieu des remous de la politique générale, aux limites des deux domaines, goth et franc, mais surtout, depuis toujours, il vit à l'heure de la montagne pyrénéenne. Or les Pyrénées bougent en cette fin de siècle. 6 Au sens propre du terme d'abord : dans les années 580 un effroyable tremblement de terre secoua les Pyrénées et fit jaillir de toutes parts d'énormes blocs de rochers qui roulèrent jusqu'au fond des vallées. La peste s'en mêla, les malheureux refluaient de partout. L'évêque Amélius de Bigorre partit jusqu'à Paris demander des secours, suivi par son domestique qui se faisait passer pour guérisseur et transportait reliques et amulettes. Quant aux troubles politiques, ils entraînent de fréquentes ambassades de part et d'autre des Pyrénées dont les cols furent animés, plusieurs fois par an, de nombreux cortèges de clercs et de laïcs. On apprenait aussi que l'évêque Amélius de Bigorre servait en fait d'intermédiaire entre les envoyés de la reine franque Frédégonde et le roi goth Leovigild, plus arien que jamais pour complaire à la redoutable reine Goswinth. La révolte du « prétendant » Gondovald avait trouvé ses plus puissants appuis en Comminges8. Les Pyrénées étaient au coeur de l'Histoire. Dans la guerre inhumaine qui opposait en Espagne le roi Leovigild et son fils ainé Herménégild, Childebert, sa mère Brunehild et son oncle Gontran criaient vengeance pour le martyre de la princesse Ingonde mais revendiquaient aussi, vis à vis du roi franc Chilpéric, les terres béarnaises et bigourdanes comme dotation et « morgengabe » de la soeur de Brunehild. Les Pyrénées étaient un champ d'action guerrière et politique des plus emmêlés. Grégoire de Tours, fidèle du roi Gontran, ne pouvait que se lamenter jetant sur les actions des laïcs de toutes sortes, un voile horrifié. Il est au courant de la dernière nouvelle en provenance du Sud : la montagne vient de déverser chez les Neuf Peuples un flot de montagnards. Il les nomme Wascones. 7 Sa perception des Wascones ne pouvait échapper à la couleur générale du tableau. Grégoire a assisté à leur entrée dans l'histoire des Gaules, car c'est après ce moment-là que l'on commença à parler non seulement de Wascones mais de Wasconia en territoire franc. Rien ne le laissait prévoir. « Les Wascones, jaillissant véritablement des

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montagnes descendent dans la plaine. Ils vident vignes et champs cultivés de leur population, mettent le feu aux maisons, enlèvent beaucoup de prisonniers avec les troupeaux »9. La descente rapide, le vol et le pillage rondement menés, ne laissent aucun doute : les Wascones entrevus sont repartis. Les maisons brûlées, les vignes ravagées, les troupeaux emmenés, seraient-ils un cliché selon l'auteur qui décrit un coup de main, comme il y en a déjà eu, comme il y en aura d'autres ? On peut se demander si, comme en bien d'autres passages de son œuvre et notamment l'anecdote célèbre du vase de Soissons, sa vision des choses n'est pas noircie. Cet auteur aime les images fortes, il sait faire frissonner son lecteur et ne manque jamais une occasion de dénoncer les violences des hommes. Ce n'est pas l'ignorance qui est en cause, car il connaît les Pyrénées. En 579, il a accompagné la princesse Ingonde et a lui-même célébré son mariage à Tolède avec Herménégild, il a donc traversé la montagne et a vu les Wascones dont il parle10. 8 Dans une anecdote peut-être stéréotypée, Grégoire n'en souligne pas moins le fait que le duc Austrovald, envoyé par le roi Gontran s'est révélé, à plusieurs reprises, inefficace face aux Wascones. Son armée était peut être trop lourde à mettre en mouvement et peu libre de ses zones d'action. Le roi Childebert jugeait de son côté l'instant propice pour mettre son duc Ennodius à la retraite et dégarnir les places d'Aire et de Lescar. Trois rois mal installés se partagent cette région aux années 585/587 : un enfant de trois ans et sa coléreuse mère (Clotaire II et Frédégonde), un roi indécis attentif aux douleurs maternelles (Childebert et Brunehild) et le vieil oncle Gontran qui pense encore être le plus fort. Les pouvoirs de Gontran, roi de Grégoire, sont plus que jamais incertains dans le Sud où bien des forces s'affrontent. Avec qui sont les Wascones ? Quel est le point d'impact de leur action ? Sont-ils favorables, comme Amélius de Bigorre et la dame Leuba, épouse du duc Bladaste, au parti neustrien et comme tels présentés comme des ennemis par Grégoire ? Ce texte ne répond pas et il n'est pas possible d'y trouver mention d'une séquelle de la guerre de Gondovald sans dépasser son strict enseignement. Il prend sa place, parcequ'il contient la première mention des Wascones, dans une histoire de longue haleine, mais il ne dit pas tout11. 9 Il y a notamment la question du sens à accorder au terme de Wascones employé par Grégoire, auquel une culture latine moins pesante qu'on ne l'a souvent dit (il reconnaît lui-même que son latin est rustique) n'enlève pas une bonne connaissance de son temps. Les Wascones posent problème 12. Ils sont présentés par Grégoire comme des montagnards, c'est tout ce que l'on en peut dire au VIe siècle. 10 Pour tenter de mieux connaître ces peuples qui apparaissent pour la première fois à la fin du VIe siècle il n y a guère d'autre issue pour l'historien qui n'est pas linguiste, que d'établir un rapprochement avec des peuples au nom voisin. Est-il possible de rapprocher les Wascones des Vascones connus au sud des Pyrénées depuis le Ier siècle avant notre ère et qui continuent à être mentionnés dans les textes d'Espagne ? Plusieurs indices relatifs aux similitudes des civilisations pré-romaines sur les deux flancs de la montagne pyrénéenne invitent l'historien et l'archéologue à un tel rapprochement. Un regard du côté des Vascones peut donc se révéler utile, sans rechercher toutefois l'exhaustivité des textes et en remarquant que les fouilles archéologiques sur le territoire des plus anciens Vascones repérés sont toujours à faire13.

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Les Vascones et leur saltus

11 Les plus anciennes mentions des géographes et les premières actions guerrières de ces peuples commencent au Ier siècle avant J.-C. Le géographe Polybe († 126 av. J.-C.) ne les nomme pas mais avoue sa méconnaissance de ces régions où il n'a entendu parler que de Cantabres, Varduli et Vaccei. Le premier à les nommer est Strabon qui achève sa propre « Géographie » en 17 de notre ère mais utilise un ouvrage plus ancien aujourd'hui perdu, (celui de Poséidonios d'Apamée qui mourut en 59 av. J.-C). Il donne les premières mais décisives indications : Les Ouaskoonooï sont un peuple et ils habitent un territoire défini. Ils ont un genre de vie montagnard, au pied des Pyrénées et sont installés à Oyarzun, Pampelune, Calagurris trois lieux repères que désormais plus personne n'oubliera14. Calagurris surtout qui colore immédiatement la définition du Ouaskoonoon ethnos.

12 Salluste († 28 av. J.-C.) dont l'œuvre sur la guerre de Sertorius dans laquelle Galagurris s'illustra est perdue, a donné le ton, et il inspira Tite-Live († 17) dans son livre 91 qui précisément n'existe plus qu'à l'état de lambeaux de palimpseste, mais il n'importe : on apprend que les Calagurritani fibularenses, qui sont des Vascones, ont poursuivi en 72 av. J.-C. la lutte contre Pompée, après l'assassinat de Sertorius et qu'ils subirent de la part du général pompéien Afranius un long siège qui était censé les affamer. Lorsque la ville capitula, il n'y avait que les corps des guerriers et le silence. Où étaient les non- combattants ? Le général romain imagina que les guerriers les avaient... mangés avant de mourir... « et le reste en salaison ! » disait-on dans les salons de Rome comme pour dire « et le reste à l'avenant ! »15 César livre un peu plus tard le secret de ces forteresses et les fouilles archéologiques de Sos (France) où la fortification a été construite par des anciens des guerres de Sertorius, le confirment : on pouvait quitter ces forteresses sans être vu, par des galeries souterraines débouchant assez loin16. Cette triste anecdote devait être véhiculée pendant des siècles, jusqu'à l'écrivain Orose († 417), au seuil des temps gothiques17. Nous n'y reviendrons pas. Le legs du Ier siècle av. J.-C. est des plus importants puisque le peuple et son territoire sont nettement indiqués par Poséidonios/Strabon, dans le piémont pyrénéen, et plus particulièrement à l'ouest de Huesca. Rien dans la définition du territoire ne permet alors de l'identifier à un saltus, c'est-à-dire à une zone boisée, sauvage, inhospitalière. 13 Au Ier siècle de notre ère deux mentions intéressantes sont données par Tacite puis par Pline le Jeune. Tacite, dans un récit de l'année 69, présente les troupes auxiliaires de Vascones se portant au secours des Romains en difficulté sur le Rhin. La cavalerie romaine a été culbutée, les enseignes gisent à terre, la bataille est perdue. Les fantassins auxiliaires Vascones arrivent alors sur le dos des assaillants bataves avec tant de fougue que l'on crût à l'arrivée de l'armée complète de Mayence. Les Romains reprirent courage et l'avantage dans le combat. Les Vascones sont de redoutables guerriers qui connaissent non seulement la poliorcétique, mais savent combattre en fantassins. Leur profil se précise comme celui de guerriers18. Avec Pline, nous entrons dans la longue série des nomenclatures de peuples, pâture privilégiée des historiens qui, bon an mal an, font naître des dizaines de mises au point et rectifications. Les Vascones sont comme tels absents des répertoires de peuples présentés par Pline qui indique cependant, au sein du conventus de Saragosse (assemblée politique obligatoire) les noms de villes déjà connus. On y retrouve les malheureux Calagurritani fibularenses chargés du terrible statut de stipendiaires. En revanche une formule destinée à un long

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avenir fait son apparition dans l'oeuvre de Pline : près des Pyrénées et de l'Océan se trouve le saltus Vasconum, seule apparition du peuple et de l'un de ses territoires dans une œuvre somme toute décevante19. Pline n'a pas été attentif aux genres de vie, mais à l'organisation politique romaine. Les Romains ont dans l'ensemble moins bien regardé les Vascones que les Grecs qui ont bien su rendre leur nom : Ouaskoonooï. 14 Au second siècle le géographe Ptolémée présente, comme Strabon et Poséidonios avant lui, deux passages distincts relatifs aux Ouaskoonooï. C'est d'abord le promontoire des Ouaskoonooï et la ville (polis) d'Oiasso (Oyarzun), puis, à l'intérieur, les noms de 15 places fortes des Ouaskoonooï où se retrouvent certains noms indiqués par Pline comme membres du conventus de Saragosse. La localisation du peuple est un peu plus vaste qu'au temps de Poseidonios/Strabon et l'on peut se demander si ce peuple n'est pas reconnu comme plus important que ses voisins20. Ensuite l'Histoire et la Géographie s'intéressent à des thèmes nouveaux et les Vascones ne reparaîtront guère dans de grands ouvrages de l'Antiquité. La correspondance savante entre Ausone et Paulin de Nole à la fin du IVe siècle est toutefois intéressante. La contrée des Vascones ne peut être qu'un saltus, terre inhospitalière, bois touffus, vallées sombres, et ce peuple n'est qu'un « hôte inhumain », « sauvage comme les bêtes » (ce qui est l'anti-civilisation romaine), « barbare » (ce qui est l'anti-langue romaine). Ausone n'aime que la romanité et les méprise en bloc, Paulin les aime en charité chrétienne. Dialogue de sourds mais qui surtout passe loin des intéréssés21. Au fond, en cette fin des temps romains, les Vascones ont quelque chance d'être confondus avec les Germains, comme eux hôtes des bois et de la nature, comme eux peu assurés dans la langue latine, comme eux chargés de chants qui ne concernent que leur peuple, comme eux qualifiés « barbares »22 . Le face à face avec les Goths puis avec les Francs pouvait commencer. 15 Le Ve siècle mit les Vascones au contact des populations réputées germaniques. Ils connaissaient depuis longtemps les fédérés francs cantonnés dans les ports pyrénéens par les généraux des armées romaines, soldats de Rome et de l'empereur, et qui n'avaient que fort peu de ressemblance avec les « Barbares » qu'ils découvrirent en 409. Alains dominateurs, Suèves diplomates, essaim de Vandales dont la réputation était déjà solide, s'entretuent et pillent les contrées traversées franchissant en bourrasque le col de Roncevaux et se répandant immédiatement jusqu'au fond de la Galice et de la Bétique avant que les Vandales ne traversent la mer et ne gagnent l'Afrique, mais non sans retours toujours imprévus. On sait que, la même année, une armée a été levée dans les Pyrénées par les partisans de l'empereur Honorius pour s'opposer non point à ces hordes mais à un usurpateur du trône impérial23. Rome n'est plus intéressée que par la compétition pour la magistrature impériale. Les montagnards, dans la bonne tradition romaine, forment encore des contingents guerriers disponibles, mais bientôt une autre attitude commence à les caractériser. Elle est plus proche des comportements barbares entrevus pour les Germains, en tous cas elle tient compte de leur présence. 16 En 413, les Goths font leur apparition en Espagne et dans les Gaules. En 418 ils sont installés à la demande de l'assemblée des Sept Provinces dans les régions de la Garonne, du littoral atlantique et dans la province des Neuf Peuples. Un pouvoir guerrier se met en place, qui concerne les Gaules du sud mais va se trouver devant la nécessité d'intervenir en Tarraconnaise que ne maîtrisent ni les Romains ni les Suèves et où les Goths prennent progressivement pied. Le péril extérieur mais plus encore le soulèvement appelé « bagaude » sévit de part et d'autre des Pyrénées, comme ailleurs. En 443 à Aracelli (Araquil), près de Pampelune et sur la route Astorga-Bordeaux que

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chacun tente de dominer, la bagaude fait rage et sa répression se veut lourde. En février 449, le jeune roi suève de Galice, Recharius, vient d'obtenir comme épouse la fille du roi balthe Théodoric Ier et se prépare au voyage de Gaule : il fait ravager les Vasconias à l'aller et pille Saragosse au retour, au mois de Juillet. Le roi balthe Frédéric, intervient lui-même en Tarraconnaise en 454, toujours contre les bagaudes, et le roi Euric envoie son comte Gauteric en campagne dans la région de Pampelune aux années 48O24. Chacune de ces interventions oblige les Goths devenus maîtres de ces régions à dégarnir leurs défenses dans les Gaules, ce qui est immédiatement exploité par les Francs, mais la progression gothique dans les Espagnes est régulière. 17 Les textes ne laissent aucun doute sur la perception que les Goths eurent des Vascones. Ils ne sont plus les guerriers en puissance qu'ils étaient dans le paysage politique romain, soutiens d'un parti ou de l'autre ou membres de la garde impériale, mais la géographie et l'histoire romaines sont largement oubliées. Les Goths sont eux-mêmes avant tout des guerriers, et la seule armée repérable dans leur royaume est 1 armée gothique, dont le recrutement est ouvert il est vrai. On a beaucoup dit que les Vascones se sont trouvés gênés dans leur expansion par la mise en place de royaumes guerriers. Mais personne n'a su dire pourquoi les Vascones étaient en expansion, aussi on a inventé toutes sortes d'explications, de la férocité naturelle d'un peuple à la désertification des montagnes, sans oublier la lutte pour un genre de vie (qui avait été beaucoup plus menacé par les Romains qu'il ne l'était par les Goths). Ils héritent bientôt seuls du qualificatif de « Barbares » tandis que les autres peuples autrefois réputés « barbares » constituent des royaumes. 18 Les remous qui suivirent la bataille de Vouillé (507) et les compétitions gothiques en Espagne n'ont pas trouvé d'historien pour relater les possibles raids des Vascones et leurs éventuelles répressions au début du VIe siècle. Le combat se situe sur un autre niveau et Pampelune est devenue un enjeu dans les rivalités franco-gothiques et sera comme telle assiégée en 541 pendant cinquante jours. Peut-être y eut-il un temps d'arrêt dans la question des Vasconias d'Espagne ? Il serait alors bon de se demander pourquoi. 19 Fuyant l'« Histoire catastrophe » qui est une véritable école selon laquelle les Vascones s'agitent car telle est leur nature, le fruit de leur perfidie, nous remarquons qu'ils ne sont pas les seuls peuples à s'agiter, que la Bétique aux larges domaines bovins, que d'autres régions montagneuses pourvoyeuses de troupeaux et notamment de chevaux font de même, sont l'objet de représailles et reçoivent de puissants encadrements gothiques. En fait les Goths s'installent, progressivement et de façon sporadique dans les régions d'Espagne les plus intéressantes pour eux. Ils dressent et redressent dans les zones qu'ils occupent de façon préférentielle, des fortifications qu'ils munissent de puissantes garnisons (on vit les murs d’Italica resurgir de leurs fondations pour impressionner les habitants de Séville). Le pays des Vascones et plus particulièrement celui des cols occidentaux qui mettent en rapport les Gaules, premier royaume goth, et les Espagnes dont la conquête commença dès les premiers temps des Gaules gothiques, reçurent de forts contingents de Goths. Il fallut souvent déloger les occupants qui bien évidemment tentèrent de s'opposer au mouvement et prirent les armes. Le pays des Vascones, ses forêts et ses pâturages n'a pas été vu comme un saltus par les Goths dont sait qu'ils étaient plus attentifs à ces paysages-là qu'aux moissons. Le saltus est une invention de Pline qui, après lui, fit autorité auprès de toute personne se voulant cultivée et ce saltus traînait dans son sillage le mépris pour ses habitants. Les Goths

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donnent un autre reflet du pays des Vascones. A la fin du VIe siècle, Venance Fortunat le considérait comme une richesse (ops). 20 Les combats ne reprirent qu'à la fin du VIe siècle, temps où les derniers contingents de Goths des Gaules, ont perdu tout espoir de voir renaître la puissance balthe (vraisemblablement représentée jusque là par une femme, car les femmes transmettent les droits à la couronne balthe). Certains demeurent définitivement dans les Gaules franques. D'autres passent dans les Espagnes et viennent de nouveau prendre place dans les mêmes régions qu'auparavant. Les Goths ne sont pas de pauvres paysans mais une caste aristocratique qui demande de vastes espaces et cela rend leur installation difficile. Bientôt, après la stabilisation des contingents gothiques, les luttes entre factions pour l'accession à une royauté élective font de nouveau entrer les Vascones dans les querelles de la politique royale, mener insurrections et révoltes caractérisées, parfois-même sous la conduite d'un Goth25. 21 Les débuts de leur histoire avaient trouvé les Vascones actifs dans la continentale et montagneuse Calagurris. Leurs résidences espagnoles étaient multiples à la fin du Ve siècle et Hydace avait bien employé le pluriel pour désigner leurs pays au sud des Pyrénées. Aux dernières décennies du VIe siècle les Wascones sont peuples de la montagne. mais ils sont aussi peuples de l'Océan. Dans cette démarche, ils rencontrent encore les Goths mais aussi les Francs.

La « civitas Lapurdum »

22 Grégoire de Tours reproduit le texte du pacte d'Andelot conclu le 28 Novembre 587 entre les rois Gontran et Childebert. Il fait mention de la civitas de Labourd dans un passage du pacte où sont repris les termes d'un accord plus ancien, celui de 567, lequel s'appuyait déjà sur la longue série des partages francs antérieurs. On sait que Labourd (Bayonne et son territoire) reçut à la fin du IIIe siècle une organisation castrale et servit de cantonnement à une cohorte dite cohorte novempopulanienne. L'empire romain était au IIIe siècle finissant bardé de castra sur tous les fleuves, dans tous les ports, sur tous les itinéraires, et leur défense confiée aux fédérés ou aux autochtones. Labourd a fait partie d'une telle organisation. Labourd était un castrum.

23 A la fin du VIe siècle, le pacte d'Andelot met l'accent sur de nouveaux renseignements. Labourd n'est pas appelée castrum mais civitas. Comme il vient d'être dit, l'appellation civitas Lapurdum que l'on trouve dans le texte d'Andelot n'est pas une création verbale de la fin du VIe siècle, mais bien plutôt de son début puisqu'il y a eu reprise de documents anciens. Dès lors, ce n'est plus en territoire franc qu'il faut chercher le sens de cette civitas mais en territoire et langage gothiques au sein desquels il put naître, entre 418 et 507 d'abord et au plus juste, temps du royaume balthe. La phrase qui contient l'expression est prononcée par le roi Childebert : « De la même manière, le seigneur roi Childebert revendique à partir de ce jour comme étant en sa puissance les cités de Meaux, Senlis aux deux tiers, Tours, Poitiers, Avranches, Aire, Couserans, Labourd et Albi, ainsi que leurs territoires ». On ne saurait pourtant s'arrêter à une traduction littérale, « la cité de Labourd », qui ferait penser à l'existence d'un évêché de Labourd, sens habituel du terme « cité », bien que la suite des temps ait incontestablement conféré à Labourd le titre de cité épiscopale26. Il faut replacer l'usage du terme en son temps, dans son milieu historique et notamment dans son entourage politique religieux et militaire.

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24 Le sud des Gaules connaît alors une heure qui semble décisive de mise en place des Francs et des Goths. A l'extrémité orientale nord des régions subpyrénéennes, la Septimanie est restée politiquement gothique, elle est partie constitutive du royaume goth. En revanche, au sud-ouest des Pyrénées franques, il existe comme une contrepartie à l'avancée gothique dans les Gaules, une avancée franque au Nord-ouest du monde goth. La Cantabrie littorale a en effet constitué un commandement franc pendant plusieurs années du VIe siècle et au début du VIIe siècle. Ce commandement fut un temps tenu par un duc appelé Francio. Son étendue allait vers l'Ouest jusqu'aux confins de la Galice et rejoignait à l'Est la zone pyrénéenne27. Lorsqu'en 574 le roi goth Léovigild souhaita établir sa puissance en Cantabrie, il pilla Amaya, mais ne put s'installer ni progresser jusqu'aux rivages pour surveiller « les envahisseurs » possibles de son royaume, Cantabres sans doute, mais aussi Francs du duché littoral. Ensuite il mit en place, après sa campagne contre les Vascones en 581, un « duché de Cantabrie »28. La position franque était solidement établie et il y eut vraisemblablement des tentatives de progression vers la Galice puisqu'en 583, tandis que Léovigild mettait en son pouvoir le dernier bastion du royaume galicien suève, des navires francs croisaient le long des côtes de Galice29. La présence franque sur le littoral entre Galice et Pyrénées a gêné le roi Léovigild mais elle a obtenu l'aval des autorités impériales byzantines, catholiques, ennemies du roi goth hérétique, non seulement en Bétique où les positions sont bien connues, mais en Cantabrie où la reconquête ultérieure par le roi Sisebut est présentée comme un arrachement des places-fortes maritimes au pouvoir impérial. L'existence de ce duché franc sur le littoral cantabre revêt pour Labourd une certaine importance. 25 L'implantation franque, malchanceuse en Septimanie, est réussie en « Cantabrie » au cours du VIe siècle où elle se fit selon la forme apprise des Goths, celle du ducatus (commandement ducal), bien adapté aux besoins militaires. Les Francs n'ont rien rejeté des institutions gothiques qui pouvaient les servir. Le commandement ducal dont ils font usage, devenu banal en cette fin de VIe siècle, est lui-même un legs gothique. Un siècle plus tôt, les lois d'Euric y faisaient allusion mais la loi est moins probante que l'événement : or, en 498, lors d'une de ses poussées à l'intérieur du royaume goth des Gaules, le roi franc Clovis enlevait Suatri, duc goth de Bordeaux30. L'ancien « Tractus Armoricanus » romain partait du nord des Gaules et s'arrêtait à la Gironde. Il a été complété au temps des Balthes par un commandement dont le ressort comprenait d'abord la cité de Bordeaux et celle des Boïens qui s'allonge vers le sud à la rencontre des terres labourdines. Ce « duché » (territoire où s'exerce le commandement d'un duc) de Bordeaux est maintenu dans l'organisation franque soucieuse de la défense des rivages de l'Océan. Mais les Francs sont beaucoup moins bien placés pour en assurer le bon fonctionnement que ne l'avaient été les Balthes goths qui n'avaient qu'un seul roi, ne partageaient pas le royaume, et dont l'autorité était d'abord de justice guerrière. Au sud comme au nord de Labourd, on relève deux zones de commandement militaire, cependant sur la vaste étendue littorale ainsi organisée, de véritables problèmes se posent. 26 Les Francs découpent le territoire qui porte leur nom, à chaque décès royal. Dans la province des Neuf Peuples ils ont hérité d'une situation complexe puisque le « duché » de Bordeaux était installé sur deux provinces différentes : les Boïens comme les peuples plus méridionaux avaient appartenu aux Neuf Peuples tandis que Bordeaux était métropole d'une autre province, celle d'Aquitaine Seconde. Les Francs compliquèrent plus encore la mosaïque politique de la région. Les circonscriptions de Bordeaux et de

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Dax, diocèse qui comprend Labourd, sont généralement dans le lot du roi qui tient la Neustrie. mais il n'en est pas de même pour les autres diocèses. L'attache neustrienne de Bordeaux et de Dax est bien connue au temps de Charibert Ier († 567). Son successeur neustrien, Chilpéric († 584), posséda assurément Bordeaux, Dax, Aire, mais aussi Béarn, Bigorre, Comminges, ces listes n'étant pas limitatives. Mais en 585, on voit que « le bon roi Gontran » de Bourgogne gère le tout et qu'en 590 encore, il fait nommer l'évêque de Bordeaux. En 587, à Andelot, une mise au point est obtenue par Childebert, (Austrasie), qui revendique précisément Labourd (mais sans doute pas la totalité de Dax) ainsi qu'Aire, tandis que Gontran reste maître de Bordeaux. Il semblerait donc que la bonne marche du duché de Bordeaux soit soumise aux ententes entre les rois, le sort de Labourd sujet à variations. A travers l'action de Brunehild, mère gothe de Childebert, on perçoit la politique austrasienne de main-mise sur la province des Neuf Peuples, politique soutenue un temps par le roi Gontran, et que combat avec acharnement la reine veuve et rusée des Neustriens, Frédégonde31. 27 Il ne faut donc pas s'étonner de voir Labourd séparé du reste du diocèse de Dax, et placé sous la houlette du duché de Bordeaux sans égard à ce qu'il advient du diocèse de Dax à la fin du VIe siècle. C'est l'époque où l'évêque de Poitiers, Venance Fortunat, qui connaissait bien les relations franco-gothiques et les problèmes pyrénéens puisqu'il avait fait en 579 le voyage d'outremont, souhaitait que son ami Galactoire soit décoré du tire de duc de Bordeaux32. Le point le plus important de ce texte est qu'il définit le ressort d'action du duc de Bordeaux : les Vascones et les Cantabres sont soumis à sa surveillance, ce qui ne peut se faire en excluant Labourd qui est sur la trajectoire stratégique bordelaise. « Duché » de Bordeaux incluant la surveillance des mondes plus méridionaux, « duché » franc de Cantabrie, importance de Labourd, constituent des jalons précis de protection franque. Il existe donc à la fin du VIe siècle, un vaste commandement militaire appuyé sur le littoral et qui relève de la maîtrise des Francs de Bordeaux. Mais quel est le rôle de Labourd au milieu de ce vaste commandement militaire ? Que signifie son titre de civitas ? 28 Grégoire de Tours parle de Labourd comme d'une civitas en 587, or, en 581 un roi goth d'Espagne, Léovigild, utilise le même terme dans un sens bien précis. Il vient de livrer de lourds combats contre les Vascones et, pour assurer le résultat de sa victoire, il fonde la civitas victoriaca, c'est-à-dire que, selon son habitude, il restaure une forteresse antique, ici celle qui porte le nom romain de Véleia, pour surveiller la route... de Bordeaux. Ce site, Iruña, dominant de 70 mètres de hauteur la rivière Zadorra, est une redoute mais ne fut ni ne sera un évêché. Il la nomme cependant « civitas » ce qui laisse entendre que, pour ce roi, une civitas est une place-forte33. Les exemples abondent dans le royaume goth de ces cités qui sont des forteresses dotées d'un territoire de surveillance et de commandement. Il est bien évident que ce qui intéresse Léovigild, comme jadis Euric dans les Gaules, ce ne sont pas seulement les cités-résidences des évêques catholiques mais les centres de son administration, de sa justice, de son armée, lesquels se trouvent soit dans les villes soit dans les garnisons castrales qui ont même statut que les cités34. Depuis longtemps sans doute, et parce qu'Euric avait eu une politique de réorganisation du territoire plus favorable aux comtes et aux ducs qu'aux évêques – qu'il oublia de remplacer ou qu'il incarcéra –, les territoires des forteresses bien restaurées sont devenus l'équivalent des civitates dans le domaine politique. 29 Labourd, revendiqué dans le pacte d'Andelot par le roi Childebert comme lui revenant en vertu des partages précédents, est une grosse forteresse munie, le texte le précise,

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d'un territoire de commandement qui comprend au moins une partie du diocèse de Dax mais que rien n'oblige à calquer les divisions religieuses et qui peut fort bien s'étendre beaucoup plus largement, notamment vers le Sud. Le noyau initial du territoire labourdin est formé d'une portion de circonscription épiscopale, ce qui n'est une exception ni chez les Goths ni chez les Francs. Senlis est dans le même texte découpé, et l'on sait qu'au même moment un évêché de Châteaudun est créé sur une partie de celui du Mans remis à deux rois différents et ces faits correspondent à la diversité des situations. Le cas de Labourd est un troisième exemple, lui aussi différent. Le territoire commandé par la civitas de Labourd ne revêt pas nécessairement une définition religieuse, mais il est évident que cette forteresse munie d'un territoire pourra être la première esquisse du futur évêché de Labourd. Or lorsque celui-ci apparaît dans les textes, il déborde largement au sud des Pyrénées, ce qui est le reflet de la circonscription qui a dessiné son assise, qui lui a donné le jour. A la fin du VIe siècle, les limites sud-occidentales du territoire franc sont ainsi bien confirmées par plusieurs textes contemporains. Labourd entre dans la politique concertée des rois francs pour la défense des littoraux, et révèle la durable empreinte d'une terminologie gothique dans un contexte de défense militaire. 30 Labourd est alors entre les mains sinon d'un comte du moins d'un personnage ayant des attributions voisines des obligations comtales dans le domaine militaire. C'est un point fort dans la défense contre les peuples des mers attirés par les richesses des royaumes établis et défendus par les forces franques, impériales, suèves puis gothiques. Venance Fortunat rappelle en outre qu'au titre de duc de Bordeaux est dévolue la mission de surveillance des Vascones et des Cantabres35. 31 La frontière occidentale entre les mondes gothique et franc passe beaucoup plus au Sud et à l'Ouest que celle qu'avaient dessinée les Romains entre Aquitains et Espagnols. En une époque que les historiens ont tendance à considérer comme celle d'une résurgence des réalités pré-romaines au point que les villes changent de nom, font revivre les vocables pré-romains, où des coutumes en apparence oubliées reprennent vie, où les Armoricains commencent à se vouloir Bretons ou au moins Celtes, il semble qu'une page romaine d'histoire soit tournée. Le VIIe siècle va affermir ces tendances.

Naissance de la Wasconia

32 Le siècle s'ouvre sur l'apparition de la Wasconia comprise comme un duché du monde franc. Il est possible de laisser de côté à partir de ce moment les événements espagnols qui n'ont plus qu'une incidence indirecte sur les destinées du Sud-Ouest des Gaules. Les agitations de Vascones, avec un (V) initial, continuent à se manifester, sous les divers règnes des Goths d'Espagne, et cela jusqu'à l'arrivée des troupes de Berbères islamisés d'Ifriqiya, en 71136. Deux textes espagnols sont cependant à mettre à part, l'un indique, précisément en 610, une guerre de Gundemar contre les Wascones, avec (W) comme lettre initiale, l'autre, portant même graphie, désigne les Wascones que combattirent les Goths parmi les guerriers francs en Septimanie en 67437. Entre temps la Wasconia était née, membre du territoire franc.

33 Le premier texte franc indiquant la Wasconia comme formant l'axe d'un duché fait référence à une organisation administrative mise en place par Thibert II et Thierry II, tous deux fils du roi Childebert, et conduisant une politique forte sous la houlette de leur grand-mère Brunehild. C'est, en l'année 602, et dans le cadre d'une compétition

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pour la domination des terres de l'Ouest maritime, comme il apparaît dans les luttes et actions diplomatiques qu'ils conduisirent face à leur cousin Clotaire II. Ils ont en 596 hérité des cités de Bordeaux, Dax, Labourd (pour reprendre la terminologie de leur père) ainsi que de la plus grande part de la province des Neuf Peuples, héritages conjugués de Childebert leur père et de leur grand-oncle Gontran. Il est vrai que des guerres, suivies d'avancées et de replis qui ne sont pas toujours bien localisés – quoiqu'ils ne semblent pas avoir concerné le sud des Gaules – ont pu modifier la situation avant 602. Cependant, pour cette année 602, celle où l'on voit la mise en place d'un duc auprès des Wascones, rien ne s'oppose à ce que Bordeaux ait été la résidence ducale, mais ce n'est plus un duché de Bordeaux, c'est un duché des Wascones et c'est ainsi que désormais les ducs intallés en cette région seront nommés, ce qui implique l'appartenance des Wascones à l'aire géopolitique des rois francs : « En 602, Thibert et Thierry dirigent une armée contre les Wascones et, avec l'aide de Dieu les ayant soumis à leur pouvoir, ils en exigent le cens. Ils instituent Genial (ou Gemial ou Gelian) comme duc au-dessus d'eux, et celui-ci les gouverna avec bonheur »38. En bons héritiers de la tradition austrasienne, Thierry et Thibert sont soucieux de cette région que le règne goth et hérétique de Witteric semble avoir troublée dans ses confins gothiques. Thierry a tenté de négocier avec ce roi une alliance, et il a envoyé des ambassadeurs pour demander la main de la princesse Ermenberge qui devait bien être aussi hérétique que son père. Le mariage tourna court et l'année n'était pas écoulée que la princesse était renvoyée à son père, dépouillée de ses trésors, suscitant l'indignation de tout l'Occident39. Il s'agissait donc de bien structurer le pays des Wascones contre de possibles représailles gothiques. Mais cette raison n'est pas suffisante pour faire changer ce « duché » de nom. Il importe d'abord d'en connaître l'assise afin de savoir si Bordeaux, qui n'est plus référence de nom en fait toujours partie et si le changement de nom ne vient pas de son éventuelle absence. 34 L'étendue du duché n'est indiquée que pour une période postérieure, mais proche de cette première mention relative à son existence, et où il est question de son intégration dans un ensemble plus large, le territoire de Charibert II créé à l'issue du règne de Clotaire II († 18 octobre 629). Ce roi avait succédé aux deux frères, Thibert et Thierry († 612 et 613) dans leurs royaumes. Dagobert, fils de Clotaire II, concède de mauvais gré au printemps 630, quelques terres à son frère pour que celui-ci puisse vivre et surtout pour qu'il ne revendique rien de plus de l'héritage paternel. Il s'agit de plusieurs éléments, mais l'un d'eux, remis selon le droit privé, fait référence à la Wasconia : « tout ce qui s'étend de la Loire au limes de l'Espagne, dans les régions de la Wasconia, à savoir les comtés (ou pays) et les cités (ou châteaux) de la montagne pyrénéenne.... et tout ce qui, au-delà des comtés de Toulouse, Cahors, Agen, Périgueux et Saintes s'étend de là aux monts Pyrénées »40. La composition de la Wasconia est alors bien claire : elle comprend les terres des Pyrénées et celles qui sont placées au Sud ou à l'Ouest de comtés et cités qui sont précisément nommés et n'en font pas partie. Ces comtés s'étendent autour de la Garonne. La carte dressée ci-contre montre qu'il s'agit de trois pôles. On trouve d'abord le comté-duché de Bordeaux qui confine au nord les comtés de Saintes et Périgueux. Ensuite viennent les terres novem-populaniennes qui confinent au Nord les comtés de Périgueux, Agen, celui de Cahors au droit de Lectoure, et à l'Est le comté de Toulouse. Enfin, au sud-Ouest, se trouvent les terres de la cité de Labourd qui débordent hors de la province des Neuf peuples, sur un limes, c'est-à-dire une zone où la frontière (termini, fines dans le vocabulaire de ce temps) n'est pas considérée par les Francs comme stabilisée (perte récente du duché cantabre pour la définition en 630).

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35 La Wasconia dessinée dès 602 était un vaste territoire, en partie montagnard, en partie maritime, en partie constitué de ce pays des Neuf Peuples jadis vanté comme un paradis par Salvien. Elle se modifia, sinon dès 610, la campagne de Gundemar contre les Wascones n'ayant peut-être pas été aussi efficace que le dit Isidore de Séville. du moins dès l'envoi par Sisebut du duc Richila en 612, alors que les deux frères-rois francs étaient en désaccord et que Thierry II triomphait de Thibert II dans une seconde bataille de Tolbiac, bien loin des Pyrénées, et que leur cousin Clotaire II devenait de plus en plus puissant. La Cantabrie était perdue, il ne restait au sud des Pyrénées qu'un pays composé au moins de ce qui devait par la suite entrer dans le diocèse de Labourd. Bordeaux ne lui donne plus son nom. Les Neuf Peuples en demeurent le coeur, et pourtant le duché ne porte pas leur nom. Il est vrai que la Garonne d'un côté et Labourd ultra-pyrénéen de l'autre indiquent des zones d'intérêt en dehors du territoire novempopulanien. Bordeaux ne sert plus de référence. Ce duché est une marche face au royaume goth, mais les dangers représentés par cette proximité ne furent pas suffisants pour lui donner le nom de duché de Gothie. On le désigna du nom des Wascones, ce qui signifie que c'est là qu'il faut reconnaître sa référence et qu'une mise en place est achevée. Une fois encore les guerres des Wascones apparaissent liées à la politique générale et ne sont pas la conséquence d'une sauvagerie naturelle.

Le premier duché de Wasconia au début du VIIe siècle

36 Les premiers ducs en Wasconia

37 Genial 602 Aegyna 626 (Charibert 629/632) Aegyna 636

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38 Le terme Vascones existe toujours en Espagne, mais les sources gothiques elles-mêmes, cela a été noté plus haut, font usage du terme Wascones lorsqu'il s'agit des habitants de la Wasconia franque. Les textes francs, notamment Frédégaire très précieux témoin de ce temps, utilisent désormais le terme de Wasconia, Wascones pour désigner les lieux et hommes d'un duché franc. D'autre part, le génitif pluriel Wasconorum fait son apparition, indiquant que Wasco pourrait aussi s'effacer devant Wasconus/Wasconi, ce que les textes n'enregistrent pas car il y est toujours, tant au nominatif qu'à l'accusatif, question de Wascones 41. Ce terme désigne, dès 602, tous les habitants du duché de Wasconia et l'on ne peut prétendre que tous soient descendus des Pyrénées, éliminant les anciens habitants. Ce qui est évident c'est que ces montagnards servent de référence à tous, que leur nom est devenu symbole d'unité, ce qui se vérifie aisément. 39 En 626, on apprend que l'évêque métropolitain d'Eauze, Sidoc, ainsi que son vieux père l'évêque d'Aire, Palladius, manifestent leur plein accord (conscii) avec ces mêmes Wascones, leurs ouailles, accusés d'insoumission aux nouvelles décisions de Clotaire II42. Or ces Wascones et le métropolitain d'Eauze sont dénoncés par leur propre duc, Aeghyna, qui réside peut-être à Bordeaux. Le motif de la « rébellion » est bien évident. En vertu des décisions royales prises à Paris le 18 octobre 614, il a été précisé, au chapitre 12, que les responsables laïcs des cités comtes et ducs, seraient désormais recrutés dans la région qui leur est confiée. Le roi Clotaire II trouvait en cette disposition une assurance de leur pleine soumission et responsabilité. Il avait ajouté au chapitre 24 que quiconque irait à rencontre des décisions prises subirait la peine capitale43. Or ce même Aeghyna, qui dénonce l'accord des pieux évêques avec les fidèles dont ils ont la charge, n'appartient pas, il s'en faut de beaucoup, au peuple des Wascones puisqu'il est saxon44. Les demandes de la région ne font que souligner la contradiction entre l'édit royal et la pratique. Les évêques régionaux ne pouvaient que soutenir cette action, puisqu'ils appartenaient au groupe épiscopal qui fit les frais de la montée de la puissance comtale souhaitée par le roi Clotaire II. L'évêque d'Aire, Palladius, avait lui- même souscrit à Paris, le 10 octobre 614, des canons conciliaires qui préservaient un peu de cette ancienne puissance épiscopale reconnue depuis le temps de Constantin. Il n'avait sans doute pas encore regagné Aire, accompagné de son métropolitain, de celui de Bordeaux et de quatre autres évêques de Wasconia, lorsque le roi, modifiant sensiblement les canons conciliaires, avait introduit ce nouvel article dans son édit. 40 Les Wascones qui auraient dû recevoir un duc issu de leur région demandent la pleine application de l'édit. Sidoc et son père, jugés indésirables par le roi qui écouta Aeghyna, furent astreints à vivre ailleurs qu'en Wasconia, mais on ne put leur retirer leur titre. Sidoc assista au concile de Clichy tenu presque au même moment, accompagné d'un seul évêque, celui d'Auch, le 27 septembre 626 ou 627. Le canon 4 soutenait l'édit royal de 614 et le canon 27 prévoyait la peine d'excommunication pour les administrateurs royaux, comtes et ducs qui iraient à rencontre de ce même édit45. Quelle avait été l'attitude du métropolitain de Bordeaux, lui aussi concerné par les édits royaux ? Arnégisile était présent au concile de Paris en 614, mais fort curieusement aucun métropolitain de Bordeaux n'est mentionné en 626/627 à Clichy où la cité de Bordeaux - l'Eglise ou le duc - a délégué le diacre Samuel, lequel ne souffle mot d'un éventuel évêque qu'il serait censé représenter comme cela est de coutume. Le duché de Wasconia est le premier à demander, en vertu des édits royaux, un duc issu de sa terre, c'est l'enseignement essentiel des événements de 626 en Wasconia.

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41 Une identité régionale est née, appuyée comme toute son histoire sur la montagne, et sans doute fortifiée par un afflux de montagnards pendant le VIe siècle. C'est qu'il existait dans la province des Neuf Peuples des terres disponibles, celles que les Goths abandonnaient peu à peu. Certes tous les Goths ne sont pas partis et la toponymie les repère encore pendant la période franque. Mais ceux qui sont partis ont laissé derrière eux de vastes terres souvent négligées et qui avaient besoin d'une remise en état. La compétition a été ouverte entre les Francs qui ne s'installèrent qu'en petit nombre au VIe siècle et parfois de façon provisoire et les montagnards proches. Achats avantageux peut-être mais plus assurément successions et alliances ont mêlé les derniers Goths eux-mêmes en partie « provincialisés » aux partenaires régionaux. Les montagnards furent le levain de ce nouveau peuple et lui servirent d'éponyme. Ils firent revivre les vieilles traditions, rendirent aux Neuf Peuples une partie de leur mémoire car les temps pré-romains avaient connu ici et là de semblables fondements, c'est ce que montrent traditions et toponymes les plus anciens. Le duché renouait en termes nouveaux avec une histoire antérieure à la romanité. C'est une des particularités de cette époque et cela en bien d'autres régions. Le « duché » est une forme de pouvoir et d'assise territoriale parfaitement bien adaptée à cet exemple régional. Les Wascones constituent un peuple unifié qui manifeste dès le début du VIIe siècle, c'est-à-dire dès la mise en place du duché portant leur nom, esprit d'initiative et sens politique. Le royaume franc est pour l'heure unifié lui aussi et il peut encore surveiller ce pouvoir montant. Mais jusqu'à quand ? Jusqu'où ? Lorsque Dagobert succéda à son père, il comprit la situation. Il allait inventer un royaume auquel ses prédécesseurs n'avaient pas songé. 42 Le règne de Dagobert (629-639) tenta un renversement de la situation. La Wasconia constituée en duché était forte, le pouvoir de Dagobert longuement préparé en Austrasie puis en Bourgogne, plus difficilement établi en Neustrie, n'avait guère eu l'occasion de s'y manifester. Les régions du sud de la Loire, c'est-à-dire l'ancien royaume visigoth, avaient toujours été découpées depuis la succession de Clovis, entre les différents royaumes du Nord, permettant à chaque roi franc de se dire héritier des Goths. Cet héritage gothique fut amplement revendiqué par Dagobert qui profita en 631 de l'avènement de son candidat au trône d'Espagne, Sisenand, pour se faire restituer une part du trésor des Balthes46. Mais son efficacité politique lui suggère d'utiliser les terres sud-ligériennes au mieux de ses ambitions. Or, il est gêné dans sa succession de Clotaire II par l'existence de son frère germain puîné, Charibert II. Il crée pour lui deux lots dont la dévolution finale s'acheva au tout début de l'année 630 (entre le 9 mars et le 8 avril). Il concéda ainsi à son frère en un premier temps le duché de Wasconia, remis pour sa subsistance, puis cinq comtés dont il fit l'assise d'un royaume47. Cela constituait au total un assez beau territoire dont la création mérite quelque explication. 43 Dagobert désamorce par cette fondation le parti qui derrière Charibert II et son oncle maternel, Brodulf, s'était élevé, dans des querelles de cour, contre le duc Aeghyna, et jouissait de ce fait d'un certain crédit auprès des Wascones48. Pour empêcher tout retour possible d'un danger, Dagobert fit assassiner Brodulf au sortir du bain49. Mais ce n'est pas le plus important. Pour lui, le duché de Wasconia est mort, et il confie son territoire à Charibert, à titre privé, pour sa subsistance, en une première concession territoriale bien distincte du reste, relevant d'un droit différent du reste de la dotation, et n'ayant pas le même statut. La Wasconia n'est pas constituée en royaume mais en apanage, terre dans laquelle le roi des Francs est toujours susceptible d'intervenir. qu'il peut reprendre selon l'occasion. La concession est faite à titre privé et il n'y a pas dévolution

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des droits politiques. Dagobert inaugure semble-t-il, une définition allodiale de la Wasconia, partie intégrante du royaume franc, où le roi franc détient la puissance publique, mais qui est le bien propre des Wascones ou de leur chef. En dehors de la Wasconia, le roi accorde à Charibert un petit royaume formé de cinq comtés, non plus pour sa seule subsistance mais pour exercer un gouvernement royal (hoc tantum regendo concessit : c'est cela seulement qui lui fut donné pour qu'il le gouvernât). Dagobert vient de créer un royaume qui isole son propre territoire de celui de la Wasconia, mais surtout il tente de noyer le duché en le plongeant dans une plus vaste étendue de terres, reprenant la vieille arme utilisée jadis par Auguste pour pacifier les Aquitains du sud de la Garonne et cela fut si sensible au chroniqueur Frédégaire qu'il retrouva à cette occasion le terme créé par Auguste d'« Aquitanique ». 44 Le temps du court règne de Charibert qui mourut le 8 avril 832 et fut rapidement suivi dans la tombe par son jeune fils, le tout ayant été organisé par Dagobert, est d'un très grand intérêt. Le chroniqueur rapporte la soumission complète des Wascones à la puissance de Charibert, et l'interprétation de ce passage mérite lui aussi un temps d'arrêt, tant le message transmis par Frédégaire est riche50. Les historiens y ont dans l'ensemble vu la preuve d'une insoumission permanente des Wascones, vantant l'astuce de Dagogert qui aurait concédé ce qu'il ne détenait pas. Or Frédégaire ne parle pas de rébellion. Il parle d'une prise de pouvoir (redegit) ce qui ne peut être fait qu'aux dépens de celui qui le détenait. Cette terre remise selon le droit privé (ad instar privato habita), était restée dans la puissance politique de Dagobert. On voit en effet ce roi user de ses droits publics en Wasconia, surveiller les activités du missionnaire Amand dans les confins des Pyrénées (non point pour apporter l'Evangile mais pour combattre les effets des diverses hérésies développées depuis longtemps au contact d'une région d'Espagne déchirée par les nombreux compétiteurs au trône)51. Puis, rappelant Amand, il convoquait Charibert à Orléans pour les fêtes baptismales de son fils Sigebert52. Cette situation de dépendance ne devait satisfaire ni Charibert II roi d'un dérisoire royaume de cinq comtés, ni les Wascones. Charibert, avec son armée convoquée sur place, installa donc ses propres droits contre ceux de Dagobert au printemps de l'année 632, sur la Wasconia. Il mourut peut-être au combat ou fut, comme son jeune fils Childéric, victime de la « faction de Dagobert »53. La Wasconia demeurerait alleu dans le territoire et dans la puissance publique du roi des Francs. La guerre déployée sur son sol était une fois de plus une guerre politique. 45 Le succès du parti de Charibert en Wasconia trouverait une explication selon une tradition rapportée par la charte trop discutée d'Alaon. Cette charte fait en effet état du mariage régional de Charibert, union dans laquelle prendrait racine la suite de l'histoire des pouvoirs en cette région. Par son mariage avec Gisèle, fille d'un duc Amand, Charibert et plus encore son lignage se seraient acquis des droits héréditaires en Wasconia54. Si l'on en croyait une partie des enseignements de la charte d'Alaon, il serait intéressant de noter que, comme dans le texte de Frédégaire, la Wasconia est traitée à part des autres terres de Charibert qui y aurait recueilli l'héritage d'un duc particulier. Après son décès. Dagobert héritait du royaume de son frère et aussi de la Wasconia, indiquée à part. Il évinçait son neveu Childéric de la succession tant royale que privée. Il se faisait remettre le trésor55.

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587-637 : Cinquante années décisives

46 Dagobert reprenait donc possession directe de la Wasconia, y remettait en place un duc, mais ce fut, hélas !, le redoutable Aeghyna qui entra de nouveau en fonction. Il arriva ce qui devait arriver : la « rebellion » des Wascones, qui s'opposèrent à la spoliation tout à la fois d'une descendance de Charibert et Gisèle selon la charte d'Alaon, et des Wascones appuyés sur l'ancien édit de Clotaire II que Dagobert n'avait pas abrogé. Le même mot de « rébellion » est utilisé par le chroniqueur Frédégaire pour l'année 633/634 comme pour l'année 62656. C'est l'avant-dernière mention des événements de Wasconia dans l'œuvre du chroniqueur et elle contient des éléments qui constituent la conclusion de toute l'époque de mise en place de la Wasconia que nous venons de vivre.

47 Après le décès de Charibert, la révolte a surgi contre Dagobert et ses ducs, des pillages ont été commis, non en Wasconia, mais dans les terres du « royaume des Francs » dont Charibert II fut roi, ce qui souligne encore la différence essentielle entre Wasconia et royaume « aquitanique » s'il en était besoin. Dagobert ne voulut pas risquer une intervention de l'Eglise dans cette affaire. On ne connaît d'ailleurs pas de nom d'évêque en Wasconia pour cette période. Il prit les devants et envoya sur place la plus forte des armées jamais levées dans son royaume, qu'il confia au référendaire burgonde Chadoin. Bien évidemment Aeghyna le Saxon était parmi les généraux mais aussi ceux qui quelques années plus tôt avaient assassiné Brodulf, les ducs Amalgaire et Arimbert et le patrice burgonde Willibald, dix corps d'armée au total et des comtes munis de commandements, armée si importante qu'à son retour de Wasconia il suffit d'en menacer les Bretons pour obtenir leur reddition sans combat !57. 48 L'armée entre donc en 635 en Wasconia dont les habitants, quelque peu obstinés, veulent un duc choisi parmi eux, comme neuf ans plus tôt. Ils auraient, selon la charte d'Alaon déjà évoquée, un possible candidat dans la succession de Charibert et de son épouse, elle-même issue d'un lignage détenteur de puissance régionale, ce qui rendrait leur combat plus vigoureux, plus appuyé. Et il le fut. La défaite du duc Arimbert en Soule, inimaginable, n'aurait cependant pas brisé les résultats d'une campagne jugée victorieuse par le chroniqueur qui devient à cette occasion presque poète. Une vallée de cette Wasconia souvent vue en bloc et qui de texte en texte laisse apercevoir châteaux et évéchés, Labourd, Dax, Eauze, Aire, Bigorre, est nommée, c'est la Soule, qui est la forteresse naturelle d'une Wasconia elle-même forteresse humaine. Un mot voisin de celui qu'avait utilisé Grégoire de Tours trois quarts de siècle plus tôt est choisi par Frédégaire (prorumpentes, properant) pour montrer les montagnards qui jaillissent de la montagne et savent y attirer l'ennemi, tandis que, quelques lignes plus loin naît de la plume du chroniqueur le spectacle des vallées ténébreuses, des rochers suspendus, pays jadis appelé saltus, mais le mot n'est pas repris tant il y a désormais de respect pour ses hôtes. L'armée serait rentrée sans dommage dans ses foyers si Arimbert n'avait pas commis l'erreur de poursuivre l'assaillant en Soule, gémit Frédégaire qui pleure alors tous ces hommes nobles et expérimentés qui avaient eu le même sort que le duc. Pourtant les Wascones sont soumis, doivent accepter le retour d'Aeghyna comme duc, et Dagobert fête à Clichy la victoire de son armée. Frédégaire n'en reconnaît pas moins que cette armée a dû combattre un ennemi d'une cohésion telle qu'il décerne spontanément le titre de « patria » à la Wasconia.58 49 Les Wascones étaient présentés comme des groupes incontrôlables dans l'œuvre de Grégoire de Tours et de ce fait mal définis. Cinquante ans plus tard ils ont donné

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naissance à une « patrie ». Ce terme demande à être précisé et il ne faudrait pas le comprendre comme seulement la terre occupée par les aïeux, ce qui ne correspondrait pas à l'usage qu'en firent les hommes de ce temps. Les auteurs du début du VIIe siècle utilisent souvent ce terme associé à celui de gens. Parfois, le couple de mots patria/gens a comme équivalent populus/terra ce qui, dans l'un et l'autre cas associe un peuple et un territoire. Frédégaire fait de même et c'est le dernier mot de sa chronique qui soit relatif à la Wasconia : « Wascones regressi sunt in terram Wasconiae » 59. Cela nous invite à comprendre le mot « patrie » comme représentant le territoire choisi et tenu par un peuple pour en faire sa résidence. La patrie d'un peuple fait son apparition lorsque ce peuple est installé. Elle n'est pas nécessairement immuable, ancienne, mais elle peut être le résultat d'une action. On avait ainsi vu par le passé le peuple des Goths en quête d'une patrie qu'ils ont un certain temps trouvée dans les Gaules et qu'il sont en train d'achever dans les Espagnes au début du VIIe siècle. La patrie des Wascones est le territoire du « duché » dont ils sont éponymes et qui correspond à leur résidence. Mais il faut corriger cette définition trop administrative en soulignant que cette patrie est ressentie comme le bien commun d'un peuple qui y a établi ses traditions autant que ses hommes, qu'elle est refuge, centre de vie, et désormais patrimoine. 50 Le peuple appelé peuple des Wascones s'est constitué, comme tous les peuples du monde, au cours d'une histoire qui est aussi une ethnogenèse. Il ne correspond pas aux Vascones du temps de Strabon. Il mêle au début du VIIe siècle les anciens « provinciaux » du royaume gaulois gothique, qui sont les novempopulaniens eux- mêmes constitués de Celtes, Celtibères, Romains (mais qu'est-ce qu'un Romain ?), aux Goths, eux-même fort mêlés60. A eux se sont joints différents peuples réputés barbares parmi lesquels les Suèves, quelques Hastingues. Des Cantabres ont rejoint leurs rangs à divers temps de l'histoire, et notamment au temps du duché franc. On y trouve des Saxons dont l'intégration est parfois difficile, mais aussi parfois réussie. Les Francs, au VIIe siècle constituent le dernier apport, mais cette « ligue franque » est elle-même des plus hétérogènes. Les montagnards enfin ont servi de fil rassembleur pour nouer toute cette moisson humaine. Leur nom s'attache désormais à une terre. La patrie de Wasconia est née. 51 Sa formation explique l'originalité de ce peuple, mélange solide, conscience soudée. Les Wascones ont une telle personnalité de groupe qu'ils sont susceptibles de prêter un serment collectif après la campagne de 635. Frédégaire, dans son dernier chapitre consacré à la guerre de Wasconia, éclaire leur portrait. Dans l'attitude peu exaltante de la soumission que décrit le chroniqueur, quelques traits de plume retiennent l'attention61. 52 Il apparaît alors nettement que les Wascones se sont présentés au printemps de l'année 637 au plaid de Clichy pour vider la question qui les inquiète depuis 626, à savoir celle de leur duc. Le duc Aeghyna, qui aurait dû les représenter et leur éviter le voyage, se tient à côté d'eux mais non comme leur chef. Les Wascones, eux, ont délégué leurs propres ambassadeurs et ceux-ci ne laissent pas d'étonner. Il s'agit de tous ceux qui appartiennent à un groupe qualifié de « seniores ». C'est un Sénat. Si l'on compare les termes employés par Frédégaire et ceux que Sidoine Apollinaire avait employés pour le Sénat des Goths qu'il vit réuni à Toulouse, on a l'assurance qu'il s'agit bien de la même institution. Le Sénat gothique était une assemblée représentant le peuple des Goths, il siégeait debout, en vêtement guerrier. Dans le récit de Frédégaire, aucun mot ne signale une prosternation, une position de soumission de ces hommes devant le roi. Ce Sénat

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est venu au complet (omnes) et son objectif demeure le renvoi du duc Aeghyna, présent lui aussi devant Dagobert mais distinct de leur groupe. Les Wascones se placent sous la protection de saint Denis, puis se présentent au roi. Le chroniqueur invoque alors l'indulgence, la clémence royale et les serments prêtés par les Wascones dont il dit immédiatement qu'ils n'ont leurré personne. L'attitude des Wascones a engendré un plein succès de ce qui fut finalement une ambassade : ils retournèrent dans leur terre, mais délivrés d'Aeghyna qui ne les suivit pas et que l'on retrouve peu après dans le conseil du roi, mais non en Wasconia. 53 Les Wascones se sont conduits à Clichy comme les successeurs de ces Vesi (aristocratie guerrière) goths qui avaient constitué le Sénat gothique et gouverné avec les rois Balthes. Comme les Goths des temps les plus anciens ils considèrent la demande de serment comme irrecevable dans le domaine politique et agissent en conséquence, les Francs l'ont remarqué suggère Frédégaire. L'existence du Sénat de Wasconia est dans la même lignée. Cette institution explique le poids des décisions prises par les Wascones, leur stratégie mûrie, leurs prises d'armes calculées, leurs objectifs politiques diffusés d'un bout à l'autre de la Wasconia. Il faudra désormais compter avec lui, puisqu'il est un organe de gouvernement. Il siège peut-être plus facilement à Eauze qu'à Bordeaux, ce que laisse entendre l'attitude de Sidoc, à moins que cela ne soit dans l'ancien palais des Goths à Aire ou dans une forteresse, Labourd, Tarbes, Palestrion, ou toute cité forte, selon les nécessités du moment, et comme le firent les Goths qui entretinrent et construisirent forteresses, villœ et palais. 54 La Wasconia est née, définie par un peuple, une terre, une assemblée. Il ne lui manque plus qu'un chef régional accepté par les rois Francs et qui ait leur confiance. Restera-t- elle duché, deviendra-t-elle principauté, ou son destin sera-t-il uni à celui de l'Aquitaine nord-Garonnaise ? Elle a, dès le premier tiers du VIIe siècle, toutes les structures nécessaires pour contribuer à sa propre histoire. Bien que ne représentant pas un cas unique, elle est l'une des premières régions du territoire des Francs à révéler son organisation, ses traditions.

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Les rois francs

Les rois goths

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NOTES

1. Grégoire de Tours. « Historiarum Decem Libri », L. IX ch. 7 et 20, ed. B. Krusch, Monumenta Germaniae Historica, (ensuite dits M.G.H.) Scriptores Rerunt Merowingicarum, I. 1, 1885, pp.283 448. « Wascones vero de montibus prorumpentes in plana descendunt, vineas agrosque depopulantes, domos tradentes incendie nonnullos abducentes captivos cumpecoribus », et « Pari condicionr, civitates Meldus et duas porciones de Silvanecti, Thoronus, Pectavis, Abrincatis, Vico Julii. Consorannis, Laburdo et Albige domnus Childebertus rex cum terminibus a praesenti die suae vindicit potestate. » La traduction se trouve plus loin, dans le texte. 2. M. Rouche. L'Aquitaine des Wisigoths aux Arabes, Paris 1979, à la suite de beaucoup d'autres. 3. R. Mussot-Goulard, Les Princes de Gascogne, Marsolan, 1982. 4. R. Mussot-Goulard, Histoire de la Gascogne, P.U.F., 1996. 5. Par exemple le long séjour dans le sud des Gaules, après Vouillé, de Geisalic, fils aîné d'Alaric II suivi de sa mort dans les régions rhodaniennes. 6. « Concilia Galliae », ed. Ch. De Clercq, Corpus Christianorum, series latina, 148, Turnhout, 1963, pp.4-19 7. « Vitæ Patrum » (vie de saint Quintien), IV, 2, ed.B. Krusch, M.G.H. Scriptores Rerum Merowingicarum. 1, 2. Berlin 1885. IV, 2, p.675. 8. Grégoire de Tours op. et ed. cit. livre V chapitres 33 et 34. Année 580 : « La ville de Bordeaux fut secouée d'un tremblement de terre qui ébranla les remparts de la cité... Ce tremblement se répandit jusqu'en Espagne... des sommets des Pyrénées roulèrent d'immenses blocs de pierres qui renversèrent les troupeaux et les hommes... Ces prodiges furent suivis de près par une épouvantable épidémie… » . Peste que souligne également, en 583. en Espagne, Maxime de Saragosse, « Chronicon » ed. J.P. Migne, Patrologie latine, t. 80 cc.625-630. Sur « l'imposteur » que Grégoire dépeint comme un ivrogne nauséabond, de langage grossier, de costume extravagant, Grégoire de Tours, op. et ed. cit.. L. IX, chap. VI. Sur le rôle d'Aménas et l'affaire Gondovald, Ibidem, L. VIII, chap. 28, et L. VII chap. 35. 9. Grégoire de Tours. Livre IX chap.7, voir première partie de la note 1. La première mention de la Wasconia se situe en 581, voir note 11. 10. Maxime de Saragosse op. et ed. cit. Anno 579 « Ingundis, Sigeberti et Brunehildis Franciae regum ftlia. virgo pulcherrima. sexdecim annos nata, ex Francia in Hispaniam deducitur, eam comitantibus Euphemio metropolitano episcopo multisque viris palatinis Hispaniae et Franciae et episcopis, videlicet Fortunato Piclaviensi. Salvino Albigensi. Faustiano Aquensi, Beltrano Burdegalensi et Gregorio Turonensi qui in presentia istorum, Toleti aede sanctae Mariae, nubit Hermenegilde in ipso anni principio ». « Ingonde, fille de Sigebert et Brunehild rois des Francs, vierge très belle agée de seize ans fut conduite de France en Espagne. L'accompagnaient l'évêque métropolitain Euphémius et de nombreux personnages du palais tant d'Espagne que de France ainsi que les évêques Fortunat de Poitiers. Salvien d'Albi, Faustien de Dax, Bertrand de Bordeaux cl Grégoire de Tours qui en présence des mêmes la maria à Herménégild au début de la même année en l'église Sainte-Marie de Tolède ». 11. Grégoire de Tours, op. et ed. cit. Livre VI, chap. 12 : « Quant au duc Bladaste. il partit en Wasconia et perdit la plus grande partie de son armée « en 581. Rien ne dit contre qui Bladaste guerroyait au nom de Chilpéric. En 587, Livre IX chap. 7, 8 pour Ennodius et Austrovald. 12. Renée Mussot-Goulard, « Marginalité et intégration des Gascons dans le monde franc » in Minorités et marginaux en Espagne et dans le midi de la France, C.N.R.S., 1986, pp. 15-32. 13. Les différents passages relatifs à la vie de Sertorius fournissent quelques indications sur la société et la culture des Vascones. Les enquêtes archéologiques seraient les bien venues pour connaître l'habitat, la vie quotidienne, et peut-être expliquer le qualificatif « fibularenses » des

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habitants de Calagurris. On n'a pas retenu ici le subterfuge d'Isidore de Séville. Ervmologiarum Libri XIV, (IX 107) qui, pour des raisons bien compréhensibles en son temps veut confondre les Vascones et les Vaccei. Une lecture attentive des auteurs anciens nous a permis de conclure à l'existence de deux peuples distincts. Nous ne reviendrons plus sur cette question (voir note 12). 14. Strabon. Géographie, ed. F. Lasserre, 1966, livre III, 4.9. « Ilerda et Osca dépendent des Ilergètes. C'est dans ces deux villes que Sertorius livra ses derniers combats ainsi que dans celle de Calagurris. chez les Ouaskoonooï et sur la côte à Tarragone... Par ces villes (Osca et Ilerda) passe la route qui de Tarragonc conduit aux derniers peuples Ouaskoonooï riverains de l'Océan, par Pompe lona/Pampelune et jusqu'à Oyarzun. Cette route s'arrête à la frontière entre l'Aquitaine et l'Ibérie... Le peuple des Ouaskoonooi avec la ville de Pompelona, c'est-à-dire la ville de Pompée » Pour le genre de vie montagnard. Ibidem Livre III. 3. 7. 15. Tite-Live, Histoire Romaine, ed. P. Jal, pp. 214/218. Lucius Annaeus Florus, Tableau de l'histoire du peuple romain de Romulus à Auguste, ed. P. Jalabert, 1967. Livre II, 10, reprend le récit de la guerre de Scrtorius et précise que depuis 27 av. J.C. les peuples des montagnes se rendent aux assemblées dans les villes de plaine. Valère-Maxime, Neuf livres des faits et paroles mémorables, Livre VII, 6, 3, ed. et trad. M. Nisard.,1864. p. 747, fait le portrait des Calgurritains : « Il n'est pas de serpents ni de bêtes féroces que l'on puisse leur comparer ». Juvénal, Satires, ed. P. de Labriolle, F. Villeneuve, 1971 puis J. Gérard, 1983, accorde un regard différent aux Calagurritains qu'il nomme Vascones, Satura XV, pp. 192/193 : « ... Quisnom hominum veniam dare quisve deorum urbibus abnueret dira atque inmania passis... » ? (Quel homme ou quel dieu refuserait le pardon à des villes qui ont souffert de tels maux ?). Puis il ajoute au vers 113 : « Nobilis ille tamen populus.... » (Ce noble peuple…) 16. César, Commentaires sur la guerre des Gaules, Livre III chapitres 20 à 22 pour les combats de Sos, puis chap. 23 : « Les Barbares., envoient des députés aux pays d'Espagne Citérieure voisine de l'Aquitaine Ils choisissent des chefs parmi les guerriers qui avaient longtemps combattu avec Quintus Sertorius et qui passaient pour très habiles dans la tactique militaire. Ils avaient l'art de prendre position, de se fortifier, de couper les vivres aux ennemis, de tenir les routes... » 17. Paul Orose ignore le nom des Vascones. Sa géographie suit de près Polybe, et sa guerre de Sertorius doit tout à Pline et à Valère-Maxime. Historia adversum paganos, Libri I, V, VI et pour Calagurris Liber V chap. 24. ed. J.P Migne, Patrologie Latine, t. 31, C. 35. Il est en revanche précieux pour l'histoire événementielle de son temps. 18. Tacite, Historiarum Libri V, Liber IV, c h. 33 ed. H. Goclzer, 1939, p.243 : « Vasconum lectae a Galba cohortes ac tum accitae, dum castris propinquant, audito proeliantium clamore intentos hostis a tergo invadunt latioremque quam pro numero terrorem faciunt, aliis a Novaesio, aliis a Mogontiaco universas copias advenisse credentibus ». 19. Caius Plinius Secundus. Hisioriae Naturalis Libri XXXVII, L. IV, 34, : « A Pyrenae per Oceanum, Vasconum saltus, Olarso... » et L. III, 22, « ... recedentes radice Pyrenaei. Ausetani, lacelani perque Pyrenacum Cerretani, dein Vascones... » et L. III, 24. la liste des représentants des villes au Conventus de Saragosse. ed. Loebb, 1957, p. 20. 20. Ptolémée. Géographie. L II. 6,10, et 6,66. ed. Firmin Didot, 1883 pp. 148 et 189/191. 21. Ausone, lettre XXIX à Paulin, vers 51/52, « Vascones hoc saltus et ninguida Pyrenaei Hospitia et nostri facit hoc oblivio caeli ? » Paulin, lettre X à Ausone, vers 205/231 plus particulièrement. Epistulae, ed. W. Hartcl. Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, n° 29.1894. L'auteur tente d'apaiser la vision effrayante du saltus : « Si vascone saltu quisquis agit punis.... » et remarque que ce saltus de Vasconia (une des premières mentions de la Vasconia aux années 390) est la première région d'Espagne rencontrée en venant des Gaules « Vasconiae saltus et ninguida Pyrenaei obicis hospitia in primo quasi limite fixus Hispaniae regionis... » 22. La seule définition acceptable des Germains est celle qui a été donnée par un de leurs contemporains. Paul Diacre, témoin de l'arrivée du peuple « germanique » des Lombards, «

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Historia Langobardorum » ed. G. Barni. 1975. Nom (formé sur Gê, la terre,) désignant des hommes vivant à l'état de nature, proches de la terre, des arbres, des eaux. 23. E.A. Thompson, « Peasant revolts in late roman Gaul and Spain », Past and Present, 2, 1952. 24. Les événements de 443, 449 et 454 sont rapportés par Hydace, Chronique, ed. A. Tranoy. 1974. aux paragraphes 128. p.139 : 140. p. 143 ; 158, p.149. Le pillage suève est indiqué en ces termes : « Rechiarius, accepta in conjugium Theodorici regis filia, auspicatus initium regni Vasconias depraedatur mense februario » (Rechiarius, ayant accepté la fille du roi Théodoric comme épouse, inaugura son règne en ravageant les Vasconias). Pour les campagnes ordonnées par Euric, « Chronica Gallica », paragraphe 651, ed. Th. Mommsen. M.G.H. Auctores Antiquissimi, IX Berlin. 1892 p. 664. 25. Taïon, évêque de Saragosse. « Sententiarum Libri Quinque », Praefatio, ed. J. P. Migne. Patrologie latine, t. 80 c.727 : En 649, les Vascones et le goth Froia contre le roi Receswinth. 26. Description de l'« honor » du diocèse de Labourd à l'orée du XI e siècle (charte d'Arsieu) A.D. Pyrénées Atlantiques G.l. 27. Frédégairc. « Chronique » ed. J. P. Migne. Patrologie Latine, t.71 c.622 et 623. Un condensé de renseignements : Eo anno (612), mortuo Betterico. Sisebodus successit in Spaniae regnum, vir sapiens et per totam Spaniam laudabilis valde, pietate plenissimus. Nom et adversus manum publicam fortiter dimicavit. Provinciam Canlabriam Gothorum regno subegit, quam aliquanto/aliquando Franci possiderant Dux, Francio nomine, qui Cantabriam tempore Francorum subexerat, tributa francorum regibus multo tempore impleverat. Sed cum a parte imperii fuerat Cantabria revocata a Gothis, ut supra legitur, praeoccupatur. et plures civitates ab imperio romano Sisebodus in littore maris abstulit et usque fondamentum destruxit….. Confirmatum est regnum Gothorum in Spania per maris littora usque montes Pyrenaeos. C'est-à-dire : Cette année-là, Witteric étant décédé, Sisebut lui succéda sur le trône d'Espagne, homme sage et loué par tous en Espagne. Il se battit contre la puissance publique établie et soumit au royaume des Goths la Cantabric que, à plusieurs reprises/depuis longtemps, les Francs avaient possédée. Le duc appelé Francio qui gouvernait la Cantabric au temps des Francs avait envoyé pendant lontemps des tributs aux rois francs. Mais la Cantabric fut reprise par les Goths comme nous l'avons dit et Sisebut arracha plusieurs forteresses au pouvoir impérial sur le littoral maritime et les détruisit jusqu'aux fondations Le royaume des Goths fut ainsi affermi en Espagne, le long de l'Océan jusqu'aux monts Pyrénées. » Le duché cantabrique franc du VIe siècle est cartographié à la dernière page du livre de S. Teillet. Des Goths à la nation gothique. Paris 1984. Il s'étend vers l'Ouest jusqu'à Ovicdo, Leon puis gagne l'Est vers Logroño et Jaca. On signalera aussi la correspondance du pape Grégoire le Grand avec les rois francs dans une renaissance de l'idée impériale chrétienne à leur profit : Epistula VI, 4, ed. P. Ewald et L.M. Hartmann, Monumenta Germaniae Historica. Epistulae, t. 1, Berlin, 1887. 28. Juan de Biclar, « Chronica ». ed. Th. Mommsen. M.G.H., Auctores Antiquissimi, t. XI, 2. Berlin, 1894, p. 213 : (année 574) « His diebus. Leovigildus rex Cantabriam ingressus provinciae pervasores interfecit. Amaiam occupat, opes eorum pervadit et provinciam in suam revocat dicionem » Juan de Biclar, goth convert au catholicisme et bientôt évêque, est un admirateur de Léovigild dont il suit les actions, dans sa chronique, d'un bout du règne à l'autre. Pour le titre de duc de Cantabrie et Vasconie chez les Goths, A. Barbero et I. Loring, Historia de España t. 2,1989 et J. Orlandis, Historia del reino visigodo español, 1988 carte p.86. 29. Grégoire de Tours, Decem libri historiarum, ed. cit. L. VIII ch. 35. 30. Franci Burdigalam obtinuerunt... captoque Suatrio Gothorum duce » ed. Th. Mommsen, M.G.H. Auctores Antiquissimi, t. IX, Berlin, 1891. p. 333 31. Cette succession des possesseurs du Bordelais et de Dax est établie à partir des présences épiscopalcs auc conciles et selon l'« Histoire des Francs » de Grégoire de Tours (ed. cit). qui suit avec beaucoup de précisions les événements dont il fut contemporain. Plusieurs titulaires sont connus pour ce comté, sans oublier la célèbre référence : Venance Fortunat, Carmina, ed. F Levison, M.G.H. Auctores Antiquissimi. t. IV. Opera Poetica. Hanovre 1881, carmen X, à Galactoire : burdegalensis eras et cum defensor. amator.....

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judicio regis valuisti crescere judex.... debet et ipse potens ut adhuc bene crescere possis praestet ut arma ducis qui tibi restat apex ut patriae fines sapiens tuearis et urbes adquiras ut ei qui dat opinta tibi Cantaber ut timeat. Vasco vagus arma pavescat atque Pyrenaeae deserat Alpis opem... C'est-à-dire : « Tu étais le défenseur (titre) cl l'ami (litre) de Bordeaux, et tu avais géré dignement ces deux dignités lorsque le jugement du roi te fit comte. Ce que la renommée avait reconnu à tes mérites, la parole royale te l'a donné. Il doit encore, ce roi puissant, te permettre de continuer. Qu'il te confie les armes de duc pour que tu défendes les frontières de la patrie, que tu gagnes des villes et que le Cantabre craigne., que le Vasco insaisissable rende les armes et livre la richesse de sa montagne pyrénéenne à celui qui te comble de biens. « Mais l'on peut préférer la traduction de M. Rouche, op. cit. p. 505, ou celle de M. Fauriel « La Gaule méridionale » 1836,1.2, p.365, ce qui ne change rien au sens général du texte. 32. Juan de Biclar, op. cit. ed. cit. p.216, : année 581 : Leovigildus rexpartem Vasconiae occupat et civitatem quae Victoriacum nuncupatur condidit. « Le roi Léovigild occupe une partie de la Vasconia et fonde la cité aujourd'hui appelée cité de la victoire ». Identification de la civitas victoriaca avec Iruña par A. Barbero et A Vigil, Sobre los origenes sociales de la Reconquista. Madrid, 1975. 33. Reprise de la loi d'Euric (dans les Gaules de 466 à 476) par Léovigild (dans les Espagnes de 568 à 587). On ne prendra qu'un exemple parmi le nombreuses mentions. » Liber Judiciorum « cd. K. Zeumer M.G.H.. Leges Visigothorum, Berlin 1902. p.369 « Antiqua : Hoc justum eligimus ut, per singulas civitates vel castella quicumque erogator fuerit constitutus, cornes civitatis vel annone dispensator (in castellis) annonam quant ei daturus ex integro in civitate vel castello jubeat exiberi et ad integrum eis restituere non moretur... » C'est-à-dire : « Loi ancienne : Nous tenons pour juste, dans chaque cité ou château où un responsable de l'annone est établi, que le comte de la cité ou le dispensateur de l'annone distribue sans retard et en totalité dans les cités ou les châteaux, l'annone qui lui est confiée ». 34. Venance Fortunat. op. et ed. cit.. Carmen IV. 1 à Chilpéric : « Quem Gela, Vasco tremunt, Danus. Enthio. Saxo. Britannus... » et à Justin II. « Germanus. Batavus... ». 35. Voir la note 31 pour le duché de Bordeaux. 36. Par exemple au temps de Recared, en 621 avec Swinthila etc.., selon Isidore de Séville, » Historia Gothorum », paragraphes 54, 59, 63 ed. Th. Mommsen, M.G.H.. Auctores Antiquissimi, t. XI, Berlin. 1894, pp. 289. 292. Pour les événements de 649, voir le texte de Taïon déjà cité, note 25 37. Isidore de Séville, op. et ed. cit. paragraphe 59, p. 291. Isidore écrit régulièrement Vascones sauf dans la mention du combat de Gundemar. Il s'agit de la première campagne contre le duché franc du littoral, placé par Frédégaire « après le décès de Witteric » ce qui fait l'année 610, combat poursuivi et achevé par Sisebut contre les Cantabres en 612, selon Frédégaire et aussi Isidore, ibidem § 61, p. 291. Julien de Tolède, « Historia Wambae », anno 673, ed. B. Krusch, M.G.H. Scriptores Rerum Merowingicarum, t. V, Hanovre, 1910 pp 500 et sq. 38. Frédégaire. op. et ed. cit. § 603/604, c. 617/618. : « Eo anno Theudebertus et Theudericus exercitum contra Wascones dirigunt, ipsosque, Deo auxiliante, dejectos suae dominationi redigunt, et tributarios faciunt. Ducem super ipsos, nomine Genialem instttuunt. qui eos feliciter dominavit ». 39. Ibidem, § 608/809, c. 621/622. 40. Ibidem, § 633/634, C. 642. Voir la note 47 qui comprend le texte complet 41. Ibidem : « Eo anno, Palladius ejusque filius Sidocus, episcopus Aelosani, incusante Aighynane duce, quod rebellionis Wasconorum fuissent conscii. exsilio retruduntur ». Cette même année, Palladius et son fils Sidoc évêque d'Eauze furent accusés par le duc Aeghyna d'être d'accord avec la rébellion des Wascones, et ils furent condamnés à l'exil »

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42. Frédégaire, « Chronique », ed. cit. § 632, c. 641, « rebellionis Wasconorum » et § 648, c. 654, « cum Wascones fortiter rebellarent » 43. Edit de Clotairc II ed. A. Boretius, M.G.H.. Legum Sectio. II. Capitularia Regum Francorum, t. 1. Hanovre 1883, p. 23. 44. Frédégaire, op. et ed ; cit. § 649, c. 654 : « ... Aigyna ex genere Saxonum... » Il semble cependant que quelques Saxons aient tenté de s'enraciner dans la région. Grégoire de Tours cite le cas de « Childéric le Saxon... réfugié dans la ville d'Auch où se trouvait une propriété de sa femme » op. et ed. cit. livre X, chapitre 22. 45. Concilium Clippiacense, ed. F. Maassen, M.G.H.. Concilia. t. I. Concilia Aevi Merovingici, Hanovre 1893, pp. 197 et 200. 46. Frédégaire. op. et ed ; cit. § 646. c. 652 47. ibidem. § 633/634, c.642. « Cumque regnum Chlotharii tant Neptrico quant Burgundiae a Dagobertofuisset praeoccupatum, captis thesauris et suae ditioni redactis, tandem misericordia motus, consilio sapientium usus, citra Ligerem et limitent Spaniae,s qui ponitur partibus Wasconiae, seu et montis Pyrenaei pagos et civitates, quod fratri suo Chariberto ad transigendum ad instar privato habitu ad vivendum potuisset suffîcere. noscitur concessisse ; pagum tholosanum, catorcinum, agennensem, petrocoreum et sanctonicum, vel quod ab lus versus montes Pyrenaeos excluditur, hoc tantum Chariberto regendum concessit. quod et per pactionis vinculum strinxit, ut amplius Charibertus nullo tempore adversus Dagobertum de regno patris repetere praesumeret. Charibertus sedem Tholosae eligens, regnat in parte provinciae Aquitanicae. Post annos tres postquam regnare coepisset, totam Wasconiam cum exercitu superans, suae ditioni redigit, aliquantulum largius fecit regni sui spatium ». « Comme Dagobert avait occupé par avance le royaume de Clotaire tant en Neustric qu'en Bourgogne, et qu'ayant pris ses trésors il les avait mis en sa possession, poussé cependant par la miséricorde et selon le conseil des sages, il fait savoir qu'il concédait à son frère Charibert tout ce qui s'étend de la Loire au limes d'Espagne, dans les régions de la Wasconia, les comtés et cités de la montagne pyrénéenne, et cela afin que, comme l'on fait en privé, il ait de quoi vivre, Il donna en outre les comtés de Toulouse. Cahors, Agen. Périgueux et Saintes et ce qui s'étend de là aux monts Pyrénées, à Charibert et cela afin qu'il le gouverne, et il se l'attacha par un pacte selon lequel il renonçait à demander plus de l'héritage de son père. Charibert choisit Toulouse comme résidence et de là il règne sur une partie de la province d'Aquitanique. Trois ans après le début de son règne, tenant militairement la Wasconia tout entière, il la soumit en son pouvoir ce qui agrandit quelque peu le territoire de son royaume » 48. Ibidem. § 633, c. 641/642. 49. Ibidem, § 635, c. 643 50. Ibidem, voir la fin de la note 47. 51. « Vita Sancti Amandi », rédaction par son disciple Baudemund, ed. B. Krusch, M.G.H. Scriptores Rerum Merowingicarum, t. V. Hanovre 1910. p. 438. 52. Frédégaire. op. et ed. cit ?. § 637. c. 647. 53. Ibidem. § 641 c. 648. « Anno IX Dagoberti. Charibertus rex moritur. relinquens filium parvulum nomine Chilpericum qui nec post moram defunctus est. Fertur factione Dagoberti fuisse interfectus. » « La neuvième année de règne de Dagobert (comme roi d'Austrasie avant le décès de son père), Charibert mourut laissant un jeune enfant nommé Childéric qui ne lui survécut guère. On dit qu'il fut tué par la faction de Dagobert ». 54. G. Tessier. ed. Recueil des actes de Charles II le Chauve, Paris, 1955 acte n° 465 pp. 536 à 545., le 21 Janvier 845 à Compiègne. Voir notre utilisation de cette charte, « La vicomté de Soule », Le Pays de Soule, ed. Izpegi, Baïgorri, 1994. 55. Frédégaire. op. et ed. cit. § 641, c. 648 : « Omne regnum Chariberti. una cum Wasconia, Dagober- tusprotinus suae ditioni redigit. Thesauros quoque Chariberti Baronto duci adducendum et sibi praesentandum direxit. Unde Barontus grave dispendium fecisse dignoscitur, una cum thesaurariis faciens, nimium exinde fraudulenter subtraxit. » « Dagobert réduisit aussitôt le royaume de Charibert, ainsi

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que la Wasconia en son pouvoir. Il ordonna au duc Baronte de lui apporter les trésors de Charibert Mais celui-ci fit, on le sait, une importante ponction, car agissant avec les trésoriers, il en enleva une grande part. » 56. Ibidem. § 649, c. 654. : « Anno XIV regni Dagoberti, cum Wascones fortiter rebellarent et multas praedas in regno Francorum quod Charibertus tenuerat facerent.... ». « La XIVe année du règne de Dagobert. alors que les Wascones se soulevaient avec force et commettaient de multiples dommages dans le royaume des Francs qu'avait tenu Charibert.... » 57. Ibidem. § 650. c.654/655. 58. Ibidem, § 649. c. 654 : « ...In Wasconiam cum exercitu perrexissent et tota Wasconiae patria ab exercitu Burgundiae fuisset repleta. Wascones de inter montium rupibus egressi ad bellum properant... ». « Comme l'armée parvenait en Wasconia et qu'elle occupait la totalité de la patrie Wasconia, les Wascones, sortant des montagnes, s'avancent pour le combat » La tactique de guerre est par la suite complètement exposée. Les guerriers tendent un piège à l'assaillant, donnant l'impression d'un pays mal défendu et l'armée de Dagobert se déploie largement. Les hommes sont concentrés dans la montagne. Puis ils surgissent, le combat se déroule, et tournant le dos, les guerriers donnent l'impression de fuir, l'ennemi croit tenir la victoire, mais les guerriers se dirigent de nouveau vers une vallée, ici la Soule. En embuscade sur et dans les rochers, ils fondent alors sur l'ennemi qui les poursuit. Frédégaire a reçu ses informations de vive voix d'anciens de l'armée de Dagobert, avec une extrême précision. 59. Voir la note 61. in fine. 60. Pour les Goths : H. Wolfram, Histoire des Goths. Paris. 1990. Pour les Francs, P. Périn. Les Francs. 2 vol., Paris 1987. 61. Frédégaire op. et ed. cit.. § 651. c.655/656 : « Anno XV regni Dagberti. Wascones omnes seniores terrae illius, cum Aigine duce, ad Dagobertum Ciippiacum venerunt, ibique in ecclesia domni Dionysii regio timore perterriti confugium fecerunt. Clementia Dagoberti vitam habent indultam : ibique sacramentis Wascones firmantes simul et promittentes se omni tempore Dagoberto et filiis suis regnoque Francorum fideles fore, quod more solito, sicut saepe fecerant, posthac probavit eventus. Permissu Dagoberti Wascones regressi sunt in terram Wasconiae ». « La XVe année du règne de Dagobert, tous les seniores de la terre des Wascones, ainsi que le duc Aeghyna, vinrent auprès de Dagobert à Clichy. Remplis de crainte, ils cherchèrent refuge dans l'église de saint Denis. Ils eurent la vie sauve par la clémence de Dagobert. Ils prêtèrent alors serment et en même temps promirent d'être toujours fidèles à Dagobert, à ses fils et au royaume des Francs, ce qui se vérifia par la suite comme ils l'avaient toujours fait. Dagobert permit aux Wascones de rentrer dans la terre de Wasconia. »

INDEX

Thèmes : histoire Index géographique : Aquitaine, Gascogne Index chronologique : Moyen-Âge Mots-clés : Neuf Peuples

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AUTEUR

RENÉE GOULARD

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Les origines labourdines d'Anglet

Manex Goyhenetche

1 En 1765 Anglet était une paroisse rurale de 300 « feux » (maisons) soit environ 1500 habitants. En 1906 la communauté d'Anglet gardait encore un caractère rural avec une population de 5694 habitants dont la majorité était composée de laboureurs, de cultivateurs, de jardiniers, d'horticulteurs, de blanchisseurs (ses). Aujourd'hui, avec près de 36 000 habitants, Anglet est devenue la seconde ville du Pays Basque. L'ancienne campagne s'est brusquement transformée en espace urbain, entraînant mutations sociologiques, altérations du paysage urbain et de l'environnement. Des anciennes maisons, il ne reste parfois que des noms de lotissements et de résidences : Chabiague, Courbois, Plaisance, Lesterlocq, Camiade, etc.

2 Le développement démographique est le résultat du solde des flux migratoires qui ont conduit à Anglet les habitants des régions environnantes (Landes, Béarn, Bigorre, Pays Basque). Aujourd'hui encore plus qu'hier le brassage des populations aux origines géographiques diverses est évident. Mais au-delà des aléas de l'histoire, les habitants d'Anglet, à travers les différentes époques et quelle que soit la langue des locuteurs, se sont considérés dans le territoire historique de leur pays d'adoption : le Labourd. 3 Voici tracés à grands traits quelques aperçus qui rappellent les liens d'Anglet avec son territoire historique : le Labourd.

1. ÉPOQUE MÉDIÉVALE : les maisons nobles d'Anglet et la cour du vicomte de Labourd

4 Quatre maisons nobles d'Anglet apparaissent dans la composition de la cour du vicomte de Labourd qui siégea à Bayonne du XIe au XIIIe siècle : Brindos, Sincos, Urcos, Naubeis.

5 Leurs noms sont mentionnés dans le Livre d'Or, qui contient les titres de propriété de l'église et de la cathédrale Sainte-Marie de Labourd (c'est le premier nom historique). Ce sont des textes latins et gascons qui vont du Xe siècle au XIVe siècle. Voici les dates respectives de mention de ces maisons nobles dans le Livre d'Or : 6 Brindos : 1083, 1149, Sincos : 1141, 1149, 1150, 1194, Urcos : 1149,1198, 1199, Naubeis : 1150-1170.

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7 Il faut ajouter à cette liste le nom de la maison noble de Belai (Livre d'Or, année 1198) ; aucun document ne signale la présence de cette maison dans la cour du vicomte de Labourd. 8 Les documents les plus explicites sur ces anciennes familles labourdines sont du XIIe siècle. 9 C'est ainsi que nous avons le premier texte d'une transaction à l'amiable datant de 1141 sur la jouissance des droits des moulins de Sincos et de Balichon. L'original est en latin dans le Livre d'Or : 10 « Ainsi donc, tous les fidèles qui ont contribué à l'édification de l'église de Labourd dans les temps modernes, nous les recommandons à la mémoire des futures générations. Moi, Arnaud L., indigne serviteur de l'Eglise de Bayonne par la grâce de Dieu, je donne à la Bienheureuse Marie de Bayonne et aux chanoines qui y servent Dieu le moulin que j'ai fait dans Aumufale ; moulin dont le chanoine Guillaume reçoit deux parts et moi trois parts. Moi Guillaume archidiacre et chanoine de l'église de Bayonne, pour le salut de mon âme et pour l'âme de mon frère Sanche, je donne à cette même église de Bayonne ces deux parts du moulin dont nous avons parlé. Moi, Bernard, chanoine de l'Eglise de Bayonne, pour la rémission de mes péchés et avec le consentement et l'accord de seigneur Bertrand, Vicomte, je donne à la même église de Bayonne le verger que je possède sur la route d'Amufale. Moi Arnaud chanoine de l'église de Bayonne, pour la rémission de mes péchés, je donne à la même église la moitié du moulin qu est situé sur la route de Sincos ». (Traduit du texte original latin avec l'aide de Piarres Charriton). 11 Commentaire

12 1. Le texte original latin utilise l'expression « molendinum in Aumu fala » pour désigner le moulin qui ultérieurement prit le nom de Balichon. Falum désignant en latin une « tour », il se peut très bien que Aumufala signifie la « tour d'Aumu », « d'Amu ». 13 2. « L'église de Labourd » (ecclesia Laburdensi) désigne Notre-Dame de Labourd, ou Sainte-Marie de Labourd, dénomination officielle de la première église romane de Bayonne ; c'est sur son emplacement que fut construite à partir du XIIIe siècle l'actuelle cathédrale qui garde la même dénomination (Notre-Dame de Labourd.) 14 3. Le « seigneur Bertrand, vicomte » est le vicomte de Labourd, Bertrand (1124-1169) qui épousa Atharessa, fille du vicomte d'Arberoue ? 15 4. « L'évêque Arnaud L. » désigne sans doute Arnaud Loup, prénom très utilisé en Pays Basque à cette époque. Cet évêque avait fait construire le moulin d'Amufale. 16 5. L'expression « tous les fidèles qui ont contribué à l'édification de l'église de Labourd dans les temps modernes » (quique fideles ecclesie contulerunt Laburdensi modernis temporibus) fait allusion à la contribution de tous les fidèles du Pays Basque pour l'édification de l'église de Labourd, notamment ceux de l'Arberoue. 17 6. En fin de compte trois catégories de personnes apparaissent dans ce texte : le vicomte de Labourd, l'évêque et les chanoines de la cathédrale du même nom, les chefs de maisons nobles, ici Sincos sise à Anglet. La mention de ces trois catégories de personnes s'explique par le fait qu'elles participaient au gouvernement du Labourd (vicomte, évêque, nobles). Les réunions se tenaient à Bayonne, soit au Castet du vicomte (il y en avait deux, dont subsiste l'actuel Château-Vieux), soit au palais épiscopal (sans doute dans la partie médiévale de l'actuelle bibliothèque municipale)1.

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18 Ajoutons par ailleurs que les anthroponymes Brindos, Sincos, Urcos, avec les terminaisons en os sont considédérés parmi les plus archaïques et correspondent à un substrat préroman, protobasque. 19 Un autre document éclaire la situation géographique d'Anglet dans le territoire du Labourd. Il s'agit d'une ordonnance établie en 1255 par Bernard de Podenzac, maire de Bayonne, pour réglementer la vente du poisson dans La Pointe (Lo Punte). cette langue de terre, de marécages plus exactement, qui s'étendait le long de la rive gauche de l'Adour lorsque le fleuve au cours capricieux se jetait à la mer vers le Port d'Albret à Capbreton. L'activité des pêcheurs, notamment la vente du poisson, y était réglementée par Bayonne qui tenait à défendre son monopole de Capbreton (Lo Punte) à Biarritz. Voici le texte transcrit dans le Livre des Etablissements : « Que todz hom qui entrera en le mar salade per pescar en ischira ab peics, deu arribar a le punte davant les cabanes de bert Labort ». TRADUCTION : « tout pécheur de mer salée, au retour de la pêche, arrivera avec son embarcation à la Pointe, devant les cabanes du côté de la terre de Labourd ». 20 La rive gauche de l'Adour, à partir du port de Hausquette (situé dans l'actuel emplacement de Blancpignon) comprenait les lieux-dits suivants : Hausquette, Gause (i) rans (appelé aussi Betenave), Lo Punte. Une abondante documentation, négligée par les chercheurs, existe : il suffit de consulter dans la série FF des archives municipales de Bayonne les numéros 463 et 464. Ces terres étaient l'objet de conflits incessants entre Anglet et Bayonne qui voulait y exercer sa juridiction pour conserver le monopole de commerce, mais sur le plan territorial elles étaient situées en Labourd. Il existe notamment le renouvellement en date du 4 mars 1514 de la transaction passée entre Bayonne et Anglet sur la jouissance des terres du « Boucau de la Pointe » au « barado de Gausserons ». La première transaction remonte au 18 juin 1395. Tous ces documents peuvent être consultés aux archives de la Bibliothèque municipale de Bayonne (FF 461, n° 2). Cet accord avait pour objet de réglementer le droit de pâturage et la pratique du carnal « suivant l'usage et coutume de ladite terre de Labourt ». 21 On voit par là combien sont anachroniques, sans fondement historique et erronées les affirmations avancées par l'association Aci Gasconha et Que Parlant « Guide conversation en gascon »2 : « Quand les rois Anglais (sic), Ducs de Gascogne, descendants d'Aliénor d'Aquitaine, furent vaincus (en 1451, ici), par le Roi de France, des paroisses gasconnes, comme Anglet, furent rattachées au Labourd ». (Professeur R. Cuzacq). L'histoire commence par l'exploitation méthodique des sources d'archives, et celles-ci, en ce qui concerne Anglet, renvoient toujours au territoire du Labourd, aussi loin que l'on remonte dans le temps, du moins jusqu'au Lapurdum de l'époque romaine.

2. ANGLET ET LES INSTITUTIONS DANS LES TEMPS MODERNES (XVIe-XVIIIe siècles)

22 Anglet a constamment tenu à relever de la juridiction du tribunal du bailliage de Labourd, et cela souvent contre les prétentions des autorités judiciaires sises à Bayonne. On le voit par exemple à travers le procès des limites de la maison Busquet rapporté dans le tome I des Registres français (Lamaignère, 1901) : Anglet défend les prérogatives et la juridiction « dudict pais et bailliage de Labourt » (voir les années 1555, 1568.

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23 Effectivement, sur le plan judiciaire, les habitants d'Anglet relèvent en première instance du tribunal de bailliage de Labourd sis à Ustaritz. Dans les nombreux conflits et procès qu'Anglet dut endurer avec Bayonne sur la question des limites à Balichon et le long de la rive gauche de l'Adour, l'assemblée paroissiale essaya, dans un premier temps, de ne pas reconnaître la compétence de l'intendant ou de son subdélégué installé à Bayonne et préféra toujours porter les affaires devant le tribunal de bailliage d'Ustaritz. C'est ainsi qu'en 1726 Jean Delgrès, gardien du pignada, mais au service de Bayonne, est « pignoré » et remis aux autorités du tribunal d'Ustaritz. La série FF des archives communales de Bayonne conserve sa correspondance pendant qu'il purgeait sa peine dans les geôles du tribunal d'Ustaritz, « baloté dans le tribunal d'Ustaritz où, estimait-il, je ne dois pas dépendre ». Mais Anglet ne l'entendait pas ainsi. 24 A Anglet tous les actes notariés étaient dressés conformément à la Coutume de Labourd confectionnée au début du XVIe siècle, et cela jusqu'en 1793. Régulièrement, le notaire, au cours de la rédaction de l'acte insère « suivant la coutume du présent pais de Labourt », « suivant la coutume du présent bailliage ». On peut suivre ces formules jusqu'en 1793. 25 Sur le plan administratif, à l'image de la plupart des communautés rurales d'Ancien Régime, celle d'Anglet était organisée en collectivité, selon une structure institutionnelle qui avait pour assise juridique la Coutume de Labourd dont l'article 4 du titre XX stipulait : 26 « Les paroissiens de chacune paroisse d'icelui pays de Labourd peuvent entr'eux s'assembler pour traiter de leurs besoins communs et de leur paroisse à chaque fois que besoin sera, et peuvent faire et ordonner entr'eux, statuts et ordonnances particulières pour entretenir et garder leurs bocages, padouans et pâturages, et ce, selon la loi vulgairement appelée la loi de saint Benoît, et autrement pour procurer de leurs négoces loisibles, au profit commun d'entr'eux et de ladite paroisse »2. 27 Donc, conformément aux dispositions de la Coutume de Labourd, la communauté d'Anglet avait le droit de s'organiser, de s'administrer elle-même, le droit de posséder des biens indivis (les terres communes), dans la solidarité des tâches et des obligations. D'ailleurs le chapitre XX de la Coutume avait pour titre : « Des libertés et franchises de Labourt ». 28 A l'échelle de la province, la paroisse d'Anglet participait au Biltzar de Labourd. On en trouve trace dès le XVIe siècle. Le Labourd étant un pays d'états, doté du Biltzar ou assemblée du Tiers Etat composée des représentants des paroisses labour-dines. Les archives communales de Bayonne conservent le procès-verbal du 24 janvier 1595 « fait au Bilçar de Labourt pour fournir des manoeuvres pour les fortifications de Bayonne »3 Parmi les délégués des autres paroisses du Labourd réunis « en plein bilsarre », on peut relever le nom d'Augeroy de Harlio, « abbé de la paroisse d'Anglet et Brindos ». 29 Tout au long du XVIIIe siècle (les archives des XVI e et XVII e siècles n'ont pas été conservées), on peut suivre à travers les registres des délibérations de l'assemblée paroissiale d'Anglet, le déroulement de cette institution labourdine. Les formules utilisées par le greffier chargé de la rédaction des actes de l'assemblée paroissiale sont en général les mêmes : « pour répondre aux propositions du Bilçar dernier », « ils ont pris lecture des propositions faites », « lesdits habitans donnent pouvoir au sieur abbé d'y répondre ». Parfois la tâche des rédiger les réponses est confiée au greffier (le notaire Pierre Dithurbide fut greffier à Anglet de 1730 à 1768) : « la communauté a délibéré que le greffier dressera les réponses » (11 mai 1732), « il a été délibéré que le Sieur Dithurbide notaire et

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greffier répondra auxdites propositions suivant le sentiment qu'il a entendu dans cette assemblée de la communauté » (14 mars 1745). 30 Anglet suit très sérieusement les affaires concernant le Biltzar du Labourd. Le 11 mai 1747, « les habitants assemblés (sont) au nombre d'environ deux cens répondant aux propositions du dernier bilçar ». 31 Ce même attachement aux institutions labourdines est manifeste lors de la crise de mars 1747 qui secoua le Biltzar du Labourd à l'occasion de la liquidation des comptes du syndic. Anglet rédige un long manifeste sur cette « méprise marquée et un abus considérable qui ne laisseroit pas de tourner mal pour l'intérest public », considérée comme portant atteinte à « l'honneur de la patrie » (ici il s'agit du Labourd). 32 Des désaccords, peuvent exister. C'est ainsi qu'en 1784 la paroisse d'Anglet est représentée par une femme au Biltzar, ce qui n'est pas accepté : « Avons rejeté la délibération de la Commune d'Anglet pour avoir été présentée à l'Assemblée par une femme, lui faisant inhibition et défenses de plus, à l'avenir, se servir dans des opérations semblables, des personnes sans caractère et sans qualité, ainsi qu'à toutes les autres communautés, qui, à l'exemple de celle-ci, pourraient se permettre de pareils écarts ».4

3. ANGLET ET LE BILTZAR EN 1789 : déjà le problème institutionnel

33 Anglet, à l'instar des autres paroisses du Labourd, fut concernée par la lettre de convocation aux Etats Généraux adressée par Louis XVI. Mais les Labourdins n'acceptèrent pas la forme de convocation. La lettre du 24 janvier 1789 avait été transmise par l'intermédiaire du Lieutenant général du sénéchal des Lannes au siège de Bayonne, ce que ne pouvait accepter le Biltzar du Labourd, qui réuni extraordinairement à Ustaritz adressa au roi une lettre de remontrance en date du 8 mars « considérant d'abord que le Labour forme en lui-même une province qui a ses chefs, ses assemblées, sa constitution, sa loy particulière, un bailliage royal ayant la connaissance des cas royaux »5.

34 Ce conflit revêt plusieurs aspects. Il s'agit d'une lutte de compétences entre les officiers de la Sénéchaussée de Bayonne et ceux du Tribunal de bailliage. Est en jeu aussi la représentation directe aux Etats Généraux. Par ailleurs, si on veut éviter tout anachronisme, ces événements sont à situer dans le contexte de la lutte multiséculaire entre Bayonne (plus exactement la bourgeoisie bayonnaise transformée en véritable oligarchie6, et toutes les paroisses environnantes. Voir dans cette lutte entre Bayonne et le Labourd un antagonisme d'ordre linguistique (entre Basques et Gascons) est purement et simplement un contresens historique. On le voit bien à travers l'histoire d'Anglet qui fut l'une des paroisses les plus virulentes contre Bayonne.7 35 Les Labourdins obtinrent une représentation directe grâce à l'intervention de Joseph Garat, par l'intermédiaire de Madame Suard, auprès de Necker. Le roi reconnut « qu'ils ont une administration particulière, indépendante de toute autre, un Bailliage ayant la connoissance des cas royaux, à la tête duquel un Bailli d'épée, et qu'à ce double titre, ils avoient lieu d'espérer qu'ils seroient convoqués aux Etats généraux, ou dans la forme des pays d'Etats »8. 36 De part et d'autre, tous les arguments- parfois contradictoires- furent utilisés. On peut extraire de l'ensemble des arguments des uns et des autres, tel ou tel passage, surtout si l'on veut démontrer une thèse. Ce ne sera toujours qu'une vue partielle de la

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problématique. On peut mettre en exergue ainsi l'une des deux thèses. Le Biltzar insiste sur sa « constitution particulière » et la situation de « Bayonne hors de son terrritoire » (protestation du 8 mars 1789). Bayonne veut prouver au contraire qu'elle « a un évêché dont le diocèse s'étend sur tout le Labourd et une partie de la Basse Navarre », que « Baronne est la capitale du Labourd », qu'on y parle parle même basque : « sans doute le Labourd a son idiome qui lui est propre, mais il est très connu à Baronne ! » (Mémoire établi par Bayonne). 37 Quel fut le contenu du cahier de doléances de la paroisse d'Anglet ? Quels problèmes furent débattus à l'assemblée paroissiale pour la préparation des Etats Généraux ? De 1778 à 1790, les registres des délibérations sont en déficit. 38 Par contre les propositions furent débattues et adoptées lors de l'assemblée d'Ustaritz tenue du 19 au 23 avril et dont une relation imprimée est conservée aux archives communales de Bayonne9. Le cahier adopté par le Tiers Etat du Labourd fut rédigé en deux langues (basque et français) et imprimé10. 39 Le Biltzar du Labourd se rassembla pour la dernière fois le 18 novembre 1789. Elle adopta six délibérations dont l'une (la cinquième) concerne la future organisation administrative : « Qu'il donne plein pouvoir au sieur Syndic de solliciter de l'Assemblée Nationale la maintenue de sa constitution actuelle, et de lui demander, dans le cas qu'il ne puisse y réussir, à être réuni aux provinces de la Basse-Navarre et de la Soule seulement, avec cette condition néanmoins que les assemblées de Département seront alternées dans les trois provinces basques »11. C'est donc en ces termes que fut posé le problème institutionnel. Le « député » d'Anglet, Pierre Salenave, a souscrit à cette délibération. Deux cents ans après le vœu n'est toujours pas exaucé et garde son actualité.

4. AU XXe SIECLE : LA DENOMINATION CÔTE BASQUE ET L'AFFIRMATION DES RACINES BASQUES

40 Pendant les dernières décennies du XIXe siècle l'espace côtier d'Anglet connut d'importantes mutations transformant progressivement le littoral. L'accroissement démographique et le développement urbain sensibles dès la Belle-Epoque entraînérent aussi des altérations sociologiques. Voici en quels termes fut débattue la question de l'identité historique et culturelle d'Anglet en conseil municipal le 4 mai 1913 :

41 « En raison de la persistance avec laquelle il est cherché depuis quelque temps à donner l'appellation de « Côte d'Argent » au littoral qui s'étend au sud de l'embouchure de l'Adour et de l'intérêt qu'il y a à conserver à cette région son appellation immémoriale de « Côte Basque » qu'elle doit à sa situation géographique et aux traditions de la race qui l'habite, suivant le désir exprimé par le Syndicat d'initiative du pays basque et sur la proposition de M. le Maire, 42 Le Conseil adopte la motion suivante :

43 Considérant que :

44 1°) Par ses caractères géologique, pittoresque et ethnique, le littoral situé à l'embouchure de l'Adour et à celle de la Bidassoa se différencie complètement du littoral qui s'étend de l'embouchure de l'Adour à celle de la Gironde, dénommé « Côte d'Argent ». 2°) Qu'il importe de ne pas comprendre sous une dénomination unique deux régions assez différentes,

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45 Le Conseil émet le voeu : Qu'en toutes circonstances, le littoral compris entre l'embouchure de l'Adour et celle de la Bidassoa conserve l'appellation de « Côte Basque » à l'exclusion de toutes les autres ».

5. L'ANCIENNE TOPONYMIE ET ANTHROPONYMIE BASQUE D'ANGLET

46 Au cours des lectures, on rencontre encore des énormités comme celle-ci : « La toponymie ancienne de Bayonne, Anglet, Biarritz, issue du peuple, est entièrement venue du gascon ». C'est l'affirmation que l'on peut lire dans le « préambule » de Que Parlam, « Guide de conversation » en gascon réalisé par l'association Aci Gasconha. Le préambule se termine par une lettre de soutien et d'encouragement de Michel Grosclaude, auteur d'ouvrages en onomastique.

47 La toponymie (étude l'origine des noms de lieux) comme l'anthroponymie (étude des noms de personnes) commence par la collecte documentaire, par l'établissement du corpus de documents (lieux, maisons, domaines documentés). En ce qui concerne la toponymie et l'anthroponymie d'origine basque à Anglet, voici quelques éléments glanés dans les archives et qui sont susceptibles d'entrer dans la constitution de ce corpus.

A. ÉPOQUE MÉDIÉVALE

48 Sources documentaires dépouillées : Livre d'Or (X e-XVe s., L.O.), Livre des Etablissements (XIIe- XVe s., L.E.), Registres gascons (R.G., XVe- XVIe s.).

49 Les noms Brindos, Sincos, Urcos, Belai ont déjà été mentionnés. Il faut y ajouter :

50 - Sutar : L.O. 1083 (Huzater), 1149 (Utsaturren), 1198 (Ucetarren), 1199 (Hucetarren). - Irandatz : L.O. 1149. - Andotz : L.O. 1149,1198. - Naubeis : L.O. 1083 (Nalbais) 1149, 1150-1170, 1189. - Montori : 1258 (Cartulaire de Saint-Bernard). - Hausquette : L.E. 1307, R.G., 1514, 1518 - Hondritz : L.O. 1149 (Onderitz, L.O. 1198 (Honderiz) - Navariz : L.O. 1198 (est-ce la même désignation que Naubeis ?) - Uhanbeiti : L.O. 1199 + - A(r)ritxague/Ha(r)ritx(z)ague : faut-il rapprocher de ce nom Urrecega (L.O. 1149), Urruzaga (L.O. 1150-1170, 1198) Urrusague (L.O. 1226) ? Arutsague (R.G. 1482) désigne bien Aritxague.

B. TEMPS MODERNES

51 Pour le XVIe siècle, les registres de baptêmes, mariages, sépultures font défaut. Mais on peut retrouver quelques sources documentaires à partir des archives bayon-naises, notamment la série FF qui conserve les procès intentés par (ou à) la ville. Nous avons déjà présenté le renouvellement, le 4 mars 1514, de la transaction passée entre Bayonne et Anglet sur la jouissance des terres du « Boucau de la Pointe » au « barado de Gausserons » et règlementant le droit de pâturage et la pratique du carnal « suivant l'usage et coutume

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de ladite terre de Labourt » (Archives de Bayonne. FF 461, n° 2). Ce texte contient aussi les noms des personnes composant la délégation d'Anglet : « Vidal de Lesbay. Peyronin de Hiriart. Sans Djhaussy, Berduc de Laborde. Sans Detcheverry, Etienne d'Aubergary, Pierre de Lagareyte ? Pierre de Laporte, Pierre de Hausseguy, Aranaud de Larrayre ?, Sans de Geneste » (de ici est un locatif). Les anthroponymes basques et gascons témoignent déjà du brassage des populations dans ce territoire de Labourd.

52 Pour le XVIIe et le XVIIIe siècles, les registres de baptêmes (B), mariages (M), sépultures (S) dont les microfilms peuvent être consultés à la Bibliothèque municipale de Bayonne, les registres des délibérations de l'assemblée paroissiale qui ont été conservés à partir de 1729, permettent la constitution d'un corpus substantiel. Nous nous contentons d'indiquer ici la première mention de noms de quelques familles d'Anglet dont l'anthroponyme est d'origine basque : 53 — Caparitz (B, 1617), Hausseguy (B 1613, orthographié Hausteguy B 1626, Harausteguy B 1628, mais est-ce le même nom ?), Saraspa (B 1614, orthographié ultérieurement Saraspe), Hiriart (B 1623), Harriet (B 1630), Darmandaritz (B 1615, orthographié ultérieurement Darmendaritz), Hitze (B 1615), Haritchart (B 1627), Hirigoien (B 1620), Mendiboure (M, 1664, Mendibourou dans M de 1696), Durcos (B 1615), Detcheviague (M 1671), Etchabiague (D 1678, orthographié aussi Chabiague), Etcheverry (B 1613), Daguerre (M 1672), Larrebat (M 1672), Harse (B 1623), Landalde (B 1613), Etchenique (M, 1690), Hirigoyen, B 1615), Hiribe(r)ry (B 1617), Sarricoette (B 1618), Harambillete (B 1620), Jaureguy (B 1620). Bastan (B 1622), Harambourou (B 1627), Locumberry (B 1634), Larregui (B 1680), Hiribeity (B 1616). Hiriberry (B 1627), Daraspide (M, 1707), Behoteguy (M, 1708), Garat (1709), Oyamboure (M, 1736, mais orthographié Hojamboure dans B 1613) Elicalde (M, 1691, Elisalde B 1693), Sabals (B, 1634), Bidi(e?)garay (B, 1635) Duhalde (B, 1650), Chegaray (B, 1662), Janchuri (B, 1690), Dameztoy (B 1690), Irigoin (B 1692), barre (B 1692), Argosse (B 1698), Landerretche (D 1693). 54 On peut compléter cette liste avec plusieurs toponymes d'origine basque et dont l'interprétation topographique ne fait aucun doute. Latxague (Latsaga signifie en basque « terrain de cours d'eaux »), Lohiate (nom de l'ancien emplacement du Refuge acheté en 1794 par le sieur Chateauneuf, comme on peut le lire dans le registre des délibérations municipales en date du 21 nivose An II). C'est autour du plateau de Latxague et Lohiate (devenu Châteauneuf, puis Refuge) que prend naissance le Maharin. Lit sens topographique de ce terme ne peut échapper à personne. Il suffit de se rendre près du moulin de Hausquette pour comprendre que sa signification est liée à la topographie et désigne en basque un « défilé », un « endroit étroit », éventuellement une « hauteur étroite ». Ce ruisseau était tellement encaissé qu'il prenait aussi le nom de « canal » que les riverains devaient entretenir. Le Maharin permettait 'acheminer biens et marchandises de l'Adour et du port de Hausquette (aujourd'hui Blancpignon) vers les hauteurs du Refuge et de Cinq-Cantons, et de là vers Biarritz ou les autres paroisses du Labourd. 55 En ce qui concerne le toponyme Aritx(z)ague/Ha(r)ritx(z)ague, il suffit de parcourir les registres des délibérations de l'assemblée paroissiale conservés à partir de 1729 : estan d'Aritzague (année 1730, 1732 par exemple). Seule exception : la « coquille » insérée sur le plan du cadastre de 1828 (Ritxague), mais l'orthographe correcte a été restituée dans le procès-verbal de ce même document consultable à la mairie d'Anglet12. Les auteurs d'Aci Gasconha et de Que Parlant 13 s'entêtent à vouloir donner à ce toponyme une origine gasconne, mais c'est en dépit de toutes les règles de l'enquête documentaire et

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de la linguistique. Haritzaga = haritz + aga = « chênaie ». Selon la même structure sont construits les termes basques Ametzaga (« bois de chênes-tauzins »), Leizarraga (« frênaie »), Fagoaga (« hêtraie »). Aga est un suffixe exprimant un « lieu », « emplacement », « endroit ». 56 Par ailleurs, il est désormais établi14 que le toponyme Gibraltar qui apparaît fin XVII e siècle, début XVIIIe siècle par suite du déplacement de l'embouchure de l'Adour et de la libération par les eaux de « sables nouveaux » a donné Chimberta, puis Chiberta. 57 Ce ne sont là que quelques éléments qui montrent qu'il y a une vieille toponymie euskarienne liée essentiellement au relief, à la topographie. 58 Ceci dit, il n'est pas question, évidemment, de nier la présence linguistique gasconne et l'anthroponymie qu'elle a engendrée. Pour comprendre le phénomène et le situer dans sa réalité historique, il faut aborder le domaine démographique. L'étude des registres de naissances et de mariages pour l'Ancien Régime, puis le dépouillement des recensements permet l'élaboration des courants migratoires. La démographie peut éclairer l'histoire des langues et des cultures. Anglet et les franges septentrionales du Labourd ont connu de bonne heure quatre flux d'immigration importants : les Landes, le Béarn, la Bigorre, le Pays Basque. Ensuite sont venues d'autres régions de France, à commencer par Paris et Bordeaux. Ces flux d'immigration béarnaise et landaise expliquent pourquoi il y eut et il y a une présence de locuteurs gasconophones à Anglet. Cette gasconnisation a engendré au cours des siècles de nombreux anthropo-nymes gascons, ou parfois des patronymes hybrides représentés à titre d'exemple par le nom Larrebat qui marie un élément basque (larre = « lande ») et un élément gascon (bat - « val »). Selon la même structure sont constitués en Basse-Navarre Lantabat et Ostabat. 59 D'autres anthroponymes hybrides témoignent du brassage des populations dans ce territoire de Labourd : junca de Ihancy (cadastre de 1828), Hilot de Hitce (ancienne maison Kraemer à Cinq-Cantons), etc. Capdebosc a son équivalent basque Doyamboure (de locatif) + oihanburu), de la même manière que (H)aritzague et Ducassou ou Etcheverry et Loustaunao, Sallaberry et Salenave. On peut relever tous ces anthroponymes basques/ gascons équivalents dans les registres des baptêmes, mariages, sépultures, ou ceux des délibérations de l'assemblée paroissiale. 60 Par contre ces mêmes documents d'archives n'apportent jamais le moindre fondement d'ordre historique à ceux qui veulent établir à tout prix une frontière linguistique (obsession héritée du XIXe siècle au même titre que l'anthropologie physique) entre un « Pays Basque » et une « terre gasconne ». Hors des manipulations cartographiques, Anglet est un territoire passionnant pour l'historien ou le linguiste qui veulent faire sérieusement leur métier. Ils y rencontreront un Haurramari (acte notarié de 1768), un Joan petit d'Etchabiague (registres des décès de 1678), un Joannes tipitoa de Sutarren (registre du 29 septembre 1747), un Pierre du Hilot de Hitze (1626), un Jouanes Haurra (1 er avril 1793), un Adamerena (registre des mariages du 17 février 1693), etc.

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NOTES

1. Bibliographie à consulter sur ce sujet, BALASQUE, Jules, Etudes historiques sur le Pays Basque. Bayonne. 1862, T. 1. p. 122. 2. A défaut d'une édition critique moderne, le texte utilisé est celui de HARISTOY, Pierre, Recherches historiques sur le Pays Basque, Bayonne, Lasserre, 1883, Laffitte Reprints, 1977. 3. Série FF 17, n° 41. 4. Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, C 123. 5. Pour l'ensemble des textes on peut consulter HOURMAT, Pierre, Bayonne et le Pays Basque au temps de la Révolution. Choix de documents. Première série l'année 1789. Publication de la Société des Sciences lettres et Arts de Bayonne, 1989. 6. Voir PONTET, Josette. « Ville et pouvoir municipal », dans Histoire de Bayonne, Privat, 1991, p. 95. 7. Voir note 5. 8. Voir à ce sujet Manex Goyhenetche, Histoire d'Anglet, des origines à nos jours, Elkar, 1997. 9. Bibliothèque municipale de Bayonne, GR 201. 10. Voir le texte complet en Arch. départ, des Pyr. Atl., U 659, ou l'édition critique établie par RICA ESNAOLA. Margaita. Anuario del Seminario de Filolgia vasca, Saint-Sébastien, 1975. 11. Source à consulter : ITURBIDE, Pierre. « Le Bilçar d'Ustaritz au pays de Labourd ». Revue Internationale des Etudes Basques, I, 1907, p. 74-83. 12. Archives communales d’Anglet, G1/58. 13. Ed. Jakin, 1997 14. Manex Goyhenetche. Histoire d'Anglet, op. cit. en note 7, p. 125, Hector Iglesias, « Le toponyme Chiberta ». Bulletin du Musée Basque, année 1197, n° 147, p. 4364.

INDEX

Thèmes : histoire Index chronologique : de l’Antiquité à nos jours Index géographique : Anglet

AUTEUR

MANEX GOYHENETCHE

Docteur en Histoire

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Une confrérie originale au Moyen Âge : l'Armandat du pays de Labourd

Maïté Lafourcade

1 Si la vicomté de Labourd, fondée en 10231 par Sanche III le Grand, roi de Navarre, fut, à la mort de ce grand roi, séparée du royaume de Navarre et incorporée en 1058, au duché d'Aquitaine, elle conserva néanmoins des liens très forts avec la Navarre2, au besoin pour résister au pouvoir des ducs d'Aquitaine. Ces liens se distendirent lorsqu'elle devint anglaise par le mariage, en 1152, de l'héritière du duché d'Aquitaine, Aliénor, avec Henri II Plantagenêt, roi d'Angleterre deux ans plus tard, à la mort de son père. Elle conserva toutefois le caractère basque de ses origines, étant beaucoup plus tournée vers le sud que vers le nord dont elle était séparée par les vastes landes marécageuses de Gascogne.

2 Après une révolte des seigneurs du sud-ouest, Richard Coeur de Lion, roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine, vint, en 1177, mettre de l'ordre dans ses possessions d'Aquitaine. Vers 1190, il rendit une ordonnance, conservée aux archives municipales de Bayonne3, « pour la répression des crimes et délits dans la ville et dans la vicomté de Bayonne »4 : il s'agit d'un véritable code de droit pénal, promulgué par le roi-duc avec l'assentiment des évêques de Dax et de Bayonne, du sénéchal de Gascogne, des seigneurs « cavers »5 et du peuple, qui s'imposait à toute la vicomté. Le dernier vicomte de Labourd, disparu en 11936, fut remplacé, à une date incertaine, par un bayle nommé par le roi et placé sous l'autorité du sénéchal de Guyenne, agent direct du roi d'Angleterre ; cet officier apparaît pour la première fois dans les textes en 12447. Bayonne, qui participa au vaste mouvement de renouveau urbain du XIIe siècle, repeuplée en partie de Gascons, fut alors séparée administrativement du Labourd. 3 Dès lors les Labourdins relevèrent directement, sans intermédiaire, du roi d'Angleterre – duc d'Aquitaine. L'enquête que fit faire Edouard II, après une période troublée, pour connaître ses droits sur la terre de Labourd, dont une copie de 1566 est conservée aux archives municipales de Bayonne8, montre que « tota terra de Labourt tenetur a domino nostro Angliae rege duce Aquitaniae antiquitus immediate per nobiles et habitantes in terra

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predicta... »9. Il n'y avait donc pas d'intermédiaire entre le peuple labourdin et le roi d'Angleterre, pas de hiérarchie seigneuriale. Tous les habitants, nobles et non nobles, placés sur un pied d'égalité vis à vis de leur suzerain, lui devaient également l'hommage et les services vassaliques qui sont précisés par certains témoins : « ... tenentur dictae gentes sequi dominum regem cum armis et facere host et cavalgada propriis suis expensis usque ad portum de Caulas et exinde expensis regis ubi sibi placuerit in ducatu Aquitaniae ad certum tempus, videlicet quadraginta dies... »10. Les témoins interrogés signalent cependant l'existence de soixante à soixante-dix « homines regis ou proprios », appelés ailleurs « homines ligios, homines legei vel curiae »11, qui ne se distinguent des autres habitants que par l'albergade qu'ils doivent au roi et pour laquelle ils payent 2 sous 6 deniers morlans12 par an, et ils dénoncent les usurpations de droits seigneuriaux commises par quatre seigneurs : Guillaume Arnaud de Sault, le seigneur d'Espelette, celui de Pagandure et celui de Lahet qui exercent la Basse justice sur des terres qu'ils ont abusivement peuplées13. 4 Dès qu'il y avait une tentative d'usurpation de droits seigneuriaux en Labourd ou de concession par le roi de droits sur la terre basque, les Labourdins réagissaient vivement. Les exemples abondent14. Ainsi, en juillet 1341, les habitants du pays de Labourd adressèrent au roi Edouard III une plainte contre Arnaud de Durefort qui avait « surpris » du roi la concession de terres en Labourd et ils obtinrent la révocation des concessions faites15. 5 La féodalité, à part quelques exceptions, ne put donc s'imposer en terre labour-dine. C'est le bayle, représentant du roi, qui exerçait les droits de justice. 6 Mais il était, au XIVe siècle, confronté à de graves troubles, notamment occasionnés par les raids de seigneurs de pays voisins, accompagnés de bandes armées, qui, leur forfait accompli, s'en retournaient, impunis, dans leur territoire. Les archives municipales de Bayonne en conservent des témoignages, tel le raid, le 29 août 1400, de Fernand Périt de Ayala qui pénétra en Labourd, avec 5000 combattants, s'empara de l'église de Saint- Jean-de-Luz et d'une partie du pays16. 7 Un pays montagneux et peu peuplé comme le Labourd offrait aux malfaiteurs, avec ses forêts et ses vastes landes inhabitées, des facilités pour commettre leurs crimes et disparaître ensuite, échappant à toute poursuite en passant la frontière. De là pour les habitants un manque continuel de sécurité que le représentant du roi était incapable de juguler. Ils éprouvèrent donc la nécessité de s'armer et de s'unir pour se garder eux et leurs biens. Ils imitèrent les Hermandades que le peuple avait organisées en Navarre, en Guipuzcoa et en Biscaye pour remédier à la violence créée dans le pays par l'affrontement des clans et des lignages17. Ils créèrent une Armandat, soit une association armée, une « communio », qu'ils formèrent entre eux pour assister le bailli, faire eux-mêmes la police dans leur pays, se défendre mutuellement les uns les autres et même assurer la répression des crimes par la poursuite et l'arrestation des malfaiteurs. 8 Pour institutionnaliser leur association, ils se donnèrent des statuts qui furent approuvés en 1396 par Jean de Gand, duc d'Aquitaine, pour une durée de 4 ans. Ce délai écoulé, ils demandèrent leur renouvellement à son fils, le roi d'Angleterre Henri IV Lancastre, qui avait détrôné son cousin Richard II en 1399. Ce dernier confirma les statuts de l'Armandat du pays de Labourd, à Westminster, le 23 mars 1400, pour une durée de 20 ans.

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9 Cette libéralité du roi duc s'explique aisément. En effet, l'Armandat permettait à son agent dans le pays d'avoir à sa disposition une force armée toujours prête à le suivre et l'aider à réprimer les désordres qu'elle lui signalait. De plus, le seigneur-roi voyait là un moyen de maintenir en respect la noblesse locale et d'éviter les usurpations de seigneurs voisins. 10 Ce sont ces statuts, confirmés par les « lettres-patentes d'Henri IV, roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine, approuvant les règlements et statuts faits par les habitants du Labourd, pour la poursuite des malfaiteurs18 », ainsi que les règlements additionnels intervenus trois ans plus tard, qui font l'objet de notre étude. 11 -I-

12 Elaborés par les « Prudhommes du Pays de Labourd », ils affichent pour but un meilleur gouvernement du pays. 13 Ces « prudhommes », encore appelés « hommes liges » ou encore « bonnes gens » étaient probablement les représentants des paroisses qui, élus chaque année démocratiquement, selon l'usage en Pays basque, par les maîtres de maison réunis en assemblée capitulaire à l'issue de la messe dominicale, représentaient l'ensemble des habitants du pays. 14 Il est d'ailleurs précisé dans ces statuts que le bailli19, qui représentait le roi en Labourd, doit réunir, trois fois par an, en sa Cour, deux bons prudhommes de chaque paroisse, élus par leurs paroissiens. Après avoir prêté serment, ces prudhommes doivent veiller à l'application des règlements de l'Armandat. Il est probable que cette Cour soit à l'origine des réunions du Bilçar, Assemblée générale de la province20, dont nous avons des procès-verbaux à partir du XVIe siècle seulement et qui, présidé par le bailli, réunissait les délégués des paroisses labourdines, pourvus d'un mandat impératif. 15 Après avoir reconnu la souveraineté du roi d'Angleterre et l'avoir assuré de leur fidélité, les « bonnes gens des paroisses » exigent du bailli, à son entrée en fonction dans le pays, un serment, prêté devant eux, de les bien gouverner, « comme il doit le faire », sous-entendu en respectant leurs us et coutumes. Après quoi, seulement, les délégués des paroisses lui prêteront à leur tour serment d'obéissance. On retrouve là ce pacte typiquement basque, entre les habitants et leur souverain. Leur fidélité est subordonnée au respect de leurs libertés, leurs « fueros ». Ils se prémunissent là contre tout rique d'arbitraire. Il est même précisé que si le bailli refuse ce serment préalable, les Labourdins pourront refuser le leur, quitte à recourir au roi ou à l'un de ses officiers en Aquitaine. 16 Ces mêmes gens se sont unis entre eux par un serment réciproque à la vie, à la mort, se jurant de s'entraider contre toute personne qui voudrait leur nuire et porter atteinte à leur personne ou à leurs biens. Ce serment rappelle la conjuratio qui unissait les bourgeois des communes du nord et de l'est de la France, pays de forte féodalité, non seulement pour établir la paix dans la ville, mais aussi pour lutter contre leur seigneur et s'émanciper de sa tutelle contraignante. Une telle communio était exceptionnelle en milieu rural. Au lieu de recourir à la protection seigneuriale, les Basques, avec leur sens inné de la liberté et de la solidarité, s'unissaient pour se défendre eux-mêmes. 17 Les dites gens se sont notamment promis et jurés entre eux de réprimer tout vol, pillage ou autre méfait commis sur leur terre ou « autre part », par l'un des leurs, gentilhomme ou pas. Il est manifeste ici que leur objectif n'est pas seulement d'assurer la police dans leur pays, mais aussi de contenir les entreprises des nobles et des

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seigneurs indigènes, en Labourd ou hors de ses frontières, et de réparer les dommages qu'ils pourraient causer. 18 Au cas où un méfait serait commis, ils doivent tous s'assembler, avec ou sans le bailli, pour poursuivre le malfaiteur, se saisir de sa personne et le juger « à leur Cour », que le bailli ou son lieutenant y soit ou n'y soit pas. Les Labourdins exerçaient donc la Basse- justice sur leur terre à rencontre de tout habitant du pays fauteur de trouble, quelle que fût sa condition, gentilhomme ou pas. La justice était donc encore populaire au XVe siècle en Pays basque. 19 Le tribunal de l'Armandat devait être cette Cour, ancêtre du Bilçar21 composée de deux prudhommes de chaque paroisse que le bailli devait périodiquement convoquer au siège du bailliage, mais qui pouvait aussi éventuellement se réunir en l'absence du bailli ou de son lieutenant, afin de donner satisfaction aux victimes d'actes dommageables en faisant donner par le délinquant « à la partie endommagée ou insultée amende pour le dommage et réparation pour l'insulte, à la connaissance du bailli et des dites bonnes gens ». Comme dans les sociétés primitives donc, en l'absence d'autorité publique, amende et dommages intérêts étaient versés à la victime. Mais l'influence du droit romain se fait néanmoins sentir dans la distinction entre le dommage causé aux biens, le furtum ou le damnum injuria datum, qui donnait lieu à une amende, et l'insulte qui correspondait à l'injuria du Droit romain et qui donnait lieu à la réparation civile, soit une indemnisation comportant une idée de satisfaction, de vengeance personnelle, en cas d'atteinte à la personne ou à son honneur. Le montant de cette réparation est laissé à la discrétion de l'Armandat et du bailli, s'il est présent ; sinon, c'est l'Armandat qui la fixe. 20 Il est prévu que si le malfaiteur se réfugie dans la demeure ou la maison forte d'un gentilhomme ou de quiconque dans le pays, ce dernier doit être sommé par le bailli et l'Armandat de le livrer, afin que la justice puisse être rendue, « selon le le cas que fait aura » ; il semble donc qu'il s'agissait d'une amende légale, sans doute celle fixée pour le cas précis dans l'ordonnance de Richard Coeur de Lion de 1190, mais qui était versée à la victime et s'ajoutait à la réparation qui lui était due. II était alors fréquent, au XVIe siècle, en Pays basque comme ailleurs, que les plus petits seigneurs fassent de leurs châteaux des lieux de refuge, où les malfaiteurs des régions voisines trouvaient l'impunité. Aussi est-il précisé dans la charte que si le donneur d'asile refuse d'obtempérer, l'Armandat et le bailli pourront prendre de force, s'il le faut, la maison où s'est réfugié le malfaiteur, afin que la justice soit rendue à rencontre du seigneur, de ses gens et de ses biens, comme du malfaiteur. 21 Et si ce dernier s'enfuit hors du pays, y ayant des biens, tous ses biens seront saisis pour payer l'amende et les dommages intérêts à la victime, le reste des biens étant confisqués au profit du roi22. 22 Mais le domaine de la juridiction de l'Armandat restait limité aux habitants du Pays de Labourd. Aussi tout homme armé, étranger ou suspect, doit être expulsé du pays au bout de 3 ou 4 jours, à moins qu'un gentilhomme ne s'en proclame en justice le garant. S'il commet un forfait, l'Armandat avec le bailli se retournerait contre son protecteur, lequel devra alors dénoncer le malfaiteur publiquement à l'église de sa paroisse à l'occasion d'une cérémonie rassemblant tous les paroissiens, sinon c'est lui qui devra répondre du délit comme s'il l'avait lui-même commis. On perçoit bien à travers ces dispositions les préoccupations de l'Armandat qui s'efforce de limiter les incursions de seigneurs voisins.

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23 Dans leur propre paroisse, les deux prudhommes élus chaque année doivent dénoncer au bailli tout vol ou autre forfait qui s'y commettrait et le requérir de poursuivre le délinquant afin que justice soit rendue et que la victime soit satisfaite. Et si le bailli n'a pas suffisamment de forces pour agir, les gens de toutes les paroisses du pays s'assembleront et lui prêteront main forte pour poursuivre le malfaiteur et l'arrêter afin qu'il répare le préjudice commis et qu'il soit condamné suivant le cas. 24 Enfin, la Haute-justice est réservée au bailli. Mais en son absence ou s'il est impuissant pour arrêter le criminel ou le délinquant, l'Armandat y suppléera. Elle pourra s'emparer de lui, sans le battre ni le blesser, et le conduire, pieds et poings liés, au bailli où à son lieutenant pour qu'il le juge et prononce la condamnation prévue dans ce cas ainsi que la réparation due à la victime. 25 A l'aube du XVe siècle donc, en Labourd, si l'autorité publique était représentée par un bailli et un lieutenant auquel il déléguait son droit de justice, leur intervention n'était nullement indispensable pour arrêter un malfaiteur, fût-il un criminel ou un gentilhomme, ou pour forcer la maison d'un seigneur et prendre le malfaiteur et ses hôtes pour en tirer justice. A la justice populaire primitive s'était ajoutée celle du représentant du seigneur justicier, mais des traces de l'état de droit primitif subsistèrent longtemps ; encore au XVIIIe siècle, les malfaiteurs étaient arrêtés par le garde du pays ou par les magistrats municipaux, maire abbé ou jurats des quartiers, élus chaque année par les maîtres de maison de leur paroisse ; ils les menaient à la prison du pays pour être jugés, exerçant la police chez eux où l'intendant ou ses agents ne pénétraient guère. 26 -II-

27 Ces lettres patentes, si elles consacraient le rôle de l'Armandat auprès du bailli, manquaient cependant de précisions en ce qui concerne les délits que l'Armandat avait pour mission de poursuivre et leurs sanctions. Une simple allusion est faite à une amende légale, à côté de la réparation civile. Il était nécessaire d'actualiser le montant de ces amendes qui avaient été fixées plus de deux siècles auparavant par Richard Cœur de Lion. 28 Les vols et pillages demeuraient nombreux. L'insécurité régnait toujours dans le pays. Par ailleurs, beaucoup ne voulaient pas reconnaître l'autorité de l'Armandat, contestée, semble-t-il, par le bailli lui-même. 29 Ce sont ces deux raisons, les « fréquentes voleries qui se commettent en la terre de Labourd » et les « gens qui ne veulent pas reconnaître l'Armandat », qui motivèrent la rédaction en 1403 d' « autres statuts et règlements faits par lesdits habitans et approuvez par le même Roy », également pour 20 années23. 30 En premier lieu, il est interdit à tout Labourdin de donner asile et de protéger un étranger, à peine de 5 écus, payables la moitié au roi et l'autre moitié à l'Armandat. Et la victime d'un vol est obligée de le dénoncer à l'« alcalde »24 de la paroisse du voleur, à peine de 5 écus. payables comme dessus ; et si l'alcalde ne fait pas son devoir, c'est l'Armandat qui y suppléra. 31 En second lieu, le bailli est tenu de prêter un serment spécial. Il doit jurer de respecter les statuts et règlements de l'Armandat et de ne faire aucun tort aux habitants du pays, membres de l'Armandat, ce qui laisse supposer qu'il ne respectait guère les premiers règlements. Et, pour remédier à ces abus, les crimes, de la compétence du Haut justicier, donc du bailli ou de son lieutenant, sont aussi envisagés. Il est ainsi précisé

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que l'homicide ou les blessures par imprudence ne sont pas sanctionnés. Quant aux garanties judiciaires, si importantes dans le droit pénal basque, elles ne sont pas oubliées ; tout accusé d'un crime s'il est habitant du Pays de Labourd peut rester en liberté s'il offre caution au bailli et à la partie plaignante. Si le bailli veut passer outre, l'Armandat sera tenu de prêter main forte à l'accusé. 32 Suit une tarification des délits et des peines, qui reprend celle de 1190. Mais des archaïsmes, tels que le serment des cojureurs, les atteintes au lignage, une amende par os extrait du crâne en cas de blessure à la tête, la course nus à travers la ville des coupables d'adultère..., ont disparu dans les nouveaux règlements. 33 Les principaux délits de la compétence de l'Armandat sont énumérés : les coups et blessures, le vol, le viol, l'adultère et les blessures causées par l'animal d'autrui. 34 Le coupable devra d'abord « satisfaire » la victime, expression qui comporte une idée de vengeance personnelle et rappelle la composition pécuniaire du droit primitif. De plus il devra payer une amende : 2 écus pour un soufflet, 12 écus pour une blessure volontaire suffisamment grave pour qu'elle soit sanctionnée par la loi25, c'est-à-dire, probablement, la charte des malfaiteurs de Richard Coeur de Lion, sinon 4 écus seulement, le double de ce qui aura été pris dans le cas de vol de nuit avec effraction ou de jour sur le grand chemin, et 20 écus pour un viol. Ces amendes seront payées la moitié au roi et l'autre moitié à l'Armandat. Et elles ne dispenseront pas les coupables de la peine prévue par la loi, qui était la pendaison en cas de vol de grand chemin26 et la mariage forcée pour le violeur si sa victime l'accepte, sinon sa livraison « corporelle » aux parents de la victime « pour en être fait à leur volonté », soit pour exercer la vengeance personnelle27, seule trace d'archaïsme que l'on retrouve implicitement dans la charte de 1403, qui, après avoir fixé l'amende en cas de viol, ajoute « s'il peut être atteint, il sera puny selon la loy civile »28. 35 Il est en outre précisé que le dénonciateur d'un vol recevra un écu de la victime, disposition destinée à inciter les victimes d'un vol à le dénoncer, sans crainte de représailles. 36 Les coupables d'adultère, s'il est notoire, sont sévèrement punis, par la confiscation de tous leurs biens, meubles et immeubles, un tiers au profit du roi, un tiers au profit de l'Armandat et un tiers pour la personne lésée. Et ils seront expulsés du pays. 37 Si un animal tue ou blesse quelqu'un, son propriétaire ne sera pas poursuivi. Comme en droit primitif, c'est l'animal qui est responsable ; il sera saisi et probablement vendu ; un tiers de sa valeur sera pour le roi, un tiers pour l'Armandat et un tiers pour la victime du dommage. On retrouve l'abandon noxal du droit romain qui a subsisté dans nos campagnes jusqu'au XVIIIe siècle29. 38 L'infanticide ne doit aucune réparation, faute de victime. Mais le coupable demeure passible de la peine prévue par la loi qui était la pendaison pour un homicide. 39 Une dernière précision nous indique que font partie de l'Armandat tous les hommes de 14 ans et plus, lesquels sont tenus de prêter le serment de l'Armandat, et de respecter et exécuter ses règlements. 40 Cette institution que nous venons d'étudier présente un caractère populaire particulièrement digne d'intérêt. Une telle égalité devant le châtiment était alors exceptionnelle, si ce n'est en droit canonique.

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41 On retrouve dans ces statuts cette fière indépendance avec laquelle les Basques, tout en se soumettant au roi qui, lointain, ne les gênait guère, savaient se prémunir contre ses officiers présents dans le pays. En leur absence, ils ne reconnaissaient plus aucune autorité30. 42 Hommes libres, nobles ou non nobles, les Labourdins ont su conserver leurs libertés, à l'abri du régime féodal comme de l'individualisme du droit romain. S'il y eut des cas de féodalité, ils furent exceptionnels et tardifs, et les habitants parvinrent à racheter aux seigneurs locaux tous leurs droits31. 43 Ils conservèrent leurs institutions après leur annexion à la couronne de France en 1451. L'Armandat prit le nom plus français de milice. Plusieurs ordonnances royales mentionnent la milice du Labourd comme ayant existé de temps immémorial. Cette force armée était nécessaire aux rois de France pour surveiller la frontière pendant les troubles qui régnèrent en Navarre aux XVe et XVIe siècles et pendant la guerre avec l'Espagne. Mais elle était désormais séparée du Bilçar et n'avait plus aucun rôle en matière judiciaire. Elle subsista, vestige du passé, composée de mille hommes, sous le commandement du bailli. Mais alors que dans les autres provinces du royaume de France, les milices locales furent absorbées, sous le nom de régiments provinciaux, dans l'armée royale permanente créée par Charles VII en 1439, la milice de Labourd, fut conservée jusqu'à la Révolution de 1789, à l'état de corps distinct et indépendant, ne relevant que du Bilçar, l'assemblée populaire du pays, d'où les nobles et les clercs étaient exclus. 44 Les privilèges des provinces et des communautés d'habitants ayant été emportés par la grande vague d'abolition des privilèges, la nuit du 4 août 1789, la milice du pays de Labourd fut expressément supprimée par un décret de l'Assemblée constituante du 4 mars 1791.

NOTES

1. Cf. Jean de JAURGAIN, La Vasconie. Elude historique et critique sur les origines du royaume de Navarre, du duché de Gascogne, des comtés de Comminges, d'Aragon, de Foix, de Bigorre, d'Alava et de Biscaye, de la vicomté de Béarn et des grands fiefs du duché de Gascogne. Pau, tome I , 1898. p. 207. Généalogie des vicomtes de Labourd : tome II, 1902, pp. 233-250 - Justo PEREZ DE URBEL, Sancho et Mayor de Navarra, Madrid, 1950, pp. 92-100. 2. Le royaume de Navarre incorporait alors la plus grande partie de l'Alava, la Biscaye et le Guipuzcoa, territoire peuplé de Vascons et qui constitue à l'heure actuelle la communauté autonome d'Euskadi. En ce qui concerne les liens entre la vicomté de Labourd et le royaume de Navarre, voir : Pierre YTUR-BIDE. « L'ancien « Armandat » du pays de Labourd », in : Revue internationale d'Etudes basques, 1907, pp. 469 et 470. 3. AA 11, p. 8. 4. Cette charte a été publiée par Jules Balasque, Etudes historiques sur la ville de Bayonne, tome I , Bayonne, 1862. pp. 419- 425.

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5. Le dictionnaire de LESPY traduit le moi « caver », que l'on retrouve dans tout le sud-ouest, par chevalier et plusieurs auteurs ont suivi cette interprétation qui semble erronée. Jean-Baptiste ORPUSTAN pense que ce mot, d'après son étymologie, « doit désigner un rang de noblesse supérieur..., une sorte de chef » : « Les infançons ou la noblesse rurale dans la Basse-Navarre médiévale : nature, fonctions, terminologie », in : Instituciones, economia y sociedad (siglos VIII-XV). Il congreso mundial vasco, 1988, p. 260. Cette opinion est corroborée par l'article 4 du titre I de la coutume de Labourd de 1514 : « Les seigneurs cavyers qui ont juridiction basse entre leurs fivatiers, ne peuvent au pays de la Bourt exercer aucune juridiction contre aucuns estrangiers, sinon seullement entre leursdictz fivatiers et en causes civillez tant seullement ». Les seigneurs cavers étaient titulaires de la justice foncière sur leurs tenanciers. 6. On n'a plus d'actes du dernier vicomte, Guillaume Raymond IV de Sault à partir de 1193. D'après Pierre HARISTOY, Guillaume Raymond IV de Sault aurait vendu tous ses droits sur la terre de Labourd au roi d'Angleterre en 1193, moyennant une somme de 3306 florins d'or : Recherches historiques sur le Pays basque, Bayonne, tome I, 1883, p. 179 ; mais cet auteur ne cite pas ses sources et le florin n'a été frappé à Florence qu'à partir de 1252. Dans un factum rédigé en 1684 par Jean Duhulgo, syndic du Labourd, dans un procès contre le fermier du domaine en Aquitaine, on peut lire que c'est en 1106 que « Guillaume, vicomte de Labourd, du consentement du duc de Guyenne vendit aux habitants tous ses droits sur la terre labourdine » : A.M. Bayonne DD 20, I ter ; mais un factum, pièce unilatérale de procédure, n'est pas une preuve irréfragable. L'incertitude règne donc sur la fin de la vicomté de Labourd. 7. Cf. Eugène GOYHENECHE, Le Pays basque : Soule-Labourd-Basse-Navarre, Pau, 1979, p. 123. 8. « Enquête ordonnée par Edouard II, pour rechercher et déterminer les droits du roi sur la terre de Labourd-1311 » : A.M. Bayonne DD20, 1. 9. « Toute la terre de Labourd est tenue immédiatement de notre seigneur le roi d'Angleterre duc d'Aquitaine par les nobles et habitants de la terre susdite ». 10. « ...Les dites gens sont tenus de suivre le seigneur roi avec des armes et rendre les services d'ost et de chevauchée à leurs frais jusqu'au port de Caulas et au-delà aux frais du roi là ou il lui plaira dans le duché d'Aquitaine pendant un certain temps, c'est-à-dire quarante jours ». Un seul témoin, Martin de Hirigoyen, sur les neuf interrogés dit que ce sont les nobles qui doivent les services vassaliques. 11. Peut-être ces hommes liges, hommes du roi, hommes de Cour, prêtaient-ils un serment particulier au roi, personnel et non collectif, et devaient-ils se rendre à la Cour du roi ou de ses officiers, bayle ou sénéchal, lorsqu'ils y étaient appelés pour rendre le service de conseil ou de justice. 12. La monnaie frappée par le vicomte de Béarn à Morlaas avait cours dans le sud-ouest et une grande partie du midi de la France. 13. « ... Guillelmus Amaldi de Saut a vigenti annis citra octo hospitia, item dominus de Paganduria a vigenti annis citra decem hospitia in heremis dicti domini regis popularunt sine licentia dicti domini regis et authoritate propria, et ipsas populationes et servitia exinde debita ocupant et ocupaverunt, et omnimo-dam bassam jurisdictionem in praejudicium dicti domini regis. » 14. Cf. Maité LAFOURCADE, Mariages en Labourd sous l'Ancien Régime, Bilbao, 1989, p. 24, note 25. 15. « Inventaire et description des privilèges, réglemens, impositions, surcharges, autres avantures et litres qui regardent le général et habitans du Païs de Labourt, après toute les découvertes qu'on en a pu faire, fait en l'année 1713. La présente impression a été faite à la diligence de Me Jean de Planthion, syn dic général dudit Païs de Labourt en la présente année », Bayonne, 1713, p. 3. 16. A.M. Bayonne AA11, p. 312. 17. Les Hermandades sont signalées en Navarre dès le règne de Sanche le Fort. En 1204, un traité de police et de sauvegarde réciproque unissait les habitants des frontières de Navarre et d'Aragon. En 1258, une Hermandad fut établie en Basse-Navarre. En 1277, Eustache de

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Beaumarchais, gouverneur de Navarre, ordonna aux habitants des campagnes de former entre eux des associations jurées pour se défendre contre les excès des grands seigneurs et des bandes qui les accompagnaient. En 1368, Don Carlos établit une Hermandad entre la Navarre et l'Alava... Ces confréries armées avaient toutes des statuts écrits approuvés par le roi et jurés par tous leurs membres : Pierre YTURBIDE, « L'ancien Armandat... » ; loc. cit, pp. 471-472. En Guipuzcoa et en Biscaye existaient, dès le règne d'Henri II, les Alcaldes de Hermandad qui administraient la justice dans des cas particuliers. Les statuts de l'Hermandad de Guipuzcoa furent approuvés par les juntas de Guetaria en 1397 : Antonio BERISTAIN, Maria Angeles LARREA y Rafael Maria MIEZA ; Fuentes de derecho penal vasco (siglos XI-XVI), Antropologia vasca, volume V, Bilbao, 1980, pp. 197-227. 18. Ces lettres patentes ont été publiées par Thomas RYMER, Foedera, conventiones, litterae et cujus-cumque generis acta publica..., 3e édit., 1745, tome III. 4e partie, p. 180 (année 1400). 19. Le représentant du roi en Labourd est appelé bayle dans la charte des malfaiteurs de 1190 et bailli dans celle de 1400, titre qu'il gardera jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. En Labourd, le bailli était le subordonné du sénéchal de Guyenne. 20. Cf. au sujet du Bilçar, Maité LAFOURCADE, « Le Bilçar du pays de Labourd au XVIII e siècle », in : De la res publica a los estados modernos, journées internationales d'Histoire du droit de Saint- Sébastien, Bilbao, 1992, pp. 125-147. 21. Le Bilçar, dissocié du tribunal du bailliage, après l'annexion du Labourd à la couronne de France en 1451, conserva longtemps une compétence judiciaire. En effet, Louis XIV, dans l'arrêt du Conseil du 3 juin 1660 par lequel il réforma le Bilçar, fit défense aux habitants du Labourd « de faire aucuns statuts ou ordonnances portant emprisonnement, bannissement, peine afflictive ou peines pécuniaires ny que lesdits statuts puissent être mis à exécution » ; cet arrêt ne laissait aux Labourdins que la simple police et le droit de prononcer des amendes et saisies pour violation de ses règlements. Mais encore au XVIIIe siècle, certains délits, notamment des vols faisaient parfois l'objet d'une plainte au Bilçar qui décidait de livrer le délinquant au procureur du roi, ce qui était le cas lorsqu'il s'agissait de bohémiens ou d'étrangers, ou de s'arranger à l'amiable sans avoir recours à la justice du roi. 22. Ces dernières dispositions semblent copiées sur les statuts de l'ancienne Hermandad établie entre la Navarre et l'Aragon en 1204. 23. Ces statuts ont été publiés par Pierre YTURBIDE, « L'ancien Armandat... », loc. cit. pp. 477 à 479 et Le Pays Labourd avant 1789, Bayonne, 1908, pp. 45-47. 24. Terme espagnol qui prouve l'emprunt fait par les rédacteurs des statuts labourdins à ceux des pays voisins. 25. Si la plaie est « de loy et challenge » : cette expression signifierait, d'après Pierre YTURBIDE, une réparation pécuniaire tarifée par un texte de loi : Le Pays de labourd.... op. cit. p.46, note I. Il s'agissait probablement de la charte des malfaiteurs qui sanctionnait les blessures avec armes. 26. Article 1 de la charte des malfaiteurs de 1190 : Jules BALASQUE, Etudes historiques... op. cit., pp 248 et 420. 27. Article 12 de la charte des malfaiteurs de 1190, Jules BALASQUE, Etudes historiques... op. cit., pp 250 et 422. 28. La loi civile s'opposait à la loi ecclésiastique. Il n'y avait pas encore de différence nette entre le droit civil et le droit pénal. 29. Le propriétaire dont les récoltes avaient été endommagées par l'animal d'autrui pouvait le pignorer, c'est-à-dire s'en saisir et le garder en gage (pignus en latin) jusqu'à ce qu'il soit dédommagé, et s'il ne l'était pas il se payait sur l'animal. 30. Cf. Yon ARRIETA ALBERDI, Vascones eta Vasconia Accursioren Magna Glossa delakoan, in : Eleria.1, 1997, pp. 18-27. 31. En 1789, seuls les habitants de Bonloe et de Lahonce se plaignent d'être « accablés d'énormes redevances seigneuriales. Ce sont les seules traces de féodalité oppressive qu'on remarque... dans

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le Pays de Labourt, de tous les tems noble, c'est-à-dire libre et allodial... » : article LXVI du « Cahier des vœux et des instructions des Basques François du Labourt pour leurs députés aux Etats Généraux de la Nation », in : Pierre YTURBIDE : « Cahiers des doléances de Bayonne et du pays de Labourd pour les Etats généraux de 1789 », Bayonne, 1912, p. 49.

INDEX

Thèmes : histoire Mots-clés : droit coutumier, histoire du Pays basque Index chronologique : Moyen-Âge Index géographique : Labourd

AUTEUR

MAÏTÉ LAFOURCADE

Professeur d'Histoire du droit à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour - Faculté pluridisciplinaire de Bayonne-Anglet-Biarritz [email protected]

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L'Aufklärung et la basquité

Pierre Bidart

1 Si l'Aufklärung n'a pas inventé la basquité, grande a été pourtant sa contribution à sa structuration et à sa promotion au sein de l'Europe. Alors que la pensée philosophique et linguistique allemande décèle dès le XVIIIe siècle l'intérêt de la basquité dans sa dimension linguistique, c'est au cours du XIXe siècle, à la faveur d'une remarque de Jules Michelet dans son Histoire de France (1833-1846, 1855-1867) que la France découvre les travaux du linguiste allemand Wilhem Von Humboldt consacrés à la bascologie. Cet écart dans le temps ne fait que souligner les différences dans les conditions de formulation des objets scientifiques et leur statut, la complexité des représentations et des échanges culturels, voire les contentieux entre l'Allemagne et la France.

2 Dans un récent article intitulé « De l'Allemagne et de la France – Les faux semblants d'une opposition »1, Jean-Yves Guiomar souligne le poids immense et malheureux de ces oppositions stéréotypées entre une France terre des Lumières et de la Raison Universelle et une Allemagne empêtrée depuis le XVIIIe dans le Volksgeist, mais aussi entre une « bonne » Allemagne, avec Kant, Schiller, Goethe, et une « mauvaise » Allemagne, née avec Herder et triomphante avec Bismarck et Hitler, en passant aussi, comme beaucoup le pensent, par Hegel. 3 La canonisation de ces oppositions a emprunté différentes voies y compris celle des analyses d'historiens : « Pour les Français, une Nation est une communauté spirituelle (...), l'appartenance à un Etat repose sur une sorte de contrat. Cette conception relève donc du principe rationaliste du droit naturel, c'est par conséquent une conception à la fois individuelle et également universaliste comme la raison. Elle est liée par là au libéralisme dont elle devient une sorte de complément en matière de droit public international. Elle se rattache au principe de souveraineté du peuple ». Quant à la conception allemande, « elle s'est formée peu après en partant des théories du philosophe allemand Herder (...) Pour les Allemands, la nation est un organisme naturel doué d'un instinct vital, d'un génie propre » qui repose sur l'histoire et non sur la raison. En cela, la conception allemande est anti-libérale2. Jean-Yves Guiomar examine, entre autres, le domaine de la linguistique où les compétences supposées des deux pays sont nettement soulignées par la tradition scientifique alors que ces deux compétences trouvent en réalité une même filiation dans les travaux des linguistes français du XVIIIe

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siècle. Ainsi, on a fait de l'Allemagne le pays de la grammaire comparée, la France ayant été identifiée comme le pays de la grammaire générale. Il est vrai que l'Allemagne a compté d'illustres représentants de la linguistique comparée avec Jacob Grimm (grammaire allemande, 1819 et 1822), Franz Bopp (langues indo-européennes, 1816 et 1833), Friedrich Diez (langues romanes, 1836) et Johan Kaspar Zeuss (langues celtiques. 1853). Or, nous savons aujourd'hui que ces travaux doivent leur origine aux débats suscités par L'Essai sur l'origine des connaissances humaines de Condillac (1746). Le Traité sur l'origine du langage de Herder (1772) se situe dans le prolongement de cet ouvrage 3. Aussi, cette opposition entre une linguistique rationaliste de caractère français et une linguistique historiciste de caractère allemand ne tient-elle pas debout. Les modes de développement inégalitaire de ces travaux s'expliquent notamment par l'histoire des institutions universitaires, l'université allemande ayant bénéficié, note J.Y. Guiomar, bien plus tôt que les universités françaises de chaires de linguistique comparée. 4 L'effet le plus spectaculaire de l'Aufklärung se remarque dans le nombre de travaux consacrés à la langue basque et dont l'Allemagne contemporaine peut encore témoigner. La complexité de la structure linguistique du basque confortait heureusement la théorie des relations entre les propriétés d'une langue et le génie du peuple locuteur. 5 Parallèlement à cet engouement pour la bascologie tant magnifiée dans l'oeuvre de G. de Humboldt, la pensée de l'Aufklärung ne cessera d'inspirer directement ou indirectement, via la philosophie allemande, les interprètes de la basquité dans sa formulation nationaliste, en Pays Basque d'Espagne, à la fin du XIXe siècle. D'autres marques très sensibles - étudiées plus loin - se remarquent dans les travaux de l'anthropologue Barandiaran et les textes littéraires de l'écrivain basque Mirande, fortement influencé par Spengler, lequel se revendique pour une part de la philosophie de Herder. 6 En France, les préoccupations empiriques de description des singularités provinciales qui animent le champ ethnographique en voie de constitution poussent une cohorte d'observateurs, au statut scientifique incertain, à s'intéresser à une société basque qui ne manque pas de « curiosités », et qui devient le point de convergence de trois axes géographiques : l'Allemagne, l'Angleterre avec Oxford, et Paris.

I - Aufklärung et les prolégomènes anthropologiques de la basquité

7 Face aux Lumières françaises pour lesquelles les activités spéculatives autour de la fonction linguistique n'occupaient pas une position centrale, l'Aufklärung se distingue par l'importance manifeste qu'elle accorde au fait linguistique, en l'associant à un large front de considérations philosophiques liées aux thèmes de la nation, de la culture de la religion, de l'histoire, de la nature, et initiant ainsi une véritable anthropologie de la société.

8 Une telle convergence de réflexions sur la question linguistique aboutira à l'automisation de la pensée linguistique et à la fondation de la « linguistique comparative » dont Guillaume de Humboldt sera le célèbre interprète. L'originalité de la contribution de l'Aufklärung ne peut se comprendre sans aborder les principes et les options philosophiques et religieuses qui expliquent son incarnation allemande.

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9 La philosophie des Lumières, par l'hétérogénéité et les ambitions intellectuelles des questions qu'elle entendait traiter, contenait ou constituait une véritable anthropologie, mot nouveau désignant la matrice unitaire des savoirs du XVIIIe siècle, ce que Michèle Duchet résume ainsi : « Science de l'homme, science du langage, étude des langues, genèse de l'entendement, histoire des sociétés, production littéraire, tout cela constitue pour les hommes des Lumières une seule et même activité et participe d'un même discours »4. Dégager les fondements culturels de l'anthropologie de l'Aufklärung revient à en examiner les orientations principales et les sens les plus significatifs, dans un contexte de concurrence culturelle entre la France et l'Allemagne et de divergence profonde quant à la manière de penser le rapport social à la religion et à la culture. 10 La concurrence culturelle entre les deux pays trouve son origine dans le prestige aristocratique dont bénéficient la langue et la culture françaises, lesquelles s'imposent en tant qu'incarnation de la modernité et outils raffinés d'expression du langage de la raison. Leur triomphe en Europe et au-delà marque l'aboutissement des promesses formulées sous la Renaissance tandis qu'elles symbolisent la nouvelle Grécité dont l'écho saisit toute l'Europe que Herder étudiera dans son Journal de mon voyage en l'an 17695 et à laquelle G. de Humboldt sera également sensible. Le rayonnement des lettres françaises ne pouvait manquer d'irriter une conscience allemande tentée de se soustraire à leur domination. Exercice cependant difficile car on ne modifie pas si aisément les schémas culturels – en particulier les conceptions historiques – qui légitiment cette domination. Aussi la singularité allemande va-t-elle s'organiser, face à une francité triomphante, autour d'un concept mobilisateur, celui de la germanité. Cette entreprise de formalisation conceptuelle et de structuration de la singularité allemande passait par une réécriture de l'histoire, une redéfinition des séquences historiques distinguant les civilisations conçues jusque-là selon la conception voltairienne qui voyait dans la Renaissance le moment historique essentiel de rupture avec l'obscurantisme médiéval. L'ouvrage de Herder, Une autre philosophie de l'histoire (1773), fort critique à l'égard de Voltaire, illustre très précisément cette ambition intellectuelle d'élaboration d'une version de l'histoire favorable désormais à la germanité qui doit trouver sa place dans le cours de l'histoire de l'humanité grâce en particulier au protestantisme. Il s'agit de procéder au réexamen général des relations entre l'histoire et le christianisme à partir de cette idée centrale de l'Aufklärung que la germanité s'incarne dans le protestantisme. Cet exercice simultané de formulation d'une germanité active et de positionnement historique de celle-ci sera accompli pour l'essentiel par Herder et par Fichte qui – trait propre à l'Aufklärung – se réfèrent sans cesse aux Lumières françaises pour s'en démarquer immédiatement. Les réajustements historiques engagés par ces deux auteurs s'appuient sur le rappel du sens de l'œuvre luthérienne qui prônait le retour au christianisme original face à un catholicisme confondu avec le règne de la superstition et de la corruption. La révolution luthérienne qui annonçait les temps modernes fut elle-même entravée par de multiples guerres, retardant la formation d'un Etat national allemand alors que la monarchie catholique française édifiait un solide Etat-Nation. Se fondant ensuite sur le concept luthérien d'une historicité souterraine6 représentée par la Providence, force invisible qui anime le cours de l'histoire au même titre que les corpus sémantiques propres aux langues elles-mêmes, Herder et Fichte estiment que cette disparité est provisoire et déplacent les seuils et les symboles des ruptures historiques ; à la Renaissance se substitue la Réforme7 qui détermine aujourd'hui le destin de la nation germanique. A la faveur de ce déplacement, les deux philosophes tracent une nouvelle voie de l'histoire : la Germanie

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se charge d'une dimension historique apte à revendiquer le rôle de héraut d'une authentique modernité, véritablement chrétienne. Cet emboîtement entre la germanité et le protestantisme, sur lequel insistera Hegel, deviendra l'argument nodal de la pensée politique et culturelle allemande. 11 Le postulat d'une germanité enchâssée dans le protestantisme s'opposait frontalement au modèle d'une francité articulée sur le discours anti-religieux des Lumières de même que la foi en une glorieuse germanité porteuse d'une authentique modernité heurtait la théorie culturelle de l'universalité de la langue et de la culture françaises et les hiérarchies linguistico-culturelles légitimées par celle-ci, à partir desquelles était déniée toute qualité aux langues et cultures non porteuses d'historicité, c'est-à-dire toutes celles qui représentent des traces de l'Ancien Régime et plus précisément le passé médiéval identifié aux temps de la barbarie. Si l'Aufklärung procède à la réhabilitation du Moyen Age et de ses œuvres, les Lumières françaises préfèrent la Renaissance et sa rhétorique rationaliste naissante. 12 De son côté, Hegel ne manquera pas d'aborder certaines des conséquences de l'articulation entre la germanité et le protestantisme qui se fonde à ses yeux, sur le principe d'une affinité entre ces deux états. D'une part, l'attachement des Germains aux pratiques coutumières et simultanément leur méfiance – à cause de leur conscience d'appartenance à une communauté naturelle – à l'égard de toute structure politique centraliste organisée selon la théorie du droit universel (cette attitude ayant empêché un processus de modernisation étatique qui, par contre, a abouti en France). Par ailleurs, l'incitation du croyant allemand au sein du protestantisme à vivre sa foi et sa condition humaine dans le cadre de l'intériorité de sa conscience, d'où le rôle incontournable de l'Eglise réformée dans le travail pédagogique de formation de la conscience allemande, au titre d'une suppléance face aux carences de l'institution politique. 13 Si le titre de l'ouvrage de Herder, Une autre philosophie de l'histoire pour une contribution à l'éducation de l'humanité. Contribution à beaucoup de contributions du siècle cache mal une intention polémique à l'égard surtout des « Lumières françaises »8, la pensée herdérienne ne manque pas pour autant d'originalité par les positions et les développements théoriques et empiriques qu'elle adopte. On peut souligner une première contribution dans l'affirmation d'une théorie du relativisme universel qu'il oppose aux philosophes défenseurs de la supériorité du XVIIIe siècle et qu'il applique « dans son projet » de traiter des valeurs propres à chaque nation, à chaque siècle, « fleurs qui sous tel ciel poussent et prospèrent sans soin, et là meurent ou jaunissent misérablement »9. Si le thème du relativisme historique et ethnique avait déjà été abordé par Saint Evremond, l'abbé du Bos, Voltaire (Micromegas) et Montesquieu (Lettres personnes), Herder entend reconsidérer les schémas de périodisation de l'histoire et contester les classicismes et les orthodoxies tant en littérature et philosophie qu'ailleurs. 14 Pour qualifier les séquences de l'histoire, Herder fait appel au procédé métaphorique : il parle des âges de l'humanité, identifiant l'Orient biblique à l'enfance, la jeunesse à la civilisation égyptienne, l'adolescence au monde grec, la maturité et le déclin à la romanité ; il utilise également l'image de l'arbre dont les racines, le tronc, les branches, les feuilles sont illustrés par autant de nations singulières10. D'où une vision organiciste de la durée des civilisations et de leurs relations mutuelles commandée par les lois générales du vivant, avec une admiration insistante pour la période de l'enfance (de

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même d'ailleurs que pour les valeurs patriarcales), associée aux vertus de spontanéité de fraîcheur et d'authenticité, toutes qualités fondamentales qui déterminent, aux yeux de Herder, la valeur d'une culture ou d'une civilisation. Par deux fois, Herder invoque le temps de l'enfance dans ses schémas de périodisation de l'histoire : une fois pour qualifier l'enfance de l'humanité, symbolisée par la civilisation orientale, une autre fois pour désigner l'enfance de la Modernité, symbolisée par le Moyen Age dont il engage la réhabilitation. A chacun de ces âges, ses qualités ou ses défauts : au merveilleux de l'enfance font suite le désir d'entreprise et la grâce de l'adolescence, le sérieux et le réalisme de la maturité, la froide répétition et l'atrophie décadente de la sénescence11. 15 Herder applique la méthode comparative tout à la fois diachroniquement - pour l'examen de la succession des civilisations orientale, égyptienne, grecque, romaine et moderne – et synchroniquement – dans l'étude des singularités françaises et allmandes. Parmi les auteurs les plus contestés figurent Voltaire, d'Holbach, Helvétius. Montesquieu à côté de Hume et d'autres. Ils sont d'ailleurs peu ou pas cités. Et à la faveur de ce comparatisme transhistorique et transculturel, Herder expose une philosophie de l'histoire, manifestement conservatrice dont, il modifiera, par la suite, les premières orientations. 16 Face à l'impuissance des mots à saisir la complexité et la singularité d'une nation, l'âme d'un peuple, « seul le créateur, dit-il, pense l'unité d'une nation et de toutes les nations dans toute leur diversité, sans que cela fasse disparaître à ses yeux l'unité »12. Vigoureusement dénoncé par les philosophes des Lumières françaises, le préjugé trouve grâce à ses yeux : « le préjugé est bon, en son temps, car il rend heureux. Il ramène les peuples à leur centre, les rattache plus solidement à leur souche (...). La nation la plus ignorante, la plus remplie de préjugés est à cet égard souvent la première »13. 17 Il canonise la vertu « d'endurance des peuples du Nord »14 qu'il oppose à « la chaude serre aromatique de l'Est et du Sud »15. C'est aussi le Nord qui prit le relais de la romanité décadente, en apportant la « Nature » à la place des arts, « le bon sens nordique » à la place des sciences, « des moeurs fortes et bonnes bien que farouches » à la place du raffinement. C'est enfin là que s'affirma « l'esprit gothique », « chevalerie nordique au sens le plus large – grande manifestation de tant de siècles, de pays et de situations »16 – qui constitua l'ossature culturelle, politique et sociale et que rend compte une riche polysémie : « penchants paternels, et sainte vénération du sexe féminin, amour inextinguible de la liberté et du despotisme, religion et esprit guerrier, ordre strict, solennité et goût étrange de l'aventure »17. 18 S'en prenant une nouvelle fois aux Voltaire, Hume, Richardson et Iselin qui raillent la société médiévale, il procède à la réhabilitation des temps médiévaux sans pour autant en faire l'éloge (car « tout ceci est vrai et n'est pas vrai »18, dit-il, en parlant des travaux des précédents). Il défend ainsi, tout à tour, « les rudes résidences campagnardes (qui) empêchaient l'accroissement exubérant et malsain des villes, ces groupes dévorants des forces vitales humaines »19 ; l'harmonie sociale entre la lignée et les familles, le maître et le serviteur, le sujet et le roi20, tandis que « le manque de commerce et de raffinement empêche le relâchement des moeurs ». Il se félicite même de l'existence de la barbarie : « si le ciel21 ne vous avait pas fait précéder par les temps barbares et ne les avait maintenus si longtemps parmi tant d'à-coups et de heurts – pauvre Europe policée, qui dévores ou relègues tes enfants, que serais-tu avec ta sagesse ? – Un désert ! »22. Il dénonce l'idée que la morale laïque – représentée par « l'art de la

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législation » pût suffire à « cultiver les nations »23, idée présente chez Helvétius (De l'Esprit, 1769), d'Holbach (Système de la Nature, 1770) et De Chastellux (De la félicité publique, 1772).24 19 Il stigmatise l'action et le succès des académies et des salles d'art et l'importance reconnue à l'éducation25. Il préfère la clôture des mentalités dans des espaces restreints, « la chaumière patriarcale » et « la petite république d'hommes »26, la nation fermée sur elle-même, le temps où « tout était si étroitement naturel »27, les contrées restées « sauvages et barbares » à l'instar de l'Irlande (« c'est une honte pour l'Angleterre que l'Irlande soit si longtemps restée sauvage et barbare : elle est policée et heureuse »28). L'effacement des caractères naturels entraîne la disparition des caractères nationaux, du sentiment national et facilite ainsi le déclin. Et le pire des destins pour un peuple n'est-il pas de perdre sa singularité nationale ; « on ne peut causer de plus grand dommage à une nation qu'en la dépouillant de son caractère national, de ce qu'il a de spécifique dans son esprit et sa langue »29. La rationalité domesticatrice à l'oeuvre dans les jardins « à la française » lui apparaît comme un contre-sens intellectuel : « on inventa (...) une architecture sur le plan même et avec toutes les productions de la nature-les jardins ! Plein de proportions et de symétries ! Plein d'éternelles jouissances et nature toute nouvelle sans nature ! »30. 20 En somme, il s'insurge contre la prétendue supériorité du XVIIIe siècle, tant magnifiée par Voltaire dans son Siècle de Louis XIV, ce qu'il assimile à la sénilité (lui qui reproche tant aux « philosophes des Lumières » de résumer une époque par un mot succombe à cette même tentation !). Et la réhabilitation du Moyen Age le conduit à l'arrimer à la période contemporaine pour les besoins du moment, c'est-à-dire la constitution et l'éloge de la germanité. Cette appréhension favorable des temps médiévaux, caractéristique du Sturm und Drang et du romantisme, diffère néanmoins de la célébration catholique du Moyen Age opérée par des auteurs comme Novalis dans La Chrétienté ou l'Europe (1799). L'état de félicité dont il fait la finalité de toute vraie civilisation, il le remarque surtout dans l'âge de l'enfance qui est aussi le temps des patriarches : « Etre humain, homme, femme, père, mère, fils héritier, prêtre de Dieu, régent et père de famille, c'est par tous les millénaires qu'il devait alors être formé ! Et éternellement, en dehors du Règne de mille ans et des fables des poètes, éternellement le pays des Patriarches et la tente des Patriarches demeurera l'Age d'or de « l'humanité enfant » »31. Temps fécond que celui de l'enfance, des temps primitifs, par leurs talents poétiques, alors que l'époque moderne - celui de la prose – symbolise le déclin, cette idée inspirera les écrits sur De l'effet de la poésie sur les moeurs dans l'Antiquité et de nos jours (1778) 32. Cette ferveur pour l'activité poétique le poussera à croire en l'authenticité des poèmes épiques d'Ossian, comme il le dit dans Du Naturel et de l'art allemand. Extraits d'une correspondance sur Ossian et des chants des anciens peuples (1773). Il souhaite dans ses Fragments (1768-1769) le renouveau de la poésie allemande par la substitution de la mythologie germanique à la mythologie gréco-latine. Il procède à une vaste enquête sur l'âme allemande à travers ses poésies, ses contes et ses légendes matérialisée dans son recueil de Chants populaires (1773). Bien des approches romantiques similaires seront inspirées par la conception herdérienne du chant populaire, qu'il s'agisse de recueil de chansons (Des Knaben Wunderhorn de Brentano, 1805), ou des contes populaires (Teutsche Volksbücherde Görres, en 1807 ; Hansmärchen des Frères Grimm, 1812 ; Deutsche Sagen de Wilhelm Grimm, 1816-1818)33.

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21 En tant que théoricien de la relativité historique, il estime que toutes les civilisations connaissent inexorablement les mêmes phases de progrès et de déclin ; comme théoricien de la relativité ethnique34, il affirme que toutes les nations se correspondent dans une égale nécessité, une égale originalité, un égal mérite, un égal bonheur35. 22 Les fondements du principe des nationalités sont ainsi établis. Aussi, l'histoire des civilisations ne se construit-elle pas autour du concept de progrès (comme l'entendent les Lumières) mais plutôt à partir du concept de continuité (« Fortgang »), non pas une continuité qui signifie une répétition (« En aucun pays, dit-il, la culture n'a pu revenir en arrière, et redevenir une nouvelle fois ce qu'elle avait été »36) mais une continuité faite de discontinuité (chaque culture emprunte auprès de la précédente). Et la prospection historique sur les cultures populaires37 vise à mettre en exergue « l'esprit du peuple », ou encore « l'esprit général » sous la forme du Nationalgeist. Herder préfère en effet l'histoire du peuple à celle des dynasties ou des armées ; il pense à la possibilité de la reconstruction anthropologique d'un peuple à partir de fragments disponibles. Il conteste le primat de la raison et son arrogance à vouloir déterminer le cours de l'histoire (tout en ne cessant pas d'utiliser certains aspects du rationalisme) à laquelle il oppose l'histoire, de manière à fonder une autre philosophie de l'histoire. Il valorise ces individus collectifs que sont les peuples au détriment des universaux, ces peuples qui sont des vrais dépositaires de la culture nationale et dont les qualités morales se remarquent dans la ferveur et la densité de son état naturel que singularisent le sens de la hiérarchie, les valeurs religieuses et les rapports sociaux harmonieux. Cet état naturel se distingue aussi pour sa spontanéité, ses facultés créatrices présentes au sein du langage poétique dans lequel excelle le peuple. Ces postulats, Herder les accompagne de considérations de nature vitaliste, remarquables dans une syntaxe récurrente (« énergie vitale », « forces vitales », etc.), dans ses métaphores de la civilisation/arbre ou de la nation/organisme. En réalité, son œuvre est construite autour de trois idées38 divergentes parfois jusqu'à la contradiction (qui, par ailleurs, s'opposent souvent à l'Aufklarung39 tout en lui empruntant des arguments explicatifs) : l'affirmation de l'universalisme chrétien dont les retombées culturelles, inestimables, sont à l'origine de la modernité, l'absolutisation des qualités culturelles d'une race ou d'une nation singulière par essence (qu'accompagne Herder du refus de l'imitation, ce qui conduit à l'autarcie culturelle), la proclamation d'une relativité généralisée induisant le refus de toute absolutisation culturelle. C'est à partir de cet entrelacement philosophique que s'exercera son influence, que l'on imaginera des filiations (réelles ou fictives), que lui sera réservée une postérité souvent peu flatteuse. Que d'analyses sous-entendant ou évoquant explicitement une filiation entre le IIIe Reich et la pensée de Herder40 ! L'hétérogénéité des concepts et des paradigmes utilisés par Herder (nature, culture, modernité, peuple, « esprit national », nation, primitivisme. etc.) de même que la diversité des relations logiques entre ces concepts et ces paradigmes laissent imaginer la nature des influences et des détournements possibles. Tandis que l'universalisme abstrait prôné par la philosophie des Lumières contient l'idée que la nation est à la fois le produit et la vectrice de la Modernité, l'Europe se conforte dans un ethnocentrisme culturel troublé par les relations critiques entre cultures dominantes. Aux tensions entre celles-ci – illustrées en particulier par les exemples français et allemand – s'ajoutent d'autres tensions nouvelles entre cultures dominantes et cultures non officielles telles qu'on peut les observer en Espagne où le débat sur les rôles respectifs de l'hispanité et de la basquité prend une tournure conflictuelle avec les écrits, du côté basque, d'hommes d'Eglise, Larramendi, Astarloa, Moguel, entre autres. L'influence de

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Herder est manifeste auprès de Moguel lorsque celui-ci oppose le basque rustique, Peru Abarca au barbier culte Maisu Joan41. Moguel et Astarloa seront les correspondants d'Humboldt lorsqu'il entreprendra son voyage en Espagne. 23 Les oppositions binaires établies par Moguel, – le rustique/le culte, bon bascophone/ mauvais bascophone, etc. – renvoient aux oppositions binaires formulées par Herder dans son Traité sur l'origine des Langues où il s'en prend aux « froids philosophes » vivant dans les salons. Elles peuvent être, selon W. Moser, construites ainsi : l'homme grossier de la nature/le philosophe de salon, indivision organique/démembrement analytique, expérience-sentiment/raison-intellect, naturel/artificiel, vie-vivacité/mort, principe d'activité indivis/activité disséquante, chaleur-énergie/froid, principe liquide-source/ aridité-assèchement42. Par contre, la mission du bon philosophe s'énonce dans l'analyse des formes du primitif : « d'une part le philosophe entend maintenir et respecter la spécificité des temps primitifs, des moments de genèse, il désire se donner leur esprit, son travail est donc porté par l'élan qui transpose le sujet dans l'objet. D'autre part, il lui faut aussi faire progresser les connaissances humaines en rapportant du butin de son voyage cognitif au pays du primitif (inutile de rappeler que cette métaphore se pratiquait beaucoup au XVIIIe siècle !). Herder écrivait à la fois en philosophe nostalgique et en philosophe éclairant »43. 24 Les développements de Herder sur le thème populaire visent moins à poser les fondements d'une science du populaire, telle que celle-ci sera désignée au XIXe siècle sous le terme de Volkskunde qu'à définir une esthétique du populaire, ce que H. Bausinger traduit ainsi : « Tout cela met en évidence que la poésie populaire n'est pas traitée comme un fait de tradition orale, mais comme fiction créative faisant coïncider « populaire » et « artistique » »44. 25 En faisant du peuple le contre-point a-historique du concept de classe sociale, le « lieu » d'incarnation de « l'esprit national » et de l'esthétique, la pensée herdérienne sera à l'origine d'un mouvement culturel (d'inspiration aristocratique-bourgeoise), né vers le milieu du XIXe siècle recherchant la mise en scène des aspects festifs de la société basque (danses, pelote, improvisation, concours de poésie). Les références constantes au charme des hommes et des femmes basques, la propension des observateurs à faire l'inventaire des « curiosités » du Pays Basque contribuant, comme on le verra plus loin, à illustrer la place d'une approche esthétisante du « populaire » basque perçu dans sa strate paysanne. 26 Enfin, c'est par ses Idées pour la philosophie de l'histoire de l'humanité que Herder a pu certainement intéresser Humboldt à l'étude des expressions culturelles primitives et en particulier à celle observable en Pays Basque, laquelle lui inspire les réflexions suivantes : « Les peuples mêmes qui sont très connus sous le nom de Basques et de Cantabres se sont montrés dans l'histoire ancienne un peuple rapide, léger, vaillant, aimant la liberté. Ils accompagnèrent Annibal en Italie et leur nom chez les poètes romains est redoutable : ce sont eux, ainsi que les Celtes d'Espagne qui rendirent le plus difficile aux Romains l'asservissement de ce pays, en sorte qu'Auguste fut le premier à triompher d'eux, et peut-être seulement en apparence : car tous ceux qui ne voulurent pas être asservis se retirèrent dans les montagnes. Lorsque les vandales, les Alains, les Suèves, les boths et autres peuples teutoniques opérèrent leur farouche traversée des Pyrénées et que quelques uns fondèrent des royaumes dans leur voisinage ; ils étaient encore le peuple vaillant et remuant qui n'avait pas perdu courage sous les Romains, et quand Charlemagne revenant de vaincre les Sarrasins d'Espagne traversa leur pays, ce

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furent encore eux qui, au moyen d'une attaque par ruse, provoquèrent cette défaite de Roncevaux, si célèbre dans les anciens romans, où périt le grand Roland. Plus tard, ils donnèrent en Espagne et en Aquitaine du fil à retordre aux Francs. Comme auparavant aux Suèves et aux Goths ; également lors de la reconquête du pays sur les Sarrasins, ils ne restèrent pas inactifs et même conservèrent leur caractère jusque dans les siècles de la plus profonde oppression barbare par les moines. Lorsqu'après la longue nuit, une aurore de la science se leva pour l'Europe, elle commença à poindre grâce à la joyeuse poésie des Provencaux dans leur voisinage, en partie dans ces pays habités par ceux qui plus tard donnèrent aussi à la France nombre d'esprits joyeux et éclairés. Il serait souhaitable que nous connaissions mieux la langue, les moeurs et l'histoire de ce peuple rapide et joyeux et que, tel Mac Pherson parmi les Gaëls, un second Larramendi se mette parmi eux en quête des restes de leur vieil esprit national basque (...) »45. 27 Par ces quelques remarques ayant valeur d'un programme, Herder fonde ce qui devait devenir la tradition bascologique allemande.

II - Langue et peuple dans l'Aufklärung

28 L'anthropologie des Lumières s'est fortement appuyée sur des considérations linguistiques46 dont les centres d'intérêt différaient sensiblement selon que l'on était en France ou en Allemagne, même si la linguistique allemande réagissait souvent aux assertions de la linguistique française.

29 Du côté français, les débats portaient notamment sur l'origine du langage articulé. la langue des bêtes, la faculté de communication, l'ordre naturel des mots ; ce dernier élément, justifié par la théorie rationaliste et appliqué au français, devait servir à faire l'apologie des qualités du français47 contestée par la théorie sensualiste48 [représentée officiellement par Condillac] qui, elle, entendait insister sur la liberté dans l'ordre des mots – liberté à laquelle faisaient écho les libertés politiques nouvelles nées de la Révolution Française (selon les formules consacrées, le grammairien-philosophe gagnait le nouveau titre de grammairien-patriote) –, la théorie de l'ordre naturel des mots sera détournée par les représentants de la pensée conservatrice (celle de la Restauration) contre la Révolution Française, observe U. Ricken49, en parlant de L. de Bonald. Et les questionnements linguistiques privilégient, bien entendu, le français (à travers le principe de l'universalité de la langue française), puis, selon les cas, l'anglais, l'italien, le latin et le grec ; les autres langues apparaissent peu dans les débats ; et sont exclus, cela va de soi, les ensembles linguistiques internes à la France, de par leur statut infériorisé de patois qui les soustrait de la modernité et même parfois de toute objectivation scientifique. 30 Du côté allemand, le souci de la fondation d'une germanité liée à l'affirmation culturelle de l'allemand ne gène nullement l'attention à d'autres langues que l'on aborde à travers la méthode comparative.

A - De Herder à Fichte : les instrumentalisations de la langue.

31 Ami dans un premier temps de Kant, Herder conçoit sa Métacritique de la « critique de la raison pure » (1799) comme un essai d'invalidation du discours de Kant sur les distinctions dans l'acte de connaissance entre l'être et le connaître. Le prétexte lui est fourni par le concours lancé par l'Académie de Berlin, en 1772, auquel il répond par son

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Ûher den Ursprung der Sprache (« Sur l'origine du langage »). La critique à l'égard de Kant, accusé d'avoir produit une langue scolastique est vive : « celui qui a rendu artificielle la langue d'une nation (quelle que soit par ailleurs l'astuce qu'il déploie) a corrompu l'instrument de la raison et le lui rend odieux. (...) La métacritique relève donc du protestantisme. Elle proteste contre tout papisme imposant ses règlements de façon non critique et non philosophique à la raison et à la langue »50.

32 Pour Herder, si la langue est « l'instrument de la raison », elle forme aussi le substrat du Gemeinsinn, c'est-à-dire du sens communautaire qui fonde la nation, celui-ci se distinguant du Gemeinsinn de la Popular philosophie entendue comme bon sens partagé par tous et éclairé par la raison51. C'est ce Gemeinsinn 52 qui légitime les jugements esthétiques, c'est-à-dire définit les critères du Beau et du goût. Et c'est l'articulation entre langue et Gemeinsinn que le III e Reich s'empressera d'exploiter selon ses vues nationalistes. C'est aussi cette articulation que défend explicitement le mouvement nationaliste basque lors de sa formation à la fin du XIXe siècle dans les provinces basques d'Espagne et que l'on peut encore fréquemment noter dans les écrits contemporains53. 33 Le Révérend Herder n'est pas seul, bien entendu, à se préoccuper du devenir de la germanité. Un membre éminent de l'Aufklärung et de surcroît franc-maçon J.G. Fichte, manifeste dans un premier temps son admiration pour la Révolution Française qu'il défend54 contre des critiques anglaises 55 et allemandes 55, puis intellectuellement meurtri par la fin de la Révolution et par les guerres napoléoniennes, il élabore de manière autre mais complémentaire une philosophie de la germanité qu'il expose dans son Discours à la Nation allemande 56. Son enthousiasme pour la Révolution Française, Fichte le justifie par la contribution de cette dernière à l'invention d'une nouvelle philosophie du Droit, selon laquelle les peuples ont autorité pour changer les structures politiques et opérer ainsi ce que l'on appelle une « révolution », ce qui lui permet d'envisager, par effet d'entraînement, une transformation de la germanité en vecteur de modernité. « La Révolution Française expérimente en réalité une sorte de mouvement historique circulaire né dans les forêts de Germanie »57, dotée jadis d'institutions de qualité. Dénaturé au gré des vicissitudes historiques58, cet idéal de germanité peut être réactivé à la faveur de la Révolution Française pour revenir à la surface de la conscience allemande. La perception d'un nouveau destin possible pour cet idéal de germanité le conduit naturellement à souligner la profondeur historique et les propriétés ontologiques de la langue allemande. 34 Malheureusement, l'ensemble des événements post-révolutionnaires provoquent l'amertume de Fichte qui se voit contraint de récuser ses premières analyses et convictions. La déception est à la mesure de la grandeur de sa foi en la Révolution Française et se convertit en sentiment de trahison à l'égard des valeurs et des symboles incarnés dans la nation allemande. Son Discours à la nation allemande contient un véritable projet éducatif qui doit permettre la transformation de la nation allemande en sujet politique, culturel et moral [le thème de la formation du « moi », central dans l'oeuvre de Fichte, étant exposé explicitement dans la Doctrine de la science]. A défaut d'Etat-Nation institué, c'est la langue qui se trouve investie de la fonction de représentation symbolique de la nation allemande dont elle est aussi l'infrastructure culturelle essentielle. 35 Construit autour de quatorze discours, Le Discours à la nation allemande insiste avec force sur la capacité pédagogique de la langue allemande à l'égard de l'histoire, pour aboutir

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à une approche essentialiste de la germanité définissable ainsi : la germanité est parce que la langue allemande est. Le discours IV comporte plusieurs développements consacrés à la question linguistique à travers la distinction opérée entre l'allemand, langue vivante et les langues néo-latines, classées langues mortes, et soulignant la fonction heuristique possible des langues vivantes59. Et aux divisions sociales qui caractérisent une France partagée entre une classe cultivée formée par l'étude, maîtrisant la littérature et une classe populaire vivant de ses propres ressources, instinctuelle, inculte et étrangère à l'art, Fichte oppose une germanité réunissant en son sein, la raison et le sentiment, l'âme du peuple et les oeuvres d'art60.

B - Humboldt : le fait basque.

36 Le travail de désacralisation philosophique et philologique de la langue (comme incarnation du Verbe) et la déconstruction des paradigmes linguistiques sur le plan du sens (on se réfère en particulier à la position privilégiée de l'hébreu) vont connaître avec G. de Humboldt une étape décisive conduisant à la formation d'une science nouvelle, la linguistique et plus précisément « la recherche linguistique comparative, qui de par sa nature même, doit rester sur le plan des faits »61. Si Humboldt partage bien des analyses effectuées par Herder et par Fichte, il s'en éloigne dès le moment où il veut soustraire la question linguistique des considérations exclusivement idéologiques et en faire un objet d'analyse scientifique.

37 A lire l'ouvrage de G. Raulet sur Aufklärung. Les lumières Allemandes, cité à plusieurs reprises ci-dessous, on ne peut que regretter de voir l'œuvre de Humboldt citée une seule fois avec son Essai sur les limites des compétences de l'Etat (1792), ouvrage qui est loin, à notre avis, de traduire la richesse et la nouveauté des apports de Humboldt. Il convient par contre de souligner l'intérêt de l'importante recherche de Jean Quillien sur l'Anthropologie philosophique de G. de Humboldt62, qui a par ailleurs mis en évidence la qualité des réflexions historiques de ce penseur63, dans son ambition de se distancier d'une part du dogmatisme philosophique et d'autre part, de l'empirisme étroit qui se condamne à l'accumulation des faits et à l'impasse. 38 L'histoire a traité de manière bien inégale les Frères Von Humboldt accordant ses faveurs à Alexander64 (1769-1859), l'explorateur, le climatologue, le géographe, l'archéologue, l'anthropologue, l'ami de Laplace, de Monge et de Gay-Lussac, au détriment de Wilhelm (ou Guillaume, 1767-1835), l'homme de lettres, l'esthète, le traducteur de Pindare et d'Eschyle, le philosophe, le linguiste et l'homme d'Etat65. Des parcours presque similaires en bien des points (même éducation « éclairée », fréquentation des mêmes salons, mêmes amis dont Goethe) peuvent probablement expliquer le fait que la postérité ait pu les confondre souvent. Situation bien injuste et regrettable quand on sait son influence sur les travaux de Dilthey, Cassirer, Croce ou Chomsky. Il est vrai également que seule une partie minime de son œuvre a été traduite en français66. 39 Né dans une famille très aisée, d'ascendance prussienne par le père et franco-écossaise par la mère, G. de Humboldt bénéficie d'une éducation fortement imprégnée de l'esprit de l'Aufklärung. Sa formation universitaire achevée à Gottingen (qui deviendra le centre de la linguistique comparée), il vient à Paris, en 1789, « voir la Révolution » dont le spectacle l'éblouit. Il fréquente à Berlin, capitale intellectuelle de l'Allemagne et de l'Aufklärung à la fin du XVIIIe siècle, les salons où l'on peut croiser l'élite intellectuelle,

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c'est-à-dire les salons de Nicolai, des Mendelssohn et des Herz. Cela lui permet de devenir le familier de Goethe, d'avoir pour amis Schiller. Fichte, Lesage, Forster, Jacobi et bien d'autres. En 1797, il s'installe à Paris pour quatre ans, en profite pour passer presque une année en Espagne et au Pays Basque. ce qui lui permet d'écrire en 1801 ses Fragmente der Monografie über die Basken. A partir de là, son intérêt pour les langues ne cessera de s'élargir, poussant ses investigations vers le chinois, le japonais, le sanscrit, les langues sémétiques et amérindiennes, entre autres, avec le souci constant d'appliquer une méthode pluridisciplinaire (le recours simultané à la philosophie, à la linguistique et à l'histoire) qu'il expose dans une correspondance adressée à Schiller, en 1802 : « Vous savez que je m'occupe depuis assez longtemps, de la manière la plus sérieuse, de l'étude du langage (Sprachstudium). Je crois avoir fait, en ce qui concerne les idées générales sur la question, des progrès non négligeables, j'ai un plan général que j'achèverai et présenterai, dès que j'aurai simplement tout d'abord des loisirs plus tranquilles. Ensuite. il faudra passer à sa réalisation, pièce par pièce, par moi et par d'autres, car mon plan vise à une encyclopédie générale de l'étude du langage dans son ensemble et par conséquent, de toutes les langues (...). Je relie toujours (cette recherche) à la philosophie et à l'étude des peuples »67. Cette démarche68 pluridisciplinaire repose sur la collaboration constante entre la réflexion théorique et la recherche empirique, entre la métaphysique et le positivisme. Parmi les questions qui inspirent la linguistique comparative naissante, figure celle de l'étude comparée des langues modernes et des langues anciennes, sujet qui justifie ses études sur le basque ; « C'est un phénomène singulier que, parmi les essais scientifiques variés dont peut se prévaloir notre époque. un sujet de méditation et de recherche riche, important et d'intérêt général, soit resté totalement en friche - la comparaison des différentes langues anciennes et modernes »69. 40 Par ailleurs, la recherche linguistique ne vise pas seulement à la seule accumulation de connaissances sur un nombre de langues aussi grand que possible, elle est animée aussi par des considérations morales relatives à l'usage social de ces connaissances ; « la recherche linguistique comparative ne peut prétendre ouvrir des perspectives importantes et incontestables sur le langage, le développement des peuples et la promotion de l'humanité, qu'en se constituant en discipline autonome, ayant en elle- même son utilité et sa fin »70. L'apport fondamental de Humboldt se trouve dans cette conception de la langue non pas comme une substance ou un objet achevé mais comme un mouvement continu, une activité, une énergie. Il établit une relation si étroite entre la langue prise comme un tout organique avec sa structure singulière, entendue comme une « œuvre d'art » élaborée par ses utilisateurs et la mentalité d'un peuple, qu'il lui paraît possible de déduire l'une ou l'autre, de lire dans la langue nationale l'esprit d'un peuple, la psychologie d'une nation. Aussi, l'individualité d'une nation – présente dans l'individualité d'une langue – doit-elle être préservée coûte que coûte (d'où la position centrale de la notion de continuité dans l'oeuvre de Humboldt, la rupture dans la conscience du passé étant la pire des choses imaginables dans l'histoire d'une nation). La passion de Humboldt pour l'étude des langues dans leur diversité se double de la passion de la défense de cette diversité linguistique, conformément aux principes scientifiques et moraux qui fondent sa théorie linguistique. La diversité linguistique et nationale renvoie aux modalités pratiques de segmentation et de réunion des membres de l'espèce humaine et permet d'imaginer le rassemblement de toutes ces nations dans le cadre d'une « alliance ». La présence d'une téléologie politique et culturelle au sein de la philosophie de l'histoire de Humboldt correspond, à bien des égards, à la

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sensibilité religieuse et protestante (de même que pour Herder et Fichte) qui laisse entrevoir cette quête d'une fraternité universelle. Cette attitude intellectuelle interdit logiquement toute idée d'hiérarchisation culturelle des langues : chacune, de par son existence et son individualité, mérite considération ; chacun institue la médiation (s'institue en médiatrice) entre la part intérieure et la part extérieure, entre la subjectivité et l'objectivité. Le génie et la valeur des langues naissent de cette capacité que toutes partagent. « Le langage a été découvert comme la médiation entre le sensible et l'intelligible, l'homme et le monde puis à l'intérieur de l'univers langagier, second univers que l'homme interpose entre lui et le monde extérieur, la diversité des langues est la médiation entre l'Universalité de l'esprit humain et le singulier de chaque langue et en elle, de chaque individu parlant. La parole vivante, énergia, productrice continuée de sens, est l'ultime médiatrice entre l'individu dans l'instant et le tout des individus, passés, présents et à venir, entre l'atome concret, seule réalité, et l'humanité »71, résume excellemment J. Quillien.

a) La langue basque ou le modèle du primitif

41 Nous devons à Jules Michelet d'avoir attiré l'attention dans son Histoire de France72, sur les Recherches sur les habitants primitifs de l'Espagne à l'aide de la langue basque de Humboldt, tout en déplorant que la traduction de cet « admirable petit livre » ne fût pas encore réalisée. Elle le sera en 1866, par M. Marrast73, procureur impérial à Oloron Sainte Marie, dans le département des Pyrénées Atlantiques.

42 Lors de son séjour à Paris, Humboldt découvre avec émerveillement, à la Bibliothèque Nationale, le dictionnaire manuscrit de S. Pouvreau et les Proverbes d'Oyhénart. Et, au cours de son voyage en Espagne, en 1800, il visite le Pays Basque, se faisant géographe, ethnographe et se passionnant pour une langue basque en qui il décèle les plus étonnantes qualités expressives de la pensée humaine. Il s'attire l'amitié du curé de Durango, Don Pedro Astarloa, dont les recherches lui servent de guide précieux. Il rencontre aussi des savants espagnols impliqués dans les débats linguistiques qui agitent l'Espagne d'alors, à savoir la critique de la place du basque dans le passé linguistique de la péninsule ibérique. Il fait également la connaissance du curé de Marquina, Don Antonio Moguel y Urquiza qui note à propos de Humboldt : « Un noble y sabio Prusiano, Llamado Varon de Humboldt se dedico in Paris a la lectura del arte y diccionario vascongados (...) Venia Comisionado de alguna sociedad de sabios que intentan descubrir las lenguas matrices primitivas y originales. Va apubi-car en breve, alguna obra sobre este idioma despreciado por muchos sabios españoles que debian confundirse en semejante exemple : el sabio Prusiano quere demontrar que el idioma bascongado es eloquente, puro y fecondo »74. De manière intentionnelle certainement et avec habileté, le curé Astorloa inscrit les recherches de Humboldt dans la contre-offensive menée par les apologistes de la langue basque contre tous les détracteurs : « Aux yeux du bon curé, son suffrage vengeait bien l'euscara des dédains ridicules de certains auteurs espagnols qui, n'en comprenant point le mécanisme, le traitaient de jargon barbare et sans règles (V. Mariana) »75. 43 A son retour en Allemagne, Humboldt - qui souhaite consigner toutes ses observations et ses remarques dans un ouvrage d'ensemble - présente son projet dans un article inséré dans le Museum allemand de Frédéric Schlegel, avec pour titre : « Ankundigung einer Schrift über die baskische Sprache und Nation, nebst angabe des Gesichtpuncktes und Erhaltes desselben » (« Annonce d'un ouvrage sur la langue basque, et sur la nation

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basque étudiée d'après les données fournies par sa langue »). Humboldt résume ainsi les séquences thématiques de cet ouvrage. Dans la première, il compte, sous la forme d'une « relation de voyage », peindre « le sol, les moeurs et les caractères de cette race vive et intelligente, disséminée dans les vallées pyrénéennes, et sur la Côte de l'Océan, à la fois montagnarde et maritime, constituée depuis une haute antiquité en groupes indépendants unis par un lien fédératif, à la manière des petits peuples de la Grèce antique ». Dans la seconde, consacrée aux développements linguistiques, l'auteur entend étudier le basque de manière diachronique, mais aussi par rapport aux autres langues en perspective d'un ambitieux projet scientifique appelé à être un monument de linguistique comparative : « Dans cet examen, je ne perdrai pas de vue les autres langues, car, pour moi, la connaissance du basque n'est qu'un des éléments de l'étude comparative qui permettra d'édifier un jour l'Encyclopédie générale du langage. Je comparerai le basque avec les autres langues, et j'indiquerai (si cela est possible) à quelle classe et à quelle famille il se rattache ». Quant à la dernière séquence, elle rappellera les finalités politiques qui accompagnent une telle entreprise philosophique, à savoir l'éloge de la diversité linguistique. Le positivisme trouve ainsi une légitimité et son sens dans une téléologie d'essence politique : la germanité avec l'Aufklärung, et ici, la promotion de la nation basque. 44 Les Recherches sur les habitants primitifs de l'Espagne s'ouvrent par une déclaration de méthode et d'intention. La toponymie, en fixant l'histoire, constitue une ressource incomparable pour la reconstitution de l'histoire d'un peuple : « Dans ces monuments [les noms de lieux] les plus anciens et les plus durables de tous, une nation disparue depuis longtemps nous raconte son histoire, il ne s'agit que de la comprendre »76. Et l'ensemble de ces recherches doit permettre « d'asseoir sur de nouvelles bases l'histoire d'un pays et d'un peuple, et de nous fixer enfin sur l'origine, la propagation et les analogies de la langue basque, questions jusqu'ici si controversées »77. 45 Humboldt apprécie nombre d'observations d'Astarloa mais conteste son adhésion à la théorie de Davies, théorie selon laquelle les purs mots celtiques les plus longs peuvent se ramener à des radicaux qui ne désignent pas les objets réels - la terre, l'eau, l'arbre - mais expriment seulement les différentes manières d'être et d'agir. Rétif à toute idée d'arbitraire, Astarloa voit dans le sens une conformité aux sons articulés par l'homme, aux bruits de la nature. Ainsi O désigne ce qui est rond ; i, ce qui est aigu, tranchant ; U ce qui est creux, etc.78. Humboldt accompagne cette analyse naïve par une autre : « il explique, [dit-il], gravement l’a de aarra (« homme ») et l'e de emea (« femme ») en disant qu'à son premier cri, l'enfant mâle fait entendre un a et l'enfant de sexe féminin, un e »79. La tentative d'Astarloa et de son continuateur Erro de découvrir dans le basque « la langue mère de la race humaine » 80 restera une vaine entreprise : « Tant que les linguistes basques n'auront pas renoncé à cette tentative universellement reconnue chimérique pour se borner à fournir leur part d'observations sur leur idiome, leurs travaux ne seront jamais d'une pleine utilité pour leurs compatriotes ni pour les étrangers »81. Etablir les relations de continuité entre les anciens noms de lieux - véritables « débris de la langue nationale » - et les noms de lieux où le basque est aujourd'hui parlé, tel doit être l'objectif d'une approche raisonnée de l'histoire linguistique de la Péninsule ibérique. Humboldt conçoit ses recherches en les ponctuant de questions qu'il ordonne de manière logique. S'il aboutit à la conclusion que le basque était la langue des habitants primitifs d'Espagne82, il se demande immédiatement si cette langue était ou non l'unique langue de ce pays, étant donné que les noms basques sont inégalement répartis en Espagne : « La plupart se présentent

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surtout chez les Vascons, puis chez les Turdules et les Turdétans de la Bétique »83. L'exploration des mots désignant les entités collectives et géographiques suivantes - Basques, Espagne, Ibérie, Espagne - prend une signification toute particulière. Et Humboldt de dresser un constat paradoxal quant au niveau de connaissance anthropologique des peuples selon l'aire géographique à laquelle ils appartiennent : « Les deux nations de l'antiquité dotées de langues les plus complètes et de la littérature la plus florissante, la Grèce et l'Italie, partagent cette singulière destinée que leurs habitants primitifs nous sont bien moins connus que ceux des contrées barbares » 84. Leur perfection a été telle qu'elle a rejeté le passé dans l'obscurité et dans l'oubli. Ainsi en est-il de l'Italie qui ne manque pas, elle non plus, de noms d'origine basque. 46 En dessinant ainsi une carte des usages du basque dont le monde ibérique fut l'épicentre et qui a entretenu dans le passé lointain des relations de proximité avec d'autres langues, Humboldt aboutit à une certitude fondamentale qui confirme la vieille théorie linguistique présente en Espagne depuis le XIIe siècle et magnifiée par les apologistes de la langue basque du XVIIIe siècle : « Les anciens Ibères sont la souche des Basques actuels ; les Ibères étaient répandus dans toute la péninsule, parlaient une seule et même langue et formaient plusieurs peuplades avec des dialectes divers. La langue basque était donc celle des habitants primitifs de l'Espagne, soit autochtones, soit venus dans ce pays à une époque antérieure à tout témoignage historique »85. En dépit de mélanges avec les Celtes, les Ibères n'ont pas connu « l'institut des druides et des bardes » : « De là aussi sans doute moins de régularité dans la langue basque, surtout pour revenir des dérivés aux racines. Ailleurs, en effet, les druides et les bardes, seuls possesseurs de toute la science de leur époque, veillaient à maintenir la régularité de leur langue »86. Aussi la recherche sur le basque doit-elle se prolonger par une recherche comparative entre « les idiomes basque, breton et germanique » et avec les langues de l'antiquité : « On reconnaîtra ainsi celles de ces langues qui se distinguent du grec par des caractères marqués et on en fera le point de départ de nouvelles recherches »87. 47 A côté mais avant l'antiquité grecque à laquelle Humboldt accorde un intérêt historique et philosophique majeur, se distingue l'antiquité basque, premier maillon de l'histoire primitive européenne ; « Je la [langue basque] considère comme une langue purement européenne, une des plus anciennes, et si j'ose m'exprimer ainsi la plus ancienne de la partie du monde que nous habitons. C'est bien la langue d'un peuple antique, répandu sur un immense espace, et dont la destinée est étroitement liée à l'histoire primitive de l'Europe occidentale »88. 48 En multipliant les faits aptes à vérifier ses hypothèses, en critiquant les sources qu'il exhibe, Humboldt se veut historien en même temps que philologue, sans pourtant énoncer quelque théorie historique ou linguistique achevée, pour démontrer que le basque est le produit de l'histoire et non le produit d'un événement religieux (mythe de Tubal, descendant de Noé, venu s'installer en Espagne et premier bascophone) comme l'avaient imaginé les apologistes de la langue basque. L'héritier de l'Aüfklarung et le protestant qu'il est opèrent, pour la première fois, la démythologisation religieuse du passé de la langue basque. L'individualité du basque, il la forge à partir d'un double constat : son antiquité, d'une part, ses règles internes, d'autre part. De là, l'individualité de la nation basque qu'il approfondit au travers d'une étude sur l'histoire, l'ethnologie, la géographie et la psychologie des Basques. La mise en évidence de cette individualité du basque ne vise nullement à l'enfermer dans la spécificité de ses traits, mais à

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l'inscrire dans l'ordre de l'Universel figuré par l'humanité89. Le souci constant d'associer l'ordre de l'individuel et celui de l'universel signe la disposition intellectuelle sans doute majeure de Humboldt pour qui l'intelligibilité du réel historique relève de l'évidence scientifique élémentaire. Rétif aux constructions sur l'histoire, il recherche obstinément « le sens historique » 90 en évitant de « forcer les événements » 91. Partageant la passion de son temps pour la Grèce et la Rome antiques92, il préfère l'Antiquité aux temps modernes et de manière particulière, l'antiquité grecque et romaine93 par rapport aux autres civilisations « barbares ». L'Antiquité connote le sens ou la proximité du début ; elle en tire sa perfection : « ce début [dit-il] est aussi sa perfection »94. Humboldt fait figurer le basque, en même temps que les langues celtique et germanique dans le cercle des langues choisies qui méritent et supportent une comparaison avec ces langues de l'Antiquité - le grec et le latin - qui symbolisent la perfection. 49 Dans un autre ouvrage consacré à la langue basque, et à ce jour non traduit, Berichtigungen und Zusätze zum ersten Abschnitte des Zweyten Bzandes des Mithridates über die Cantabrische oder Bashische Sprache95, et publié plus tard, il rappelle comment après avoir dû s'éloigner de l'étude du basque pour des raisons professionnelles, l'occasion lui fut fournie d'y revenir à la faveur de la proposition du Professeur Vater de l'associer à son ambitieux projet d'écriture d'un « tableau universel des langues »96. Les partitions internes du Pays Basque suscitent ses premières remarques ; « La nation basque est tellement déchirée que le chercheur se trouve en difficulté dès qu'il souhaite trouver une définition générale sur ce pays »97. Les diversités dialectales l'indisposent particulièrement. L'absence d'oeuvres littéraires l'oblige à travailler plutôt sur la langue parlée que sur la langue écrite. Une véritable attitude scientifique est ici déterminante car seul, « le chercheur est capable de donner un aperçu de l'économie interne d'une langue par rapport à la structure des mots »98. 50 Cette précaution est nécessaire lorsque l'on aborde les comparaisons étymologiques qui peuvent entraîner des erreurs voire « la folie »99. Aussi convient-il de bien fixer la prononciation et les analogies internes car « chaque mot est un individu avec ses propres traits, comme un visage a ses yeux, son nez et sa bouche »100. 51 Il rappelle aussi que la quête de traces antiques fut le motif essentiel de son voyage en Espagne : « chercher les traces des plus vieilles constitutions du peuple et des plus vieilles histoires à trouver toujours dans les anciens dictons et chants nationaux »101. De ces traces, la moisson ne fut pas, à ses yeux, abondante car ni les textes et ni la religion n'en contiennent. On les remarque dans les coutumes des vieux Basques, ou encore dans les corpus syntaxiques désignant les mois et les jour, les danses nationales et les contes102. Tout en notant son origine douteuse, il rapporte le texte du « chant de Lelo », récit tragique d'un guerrier Lelo parti en guerre à l'étranger à l'époque romaine tandis que sa femme Tota le trompe avec un certain Zara qui la met enceinte. A son retour, Lelo est tué par les deux amants. Informé de ce méfait, le peuple se réunit et décide de chasser les deux amants criminels. Les chants nationaux connaîtront, on le sait au XIXe siècle, un grand succès, suscitant de nombreuses controverses autour de leur authenticité, beaucoup étant apocryphes. « Le chant de Lelo » n'échappera pas, comme on le verra plus loin, à de vives critiques émises, en particulier, par les interprètes de la vision républicaine de l'histoire de France : Julien Vinson et Jean Bladé assumeront ce rôle avec beaucoup de vigilance.

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b) Le peuple basque ou le modèle du populaire

52 Après les observations sur la langue qui incarne la dimension la plus expressive et la plus riche d'une nation, les études géographiques et ethnographiques constituent pour Humboldt l'autre versant d'une véritable et complète anthropologie. La nation basque lui offre le terrain idéal pour cet exercice qu'il veut exemplaire dans sa partie scientifique - saisie critique, dans le sens kantien, de la cohérence entre les traits constitutifs de la société basque - et généreux par sa portée politique - oeuvrer pour le bien de la nation basque.

53 Dans l'introduction de son ouvrage Die Vasken103, il rappelle les convictions philosophiques et les ambitions intellectuelles qui guident son entreprise : la perfectibilité de l'homme, l'intérêt d'une harmonie sociale entre le peuple et les élites, la valeur supérieure du primitif et de l'antique, la quête des traits spécifiques du populaire, la valeur ontologique de la coutume, la mise en évidence de l'exemplarité de la nation basque. 54 Humboldt commence par relever d'emblée la singularité du « peuple des Basques » qui a conservé au cours des siècles sa langue primitive et pour une large part son système coutumier, lesquels les auraient préservés du regard de l'observateur et de l'épée du conquérant104. Résistant à toutes les tempêtes historiques dont la première, la chute de l'empire romain, puis dans les temps plus récents, partagés de manière inégale entre deux « nations puissantes », les Basques n'ont nullement renoncé à « leur manière d'être ». N'ayant connu aucun mélange avec leurs voisins, ils ont maintenu « leur caractère national » construit autour de leur esprit de liberté et d'indépendance tant souligné par les auteurs grecs et romains, et l'authenticité primitive des coutumes malgré les progrès accomplis par le luxe et le raffinement autour d'eux. Utilisant à nouveau la métaphore du torrent pour qualifier le cours de l'histoire, Humboldt observe que quelques autres peuples ont su maintenir leur langue maternelle et leurs coutumes « comme un tison » : ainsi en est-il des Bas-bretons de France, de leurs frères du pays de Galles, d'habitants des montagnes écossaises, de certaines populations d'Allemagne et de Suisse, des Estoniens et des Livoniens, de quelques autres peuples d'Italie et des Iles italiennes, restes d'autres nations jadis puissantes et étendues. Cependant, nul autre comme les Basques n'a su préserver jusqu'à ce jour une organisation politique indépendante et un « bien-être florissant »105, jouir des bienfaits de l'Europe éclairée sans pour autant « abandonner son caractère particulier et sa simplicité primitive »106. Humboldt applique ainsi la théorie du primitivisme, chère à l'Aufklärung, aux Basques qui l'illustrent par trois qualités fondamentales, l'authenticité, la simplicité et la modestie. Ces trois paradigmes spécifiant le monde ou l'état primitif, il les compare sans les opposer aux paradigmes culturels qui définissent l'époque « éclairée », la complexité, le raffinement et l'abondance, et qui se remarquent au sein des élites sociales. L'observation du populaire renvoie nécessairement au primitif qui symbolise le règne absolu du populaire. A partir de là, l'histoire se construit par l'accumulation et la stratification, c'est-à-dire par la structuration des rapports sociaux jusqu'à l'affirmation de divisions sociales. 55 Une explication scientifique doit être fournie pour rendre compte de la permanence, chez les Basques, de cette simplicité primitive. Humboldt la trouve dans la géographie. C'est en effet sa position géographique qui a protégé la nation basque contre les invasions, tout en favorisant les communications et le commerce avec le monde entier ;

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c'est aussi dans sa position géographiquee « qu'il faut chercher la clé de toute son histoire, et en particulier de la plus lointaine »107. Les provinces basques peuvent espérer en Espagne et en France un accroissement de leur population et de leur bien- être. Mais des influences diverses et fortes les préparent inexorablement à l'abandon de leur singularité nationale. La débasquisation est bien engagée et l'aire linguistique bascophone a tendance à se réfugier dans les zones montagneuses ; de plus, celle-ci est « traitée comme par une mauvaise mère par la partie la plus illustre de la Nation »108. Le déclin du basque est prévisible et Humboldt d'imaginer qu’« en moins d'un siècle, le basque aura peut-être disparu de la série des langues vivantes »109. Il propose une conception déterministe de l'histoire selon laquelle, lorsque la société atteint « un certain degré de civilisation », les différences sont appelées à s'estomper et les petits peuples à se fondre dans les grandes masses110. Et pour orienter les nations vers des progrès intellectuellement importants et plus encore les protéger contre tout possible retour de la barbarie et de l'ignorance (maux les plus détestables qui soient pour un esprit éclairé), de grands moyens politiques s'avèrent nécessaires. Il est certes douloureux de constater le déclin d'un peuple même s'il s'agit d'une victime offerte pour le bonheur de l'humanité tout entière ; la douleur n'en est que plus grande quand on a affaire à la disparition d'une langue. Comment rester indifférent quand il s'agit de la disparition d'une langue « non affinée par la littérature »111, s'imposant comme « l'unique expression du mode de penser d'un peuple rude » ? Langue populaire, le basque l'est assurément. Aussi observe-t-on spontanément et logiquement, chez les Basques, « plus d'exactitude saine du jugement que de formation scientifique, plus de sentiment naturellement chaud que de sensibilité raffinée »112. L'activité lettrée, d'après Humboldt, soumet une langue populaire à des distorsions qui affaiblissent ses capacités expressives. D'où la supériorité de l'usage du peuple sur celui de l'écrivain : « quand une langue accède à une formation littéraire et scientifique, elle s'écarte des mains du peuple et rarement gagne en énergie et richesse »113. La vertu majeure de la langue populaire réside sans conteste dans sa spontanéité, ses débordements de sens. sa liberté créative, ses expressions hyperboliques alors que la langue littéraire et scientifique s'élabore en fonction des contraintes, des retenues et des limites imposées par le formalisme thématique. Cette spontanéité manifeste ses performances dans le transport « des nécessités plus immédiates », « des sensations plus naturelles », de « la fantaisie plus infantile », des « passions plus rudes »114. Cependant, Humboldt évite de figer son destin, de l'enfermer dans l'espace social et la temporalité qui l'ont produite : avec le concours de générations ultérieures plus cultivées, la langue populaire peut accéder à un usage spirituel plus élevé115. Il croît à la plasticité et aux virtualités morales et intellectuelles de l'homme qui est « destiné à se perfectionner socialement » 116, de telle sorte que chaque individu se doit de s'agréger au groupe et que l'humain éclôt dans la simplicité de la nature et dans l'ornementation la plus riche de la perfection éducative. Loin de n'exister qu'au travers de ses qualités propres, un caractère populaire, décidé ferme et vigoureux, exerce une influence morale et sociale majeure sur la totalité nationale, en permettant à la plus fine éducation d'une nation, à la vérité, à la force et au sens du devoir de s'imposer. Aussi l'étude des modalités d'expression des divisions sociales prend-elle ici une signification évidente ; en effet plus manifeste est la distance entre le peuple et les classes éclairées, moins perceptible se fait la formation des caractères populaires. Si la distance sociale neutralise les caractères populaires, la proximité sociale leur apporte un terreau favorable. Les Basques en fournissent une nouvelle fois l'illustration. Aux yeux d'Humboldt, les Basques, surtout

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ceux d'Espagne, connaissent un réel bien-être corporel sans lequel la prospérité morale est impossible. Outre les structures d'auto-gouvernement, ils montrent dans un même élan d'enthousiasme l'attachement à leur pays et à leur nation ; mêmes les gens fortunés, et ceux qui reçoivent en Castille des titres honorifiques demeurent fidèles de bon gré à leur patrie et entretiennent d'étroites relations avec le peuple dont ils conservent les coutumes et la langue. Une telle proximité sociale a pour effets de permettre la contamination partielle de la langue et des idées populaires par la Philosophie des Lumières et de rendre moins visibles les appartenances de classes dont les différences échappent complètement au regard du Basque ingénu. Humboldt entend insister sur les rapports harmonieux entre les classes sociales dans les provinces basques où le peuple fait montre d'une réelle « éducation naturelle » et où les personnes distinguées jouissent d'une réelle popularité, ce qui constraste avec les voisins tant français qu'espagnols. On peut seulement leur opposer, et de manière relative, le cas de petits cantons suisses où le sens de l'indépendance politique marque leur position externe et où une faible division sociale définit leur situation interne. En définitive, « la langue, l'organisation, les coutumes, la physionomie, et tout ce qui l'entoure, sans exclure l'aspect de leur pays, caractérisent les Basques comme « une souche pure et séparée » »117. Leurs données anthropologiques trouvent leur singularité dans leur isolement géographique, leur unicité morale et sociale ; à ce titre, ils illustrent exactement « le pur caractère de peuple »118 en présentant l'ensemble des traits qui le fondent. Le voisinage avec la nature dans les principes éducatifs reste l'indice le plus significatif d'un état culturel bien compris. L'observation du présent invite à remonter le cours du temps pour déterminer les contours du passé. Une telle permanence et présence des structures du populaire parmi les Basques, qui signe une rare forme morale et sociale, légitime l'hypothèse d'une continuité entre le passé antique et le présent : « la particularité ethnique des Basques nous fait reculer vers les siècles lointains à l'époque antérieure à la domination romaine et cartagénoise, aux premiers habitants d'Espagne »119. Soumis aux contraintes et aux nécessaires évolutions historiques, cette particularité ethnique s'efface très progressivement ; elle subsistera néanmoins encore pendant longtemps. Cette situation suscite chez Humboldt, deux interrogations : l'une de nature historique, relative à l'origine de la souche et de la langue des Basques, l'autre de portée politique, concernant l'attitude de la monarchie espagnole à l'égard de la nation basque afin que l'Espagne puisse bénéficier de « sa force et de ses activités fructueuses »120. Le cas des Basques de France est l'objet d'une simple allusion à la République française qui n'accorde une « importance très secondaire » qu'aux seuls « districts basques »121. 56 Pour la première, Humboldt note que l'esprit partisan et les choix arbitraires ont prévalu au détriment d'une analyse circonstanciée et solide. Les chercheurs étrangers ont travaillé à partir d'une connaissance insuffisante du basque tandis que les auteurs indigènes sont supects pour d'autres motifs. La seconde interrogation gagne à être considérée avec beaucoup d'attention dans la mesure où les situations de co-existence de plusieurs peuples au sein d'un même Etat ne sont pas rares. Force est de constater qu'à ce jour le génie politique s'évertue plutôt à se débarrasser des difficultés issues de cette diversité qu'à jouir des avantages constitutifs de cette singularité122. Des considérations analogues l'ont poussé à faire un voyage en Espagne, « lieu attirant pour les investigations sur la nation et la langue basques »123. Si la finalité du voyage est bien d'ordre linguistique, Humboldt entend contribuer « pour sa part, à donner des idées plus correctes et exactes sur la nation et la langue basques que celles qui dominent

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aujourd'hui »124. Cela passe par la mise en scène des Basques avec leurs coutumes et leur mode de vie. De là l'importance qu'il attache à « leurs proverbes, leurs danses nationales, leur musique et leur poésie », témoins précieux de « leur mode de pensée et de vie »125. Ces pratiques-là sont l'expression polymorphe du génie et de l'exubérance de l'âme populaire ; à ce titre, elles composent le versant « culturel » de la spontanéité populaire et complètent le versant linguistique abordé précédemment. La richesse expressive du populaire explique la séduction qu'il ne manque pas d'exercer sur des esprits pétris de culture lettrée et savante. Face à l'esthétique aristocratique ou bourgeoise, prend place une esthétique du populaire construite selon les canons aristocratiques ou bourgeois. L'approche du grand aristocrate qu'est Humboldt constitue assurément un modèle du genre : le XIXe siècle consacrera, on le sait, le succès d'une telle approche qui trouvera, en particulier dans le programme muséographique, sa plus forte traduction. En rappelant sans cesse sa volonté de faire oeuvre de science et conjointement en multipliant jugements de valeur, appréciations et observations sur les charmes et l'hétérodoxie du populaire, Humboldt fixe les modalités de constitution d'une science et d'une esthétique du populaire. L'aristocrate, le protestant et l'adepte de l'Aufklärung se retrouvent dans la défense et l'illustration, indifféremment, de la germanité et de la basquité. Humboldt confesse que l'image de la nation basque a marqué son âme à tout jamais, à tel point qu'il aurait aimé ériger un « monument » en témoignage « du respect et de l'amour » qu'elle lui a inspirés, concluant par ses mots le préambule de sa monographie126. 57 Humboldt entreprend son périple à partir de Saint-Jean-de-Luz, privilégiant la partie côtière des Pays basques de France et d'Espagne, multipliant les observations de caractère géographique (le rôle des montagnes et des rivières dans la formation des mentalités), et de nature ethnographique sur le travail des femmes, les rapports entre les sexes, l'habitat et l'espace domestique, « l'organisation du pays », la fonction paradigmatique de la coutume, les représentations ethnotypiques des uns et des autres, avec pour objectif principal la mise en évidence et la démonstration de l'originalité des Basques dans leurs façons de structurer l'économie, la politique, la fête, leur imaginaire. en somme, la nation basque. Tout ceci souvent entrecoupé de développements philosophico-anthropologiques, parfois obscurs, autour de lieux communs de l'Aufklärung, de thèmes très présents dans les pensées herdiennes et fichtéennes en particulier. 58 Humboldt reprend les catégories communes de l'époque pour désigner les Basques : Bizcaiens pour parler des Basques d'Espagne, Basques pour qualifier les Basques de France. C'est aux Basques que revient l'invention des techniques dans les opérations de pêche et d'approche des baleines127. La présence de « patriotes éclairés » (tels le comte de Peñaflorida, fondateur en 1763 à Vergara de la première société économique d'Espagne - la Real Sociedad Vascongada de los Amigos del Pais, ou le comte de Montehermoso à Vitoria) suscite son admiration. Il porte une attention très soutenue aux structures qui participent à « l'organisation du pays » : les corporations professionnelles telles que les cofradias, les entités territoriales de gestion administrative que sont les Hermandades (de l'allemand Germanus, selon Humboltd) en Alava. Celles-ci sont autant d'exemples d'autogouvernement local dont l'essence est supérieure à celle de structures plus générales. Les usages locaux, les micro-structures proches des individus - expressions de la société d'en-bas -, sont préférables aux concepts et aux directives venus d'en-haut (et en particulier de l'Etat). Ils fournissent aux individus des repères visibles et intelligibles, expérimentés et consacrés par la

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tradition ; l'insertion de l'individu n'en est que plus facile, plus forte et plus durable. Constitutive et autre illustration de cette « organisation du pays », la multitude de caserios ou d'ante-iglesias (petits villages) qui caractérise si fortement le mode d'habitat en Pays Basque espagnol par rapport aux régions d'Espagne atteste clairement qu'en Viscaye, « on a su lutter contre la prépondérance des villes »128. La nation s'édifie et se nourrit à partir des ressources du populaire paysan. Ces petites unités de vie apportent aux populations les cadres mentaux qui insufflent l'esprit d'indépendance, forgent les caractères, préparent à la morale de l'effort, socialisent l'amour de la nation et de la langue. Parmi les espaces naturels, la montagne a, sans conteste, la faveur de Humboldt, dont les propos moraux à son égard abondent ; la montagne permet, en effet, l'accès à l'excellence morale par la terrible discipline du corps et de l'esprit qu'elle suppose. Elle est, à bien des égards, l'incarnation de la Nature dans la plénitude de ses dimensions physique, philosophique et anthropologique. Humboldt ne fait nullement état de critiques anti-urbaines. Si la ville cumule les richesses et les symboles culturels et économiques - au cours de son voyage, il insiste sur le dynamisme commercial et industriel des villes du Pays basque -, la société paysanne conserve une supériorité ontologique (due à son statut de conservatoire du primitif et du populaire)129, qu'expliquent son assise populaire et par voie de conséquence son ambition nationale130. Si en France, pour la Philosophie des Lumières, la société rurale/ paysanne/populaire, « trace » de l'Ancien Régime, espace de l'obscurantisme, de l'étroitesse d'esprit et de relations sociales rigides et pesantes, se doit d'être civilisée par la ville, cité modèle des Lumières, en Allemagne pour l'Aufklärung, la société paysanne reste, au contraire, parée de toutes les vertus et n'a rien à devoir à la ville qui est loin de pouvoir synthétiser les principes d'une rationalité technique absolue. Comment ne pas évoquer la nature harmonieuse, en Pays basque, des relations entre le monde humain et le monde animal, illustrée notamment par la proximité physique du paysan avec son attelage de boeufs dont les têtes sont introduites, par une ouverture, dans sa cuisine131 ? Comment ne pas s'émerveiller devant la force paysanne observable chez les habitants des villages basques isolés et absente chez les habitants de nombre de provinces d'Espagne qui, eux, habitent plutôt en ville, « ce qui est préjudiciable à leur caractère »132 ? Les autres observations faites par Humboldt sur l'espace domestique tentent toutes de cerner « les cohérences et les valeurs inégalables qui inspirent la société paysanne basque »133. 59 Autre figure hautement symbolique du populaire basque, la danse, à laquelle Humboldt réserve une dizaine de pages134 et dont il souligne la complexité de l'enchevêtrement des références et des sens : les rapports entre les classes sociales, le religieux et le païen, les relations entre les sexes, les mouvements indécents et la retenue dans l'expression, la part de l'authentique et la partie de l'emprunt, la différence entre la danse/divertissement -, et la danse/essence d'une nation. 60 Gestes, mouvements du corps, émotions, sensations, rythme, musique constituent tout en l'agrémentant le registre de la danse ou plutôt des danses car elles doivent être analysées dans la diversité des codes et des valeurs qu'elles véhiculent. Par la danse. derrière le formalisme des attitudes, s'exprime un jeu polysémique qui renseigne sur l'état social ou moral d'une société, sur son statut comme prétexte à une mise en scène et à une émotion collectives ou simplement pratique « des classes inférieures du peuple »135. L'inventaire analytique des danses basques (dont les descriptions pour certaines, il le confesse, ont été établies à partir de témoignages) se veut sobre et précis. Si les carricadantza, chipiritaina et culadas, n'appellent aucune remarque spécifique, le

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fandango suscite par contre des commentaires, par ses origines non basques et par l'implication limite des règles de la morale. En effet, du fandango d'après certains d'origine castillane et américaine, porteur « d'une voluptuosité lubrique » 136 provenant de la nature du climat, Humboldt distingue, au prix d'une casuistique sophistiquée, le fandango du Pays basque qui, lui, « reste dépouillé de tout caractère de voluptuosité, est la danse naturelle rude, primitive pourrait-on dire, également indécente et obscène (non pas en général ni par essence, mais plutôt chez l'un ou l'autre des danseurs) mais nullement lubrique »137. Si l'éloge du populaire constitue l'un des thèmes centraux de la pensée humboldtienne, la lubricité semble marquer, seule, la limite extrême du populaire, et désigner la part non acceptable, troublante, sauvage et probablement non domesticable du populaire. Expression d'une pudeur personnelle ou acte de censure du populaire, nul doute que cet aspect heurte ou plutôt gêne autant le protestant que l'homme éclairé qu'il est. Heureusement, les Basques ont pu être préservés de cette marque expressive extrême pour deux raisons : par son origine extérieure au Pays basque, le fandango prend l'allure d'un « ajout exotique »138 ; il relève du « divertissement » et ne signe en aucun cas une dimension essentielle de la basquité : « les danses nationales authentiques du Pays basque portent toutes un caractère plus élevé et plus noble que celui du divertissement populaire en soi, et se distinguent beaucoup plus par le respect et la dignité, elles l'étaient encore davantage dans les temps passés quand la partie distinguée de la nation se distanciait moins qu'aujourd'hui du peuple et des coutumes locales, quand les autorités accordaient à la danse une attention plus soutenue ou quand les prêtres parlaient moins contre elles (les danses) et manifestaient moins leur zèle »139. De manière plutôt surprenante parce que inhabituelle, Humboldt constate, en les déplorant, l'existence d'écarts, entre les gens distingués et le peuple au sein de la société basque, et l'attitude hostile du clergé à l'égard des danses, objet d'un vieux contentieux avec l'Eglise depuis le concile de Trente. En même temps, il précise les contours de sa théorie du populaire ou de l'idéal- type populaire, d'une part. par la distinction entre l'ordre de l'accidentel (la danse- divertissement), et l'ordre de l'essence (la danse-pratique intrinsèque), entre l'origine endogène et l'origine exogène ; d'autre part, par la hiérarchisation axiologique de ces dimensions, à savoir la supériorité respective de l'ordre de l'essence et de l'endogène sur l'ordre de l'accidentel et l'exogène. De plus, l'ordre de l'essence se manifeste, dans le domaine de la danse, dans l'esthétique des formes, dans une sorte de théâtralité des mouvements produisant une émotion collective tandis que l'endogène se décline dans la diversité et la plasticité illimitée de formes locales qui, toutes, célèbrent l'inventivité et le génie du peuple : « Seules les danses nationales exclusivement basques que l'on suppose d'origine plus anciennes, ressemblent plus à nos danses figurées, sont des représentations théâtrales ou pour le dire ainsi des jeux de société »140. 61 Chaque localité peut exhiber une danse propre qu'elle exécute habituellement. comme une sorte de marche solennelle lors d'événements importants dans la vie du village, tels que la fête du corps du Christ, le jour de la Saint-Jean ou la fête du Saint patron du lieu. La fécondité du populaire prend au Pays basque une dimension remarquable car aux danses déjà citées, s'ajoutent le zortzico [« la danse la plus artistique » 141], l'acheridantza, le toalladantza, le trokiua, le jorraidantza et l' espatadantza, ces deux dernières danses « étant peut-être les résidus les plus antiques des coutumes »142. L'espatadantza a la particularité d'être exécutée par une trentaine de danseurs, au cou orné d'un scapulaire, tenant une épée ; Humboldt y discerne les éléments d'une scène guerrière païenne récupérée par l'Eglise et transformée en cérémonie religieuse. A

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plusieurs reprises, Humboldt parle de la solennité de ces danses143 en les différenciant de celles qui ressortent de l'initiative privée144, le premier terme recouvrant les notions du cérémonial de la forme et du sens collectifs, d'espace public, par opposition à la notion du privé, figuré par l'espace de l'individu. Cette césure entre le solennel et le privé correspond à une option philosophique majeure de l'idéologie de l'Aufklärung, c'est-à- dire celle de la primauté du collectif, du national sur l'individuel, celle de la subordination nécessaire de l'imaginaire individuel à l'imaginaire national désigné également par le concept « d'esprit public ». L'expérience et le sens du collectif exigent le jugement des attitudes sociales qui excluent a priori l'esprit de facilité ; d'indifférence ou de fronde à l'égard des usages telle est bien la raison fondamentale du regard public (« la inspección publica »), celui-ci garantissant le respect de la coutume, « la rectitude et la force morales du caractère »145. A cet égard, de l'avis de Humboldt, la nation basque présente l'insigne singularité de cumuler toutes ces qualités et ainsi de dépasser toutes les autres nations. « Le fait qu'il y avait jadis une solennité plus favorable à l'intégrité des coutumes »146 n'attente nullement à ce jugement global sur la basquité. 62 Enfin, une autre dimension du populaire aiguise l'attention de Humboldt, celle de ces productions orales que sont les contes et les fables, lesquels « sont toujours l'expression plus naturelle et plus particulière de la fantaisie nationale »147. Il note que « nul peuple n'a poussé aussi loin, peut-être, la passion des contes que les Basques »148. Ils se répartissent en plusieurs genres dont ceux de los duendes149 et ceux de los imposibles (ceux des « impossibles » ou des impossibilités - telle l'histoire de la vie de celui qui n'est pas né). Urgente et utile, elle le serait la collecte de ces contes mais hélas, les individus cultes capable d'entreprendre un tel travail n'appartiennent pas au peuple et de plus ignorent ce patrimoine populaire ou répugnent à s'en occuper ! Cette collecte devrait être faite dans la langue basque elle-même car un recueil en espagnol affaiblirait la grâce des contes. Il en est ainsi de toute poésie populaire dont la traduction s'apparente à une dénaturation ou à une trahison. L'écriture de cette classe de textes rencontre les difficultés et les contraintes similaires à celles de la traduction. 63 La distance entre l'oraliture dont l'exubérance et la plasticité expressive sont stimulées par le génie de la langue, et l'écriture (ou la traduction) renvoie à la grande question philosophique et anthropologique, à savoir la distance entre la Nature et la Culture. Loin d'exprimer une opposition entre une logique du désordre et une logique de l'ordre, la première renvoie à une créativité fondée sur la spontanéité, le débordement des sens, l'imagination, la fantaisie, la seconde renvoie à une créativité soumise à des règles, à des codes, à l'instrumentalisation de la raison. Ce couple conceptuel recouvre et propose une lecture des séquences historiques ainsi réparties : celle des temps primitifs où règne la Nature et celle des Temps modernes où officie la Culture. Par le biais de ces premières analyses sur le thème du conte, prend forme un nouveau corpus de savoirs auquel les Frères Grimm. en particulier, donneront ultérieurement un statut littéraire. 64 Particularité insigne des contes basques. Humboldt décèle une ressemblance entre les récits basques et les fables grecques. Cela ne justifie pas que l'on envisage une origine commune antique à partir de vestiges à moitié disparus. Point de précipitation. prévient Humboldt qui peut apporter une explication logique. « La fantaisie et les passions humaines »150 sont un bien commun à tous les peuples et trouvent dans la civilisation rurale le terreau social de prédilection. Le génie de chaque peuple produit selon les circonstances et les périodes historiques les ressemblances ou les différences

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conformément, néanmoins, au postulat fondamental que l'inventivité s'exprime dans la multiplicité et l'hétérogénéité, le destin culturel de tout corpus de contes étant de traduire ces deux aspects dont la transfiguration symbolique se résume et se réalise, à travers l'unité consentie de toutes les classes constitutives d'une société, dans la nation. 65 Humboldt achève son voyage en revenant à son point de départ, le Pays basque français, ce qui lui donne le prétexte pour se livrer à l'ethnographie comparée des Basques de France, des Français, des Basques d'Espagne (appelés par l'opinion de l'époque les « Bizcaiens ») et des Espagnols, en s'appuyant sur les représentations collectives produites de part et d'autres. Les ressemblances et les contrastes sont notés avec subtilité et avec le souci de ne blesser personne, en équilibrant les éloges et les réserves. Les Basques de France font preuve « de force et d'agilité du corps, [d]'un niveau élevé d'imagination, [d]'une tendance constante aux idées générales, parfois singulières et caricaturales, [de] sentiment tendre, toujours prompt et de mouvement facile, et [d]'un esprit de liberté qui se manifeste devant toute contrainte sociale ; mais en même temps, on leur reproche frivolité, une inclination très forte au divertissement et un changement constant dans les penchants »151. Les Bizcaiens, eux « jouissent parmi leurs compatriotes et leurs voisins d'une réputation plus solide. Agilité et force corporelle, intelligence de l'esprit et noble sentiment de liberté qu'on ne leur conteste pas », et passent nettement pour constituer « une nation réfléchie, travailleuse, persévérante ayant de la fermeté dans ses projets et qui se soumet de bonne grâce à une contrainte nécessaire »152. L'examen des contrastes s'avère en réalité plus intéressant et plus pertinent, même si les références stéréotypiques ne manquent pas : frivolité et esprit frondeur pour les uns, pesanteur et conformisme pour les autres. Si « le caractère basque mélangé au français (comme cela se remarque chez les personnes qui ont fait la littérature) donne finalement un attrait indescriptible »153, qui jette « une parure de fantaisie à la fois sur l'esprit et le sentiment »154, tandis que les Basques d'Espagne « ont manifestement quelque chose de plus lent, de plus pesant dans leur être : leurs traits physiques expriment moins de mobilité, moins de subtilité, moins d'esprit et de fantaisie »155. La comparaison des attitudes permet aussi de relativiser les singularités ou de déplorer les effets de miroir : « Les Basques français sont simplement une petite souche rare dans un grand pays supérieur à eux par tous les styles »156. Des cheminements politiques et culturels dissemblables font que les Basques passent inaperçus en France et jouissent, par contre, d'une grande notoriété en Espagne : « De manière générale, l'esprit national en France n'a jamais été décliné sur le mode provincial. comme cela se fait en Espagne. Les Basques se comparent toujours aux Français avec lesquels ils ne peuvent disputer une supériorité sur aucun aspect ; les Biscayens le font avec les Espagnols auxquels ils sont notoirement supérieurs sur plusieurs aspects »157. Et après avoir répété les analyses déjà établies sur les uns et les autres, en guise de premiers balbutiements d'une Völkerpsychologie, il arrive à la certitude « que les Basques constituent une Nation et que la similitude de leurs traits caractéristiques peut dériver de l'égalité de leur origine »158. L'approche comparative se fait plus micro-territoriale et prend, comme objet d'investigation, dans un premier temps, les relations à Bayonne entre Gascons et basques. Ces derniers, dit-il, connaissent la situation de tout groupe minoritaire confronté à un groupe majoritaire et ont la réputation d'être des « filous, des rusés et des poltrons »159 tandis que l'intérieur du Pays Basque passe pour être un « pays sauvage »160. Mais rétorque finement et avec indulgence Humboldt, « heureusement, la part éclairée de la nation ignore ces jugements », et si « les reproches de sagacité et d'astuce ont quelque

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fondement », c'est que « le Basque (surtout le Basque français) est plus rapide et habile que grand et fort et que, comme peuple de montagne, ils eurent à lutter, en d'autres temps, contre des ennemis extérieurs et qu'aujourd'hui ; comme frontaliers, ils sont confrontés aux limitations peu satisfaisantes pour avoir un travail de contrebande »161. Il rappelle succinctement les modalités d'administration des provinces basques françaises (Labourd, Basse Navarre, Soule) sous l'Ancien Régime, en concluant ainsi : « comme la Révolution Française a supprimé toutes ces constitutions particulières, il serait peu pratique de nous arrêter davantage sur leur exposé »162.Il voit ainsi dans la rupture révolutionnaire un événement désormais déterminant pour le cours de l'histoire, qui recueille son assentiment et qui, de ce fait, n'appelle aucune remarque critique. Il illustre ainsi une nouvelle politique inspirée par l'Aufklärung, selon lequel les « constitutions » - c'est-à-dire l'armature juridique - fondent et expliquent le sens et la qualité de toute société. 66 L'approche comparative psychologisante s'achève avec les Souletins qui, dit-il, croient posséder plus de goût et de finesse que leurs compatriotes et font montre d'un fort penchant, au sein de toutes les classes sociales, pour la poésie et la musique. Malheureusement, ce penchant si évident au sein de ce petit peuple auquel font défaut « tous les instruments nationaux intéressants » pour inspirer son imagination, est appelé à « se dégénérer en plaisanteries creuses et en bavardages poétiques »163. Il remarque les représentations théâtrales pastoralières jouées par des acteurs des deux sexes et généralement illettrés. Il note la difficulté à établir des relations matrimoniales avec les Béarnais et se plaît à voir dans la Soule « un espace de transition des Basques aux Gascons - ou si l'on considère davantage la similitude des caractères que la proximité géographique - aux Provençaux »164. Et le livre de se terminer par un aveu d'impuissance : la réflexion anthropologique prolongée par une esquisse de Völkerpsychologie165 des provinces basques n'en continue pas moins de se heurter aux trois questions centrales qui structurent la pensée historique : « le où, le quand et le comment »166. Bien qu'animé par l'esprit positif, le voyage dans la basquité n'arrive pas à entamer l'obscurité qui tout à la fois la définit et la rend inaccessible. 67 La conjonction de cette ethnographie et de cette psychologie comparée vise à définir « l'esprit » du peuple basque - force de caractère, élévation des sentiments, attachement aux constitutions locales, goût du travail, esprit d'indépendance, sentiment communautaire fondé sur la solidarité entre toutes les composantes sociales -, de manière empirique, et pour l'étude des principes déterminants principaux (le sens et la puissance de la coutume, de la géographie). Cette approche, constitutive de l'Aufklärung, fondée sur les théories de la relativité culturelle et de « l'individualité nationale » aura en France, au XIXe siècle, un prolongement mais selon des voies très distinctes : la perspective ethnographique/folklorisante développant une analyse réductrice de la théorie du relativisme culturel, tandis que le courant de défense du droit naturel basque (celui-là même qui utilisera la bannière de la tradition basque contre toutes les expressions culturelles de la Modernité) défendra plutôt la théorie de l'individualité nationale des Basques. Par contre, dans les pays germaniques, les travaux menés par Humboldt autour de la basquité auront des conséquences importantes et durables en particulier, en confortant au sein des universités allemandes et autrichiennes un intérêt prononcé pour la linguistique basque.

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III - L'écho de la basquité en Allemagne au XIXe siècle

68 La constitution de la science linguistique au XIXe siècle n'est pas étrangère à l'impressionnant mouvement de publication de centaines d'ouvrages, d'articles et de mémoires sur le basque par une cohorte de linguistes, certains prestigieux, d'autres moins, souvent avec l'appui des institutions les plus doctes telles que les Académies des sciences de Berlin, de Vienne et d'Amsterdam. Parmi ces linguistes, les allemands F. Müller et Th. Linschmann, l'autrichien H. Schuchardt, les hollandais Ulhenbeck et Van Eys donneront aux intuitions fécondes de Humboldt un très notable développement et parfois aussi un démenti à certaines de ces hypothèses, fait prévisible après trois quarts de siècle d'accumulation des recherches linguistiques.

69 Parmi ces bascologues éminents, Hugo Schuchardt mérite assurément une attention particulière tant par la nouveauté et l'importance de ses travaux dans le domaine, en particulier, de la morphologie basque et plus précisément dans l'étude des procédés grammaticaux et des catégories grammaticales du basque. Humboldt et Schuchardt ont un point commun : celui d'avoir vu leurs passions linguistiques naître à la suite de lectures d'ouvrages (grammaires et dictionnaires) traitant du basque. Très tôt, Schuchardt167 prend connaissance dans la bibliothèque de son Gotha natal, avec curiosité, de la Gramatica de las lenguas romanicas, de Friedrich Diez, et de la grammaire basque du jésuite Larramendi, dont l'étrange titre El imposible Vencido (1729) avait de quoi exciter la curiosité du lecteur. Fort de ces premières lectures, il entreprit les études universitaires et se dédia pendant quelques années à la linguistique romane. Et quelques années après sa nomination, en 1876, à l'Université de Graz, il opte pour le retour à ses préoccupations de jeunesse et vient séjourner, l'été 1887, à Sare, village basque français pour y apprendre le basque. Séjour bien fécond si l'on peut en juger par l'importance des apports de Schuchardt à la connaissance des procédés grammaticaux et des catégories grammaticales du basque. En réalité, ses compétences linguistiques étaient aussi étendues que diverses. « Père incontesté des études de pidgin créole »168, il s'intéresse à bien d'autres langues comme le hongrois et des langues indoeuropéennes telles que l'albanais ou le Slovène. S'agissant du basque, il lance l'hypothèse d'une parenté possible entre celui-ci et les langues caucasiques169. Ses propositions novatrices se remarquent dans l'étude des pronoms personnels (rejoignant sur plusieurs points un autre linguiste allemand Linschmann), de la déclinaison du basque similaire à bien des égards à celle du latin et de l'allemand (le hollandais Van Eys contestant l'existence d'une telle déclinaison), de la conjugaison à laquelle il consacre le plus d'analyse. Après avoir étudié les travaux de ses prédecesseurs et s'être penché sur les paradigmes des grammaires, il publie en 1893, un mémoire de près de 80 pages intitulé « Sur l'origine des formes de relation du verbe basque »170. La compréhension du travail de Schuchardt mérite le rappel de la situation générale de la linguistique en Europe, au XIXe siècle. Après les grandes synthèses romantiques (Bopp, Humboldt), ou naturalistes (Schleicher), on en vient à l'étude positive d'une langue déterminée, position défendue par les Junggrammatiker ou « néo-grammairiens » 171. Le comparatisme avait abouti d'une part à la généalogie des langues indoeuropéennes, d'autre part, au classement des langues à l'intérieur de chaque famille (germanique avec Grimm, romane avec Diez, slave avec Schleicher. etc.). Il convient de mettre à l'épreuve les thèses historico- comparatives, le développement de la philologie des langues particulières (allemande avec W. Scherer, française avec P. Meyer et G. Paris, etc.) correspond à cette exigence.

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70 Parallèlement à ces restructurations intradisciplinaires, se constituent, autour des années 80, des enjeux épistémologiques tenant à la pertinence du principe de « l'inexceptibilité » des lois phonétiques dans le cadre d'une langue donnée, défendue par les jeunes grammairiens de Leipzig. Applicable aux ensembles linguistiques constitués, qu'en est-il de ce principe avec les langues situées sur leur marge ? Parmi les études consacrées à ces dernières et plus précisément aux langues en contact (d'où l'intérêt pour les langues créoles), celles de Schuchardt sont estimées présenter une valeur fondatrice172. La « querelle des lois phonétiques » connaît son point culminant autour des années 1880, querelle souvent réduite à une confrontation entre les jeunes linguistes de Leipzig et les « vieux grammairiens »173. 71 S'il décèle des emprunts romans dans la langue basque - une analyse qu'il mettra lui- même en cause -, sa fierté intellectuelle s'exercera dans son mémoire sur le verbe basque. Il confie à l'érudit anglais Dodgson, dans une lettre datée du 29 janvier 1893, que « la conjugaison basque est l'une des choses les plus difficiles et les plus embrouillées de toute la linguistique et il donne à cela deux raisons : la première, c'est que le nombre des formes est extraordinairement grand (il déclare les avoir toutes utilisées et en avoir examiné au moins cinquante mille), et la deuxième, c'est qu'il faut tenir compte d'un grand nombre de facteurs ayant évolué et s'étant enchevêtrés dans les directions les plus variées »174. D'après le linguiste G. Lacombe, le livre ne suscitera pas l'intérêt qu'il aurait dû soulever, sans doute parce qu'il n'avait été ni compris, ni lu. 72 L'intérêt profond des linguistes allemands sera à l'origine de la fondation à Berlin, en 1886, de la Baskischen Gesellschaft'(« Société basque »), avec le concours de spécialistes réputés tels que les Professeurs Mann, Th. Linchmann, Président de la Société (co- auteur avec Schuchardt de travaux sur le basque) et K. Hannemann, Secrétaire de rédaction de l'organe de la Société, la revue Euskara (Organ Fûr die Interesen der Baskischen Gesellschaft). La raison sociale de la société est ainsi définie : « Comme but principal la société se propose de stimuler l'intérêt que l'idiome des Basques est en droit d'inspire ; d'en vulgariser la connaissance, afin d'augmenter sans cesse le nombre des personnes en état d'apprécier cette incomparable langue, et disposées à se consacrer à son étude ; de soumettre à ses investigations la littérature, les légendes, les moeurs et usages, etc., des Basques et de leur pays, ainsi que les origines des Ibères, leurs ancêtres ; afin de prendre et de donner connaissance de toutes les publications et découvertes nouvelles sur le domaine de la langue basque et de leurs traditions »175. 73 Les attitudes admiratives et généreuses des fondateurs de la Baskischen Gesellschaft rappellent la chaleur des propos de Humboltd à l'égard du basque ; son nom est d'ailleurs fréquemment évoqué dans les pages de la revue. Si l'intention des fondateurs est de créer un organe de liaison entre bascologues d'Allemagne et d'Ailleurs, la revue assurera cette fonction de manière peu probante, malgré la qualité des collaborations, avant d'arrêter la publication peu après. Le lancement en 1907 de la Revue Internationale des Etudes Basques répondra, plus tard, à la volonté d'organiser simultanément une liaison et une visibilité internationales des études basques. Néanmoins, la création de la Baskischen Gesellschaft aura marqué non seulement l'attachement de la pensée académique allemande à la bascologie, mais aussi, de manière plus générale, l'existence d'une sorte de complicité opératoire à des degrés divers (malgré le bombardement de Gernica !) entre la germanité et la basquité, que d'aucuns ne manqueront pas de solliciter à des fins qui ont peu à voir avec la science.

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NOTES

1. J.Y. Guiomar. « De l'Allemagne et de la France. Les faux semblants d'une opposition » dans le Débat. Gallimard. n° 84. mars-avril, 1995, pp. 70-88. 2. Ch. Pouthas. Les Révolutions de 1848 en Europe. Paris, CDU, 1952, p. 50-51. 3. Voir à ce sujet H. Aarsleff, « The tradition of Condillac : The problem of the origin of langage in the 18th contury and the debats in the berlin Academy before Herder » dans Studies in the History of Linguistics. Indiana University-Press, Bloomington, 1974. 4. M. Duchet. Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, post-face de Claude Blanckaert, Albin Michel. 1995. p. 566. Pour une connaissance des Lumières allemandes, voir E. Cassirer. Die philodophie der Aufklärung, Tübingen, 1972, ou La philosophie des Lumières, trad. française par P. Quillet, Paris. Fayard, 1966 : H. Brunschwig. La crise de l'Etat prussien à la fin du XVIIIe siècle et la genèse de la mentalité romantique. Paris. PUF. 1947 ; M. Schaub. « L'Aufklärung et la problématique de la langue : enjeux culturels et universalité scientifique » dans Recherches sur la philosophie et le langage - la philosophie dans sa langue. Université des Sciences Sociales de Grenoble, n°3,1983, pp. 155-177. 5. J.G. Herde, Journal de mon voyage en l'an 1769. Aubier. 1942, traduction française de M. Rouche : voir M. Schaub, article cité, p. 156. 6. J.G. Herder. Auch eine Philosophie der Geschichte zur Bildung der Menschheit. Bevtrag zu vielen Beyträgen des jahrhunders, 1774, traduit par M. Rouché, Une autre philosophie de l’histoire pour contribuer à l'éducation de l'humanité. Contribution à beaucoup de contributions du siècle, Aubier, 1943. Celui-ci écrit : « Si dés le début, il n'a pas été écrit en vain, on voit que la formation et la croissance d'une nation n'est jamais autre chose qu'une oeuvre du destin ; le résultat de mille causes concourantes et en quelque sorte de l'élément entier dans lequel elles vivent », p. 253, ou encore « Je vois une grande oeuvre sans nom ». p. 305. 7. J.G. Herder. ibidem. « La longue, l'éternelle nuit fut éclairée par le matin : ce fut la Réforme, la Renaissance des arts, des sciences, des moeurs ! La lie se déposa, cl alors fut - notre pensée à nous ! Notre civilisation ! Notre philosophie ! On commençait à penser comme nous pensons aujourd'hui : on n'était plus barbare », p. 231. 8. La fin de l'ouvrage réserve à Voltaire un véritable réquisitoire tempéré par de l'admiration : « L'écrivain de cent ans qui, sans contestation ni contradiction a agi en monarque sur son siècle – qui, de Lisbonne au Kamtchaka, de la Zemble aux colonies de l'Inde est lu, appris, admiré et, qui plus est, suivi - avec son langage, ses cents talents divers d'affabulation, avec sa facilité, avec son jaillissement d'idées toutes fleuries - surtout du fait qu'il est né où il fallait pour utiliser le monde, utiliser prédécesseurs et rivaux. utiliser occasions et points de départ, surtout les faiblesses les plus profitables des plus belles fiancées de son temps, les souverains de toute l'Europe - ce grand écrivain, que n'a-t-il pas fait sans aucun doute pour le plus grand bien du siècle ! Il a répandu la Lumière, ce qu'on appelle la philosophie de l'humanité, la tolérance. la facilité à penser par soi-même, un scintillement de vertu sous cent figures aimables, des petits penchants humains dilués et édulcorés - en tant qu'écrivain sans nul doute, il est au plus haut sommet du siècle ! - Mais en même temps que tout cela, quelle misérable frivolité, que de faiblesse, d'incertitude et de froideur ! Quelle absence de profondeur, de plan arrêté, que de scepticisme à l'égard de la vertu, du bonheur et du mérite ! Que de choses son rire spirituel a balayées sans avoir voulu en partie les balayer ! - Que de doux liens, agréables et nécessaires, il a rompus d'une main criminelle, sans nous donner quoi que ce soit qui pût les remplacer pour nous, qui ne résidons pas tous au Château de Fernay ? (...) ». J.G. Herder. Pour une autre Philosophie de l'histoire, ouvrage cité. p. 361 et 363. 9. J.G. Herder, ouvrage cité, p. 301.

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10. J.G. Herder, ouvrage déjà cité, notamment p. 229 et suivantes. 11. Voir à ce sujet M. Schaub, art. cité. p. 164. 12. J.G. Herder, ouvrage cité, p. 175. 13. Ibidem, p. 185. 14. J.G. Herder, ouvrage cité. p. 195. 15. Idem. 16. Ibidem, p. 215. 17. Idem. 18. Ibidem, p. 219. 19. Ibidem, p. 219 et 221. 20. Ibidem, p. 219. 21. Ibidem, p. 221. 22. Idem. 23. Ibidem, p 259 24. Ibidem, p. 261. 25. Ibidem, p. 263. 26. Idem. 27. Idem. 28. Ibidem, p 271 29. J.G. Herder, Fragments. Ed. Suphan, 1767,t.I, p. 366. 30. J.G. Herder, Une autre philosophiue de l'histoire, ouvrage cité. p. 287. 31. Ibidem, p. 123. 32. Ibidem, voir commentaire de M. Rouché, p. 54 et suivantes. 33. Ibidem, p. 25. 34. C'est une idée similaire greffée sur une approche critique des considérations ethnocentristes qu'expose Montesquieu dans le premier chapitre de son Essai sur les mœurs : « Le grand malentendu sur les rites de la Chine est venu de ce que nous avons jugé leurs usages par les nôtres : car nous portons au bout du monde les préjugés de notre esprit contentieux ». De son côté, Adam Ferguson déclarait déjà dans son Essai sur la société civile (1767) : « Nous avons toujours peine à concevoir comment l'espèce humaine peut subsister sous l'empire de moeurs et de coutumes absolument différentes des nôtres et nous sommes portés à exagérer les malheurs des temps de barbarie (...). Mais chaque âge a ses consolations ainsi que ses peines » (traduction française de 1783. Paris. 2e partie, chap. 3. p. 292). M. Rouché résume ainsi les sinuosités voire les paradoxes de la pensée herdérienne : « Il a élargi en une philosophie de l'Histoire universelle la critique littéraire moderniste et relativiste de Saint-Evremont et de l'Abbé du Bos : le sens de la relativité historique d'Adam Ferguson et de Montesquieu dans ses « Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des romains », de la relativité géographique et ethnique de Voltaire et encore Montesquieu dans L'Esprit des Lois, qui constitue une des principales sources, à la fois négative et positive, de Une autre philosophie de l'histoire », dans J.G. Herder, ouvrage cité. p. 101. 35. Cette idée de l'irréversibilité de l'histoire, Herder l'illustre encore dans ses recommandations aux poètes de son temps de chanter non pas comme Homère en son temps, mais comme Homère chanterait s'il revenait parmi eux, Fragments (1767-1768), t. II, p. 258 et suivantes. 36. J.G. Herder, ouvrage cité. p. 315. 37. Il convient de ne pas se méprendre sur le sens du populaire cher Herder, lequel n'a pas une connotation sociale (le populaire s'opposant au bourgeois ou à l'aristocratique) mais une signification culturelle (le populaire se distinguant du savant). De là, son effort pour la promotion d'une Naturpoesie ou poésie « naturelle » à la place d'une Kunstdichtung ou poésie savante. La Naturpoesie s'enracine dans l'âme populaire et appartient à l'utopie de l'âge d'or de l'humanité. Voir à ce propos W. Brückner, « Histoire de la Volkskunde » dans Ethnologies en miroir. Essais réunis

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par Isaac Chiva et Utz Jeggle, Ed. de la Maison des Sciences de l'Homme. Paris. 1987. pp. 223-247, p. 244. 38. Ces idées étant elles-mêmes animées par une autre, sous-jacente, celle de la noblesse de la culture populaire (allemande) par rapport au modèle dominant de la littérature française classique de Cour. 39. L'œuvre et la pensée de Herder posent de manière exemplaire les problèmes habituels de l'histoire des idées, note G. Raulet : « la différence entre Lumières et Aufklärung et la spécificité de l'Aufklärung », dans Aufklärung. Les Lumières allemandes. Textes et commentaires par E. Raulet. Flammarion. 1995. p. 236. 40. Un exemple éloquent est fourni par la charge d'A. Finkielkraut contre les conséquences de la théorie du Volksgeist dans La défaite de la pensée. Gallimard. 1987. Reprenant à son compte les reproches de Julien Benda - contenus dans La trahison des clercs (1926) - contre la société pensante européenne tentée de se complaire dans le spectacle de ses propres oeuvres, de sa propre culture, et la recherche de ses particularismes locaux. A. Finkielkraut voit une filiation directe entre le relativisme anthropologique de Herder et toutes les philosophies ultérieures de la contre- révolution : voir en particulier de la page 15 à 52. Par ailleurs, observe Pierre Pénisson. « On s'est servi de Herder (1744-1803) pour revendiquer le particularisme contre l'universel, le sentiment contre la raison, le romantisme contre le classicisme, le national et l'originel contre l'étranger. Par conséquent, on ne pouvait trouver en lui, bon gré, mal gré, que des discriminations. Or loin d'opposer les langues, les peuples, les nations, les cultures, toute l'oeuvre de Herder consiste à mettre en relation, à rassembler « la voix du peuple de l'humanité disséminée ». Ne cessant de rapporter les époques et les langues les unes aux autres. Herder développe une philosophie de la traduction. Dans l'horizon intellectuel de la fin du XVIIIe siècle, c'est bien chez lui plutôt que chez Voltaire. Goethe ou Kant que se produisent et une libération et une crise de la langue » : dans Johann Gottfried Herder, Paris. Ed. du Cerf. 1992. page de couverture de l'ouvrage. 41. Voir à ce sujet. P. Bidart. « Peru Abarca ; espace imaginaire et paradigme perdu » dans la Production sociale des espaces, sous la direction de P. Bidart, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 1986. pp. 27-47. 42. W. Moscr, « Herder et la toupie des origines », dans Mythe de l'origine des langues. Revue des Sciences Humaines, Lille III. 1977-2. pp. 205-226, p. 213. 43. Idem. 44. Citée par W. Brüchner dans Ethnologies en miroir, ouvrage déjà cité. p. 226. De la Volkskunde. W. Brüchner dit « qu'elle est enfant de la germanistique, c'est-à-dire de la germano-logie (Deutschtumswissenschaft) » (p. 224) ; les Frères Grimm étant les premières grandes figures de cette Volkskunde. Celle-ci fait écho au Folklore anglais, tandis qu'en France de fortes réticences, surtout d'ordre idéologique, ont empêché la formation d'un courant scientifique similaire, situation fort justement analysée par I. Chiva : « A la différence de la plupart des autres pays européens et pour des raisons complexes qui tiennent à l'histoire politique et culturelle et à celles des institutions scientifiques, le folklore n'a jamais pris vraiment en France (à de rares exceptions ponctuelles près), dans l'Université ou dans quelque autre grande institution publique. Au moment où les sciences sociales allaient s'institutionnaliser, lorsqu'elle connaîtra son épanouissement universitaire, l'école de l'Année Sociologique a manifesté une opposition idéologique décisive, basée sur le rejet du rôle attribué à la tradition et du folklore tel que l'incarnaient en particulier un P. Saintyves et un P. Sébillot ; leur étaient en même temps reprochés leur opposition idéologique à l'unification républicaine, leur catholicisme militant, le rôle excessif qu'ils accordaient à l'esthétique et à l'emblématique », dans Ethnologies en miroir, ouvrage cité, p. 30. 45. F.G. Herder, ouvrage cité. pp. 285-287.

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46. Voir à ce propos W. Krauss. Zur Anthropologie der Aufklärung, Berlin. 1978 ; U. Ricken. « Linguistik und Naturwissenschaft in der Aufklärung ». Nova Acta Leopoldina, NF, n° 230, 1978 : L. Formigari. Linguistica e antropologia nel secondo settecento. Massina, 1972 ; M. Duchet, Anthropologie et Histoire au siècles des Lumières, ouv. déjà cité ; U. Ricken, Grammaire et philosophie au siècle des Lumières. Publications de l'Université de Lille, 1978. 47. On connaît les propos célèbres de Rivarol : « (...) Ce qui distingue notre langue des langues anciennes cl modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase (...). Le Français, par un privilège unique, est seul resté fidèle à l'ordre direct, comme s'il était toute raison (...) : la syntaxe française est incorruptible. C'est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. Ce qui n'est pas clair n'est pas français : ce qui n'est pas clair est encore anglais, italien, grec ou latin ». Le discours sur l'universalité de la langue française. Ed. Suran. Paris. 1930. p. 253. Il n'est pas inutile de rappeler que ce Discours constituait la réponse au concours lancé, en 1783, par l'Académie des Sciences et des Lettres de Berlin avec le sujet suivant : « Qu'est-ce qui a rendu la langue française la langue universelle de l'Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Peut-on présumer qu'elle la conserve ? » Rivarol partagera le prix de l'Académie avec Johan Schwab. 48. Dans la mesure où cette théorie livre une perspective évolutionniste, elle suscitera des débats d'ordre lexicologique autour des questions de synonymie et de néologie. Les relations entre néologisme et politique (comme d'une manière générale entre linguistique et politique) méritent une attention spéciale dès lors qu'il s'agit d'affirmer une volonté culturelle : il n'est que de voir le rôle attribué par le fondateur du nationalisme basque, Sabino Arana Goiri, à l'activité néologistique, dans son souci d'archaïsation de la langue basque selon les mêmes règles que celles régissant les conditions d'intégration sociale, à savoir l'obligation d'attestation de l'appartenance plurigénérationnelle à la société locale. 49. U. Ricken, ouvrage cité. p. 180 et 181. 50. Cité par G. Raulet, Aufklärung. Les lumières allemandes. Flammarion. 1995. p. 109. 51. Ibidem, p. 117. 52. Le sens ou le principe communautaire se fondent sur l'existence de liens effectifs ou affectifs dans la constitution des formes primitives des sociétés. Cet aspect pose le problème plus global du fondement des constitutions civiles et plus précisément celui du passage de la référence au droit naturel chrétien au droit naturel rationnel, grâce en particulier à la Réforme. Les deux contributions initiatrices développant l'idée du Contrat furent le De jure belli et pacis de Grotius (1611) et le Leviathan de Hobbes (1651). Cette théorie du contrat devait avoir ses précurseurs en Allemagne avec Althusius (1557-1638) et Pubendorf (1632-1694). Chacun fournit une analyse spécifique sur les modalités d'accès à cette forme de pouvoir incarné dans l'État : pour Grotius, les individus se regroupaient sous l'effet d'une irrésistible appetitus socialis ; chez Hobbes, la méchanceté des hommes les oblige à aliéner une partie de leurs libertés au profit d'une autorité supérieure : Althusius et Pubendorf défendent, tous deux, la vision d'un double contrat, l'un pour se constituer en société, l'autre - de niveau supérieur - pour former un Etat. Voir à ce sujet. M. Abélès, Anthropologie de l'Etat, A. Colin, 1990, p. 13 et suivantes. Herder mais aussi Humboldt insistent souvent sur la qualité anthropologique supérieure des liens effectifs ou affectifs, privilégiant l'attachement au « coeur, [à] l'ardeur, [au] sang, [à] l'humanité, [à] la vie », J.G. Herder. Une autre philosophie de l'histoire, ouv. cité, p. 251. 53. La perception de la langue basque en tant qu'instrument de la raison moderne est en effet, comme on le verra plus loin, une nouveauté dans l'histoire des discours sur le basque. 54. J.G. Fichte. Berträge zur Berichtigung der Urteile des Publikums über die französische Revolution (1793). traduction française. Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution Française, traduction de J. Berni, Payot, Paris, 1974.

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55. Voir Aug. Rehberg, Untersuchungen Über die Französische Révolution (Recherches sur la Révolution Française. 1793). Pour celui-ci comme pour le précédent, le droit naturel se fonde sur la solidarité et l'accumulation intergénérationelle formant la tradition, selon une croissance organique expliquant la base de constitution de chaque peuple. Voir G. Raulet, ouvrage cité, p. 298 ; voir aussi J. Droz. L'Allemagne et la Révolution Française. PUF, 1949. 56. Voir J.G. Fichte. Discours à la Nation allemande. trad. franc, de J. Molitor, Ed. A. Costes. Paris, 1923. 57. J.G. Fichte, Considérations destinées..., ouv. cité, p. 294. 58. La vision philosophique de l'histoire de l'Humanité comporte chez Fichte, cinq grandes périodes ainsi caractérisées : celle de l'Innocence où la raison gouverne sous la forme de l'instinct : celle du péché. où ce gouvernement s'exerce par une autorité extérieure exigeant une obéissance aveugle ; celle du péché parfait, où se déchaîne l'individualisme égoïste, indifférent à la vérité, et méprisant l'instinct, la raison, l'autorité. L'homme se complaît en sa bassesse naturelle, dans le péché ; la période de justification, où la Raison et les lois sont comprises, la Vérité révérée, la Justice souveraine : celle de la justification absolue, de la sanctification ou de la liberté parfaite s'épanouissant en sainteté. Voir J.G. Fichte, Discours sur la Nation allemande, ouvrage cité. p. XI et p. XII. Le XVIIIe siècle appartient à la troisième période d'où l'urgente nécessité du relèvement auquel tendent les Discours de Fichte. 59. « Dans une langue toujours restée vivante, cette partie suprasensible est symbolique ; à chaque pas, elle synthétise, en une unité parfaite, l'ensemble de la vie nationale déposée dans la langue ; elle désigne aussi non pas une idée conventionnelle, mais une idée découlant nécessairement de toute la vie antérieure de la nation ; et de cette idée et de cette désignation un oeil exercé dégagerait par une régression bien conduite l'histoire entière du développement de la nation », écrit J.G. Fichte. ibidem, p. 65. 60. Ibidem, p. XIV. 61. Voir W. V. Humboldt. Introduction à l'œuvre sur le Kavi et autres essais, trad. et introduction de P. Caussat, Le Seuil, 1974. 62. J. Quillien, L'anthropologie philosophique de G. de Humboldt, Presses Universitaires de Lille. 1991. 664 p. 63. G. de Humboldt. La lâche de l'historien, introduction de J. Quillien, traduction et notes d'A. Disselkamp et A. Laïcs. Presses Universitaires de Lille. 1985. 64. Auteur notamment de Cosmos. Essais d'une description physique du monde et Voyage aux régions équinoxales du nouveau continent. 65. L'ensemble de son oeuvre a été l'objet d'une grande édition réalisée par l'Académie de Berlin et intitulée Gesemmehe Schriften, B. Behr. 1903-1936 (l'ensemble comprend 17 volumes répartis en 4 sections : 1- Werke : 2- Politische Denkschriften : 3- Tagebücher : 4- Politische Briefe). La section Werke comprend, d'après J. Quillien : les textes théoriques (tomes 1 à 7, publiés de 1903 à 1907), les traductions (tome 9. 1908), les poèmes (tome 9, 1912) et des suppléments dont un texte de 190 pages, perdu puis retrouvé, relatif au Pays Basque en 1801 (tome 13). Celle première édition réalisée à partir du principe chronologique a été suivie d'une autre construite autour de quelques regroupements thématiques : Werke in Fünf Bäuden. Rg. Von Andréas Flitner Und Klaus Giel, Darmstadt, Wissemschaftliche Buchgesellschaft. 1960-1981 : 1.- Schriften zur Anthropologie und Geschichte, 1960. 2.- Schriften zur altertumskunde und Ästhetik. Die Vasken. 1961. 3.- Schriften zur Sprachphilosophie, 1963. 4.- Schriften zur Politik und zun Bildungswesen, 1984. 5.- Kleine Schriften Autobiographisches. Dichtungen. Briefe, 1981. 66. Ainsi Essai sur les langues du Vieux Continent (1812), fragment d'une dissertation sur les langues nord-américaines destinées à l'ouvrage de son frère. Voyage aux régions équinoxales du nouveau continent. Relation historique. 2 volumes, édit. C. Minguet, Paris. Maspéro, 1980 ; Lettre à Monsieur

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Abel Rémusat sur la nature des formes grammaticales en général, et sur le génie de la langue chinoise en particulier, Paris, Lib. Orientale de Dondey-Dupré. 1827 ; « Mémoire sur la séparation des mots dans les textes sanscrits », dans Journal asiatique. 1l, 1827, pp. 163-175 ; « Lettre à Monsieur Jacquet sur les alphabets de la Polynésie asiatique » dans Nouveau journal asiatique, 9, 1832, pp. 484-508. Il faut ajouter les traductions : Rome, poème traduit par G. Schweighäusscr, Magasin Encyclopédique. IV, 1808. pp. 118-133 ; De l’origine des formes grammaticales et de leur influence sur le développement des idées, trad. Alfred Tonnelli, suivie « de l’analyse de l’opuscule sur la diversité dans la constitution des langues » Paris. A. Franck, 1859 : Essai sur les limites de l'action de l'Etat (1752), trad. et étude de Henri Chrétien, Paris, Germer-Baillière, 1867 : Recherche sur les habitants primitifs de l'Espagne à l'aide de la langue basque (1820-1821), trad. A. Marrast. Paris, A. Franck, 1886 : Introduction à l’œuvre sur le Kavi et autres essais, trad. P. Caussat, Paris. Seuil. 1974 (l'ouvrage comprend comme « autres essais » : « La lâche de l'historien » (pp. 33-63), « La recherche linguistique comparative » (pp. 65-96). « Le duel » (pp. 97-131) ; La tâche de l'historien, ouvrage déjà cité. 67. Michel Foucault dans Les mots et les choses (Gallimard. 1966) analyse la structuration au début du XIXe siècle, du nouveau champ épistémologique représenté par la linguistique, à travers les oeuvres deF. Schlegel (La langue et la sagesse des Indiens, 1808), J. Grimm (Deutsche Grammatik, 1818) et de F. Bopp (Système de comparaison du sanscrit. 1816) et avec une très brève référence à Humboldt (p. 303), à propos de ses concepts d'argon et d'energeia appliqués à la langue : voir J. Quillien, ouvrage cité, p. 30. La formation de tout nouveau champ de savoirs pose les questions de la mise en évidence des transformations intervenues dans l'épistémè de la culture et de niveau de conscience des personnes qui accomplissent ce travail de renouvellement des savoirs (sachant que les transformations dans l'épistémé se réalisent la plupart du temps à l'insu des chercheurs). 68. Lettre à Schiller, 18 mai 1802, Ed. Seidel, tomme III. p. 221, cité par J. Quillien, ouvrage déjà cité. p. 600-601. 69. G. de Humboldt, Fragmente der Monographie über die Basken.Gesammelte Schriften, 1903-1920. t. 7. p. 598, cité par J. Quillien, ouvrage cité. p. 601. 70. G. de Humboltd, Introduction à l'oeuvre sur le Kavi, p. 71. 71. Voir J. Quillien, ouvrage cité, p. 602. 72. Voir J. Michelet. Histoire de France, (1833-1846 et 1855-1867), T. I, pp. 437-447. 73. G. de Humboldt. Recherches sur les habitants primitifs de l'Espagne à l’aide de la langue basque, traduit de l'allemand par M. A. Marrast, Paris, Lib. A. Franck, 1866. 74. « Un noble et savant Prussien, appelé de Humboldt se consacra à Paris à la lecture du dictionnaire basque (...). Il venait délégué par quelque société de savants qui essaient de découvrir les langues matrices, primitives et originales. Il va publier bientôt quelque oeuvre sur cette langue méprisée pour beaucoup de savants espagnols qui... Le savant prussien veut démontrer que la langue basque est éloquente, pure et féconde », cité par M. Marrast dans G. de Humboldt, Recherches sur les habitants primitifs de l’Espagne à l'aide de la langue basque, ouvrage cité. p. VIII et IX 75. Ibidem, p. VIII et IX. 76. Ibidem, ouv. cité. p. 7. 77. Idem. 78. Ibidem, p. 10. 79. Ibidem, p. 15. 80. Idem. 81. Idem. 82. Ibidem, p. 72. 83. Ibidem, p. 112. 84. Ibidem, p. 99.

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85. Ibidem, p. 120. 86. Ibidem, p. 132. 87. Ibidem, p. 145. 88. Ibidem, p. 149. 89. « Un individu singulier n'est par rapport à sa nation un individu qu'à la façon dont une feuille l'est par rapport à un arbre : pareillement les degrés d'individualité peuvent s'étendre au- delà de la nation jusqu'à la souche ethnique, de cette dernière jusqu'à la race, de celle-ci jusqu'à l'espèce humaine. Ce n'est qu'à l'intérieur d'un certain cercle que le terme subordonné peut alors progresser, régresser, ou différer » G. de Humboldt. La lâche de l'Historien, ouvrage déjà cité, p. 49 (« Considérations sur l'histoire mondiale »). 90. Ibidem, p. 47. 91. Idem. 92. Humboldt était contemporain et ami de Friedrich August Wolf (1759-1824) considéré comme le fondateur de la science de l'Antiquité à travers une philologie associant une pluralité de savoirs représentés par la grammaire, la géographie, l'hermémeutique, l'histoire des sciences et techniques, et appliquée à Rome et à la Grèce. 93. « Des exemples de productions de force, de phénomènes que les circonstances ambiantes ne suffisent pas à expliquer, sont fournis par le surgissement de l'art dans sa forme pure en Egypte que nous avons mentionné ci-dessus, et peut-être plus encore par le développement subit en Grèce, de l'individualité libre cl cependant contenue dans des bornes définies : avec elle, la langue, la poésie et l'art atteignent d'emblée une perfection telle qu'il est vain d'en chercher le devenir progressif (...). La Grèce offre une Idée de l'individualité nationale qui n'avait jamais existé auparavant, et n'a plus jamais existé depuis, et de même que le mystère de l'existence réside tout entier dans l'individualité, de même tout progrès dans l'humanité, la perspective de l'histoire mondiale repose sur l'intensité, la liberté et la singularité de leur action réciproque », G. de Humboltdt, « La lâche de l'historien », ouvrage, déjà cité, p. 83. 94. « I1 existe un moment de procréation morale, où l'individu (nation, ou personne singulière) devient ce qu'il doit être, non par degrés, mais soudainement et tout d'un coup. Ce n'est qu'alors qu'il commence à être, car auparavant il était un autre. Or ce début est aussi sa perfection ; à partir de là, il régresse immédiatement, développant simplement ce qui existe déjà, et avec des forces qui déclinent. Mais entre la conscience véritable du sommet et le moment où le déclin devient visible, il y a un moment d'hésitation, et c'est là la plus belle période », ibidem, p. 49. 95. « Corrections et rajouts pour la première partie du deuxième livre des Mithridates sur la langue basque ou cantabre ». Berlin. 1817, 93 p. 96. Mithridate ou Tableau Universel des Langues avec le Pater comme exemple, en cinq cents langues ou idiomes. Berlin 1806-1815. Cet ouvrage connut en Allemagne, dès sa publication, un grand succès. Outre la traduction du Pater, on y trouve une histoire et une grammaire comparée portant sur un grand nombre de langues. Le premier tome, qui aborde les langues asiatiques, est l'oeuvre de J.C. Adelunez. Les quatre autres tomes rédigés d'après les mémoires fournis par les frères Humboltd portent la signature de J.S. Vater. 97. Ibidem, p. 8. 98. Ibidem, p. 35. 99. Ibidem, p. 36. 100. Idem. 101. Ibidem, p. 83. 102. Ibidem, p. 84. 103. G. de Humboldt, dans Gesammelte Schriften.Berlin. B. Berhr. 1904-1920 : traduit en espagnol. Los Vascos. Introducción y prólogo por Miguel de Unamuno. Ediciones Vascas. Bilbao. 1979. 104. Ibidem, p. 9 et 10.

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105. Ibidem, p. 11. 106. Idem. 107. Idem, « En esta su posición geográfica se ha buscar tambien la clave de su historia toda. y en par-ticular de la más remota ». 108. Ibidem, p. 14. 109. Idem. 110. Idem. 111. Ibidem, p. 15. 112. Idem. 113. Idem. 114. Idem. 115. Idem. 116. Idem. 117. « A los vascos caracteriza idioma. organización. costumbres, fisonomia, y todo lo que le rodea. sin exceptuar el aspecto de su país, coma una estirpe pura y separada », ibidem, p. 18. 118. Idem. 119. Idem. 120. Ibidem, p. 19. 121. Idem. 122. Idem. 123. Idem. 124. Ibidem, p. 21. 125. Ibidem, p. 22. L'approche anthropologique d'Humboldt, qui intègre bien des considérations herderiennes, se retrouve dans l'œuvre de l'anthropologue basque J.M. de Barandiaran lorsque celui-ci met en avant le déterminisme du « monde extérieur » (géographie, climat, etc.) sur le « monde intérieur » et la congruence de ces deux mondes dans la formation des traits culturels. Quant à la langue, « la lengua - el cuskera - es elemento extraordinariamente significativo de la cultura vasca, no solo por ser expresión y vehiculo de ideas y sentimientos. sino también porque es portador de huellas de diferentes culluras y eco de numerosas tradiciones y de recuerdos historico-geograficos de Vasconia » « La langue - l'euskera - est un élément extraordinairement significatif de la culture basque, non seulement en étant expression et véhicule des idées et des sentiments mais encore parce qu 'elle est porteuse de traces de différentes cultures et fait écho des nombreuses traditions et des souvenirs historico-géographiques de Vasconie »), voir J.M. Barandiaran. « Rasgos de la mentalidad popular Vasca » dans Primera Semana international de anthropología vasca (1970). Editorial La Gran Enciclopedia Vasca. Bilbao, 1971, pp 89-99 et en particulier la page 95. 126. Ibidem 127. Ibidem, p. 89. 128. Ibidem, p. 139. 129. « En estas viviendas aisladas nuire el vasco cl espírítu de libertad e independencia. que le distingue no estando en ellas rodeado de nada extreño, se aficiona con apasionado amor a las peculiaridades de su mariera de vivir. de su nación y de su idioma : la pequena hereda. en que con fatiga gana cl sustento de la familia. desarrolla la fuerza. la moniana que habita, le agilidad de sus miembros. y asi gana su estatura y su fisonomia cl scllo de vigor y denuedo en que se le reconoce a la primera mirada ». ibidem, p. 140. 130. « L'esprit national est une conséquence du sentiment populaire, se limite avant tout au cercle qui entoure immédiatement l'homme, se caractérise donc toujours, simultanément, par l'intégration du proche et la marginalisation de l'étranger. (...) ». Ibidem, p. 81. 131. Ibidem, p. 143. 132. Ibidem, p. 146.

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133. « Aún más importantes e interesantes aparccen estas moradas campestres aisladas, si se piensa en su influencia sobre el país y sobre el caracter popular. Es incontestable que el país vasco tiene superioridades sobre las restantes provincias españolas. que los vascongados son por lo menos tanto como todos los otros españoles en actividad. asiduidad. y que en ilusiración popular. en verdadero patriotismo y genuino orgullo nacional ninguna provincia se pueda igualar a las vascongadas. Aunque esto dependa también a la vez de otras circunstancias. contribuyc empero ciertamente por la mayor pane la ahora descrita distribu-ción del país el género de vida de la parte agricultora de la nación », idem. 134. Ibidem, p. 149. 135. Ibidem, p. 149. 136. Ibidem, p. 151. Celle-ci se remarque non pas tant dans les pas que dans les postures et les rotations du corps, les évolutions des gitanes d'Andalousie illustrant le mieux les débordements de la sensualité. 137. Idem. 138. Ibidem, p. 152. 139. Idem. 140. Idem. 141. Idem. 142. Ibidem, p. 154. 143. Dans son ouvrage sur les danses basques et béarnaises. J.M. Guilcher évoque la dimension rituelle sociale très codifiée des conditions de pratique des danses selon lesquelles « la danse solennelle d'ouverture de la fête [est] conduite par le premier magistrat » et « les participants prennent place dans la chaîne par rang d'ancienneté des maisons ». Voir J.M. Guilcher, La tradition de danse en Béarn et en Pays Basque français, Paris. Ed. de la Maison des Sciences de l'Homme, p. 46 et suivantes. 144. « En cl hecho de que en el país vascongado no sea propriamente popular el que cosas (como dan-zas y diversiones). que en otras partes quedan abandonadas a la inclinación privada de cada uno. allí en cierto modo se hacen parte de la organización del país, estan bajo la inspección pública. y tienen una forma fija consuetudinaria genuinamente patria. y hasta diferente según el lugar de origen de cada una estriba noto-riamente en su mayor parte lo que en el carácter del vascongado se elogia de preferencia sobre otras naciones. Afianza los lazos. que le ligan a su pais y a sus conciudadanos. y nada puede reemplazar a la firmeza de estos lazos en la bienhechora influencia sobre el vigor y la honrada rectitud del carácter. Aun la cultura mas elevada solo de un modo incompleto hacc sus veces y nunca puede pasar en si misma todos los miembros de una nación. pues, al revés, el amor a la patria y la ambición nacional toman aspectos en cl mendigo y en los primeros del pueblo. En verdad que es natural, que con las crecientes relaciones con el exte-rior estas organizaciones siempre caen más en olvido ; con todo es de lamentar que la superioridad misma no valc mas por su conservación. De continue se va adormeciendo una costumbre publica tras otra », Ibidem, p. 156 et p. 157. 145. Ibidem, p. 156. 146. « Así había en otro tiempo una solemnidad muy benéfica para la integridad de las costumbres (...) », Ibidem, p. 157. 147. Ibidem, p. 183. 148. « Ningun pueblo lleva tan lejos quizas la pasión por los cuentos como los vascongados ». Ibidem. p. 182. 149. Idem. Ce terme désigne un « esprit » qui trouble la vie domestique. Miguel de Unamuno, le traducteur de l'ouvrage, fait appel au terme basque d'iratxo pour désigner ce type d'esprit. Le mot de mamu pourrait également convenir. 150. Ibidem, p. 184. 151. Ibidem, p. 209.

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152. Idem. 153. Ibidem, p. 210. 154. Ibidem, p. 211. 155. Ibidem, p. 210. 156. Idem. 157. Idem. 158. Ibidem, p. 213. 159. Idem. 160. Idem. 161. Ibidem, p. 213 et 214. 162. Ibidem, p. 215. 163. Ibidem, p. 226. Il n'accorde que deux lignes à la pratique de l'improvisation qui ne semble pas l'avoir frappé. 164. Idem. 165. C'est en 1859 que Moritz Lazarus et Heyman Steinthal fondent la Zeitschrift für Völkerpsychologie und spraclrwissenschaft (« Revue de psychologie et de linguistique des peuples »), entendant par le terme de « psychologie des peuples », « une science de l'âme populaire », et plus exactement, selon la définition proposée par Steinthal lui-même, « une théorie des éléments et des lois qui gouvernent la vie spirituelle des peuples ». Voir à ce sujet. H. Bausinger, ouv. cité. p. 48 et suivantes. 166. Ibidem, p. 227. 167. G. Bossong. « Wilhelm Von Humboldt y Hugo Schuchardt : dos eminentes vascologos alemanes » dans Arbor.Madrid. 1984. tomo CXIX, pp. 163-182, p. 167 et suivantes : voir aussi G. Lacombc. « Hugo Schuchardt et la morphologie de la langue basque », dans Revue Internationale des Etudes Basques. t. XXVI. janvier-mars, 1935. pp. 174-184. 168. D. Decamp, « The study of pidgin and creole languages ». dans Dell Hymes (ed.). Pidginization and créolization of Languages.Cambridge University Press, 1971, pp. 13-39. p. 31. Il est à noter qu'un autre bascologue éminent Julien Vinson a consacré plusieurs études au domaine créole à la demande de Schuchardt lui-même : Dictionnaire des sciences anthropologiques. 1879. art « créoles » ; « compte rendu de Baissac : étude sur le patois créole mauricien » dans Revue de linguistique et de philologie comparée. 1881. 14, pp. 415-420 ; « Un échantillon du patois- français du Mozambique » dans Revue de linguistique et de philologie comparée. 1882, 15. pp. 330-332 : « Le conte du chat botté en patois créole de l'Ile de la Réunion », trad. par E. Trouette, note introductrice, dans Revue de linguistique et de philologie comparée. 1883. 16. pp. 64-71. 169. Voir à ce sujet. L. Michelina. « L'euskaro-caucasien » dans A. Martinet (éd.), Le langage (Encyclopédie de la Pléiade). 1968. pp. 1414-1437. 170. H. Schuchard. « Baskiche Studien. I : Über die Entstebung der Bezugsformen des Baskischcn Zeitworts ». Denkschriften der wiener Akademie. 42, III. pp. 1-82. 171. Voir à ce propos. I. New-Alternheimer et D. Baggioni. « Recherches universitaires et idéologies glottopolitiques en Catalogne et en pays créolophones (Océan indien) à l'époque des néogrammairiens. 1880-1891 » dans Langues. Revue de sociolinguistique. Montpellier. 1986, n° 19. pp. 63-99, p. 65 et suivantes. 172. H. Schuchardt. « Slawo-deutsches und Slavo-italienisches » (Dem Herrn von Miklosisch Zum 20 nov. 1883).Graz. pp. 3-140. A cette étude sur la sprachmischung dans l'Empire austro-hongrois, il faut ajouter ces nombreux travaux sur le créole dont : « Sur le créole de la Réunion » dans Romania. 1882, 11, pp. 589-593 : « Krcolische Studien ». dans Sitzungsberichte der wiener Akademie der Wiss-PhiloHistorikerklasse. 1882-1890. 101. 1. II : 103, I : 104. II. 6. I : 122. IX. 173. Voir à ce propos I. New-Altenheimer et D. Baggioni, article déjà cité. p. 96 : D. Baggioni. « Géographie linguistique et dialectologie dans le débat autour des lois phonétiques », dans Actes

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du XVIIe Congrès international de linguistique et philologie romanes. Aix en Provence. 1983 : D. Baggioni. « Schuchardt l'incompris, ou du bon usage de la mixité des langues », dans Travaux de l'IIA de la Réunion. 1984. n°4. 24 p. : H. Schuchardt. Über die Lantgesetze. Gegen die Junggrammatiker, Berlin. 1885. 174. Voir G. Lacombe, article déjà cité. p. 180. Celui-ci ajoute : « Dans la même lettre à Dodgson il déclare aussi s'être forcé d'arriver à la clarté en ajoutant que quelque chose peut être absolument clair et en même temps très difficile à comprendre. Il faut reconnaître que ce livre n'a guère été compris ni même lu, mais enfin on ne doit pas désespérer et peut-être dans l'avenir se trouvera-t-il quelque professeur d'Université qui consacrera une série de leçons à un exposé méthodique et précis de ce que Schuchardt a pensé du verbe basque. Cela consolera peut-être Schuchardt par delà la tombe de l'amertume d'ailleurs toute relative qu'il dut éprouver à constater que divers basco-logucs n'apprécièrent pas son travail. Vinson lui consacra un article auquel Schuchardt dut répondre pour en corriger les erreurs d'interprétation. Webster fit également à son sujet des contresens que Schuchardt releva : Dodgson fut embarrassé et Van Eys bien qu'ayant couvert d'annotations son exemplaire de cet ouvrage, bien qu'ayant pris par ailleurs plusieurs pages de notes et même correspondu avec Schuchardt, fit dans la revue anglaise The Academy une recension brève et peu compromettante et dans une lettre de 1895. il déclare que les théories de Schuchardt bouleversent des notions reçues, qu'il faut bien peser le pour et le contre, qu'il ne sait que décider et qu'une difficulté pour ainsi dire psychologique l'arrête », idem. 175. Voir le numéro 2 de la revue Euskara, Berlin. 1886, p. 13. Les statuts précisent ainsi la position du sociétaire : « Peut devenir membre de la société toute personne qui s'intéresse à la langue basque et à sa vulgarisation, notamment tout érudit, philologue etc., s'occupant de cette langue ou désirant en faire l'objet de ses études », idem. Quant à l'organe de la société, elle doit répondre aux objectifs suivants : « Afin de présenter utilement les intérêts de la société dans toutes les directions et pour l'aider à atteindre le but qu'elle se propose, la création d'un organe propre à la société est désirable. Les débours résultants pour elle d'une semblable entreprise seront couverts au moyen des cotisations des sociétaires. Cette publication se nommera Euskara, paraîtra provisoirement sans être tenue à des époques fixes, et comprendra une feuille en° ; plus tard, lorsque l'encaisse le permettra, elle aura de une à deux feuilles de texte et deviendra trimestrielle. Elle sera rédigée en langue allemande, sans exclure les articles écrits en basque ou en toute autre langue propre à servir les intérêts de la « Baskischen Gesellschaft » et de féconder son travail, comme par exemple les langues française et espagnole. Le droit de collaboration appartient à tout sociétaire, mais les articles destinés à l'insertion devront être écrits en allemand, ou dans un des idiomes déjà indiqués. Ils ne pourront traiter que de la langue basque, de l'histoire du peuple et du Pays Basque, de la question ibérienne, etc. ». Ibidem, p.14. Le même numéro informe également que le deuxième secrétaire de la société est V. Stempf, résidant à Bordeaux, auteur notamment de Besitzt die baskische Sprache ein transitives Zeitwort. oder nicht ?, Bordeaux. 1890, 16 p. ; et en français, La langue basque possède-t-elle, oui ou non, un verbe transitif ? traduit de l'allemand avec quelques modifications. Bordeaux. 1890, 15 p.

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INDEX

Index chronologique : 18e siècle, 19e siècle Mots-clés : basque (langue), basquité, grammaire, philosophie allemande, philosophie des Lumières Thèmes : histoire, linguistique

AUTEUR

PIERRE BIDART

Université de Pau et des Pays de l'Adour

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Politique culturelle et langue basque. Le centre culturel du Pays Basque (1984-1988)

Denis Laborde

« Une culture est bien morte quand on la défend au lieu de l'inventer ». Paul VEYNE, L'Inventaire des différences « Le Gouvernement entend défendre le basque au titre des cultures du monde ». Jean-Pierre COLIN, Sud-Ouest, 8 juin 1985 1 L'identité basque existe, nous l'avons tous rencontrée. Nous avons tous rencontré une langue basque, un pays basque, une danse basque, une pelote basque. Nous savons qu'il existe un béret, un makila, un txistu, un mystère-de-l'origine, un musée « basques ». Quand tout va bien, on parle d'un rugby, parfois d'un football « basques » et, plus sûrement, d'un handball, d'un basket ou d'un cyclisme « basques ». Quant au gâteau à la piperade au poulet au pottok au fromage ou au patxaran, leur réputation de « basques » n'est plus à faire. Mais ce n'est pas tout. Chacun de nous peut encore écouter des musiques techno grunge rock rap ou trash « basques », des chœurs « basques » ou, à Montréal, à Rome, à Amsterdam ou à Paris (plus rarement en Pays Basque), des créations de compositeurs « basques ». Chacun peut aussi danser un fandango, contempler des montagnes ou connaître, sur le continent américain, une importante diaspora « basques ». Informé du marché de l'art, chacun sait qu'une peinture et une sculpture « basques » se prévalent des meilleures cotations. Nul n'ignore, enfin, qu'il existe une violence politique (on parle, plus souvent, d'un irrédentisme, voire d'un terrorisme) « basque », avec sa cohorte d'attentats, de victimes, de tortures, de procès, de prisonniers. Nous savons, d'une familiarité acquise avec le gâteau, le béret, la pelote ou la violence, que chacun des termes de cette série constitue une « manifestation » de l'identité basque : ce qui nous relie à elle1.

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2 Pourtant : ne suffit-il pas d'associer le béret basque à une baguette de pain pour qu'il devienne eo ipso le marqueur d'une identité française ? Le béret ne serait-il donc pas tombé « basque » du ciel ? Ne nous serait-il pas livré « à l'état naturel », en compagnie de quelques autres « caractéristiques culturelles », pour nous permettre, ainsi qu'à tout observateur, de remonter de l'identification à l'identité ? Que dire alors du gâteau, de la musique ou de la langue ? Tout cheminement de la trace vers l'essence ne fait que nous bercer d'une illusion de compréhension. Cela implique-t-il qu'il nous faille renoncer au fol espoir d'accéder, un jour, à la définition de cet être basque qui suscite tant de polémiques acerbes et d'âpres combats ? Sans doute. Le fait qu'il suffise d'associer le béret à la baguette pour le voir changer d'identité réduit à néant le mythe, tenace, d'une insularité culturelle basque. L'identité ne fonctionne pas sur une idéalisation de traits culturels figés dont l'addition viendrait caractériser un isolât postulé. Mais alors, si toute définition d'une « identité culturelle basque » est vouée à l'aporie, comment engager une politique qui en autorise une gestion consensuelle ?

1984, année zéro

3 Pour la première fois, en France, une institution spécifique est créée en vue d'administrer une culture basque. Après des débats acharnés sur l'opportunité de substituer « basque » à « Pays Basque », l'institution prend pour nom : Centre Culturel du Pays Basque. Aux termes de l'article 5 de ses statuts, une mission lui est confiée : devenir « un lieu d'animation pour le Pays Basque, un lieu de diffusion, de création, de coproduction de spectacles pluridisciplinaires, un lieu d'échanges et de recherches culturelles au plus haut niveau et dans tous les domaines, un soutien actif et créatif pour les cultures locales » (notons, avant d'y revenir plus loin, que les recherches culturelles de haut niveau sont ici dissociées des cultures locales). L'expérience aura duré quatre ans. En 1988, à la suite de désaccords multiples entre le Conseil d'Orientation (qui joue un rôle consultatif) et le Conseil d'Administration (organe de décision), le Centre culturel fut dissout... pour réapparaître aussitôt sous une forme bifide : comme Centre d'Action Culturelle de Bayonne et du Sud Aquitaine, d'une part (aujourd'hui Scène nationale, à Bayonne), et comme Institut culturel basque, d'autre part (à Ustaritz).

4 Comment passe-t-on de « rien » à « quelque chose » ? Comment passe-t-on d'un espace institutionnel vierge à un Centre Culturel du Pays Basque ? Telle fut la question qui stimula mes premières recherches sur ce thème, conduites voici quelques années2. Aujourd'hui, je propose de ne porter mon attention que sur un seul des traits culturels de la série énumérative convoquée en ouverture de cet article : la langue. 5 Car, dans cette série, la langue occupe une place à part. Tout Basque se définit, en effet, par sa langue. Etre basque se dit, en basque, être euskaldun. Or, euskaldun est la forme contractée de euskara-dun, c'est-à-dire : celui qui parle la langue basque. l'euskara. Ainsi se trace un trait identitaire majeur : être basque, c'est parler basque. On comprend alors que la langue ne se réduit pas à un simple décor de l'existence : elle est cette existence même. Or, précisément, en France, la situation de la langue basque est extraordinairement précaire, beaucoup plus précaire, par exemple, que dans le Royaume d'Espagne.

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Pratiques de la langue basque

6 En Navarre et dans la Communauté autonome basque (qui regroupe les trois provinces de Guipuzkoa, Araba et Biscaye), la langue basque a statut de langue officielle et les bascophones qui ont entre 16 et 24 ans sont de beaucoup plus nombreux que les bascophones qui ont entre 25 et 34 ans, plus du double en Navarre. Signe de la vitalité d'une langue qui, au prix d'une politique volontariste, a recouvré un usage social pertinent, seul gage d'une inscription durable dans l'histoire.

7 Rien de tel en Iparralde. Là, au contraire, l'euskara est en recul constant : 80 % des élèves de maternelle et 86 % des élèves d'élémentaire sont aujourd'hui scolarisés dans une filière où l'enseignement se fait uniquement en français (alors que. dans la Communauté autonome basque, seulement 0,7 % des mêmes élèves suivent une filière uniquement en espagnol). En Pays Basque nord, le nombre de jeunes bascophones entre 16 et 24 ans dépasse tout juste les 10 %. Ils sont deux fois moins nombreux que la génération des plus de 50 ans. Les indicateurs de tendance sont donc unanimes : en Pays Basque nord, si la politique linguistique actuelle se poursuit, une langue basque dépourvue de toute utilité sociale sera, dans une génération, une langue morte. 8 Dès lors, un Centre Culturel du Pays Basque pouvait-il, en 1984, ne pas placer la question linguistique au centre de ses préoccupations ? L'ensemble des partenaires rassemblés autour de ce projet inédit pouvaient-ils engager un programme d'action culturelle alors même que la langue basque ne bénéficie d'aucun statut officiel ? Mais, à l'inverse, la question linguistique ne vint-elle pas parasiter tout effort entrepris afin de structurer une politique culturelle locale ? 9 Pendant les quatre années d'existence du Centre Culturel du Pays Basque, la question linguistique fut au cœur même des débats les plus passionnés. L'analyse est, sur ce point, parfaitement récurrente : chaque fois qu'il y eut crise (quelle qu'en fut l'origine), le rapport de force se reporta sur la question linguistique. Car voilà (et c'est, ici, l'héritage encombrant que nous lèguent les folkloristes du XIXe siècle qu'il conviendrait d'interroger) : ce n'est pas parce qu'un espace institutionnel est vierge qu'il est vide de présupposés. 10 Ce Centre n'est, en effet, pas apparu, le 25 juin 1984, par génération spontanée. La gestion d'une identité locale fut un souci constant des instances politiques de la décennie quatre-vingt. J'en rappelle, ici, très sommairement, quelques jalons : 11 - 30 janvier et 1er février 1978. Réunion, à Bordeaux, de la Convention du Conseil de l'Europe sur les problèmes de la régionalisation. Dans une perspective sans doute exagérément mécaniste, sa déclaration finale soutient que « la délégation aux institutions régionales de pouvoirs relevant spécifiquement du Gouvernement est la réponse démocratique logique à la réaffirmation des traditions ethniques et culturelles propres à chaque région »3. 12 - 1980. Création, par le Conseil Régional d'Aquitaine, d'un Fonds d'Identité régionale au sein de son budget culturel. D'une dotation de 820.500 Frs (sur un budget culturel global de 10.229.562 Frs), ce fonds représente 8 % du poste. Il vient en troisième position derrière le Patrimoine (32 %) et la Musique (20,4 %). 13 - 14 mars 1981. François Mitterrand, candidat à la Présidence de la République, prononce son célèbre discours de Lorient, qui trace les grandes lignes de son programme politique, affirmant, notamment, que « le temps est venu d'un statut des langues et des cultures de France qui leur reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de

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leur ouvrir grandes les portes de l'école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu'elles méritent dans la vie publique »4. 14 Le 6 août, Jack Lang, Ministre de la Culture, adresse à Henri Giordan, Maître de Recherche au C.N.R.S., une lettre de mission lui demandant d'établir un état des lieux en ce domaine, car « la mise en œuvre d'une politique de dynamisation du tissu culturel régional, la promotion de pôles de développement culturel dans les régions passent par le soutien des initiatives locales et l'épanouissement des différences linguistiques et culturelles dont la France est riche ». Henri Giordan remettra son précieux rapport au mois de février 1982 : Démocratie culturelle et droit à la différence. 15 - 1982. A la suite de la promesse faite par Gaston Defferre aux Conseillers Généraux du Pays Basque, une Mission interministérielle d'Étude des Problèmes du Pays Basque est créée, dont la Présidence est confiée à M. Ravail. Cette Mission inter ministérielle prend appui sur 2 des 110 Propositions pour la France du candidat Mitterrand à l'élection présidentielle du 10 mai 1981 : • Proposition 54 : La décentralisation de l'État sera prioritaire. Les conseils généraux seront élus au suffi âge universel et l'exécutif assuré par le président et le bureau. La Corse recevra un statut particulier. Un département du Pays Basque sera créé. La fonction d'autorité des préfets sur l'administration des collectivités locales sera supprimée. L'exécutif du département sera confié au président et au bureau du Conseil général. La réforme des finances locales sera aussitôt entreprise. La tutelle de l'État sur les décisions des collectivités locales sera supprimée. • Proposition 56 : La promotion des identités régionales sera encouragée, les langues et les cultures minoritaires respectées et enseignées.

16 Le Rapport Ravail préconise la création d'un Conseil de Développement du Pays Basque. L'opportunité d'une telle initiative sera discutée en réunion extraordinaire, par le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques, le 22 novembre 1982. Dans le respect des principes de décentralisation posés par la loi du 2 mars 1982, le Conseil Général est en effet seul compétent pour décider de la création d'un tel organisme.

17 En cette même année 1982. l'Etat signe avec 26 villes et régions, y compris avec la Ville de Bayonne, la Ville de Tardets et le Département des Pyrénées-Atlantiques, des Conventions de Développement culturel. Ces conventions permettent, notamment. de financer des missions de préfiguration visant à engager une culture basque sur la voie d'une institutionnalisation. Deux rapports seront rédigés dans ce cadre : l'Enquête auprès des milieux culturels basques et bayonnais sur l'implantation d'un centre d'action culturelle à Bayonne (ronéo, 19 pages) du journaliste Philippe Oyhamburu (15 avril 1983) et le Pré- rapport de l'enquête sur l'état de la culture basque en Soule (ronéo, 18 pages) du sociologue François Fourquet (26 avril 1983). 18 - 9 juin 1983. C'est dans le cadre de cette Convention de développement culturel Etat- Département que le Conseil général décide d'inscrire à son chapitre « Défense et promotion des cultures spécifiques au département des Pyrénées Atlantiques », une dotation de 250 000 Frs pour une étude préalable en vue de la réalisation d'un programme vidéo d'enseignement des langues basque et gasco-béarnaise, et de 50.000 Frs pour le recueil de documents oraux et écrits sur les savoir-faire et les techniques disparues. Les premières démarches institutionnelles s'orientent résolument vers le sauvetage et l'urgence, la défense et la mémoire. La beauté du mort et la noblesse du geste tiennent lieu de principes épistémiques.

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19 - 17 mai 1984. Une semaine tout juste avant l'Assemblée constitutive du Centre Culturel du Pays Basque, Jean-Pierre Destrade, député socialiste de la circonscription de Bayonne, dépose devant l'Assemblée nationale sa Proposition de loi sur la promotion des langues et cultures de France. 20 - 25 juin 1984. Assemblée générale constitutive du Centre Culturel du Pays Basque.

21 - 20 mai 1985. Devant le Parlement, Jean Briane présente une nouvelle Proposition de loi relative au statut et à la promotion des langues et cultures régionales.

La mobilisation des associations

22 En Pays Basque, cependant, les instances politiques sont, depuis longtemps, soumises à la pression des associations culturelles. Dans cette région, en effet, les associations culturelles sont particulièrement dynamiques et les services de la sous-préfecture de Bayonne mettent, par exemple, un point d'honneur à rappeler, en toute circonstance, que les Pyrénées-Atlantiques sont le seul département où le nombre d'associations déclarées auprès d'une sous-préfecture est supérieur au nombre des associations portées sur les registre de la préfecture. Et la dynamique ne faiblit d'ailleurs pas : pour la période 1984-1988, qui correspond à la durée de vie du Centre Culturel, le nombre d'associations déclarées à la sous-préfecture passe de 195 à 249.

23 Depuis la création de l'association Seaska qui, depuis la rentrée 1969, à Arcangues, scolarise des enfants en langue basque, l'attention portée à l'euskara n'a cessé de croître en dépit des vives condamnations auxquelles Seaska fut soumise5, condamnations reposant tout à la fois sur des prétextes psychologiques (hypothétique traumatisme des enfants bilingues qui ne savent plus à quelle langue se vouer), pédagogiques (scepticisme à l'égard du choix fait par les enseignants de recourir à des méthodes actives) et politiques (le spectre du séparatisme basque). Bien d'autres associations sont créées dans les années 70 ou retrouvent, à ce moment-là, un nouvel essor. C'est le cas de Ikas, par exemple, ou AEK, cours du soir pour adultes. Un dispositif social se structure autour de la question linguistique et culturelle. Des Assises se tiennent à Bayonne le 12 septembre 1981, à l'appel, précisément, de l'association Ikas (Apprendre) et de l'Euskaltzaindia, Académie de la langue basque. La plupart des associations culturelles locales y prennent part, ainsi que les syndicats d'enseignants et de radio-télévision. Il s'agit, à la fois, d'engager une réflexion sur les notions de langue et de culture basques, et de dégager des propositions d'action culturelle. Des réunions publiques sont organisées dans l'ensemble des villes et des villages du Pays Basque. Ce vaste mouvement aboutira à la publication, en 1982, d'un document de 16 pages : Pour un statut de la langue et de la culture basques. Le titre même du document instruit une séparation entre langue et culture. La langue n'est donc pas considérée, ici, comme l'une quelconque des « composantes culturelles basques ». Sa place est à part, elle est entière. Et il est révélateur que les quatre mesures réclamées en conclusion du rapport concernent, d'une façon prioritaire, une politique de la langue : 1. un système éducatif se faisant soit en basque avec un enseignement du français, soit en français avec un enseignement du basque ; 2. une accession de l'euskara aux moyens de communication de masse (radio. télévision) ; 3. une aide à la création dans tous les domaines de la culture (musique, théâtre. Bertsularisme, danse...) ; 4. des moyens humains et financiers pour mettre en oeuvre cette politique.

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24 Le Centre Culturel du Pays Basque devint ainsi, en 1984, le premier espace institutionnel où les propositions émanant du mouvement associatif et les nouvelles orientations définies par le gouvernement socialiste en matière de politique culturelle entraient en corrélation, tout en impliquant, en tout premier lieu, les pouvoirs locaux. Autant dire : une gageure.

L'Assemblée du 25 juin 1984

25 Le Centre culturel du Pays Basque est donc constitué juridiquement le 25 juin 1984 à Bayonne, sous la forme d'une association loi 1901, et sur les bases d'un consensus regroupant cinq partenaires : l'État, la Région Aquitaine, le Département des Pyrénées- Atlantiques (dont Bayonne est sous-préfecture, Pau préfecture), la Ville de Bayonne et les associations culturelles (principalement les 38 associations regroupées au sein de la fédération Pizkundea, renaissance). Un Conseil d'Administration est élu. Il est composé de 15 membres : 3 représentants pour chacun des 5 partenaires (État, Région Aquitaine, Département des Pyrénées-Atlantiques, Ville de Bayonne, fédération Pizkundea). Le Conseil d'Administration possède le pouvoir de décision. Par ailleurs, un Conseil d'Orientation est créé. Il comprend, lui aussi, 15 membres, tous acteurs culturels locaux. Le Conseil d'Orientation a une fonction consultative.

26 Sur la scène du Centre Culturel se jouerait un affrontement entre la fédération Pizkundea (non marquée politiquement, mais où le courant indépendantiste basque est prépondérant) et les élus locaux, conservateurs hantés par le spectre indépendantiste, opposés à toute reconnaissance institutionnelle du fait basque : Conseil d'orientation contre Conseil d'administration. 27 L'assemblée constitutive est déjà elle-même émaillée d'un grand nombre d'interruptions de séance. Les représentants de Pizkundea proposent cinq amendements aux statuts. Tous sont rejetés. Le Centre continuera, notamment, de s'appeler « Centre Culturel du Pays Basque » et non « Centre culturel basque », comme le demandent les associations. Vaine querelle de mots ? « Pas du tout, nous dira, au cours de notre enquête, Jakes Abeberry, adjoint au maire de Biarritz, et qui était alors l'un des délégués de Pizkundea. Ce n'était pas du tout innocent. En appelant ce Centre « du pays basque », ils pouvaient programmer n'importe quelle manifestation artistique. Alors que s'il s'était agi d'un Centre « culturel basque », le Conseil d'Administration aurait été contraint de promouvoir un effort artistique basque ». À quoi Maurice Touraton, qui était alors délégué de la ville de Bayonne au Conseil d'Administration, répondra : « En fait, il fallait rester ouvert au maximum de possibilités ». 28 Pour Pizkundea, il fallait prendre en compte une « spécificité basque » ; pour les élus, il fallait « rester ouvert ». Ainsi, l'on voit se former, dans les propos de ceux qui furent les principaux acteurs de cet espace institutionnel inédit, des couples d'opposition bien connus des ethnologues : ici, les couples ouverture versus repliement, ou exception culturelle vs. libre expansion, font écho au couple recherche culturelle de haut niveau vs. soutien aux cultures locales que nous avons repéré, plus haut dans l'article 5 des statuts du Centre Culturel (Cf. infra p.338). Des couples d'opposition que l'on agite en temps de crise. 29 Une semaine à peine après la création du Centre culturel, trois associations parmi les plus influentes, se retirent du projet : A.E.K. (Cours du soir d'euskara). Arroka (association culturelle de Biarritz), Seaska (Écoles en langue basque, en négociation

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permanente, depuis 1969, avec le Ministère de l'Éducation nationale pour une reconnaissance officielle, et qui, au moment de la création du Centre culturel en 1984. scolarise plus de 600 élèves). Serait-ce un hasard ? Ces associations sont toutes trois engagées dans la promotion de la langue basque. Dans un communiqué de presse commun, elles reprochent au Conseil d'Administration : une absence de concertation, un Centre culturel luxueux plaqué sur une réalité culturelle qu'il ne reconnaît pas, l'absence d'une participation directe des acteurs culturels locaux aux prises de décision, un pouvoir insuffisant du Conseil d'Orientation, la création d'un Centre culturel du Pays Basque au lieu d'un Centre culturel basque, c'est-à-dire : un refus d'accorder priorité à la langue basque.

Un directeur non bascophone ?

30 De pareils affrontements se produisirent chaque fois qu'une décision importante fut à prendre. Ainsi, par exemple, lorsqu'il fallut choisir un directeur. La désignation, le 1er juin 1985, d'un directeur non bascophone déchaîne, en effet, les foudres du mouvement associatif. Le fait que le nouveau directeur ne parle pas basque constitue, pour Pizkundea, un handicap majeur. D'autant qu'en assumant une telle nomination, le Conseil d'Administration va à rencontre de ce dont il était convenu : un directeur bascophone pour le Centre culturel du Pays Basque.

31 Pour tenter de calmer l'effervescence, Jean-Pierre Colin, chargé de mission auprès du Ministre de la Culture pour les cultures régionales et minoritaires, est aussitôt dépéché sur place. Il vient rencontrer les acteurs du Centre Culturel, à Bayonne, les 7 et 8 juin 1985. Il affiche, dans le journal Sud-Ouest du 8 juin, la volonté du gouvernement de « défendre le Basque au titre des cultures du monde ». Là encore, dans le discours du fonctionnaire ministériel, l'action en faveur d'une culture basque se prononce sur le mode de la défense, c'est-à-dire sur le mode d'un ralliement à la cause des offensés et des humiliés (un misérabilisme). 32 Cette attitude coïncide, comme « nécessairement », avec un rejet au loin d'une culture basque comme l'une, parmi bien d'autres, des « cultures du monde ». La conjugaison de ce misérabilisme et de ce procès en décontextualisation fait de la « culture basque » une pure abstraction. L'on ne quitte pas ici le registre polémologique qui était déjà celui des folkloristes du XIXe siècle. Pour eux, un « savoir du peuple » (folklore) ne méritait d'être étudié qu'à la condition de le rejeter au loin sur un axe historique, c'est-à-dire de n'y voir qu'un ensemble de survivances d'un état antérieur de la civilisation. 33 Cependant, si l'élection, en 1985, d'un directeur non bascophone marque un moment important du clivage entre Conseil d'Orientation et Conseil d'Administration, la crise s'aggrave l'année suivante. En 1986, Erramun Bachoc, responsable littéraire du Centre culturel, démissionne. Selon lui, ce Centre culturel n'est qu'une « aspirine pour soigner un cancer généralisé ». II quitte le Centre pour s'investir dans la réalisation du programme vidéo d'apprentissage de la langue basque, Euskaraz bizi. Là encore, l'un des éminents spécialistes de la langue basque abandonne la structure institutionnelle, qu'il juge inadaptée, pour se consacrer au combat linguistique. 34 Election d'un nouveau responsable littéraire, le candidat présenté par Pizkundea n'est pas retenu, vives polémiques. A ces polémiques vient s'ajouter la question des trois centres culturels situés en zone rurale, à Hasparren (Eihartzea), Ostabat (Haize Berri) et Tardets (Uhaitza) : le Conseil d'Administration refuse de les intégrer à la gestion du

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Centre Culturel du Pays Basque, contre l'espoir fomenté par Pizkundea, qui espérait voir, de cette manière, se constituer un champ culturel basque unifié en Iparralde qui serait, précisément, le domaine d'intervention du Centre Culturel, « comme un petit Ministère de la Culture », nous dira Jean Haritschelhar, aujourd'hui Président d'Euskaltzaindia, qui était alors l'un des délégués de Pizkundea.

Légitimisme des élus…

35 Les difficultés ne font alors que proliférer. Elles sont liées, d'abord, aux choix d'orientation budgétaire. En 1984, à la création du Centre, 58 % des dépenses étaient consacrées à des activités culturelles, 42 % au fonctionnement. En 1987, la part des activités culturelles est descendue à 44 % (soit 14 % de moins), la part du fonctionnement est montée à 45 %. Cette orientation budgétaire montre une tendance au renforcement de l'institution (renforcement parfaitement légitime au regard de l'état des lieux). Mais, par contre coup, les aides apportées aux associations s'amenuisent. « Les associations lâchées par le Centre culturel du Pays Basque », peut-on lire à la une de Sud-Ouest. Le Directeur du Centre s'en expliquera plus tard : « Il fallait professionnaliser la culture au Pays Basque » (Sud-Ouest, 23 juin 1988) et, pour cela, la placer en concurrence avec des productions artistiques dont la qualité ne faisait aucun doute. D'un côté, une stratégie réhabilisatrice se manifeste dans la position relativiste de Pizkundea ; de l'autre, des critères d'excellence sont mis en exergue par l'option légitimiste des élus.

36 Ce couple, réhabilitation versus excellence, mérite, ici, une considération toute particulière. Je propose de m'y arrêter un peu longuement. 37 L'option légitimiste des élus repose sur un principe à l'apparence limpide : le culturel n'est pas du socioculturel. Cette option légitimiste avait pour fondement une différenciation du pôle culturel sur une base restrictive que l'on repère à deux attitudes : d'une part, une valorisation de l'artiste et de son professionnalisme ; d'autre part, une transformation du « service culturel » en un service purement administratif (la planification de l'administration culturelle est affichée comme la marque d'une réconciliation de la rationalité et de la démocratie : rester ouvert). 38 Dans cette option légitimiste, la notion de culture recouvre une acception restrictive : un nombre restreint de bons auteurs, de bons acteurs, de beaux tableaux, de bons musiciens, de bons spectacles, qui cimentent un savoir partagé par quelques sujets éclairés, et qui entendent mettre à la disposition du plus grand nombre ces trésors de l'art que nous savons, nous, apprécier. Un projet, en somme, de « démocratisation culturelle » orienté selon les deux axes évoqués plus haut : 39 1. une professionnalisation permet de dégager la création artistique des pressions d'une demande sociale ; 40 2. une spécialisation des activités liées à la production artistique. C'est de cette manière que la gestion culturelle devient un service administratif. On parle alors d'un « service culturel ». 41 Ce processus est un processus d'autonomisation du culturel. Il s'opère dans un double mouvement de disjonction entre participation culturelle et sociabilité collective, et de remplacement progressif des bénévoles par des professionnels. Cette disjonction se joue sur fond de rejet des associations culturelles locales, qui n'ont pas la compétence

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requise. La question culturelle, ici, devient une préoccupation en elle-même. Ainsi le thème culturel devient-il une composante politique, et cette composante politique gèle l'action culturelle en une doctrine misérabiliste.

... relativisme des associations

42 A l'opposé, se trouve l'option relativiste de Pizkundea. Là, une stratégie réhabilisatrice repose sur un travail d'ajustement permanent entre une définition des priorités légitimes et une extension des domaines d'intervention d'une bureaucratie culturelle. Le document, publié en 1982 à la suite des Assises, Pour un Statut de la langue et de la culture basques, préconise l'ouverture et la valorisation de filières d'enseignement. le financement de la production et de la distribution de produits, la valorisation du statut des artistes, une diffusion publique non marchande des œuvres, il encourage enfin l'archivage et la conservation du patrimoine. Mises en application, de telles mesures auraient deux effets principaux :

43 1. Elles augmenteraient le nombre des ayant-droits de la politique culturelle avec, pour corollaire l'effacement relatif des hiérarchies art/artisanat, invention esthétique/ savoir-faire, beaux-arts/arts appliqués... 44 2. Elles autoriseraient une revitalisation des pratiques culturelles couvertes par l'ensemble des associations représentées dans la structure administrative du Centre Culturel du Pays Basque.6 45 Ici, le mot « culture » ne recouvre plus la même acception que précédemment. Sans doute sommes-nous proche de la valeur canonique que l'École anthropologique américaine a conférée à la définition proposée en 1871 par l'anthropologue britannique Edward Bumett Tylor (1832-1917) dans son Primitive Culture : « ce tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l'art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises pari homme en tant que membre de la société » (Tylor, 1871 : 1). Mais alors, la surenchère à l'exhaustivité induite par une aussi large acception du terme rend impensable la mise en application d'une action culturelle reposant sur ces principes généralisants. Poussée à l'extrême, cette position met en cause jusqu'à l'existence même d'une institution susceptible de gérer des pratiques culturelles, c'est- à-dire à désigner les ayant-droits de sa politique. C'est ce que comprirent d'emblée A.E.K., Arroka et Seaska, qui se retirèrent du projet une semaine après sa création. Pour Pizkundea cependant, et pour les élus socialistes, le message ici est clair : ce peuple perd son âme et le politique se doit de le sauver. De la part du Conseil d'Orientation : la désagrégation d'une politique culturelle par idéalisation populiste7. 46 Ces quelques éléments d'analyse pourraient donner à penser que l'éclatement, en 1988. du Centre Culturel du Pays Basque trouverait une explication dans cette opposition farouche entre les tenants des deux positions antagonistes, dans cet affrontement permanent, terme à terme, entre légitimisme et relativisme, entre démocratisation et démocratie, entre misérabilisme et populisme... La proposition vaut cependant davantage pour sa pertinence heuristique que pour sa vertu explicative. Car, en amont de ces oppositions bipolaires, se joue une question que l'on considérerait volontiers comme fondatrice et que Louis Quéré sut, en cette même année 1984, formuler d'une manière stimulante. Elle fait, ici, le titre de notre prochain paragraphe :

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L'identité peut-elle être l'objet d'une politique ?

47 Car l'identité n'entérine pas un fait de nature. Elle n'est pas une propriété propre qu'aurait telle ou telle pratique culturelle, repérée, et nommée, encadrée institutionnellement, d'être basque. L'identité apparaît bien au contraire comme une opération de qualification. Son immanence postulée par les uns et par les autres procède, en fait, de cette opération de qualification, qui élit son lieu dans l'univers du discours. L'adjectif qualificatif « basque », qui s'applique à la langue, à la danse ou à la pelote, sert, en effet, à désigner telle ou telle pratique repérée dans le vécu d'une collectivité comme différente de toute autre pratique similaire repérable dans le vécu de toute autre collectivité. L'adjectif qualificatif pointe une différence, il induit une séparation, opère un tri et, en même temps, construit une cohérence. Chargé d'une valeur descriptive, l'adjectif agit comme principe de démarcation, mais il n'est pas univoque. Il est le produit d'une perception culturellement déterminée : chacun considère ces pratiques culturelles avec ses propres mots, en fonction de sa propre attente, ou de l'attente du groupe auquel il s'identifie.

48 Cette façon de problématiser l'identité conduit à récuser toute approche substantiviste. Loin d'être livrée clés en main par une Nature omnipotente, l'identité se construit dans des rites d'interaction qui forgent une culture commune... et dans le discours de l'ethnologue qui entreprend d'en rendre compte8. 49 On comprend alors qu'une « culture basque », ce n'est pas la somme algébrique d'un ensemble de traits culturels, qu'une « culture basque » ne se réduit pas à une série de termes clairement identifiés. Le syntagme « culture basque » réfère à une double dimension. D'une part, il renvoie à des représentations objectales (des objets, des pratiques) ; d'autre part, il qualifie des représentations mentales, à quoi l'on accède par les discours qui font exister ces pratiques et leur procurent une (ou des) signification(s). Il réfère, en somme, à des opérations sociales dans lesquelles s'opèrent des couplages relationnels associant l'adjectif qualifiant une pratique à un nom qui la désigne9. 50 Aussi notre article se range-t-il parmi les efforts engagés en vue de désenclaver l'analyse ethnographique des schémas fixistes où l'avait entraîné, notamment, une théorie de l'identité fondée sur l'immutabilité tautologique d'une nature humaine composée d'universaux substantialistes. En d'autres termes, l'identité que nous analysons n'est pas dans un éternel toujours-déjà-là, elle n'est pas non plus figée dans un rituel immuable. L'identité est une manière de qualifier des comportements sociaux, des pratiques culturelles (c'est-à-dire des pratiques repérées comme telles et fonctionnant au moyen d'un code mutuellement consenti) par lesquelles un groupe s'identifie (et est identifié) comme groupe, une société comme basque. Notre perception de l'identité se veut ici résolument dynamique. Elle s'intéresse à la relation plus qu'aux termes de la relation, au fait que des formes d'affirmation identitaire se jouent en Pays Basque plus qu'à légiférer en la matière, en disant ce que cette identité est ou ce qu'elle doit être. Il ne s'agit donc pas, pour nous, de définir une identité basque, mais bien d'examiner la manière dont les marqueurs sociaux de cette identité fonctionnent10. Ce qui pourrait se formuler de la manière suivante : comment se fabrique, socialement, une « compétence culturelle » en tant que possibilité de s'identifier aux comportements d'un groupe ?

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51 C'est dans ce mouvement diffus, difficilement localisable, jamais clos d'une relation dialectique entre représentations mentales et représentations objectales que je chercherai, pour conclure, à comprendre les enjeux croisés d'une double politique, linguistique et culturelle, que le Centre Culturel du Pays Basque aura cru pouvoir confondre.

Echange compétence contre autorité

52 Dans la structuration du Centre Culturel, le Conseil d'Administration distingue ainsi des pôles de spécificité : Littérature. Édition, Musique, Danse, Théâtre, Arts plastiques. Il faut alors aux commandes de chaque secteur un spécialiste du domaine, lui-même acteur, en prise sur le tissu associatif local. Nommé au rang de responsable au sein du Centre Culturel du Pays Basque, le spécialiste est alors détaché de ce tissu associatif qui a fait sa renommée (une manière de prélèvement culturel en somme, un gage). Il devient expert, désigné par l'autorité publique. Michel de Certeau (1980 : 41-45) a analysé ce mouvement de bascule qui se produit en de pareils cas, par lequel la compétence du spécialiste se mue en autorité sociale. Pendant un temps, la force institutionnelle de l'assignation statutaire contredit l'engagement premier de l'animateur, elle contredit cette forme d'échange qui était le ressort même de son engagement associatif. Là, s'opère une manière d'échange progressif : compétence contre autorité. Ce glissement a pour effet d'isoler l'expert. Placé de la sorte en position d'abus de compétence culturelle, il encourt le risque d'être mis à distance par un tissu associatif qui tend peu à peu à oublier qui il fut et à ne plus lui reconnaître ses qualités premières. En même temps, il est maintenu à distance des associations par un pouvoir institutionnel qui le somme de se prononcer au titre de la place qu'il occupe désormais dans l'institution, et non au titre de ses engagements passés. Situation inconfortable s'il en est :« Oui, mais les associations savent bien que je reste malgré tout de leur côté, même si je suis obligé, à cause du poste que j'occupe, de suivre les positions de la direction », nous dira l'un des animateurs du Centre au plus fort de la crise.

53 C'est ce que le fait d'appeler euskara (langue basque) la langue que parlent ceux que l'on appelle les euskaldun (les Basques) parce qu'ils parlent cette langue, n'est pas une fiction sans effet. De même, le fait d'appeler Euskal Herria (Pays des Basques) la région où cette langue est parlée - prétendant ainsi le faire exister comme région, ou comme nation, avec toutes les implications historiquement constituées que cela implique et le rappel de la part de violence qui embrase ces régions où près de 700 prisonniers politiques sont encore incarcérés - n'est pas, non plus, une fiction sans effet. Nommer « basque » une pratique culturelle, c'est la faire exister comme telle. On comprend alors que l'euskara, la langue basque, qui authentifie cet adjectif au moyen duquel on qualifie des pratiques culturelles préalablement repérées, n'est pas l'un quelconque des termes d'une série infinie de pratiques culturelles basques (où l'on rencontrerait, pêle-mêle, un béret basque ou un gâteau basque, une pelote basque ou encore une musique, des danses, une langue, une piperade, une architecture, un jambon, une violence politique... basques). La langue est précisément ce qui relie ces éléments entre eux. 54 Sans doute pourrait-on, ici, marquer des seuils. Lorsqu'on institue, par exemple, un Centre culturel, on passe d'un niveau d'organisation sociale où des mécanismes complexes, mouvants et infiniments variables de différenciation de champs artistiques constitués localement se mêlent, inter-réagissent, se choquent (appelons A un tel

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niveau), à un autre niveau d'organisation sociale, divers en ses attributions, homogène en sa gestion, maîtrisé dans le jeu politique (appelons ce niveau B). Fortement revendiqué par des associations culturelles locales, un tel passage peut se faire en s'appuyant sur les tendances supralocales de la politique culturelle de l'État (le Ministère de la Culture et Jack Lang, en l'occurrence, ont joué ici un rôle d'impulsion primordial). Mais il peut tout aussi bien prendre appui sur les relais administratifs décentralisés de l'État, qui existent déjà et sont opérationnels, ou encore sur des orientations culturelles municipales. Or, dans le cadre du Centre Culturel, ces trois tendances (étatique, régionale, municipale) se sont trouvées mêlées. Le consensus était- il impossible dès lors que les appartenances politiques étaient, en chacun de ces niveaux, distinctes ?

Idéalisme culturaliste et langue basque

55 La gageure était, en effet, de taille : comment élaborer une institution stable, occupant une place centrale au regard dune production culturelle locale, à partir d'un repérage des mécanismes diffus de différenciation de champs artistiques constitués localement ? Et comment gérer, à la fois, cette pression des agents culturels locaux (qui parlent une culture basque en termes de sauvetage ou de réparation historique), cette méfiance manifeste d'un pouvoir politique local (hanté par le spectre du séparatisme), et un volontarisme culturel du Ministère ?

56 Une « culture basque », ce n'est donc pas seulement des pratiques, c'est aussi un ensemble de discours, qui qualifient ces pratiques et leur procurent une signification. Le discours des folkloristes du XIXe siècle a constitué un socle à partir duquel s'est émancipée une matrice du sens commun, un idéalisme culturaliste encombrant dont nous sommes, aujourd'hui, les héritiers. Menacée de disparition, la culture basque s'est vue essentialisée, dotée d'une valeur d'éternité. Le simple fait de se pencher sur son sort tint lieu dès lors de principe épistémique. Ainsi, dans le cadre de l'enquête diligentée en 1852 par Hyppolite Fortoul, Ministre de l'instruction Publique et des Cultes, Garay de Monglave écrivait-il le 13 juin 1853 à Louis-Napoléon : L'administration doit user de quelques ménagements pour ces médailles précieuses que le temps et le contact de notre civilisation n'ont pas encore complètement effacées. Il convient de leur appliquer les honorables sollicitudes dont on entoure les monuments historiques de pierre. Les vieux idiomes sont les plus chères antiquités d'un pays, mais enfin, puisque le char administratif ne saurait dévier de sa route, puisque le niveau de la civilisation ne peut arbitrairement fléchir, puisque dans l'Euscarie, le notaire, le percepteur, le juge de paix, le maire, le curé, l'instituteur primaire surtout sont établis pour arracher les racines de l'idiome subjugué, puisque tous ces Français enfin doivent - et on comprend fort bien la nécessité - finir par briser la chaîne qui unit les vieilles races à leurs vieux idiomes : puisque les nations Romanes, Celtes et Euscarienne doivent, dans un intérêt de commune rationalité moderne, fruit inappréciable de la révolution de 1789, se résigner à voir s'effacer peu à peu les traditions de leurs langues qu'elles s'étaient accoutumées à croire immortelles. il est de toute nécessité - et vous l'avez compris le premier. Monsieur le Ministre - que le gouvernement recueille avec un religieux respect ces débris qui tombent, pour les confier à un pieux cénotaphe.11 57 Un pieux cénotaphe ? Une chaire au Collège de France ou à la Bibliothèque impériale. Puisque le gouvernement subventionne, en effet, à Paris des chaires de langue et de littérature de presque toutes les langues de l'Asie, de la Malaisie même, de la Chine, de

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Java... pourquoi pas une chaire d'Histoire, langue et littérature basques-euscariennes, une chaire du haut de laquelle « des voix éloquentes salueraient leurs splendeurs passées » (idem) ?

58 En visite au Pays Basque le 31 janvier 1989, Pierre Joxe, Ministre de l'Intérieur, fait écho aux propos de Garay de Monglave : « Je ne suis pas certain que les problèmes spécifiques du Pays Basque, qui tiennent à une culture séculaire et à des carences économiques, trouvent nécessairement leur solution dans une démarche purement institutionnelle » (Sud-Ouest. 1er février 1989). Ainsi le ministre argumente-t-il le renoncement à la proposition 54 de 1981 (supra, p. 339) : la valeur d'éternité dont est dotée la culture basque, c'est-à-dire, aussi, sa langue, est à la fois ce qui fait tout l'intérêt (et F urgence) d'une démarche « spécifique » et ce qui, en même temps, Pierre Joxe dixit, fait « problème ». C'est qu'à ce stade, toute volonté d'engager une politique culturelle basque se heurte, tout à la fois, au désintérêt de la majeure partie des locuteurs basques d'Iparralde pour leur langue12 et à l'absence d'un statut juridique de la langue basque. 59 Le fait que les gouvernements successifs s'obstinent à refuser de signer la Charte des langues régionales et minoritaires du Conseil de l'Europe, comme lors de la réunion du Conseil de l'Europe qui s'est tenue les 10 et 11 octobre 1997 à Strasbourg, témoigne de ce blocage, que la langue basque est en train de payer du prix de sa disparition. L'argument convoqué à l'appui de ce refus est constant : l'article 2 de la Constitution stipule que « la langue de la République est le français ». Bien sûr, comme le suggère Erramun Bachoc, Président de l'actuel Institut Culturel Basque, dans le Sud-Ouest du 17 septembre 1997, l'argumentaire pourrait puiser auprès de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme (qui fait aussi partie de la Consitution et fait référence à la liberté de communication) l'argument d'une légalisation de la langue basque en France. Faute de cela, une nouvelle mission exploratrice se voit chargée de dresser un nouveau bilan. 60 Il reste que, n'étant plus prise en charge par l'institution familiale, qui longtemps fut son seul organe de transmission, privée désormais, en Iparralde, de toute utilité sociale, la langue basque devient affaire de militants d'association Loi 1901, c'est-à-dire de subventions. La voilà donc, lentement, qui s'efface et, dans ce même mouvement qui la voit peu à peu disparaître, faire du syntagme « culture basque » une pure oxymore. A quoi donc s'apparentera, en effet, une pratique culturelle repérée comme « basque » lorsque la langue aura tout à fait disparu ? C'est cela, que l'éphémère existence d'un Centre Culturel du Pays Basque permet, rétrospectivement, de comprendre. 61 Ce que cette brève histoire du Centre montre ici, c'est qu'en l'absence d'un travail de structuration d'un domaine notionnel propre à garantir un repérage consensuel du syntagme, il était impossible, pour les interlocuteurs, de parler de la même chose tout en énonçant, pourtant, les mêmes mots. Tout énoncé faisant référence au Centre Culturel du Pays Basque ne pouvait plus apparaître, alors, que comme une profession de foi, que comme le produit d'une énonciation s'efforçant de faire être, dans la force illocutoire d'un événement énonciatif, un Centre culturel qui, en l'absence notoire d'une prise en compte massive du fait linguistique, semble n'avoir existé que comme manteau de Noé. Un pieux cénotaphe ? Une scène, en tout cas, pour qu'un syntagme, culture basque, acquière une improbable visibilité.

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NOTES

1. Cet article est la version, considérablement augmentée, d'une conférence prononcée le 5 octobre 1996 à l'Université de Philadelphie dans le cadre du colloque “Les Langues régionales en France et le futur de l'Europe” organisé par le Penn Language Center. 2. Etude menée alors avec le soutien de la Mission du Patrimoine Ethnologique (Ministère de la Culture), dans le cadre de l'appel d'offre, lancé en 1989, sur les “Pratiques et politiques culturelles de l'identité”. Cette étude, demeurée, fort heureusement, inédite, portait sur cet instant, toujours magique, des commencements. Elle fut menéedans les conditions d'enquête très difficiles, tant étaient encore tenaces les rancœurs et tendues les relations entre tous ceux qui avaient su, pourtant, participer de cette importante innovation institutionnelle.

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3. C'est cette même perspective qui animera la Loi de décentralisation de 1982, dont la traduction en termes de politique culturelle ne semble guère aller de soi, puisque cette “réponse démocratique logique” devra être explicitée à maintes reprises, y compris par J. Mossion dans son rapport du 24 octobre 1984 devant le Sénat. 4. Cette proclamation stimulera l'exposé d'un projet de loi que Jean-Pierre Destrade, député de la circonscription de Bayonne, présentera devant l'Assemblée nationale le 17 mai 1984, quelques jours avant l'Assemblée constitutive du Centre Culturel du Pays Basque : Proposition de loi sur la promotion des langues et cultures de France, à laquelle répondra, un an plus tard, une Proposition de loi relative au statut et à la promotion des langues et cultures régionales présentée devant l'Assemblée le 20 mai 1985 par Jean Briane (voir plus loin dans le texte, à ces dates). 5. Cf. indications bibliographiques : Artiaga et Socodiabehere, 1981, ainsi que Hiriart, 1989. 6. Sur ce thème, une étude comparée portant sur les arguments développés, à la fois, par les acteurs culturels et par les politiques dans le cadre de la “défense d'une culture basque”, d'une part, et dans le cadre de la “promotion d'une exception française”, d'autre part, dans les accords du GATT par exemple, ne manquerait pas de se montrer particulièrement instructive. Les mots sont ce qu'ils sont, mais ils disent plus que ce qu'ils sont. 7. On pourrait alors dire, en paraphrasant l'historien Paul Veyne, que tout est culturel, donc la Culture n'existe pas (cf. Veyne. 1971 : 21). Cette approche universaliste se heurte à une difficulté majeure, puisqu'elle concerne la totalité de l'activité sociale de l'homme. Le débat est récurrent dans les sciences sociales. Il touche aux fondements même de l'ethnologie et de l'anthropologie sociale. Comment circonscrire la notion de culture ? C'est la raison pour laquelle, à cette visée englobante de Tylor, Franz Boas (1858-1942) substitua un pluriel et se proposa d'étudier les cultures, plutôt que la Culture. On pourra se référer, sur ce thème, aux pages que Denys Cuche consacre à l'émergence de la notion de culture dans les sciences sociales (infra bibliographie Cuche. 1996). 8. La référence aux travaux de Erving Goffman se voudrait, ici, explicite, notamment à ses études sur Les Rites d'interaction (Goffman. 1974). Dans le domaine des études de folklore, on rencontre une attitude semblable dans l'œuvre de Gary R. Butler. 1996 notamment. 9. C'est à travers ce spectre de la mise en relation qu'il me semble possible de comprendre tout l'intérêt de l'ouvrage naguère coordonné par Jean Haritschelhar sous le titre : Etre basque (infra bibliographie Haritschelhar, 1983). Les implications heuristiques de ce déplacement du type d'attention porté à l'objet sont explicitées d'une manière irréfutable dans le livre édité par James Clifford et George E. Marcus (1986) qui a constitué, pour notre étude, un outil de première main. C'est en puisant à cet ouvrage une bonne part de son outillage conceptuel que Timothy Rice a rédigé sa superbe monographie consacrée aux pratiques musicales traditionnelles en Bulgarie (Rice. 1994). Dans un tout autre domaine, on trouvera une mise en perspective perspicace de cette posture dans l'analyse de quelques aspects de l'oeuvre de Marshall Sahlins à laquelle Gérard Lenclud procède dans “Le monde selon Sahlins” (Lenclud. 1991). 10. Cette attitude est inspirée des remarquables travaux conduits dans le champ de la communication linguistique par Catherine Kerbrat-Orecchioni, 1994 notamment. Jacques Cheyronnaud a mené, à partir de principes semblables, une analyse du label “français” appliqué à la musique de la fin du XIXe siècle (Cheyronnaud. 19917). 11. In Enquête Fortoul, Bibliothèque Nationale de Paris, Département des Manuscrits, Nouvelles acquisitions françaises. 3338 à 3343 (6 vol.). 12. Sans doute l'appréciation, un peu brutale, devrait-elle être nuancée, mais cette désaffection massive explique, en partie, le fait que les courbes tendancielles relatives à la pratique de la langue basque soient exactement symétriques de part et d'autre de la Bidassoa : pratique en hausse, au sud : en voie de disparition. au nord.

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INDEX

Index chronologique : 20e siècle Thèmes : science politique Mots-clés : culture basque, identité

AUTEUR

DENIS LABORDE

UPPRESA

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Linguistique, que d’erreurs en ton nom !

Txomin Peillen

1 A chacun son métier, dit le proverbe. Hélas dans les sciences humaines tout le monde s'improvise savant, alors qu'en biologie, physique ou mathématiques on s'y hasarde peu. Je ne sais si l'auteur des fantaisies étymologiques et miroitier de la Soule est originaire de Lanne (l'âne), mais l'étymologie de Hastoy, graphie française de « astoa » ne peut relever que de la plaisanterie. Un Béarnais pourrait savoir que les noms souletins n'ont pas été francisés mais béarnisés par ses ancêtres qui monopolisaient les métiers notariés et procéduriers du Pays Basque oriental, du XIIIe au XVI-XVIIe siècle : aussi écrivaient-ils à la béarnaise le son « oï » : « oy ». D'ailleurs si notre miroitier savait le basque il saurait que le premier sens du suffixe basque -toy, ou -doy est « bois, forêt » et correspond au français « ier » ou « aie » ; ainsi Lexardoi est « frênaie », Hariztoi « rouvraie », « Ameztoi » « tauzinière », « Bagadoi » « hêtraie », « Urrustoi » « coudraie » etc.

2 La transcription des noms de lieux et de personnes se fit en Soule dès le XIIIe siècle, et nous conserve des formes archaïques qui rapprochent étroitement le souletin de tous les parlers basques, toutefois le nom de personne Irigarai, ou Irigoien est devenu par déformations récentes, et quand il s'applique à des maisons, une bouillie difficile à entendre par les autres Basques : Yagai, Yagoen. Quand j'entendis la première fois parler de Gat, je crus qu'il s'agissait d'un chat : c'était la prononciation négligée de Garat. Les Bas-navarrais et Souletins en contact avec les Béarnais ont mieux conservé leur nom, en effet le béarnais admet le « o » final et nos Souletins s'appelent Larrondo, Mendiondo, de même pour le « ü », « u » final Carricaburu, Aranburu, Mendiburu ; tandis que les Labourdins en contact avec le parler « neugre » qui n'admet ni de « o » ni de « a » final a vu se transformer les noms basques de cette province en Arambourg, Lerenboure. Larronde, Mendionde, Mendiboure. 3 Quant à la signification des noms de personnes c'est une spécialité linguistique. Toute personne parlant une langue, même très bien, ne peut s'improviser linguiste. En France ce fut Albert Dauzat, académicien et linguiste qui fit, tant bien que mal, un dictionnaire des anthroponymes. Hélas chez nous n'importe qui s'en mêle sans être linguiste, sans

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tenir compte de leurs observations et en étant, par exemple, journaliste et chorégraphe, comme M. Oihanburu, ce qui est bien loin de la spécialité onomastique. Le pire est de profiter de l'autorité d'une personne compétente pour lui demander une préface, puis de ne pas tenir compte des observations de ce professeur, ce qui nous vaut une accumulation, une compilation de fantaisies prises aux détestables étymologies de I. Lopez Mendizabal, auxquelles l'auteur ajoute les siennes. 4 Il n'est pas une page où ne s'accumulent les erreurs, et les inventions. Il faudrait écrire trois livres de même volume que ceux de M. Oihanburu pour les rectifier. Nous nous bornerons à signaler les plus gros défauts et inventions de l'auteur, car les étymologies justes sont le fruit de la compilation du livre de L. Mitxelena 5 Voici quelques perles : Abadia, Abadie, n'est pas un nom religieux puisqu'il y a des « abbés laïques » Enfin l'éternelle jungle végétale mendizabalienne qui envahit les noms basques a de quoi décourager un nouveau Linné : Abandia « grand arbre » (!), Abaina « chêne vert » (cet arbre se dit « artea » en basque) Abeberry « nouvelle myrtille » (!) (absurdité topographique, sachant où poussent les myrtilles), Abitain « propriété des myrtilles » (alors que nous savons que c'est un nom latin Avitanius, attesté dans les écrits anciens et en français « avitain ») Azketa « les chiendents » et Akoze « endroit de blaireaux » sont des exemples de l'amateurisme en linguistique, car là où le linguiste dit scientifiquement qu'il ne sait pas, « l'artiste » est sûr de lui et trouve toujours une étymologie. 6 Nous dont le métier est la langue, hésitons toujours à interpréter des noms dont certains ont deux mille ans d'âge, ces noms en ozloze que nous révèlent les inscriptions aquitaines (Andos) et aussi l'onomastique basque médiévale (Aloz/Aloze, Ùrdos, Bardoze et que l'on trouve dans toute la chaîne des Pyrénées, voir les études de J. Bernard et J. Ruffié). 7 Quant à l'interprétation des noms biscaïens en deux parties que l'on veut interpréter ensemble, elle montre l'ignorance de l'auteur du fait que le second anthroponyme désigne le quartier d'où est originaire la famille. 8 Par ailleurs qui a travaillé un tant soit peu sur la langue basque sait combien les utilisateurs locaux sont capables de déformer totalement les noms de leur maison ou de la montagne proche, et qu'il faut aller parfois dans le village voisin pour comprendre des noms enigmatiques : ainsi à Sainte Engrâce, Ehujarre ne signifie rien en basque, mais à Licq on appelle ces gorges Uhatxarre « le maigre torrent », nom qui lui convient bien puisqu'un maigre ruisseau descend dans une vaste gorge. Inversement à Licq Saiküdoi est un nom de maison sans signification et c'est à Sainte-Engrâce que l'on a respecté le nom Sabukidoi qui signifie « le bois de sureau » ; de même Iaporda ne veut rien dire, mais le cadastre a respecté Idiarteborda. 9 Aussi devrait-on être prudent en se déplaçant dans le maquis des transcriptions diverses des noms basques et surtout ne pas faire comme l'auteur en interprétant des noms gascons et romans à l'aide du basque pour faire plaisir à quelqu'un qui se dit basque ; mais là, attention, un basque bascophone a pu être désigné par le nom de sa maison qui était gascon, et inversement un Saspithurry être un Béarnais qui habita une maison de ce nom. 10 L'onomastique ne peut se faire en faisant comme notre chorégraphe une compilation d'ouvrages de qualités diverses. Et si en espagnol l'ouvrage de Mitxelena fait autorité, en français celui d'Oyhanburu n'a aucune valeur scientifique. Au regard de ce que

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Dauzat fit pour les patronymes français, cet ouvrage est une pure compilation mêlée d'extrapolations, un ours ne trouverait pas ses petits. 11 Certes le but de M. Oihanburu n'était pas scientifique mais commercial et pour vendre au maximum il visa les Basques d'Amérique, en donnant à ce dictionnaire des noms de personne une version en espagnol. Cet article écrit à la parution de l'ouvrage est resté en attente pour ne pas nuire aux intérêts commerciaux de M. Oihanburu. Nous pouvons rassurer notre amateur d'étymologies que les linguistes basques ont déjà jugé son ouvrage grand public et journalistique et que par contre les folkloristes attendent toujours que M. Oihanburu écrive dans sa spécialité, la danse. 12 Hélas, encore une fois il nous faut dire et écrire que la plupart des ouvrages sérieux sur notre langue sont en basque ou en espagnol, ou bien moins commerciaux comme le livre sérieux publié par J.B. Orpustan. Les ouvrages qui se vendent le mieux dans le domaine basque sont les fantaisies de journalistes compilateurs, qui au mieux, connaissent bien un dialecte de notre langue, ce qui est le cas pour M. Oihanburu, le plus souvent sont des francophones monolingues, tel celui qui récemment ne comprit pas la réponse en espagnol de B. Atxaga et déclara que ce dernier était l'auteur du premier livre en basque, notre littérature n'ayant pas été écrite avant 1986 (?!). 13 Oui à chacun son métier, mais Messieurs les journalistes, ne faites pas de science trop spécialisée, même humaine, le mauvais savoir étant pire que l'ignorance. Messieurs, retrouvez donc, ce qui fit votre gloire et que la télévision vous a ravi, en la pervertissant, retrouvez le goût du reportage, dans lequel vous êtiez et êtes inégalables.

INDEX

Index chronologique : 20e siècle Mots-clés : critique littéraire, onomastique, toponymie Thèmes : linguistique

AUTEUR

TXOMIN PEILLEN

UPRESA du CNRS - UPPA [email protected]

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Les relations internationales du nationalisme basque depuis son apparition jusqu'à la guerre civile espagnole (1890-1939)

Alexander Ugalde Zubiri

L'action extérieure du nationalisme basque comme objet d'étude

1 L'année 1995 marqua le centenaire du nationalisme basque1, si l'on prend comme référence le 31 juillet 1895, date à laquelle s'est constitué le premier Bizkai-Buru-Batzar (« Conseil Général de Bizkaia »), embryon de ce que sera le Parti Nationaliste Basque (PNB). Ce mouvement politique, apparu à la fin du XIXe siècle, a consolidé peu à peu sa doctrine, son programme et son organisation, gagnant en influence sociale et en présence électorale, de telle sorte qu'il s'est implanté comme une des composantes essentielles de l'histoire contemporaine basque et qu'il fait actuellement partie de la complexité de la réalité socio-politique basque à travers ses différentes formulations en matière d'idéologie, de politique et d'organisation.

2 Il est donc logique qu'un tel phénomène ait suscité l'attention des universitaires et des chercheurs dans différentes approches et disciplines, puisque c'est un des thèmes les plus abordés dans le domaine du renouvellement historiographique basque. On peut citer d'importantes recherches relatives au nationalisme basque (A. Elorza, J. Corcuera, J-C. Larronde, J-J. Solozabal, J-L. de la Granja, J. Apalategi, S. de Pablo, L. Mees, M. Ugalde, F. de Meer, I. Chueca, J. Azcona, A. Martínez Peñuela, P. Waldmann, Heiberg...). Malgré cela, on peut noter comme une des carences existantes le peu de recherches ayant une approche internationale. Dans ce domaine, je dois citer, sans prétendre être exhaustif, les apports de José Luis de la Granja (analyse du pacte Galeuzca - accord entre les nationalismes catalan, galicien et basque - et l'engagement des signataires d'un travail d'ensemble de « propagande et action internationale »), Xosé Estévez (relations

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entre les nationalismes périphériques péninsulaires, une de ses réflexions porte sur la conception « internationale » de ces alliances) ; Xosé M. Núñez Seixas (thèse doctorale sur les nationalités dans l'Europe de l'entre-deux guerres et la « protodiplomatie » catalane, galicienne et basque lors du Congrès des Nationalités Européennes), Daniele Conversi (incidence des faits internationaux dans les nationalismes basque et catalan), José Maria Lorenzo Espinosa (influence du nationalisme irlandais dans le nationalisme basque), Juan Carlos Jiménez de Aberasturi (recueil documentaire des activités du Conseil National Basque à Londres), Koldo San Sebastián (recueil des actes de la Délégation basque à New York) et, à partir d'une perspective des Relations Internationales. Iñaki Aguirre Zabala (modèles historiques d'un espace basque intégré et son articulation avec les autres espaces internationaux). 3 A partir de cet état de la question, j'ai rédigé une Thèse Doctorale qui contribue à analyser et évaluer l'action extérieure basque (objet de base de l'étude), adoptant un cadre historique suffisamment étendu sur une période de cinquante ans (1890-1939). Il s'agit de vérifier aussi bien les aspects théoriques que la matérialisation pratique d'une telle action et ainsi répondre à une interrogation centrale : est-ce que le nationalisme basque dispose d'un modèle défini d'action extérieure durant la période citée ?

Vérification d'une triple hypothèse

4 Je considère avoir réuni les données et les éléments suffisants pour démontrer que le nationalisme basque réussit à mettre en oeuvre un ensemble d'activités qui correspondent à une politique internationale, avec deux faces complémentaires : d'une part l'élaboration d'une ligne théorique d'action extérieure ; et d'autre part, son application sur le terrain avec l'établissement de relations internationales.

5 L'étude de ce processus a permis de vérifier la réalité de cette triple hypothèse conduite initialement, abordant méthodologiquement trois approches : 6 1) Du point de vue de l'Histoire : le nationalisme basque, comme mouvement politico- social, est structuré et organisé en plusieurs formations politiques et en différentes phases. Depuis sa naissance à la fin du XIXe siècle jusqu'à la fin des années trente, il déploya une action extérieure croissante. Lors du premier nationalisme, l'activité fut faible et irrégulière, ensuite elle se développa jusqu'à atteindre lors des années républicaines, un niveau que je qualifie d'important et de significatif. 7 2) Dans une perspective de pensée politique : la nature du nationalisme basque est de diriger son action vers une dimension internationale. Sa doctrine, ses principes inspirateurs, ses objectifs et ses programmes le conduisirent à situer son projet politique en référence au cadre européen et au contexte international. En premier lieu, il dut se stabiliser politiquement, socialement et électoralement dans le Pays Basque ; en second lieu, il dut déposer ses demandes devant le gouvernement central et participer à la dynamique politique de l'Etat espagnol ; par extension et en troisième lieu, il dut se situer sur la scène internationale, suivant en grande partie le sillage des mouvements nationaux. En définitive, j'enregistre une cohérence entre la doctrine du nationalisme basque et sa dynamique de projection extérieure. 8 3) Du point de vue des Relations Internationales : le nationalisme basque exerça une action extérieure où l'on peut relever les différents indicateurs qui composent un modèle précis dans son évolution historique. On peut prendre les indicateurs d'une

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manière séparée ou dans leur ensemble. En ce sens, il s'agit d'une action extérieure typique d'un mouvement politique, c'est-à-dire une diplomatie non gouvernementale. Le plus important de cette action extérieure fut de recevoir la reconnaissance internationale du nationalisme comme mouvement politique et d'aspirer, en une vision du futur, à la reconnaissance internationale de la nation basque. 9 Une conclusion très importante du point de vue des Relations Internationales est le fait qu'avec la formation du premier Gouvernement Basque en 1936, s'est produit le principal saut qualitatif de l'action extérieure. On est passé à une action de type institutionnel, encadrée par la sphère gouvernementale. Dans la mesure où il a eu un gouvernement propre, le Pays Basque s'est converti en acteur de la Société Internationale, exécutant, dans le cadre de son gouvernement représentant le peuple basque, une remarquable action internationale.

Les indicateurs du modèle d'action extérieure et leur application

10 Il est nécessaire de faire remarquer que le problème de l'analyse et de l'interprétation des informations réunies (principalement la bibliographie nationaliste et les textes des dirigeants nationalistes), se résout en appliquant une série d'indicateurs-cadres qui permettent d'identifier et d'expliquer le modèle d'action extérieure du nationalisme. Je distingue trois types : de doctrine (principes inspirateurs) ; de programme (objectifs fixés) ; et d'instruments ou auxiliaires.

11 Les indicateurs sont :

12 1) Le contexte historique : pour analyser l'action extérieure, il est indispensable de maintenir les références correspondant au triple cadre : basque, espagnol et international. 13 2) La prise en compte du contexte et des événements internationaux : en vérifiant de quelle manière, avec quelle intensité et régularité le nationalisme basque, à travers ses publications et ses journaux, a réalisé ses actions extérieures. 14 3) Les principes inspirateurs : généralement toute action extérieure s'inspire de quelques grandes lignes directrices, idéologico-politiques, qui peuvent être par nature plus ou moins générales, mais qui offrent des lignes directrices au moment de décider ou d'agir. 15 4) Les objectifs de l'action extérieure : c'est un des éléments les plus significatifs, d'examiner si les objectifs sont définis, ce qu'ils sont, quand ils se dessinent, dans quelle mesure ils sont modifiés, etc. ils nous permettent d'avancer avec des garanties de précision à propos d'un schéma de modèle extérieur. 16 5) Les alliances internationales : en disposer prouve qu'on a atteint un niveau de développement des échanges suffisamment élevé, en effet, cela suppose qu'on dispose d'accords et de niveaux de coordination avec d'autres interlocuteurs. Cet indicateur inclut aussi l'appartenance à des organisations internationales. 17 6) Les moyens et les instruments : ils apparaissent au moment où l'action extérieure a déjà dépassé la phase initiale, quand se mettent en place les mécanismes nécessaires pour atteindre certains objectifs fixés. Ils dépendent de deux facteurs préalables : du

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degré de conscience de l'utilité de se doter de moyens efficaces ; et de la capacité d'organisation humaine et économique dont on se dote pour les soutenir. 18 7) Les délégations à l'extérieur : ce sont des signes révélateurs du développement international, démontrant l'intérêt que l'on trouve dans une présence permanente dans d'autres pays et dans le maintien de liens et de relations avec eux. 19 8) Les activités et formes de présence internationale : sous cette dénomination, on entend les différentes initiatives et activités pratiques (voyages et visites ; communiqués et discours ; échanges amorcés avec d'autres mouvements, Corps Diplomatique, gouvernements, organisations internationales... ; propagande extérieure, etc.). 20 9) Les aires géographiques : c'est un élément qui illustre l'orientation de la projection extérieure, indiquant vers quelles zones se dirigent les activités et expliquant les raisons de donner priorité aux unes sur les autres. 21 10) Le processus international : tous les indicateurs cités atteignent une plus grande logique si on en fait une lecture d'ensemble. De plus, pour une juste évaluation du comportement du premier Gouvernement Basque, il faut ajouter deux indicateurs à ceux préalablement cités : le cadre juridique de l'action extérieure ; et la structure de l'organisation gouvernementale pour les actions extérieures. 22 L'application de ce schéma et de ces dix indicateurs se réalise à travers une double lecture : 1) La première est de type synchronique, superposant l'ensemble et chacun des indicateurs sur chaque phase chronologique déterminée, cela nous permet de connaître l'état de l'action extérieure à chaque moment (les conclusions de chaque chapitre sont issues de cette opération) ; 2) La seconde est de type diachronique, juxtaposant chaque indicateur à l'ensemble de toutes les phases chronologiques, ceci nous permet d'apprécier l'évolution de chaque indicateur dans le temps (les déductions de cette seconde lecture constituent les conclusions finales de la thèse).

Présentation d'une action extérieure à travers plusieurs phases chronologiques

23 Durant les cinquante années étudiées, on peut constater de manière générale quatre grandes périodes :

24 1) Un commencement lent de l'action extérieure nationaliste sans oublier les quelques éléments antérieurs (chapitre 2 « Brèves références aux antécédents de l'action extérieure »), on peut affirmer qu'entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, période qui coïncide avec la naissance et la première expression du nationalisme basque, a commencé à se dessiner l'action extérieure, bien que d'une manière peu perceptible et lente (chapitre 3 « Le début des activités extérieures du nationalisme basque, dans la phase araniste (1890-1903) »). 25 Quelques-uns des indicateurs de l'action extérieure commencèrent peu à peu à prendre forme, comme le fait de prêter attention aux événements internationaux ; comme des petites activités (échanges de télégrammes, quelques voyages) ; ou encore comme la promotion de l'affiliation extraterritoriale et la désignation de délégués du PNB en Amérique (chapitre 4 « Action extérieure dans la phase post-araniste I. (1903-19)3) : années de faible action extérieure »).

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26 La volonté d'étendre les relations internationales était encore mise au second plan, les nécessités primordiales des nationalistes étaient autres, dans les domaines de politique et d'organisation. L'euskalerriaco (nationaliste modéré) Eduardo de Landeta le soulignait déjà dans le séminaire Euskalduna en 1909 : « personne ne nous remplace dans la tâche de tisser des relations avec le monde extérieur ». C'est, en conséquence, une phase prématurée pour parler d'un modèle d'action extérieure. 27 2) Un développement notable de l'action extérieure : aux environs de 1915 jusqu'au début des années 20 ; l'action extérieure connut un grand développement du fait des événements relatifs à la première guerre mondiale et des années de l'après-guerre. Les dirigeants nationalistes prirent pleine conscience de la nécessité de s'ouvrir à l'extérieur, ce qui a entraîné un effort théorique en ce sens, ainsi qu'une série d'initiatives. 28 Une partie des indicateurs du schéma restent valides, en même temps que se rajoutent d'autres. Le modèle, bien qu'incomplet et limité, est en grande partie mis en place (chapitre 5 « Action extérieure dans la phase post-araniste II. (1913-1923) : les premières tentatives d'internationalisation dans le cas basque »). 29 Le plus important est qu'on assiste aux premières tentatives pour obtenir une reconnaissance internationale. On peut citer quelques exemples : la présence du PNB au IIIe Congrès de l'Union des Nationalités (Lausanne, J916. demandant « que vous nous reconnaissiez comme parti dans cette grande lutte des petites nations ») : les documents, salutations et relations que l'on peut observer après la guerre ; et la revendication d'avoir un espace dans la vie internationale, jusqu'à obtenir un siège à la Société des Nations. A ce propos José Vilallonga a réfléchi sur la « personnalité internationale » du peuple basque, affirmant que celui-ci « ne peut renoncer à la direction de ses relations extérieures » (Hermes, 1918) ; alors que Luis de Eleizalde écrivait que « nous devons réussir à ce que la Nation Basque puisse se présenter, dans le respect général, dans l'assemblée des peuples civilisés d'Europe » (Hermes, 1919). 30 La dynamique extérieure, malgré la division entre Communion Nationaliste Basque (CNB) -secteur nationaliste modéré et en faveur de l'autonomie- et Parti Nationaliste Basque (PNB) -secteur aberkide de ligne politique radicale et indépendantiste-, s'implanta dans le début des années vingt (comme par exemple les contacts avec les républicains irlandais et les solidarités avec les habitants du Rif marocain), mais plus tard il souffrit d'une interruption pendant la dictature de Primo de Rivera. Avec cela, dans la seconde moitié des années vingt, nous percevons quelques signes d'intérêt, comme la montée du pan-européanisme chez les communionistes et les memorandum remis par les « aberkides » à la Société des Nations (chapitre 6 « Action extérieure durant le primorriverisme (1923-1930) : phase de transition »). 31 3) Réactivation et consolidation de l'action extérieure : la première moitié des années trente, avec la IIe République Espagnole, fut l'apogée pour le thème que nous analysons, réalisant une consolidation presque complète de l'action extérieure nationaliste à tous les niveaux (chapitre 7 « Action extérieure durant la Seconde République (1931-1936) : réactivation des relations internationales »). 32 Avec les particularités propres à chaque parti (Parti Nationaliste Basque -nationaliste de droite et catholique- et Action Nationaliste Basque -parti nationaliste de gauche, libéral et non confessionnel) et les secteurs (Jagi-Jagi -petit groupe radical-) du nationalisme de l'époque, s'affirma la conscience internationaliste, ce qui entraîna des

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analyses plus nombreuses et plus élaborées ; les tâches réalisées vers le monde extérieur occupent une place de première importance ; et se développa un ensemble notable de relations et d'activités internationales. En 1931, José Antonio Aguirre prévoyait un tel processus : « Aujourd'hui, nous allons vers la vie extérieure du pays ». Les signes qui l'illustrent sont entre autres les nombreux articles dans la presse nationaliste qui insistent sur la face internationale du problème basque ; la création par le PNB du Secrétariat Général Basque qui assume la propagande à l'extérieur : les voyages dans d'autres pays ; l'entrée du PNB au Congrès des Nationalités Européennes avec sa présence dans les réunions annuelles (pour Ramón de Bikuña. cela signifiait donner « un caractère mondial à notre requête ») ; et l'emploi du slogan « Euzkadi- Europe » (Pays Basque-Europe). 33 4) Apogée avec une action extérieure basque institutionnelle : presque sans solution de continuité, on entra dans la période 1936-1939, marquée tragiquement par la Guerre Civile espagnole, période pendant laquelle, dans des circonstances minutieusement détaillées dans la thèse, l'action extérieure fait un pas essentiel, dépassant d'une certaine manière le processus initié quelques décennies auparavant (chapitres 8et 9 « L'action internationale du Gouvernement Basque (1936-1939) : I. L'établissement des relations extérieures institutionnalisées » et « II. Les instruments de base de l'action extérieure. Le rôle des Délégations »). 34 Avec l'approbation du Statut d'Autonomie du Pays Basque et la constitution du Gouvernement Basque, dans une conjoncture basque, espagnole et internationale très complexe, se dessine une nouvelle action extérieure, qui par sa nature, peut être qualifiée de basque et d'institutionnelle, allant plus loin que des relations internationales purement nationalistes et de partis politiques. Pour le nationalisme basque, cela vient couronner une de ses aspirations centrales et pour le reste des formations basques républicaines cela vient contribuer, au-delà des différences, à un moment historique de la projection internationale du Pays Basque. Ce qui fut alors réalisé servit de base à la politique que le cabinet basque effectua dans les années quarante et cinquante.

Le passage qualitatif de l'action extérieure du nationalisme basque, en tant que mouvement politique, au processus international du premier Gouvernement Basque, en tant que gouvernement.

35 De fait, dans la période 1936-1939, l'action extérieure effectua une avancée sans précédent avec l'apparition d'une forme d'essor international distincte qualitativement, qui fut menée à bien par le premier Gouvernement Basque, présidé par José Antonio Aguirre, appuyé par le PNB et les formations du Front Populaire (PSOE, ANV, PCE, IR et UR).

36 Ce changement est particulièrement intéressant pour deux raisons : premièrement, entre les différentes activités nous pouvons voir une certaine continuité, les éléments constitutifs d'une action extérieure nationaliste restent les axes de l'action gouvernementale basque ; et deuxièmement, sans être contradictoire avec ce qui vient d'être dit, ce passage entraîne un changement qualitatif et quantitatif positif pour l'essor international basque.

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37 Avant, jusqu'en 1936, à propos de l'action extérieure spécifiquement nationaliste, nous étions devant le processus d'un mouvement politique, avec une doctrine très concrète et qui réalisait une action extérieure en accord avec des principes inspirateurs, des objectifs, des alliances..., c'est-à-dire, avec des critères propres à tout mouvement politique. 38 Après, entre 1936 et 1939, il s'agit d'un gouvernement légal, qui par définition possède un caractère institutionnel et qui, en raison des événements historiques connus, eut très vite la chance d'être un « Etat en fonction », exerçant en conséquence une souveraineté partagée. Le Gouvernement Basque exerça inévitablement dans la pratique, vu la situation exceptionnelle, des fonctions souveraines réservées à l'Etat. 39 De plus, ce fut un cabinet fortement appuyé politiquement et socialement, avec une représentation du peuple basque dans cette phase historique, ce qui entraîna des conséquences décisives dans le développement de la sphère extérieure, étant donné que la revendication non seulement de légalité mais aussi de légitimité démocratique, contribuait à donner un contenu à un des axes de l'action gouvernementale basque dans le domaine de la politique extérieure. 40 Il se détache de tout cela une conclusion décisive : le niveau d'action internationale, les tâches entreprises, la structure d'organisation dont elle s'est dotée, les contacts et les relations établies, les délégations implantées avec une reconnaissance politique ou officieuse, la propagande déployée..., eurent une plus grande importance et une plus grande portée pratique que ce qu'avait réussi à obtenir jusque là le nationalisme basque comme mouvement politique. 41 Euskadi (Pays Basque), comme nation, avec le premier Gouvernement Basque de l'histoire, entrait de plein droit dans la vie internationale. Ce chemin se traça peu à peu dans les années suivantes, alors que le Gouvernement Basque en exil ne s'est pas dissous, ni désorganisé, Euskadi continua d'être présente sur la scène internationale, comme une nation sans Etat mais avec un Gouvernement, ce qui lui permit d'accéder à un certain niveau de représentation extérieure. Ceci continua tant que les circonstances, les conditionnements et les valeurs de la Société Internationale le permirent.

NOTES

1. Ce travail est un résumé des conclusions de la Thèse Doctorale élaborée par Alexander Ugalde Zubiri, intitulée « L’action extérieure du nationalisme basque (1890-1939) : histoire, pensée et relations internationales », soutenue en janvier 1995 à l’Université du Pays Basque, Département des Études Internationales et Sciences Politique, dirigée par le Dr. Francisco Aldecoa Luzarraga, professeur de Relations Internationales. Publiée : La accion exterior del nacionalismo vasco (1890-1939) : historia, pensiamiento y relaciones internacionales, Onati, Instituto Vasco de Administracion Publica, 1996. L’auteur remercie marie Dizière, titulaire d’une maîtrise de Sciences Politique et Droit Comparé à l’Université Jean Moulin de Lyon, pour la traduction.

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INDEX

Index chronologique : 19e siècle, 20e siècle Thèmes : histoire, science politique Mots-clés : guerre civile (Espagne), nationalisme, relation internationale

AUTEUR

ALEXANDER UGALDE ZUBIRI

UPV.EHU

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