L’intégration des minorités ethniques et des régions montagneuses du nord du : Le cas de la province de , 1995-2015

Mémoire

Vincent Rolland

Maitrise en sciences géographiques Maitre en sciences géographiques (M. Sc. géogr.)

Québec, Canada

© Vincent Rolland, 2017

L’intégration des minorités ethniques et des régions montagneuses du nord du Laos : Le cas de la province de Luang Namtha, 1995-2015

Mémoire

Vincent Rolland

Sous la direction de :

Steve Déry, directeur de recherche

Résumé

Depuis le début des années 1980, les changements politico-économiques organisés par l’État laotien ont remodelé le visage du pays. Ces changements œuvrent tant pour une plus grande intégration aux marchés économiques internationaux qu’à la construction nationale du pays. Les conséquences de ces transformations sont notamment visibles dans le paysage rural et montagnard, comme dans l’évolution des moyens de subsistance et des modes de vie des populations ethniques minoritaires. Le développement récent des plantations agro-commerciales contribue, entre autres, à réorganiser la géographie socioéconomique des provinces du nord du pays, dont celle de la province de Luang Namtha. Comment les populations locales s’adaptent-elles à ces transformations rapides ? Quels changements cela implique-t-il ? Cette recherche, qui emploie une approche multiscalaire, aide à comprendre les rouages de l’intégration et de l’adaptation locale aux systèmes nationaux et internationaux.

MOTS-CLES : Laos, intégration, monde rural, minorités ethniques, moyens de subsistance, adaptation.

ii Abstract

Since the beginning of the 1980s, the political and economic changes undertaken by the Laotian State have reshaped the face of the country. These changes work to foster greater integration into international markets and to further develop the country. The results of these transformations are noticeable in rural and mountainous landscape and have influenced the evolution of the ethnic minorities’ livelihoods and lifestyles. The recent development of agro-commercial plantations has contributed to reorganize the socio-economical geography of the northern Laotian provinces, including Luang Namtha. How do local populations adapt to these quick transformations? What changes do these changes involve? This research, which utilizes a multiscalar approach, helps to better understand the inner workings of this integration and the local adaptation process into the national and international systems.

KEYWORDS: Laos, integration, rural world, ethnic minorities, livelihoods, adaptation.

iii Table des matières

Résumé ...... ii Abstract ...... iii Table des matières ...... iv Liste des tableaux ...... vi Liste des figures ...... vii Liste des abréviations ...... ix Remerciements ...... xi Introduction générale ...... 1 a. Les prémices de la construction du Laos ...... 3 b. Cadre théorique et conceptuel ...... 6 c. Plan de travail ...... 12 Chapitre 1 : État de la construction du Laos ...... 13 1.1 Caractéristiques géographiques et héritage historique d’un pays pluriethnique ...... 13 1.1.1 Le Laos et l’Asie du Sud-Est continentale ...... 13 1.1.2 Tournants politiques : du royaume féodal au communisme libéral ...... 17 1.1.3 De la majorité aux minorités : un pays pluriethnique ...... 19 1.2 La modernisation nationale et le développement des régions rurales ...... 23 1.2.1 Un développement sous perfusion ...... 24 1.2.2 The Poverty Reduction Plan ...... 29 1.2.3 De nomades à paysans : la sédentarisation des populations ...... 33 1.2.4 La prise en charge des forêts ...... 38 Chapitre 2 : Insertion nationale et provinciale dans le système sud-est asiatique . 43 2.1 Le Laos au cœur d’un réseau international et transnational ...... 43 2.1.1 L’intégration régionale, des enjeux économiques… ...... 43 2.1.2 … mais aussi géopolitiques ...... 50 2.1.3 La sous-région du Grand Mékong ...... 53 2.2 Quelle place pour les régions montagneuses nord laotiennes ? ...... 57 2.2.1 La province de Luang Namtha dans son ensemble montagneux ...... 58 2.2.2 Une région carrefour convoitée ...... 61 Chapitre 3 : L’intégration des régions montagneuses et de la province de Luang Namtha aux nouveaux systèmes territoriaux et économiques...... 70 3.1 Considérations méthodologiques ...... 70 3.1.1 Choix du terrain et populations à l’étude ...... 70 3.1.2 Cueillette des données et méthodes d’analyse ...... 71 3.2 Changer l’utilisation du sol, les pratiques, et l’information ...... 73 3.2.1 Le développement des cultures commerciales ...... 73 3.2.2 Vulgarisation agricole et apprentissage de nouvelles techniques ...... 78 3.2.3 Transition et dépendance aux moyens de subsistance ...... 84 3.3 La modernité, espoirs et promesses d’un avenir meilleur ...... 85 3.4 L’alphabétisation des populations ethniques ...... 89

iv 3.5 L’accès aux soins ...... 92 Chapitre 4 : Transformations et adaptation des populations à Luang Namtha – quels impacts sur le budget-temps ? ...... 97 4.1 Dynamique des systèmes territoriaux et adaptation locale suivant les époques ...... 98 4.1.1 La vassalité birmano-siamoise (1780-1893) ...... 98 4.1.2 Le protectorat français (1893-1945) ...... 100 4.1.3 Les guerres d’Indochine (1946-1975) ...... 103 4.1.4 Les débuts du régime communiste (1975-1995) ...... 105 4.2 La détermination du budget-temps ...... 109 4.2.1 La perception du temps : considérations culturelles et ethniques ...... 109 4.2.2 Analyse des calendriers de la province de Luang Namtha ...... 110 Chapitre 5 : Processus d’intégration et d’adaptation – Des éléments qui éclosent de la recherche ...... 123 5.1 L’intégration, un processus qui comporte plusieurs facettes ...... 123 5.2 L’adaptation, oui, mais de quelle manière ? ...... 126 Conclusion ...... 130 Bibliographie ...... 134 Annexe 1 : Questionnaire utilisé sur le terrain ...... 154

v Liste des tableaux

Tableau 1.1 : Évolution et part des IDE, de l’APD, des importations et des exportations rapportés au PIB du Laos, 1995-2014 (en millions de dollars ÉU et en pourcentage) ...... 27 Tableau 1.2 : Taux de pauvreté au Laos, selon différentes régions, de 1992-1993 à 2012-2013 (en pourcentages) ...... 31 Tableau 1.3 : Inégalités au Laos, de 1992-1993 à 2012-2013 (mesurées à l’aide du Coefficient de Gini) ...... 31 Tableau 1.4 : Disponibilités alimentaires au Laos, 1961-2011 ...... 34 Tableau 2.1 : Population urbaine dans les provinces au nord du Laos, 1995-2005 (en nombre d’habitants et en pourcentage de la population totale) ...... 66 Tableau 3.1 : Investissements agro-industriels à Luang Namtha de 2001 à 2015...... 74 Tableau 3.2 : Intégration et répartition de l’utilisation du sol dans les districts de Nalae et de Sing, 2015 (selon les entretiens) ...... 78 Tableau 3.3 : Chiffres sur le secteur de l’éducation dans la province de Luang Namtha, en 2014 ...... 90 Tableau 4.1 : Récapitulatif des relations entre les populations montagnardes et les systèmes territoriaux, suivant les périodes, de 1780 à 2015 ...... 108 Tableau 4.2 : Principaux contrastes entre le régime global (Occidental) et les régimes locaux (Non occidental)...... 109

vi Liste des figures

Figure I : La Province de Luang Namtha dans le massif Sud-Est asiatique (Zomia) ...... 2 Figure 1.1 : Le Laos : administration et hydrographie ...... 16 Figure 1.2 : Les trois sœurs Lao – Billet de 1000 kip (version émise de 1992 à 2008) . 22 Figure 1.3 : Évolution des IDÉ et des APD rapportés au PIB du Laos, 1995-2014 (en millions de $ÉU) ...... 28 Figure 1.4 : Évolution de la part des IDÉ, des APD, des importations et des exportations rapportés au PIB du Laos, 1995-2014 (en pourcentages) ...... 28 Figure 2.1 : Projets d’installations hydroélectriques dans le bassin du Mékong en 2010 ...... 48 Figure 2.2 : Anciens et récents réseaux transfrontaliers et transnationaux en Asie du Sud-Est continentale ...... 56 Figure 2.3 : La province de Luang Namtha ...... 59 Figure 2.4 : Poste frontière de Mohan-Boten, district de Namtha, juin 2015 ...... 62 Figure 3.1 : Évolution du nombre de personnes pratiquant une nouvelle culture dans le district de Nalae, 1995-2015 ...... 76 Figure 3.2 : Évolution du nombre de personnes pratiquant une nouvelle culture dans le district de Sing, 1995-2015 ...... 76 Figure 3.3 : Récolte du latex dans une plantation d’hévéa à Nalae – Juin 2015 ...... 79 Figure 3.4 : Utilisation d’intrants chimiques sur une parcelle à – Juin 2015 ...... 79 Figure 3.5 : Évolution du nombre de personnes adoptant de nouvelles techniques agricoles dans le district de Nalae, 1995-2015 ...... 80 Figure 3.6 : Évolution du nombre de personnes adoptant de nouvelles techniques agricoles dans le district de Sing, 1995-2015 ...... 81 Figure 3.7 : Boutique de revente d’intrants chimiques agricoles à Muang Sing – Juin 2015 ...... 83 Figure 3.8 : Panneau d’entrée du centre technique agricole de Ban Van – Juillet 2015 83 Figure 3.9 : Récolte de champignons vendue sur le bord de la route à Nalae – Mai 2015 ...... 85 Figure 3.10 : Total cumulé des biens de consommation acquis par 32 participants dans le district de Nalae, 1995-2015 ...... 87 Figure 3.11 : Total cumulé des biens de consommation acquis par 28 participants dans le district de Sing, 1995-2015 ...... 88

vii Figure 3.12 : Total cumulé tous confondus des biens de consommation acquis par les 60 participants dans les districts de Nalae et de Sing, 1995-2015 ...... 88 Figure 3.13 : Répartition des hôpitaux et des postes de soins dans la province de Luang Namtha en 2014 ...... 94 Figure 3.14 : Hôpital provincial de Luang Namtha – Juillet 2015 ...... 96 Figure 4.1 : Auguste Pavie (debout au centre) et Pierre Lefèvre-Pontalis (à sa droite) en 1893 avec des interprètes cambodgien entrainés à l’École Coloniale ...... 103 Figure 4.2 : Calendrier du budget-temps des populations ethniques montagnardes de la province de Luang Namtha (#1) ...... 114 Figure 4.3 : Calendrier du budget-temps des populations ethniques montagnardes de la province de Luang Namtha (#2) ...... 117 Figure 4.4 : Culture du riz inondé dans la plaine de Muang Sing – Juin 2015 ...... 118 Figure 4.5 : Culture du riz pluvial dans les collines de Muang Sing – Juin 2015 ...... 118 Figure 4.6 : Terrain de pétanque dans le village de Mom, district de Sing – Juin 2015 ...... 119 Figure 4.7 : Aperçu d’une plantation de bananes, district de Sing – Juin 2015 ...... 119 Figure 4.8 : Une antenne-relais de télécommunication à Luang Namtha – Juillet 2015 ...... 122 Figure 4.9 : Une vache attachée à une antenne de réception dans le village de Ban Van, district de Nalae – Juillet 2015 ...... 122 Figure 5.1 : Territorialisations emboîtées et concurrentielles ...... 126 Figure 5.2 : Délimitation d’une propriété dans le village de Mom, district de Sing – Juin 2015 ...... 129

viii Liste des abréviations

APD Aide Publique au Développement ASEAN Association of Southeast Asian Nations (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) ASE Asie du Sud-Est AusAID Australian AID BAD Banque Asiatique de Développement (Asian Development Bank) CRSH Conseil de recherche en sciences humaines du Canada DoF Department of Forestry (RDP Lao) DoM Department of Mining (RDP Lao) FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization of the United Nations) FMI Fonds Monétaire International GMS Greater Mekong Subregion (Sous-Région du Grand Mékong) GoL Government of Laos (RDP Lao) GRL Gouvernement Royal Lao GTZ Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit ICEM International Centre for Environmental Management IDE Investissement Direct Étranger IRMA Intégration des Régions Montagneuses d’Asie IWGIA International Work Group for Indigenous Affairs JICA Japan International Cooperation Agency LCB Lao Coffee Board LFAP Land and Forest Allocation Program LFNC Lao Front for National Construction LNTA Luang Namtha MDGs Objectifs du Millénaire pour le Développement (Millenium Development Goals) MW Mégawatt NGPES National Growth and Poverty Eradication Strategy NME Nouveaux Mécanismes Économiques NSEC North-South Economic Corridor (Corridor Économique Nord-Sud) NT2 Nam Theun 2 NTFPs Non-Timber Forest Products (Produits Forestiers Non Ligneux) NZAID New-Zealand AID

ix NZE Nouvelle Zone Économique OECD Organisation for Economic Co-operation and Development OING Organisation internationale non gouvernementale OMC Organisation mondiale du commerce (World Trade Organization) OMS Organisation mondiale de la Santé ONU Organisation des Nations Unies PBM Phu Bia Mining PENH Projet d’écotourisme Nam Ha PIB Produit Intérieur Brut PRC People’s Republic of China (République populaire de Chine) RDPL République démocratique populaire lao RFD Royal Forestry Department SWC Swiss Agency for Development and Cooperation TRP Tropical Rainforest Programme UICN Union Internationale pour la Conservation de la Nature UNDP Programme des Nations Unies pour le développement (United Nations Development Programme) UNEP Programme des Nations Unies pour l’environnement (United Nations Environment Programme) UNFPA Fonds des Nations Unies pour la population (United Nations Population Fund) UNICEF Fonds des Nations Unies pour l’enfance (United Nations Children’s Fund) UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization) URSS Union des républiques socialistes soviétiques UXO Unexploded Ordnance WCS Wildlife Conservation Society WFP Programme Alimentaire Mondial (World Food Programme) WWF World Wildlife Fund ZNCB Zone Nationale de Conservation de la Biodiversité

x Remerciements

À cet instant où je rédige ces quelques dernières lignes, aboutissement d’un travail de plus de deux ans et demi, je prends le temps de me retourner et réalise avec émotion le parcours académique qu’il m’a été possible d’accomplir. Ce parcours, je le dois d’abord à mes parents et à leur appui inconditionnel, tant sur le plan moral que financier. Tous les mots du monde ne sauraient suffire pour vous remercier et vous dire à quel point je vous aime.

Je ne saurais également trop remercier mon directeur d’étude, le professeur Steve Déry, pour m’avoir offert l’opportunité de progresser dans mon cursus universitaire et pris sous son aile dès mes premiers jours au Québec. Sa bienveillance était d’autant plus appréciée qu’avant même d’aborder un projet portant sur la capacité d’adaptation des populations montagnardes en Asie du Sud-Est, j’ai dû mettre en pratique ma propre adaptation dans une région du monde que je ne connaissais pas. Dans ma position d’étudiant, je puis témoigner de ses remarquables compétences, de son parfait encadrement, de sa permanente disponibilité, de ses encouragements constants, de la qualité de ses conseils et de son professionnalisme exemplaire quant à la réussite de mes études supérieures. Ses heures consacrées à la lecture, la relecture, la correction et l’évaluation de mes travaux sont aussi d’autant plus redevables qu’elles constituent, comme l’a si bien formulé Romain Vanhooren dans son propre mémoire, il y a quelques années : « un véritable rempart contre l’erreur et l’imprécision ». Je désire par ailleurs remercier les autres évaluateurs de ce mémoire : les professeurs Jean Michaud et Matthew Hatvany.

Je tiens à exprimer ma plus profonde gratitude au Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada pour avoir intégralement financé, via les projets du professeur Déry, mes deux années de recherche de même que mon séjour de dix semaines au Laos et, sans quoi, rien n’aurait pu se matérialiser. Ce soutien financier m’a permis de vivre une expérience humainement et culturellement unique, une expérience dont je me souviendrai toute ma vie. Ma plus profonde gratitude s’adresse aussi à la Chaire en développement international de l’Université Laval pour m’avoir honoré du premier prix de l’édition 2016 du concours de photographies, pour le cliché réalisé à Muang Sing en juin 2015 (cf. Figure 4.4).

xi Je dois aussi de nombreux remerciements à toutes les personnes sur le terrain qui, par leur aide et leur collaboration, m’ont permis de mener à bien ce projet. Avant tout, un grand merci à mon collègue et traducteur, Chansouk Vanpheangphan, pour son dynamisme et sa bonne humeur ; aux professeurs Saithong Phommavong et Somkhith Bouridam, pour leur encadrement ; à Karen McAllister, pour ses précieux commentaires ; à tous les fonctionnaires (Khonekeo Bannavong, Soupheang Silorvang, Vidadeth Khiosomphone, Saichay Leuangsavath, Bountham Inthapasert, Singthong Phakhounseang, Sounthone Unthala et Virason Dainhansa) pour les informations gracieusement partagées et le temps accordé ; puis à Karen et Andrej, propriétaires du Bamboo Lounge Training Restaurant, pour leurs pizzas au feu de bois si réconfortantes après ces dures journées de terrain.

Finalement, des remerciements s’imposent à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à ce mémoire et enrichi ma vie ces dernières années, au Canada et en France. À mon amie et collègue Joany Désaulniers, pour avoir partagé avec moi ce dur labeur qui est aussi le sien ; à mes colocataires, Olivier, Jean-Baptiste et Annick, pour votre simple présence ; à Kévin, pour ton aide sur ArcMap ; à tous mes amis de l’Université Laval, pour nos bons souvenirs d’étudiants ; et à mes amis proches, pourtant si loin physiquement, qui n’avez jamais cessé de croire en moi.

À vous tous, MERCI de m’avoir accompagné durant cette période de ma vie. Je vous en suis profondément reconnaissant.

xii

Introduction générale

Cette étude a pour cadre général l’Asie du Sud-Est continentale, et de façon plus spécifique, la province de Luang Namtha, située dans les régions montagneuses du nord-ouest du Laos. Elle s’intéresse aux minorités ethniques vivant dans cette province, et concerne des groupes dans le pays et du massif Sud-Est asiatique, vaste étendue de hautes terres présente dans l’ensemble des pays continentaux de la région : Birmanie, Cambodge, Chine, Laos, Thaïlande, Vietnam (Figure I). Ce territoire, qualifié plus récemment sous le nom de Zomia 1 (van Schendel, 2002), s’étend sur quelque 2,5 millions de kilomètres carrés, et abrite des populations qui sont minoritaires dans chacun de leurs pays respectifs (McKinnon et Michaud, 2000 : 5-7 ; Michaud, 2006 : 2- 5). Ces populations, estimées en 2008 à quelque 100 millions d’individus (Michaud et Forsyth, 2011 : 3), parlent des centaines de langues issues de cinq familles linguistiques et sont d’une variété ethnique impressionnante (Michaud, 2006 : 1).

1 Dérivé de zomi, un terme qui désigne les « highlanders in a number of Chin-Mizo-Kuki languages spoken in Burma, India, and Bangladesh. Linguistics classify these languages as belonging to the very large family of Tibeto- Burman languages spoken all over Zomia » (van Schendel, 2002 : 653).

1

Province de Luang Namtha

Source : Scott, James C. (2009) The Art of Not Being Governed, p.17. (Adaptation par V. Rolland) Figure I : La Province de Luang Namtha dans le massif Sud-Est asiatique (Zomia)

2 a. Les prémices de la construction du Laos

Les changements politico-économiques opérés par l’État laotien durant les dernières décennies ont remodelé le visage désormais plus moderne du pays. Malgré son statut de pays le plus pauvre d’Asie du Sud-Est et des conditions jugées défavorables – telles qu’une situation enclavée et une succession de guerres durant la deuxième moitié du 20ème siècle (Devan, 1994) – le Laos parvient à opérer une métamorphose progressive jusqu’à aujourd’hui. Cette métamorphose va à l’encontre du pessimisme des perspectives de développement des nations les plus pauvres du monde. Deux éléments contextuels avantagent le Laos durant les années 1980-1990 : d’une part, sa proximité géographique à d’autres réformes à succès, telles que celles vécues au Vietnam ou en Chine et, d’autre part, l’absence de conflits majeurs (Bird et Hill, 2010 : 119). Tandis que le Laos se présente comme un pays ancien, à la fois par la somme de ses cultures et de ses traditions, sa construction en tant que tel est récente. Ce caractère récent s’observe aussi bien d’un point de vue temporel que spatial. Chronologiquement, sa construction débute en avril 1953, au moment de sa relative indépendance à l’intérieur de l’Union française. Mais ce n’est qu’en 1975 que le gouvernement actuel obtiendra un contrôle total sur son territoire (De Koninck, 2012 : 88-89). C’est aussi à partir de cette date que la construction du pays, sur le plan territorial, commence réellement. Désormais réunifié en 1975, le Laos sera rapidement soumis à une succession de mesures visant à administrer le territoire. Parmi ces mesures, l’une d’elle consiste à intégrer les régions montagneuses en marge du territoire national, comme la province de Luang Namtha, située au nord-ouest. Jusqu’alors, ces régions avaient été plus négligées par les autorités politiques, car elles étaient plus difficiles d’accès et à contrôler. Dorénavant, elles font l’objet d’un intérêt plus accentué (Baird, 2011), bien qu’elles aient déjà été convoitées durant l’occupation coloniale française, notamment sur les plans agricole et minier (Picard, 1947 : 58-77). Ce changement d’intérêt s’explique du fait qu’en Asie du Sud-Est, comme dans l’ensemble du monde décolonisé, l’enjeu primordial demeure la constitution puis la préservation d’une unité nationale, à partir des cadres créés par la colonisation. Il s’agit donc pour ces nouveaux États, comme au Vietnam (Déry, 1999), de s’approprier et de consolider leur territoire afin d’y apporter une cohésion nationale (Cot, 1962 : 4-5). Les populations vivant dans ces régions montagneuses sont ainsi depuis des siècles restées relativement isolées, mises à l’écart par la force ou de leur propre chef par les sociétés et les pouvoirs

3 centraux installés dans les plaines (Michaud, 2000 ; Scott, 2009). Dans le cas du Laos, la superficie de ces régions « marginales » est considérable puisqu’elle concerne la « quasi-totalité du Laos au-dessus de la vallée du Mékong » (Michaud, 2006 : 5), à savoir : le Plateau du Yunnan au nord – qui comprend les frontières avec la Thaïlande, la Birmanie et la Chine – plus la Chaine Annamitique à l’est jusqu’au Plateau des Bolovens au sud – qui fait frontière avec le Vietnam.

Aux échelles nationales des pays d’Asie du Sud-Est, le monde rural, et plus particulièrement les périphéries montagneuses, font l’objet d’une attention particulière des gouvernements, notamment socialistes – Chine, Laos, Vietnam. Considéré à tort comme étant marginalisé, « where socio-economic change is slow and people are poor and resistant to change » (McGee, 2011 : xii), le monde rural est également vu dans cette période post-deuxième guerre d’Indochine comme le lieu où se concentre principalement les tensions, hors de portée des pouvoirs centraux (De Koninck, 2011 : 47). Dans un contexte de globalisation de l’Asie du Sud-Est, de modernisation et d’apparition de nouveaux États modernes, l’absence de contrôle détermine des actions. Des politiques interventionnistes sont alors mises en places, permettant à la fois aux États : (i) d’assoir leur légitimité sur leur territoire et de contrôler l’ensemble de la population (Déry, 2008 : 73 ; Déry, 2014 : 306) ; (ii) de favoriser une transition agraire (De Koninck et Rousseau, 2012). Au Laos, après quelques années de politiques procommunistes et de collectivisation des terres, qui n’auront pour conséquence que de davantage désarticuler le pays (Baird, 2011 : 22-23), l’État laotien fait preuve de souplesse et permet, au début des années 1980, la réapparition d’une économie de marché (Taillard, 1983). À partir des années 1990, l’État s’appuie sur des stratégies de développement rural, grâce à une aide financière internationale, en investissant dans les infrastructures publiques. Une série de programmes et de réformes sont mis en place et ont de larges répercussions les années suivantes. La transformation des pratiques agricoles, le développement des conditions d’accès aux soins et à l’éducation, et la réduction de la pauvreté rurale, constituent des exemples visant à l’intégration des minorités ethniques dans les systèmes agricoles et sociaux nationaux, et par découlement, celle des régions montagneuses. L’intégration est un processus qui se déroule dans un temps donné, processus qui induit des changements chez les populations touchées. Elle peut être déclenchée de l’intérieur ou de l’extérieur selon les cas. À tous les coups, ces changements déclenchent un processus concomitant

4 d’adaptation de la part des populations. Pour les montagnes du Laos, la capacité à s’adapter est d’autant plus mise à l’épreuve que l’intrusion de ces nouvelles politiques mise en œuvre dans le contexte local est rapide et brutale. En effet, sur une échelle de temps relativement réduite, les minorités ethniques sont : relocalisées vers les plaines, contraintes d’assimiler de nouvelles connaissances (agricoles ou autres), confrontées à l’apprentissage du fonctionnement de nouveaux systèmes d’ordres nationaux et internationaux, et exposées à de nouveaux enjeux. Ces changements influencent grandement le quotidien des populations montagnardes (Rigg, 2006a) ainsi que leur vision du monde extérieur (Ovesen, 2004). Dès lors, il est intéressant de se demander : Comment les minorités ethniques des régions montagneuses, en particulier celles de la province de Luang Namtha, se sont-elles adaptées aux projets de modernisation et de développement économique menés par l’État laotien ? Se sont-elles davantage retrouvées marginalisées par les projets nationaux et internationaux ? Désirent-elles même réellement être intégrées à ces projets ? Car pour Scott, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, Zomia constituait une « zone-refuge », un « bastion géographique », où les populations cherchant à fuir l’expansion de l’État se sont dirigées, ne souhaitant ni être gouvernées, ni être assimilées : « hill peoples are best understood as runaway, fugitive, maroon communities who have, over the course of two millennia, been fleeing the oppressions of state-making projects in the valleys » (2009 : 9). Dès lors, de quelle manière les États prévoient-ils composer avec ces populations ethniques ?

La rapide modernisation du Laos orchestrée par l’État a progressivement permis l’intégration des régions montagneuses périphériques. Malgré la distance et la difficulté d’accès à ces régions, les pouvoirs centraux sont parvenus à appliquer des politiques spécifiques. Pour autant, ces politiques auxquelles les populations sont contraintes d’adhérer se sont révélées souvent inappropriées face aux réalités de la vie rurale. L’hypothèse générale suppose que le processus d’intégration des régions montagneuses du Laos crée des conditions qui modulent le rythme et la capacité d’adaptation des populations locales aux transformations socioéconomiques et politiques qui les affectent, ce qui devient un facteur de différentiation socioéconomique. Ceux qui n’y parviennent pas se retrouvent marginalisés par la société.

Dans cette veine, l’objectif général de la recherche est justement de contribuer à la vérification de l’hypothèse selon laquelle l’aptitude à maitriser en un temps restreint des outils et des connaissances relatifs aux nouveaux systèmes nationaux et

5 internationaux facilitera le processus d’adaptation. Pour y parvenir, trois objectifs spécifiques sont visés. Premièrement, il s’agit de dresser un portrait des différentes interventions locales, nationales et internationales qui contribuent à intégrer les régions montagneuses du Laos, en utilisant une étude de cas dans la province de Luang Namtha. Deuxièmement, à l’échelle locale, il s’agira de tracer le portrait et de pondérer les facteurs qui contribuent à modifier la vitesse du processus d’intégration et celle de l’adaptation à ce même processus, en s’attardant aux outils de l’État dont la vulgarisation agricole2, l’éducation et la santé. Troisièmement, à l’échelle du foyer, il s’agira d’analyser les calendriers de travail et de présenter un portrait du budget-temps, de la province de Luang Namtha, utilisé pour arriver à maitriser l’énergie et l’information utiles dans les nouveaux systèmes territoriaux. Ce dernier objectif s’intéresse plus particulièrement à l’agriculture et à l’économie domestique, distinguant les genres et les groupes ethniques lorsque possible. Avant de répondre en détail à chacun de ces objectifs, il est avant tout nécessaire d’éclaircir certains concepts. b. Cadre théorique et conceptuel

« Un concept n’a pas de définition en soi, c’est un instrument d’intelligibilité » (Schnapper, 2007 : 20)

Cette étude s’articule sur trois niveaux géographiques principaux, constituant de la même sorte les concepts fondamentaux de la recherche. Tel que mentionné précédemment, l’intégration est un processus qui demande du temps. Dans ce processus, l’État est un acteur central du changement. Il contribue directement ou indirectement à l’intégration de ses régions périphériques au territoire national afin de consolider la légitimité de son pouvoir face au concert des nations (Déry, 2008 : 73). Pourquoi l’État motive-t-il l’intégration ? Comment parvient-il à mobiliser les savoirs et les compétences nécessaires à l’intégration des populations ? De quelle manière influence-t-il le rythme ou le degré du changement ? Et dans la même optique, quel est le rôle joué par certains « filtres » comme l’éducation ou la santé pour améliorer la capacité individuelle ou collective ? Des réponses à ces questions permettront de mieux comprendre, quel que soit son action ou son inaction, comment l’État, en tant que filtre, contribue à articuler le processus d’intégration. L’adaptation des minorités ethniques

2 Beaucoup moins importante au Laos qu’au Vietnam, la vulgarisation agricole est tout de même gardée ici dans l’analyse justement pour les besoins comparatifs avec le Vietnam, qui dépassent le seul cadre de ce mémoire.

6 aux transformations socioéconomiques de ce processus sont, d’un point de vue local, un phénomène qui demande du temps. Quelle est donc la capacité des populations à s’adapter au processus rapide de modernisation ? Dans quelle mesure seront-elles aptes à effectuer cette transition par leurs propres moyens ? Et si ce n’est pas le cas, d’où viennent les savoirs mobilisés pour l’adaptation et quelle est leur durée d’acquisition ? Comment leur est-il possible de s’adapter à un nouveau système ayant des caractéristiques qui leur sont au départ inconnues ? Qu’est-ce qui va leur permettre d’appréhender rapidement et efficacement ces changements ? Ou encore, quels facteurs contribuent à faire varier d’un individu, femme ou homme, et d’une communauté à l’autre, la durée de l’adaptation à un changement socioéconomique ? L’objectif est donc de contribuer à fournir des éléments de réponse à ces questions en examinant quelles sont les relations entre ces trois variables, au travers d’une étude de cas dans la province de Luang Namtha.

Au sens le plus strict, l’intégration peut être considérée comme « l’action d’incorporer un élément dans un autre », terme qui se différencie de l’assimilation, qui de son côté « renvoie à l’idée de rendre semblable » (Begag, 2003 : 5). Le concept d’intégration fait d’abord résonner à Durkheim (1893) et à sa théorie du « vouloir-vivre ensemble » dans les sociétés industrialisées, des sociétés qui ont une division du travail social forte. Malgré tout, l’objet de son travail n’incluait pas les notions d’espace ou de territoire telles que conçues en géographie, mais davantage l’espace du point de vue de la morphologie sociale. Durkheim ne s’intéressait pas à un espace géographique dans son ensemble mais plutôt aux éléments de l’espace géographique qui lui semblaient pertinents, à savoir : la densité dynamique et morale, le progrès technologique, et le volume des sociétés, qui contribuent à l’élaboration de sa théorie (Rhein, 2002 : 196). Aujourd’hui, l’intégration vue de cette manière est un concept qui s’est actualisé et décliné dans de nombreuses disciplines, comme en sociologie et en économie.

L’intégration spatiale – celle des frontières et des régions périphériques – est un processus qui a été étudié à plusieurs échelles, comme le rappelle Déry (2010a) : en Chine (Lattimore, 1940 ; Perkins, 1969), en Europe (Duby, 1973), aux États-Unis (Turner, 1963), et en Asie du Sud-Est (Pelzer, 1945 ; De Koninck, 1981 ; Hirsch, 1990). Selon Brunet, l’intégration, au sens géographique, se définit comme un « rassemblement d’éléments dans une unité nouvelle, ou incorporation d’un élément à un corps existant [et qui se] mesure à la relation des lieux, entre eux ou par

7 l’intermédiaire d’un chef-lieu, […] un espace mal intégré est un espace dont les liens fonctionnent mal » (Brunet et al, 2009 : 281). Lévy et Lussault illustrent davantage ce phénomène et parlent de « l’intégration d’une réalité A dans une réalité B lorsque A fait clairement partie de B mais que B a été modifié par l’entrée de A » (2013 : 561). Au Laos, ce processus d’intégration s’observe par l’incorporation des régions périphériques montagneuses dans un système national existant, en construction, pour qu’elles développent des relations et créent des liens avec l’appareil central.

Par ailleurs, au-delà de la notion d’espace, l’intégration renvoie également à un aspect humain. Tel que précisé dans l’Encyclopédie Larousse (2016), l’intégration est une « fusion d’un territoire ou d’une minorité dans l’ensemble national » 3 . Schnapper soutient cette idée en parlant d’intégration « des populations régionales ou des marginaux [caractérisée par] la relation des individus ou d’un sous-système à un système plus large » (2007 : 68-69). Au Laos, les politiques d’intégration, à savoir les dispositions prises par l’État pour faire appliquer sa volonté politique, visent notamment les populations ethniques minoritaires issues des régions montagneuses. La finalité de ces politiques, pour les populations montagnardes, pourraient consister en une participation « à la société globale par l’activité professionnelle, l’apprentissage des normes de consommation matérielle, l’adoption de comportements familiaux et culturels, les échanges avec les autres [et] la participation aux institutions communes » (ibid, 2007 : 69). Bien qu’intégration et assimilation soient des concepts initialement différents, l’intégration humaine pourrait être pourtant, dans le contexte laotien, synonyme d’assimilation des populations minoritaires à une population majoritaire, par l’abandon progressif de l’identité des premières. Néanmoins, cette intégration est un processus délicat pour l’État laotien, en particulier lorsque les populations ethniques minoritaires désirent perpétuer leurs traditions ancestrales et souhaitent préserver leurs valeurs culturelles et religieuses.

L’adaptation est un concept qui revient dans le vocabulaire de différentes disciplines et qui s’articule parfois d’une théorie à une autre, au sein d’une même discipline. Il s’agit donc d’un concept à la fois élastique et polysémique (Taché, 2003 : 16). L’appartenance du concept d’adaptation peut d’abord être attribuée aux sciences naturelles, en particulier au corpus de la biologie (Head, 2010), dont les travaux de

3 http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/int%C3%A9gration/61861

8 Darwin qui portent sur les théories de l’évolution des espèces (Tremblay, 1992 : 6). L’adaptation pourrait alors être considérée comme « le processus par lequel […] un système complexe [un organisme vivant] passe d’un niveau d’organisation à un autre niveau d’organisation, différent du précédent » (Taché, 2003 : 13), définition qu’on pourrait compléter par un « advancement of reproductive chances » (Santangelo, 2000 : 8).

Après le 19ème siècle, l’adaptation se voit graduellement introduite dans les sciences humaines (anthropologie, psychologie, sociologie, etc.), lesquelles utilisent ce concept pour décrire les relations changeantes entre un individu et son environnement, « une série de réajustements au moyen desquels l’individu tente de maintenir un équilibre » (Tremblay, 1992 : 2). On parle dès lors d’adaptation humaine. Avec l’étude des êtres humains, qui appartiennent à une grande variété d’environnements, Haines souligne que les anthropologues ont divisé « the way people live into five major kinds of adaptation », à savoir : foraging, horticulture, agriculture, pastoralism, et industrialism (2005 : 18). Ces cinq manières de vivre (way of living), sont particulièrement pertinentes quant à l’évolution des modes de vie ruraux au Laos. En effet, dans les cadre des politiques d’intégration de l’État, les populations ethniques minoritaires doivent transformer leurs modes de vie et passer directement du foraging/hunting and gathering à celui d’agriculture, qui suppose « [to] further develop the domestication of plants, usually specializing in a few crops that respond well to more intensive agriculture » (ibid, 2005 : 19). Dans ce contexte, l’adaptation humaine pourrait se résumer à des changements dans un monde en perpétuel mouvement, une adaptation qui « n’implique pas un état statique dans lequel l’individu se moule une fois pour toutes au monde qui l’entoure [mais où] la personne “adaptée” change avec les exigences de la vie, qui changent avec le temps » (Tremblay, 1992 : 1). Cette adaptation requiert aussi pour les populations montagnardes d’apprendre de nouveaux langages, au sens propre et figuré (langue, monnaie, commerce, etc.), « comme il est indispensable de mobiliser de nouvelles énergies [cf. concept de travail] » (Déry, 2010a : 6.4). Selon Head (2010), les géographes disposent de quatre options pour étudier les phénomènes d’adaptation (cultural ecology) : « cultures et climat, pratiques quotidiennes, espace-temps à plusieurs niveaux, nouvelle écologie et relations au-delà-des-humains (more-than- human) » (Déry, 2010a : 6.2). La présente étude s’intéresse aux deuxième et troisième champs.

9 La marginalisation se définit de son côté comme étant le processus qui contribue, volontairement ou non, à augmenter le degré de marginalité. La marginalisation peut être considérée comme le résultat d’une non-adaptation, d’un « [non-] ajustement d’un organisme à son environnement » (Brunet et al, 2009 : 18). Malgré tout, qu’est-ce que cela signifie d’être marginal ou d’être adapté ? Qu’est-ce qui différencie une personne marginale d’une personne adaptée ? Est-on nécessairement adapté si on se conforme aux attentes des autres ? Quatre études s’accordent pour affirmer l’importance de la prise en compte d’échelles et de systèmes dans la compréhension de la marginalité. Les processus d’intégration ayant parfois des effets marginalisant, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, l’approche d’une analyse systémique multi-niveaux peut contribuer à mieux définir ce concept (Déry et al, 2012). Par exemple, l’étude de Déry (2010a) a démontré que « the globalization, integration and commoditization processes have all contributed to diminish the power of local people even in the sub-systems close to them » (Déry et al, 2012 : 10). De ce fait, il serait intéressant non pas de se demander qu’est-ce qui engendre la marginalité, mais plutôt comment se déroulent les processus d’intégration ?

La modernisation est un concept incontournable en sciences sociales, politiques et économiques. Celui-ci fait référence à une étape particulière des transformations d’une société traditionnelle à une autre, plus moderne (Kosmicki et Pieńkowski, 2013 : 116). Après la Deuxième Guerre mondiale, le niveau d’accomplissement des pays de l’Europe de l’Ouest, tant sur les plans politique, économique et culturel, est qualifié de modernisation. Parallèlement, ce même niveau d’accomplissement aux États-Unis d’Amérique est qualifié d’Occidentalisation. Modernisation et Occidentalisation sont dès lors utilisées de façon interchangeable pour désigner le processus visant à introduire une idéologie capitaliste dans les pays africains et asiatiques, dans le but de prévenir les insurrections communistes (Abid, 2004 : 591). Black décrit les phases de la modernisation comme « (i) the challenge of modernity to traditional society, (ii) the consolidation of modernising leadership as traditional leaders decline in significance, (iii) the transformation of economy and society from rural and agrarian to urban and industrial, and (iv) the integration of society » (Black, 1966 : 223). Malgré tout, Rigg rappelle dans le cas du Laos que : « Living conditions in rural areas have remained largely unchanged for several generations […] particularly in the case of ethnic minorities » (2005 : 19). Selon Wehling (1991), trois processus de modernisation

10 peuvent être distingués : la modernisation évolutionnaire (dominante au 20ème siècle et basée sur l’idée de progrès), la modernisation technocratique, et la modernisation réfléchie (aussi appelée modernisation écologique). Au Laos, la modernisation tient davantage de l’évolutionnaire, car elle est synonyme de progrès, ou à tout le moins est présentée comme telle, mais on y trouve aussi des soubresauts de modernisation réfléchie, alors que le Laos utilise officiellement les principes du développement durable.

Enfin, la modernisation, engagée par la transition agraire dans la plupart des pays sud- est asiatiques, induit un lien intime avec le phénomène de mondialisation qui se caractérise par une libéralisation des échanges, des flux de capitaux, et la contraction de l’espace-temps grâce aux nouveaux moyens de communications (Boniface, 2015 : 178). Cette transition agraire, largement étudiée sur le plan académique, a « fait l’objet de nombreuses interprétations selon les lieux, les points de vue disciplinaires, et les échelles auxquelles on se place. [Elle] renvoie à des transformations majeures dans l’agriculture et/ou de son rôle dans la société qui bouleversent les relations des hommes à leur milieu » (Castella, 2007 : 9). Concrètement, elle s’illustre par l’évolution d’une société organisée et structurée autour de l’agriculture vers une société plus urbanisée, orientée vers les services et l’économie de marché (De Koninck, 2004a : 286). Ceci rejoint l’idée de la troisième phase de la modernisation décrite par Black (1966). L’agriculture perd ainsi sa fonction motrice dans les dynamiques territoriales (Rigg, 2006a), même si le part des produits agricoles destinés aux marchés économiques vient à augmenter.

Finalement, pour ce qui a trait au concept de travail, il s’agit de s’intéresser en particulier aux liens avec le territoire et le temps. Notre vision du travail se base essentiellement sur la vision définie par Raffestin et Bresso (1979) dans leur livre « Travail, espace, pouvoir ». Selon eux, le travail se définit comme « une combinaison d’énergie et d’information, [un] couple […] complexe, puisque les deux éléments de cet ensemble sont distincts mais non dissociables », un couple forgé grâce à l’action conjointe du cerveau et de la main (ibid, 1979 : 8-10). Autrement dit, dans cette recherche, il s’agit par exemple des efforts mis en œuvre par un individu pour maitriser les outils et les connaissances relatifs aux nouveaux systèmes nationaux et internationaux auxquels il doit participer. L’étude du budget-temps peut permettre de mieux comprendre comment se transforme cet investissement d’énergie et

11 d’information, de ce travail, qui devient « l'enjeu d'une compétition, d'une lutte [et d’une adaptation] qui, au cours du temps, a pris des allures implacables » (ibid, 1979 : 11). c. Plan de travail

Dans les premier et deuxième chapitres, l’objectif est de dresser un portrait des différentes interventions qui contribuent à l’intégration des régions montagneuses et de leurs populations. Tandis que le premier chapitre (État de la construction du Laos) s’intéresse à l’évolution géo-historico-ethnique du pays et aux politiques interventionnistes à l’échelle nationale ; le deuxième (Insertion nationale et provinciale dans le système sud-est asiatique) se penche sur les processus internationaux/transnationaux, puis provinciaux, qui participent à l’intégration de ces régions. L’intérêt de ces deux chapitres contextuels réside notamment dans leur approche spatiotemporelle et multiniveaux. Le troisième chapitre (L’intégration des régions montagneuses et de la province de Luang Namtha aux nouveaux systèmes territoriaux et économiques) présente les résultats des enquêtes de terrain suivant quatre grands thèmes et permet de mettre en lumière les facteurs qui contribuent à l’intégration des populations locales et leur adaptation à ce même processus. Le quatrième chapitre (Transformations et adaptation des populations à Luang Namtha – Des impacts sur l’utilisation du temps ?) propose, d’une part, une rétrospective de l’évolution des rapports entre les pouvoirs des plaines et les populations montagnardes et analyse, d’autre part, dans la continuité des résultats des enquêtes de terrain, les calendriers de travail des paysans de la province de Luang Namtha. Finalement, le cinquième chapitre (Processus d’intégration et d’adaptation – Des éléments qui éclosent de la recherche) contribue à faire la synthèse de cette étude et met en lumière des aspects importants des processus d’intégration et d’adaptation.

12 Chapitre 1 : État de la construction du Laos

1.1 Caractéristiques géographiques et héritage historique d’un pays pluriethnique

La construction du Laos s’explique suivant trois aspects intrinsèquement liés, à savoir : le géographique, l’historique et le démographique, dont un volet ethnique en particulier. Par ailleurs, s’intéresser à cette construction nécessite de prendre en compte plusieurs échelles d’analyse, qui varient de l’international au national.

1.1.1 Le Laos et l’Asie du Sud-Est continentale

La République démocratique populaire lao (RDPL), Laos, ou Sathalanalat Paxathipatai Paxaxon Lao (Figure 1.1), est le seul pays enclavé de l’Asie du Sud-Est. Il partage ses frontières avec cinq pays : au nord avec la République populaire de Chine, à l’est avec la République socialiste du Vietnam, au sud avec le Cambodge, à l’ouest avec la Thaïlande, et au nord-ouest avec la Birmanie. Avec une superficie de territoire de 236!800 kilomètres carrés, modestement plus que l’île de Grande-Bretagne (229 848 kilomètres carrés), le Laos est constitué principalement d’un relief montagneux. Le point culminant du pays est le Phou Bia (2 817 mètres), situé dans la chaîne Annamitique (Xai Phou Luang), au nord-est de la province de Vientiane. Ce territoire montagneux et accidenté est tel que seulement 4 à 6% des terres sont considérées comme arables (ADB et UNEP, 2004 : 17 ; Banque mondiale, 2016). Plus de 56% du territoire sont constitués de pentes supérieures à 35% (Pholsena, 2011 : 17) et seulement 10% de l’espace national se trouvent en dessous des 180 mètres d’altitude (Kislenko, 2009 : 1). Cette caractéristique offre ainsi aux populations plus de défis que d’opportunités sur le plan agricole. Au centre et au sud, là où les pentes sont moins raides, et les sols plus fertiles et moins acides, la culture du riz inondé devient plus adaptée. Au nord, avec une élévation moyenne de 500 mètres, la topographie du terrain est majoritairement escarpée, avec des vallées fluviales étroites, et un potentiel agricole faible en raison de l’acidité des sols. Beaucoup ont recours à l’agriculture itinérante pour survivre. Mais, selon certains, la forte dépendance de cette culture extensive à la distribution des pluies, dû au manque de maitrise de l’eau – à l’inverse de la riziculture irriguée –, peut représenter un risque pour les populations rurales (Trébuil et Hossain, 2000 : 283).

13 Dans cette géographie, le fleuve Mékong, « grande artère indochinoise » (De Koninck, 2012 : 287), est un symbole incontournable du Laos. S’étirant sur plus de 4 350 kilomètres, avec un bassin versant de 795 000 kilomètres carrés et un débit annuel moyen de 14 700 mètres cubes par seconde à l’embouchure, il s’agit de loin du plus grand fleuve d’Asie du Sud-Est (ibid, 2012 : 38). Il forme le « principal ensemble géographique de la zone [et] joue un rôle central depuis longtemps puisqu’il coïncidait déjà avec les contours de l’ancien empire d’Angkor » (Tertrais, 2014 : 48). Son axe met en relation l’ensemble des pays de la région continentale, mais constitue aussi une source de tensions par le potentiel économique et l’immense ressource qu’il représente, et dont plus de 60 millions d’individus dépendaient au début des années 2000 (ADB et UNEP, 2004 : 38). Sur la façade ouest du Laos, le Mékong fait office de frontière avec la Thaïlande. Environ 80% du territoire du pays se trouvent à l’intérieur des limites du bassin hydrographique du Mékong et près de 34% du bassin inférieur de ce fleuve relève de la souveraineté laotienne. Bien que le fleuve sillonne le territoire laotien sur quelque 1 900 kilomètres, il n’aide pas à le désenclaver en raison des nombreux rapides qui empêchent sa navigation à partir de la mer (De Koninck, 2012 : 289).

S’agissant du couvert végétal du pays, d’après Taillard et Sisouphanthong, la couverture forestière peut être décrite de deux manières : d’une part, les types de forêts varient selon l’éventail pluviométrique ; d’autre part, les aires de déforestation varient selon les régions du pays. Avec des précipitations annuelles moyennes supérieures à 2 200 millimètres, poussent dans les provinces de Vientiane, Borikhamxai et Khammouan – au Centre – de Champassak, Attapeu et Xekong – au Sud – des forêts sempervirentes ou mixtes, et dans les provinces de Bokeo et Luang Namtha – au Nord- Ouest – des forêts décidues. Dans les provinces où les précipitations sont plus faibles, comme à Houaphan et – au Nord-Est – des forêts sèches et des savanes arborées occupent le territoire (Taillard et Sisouphanthong, 2000 : 20-21).

En 1986, plus de 68% du territoire du Laos étaient couverts par les forêts (McKinnon et McKinnon, 1986 : 118). Mais en 1992, elles ne couvraient plus que 47% du pays selon certaines estimations (McKinnon, 1997 : 109). Outre l’évident souci de disponibilité et de durabilité des ressources forestières, on note des débats dans leurs définitions et leurs quantifications. Les déboisements réalisés par l’agriculture itinérante entrainent des transformations visuelles importantes dans le paysage. Mais l’État interprète cette pratique comme de la déforestation à long terme (Hyakumura et Inoue, 2006).

14 L’apparition de bambouseraies et de recrus forestiers en sont les principales caractéristiques. Vanhooren explique que la notion de forêt n’est pas perçue par tous de la même manière, et les données qui y sont associées ne s’équivalent donc pas (Vanhooren, 2006 : 53-54). Par exemple, le International Centre for Environmental Management estime que « 80 percent of Lao is forested but more than half of this area is extremely degraded and does not constitute forest cover » (ICEM, 2003 : 38). Il est ainsi difficile de savoir exactement combien il reste de couvert forestier ; mais tous s’accordent à dire que son recul est incontestable jusqu’aux années 1990 (TRP, 2000 ; Lagerqvist, 2006 ; Hodgdon, 2006), comme dans le reste de l’Asie du Sud-Est continentale (Déry et Vanhooren, 2011). De la même manière, on observe un déclin de la biodiversité et des produits forestiers non ligneux (Duckworth et al, 1999 ; Nooren et Claridge, 2001 ; WCS et WWF, 2007).

15 Figure 1.1 : Le Laos : administration et hydrographie

16 1.1.2 Tournants politiques : du royaume féodal au communisme libéral

La situation territoriale et politique de la RDPL s’explique par un enchaînement d’évènements qui, à partir du 17ème siècle, ont eu un impact déterminant sur le pays. Ancien carrefour caravanier du commerce de la soie (Reid, 1999 : 127) et royaume du « Million d’éléphants », le Lan Xang (Weightman, 2011) a été divisé en 1690 en trois royaumes – Louangphrabang, Vientiane et Champassak – en raison de guerres de succession (Dommen, 1995 : 9). Sachant tirer profit de ces discordes, le royaume de Siam poursuit pendant toute cette période son expansion territoriale au détriment des Lao. Deux siècles auparavant, les Siamois avaient déjà fermé aux Lao l’accès au delta du Mékong en prenant le contrôle d’Angkor et d’une partie de l’empire khmer – à savoir l’actuel Cambodge (Taylor, 1992 : 163). La « marche vers le sud » et la « tendance quasi généralisée dans la péninsule [d’une] progression méridionale des capitales vers les basses plaines et les deltas » (De Koninck, 2012 : 281) fut ainsi arrêtée pour les Lao, confinés depuis à l’intérieur de la région continentale. En 1778, les Siamois prennent le contrôle de Vientiane et annexent les plaines fluviales de la rive droite du Mékong, amputant le principal support matériel rizicole, nécessaire au développement des Lao. De son côté, le royaume de Luang Phrabang privilégie la neutralité plutôt que le conflit face à l’envahisseur (Dommen, 1995 : 10). Avec la perte de ses territoires et un rapport de force déséquilibré face aux Siamois, les Lao ne pourront plus rivaliser, ni rattraper leur retard (Taillard, 1989 : 22-23). Il faudra attendre l’arrivée des coloniaux français au 19ème siècle pour que l’unité du royaume soit partiellement restaurée. Le passé du pays explique donc que : « le Laos soit aujourd’hui le pays le plus montagneux de la péninsule, [sans accès à la mer, et] soit désaxé par rapport au Mékong. Sa largueur atteint 500 km dans le Nord mais se réduit à 150 km à la hauteur de Thakhek dans le Centre, ce qui accentue les effets de l’étirement méridien et rend plus difficile l’intégration territoriale » (Taillard et Sisouphanthong, 2000 : 12).

Après avoir été plus de cinquante ans sous protectorat français (1893-1945), le Laos traverse trente années de guerres civiles, déchiré entre les régimes communistes et libéraux. Ces guerres laissent le pays dans un état économiquement et humainement accablant (Barbier, 1975 ; Devan, 1994). Outre un taux d’inflation supérieur à 100% en 1975 (Chanda, 1982 : 117), les bombardements américains durant la guerre du Vietnam ont forcé le déplacement de quelque 730 000 personnes au Laos – le quart de la population de 1973 – et engendré la mort de plus de 200 000 autres (Devillers et al,

17 2016). Par ailleurs, entre 1963 et 1975, près de 414 000 personnes ont aussi fui à l’étranger (ibid, 2016). Durant ces années de guerre, le pays s’est replié sur lui-même et est demeuré en marge, malgré l’aide internationale (Phraxayavong, 2009). À la suite de l’abdication du Roi Savang Vatthana et de l’arrivée au pouvoir du Pathet Lao (« le pays lao ») en 1975, le gouvernement communiste se retrouve aux commandes de l’un des dix pays les plus pauvres au monde (Pholsena, 2011 : 68-70). C’est dans ces conditions que la RDPL débute sa difficile construction nationale.

À partir de 1975, l’État laotien s’efforce de répondre aux priorités du pays : assurer d’une part la sécurité alimentaire (Fullbrook, 2010 : 7) d’une population dont le taux de croissance est alors estimé à environ 2% par année (Banque mondiale, 2016), et remédier d’autre part à un endettement chronique (Fry, 2008 : 786). Par ailleurs, les processus de réunification territoriale et de transition politique s’accompagnent rapidement d’une fermeture temporaire de la frontière thaïlandaise et d’un arrêt brutal de l’aide économique américaine. Les États-Unis avaient injecté entre 1955 et 1975 environ 50 millions de dollars par an (Evans, 1988 : 8), soit près de 875 millions de dollars en vingt ans (Phraxayavong, 2009 : 104). Face aux difficultés économiques rencontrées, et étant donnée l’orientation idéologique du nouveau régime, la collectivisation des terres et des biens (Bouté et Pholsena, 2012) apparaît comme la seule solution pour surmonter la crise. Par ces changements politiques et économiques, le régime cherche autant à restructurer la société en profondeur qu’à effacer son héritage historique, encore symboliquement ancré dans l’ancienne monarchie (Pholsena, 2011). Mais cette première phase de gestion socialiste du système économique menée par les autorités n’aura pour conséquence que d’aggraver un bilan d’ores et déjà désastreux, ne permettant pas par la suite d’aboutir aux objectifs espérés (Devillers et al, 2016). L’échec de la collectivisation est alors essentiellement causé par une économie nationale fractionnée, décrite par Kaysone Phomvihane, président de l’époque de la RPDL, comme une combinaison de « central economy and local economies » (Heenan et Lamontagne, 2001 : 147). De plus, la structure méridienne du pays ne privilégie pas une gestion territoriale centralisée (Taillard et Sisouphanthong, 2000 : 13). Ainsi, après dix années de politiques procommunistes, les autorités laotiennes adoptent des réformes de grande envergure (Bourdet, 1992a), dans un climat où l’éventuelle chute du bloc soviétique, marquant la fin de la Guerre froide (Brown, 1993), invite le pays dans une nouvelle ère économique basée sur le modèle néo-capitaliste (Devan, 1994). En 1986, le

18 IVème congrès du Parti communiste marque le début de la transition du pays vers une économie de marché encadrée et ouverte au commerce international, connue sous le nom de chin thanakaan mai (« new thinking »), ou Nouveau Mécanisme Économique (NME). Le Laos emprunte finalement la voie du développement économique (Rigg, 1995a). Cette réforme ne se manifeste pas de manière isolée puisque, la même année, le gouvernement vietnamien lance sa politique du Doi Moi, ou politique du renouveau (Pholsena et Banomyong, 2006 : 26). Mais, comme en Chine et au Vietnam, la libéralisation économique au Laos ne s’est pas accompagnée par « an equivalent political liberalization and democratization », car le Parti communiste maintient le monopole de son pouvoir politique (Fry, 2008 : 788), ce que Stuart-Fox décrit aussi comme une « perestroïka without glasnost » (1991 : 5). Cette libéralisation économique, très étudiée sur le plan académique (Bourdet, 1992b ; St John, 2006 ; Rigg, 2009 ; Baird, 2011), passe notamment par l’augmentation de l’autonomie financière et administrative des autorités provinciales, la suppression des subventions et du contrôle étatique sur la plupart des biens et services, l’adoption d’un taux de change officiel lié aux marchés, et la libéralisation des régulations sur les échanges extérieurs et les investissements étrangers (Bird et Hill, 2010 : 119). Comme décrites par Kaysone Phomvihane, les réformes du NME permettront de passer de « economic operations which are based on wishful thinking and administrative orders from top levels » à un « socialist economic accounting ». Ce nouveau système fait ainsi appel à l’autogestion et à la responsabilité des entreprises nationales comme étrangères (St-John, 2006 : 181). Entre 1989 et 1992, le PIB hausse en moyenne de 7% par année, l’inflation passe de 76% à approximativement 7%, et le taux de change se stabilise sur les marchés (Devan, 1994 : 45-46). En somme, l’économie laotienne connait à partir des années 1990 de bonnes performances qui favorisent le développement du pays (Pholsena, 2011 : 129), et cela, malgré la crise financière et économique de 1997, car le pays n’était encore que très peu branché sur le marché mondial. L’arrivée au pouvoir du nouveau régime et les enjeux économiques de l’époque ont mené le Laos à subir de profondes transformations, également visibles dans la classification ethnique de la population du pays.

1.1.3 De la majorité aux minorités : un pays pluriethnique

Avec une population évaluée en 2014 à 6 689 300 individus et une densité moyenne de 29 habitants par kilomètre carré (Banque mondiale, 2016), le Laos

19 représente un « véritable creux démographique dans la péninsule indochinoise » (De Koninck, 2012 : 280). On peut dire ainsi, par comparaison, que la population totale du Laos est équivalente à la population d’une préfecture chinoise4. Le premier tiers de la population se concentre dans la vallée du Mékong, principalement dans quatre villes : Vientiane, , Savannakhet et Pakse (Kislenko, 2009 : 5). Un autre tiers vit le long de rivières comme la Nam Ou, la Set Don et la Nam Seuang (Evans, 2002 : 20- 24). Mais ce faible poids démographique n’exclut pas pour autant une grande diversité ethnolinguistique et culturelle, décrite par Ovesen comme « the outcome of historical migrations and colonization over centuries » (2004 : 215). La question du nombre de groupes ethniques (sonphao en laotien) présents au Laos a été fréquemment débattue, depuis plusieurs décennies.

Au cours des années 1950, après l’indépendance du gouvernement royal lao (GRL) en 1953, la classification de la population s’est construite selon trois grandes catégories géo-ethniques ayant pour référence l’altitude de l’habitat : Lao Loum, Lao Theung, Lao Soung, respectivement, les Lao qui vivent dans les plaines, sur les pentes des montagnes, et sur les cimes des montagnes (Pholsena, 2009 : 65). Cette tri-classification en « Lao » – d’ordre politique plutôt que culturelle – avait alors pour but de souligner que tous les groupes ethniques du Laos étaient premièrement des Laotiens, ce qui signifie des citoyens du Laos (Michaud, 2006 : 135). L’initiative de cette classification résulte principalement du fait qu’à cette époque « there is developing awareness in the government of its responsibilities toward the hill people » (Osborn, 1967 : 270). En 1975, lorsque la RDPL est proclamée, le gouvernement doit faire face à des situations complexes et souvent périlleuses pour l’avenir du pays. Soucieux de préserver son unité territoriale et d’éviter une implosion sociale face aux divisions ethniques, le gouvernement prône l’unité du peuple (Ireson et Ireson, 1991 : 926) avec des discours sur l’égalité entre les ethnies et la reconnaissance d’une diversité (Pholsena, 2009 : 67). Mais, conformément aux valeurs idéologiques du régime, cette unité se traduit aussi par la création du New Socialist Man, la référence identitaire à laquelle la population doit se conformer (Doré, 1982 ; Daviau, 2011). Ainsi, l’identité Lao-Tai est activement promue comme la norme culturelle qui permettra d’unifier les différentes ethnies de la nation – sonsaat en laotien (Michaud, 2009 : 33). Dans ses écrits sur le problème national et

4 Pour reprendre une comparaison pédagogique faite par Jean Michaud, anthropologue à l’Université Laval, qui compare la population du Laos à celle d’une province vietnamienne et celle du Vietnam à une province chinoise ; donc, celle du Laos à une préfecture chinoise.

20 ethnique, le président Phomvihane (1981) reprend les fondements staliniens de la nation (нация/natsiya en russe), définie comme : « a historically evolved, stable community of people, language, territory, economic life, and psychological make-up manifested in a community of culture » (Staline, 1936 : 5-8). Se basant sur ces cinq caractéristiques, la stratégie de l’État laotien consiste donc, d’une part, à unifier sa population, mais également, d’autre part, à la contrôler : « Lénine lui-même affirmait qu’une période ‘d’égalité nationale’ et de ‘floraison des nations’ était nécessaire afin de dissiper les antagonismes et les haines entre les communautés. […] La concession accordée aux identités nationales et ethniques n’était en somme qu’une étape vers l’assimilation que Lénine jugeait progressive et inéluctable » (Pholsena, 2009 : 67-68). La question ethnique, en particulier celle attachée aux ethnies minoritaires, fait donc l’objet de constructions idéologiques nationales (Formoso, 2006) et cette logique d’assimilation est également à l’œuvre en Chine (Keyes, 2002 ; Tapp, 2002) et au Vietnam (Michaud, 2000 ; Pelley, 2002).

Au début des années 1980, le gouvernement laotien s’attèle à une nouvelle organisation de la diversité et abandonne la tri-classification, jugée par Phomvihane comme devenue inadéquate. En plus de répondre à des impératifs politiques et idéologiques, le recensement du gouvernement a pour objectif d’échapper à un émiettement de la population et de restreindre la liste des noms, établie au cours des années 1960 à quelque 200 (Pholsena, 2009 : 69), puis ramenée à 68 en 1972 (Goudineau, 2000 : 22). Pour le recensement de 1995, 47 groupes sont retenus. Mais en 2005, le Lao Front for National Construction (LFNC) réajuste la liste et recense 49 groupes, dont plus de 160 sous-groupes ethniques (GoL, 2006a : 3 ; McAllister, 2013 : 169). L’Assemblée nationale reconnaîtra officiellement cette liste en novembre 2008. Cette décision se base sur deux piliers staliniens, la langue et la culture, plus la prise en compte des origines historiques des groupes de peuplement (Allen, 2006 : 316-317). La tri-classification en « Lao » n’est donc plus utilisée aujourd’hui, mais demeure en tant que symbole, sous l’apparence des trois sœurs Lao, comme sur les billets de banque de 1000 kips (Figure 1.2). Ces 49 groupes (Erni, 2014 : 305) se répartissent dans cinq familles ethnolinguistiques5 : les Lao-Tai – ou Tai-Kadai – (66,2% de la population

5 Le gouvernement laotien (GoL) présente pour sa part une classification en quatre grandes familles ethnolinguistiques, classification à laquelle se fie l’ONU (UNDP) : Lao-Tai (64,9%), Mon-Khmer (23,5%), Hmong- Mien (8,7%), et Sino-Tibétains (GoL et UNDP, 2009 : 42). Compte tenu de l’évolution démographique du pays, en particulier dans le nord et dans la province de Luang Namtha, il convient plutôt de s’aligner sur la classification de Michaud que sur celle du gouvernement laotien.

21 totale), les Mon-Khmer (22,7%), les Hmong-Yao (7,4%), les Tibéto-Birmans (2,9%) et les Ho (environ 8 900, soit moins de 1%) (Michaud, 2006 : 137). Ce recensement ethnique constitue par ailleurs un outil administratif fort utile pour l’État, répondant à une double stratégie politique. D’une part, la classification des ethnies minoritaires permet à l’État d’obtenir « security, control and taxation » (Michaud, 2009 : 36) sur les populations à l’intérieur de ses frontières nationales (Keyes, 2002), conditions vues comme nécessaires au sein du régime socialiste. D’autre part, comme l’explique Pholsena, l’élaboration de la liste des ethnonymes, qui sert de grille de référence lors des recensements, a permis à l’ethnie Lao de franchir la ligne symbolique des 50%. Car, sur le plan numérique, cette ethnie est en réalité minoritaire. Entre les recensements de 1985 et 2005, l’ethnie lao, i.e. de langue et de culture lao, a atteint 54,6%, la plaçant non seulement en première place des groupes les plus nombreux, mais aussi en position de majorité face aux autres groupes ethniques. Dès lors, « à partir du moment où le nom existe officiellement et devient invariable, son usage s’impose à terme et légitime l’existence du groupe » (Pholsena, 2011 : 94). À l’inverse, en Chine, au Vietnam et en Thaïlande, pays qui comptent aussi de nombreuses minorités ethniques, les Han, les Kinh, et les Siamois sont indiscutablement majoritaires (Goudineau, 2000 ; Evrard et Goudineau, 2004). Au Laos, la plus grande diversité représente ainsi un défi pour le gouvernement, tant pour sa stabilité politique que pour la construction de la nation (Ovesen, 2004).

Figure 1.2 : Les trois sœurs Lao – Billet de 1000 kip (version émise de 1992 à 2008)

22 On peut noter qu’en 1991, les principes d’unité et d’égalité ethnique sont inscrits dans la Constitution laotienne, puis, un an plus tard, le gouvernement établit une politique visant à réduire la pauvreté et les inégalités parmi les différents groupes ethniques (GoL, 1992). Cette politique se matérialise par exemple, depuis 2009, lorsque le pays fête la International Day of the World’s Indigenous Peoples (IWGIA, 2010 : 380). L’État marque donc sa volonté pour une meilleure justice sociale. Mais ses efforts ne se sont pas encore montrés pleinement bénéfiques, en particulier pour l’équilibre ethnique et la représentation des groupes au sein du système gouvernemental (Stuart-Fox, 2005). Rigg résume ce constat en précisant que : « minorities are thinly represented in government, have significantly worse health and education profiles than the Lao, and are de facto if not de jure socially, politically and economically excluded » (2005 : 67). Dans ce contexte, la situation des minorités ethniques tend à demeurer inégalitaire face à la majorité Lao, de même que leurs moyens pour contester le régime paraissent limités (Scott, 1985 ; Lestrelin, 2011).

Depuis sa proclamation en 1975, le gouvernement laotien a adopté une série de mesures visant à la construction du pays. La reclassification ethnique de la population constitue un exemple remarquable. Il est néanmoins important d’ajouter que cette construction nationale s’est réalisée de paire avec la modernisation du pays et le développement des régions rurales.

1.2 La modernisation nationale et le développement des régions rurales

Après une première période de gestion socialiste désastreuse de 1976 à 1985, le Laos est contraint d’opérer des réformes majeures à partir de 1986. L’échec du programme de collectivisation, la dégradation de la situation socioéconomique et l’endettement chronique envers les pays du bloc soviétique imposent au Laos de faire une transition « from a centrally planned economy to a market-oriented system » (Than et Tan, 1996 : 9). Cette transition est d’autant plus encouragée par la sphère internationale que la pression exercée par la demande croissante des marchés, la prise de conscience environnementale et les objectifs de réduction de la pauvreté mondiale, se font sentir au Laos comme dans l’ensemble de l’Asie du Sud-Est. Cette ouverture au reste du monde permet notamment à l’État d’introduire une série de programmes et de réformes, grâce à une aide au développement internationale (1.2.1). La lutte contre la pauvreté (1.2.2), la transformation des pratiques agricoles (1.2.3) et la protection de

23 l’environnement (1.2.4) constituent des exemples substantiels visant à intégrer les minorités ethniques et, par la même occasion, les régions montagneuses.

1.2.1 Un développement sous perfusion6

Depuis le début des années 1950, époque où le Laos acquiert son indépendance à l’endroit de la France coloniale, le pays demeure sous une assistance économique internationale. Selon les périodes et les évènements historiques, les raisons et l’origine de ces aides ont varié. Phraxayavong identifie quatre grandes périodes qui s’étendent de 1950 jusqu’à 2005. D’abord, de 1950 à 1954, avec la fin de la Première Guerre d’Indochine, le Laos dépend lourdement des aides économiques et militaires, accordées par la France et les États-Unis d’Amérique. Ces aides assurent notamment la continuité des administrations et des ministères, toujours sous contrôle des Français. De 1955 à 1975, les États-Unis d’Amérique sont engagés dans la guerre du Vietnam. Pour lutter contre les insurrections communistes dans la région, dont celles au Laos, le gouvernement américain fournit au régime royaliste laotien des aides conséquentes, même si davantage militaires qu’économiques. De 1976 à 1985, l’arrivée au pouvoir du Pathet Lao permet au pays de bénéficier d’une aide au développement distribuée par les pays du bloc soviétique (URSS, Chine et Vietnam), principalement pour permettre la survie du régime, alors que se tarit complètement la source étatsunienne. Enfin, de 1986 à 2005, à la suite des réformes économiques et de l’ouverture au marché international, le Laos bénéficie à la fois d’aides bilatérales (agences nationales de développement), d’aides multilatérales (Nations Unies, Banque mondiale, Banque asiatique de développement, etc.), d’investissements privés, et d’assistances d’organisations internationales non gouvernementales (OING), qui permettent de développer et de moderniser le pays (Phraxayavong, 2009 : 5-7).

Grâce à l’adoption des Nouveaux Mécanismes Économiques en 1986, l’économie laotienne réalise globalement de bonnes performances et se modernise pas à pas. Pour autant, elle ne parvient pas à réduire ses déficits budgétaires (9,8% du PIB en 20147) et commerciaux (en moyenne 408 millions de dollars par an depuis 20008). Ainsi, afin de poursuivre le développement du pays, « le gouvernement a constamment recours à

6 Selon l’expression par le professeur Steve Déry dans ses enseignements sur l’Asie du Sud-Est, alrs qu’il décrit le Laos comme un pays « sous perfusion ». 7 Data Banque mondiale, 2016 8 Data Banque asiatique de développement, « Key Indicators 2015: Lao PDR ».

24 l’aide internationale » (Pholsena, 2011 : 144). L’évolution et la part des investissements directs étrangers (IDÉ) et de l’aide publique au développement (APD), dans le produit intérieur brut (PIB) du pays, depuis 1995, apparaissent dans le Tableau 1.1 et les Figures 1.3 et 1.4.

On constate que depuis la deuxième moitié des années 1990, la somme des aides publiques au développement est demeurée importante, pouvant parfois atteindre plus de 20% du PIB laotien, comme en 1998 et en 1999. Bien que le PIB ait nettement augmenté à partir du début des années 2000, et que la part des APD dans le PIB ait diminué, les sommes accordées au Laos n’en sont pas moins demeurées constantes, voire en hausse depuis 2005 (plus de 495 millions de dollars en 2008). Parallèlement, les investissements directs étrangers ont été multipliés par sept entre 1995 et 2014 malgré une chute entre 1998 et 2005, principalement à cause du choc de la crise financière asiatique (St John, 2006 : 183-185). Ainsi, la somme totale des APD et des IDÉ est passée d’environ 402 millions de dollars en 1995 à plus de 1136 millions de dollars en 2014, soit presque le triple en vingt ans. Parmi les aides bilatérales, deux groupes de pays peuvent être distingués. Le premier comprend les pays voisins du Laos et de la région, principaux contributeurs des aides versées, respectivement, le Japon (15,4%), la Chine (8,4%), la Corée du Sud (7,3%), la Thaïlande (6,5%) et le Vietnam (3,9%) (GoL, 2014a). Le deuxième rassemble plusieurs pays occidentaux comme les États-Unis d’Amérique, l’Allemagne, la France, l’Australie, la Suède, le Danemark, la Finlande et la Norvège. Comme l’explique Phraxayavong, l’aide au développement est venue de nombreux pays, et a répondu à une variété de projets dans des domaines tous plus prioritaires les uns que les autres : éducation, santé, réduction de la pauvreté, agriculture, irrigation, environnement, développement rural, transports, énergie, commerce, infrastructures publiques, etc. Pour autant, tous les pays ne se sont pas concentrés sur les mêmes projets, investissant dans des domaines prioritaires pour eux- mêmes. La Thaïlande, par exemple, s’est davantage investie dans le développement des infrastructures publiques, de l’énergie et des transports, dont elle bénéficie directement ; tandis que les États-Unis ont financé des projets, visant au déminage des régions rurales touchées par la guerre du Vietnam – pour chercher et trouver les Unexploded Ordnance (UXO) – et à la réduction de la pauvreté et du narcotrafic (Phraxayavong, 2009 : 182- 208). Parmi les aides multilatérales, les institutions financières – Fonds monétaire international, Banque mondiale et Banque asiatique de développement –, les

25 nombreuses agences et programmes des Nations Unies – FAO, UNEP, UNESCO, UNFPA, UNICEF, WFP9, etc. – et l’Union Européenne, ont joué un rôle substantiel dans l’assistance du Laos, qui a pour certains commencé dès la fin des années 1950 (ibid, 2009 : 209-228). Jusqu’au début des années 2000, la communauté internationale couvrait plus de 80% des dépenses de projets pour le développement du Laos (Bourdet, 2002 : 108).

Paradoxalement, alors que le Laos n’a jamais reçu autant d’aides qu’aujourd’hui, celles-ci ont créé « une véritable dépendance » (Pholsena, 2011 : 144) et entrainé des bureaucrates, des militaires et des membres du parti communiste à tirer profit « of aid projects to enrich themselves and empower the party » (Phraxayavong, 2009 : 209).

Foreign aid is like a drug. You want more and more of it because it makes development much easier for you. Instead of putting up your own money for building roads and repairing them, you get rich foreigners to do it for you. There are also kickbacks and all kinds of other benefits. It is the easy way out in economic development. Now what should a poor country like Laos do? They should be modest and have some clear priorities. But most opt for foreign aid, as it seems to promise everything at the same time (Evans, 2003).

En plus de cette dépendance, le pays souffre de faiblesses structurelles dans sa finance et son économie – manque de contrôle aux frontières, hausse de la contrebande, inefficience des taxes commerciales, corruption, etc. – qui défient, d’une part, la capacité de l’État laotien à faire « régner l’ordre et la sécurité sur leur territoire » et contraignent, d’autre part, « d’exploiter pleinement l’ouverture des frontières » (Pholsena, 2011 : 145-146). Malgré tout, grâce à son ouverture à l’international et aux nombreux investissements qui viennent moderniser le pays, le Laos devrait progressivement pouvoir réduire sa dépendance envers l’aide étrangère. Pour y parvenir, une nouvelle approche politique serait requise, impliquant une meilleure gouvernance de l’État et plus de transparence à l’échelle des projets (Bourdet, 2000 : 80). Ces changements aideraient, entres autres, le Laos à sortir de la liste des pays les moins avancés (PMA) avant 2020, même si cet objectif « while admirable, is totally unrealistic » selon certains (St John, 2006 : 188).

9 Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP), Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Programme Alimentaire Mondial (WFP).

26 Tableau 1.1 : Évolution et part des IDÉ, de l’APD, des importations et des exportations rapportés au PIB du Laos, 1995-2014 (en millions de dollars ÉU et en pourcentage)

Source : Data Banque mondiale, 2016

27 Source : Data Banque mondiale, 2016 Figure 1.3 : Évolution des IDÉ et des APD rapportés au PIB du Laos, 1995-2014 (en millions de $ÉU)

Source : Data Banque mondiale, 2016 Figure 1.4 : Évolution de la part des IDÉ, des APD, des importations et des exportations rapportés au PIB du Laos, 1995-2014 (en pourcentages)

28 1.2.2 The Poverty Reduction Plan

Initié en 2004, le National Growth and Poverty Eradication Strategy (NGPES) s’inscrit dans la continuité des objectifs de développement définis lors du VIIème congrès du Parti communiste en 2001 (Daviau, 2011 : 54). Ce plan – soutenu par le FMI et la Banque mondiale – œuvre principalement pour sortir le Laos de la liste des pays les moins avancés avant 2020, par une croissance économique et un recul durables de la pauvreté. Selon le document officiel, le cadre opérationnel du NGPES s’appuie sur : « four main sectors » – l’agriculture/foresterie, l’éducation, la santé et les infrastructures publiques –« various supporting sectors » – l’énergie et l’électrification des régions rurales, l’agroforesterie, le tourisme, l’industrie minière et les industries de construction –, « cross sector priorities » – l’environnement, les questions de genre, l’information, la culture et la sécurité sociale –, et « three poverty related national programmes » – le National Drug Control programme, le UXO Decontamination programme et le National Action Plan for HIV/AIDS/STD (GoL, 2004 : 7). Les caractéristiques du cadre opérationnel doivent donc, non seulement, assurer la réussite du plan, mais aussi, réduire durablement le taux de pauvreté du pays. La notion de pauvreté pouvant varier selon les contextes (Rigg, 2003 : 144 ; Cavallo, 2008 : 23), elle a été l’objet d’une définition précise du Premier ministre de l’époque comme : « the lack of ability to fulfill basic human needs such as not having enough food [less than 2,100 calories per day/capita]10, lacking adequate clothing, not having permanent housing, and lacking access to health, education and transportation services » (Instruction N°010/PM, June 25, 2001). Avant l’adoption de cette définition précise par l’État laotien en 2001, « poverty – officially – did not exist in Laos » (Rigg, 2009 : 709). Par ailleurs, le terme officiel employé pour désigner la pauvreté est celui de thuk nyak, littéralement : « suffering + difficult » (Chamberlain et Phomsombath, 2002 : 62). Ce constat met ainsi en lumière comment l’État aborde avec prudence la question de la pauvreté.

Thuk is the Buddhist term for suffering and […] is closer to mental than to physical suffering. […] At one level, we can interpret this choice of words as an attempt to separate the production of poverty in Laos from the operation of the market, making poverty a ‘natural’ state of affairs connected with the Buddhist metaphysics rather than government policy. What it also does, however, is separate poverty in Laos from poverty in Thailand, emphasising the fact that Laos is different (Rigg, 2009 : 710).

10 Seuil déterminé par l’Organisation mondiale de la Santé (WHO) comme le besoin minimum par jour par personne.

29

Plusieurs critères ont été développés pour identifier la pauvreté selon différentes échelles : foyer, village et district. Est considéré comme un « foyer pauvre » par l’État laotien un foyer où les membres combinent un revenu inférieur à 100 000LAK (13$ÉU) en milieu urbain et 82 000LAK (11$ÉU) en milieu rural, par personne par mois (taux de change de 2001). Sont considérés comme des « villages pauvres » tous les villages n’ayant pas : d’école (ou d’accès à une école dans un village proche), de centre de soin (ou a plus de six heures à pied d’un centre de soin), d’approvisionnement en eau, d’accès à une route pouvant être utilisée toute l’année (‘four season road’) et comprenant plus de 51% de foyers pauvres. Enfin, est considéré comme un « district pauvre » un district avec : plus de 51% de villages pauvres, plus de 40% de villages sans école, plus de 40% de villages sans centre de soin, plus de 40% de villages sans approvisionnement en eau, et plus de 60% de villages sans accès à une route (GoL, 2004 : 30-31).

Entre 1993 et 2013, le taux de pauvreté au Laos – sur la base du nombre de villages pauvres – a considérablement diminué à l’échelle nationale, passant respectivement de 46% à 23,2% (Warr et al, 2015 : 16), ce qui a permis d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (MDGs) en passant sous la barre des 25% de pauvreté (OECD, 2013). L’évolution du taux de pauvreté entre 1993 et 2013 au Laos est résumée ci-après, d’une part, entre les zones urbaines et rurales, et d’autre part, entre les régions du pays (Tableau 1.2). Jusqu’à la fin des années 2010, la région du nord du Laos – incluant les provinces d’Oudomxay, de Luang Namtha, de Huaphanh, de Phongsaly, de Luang Phrabang, de Xayaboury et de Bokeo – était la plus pauvre. D’après l’étude de Kakwani et al, cinq provinces sur les dix-huit du pays avaient un taux de pauvreté supérieur à 50% en 1998. Parmi ces cinq provinces, quatre se situaient dans la région du nord, à savoir Huaphanh (74,6%), Oudomxay (73,2%), Phongsaly (64,2%) et Luang Namtha (57,5%) (2001 : 9-10).

30 Tableau 1.2 : Taux de pauvreté au Laos, selon différentes régions, de 1992-1993 à 2012-2013 (en pourcentages) 1992-1993 1997-1998 2002-2003 2007-2008 2012-2013 Rural 51,8 42,5 37,6 31,7 28,6 Urbain 26,5 22,1 19,7 17,4 10 Vientiane 33,6 13,5 16,7 15,2 5,9 Nord 51,6 47,3 37,9 32,5 25,8 Centre 45 39,4 35,4 29,8 23,3 Sud 45,7 39,8 32,6 22,8 29,2 National 46 39,1 33,5 27,6 23,2 Source : Richter (2004) ; Warr et al. (2015), Data du Lao Statistics Bureau

Cette pauvreté, plus prononcée dans le nord, s’explique par l’isolement de ces régions montagneuses, le manque d’infrastructures et de services publiques, les problèmes de déforestation et de dégradation des terres, les périodes de pénuries alimentaires et le manque d’opportunités pour les populations ethniques minoritaires (Millar et Photakoun, 2008 : 92). Des variations du taux de pauvreté entre les familles ethniques sont également visibles, les Lao-Tai étant, en 2013, les plus riches, et les Mon-Khmer les plus pauvres (Warr et al, 2015 : 15). Bien que le taux de pauvreté ait été réduit (Stuart-Fox, 2007 : 167), il s’est inversement accompagné, sur la même période, d’une augmentation des inégalités (Tableau 1.3).

Tableau 1.3 : Inégalités au Laos, de 1992-1993 à 2012-2013 (mesurées à l’aide du Coefficient de Gini) 1992-1993 1997-1998 2002-2003 2007-2008 2012-2013 Rural 0,29 0,32 0,31 0,33 0,33 Urbain 0,31 0,38 0,35 0,36 0,38 Vientiane 0,30 0,37 0,36 0,38 0,38 Nord 0,27 0,35 0,31 0,35 0,32 Centre 0,32 0,33 0,31 0,34 0,34 Sud 0,32 0,32 0,31 0,32 0,37 National 0,31 0,35 0,33 0,36 0,37 Note : Le coefficient de Gini varie de 0 à 1, où les valeurs les plus fortes indiquent une plus grande inégalité. Source : Richter (2004) ; Warr et al. (2015), Data du Lao Statistics Bureau

31 Ainsi, bien que « the poor11 became better-off in absolute terms » (Warr et al, 2015 : 15), l’intrusion d’évènements et de forces extérieures dans le contexte local 12 , sur lesquels les villageois n’ont aucun contrôle – comme les programmes et les politiques nationales de développement –, ont engendré « a new poverty » (Rigg, 2005) ou « policy-induced poverty » (Chamberlain, 2001). L’augmentation des inégalités suppose que les bénéfices de la croissance économique ne se sont pas répandus de façon uniforme à travers le pays, les pauvres n’ayant pas autant reçu que les riches, les zones de montagne que les plaines (Thalemann, 1997 : 87 ; Kakwani et al, 2001 : 7 ; Epprecht et al, 2008). Cette nouvelle forme de pauvreté n’est donc pas endémique du Laos, puisqu’elle est produite – plutôt que réduite – par la modernisation et l’intégration (Rigg, 2009 : 712). De façon surprenante, la perception de cette pauvreté, du point de vue des villageois, n’est pas forcément synonyme de faim (Chamberlain, 2001 : 142).

Villages were subsisting in relatively stable agro-ecosystems, the outside perception of endemic poverty has been created by reliance on a numerical definition of poverty. In the minds of villagers, poverty is an issue of livelihood; as long as the villages are able to meet their consumption needs, they do not consider themselves poor. When agro-systems are disrupted or other upheavals occur, poverty may follow (GoL, 2004 : 29).

Un exemple saillant – où les agrosystèmes ont été perturbés – fut lors des politiques « d’éradication » de l’opium, visant, entre autres, à enrayer la culture du pavot dans les provinces nord laotiennes et dans le reste des régions montagneuses d’Asie du Sud-Est continentale. Avec la pression américaine de lutte contre le narcotrafic, ce programme est devenu une priorité à la fin des années 1980, lorsque la production d’opium au Laos a atteint des sommets (Ducourtieux et al, 2008). Le pays était alors le troisième producteur mondial d’opium (Auclair, 1995). Après plus de quinze années passées à détruire les champs de pavot, le gouvernement est parvenu à réduire la production d’opium d’environ 380 tonnes en 1989, à moins de 9 tonnes en 2007 (Cohen, 2009 : 425). Mais cette transformation et le nombre insuffisant de programmes de développement dans les régions rurales concernées ont entraîné des résultats désastreux. D’un côté, les populations rurales, constituées principalement de minorités ethniques, n’ont parfois ni les connaissances ni les moyens pour démarrer une

11 « poor people are primarily ethnic minority swidden cultivators » (GoL, 2004 : 29) 12 Dans son étude de la phénoménologie de la modernité, Anthony Giddens (1990) explique cette intrusion d’évènements et de forces extérieurs en disant : « globalization concerns the intersection of presence and absence, the interlacing of social events and social relationships at distance with local contextualities » (p.21)

32 autre agriculture, et de l’autre, « the government ban on traditional swiddening agriculture has added to heightened levels of food scarcity in rural areas and rendered these populations more desperate and vulnerable than ever before » (Listerman, 2014 : 91-92). La pauvreté peut donc prendre différentes formes selon comment les politiques nationales affectent les populations montagnardes et quelles alternatives économiquement viables sont proposées ou non par la suite. Comme l’explique Garrity, « outsiders usually misunderstand [highlanders] and their farming systems, particularly the very people in their own governments who are charged with helping them to overcome their livelihood challenges with dignity ». Par conséquent, les solutions proposées et imposées par les gouvernements ne répondent pas toujours aux besoins des populations ethniques minoritaires, et peuvent ne faire qu’aggraver la situation (Garrity, 2007 : 3). La récente transformation des pratiques agricoles et la sédentarisation des essarteurs constituent un autre exemple central dans les politiques sud-est asiatiques (Peluso et Vandergeest, 2001 ; Rasul et Thapa, 2003), au Laos mais également en Chine (Shirasaka, 1995 ; Cao et Zhang, 2007), en Indonésie (Michon, 2005 ; Penot, 2007), en Thaïlande (Rigg, 1995b ; Forsyth et Walker, 2008) et au Vietnam (Castella et Dinh Quang, 2002 ; Quoc Sung et Trung Dung, 2007)13 etc.

1.2.3 De nomades à paysans : la sédentarisation des populations

Dans un pays où le riz constitue encore la principale source alimentaire de la population (De Koninck et Rousseau, 2012 : 30), l’autosuffisance représente un enjeu primordial (Tableau 1.4). Comme le précisent Trébuil et Hossain, « aider les déshérités à sortir de la pauvreté signifie commencer par l’essentiel : augmenter la production rizicole et améliorer l’accès à la consommation de riz [car] abondance de riz abordable est synonyme de stabilité politique et sociale, de croissance économique et de pauvreté en diminution » (2000 : 278). Dès la fin des années 1950, une majeure partie de l’agriculture asiatique montre des signes d’essoufflement et ne parvient plus à suffisamment produire pour ses populations. Des famines se produisent, comme en Chine et en Inde (Étienne, 1987 : 909). La révolution verte en Asie, au début des années 1960, vient répondre à ces besoins, avec pour objectifs principaux d’augmenter les rendements agricoles et de développer les régions rurales (Étienne, 2012 : 661). Selon

13 Pour les références datant de 2007, voir Malcolm Cairns, Voices from the Forest – Integrating Indigenous Knowledge into Sustainable Upland Farming.

33 Étienne, la révolution verte se résume en « un processus rendu complexe par l’interdépendance de plusieurs facteurs : l’eau, les semences, les engrais, selon les cas les pesticides ; un renouvellement régulier des semences, ce qui suppose un processus continu de mise au point de nouvelles variétés et leur multiplication » (Étienne, 1987 : 910). À partir des années 1980, lorsque le Laos s’ouvre à l’international, il bénéficie premièrement des avancées faites dans la recherche 14, et établit deuxièmement des politiques visant à changer les pratiques agricoles des populations montagnardes. Ce changement général des pratiques correspond à un processus d’intensification agricole, comme ceux qu’a décrit Boserup (Boserup, 1965). Grâce à ces stratégies, le pays devient autosuffisant en 2000 (Pholsena et Banomyong, 2004 : 104).

Tableau 1.4 : Disponibilités alimentaires au Laos, 1961-2011 Disponibilité alimentaire Produits végétaux Produits animaux Année totale (en Kcal/pers./jour) (en pourcent du total) (en (en pourcent (en Kcal/pers./jour) Kcal/pers./jour) du total) Tous produits Riz seul Tous produits Riz seul 1961 1953 1864 1613 95,4% 82,6% 89 4,6% 1970 2019 1915 1604 94,8% 79,4% 104 5,2% 1980 1954 1851 1435 94,7% 73,4% 103 5,3% 1990 2015 1909 1416 94,7% 70,3% 106 5,3% 2000 2116 1970 1412 93,1% 66,7% 146 6,9% 2010 2323 2117 1430 91,1% 61,5% 206 8,9% 2011 2356 2154 1436 91,4% 61,0% 202 8,6% Source : FAOSTAT3, 2016

Au Laos, et ailleurs en Asie du Sud-Est, les modes de vie ont pendant longtemps été caractérisés comme essentiellement de subsistance (Rigg, 2003 : 212). Basés sur une agriculture itinérante sur brûlis (Conklin, 1961 ; Dubé, 2010), ces modes de vie dépendent aussi de plusieurs autres techniques, dont la chasse, la pêche et la cueillette de produits forestiers non ligneux15, et parfois de travail non agricole (Évrard, 2004 : 13). Dans le contexte laotien, la pratique d’une agriculture itinérante se justifie d’autant

14 Création au Laos du Centre national de recherche agricole en 1989 et de l’Agence de vulgarisation agricole en 1992 (Chazée, 1998 : 94) 15 Regroupe une diversité de végétaux : bambous, champignons, écorces, épices, feuilles, fleurs, graines, miel, tiges, tubercules ; et d’animaux : batraciens, crustacés, insectes, mammifères, mollusques, oiseaux, reptiles…

34 plus par le poids du relief montagneux et le manque de terres disponibles dans les plaines pour une agriculture permanente, notamment la riziculture inondée (Chazée, 1998 : 194). Mais, depuis l’arrivée du gouvernement socialiste, et conformément aux enjeux mondiaux de protection de l’environnement, cette tradition est dépeinte par l’État laotien comme étant destructrice et primitive, à l’inverse de l’agriculture permanente – pratiquée par l’ethnie lao – considérée par ce même État comme étant plus évoluée et productive (Pholsena, 2006 : 176). L’agriculture itinérante est d’autant plus menacée que l’influence des économies régionales chinoise, thaïlandaise et vietnamienne s’accroît et impose un changement des modes de vie (Lyttleton et al, 2004). Indéniablement, cette pratique nécessite régulièrement de brûler de grandes surfaces de forêts pour que les paysans puissent cultiver le riz pluvial – rainfed rice – ou d’autres semences. Mais cet impact écologique reste à nuancer (Thrup et al, 1997), car « loin d’être une dévastation sans lendemain » (Boulbet, 1975 : 9), il peut être durable en régions montagneuses, dans des conditions où les densités de population sont faibles et les interférences avec l’État, ou d’autres communautés, sont inexistantes (Forsyth et Michaud, 2011 : 12). Avec une densité de population aujourd’hui presque égale à 30 habitants par kilomètre carré au Laos, l’importance de l’agriculture itinérante et du riz pluvial « tend à décroître […] car le raccourcissement rapide des jachères ne permet plus la reconstitution du potentiel productif du milieu » (Trébuil et Hossain, 2000 : 284). Parce que certaines formes d’agricultures ne sont plus considérées comme soutenables ou durables, l’homme se doit désormais d’être détaché de la nature, car il lui est potentiellement nuisible (Michaud, 2014 : communication personnelle).

En réponse au problème de l’agriculture itinérante, et dans la volonté de concilier les objectifs de réduction de la pauvreté et de protection de l’environnement, l’État laotien introduit dès les années 1970 une politique de sédentarisation des populations montagnardes. Cette politique passe, premièrement, par la relocalisation des populations vers les plaines, légitimée « au nom de l’impératif de développement national et du bien collectif » (Pholsena et Banomyong, 2004 : 196). Ces relocalisations ont aussi pour objectif – de façon moins explicite – d’intégrer les minorités ethniques à la culture nationale majoritaire, en leur imposant d’adopter des modes de vies similaires à l’ethnie Lao. Les anthropologues C. et R. Ireson affirment alors qu’il s’agit d’un moyen « by which ethnic minorities are Laoized as they are “developed” » (Ireson et Ireson, 1991 : 936). Cette stratégie de développement, tant économique que culturelle,

35 cherche dès lors, « [to] turn the savage into the civilized, to turn the “other” in “us” » (Duncan, 2003 : 5). Deuxièmement, le développement des plantations agro-industrielles – ou cultures commerciales – aussi bien pérennes qu’annuelles, constitue pour l’État une option idéale à l’agriculture itinérante. Conscient de l’importance stratégique que représente l’exportation de produits agricoles pour le budget public, Kaysone Phomvihane annonçait lors du IVème congrès du Parti communiste en 1986 : « We should be aware that the commodity economy […] is more advanced than the natural self-sufficient economy. Therefore, our state must encourage and develop the commodity-money relationship » (Evans, 1990 : 55). Ainsi, à partir des années 1990, le développement des régions rurales s’accélère (Pholsena et Banomyong, 2004 : 197) et les moyens de subsistance des régions montagneuses, longtemps basés sur une agriculture itinérante, se transforment et s’orientent vers une agriculture de marché (Thongmanivong et Lagerqvist, 2006). On peut par exemple mentionner au Laos le développement des plantations d’hévéa à Luang Namtha (Thongmanivong et al, 2009), de thé à Phongsaly (Ducourtieux, 2004a) ou de café à Savannakhet (Sallée et Tulet, 2010), de même qu’un nombre croissant de paysans s’engagent dans l’élevage d’animaux destinés aux marchés, en particulier le poisson et le porc (Friederichsen, 2009).

Malgré des idéologies politiques et des compositions ethniques bien différentes entre chaque pays d’Asie du Sud-Est, les programmes de relocalisation des minorités ethniques constituent une variable commune au cœur des projets de développement nationaux. Comme l’explique Duncan, ce besoin de déplacer des populations se justifie pour diverses raisons, souvent imbriquées : sécurité nationale, protection environnementale, ou même développement national. Mais, parallèlement, déplacer ces populations en dehors des forêts et des régions montagneuses permet aussi à l’État : d’obtenir un meilleur contrôle sur les minorités ethniques, d’avoir accès à des espaces riches en ressources naturelles exploitables, et d’intégrer les populations dans des systèmes agricoles sédentaires plus productifs et assujettis à des taxes (Duncan, 2003 : 12). Au Laos, cette stratégie de relocalisation, connue sous l’expression chatsan asib khongthi, promeut la création de « permanent conditions for livelihood for unsettled families […] a feasible and cost-effective approach to improve living standards of scattered, remote and moving communities who would otherwise not be reached with the limited resources available » (GoL, 1997 : 20). Depuis 1960, plus de 50 pourcent

36 des villages situés dans les régions montagneuses nord laotiennes ont disparu (Évrard, 2011 : 76). Les habitants sont alors envoyés dans des Nouvelles Zones Économiques (NZE) – ‘Focal Sites’ (Bouapao, 2005) – regroupés dans de nouveaux villages (koum ban), plus grands, composés de plusieurs autres groupes ethniques, et à proximité des routes et des services publics progressivement mis en place par l’État (Daviau, 2011 : 59-60). Dans un autre contexte socialiste, comme en Chine et au Vietnam, les politiques du China’s Go West et du Doi Moi affichent une tout autre dynamique. En effet, ce ne sont pas les minorités ethniques, mais les ethnies majoritaire – les Han et les Kinh – qui sont déplacées des plaines vers les régions montagneuses en marge, afin d’éventuellement « outnumber locals and take final political, economic and cultural control over these margins » (Forsyth et Michaud, 2011 : 7). Pour De Koninck, les paysans sont le « fer de lance territorial de l’État », dans cette dynamique où s’établit un « compromis territorial », processus par lequel les États consolident leur territoire (De Koninck, 1996). Cette stratégie s’explique, d’une part, par les fortes densités de population dans les plaines – à l’opposé des faibles densités au Laos – et, d’autre part, par des impératifs géopolitiques (De Koninck et Déry, 1997) où les États centralisés « are trying to provide themselves a sort of strategic “buffer-zone” to guard against outside aggressions » (Duncan, 2003 : 13).

Les conséquences de ces relocalisations ressortent de façons variables sur les populations ethniques minoritaires, car bien que les objectifs d’intégration et de réduction de la pauvreté de l’État puissent être honorables, plusieurs études démontrent paradoxalement que les relocalisations renforcent en réalité la pauvreté (Chamberlain, 2001 ; Baird et Shoemaker, 2005 ; Rigg, 2005, Ducourtieux et al, 2004b ; Rigg 2006b ; High, 2008). Parmi ces conséquences, quelques-unes peuvent être citées. Premièrement, Friederichsen et Neef expliquent que les populations déplacées se retrouvent « in increasingly densely populated lowland areas » leur offrant peu de possibilités d’accès aux ressources, ainsi que peu de choix dans les nouvelles pratiques agricoles (2010 : 570). Deuxièmement, Rigg dénonce que les relocalisations perturbent fréquemment les relations sociales et économiques, ce qui engendre, ou même accentue, la pauvreté au sein de ces groupes (2005). Enfin, troisièmement, High décrit, dans les villages qu’elle a étudié, que les taux de maladies et de mortalité sont souvent plus élevés que dans les anciens villages de montagne, que les revenus sont moitié moins élevés, et que les services promis par l’État – écoles, centres de soins etc. – « have failed to materialize »

37 (2008 : 352). Par ailleurs, Baird et Shoemaker soulignent le fait que le contexte de ces relocalisations demeure ambigu : sont-elles volontaires ou non ?

The terms voluntary and involuntary fail to adequately describe the decision-making process or the local context that results in the movement of communities. The process leading to resettlement is usually a long one, which begins with government officials both promoting the idea of resettlement and making it clear that not resettling is not an option. […] Those who resist resettlement are discursively labeled as being against the government, a risky designation for people living under a one-party political system such as Laos (2007 : 881).

Ainsi, la sédentarisation des populations, qui s’identifie principalement au travers du changement des pratiques agricoles et des programmes de relocalisations, vise à intégrer les groupes ethniques minoritaires dans la culture majoritaire lao sous prétexte de développement national. Les objectifs de sédentarisation n’ont pour autant pas été les seuls moyens employés par l’État laotien pout intégrer les populations des régions montagneuses. En effet, l’intérêt accru du gouvernement envers les forêts du pays va dans le prolongement de ces politiques.

1.2.4 La prise en charge des forêts

À partir des années 1960, l’Asie du Sud-Est est confrontée à de graves problèmes environnementaux tels que la déforestation, la pollution, la perte de biodiversité ou l’érosion des sols. Avec l’essor progressif d’une conscience environnementale planétaire, et la publication du rapport Brundtland en 1987, les gouvernements occidentaux font pression sur la région pour que des mesures rapides soient apportées (Boomgaard, 2007 : 324). Le développement des réseaux d’aires protégées durant les années 1990 répond essentiellement à ces enjeux. En 1993, le Laos parvient à élaborer un système de protection environnementale, principalement grâce au support financier de la communauté internationale (Phraxayavong, 2009 ; Bafoil, 2013). Cette année-là, 17 aires protégées sont créées et prennent le nom de « National Biodiversity Conservation Areas » (ICEM, 2003 : 45). À présent, 21 aires protégées sont officiellement recensées par l’UICN16, et 12 autres existent de façon non-officielle, totalisant ainsi 33 sites au Laos (UNEP et WCNC, 2014). L’édification du système d’aires protégées laotien repose donc sur des préoccupations environnementales, et vise

16 Union Internationale pour la Conservation de la Nature

38 à priori la préservation des ressources naturelles, prioritairement forestières. Mais ces dispositions prises pour la protection de l’environnement répondent aussi à d’autres objectifs, à la fois politique et économique (Déry et Vanhooren, 2011).

Dès son arrivée au pouvoir, l’État communiste cherche à renforcer sa légitimité territoriale et à consolider la mise en place de son appareil gouvernemental sur l’ensemble du territoire. Au Laos, comme ailleurs en Asie du Sud-Est (De Koninck, 2004b), l’État se sert d’outils internationaux afin de poursuivre son travail de « internal territorialisation » (Vandergeest et Peluso, 1995), utilisant notamment l’environnement comme un prétexte d’intervention dans les régions montagneuses périphériques. Comme l’explique Déry, l’intégration de la variable environnementale dans la construction du territoire nourrit le dynamisme interne du pays et justifie la mise en place de politiques interventionnistes (Déry, 2008 : 73-74). Comme ailleurs en Asie du Sud-Est continentale, dans les régions périphériques, l’État laotien doit faire face à trois défis « 1) stabiliser les régions et faire taire les mouvements communistes anti- communistes selon les cas ; 2) [...] mieux contrôler le territoire et l’accès aux ressources exploitables » (Déry, 2008 : 78). Pour parvenir à relever ces défis, l’État laotien utilise, entre autres, les aires protégées pour territorialiser son espace. Ainsi, dans ce contexte national, où l’État est à la fois propriétaire de la terre et gestionnaire des forêts, les aires protégées constituent avant tout un outil de contrôle sur les territoires marginaux et les populations qui y habitent, agissant en complément des politiques de sédentarisations, afin de faire cesser la pratique de l’agriculture itinérante. Comme l’affirme Vandergeest au sujet du programme d’allocation des terres forestières (LFAP) « all states to a greater or lesser degree use zoning and land policy to create political spaces and to shape how these spaces are used » (Vandergeest, 2003 : 48).

Du point de vue économique, en s’attribuant le contrôle sur des territoires et les ressources naturelles qui les composent, l’État s’est offert la possibilité de choisir quelles concessions il allait céder et quelles activités il allait développer (RFD, 1994 : 35). C’est ainsi que des projets de construction de barrages, d’exploitation forestière et de développement de plantations ont parfois été approuvés sur des territoires, alors en partie protégés (Ovesen, 2004 : 234-235). Considérant que de nombreux pays construisent leur économie sur l’utilisation des ressources naturelles, l’État laotien perçoit le développement comme « to rest upon its ability to harness its ‘natural potential’ through commodification of natural resources » (Singh, 2009 : 751), tel

39 qu’énoncé dans le rapport gouvernemental de 2005 « Forestry Strategy to the Year 2020 of the Lao PDR ». Dès lors, même si les intérêts de l’État et des organisations environnementales semblent coïncider, il existe en réalité des tensions évidentes entre la conservation et le développement au Laos 17 (Lagerqvist, 2004 ; Singh, 2008). Dans un rapport, l’UICN avait conclut que « the word ‘conservation’ is seen by many in Laos as equivalent to ‘protection’ and antithetical to development » (UICN, 2001 : 3). De plus, dans un contexte où l’État laotien souhaite hisser le pays hors de la pauvreté mais ne dispose pas toujours de moyens suffisants, les investissements étrangers constituent aussi une source de financement essentielle. Et, malgré les pressions des organisations internationales pour contrer la déforestation, l’exploitation de bois dans les forêts primaires a continué à augmenter (DoF, 2007). Ce paradoxe s’explique à la fois par des causes internes et externes. D’un côté, les forces internes incluent : « a lack of effective and efficient institutions to manage the primary forest in a sustainable manner, leading to corruption and illegal logging », tandis que de l’autre, les forces externes comprennent « the obligation in which forest timbers were sold to leading countries namely Vietnam and China, to reduce national debt » (Anonyme, 2000 : 59). Les pays dits « développés » préfèrent accroitre leurs réserves de bois en limitant l’exploitation de leurs forêts. Cela entraine indirectement une accélération de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les pays voisins en développement, comme le Laos, où justement les préoccupations de développement prévalent encore sur la conservation (Phimmavong et al, 2009 : 509). Avec l’accroissement démographique et le développement économique, cette demande en bois risque de persister (De Fégely, 2005 ; United Nations et al, 2009), ce qui pourrait hypothétiquement avoir, à long terme, des répercussions sur la gestion des aires protégées. Les projets de développement sont donc à la fois encouragés par l’État laotien et fortement véhiculés par les processus de marchandisation, de modernisation et d’intégration à l’échelle planétaire. Conjointement, l’apparition rapide de nouveaux projets entraine des changements considérables dans les zones rurales et sur les populations principalement minoritaires, pour qui l’adaptation à court terme peut apparaître difficile.

17 Cette vision du développement a été critiquée par le philosophe et poète Henry David Thoreau (1817-1862) soulignant que la poursuite de l’argent encombre la vie. À l’inverse, il prône une vie se limitant à ce qui est existentiel (“Live Simply and Wisely”), où les individus ne sont pas prisonniers de leurs biens. Dans Walden or life in the woods, il considère que l’erreur de l’homme a été de transformer la Nature en commodité et non de la conserver en tant qu’utilité (1854 : 91).

40 Vues par l’État comme des stocks de richesses qui n’attendent qu’à être exploités, les forêts remplissent pourtant parallèlement un autre rôle central, pour ce qui a trait à la subsistance des populations rurales pauvres (Thanichanon et al, 2005). En plus d’apporter du simple bois, les forêts constituent pour ces populations des réserves de nourriture et de produits forestiers non ligneux. Les villages qui pratiquent une agriculture itinérante connaissent généralement une insuffisance en riz de six mois ou plus dans une même année (Chamberlin, 2001 : 43). Durant ces mois d’insuffisance, les populations dépendent donc des ressources de la forêt. Mais, depuis la mise en place des aires protégées, l’accès aux forêts est devenu limité. Dans un article, Rigg explique qu’en voulant protéger et limiter l’accès aux ressources forestières, l’État a localement accentué « the rural resource squeeze », provoquant à la fois un déclin des étendues forestières et de leur diversité/productivité : « While the decline in forest resources has significantly increased vulnerability, [the also] declining swidden rotations, perhaps propelled by government policy, cause households to increasingly rely on the forest » (Rigg, 2006b : 127-128). D’autres études démontrent la dépendance des populations rurales pauvres à l’endroit des ressources naturelles et leur vulnérabilité lorsque l’environnement local est perturbé (Ambler, 1999 ; Reddy et Chakravarty, 1999). Par ailleurs, depuis l’intégration au marché mondial et le changement des pratiques agricoles, les activités de chasse, de pêche et de cueillette ont mené à une transition du simple moyen de subsistance à celui de l’activité commerciale : « Enough was becoming greater as values changed and people begin to try every means to obtain cash to purchase more clothing, medicine, household goods, etc. » (Chamberlin et al, 1996 : 5). Ce changement des pratiques a poussé l’exploitation des produits forestiers à des niveaux désormais plus durables. Dans ce contexte de transition économique, les moyens de subsistance demeurent étroitement liés à la forêt, même si les processus de modernisation et de développement doivent progressivement permettre de réduire la dépendance aux forêts et d’augmenter les opportunités offertes par les marchés (Thanichanon et al, 2005). « Early stages of development are unavoidably marked by conflicts between poverty reduction and environmental protection » (Dasgupa et al, 2005 : 617). Lagerqvist argumente ces étroites relations entre l’homme et son environnement, et souligne la nécessité « to understand livelihoods from a comprehensive perspective [because] studies that shed light on transformational livelihoods in the developing world highlight the complexity of people’s lives and the places in which they live » (Lagerqvist, 2014 : 265).

41 La modernisation du Laos s’est ainsi déclinée sous différents programmes, contribuant tant au développement des régions rurales et montagneuses qu’à leur intégration à l’échelle nationale. Grâce à une assistance internationale continue, le pays a pu répondre à des besoins cruciaux comme dans l’éducation, la santé et les infrastructures publiques. Parallèlement, pour des raisons aussi bien politiques, qu’économiques ou environnementales, l’État laotien s’est fixé des objectifs ayant principalement pour cibles les minorités ethniques du pays. La réduction de la pauvreté, la sédentarisation des populations et le contrôle des territoires périphériques constituent les principaux exemples. Mais la manière dont ces programmes ont été conduits par l’État a affecté les minorités ethniques de façons variables, et engendré des situations souvent contradictoires. L’augmentation des inégalités dans le pays et l’appauvrissement des populations rurales en constituent des éléments centraux.

Désormais, il convient de s’intéresser en détails à l’intégration du pays et des régions montagneuses suivant différentes dynamiques. Plus spécifiquement, la province de Luang Namtha servira d’exemple, car conformément aux mots de Lacoste « la réalité apparaît différente selon l’échelle des cartes, selon les niveaux d’analyse ». La considération d’autres espaces « va permettre d’appréhender certains phénomènes et certaines structures » qui ne seraient pas visibles dans d’autres circonstances (Lacoste, 2012 : 121-123).

42 Chapitre 2 : Insertion nationale et provinciale dans le système sud-est asiatique

2.1 Le Laos au cœur d’un réseau international et transnational

En géographie, l’international et le transnational se distinguent principalement par le rôle opposé qu’y tient la frontière. D’un côté, l’international tient compte des réalités des frontières, en tant qu’interfaces, et se caractérise par des flux normés, régulés et comptabilisés. De l’autre, le transnational outrepasse les frontières, les limites nationales, et les flux sillonnent librement l’espace sans être relevés (Dollfus, 1995 : 670-671). Le transnational fait donc abstraction des frontières afin de « constituer un espace homogène dont la logique repose davantage sur une volonté politique de créer une synergie » (Taillard, 2004 : 19). Au moment de sa libéralisation et de son ouverture aux marchés internationaux, l’État laotien développe des coopérations économiques, en priorité, avec des pays interagissant dans le même espace régional que lui. Parallèlement, le pays œuvre pour se faire une place sur la scène internationale, d’abord avec le soutien de son voisin socialiste, le Vietnam. Ainsi, ce processus d’intégration, multiscalaire, s’opère à la fois dans une dynamique internationale et transnationale.

2.1.1 L’intégration régionale, des enjeux économiques…

Dans une perspective d’intégration régionale en Asie du Sud-Est continentale, et plus globalement en Asie-Pacifique, le Laos s’est premièrement appuyé sur la variable économique. Comme analysé dans le chapitre précédent (Tableau 1.1 et Figure 1.4), l’essor économique du pays et le développement national n’auraient pu se produire sans des aides publiques au développement (APD) et des investissements directs étrangers (IDÉ) conséquents. Tertrais décrit que la crise financière asiatique de 1997 a détourné les IDÉ pendant près de dix ans vers la Chine qui, à l’époque, rassurait davantage compte tenu de sa croissance rapide. Mais au cours de la deuxième moitié des années 2000, les IDÉ au Laos ont repris de l’importance, au point de dépasser en 2013 le volume annuel des APD. Cette tendance s’est corrigée dans l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, où les flux annuels d’IDÉ ont augmenté de 26% au tournant des années 2010, alors qu’au même moment, les flux d’IDÉ en Asie orientale – Chine, Japon et Corée du Sud – n’ont augmenté que de 9% annuellement. Entre 2000 et 2011, le Vietnam, la Chine et la Thaïlande sont respectivement les principaux investisseurs au Laos (Tertrais,

43 2014 : 54-55). Favorisés par le développement progressif des axes routiers (Warr, 2008), ces investissements étrangers se répartissent dans plusieurs secteurs touchant prioritairement l’exploitation des ressources naturelles et de la terre, principales richesses du pays (Delang et al, 2013 : 151). Plus spécifiquement, les secteurs hydroélectriques, miniers (argent, cuivre, gypse, or, pierres précieuses etc.) et agricoles (hévéa, café, thé, eucalyptus, canne à sucre etc.) constituent le socle de la modernisation de l’économie rurale. Dans un pays où l’État reste propriétaire des terres, d’importants revenus fiscaux peuvent être produits, à la fois grâce aux concessions d’exploitation et aux produits d’exportations (GoL, 2011 : 17-18). Entre 1989 et 2008, les projets portant sur les ressources naturelles ont mobilisé près de 80% des IDÉ (Kyophilvong, 2009 : 81). En plus de stimuler la croissance et de générer d’importants revenus, l’exploitation des ressources naturelles permet au Laos d’accélérer son processus d’intégration régionale en renforçant les liens commerciaux avec ses pays voisins. Par ailleurs, cette orientation économique s’arrime incontestablement à la stratégie de réduction de la pauvreté :

Future growth enhancing investments and development priorities which reflect the economic potential of the country’s natural resource base have been identified by the Government as a vehicle for increasing national revenues and, thus, poverty eradication. Hydropower, mining, tourism, wood- and agro-processing industries are the highest priorities for investments leading to economic growth and increased revenues (GoL, 2004 : 5).

Dès le début des années 1990, le secteur de l’exploitation hydroélectrique est apparu pour le l’État laotien comme une évidence, compte tenu : (i) du potentiel hydraulique du Mékong et de ses affluents, (ii) de la situation stratégique du pays dans une région à croissance rapide, et (iii) du besoin en devises étrangères (Usher, 1996 : 127 ; Porter et Shivakumar, 2011 : 6-7). Le Laos a pour ambition d’être le premier producteur d’électricité en Asie du Sud-Est continentale. Ainsi, en 2010, on dénombre onze installations hydroélectriques opérationnelles, et près d’une centaine d’autres en construction ou en projet d’étude (Figure 2.1), bien plus que dans les pays voisins (ICEM, 2010). L’un des projets à la fois des plus impressionnants et des plus complexes, ayant abouti en 2010, est la construction du barrage Nam Theun 2 (NT2) dans la province de Khammouane (Phomsoupha, 2010). Avec un coût total de 1,5 milliard de dollars, le NT2 a une capacité de production de 1 088 Mégawatts (MW).

44 Plus de 93% de l’électricité générée par le barrage est exportée en Thaïlande et les 7% restants sont utilisés pour la consommation nationale (Warr et al, 2012 : 443-444). Pour 2020, le Laos prévoit atteindre une capacité de production électrique supplémentaire d’environ 12 500 MW, majoritairement destinée à l’exportation (2 930 MW opérationnels en 2011), et de fournir un accès électrique à 90% des foyers du pays (Banque mondiale, 2009a ; BAD, 2010 : 4 ; Banque mondiale, 2011a : 5). Comme l’évoque Pholsena, la Thaïlande est le principal bénéficiaire de la production électrique du Laos, qui en achète plus de 80%, suivie par le Vietnam, dont la « demande reste comparativement faible ». Ainsi, les revenus tirés de la seule vente d’électricité ont permis de multiplier rapidement par 4,6 la valeur des exportations du pays, alors qu’elles sont passées de 24 millions de dollars ÉU en 1995 à 112 millions de dollars ÉU en 2000 (Pholsena, 2011 : 162). Selon une étude de scénarios de la Banque mondiale, publiée en 2011, le secteur hydroélectrique pourrait rapporter, entre 2010 et 2025, une moyenne annuelle de 330 millions de dollars ÉU en revenus fiscaux pour l’État laotien (Banque mondiale, 2011a : 6). Ces revenus, en particulier ceux découlant de la production d’électricité du barrage NT2, doivent officiellement permettre à l’État de poursuivre sa stratégie de développement national et de réduction de la pauvreté. À long terme, et sous la supervision de la Banque mondiale, différents domaines seront financés comme l’éducation (35%), les réseaux routiers (30%), la santé (20%) et l’environnement (15%), tous considérés par l’État laotien comme prioritaires (Warr et al, 2012 : 444). Comme l’assure la Banque mondiale, « NT2 revenues will be applied effectively and transparently to priority activities in support of poverty reduction and environmental management » (Banque mondiale, 2009b : 1).

Du côté du secteur minier, les réserves minérales considérables dont dispose le pays constituent un atout précieux pour attirer les capitaux étrangers. À partir des années 1990, des programmes de prospection et d’exploration sont financés par des organismes internationaux en vue de cartographier les ressources géologiques et minérales du Laos (Banque mondiale, 2011b : 5). Parallèlement, l’arrivée rapide d’investisseurs étrangers a poussé l’extraction de ces ressources à un stade plus avancé, marquant la transition d’une exploitation jusqu’alors artisanale à une exploitation davantage industrielle (Mottet, 2013 : 220-223). L’or et le cuivre sont les principaux minerais exploités et exportés. Le potentiel total d’extraction de ces minerais est de 500-600 tonnes pour l’or et de 8 à 10 millions de tonnes pour le cuivre (MINDECO, 2006 : 6). La Chine, le

45 Vietnam et la Thaïlande sont les trois premiers investisseurs dans le secteur minier et comptent respectivement pour 57%, 22% et 7% des investissements au Laos, soit plus de 86% du total (Kyophilvong, 2009 : 90). En 2008, 85 compagnies minières étrangères et 42 compagnies minières nationales étaient recensées, contribuant en tout à 178 projets miniers – aux différents stades de prospection (40), d’exploration (85), d’étude de faisabilité (7), et d’exploitation (46) – sur l’ensemble du territoire national (DoM, 2008). Parmi ces 127 compagnies minières, deux compagnies chinoises combinent une valeur de production de 700 millions de dollars en 2008, MMG Lane Xang Minerals Limited (MMGLXML) et Phu Bia Mining (PBM), ce qui représente plus de 90% de la valeur totale de production de l’industrie minière du Laos. Selon une autre étude de scénarios de la Banque mondiale, le secteur minier pourrait rapporter, entre 2010 et 2025, une moyenne annuelle de 163 millions de dollars en revenus fiscaux pour l’État laotien (Banque mondiale, 2011b : 16-20). De la même manière, les revenus tirés de l’industrie minière doivent d’abord permettre de financer le développement national et de réduire la pauvreté : « Energy and mining sector is a strategic sector in both the short and long term. It is an energy sector and it aims to serve the society and generate income to accumulate capital, to be expended on the country’s socio-economic development » (GoL, 2011 : 99).

Enfin, pour ce qui tient du secteur agricole, la Banque mondiale estime qu’en 2013 environ 10% du territoire étaient cultivés, soit plus de 2 335 000 d’hectares. Cependant, « il est difficile de connaître la surface totale des terres agricoles converties en plantations commerciales », en raison de l’absence de statistiques officielles et des rapides transformations rurales (Pholsena, 2011 : 166). Malgré tout, il est possible d’affirmer que ces surfaces sont en augmentation, et continueront d’augmenter à l’avenir : « Ministry of Agriculture and Forestry […] have targeted a goal of 500,000 hectares of industrial plantations in Laos by 2020 » (Barney, 2007 : 10-11). Le café et l’hévéa constituent deux cultures prépondérantes. Au sud du pays, sur le Plateau des Bolovens, la production de café totalise 70 000 hectares, près de 95% de la surface totale des plantations de café au Laos (LCB, 2014 : 4). Depuis 2008, le Vietnam et la Thaïlande sont les principaux investisseurs dans le secteur du café (Delang et al, 2013 : 155). L’Association des exportateurs de café laotien recense 28 000 tonnes de café exportées en 2013 – principalement vers l’Europe – soit plus de 95% de la production totale du Laos (Schönweger et Messerli, 2015 : 98). Dans les provinces du nord, la

46 culture de l’hévéa occupe des surfaces bien plus grandes, plus de 200 000 hectares en 2007 selon le Comité national de Planification et d’Investissement (Phimmavong et al, 2009 : 502). Ici, le besoin en matières premières de l’économie chinoise et la proximité géographique de la frontière « influenced the shape of ‘development’ in adjacent parts of […] Laos » (Sturgeon, 2013 : 71). Outre le fait d’être une matière indispensable dans l’industrie mondiale (Umar et al, 2011), le caoutchouc naturel apparaît, selon Manivong et Cramb (2008), comme une production où les investissements sont lucratifs pour des populations montagnardes pauvres, impliquées dans des politiques de sédentarisation et de réduction de la pauvreté. En 2007, plus de 2700000 tonnes de caoutchouc ont été exportées, soit une moyenne d’environ 1,36 tonne/hectare (Hicks et Voladeth, 2009 : 25).

47 Source : MRC Hydropower database – Crédits : University of Canterbury Figure 2.1 : Projets d’installations hydroélectriques dans le bassin du Mékong en 2010

48 Le survol de ces trois secteurs, centraux dans l’économie laotienne, permet ainsi d’avoir un aperçu des stratégies adoptées par le gouvernement pour intégrer le pays dans l’économie mondiale. Combinés, les revenus engrangés devraient en théorie permettre à l’État de développer le pays et d’améliorer les conditions socioéconomiques de la population de façon durable. Malgré tout, il faut préciser que ces projets – l’édification de barrages, l’extraction de minerais, ou le développement de plantations – s’accompagnent parfois d’effets indésirables sur les populations et leurs milieux de vie, en particulier d’un point de vue environnemental. Le World Wide Fund (WWF) s’alarme au sujet de la perte de biodiversité et l’érosion accélérée des berges du Mékong (RFI, 2012) ; Lazarus s’interroge de l’impact sur l’utilisation des sols et au sujet de la préservation des forêts (2009 : 27-28) ; et Phimmavong rappelle les préoccupations des consommateurs, des scientifiques et des politiciens à propos du changement climatique, de la biodiversité et de la durabilité des ressources naturelles (2009 : 508). D’un point de vue socioéconomique, les projets hydroélectriques (BAD, 2010), miniers (Delang et al, 2013) et agro-industriels (Weiss, 2013) nécessitent parfois des relocalisations ou un accaparement des terres qui peuvent avoir pour conséquence un appauvrissement des populations rurales : « The government recognizes that the modernization itself […] could create social changes that would leave some people unable to benefit from the NEM and even worse off » (Rigg, 2005 : 25). L’apparition des processus de marchandisation et de monétarisation ont par ailleurs provoqué une compétition accrue pour l’accès à la terre (Sturgeon et al, 2013 : 67), une individualisation croissante au sein des communautés (Pholsena, 2011 : 169), et une augmentation des services à bas prix, notamment des services sexuels (Doussantousse et al, 2011). Enfin, Usher s’inquiète de l’impact des projets d’investissements sur les moyens de subsistance des plus pauvres, qui dépendent à la fois des forêts et des rivières (1996 : 126).

En somme, l’intégration économique du pays suppose qu’à long terme les bénéfices du développement et de la modernisation amélioreront les conditions de vie des populations rurales. Mais cette stratégie implique aussi à court terme certains compromis dont les premières victimes sont ces mêmes populations rurales et l’environnement. En plus de la variable économique, le Laos s’est deuxièmement appuyé sur une variable politique, incontournable pour parvenir à pleinement s’intégrer dans la région.

49 2.1.2 … mais aussi géopolitiques

Pour comprendre les enjeux géopolitiques actuels, il est nécessaire de rappeler brièvement les trajectoires qui ont contribué à la formation du territoire. En complément des aspects historiques décrits dans le premier chapitre, quelques éléments politiques sont à ajouter. Comme l’explique Taillard, le Laos est à la fois une terre de transition entre deux grands ensembles physiques, un pays de passage pour le commerce, et un carrefour des peuplements. Mais, par sa configuration spatiale et son histoire, le Laos est aussi un État-tampon. Depuis le 10ème siècle, le Laos « s’est trouvé au centre de tous les conflits entre les puissances du nord et du sud d’abord, puis entre celles de l’est et de l’ouest ensuite » (Taillard, 1989 : 29-31). Malgré son statut d’État dominé, le pays est parvenu à se maintenir, notamment grâce à son système politique :

On touche ici à l’une des conditions de reproduction de l’État-tampon : ses principaux voisins veulent qu’il existe un allié sûr à leurs marges, de manière à les séparer d’un ennemi potentiel ou à leur garantir l’accès à un axe stratégique. C’est ce qui explique que le Laos, malgré un rapport de force défavorable avec ses voisins, ait pu persister jusqu’à nos jours alors qu’il a été, en maintes occasions depuis le XVIIIe siècle, sur le point de disparaître (ibid, 1989 : 31).

Désormais, l’État laotien espère pouvoir jouer un rôle plus important à l’échelle régionale. Avec la fin de la Guerre froide et des guerres d’Indochine, Dwyer parle alors de « regional economic (re)integration » (2014 : 386) avec pour objectif de transformer les « battlefields into marketplaces », selon le mot du Premier ministre thaïlandais Chatichai Choonhavan, en 1988. Le processus d’intégration politique du Laos à l’échelle régionale s’est déroulé en quelques étapes depuis le début des années 1990. Son adhésion à l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) le 23 juillet 199718 constitue l’un des premiers aboutissements majeurs venant lui donner un rôle, même minime, sur la scène politique internationale (Pholsena et Banomyong, 2004 : 30). L’une des principales raisons de l’adhésion du Laos à l’ASEAN est simplement dû au fait que le pays n’avait aucun intérêt à rester indéfiniment isolé. Les dirigeants laotiens de l’époque le savaient ; d’où la nécessité des réformes du NME qui ont mis fin à l’isolement économique et diplomatique du pays, tout en réorientant sa politique interne, devenue plus ouverte et moins restrictive (Kislenko, 2009 : 46). Wang confirme

18 Suivie par son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (WTO) le 2 février 2013.

50 cette démarche et précise que les principales motivations d’intégration des pays d’Asie du Sud-Est sont politiques et économiques. Ces motivations permettent notamment de consolider la paix, d’accroître la sécurité régionale, de rendre les pays faibles plus forts en étant unis plutôt que divisés, d’établir des accords commerciaux régionaux réciproquement préférentiels, etc. (2005 : 22-23). D’autres motivations sont aussi énoncées par Tung, lorsqu’elle passe en revue les trois grandes théories de relations internationales en Asie, afin de comprendre les relations entre le Vietnam et l’ASEAN (2002 : 109-118). Pholsena et Banomyong transposent cette grille au cas du Laos, ce qui permet similairement d’appréhender les relations du pays avec l’organisation. (i) Le Laos a plus à gagner par la coopération que par la compétition. L’ASEAN permet au pays d’avoir, d’une part, une plus grande visibilité internationale et, d’autre part, lui confère un statut plus égal face à des pays voisins bien plus puissants. (ii) Sa participation à des institutions multilatérales permet de servir ses intérêts nationaux, comme la sécurité. Un exemple concernait le contentieux avec la Thaïlande au sujet de la délimitation des 1 754 kilomètres de frontières terrestres et fluviales, source de tensions entre les deux pays (St John, 1998 : 38)19. L’adhésion du Laos à l’ASEAN a ainsi offert la possibilité d’entreprendre des débats plus apaisés avec la Thaïlande. (iii) Basé sur une vision constructiviste, l’ASEAN promeut la paix régional et la stabilité, ce qui garantit au Laos une certaine autonomie dans sa politique intérieure comme étrangère. À l’inverse, durant les périodes de conflits qui opposaient des nations plus fortes, le pays était contraint de se rallier à un camp en raison de sa vulnérabilité (Pholsena et Banomyong, 2004 : 35-45). Au final, comme l’affirme Weightman, l’union de ces pays leur a jusqu’à présent offert plus d’avantages que de contraintes : « These economic agreements might change the face of ASEAN, which until recently has been most effective in the political arena, curbing hostilities and acting as a forum to solve numerous disputes. Most importantly, a strong regional identity has been created among its members » (2011 : 409). Parallèlement, l’association des pays d’Asie du Sud- Est leur concède l’opportunité de faire face aux nouveaux enjeux globaux, et plus particulièrement de faire contrepoids à la puissance chinoise (Shambaugh, 2013), supérieure économiquement (Ng, 2007 : 188) et militairement (Fravel, 2008 : 125).

19 Voir Michel Bruneau (2006) L’Asie d’entre Inde et Chine – Logiques territoriales des États, pour plus d’informations.

51 Lorsque Ng discute de l’émergence économique de la Chine et des implications politiques pour l’Asie du Sud-Est, il se demande : « Does China pose a threat? » (2009 : 188). À partir de 1995, lorsque la Chine fut officiellement accueillie par l’ASEAN comme partenaire de dialogue, les objectifs stratégiques du pays avec la région ont été (i) de maintenir un environnement stable sur ses périphéries, (ii) d’encourager les liens économiques qui contribuent à la modernisation du pays et à la stabilité du régime, (iii) de convaincre les autres pays que la Chine n’est pas une menace, et (iv) d’être reconnue comme la puissance asiatique externe la plus influente (Bronson, 2007 : 5-7). Cette campagne diplomatique, plus familièrement connue comme la China’s Charm Offensive (Kurlantzick, 2007), vise à embellir les relations qui, selon les mots de Wen Jiabao – ancien Premier ministre du PRC – « hoped that Southeast Asian countries would come to regard China as a ‘friendly elephant’ »20. Ainsi, la Chine ne représenterait pas directement une menace pour la région mais davantage un partenaire commercial de poids, même si fortement concurrentiel. De plus, comme le pays est largement dépendant de l’importation de ressources naturelles pour son développement, ce que Mondejar et Chu n’omettent pas en comparant l’Asie du Sud-Est continentale au « China’s own backyard » (2005 : 211), son intérêt primordial est d’accroître son influence dans la région. Pour la Chine, le Laos représente un partenaire commercial de choix « because of the country’s ample mineral resources, hydroelectric and agricultural potential, and because of its key geographic location between China’s landlocked southwestern provinces and Thailand » (Storey, 2011 : 170). Bien que la Chine soit toujours en concurrence avec le Vietnam et la Thaïlande pour devenir le principal investisseur et partenaire commercial du Laos, il est vraisemblable que la Chine prenne graduellement la main en raison du nombre croissant d’investissements et de migrants chinois qui traversent la frontière – en provenance du Guangdong, du Guangxi, du Sichuan et du Yunnan (Pina-Guerassimoff et Guerassimoff, 2004 : 96). Dû à son étroite relation avec le Vietnam (Case, 2011 : 206), le gouvernement laotien espère préserver un certain équilibre dans sa relation avec la Chine « but maintaining that equilibrium will inevitably become far more challenging » (Storey, 2011 : 175). De la même sorte, même si la plupart des pays membres de l’ASEAN ont bénéficié de l’émergence de l’économie chinoise, certains craignent « that some Southeast Asian countries may fail to catch up as China moves up its

20 The Straits Times « Wen spells out China’s “friendly elephant” role », 15 mars 2004.

52 technological ladder so much so that such complementary relationships may break down in the future [and some] have expressed their concern of de-industrialization and a repeat of old colonial division of labour » (Ng, 2009 : 205).

La progressive intégration politique du Laos à l’échelle régionale lui a donc permis de prendre part aux jeux diplomatiques tout en contribuant à l’essor économique de la région. Pour autant, ce gain de visibilité confronte aussi le pays à de nouveaux enjeux, qui nécessitent de trouver un juste équilibre, comme avec ses voisins chinois et vietnamien.

2.1.3 La sous-région du Grand Mékong

Promue dès 1992 par la Banque asiatique de développement (BAD), la sous- région du Grand Mékong (GMS) est un projet d’intégration transnationale des pays d’Asie du Sud-Est continentale, et plus spécifiquement des quatre pays riverains du bassin inférieur du Mékong, de la Birmanie et des deux provinces chinoises du Guangxi et du Yunnan. Ce projet vient en complément de l’ASEAN et vise à rassembler aujourd’hui plus de 326 millions d’habitants21 dans un espace intégré par le marché, comme en témoigne Mitsuo Sato, ancien président de la BAD : « le Mékong n’est plus un facteur de division mais un trait d’union, symbole d’un nouvel esprit de coopération »22 (Taillard, 2004 : 380). Cette vision stratégique de la BAD, fondée sur une logique d’intégration régionale et de dynamisme transnational, cherche à relancer les échanges commerciaux dans la péninsule – interrompus après plusieurs décennies de guerres et de rivalités politiques – et sortir des pays comme le Laos de leur « isolement » économique et géographique (ibid, 2004 : 381). L’opportunité de placer le Laos au centre d’un tel réseau lui permettrait, d’une part, d’avoir un meilleur accès aux marchés internationaux via les ports et, d’autre part, de devenir un axe principal d’échanges plutôt qu’une simple zone de transit secondaire (Pholsena et Banomyong, 2004 : 143-144) ; comme le décrit Sisouphanthong « from land-locked to land-linked status » (2014 : 177). Malgré tout, cette représentation dichotomique (centre versus périphérie) partagée par le gouvernement laotien et divers organismes internationaux reste à nuancer. Car, dans une perspective plus historique, le Laos se situe depuis

21 BAD (2016) « Greater Mekong Subregion (GMS) », disponible en ligne : http://adb.org/countries/gms/overview. 22 Allocution de Mitsuo Sato en 1992 lors de sa présentation sur la vision stratégique d’intégration de l’ASE continentale.

53 plusieurs siècles au cœur de réseaux de transports et d’échanges transfrontaliers, comme l’exposent Pholsena et Banomyong :

Les caravaniers yunnanais empruntèrent les routes de commerce à l’est du Tibet, sillonnant l’Assam, la Birmanie, la Thaïlande, le Laos et le nord du Viêt Nam (Tonkin), jusqu’aux provinces chinoises du Sichuan, de Guizhou et du Guangxi. Deux routes principales reliaient, en particulier, le sud du Yunnan au nord de la Thaïlande : la route birmane, à l’ouest, de Keng Tung à la province de Chiang Rai, et la route orientale qui, de la province de Phongsaly, descendait vers l’ouest, traversant [Luang Namtha,] Luang Prabang et le Mékong pour arriver à Chiang Khong, près de l’actuelle frontière septentrionale de la Thaïlande (Pholsena et Banomyong, 2004 : 144)23.

De ces réseaux commerciaux transfrontaliers ont par la suite émergé des espaces d’échanges plus localisés, comme le tristement célèbre Triangle d’or, situé au point de rencontre des frontières de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande. Comme l’explique Bruneau, l’émergence du Triangle d’or est le résultat de l’alliance entre les producteurs d’opium hmong et les commerçants caravaniers hui dans le trafic clandestin de drogues. Dès lors, si l’on considère ces réseaux de trafics d’opium, alors « le Triangle d’or est [déjà] l’amorce d’un espace transfrontalier » (Bruneau, 2006 : 240). Aujourd’hui, sous l’égide de la GMS, le Triangle d’or a été surnommé le Quadrilatère d’or – intégrant désormais la province du Yunnan – dans une perspective économique légale, promouvant la coopération bilatérale et l’élaboration de projets d’exportation des ressources – l’opium et son commerce ayant été majoritairement éliminés (Dwyer, 2014 : 382). Comme ailleurs en Asie du Sud-Est continentale, ces zones de coopération économiques transfrontalières, sous-espaces d’intégration à l’intérieur de la GMS, se sont progressivement complexifiées à partir de 2002 avec l’ajout d’un nouvel outil par la BAD, à savoir, les corridors économiques (Rimmer, 2004). Ces corridors économiques adoptent différentes formes – corridors de transport, d’urbanisation ou de développement – selon les stratégies employées, et servent avant tout d’outils de planification et d’intégration régionale, visant aussi bien à attirer les projets d’investissements qu’à renforcer les processus de croissance économique (Fau, 2014 : 12-17). Selon Tertrais, trois principaux corridors économiques peuvent être identifiés au sein de la GMS (Figure 2.2) : un corridor « nord-sud » partant de Kunming (Yunnan) et

23 Voir Andrew D.W. Forbes (1987) « The “Čīn-Hō” (Yunnanese Chinese) Caravan Trade with North Thailand during the Late Nineteenth and Early Twentieth Centuries » pour une discussion approfondie.

54 dont les branches s’orientent vers Hanoï, Bangkok et Rangoun ; un corridor « est- ouest » reliant la Mer Andaman à la Mer de Chine méridionale, du sud du Myanmar au centre du Vietnam en passant par la Thaïlande et le Laos ; et un corridor « sud » jumelant Bangkok et Ho Chi Minh-ville (Tertrais, 2014 : 49). Dans une vision d’ensemble, selon la BAD, la coopération dans le GMS aide les pays de la région, dont le Laos, à atteindre des objectifs concrets et durables. Jusqu’en 2022, huit priorités et initiatives sont inscrites dans le cadre stratégique de la GMS : (i) développer les corridors économiques, (ii) renforcer les réseaux de transports terrestres, (iii) offrir des énergies compétitives et durables, (iv) accroître les réseaux de communications et d’informations, (v) promouvoir le tourisme, (vi) soutenir l’agriculture durable, (vii) intensifier la protection environnementale, et (viii) soutenir le développement humain24.

24 « Taking Action for Inclusive and Sustainable Development in the Greater Mekong Subregion », infographie en ligne de la Banque asiatique de développement, 08 septembre 2015.

55 Crédits : C. Taillard – UMR CASE Figure 2.2 : Anciens et récents réseaux transfrontaliers et transnationaux en Asie du Sud-Est continentale

56 L’intégration du Laos dans une économie régionale est à considérer tant avec des opportunités qu’avec des défis, comme le développe Sisouphanthong. Pour lui, d’un côté, le pays bénéficie d’un environnement politique stable, se situe dans un espace stratégique – au cœur de la GMS –, dispose d’abondantes ressources naturelles et profite d’accords de commerce préférentiels avec ses partenaires voisins du fait de son statut de PMA. Par ailleurs, son intégration récente à l’ASEAN, à la GMS, et d’autres structures internationales, a entrainé une augmentation des flux de capitaux étrangers, de nouvelles technologies et de savoir-faire. Enfin, la rapide croissance de la Chine et du Vietnam, en plus d’autres pays membres de l’ASEAN, occasionne une demande accrue en biens et services au Laos. De l’autre, certaines caractéristiques de l’économie laotienne demeurent des obstacles qui limitent les gains générés par l’intégration. Premièrement, la transition d’une agriculture de subsistance à une agriculture davantage industrielle crée des défis d’adaptation pour la main d’œuvre paysanne. Deuxièmement, la majorité des secteurs privés sont de taille réduite et ont une faible avance technologique, ce qui limite leur compétitivité à l’international et donc leurs bénéfices. Seul le secteur de l’exploitation des ressources naturelles permet d’absorber des bénéfices significatifs. Troisièmement, malgré certains progrès, beaucoup d’efforts restent à faire pour améliorer les infrastructures publiques, en particulier les réseaux de transports terrestres à l’échelle nationale, très couteux pour l’État laotien (Sisouphanthong, 2014 : 182-184). Face à ce constat, plusieurs échelles doivent être considérées afin d’optimiser les bénéfices de l’intégration et minimiser les pertes. Une analyse approfondie d’un cas dans les régions montagneuses nord laotiennes, en l’occurrence celui de la province de Luang Namtha, peut ainsi fournir matière à quelques réflexions complémentaires.

2.2 Quelle place pour les régions montagneuses nord laotiennes ?

Après avoir offert un bref aperçu de la province de Luang Namtha, seront analysés les différents éléments qui favorisent ou ralentissent son processus d’intégration, tant à l’échelle nationale qu’interrégionale. Le développement des corridors économiques, la promotion de l’écotourisme, les phénomènes de migration des populations laotiennes, et l’influence des réseaux chinois dans la redéfinition économique et territoriale de la province, constituent, entre autres, ces éléments de réponse.

57 2.2.1 La province de Luang Namtha dans son ensemble montagneux

Située dans les régions montagneuses du nord-ouest laotien, la province de Luang Namtha est l’une des 17 provinces qui composent le pays. Elle s’insère, comme mentionné auparavant, au sein du massif Sud-Est asiatique, espace caractérisé plus récemment sous le nom de Zomia (van Schendel, 2002). Rappelons aussi que pour Scott, Zomia est une région où les : « hill peoples are best understood as runaway, fugitive, maroon communities who have, over the course of two millennia, been fleeing the oppressions of state-making projects in the valleys » (2009 : 9). La Zomia serait ainsi une « zone-refuge » où les peuples – dont ceux vivant dans la province de Luang Namtha – n’ont pas encore été entièrement intégrés aux États-nations, et qui est désormais, plus que jamais, visée par des projets de constructions nationales et atteinte par le phénomène de mondialisation de l’économie de marché.

Sur le plan administratif, la province de Luang Namtha se divise en cinq districts – Long, Namtha (la capitale), Nalae, Sing et Vieng Phoukha –, couvre une surface approximative de 9 391 kilomètres carrés, et comptait en 2014 environ 179 880 personnes répartis dans 364 villages (GoL, 2014b : 1). Elle partage au nord une frontière de 140 kilomètres avec la province chinoise du Yunnan, tandis qu’à l’est, le Mékong s’étend sur plus de 130 kilomètres et fait office de frontière avec la Birmanie. Les provinces laotiennes de Bokeo et d’Oudomxay forment quant à elles le reste des limites au sud-ouest et sud-est (Figure 2.3). Durant ces dix dernières années, le taux annuel moyen de croissance démographique a été de 3,3% et la densité de population est approximativement de 19 habitants par kilomètre carré (ibid, 2014b : 1-2). Ces statistiques montrent que la population provinciale a crû à une allure plus rapide que la population nationale (environ 1,6% pendant la même période), mais la densité reste loin derrière d’autres provinces du pays. Sur le plan ethnique, parmi les 49 groupes officiellement reconnus au Laos depuis 2008, Luang Namtha est l’une des provinces qui offre la plus grande diversité avec 23 groupes (Nolintha, 2012b : 153), incluant près de 180 000 personnes qui habitent dans la province. La majorité appartient aux groupes Akha, Hmong, Khmu, Lanten, Tai Dam et Tai Lue, dont beaucoup pratiquent un mode de vie basé sur une agriculture de subsistance, comme la culture du riz pluvial (Trébuil et Hossain, 2000) et la récolte de produits forestiers (Rigg, 2006). Les minorités ethniques représentent ainsi la majorité de la population dans la province, comme dans l’ensemble de la région nord du Laos.

58 Vincent Rolland, ArcMap, 2016

Figure 2.3 : La province de Luang Namtha

59 L’économie de la province de Luang Namtha est principalement basée sur l’agriculture, qui représentait en 2014 environ 51,6% de son PIB, bien que cette part soit continuellement en baisse (environ 73,6% en 2006). Elle est suivie par les secteurs des services et l’industrie, respectivement 26,2% et 22,4%. Entre 2013 et 2014, le PIB provincial a crû de 8,9%. Le secteur de l’industrie est celui qui a crû le plus rapidement (12,7%), suivi par l’agriculture et les services. La domination brute du secteur agricole est visible tant en termes de surfaces que de volumes de production. En 2014, la surface totale dédiée à la culture du riz (inondé et pluvial) était de 18 829 hectares avec une production totale de 66 362 tonnes. Plus de 75% du riz produit est issu de la pratique inondée (GoL, 2014b : 2-4). Les surfaces agricoles dédiées aux plantations ont aussi fortement augmenté, mais cet aspect sera étudié plus en détails par la suite. Par ailleurs, la présence de charbon – dans le district de Vieng Phoukha – et de cuivre – dans le district de Long – a favorisé des compagnies chinoises à venir investir dans des projets d’exploitation et d’exploration. En 2014, quelques 36 000 tonnes de charbon et 18 400 tonnes de cuivre ont été extraites dans la province et exportées en Chine (GoL, 2014b : 5). Selon le bureau provincial des ressources géologiques et minérales, des gisements de fer et d’antimoine seraient également présents.

En ce qui concerne les deux principaux districts de cette l’étude ; le district de Nalae détient historiquement un rôle central quant au transport de marchandises sur la rivière Nam Tha. Grâce à son méandre de plus de 325 kilomètres – qui débute en Chine et rejoint en aval le Mékong – la Nam Tha a longtemps servi pour le transport interrégional, assurant la distribution des biens dans cette région ; il faut comprendre que 98% du territoire de Nalae est montagneux. La plupart des communautés Khmu et Tai Lue, installées le long de la Nam Tha depuis plusieurs siècles, dépendent encore aujourd’hui des ressources offertes par la rivière. Le district de Sing bénéficie quant à lui d’un développement économique intimement lié à son voisin chinois. Les investissements dans le secteur agricole y sont particulièrement visibles. Le district accueille un grand nombre de personnes d’origine chinoise mais on peut aussi y apercevoir une population ethnique diverse, notamment des Akha et des Tai Lue, qui seraient originaires de Chine, de Birmanie et du nord-ouest du Vietnam (LNTA-NZ, 2010).

60 2.2.2 Une région carrefour convoitée

À partir de ce bref aperçu, il convient d’identifier les différents rouages qui, à l’échelle de la province, contribuent ou non à faciliter et à stimuler le processus d’intégration encouragé par l’État laotien. Ces éléments de réponse permettent aussi de mieux saisir les dynamiques locales et les tendances, actuelles comme à venir, qui façonnent la région et participent à sa construction.

Comme l’introduit Nolintha, « the upper-north region of Laos is one of the most promising and at the same time challenging areas for development » (2012b : 150). En plus d’inclure la province de Luang Namtha, l’auteur précise que la région du nord laotien comprend aussi les provinces de Bokeo, d’Oudomxay et de Phongsaly. Ensemble, les quatre provinces se situent dans un espace stratégique à proximité de la Chine, de la Thaïlande et du Vietnam : trois économies qui offrent un potentiel considérable pour le commerce, les investissements et la logistique. Au sein de cet espace se déploie le couloir économique nord-sud (North-South Economic Corridor) de la GMS et traverse les provinces de Bokeo et de Luang Namtha. Au Laos, la route nationale 3 est l’une des vertèbres constituant la colonne du NSEC qui s’étend de la Chine à la Thaïlande, de Kunming à Bangkok. Le couloir est déterminant pour le développement et l’intégration régionale des deux provinces laotiennes (Nolintha, 2012b : 150-152). En complément de ce couloir économique, la province de Luang Namtha est comprise dans le Northern Region Economic Development Master Plan, mis en place par le gouvernement laotien en 2008 pour accélérer la croissance économique de neuf provinces dans la partie nord du pays. « This plan comprehensively examines the potentials, challenges, development models and options, shaping the key development direction for the northern region until 2020 » (Nolintha, 2012a : 46). Luang Phrabang a été désignée comme le centre économique de ce master plan, en raison de sa position centrale et de son statut de « moteur économique » du nord (Oraboune, 2012 : 64). Parmi les trois corridors économiques proposés dans le plan, l’un d’entre eux relie la Thaïlande et le Vietnam en passant par Luang Namtha. L’objectif du master plan vise à développer, sur le long terme, un réseau national d’infrastructures routières afin d’améliorer la connectivité des provinces du nord du pays avec le reste du Laos et les pays voisins (Sisouphanthong, 2014 : 186-187). Dans le cas de Luang Namtha, ce développement routier consiste notamment à implanter de trois postes frontières majeurs pour favoriser les échanges terrestres, notamment

61 commerciaux. Deux font le passage avec la Chine : Mohan-Boten dans le district de Namtha (Photo 2.1) et Panghai dans le district de Sing ; et un troisième avec la Birmanie, celui de Xiengkok dans le district de Long (GoL, 2014b : 6-7).

Figure 2.4 : Poste frontière de Mohan-Boten, district de Namtha, juin 2015

Malgré tout, l’aboutissement d’un tel projet pour l’ensemble des provinces du nord n’est pas sans difficultés. D’abord, l’une des contraintes de la région résulte de ses zones de hautes altitudes et de sa topographie majoritairement montagneuse, qui engendrent des complications en matière d’accessibilité et de connectivité avec certains lieux isolés. Par ailleurs, le master plan nécessite une mobilisation considérable de ressources et demande une importante coordination entre les différents projets, un défi potentiel pour le gouvernement laotien.

La construction d’une ligne de train à grande vitesse entre Kunming et Vientiane vient aussi d’être convenu entre le gouvernement chinois et laotien, en novembre 2015. Comme l’annonce le magazine The Diplomat, ce mégaprojet de plus de 40 milliards de yuans (6,3 milliards de dollars ÉU) sera à 70% financé par la Chine, le gouvernement laotien étant responsable des 30% restants. Ce tronçon de 418 kilomètres fait partie d’un projet plus vaste, The Kunming-Singapore Railway, qui prévoit de relier avant 2020 la partie sud-ouest de la Chine avec l’Asie du Sud-Est, de Kunming à Singapour, en moins

62 de dix heures, en passant par le Laos, la Thaïlande et la péninsule malaise25. Parmi les 31 gares prévues sur le trajet, Luang Namtha fera partie des localités desservies. Ainsi, en considération des différents couloirs économiques incluant Luang Namtha, ou des projets dispendieux convenus avec la Chine, la province se trouve dans un enchevêtrement complexe de projets, jouant tous en faveur d’une intégration rapide des régions montagneuses, comme l’affirme Lyttleton : « Modernity has arrived with a rush in the Lao mountains » (2011 : 282).

Autre initiative favorisant, en partie, l’intégration de la province, concerne la promotion de l’écotourisme. Depuis l’ouverture du Laos aux touristes internationaux au début des années 1990, l’industrie touristique du pays absorbe une forte croissance, au point d’avoir dépassé en 2005 le million de visiteurs (LNTA, 2005 : 5). En réponse au besoin urgent de disposer, d’une part, de services et d’infrastructures adéquats pour accueillir les touristes, et de développer, d’autre part, « a sustainable, endogenous model for community-based culture and nature tourism » (Schipani et Marris, 2002 : 1), le gouvernement laotien et le bureau régional pour la culture en Asie et dans le Pacifique de l’UNESCO ont conjointement lancé en octobre 1999 le projet d’écotourisme Nam Ha (PENH) à Luang Namtha26. Les principaux contributeurs de ce projet sont le gouvernement de Nouvelle-Zélande (NZAID) et le gouvernement du Japon (Schipani et Marris, 2002 : 2). Situé à l’intérieur de la Zone Nationale de Conservation de la Biodiversité (ZNCB) de la Nam Ha, le PENH occupe une superficie de 222 400 hectares et est contigu avec l’aire protégée de Shiang Yong au Yunnan (Hedemark et Vongsack, 2002 : 6). En plus de contenir une flore exceptionnelle, la ZNCB préserve l’habitat de 37 mammifères – dont le tigre du Bengale, l’éléphant d’Asie, l’ours malais et la panthère nébuleuse, toutes des espèces en voie de disparition – et de plus de 288 espèces d’oiseaux (Tizard et al, 1997). Depuis la mise en opération officielle du PENH en 2001, le nombre de touristes internationaux à Luang Namtha a augmenté de 24 700 en 2000 à plus de 380 400 en 2014 – soit quinze fois plus en moins de quinze ans – (LNTA, 2000 ; LNTA, 2014) en particulier pour profiter des différents sites culturels et naturels qu’offre la province. Par ailleurs, cette hausse de touristes s’est proportionnellement accompagnée d’une augmentation de leurs dépenses dans la

25 The Diplomat, « China, Laos to Build $6 Billon Railway by 2020 », 16 Novembre 2015, http://thediplomat.com/2015/11/china-laos-to-build-6-billion-railway-by-2020/ 26 Voir le mémoire de Vincent Landry (2010) « Écotourisme, environnement et stratégies d’acteurs au Laos : L’écogouvernance dans le corridor économique Nord-Sud » pour plus de détails à ce sujet, 55-78.

63 province – au bénéfice de l’économie provinciale – et a aussi bien offert aux populations locales de nouvelles opportunités d’emplois que des moyens de subsistance alternatifs (UNDP, 2012 :10). Comme le mentionnent Schipani et Marris :

All revenue the Nam Ha Ecoguide service generates from the trekking operations is retained in Luang Namtha. Profits are re-invested in small- scale development activities or to expand community-based ecotourism in the province [ 27 ]. Participating communities receive substantial direct economic benefits by proving food and lodging, guide services, and through the sale of handicrafts (Schipani et Marris, 2002 : 3).

Pour sa contribution exemplaire envers la réduction de la pauvreté au Laos et la préservation durable de l’environnement, le PENH a reçu plusieurs récompenses dont le United Nations Development Award en 2001, le Equator Prize en 2006 et le Ecotourism Spotlight Award en 200928. Référence anecdotique, le magazine Pacific Asia Travel Association (PATA) Compass a aussi décrit dans son numéro de Novembre/Décembre 2010 le Laos comme « Simply Beautiful : as an eco-tourism hotspot, Laos is blossoming » (Rosenbloom, 2010 : 46). Parmi les autres avantages que Schipani met en avant, on peut noter que l’écotourisme à Luang Namtha : (i) crée de l’emploi et génère des bénéfices financiers pour les populations locales, (ii) génère des fonds publiques pour la protection de la culture et de l’environnement, (iii) permet des échanges interculturels appropriés en petits groupes, (iv) minimise les impacts néfastes sur la culture locale et l’environnement, (v) détient une forte composante éducative (éducation et sensibilisation vis-à-vis de l’environnement), et (vi) dissuade certaines activités illégales, comme le braconnage, à l’intérieur de la ZNCB (Schipani, 2006 : 8). À l’inverse, ce type de projet peut aussi avoir des conséquences négatives pour les populations locales, en particulier pour les minorités ethniques. Comme discuté lors d’un entretien avec Jean Michaud, professeur au département d’anthropologie de l’Université Laval et spécialiste de cette région :

27 En 2005, 69% des bénéfices générés par le « Nam Ha Ecoguide service » ont été reversés aux populations locales. 28 Consulter www.ecotourismlaos.com/news/index.htm pour plus d’informations sur ces récompenses.

64 « Il va se produire au Laos ce qui se produit en Chine depuis déjà une vingtaine d’années, c’est-à-dire que l’État, en intégrant ses populations marginales, décide, à des fins purement commerciales et touristiques, de conserver un côté folklorique chez les populations. Comme certains endroits au Yunnan, on fabrique une tradition qui se traduit par des vêtements à codes fixés, des manières de chanter et de danser. Les touristes chinois viennent par millions voir, à heures fixes, ces gens danser et s’habiller de manière particulière, et ces codes deviennent la seule distinction qui demeure de ces populations ethniques. Pour le reste, ils oublient leur langue, vont vivre à la ville, et se comportent comme des Chinois. Le Laos va finir par le faire bientôt, par inventer des villages vitrines dans lesquels les gens vont se comporter comme des minoritaires, tel que conçu dans l’esprit de ceux des basses terres » (Entretien, 18 novembre 2014).

Jullien soutient ces idées en parlant d’aliénation d’une population par une autre, et où les minorités ethniques sont par la suite « conduites malgré elles à produire une étrangeté factice, [un] théâtre de “l’indigène”, [et à] simuler ce qui serait […] une pseudo-identité » (2010 : 26-28). Le PENH présente ainsi de nombreux avantages, tant socioéconomiques qu’environnementaux pour la province. Mais, dépendamment des politiques futures du gouvernement, le tourisme pourrait aussi avoir à long terme des effets pervers sur les populations ethniques minoritaires locales – notamment sur leurs cultures et leurs manières de vivre – et affecter le processus par lequel ces populations sont intégrées.

Les phénomènes de migration et de mobilité des populations laotiennes représentent aussi un autre rouage de l’intégration de la province. Du recensement national de 1995 au recensement de 2005, des dynamiques inégales de croissance démographique dans les provinces pouvaient être identifiées. Les provinces du nord-est et du nord ont affiché un solde migratoire négatif, tandis que les provinces du nord- ouest, en particulier les districts de Namtha et de Sing, étaient bien plus attractives, signes d’une tendance vers un déséquilibre démographique. Comme le décrit Bouté, ceci peut surtout s’expliquer par l’ouverture des frontières, l’augmentation des échanges transfrontaliers avec les provinces de Bokeo et de Luang Namtha et, subséquemment, la formation du NSEC, qui offrent toutes d’importantes opportunités économiques pour les populations nord laotiennes (Bouté, 2014 : 399-403). Ces phénomènes de migration et de mobilité ont donc non seulement engendré des changements territoriaux, mais sont aussi plus intimement liés à certains faits sociaux.

65 Sur le plan territorial, des populations montagnardes ont été ou se sont déplacées vers les plaines et les villes (Taillard et Bounthavy, 2000 : 57) – majoritairement pour démarrer des plantations commerciales – en accord avec les politiques nationales de sédentarisation. La plupart des villages situés loin des routes ont par conséquent disparus, tandis que ceux situés le long des routes ont fleuri (Évrard, 2011), accompagnés par l’agrandissement des centres urbains déjà existants (Tableau 2.1). Entre 2005 et 2010, le taux de croissance de la population urbaine au Laos a été d’environ 5,6%, par année, plus du triple de la croissance de la population nationale, alors de 1,8%, par an sur la même période (Data Banque mondiale, 2016). En 2005, la population urbaine représentait près de 27% de la population totale laotienne, et en 2015 déjà plus de 39% (Data Banque mondiale, 2016). Franck ajoute qu’avec le processus de régionalisation et les mouvements de populations, les hiérarchies urbaines sont amenées à être reconfigurées. Dans le cadre du GMS, et particulièrement des provinces du nord- ouest, les villes situées dans les corridors sont désormais intégrées dans des réseaux qui transcendent les frontières nationales (Franck, 2014 : 269-298). Malgré tout, la convergence de nombreuses personnes dans certaines provinces, comme Luang Namtha, a entrainé durant les dernières années une forte pression foncière, corrélée à une augmentation des prix, et graduellement, un manque d’opportunités économiques pour les nouveaux migrants (Bouté, 2014 : 404). Ainsi, il n’est pas rare d’identifier des paysans qui ont abandonné leurs terres dans l’ancien village et qui se retrouvent sans terre dans le nouveau village, car plus aucune n’était disponible au moment de leur arrivée. C’est le cas de quelques-unes des personnes rencontrées dans le district de Sing, en juillet 2015.

Tableau 2.1 : Population urbaine dans les provinces au nord du Laos, 1995-2005 (en nombre d’habitants et en pourcentage de la population totale) Phongsaly Houaphan Oudomxay Luang Namtha

habitants % habitants % habitants % habitants %

1995 8 658 5,7 14 404 5,9 31 678 15,1 19 621 17,1

2005 20 854 12 ,6 33 022 11,8 40 409 15,2 31 734 21,8

Source : Bouté, 2014 : 406

66 En ce qui concerne les aspects sociaux, plusieurs raisons poussent les populations montagnardes à migrer vers les plaines. Comme l’analyse Bouté, « migrating is much more a choice by default than a real economic rational choice » (2014 : 407). La transition vers l’agriculture commerciale est devenue presque inévitable. D’une part, avec l’interdiction de la pratique d’une agriculture itinérante et de la culture de l’opium, généralement peu d’autres options économiques sont possibles dans les régions montagneuses. D’autre part, l’exode d’habitants d’un village incite les autres à partir aussi, principalement pour rester avec les membres de leur famille (ibid, 2014 : 407). De plus, les autorités des provinces et des districts ont largement diffusé l’idée que vivre dans les régions montagneuses est synonyme de misère. L’impact de ces perceptions n’est pas à négliger puisque qu’elles motivent souvent les populations à se relocaliser proches des services offerts par l’État (Lyttleton, 2005). Inversement, l’arrivée des populations montagnardes dans les plaines crée des problèmes sociaux, notamment visibles dans les capitales des provinces et des districts. Le développement de stratifications sociales apparaît, entre autres, à partir de la fin des années 1990, avec l’émergence de ce que Marx définit comme le prolétariat (Lyttleton, 2011 : 278). Bouté identifie cinq classes, avec des proportions variant selon la hiérarchie des lieux – capitale de province (Luang Namtha), capitale de district (Nalae/Sing) etc. On peut noter : les familles de commerçants, les familles de fonctionnaires, les familles mixtes (fonctionnaires et paysans), les familles de paysans, et les familles ouvrières (fréquemment main d’œuvre sur les plantations). Selon les classes, le revenu annuel moyen peut s’échelonner de quelque 3 millions de kip (370 dollars ÉU) à plus de 80 millions de kip (10 000 dollars ÉU) pour certaines familles commerçantes (Bouté, 2014 : 411). Par ailleurs, l’apparition des cultures commerciales a accéléré le processus de différentiation économique en fonction des opportunités d’accès à la terre (Ducourtieux et al, 2005). D’un côté, certains paysans propriétaires s’enrichissent en investissant dans les cultures commerciales, ce qui leurs permet d’augmenter leurs revenus. De l’autre, certains paysans, avec ou sans terre, s’appauvrissent, soit à cause d’endettements, soit en vendant progressivement leurs derniers biens (bétail, etc.).

To sum up, agriculture is turning into a business from which farmers are excluded. The paradox is the following: traders and civil servants have at present more land than farmers […]. This fact has already been established for […], rubber plantations had enriched the elite class of Lao PDR while producing many poor people who have to work in

67 the plantations and factories. So there is the emergence of a new category, the “landless farmers” (Bouté, 2014 : 415-416).

Enfin, l’influence et le rôle des réseaux chinois dans la métamorphose socioéconomique de la province nécessitent d’être explorés. Avec la construction du tronçon routier laotien de 228 kilomètres, faisant le lien entre Kunming et Bangkok, le NSEC a contribué à accélérer l’afflux de migrants et d’investissements en provenance de Chine. Comme le souligne Tan : « While [Chinese] are the main drivers of change, they are also the main “winners” on the verge of dominating the local economy by weaving their transnational networks into trade, agri-business, transport and tourism sectors » (Tan, 2014 : 427). De 1993 à 2008, 96% des investissements directs étrangers dans la province de Luang Namtha étaient d’origine chinoise, dont plus de 48% ont servi au développement du secteur agricole (GoL, 2009). Les secteurs de l’industrie (usines de traitement du caoutchouc et du tabac, entrepôts, etc.), du commerce et, dans une moindre mesure, des mines et de l’énergie hydraulique – bien qu’en forte augmentation –, sont aussi visés par les investisseurs chinois. Mais cette arrivée rapide d’investissements n’aurait pas été possible sans, d’une part, l’intervention des réseaux d’affaires transnationaux constitués par les nouveaux migrants chinois et, d’autre part, le rôle d’intermédiaire joué par un certain nombre de groupes ethniques minoritaires appartenant à la sphère culturelle chinoise, tels que les Hmong ou les Akha (Tan, 2014 : 431). Par ailleurs, cette nouvelle vague de migrants a amorcé la renaissance des communautés chinoises de la région, et du reste du Laos, présentes pour certaines depuis des siècles. L’arrivée au pouvoir du Pathet Lao en 1975 avait alors provoqué un exode massif de ces communautés vers les États-Unis d’Amérique, la France et l’Australie (Condominas et Pottier, 1982). Halpern (1961) et Rossetti (1997) distinguent deux types de communautés chinoises préétablies au Laos. D’un côté, principalement au nord, se trouvent les Chin Haw : caravaniers, trafiquants ou commerçants issus des migrations terrestres du quinzième siècle et en provenance du Yunnan. De l’autre, plus au centre et au sud, se sont répartis les Huaqiao : émigrés commerçants des provinces côtières de Chine méridionale (Guangdong, Fujian et Hainan) venus durant la période coloniale française pour faire affaire et prospérer29. En 2007, selon l’ambassade de Chine à Vientiane, 30 000 Chinois vivaient officiellement au Laos, mais leur nombre

29 Voir Purcell (1965), Pan (1999) et Tan (2015) pour plus d’informations sur ces communautés.

68 serait en réalité estimé à plus de 300 00030. Le nombre des populations chinoises dans les provinces nord laotiennes est difficile à évaluer, premièrement, à cause de la divergence des données aux échelles nationale et provinciale et, deuxièmement, en raison de l’importante mobilité de ces populations. Dès lors, « transnational networks are crucial to understanding migrant settlement and community building in Lao PDR » (Tan, 2014 : 432), notamment vis-à-vis du secteur agricole, activité prééminente de la province. Pour résumer, la construction du Laos et le processus d’intégration multiscalaire qui en découle s’effectuent suivant deux dynamiques majeures, l’international et le transnational. À l’échelle nationale, ces dynamiques s’affichent tant dans le volet économique que géopolitique, et contribuent conjointement à l’émergence progressive de la nation. À l’échelle provinciale, échelle plus révélatrice, à tout le moins proche, des réalités humaines, les rouages de cette intégration sont exposés, témoignant des différentes facettes du processus, à la fois bénéfiques et néfastes. Ainsi, bien que l’unification et la modernisation du pays soient les lignes directrices des politiques de l’État, l’intégration des uns peut parfois s’accompagner de la marginalisation des autres. Pour la province de Luang Namtha, quatre éléments de ce processus ont été avancés, chacun présentant, à leur mesure, des opportunités et des défis.

Maintenant qu’il a été possible d’identifier les différents rouages de l’intégration sur papier, grâce à la littérature scientifique, il convient désormais de se demander à quoi ressemble cette intégration sur le terrain. Existe-t-il des similitudes ou des différences ? Qu’est-ce qui permet d’identifier ces processus d’intégration ? Comment les populations montagnardes s’adaptent-elles aux projets de modernisation et de développement économique nationaux et internationaux ? À quoi peut-on rattacher cette adaptation ? Les prochains chapitres proposent des éléments de réponse à ces questions.

30 The Nation (2007) « Chinese investors invade Laos », http://www.nationmultimedia.com/2007/10/08/regional/regional_30051701.php

69 Chapitre 3 : L’intégration des régions montagneuses et de la province de Luang Namtha aux nouveaux systèmes territoriaux et économiques

3.1 Considérations méthodologiques

3.1.1 Choix du terrain et populations à l’étude

Depuis le début des années 1990, il est possible d’observer des transformations dans les régions montagneuses du Laos. Ces transformations, différentes selon les régions du pays, touchent en particulier les minorités ethniques montagnardes. La province de Luang Namtha fait, entre autres, partie de ces régions sujettes au changement. Le choix de cette province implique différentes considérations, dont notamment la présence de Chinois qui, par leurs investissements et leurs réseaux, accélèrent et intensifient les transformations à l’échelle locale. Le choix des districts de Nalae et de Sing suit, en partie, cette même logique.

Dans la phase initiale du projet de recherche, il était question de s’intéresser à un groupe ethnique spécifique : le peuple Khmou – appartenant à la famille austro- asiatique et au groupe linguistique des Môn-Khmer. Ce choix de populations d’étude se justifiait principalement pour des raisons numériques. Le peuple Khmou représente le plus grand groupe minoritaire du Laos et de la province de Luang Namtha. En 2013, ils constituaient environ 7,5% de la population du Laos, soit plus de 507 000 individus (CEFAN, Université Laval). Par ailleurs, ce peuple pratiquait jusqu’à récemment une agriculture itinérante, mais les politiques nationales de sédentarisation ont contraint la majorité à s’installer de façon permanente dans les zones définies par l’État, et à devenir des paysans. Au cours des premières semaines de terrain, il est devenu évident que se focaliser uniquement sur les villages Khmou – dans la province et les districts à l’étude – serait une tâche trop fastidieuse pour mon assistant et moi-même. Entre autres, le manque d’information, l’inaccessibilité en moto de certains lieux, l’imprécision des cartes à notre disposition, la limite de temps sur place et la méconnaissance de certains aspects pratiques de la recherche englobent toute cette difficulté. Dès lors, en plus des Khmou, l’étude s’est aussi intéressée aux peuples Akha (famille des Tibéto-Birmans) et Lue (famille des Lao-Tai), autres groupes ethniques minoritaires fortement présents dans la province. Suite aux entretiens, la répartition géographique de ces populations pouvait être identifiée ainsi : pour les deux districts choisis pour approfondir la

70 connaissance des dynamiques, les Khmou se situaient exclusivement dans le district de Nalae et les Akha exclusivement dans le district de Sing, tandis que les Lue se retrouvaient aussi bien dans les deux districts.

3.1.2 Cueillette des données et méthodes d’analyse

Pour récolter des informations concernant l’adaptation des populations ethniques aux projets d’intégration mis en œuvre par l’État, un séjour de terrain, d’une durée de dix semaines, du 25 mai 2015 au 26 juillet 2015, a été réalisé. Lors de ce terrain, deux groupes de personnes étaient ciblés : des personnes ressources – key informants – et des populations paysannes. Des outils, dont des questionnaires, ont été utilisés pour récolter les informations. À partir de questionnaires adaptés, selon les bureaux, huit entretiens avec des membres du gouvernement – key informants – ont permis d’obtenir des informations contextuelles précises sur les différents projets menés par l’État dans la province. Ces entretiens permettaient aussi d’examiner comment les key informants adoptent la position de l’État par rapport à cette intégration. Quels sont leurs perceptions et leurs avis à ce sujet ? Les départements contributeurs sont respectivement : Agriculture & Forestry ; Public Health ; Education ; Planning & Investment ; Environment & Natural Resources ; Geology & Mining ; Rural Development & Poverty Eradication. Pour les populations paysannes, des questionnaires semi-ouverts ont été privilégiés, abordant plusieurs volets comme : l’agriculture, le temps passé au travail, les moyens de communication, les conditions socioéconomiques, et les transformations générales du quotidien (Annexe 1). Ces questionnaires, basés sur d’autres études menées au Vietnam dans le cadre du programme Intégration des régions montagneuses d’Asie du Sud-Est continentale (IRMA), dirigé par Steve Déry au département de géographie de l’Université Laval, ont été modulés pour mieux répondre au contexte laotien. Un exemplaire en anglais et en lao a par ailleurs été fourni aux collaborateurs locaux. Au total, 60 villageois, dont 6 femmes, dans 15 villages ont été enquêtés : 28 dans le district de Sing et 32 dans le district de Nalae. Pour chacun des 15 villages, la priorité de l’entretien était donnée au chef du village, lorsque possible, pour avoir sa permission d’enquêter les autres villageois, mais aussi en raison de sa connaissance des lieux. Il pouvait ainsi, d’une part, nous présenter aux villageois et, d’autre part, nous fournir les informations générales et historiques du village. S’en suivent, dans le prochain paragraphe, quelques informations générales sur les 60 personnes interrogées.

71

Sur le plan ethnique, 24 personnes se sont identifiées d’origine mon-khmer (20 Khmou ; 4 Samtao), 19 d’origine sino-tibétaine (19 Akha) et 14 d’origine lao-tai (10 Lue ; 3 Tai Dam ; 1 Lao). Par ailleurs, deux se sont référées à l’ancienne classification, se disant Lao Theung (Lao vivant sur les pentes) et une dernière personne s’est identifiée au groupe ethnique des Karen (sino-tibétain). 45 personnes se sont dites animistes tandis que les 15 autres pratiquaient le bouddhisme. À ce propos, chez nos répondants, les Khmou et Akha sont davantage animistes tandis que les Lue sont davantage bouddhistes. La moyenne d’âge des participants était de 45 ans. Le plus jeune avait 19 ans et le plus vieux 70 ans. Enfin, avec un total de plus de 230 enfants, répartis entre les 60 participants, on compte en moyenne quatre enfants par participant.

L’analyse des questionnaires a permis de faire ressortir quatre grands thèmes : les connaissances agricoles, la modernité – faits qui témoignent des transformations de l’époque présente et de ce qui est jugé comme moderne –, l’éducation et la santé. De quelle manière ces thèmes montrent-ils si les populations sont intégrées ? Quelles pratiques et quels savoirs sont liés à l’agriculture ? Quels sont les témoins d’une vie moderne ? Quel rôle joue l’État dans l’établissement d’un système éducatif et sanitaire ? C’est dans cette même logique que sont présentés les résultats de l’étude. À partir d’une approche multi-niveaux (Déry, 2006b), considérée comme une approche permettant une compréhension plus complète des phénomènes d’adaptation que la simple approche déterministe (O’Keefe et al, 2010), les thèmes de la vulgarisation agricole et de la modernité sont traités suivant deux échelles : celle de la province et celle des districts de Nalae et de Sing. Les thèmes de l’éducation et de la santé sont de leurs cotés principalement étudiés à l’échelle de la province.

72 3.2 Changer l’utilisation du sol, les pratiques, et l’information

3.2.1 Le développement des cultures commerciales

Dans un contexte où l’État laotien souhaite hisser le pays hors de la pauvreté mais ne dispose pas de moyens suffisants, les investissements étrangers et l’aide internationale constituent une source de financement primordiale. Dans le secteur agricole, les plantations agro-industrielles – aussi dites commerciales – ont notamment fait l’objet de ces financements (Phimmavong et al, 2009). L’hévéa (Hevea brasiliensis) est entre autres un exemple de réussite au Laos, comme dans de nombreux pays sud-est asiatiques. Il a été introduit dans les provinces du nord laotien au début des années 1900, au moment de la colonisation française en Indochine (Fortunel, 2013). En 1906, alors que l’Asie du Sud-Est produisait seulement 1% du caoutchouc naturel mondial, elle parvint au tournant des années 1920 à en produire plus de 75% (Keong, 1976 : 181). Aujourd’hui, comme l’indique Shi : « Rubber, one of China’s four main industrial materials (the other three are coal, iron and petroleum), is of strategic importance in sustaining the country’s rapid economic growth » (2008 : 18). En plus d’être une matière indispensable dans l’industrie mondiale (Umar et al, 2011), la production de latex – ou caoutchouc naturel – apparaît, selon Manivong et Cramb (2008), comme un investissement lucratif pour des populations montagnardes pauvres, impliquées dans des politiques de sédentarisation et de réduction de la pauvreté. Depuis le début des années 1990, en conséquence de l’ouverture du pays au marché international, il est possible d’observer au Laos une augmentation des investissements privés et étrangers – notamment Chinois – dans les plantations d’hévéa. Ces investissements se situent plus particulièrement dans les « non-traditional rubber growing areas of Laos » (Fox et al, 2011 : 12), là où les plantations d’hévéa n’ont jamais été établies auparavant, comme dans la province de Luang Namtha à partir de 1994. Toutefois, à la suite du gel de 1999, plusieurs plantations avaient été abandonnées dans l'ensemble de la province, puis relancées au début des années 2000 avec les investissements des compagnies privées (Dubé, 2010 : 82).

Grâce aux données fournies par le Planning & Investment Department de Luang Namtha, on constate, en 2015, 47 investissements issus du secteur privé dans l’agriculture et l’industrie. Parmi eux, 24 (soit 51%) concernent l’hévéa :

73 Tableau 3.1 : Investissements agro-industriels à Luang Namtha de 2001 à 2015

Nombre Objectif Investissement Superficie totale total (en hectares) (en $ÉU) Agriculture Nationaux 3 Développement 2 873 400 11 782 des plantations d’hévéa Internationaux 13 Développement 22 265 500 10 955 (Chine) des plantations d’hévéa Industrie Nationaux 0 - - - Internationaux 8 Usines de 19 711 011 3 (Chine) caoutchouc

Total 24 44 849 911 22 740 Source : Information partagée au Planning & Investment Provincial Office de Luang Namtha le 14 juillet 2015

Bien que les investissements débutent dans la province à partir de 2001, ceux qui concernent le développement des plantations d’hévéa connaissent une nette hausse entre 2004 et 2008. Puis, c’est entre 2010 et 2014 qu’on observe un nombre accru d’investissements dans le secteur industriel, et plus particulièrement dans la construction d’usines de caoutchouc. Ceci est dû au fait que l’hévéa nécessite entre sept et huit ans avant d’atteindre sa pleine maturité pour produire du latex. En 2015, ces investissements avaient atteint presque 45 millions de dollars ÉU.

Dans le rapport socioéconomique de la province de Luang Namtha de 2006, il est mentionné que la superficie plantée en hévéa a atteint 11 506 hectares cette année-là – 12 585 hectares selon d’autres31 – parmi lesquels 334 hectares avaient commencé à produire. La récolte de latex s’élevait alors à 840 tonnes. En 2006, plus de 88% de la superficie en hévéa dans la province avait été plantée par les villageois eux-mêmes, le reste étant par les compagnies – qui font bien sûr planter les arbres par les villageois aussi. Dans le rapport socioéconomique de 2014, on note que la superficie plantée en hévéa avait été multipliée par trois par rapport à 2006, atteignant 34 347 hectares, parmi lesquels 6 733 hectares avaient commencé à produire, totalisant ainsi une production de

31 Shi, Weiyi (2008) Rubber Boom in Luang Namtha: A Transnational Perspective. Vientiane : Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit (GTZ), 90p.

74 15 703 tonnes. En l’espace de huit ans, la production de caoutchouc naturel a augmenté de presque 1900%, ce qui représente en soit un boom agricole important pour une région jusqu’alors peu présente sur les marchés extérieurs. De plus, ce développement ne semble pas être sur le point de s’arrêter puisque d’autres rapports prévoyaient que les superficies en hévéas du Laos passeraient de 140 000 hectares à 3000000 hectares sur une période de dix ans à partir de 2010 (Douangsavanh, 2009). Il est toutefois important de préciser que l’hévéa n’est pas la seule culture commerciale à connaître un développement notable dans la province. En effet, selon nos enquêtes, depuis 1995, le bancoulier, la cardamome et la banane en font également partie, mais les essors sont différenciés selon les cultures et selon les districts étudiés, Nalae (Figure 3.1) et Sing (Figureo3.2).

Officiellement, le gouvernement provincial de Luang Namtha promouvoit une agriculture contractuelle de type « 2+3 » avec 70% des produits (profits ou production) reversés aux villageois et 30% reversés aux investisseurs. Ce type de contrats présente cinq variables : la terre, la main d’œuvre, le capital (incluant les semences, les intrants et l’équipement), le savoir-faire et le marketing. Les villageois fournissent la terre et la main d’œuvre tandis que les investisseurs procurent les trois autres. Ces contrats sont signés pour des durées variant de 30 à 35 ans avec, pour la plupart, des possibilités de renouvellement. Aux yeux du gouvernement provincial, cet arrangement de type « 2+3 » octroie aux villageois un accès plus sécurisé à leurs terres et renforce leur sentiment de contrôle sur les plantations, à l’inverse des concessions. Malgré tout, la réalité présente une version bien différente de l’officielle. Suivant des enquêtes menées par Shi (2008), tous les villages en contrats avec des investisseurs dans les districts de Long et de Sing opèrent sous un arrangement de type « 1+4 ». Les villageois fournissent uniquement la terre tandis que les investisseurs procurent les quatre autres variables, y compris une main d’œuvre employée, locale ou étrangère. Les villageois ne perçoivent alors que 30% des produits et les investisseurs le reste. À Sing, ces contrats sont notamment visibles dans les plantations de bananes et provoquent l’émergence du concept de grenting, acronyme de « land grabbing » et de « renting ».

75 20 Maïs 18 16 Cardamome 14 Bancoulier 12 10 Canne à sucre 8 6 Banane 4 Hévéa 2 0

N=32

2000 1995 1996 1997 1998 1999 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Figure 3.1 : Évolution du nombre de personnes pratiquant une nouvelle culture dans le district de Nalae, 1995-2015

20 Maïs 18 16 Cardamome 14 Bancoulier 12 10 Canne à sucre 8 Banane 6 4 Hévéa 2 0

N=28

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Figure 3.2 : Évolution du nombre de personnes pratiquant une nouvelle culture dans le district de Sing, 1995-2015

Dans l’évolution des deux districts, on constate des pics d’investissements dans les plantations d’hévéa, entre 2004 et 2008. Ces investissements sont toutefois nettement supérieurs à Nalae qu’à Sing. Selon Mme Sounthone Unthala 32 du Department of Environment & Natural Resources, l’une des raisons expliquant cet écart entre les deux districts réside dans la topographie du territoire. Le territoire de Nalae est constitué à 98% de pentes, avec un point culminant à 520 mètres d’altitude. Le territoire de Sing est pour sa part constitué de plateaux situés à 700 mètres d’altitude. Dès lors, les populations Khmou et Lue de Nalae, ne disposant pas de suffisamment d’espace

32 Entretien le 21 juillet 2015 à Luang Namtha

76 pour cultiver du « riz inondé » sur un terrain plat, pratiquaient une agriculture itinérante et brûlaient la forêt pour cultiver du « riz pluvial ». Dans ses objectifs de réduction de l’agriculture itinérante et de sédentarisation des populations montagnardes, l’État laotien déploie, depuis le début des années 1990, des politiques s’engageant dans la « forest conservation », comme le Tropical Forest Action Plan de 1990 (ICEM, 2003 : 44). Afin d’y parvenir, l’État promouvait en 2005, par le biais du Lao National Forestry Strategy to the Year 2020, le développement des plantations pour réduire les superficies consacrées à l’agriculture itinérante. Ce plan prévoyait une augmentation du « forests cover » national de 40% à 70% à l’horizon 2020, pourcentage qui inclut les plantations commerciales (GoL, 2005 : 3-4). Ainsi, en réponse aux contraintes topographiques et agricoles, les investissements ont été plus nombreux depuis 2004 dans le district de Nalae que dans celui de Sing. À partir des années 2008-2009, le développement agricole des deux districts prend des orientations différentes. À Nalae, on observe l’apparition de deux cultures qui viennent s’ajouter aux plantations d’hévéa : la cardamome (Elettaria cardamomum) et le bancoulier (Vernicia cordata ou « Tung-oil tree »), ce dernier servant à produire l’huile de Tung (Hirota et al, 2014). L’introduction favorable du bancoulier dans le district est surtout due à sa longue espérance de vie – entre 30 et 40 ans –, à sa capacité à pousser sur des terrains abrupts et aux prix de revente intéressants aux intermédiaires, qui viennent chercher la production à la ferme, environ 25 000 kip par kilogramme. À Sing, les plantations d’hévéas sont progressivement remplacées par les bananeraies. Économiquement plus intéressantes et nécessitant moins de travail pour les populations locales, celles-ci sont entretenues par les entreprises chinoises, qui louent les terres pour une période de cinq à six ans, comme l’entreprise Lao Ming qui détient dans le district plus de cent hectares de concessions.

L’un des vecteurs de l’intégration est ainsi le changement d’une agriculture de subsistance à une agriculture de marchés avec le développement des plantations. Cette transition a entrainé, depuis le début des années 2000, un net changement d’utilisation du sol dans les district de Nalae et de Sing (Tableau 3.2). Prises dans l’engrenage des politiques de l’État, les populations montagnardes dédient assurément plus de terres aux cultures commerciales et moins aux cultures de subsistance, comme le riz.

77 Tableau 3.2 : Intégration et répartition de l’utilisation du sol dans les districts de Nalae et de Sing, 2015 (selon les entretiens) Proportion par Surface Moyenne par Surface Moyenne par Nombre de foyer des terres agricole totale foyer plantations foyer foyers dédiées aux (en hectares) (en hectares) (en hectares) (en hectares) plantations Nalae 32 103,2 3,22 73,5 2,3 71,4%

Sing 28 100,4 3,58 68,8 2,45 68,4%

Total 60 203,6 3,39 142,3 2,37 69,9%

Source : Enquêtes mai - juillet 2015

Malgré une surface agricole moyenne par foyer, et une surface de plantation moyenne par foyer, plus élevées à Sing, on remarque que les paysans du district de Nalae dédient une part plus importante de terres aux plantations commerciales. Cette situation pourrait à nouveau s’expliquer par les variations dans la topographie des territoires des deux districts. Finalement, au-delà de transformer le paysage rural et l’utilisation des sols, le processus d’intégration apporte de façon associée des connaissances et des techniques que les populations montagnardes doivent acquérir pour s’adapter.

3.2.2 Vulgarisation agricole et apprentissage de nouvelles techniques

Avec l’arrivée des cultures commerciales, les populations ont été amenées à adopter de nouvelles techniques agricoles. Ces cultures requièrent chacune des techniques de production spécifiques que les utilisateurs doivent assimiler. Ces techniques vont de la manipulation d’outillages divers, tels que le couteau et la tasse pour l’hévéa (Figure 3.3), à l’utilisation d’intrants chimiques agricoles, comme les engrais et les pesticides (Figure 3.4). Selon les types de plantations, de contrats, et d’investisseurs, ces techniques peuvent être, soit transmises par l’État et les compagnies privées, soit acquises via le cercle social proche – famille et voisins.

78

Figure 3.3 : Récolte du latex dans une plantation d’hévéa à Nalae – Juin 2015

Figure 3.4 : Utilisation d’intrants chimiques sur une parcelle à Muang Sing – Juin 2015

79 Pour reprendre l’exemple de l’hévéa, à partir d’une analyse de nos entrevues, il a été possible de distinguer deux principaux scénarios. Dans le premier, une compagnie – toujours d’origine chinoise – vient jusqu’aux villages et propose, aux personnes le souhaitant, de les aider à démarrer une plantation. En contrepartie d’adhérer à un contrat de revente exclusive de la production, les villageois reçoivent une formation – allant de trois à sept jours – et apprennent les techniques essentielles au fonctionnement de leur plantation. Par ailleurs, selon les cas, la compagnie peut fournir les plants et les outils dont ils ont besoin. Ici, les techniques et les connaissances sont uniquement transmises par les compagnies privées. Ce scénario était notamment valable dans 94% des interviews à Nalae. Dans le deuxième scénario, les villageois prennent l’initiative de démarrer une plantation. Ils doivent alors acheter les plants et les outils par leurs propres moyens. Le prix des plants varie, selon le contexte économique, de 0,20$ÉU à 1,80$ÉU par unité. Une plantation est constituée d’environ 500 plants par hectare. L’investissement d’une famille peut dès lors s’avérer conséquent. Pour une plantation de deux hectares (la moyenne des familles interviewées se chiffre à 2,3 hectares), cela signifie 1 000 plants à se procurer, soit un investissement pouvant varier de 200$ÉU à 1.800$ÉU. L’assimilation des connaissances et des techniques se fait ensuite grâce à la famille, ou auprès des voisins, qui ont déjà acquis ces connaissances. Du fait qu’aucun contrat n’est signé, la production pourra être revendue à une compagnie privée ou à un intermédiaire. Ce deuxième scénario était quant à lui valable dans 100% des interviews à Sing. À partir de 1995, la transformation et l’ajout des nouvelles techniques agricoles varient selon le district de Nalae (Figure 3.5) ou celui de Sing (Figure 3.6).

20 18 16 14 12 Autres Intrants 10 Engrais 8 6 Pesticides 4 Outillages 2 0

N=32

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Figure 3.5 : Évolution du nombre de personnes adoptant de nouvelles techniques agricoles dans le district de Nalae, 1995-2015

80 20 18 16 14 Autres Intrants 12 10 Engrais 8 Pesticides 6 4 Outillages 2 0 N=28

Enquêtes mai-juillet 2015

1996 2007 1995 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Figure 3.6 : Évolution du nombre de personnes adoptant de nouvelles techniques agricoles dans le district de Sing, 1995-2015

L’apprentissage des nouvelles techniques s’est faite de paire avec l’apparition des nouvelles cultures. Ainsi, lorsque l’hévéa et le bancoulier ont été adoptés à Nalae, respectivement au cours des années 2006-2008 puis 2012-2015, les populations montagnardes se sont adaptées, en particulier ce qui à trait à la manipulation d’outillages distincts. Ce développement concomitant s’est également produit à Sing avec l’hévéa, les bananeraies et la canne à sucre. Toutefois, l’utilisation d’intrants chimiques agricoles est nettement plus importante dans le district de Sing depuis le début des années 2000. Les enquêtes n’ont pas permis d’en connaître la raison exacte mais peut-être est-ce simplement la proximité avec la frontière chinoise qui contribue à la présence d’un nombre plus élevé de boutiques qui vendent ces produits (Figure 3.7). Avec la durée et de l’entrainement, 79% des participants se disent pleinement confiants d’utiliser ces nouvelles techniques. À l’inverse, 21% confient parfois rencontrer des problèmes comme : réparer des outils en panne ou utiliser correctement des intrants chimiques agricoles. Suite à l’utilisation de ces intrants, parfois hautement toxiques, des problèmes de santé peuvent également survenir car « these farmers, who are typically not able to read instructions and warnings, spray dangerous chemicals without proper protective gear » (Kammerer, 2000 : 49).

Par comparaison à l’implication « massive et volontariste » (Ducourtieux et al, 2004b : 210) de l’État laotien dans ses politiques de réformes foncières au cours des années 1990, l’implication de l’État dans la vulgarisation agricole au profit des populations de Luang Namtha semble nettement plus faible. En effet, peu de personnes ont confié avoir reçu une aide quelconque de l’État : 5 sur 60 au total. Parmi ces villageois, certains

81 disent avoir participé à des rencontres, organisées par le bureau provincial de l’agriculture. Celles-ci visaient à apprendre certaines techniques d’utilisation des intrants chimiques agricoles et d’autres techniques concernant l’irrigation des parcelles agricoles. Par ailleurs, sur les 15 villages enquêtés, un seul était équipé d’un centre technique agricole (Figure 3.8), permettant aux populations des alentours d’apprendre de nouvelles techniques agricoles/d’élevage à partir d’images et de textes. En dépit des nombreux projets conduits dans la province, en partenariat avec des organismes internationaux – Australian AID (AusAID), Japan International Cooperation Agency (JICA), Swiss Agency for Development and Cooperation (SDC), Programme Alimentaire Mondial (WFP) etc. – l’État paraît, suite aux entretiens avec les villageois, davantage tenir un rôle de superviseur que d’exécutant auprès des populations. L’État se charge de mettre en place des politiques et de les faire appliquer par les bureaux provinciaux mais s’implique directement peu sur le terrain. Ce rôle revient principalement aux organismes internationaux et aux investisseurs privés. Malgré tout, dans le cas de concessions agricoles – contrats de type « 1+4 » – en particulier dans le district de Sing, « there is also limited technology transfer to local villagers […], particularly if the laborers are employed from China. When asked whether villagers are given training on [plantations], a senior company manager confided, “Not really. We have to reserve something. We’ll teach them when we think the time is right” » (Shi, 2008 : 31-32). Ainsi, dans son rôle de superviseur, le gouvernement central doit faire face à certains défis quant à l’application de ses politiques agricoles à l’échelle des provinces et au respect des accords passés avec les investisseurs étrangers.

L’adaptation aux cultures commerciales et l’acquisition de nouvelles connaissances ont progressivement changé les relations sociales entre les populations montagnardes et le territoire. D’une part, la signature des contrats d’hévéa à Nalae avec les compagnies chinoises ou le transfert de gestion des terres pour les bananeraies à Sing constituent des exemples substantiels. D’autre part, durant les vingt dernières années, le « triangle homme-travail-territoire » (Raffestin et Bresso, 1979 : 81) s’est assurément transformé avec l’arrivée des innovations technologiques agricoles. Toutefois, le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale nécessite du temps, pendant lequel les populations montagnardes continuent de dépendre des ressources forestières et rizicoles.

82 Figure 3.7 : Boutique de revente d’intrants chimiques agricoles à Muang Sing – Juin 2015

Figure 3.8 : Panneau d’entrée du centre technique agricole de Ban Van – Juillet 2015

83 3.2.3 Transition et dépendance aux moyens de subsistance

« As large investors foray into increasingly remote areas, villagers are asked to transition abruptly from a subsistence livelihood to commercial rubber production, with few sources of alternate income during the […] waiting period » (Shi, 2008 : 36).

Au-delà d’être une source économique vitale pour le pays et un facteur essentiel pour la préservation de la biodiversité et des sols, les forêts laotiennes contribuent fortement à subvenir aux besoins – alimentaires et financiers – des populations rurales pauvres. Il a été estimé, au début des années 2000, qu’une famille lao vivant en milieu rural consommait en moyenne l’équivalent de 280$ÉU de produits forestiers non ligneux (‘non-timber forest products’ [NTFPs]) chaque année, ce qui représentait environ 40% du revenu familial total (Banque mondiale, 2001 : 11). Ces NTFPs comprennent : chasse, pêche et collecte de fruits, plantes médicinales, bambou, champignons, etc. (Figure 3.9). Par ailleurs, de nombreux villages continuent de pratiquer une agriculture itinérante, bien que celle-ci ait été fortement réduite dans les provinces du nord depuis le début des années 2000. Selon Mme Sounthone Unthala, du Department of Environment & Natural Resources, 60% des villages ruraux pauvres de Nalae pratiquent encore une agriculture itinérante et peuvent connaître une insuffisance en riz de six mois ou plus dans une même année. Pour autant, parmi les 32 personnes interrogées aléatoirement à Nalae, aucune n’a affirmé connaître une telle insuffisance alimentaire. Au début de l’année 2015, à Luang Namtha, 105 villages sont recensés comme étant pauvres par le Provincial Administration Office et le Rural Development & Poverty Eradication Office. Durant les mois d’insuffisance, les populations dépendraient donc des ressources de la forêt, et d’autant plus durant la période de transition d’une agriculture itinérante à une agriculture de marchés. La consommation et la revente de NTFPs sont ainsi vitales pour les populations rurales pauvres, d’autant plus que la vente de NTFPs peut apporter de 40 à 80% du revenu familial et permettait, au tournant des années 2000, l’achat d’environ 70% des besoins quotidiens en nourriture (UNDP, 2002 : 77). Dans les rapports socioéconomiques de la province de 2006 et de 2014, il est précisé que la collecte totale de NTFPs serait passée de 427 tonnes à plus de 3 000 tonnes par an (Figure 3.9). Parallèlement, sur la même période, la surface des aires protégées dans la province est passée de 140 026 hectares (25,4% du couvert forestier de la province) à 222 400 hectares (37,7%), alors même que le couvert forestier de la province n’a proportionnellement augmenté que de 38 949 hectares. Ces

84 faits témoignent donc de l’émergence d’un ce cercle vicieux. Ils démontrent comment le déclin d’accès aux ressources forestières peut aussi localement contribuer au déclin des moyens de subsistance et rendre, par conséquent, les premières années du processus d’intégration plus difficile pour les populations rurales pauvres.

Figure 3.9 : Récolte de champignons vendue sur le bord de la route à Nalae – Mai 2015

3.3 La modernité, espoirs et promesses d’un avenir meilleur

Au début des années 2000, la communication entre les autorités provinciales et les villages ethniques était difficile en raison des différences de langues : d’un côté, les autorités provinciales parlaient le lao ; de l’autre, les populations ethniques utilisaient leur propre langue. C’est ce qu’affirme Virason Dainhansa 33 , fonctionnaire au Provincial Rural Development and Poverty Eradication Office. Selon lui, les populations ethniques minoritaires avaient, en conséquence, du mal à s’adapter car leur compréhension de la langue lao était limitée. Depuis, ces villages ethniques ont été relocalisés dans les plaines, les habitants ont appris le lao, et les fonctionnaires des différents bureaux provinciaux – agriculture, éducation, environnement, santé, etc. – ont

33 Entretien le 22 juillet 2015 à Luang Namtha

85 pu leurs transmettre des connaissances spécifiques. Les fonctionnaires du Provincial Public Health Office ont par exemple expliqué aux populations ethniques minoritaires comment entretenir une bonne hygiène de vie afin d’éviter la propagation de maladies, comme la malaria ou le sida. Progressivement, comme l’affirmait M. Dainhansa : « four-five years after villages had been resettled, their lifestyle started to improve ». En plus des efforts fournis par l’État pour pourvoir les populations rurales en services, cette amélioration des conditions de vie a été favorisée par l’essor des plantations agricoles. Lorsque les plantations arrivent à maturité – un an pour les bananeraies, sept à huit pour les hévéas – les populations rurales peuvent vendre leur production, leur offrant par la suite la capacité financière d’améliorer leurs conditions de vie. Selon les entretiens, le revenu annuel moyen par ménage – composé d’environ six personnes – était de 12 millions de kip dans le district de Nalae et de 33 millions de kip dans le district de Sing. À l’échelle de la province, cette moyenne était de 21,5 millions de kip annuel par ménage. Les interviewés situés dans le district de Sing disposaient donc d’un revenu presque trois fois supérieur à ceux situés dans le district de Nalae. Une raison pourrait expliquer cette différence de revenus. À Sing, les locations terrestres pour le développement des bananeraies rapportent annuellement beaucoup plus d’argent que la production de latex des plantations d’hévéa, ces dernières majoritaires à Nalae. En moyenne, une plantation de bananes rapporte entre 11 millions et 26 millions de kip de location par an par hectare, selon les contrats établis avec les compagnies chinoises. À l’inverse, une plantation d’hévéa rapporte entre 1 et 5 millions de kip par an par hectare, selon la quantité de latex produite et revendue. D’autres revenus peuvent par ailleurs être comptabilisés en plus des bénéfices issus de l’agriculture. À Sing, 89% des revenus secondaires sont issus de travaux de main d’œuvre dans les plantations – avec et sans compétence – et de l’élevage d’animaux. À Nalae, 67% des revenus secondaires sont issus de la revente de produits forestiers non ligneux et de l’élevage d’animaux. Ainsi, grâce à ces différentes sources de revenus, 100% des personnes interrogées estiment que leurs conditions de vie se sont améliorées depuis. Les totaux cumulés des biens de consommation acquis par ces personnes, 32 à Nalae et 28 à Sing, de même que l’année d’acquisition de ces biens, sont résumés dans les Figures 3.10, 3.11 et 3.12.

Dans l’ensemble, certains biens de consommation semblent être devenus « de rigueur » (Rigg, 2003 : 203) pour beaucoup de ménages. Dans nos enquêtes, trois biens ressortent en particulier : (i) les cellulaires, (ii) les motos, et (iii) les télévisions dont le décompte

86 atteint respectivement 136, 82 et 54, répartis entre les 60 familles interrogées. Selon ces personnes, le cellulaire ressort comme le bien le plus important car il facilite, d’une part, la communication, et permet, d’autre part, une meilleure organisation et planification entre les individus. De son côté, la moto facilite les déplacements et réduit la durée des voyages. Enfin, la télévision, en plus d’être une source de divertissement, permet un accès permanent à l’information et la diffusion des cultures étrangères, surtout thaïlandaise. Par ailleurs, les tracteurs, moins nombreux mais partagés entre les villageois, sont aussi énoncés de façon récurrente car ils réduisent significativement le temps de travail et le rendent moins pénible. Concernant les dates d’acquisition des biens, on remarque une forte augmentation du nombre d’achats à partir de 2005, ce qui correspond sensiblement, d’une part, à l’année d’apparition des nouvelles cultures dans les deux districts et, d’autre part, au raccordement des villages au réseau électrique. Entre 2013 et 2014, ces chiffres sont d’autant plus prononcés, années où la majorité des plantations d’hévéa arrivent à maturité et permettent la récolte du latex. L’ensemble des villages enquêtés s’est vu raccordé au réseau électrique de la province entre 2005 et 2014. À l’échelle des districts, le raccordement des villages situés à Nalae s’est étalé de 2007 à 2014, tandis que ceux situés à Sing l’ont été entre 2005 et 2011. Ainsi, à titre de comparaison, les villages situés dans le district de Sing semblent avoir bénéficié d’un accès moins tardif au réseau électrique. Avant d’avoir accès au réseau, deux tiers des villages utilisaient des générateurs à essence ou des panneaux solaires pour s’approvisionner en électricité.

80 70 60 50 40 30 20 10 0

N=32

Figure 3.10 : Total cumulé des biens de consommation acquis par 32 participants dans le district de Nalae, 1995-2015

87 60 50 40 30 20 10 0

N=28 Enquêtes mai-juillet 2015

Figure 3.11 : Total cumulé des biens de consommation acquis par 28 participants dans le district de Sing, 1995-2015

35

30

25

20

15

10

5

0

1996 2002 1995 1997 1998 1999 2000 2001 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 N=60 ; Enquêtes mai-juillet 2015

Figure 3.12 : Total cumulé tous confondus des biens de consommation acquis par les 60 participants dans les districts de Nalae et de Sing, 1995-2015

À la question « comment sont vos conditions de vie comparées à dix ans auparavant ? », 97% ont répondu « meilleures », soit 58 sur les 60 personnes. Les deux autres ont quant à eux répondu « identiques », le premier car il ne possédait pas de terre, le deuxième car il avait plus d’enfants à nourrir mais ses parents étaient devenus trop vieux pour travailler. Concernant le temps passé au travail, 38 (63%) ont affirmé qu’il était plus important contre 21 (35%) qui ont dit le contraire. Cette partition entre les deux groupes s’explique notamment par les types de cultures dans chaque district. À Nalae, les plantations d’hévéas, majoritaires, demandent beaucoup de travail pour leur

88 entretien et la récolte du latex. À Sing, à l’inverse, les bananeraies sont entretenues par les compagnies chinoises et la récolte faite, en partie, par une main d’œuvre chinoise, sinon locale. Les villageois reçoivent l’argent de la concession sans nécessairement travailler à côté. C’est pourquoi, sur les dix dernières années, certains travaillent plus tandis que d’autres travaillent moins. Enfin, malgré une charge de travail plus significative, 42 personnes (70%) ont confié passer plus de temps sur les activités de loisir, contre 6 (10%) qui y consacrent moins de temps. Sur les dix dernières années, le nombre d’activités possibles s’est multiplié – festivals, médias, etc. – principalement grâce au développement des infrastructures publiques et à l’émergence du tourisme dans la province.

L’amélioration générale des conditions de vie et la modernisation des ménages dans la province témoignent ainsi de cette intégration progressive des populations dans le système national et international. Similairement, l’éducation et la santé « étaient regardées comme étant des instruments sociaux prioritaires pour se concilier les faveurs de la population et réaliser l’intégration nationale » (Mignot, 2003 : 92).

3.4 L’alphabétisation des populations ethniques

Comme dans le secteur agricole, au Laos, l’éducation requiert un fort soutien financier international. Selon le rapport de l’éducation de Luang Namtha, la province disposait en 2014 d’un budget évalué à environ 85 milliards de kips, soit plus de 10 millions de dollars (ÉU). Parmi cette somme, 6,5% sont issus du « Secondary Education Sector Development Project » de la Banque asiatique de développement, visant à construire des écoles et des dortoirs. Ce projet, qui s’étend de 2012 à 2018, s’aligne sur les stratégies de l’État laotien dictées dans le NGPES, et insiste sur l’amélioration de la qualité de l’éducation. Le Japon, via son ambassade à Vientiane, a également contribué à ce secteur en 2014 avec un don de 220 016$ÉU à la province pour financer l’aménagement d’écoles. Enfin, il existe une importante coopération entre le Laos et différents organismes internationaux comme le Programme alimentaire mondial, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, ou encore l’Aide de l’Église norvégienne. Ceux-ci financent principalement des projets alimentaires, sanitaires et récréatifs dans les écoles ou offrent des formations pour les nouveaux enseignants.

89 En 2014, la province de Luang Namtha faisait état, dans son rapport annuel sur l’éducation, de nombreuses données à tous les niveaux de l’enseignement (Tableau 3.3).

Tableau 3.3 : Chiffres sur le secteur de l’éducation dans la province de Luang Namtha, en 2014 Écoles Élèves Enseignants 2006 2014 ♀ ♂ Total Maternelle 51 141 219 NA NA 5 284 (3 à 5 ans) Primaire 358 389 1 348 12 071 13 686 25 757 (6 à 10 ans) Secondaire 27 53 922 7 784 9 551 17 335 (11 à 17 ans) Cycles Supérieurs 0 1 77 108 287 395 (18 ans et plus) Source : Information partagée au Education Provincial Office de Luang Namtha le 13 juillet 2015

Ces quelques échantillons de chiffres donnent ainsi une idée de l’évolution du secteur de l’éducation dans la province au cours des dernières années. Il est à préciser qu’entre 2006 et 2014, avec la construction des nouvelles écoles, il s’est produit une augmentation d’environ 32% du nombre total d’élèves au primaire et au secondaire, passant ainsi de 32 691 à 43 092. Aux cycles supérieurs, bien qu’il n’existait qu’un seul établissement professionnel, des domaines d’étude aussi variés que l’agronomie, l’élevage, la restauration, la mécanique et la construction étaient offerts. Par ailleurs, 120 étudiants sont allés à l’université – 50 à Luang Prabang et 70 à Vientiane – mais peu ont eu l’opportunité de partir étudier à l’étranger : pour l’ensemble du pays, on n’en comptait que 235, dont 94 filles, rendu en Chine ou au Vietnam (GoL, 2006b ; GoL, 2014c).

Selon Saichay Leuangsavath, fonctionnaire au Provincial Education Office, tous les villages de la province, sans exception, sont dotés ou ont accès à une école primaire qui offre une classe aux étudiants des années P1 à P3, l’année P1 (Primary One) étant la première classe du primaire et l’année P5 (Primary Five) la dernière. S’en suivent les années S1 (Secondary One) à S7 (Secondary Seven) pour les étudiants au secondaire. La présence ou non des classes P4 et P5 dans un village dépend, selon Leuangsavath, du nombre d’étudiants inscrits dans les trois premières années d’une école primaire et du nombre d’étudiants qui souhaitent continuer l’école pour passer au secondaire. Parce que la formation d’enseignants et la mise en place d’un système éducatif sur l’ensemble

90 du territoire prennent du temps, l’État laotien est contraint de suivre certaines priorités selon lui. À titre d’exemple, bien que la totalité des étudiants au secondaire apprennent l’anglais, seulement 30% des étudiants au primaire y ont accès, à partir de l’année P3, à cause du manque d’enseignants qualifiés. Pour ce qui a trait à la répartition des sexes, on compte en 2014 une part plutôt équitable, avec 54% de garçons, de la P1 aux classes supérieures. Malgré tout, on observe que plus le niveau scolaire augmente, plus cette part masculine a tendance à augmenter. Si au primaire elle n’est que de 53% et au secondaire de 55%, la part de garçons aux cycles supérieurs s’élève à presque 73%. Cette fracture s’explique en partie par des raisons culturelles et familiales, qui imposent souvent aux filles de rester dans les villages et de travailler dans les champs plutôt que de continuer à étudier, même si l’éducation offerte par l’État demeure gratuite. Les seuls frais dont la famille doit s’acquitter sont l’achat des fournitures scolaires et les uniformes, les livres pouvant être empruntés pour toute la durée de l’année scolaire.

À la suite des 60 entretiens, il est ressortit que 39 participants avaient une éducation de niveau primaire (65%), 15 de niveau secondaire (25%) et 6 n’en avaient aucune (10%). S’agissant de leurs enfants, 230 au grand total, on peut constater une certaine différence : 77 avaient une éducation de niveau primaire (33,5%), 101 de niveau secondaire (43,9%), 11 de niveau supérieure (4,8%) et 20 n’en avaient aucune (8,7%). Par ailleurs, en dehors des 21 qui étaient encore trop jeunes pour aller à l’école (9,1%), il est important de rappeler que la majorité de ces enfants sont encore dans le système éducatif et continuent d’étudier. Cette différence dans le niveau d’éducation, entre les parents et les enfants, s’explique par la volonté des parents d’offrir un avenir meilleur à leurs enfants, et de les inciter, dans la plupart des cas, à aller à l’école. Plusieurs participants ont avoué ne pas vouloir que leurs enfants travaillent dans les plantations plus tard, car il s’agit de métiers difficiles et peu enviables. Dès lors, l’encouragement des parents pourrait expliquer l’augmentation de plus de 32% du nombre total d’étudiants au primaire et au secondaire depuis 2006. Comme l’indiquent Richter et Yoddumnern-Attig, « while in the past, the parents’ prime responsibility and concern was to feed their children, today […] it is to educate their children » (1992 : 20). À cela, Rigg ajoute « it is remarkable the sacrifices families are willing to endure to ensure their children get as good an education as possible » (2003 : 203-204). Parallèlement à cette hausse du nombre de jeunes étudiants, l’État laotien a également prit l’initiative d’ouvrir des classes pour adultes qui auraient, au cours de leur enfance,

91 arrêté l’école et souhaiteraient y retourner jusqu’à la fin du secondaire. Dans l’ensemble de la province, 70 villages assurent ces « late studies classes », dont 9 dans le district de Nalae et 17 dans le district de Sing. En 2014, plus de 225 personnes, dont 98 femmes, ont pu valider leur S7 et terminer le secondaire (GoL, 2014c : 5). Pour d’autres, ces classes donnent l’opportunité d’apprendre ou de perfectionner leur lao, langue apprise à l’école par le deux tiers des interrogés. Car, bien que 35 (58%) des 60 personnes aient été capables d’apprendre les bases de la langue en 2 à 5 ans, une majorité affirme que 15 années de pratique sont nécessaires avant de parler le lao couramment.

3.5 L’accès aux soins

« Au début des années 1990, l’espérance de vie des Laotiens était comparable à celle de l’Europe du XVIIIe siècle : 48 ans pour les hommes et 54 ans pour les femmes » (Péchère, 1993 : 17). En 1992, l’UNICEF qualifiait le Laos comme ayant « one of the poorest health situations in the world » en partie parce que l’édification d’un « nationwide primary health care system has totally failed » (Ireson, 1996 : 36). Depuis 1990, pour pallier à cette situation, l’État laotien n’a cessé de faire pénétrer la médecine moderne jusqu’aux régions les plus reculées du pays, avec pour objectif de faire connaître la « supériorité des nouvelles doctrines et des nouvelles institutions » (Mignot, 2003 : 93). Néanmoins, « en raison de moyens matériels très limités, l’hygiénisme a constitué, comme à l’époque française, la pierre angulaire de cette politique de santé » (Ibid, 2003 : 93). Le rapport provincial de 2014 sur la santé mentionne à ce propos l’hygiénisme comme l’un des deux principaux objectifs du secteur : (i) la prévention et la promotion d’un mode de vie sain, (ii) le traitement et le rétablissement des patients. C’est grâce à une aide internationale que le pays, et par ricochet les provinces, vont pouvoir faire l’acquisition d’équipements médicaux et financer : des campagnes de vaccination et de santé publique ; des programmes d’assistance aux drogués, aux handicapés et aux victimes des UXO ; des formations de personnels de santé ; etc. Parmi les contributeurs financiers en 2014, on retrouve, entre autres, la Banque asiatique de développement (485 293$ÉU), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (258 281$ÉU), le Programme alimentaire mondial (29 584$ÉU), le Fonds des Nations Unies pour la population (15 777$ÉU), la Fédération Internationale pour le Planning Familial (10 092$ÉU) et l’Organisation mondiale de la Santé (9 073$ÉU). La province entretient également une étroite relation avec la Chine

92 qui finance la construction de laboratoires d’analyses et fournit du matériel médical aux établissements sanitaires. Progressivement, un réseau d’hôpitaux, de cliniques, de pharmacies et de postes de soins se construit, notamment le long des axes routiers, là où se situent la plupart des villages relocalisés (Figure 3.13). L’implantation d’établissements sanitaires le long des routes répond aussi à une question d’accessibilité pour les minorités montagnardes. Plus la qualité des routes est bonne, goudronnée au mieux, plus la durée des transports est réduite et l’accès aux soins, facilité ; du moins en théorie. Dumoulin constatait, au début des années 1990, que la fréquentation d’un établissement sanitaire dépendait de plus que sa simple accessibilité : « La fréquentation est moins liée à l’accessibilité géographique et financière qu’à la distance sociale, psychologique, et politique entre la population et les services de santé » (Dumoulin, 1994 : 15). Ainsi, comme le rappelle Mignot, « la géographie de la santé au Laos est donc bien un révélateur des problèmes de l’intégration nationale » (2003 : 122).

En 2014, la province de Luang Namtha disposait d’un hôpital provincial (Figure 3.14), de cinq hôpitaux de district – un dans chacune des cinq capitales de district –, de huit cliniques sino-laotiennes (aucune en 2006), de 31 pharmacies (alors qu’on en comptait 41 en 2006) et de 39 postes de soins (contre 23 en 2006) (GoL, 2006b ; GoL, 2014b). Plus de 588 personnes, dont 320 femmes, travaillaient dans ce secteur et assuraient des tâches allant de la prévention à l’application directe de soins. Parmi ces personnes, 496 (soit 84%) travaillent directement dans les hôpitaux – 131 dans l’hôpital provincial et 365 dans les hôpitaux de district. Enfin, près de 75% des villages de la province sont considérés par le Provincial Public Health Office comme « assainis », 68% sont dotés d’espaces sanitaires et 80% de la population provinciale aurait leurs vaccins à jour (GoL, 2014d).

93 Vincent Rolland, ArcMap, 2016

Figure 3.13 : Répartition des hôpitaux et des postes de soins dans la province de Luang Namtha en 2014

À la suite des 60 entretiens, il est ressorti que la totalité des participants avaient, si besoin, accès à un établissement sanitaire. La distance moyenne séparant les 10 villages enquêtés d’un tel établissement était d’environ six kilomètres. Dans le district de Nalae, cette distance était de 4,9 kilomètres, tandis que dans le district de Sing, celle-ci était de 6,4 kilomètres. Le choix de fréquenter un hôpital ou un poste de soins varie principalement pour des raisons financières ou selon la gravité de la situation. Une seule personne sur les 60 interrogés a admis qu’elle n’avait financièrement pas les moyens

94 pour des soins en cas de nécessité. Pour les autres, 37 (62%) préféraient fréquenter un hôpital de district ou provincial contre 11 (18%) pour un poste de soins. Comme en témoignait un des participants, « more local are health care facilities, more expensive they are ». Ainsi, 32 personnes (53%) ont fait la remarque que les hôpitaux de district et provinciaux reviennent en moyenne moins chers qu’un poste de soins. Pour payer moins, certains sont donc prêts à parcourir de plus grandes distances jusqu’aux hôpitaux. Les hôpitaux militaires ou ceux situés en Chine constituent aussi une option financière intéressante pour 11 participants (18%). Dans le village de Môm, situé à quelques kilomètres de la frontière, une personne considérait que les hôpitaux chinois, dont celui de Meung Poung, prodiguent même de meilleurs soins et coûtent moins chers que les hôpitaux de la province. Selon nos enquêtes, accès et coûts des soins s’avèrent ainsi être des variables importantes pour les minorités montagnardes. Malgré tout, comme le démontre Mignot, « le recours aux soins montre deux processus parallèles d’intégration nationale [qui] sont à l’œuvre dans les sites multiethniques des basses terres du Laos » (2003 : 229).

Le plus apparent est celui qui est conduit par le réseau étatique de santé publique. Il se manifeste par la présence des établissements sanitaires dont les bâtiments et les agents, hérauts de la modernité dans un espace rural traditionnel, bénéficient du dynamisme pionnier des habitants des nouveaux villages. Le second processus est plus insidieux, plus ancien et plus profond, parce qu’il touche au cœur même des cultures paysannes qui, peu à peu, se subordonnent à l’ordre bouddhique théravada, comme jadis la culture taï. Rites et cérémonies des basses terres séduisent aussi les montagnards déplacés parce qu’ils jouent sur les mêmes registres de la santé et de la mort, des territoires et des fantômes. [Chez les Laotiens de toutes ethnies, la santé dépend d’entités surnaturelles]. Les conceptions de la médecine occidentale paraissent encore trop lointaines pour ces populations à l’identité fragilisée par leur réinstallation dans un nouvel espace culturel. […] L’analyse des modes de recours aux soins montre la complexité des sites multiethniques où l’implantation d’un établissement moderne, symbole de la volonté politique d’intégration nationale, est loin de suffire à entrainer l’unification des comportements. Un modèle de citoyen laotien unique […] ne semble guère apparaître dans les nouveaux villages où les logiques religieuses et familiales continuent à influencer les diverses cultures populaires (Mignot, 2003 : 229).

95

Figure 3.14 : Hôpital provincial de Luang Namtha – Juillet 2015

96 Chapitre 4 : Transformations et adaptation des populations à Luang Namtha – quels impacts sur le budget-temps ?

À partir des chapitres précédents, il nous a été possible d’identifier qu’un processus d’intégration plus intense est à l’œuvre au Laos, depuis le début des années 1990. Depuis plusieurs siècles, des systèmes territoriaux – pouvant être compris comme des structures politico-économiques avec des territoires en mouvance – cherchent à tisser des liens avec les populations montagnardes, si ce n’est les intégrer. Le processus d’intégration actuel, visible à plusieurs échelles géographiques, métamorphose l’ensemble de la société laotienne et affecte plus durement ces minorités montagnardes, dont celles présentes dans la province de Luang Namtha. Face à des évènements à la fois transformateurs et perturbateurs, ces populations essaient de s’adapter aux nouveaux systèmes dans lesquels elles vivent, des systèmes plus modernes et plus complexes que jamais. Échouer à s’y adapter résulterait en une perte de pouvoir, et donc une marginalisation (Déry, 2010b). Ainsi, dans cette vision d’un monde changeant, comment réussir à maitriser les outils (énergie) et les connaissances (information) désormais pertinents dans les nouveaux systèmes territoriaux, en particulier agricoles et commerciaux ? De quelle manière ces populations utilisent-elles leur budget-temps (cycles annuels, rythmes de vie) pour y parvenir ?

Dans un premier temps, une brève analyse historique de l’évolution des populations montagnardes, à travers la transformation des différents systèmes territoriaux qui ont traversé l’espace qu’ils occupent aujourd’hui, paraît nécessaire. Il s’agit ici de comprendre comment au cours des derniers quelque 200 ans, la dynamique territoriale de ces nouveaux systèmes, plus vastes que les systèmes locaux, entraine chez les minorités ethniques une évolution progressive d’un travail de subsistance à un travail de marché et, par ricochet, un changement dans l’utilisation de leur temps disponible sur plusieurs échelles – quotidienne, mensuelle, saisonnière, annuelle. Comment le territoire se transforme-t-il ? Comment les différents acteurs autour des minorités ethniques territorialisent-ils l’espace dans leurs stratégies territoriales ? Quatre périodes d’analyse vont permettre d’éclaircir ces transformations, à savoir : la vassalité birmano-siamoise (1780-1893), le protectorat français (1893-1945), les guerres d’Indochine (1946-1975), et les débuts du régime communiste (1975-1995). Une

97 cinquième période, celle de l’intégration récente (1995-2015), déjà étudiée dans les deux premiers chapitres, vient compléter cette analyse historique.

Dans un second temps, à partir de nos enquêtes de terrain et de la littérature scientifique, l’étude du budget-temps, qui repose surtout sur deux calendriers de travail annuels des paysans de la province de Luang Namtha, seront analysés. Ces calendriers exposent, au fil des mois, les principales activités et productions agricoles, tant de subsistance que commerciales. Une distinction entre les groupes ethniques et les genres sera faite lorsque possible. L’objectif n’est pas de faire un recensement de toutes les variétés d’utilisation du temps, mais de montrer comment cette utilisation change avec les transformations des modes de vie dans les milieux ruraux.

4.1 Dynamique des systèmes territoriaux et adaptation locale suivant les époques

4.1.1 La vassalité birmano-siamoise (1780-1893)

Entre 1780 et 1893, les régions montagneuses du nord-ouest laotien connaissaient une tout autre organisation territoriale que celle du début des années 2000, avec l’actuelle province de Luang Namtha. Les premiers documents qui mentionnent l’installation de populations dans la plaine de Muang Sing remontent à 1792 34 , quasiment « déserte au milieu du XIXe siècle » (Lacroze, 1994 : 6). Selon Grabowsky, la localité de Muang Sing a été édifiée en 1886 pour devenir la capitale de la principauté de Chiang Khæng, un état vassal du royaume birman dont le territoire s’étirait de chaque côté du Mékong sur plus de 80 kilomètres. Sur la période pré-1896, la population de Chiang Khæng n’aurait pas excédé les 15 000 habitants. Plus de la moitié, vivant dans les plaines, étaient d’origine Tai-Lue, et le reste, vivant dans les montagnes, étaient des « non-Tai », majoritairement Akha, Hmong, Lantèn et Lahu (Grabowsky, 2008 : 209-214). Dans un autre article, Grabowsky discute des « symbiotic relations » qui existaient entre « the politically dominant Lue […] and the autochthonous hill tribes », ces dernières alors considérées comme des Kha, un ethnonyme pour les « non- Tai » et un indicateur social leurs conférant un statut de sauvages/d’esclaves (2003 : 43). Malgré ce statut social inférieur aux Tai, les Kha détenaient un rôle important dans la société de l’époque :

34 http://www.muangsingtravel.com/ms_info/history.htm

98 In Chiang Khæng, as in other Tai polities of the region, the Kha possessed ritual functions as lords of the territorial guardian spirits, and held a strong economic position. They controlled precious forest products, such as elephant tusks (ivory), rhinoceros horn, incense, honey, opium and cardamom, which were sent as tribute to royal courts or were exchanged for cloth, knives, pottery and other consumer goods. They also controlled natural resources such as iron and copper mines (Grabowsky, 2008 : 214).

En retour, la classe dirigeante Tai offrait leur protection aux populations montagnardes. Ainsi, à cette époque, selon Évrard : « les relations personnelles d’alliance ou de dépendance avec un lignage dominant comptaient plus que la localisation géographique » (2006 : 83). Michaud précise par ailleurs que les périphéries montagneuses n’avaient, pour les « lowland rulers » de l’époque, qu’un faible intérêt, hors mis agir comme des régions-tampon, et que garder les populations montagnardes « in an obedient position through feudal tributary relationships was, most of the time, considered a good enough strategy, better to conquer, populate, and police theses marches at high cost » (2006 : 14).

La région de Muang Sing revêtait également une importance historique pour le commerce caravanier, connue comme la « Tea Horse Road », entre le Laos, la Chine et le Tibet (Forbes et Henley, 2013). Les caravaniers chinois, et de nombreux autres marchands d’origines ethniques diverses, se rencontraient pour échanger des biens au marché de Muang Sing, situé à l’extérieur de la ville (McCarthy, 1900 : 160). En 1895, un an avant que la principauté de Chiang Khæng ne soit partagée entre les puissances impérialistes britannique et française, le Dr. Eugène Lefèvre offrait un portrait vivant de ce marché :

On trouve, sur ce marché, l’opium du Yunnan, le thé des Sip-Song-Panas, les poignards et les coupe-coupe de Xieng-Soung, les verroteries et bibelots apportés par les colporteurs chinois, les marmites en fer et surtout les étoffes de fabrication européenne, toutes portant la marque anglaise ou allemande. On peut évaluer à cinq cents personnes la foule qui se presse au marché de Muong-Sing (1898 : 89).

Dans les plaines, la culture du riz occupait une place importante, mais sa production ne se limitait qu’à des fins de subsistance (Grabowsky, 2008 : 215). Par ailleurs, les ethnies montagnardes cultivaient du maïs, du pavot, du tabac et du coton, mais seul le coton (de

99 qualité moyenne) était produit à des fins d’exportations35. Cultivé principalement par les Akha, le coton était acheté annuellement par des marchands en provenance du Yunnan, parfois même échangé contre du sel (Grabowsky, 2008 : 216). Ce commerce perdure durant toute la période coloniale française, jusque dans les années 1940, lorsque les communistes prennent le pouvoir en Chine et limitent les échanges transfrontaliers.

4.1.2 Le protectorat français (1893-1945)

De 1893 à 1945, les régions du nord-ouest laotien, dont le territoire de la vallée de la Namtha, se retrouvent sous protectorat français, rattachées, comme le reste du pays, à l’Union indochinoise (Simon, 2001 : 16). Mais ce n’est qu’en 1896 que la principauté de Chiang Khæng était scindée en deux, suivant le cours du Mékong. La rive est – comprenant Muang Sing – revient donc aux français, sous l’autorité du commissaire général Pavie Auguste (Figure 4.1), tandis que la rive ouest revient aux britanniques, sous l’autorité de l’administrateur colonial James George Scott (Grabowsky, 2003 : 210 ; Schliesinger, 2004 : 62). Jusqu’alors autonomes, les populations montagnardes vont connaître sous le régime colonial, à partir de 1900, des changements majeurs, notamment en ce qui concerne leur rapport au territoire. Dans son ouvrage, Évrard résume avec clarté ces changements :

La colonisation française eut pour conséquence directe de redonner au royaume lao l’ensemble des territoires situés entre le Mékong et la Nam Tha, auparavant sous influence siamoise et birmane. Un régime d’administration directe fut créé sous le nom de Haut-Mékong. […] La principauté de Luangphrabang fut, quant à elle, placée sous protectorat français. La conception « géométrique » du territoire apportée par l’Occident va ainsi directement remodeler les découpages antérieurs et contribuer à la fois à la création du cadre territorial actuel et à la naissance d’une politique « d’intégration » sociale, technique et culturelle des populations montagnardes. […] Le colonisateur français s’appliqua dans un premier temps à déstructurer l’ancienne organisation administrative en la « territorialisant » et en intégrant les régions montagneuses directement au sein des müang36. […] Les marges montagneuses se trouvèrent alors morcelées géographiquement en tasèng37 placés sous le contrôle de müang différents. […] Le mécontentement provoqué par cette réforme administrative dans les villages montagnards fut dans un premier temps utilisé par les nationalistes

35 Scott, James George (1895) « Description of the proposed Mekong Buffer Territory, with Proposals as to its Assignment ». Dans Scott Papers, Mss Eur F 278/88, British Library, India Office & Oriental Collections. 36 Synonyme de principauté, district, royaume, pays ou territoire en langue lao. 37 Terme qui désignait les subdivisions des müang durant la période coloniale puis post-coloniale.

100 lao à des fins de lutte politique, mais ni la monarchie constitutionnelle (1949-1975), ni le régime communiste de l’après 1975 n’ont remis en question cette nouvelle vision de l’organisation territoriale introduite par la colonisation (2006 : 82-83).

Parallèlement à cette réorganisation administrative du territoire, une politique de « mise en valeur » coloniale (Gunn, 1990 : 20) est instaurée. Ce processus d’expansion capitaliste, rendu possible uniquement par l’entrée et la circulation de capitaux, avait pour but d’encourager les investissements privés (Murray, 1980 : 104), notamment ceux de France métropolitaine. Le développement des concessions agro-minières constitue, entre autres, l’un des aboutissements de cette politique. Les plaines agricoles de la localité de Luang Namtha étaient, par exemple, perçues dès la fin du 19ème par les Français comme « a vast and well-watered rice plain that was certainly the crown jewel of upper-Laos » (Walker, 2008 : 192). Par ailleurs, depuis le début de leur présence coloniale, le besoin de revenus a incité les français à encourager la production d’opium dans les régions montagneuses pour la revente et pour le paiement des taxes (Ireson, 1995 : 113). Produit à la fois de grande valeur, peu volumineux et non périssable, le pavot était devenu au début des années 1930 « an important cash crop for Lao Sung groups […] typically planted in cornfields after the main harvest » (ibid, 1995 : 114). Malgré tout, comme l’indique Walker, « despite early hopes and optimism, it was soon recognised that there were limited opportunities for French commerce in the Upper- Mekong region – the overall level of trade was low and largely oriented to local subsistence consumption » (2008 : 189). Cet échec à l’établissement effectif des politiques de mise en valeur des colonies dans le Haut-Mékong peut s’expliquer par trois raisons. Premièrement, le commerce qui existait initialement dans ces régions était essentiellement orienté vers le Siam et les États Shan de Birmanie (Walker, 1999). Deuxièmement, il existait une certaine réticence des populations montagnardes à accepter le modèle capitaliste imposé par l’Occident. Gunn souligne cet aspect en disant : « in social formations like Laos, strong survivals of pre-capitalist structures threw up barriers to the active function of money in circulation, thus creating differential effects of capitalist penetration » (1990 : 24). Cet argument est appuyé par l’ethnologue Barbara Wall lorsqu’elle dit que « les montagnards n’avaient pas l’habitude d’échanger un objet inutile [comme une pièce de monnaie ou un billet] contre un autre représentant pour eux une valeur certaine, et mettant en évidence la richesse de la famille ainsi que le prestige social » (1975 : 35). Troisièmement, la

101 difficulté d’accès aux villages montagnards, où « les conditions d’accès sont telles qu’il paraît évident à l’observateur occidental que le commerce, les échanges culturels, religieux et politiques ne peuvent être qu’extrêmement limités » (Culas et Engelmann, 2008 : 404). Néanmoins, ce dernier aspect reste à nuancer, car ces difficultés d’accès sont relatives pour les populations locales, qui n’hésitent pas à parfois marcher plusieurs jours pour assister à une activité rituelle dans un autre village ou pour se rendre au marché (ibid, 2008 : 404).

Jusqu’au début de années 1940, la présence des Français au Laos était suffisante pour préserver une certaine paix à l’intérieur des colonies, malgré quelques révoltes sporadiques parmi les populations montagnardes (Dommen, 1995 : 19). Ces révoltes traduisaient notamment la résistance des populations montagnardes à payer les taxes et à fournir une main d’œuvre de « corvée » exigées par les coloniaux (ibid, 1995 : 19). Comme l’indique Suret-Canale dans le cas de l’Afrique, « for people accustomed to living in freedom, this could not be imposed other than by force » (1971 : 95). Ce processus s’avérait être le même en Asie. Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et le début des hostilités contre le Japon, la France perd progressivement sa souveraineté sur l’Indochine. C’est en mars 1945, après un coup de force de l’armée japonaise – qui voulait favoriser l’indépendance des pays d’Indochine et contrer l’influence française dans la région – que la France perd son contrôle administratif sur ses colonies indochinoises, et que le Laos commence à s’affranchir de son statut de protectorat (Dommen, 1995 : 22).

102 Source : Fournié P. « Aventuriers du Monde – Les archives des explorateurs français 1827-1914 », 10/2013, p.101 Figure 4.1 : Auguste Pavie (debout au centre) et Pierre Lefèvre-Pontalis (à sa droite) en 1893 avec des interprètes cambodgien entrainés à l’École Coloniale.

4.1.3 Les guerres d’Indochine (1946-1975)

De 1946 à 1975, le Laos traverse une longue période de guerres, qui concernent aussi plusieurs autres pays d’Asie du Sud-Est continentale. Ces guerres se divisent en deux temps, d’abord la guerre d’Indochine, de 1946 à 1954, puis la guerre du Vietnam – ou seconde guerre d’Indochine –, de 1954 à 1975.

Au cours de ces trois décennies de guerres, l’aide stratégique des populations montagnardes, dont celles vivant dans la vallée de la Namtha, a été fortement sollicitée par les différents partis qui s’opposaient dans la région. Chacun des partis « tried to draw local mountain peoples to their cause, as such strategic alliances proved crucial for occupying the highland terrain that formed most of Lao’s territory » (Michaud, 2006 : 138). Dès 1946, certaines ethnies aident le Gouvernement Royal Lao et des groupes de commandos français – qui souhaitent la réinstauration du régime colonial de la France – tandis que d’autres, avec à l’inverse des sentiments anti-français,

103 s’impliquent dans la résistance et supportent des mouvements communistes nationalistes, comme les Viêt Minh ou le Pathet Lao (Adams, 1970 : 104-107). Choisir un camp n’était pas tant « a matter of choice but a necessity just to survive » (Michaud, 2006 : 138). Cependant, comme l’indique Zasloff, « the Pathet Lao have been more successful in mobilizing ethnic minorities into their movement than have their Royal Lao Government competitors » (1973 : 6). Ce succès s’explique pour deux raisons. D’une part, parce que le foyer géographique du PL se situe principalement dans les régions montagneuses, régions majoritairement habitées par des populations ethniques minoritaires, les dirigeants du Parti ont jugé utile de se montrer sensibles aux intérêts de ces groupes, comme les Viêt Minh l’ont fait avant eux dans les régions montagneuses nord vietnamiennes (ibid, 1973 : 6). D’autre part, parce que les terrains sont souvent trop accidentés pour faciliter les communications, l’influence du GRL n’a jamais été suffisamment forte dans les régions montagneuses frontalières – notamment tout le long de la chaîne Annamitique – pour empêcher leur contrôle par le PL (Hawkins, 1970 : 6). Après les accords de Genève en 1954 – qui mettent fin à la première guerre d’Indochine – et l’intervention de l’armée américaine au tournant des années 1960 – qui marque le début de la deuxième guerre d’Indochine –, la division entre certains groupes ethniques se voit d’autant plus prononcée que « the atmosphere in Laos remained tumultuous through a series of coups and countercoups […as the country] descended into full- blown civil war around 1960 » (Listerman, 2014 : 72). Entre autres, dans ce jeu tant politique qu’idéologique, la CIA s’était organisée pour armer clandestinement des groupes de guérillas anti-communistes Hmong dans les régions montagneuses laotiennes (McCoy, 1973 : 268). Ces populations Hmong seront ainsi fortement réprimées par le Pathet Lao lorsqu’il accède au pouvoir en 1975, contraignant une partie d’entre eux à s’exiler, comme en Thaïlande et aux Etats-Unis d’Amérique (Auclair, 1995 : 278).

Durant ces guerres d’Indochine, le commerce et les moyens de subsistances furent particulièrement perturbés car toute la région s’était transformée en un champ de bataille, ravagée par le chaos politique et les guerres civiles. À cela s’ajoute, à partir de 1964, les campagnes de bombardement des Américains qui n’auront pour effet que de « terrorize and destabilize the population for many years to come » (Listerman, 2014 : 73). Malgré tout, un commerce, déjà encouragé par les Français au cours de la période coloniale, a connu un essor considérable et prospère grâce au conflit : celui de l’opium.

104 Cultivé, entre autres, dans les régions montagneuses du nord du Laos (McCoy, 1973 : 277) par des minorités ethniques, le pavot – transformé par la suite en opium ou en héroïne – constituait alors pour ces populations une source importante de revenus. Graduellement, l’argent issu de la revente des stupéfiants était devenu un des nerfs de la guerre, engrenage essentiel servant à financer les différentes opérations dans la région, comme les groupes armés Hmong. À ce sujet, Listerman précise :

All of the players and their drug trafficking activities were directly tied to US foreign policy positions, CIA espionage operations against China, and other anti-communist operations in Southeast Asia. […] The facts surrounding opium production, heroin processing and drug trafficking during the Second Indochina War are not entirely clear [but] the basic history that is widely accepted, if not beyond dispute in some quarters, is that the CIA helped promote the opium trade in northeastern Laos and surrounding area in order to support allied Hmong guerilla commandos in the northeastern highlands (2014 : 77-80).

Ainsi, jusqu’à la fin des années 1980, lorsque le contrôle des narcotiques s’était révélé être un enjeu important pour le Laos et les Etats-Unis d’Amérique, le pavot demeurait, dans les régions montagneuses, une culture importante dont le commerce assurait la subsistance des populations (Auclair, 1995 : 292).

4.1.4 Les débuts du régime communiste (1975-1995)

De 1975 à 1995 s’initiait une première phase de gestion du pays par le Pathet Lao. Dès les débuts du régime, le secteur agricole s’imposait comme une priorité, afin de garantir « the peaceful construction of the country » (Luther, 1983 : 40). Cette priorité répondait aussi à l’urgence d’assurer la sécurité alimentaire du pays, car l’aide financière américaine s’était brutalement interrompu et la Thaïlande avait imposé un embargo sur les exportations vers le Laos – alors que 70% des importations du Laos en provenaient (Pholsena, 2011 : 137). En 1976, deux mesures – qui satisfaisaient tant des raisons économiques qu’idéologiques – furent prises : d’une part, « l’établissement d’un monopole étatique sur le commerce » et, d’autre part, « la mise en place des impôts agricoles », permettant, in fine, une mobilisation de la production et des populations ainsi qu’une collectivisation des terres (Taillard, 1983 : 127). En 1978, cette collectivisation s’accélérait avec le lancement du « mouvement des coopératives » (ibid, 1983 : 130) et voyait germer en l’espace d’un an plus de 2800 coopératives (Stuart-Fox, 1980 : 284). En 1979, la province de Luang Namtha comptait 59 coopératives (2,4% à

105 l’échelle du pays), un nombre plutôt faible comparativement à d’autres provinces comme Champassak et Khammouane, qui en comptaient respectivement 304 et 433 (Schiller et al, 2006 : 15). Mais ces dispositions politiques brutales furent mal accueillis dans les campagnes en raison de « l’atteinte portée par les coopératives à l’organisation de la société villageoise [et qui] pour la première fois, donnait au pouvoir central les moyens de s’emparer du pouvoir villageois et d’y imposer les cadres du parti » (Taillard, 1983 : 130-131). Sans surprise, « the result was widespread peasant opposition, even to the point of burning crops and leaving the country » (Stuart-Fox, 1981 : 47). Face à cette situation, Taillard décrit :

Interprété comme une série d’actes de dissidence portant atteinte à la sécurité nationale, le refus prit une dimension politique dans une paysannerie jusqu’alors peu politisée. Le lien avec la sécurité nationale devint évident lorsque les populations montagnardes se virent contraintes de s’installer en plaine, et de former, à leur tour, des coopératives. Ainsi, en un peu plus de deux années, […] le nouveau régime avait-il perdu pour une bonne part la confiance de la paysannerie. Pourtant il l’a connaissait bien pour s’être appuyé sur elle pendant toute la durée de la guerre de libération (1983 : 131).

Les réformes de la collectivisation se soldèrent par un lourd échec, car « faute de moyens de productions vraiment nouveaux, la constitution des coopératives » (Dufumier, 1980 : 825) s’avérait aussi bien hâtive que trop prématurée. Ceci avait, entre autres, contraint le Comité central à annoncer en 1979 l’arrêt de la collectivisation et à rétablir, en 1980, la libre circulation des marchandises (Stuart-Fox, 1980 : 296-298). Dès lors, à compter du début des années 1980, l’accent n’était plus tant porté sur la sécurité mais davantage sur la construction économique du pays, débouchant en 1986 sur les réformes des NME. Ces réformes – destinées à transformer l’économie socialiste en économie socialiste de marché –, qui amélioraient nettement les perspectives du secteur agricole (Bourdet, 1995 : 170), auraient dû aussi, à terme, améliorer les conditions des minorités ethniques montagnardes. Mais c’était sans compter, dès 1987, le début de la coopération entre les Etats-Unis d’Amérique et le Laos pour la lutte contre la culture du pavot dans les régions montagneuses (Auclair, 1995 : 292). En l’espace d’une vingtaine d’années, grâce à des mesures très strictes, la production de pavot chutait d’environ 380 tonnes en 1989 à moins de 9 tonnes en 2007 (Cohen, 2009 : 425). Mais ces « aggressive forced eradications […] were unaccompanied with sufficient alternatives for affected farmers », ce qui, « without adequate AD also

106 exacerbated some fundamental drivers of drug production, namely poverty and food insecurity » (Listerman, 2014 : 88-90). Couplées aux politiques de relocalisation dans les plaines et de changement des pratiques agricoles, dès le début des années 1990, les actions de l’État laotien n’auraient, selon Listerman, « only further delegitimize and weaken the government’s writ in affected areas [and] served to amplify the damage to highland communities, increasing the likelihood of resurgent opium production » (2014 : 90-91).

À partir de l’analyse de ces quatre périodes de temps, de 1780 à 1995, il a donc été possible de donner un aperçu des relations, changeantes, entre les systèmes politico- économiques de l’époque et les populations montagnardes plus ou moins intégrées dans ces systèmes (Tableau 5.1). Selon les contextes, ces populations pouvaient tantôt être considérées comme des esclaves (période de vassalité) ou des alliés militaires de choix (guerre d’Indochine). Par ailleurs, leurs moyens de subsistance et leurs productions agricoles se sont adaptés aux besoins de l’époque, des changements semble-t-il plus souvent imposés de force que selon leur gré. Par ricochet, leur utilisation du temps s’en est également trouvée modulée. Désormais, depuis la fin des années 1990, les populations montagnardes sont intégrées dans un nouveau système économique, avec une dynamique territoriale plus vaste que jamais auparavant. Ce système économique correspond à celui de la mondialisation, un système où les populations montagnardes deviennent des intermédiaires dans un processus qui répond à des besoins aussi bien nationaux qu’internationaux. En définitif, ces populations montagnardes sont vouées à devenir des « paysans du monde » (Malassis, 2006). Malgré tout, quels changements cela implique-t-il pour ces paysans du monde ? Comment le temps et le travail se trouvent-ils réorganisés à l’échelle locale ? Pour répondre à ces enjeux, il nous a été possible d’établir, grâce à nos enquêtes de terrain dans la province de Luang Namtha, des calendriers de travail. Ces calendrier peuvent notamment donner matière à réflexion quant à l’utilisation et à la répartition du temps suivant les mois. Il s’agit ainsi de mettre en évidence les activités qui consomment le plus de temps, et celles qui vont venir en remplacer d’autres.

107

Tableau 4.1 : Récapitulatif des relations entre les populations montagnardes et les systèmes territoriaux, suivant les périodes, de 1780 à 2015

Périodes Systèmes territoriaux (en italique) et transformations Subsistance et adaptations à l’échelle locale

Vassalité birmano-siamoise - Produits forestiers et animaliers 1780-1896 - Relation d’interdépendance Tai-Lue/Kha - Riz, maïs, tabac, coton, pavot - Commerce caravanier transfrontalier - Artisanat et commerce transfrontalier

Domination coloniale française - Réorganisation administrative du territoire - Produits forestiers et animaliers 1896-1945 - Mise en valeur coloniale et exploitation des ressources - Riz, maïs, tabac, coton, extension du pavot - Établissement de taxes et imposition de travaux de corvée - Artisanat et commerce colonial et transfrontalier - Insertion du marché capitaliste occidental (érigé en modèle)

Guerres d’Indochine : chaos politique et conflits régionaux - Produits forestiers et animaliers - Opposition idéologique libéralisme/communisme 1945-1975 - Riz, intensification significative du pavot - Sollicitation militaire des populations montagnardes - Perturbation importante des échanges commerciaux - Destructions matérielles et déplacements de populations

Le Pathet Lao : implantation du système communiste - Contrôle, répressions et déplacements des populations - Produits forestiers et animaliers 1975-1995 - 1976 : Collectivisation des biens et des terres - Riz, réduction significative du pavot/peu d’alternatives durables - 1986 : Réformes économiques d’envergure (NME) - Commerce temporairement régulé par l’État - 1987 : Début coopération USA/Laos contre le narcotrafic L’intégration récente : régions montagneuses et minorités - Réduction de l’accès aux forêts et aux NTFPs - 1996 : LFAP ; Mise en place des aires protégées - Réduction de l’agriculture itinérante/persistance du riz pluvial - 1997 : Adhésion à l’ASEAN 1995-2015 - Développement des cultures commerciales (hévéa, banane etc.) - 2004 : National Growth and Poverty Eradication Strategy - Accès aux marchés nationaux/internationaux - Sédentarisation des populations et développement rural - Artisanat et participation aux programmes d’écotourisme - Développement du tourisme international 108

4.2 La détermination du budget-temps

4.2.1 La perception du temps : considérations culturelles et ethniques

Établir un calendrier des cycles et des rythmes de vie annuels nécessite avant tout de poser un cadre sur la perception du temps, suivant les contextes culturels. Car, bien que le calendrier grégorien38 se soit imposé comme le calendrier de référence dans la majeure partie du monde, d’autres calendriers existent, notamment dans le contexte sud-est asiatique. Van Schendel et Nordholt parlent alors de « global and local time regimes » dans les sociétés d’Asie (Tableau 4.2). Dans leur étude, ils cherchent à comprendre comment « in different historical and cultural settings, people construct time as a tool for orienting themselves in the world and organising their personal and group lives »39 (2001 : 8). Cette question est d’autant plus pertinente que l’émergence d’une uniformité globale dans la mesure du temps affecte considérablement les autres « régimes de temps locaux » perçus comme « pré-modernes, non-progressifs, et étant graduellement marginalisés » (traduction libre, ibid, 2011 : 10-11).

Tableau 4.2 : Principaux contrastes entre le régime global (Occidental) et les régimes locaux (Non occidental) Temps occidental Temps non occidental

Moderne Traditionnel Séculaire Religieux Linéaire Cyclique Source : Van Schendel et Nordholt, 2001 : 8

Chez les « sociétés anciennes », comme les minorités montagnardes d’Asie du Sud-Est, l’existence est avant tout rythmée « par les saisons et de façon quotidienne par les activités nécessaires à la survie » (Bailly et Béguin, 2001 : 75). Suivant les groupes ethniques, l’année peut ainsi se diviser en plusieurs saisons. Pour les Akha, celle-ci se divise en deux : la saison sèche et la saison humide. Chaque saison se partage équitablement la moitié d’une année, la saison sèche ayant malgré tout deux sous- divisions : la « minor year », de novembre à décembre, et la « major year », de janvier à avril (Goodman, 1996 : 34). Pour les Khmou, l’année se divise en trois : la saison

38 Conçu à la fin du 16ème siècle par le pape Grégoire XIII, ce calendrier solaire divise l’année en douze mois et dure environ 365,25 jours. La particularité de ce calendrier réside dans la détermination des années bissextiles. 39 Pour plus d’informations voir : Goudsblom, Johan (1997) Het regime van de tijd. Amsterdam : Meulenhoff, p.21.

109 froide, la saison chaude et la saison humide. Les deux premières saisons, la froide et la chaude, comptent chacune pour trois mois, respectivement, de décembre à février, puis de mars à mai. La saison humide, ou plus couramment connue saison des pluies, s’étale quant à elle sur six mois, de juin à novembre (Évrard, 2006 : 134). Cette division de l’année en trois saisons est aussi observable chez les Lamet (Izikowitz, 2001 : 165). Selon Bailly et Béguin, quelles que soient ces perceptions, il y a toujours, malgré tout : une localisation et des déplacements dans l’espace ; une durée avec un commencement et une fin ; une répétition temporelle (fréquence) etc. Grâce à « l’étude des budgets espaces-temps, […] les normes sociétales sont mieux saisies [car] chaque fraction du temps est associé à un espace approprié » (2001 : 76).

Lors de nos entretiens avec les populations montagnardes, dans la province de Luang Namtha, c’est un calendrier d’apparence grégorien qui leur a été proposé de remplir. Bien que ce calendrier aurait pu porter à confusion, aucun n’a montré de difficulté à identifier les mois auxquels s’apparentaient les tâches de travail annuelles : land preparation, seedling, weeding etc. Comme l’explique Nordholt à propos des Balinais, parce que les populations « live in a variety of different time systems » ils ont la capacité de passer d’un calendrier à un autre : « the Gregorian and Wuku calendars in modern Bali do not simply exist side by side. Rather, they interact in a dynamic way » (2001 : 57). Ainsi, selon Nordholt, il peut se produire dans certains contextes « a complex articulation between a state cum capitalist time regime and a local ritual and calendar system », ce qui démontre la capacité de certains calendriers locaux à se moderniser (ibid, 2001 : 75). Peut être qu’une situation similaire se serait produite dans la province de Luang Namtha, où les populations sont parvenues à concilier leur calendrier local avec le calendrier grégorien, diffusé par l’État laotien.

4.2.2 Analyse des calendriers de la province de Luang Namtha

Suivant nos enquêtes de terrain, deux calendriers annuels peuvent être analysés. Le premier calendrier (Figure 4.2) présente le budget-temps investi dans la production de trois groupes de produits, principalement de subsistance : le riz, l’élevage d’animaux, et les produits forestiers non-ligneux. À ceux-ci s’ajoute une partie dédiée aux festivals et aux rites agricoles. Le deuxième calendrier (Figure 4.3) donne un aperçu du travail nécessaire, au fil des mois, à l’entretien de différentes cultures, tant de subsistances que commerciales. Une distinction est notamment faite entre le riz inondé et le riz pluvial.

110 Ce deuxième calendrier ne prétend pas présenter de manière exhaustive toutes les cultures de la province, mais uniquement celles qui ressortent le plus fréquemment chez les paysans interrogés. Parmi les cultures qui ne sont pas listées dans le calendrier, mais qui sont produites dans la province, on peut, entre autres, mentionner : tabac, coton, pastèques, ananas, piments, citrouilles, concombres, mangues etc.

Comme ailleurs en Asie du Sud-Est, le riz – khao en laotien – constitue une culture essentielle dans la vie des populations montagnardes, tant pour des raisons économiques, culturelles que religieuses. Parce que le riz est un aliment central de chaque repas, il domine toutes les autres cultures. Ainsi, chez les Akha, on ne demande pas « Have you eaten yet? » mais plutôt « Have you eaten rice yet? » (Kammerer, 2000 : 40). C’est la même chose en vietnamien, lao, thaï et plusieurs autres langues de la région. Le riz est cultivé suivant deux techniques drastiquement différentes, qui dépendent principalement de la topographie et de l’hydrographie du terrain : le riz inondé (Figure 4.4) ou le riz pluvial (Figure 4.5). L’un et l’autre ne requièrent pas la même charge de travail. D’un côté, le riz inondé :

is almost always planted first in a specially prepared seedbed where it grows until the seedlings are several inches tall. Meanwhile, the fields must be carefully prepared for the rice plants; they are thoroughly cleaned of weeds, and the soil is pulverized and soaked until it becomes a mire of heavy mud. Early in the rainy season, the seedlings are transplanted from the seedbeds to the regular fields – one of the most laborious jobs and certainly the dirtiest, for each individual seedling must be planted in the thick black mud. […] Once the seedlings are transplanted, however, there is little more to do except to keep the dikes in repair and regulate the flow of water (Burling, 1992 : 27).

La préparation des champs et leur entretien s’échelonnent ainsi de février à juillet, couvrant toute la période de repiquage des plants de riz, de mai à juillet. S’en suit, en juillet et août, l’utilisation d’intrants agricoles, avant de pouvoir effectuer la récolte d’octobre à décembre. De l’autre, le riz pluvial :

is not dependent upon flooding. The seeds of this “dry rice” are planted directly in the soil, and the crop grows in much the same way as wheat or any of the other better known-grains of temperate climates. The ground does not have to be so carefully prepared in advance, but new fields must be periodically cleared of trees and brush, and the problem of keeping down the weeds is much more difficult than in wet fields (Burling, 1992 : 27).

111 De mars à juin, la préparation des champs pour le riz pluvial consiste à choisir les terres à défricher, effectuer le brûlage de la parcelle et construire la maison de l’essart. De juin à juillet ont lieu les semailles. Il est important de noter que la parcelle ne se constitue pas exclusivement de riz, mais également d’autres variétés végétales, comme du coton, du café (voir Figure 5.5), du maïs, des concombres etc. (Évrard, 2006 : 140-141). Les entretiens révèlent qu’en général aucun intrant agricole n’est utilisé sur ces parcelles. Deux ou trois désherbages successifs, pour enlever la nya kha, peuvent être effectués d’août à novembre, avant de pouvoir récolter le riz de la fin novembre à début janvier.

Suite à son étude des Khmou du village de Houay Kha, dans le nord du Laos, McAllister a identifié que la répartition des tâches agricoles selon les genres était bien définie. D’un côté, les hommes effectuaient le brûlage de la parcelle, construisaient la maison de l’essart et partaient chasser. De l’autre, les femmes étaient responsable de l’entretien des parcelles durant toute la saison des pluies et collectaient les produits forestiers non-ligneux. Malgré tout, « frustrations about gender inequalities were expressed by the […] Khmu women », en particulier lorsqu’il s’agissait du désherbage, « an unpleasant task » (McAllister, 2013 : 172). Après un entretien avec une femme Khmou, McAllister rapportait que : « The men only help to clear the land, to cut the trees, to burn and with planting. After this, the women do everything until the harvest. The women do all the work in the uplands – the men are lazy and just hang around », contrairement à d’autres groupes, comme chez les Hmong, où les hommes et les femmes sembleraient « work together » (ibid, 2013 : 172-173).

Le nombre et les espèces animales élevées sont très variables d’une famille à l’autre. Bien qu’ils soient destinés à la consommation, les animaux sont aussi un marqueur social indiquant la richesse d’une famille. Suivant nos entretiens, il est ressorti que les hommes s’occupaient davantage du bétail (buffles et vaches), des cochons et des chèvres, tandis que les femmes nourrissaient en priorité la volaille (poules et canards). Au cours de la saison des pluies, de nombreux produits forestiers non-ligneux peuvent faire l’objet d’une attention particulière. C’est ainsi que de mai à octobre, les populations montagnardes, notamment les femmes, s’attèlent à cueillir fruits, fleurs, champignons, plantes médicinales et autres pour leurs besoins quotidiens. Par ailleurs, les hommes n’hésitent pas à aller chasser (singes, mulots, sangliers, cerfs, oiseaux, reptiles etc.), ce qui permet « de faire des réserves de viande pour l’époque de la récolte, durant laquelle les efforts de tous seront consacrés à rentrer le plus vite

112 possible le paddy dans les greniers » (Évrard, 2006 : 143). Par exemple, au cours d’un entretien avec un habitant du village de Phupath, un voisin était revenu en fin de matinée de la chasse avec, dans le coffre de sa moto, un iguane encore vivant, attrapé grâce à l’un de ses pièges posés dans la forêt.

Parmi les festivités – Bun en laotien - auxquelles les populations montagnardes accordent de l’importance, on retrouve à la mi-janvier la Bun Khun Khao, une fête agricole qui marque la fin des moissons. Suivant des danses et des cérémonies, les paysans remercient durant plusieurs jours les esprits de la terre pour les récoltes, dont le riz. Entre le 13 et le 16 avril, c’est la Bun Pii Mai (Nouvel An Lao) qui est à l’honneur, aussi connue comme la Fête de l’eau, qui correspond avec le moment le plus chaud de l’année. Enfin, le 02 décembre, c’est la Vanh Saad (Fête nationale) qui est célébrée, date d’anniversaire commémorant l’arrivée au pouvoir du Pathet Lao en 1975. Durant cette journée, de nombreuses cérémonies protocolaires s’accompagnent de défilés et de discours officiels, principalement dans la capitale de Vientiane.

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Source : Enquêtes mai-juillet 2015

Figure 4.2 : Calendrier du budget-temps des populations ethniques montagnardes de la province de Luang Namtha (#1)

114 Dans le deuxième calendrier, un aperçu annuel de neuf cultures agricoles est analysé. Parmi elles, quatre correspondent à des cultures majoritairement de subsistance – dont le riz –, quatre s’apparentent à des cultures principalement commerciales, et une dernière, la cardamome, ressort selon nos enquêtes comme une culture à double usage. Comme il est visible dans le calendrier, chaque culture se distingue des autres, que ce soit : par la durée requise du travail annuel pour l’entretien ou, par les variations mensuelles des étapes – de la préparation de terres à la récolte finale. Bien qu’il serait intéressant de détailler chacune de ces cultures, la comparaison entre les plantations d’hévéa et de bananes semble davantage intéressante, du fait de leur récurrence chez les personnes interrogées, mais aussi pour ce qui a trait au budget-temps investi.

Selon les paysans enquêtés, la culture de l’hévéa se déroulerait en trois étapes. La première concerne la transplantation des jeunes arbres dans les parcelles, entre les mois de mai et de juillet, une période semblerait-il idéale dans l’année pour effectuer cette opération. Lorsque faite, cette étape n’est pas à renouveler chaque année, l’arbre ayant une espérance de vie d’environ vingt ans lorsque qu’exploité, à l’inverse des plants de riz qui nécessitent d’être replantés chaque année. La deuxième étape exige un désherbage régulier, tant que l’arbre n’est pas arrivé à maturité pour produire du latex – une maturité qui est atteinte après environ sept ans ; les arbres ont alors une hauteur d’au moins trois à cinq mètres et une diamètre de tronc d’au moins quinze centimètres. Ce désherbage devient plus espacé lorsque l’arbre a atteint sa maturité. De nombreux paysans avaient l’habitude d’effectuer un désherbage intensif au mois de février. Enfin, la troisième étape est celle de la saignée, possible de mars jusqu’à octobre, pour récolter le latex qu’on fait s’écouler du tronc de l’arbre. La fréquence de ces saignées variait selon les paysans, de tous les deux jours à chaque semaine, dépendamment de l’intensité souhaitée, de la distance village-plantation, et de la priorité accordée aux autres tâches agricoles.

Par comparaison, la culture de bananes paraissait moins contraignante pour les populations montagnardes, bien qu’en réalité toute aussi exigeante qu’une plantation d’hévéas. Cette situation s’explique principalement par le type de contrat établi avec les investisseurs chinois : à savoir « 2+3 » ou « 1+4 ». À Luang Namtha, nos enquêtes ont révélé que la totalité des plantations de bananes s’opéraient selon un arrangement « 1+4 » – où le paysan ne fournit que la terre –, à l’inverse des contrats pour les plantations d’hévéas, qui se présentaient exclusivement sous la forme « 2+3 » – où le

115 paysan fournit la main d’œuvre en plus de la terre. Dans ce contexte, parce qu’une plantation de bananes n’exige en retour aucun travail pour le propriétaire des terres, à l’inverse d’une plantation d’hévéas, l’impact sur le budget-temps n’était en conséquence pas le même. Le temps économisé d’un côté peut dès lors être dépensé ailleurs : soit comme main d’œuvre sur d’autres plantations, soit dans des activités de loisir (Figure 4.6). Certains paysans, notamment dans le district de Sing, se retrouvaient finalement à recevoir de l’argent des compagnies chinoises qui louent leurs terres, sans pour autant avoir besoin de travailler. Selon Khonekeo Bannavong40, fonctionnaire au Muang Sing Agriculture Office, cette situation, où les paysans ne sont pas contraints de travailler, engendre des effets négatifs au niveau social. D’une part, les enfants voient leurs parents gagner de l’argent sans travailler, ce qui leurs fait perdre la notion de valeur et le sens des réalités. D’autre part, parce qu’ils disposent de temps libre et d’argent, toujours selon Bannavong, certains paysans développent des habitudes déraisonnables (alcoolisme, jeux d’argents, fêtes, etc.). Le développement des plantations de bananes cause par ailleurs de graves conséquences sur le plan environnemental, par exemple par la pollution des rivières et des sols (Figure 4.7). Aux yeux de Soupheang Silorvong41, fonctionnaire au Provincial Agriculture Office, « Chinese don’t care of environment, only how much money they can make ». Cette vision s’est confirmée à plusieurs reprises pour les fonctionnaires du Muang Sing Agriculture Office, témoins de paysans qui, à la fin de leur contrat avec des compagnies chinoises, se sont retrouvés avec des terres inexploitables, tellement elles étaient polluées par les déchets plastiques et l’utilisation abusive d’intrants agricoles chimiques. Lorsque possible, la remise en état de la parcelle nécessite d’investir, selon Mr. Bannavont, beaucoup d’argent et de temps. Pour d’autres paysans, la location de leurs terres est une opportunité pour investir du temps dans un autre travail, en particulier comme main d’œuvre sur les plantations. C’était, entre autres, le cas pour l’un des paysans akha interviewés à Sing, qui nous a confié que sa femme et son fils ainé travaillaient depuis deux ans sur une plantation de bananes située à deux kilomètres du village. Ils étaient chargés de l’entretien des bananiers et de la récolte. D’autres paysans interviewés à Sing ont également fait mention du travail de main d’œuvre sur les plantations de canne à sucre et de pastèques.

40 Entretien le 22 juin 2015 à Muang Sing 41 Entretien le 29 juin 2015 à Luang Namtha

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Source : Enquêtes mai-juillet 2015

Figure 4.3 : Calendrier du budget-temps des populations ethniques montagnardes de la province de Luang Namtha (#2)

117 Figure 4.4 : Culture du riz inondé dans la plaine de Muang Sing – Juin 2015

Figure 4.5 : Culture du riz pluvial dans les collines de Muang Sing – Juin 2015

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Figure 4.6 : Terrain de pétanque dans le village de Mom, district de Sing – Juin 2015

Figure 4.7 : Aperçu d’une plantation de bananes, district de Sing – Juin 2015

119 Les deux calendriers de la province de Luang Namtha offrent ainsi un aperçu de l’occupation du temps des minorités ethniques, mensuellement et annuellement. Ces calendriers présentent la base du travail, principalement agricole, des paysans montagnards. Tandis que la production de certains produits répond à des finalités de subsistance, d’autres sont purement commerciales. À ce titre, parmi toutes les cultures auxquelles les populations investissent du temps, il semblerait, qu’à Luang Namtha, les cultures de l’hévéa et de la banane constituent des marqueurs forts du processus d’intégration des populations aux marchés internationaux. Outre faire appel à des contrats avec des compagnies étrangères, elles assurent, par la revente de la production ou la location des terres, un revenu pour les populations.

Malgré tout, ces calendriers témoignent peu du budget-temps investi parallèlement au temps de travail, comme les activités de loisir. Que font les populations le reste du temps ? De quelle manière les populations vont-elles réallouer leur temps ? Et de ce fait, quelles technologies ou structures vont permettre une réallocation/un remaniement du budget-temps ? Suivant nos entretiens et les témoignages des populations, trois éléments, qui contribuent à cette réallocation, se distinguent :

(i) L’électricité. Dans certains villages, comme ceux de Phouthin et de Konlang, tous deux situés dans le district de Nalae, le raccordement au réseau électrique est récent, respectivement 2012 et 2014. Bien que quelques villageois disposaient auparavant d’autres options pour se procurer cette ressource – générateurs à essence et panneaux solaires – l’électricité reste, pour la plupart, un élément nouveau du quotidien. Parmi tous ses avantages, des villageois ont confié que la lumière, générée par l’électricité, leur offrait la possibilité d’effectuer des tâches supplémentaires une fois la nuit tombée, ce qui, au final, rallonge la durée potentielle de travail dans la journée. Un enfant pourrait, par exemple, effectuer ses devoirs plus tard dans la journée. Lorsqu’un réfrigérateur était à disposition, l’électricité permettait aussi de conserver les aliments plus longtemps et réduisait donc le temps alloué à la collecte de nourriture. Ce temps économisé d’un côté peut ainsi être investi ailleurs. Selon nos observations, l’électricité permettait enfin aux populations de recharger des appareils électroniques (principalement des téléphones), de regarder la télévision, ou encore d’écouter de la musique sur la radio. En somme, l’électricité permettait aux populations d’accéder à de nouvelles formes d’activités.

120 (ii) Les télécommunications. Tout d’abord, il va de soit que l’accès aux télécommunications est premièrement dépendant de l’accès à l’électricité. La première est dépendante de la deuxième. Si un villageois n’a pas accès à l’électricité, il n’aura très probablement pas accès au réseau de télécommunications, du simple fait de ne pas pouvoir recharger son téléphone ou brancher ses appareils électroniques. Comme démontré dans le chapitre précédent, trois biens de consommation semblent être devenus de rigueur, parmi lesquels le cellulaire et la télévision. Pour leur utilisation, chacun requiert un accès à l’électricité, mais surtout un accès au réseau de télécommunications, via des antennes (Figure 4.8 et 4.9). D’un côté, le cellulaire facilite les communications, mais il permet aussi une meilleure organisation du temps. De l’autre, la télévision donne accès à l’information et constitue une activité de passe- temps. Ensemble, ils provoquent une contraction de l’espace-temps, en effaçant les distances et les contraintes de l’isolement géographique, et restructurent le territoire des populations ethniques montagnardes.

(iii) Les routes. Pour un village, bénéficier d’un accès à une route – goudronnée ou four seasons – constitue un avantage conséquent en termes de mobilité des populations. Elles facilitent non seulement les déplacements, mais réduisent aussi leur durée. À plusieurs reprises, au cours d’entretiens, des enquêtés des districts de Nalae et de Sing ont affirmé que l’extension du réseau routier jusqu’à leur village a changé leurs habitudes et la fréquence de leurs déplacements. Désormais, il leur était possible de passer plus de temps à l’extérieur du village, d’aller plus souvent au marché (pour acheter ou vendre des produits), de rendre plus souvent visite à la famille vivant dans des villes voisines, ou encore de pouvoir assister à des festivités dans la capitale provinciale Luang Namtha. Avant le raccordement de leur village au réseau routier, certaines personnes ne s’étaient même jamais rendues à Luang Namtha ! C’est notamment le cas de Nan Seang, chef du village de Hatchala, dans le district de Nalae. Depuis la route, il s’y rend une fois chaque année.

Pour conclure ici, électricité, télécommunications et routes, qui respectivement sont aussi ressource, technologie et structure publique, constituent des éléments qui vont permettre aux populations de réallouer leur temps. Associés aux nouvelles cultures et pratiques agricoles, c’est tout le budget-temps des minorités montagnardes qui s’en trouve finalement remanié, dans un système territorial qui leur est plus complexe que jamais auparavant.

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Figure 4.8 : Une antenne-relais de télécommunication à Luang Namtha – Juillet 2015

Figure 4.9 : Une vache attachée à une antenne de réception dans le village de Ban Van, district de Nalae – Juillet 2015

122 Chapitre 5 : Processus d’intégration et d’adaptation – Des éléments qui éclosent de la recherche

Depuis 1975, dans sa vision de construction d’un État moderne, le gouvernement laotien œuvre pour consolider sa légitimité et ses prétentions territoriales. Assoir sa légitimité suppose donc de domestiquer des espaces, de les territorialiser, et de « trouver la ‘maille’ la plus adéquate pour […] ‘voir’ le mieux possible » (Raffestin, 1980 : 33). Installé dans les plaines, lieux des pouvoirs centraux en Asie du Sud-Est continentale, l’État laotien cherche ainsi à territorialiser les régions montagneuses pour y étendre son pouvoir. Ces régions montagneuses, comme celles présentes en Thaïlande, sont comparables à la couronne externe de sa matrice territoriale (Bruneau, 1977 : 124). Mais, pour pleinement assoir sa légitimité, l’État se doit aussi de contrôler les populations qui habitent ces territoires. S’approprier un espace suggère donc un acteur pour le territorialiser. Or, la population est « le fondement et la source de tous les acteurs, de toutes les organisations. [Elle est] la source du pouvoir, le fondement même du pouvoir, par sa capacité d’innovation liée à son potentiel de travail » (Raffestin, 1980 : 3, 59). Territoire et population sont de sorte des composantes indissociables, sources de pouvoir pour l’État. Sans eux, l’État n’existerait pas (Déry, 1999 : 225). C’est, suivant ces considérations, que le regard de l’État laotien s’est porté sur les régions montagneuses périphériques et leurs populations ethniques minoritaires.

L’intégration nationale des composantes population et territoire a progressivement, mais indéniablement, contribué à la construction de l’État moderne du Laos. Motivée en premier lieu par le gouvernement laotien, l’intégration des régions montagneuses du nord – parmi lesquelles se trouve la province de Luang Namtha – s’est faite suivant une succession de programmes et de réformes, définies par un cadre d’action précis. Malgré tout, l’État a-t-il été le seul à articuler cette intégration ? Peut-on penser que la dynamique de cette intégration était uniquement contrôlée par l’État ? Il semble que non !

5.1 L’intégration, un processus qui comporte plusieurs facettes

Jusqu’au troisième quart du vingtième siècle, les relations entre les différents systèmes politico-économiques de l’époque et les populations montagnardes – plus ou moins intégrées dans ces systèmes – ont été changeantes. À partir de 1975, s’intéressant

123 lui aussi aux minorités ethniques et aux régions montagneuses du nord, l’État laotien poursuivit le dessein de leur intégration. Mais ce n’est qu’au début des années 1990 que cette intégration prit toute son ampleur et s’intensifia. L’État laotien engageait alors des mesures – plus puissantes que les Français à l’époque coloniale – qui visaient tant à administrer le territoire qu’à contrôler les populations locales. En somme, l’État s’appropriait les ressources qui s’offraient à lui, suivant le principe d’accumulation primitive (Baird, 2011). Ces ressources, notamment la composante population, sont la source de son pouvoir, mais en sont également les instruments, « par leur capacité à satisfaire des besoins fondamentaux » (Raffestin, 1980 : 229). Elles permettent à la fois d’aboutir à la construction d’un État moderne mais assurent aussi sa survie, grâce aux revenus qui peuvent en découler. L’accumulation des ressources, de ces « populations ressources », se justifie d’autant plus par la volonté de l’État « to propel the rural population from the semi-subsistence livelihoods directly into an economy dominated by wage-level » (Baird, 2011 : 22-23).

Visible suivant différentes échelles spatiales, le processus d’intégration mené par l’État laotien a entrainé de multiples transformations dans la province de Luang Namtha. On peut, entre autres, déceler des transformations d’ordres agricoles (nouvelles cultures et pratiques), culturelles (accès à l’information et aux divertissements), socioéconomiques (réduction de la pauvreté, accès à l’éducation et aux soins, parfois changement des moyens de subsistance, etc.), ou encore territoriales (propriété foncière, délimitation d’aires protégées, etc.). Mais cette intégration semble aussi créer des transformations dont l’État contrôle moins la dynamique, et qui, pourtant, influencent la vitesse du changement à l’échelle de la province.

Comme l’expose Tan, les Chinois sont non seulement les principaux acteurs du changement, mais aussi les principaux bénéficiaires, par leur capacité à dominer de manière presque exclusive l’économie locale (2014 : 427). Cette domination – évidente dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie, du commerce et de l’exploitation des ressources minières et hydrauliques – est marquée par d’importants flux d’investissements et de migrants en provenance du Yunnan. Or, ces migrants, ces populations, agissent aussi comme des acteurs venant territorialiser la province. Il en résulte donc deux systèmes concurrentiels, laotien et chinois, plus spécifiquement yunnannais, pour un même espace devenu enjeu de pouvoir, celui de la province de

124 Luang Namtha 42 . Une dynamique particulière différencie, malgré tout, ces deux systèmes concurrentiels. D’un côté, comme le souligne Rigg « The Lao government’s rural-development policy is area based and focuses on concentrating resources and services in particular areas, bringing the people to these development centers » (2009 : 712). De l’autre, comme en témoignent (i) le fonctionnement des réseaux d’affaires transnationaux et (ii) nos enquêtes de terrain, ce sont les Chinois qui vont vers les populations montagnardes, plutôt que vice-versa. L’influence croissante du système Yunnan (Chine) pourrait en partie s’expliquer par l’établissement des couloirs économiques, comme celui de la GMS, qui favorisent l’intégration régionale et enserrent la province dans un nouveau maillage géoéconomique. En dépit de l’influence du Yunnan, on pourrait dire qu’en théorie, elle ne devrait pas représenter une menace pour l’État laotien. Premièrement, la territorialisation de la province de Luang Namtha ne constitue pas une stratégie nationale chinoise et, deuxièmement, la Chine – en tant que partenaire de dialogue de l’ASEAN – est tenue par la déclaration de 1967 qui prône le respect des frontières et la non-contestation de la souveraineté des pays membres : « to ensure their stability and security from external interference »43.

Par ailleurs, les espaces de la province de Luang Namtha sont convoités un autre système, plus abstrait, et qui détermine pourtant son intégration à l’échelle mondiale : le marché. Suivant l’œuvre de Polanyi, La Grande Transformation, Louis Dumont dépeint dans la préface ce marché « étendu aux dimensions du monde, […] vorace, [qui] rejette tout contrôle et prétend à une sorte d’autorité suprême » (1983 : ix). Ce marché, perceptible à Luang Namtha par la variation permanente des prix d’achat du latex, des bananes ou du sucre aux paysans, affecte désormais de manière inhérente le quotidien des populations montagnardes. Il décide de la dépréciation ou de l’appréciation de leur monnaie, du taux de remboursement de leurs emprunts bancaires, ou encore de leur pouvoir à l’échelle mondiale.

Lequel parmi ces trois systèmes (Laos, Yunnan ou marché mondial) a le plus de poids pour les habitants de Luang Namtha ? Lequel influence le plus le rythme du changement, la vitesse et la manière dont se produit l’intégration de la province de Luang Namtha dans des systèmes extérieurs ? (Figure 5.1). Trouver une juste réponse à

42 Voir Li (1999) et Rigg (2009) pour une comparaison de systèmes concurrentiels à différents niveaux géographiques. 43 http://asean.org/the-asean-declaration-bangkok-declaration-bangkok-8-august-1967/

125 ces questions nécessiterait d’en approfondir l’étude. Néanmoins, comme l’indique Polanyi dans son étude des transformations liées à la révolution industrielle en Angleterre, « il se peut fort bien que dépende de nous le rythme auquel nous permettons que le changement survienne […] car de ce rythme dépendait d’abord la question de savoir si les dépossédés pourraient s’adapter à de nouvelles conditions d’existence » (1980 : 64). Dès lors, la question ne serait pas tant de savoir quel système est le plus prépondérant, mais davantage : lequel facilite, ou complique, le plus l’adaptation ? Les processus d’adaptation, et dans le même ordre, de marginalisation, face au processus d’intégration, prennent ainsi tout leur sens.

Figure 5.1 : Territorialisations emboîtées et concurrentielles

5.2 L’adaptation, oui, mais de quelle manière ?

Comprendre la capacité d’un individu, ou d’un groupe d’individus, à s’adapter aux changements dans leur environnement de vie constitue un axe central de cette recherche. Car la capacité à s’adapter détermine les modalités de l’intégration dans les nouveaux systèmes. Dans le contexte sud-est asiatique, les périphéries montagneuses ont pendant longtemps été perçues par les pouvoirs centraux des plaines comme des régions marginales, « bastions géographiques » et « zones-refuges » pour des populations dites « barbares », qui cherchaient délibérément à fuir l’État (Scott, 2009).

126 Malgré leur éloignement géographique, ces populations se trouvent à nouveau dans le halo de l’État, celui-ci déterminé, plus que jamais, à porter dans ces régions des projets de construction nationale. De ce fait, il est légitime de se demander si ces populations désirent même être intégrées par ces projets. En ont-elles réellement le choix ?

Aristote (384-322 av. J.-C.) enseignait que « seuls les dieux ou les bêtes peuvent vivre en dehors de la société, et l’homme n’est ni dieu ni bête ». Ce constat s’avère d’autant plus vrai aujourd’hui que l’ouverture à la société et à la civilisation moderne est « inévitable » (Jullien, 2010 : 39), bien que plusieurs auteurs aient constaté certaines formes de résistance face aux changements (Polanyi, 1983 ; Hirsch et Warren, 1998 ; Forsyth, 2009 ; Turner et Caouette, 2009). Ainsi, l’intégration paraissant inévitable, quelle est la capacité des populations à s’adapter aux nouveaux systèmes nationaux et internationaux ? Il est possible d’affirmer, grâce à nos enquêtes de terrain, que les populations rurales du nord du Laos détiennent une capacité – variable selon les individus et les contextes – à s’adapter aux changements. Ce constat est observable par l’assimilation de nouvelles connaissances (agricoles et autres), par l’adoption de nouvelles habitudes (activités, déplacements, etc.) ou encore par la réorganisation de leur temps de travail. Parfois, ces populations bénéficient d’aides de l’État, ou d’autres acteurs locaux (réseaux chinois, famille, amis, etc.), pour faciliter cette transition, et l’accomplir avec une certaine rapidité. Mais elles ont également démontré la capacité à s’adapter par leurs propres moyens. C’est notamment le cas de la langue. McKinnon et Michaud constatent que les populations montagnardes « will speak at least three languages: their natal tongue; the language of the people in at least one of the neighbouring villages; and, the national and/or regional language of the nation state in which they live in » (2000 : 7). Scott précise même que « bilingualism among minority hill peoples was the rule rather than the exception », avec la capacité de « change their language almost as often as they change their clothes » (2009 : 239).

Considérer les avantages et les inconvénients de l’intégration pour les populations montagnardes nécessite de prendre du recul et d’en faire l’évaluation. D’une part, n’est-il pas souhaitable qu’elles puissent avoir accès à l’éducation, aux soins, à l’électricité et aux marchés ? Ne souhaitent-elles pas elles-mêmes de meilleures conditions de vie pour leurs enfants ? Comme l’avaient confié des fonctionnaires provinciaux lors des enquêtes de terrain, il n’était pas rare, au début des années 1990, que certains villages ethniques minoritaires, notamment Akha, soient réticents à

127 accepter ce que l’État avait à leurs offrir. Mais, progressivement, « other villages came to see the lowland resettled villages and saw how good it actually was »44. D’autre part, quel est le prix d’un tel compromis ? N’y a-t-il pas des pertes en retour à ces gains ? Face à ces transformations, on peut, entre autres, noter l’apparition d’un mode de vie individualiste (Figure 5.2), l’aspiration à l’enrichissement – et de surcroit à la consommation –, l’endettement financier, la compétition pour la distinction sociale, etc. En définitive, l’intégration et l’adaptation aux nouveaux systèmes ne peut-elle pas aussi entrainer une marginalisation ? L’endettement financier constitue bien un exemple de marginalisation, celle qui se constitue par rapport aux marchés et qui produit des conséquences dans tous les autres aspects de la vie quotidienne. Il y a donc indéniablement des avantages et des inconvénients.

Finalement, si l’intégration aux nouveaux systèmes constitue le seul chemin, la façon dont elle s’opère n’engage-t-elle pas la responsabilité de l’État ? C’est une des conclusions à laquelle en arrive Jullien, qui estime que les conséquences d’une ouverture non régulée des régions reculées à la civilisation moderne pourraient être irréparables (2010 : 40). Selon lui, quatre possibilités s’offrent à nous :

Soit, je l’ai déjà indiqué, on prétend bloquer cette évolution et maintenir une pseudo-identité de ces populations comme appât du tourisme et échantillon singulier d’humanité. […] Soit on veut au contraire, mais de façon tout aussi arbitraire, intégrer ces populations au plus tôt et les conduire à marches forcées à l’assimilation. […] Dans les deux cas, on a disposé du destin de ces populations malgré elles ; d’une façon comme de l’autre, le résultat est celui de l’aliénation. Soit encore, parce qu’on tient cette évolution inéluctable, on la laisse se réaliser d’elle-même, sponte sua : l’assimilation et la déculturation se produisent alors selon les seules lois du marché et passivement. Ces régions, entrant brusquement en contact avec le monde moderne, découvrent alors brutalement leur retard ce qui leur revient alors en plein visage comme leur pauvreté. […] Elle fait surgir des exclus. Soit on conçoit une politique. Mais, pour cela, il faudra d’abord modifier les termes du problème affronté. […] Ne plus envisager celui-ci en termes de « minorité » (ethnique) mais de diversité (culturelle) [et promouvoir ces régions] en tant que lieux propres, comptant pleinement pour eux-mêmes, à part entière, acquérant leur intensité. Car le local (le régional) n’est plus notion minorante ni non plus restrictive ou fermée. [Dès lors, il faut promouvoir] ce que j’appellerai « l’autoconsistance » de tels lieux, jusqu’ici excentrés, mais s’ouvrant à l’échange (2010 : 40-42).

44 Entretien avec Monsieur Virason Dainhansa le 22 juillet 2015 à Luang Namtha

128 Cette dernière possibilité, celle d’une « autoconsistance » de la province de Luang Namtha, semble être la tendance qui se dessine actuellement, suivant son insertion dans le maillage régional de la GMS. Mais seules les politiques futures de l’État laotien viendront confirmer, ou non, cette hypothèse.

Figure 5.2 : Délimitation d’une propriété dans le village de Mom, district de Sing – Juin 2015

129 Conclusion

Dans le cadre de cette recherche, l’objectif principal était de mieux comprendre comment les minorités ethniques montagnardes, de la province de Luang Namtha, s’adaptent aux projets de modernisation et de développement économique menés par l’État laotien.

Premièrement, le portrait multiniveaux des interventions qui contribuent à intégrer les régions montagneuses laotiennes met en lumière deux grands constats : (i) les politiques interventionnistes, justifiées par la nécessité de répondre à des besoins cruciaux - comme l’éducation et la santé – ont permis à l’État laotien de consolider ses marges territoriales et de renforcer son contrôle sur les populations ethniques minoritaires du pays. L’analyse de la littérature démontre toutefois que ces actions politiques n’ont pas toujours eu les résultats escomptés, et étaient parfois en contradiction avec la logique d’intégration. En effet, certains processus de marginalisation seraient à l’œuvre, entre autres, par l’augmentation des inégalités à l’échelle nationale et l’appauvrissement des populations rurales en raison d’une réduction d’accès aux moyens de subsistance ; (ii) les projets politico-économiques conduits aux échelles internationale et régionale ont participé tant à l’émergence économique de la province de Luang Namtha qu’à son insertion dans un nouveau maillage géoéconomique. Cependant, parce qu’ils réorganisent la géographie socioéconomique des régions montagneuses, ces processus d’intégration sont à considérer aussi bien avec des opportunités qu’avec des défis. À titre de rappel, la promotion de l’écotourisme crée des possibilités d’emplois et offre des moyens de subsistance alternatifs aux populations locales. Mais, dans une autre mesure, ce processus d’intégration pourrait, à long terme, provoquer l’aliénation de ces mêmes populations ethniques minoritaires par celle des basses terres.

Deuxièmement, à partir des enquêtes de terrain, le portrait socioéconomique de la province de Luang Namtha et l’analyse des facteurs qui contribuent à modifier la vitesse du processus d’intégration – et celle de l’adaptation à ce même processus – démontrent des transformations dans quatre grands thèmes. (i) L’agriculture. L’évolution des pratiques et de l’utilisation du sol s’observent, d’une part, par la diminution de l’agriculture itinérante sur brûlis et l’augmentation des superficies dédiées aux cultures commerciales et, d’autre part, par l’acquisition de nouvelles

130 connaissances agricoles. La réduction de l’accès aux produits forestiers non-ligneux durant la période de transition complique toutefois le processus d’adaptation. (ii) La modernité. L’amélioration générale des conditions de vie et la hausse d’achats de biens de consommation – jugés comme modernes – témoignent de revenus moyens plus importants, grâce aux nouvelles opportunités agrocommerciales. Cependant, des disparités économiques entre les ménages des districts de Nalae et de Sing émergent : les plantations d’hévéa rapportent en moyenne six fois moins d’argent que les plantations de bananes. (iii) L’éducation. L’expansion du système éducatif de l’État améliore l’accès des populations ethniques montagnardes à ce même système, participant à l’augmentation progressive du nombre d’étudiants et du niveau général d’éducation. Le temps d’établissement de ce système et la durée de formation d’enseignants impose néanmoins à l’État de considérer certaines priorités qui ralentissent l’uniformisation de l’accès à l’échelle de la province. (iv) La santé. De paire avec le système éducatif, l’expansion du système de santé publique améliore en particulier l’accès aux structures sanitaires et facilite le recours aux soins. Pour autant, des réticences quant à la fréquentation des établissements sanitaires demeurent, en raison des conceptions encore trop lointaines de la médecine occidentale pour les populations ethniques montagnardes. En résumé, les dynamiques actuelles de la province de Luang Namtha semblent contribuer à l’intégration des populations locales, mais leur adaptation à ce même processus reste variable selon les contextes : certaines personnes intérrogées éprouvent plus de difficultés que d’autres et nécessitent plus de temps.

Troisièmement, l’étude historique des rapports entre les pouvoirs des plaines et les populations montagnardes a démontré la capacité des populations montagnardes à s’adaptater face aux transformations et aux différents systèmes territoriaux depuis 1780. Leurs moyens de subsistance et leurs productions agricoles se sont ajustés aux besoins successifs des époques, bien que ces changements leurs ont plus souvent été imposés de force que de plein gré. Parallèlement, leur utilisation du temps s’en est également trouvée modulée. Ce constat s’est confirmé par l’analyse des calendriers de travail de la paysanerie montagnarde et par l’élaboration d’un portrait du budget-temps, pour un échantillon de soixante personnes de la province de Luang Namtha. Ce calendrier donne ainsi matière à réflexion sur les moyens utilisés pour arriver à maitriser l’énergie et l’information utiles dans les nouveaux systèmes territoriaux.

131 L’examen de la province de Luang Namtha et de ses populations ethniques minoritaires, situées dans les régions montagneuses périphériques du nord du Laos, ont permis d’identifier qu’un processus d’intégration est à l’œuvre, un processus auquel les populations locales s’adaptent. Comme l’indique High, l’émergence économique du Laos et son intégration au marché mondial s’effectuent suivant la logique d’un « resource-driven development » où la population et le territoire « are increasingly being reinterpreted as resource available for profitable exploitation » (2010 : 156). Des ressources, notamment naturelles, souvent dépeintes comme étant abondantes au sein du pays. Le mythe de cette abondance reste néanmoins à nuancer. Suivant la base de donnée The Changing Wealth of Nations de la Banque Mondiale, qui évaluait en 2005 la valeur du capital naturel de 125 pays45, le Laos aurait disposé d’un capital naturel d’une valeur d’environ 25 milliards de dollars ÉU, contre 500 milliards pour la Thaïlande, 1 080 milliards pour l’Indonésie, ou même 5 200 milliards pour la Chine – premier pays du classement mondial de 2005 pour son capital naturel. Par comparaison à ces trois autres pays de la région, le capital naturel du Laos s’avèrait donc très faible. Toutefois, rapporté par habitant, le capital naturel du Laos s’estimait à 4 444$ÉU, inférieur à la Thaïlande, mais relativement équilibré en comparaison avec l’Indonésie et la Chine, les trois affichant respectivement 7 810$ÉU, 4 926$ÉU et 4 013$ÉU. En raison de ses activités industrielles encore limitées, le développement économique du Laos et les revenus fiscaux du gouvernement sont donc tributaires de son capital naturel qui, en 2010, représentait près de 54% de la richesse nationale du pays (Banque mondiale, 2010 : 11). Cette dépendance est d’autant plus accentuée dans le NGPES de 2004 qui promeut la transformation de ces richesses naturelles en capital économique, afin de stimuler la croissance économique nationale (GoL, 2004 : 5). Comme démontré dans le chapitre 2, l’afflux d’investissements étrangers dans le secteur des ressources naturelles a non seulement contribué à l’essor économique du pays, mais aussi à celui de la province de Luang Namtha. Mais, de façon concomitante, ces investissements accentuent le risque de dégradation des ressources naturelles disponibles, socle économique du pays : « it is highly likely that the country’s natural resource wealth will be further eroded » (Lagerqvist, 2017 : 396). Les conséquences de cette dégradation

45 https://data.worldbank.org/data-catalog/wealth-of-nations Définition du capital naturel selon la Banque mondiale : « Natural capital is sum of Crop, Pasture Land, Timber, Non Timber Forest, Protected Areas, Oil, Natural Gas, Coal, and Minerals ». Sont donc exclus de ce capital les ressources marines et hydroélectriques.

132 sont déjà visibles dans les provinces du nord, comme en témoigne The Diplomat dans un article paru en avril 2017 :

Chinese investors initially rushed into neighboring Laos to build banana plantations in the impoverished northern provinces, which satiated growing demand for bananas in China while providing Lao people with jobs. But multiple reports have since surfaced about how practices on the plantations – particularly the excessive use of pesticides and chemicals – have damaged the environment and endangered the lives of workers46.

Face à ce risque, la dégradation de l’environnement pourrait non seulement freiner la croissance économique nationale, mais aussi accentuer la pauvreté en compromettant l’accès aux moyens de subsistance des populations rurales – encore dépendantes des ressources naturelles (Fullbrook, 2009). Dès lors, comme l’avance Lagerqvist, un des défis majeurs à venir pour le gouvernement laotien ne serait pas tant d’atteindre les prévisions de croissance économique grâce à la capitalisation des ressources naturelles, mais considérer davantage l’importance des richesses naturelles pour les populations laotiennes et d’évaluer les conséquences à long terme – socioéconomiques et environnementales – encourus par des investissements spéculatifs qui focalisent sur des profits à court-terme (2017 : 398).

Au final, plusieurs retombées scientifiques sont à noter pour cette recherche. Premièrement, en contribuant à mieux comprendre les rouages de l’adaptation face aux transformations territoriales, les résultats de cette étude viennent s’ajouter à l’ensemble des connaissances sur les processus d’adaptation et plus particulièrement sur la transition agraire. Deuxièmement, cette étude de cas sur la province de Luang Namtha participe à documenter l’évolution contemporaine des sociétés rurales du Laos. Troisièmement, cette étude se veut un apport à la recherche sur les dynamiques de l’intégration des régions montagneuses en Asie du Sud-Est. Enfin, quatrièmement, elle offre matière à réflexion quant aux transformations des modes de vie et les réponses adaptatives des sociétés.

46 http://thediplomat.com/2017/04/whats-behind-the-china-banana-ban-in-laos/

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153 Annexe 1 : Questionnaire utilisé sur le terrain

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