Dans la même collection :

Giacomo Agostini : La fureur de vaincre. J.-C. Baudot et J. Séguéla : La terre en rond. Freddy Boller : L'enfer des crocodiles. Aventures au Kalahari. Danielle Bourgeois : Deux lotus en Himalaya. Jean et Danielle Bourgeois : Les seigneurs d'Aryana. Pierre Chenal : La dernière tempête. Pierre Clostermann : Le grand cirque. Marc Combe : Otage au Tibesti. Anne-France Dautheville : Une demoiselle sur une moto. Et j'ai suivi le vent. René Desmaison : La montagne à mains nues. 342 heures dans les Grandes Jorasses. Fenouil : Une moto dans l'enfer jaune. Frison-Roche : Carnets sahariens. Jean-Claude Hallé : François Cevert : « La mort dans mon contrat » Glasgow 76 : le défi des « Verts ». Dougal Haston : En hauts lieux. Jean-Claude Le Faucheur : Chercheur d'or en France. J.-Y. Le Toumelin : Kurun autour du monde. John MacKinnon : Au pays des grands singes roux. Pierre Magnan : Le voilier des déserts polaires. Christian Moilier : Everest 74 : Le rendez-vous du ciel. Thierry Montagu : Routes à gogos. R. Paragot et L. Bérardini : Vingt ans de cordée. Patrick Pons : Pari sur la chance. Yannick Seigneur : A la conquête de l'impossible. Freddy Tondeur : 10 000 heures sous les mers. A. Viant et P. Carpentier : La course du Grand Louis. Jacques Wolgensinger : Raid Afrique. FOOTBALL STORY Le onze de France DU MÊME AUTEUR

Chez le même éditeur

François Cevert : « La mort dans mon contrat » (1974). Glasgow 76 - Le défi des « Verts » (1976).

Chez d'autres éditeurs

Prague, l'été des tanks (en collaboration). Tchou, 1968. Guide secret des courses et du tiercé (en collaboration avec Richard de Lesparda). Tchou, 1969. JEAN-CLAUDE HALLÉ

FOOTBALL STORY Le onze de France

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© Flammarion 1978

Printed in France ISBN 2-08-065029-7 1

Onze joueurs. Onze masques. « J'ai revu des photos prises pendant que les hymnes na- tionaux étaient joués, dit Marius Trésor, capitaine de l'équi- pe de France. On aurait dit que nous portions des masques, tant nous étions tendus. « La foule a entonné la Marseillaise. Pour nous joueurs, ces cinquante mille gorges qui chantent autour de nous sont à la fois terriblement émouvantes et effrayantes. Emou- vantes par la foi qu'elles inspirent et nous communiquent. Effrayantes par ce qu'elles exigent de nous. Jamais autant qu'à ces secondes, je me suis dit que nous n'avions pas le droit de décevoir le public. Mais si le destin en décidait autrement ? Qui peut affirmer qu'un match de football, surtout à ce niveau, est gagné d'avance ? « Je jette un coup d'œil en coin sur mes camarades à ma gauche. J'en connais quelques-uns qui doivent être morts de peur et un ou deux qui, à cet instant précis, donneraient beaucoup pour être à mille kilomètres de là... Et moi-même, avec mon expérience d'ancien, suis-je tellement serein ?... » Ce 16 novembre 1977, des cent quarante et un pays qui jouent officiellement au football et ont participé aux phases éliminatoires de la Coupe du Monde 1978, une vingtaine seulement sont encore en course pour arracher une des seize places de la poule finale qui se disputera au mois de juin 1978 en Argentine. La France et la Bulgarie sont de celles-là. Mais l'une des deux équipes seulement prendra place parmi l'élite des seize meilleures équipes du monde. A la Bulgarie il suffit de faire match nul. La France doit impérativement gagner. Le match se déroule au Parc des Princes à Paris, qui affiche complet. Jamais un match, en France, n'a suscité une telle passion, un tel engouement. Dans les tribunes, à quelques secondes du coup d'envoi, la foule n'a d'yeux que pour « ses » Tricolores. Tout au plus a-t-elle jeté un rapide coup d'œil sur ces Bulgares vêtus de blanc qui peuvent encore la priver de son beau rêve : voir les Coqs en Argentine. Mais elle ne croit pas trop au mauvais coup bulgare, tant elle est certaine qu'après toutes ces an- nées d'humiliation le temps du renouveau, enfin, arrive. Cet espoir, qui n'est pas encore une certitude, elle le nourrit au visage du capitaine Marius Trésor, qu'elle voit lisse et croit imperméable à l'inquiétude. Elle se réconforte au sourire esquissé de son chouchou, , qui affirmait si fort, hier encore : « Je n'ai pas envisagé l'échec. Bien sûr, il peut survenir. Mais je crois tellement à notre victoire... J'aurai le trac, comme tout le monde, au moment de la Marseillaise, mais il partira aussi vite qu'il est venu. » Elle regarde , au regard torturé d'in- quiétude, si pâle, si seul qu'on a envie de lui poser le bras sur l'épaule pour l'apaiser. Bernard qui dit : « Ce match, je l'aurai déjà joué cent fois quand je pousserai le ballon pour mettre la balle en jeu. Depuis le réveil, depuis le mo- ment où j'ai trempé mes lèvres dans une tasse de thé, j'ai mal partout : au cœur, à la poitrine, aux jambes surtout. Et je ne parle pas du déplacement en car. Là, je suis malade ou presque ! A ce moment-là, j'ai les jambes lourdes, lour- des, dures comme du bois. C'est vraiment une délivrance pour moi que de rentrer sur le terrain. Dans le vestiaire, je cire plutôt deux fois qu'une mes chaussures. Sans rien voir de ce qui m'entoure. Sans rien entendre. Presque comme dans un état second. » Avant le coup d'envoi, Bernard Lacombe, du pied, tra- cera sur le sol une croix. Il croit en Dieu. Dieu qui tout à l'heure devra choisir. Ce soir, il ne peut être à la fois fran- çais et bulgare. Bossis et Rocheteau, les muets de l'équipe, semblent ren- fermés sur eux-mêmes, le regard perdu dans les tribunes qu'ils ne voient même plus. Bossis qui, depuis la veille, dit : « Le trac me gagne. Il a commencé à s'emparer de moi après le départ des journalistes quand nous nous sommes retrouvés seuls, face à notre destin. Je sens qu'on le voit s'inscrire sur mon visage. Je ne vais plus pouvoir dire un mot jusqu'au coup de sifflet final. Moi que l'on surnomme déjà « le Silencieux » en temps ordinaire ! Vous imaginez ce que ça peut être ! » Dominique Bathenay, impénétrable, promène sur la foule un regard tranquille. On se demande toujours, en contem- plant le Stéphanois, ce qui, chez lui, rassure le plus : la sérénité du visage ou la carrure des épaules. Avant le match, a reçu d'un magnétiseur des petits sachets d'herbes magnétisées. L'entraîneur a longtemps hésité. Que fallait-il en faire ? Lui-même n'y croit pas trop, mais « dans des moments pareils, dit-il, la question n'est pas de savoir si l'on y croit ou pas. Il y a un état émotif qui fait que le joueur, à la recherche de la confiance, est capable de prendre n'importe quoi sur lui ». Il a donc parlé aux joueurs en leur disant de faire ce qu'ils voulaient des plantes. Tous ont pris le sachet et l'ont porté sur eux pendant le match. Tous, sauf Bathenay. « Celui-ci, dit Hidalgo, on peut lui proposer une pilule lui assurant de courir deux fois plus vite, il la refusera toujours. » Les derniers accords de la Marseillaise s'estompent, sous- trayant à la foule la belle gueule de Jean-Marc Guillou, la nervosité de . Celui-ci fête sa onzième sélec- tion. Le n° 11 de l'équipe de France n'est pas particuliè- rement superstitieux mais il aime le chiffre. Pour cause. Janvion chasse les tremblements nerveux qui l'on secoué tout l'après-midi. et André Rey échangent quelques paroles et le grand gardien messin s'en va à pas lents, tête baissée, vers son but. Lui seul, ce soir, n'a pas le droit à l'erreur. Solitude entre toutes les solitudes que celle du gardien de but.

Solitude aussi, celle de l'entraîneur qui se dirige vers le banc de touche. Michel Hidalgo lève les yeux et son regard parcourt longuement les tribunes. Des chapeaux tricolores s'agitent. Des grandes banderoles sont déployées : « Allez la France », « les Coqs en Argentine. » Là-bas, dans le virage d'Auteuil, des optimistes ont même écrit sur un drap blanc : « La France championne du monde. » Un léger sourire monte aux lèvres du sélectionneur. Qu'ils passent déjà l'obstacle bulgare, ses Bleus, et ça ne sera pas si mal! L'Argentine est à la fois si proche et tellement loin- taine. Ce public si chaud, si enthousiaste, est aussi, dans sa ferveur, une des craintes du sélectionneur. Jamais peut-être autant que ce soir il n'a pris conscience de cet environ- nement bouillonnant qui pousse l'équipe de France. Il sent que toute cette foule attend une lutte, une bagarre : lui espère que ses joueurs vont disputer un match, jouer véritablement au football. Le stage du Touquet qui s'est tenu plusieurs semaines auparavant lui revient en mémoire. Un stage pas comme les autres : trois jours à être ensemble sans la perspective d'une rencontre à disputer. Pas d'Ajax, d'Anderlecht ou de Hambourg, ces sparring-partner pas tou- jours dociles, tentés parfois, pour le prestige, de réussir une performance contre l'équipe nationale qui leur est opposée. Au Touquet, rien de tout cela. Il s'agissait simplement de définir ensemble, joueurs et responsables, comment il con- venait de conduire le match de ce soir. Les anciens surtout, Jean-Marc Guillou et , avaient parlé. Michel en particulier, qui venait de jouer en Coupe d'Europe con- tre les Espagnols. « Nous avons été éliminés car, pour ces deux matches contre l'Atletico, nous n'avons pas suffisamment respecté les principes qui font notre force, a déclaré en substance le Nantais. Il ne faudrait pas refaire la même erreur contre les Bulgares. » Hidalgo approuve. Il sait que ce n'est pas en se ruant à l'assaut des buts bulgares que l'on réduira les footballeurs d'Europe centrale. Au contraire, ce jeu-là, ils l'espèrent. Pour le combat de rue, ils ne craignent personne. « Ils vont essayer de nous refaire le coup d'Irlande, prévient Hidalgo. Notre meilleure chance est d'être nous-mêmes, de garder nos qua- lités. Pensons à revenir à nos sources. » Il leur a dit : « Le public du Parc va vous pousser à monter à l'assaut. Il va falloir résister à cette tentation. » Guillou et Michel approu- vent, Platini hoche la tête : le jeu « à la française » court, préparé, collectif, « léché » même, ce sont eux qui ont charge de le dessiner. Dans l'esprit du sélectionneur, le rôle de Jean-Marc Guillou doit, ce soir, être déterminant.

Dans la nuit qui a précédé le match, Michel Hidalgo a peu dormi. « Je n'étais sûrement pas le seul dans ce cas », dit-il. Agé de quarante-quatre ans, le sélectionneur de l'équipe de France en paraît facilement cinq de moins. Quel- ques fils d'argent dans une chevelure abondante, des yeux ■ très bleus qui passent merveilleusement à la télévision, une élocution simple, aisée ; Michel Hidalgo est un charmeur. Malgré un patronyme d'origine espagnol, il est né dans le Nord, s'est fixé avec sa famille en Normandie, réside en Gironde depuis quelques années après avoir fait toute sa carrière de joueur professionnel à Reims et à Monaco. Ce successeur du Roumain Kovacs apparaît donc extraordi- nairement français. Son palmarès de joueur est riche. Il a été finaliste avec Reims de la première Coupe d'Europe. Ses camarades de club, à l'époque, s'appellent Jonquet, Kopa, Glovacki, Pen- verne, Vincent, Fontaine, son entraîneur . Il sent, bien sûr, que jouer en telle compagnie est un privi- lège. « Mais ce n'est que bien plus tard que je comprendrai la chance que j'ai eue », avoue-t-il aujourd'hui. En 1957, Monaco affirme ses ambitions en recrutant des joueurs de valeur : Hidalgo et son ami Glovacki émi- grent en Principauté. Période faste qui, pour le joueur Hi- dalgo, durera dix ans. Sous la direction de Lucien Leduc, il remporte deux fois le titre de champion de France et gagne à deux reprises la Coupe. Contre l'Italie, à Florence, il revêt pour la seule et unique fois le maillot bleu de l'équi- pe de France. « Nous avons été battus et je n'ai pas le sen- timent d'avoir fait un grand match. Je n'en garde donc pas un souvenir impérissable ! » Sa liaison avec l'équipe de France devra encore attendre. En 1967, il a trente-quatre ans et décide de sauter le pas : il devient entraîneur de l'équipe de division III de l'A.S.M. En 1970, il entre à la direction technique nationale du football français qui vient d'être créée à l'instigation de la F.F.F. et de Georges Bou- logne, ainsi que du secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports. Entraîneur national — ils sont quatre —, Michel Hidalgo est nommé responsable d'un territoire grand comme le quart de la France : la région du Sud-Ouest. Sa tâche est triple : action de masse, formation des cadres, responsabilité des sélections régionales. Il s'installe à Saint- Sevin-de-Blaye, petite ville située à cinquante kilomètres au nord de Bordeaux. Au niveau national, il prend en charge la première équipe scolaire — les moins de quinze ans — créée en 1972. Georges Boulogne est responsable de la sélection A. Avant de partir disputer la mini-coupe du monde au Brésil, en 1972, il demande à Michel Hidalgo de l'aider. Celui-ci devient son adjoint. Et restera celui de Stefan Kovacs. Le 1er janvier 1976, dauphin désigné depuis un an — depuis la fausse sortie du Roumain — il devient à son tour le patron de l'équipe de France. Il a quarante-trois ans. « D'avoir tra- vaillé dans l'ombre de deux hommes de l'envergure de Bou- logne et de Kovacs a été un atout exceptionnel pour moi. » Sa nomination, sans être véritablement contestée, suscite tout de même quelques questions. Ici et là on avance la minceur des références que présente le nouveau sélection- neur. On fait valoir qu'il n'a pas entraîné de grand club. Ce numéro 2 fera-t-il un bon n° 1 ? Mais l'appui qu'il rencontre auprès de la quasi-unanimité des techniciens français, des entraîneurs de clubs et diri- geants, lui permet de se mettre tout de suite au travail avec assurance. Autre atout : il connaît la plupart des joueurs depuis des années. Son poste d'adjoint sans grandes responsabilités lui a permis en effet d'être l'ami et quelquefois le confident des garçons avec qui il est appelé à travailler. Il s'est parfois interrogé. Fallait-il accepter la responsa- bilité qu'on lui offrait ? Dans l'ombre de Boulogne et de Kovacs, il a assisté à la fin de deux règnes. Les illusions meurent vite sous la morsure de certaines réalités. Il est trop normand pour se mentir : voilà le sort qui l'attend tôt ou tard, car l'équipe de France est une équipe qui gagne et qui perd. Le fond du football français n'est pas assez solide pour garantir l'avenir. Tant pis, le défi le séduit : il le vivra comme une aventure.

Dès le dimanche soir, ils sont arrivés les uns après les autres, autour de 19 heures, au camp des Loges à Saint- Germain. La presse les y attend. Les projecteurs de la télévision, les flashes des photographes les mettent « dans le bain », peut-être plus tôt qu'ils ne s'y attendaient. « Pour la première fois depuis le début de ma carrière, je voyais une telle passion autour d'un match, dit Marius Trésor. Déjà, à Marseille, un mois avant France-Bulgarie, on ne parlait plus que de cette rencontre. Et puis, pendant le stage, cette présence quotidienne de la presse, de la télé- vision, l'importance que tous les média semblaient nous accorder, tout cela finissait par nous flanquer la trouille, y compris chez ceux qui semblaient le mieux y résister. On se disait que si cela se passait mal la déception générale serait immense. Heureusement que Michel Hidalgo était là pour nous remonter le moral. » Cette attente, chacun la vit selon son tempérament. « La presse, le public créaient beaucoup d'ébullition autour du match, estime de son côté Dominique Bathenay, mais nous, nous semblions presque étrangers à cette animation. Person- nellement, je n'ai pas vécu cette rencontre différemment d'une rencontre internationale importante. » Quant à Didier Six, il déclare simplement : « J'aime cette ambiance, elle me transcende. » Les reporters partis, les joueurs se retrouvent entre eux. Ils bavarderont encore quelque temps avant d'aller se cou- cher. Les affinités, la camaraderie les ont réunis : Bathenay et Platini, l'homme tranquille et le chahuteur, que lie une solide amitié, partagent la même chambre. Lopez le Sté- phanois et Lacombe le Lyonnais cohabitent en -voisins ; Janvion et Rocheteau en équipiers. Comme les Nantais Ber- trand-Demanes et Tusseau ainsi que Rio et Bossis. Marius Trésor, l'ancien, héberge Dalger le nouveau et Guillou, Rey. « J'ai besoin d'avoir avec moi des 'gens vivants », dit Didier Six : son compagnon de chambre est le fougueux Gérard Soler. Henri Michel, qui ne déteste pas la solitude, dort seul. Pensif, Michel Hidalgo les a regardés partir un par un ou par petits groupes. Quand, le lendemain matin, il descend prendre son petit déjeuner, vers 8 h 15, le sélectionneur trouve Henri Michel, toujours matinal, déjà attablé et plongé dans la lecture des journaux. Il y est question de la défaite des Espoirs devant les Bulgares, la veille, à Stara-Zagora (1-2). Henri tend l'Equipe à Hidalgo, qui commande à son habitude un café au lait avec des toasts grillés. Les deux hommes vont ainsi bavarder en tête à tête, avant l'arrivée des autres joueurs. « Henri raconte Hidalgo, a insisté sur le mot « collectif » en me donnant l'exemple de ce qu'il a connu récemment avec liantes dans la Coupe d'Europe. Nous avons parlé sur ce thème-là pendant une dizaine de minutes. Puis tous les joueurs sont arrivés pour le petit déjeuner. A ce moment- là ce sont les échanges classiques : « Ça va ? Tu as bien dormi ? etc. » Je leur ai donné rendez-vous à 11 heures pour l'habituelle marche dans les bois par petits groupes, une marche qui permet de mieux communiquer des idées, l'envie de dire un mot. » A Il heures, la pluie tombe. Hidalgo décide de remplacer la promenade par la causerie tactique et technique. « J'ai insisté sur le fait de jouer notre jeu sans tenir compte des intentions bulgares. Certains disaient qu'ils allaient bétonner, d'autres affirmaient qu'ils allaient attaquer. On ne peut pas tout prévoir ni se faire une image précise d'un match, mais il est possible d'insister sur un thème. Le nôtre reposait sur ces termes : un jeu court, précis et rapide. Autant de moyens de bien asseoir notre jeu. J'ai dit notamment : « Il faut avoir le courage de faire passer l'équipe avant soi- même, pour cela il est indispensable de s'encourager, de s'entraider. Pour le reste, nous avions déjà discuté des pro- blèmes tactiques au Touquet. Il suffisait d'en faire rapide- ment le rappel. » Le matin même, un colis est arrivé pour Michel Hidalgo. Il contient les casquettes officielles de la Coupe du Monde 1978. Pas question de les donner immédiatement, même à titre de souvenir. Une idée traverse l'esprit de Michel Hidal- go : il les distribuera ce soir, au retour du Parc. Si la France est qualifiée. Bulgarie-France 1976 (2-2). Une percée de Lacombe enrayée par la défense bulgare.

La défense française menacée par Milanov et Bonev. Au centre : Bathenay. A droite : Baratelli. (Photos Presse Sports) Bulgarie-France 1976. Christian Lopez aux prises avec l'avant-centre bulgare Milanov. (Photo Presse Sports) Vers 17 h 30, après l'habituelle collation, Hidalgo réunit ses hommes pour la causerie d'avant-match, causerie allé- gée puisque la tactique à suivre a été évoquée le matin même. « Je n'ai pas voulu parler longtemps, raconte-t-il. J'ai abordé ce qui entourait ce match. Pour cela je me suis servi de quelques titres de journaux : « Quatre-vingt-dix minutes d'angoisse. » « Une soirée crispée pour la France. » « A 1 h 30 de l'Argentine », et d'une publicité : « Il faut y aller », sous-entendu « en Argentine ». Ces titres-là m'ont servi pour lancer la causerie. Il était inutile d'employer beaucoup de mots. Je me suis alors efforcé de faire comprendre que nous allions vivre quelque chose d'exceptionnel, mais que pour nous il s'agissait de rester dans les frontières du sport, de respecter l'adversaire et de ne pas tomber dans le piège des « on va les manger ». Nous n'allions pas à la guerre. Dans des moments pareils, les joueurs sont très concentrés. Si l'un d'entre eux avait essayé de détendre l'atmosphère, il n'y serait pas parvenu. « J'ai demandé à Henri Guérin de nous parler des Bul- gares à travers ce qu'il avait remarqué dans le match des Espoirs la veille. Il a insisté sur le fait qu'il ne fallait pas entrer dans le jeu dur, le jeu qui leur convient. J'ai égale- ment lu quelques télégrammes et une lettre adressée par Albert Batteux; il y était question d'encouragement, de cha- leur, d'espoir, le tout avec l'élégance propre à Batteux. A travers cette lettre, il faisait comprendre que les anciens de 1958 étaient avec nous et nous demandaient d'actualiser le football français avec cette Coupe du Monde. En post-scrip- tum, Albert Batteux avait ajouté : « J'ai, moi aussi, envie d'aller en Argentine. » Ainsi, entre la lettre d'Albert Bat- teux et l'intervention d'Henri Guérin, qui dirigeait l'équipe de France pour la Coupe du Monde 1966, le trait d'union avait été parfait. « J'avais remarqué que les joueurs n'aimaient pas trop les allusions à la « victoire qualificative ». Ils s'étaient montrés prudents et avaient refusé par exemple de trinquer pour une photo. Il y avait une gravité, une prise de conscience sans excès d'aucune sorte. J'ai terminé en parlant de cette chance à saisir, de ce temps qui va vite, et en disant : « Je suis sûr qu'on en sortira fiers et heureux. » A 18 heures, ils sont tous montés dans le car. Chacun a pris sa place habituelle choisie en fonction des liens de ca- maraderie ou d'un vieux fond de superstition. Henri Pa- trelle avait décidé que l'autobus partirait plus tôt que d'ha- bitude car il craignait que des embouteillages ne retardent l'arrivée au Parc. Crainte vaine : deux motards ouvrent la route et le trajet entre Saint-Germain et le Parc des Princes est couvert en moins d'une demi-heure. « Quand nous sommes arrivés au Parc vers 18 h 30, pour- suit Michel Hidalgo, on sentait déjà monter une tension inhabituelle. Des supporters brandissaient des calicots, frap- paient aux vitres. Les joueurs dans ces moments-là parais- sent imperméables mais ce sont pourtant des images qui ne les laissent pas insensibles, loin de là. Habituellement, à cette heure-là, le stade est désert. Mais cette fois, subite- ment, ils découvraient une fièvre particulière. Ils voyaient des choses qu'ils ne voient jamais d'ordinaire. « Après, chacun a rejoint le terrain. Il y a un besoin vis- céral de fouler la pelouse. J'ai remarqué que les joueurs marchent durant une cinquantaine de mètres puis vont tou- jours vers le même endroit, l'endroit où justement ils évo- lueront plus souvent pendant le match. Les gardiens, n'en parlons pas, vont aussitôt dans les buts. Certains sont reve- nus plus tôt aux vestiaires pour se préparer lentement ou laisser passer le temps en lisant des télégrammes. A 19 h 30, impérativement, tout le monde s'habille. Là je suis allé de l'un à l'autre pour dire un mot, faire un geste. J'ai regretté par la suite de ne pas avoir eu la force de dire certaines choses à Bernard Lacombe, des choses que je comptais ex- primer. Mais je suis resté près de lui, j'ai essayé par des gestes de lui faire comprendre que j'étais là. Il est toujours très pâle et son angoisse ajoute à cette pâleur. Il a besoin d'être entouré plus que les autres. Je dois dire que l'un de mes voeux les plus chers était justement que Bernard La- combe réussisse son match. »

Bernard Lacombe occupe dans les vestiaires la place située tout de suite à gauche de l'entrée. L'estomac noué, il visse ses crampons. Avec son nez cassé depuis l'enfance, il a un visage de baroudeur, mais à chaque match, avant d'en- trer sur la pelouse, son regard est celui d'un enfant. A Marius Trésor, son capitaine, il a demandé : « Marius, tout à l'heure, quand nous pénétrerons sur le terrain, dis-moi quelque chose, n'importe quoi, pour m'encourager. » Marius a promis. Le meilleur avant-centre français doute perpétuellement de lui. Parce qu'il ne correspond pas à l'image que l'on se fait dans ce pays du centre-avant, grand, costaud, adroit de la tête, Bernard Lacombe n'est pas toujours estimé à sa juste valeur. Des sondages l'ont montré : à ce poste difficile, les Français ne le considèrent pas comme un titulaire indiscu- table. Pourtant, si le même sondage était réalisé au sein de l'équipe de France, Bernard serait sans rival. Il répond exactement à l'idée que ses camarades se font d'un joueur qui fait passer l'équipe avant le reste. Avant Bulgarie-France, Bernard Lacombe est allé trouver Michel Hidalgo : « Monsieur Hidalgo, contre la Bulgarie si vous voulez choisir un autre avant-centre, faites-le. Je n'ai jamais très bien réussi en équipe nationale et je comprendrais fort bien que vous essayiez un autre n° 9. — Bernard, tu n'es pas obligé de jouer, répond Hidalgo, je ne te l'impose pas. C'est d'abord toi qui décides. Mais tes camarades disent qu'ils ont besoin de toi. Demande-le- leur, si tu veux. — Si les joueurs le veulent, alors, d'accord. » Bernard Lacombe, vingt-cinq ans, dix sélections, avant- centre de l', ne sait pas encore qu'il va faire le meilleur match de sa carrière internationale.

Au fond des vestiaires, Marius Trésor, capitaine de l'équi- pe de France, se prépare. Le destin de Marius a oscillé quelques années entre le ballon et la bicyclette. Son frère aîné, Marcellus, pédalait correctement et ouvrait une voie. Marius hésita à s'y enga- ger : il détestait les côtes. Pas de la race des Gaul ou des Bahamontès, notre Guadeloupéen ! Peut-être se serait-il tout de même laissé tenter si, dans un critérium du dimanche, une rencontre un peu brutale avec le macadam n'avait ramené à la maison un Marcellus ensanglanté. La chute de Mar- cellus brisa la vocation de Marius. La Guadeloupe devrait encore attendre son Anquetil. Marius Trésor a alors seize ans. Au foot, il joue déjà. Il est d'abord venu, en voisin, taper dans le ballon de la Juventus de Sainte-Anne qui s'entraîne parfois sur la plage de sable fin. Il possède déjà le coup de rien qui donne au tacle toute son efficacité. Un coquillage qui vole, un galet : tout est prétexte pour exercer son adresse. Ses modèles s'appellent Charles-Alfred ou Kaelbel dont il a épinglé les meilleures photos, découpées dans Miroir-Sprint, au mur de sa chambre. « Je me suis appli- qué à faire comme eux. Je devais avoir bonne mine quand, sur la plage, à toute occasion, je me jetais les pieds en avant. » Bonne mine, peut-être... Mais l'entraîneur, qui a l'œil, perçoit le don, et le petit voisin est invité à signer sa pre- mière licence. Cadet deuxième année, le voilà mobilisé se- nior, avec déjà l'ébauche de l'allure que vous lui connaissez. Ses études, qu'il n'aime pas (« Je me demande encore com- ment j'ai pu réussir à passer mon brevet ! »), cèdent le pas au nouveau destin qui s'offre. Par un de ces mystères dont le football est coutumier, c'est en Corse que le vent de Guadeloupe porte les premiers échos d'une réputation nais- sante. Grâce au zèle d'un compatriote, Bénou Berton, qui travaille au Groupement des clubs professionnels. En août 1969, Marius reçoit un billet d'avion Pointe-à-Pitre - Pa- ris - Ajaccio. Heureusement, c'est un billet aller-retour : il y a moins de risques à tenter l'aventure. Et cela réconforte en outre Laetitia Trésor, assurée de récupérer un fils qu'elle ne laisse partir que les yeux rougis de larmes. Ce billet était d'ailleurs le deuxième : les dirigeants de la Juventus de Sainte-Anne ne voulaient pas voir leur vedette partir. « Per- du » en route, le premier billet ne parvint jamais à Marius. A la Guadeloupe comme ailleurs, la fin prétend justifier les moyens. A Ajaccio, première rencontre. Alberto Muro, l'ancien joueur niçois, devenu dirigeant corse, l'accueille. e Qu'est-ce que tu bois? demande Muro. Pour moi ce sera un pastis. — Pour moi aussi, m'sieur, répond Trésor. » Grimace de Muro. Mauvais point pour le jeunot. Deuxième rencontre. Antoine Federicci, ancien gardien de but (pas mauvais du tout, d'ailleurs !), directeur sportif de l'A.C. Ajaccio. « On te prend à l'essai. Nourri, logé. 300 F d'argent de poche par mois. Ça te va ? » Bof, oui, bon, non, d'accord. Pas généreux tout de même, les Corses. Au début de la saison 1970-1971, signature d'un contrat de stagiaire professionnel. Pour Marius, revenus multipliés par cinq : 1 500 F par mois. Saison 1971-1972 : Antoine Federicci demande : « Ça te plairait de passer pro ? — Ça me plairait. — 2 500 F par mois ? — Va pour 2 500 F par mois, m'sieur! » (Il en faudra du temps pour qu'il se débarrasse du « m'sieur » respectueux. En décembre 1971, appelé pour la première fois en équipe de France, il se présentera à Bereta par un timide : « Bon- jour, monsieur Bereta. » Saison 1972-1973 : transfert à Marseille pour 100 mil- lions de centimes. Sans commentaire. Son premier match en équipe professionnelle a eu lieu avec Ajaccio, à Valenciennes, le 23 novembre 1969. Deux ans plus tard, en décembre 1971, il est appelé en équipe de France pour jouer contre la Bulgarie. Et, en janvier 1973, il fait partie de la sélection européenne qui affronte à Wem- bley une sélection britannique pour fêter l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. Ce jour-là, ses partenaires s'appellent Beckenbauer, Muller, Krol, Van Ha- negem et Netzer. Cette sélection est un peu celle du para- doxe : à côté de ces cartes de visite prestigieuses, elle consa- cre à la fois un immense talent et un palmarès des plus pauvres. A part ses sélections en équipe de France — il en est à l'époque à sa neuvième cape — qu'offre celui de Ma- rius ? Deux coupes interscolaires en benjamins, une coupe interscolaire en minimes, un titre de champion de la Gua- deloupe avec la Juventus. Point, terminé. Il n'a jamais été champion de France et il lui faudra attendre 1976 pour rem- porter enfin la Coupe de France, en battant Lyon 2-0 au Parc des Princes. 1969, 1971, 1973. Entre ces trois dates, l'essentiel est fait, sa valeur reconnue, imposée. Bien au-delà de nos fron- tières. Pendant l'été 1977, j'avais rencontré à Londres Nes- hui Ertegun, le patron du Cosmos de New York, un homme à qui le football mondial élèvera peut-être une statue pour avoir ouvert le continent américain au sport-roi. Nous fai- sions ensemble le tour des grands joueurs européens. « En France, je vois deux joueurs de valeur mondiale, me disait- il : Trésor et Platini. Trésor peut-être avant Platini. » Pour pondérer ce jugement, j'ajoute qu'Ertegun, qui passe sou- vent ses vacances dans le Midi de la France, avait vu plus souvent jouer Marius que Platini. Il reconnaissait que son jugement avait pu en être influencé. Marseille n'a pas facilité les débuts de son nouveau dé- fenseur. Comment était-il venu à Marseille ? « Au retour de la tournée 1972 de l'équipe de France en Amérique du Sud, raconte Marius, j'ai appris que plusieurs clubs s'intéressaient à moi, Nice et le Paris F.C. notamment. « Je suis allé voir mon président et j'ai demandé quelles étaient les intentions du club. Il m'a répondu que rien n'avait encore été décidé. Je suis parti en vacances chez mes beaux- parents. Là-bas j'ai reçu un appel téléphonique d'un ami à Paris. « Ne t'inquiète pas, me dit-il. Ajaccio a des difficultés financières. Ils vont certainement te laisser partir. » « Le championnat reprend. Ajaccio refuse de me donner les 6 000 ou 7 000 F de salaire mensuel que je réclamais pour re-signer — je touchais 2 500 F — mais ne me trans- fère toujours pas. J'ai donc refusé de jouer. « Je suis allé à Paris. J'ai rencontré Me Bertrand, l'avo- cat des footballeurs professionnels. Il a étudié juridique- ment mon cas. Nous avons menacé d'aller devant les tri- bunaux. J'étais décidé, s'il le fallait, à abandonner le foot- ball. « Un accord a été finalement trouvé et Marseille l'a em- porté car le transfert s'est accompagné d'un échange de joueurs. » Quand Marius arrive à Marseille, il ignore que Gallian, le président, a prolongé deux mois auparavant le contrat de Bernard Bosquier : Marius ne sera donc pas libéro. Pre- mière déception. Il faut dire que la politique de recrutement à Marseille laisse parfois rêveur : deux libéros pour une seule place, et bientôt deux avant-centres : Keita arrivant sans que Skoblar soit parti. Voilà comment on crée une ambiance dans un club ! « Tu es le plus jeune, a expliqué familièrement Gallian à Marius : il faut que tu cèdes. » Marius sera donc arrière latéral ou stoppeur. Il fait la grimace mais s'incline. Tout ce qu'il demande, c'est d'être stabilisé à un poste. Va pour stoppeur. « C'est promis ! » jure Zatelli, le directeur tech- nique. Marius part en vacances, rassuré... pour apprendre par la presse que l'OM vient d'engager Victor Zvunka com- me stoppeur. Gallian n'était pas au courant des promesses faites par Zatelli. Re-grande scène du deux. Bras autour des épaules «... Bien de l'équipe... Ne pas perturber l'entrée de Victor... je compte sur toi... camaraderie... » Marius se JEAN-CLAUDE HALLE FOOTBALL STORY LE ONZE DE FRANCE Platini. Rocheteau, Trésor, Bathenay et les autres...... et vingt ans d'histoire du football français à travers les hommes qui l'ont faite et qui. parfois, s'y sont déchirés. Par l'auteur de deux succès du livre sportif : François Cevert : « La mort dans mon contrat » et Glasgow 76. Sur la couverture : France-Bulgarie 1977 - Rocheteau et Trésor. FF 5029-78-2

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