LA CORRUPTION DANS LES TRAITÉS POLÉMIQUES DE MME DACIER

Par

Marie-Pierre Krück

Département de langue et littérature françaises

Université McGill, Montréal

Mémoire soumis à l'Université McGill en vue de l'obtention du grade de M.A.

Août 2005

© Marie-Pierre Krück, 2005 Library and Bibliothèque et 1+1 Archives Canada Archives Canada Published Heritage Direction du Branch Patrimoine de l'édition

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Par

Marie-Pierre Krück

Département de langue et littérature françaises

Université McGill, Montréal

Mémoire soumis à l'Université McGill en vue de l'obtention du grade de M.A.

Août 2005

© Marie-Pierre Krück, 2005 TABLE DES MATIERES

TABLES DES MATIÈRES

RÉSUMÉ / ABSTRACT II

REMERCIEMENTS III

INTRODUCTION. BRIBES ET MONUMENTS

CHAPITRE 1. GRANDEUR ET MISÈRE D'UNE IDÉE: LA CORRUPTION 14

CHAPITRE Il. LES MAINS PURES: LA DIMENSION THÉORIQUE DES TRAITÉS DE MME DACIER 43

CHAPITRE Ill. LES ARMES: LA PRATIQUE POLÉMIQUE DE MME DACIER 74

CONCLUSION. NOTRE CORRUPTION 104

BIBLIOGRAPHIE 109 RÉSUMÉ DU MÉMOIRE

L'idée de corruption traverse et soutient notre mémoire. Il s'agit d'un des enjeux essentiels de la Querelle d'Homère. Il permet non seulement de comprendre comment l'helléniste Anne Dacier appréhendait l 'héritage des Anciens et sa réception par les Modernes, mais aussi de saisir l'inscription de sa pratique polémique dans le contexte de son époque. Mme Dacier est moins une apologiste du poète qu'une polémiste qui attaque le goût corrompu de ses contemporains. Elle craint pour eux, mais surtout pour le texte homérique lui­ même. Elle s'était efforcée dans sa traduction de préserver le poème tandis que son vis-à-vis, Houdar de la Motte, avait pensé bon de donner une adaptation au goût du jour. Bien qu'elle se pose en gardienne de la pureté de la tradition, elle doit pour parvenir à son but se compromettre et parler la langue corrompue de ses ennemis.

The idea of corruption travels down and supports this thesis. It stands as one of the principal stakes of the Homeric Quarrel. By analysing it, we may deepen our understanding of the value the famous hellenist Anne Dacier placed on the heritage of the Anciens and its reception by the Modems; we may also better understand in which ways her engagement in polemics belonged to her times. Anne Dacier was less an apologist of than a polemist who attacked the corrupted taste of her contemporaries. She feared for them, but above aH, she feared for the Homeric text. She had done her best in her to preserve the poem white Houdar de la Motte, her adversary thought that an adaptation would suit the public better. Mme Dacier presented herself as the guardian of tradition and its purity; nonetheless, to achieve her goal, she had to compromise with her opponents and speak their corrupted language. REMERCIEMENTS

Cher Normand, vous m'avez donné le fil d'Ariane de mon mémoire. Depuis ce moment, j'entends votre voix me guider. Vous avez la présence discrète, mais véritable, d'un maître.

Frédéric, mon interlocuteur socratique, tu as un don pour la maïeutique.

J'ai une sœur, une amie, et une mère. Isadora est tendre. Manon est joueuse. Florence est aérienne. Chacune à sa façon, elles me suivent et me relisent.

Je remercie le FQRSC et le CRSH dont les bourses m'ont permis de travailler librement. BRIBES ET MONUMENTS

Notre titre, La corruption dans les traités polémiques de Mme Dacier, est honnête: il s'agit bien d'une exploration de l'œuvre polémique de l'helléniste Anne Dacier à partir de l'idée de corruption qu'elle met au coeur de son premier traité, Des causes de la corruption du Goust et qu'elle reprend dans son Homère défendu contre l'Apologie du R. P. Hardouin ou Suites des Causes de la corruption du Goust. Notre mémoire croise 3 grands axes de nature très différente: une idée, la corruption; une figure, Anne Dacier; et un genre, la polémique. Malgré l'intérêt explicite que porte la polémiste à cette idée empruntée à Tacite, aucun critique à ce jour n'a exploré son oeuvre de ce point de vue. D'ailleurs, l'idée même de corruption n'a pas encore son spécialiste.

Avant d'aborder les textes polémiques de Mme Dacier et de ses exégètes, un petit détour par l'idée de corruption et l'intérêt qu'elle a suscité au fil du temps s'impose. La notion de décadence, associée tout particulièrement à la fin de l'empire romain, intéresse depuis longtemps les chercheurs; elle a toutefois laissé dans l'ombre l'idée proche mais distincte de corruption, plus étendue, plus ramifiée et plus concrète. C'est sur l'histoire de cette idée que nous avons souhaité nous pencher dans notre premier chapitre afin de bien mesurer sa charge sémantique et de voir comment Mme Dacier se l'approprie.

~ L'écueil auquel s'expose cette étude est de taille, car il n'est pas même sûr que l'idée de corruption soit une et existe à part entière. La matière d'une telle idée est disséminée. Il faut butiner un peu partout et savoir trouver son miel dans des lieux parfois très périphériques. Des auteurs aussi variés que Homère, Aristote, Thucydide, Galien, Lucrèce, Virgile, Sénèque, Cicéron, Tacite, Pétrone et les premiers dictionnaires de la langue française forment ainsi la toile de fond de notre premier chapitre. Que pouvions-nous attendre de la critique si les auteurs eux-mêmes n'isolent pas l'idée de corruption et la traitent souvent de biais? Le fait qu'aucune œuvre, à l'exception importante du De generatione et corruptione d'Aristote, ne soit consacrée à la corruption explique certainement l'absence d'étude critique à son sujet. Notre travail relève en bonne partie de la collecte.

Des chercheurs ont ponctuellement travaillé sur certains aspects de la corruption, surtout dans le domaine médical. L'article d'Armelle Debru, « Consomption et corruption: l'origine et le sens de tabes1 », doit sans conteste être considéré comme le point de départ de tout travail sur la corruption. Et malheureusement aussi comme le point d'arrivée. Notre état présent rend compte d'un silence. Il y a certes eu quelques murmures, échappés d'un développement sur la

2 3 4 corruption politique à Athènes , l'alimentation chez les romains , la mort des héros , etc. Quelques études consacrées à la corruption sous l'Ancien Régime compensent toutefois cette maigre récolte pour la période antique. Marc Fumaroli trace la voie dans son article «Temps de croissance et temps de corruption: les deux Antiquités dans l'érudition française du xvne siècleS» qui expose et analyse les «conceptions apparemment inconciliables vis-à-vis du temps humain [que] se partagent les héritiers de la Renaissance [ ... ] ». Philippe-Joseph Salazar6 fait ressortir l'importance de l'idée

lArmelle Debru, «Consomption et corruption: l'origine et le sens de tabes », Ménwires VII/. Études de médecine romaine, Publications de l'Université de Saint-Étienne, 1988, p. 19-31.

2 D. M. MacDowell, «Athenian laws about bribery », Revue internationale des droits de l'Antiquité, XXX, 1983, p. 57-78.

3 Florence Dupont, «Grammaire de l'alimentation et des repas romains », dans Histoire de l'alimentation, dir. J.-L. Flandrin et M. Montanari, , Fayard, 1997, p. 197-213.

4 Jean-Pierre Vernant, « La belle mort et le cadavre outragé », dans L'individu, la mort, l'amour, Paris, Gallimard, 1989, p. 41-79.

5 Marc Fumaroli, «Temps de croissance et temps de corruption: les deux Antiquités dans l'érudition française du XVnesiècle », XVIIe siècle, CXXXI, no 2,1981, p. 149-168.

6 Philippe-Joseph Salazar, « De Poussin à Fénelon: la corruption classique », French Studies in Southern Africa, XVIII, 1989, p. 29-37.

2 de corruption dans le Télémaque de Fénelon, qui a réussi l'exploit de ne s'associer à aucun parti dans la Querelle des Anciens et des Modernes.

Si personne n'étudie l'idée de corruption chez Mme Dacier, en revanche, l 'helléniste suscite un intérêt certain depuis la thèse de Noémi Hepp Homère en France

7 au XVIr siècle • Anne Dacier fait l'objet d'ouvrages et d'articles qui s'efforcent d'en faire un portrait biographique précis, débarrassé de la part de fable qui l'entourait autrefois. Elle jouissait, déjà de son vivant, d'un statut exceptionnel qui faisait parler. Les livres de Fern Falnham et de Giovanni Santangel08 ont complètement démythifié la vie d'Anne Dacier par un examen minutieux des archives. L'aspect proprement biographique ne nous intéresse pas outre mesure. Par contre, le discours social que recueillent ces deux ouvrages nous a permis de comprendre comment était perçue la savante et comment était reçu l' ethos qu'elle avait mis en scène dans ses écrits. L'article de Suzanna van Dijk, «Madame Dacier jugée par les journalistes: femme ou savante 79 », est en cela précieux, malgré quelques mouvances. Notons enfin que les pages consacrées par Noémi Hepp à Mme Dacier témoignent aussi de cette rumeur publique. Éric Foulon, dans ses deux articles intitulés « Madame Dacier: un itinéraire religieux de Saumur et Paris à Rome et à la Grèce» et « Madame Dacier: une femme savante qui n'aurait point déplu à Molière »10 fait la synthèse de ces données en mettant en relief son parcours religieux du protestantisme au catholicisme. Ces articles ont l'avantage de la situer dans son contexte politico-religieux et non exclusivement

7 Noémi Hepp, Homère en France au XVIIe siècle, Paris, Klinçksieck, 1968, 854 p.

8 Fern Falnham, Madame Dacier, Scholar and Humanist, Monterey (California), Angel Press, 1976, 221 p.; Giovanni Santangelo, Madame Dacier, una filologa nelle crisi (1672-1720), Rome, Bulzoni Editore, 1984, 526 p.

9 Suzanna van Dijk« Madame Dacier jugée par les journalistes: femme ou savante ?» dans Traces de femmes, Présence féminine dans le journalisme français du XVIII' siècle, Amsterdam, APA Holland University Press, 1988, p. 191-225.

10 Éric Foulon, «Madame Dacier: un itinéraire religieux de Saumur et Paris à Rome et à la Grèce », dans Voix d'ouest en Europe, souffles d'Europe en ouest, Presses de l'Université d'Angers, 1993, p. 187-206; « Madame Dacier: une femme savante qui n'aurait point déplu à Molière », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, IV, 1993, p. 357-379.

3 intellectuel. Ces trois axes, biographique, social et religieux, ne devraient cependant pas occulter la dimension proprement littéraire de son œuvre.

Malheureusement, peu de chercheurs relisent ses traductions et ses textes polémiques à la lumière de ces données. Mentionnons toutefois Emmanuel Bury, dont la contribution à l'ouvrage Femmes savantes: savoir de femmes se penche sur des « points de tension» dans la vie et dans l'œuvre de Mme Dacier. En analysant son parcours de traductrice, il relève les choix originaux de cette femme que son sexe mettait déjà dans une position marginale. Depuis quelques années seulement, cette identité féminine d'Anne Dacier est prise en compte par certains critiques. Fabienne Moore't, une spécialiste américaine de l'émergence des genres en prose au XVIW siècle, analyse le choix stylistique de la traductrice, qui privilégie la prose et rejette catégoriquement le vers. Elle fait l'hypothèse que Mme Dacier, parce qu'elle est femme et donc soumise à des normes sociales strictes, aurait été plus consciente des contraintes de la langue française. C'est cette prise de conscience qui lui aurait permis de s'affranchir de la tradition et de choisir la prose.

Nous ne considèrerons, quant à nous, le sexe de Mme Dacier que dans la mesure où les femmes, sous l'Ancien Régime, n'écrivent pas impunément: l'interdiction tacite qui entoure l'acte d'écrire les contraint souvent à une mise en scène textuelle qui mérite qu'on s'y attarde. Mme Dacier ne fait que rarement dans ses écrits l'aveu qu'elle est femme. Ce silence, dans l'espace réglé de la Querelle d'Homère, rend éloquente chaque allusion à son sexe. Il parle d'autant plus que la rumeur publique des contemporains regorge de considérations de tous ordres liées à sa

« virilité ». Mme Dacier se sert cependant parfois de son identité de femme dans ses traités et ces références, dans la mesure même où elles énoncent un enjeu généralement

Il Fabienne Moore, «Homer Revisited: Anne Le Fevre Dacier's Preface to her Prose Translation of the lIiad in the Early Eighteenth-Century France », Studies in the Literary Imagination, XXXIII, 2, Fall 2000, p. 87-107.

4 tu, doivent être lues comme des stratégies rhétoriques relevant tout particulièrement de l'ethos. Aucune étude n'en a encore entrepris l'analyse.

En fait, c'est sa traduct:on de l'Iliade l2 qui a été le plus minutieusement analysée. Ses deux traités, Des causes de la corruption du goust et Homère défendu contre l'apologie du R. P. Hardouin, n'ont été abordés que du point de vue du contenu. Bruno Garnier, dans son chapitre, «Anne Dacier, un esprit moderne au pays des

Anciens l3 », propose de redécouvrir la figure de l'érudite en saisissant le paradoxe qui l'animait: celle d'une traductrice à l'avant-garde et d'une commentatrice butée et conservatrice. Mais c'est d'un article de Roy C. Knight, « Dacier and gardens ancient and modern l4 », que nous vient en partie l'optique retenue pour notre mémoire. L'auteur met en parallèle les conceptions de Mme Dacier et de son vis-à-vis anglais, Pope. Si tous les deux s'entendent à louer Homère comme le plus grand poète, ils diffèrent d'avis sur son style, que l'une qualifie du «jardin le plus régulier et le plus symétrisé» et l'autre de «wild paradise ». R. C. Knight remarque que Mme Dacier s'en prend à Pope tout comme elle s'en était pris à Perrault, alors que ceux-ci soutenaient des points de vue opposés. Cet article suggère implicitement que la position de la savante est toujours la même, qu'elle s'adresse à un apologiste d'Homère, comme le Révérend Père Hardouin ou encore Pope, ou à un détracteur comme La Motte. Là encore, personne ne s'est arrêté à cette permanence dans l'agonistique.

La nature polémique de ses textes est aussi bien traitée que l'idée de corruption qui les articule. C'est le néant. Par contre, le genre polémique lui-même fait l'objet de

12 L'Iliade d'Homère traduite enjrançois. avec des remarques par Madame Dacier, Paris, Rigaud, Directeur de l'Imprimerie Royale, Rüe de la Harpe, 1711,617 p.

13 Bruno Garnier, « Anne Dacier, un esprit moderne au pays des Anciens », dans Portraits de traductrices, dir J. Delisle, Presses de l'Université d'Artois, Presses de l'Université d'Ottawa, 2002, p. 13-42.

14 R. C. Knight, « Dacier and gardens ancient and modem », Studies on Voltaire, CLXXXV, 1980, p. 119-129.

5 profondes et riches réflexions depuis les travaux de Marc Angenot dans La parole

15 pamphlétaire • Deux recueils, issus de colloques, analysent différents aspects de la polémique sous l'Ancien Régime: Ordre et contestation au temps des classiques16 et,

17 plus récemment, La parole polémique •

La Querelle d 'Homère, quant à elle, s'est d'emblée présentée aux observateurs de l'époque comme un événement. L'Examen pacifique de la querelle de Madame Dacier et de Monsieur de La Motte sur Homère par Étienne Fourmont en 1716 illustre la conscience que les critiques du moment avaient du combat qui se jouait. Les lettrés du dix-huitième siècle poseront un regard amusé, voire ironique, sur cette joute dont l'enjeu leur échappera de plus en plus. L'ouvrage de l'abbé Augustin-Simon Irailh18 en 1761 perpétue l'idée que la Querelle d'Homère est le fruit du caractère prétentieux d'Antoine Houdar de la Motte et du tempérament belliqueux de Mme Dacier. Il faut attendre le dix-neuvième siècle pour que des savants comme Hippolyte Rigault, Sainte­

19 Beuve ou encore Brunetière , cherchent à circonscrire et à décrire le phénomène dans son entier et sous l'angle de l'histoire littéraire. Dès lors, la Querelle d'Homère cesse d'être envisagée comme une simple dispute entre des individus pour être comprise comme l'aboutissement d'une tension entre deux forces qui a traversé les âges. Il est désormais admis que les années 1687 à 1715 ont vu naître la « Querelle des Anciens et des Modernes» parce qu'elles ont été marquées par une amplification et une

15 Marc Angenot, La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982, 425 p.

16 Ordre et contestation au temps des classiques, éd. R Zuber et P. Ronzeaud, Paris - Seattle - Tübingen, Papers on French seventeenth Century Litterature, 1992, particulièrement le tome II.

17 La parole polémique, éd. G. Declercq, M. Murat, J. Dangel, Paris, Honoré Champion, 2003, 549p.

18 Abbé Augustin-Simon lrailh, Querelles littéraires ou Mémoires pour servir à l'histoire des révolutions de la République des Lettres, depuis Homère jusqu'à nos jours, Paris, Durant, 1761, t. II, p. 285-319.

19 Hippolyte Rigault, Histoire de la querelle des anciens et des modernes, New York, Franklin, 1859, 490 p.; Sainte-Beuve,« La Querelle des Anciens et des modernes », dans Causeries du Lundi, Paris, Hachette, 1859, vol. XIII, p. 109-141 ; Ferdinand Brunetière, «La querelle des Anciens et des Modernes », dans L'évolution des genres, Paris, Hachette, 1914, p. 111-138.

6 intensification des écrits polémiques, par une explicitation des enjeux politiques et sociaux, et peut-être aussi par une certaine résolution du conflit lors de la Querelle d'Homère. Cette approche diachronique a durablement marqué les esprits et après un

20 demi siècle de purgatoire , c'est toujours dans cette optique que le sujet est abordé.

Pour le redécouvrir, il semble qu'il ait fallu d'une part qu'un nouveau point de vue fût possible, d'autre part que la discipline même de l'histoire littéraire fût menacée. Car ce n'est qu'au cœur de la tourmente qui entoure l'établissement de la nouvelle critique, à la fin des années soixante, que l'intérêt pour ce sujet on ne peut plus historique se réveille. Participant peut-être au mouvement de résistance que livre alors l'histoire littéraire, Noémi Hepp ravive les études de fortune dans le domaine de l'Antiquité grecque par sa thèse essentielle, Homère au XVlf siècle. Tout le livre tente de saisir la présence paradoxale du « mythe» d'Homère au xvue siècle. La quatrième partie de cet ouvrage est entièrement consacrée à la «fortune d'Homère à l'époque de la Querelle des Anciens et des Modernes (1687-1717) ». Son chapitre « Les ouvrages et les faits dans la Querelle d'Homère », «(le] plus brillant et lIeJ plus amusant du livre21 » selon Marc Fumaroli, décrit intelligemment les textes qui constituent le corpus de la Querelle et les fait dialoguer. L'érudition et la rigueur de N. Hepp sont incontestables et précieuses. Elle analyse dans le détail l'entreprise de Mme Dacier et met en relief le savoir à l' œuvre dans ses traductions ainsi que le cadre épistémologique qui détermine ses écrits polémiques: Anne Dacier est l'héritière d'Eustathe, commentateur de la deuxième moitié du XIIe siècle, particulièrement dans l'ordre de l'interprétation allégorique et des considérations théologiques et, bien évidemment, d'Aristote, traduit par son mari André Dacier. On nous montre la savante profondément di visée entre l'époque à « laquelle elle voudrait être entendue et celle à

20 Le seul ouvrage à paraître pendant cette période est celui d'Hubert Gillot, La querelle des anciens et des modernes en France: de la Défense et Illustration de la langue française aux: Parallèles des anciens et des Modernes, Genève, Slatkine Reprints, 1968 (1914),6\0 p., qui délaisse complètement la dernière phase de la Querelle des Anciens et des Modernes.

21 Marc Fumaroli, « Sur Homère en France au XVII" siècle », Revue d'histoire littéraire de la France, LXXIII, 1973, p. 655.

7 laquelle elle emprunte sa manière de penser2 ». Dans son chapitre « Les idées dans la

Querelle d'Homère », N. Hepp juge le système de défense de Mme Dacier « complexe », mais «peu satisfaisant23 » et reconduit en cela le jugement des contemporains et des lettrés du XVIW siècle. Elle fait ressortir la dynamique de la

Querelle qu'elle qualifie de «dialogue de sourds24 » et insiste sur la « merveilleuse simplicité» de la doctrine des Modernes. Face à cette stratégie unifiée, les Anciens proposaient deux types d'arguments, « ceux qui viennent trop tard et ceux qui viennent trop tôt pour être entendus par une génération vouée au règne de la raison25 ». La Querelle est ainsi présentée comme la conséquence d'un décalage épistémologique qui empêche les Anciens et les Modernes de s'entendre au propre comme au figuré. Mais de s'entendre sur quoi? Les enjeux semblent nombreux: politiques, religieux, littéraires, etc. Ce livre s'est en quelque sorte imposé comme le moule des études sur la postérité d'Homère: sa primauté n'est pas seulement chronologique. N. Hepp n'aborde cependant pas de front les questions formelles et génériques que pose cet héritage.

Il est si vrai que les critiques ultérieurs ont pensé la Querelle à partir de son ouvrage qu'aucun, à l'exception notable de Bernard Magné, n'a examiné les écrits de la Querelle d'un point de vue rhétorique. Dans son compte rendu de l'ouvrage de N. Hepp, Marc Fumaroli avait d'ailleurs relevé cette absence en s'interrogeant sur le rôle

26 joué par le mythe d'Homère dans le système rhétorique de l'époque • En fait, rares sont les critiques à faire ressortir les stratégies discursives des protagonistes et leur

22 Noémi Hepp, Homère en France au XVII' siècle, op. cit., p. 647.

23 Ibid., p. 641.

24 Ibid., p. 709.

25 Ibid., p. 751.

26 Marc Fumaroli, « Sur Homère en France au XVIIe siècle », Loc. cil., p. 647.

8 incidence sur l'évolution de la Querelle. Seule l'historienne Chantal Grell27 semble avoir répondu à l'appel lancé par B. Magné en 1976 dans sa thèse d'État sur La Crise de la littérature française sous Louis XIV, humanisme et rationalisme'1S et repris dans son article «Le procès de la mythologie dans la Querelle des Anciens et des

Modernes29 ». Cet article programmatique est fondamental pour nous: il expose d'emblée les deux approches possibles de la Querelle: « la première, la plus courante, relève d'une description conjoncturelle et s'attache à différencier des épisodes que particularisent des contenus. La seconde [ ... 1 relève d'une analyse structurelle et s'attache à saisir des tensions que manifestent des stratégies discursives30 ». Il est vraiment dommage pour nous que B. Magné ait abandonné ces recherches pour se consacrer à Georges Perec. C. Greil, qui partage en partie sa conception, décrit ainsi son propre travail sur la Querelle: «il ne s'agit pas d'exposer les thèses en présence comme la plupart des auteurs s'y sont jusqu'à présent appliqués, mais d'étudier les enjeux, apparents et souterrains, à travers les concepts mis en œuvre et la manière dont

ils s'articulent les uns aux autres31 ». C. Greil met en évidence la cohérence de l'argumentation des Modernes par rapport à la débandade des Anciens qui se désavouent mutuellement, notamment à propos du recours à l'allégorie. Elle s'intéresse en outre aux implications épistémologiques de cet «événement ». Plus spécifiquement, elle analyse l'élargissement du champ de la réflexion historique à de nouveaux objets et à denouvelles époques. Les érudits partisans d'Homère se voient en effet contraints par l'offensive des Modernes de donner au prince des poètes une nouvelle légitimité: ils vont désormais lire les épopées homériques comme des

27 Chantal Greil, Le XVllf siècle et J'Antiquité en France, Oxford, Voltaire Foundation, 1995,2 vol., 1297 p. Voir particulièrement son chapitre 5,« L'Antiquité des Anciens et des Modernes », p. 359- 448.

2R Bernard Magné, La Crise de la littérature française sous Louis XIV. Humanisme et rationalisme, thèse d'État, Lille, 1976,2 vol., 1026 p.

29 Bernard Magné, « Le procès de la mythologie dans la Querelle des Anciens et des Modernes », dans La mythologie au XVlf siècle, éd. L. Godard, XIIe Colloque du CMR 17, Marseille, 1982, p. 49-55.

30 Ibid., p. 48.

31 Chantal Greil, Le XVI/I' siècle et l'Antiquité en France, op. cit., p. 363.

9 32 témoignages historiques - elle montre ainsi que les Anciens réagissent aux attaques des Modernes et l'on peut se demander si, dans ces conditions, Noémi Hepp a raison de parler de ({ dialogue de sourds ». Ce changement de statut du texte homérique annonce les progrès futurs de la philologie et laisse entrevoir un certain relativisme qui tient

33 plus, selonC. Greil, d'accord en cela avec Hans Kortum , de l'intuition que d'une véritable conscience historique. Elle prend là parti contre Bernard Magné qui déclarait nécessaire

d'inverser la vision traditionnelle à laquelle nous ont habitués trop d'historiens de la littérature, en faisant des Modernes les promoteurs d'une critique relativiste, thèse élaborée par les positivistes du XIXe siècle 1... 1, soutenue encore aujourd'hui par Noémi Hepp34.

Si l'appel lancé par Bernard Magné en faveur d'une analyse rhétorique de la Querelle a été peu entendu, en revanche, sa dénonciation d'un certain parti pris pour les Modernes déclenche une polémique qui nous semble déterminante pour les études ultérieures.

Les travaux les plus récents, en effet, témoignent de ce renversement de perspective: alors que la tradition avait longtemps considéré le clan des Modernes, avec Fontenelle à sa tête, comme le relais permettant de rattacher la fin du classicisme aux Lumières, certains critiques font désormais ressortir l'apport paradoxal des Anciens à l'avènement de la modernité littéraire. Larry Norman fait le point sur cette question dans une note de son article intitulé ({ Subversive Ancients? The Querelle

3~ Elle avait déjà livré ces considérations dans sa communication « La querelle homérique et ses incidences sur la connaissance historique », dans D'un siècle à l'autre: Anciens et Modernes, loc. cit, p. 19-30.

33 Hans Kortum, « Frugalité et luxe à travers la querelle des anciens et des modernes », Studies on Voltaire, LVI, 1967, p. 765-775.

34 Bernard Magné, « Le procès de la mythologie dans la Querelle des Anciens et des Modernes », loc. cit., p. 55.

10 Revisited35 ». Il y aurait selon lui deux écoles, l'une influencée par les études américaines36 et qui, fidèle à la doxa, fait des Modernes les précurseurs de la modernité, et l'autre, plus récente, ayant sa source en France, qui tente de relire la Querelle du point de vue des Anciens. L. Norman montre de façon assez convaincante que les Anciens, loin de conforter l'ordre social contemporain, l'ont ébranlé et critiqué. Il relève une certaine complicité entre les Modernes et l'ordre social et politique établi. Il qualifie la modernité de Perrault de « répressive» et la relie au processus de civilisation qu'a étudié Norbert Elias. Marc Fumaroli, dans ses multiples articles, ouvrages, et

37 surtout dans son séminaire au Collège de France , analyse d'une part l'armature politique, institutionnelle et conceptuelle qui soutient la Querelle et la rend possible, et démontre d'autre part que l'imitation des Anciens, bien loin de contraindre, permettait de se libérer des exigences de la propagande étatique, universelle sous Louis XIV. Ce sont les Anciens et non les Modernes qui ont cherché à protéger l'autonomie de la littérature et ils l'ont fait grâce au détour par l'Antiquité qu'ils s'imposaient. La critique ne doit plus penser en terme de vainqueurs et de vaincus.

35 Larry F Norman, «Subversive Ancients? The Querelle Revisited », Seventeenth-Century French Studies, XXI, 1999, p. 227-238.

36 Voir notamment Joan E. De Jean, Ancients against modems: culture wars and the making of a fin de siècle, University of Chicago Press, 1997, 216 p. Elle affirme à la fin de son chapitre «The Invention of a Public for Literature}) que « in the eighteenth century, when French Iiterary history was rewritten by supporters of the Ancients 1... 1even Perrault has never received the credit that is his due - for having imagined, in his Parallèle, an embryonic Encyclopédie, in which Iiterature and the fine arts ard considered alongside both the practical arts and the newly emerging scientific disciplines ».

37 La Querelle des Anciens et des Modernes, précédé de « Les abeilles et les araignées» de M. Fumaroli, suivi d'une postface de J. R. Armogathe, édition et annotations par A.-M. Lecoq, Paris, Gallimard, 2001, 893 p.; Marc Fumaroli,« La République des Lettres (IV). De Descartes à Fontenelle: la Querelle des Anciens et des Modernes », Annuaire du Collège de France /990-/99/. Résumé des cours et travaux, Paris, Collège de France, 1991, p. 505-535 ; « L'Allégorie du Parnasse dans la Querelle des Anciens et des Modernes », dans Correspondances. Mélanges offerts à R. Duchêne, Tübingen, Papers on French seventeenth Century Litterature, 1992, p. 523-534; «Sur Homère en France au XVW siècle )), Revue Histoire Littéraire de la France, LXXIII, 1973, p. 643-656 ; « Hiéroglyphes et lettres: la Sagesse mystérieuses des Anciens au XVII" siècle )), XV/I' siècle, CLVIII, no l, 1988, p. 7-20; « Réflexions sur la Querelle des Anciens et des Modernes )), Traverses, printemps 1992, p. 40-57; « La Querelle des Anciens et des Modernes, sans vainqueurs ni vaincus )), Le Débat, 104, mars-avril 1999, p. 73-88.

Il Il ne faudrait donc pas croire que ces chercheurs ont simplement inversé le modèle précédent. Certes, cela leur est arrivé dans un premier temps, mais ils ont ensuite déconstruit les catégories d'ancien et de moderne; influencés ou non par la pensée de Derrida, plusieurs chercheurs, lors du colloque D'un siècle à l'autre: Anciens et Modernes, s'y sont efforcés: mentionnons entre autres H. Hillenaar,

« Fénelon, Ancien et Moderne38 », ou encore Jean Sgard, «Et si les Anciens étaient

modernes... Le système du P. Hardouin39 ». Cet assouplissement permet de repenser complètement la Querelle, d'en mieux saisir la complexité et le mouvement. Noémi Hepp déjà attribuait aux Anciens des arguments obsolètes et novateurs. Toutefois, même l'école française, qui fait de plus en plus d'adeptes, n'est pas encore parvenue à retracer dans la Querelle les germes de la modernité, du moins pas de façon satisfaisante à nos yeux. L'idée que la Querelle débouche sur les Lumières semble une évidence que personne ne se donne la peine de démontrer. Francis Assaf nous avait donné beaucoup d'espoir en intitulant sa communication «La deuxième Querelle

(1714-1716). Pour une genèse des Lumières? 40 » ; malheureusement, il raconte plutôt qu'il n'analyse la Querelle d'Homère et il ne réussit pas à en expliquer les échos dans l'Encyclopédie. D'ailleurs, un demi siècle s'est écoulé entre la fin de la Querelle et de tels avatars, ce qui nous paraît un peu elliptique. Certains cependant, comme Jean Sgard, analysent ponctuellement l'incidence de la Querelle sur des hommes de lettres

41 ultérieurs • Sa communication intitulée « Les enjeux de la Querelle dans le Pour et Contre» au colloque Homère en France après la Querelle (1715-1900) analyse la lente transition qui s'amorce dans la revue de Prévost: toutes les questions qui dérivent de la

38 H. Hillenaar, «Fénelon, Ancien et Moderne », dans D'un siècle à l'autre: Anciens et Modernes, loc. cit., p. 101-118.

3<1 Jean Sgard, « Et si les Anciens étaient modernes... Le système du P. Hardouin », dans D'un siècle à l'autre: Anciens et Modernes, Loc. cit., p. 209-220

4() Francis Assaf, «La deuxième Querelle (1714-1716). Pour une genèse des Lumières? », dans D'un siècle à l'autre: Anciens et Modernes, loc. cit., p. 277-292.

41 Sgard, Jean. «Les enjeux de la querelle d'Homère dans le Pour et Contre », dans Homère en France après la Querelle (/7/5-1900), Actes du colloque de Grenoble, pub\. par F. Létoublon et C. Volpilhac-Auger, Paris, Champion, 1999, p. 203-212.

12 controverse homérique y trouvent place, de façon directe ou indirecte, mais désormais dénuées de caractère polémique.

Au terme de cet examen, quelques constats s'imposent: l'analyse des contenus a été faite et refaite; la critique a tenté de se libérer du préjugé presque sémantique qui faisait des Modernes les précurseurs de la modernité; il est acquis que les catégories d'ancien et de moderne doivent être assouplies; finalement, une lecture des stratégies discursives qui s'inscrirait dans le cadre plus général d'une analyse rhétorique permettrait peut-être de dévoiler la «machinerie» à l'œuvre dans la «Querelle d'Homère ». Il faut donc revenir aux textes mêmes de cet événement et les analyser au plus près. Les écrits polémiques d'Anne Dacier, Des causes de la corruption du goût

42 et Homère défendu contre l'Apologie du R. P. Hardouin , sont au fondement de la Querelle et forment le corpus le plus important et le plus cohérent de cet ensemble. Par ailleurs, leur dimension polémique, leur agressivité manifeste, les rend propres à une étude rhétorique. Finalement, la diversité des adversaires de la traductrice, un mondain et un savant, permet de saisir la variété de ses stratégies. Ce sont donc ces deux traités surtout que nous analyserons dans notre mémoire sous l'angle de la corruption et de la polémique. Nous verrons la genèse, la jeunesse et la maturité de l'idée de corruption, puis son intégration à la pensée de Mme Dacier et finalement son influence sur sa pratique polémique.

4~ Anne Dacier, Des causes de la corruption du goût, Genève, Slatkine Reprints, 1970, 618 p. ; Homère défendu contre l'Apologie du R. P. Hardouin, Genève, Slatkine Reprints, 1971, 231 p.

13 GRANDEUR ET MISERE D'UNE IDEE: LA CORRUPTION

Something is rotten in the state of Denmark. Hamlet, Act 1, Sc. iv, 90

La Querelle d'Homère est un phénomène historique bien connu des spécialistes: aussi, plutôt que d'énumérer les textes qui la distinguent du reste de la production littéraire des années 1700-1720, pour situer l'entreprise de Mme Dacier, nous proposons-nous de parcourir cet épisode polémique de l'intérieur, en suivant l'idée de corruption que l'éminente helléniste met au centre de sa réflexion dans son important traité Des causes de la corruption du goust (1714). Se plaçant dans la lignée de Tacite - Le Dialogue des orateurs se présente comme une recherche des « causes de la corruption de l'éloquence» -, Mme Dacier situe le débat dans le champ de la rhétorique. À quelle époque et comment le concept de corruption, surtout physique et moral à ses débuts, a-t-il pu s'appliquer à la langue et à l'éloquence? Nous répondrons à cette question par une histoire des acceptions du mot corruption depuis l'Antiquité.

Cette enquête sémantique devrait permettre d'établir avec plus de précision les mouvances de la corruption et d'explorer la bibliothèque intérieure d'Anne Dacier qui imite et interprète Tacite. Elle lui emprunte le concept de corruption de l'éloquence, se trouve d'accord avec les causes qu'il met en évidence et a recours à une topique parente pour décrire le phénomène. On ne saurait lire Anne Dacier en ignorant le Dialogue des Orateurs. L'idée de corruption apparaît très tôt dans la conscience occidentale, comme le sentiment que rien n'est immuable, que tout change, et - malgré la conviction d'Aristote qu'elle est la condition de la génération - rarement pour le mieux. Bien qu'elle figure souvent dans les textes, il arrive pourtant que la notion de corruption tienne le rôle principal. En en faisant, sous couvert de métaphore, un personnage, nous lui supposons une unité qu'elle est cependant loin de soutenir. La synonymie des termes grecs et qui la désignent, ou encore les multiples objets auxquels elle s'attaque, rendent périlleuse toute tentative de définition englobante. La corruption reste abstraite et comme désincarnée, à moins de lui donner un complément de nom qui lui donne prise sur le réel: c'est alors la corruption du sang, des insectes, de la jeunesse, de l'éloquence, des orateurs, des politiciens romains, du goût, etc., autant de masques dont il importe de saisir la grimace pour lui donner un visage. Ce n'est pas elle, mais ses objets qu'il faut analyser pour faire l'histoire de cette idée. «L'idée sera l'unité de base de tous ces ensembles, plus ou moins instables, plus ou moins unifiés43 ».

Jean Starobinski et Michel Delon ont tous les deux travaillé à définir et à renouveler l'histoire des idées littéraires, malmenée par Foucault. L'alliance de leurs méthodes respectives engendre une approche à la fois diachronique et synchronique. Diachronique parce que Starobinski estime qu'une enquête sémantique approfondie est préalable à toute étude d'une idée à une période donnée:

La connaissance des antécédents d'un mot nous invite à le concevoir comme un dérivé. Certes, la plus profonde « racine» des mots de la langue intellectuelle ne conduit pas nécessairement à leur vérité secrète: ce peut être aussi bien leur émergence au niveau des gestes 44 concrets, au départ d'un transfert métaphorique •

La saisie de ce transfert est ici capitale, puisque c'est le sens figuré de la corruption que retiendra la postérité qui nous intéresse. Par ailleurs, une fois le survol

43 Michel Delon, L'idée d'énergie au tournant des Lumières (1770-1821), Paris, PUF, 1988, p. 18.

44 Jean Starobinski, Action et Réaction. Vie et aventure d'un couple, Paris, Seuil, 1999, p. 17.

15 achevé, il faut éviter d' «isoler l'idée des formes, des systèmes et des conditions historiques où elle s'intègre [sans toutefois en] faire un pur reflet des conditions sociales, économiques et des états affectifs et moraux45 ».

L'idée de corruption s'exténue à la fin du règne de Louis XIV, battue par l'idée encore en germe de progrès que le clan des Modernes affiche paradoxalement. Ce n'est vraiment qu'au Siècle des Lumières que se développera une doctrine historique

46 du Progrès • Le paradigme de la corruption ou de la décadence et du progrès donne un souffle nouveau au débat entre Anciens et Modernes qui a animé les lettrés depuis la création de l'Académie. Ce paradigme ne va pas de soi. Il est relativement neuf. La corruption a historiquement connu d'autres alliances: le domaine physique en a fait

47 l'antagoniste de la génération; le domaine moral, de la virilité et de l'ascèse ; le domaine esthétique, de la pureté; ce n'est que tardivement, alors qu'une doctrine moderne de l'histoire se constituait, que la corruption a dû faire face au progrès dans le domaine historique. C'est un peu les «vies et aventures» (J. Starobinski) de ces couples qu'il nous faut maintenant parcourir.

En guise d'introduction à son ouvrage Action et Réaction, J. Starobinski cite très judicieusement le Louis Lambert de Balzac:

Souvent [ ... ] j'ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot dans les abîmes du passé [ ... ]. Parti de la Grèce, j'arrivais à Rome et traversais l'étendue des âges modernes. Quel beau livre ne composerait-on pas en racontant la vie et les aventures d'un mot48 ?

L'ambition de ce chapitre est de concevoir l'histoire de l'idée de corruption comme une sédimentation progressive, dont les strates, même érodées par le temps,

45 Michel Delon, op. cit., p. 14.

46 Sur le progrès au XVIIIe siècle, voir le Marquis de Mirabeau, L'ami des hommes, 1757 et Condorcet, Tableau historique des progrès de l'esprit humain.

47 La virilité au sens de la maîtrise de soi, de la sobriété, du courage.

48 Honoré de Balzac, Louis Lambert, cité par J. Starobinski, op. cit., p. 9.

16 peuvent non seulement être lues, maIS demeurent actives pour celui ou celle qui l'emploie. Mme Dacier dans son Traité des Causes de la corruption du goust reprend un terme dont la puissance évocatrice réside en partie dans son histoire.

La notion de corruption est souple, aussi active dans le domaine physique que forte dans la sphère morale. Dans les trois langues à considérer dans le contexte de la Querelle des Anciens et des Modernes, le terme de corruption a d'abord désigné un phénomène physique. Cependant, comme le français, le grec et le ne distinguent pas lexicalement la putréfaction physique de la corruption morale. Les Grecs, bien qu'ils utilisent aussi à l'occasion d'autres termes, ont largement préféré celui de phth6ra et ses dérivés - (dia)phtheirô, etc. - que les Latins traduiront par corruptio - corrumpo, etc. Le grec utilise deux autres termes: sêpô et têkô qui correspondent grosso modo aux termes latins putrefactio et tabesco. Ce sont ces trois familles que nous explorerons successivement.

Le terme grec dôrodokeô est certes employé pour évoquer la corruption morale des hommes politiques qui acceptent des pots-de-vin, mais le fait que Démosthène emploie diaphtheirô epi khrêmasi conjointement avec dôrodokeô (De Cor 45) laisse à penser que diaphtheirô et dôrodokeô ne sont pas de simples synonymes: «Mais les états étaient malades: les hommes politiques, les hommes en situation d'agir se faisaient payer et se laissaient corrompre par l'argent49 ». La métaphore de la cité malade est soutenue par l'emploi figuré du verbe diaphtheirô. Thucydide, dans sa célèbre narration de la peste (II, 47)50, s'appuie d'abord sur le sens physique pour diagnostiquer un mal moral à Athènes. L'historien emploie littéralement le terme phth6ra pour décrire le fléau qui s'abat sur la cité, description d'un désordre qui

49 Nous ne citerons les originaux grecs et latins que dans la mesure où ils illustrent notre enquête sémantique. Dans les autres cas, nous nous contenterons de citer les auteurs anciens en traduction. Démosthène, Sur la Couronne, éd. et trad. G. Mathieu, Paris, Les Belles Lettres, 1971, p. 40. « At oÈ lTOÀEIÇ EVOOOVV, TWV I-IÈv Èv TW lTOÀlTEUE06at Kal lTpaTTElv OWpOOOKOUVTWV Kal olacp6ElpOl-lÉVwv ÈlTl XPTJI-laol. » Sur la corruption politique, voir D. M. MacDowell, loc. cit. , p. 57-78

50 Thucydide, The Peloponnesian War, book II ed. J.S. Rusten, Cambridge, 1989.

17 contraste douloureusement avec l'oraison funèbre si maîtrisée de Périclès. Le phénomène est tellement inouï que Thucydide présente la peste et ses conséquences

51 comme sans mémoire • L'historien forme une entreprise nouvelle, qu'il refuse

52 d'articuler à une tradition qu'il juge problématique et biaisée • Il est en quelque sorte « amnésique» : c'est dire, non pas qu'il ignore les traditions, mais qu'il ne leur accorde

53 aucun crédit. Si Thucydide décrit minutieusement les symptômes physiques , il achève son récit par les conséquences morales de la maladie: « Le plus terrible de tout ce mal était le découragement qui prenait celui qui se savait atteint54 ». La ville, plus encore que ses citoyens, est malade, moralement atteinte, au point de laisser ses citoyens sans sépulture, offerts en pâturage aux oiseaux et aux bêtes. Les lois les plus sacrées ne peuvent ralentir ce brutal retour à la bestialité (II, 54, 4). La corruption morale est responsable de la putréfaction visible des corps. De même, dans une Rome corrompue, les lois, loin d'être inoffensives ou simplement impuissantes, sont à leur tour susceptibles de corrompre: «Alors on proposa des lois non plus pour tous, mais contre des individus et jamais les lois ne furent plus multipliées que quand l'État fut le plus corrompu55 ». La prolifération des lois n'est pourtant pas tant la cause que le symptôme de la corruption. Tibère, dans une lettre adressée au Sénat, que rapporte Tacite dans les Annales, compare Rome à une « âme corrompue et corruptrice, malade

51 «Où IJÉVTOI TOOOUTOS yE ÀOIIJOS oùoÈ

52 Pourtant, Hérodote avant Thucydide avait voulu fonder un nouveau discours. « Dès la phrase inaugurale des Histoires, l'opération historiographique d'Hérodote se donne en effet comme nomination d'un lieu nouveau, comme sa circonscription dans des pratiques discursives et des savoirs ayant alors cours: historié ». F. Hartog, Le miroir d'Hérodote, Paris, Gallimard, 2001, p. 16.

53 Sur la peste d'Athènes, voir Thomas E. Morgan, « Plague or Poetry? Thucydide's on the Epidemie at Athens », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, Volume 124, 1994, p. 197-209. ; et D. L. Page, «Thucidides's Description of the Great Plague at Athens », The Classical Quarterly, volume 3, July-October 1953, p. 97-119.

54« 8ElvoTaTov oÈ lTaVTOS Tjv TOU KaKOU il TE a6ulJ(a OlTOTE TIS a'(o60lTO KO:IJVWV W (II, 51,4).

55 Tacite, Annales, trad. Burnouf, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 151 (III, XXVII) : « iamque non modo in commune sed in singulos homines latae quaestiones, et corruptissima re publica plurimae leges ».

18 et consumante56 ». Le cardinal de Retz, dans ses Mémoires, reprendra le topos de la cité malade associé à la corruption morale et à la multiplication des édits:

Le mal s'aigrit; la tête s'éveilla: Paris se sentit, il poussa des soupirs; l'on n'en fit point de cas: il tomba en frénésie. Venons au détail. Emery, surintendant des finances, et à mon sens l'esprit le plus corrompu de son siècle, ne cherchait que des noms pour trouver 57 des édits •

Aristote s'attaque à une corruption encore plus abstraite: il ne cherche pas dans l'idée de corruption des sens métaphoriques, mais des causes générales. Il consacre un traité entier à la question de la corruption, le Peri geneséôs ka'i phth6ras, plus connu

58 sous son titre latin De Generatione et Corruptione , texte qui fonde la relation dialectique entre les deux temps du devenir, la génération et la corruption: «(laJ révolution entretiendra indéfiniment la génération en amenant et en éloignant périodiquement la cause de la génération59 ». Cette cause presque cosmique explique l'ordre du monde comme un éternel mouvement de balancier. Aristote y établit définitivement le caractère actif de la corruption dont le fonctionnement est identique à la génération. Il est le premier à associer le phénomène naturel au phénomène artistique.

Car ce qui appartient à la matière c'est la propriété de subir des actions et d'être mise en mouvement, alors que la propriété de mouvoir et d'exercer des actions appartient à une autre puissance. Ceci est évident dans ce qui se produit par l'art et dans ce qui se produit par la nature. Ce n'est en effet pas l'eau elle-même qui fait

56 Idem., p. 164 (Liber III, UV) : «atqui ne corporis quidem morbos veteres et diu auctos nisi per dura et aspera coerceas : corruptus simul et corruptor, aeger et flagrans animus haud levioribus remediis restinguendus est quam libidinibus ardescit. tot a maioribus repertae leges, tot quas divus Augustus tulit, illae oblivione, hae, quod flagitiosius est, contemptu abolitae securiorem luxum fecere ».

57 Cardinal de Retz, Mémoires, éd, S. Bertière, Paris, Garnier, 1987, vol. l, p. 290.

58 Sur l'authenticité du traité De la génération et de la corruption, voir l'introduction de Charles Mugler dans Aristote, De la génération et de la corruption, Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. V à XVII.

59 Aristote, op. cit., p. 67.

19 naître un être vivant de son sein, ni le bois qui produit un lit, mais 60 c'est ici l'art •

La comparaison entre la nature et l'art61 met en parallèle deux puissances (dunameis), celle de la nature et celle de l'artiste - les hommes corrompus qui nous intéresseront le plus seront de ces artistes techniciens qu'on appelle orateurs -, qui peuvent engendrer et détruire, c'est-à-dire agir (t6 dè kineîn kal poieîn) sur une matière inerte qu'Aristote décrit au moyen des mêmes verbes (t6 dè kineîsthai kal), employés cette fois à la voix passive. La corruption naturelle est dans l'ordre des choses puisque la matière porte en elle, virtuellement, sa fin; la corruption culturelle pourrait plutôt être pensée comme une « violence» faite à une matière sans récit, sans mort écrite.

Sans surprise, les Latins utilisent le terme corruptio pour évoquer la corruption physique, que ce soit celle des éléments comme le ciel ou celle des malades.

Par conséquent, pour peu que vienne à s'ébranler un ciel qui par hasard nous est étranger, et qu'un air ennemi insidieusement commence à se glisser, alors, comme les nues et comme les brouillards, il rampe lentement, et partout où il passe, il impose désordre et bouleversement. Ce qui se passe aussi, quand enfin il arrive à notre propre ciel, c'est qu'il va le corrompre (corrumpat) et, à l'instar de lui, en faire un étranger (alienum)62.

60 Aristote, op. cit., p. 66.

61 Sur l'analogie entre la nature et l'art, voir Pierre Hadot, Le voile d'Isis. Essai sur l'histoire de l'idée de nature, Paris, Gallimard, 2004, p. 41 : «Aristote admet lui aussi une analogie entre nature et art, mais il y ajoute de radicales oppositions. En premier lieu, il définit la nature comme un principe de mouvement intérieur à chaque individu. [ ... ] Chez les êtres vivants, ce principe de mouvement immanent est en outre un processus de croissance. On pourrait penser au premier abord qu'Aristote conçoit le processus naturel sur le modèle du processus artistique. [ ... ] Mais, en fait, les différences apparaissent rapidement. Dans la réalisation de l'œuvre d'art, c'est un agent étranger qui introduit de l'extérieur la forme dans une matière qui lui est étrangère; dans le processus naturel, c'est de l'intérieur et immédiatement que la forme modèle une matière qui est propre. [ ... ] L'art s'impose à la matière avec violence, alors que la nature modèle la matière sans effort et avec aisance. [ ... ] Cette problématique dominera toute l'histoire de la notion de Nature. Elle sera clairement formulée à la Renaissance par exemple chez Marsile Ficin ».

62 Lucrèce, De la nature des choses, trad. B. Pautrat, Paris, Le livre de poche, 2002, p. 681 [Liber VI, 1118-1124] : « proinde ubi se caelum, quod nobis forte alienum, commovet atque aeër inimicus serpere coepit, ut nebula ac nubes paulatim repit et omne

20 Lucrèce associe d'abord le phénomène de la corruption aux désordres et aux bouleversements, puis à une certaine altérité. Y a-t-il un rapport clair dans l'Antiquité entre la maladie, la corruption et l'altérité? La maladie depuis Hippocrate et Galien est généralement définie comme un déséquilibre des humeurs, phénomène qui peut avoir des conséquences fâcheuses, mais aussi heureuses comme dans le cas de la bile noire, dont l'excès entraîne la mélancolie et favorise la créativité: c'est la seule humeur à influencer la «disposition de l'âme63 », parce qu'elle tient à la fois du moral et de l'humoral. Aristote, dans le Problème XXX;'\ dit de la mélancolie qu'« avec un tel mélange, les individus diffèrent d'avec eux-mêmes65 ». Cette maladie, même si elle ne

66 vient pas de l'extérieur dans la théorie médicale ancienne, rend étranger à soi-même • La maladie mentale n'est pas devenue pour rien une « aliénation de l'esprit» qui, une fois dépossédé, se laisse plus facilement envahir. Le rapport à l'étranger n'est pas simple dans l'Antiquité: le barbare constitue presque toujours une menace. Plutarque, dans la Vie de Lycurgue, rapporte que le législateur interdisait à ses citoyens de fréquenter les étrangers:

car avec des personnes étrangères, il est inévitable que s'introduisent dans une ville des propos étrangers; ces propos étrangers amènent des idées nouvelles; et de toute nécessité, il naît de ces importations bien des sentiments et des volontés, autant de fausses notes qui rompent l'harmonie constitutionnelle. Aussi

qua graditur conturbat et immutare coactat, fit quoque ut, in nostrum cum venit denique caelum, corrumpat reddatque sui si mile atque alienum. »

63 Raymond Klibansky, E. Panofsky et F. SaxI, Saturne et la mélancolie, Paris, Gallimard, 1989 (1964), p. 45.

64 Sur l'authenticité du texte, voir Jackie Pigeaud, «Présentation », dans Aristote, L'Homme de génie et la Mélancolie, trad. J. Pigeaud, Paris, Rivages, 1988, p. 9-80.

65 Aristote, L'homme de génie et la mélancolie, op. cit., p. 99 [945 b] : lTpOS TJlV TOIa\lTT)V KpaOlv, 8laq>ÉpouOiv aÙTol aÙTwv.

66 La frontière entre la santé et la maladie n'est pas claire chez les Anciens. Chez Galien par exemple, « [p Jour autant, la santé et la maladie ne sont jamais réellement pensées comme des contraires dans la mesure où elles ne s'excluent pas réellement l'une l'autre, mais sont toujours envisagées sous le même point de vue dans un rapport de continuité et de glissement sans cesse possible d'un état à l'autre. » V. Boudon, « Notice », dans Galien, Exhortation à l'étude de la médecine. Art médical, Paris, Les Belles Lettres, 2000, p. 195.

21 Lycurgue jugeait-il d'autant plus utile d'épargner à sa ville 67 l'invasion de mœurs mauvaises comme de corps malades •

La dissension (stasis) est à la cité ce que le désordre humoral est à 1'homme. De manière générale, la vie même est perçue comme une lente corruption « suspendue grâce à la présence de l'anima, le souffle vital, chaud et sec. [ ... ] Cette corruption caractéristique des êtres animés tient à leur mobilité68 ». La corruption est essentiellement mouvement. On préfère considérer qu'elle vient d'ailleurs et qu'elle s'impose avec violence. Pourtant, elle est aussi naturelle et les anciens savaient bien qu'elle était la condition même de la génération. Ainsi, dans les Géorgiques de Virgile, c'est la putréfaction de l'animal qui engendre les abeilles et le miel, l'un des symboles

69 les plus permanents de l'univers poétique et du divin •

La question qui se pose à ce stade de notre réflexion est de savoir si l'homme est moralement corruptible parce qu'il l'est physiquement. À notre connaissance, aucun auteur de l'antiquité n'associe autrement que sémantiquement ces deux phénomènes. Par contre, lorsqu'un ancien parle de corruption physique~ une certaine corruption morale ou sociale, en tous les cas figurée, est sous-entendue. Ainsi, même quand le terme sêpô est employé littéralement, il a souvent une portée morale. Homère dans l'Iliade l'utilise pour décrire la décomposition des chairs de Patrocle et d'Hector : «corrompant toute sa chair» (19, 27) et « [v]oilà la douzième aurore qu'il est là,

67 Plutarque, Vies parallèles, trad. B. Latzarus, Paris, Garnier, 1955, p. 219 [chap. XXVIII] : a~a yàp ~ÉVOIÇ ow~a01v àvayKT} Àoyouç ÊlTElO1ÉVOI ~Évouç' Àoyol SÊ KOIVOI KplOEIÇ KOIVàç ÊlTIETO XpfJVOI

68 Florence Dupont, « Grammaire de l'alimentation et des repas romains », Loc. cit., p. 206.

69 Virgile, Géorgique IV, dans Opera omnia, ed. F. A. Hirtzel, Oxford, Clarendon Press, 1959, v. 547-558.

22 étendu à terre, et sa chair ne se corrompt pas» (24, 414fo. Les dieux préservent leur corps de l'outrage. Car si le phénomène est physique (les vers et les mouches sont les instruments de la putréfaction), ses conséquences sont sociales et morales 71, puisque le héros «outragé» qui se décompose sans recevoir de sépulture est dépouillé de sa «belle mort»: «[c]ette belle mort, pour lui donner le nom dont la désignent les oraisons funèbres athéniennes, fait apparaître, à la façon d'un révélateur, sur la personne du guerrier tombé dans la bataille l'éminente qualité d'ané agath6s72 ». Le héros qui tombe au faîte de sa jeunesse et de sa beauté se fige ainsi pour l'éternité dans la mémoire collective: la mort (phth6ra), qui est la corruption par excellence - le mot grec a aussi le sens de destruction, d'anéantissement -, perd sa qualité destructrice et le héros demeure intact malgré le trépas. Il échappe en quelque sorte à la corruption de la mémoire en accédant à un idéal social et moral.

Les poètes tragiques privilégient aussi ce terme (sêpô) et l'emploient surtout au sens figuré. Dans l'Electre d'Euripide (319), la fille d'Agamemnon oppose l'orgueil d'Egisthe qui exhibe son pouvoir en public et le sort de son père dont le sang noir se corrompt dans le palais. Très tôt, le sens figuré est assez répandu pour que dans les Choéphores (995) d'Eschyle, Oreste associe, sans passer par le détour de la corruption physique, les vices de sa mère au venin corrupteur :

Mais celle qui imagina telle horreur contre un homme dont elle avait porté les enfants sous sa ceinture [ ... 1 que te semble-t-elle? Murène ou serpent? Un être en tout cas capable d'infecter (sêpein) sans morsu~e, au simple contact, par le seul effet de son audace et de son orgueil naturels 73.

70 Eschyle, Les Choéphores, éd. et trad. P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1952, p. 118-119. KaTà oÈ xpoa 1TCIna OTJ1TTJ'IJ et OUc.vOEKOTTJ oÉ ai ti~s KEIj..lÉVctl, aùoÉ Tl ai XP~s OTJlTETaI. Homère, /liade, trad. et éd. P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1938, p. 4 et 154.

71 Chez Homère,le social et le moral ne semblent pas clairement distingués.

72 Jean-Pierre Vernant,« La belle mort et le cadavre outragé », op. cil., p. 41-79 [p. 56].

73 Eschyle, Les Choéphores, éd. et trad. P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1952, p. 118-119. « ~TlÇ ô~ÈQ àvôQ( 'toû't~ È).LTJou'tO O't'lJyoç

23 La malédiction des Atrides bouleverse le rapport de filiation qui unit normalement un fils à ses parents. Dans sa tirade, Oreste insiste d'une part sur le fait que Clytemnestre est sa mère tout en soulignant l'absence de contact qu'il y eu entre eux. La corruption ou la malédiction qui pèse sur la famille des Atrides sont contagieuses.

La même concomitance des sens propre et figuré se trouve dans l'emploi des termes têkô et tabesco, bien que ces deux termes soient moins directement liés à l'idée de corruption. «Qu'il s'agisse de phénomènes météorologiques ou affectant le corps humain, il existe [ ... ] les mêmes possibilités sémantiques, propres et métaphoriques, et les mêmes domaines d'emploi pour le latin tabeo (tabesco) et pour le grec

TrlKW/TrlKOJ..la\74 ». Littéralement, têkô et sêpô renvoient à l'idée de la fonte: celle de la neige, du cœur blessé, du corps malade, des larmes. Le verbe têkô est par exemple utilisé conjointement avec sêpô par Hippocrate pour décrire une plaie infectée: « il est inévitable que les chairs broyées et écrasées fondent (sapeisas) en pourrissant (ektakênaif5 ». Homère l'utilise métaphoriquement pour évoquer la douleur de

Pénélope: « [l]e seul regret d'Ulysse me fait fondre le cœur76 ». Il emploie aussi ce terme pour évoquer la maladie qui n'a pas consumé la mère d'Ulysse, Anticleia : « Ce n'est pas la langueur, ce n'est pas le tourment de quelque maladie [têked6ni] qui me fit rendre l'âme, c'est le regret de toC7 ». L'absence n'entraîne pas ici de « corruption »,

loI; où 'tÉ'ltvwv i'JVEYX~ UJto ~wvTJV ~aQoç [ ... ] 'tL OOL ÔOXEL ; j.LuQaLva y' Eh' eXLôv ' e'U. L~JtELV 8LyoDouv aÀÀov ou ÔEÔTJYj.LÉvov, T6Àj.LTJç ËXU'tL XàVÔLXO'U QOV~j.LU'tOç. »

74 Armelle Debru, lac. cit. , p. 21.

75 Hipppocrate, op. cit., p. 54: Kal àvayKTJ Tàç oapKaç Tàç

76 Homère, Odyssée, Chant XVI à XXIV trad. V. Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 2001, p. 117 [XIX, 136] : àÀÀ' 'Oouot; lTo6Éouoa

77 Homère, Odyssée, Chant VIII à XV, op. cit., p. 149 [XI, 200-201] : OVTÉ TIÇ OUV IlOI voüooç ÈlTIlÀu6Ev, il TE llaÀloTa TTJKE06VI OTuyEpij IlEÀÉUlV ÈÇEtÀETO 6ullov.

24 mais plutôt une liquéfaction de l'être qui perd sa densité et, par là, son caractère vivant. Dans la descente aux enfers d'Ulysse, les morts sont décrits comme des «têtes sans force », des êtres sans vigueur. Par ailleurs, le verbe têkô est employé ici pour décrire métaphoriquement l'effet qui découle du regret d'un proche: nous verrons que l'impression de vivre dans un monde corrompu, déchu est indissociable d'une certaine nostalgie que les partisans des Anciens exprimeront avec force.

Chez les Latins, « [l]a valeur métaphorique de tabes dans le domaine moral (plaisir, vie « dissolue») désigne non la corruption (pourriture), mais l'amollissement

de la vigueur morale, la fonte du courage et de la robustesse interne 78 » :

la débauche invente contre elle-même de nouveaux outrages; la mollesse et la dissolution découvrent tous les jours des moyens de destruction plus délicats et plus raffinés. Nous n'avons pas encore assez fait abdication de virilité. Tout ce qui nous reste d'habitudes mâles disparaît sous le luisant et le poli de nos corps. Nous avons vaincu les femmes en toilette; hommes, nous nous parons de ce fard que les dames romaines abandonnent aux courtisanes. Une allure molle et vacillante suspend en quelque sorte notre pied: nous ne marchons plus, nous nous laissons aller. Des anneaux parent nos doigts; sur chaque phalange brille une pierre précieuse. Chaque jour, nous songeons au moyen d'outrager en nous-mêmes ou de masquer notre sexe, dont nous ne pouvons nous détacher. L'un livre au fer ce qui le fait homme; l'autre cherche l'asile déshonoré du cirque, se loue pour mourir, et s'arme pour devenir infâme. L'indigence même trouve moyen de satisfaire ses goûts monstrueux79 ».

78 Armelle Debru, lac. cit., p. 21.

79 Exemple cité par A. Debru, ibid., p. 29, n. 18: Sénèque, Questions naturelles, trad. P. Oltramare, Paris, Les Belles Lettres, 1961, Liber VII, 31, 1 : «invenit delicarium dissolutio et tabes aliquid adhuc tenerius moiiliusque quo pereat. Nondum satis robur omne proiecimus: adhuc quicquid est boni moris extinguimus. Leuitate et politura corporum muliebres munditias antecessimus, colores meretricios matronis quidem non induendos uiri sumimus, tenero et molli ingressu suspendimus gradum (non ambulamus sed incedimus, exomamus anulis digitos, in omni articulo gemma disponitur; (7,31,3) cotidie comminiscimur per quae uirilitati fiat iniuria, ut traducatur, quia non potest exui: alius genitalia excidit, alius in obscenam ludi partem fugit et locatus ad mortem infame armaturae genus, in quo morbum suum exerceat, legit ». A. Debru insiste sur le fait «qu'il ne faut pas traduire tabes par « corruption)) des plaisirs alors que tout évoque l'amollissement de l'énergie morale (robur) qui "fond" )).

25 Ce bref survol sémantique nous aura permis de constater d'une part la variété des genres et des domaines où intervient la corruption, qui, loin d'être un accident isolé, est le corollaire d'un large éventail de phénomènes, qui vont de l'excès des humeurs à l'amollissement moral; et d'autre part l'alliance étroite qui existe entre la corruption morale et la putréfaction physique. La capacité de résister à la corruption et au changement est chez Homère le privilège des héros; chez Euripide, celui des nobles: «et le noble est noble, le malheur ne corrompt [diaphtheir] pas sa nature

[phusin], il est bon et le reste toujoursso ». Résister à la corruption, c'est déjouer le temps.

Avec l'essor de la philosophie, une troisième figure de résistant voit le jour: le sage. L'apologie de Socrate met en scène le philosophe accusé de corrompre la jeunesse; le plaidoyer montre que ce sont au contraire les accusateurs qui sont corrompus et qu'ils n'accusent Socrate que parce qu'il a su démasquer leur prétention à la sagesse. Dans l'incipit de sa plaidoirie, Socrate distingue deux types d'habileté à parler:

Mais, parmi tous les mensonges qu'ils ont débités, ce qui m'a le plus surpris, c'est lorsqu'ils vous ont recommandé de vous bien tenir en garde contre mon éloquence; car, de n'avoir pas craint la honte du démenti que je vais leur donner tout à l 'heure, en faisant voir que je ne suis point du tout éloquent, voilà ce qui m'a paru le comble de l'impudence, à moins qu'ils n'appellent éloquent celui qui dit la vérité. Si c'est là ce qu'ils veulent dire, j'avoue alors que je suis un habile orateur, mais non pas à leur manière; car, encore une fois, ils n'ont pas dit un mot qui soit véritable; et de ma bouche vous entendrez la vérité toute entière, non pas, il est vrai, Athéniens, dans des discours étudiés, comme ceux de mes adversaires, et brillants de tous les artifices du langage, mais au contraire dans les termes qui se présenteront à moi les premiers; en effet, j'ai la confiance que je ne 81 dirai rien qui ne soit juste •

80 Euripide, Hécube, trad. N. Loraux et F. Rey, Paris, Les Belles lettres, 1999, p. 49 [v. 596-597] : oô' Èo6ÀéS Èo6ÀoS, ovôÈ ov\l

81 Platon, Apologie de socrate, trad. E. Chambry, Paris, Garnier Flammarion, p. 27-28.

26 Déjà la vérité est associée au dénuement et le mensonge à l'artifice. Cette polarisation entre une sobriété louable et un excès condamnable accompagnera toute la réflexion des Anciens sur le style. Platon n'a eu de cesse de discréditer la rhétorique, de l'associer aux vains ornements du mensonge. Bien qu'elle n'empêche pas la rhétorique d'être florissante dans l'Antiquité, cette condamnation lui restera longtemps attachée. Les orateurs ne pourront contourner ce discrédit qu'en s'associant explicitement à la sagesse, à la philosophie. L'humanisme d'Isocrate triomphera de l'idéalisme de Platon: «Certainement préoccupé de répondre au défi porté, depuis Socrate et le Gorgias, par la philosophie, Isocrate a voulu lester son art d'un contenu de valeurs; son éloquence n'est pas indifférente au point de vue moral82 ». L'oracle de Caton l'Ancien établit définitivement que «l'orateur est un homme de bien habile à parler83 ». La forme oraculaire que prend la sentence, dont Sénèque le Rhéteur assure qu'elle est authentique, donne aux orateurs l'assentiment des dieux. Cicéron finalement, en peignant l'orateur idéal, conçoit la rhétorique comme un art total, produit de la synthèse de disciplines multiples: philosophie, politique, morale, religion:

L'orateur peut librement explorer ce vaste champ et considérer comme sa propriété tous les endroits où il lui plaira de s'arrêter. [ ... ] Mon cher Catulus, répartit Crassus, ce n'est pas seulement l'éloquence, mais une foule d'autres arts qui, par les divisions et subdivisions imaginées, ont perdu de leur grandeur. Crois-tu que, au temps d'Hippocrate de Cos, il y avait des médecins spécialistes pour les maladies, d'autres pour les blessures, d'autres pour les maux d'yeux ?84

Cette comparaison entre l'orateur et le médecin fait de la culture générale un corps impossible à démembrer qu'il faut appréhender dans son ensemble. Comme

82 Voir à ce sujet, H.-1. Marrou, Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, Éditions du Seuil, 1948, p. 127-156 [p. 135].

83 Cité par Sénèque le Rhéteur, Contreverses, 1 Pref, trad. H. Bornecque, Paris, Garnier Frères, 1932, p. 5 [Liver I, 9] : « Orator est vir bonus dicendi peritus »

84 Cicéron, De l'orateur, trad. F. Richard, Paris, Garnier, s.d., p. 437 et 441.

27 l'homme ou la cité, ce bien commun, qui était le socle de la conception isocratique de 85 l'homme grec , peut être malade

Le discours ressemble au corps humain: des veines en saillie et des os que l'on compte ne font pas la beauté; il faut qu'un sang pur et tempéré arrondisse les membres, nourrisse l'embonpoint, déguise les 86 nerfs eux-mêmes sous un coloris vermeil et d'agréables contours •

L'éloquence, aux yeux des lettrés de l'époque impériale, est malade, corrompue. Ils sont nombreux à faire ce constat: Tacite, Quintilien, Sénèque, Pétrone, le pseudo­ Longin. Ce consensus suppose que la rhétorique autrefois fut pure. Les auteurs Latins, tout en donnant aux orateurs attiques la préséance, font de l'époque de Cicéron

87 l'âge d'or de l'éloquence , bien que ce dernier ait lui-même participé à une polémique sur l'éloquence dans le contexte de la querelle entre asianisme et atticisme.

Cicéron même, on le sait assez, ne manqua pas de détracteurs, qui le trouvaient bouffi et ampoulé, sans précision, verbeux et redondant à l'excès, enfin trop peu attique. Vous avez lu sans doute les lettres de Cal vus et de Brutus à cet orateur: on y aperçoit facilement que Cal vus paraissait à Cicéron maigre et décharné, Brutus négligé et décousu. Et de son côté Cicéron était repris par Cal vus comme lâche et sans nerf, et Brutus l'accusait en propres termes de manquer de 88 vigueur et de reins •

85 H.-1. Marrou, op. cit., p. 138-140.

86 Voir Tacite, Dialogue des orateurs, trad. H. Bomecque, Paris, Les Belles Lettres, 1960, p. 48 [XXI] : « Oratio autem, sicut corpus hominis, ea demum pulchra est, in qua non eminent venae nec ossa numerantur, sed temperatus ac bonus sanguis implet membra et exsurgit toris ipsosque nervos rubor tegit et decor commendat ».

rr7 Voir Tacite, Dialogue des orateurs, op. cit., p. 52 [XXV] : « On peut dire aussi que chez nous Cicéron laissa derrière lui les plus habiles de ses contemporains, et que néanmoins les Cal vus, les Asinius, les César, les Célius, les Brutus, ont sur leurs devanciers et leurs successeurs une prééminence avouée. Et peu importe qu'ils diffèrent entre eux par l'espèce, quand le genre est semblable. Cal vus est plus serré, Asinius plus nombreux, César plus magnifique, Célius plus mordant, Brutus plus grave, Cicéron plus véhément, plus nourri, plus vigoureux. Tous ont cependant une éloquence également saine; et, si vous prenez à la fois leurs discours, vous reconnaîtrez, en des talents divers, un goût et des principes semblables, et comme un air de famille. S'ils ont médit l'un de l'autre, et si leurs lettres contiennent des traits qui décèlent une malignité réciproque, en cela ils n'étaient pas orateurs, mais hommes. »

88 Tacite, Dialogue des orateurs, op. cit., p. 44 [XVIII]: «satis constat ne Ciceroni quidem obtrectatores defuisse, qui bus inflatus et tumens nec satis pressus, sed supra modum exsultans et 28 Cicéron compose en effet le Brutus et l' Gratar en réponse aux attaques du poète et orateur Caius Licinius Calvus (82-44 av. J.-c.). «Au nom de cette conception, les néo attiques étaient allés jusqu'à critiquer le style de Cicéron, auquel ils reprochaient son manque de simplicité, son excès d'abondance, ses figures, ses redondances, son pathétique, ses rythmes89.» Pourtant, Cicéron prêchait pour une langue pure, où correction (latinitas), clarté et ornement feraient front commun contre le « raffinement d'esthètes archaïsants90 » du parti de l'atticisme.

Cette qualité, le temps l'a gâtée chez nous, aussi bien que chez les Grecs: il s'est produit, en effet, dans notre ville, comme à Athènes, un afflux de gens de toute origine, qui parlent mal. Raison de plus pour purifier le langage et le soumettre, comme à l'épreuve du feu, au contrôle d'un principe rationnel qui demeure immuable: 91 impossible de s'en rapporter à l'usage, la plus mauvaise des règles •

L'orateur philosophe, de même qu'il doit maîtriser ses passions, contrôle, au moyen de la raison hégémonique, les dérèglements qui affectent le discours. Car le style est tributaire de l'âme:

Tel est le style d'un Mécène, de tous ceux qui donnent dans le faux non par malchance, mais le sachant et le voulant. Cette attitude suppose une profonde altération de l'âme. Dans la beuverie, la langue'ne s'embarrasse pas avant que la raison n'ait succombé sous la charge, été chavirée ou noyée: de même ce qu'il faut bien appeler l'ivresse du langage ne travaille jamais qu'une âme déjà chancelante. Soignons donc notre âme. [ ... ] Notre roi, c'est notre âme92.

superfluens et parum Atticus videretur.» Notons tout de suite le recours aux termes médicaux pour faire la critique de l'éloquence.

89 L. Pernot, La Rhétorique dans l'Antiquité, Paris, Le Livre de Poche, 2000, p. 57.

90 Marc Fumaroli, L'âge de l'éloquence, Paris, Albin Michel, 1994, p. 53.

91 Cicéron, Brutus, trad. J. Martha, Paris, Les BeIIes Lettres, 1923, p. 93 : «ed hanc certe rem deteriorem vetustas fecit et Romae et in Graecia. confluxerunt enim et Athenas et in hanc urbem muIti inquinate loquentes ex diversis locis. quo magis expurgandus est sermo et adhibenda tamquam obrussa ratio, quae mutari non potest, nec utendum pravissima consuetudinis regula ».

92 Sénèque, Lettres à Luculius, trad. H. Noblot, Paris, Les BeIIes Lettres, 1979, p. 34 [lettre 114) : « Hoc a magno animi malo oritur: quomodo in vino non ante Iingua titubat quam mens cessit oneri et incJinata vel prodita est, ita ista orationis quid aliud quam ebrietas nulli molesta est nisi animus labat. 29 La maladie de l'âme - décrite ici comme une ivresse, un relâchement, un rapport étranger à soi (altération de l'âme) - est le terreau de la corruption de l'éloquence. L'éloquence est le miroir de l'âme. L'association entre le phénomène général de la corruption et celui, plus particulier, qui affecte l'éloquence se construit d'une part sur la connotation du relâchement, de l'affaissement (de la fonte presque) et d'autre part sur celle de l'excès. Sénèque pour décrire un style corrompu emploie un vocabulaire moral (viril/efféminé; désordre; mollesse, etc.). Dans l'analyse de

93 Sénèque , les vices du style ne sont pas les symptômes d'une corruption généralisée des mœurs et de l'âme, «ils sont personnels, nés de l'homme même94 ». Mais, de même que «notre âme est tantôt roi, tantôt tyran 95», de même les types de gouvernement sont tantôt propices à l'expression, tantôt aux censeurs.

Cette première querelle romaine entourant le style de Cicéron est l'archétype de tous les débats futurs qui agiteront la République des lettres. Le cicéronianisme restera un enjeu jusqu'à la fin de la Querelle des Anciens et des Modernes, puisque c'est encore à cette éloquence modérée que Madame Dacier souhaite voir revenir les gens de lettres. Marc Antoine Muret, Guillaume Du Vair, les Jésuites Petau et Vavasseur ont tous soutenu cette position qui a finalement dû céder devant un style de cour plus fleuri, qui débouchera au XVIIIe siècle sur le rococo. Dans l'imaginaire de ces lettrés, Cicéron est resté l'aurore et le crépuscule de l'éloquence. Pourtant, ce n'est pas de Cicéron que s'inspirera Mme Dacier, mais de Tacite.

Ideo ille curetur: ab illo sensus, ab iIlo verba exeunt, ab illo nobis est habitus, vultus, incessus. mo sano ac valente oratio quoque robusta, fortis, virilis est: si ille procubuit, et cetera ruinam sequuntur. Rege incolumi mens omnibus una est: amisso rupere fidem. Rex noster est animus. »

93 Le traité du Sublime du Pseudo-Longin, qui sera traduit par Boileau en 1674, préfère aussi la thèse morale à la thèse politique. Voir notamment le chapitre XLIV qui clôt l'ouvrage.

94 Sénèque, op. cit., p. 34: «propria enim esse debent et ex ipso nata ex qui bus tu aestimes alicuius adfecrus ».

95 Idem., p. 35 : « animus noster modo rex est, modo tyrannus ».

30 Tout en précisant les causes morales de la corruption dans son Dialogue des Orateurs, Tacite propose des causes plus concrètes, qui vont de l'éducation des enfants aux conditions politiques. À la fin du premier siècle (Auguste règne de c. 27 à 14 ap. J.-C), la république périclite et fait place à un nouveau régime politique, le principat. La pax romana fait pendant à une espèce de tyrannie, qui est cause de l'atrophie de la rhétorique. Ce contexte va donner lieu à une polémique sur la corruption de l'éloquence qui reprend l'opposition entre asianisme et atticisme: le style sobre des Anciens est opposé au style fleuri des Modernes. Pétrone, dans une œuvre aussi licencieuse que le Satiricon, commence son récit par une tirade sur la mort de l'éloquence :

Ne vous en déplaise, ô rhéteurs, c'est vous les premiers qui avez tué l'éloquence. En la réduisant à une musique vaine et creuse, à des jeux de mots ridicules, vous avez fait du discours un corps sans force et sans vie. [ ... ] La grande, et si j'ose dire la chaste éloquence n'admet ni de fard, ni l'enflure, mais elle se dresse fièrement dans sa beauté naturelle. Il n'y a pas longtemps que ce bavardage ronflant et démesuré s'est de l'Asie abattu sur Athènes; tel un astre malin, son influence pernicieuse a tué les élans du génie dans l'âme de nos jeunes gens, et une fois la règle corrompue, 96 l'éloquence a perdu le souffle et la voix •

Le mal est présenté comme étranger, venant d'une Asie opulente et corruptrice : les rhéteurs sont coupables de n'avoir pas su résister à cette « maladie» qui a enlevé au discours la « force» et la « vie» que les Anciens lui avait insufflées.

Tacite jouit d'un statut particulier. En effet, en plus d'être le seul auteur - dont nous avons conservé les écrits - à consacrer à la question de la corruption de

96 Pétrone, Satiricon, trad. A. Emout, Paris, Les Belles lettres, 1974, p. 2 [II] : «vestra Iiceat dixisse, primi omnium eloquentiam perdidistis. Levibus enim atque inanibus sonis ludibria quaedam excitando, effecistis ut corpus orationis enervaretur et caderet. Grandis et, ut ita dicam, pudica oratio non est maculosa nec turgida, sed naturali pulchritudine exsurgit. Nuper ventosa istaec et enormis loquacitas Athenas ex Asia commigravit animosque iuvenum ad magna surgentes veluti pestilenti quodam sidere adflavit, semelque corrupta regula eloquentia stetit et obmutuit. »

31 l'éloquence un ouvrage entier, Tacite est le modèle de Mme Dacier. Pour cette raison, nous reportons l'analyse du Dialogue à notre second chapitre, qui portera sur la dimension théorique des traités de Mme Dacier.

Un ancien, on ne sçait pas si c'est Quintilien ou Tacite, a fait un traité des causes de la corruption de l'éloquence, et c'est un ouvrage fort utile pour ceux qui voudroient le bien méditer, car on y trouve la mesme dispute qui regne depuis quelque temps sur les anciens et 97 sur les modernes, et on y voit triompher le bon parti •

La transmission manuscrite98 du Dialogue des orateurs ne permet pas d'attribuer avec certitude à Tacite ce traité. Le texte fait surface pour la première fois au Xve siècle alors qu'un moine, Albert Enoch d'Ascoli, sous la gouverne du pape Nicolas V, le découvre en 1455 au monastère de Hersfeld (Hesse). Outre le Dialogue, ce manuscrit contenait deux œuvres attribuées à Tacite, la Germanie et l'Agricola, et un fragment de Suétone. Ce manuscrit n'a pas survécu intégralement. L'humaniste Decembro l'a cependant brièvement décrit et l'a d'emblée attribué à Tacite. La première édition moderne du texte remonte à 1470 (Venise). Au XVIe siècle, Beatus Rhenanus et Juste Lipse contestèrent cette paternité. Le Dialogue des Orateurs fut alors successivement attribué à Quintilien, à Pline le Jeune, à Suétone et même à Maternus, l'un des personnages du Dialogue. Quintilien, dont on sait qu'il avait écrit un De causis corruptae eloquentiae, a encore aujourd'hui ses partisans. Avec l'édition de Juste Lipse en 1574, le Dialogue «entre vraiment dans le vif de la culture européenne99 ».

Cette culture s'est érigée sur les vestiges d'une Antiquité reconstituée par les travaux des érudits de la Renaissance. Si la Querelle des Anciens et des Modernes traduit le malaise que cet héritage exclusif des Anciens peut entraîner, ce legs est

'Ti A. Dacier, Des Causes de la Corruption du Goust, Genève, Slatkine Reprint, 1970, p. 14-15.

98 Voir à ce sujet H. Goelzer, « Notice », dans Tacite, Dialogue des orateurs, op. cif., p. 12-21 ; A. Michel,« Histoire du texte », dans Tacite, Dialogue des orateurs, Paris, PUF, 1962, p. 11-18.

99 Marc Fumaroli, op. cif., p. 63.

32 incontestable. Chez les lexicographes des 16ème et 17ème siècles, l'idée de corruption suit la voie tracée par l'Antiquité. La notion de corruption de l'éloquence y apparaît progressivement. Les dictionnaires de Robert Estienne (1531) et d'Henri Estienne (1572)100 traduisent généralement les termes grecs et latins dont nous avons analysé plus haut les emplois par le terme de « corruption ». Le sens physique de corruption est presque absent dans le Dictionnaire François-Latin qui semble distinguer lexicalement la putréfaction de la corruption morale. Le seul exemple explicite de décomposition concerne des fruits: « [I]es pommes se corrompent et s'entachent; Aegrotant aliquando et po ma ipsa se sine arbore, vitiantur101 ». Le jugement, la foi, les juges, la religion, l 'homme et le droit semblent être les objets de prédilection de ce phénomène. Le Tresor de la langue française tant ancienne que moderne de Jean Nicot102 reprend textuellement R. Estienne. Chez Richelet, c'est encore le sens figuré qui domine.

Fait intéressant, les exemples sont principalement empruntés à Pascal et

Arnaud: « [c]orrompre les mœurs. Pas. 1. 5. ; [I]es hommes sont tellement corrompus que ne pouvant les faire venir à nous, il faut bien que nous allions à eux. Pas. 1. 6; Le monde est une étrange corruption. Am. 103 ». Le jansénisme tient sur la corruption un discours complexe: aux yeux des héritiers de saint Augustin, le cœur de l 'homme est corrompu. En 1623, Jansénius, évêque d'Ypres, entreprit de démontrer que saint Augustin avait diagnostiqué dans l'homme une profonde corruption. Ail rebours, ses héritiers, Saint-Cyran notamment, croient à une tradition pure, exempte de toute

100 Robert Estienne, Dictionnaire François-Latin, Genève, Slatkine Reprints, 1972 [15491,675 p. Henri Estienne, Thesaurus graecae linguae. ab Henrico Stephano constructus, H. Stephani oliva, s d. 1572.

101 Robert Estienne, op. cit., p. 139.

102 Jean Nicot, Tresor de la langue francaise tant ancienne que moderne, Paris, David Douceur, 1606, p. 156-157.

103 Pierre Richelet, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, Genève, Jean Herman Widerhold, 1680, p. 38-39.

33 corruption 104. C'est aussi dans le Dictionnaire françois contenant les mots et les choses qu'apparaît l'idée de la corruption des textes: «ce mot se dit en parlant de passages de quelque livre, & signifie altérer, tronquer, changer. [Il y a ainsi dans l'auteur, mais l'endroit est corrompu. Abl. Apo. Corrompre la loi du seigneur. Pas. 1.5]105 ».

Cause de l'exclusion de Furetière de l'Académie en 1685, Le Dictionnaire universel illustre,« surtout après l'effort normatif de Malherbe, le besoin d'une description systématique des vocabulaires français définis dans cette même langue et illustrée par des exemples lO6 ». L'entrée « corruption» illustre bien le changement de

lO7 paradigme qui s'est opéré par rapport aux dictionnaires bilingues antérieurs : le sens physique devient le sens premier; le sens figuré qui concerne les « choses morales» vient en deuxième; la dimension subversive de la corruption - la corruption par l'argent - dont Richelet avait fait le sens premier n'arrive qu'en troisième position. On assiste à une réorganisation importante des divers sens des termes associés à la corruption, qui semble suivre les mouvements épistémologiques de l'époque. Les éditions de texte éclairent ce renversement. Outre Anacréon, dont on a peine à comprendre l'engouement qu'il a pu susciter, les auteurs grecs les plus traduits au

lO8 XVIIe siècle sont Hippocrate et Aristote , qui ont tous les deux traité la corruption d'un point de vue physique. Le péripatéticien est implicitement convoqué dans le

104 Marc Fumaroli, «Temps de croissance et temps de corruption: les deux Antiquités dans l'érudition française du XVIIe siècle », loc. cit., p. 159: « Seule l'Antiquité, temps originel au-dessus et hors de l'histoire, détient et définit le dépôt immuable de la foi et de la discipline que la Tradition se borne à perpétuer, stabilis et fix consuetudo, sans quoi nihil erit in Theologica fixum. S'il y a eu modifications, selon les temps, elles n'ont pu toucher à l'essence de la doctrine et des rites institués en esprit et en vérité par le Christ ».

105 Pierre Richelet, op. cit., p. 38-39.

106 Alain Rey, «Introduction: Antoine Furetière imagier de la culture classique », dans Le Dictionnaire Universel d'Antoine Furetière, Paris, SNL - Le Robert, 1978, p. 49.

107 Pierre Bayle dans la «Préface» au Dictionnaire universel critique les dictionnaires polyglottes: «On ne dit rien d'un grand défaut qui règne pour l'ordinaire dans les Lexicons des langues savantes, & surtout dans les Dictionnaires polyglottes: c'est qu'on y voit bien les rapports d'un mot à un autre mot, mais non pas aussi souvent qu'il le faudroit la définition des choses signifiées par les mots ».

108 Noémi Hepp, « Quelques aspects de l'Antiquité grecque dans la pensée française du XVII" siècle », XVII' siècle, CXXXI, no 2, p. 199-220.

34 Dictionnaire universel, dans le Dictionnaire de l'Académie Française qui paraît en 1694 et finalement dans l'Encyclopédie: «C'est un axiome en philosophie, que la corruption de l'un est la génération de l'autre109 ». Le De Generatione et corruptione est traduit et publié plusieurs fois aux xvr et XVlr siècles, à Paris et à Lyon. La corruption est le passage de la santé à la maladie, du bien au mal: « Altérer la nature de quelque chose en l'empirant. La fièvre en peu de temps corrompt toute la masse du sangllO ». Pour penser la corruption, il faut supposer une origine pure, un centre immobile hors du temps. «Les Hérétiques corrompent les textes, les passages de l'Écriturelll ». Ce premier exemple figuré présente la corruption comme un écart à la norme, au dogme. Les Écritures, texte originel et divin, sont détournées du sens, déplacées hors de l'espace pur qui les préservait des vicissitudes du temps et de la condition humaine.

Ce départage entre pureté et corruption est plus tranché que dans l'Antiquité gréco-latine. C'est qu'avant l'avènement du christianisme et de son institutionna­ lisation au sein de l'Église, l'homme ne naissait pas déjà altéré par le péché. Le Grec souillé qui avait offensé les dieux pouvait se purifier, en se rendant dans un sanctuaire par exemple. C'est le cas d'Oreste à la fin de la trilogie d'Eschyle. La pureté n'est pas un espace inaccessible à l'homme de l'Antiquité: il peut, à force d'ascèse, de contemplation - activités qui varient en fonction des sectes philosophiques- retrouver cet état qui le rapproche des dieux. D'autres exemples donnés par Furetière à propos de la religion mettent en évidence le travail du mythe judéo-chrétien relatif au péché originel: « Dieu envoya le Déluge, à cause qu'il y avait une corruption générale

109 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, op. cit., s.v.« corruption ». Dictionnaire de l'Académie française, Paris, Coignard, 1694, p. 418. Denis Diderot et Jean le Rond d'Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des , des arts et des métiers, Paris, Briasson et al., 1754, t. 4, p. 278.

110 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, op. cit., s.v.« corruption ».

111 Ibidem.

35 sur la terre ». Le récit de la Genèse a fait pénétrer la notion de corruption dans la chair de l'homme.

« Au commencement était le Verbe» écrit saint Jean l'Évangéliste. Ce moment unique fait coïncider l'origine du monde avec la parole divine. L'idée d'un Verbe pur permet de penser une langue humaine corrompue, que met en évidence le rapport aux textes sacrés. Les querelles entourant l'interprétation de la Bible escortent le texte dès son établissement. Sans faire l'histoire de l'interprétation des Écritures, on peut noter que l'accusation de « corrompre les Saintes Écritures» est souvent tombée comme le couperet de la guillotine sur les exégètes dissidents, qui accusaient eux-mêmes l'Église catholique de corruption - morale, financière, textuelle. L'un des débats forts de la Réforme consiste à établir le moment où la parole de Dieu est corrompue par la parole des hommes. Les Protestants, qui considéraient que l'Église devait se contenter de conserver cette parole de Dieu, voulaient remonter plus haut que les Catholiques. Ces derniers étaient convaincus que l'une des fonctions de l'Église était magistérielle : même si la parole de Dieu avait été donnée une fois pour toutes, elle n'avait pas été transmise de façon claire et développée. L'Église s'attachait à la rendre intelligible aux hommes, à chaque époque, par l'enseignement, les bulles, les conciles, etc. Ainsi Agrippa d'Aubigné prêche pour un retour aux lois antiques de l'Église primitive:

Je vous feray donc une ouverture que vous qui couchez tousjours de l'ancieneté, comme si c'estoit vostre avantage, ne pouvez refuser: c'est que vous et nous prenions pour loix inviolables les constitutions de l'Église establies et observées en elle jusques à la fin du quastriesme siècle, et que sur les choses que chacun y pretend corrompues, vous, qui vous dites les aisnez, commenciez à remettre la premiere piece que nous vous demandons: que nous fassions de mesme de la seconde, et aussi consecutivement, tout soit restably à la forme de ceste antiquité. 112

L'abolition d'un millénaire permettrait à l'Église de retrouver sa pureté originelle. Aux yeux des Réformés, c'est au texte biblique lui-même qu'il faut

112 Agrippa d'Aubigné, Sa vie à ses enfants, Paris, Nizet, 1986, p. 174.

36 remonter. Les valeurs humanistes, la connaissance des langues grecque et hébraïque notamment, Ont soutenu cette volonté qui aboutit à la traduction de la Bible en langue vernaculaire. Ce mouvement veut laver le texte de la tràdition corrompue qui s'y attachait, depuis les exégèses des Pères de l'Église. Comment l'homme corrompul13 aurait-il pu gloser ou interpréter un texte divin et pur sans le souiller. Au XVIIe siècle, Richard Simon, qui s'est finalement brouillé avec les Catholiques autant qu'avec les Protestants, soutenait quant à lui que la Bible même était corrompue et voulait lui opposer une « critique» purgative soutenue par une exégèse historique. Il reprochait aux Protestants de recourir à la seule Écriture et par le fait même à « un texte altéré, tronqué114 ». Son désir était d'expliquer le sens littéral au moyen de données historiques, géographiques, linguistiques et même archéologiques. L'exégèse allégorique qui avait soutenu honorablement le combat contre le littéfàlisme, depuis les écoles patristiques d'Alexandrie et d'Antioche, ne se remettra pas de ce coup porté de l'intérieur même de l'Église. L'utilisation de l'argument de la corruption dans le contexte des querelles religieuses donne un modèle à la polémique qui oppose Mme Dacier à ses adversaires. Le fait que les exemples de Furetière concernent surtout la religion et la langue française ne peut être ignoré. En insistant sur le rapport qui unit l 'hérésie et la corruption des textes, Furetière fait « des vices du langage» une sorte d'hérésie: la corruption des textes est un des moyens de l'hérésie.

Le Dictionnaire de l'Académie française procède autrement et ne donne aucun exemple touchant la religion. Il se permet tout au plus de souligner qu' « il n'y a que

113 Sur la corruption de l'homme, voir Calvin, Institution de la religion chrétienne, 1541, consulté sur www.publius-historicus.com/calv_ann.htm (6 août 2(05): «Il nous faut donc distinctement considérer ces deux choses: c'est à savoir que nous sommes tellement corrompus en toutes les parties de notre nature, que pour cette corruption nous sommes à bonne cause damnables devant Dieu, auquel rien n'est agréable sinon justice, innocence et pureté (... ) L'autre point que nous avons à considérer, c'est que cette perversité n'est jamais oisive en nous, mais engendre continuellement nouveaux fruits, à savoir iceux oeuvres de la chair que nous avons naguère décrits tout ainsi qu'une fournaise ardente sans cesse jette flambe et étincelles. »

114 Paul Hazard, «Richard Simon et l'exégèse biblique », dans La crise de la conscience européenne, Paris, Boivin & Ce, 1935, p. 195.

37 les substances spirituelles qui soient incorruptibles ». Cette absence d'exemple spirituel dans l'œuvre de l'Académie ou cette présence chez un Furetière qui, bien qu'abbé, n'était pas surtout apprécié pour sa dévotion, ne manquent pas de surprendre.

L'Académie avait-elle pour mandat de s'ab~tenir de tout jugement en matière religieuse? Une telle association entre la langue et la religion dissimule-elle une charge politique impossible à soutenir pour l'institution royale fondée par Richelieu ? On sait que l'établissement d'une langue française pure et éloquente constituait l'un des mandats de l'Académie. Le Dictionnaire insiste sur la corruption de la langue latine à deux reprises: « Il se dit encore en parlant de langage. La langue latine commença à se corrompre peu de temps après Auguste. [ ... ] On dit, que Le François, l'Italien &c. sont du Latin corrompu, pour dire, que Ces Langues sont formées du Latin, que l'on a altéré, changé.» Le premier exemple nous renvoie à la querelle entre les « anciens» et les « modernes» du début de l'Empire romain consignée dans le Dialogue des orateurs. L'Académie a tout intérêt à prétendre que le est latin corrompu si elle veut prôner la pureté de la langue française. Le second exemple est plus délicat: c'est pourquoi il est précédé d'un « on dit» prudent qui décharge les rédacteurs du Dictionnaire d'une telle affirmation. Par ailleurs, l'exemple est habile, puisque l'adjectif «corrompu» est encore apposé au latin et non aux langues modernes qui en découlent. Les verbes « altérer» et «changer» qui sont utilisés à des fins explicatives sont de loin les synonymes les plus neutres du verbe « corrompre ». Le dernier exemple concerne plus la corruption du style que de la langue: « Il se dit aussi en parlant de langage, de style. La lecture des mauvais autheurs corrompt le style ». Cette affirmation reprend les « Remarques» de Vaugelas publiées une décennie après la fondation de l'Académie. Chez le grammairien, la langue corrompue des provinciaux s'oppose à l'éloquence assujettie au « bon usage» des nobles de la cour: «il ne faut pas insensiblement se laisser corrompre par la contagion des Provinces en y faisant un trop long séjourl15 » .. Vaugelas défend lui aussi la thèse de la corruption de la langue latine qu'il oppose à la

115 Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue française, Paris, Droz, 1934 [1647j, « Préface », section II, non paginée. . 38 pureté et aux « progrès» de la langue française. L'éloquence est devenue « le champ» de bataille du noble désarmé par les politiques absolutistes et centralisatrices de la monarchie.

Au reste, il y avoit beaucoup d'autres choses, dont je pouvois enrichir cette Preface, qui eust esté un champ bien ample à un homme eloquent pour acquerir de l'honneur. [ ... ] N'eust-il pas dit depuis quel temps elle a commencé à sortir comme d'un caos [sic], & à se deffaire de la barbarie [ ... ]. N'eust-il pas representé notre langue comme en son berceau, ne faisant encore que begayer , & en suite son progrés, & comme ses divers âges, jusqu'à ce qu'en fin elle est parvenue à ce comble de perfection, où nous la voyons aujourd'hui? [ ... ] Il eust fait voir, comme elle sçait temperer les hardiesses avec la pudeur & la retenuë qu'il faut avoir, pour ne pas donner dans ces figures monstrueuses, où donnent aujourd'hui nos 116 voisins degenerans de l'eloquence de leur Peres •

On connaît bien le parti que l'Académie française a généralement pris dans la Querelle des Anciens et des Modernes, malgré la division que le débat a entraîné. «Dès 1635, Richelieu, en créant l'Académie française, avait marqué sa volonté de ne pas laisser le français au rang de supplément du néo-latin, mais de faire en sorte qu'il se substituât à celui-ci comme langue universelle 117.» À titre d'exemple de ce phénomène, M. Fumaroli rappelle que c'est à un public d 'honnêtes gens que Descartes adresse, en français, son Discours de la Méthodel18 en 1637.

La définition du Dictionnaire de l'Académie française marque l'aboutissement d'un vif débat, au sein même de l'Académie, sur le statut de la langue française.

116 Ibidem.

117 Marc Fumaroli, « Les abeilles et les araignées », Loc. cit., p. 13.

118 Voir Marc Fumaroli, «La Querelle des Anciens et des Modernes: sans vainqueurs ni vaincus », Loc. cit., 73-88.

39 119 Soutenue par la politique impérialiste de Louis XIV , le français a atteint le sommet qu'espérait pour lui Joachim Du Bellay dès 1549:

Le tens viendra (peut estre), & je l' espere moyennant la bonne destinée francoyse, que ce noble & puyssant Royaume obtiendra à son tour les resnes de la monarchie [universelle], & que nostre Langue [ ... ] qui commence encor' à jeter ses racines, sortira de terre, & s'elevera en telle hauteur & grosseur, qu'elle se poura egaler aux mesmes Grecz & Romains [ ... ]120.

Le politique et le linguistique sont indissociables. Mais Du Bellay pensait aussi que la langue française atteindrait son faîte par « l'immitation des anciens Aucteurs

Grecz & Romains 121 ». En 1671, Bouhours, dans le Second Entretien d'Ariste et d'Eugène, considère le fait acquis: le français surpasse même le latin dans la mesure où:

la langue latine a suivi les conquêtes de Romains, mais je ne vois pas qu'elles [sic] les ait jamais précédées. Les nations que ces conquérants avaient vaincues, apprenaient le Latin malgré elles: au lieu que les peuples qui ne sont pas encore soumis à la France 122 apprennent volontairement le Français •

La polémique entourant le français et les qualités de pureté, de clarté et d'éloquence que l'on recherchait dans la seconde moitié du XVIIe siècle a mis en question la nature du rapport que la langue française, au travers de ses œuvres, entretenait avec la langue et la culture latine: ce débat s'est articulé de telle sorte qu'il est éclairé par l'idée de corruption. En effet, la langue française est-elle irrémédiablement marquée par son origine corrompue? ou peut-elle fleurir à même le terreau altéré du latin? Le parallèle

entre le latin et le français est d'autant plus riche que « l'idée de pureté dans le style,

119 Les Querelles littéraires recouvraient très souvent des «enjeux politiques ». Voir Chantal GreIl, Le XVIII' siècle et l'Antiquité en France, op. cit., p. 363 sq.

120 Joachim Du Bellay, La deffence et illustration de la langue françoise, éd. H. Chamard, Paris, Marcel Didier, 1966, p. 27-28.

121 Idem., p. 45.

122 Dominique Bouhours, Les entretiens d'Ariste et d'Eugène, éd. B. Beugnot et G. DecJercq, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 104-105.

40 avant d'inspirer le mouvement littéraire en langue française, s'est élaborée chez les

érudits et pour le latin123 ». La prudence de la notice de l'Académie - elle ne marque ni servilité envers les langues anciennes ni triomphalisme envers le français - révèle l'apaisement momentané qui suit les années fortes de la Querelle des Anciens et des Modernes.

Cet enjeu, sous la forme atténuée d'une dispute concernant cette fois la corruption de l'éloquence, va cependant resurgir lors de la Querelle d'Homère, dernier soubresaut de la fameuse Querelle des Anciens et des Modernes. Telle est du moins la proposition de Mme Dacier, célèbre traductrice d'Homère, qui répond aux « incartades» de Houdar de la Motte et du R. P. Hardouin par deux traités: Des Causes de la corruption du goust et Homère défendu contre l'apologie du R. P. Hardouin. Aux yeux de leur auteur, ils ne forment qu'une seule et même œuvre. Le paradigme corruption / pureté n'a pas seulement infléchi le débat sur la langue, il a aussi marqué les positions respectives des Anciens et des Modernes tout au long de la Querelle. Ce

l24 paradigme, qui réapparaît à des moments cruciaux de l'histoire , nous parle de la conception du temps qui animait les différents partis. Les Anciens adoptent unilatéralement la thèse de la corruption, de la décadence. Les Modernes, quant à eux, manifestent leur ambivalence face au concept de progrès qui, s'il les hisse au dessus

123 Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVJI

124 On peut penser ici à l'exemple de la Révolution française. Robespierre était appelé « l'incorruptible ». Voir aussi La corruption à l'Assemblée nationale et les crimes de ses membres, par un ami de la vérité, Paris, s. n., 1790, 40 p. ; Société des amis de la constitution, séante aux Jacobins, à Paris. Discours de L. Carra, sur le danger des circonstances présentes et sur le système de corruption employé par la cour, avec des notes et observations, prononcé à la société, dans sa séance du 6 (février) 1792 ... , Paris, Impr. du Patriote français, s. d.; Saint-Just, Antoine-Louis-Léon de, Convention nationale. Rapport sur les factions de l'étranger et sur la conjuration ourdie par elles dans la république française pour détruire le gouvernement républicain par la corruption, et affamer Paris; fait à la Convention nationale, le 23 ventôse, l'an II... par St-Just au nom du comité de salut public, S. 1., An II, 68 p. ; Bourdon, François-Mathurin-Pierre (de l'Orne, Corps législatif. Conseil des Anciens. Rapportfait par Bourdon, de l'Orne, sur la résolution du 22 thermidor an VII, relative aux fonctionnaires et employés de la République intéressés dans les fournitures, et aux moyens de prévenir la corruption. Séance du 29 thermidor an VII, Paris, Impr. nationale, an VII, 12 p.

41 des anciens, les place aussi en position d'infériorité par rapport à la postérité: «loin d'être érigés en théoriciens du "progrès", les Modernes, bien au contraire, s'appliquèrent à en réduire la portée. Leur dessein en effet consistait à ériger le goût et l'esprit du "siècle" de Louis XIV en norme absolue. La perfection étant atteinte, tout progrès futur devenait, évidemment, impossible et impensablel25 ». Chez Mme Dacier, le goût, qu'elle associe à l'éloquence, souffre d'affaissement, de relâchement: après la « renaissance des lettres» où «on aurait dit qu'un dieu estoit venu tout d'un coup débrouiller ce chaos, dissiper les ténèbres, et créer la lumière [ ... ], ce bon goust, qu'on avoit eu tant de peine à former, est retombé dans sa premiere barbarie126 ».

125 Chantal Greil, Le Dix-huitième siècle et l'Antiquité en France, op. cit., p. 416.

126 Anne Dacier, Des causes ... , op. cit., p. 24.

42 LES MAINS PURES: LA DIMENSION THÉORIQUE DES TRAITÉS DE MME DACIER

Pour comprendre le diagnostic de « corruption» posé par Mme Dacier sur l'état du goût et de l'éloquence au tournant du Grand Siècle, il faut d'abord revenir au thème de la polémique qui anime Anciens et Modernes en ce début de XVIW siècle:

Homère 127. Est-il sujet ou prétexte de l'imposant traité de Mme Dacier? Prétexte, dans la mesure où la figure d'Homère est le symbole de l'érudition humaniste tournée vers les auctores : soutenir Homère revient à défendre la conception des Lettres léguée par la Renaissance. Prétexte aux yeux même de l'helléniste qui décide, afin d'éviter la

« voye commune de dispute, de faire une espece de traité qui sera une recherche des Causes de la corruption du goust ( ... 1car ces Causes estant connuës, nous connoistrons en mesme temps ce qui a corrompu l'Eloquencel28 ». Houdar de La Motte, destinataire, et acteur malgré lui, de ce Traité des Causes de la corruption du goust, n'est cependant pas dupe de cette bonne intention:

Dans l'engagement où je suis de répondre, j'ai songé, comme Mme Dacier, à faire un Livre qui pût être utite indépendamment de notre

127 Voir Noémi Hepp,« En marge d'Homère en France au XVII" siècle. Réflexion sur un mythe », Orbis, 25, 1970, p. 300-306. N. Hepp fait dans ce texte retour sur sa thèse d'État. À partir d'une anecdote en apparence anodine, N. H. émet l'hypothèse qu'Homère était en cette fin du dix-septième siècle « tout et rien ». Le poète est devenu un mythe, le symbole, aux yeux de tous ceux à qui son texte était inaccessible, de toute l'Antiquité. Voilà pourquoi il «cristallisera les attitudes affectives les plus tranchées » et sera au cœur du dernier sursaut de la Querelle des Anciens et des Modernes. En face du malaise de plus en plus profond qu'une telle figure génère va se constituer un autre mythe: le mythe du Grand Siècle qui, dans la balance, devait peser de plus en plus lourd. Ce malaise ne sera résolu qu'au terme de la Querelle d'Homère: dès les années 1717-1718, il redeviendra possible de lire le poète sans trahir son temps.

128 Anne Dacier, Des causes ... , op. cit., p. 14-15. dispute. Elle a choisi les Causes de la Corruption du Goût, qui sont l29 plutôt chez elle le prétexte que le dessein de l'ouvrage •

Il est difficile de bien comprendre l'association que suppose Mme Dacier entre le goût et l'éloquence puisqu'elle ne définit pas explicitement ces termes. Saint­ Hyacinthe réagit très rapidement à ce flou conceptuel qu'il dénonce dans la Seconde lettre à Madame Dacier publiée en 1715 :

Par bon goût, j'entends le sentiment prompt et exact de tout ce qui compose une chose, et par lequel on juge de cette chose conformément à ce qu'elle est. Vous voyez, Madame, que par sentiment, je ne veux pas dire seulement le sentir actuel, mais encore la propriété de sentir. Quand ce sentiment n'est pas tel, et qu'on ne sent une chose qu'en partie, le goût est défectueux. Il est mauvais, lorsqu'on trouve du plaisir dans une chose qui devrait causer une impression désagréable. Il est corrompu, lorsque par des impressions mauvaises et réitérées, on s'est accoutumé à sentir les 13 choses autrement qu'elles ne sont, et qu'on aurait pu les sentir 0.

Le goût corrompu découle d'une expérience répétée: le phénomène est ici inscrit dans un temps neutre qui n'a pas d'autre effet que de confirmer un défaut de perception antérieur. Saint-Hyacinthe essaie de penser la corruption du goût sans articuler le phénomène à une temporalité méliorative ou péjorative. Cet effort de définition est singulier et Saint-Hyacinthe ajoute: « (vlous riez peut-être, Madame, de me voir occupé à toutes ces explications\31 ». Ce rire adressé au pédant révèle une conception implicite de la critique, qui obéit «aux influences ( ... 1 d'Aristote et d'Horace, d'abord placée sous les signes du droit et de la morale, annexant ensuite des termes de psychologie mondaine, pour être marquée enfin par le vocabulaire des

129 Houdar de la Motte, « Réflexions sur la Critique », dans Œuvres complètes, Genève, Slatkine Reprints, 1970, t. 1, p. 271.

130 Saint-Hyacinthe, « Seconde lettre à Madame Dacier », dans La Querelle des Anciens et des Modernes, lac. cit., p. 533.

131 Idem., p. 534.

44 rationaux 132 ». À l'époque de la Querelle d'Homère, la critique n'est pas uniforme et oscille encore entre l 'héritage mondain et le vocabulaire rationnel. Mme Dacier est d'ailleurs encore tributaire du discours moral.

Il faut dire aussi, à la décharge de Mme Dacier, que les termes de la critique sont à l'époque d'une imprécision tout honnête: cet « impératif de l'honnêteté» est peut-être à la source du détour par la notion de goût que fait l 'helléniste pour critiquer l'éloquence de ses adversaires. La constitution d'une éloquence conforme à l'esprit français, mais fidèle à sa rivale latine, a longtemps occupé les Jésuites et les Gallicans du début du XVIIe siècle\33. Un débat parallèle s'est progressivement organisé entre les savants et les honnêtes gens dé la cour. Dès les années 1630-1640, «c'est là un combat d'arrière-garde: le goût de la Cour, l'autorité de Richelieu pèsent déjà victorieusement en faveur d'un art d'agréer qui rend ridicule et "démodé" la rhétorique philosophique des derniers héritiers de Pibrac et Du Vair\3.4 ». Mme Dacier peut difficilement, alors qu'elle est déjà au cœur d'une polémique délicate, réveiller ce vieux débat sur l'éloquence, dont les conséquences se sont fait sentir partout. Huet, qui a patronné Anne Le Fèvre et qui lui reconnaît des « notes plus savantes qu'on ne l'eût attendu de

son sexe\35 », décrit les conséquences de cette victoire de la cour sur la République des lettres:

Quand je suis entré dans le païs des Lettres, elles étoient encore florissantes, & plusieurs grands personnages en soûtenoient la gloire. J'ai vû les Lettres décliner & tomber enfin dans une décadence presque entière; car je ne connois presque personne aujourd'hui que l'on puisse appeler véritablement savant. Ce qu'il y a de pis, c'est que [ ... 1cela se fait à dessein, & qu'il se forme ,une cabale d'Apedeutes, de gens ignares et non lettrez 1... 1. Je puis donc

m Noémi Hepp « Esquisse du vocabulaire de la critique littéraire de la Querelle du Cid à la Querelle d'Homère », Romanisches Forshungen, 69, 1959, p. 348.

133 Marc Fumaroli, op. cit., p. 671-706.

134 Idem., p. 690.

135 Pierre-Daniel Huet, Mémoires, éd. P.-J. Salazar, Paris, Société de Littératures Classiques, Klincksieck, 1993, p. 112.

45 dire que j'ai vû fleurir & mourir les Lettres, & que je leur ai survêcu. 136 »

Mme Dacier confirme cet effondrement de la République des lettres, qu'elle atténue cependant - il le faut pour affermir le clan chancelant des Anciens qui défendent les «bons originaux137 ». Nous verrons dans notre troisième chapitre comment Anne Dacier concilie la figure du savant, dont elle se sent proche, et le masque de l'honnêteté qu'elle doit porter pour rejoindre un public résolument mondain. Il reste qu'en préférant la notion de goût à celle de l'éloquence, Mme Dacier s'associe à la critique polie de son époque.

Mais il Y a plus important: la corruption de l'éloquence a déjà fait l'objet d'un discours écrit, qui plus est par un jésuite, le P. Vavasseur, lui-même formé par le P. Petau. Le P. Vavasseur publia en 1646 chez Cramoisy un recueil d'OralÏones. Dans la troisième, Pro vetere genere dicendi contra novum, «le P. Vavasseur propose aux jeunes Français de se libérer de la "corruption de l'éloquence" 138». Si la Grèce et la Rome antiques ont connu les ténèbres des commencements, l' acmê florissante au temps des Démosthène et des Cicéron, et finalement l'inévitable décadence, la France peut s'attendre à voir s'achever son «miracle» si elle imite «ces deux périodes de plénitude I39 ». Ce n'est pas tant au vieil ennemi de l'ordre jésuite, le milieu gallican, que le P. Vavasseur adresse ses critiques, qu'à une figure influente qui l'a précédé au

136 Pierre-Daniel Huet, Huetiana, 1723, p. 1-3, cité par Frédéric Charbonneau, Les silences de L'histoire, Presses de l'Université Laval, 2000, p. 151.

137 Anne Dacier, Des causes ... , op. cit., p. 8 : « Car quoyque les lettres ne soient pas si florissantes qu'elles l'ont esté, et que l'ignorance fasse du progrés par le peu de soin qu'on a de s'instruire dans les sources, nous avons encore des gens d'un tres grand sçavoir, et dont les lumieres sont tres capables de dissiper ces vains nuages qu'on oppose au bon goust et à la raison. »

138 Marc Fumaroli, op. cit., p. 411. Nous utilisons l'édition posthume des Opera omnia du R. P. Vavasseur. Opera omnia antehac edita, theologica et philologica. : Nunc primum in unum volumen collecta, .ad quae accesserunt medita et sub fiClO nomine emissa cum Latina tum Gallica: quorum catalogum praefatio suppeditabit, Amstelodami, Apud Petrum Humbertum, 1709, p. 201-209.

139 Marc Fumaroli, op. cit., p. 412.

46 Collège de Clermont: le P. Le Moyne 140. Le P. Vavasseur se livre ainsi à une autocritique - qu'il veut sans doute purgative - de la rhétorique jésuite:

Quoi de plus vicieux en effet qu'un orateur enflé de mots démesurés, et de pensées ampoulées? C'est pourtant ce que nous sommes. Ou qu'un orateur cherchant inlassablement à piquer avec des vains traits pointus comme avec de petits poignards, et avec des pensées mignardes et creuses. C'est pourtant ce que nous sommes. Ou qui va à l'aventure, se donnant licence de multiplier les descriptions, de tous côtés, sans fin, avec ou sans prétexte. C'est ce que nous sommes. Qui n'a aucune boussole en matière de style, l41 aucune régularité? C'est ce que nous sommes •

Que l'image de la boussole soit reprise par Mme Dacierl42 ne nous autorise pas à supposer qu'elle connaissait l'existence de l'Oralio terlia du P. Vavasseur. D'autres métaphores, certes attendues, sont reprises par la savante: celle des Pygmées qui veulent imiter les Géants l43 par exemple, mais qui sont trop petits pour leur dessein. En fait, Mme Dacier et le P. Vavasseur ont probablement une source commune: le pseudo-Longin a déjà exploité cette comparaison dans son Traité du Sublime, édité par T. Le Febvre en 1663 et traduit par Boileau en 1674.

De même donc que, si ce qu'on dit est vrai, ces boîtes où l'on enferme les pygmées, vulgairement appelés nains, les empêchent non seulement de croître, mais les rendent même plus petits ( ... 1: ainsi la servitude, je dis la servitude la plus justement établie, est

140 Ibid., p. 392.

141 P. Vavasseur, op. cil., p. 204: «At quid vitiosius, quam oratorem sesquipedalibus verbis, ampullatis sententiis tumere ? tumemus. levibus stimulis acuminum, & inanibus sententiolis, sic tanquam siculis, sine intermissione pungere? pungimus. descriptionum uberiore licentia, quaquaversus infinite, occasione aliqua, nulIa, vagari? vagamur. nihil tenere certum in stylo, nihil requabile ? nihil tenemus» ; traduit par Marc Fumaroli, op. cil., p. 413.

142 Anne Dacier, Des causes ... , op. cil., p. 77:« Mais la boussole l'a faitjusqu'icy, et je ne crois pas qu'il y ait des pilotes assez insensez pour abandonner ce cadran et pour se fier à quelque autre invention qui pourroit aussi-bien les égarer que les conduire ».

143 Ibid., p. 1-3.

47 une espèce de prison où l'âme décroît et se rapetisse en quelque sorte 144.

La notion de sublime est importante dans le contexte de la Querelle d'Homère parce que le « parti des anciens ne se distingue plus du parti du sublime145 » et qu'elle est «une nouvelle façon de promouvoir les valeurs poétiques anciennesl46 ». Au rebours, critiquer Homère revient à parler dans un style bas d'un sujet noble. C'est à la limite burlesque - Mme Dacier emploie les mots «ridicule» et «risible» qu'elle associe explicitement à « burlesque» pour décrire «le Poëme [épique] qui imiteroit l'action d'un Bourgeois» : il serait « ridicule, ou burlesque147 ». Les Modernes sont petits et burlesques; les anciens sont de sublimes géants.

Le P. Vavasseur s'intéressait plus aux symptômes qu'aux causes de la corruption de l'éloquence: «l'enflure, le désordre de la composition et l'éclectisme stylistiquel48 » trahissent cette « maladie grossière du langage149 ». Mais il y pire, et le P. Vavasseur, Mme Dacier et Tacite avant eux s'entendent là-dessus: les maîtres mêmes, qui devraient s'efforcer de pratiquer une éloquence pure et chaste, sont atteints et propagent le mal. C'est la jeunesse française que veulent protéger les deux savants:

J'entreprends donc cette réponse uniquement pour empescher, autant qu'il m'est possible, les jeunes gens, ordinairement credules

144 Longin, Traité du Sublime, trad. Boileau, éd. Francis Goyet, Paris, Le Livre de Poche, p. 136. Voir Emmanuel Bury, «Tanneguy Le Fèvre, professeur de grec à l'Académie de Saumur », Saumur, capitale européenne du protestantisme au XVII' siècle, 3e cahier de Fontevraud, 1991, p. 82.

145 Sur la notion de sublime dans le contexte de la Querelle des Anciens et des Modernes, voir Nicholas Cronk, « La Querelle du sublime: théorie ancienne et moderne du discours poétique », dans D'un siècle à l'autre: Anciens et Modernes, loc. cit., p. 11.

146 Nicholas Cronk, loc. cit., p. 14.

147 Anne Dacier, Des causes ... , op. cit., p. 81.

148 Marc Fumaroli, op. cit., p. 413.

149 P. Vavasseur, op. cit., p. 205 : « Hoc primus vitiati sermonis genus, sed externum, sed crassum & rusticanum. » ; traduit par Marc Fumaroli, op. cit., p. 414.

48 et peu précautionnez, et qui fuyent la peine et le travail, d'estre les 1so duppes d'une fausse doctrine •

Au delà d'une certaine topique commune - dont certains éléments sont déjà

l51 l52 chez Tacite, auquel renvoie le R. P. Vavasseur -, le cursus du père (et maÎtre ) d'Anne Dacier rend moins téméraire un tel rapprochement La savante est fille de Tanneguy Le Fèvre, élève des Jésuites, plus tard converti au protestantisme et savant professeur à )' Académie de Saumur. Si la vie de Tanneguy Le Fèvre nous est

l53 partiellement connue , ses études au Collège de La Flèche ne sont guère qu'évoquées par ses biographes. Né vers 1615, il est envoyé à La Flèche par son père à l'âge de 14

ans, soit vers 1629, où il acheva ses études. Selon les Mémoires de Graverol, « il sortit de ce collège à dix-huit ans l54 », en 1633. L'Oratio tertia du P. Vavasseur a justement été prononcée à La Flèche, mais quelque années plus tard, en 1636. S'il semble que Le Febvre eût alors déjà quitté les Jésuites, qui avaient pourtant tout fait pour le retenir et en faire l'un des leurs, on peut cependant se demander si le jeune élève a été en contact

150 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 10; F. Vavasseur, op. cit., p. 204:« Et discipuli quidem nomen ipso suo dec\erant se discere tantum, & in cursu esse; atque adeo, si quid hrec habet lingua mysteriorum, ejus scientiam suis ipsos magistris libenter concedere. De doctoribus vero adolescentes sentire non deterius » ; cf. Tacite, Dialogue des Orateurs, op. cit., p. 55-61.

151 F. Vavasseur, op. cit., p. 202: « Quid? qui de corruptre eloquentire causis agit sive Quintilianus, sive Tacitus, nonne rem agnoscit, cujus in causam studiosius toto & ad id instituto volumine inquirit ? ».

152 Sur l'héritage légué par T. Le Fevre à sa fille, voir Emannuel Bury, « Madame Dacier », Femmes savantes: savoirs des femmes: du crépuscule de la Renaissance à l'aube des Lumières, éd. C. Nativel, Genève, Droz, 1999, p. 209-220.

153 Voir François Graverol, Mémoires pour la Vie de Tanneguy le Févre. à Monsieur la Faille. Sindic de la Ville de Toulouse, dans Albert-Henri Sallengre, Mémoires de littérature, Genève, Slatkine Reprints, 1%811715-17171, p. 192-196: de l'aveu de l'auteur, la vie de T. Le Febvre est« copiée des mémoires que Mademoiselle le Févre a eu la bonté de Ilui) communiquer» Ip.1921. P. Daniel Bourchenin lui consacre une biographie en 1884, mais s'attarde peu à ses années de formation et s'inspire exlicitement des Mémoires publiés par Salengre: De Tanaquilli Fabri vila et scriptis, Lutetiae Parisiorum, Apud Grassart Bibliopolam, 1884. Voir aussi Jean-François Michaud, Biographie Universelle ancienne et moderne, Graz, Akademische Drunck-u. Verlagsanstalt, 1968, t. XXIII, p. 586- 587; M. le Dr Hoefer, Biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, Paris, MM. Firmin Didot Frères, 1859, p. 307-311 ; Célestin Port, Dictionnaire historique. géographique et biographique de Maine & Loire et de l'ancienne province d'Anjou, Angers, H. Siraudeau & Cie, 1978, t. Il, p. 348.

154 François Graverol, op. cit., p. 193.

49 avec le P. Vavasseur, dont les idées sur t'éloquence sont largement antérieures à la

'55 lecture de son discours. On sait, par les biographies officielles , que le P. Vavasseur, né en 1605 à Paray-le-Monial, a été admis en 1621 dans la compagnie de Jésus; qu'il a enseigné à Bourges, puis à Paris où il remplace son maître, le P. Petau, au collège de Clermont en 1644. Les lettres de direction du P. Petau, qui s'échelonnent de 1627 à

l56 1644, escortent les Orationes de son disciple • La première oraison est prononcée à Alençon en 1629; la seconde à Rennes en 1634; la troisième, qui nous intéresse particulièrement, à La Aèche en 1636; la quatrième au même collège en 1637; Vavasseur se trouve vraisemblablement à Clermont les années suivantes où il aurait pu prononcer les cinquième, sixième et septième oraisons; c'est à Bourges que sont lues les dernières (1640; 1641 ; 1643). Finalement, Le Fèbvre et le P. Vavasseur ont un ami commun: Pierre-Daniel Huet, avec qui ils ont tous deux entretenu une correspondance 157. Huet avait d'ailleurs presque convaincu Le Febvre de réintégrer le giron de l'Église catholique'58• Bien que Le Fèbvre ne se soit pas tellement attaché aux problèmes de la langue française - on dit de lui qu'il écrivait mieux en grec et en latin qu'en français - on peut supposer qu'il a transmis à sa fille, en y adhérant ou non, les thèses de ses professeurs jésuites.

Ce que le discours du P. Vavasseur révèle, c'est moins une source d'inspiration directe, que l'existence d'une tradition solide sur laquelle aurait pu s'appuyer Mme Dacier. C'est dans un esprit commun de réforme que ces deux érudits ont entrepris de

155 Voir Jean-Pierre Nicéron, Mémoires pour servir à l'Histoire des hommes illustres dans la République des lettres, Paris, Briasson, 1734, t. XXVII, p. 132-142; Carlos Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Bruxelles-Paris, Schepens-Picard, 1898, t. VIII, p. 500-508; Nathanaele Sotvello et al., Bibliotheca scriptorum Societatis lesu, Gregg International publishers, 1969 116761, p. 263-264 ; Voir aussi Jean-François Michaud, op. cil.et le Dr Hoefer, op. cil., S.v.

156 Marc Fumaroli, op. cit., p. 406.

157 Pellison et d'Olivet, Histoire de l'Académie française, Genève-Paris, Slatkine Reprints, 1989, t, Il, P 353.

158 On connaît par ailleurs l'influence de Pierre-Daniel Huet sur la pratique de la traduction classique en France. Voir à ce sujet Emmanuel Bury, « Bien écrire ou bien traduire: Pierre-Daniel Huet théoricien de la traduction », Littératures Classiques, 13, 1990, p. 251-260.

50 dénoncer la corruption de l'éloquence. Bien loin de s'associer explicitement au P. Vavasseur, Mme Dacier préfère l'autorité moins subversive d'un ancien comme Tacite (ou Quintilien). Cette préférence peut être une simple précaution: les Jésuites ne font

l59 pas l'unanimité dans les milieux érudits • La savante a aussi pu vouloir éviter de rappeler une vieille querelle sur l'éloquence qui s'était déroulée dans un « âge d'or» : en effet, les années 1620-1640 correspondent à cette période bénie où jamais personne « n'aurait levé l'estendard contre ce grand poète'60 », Homère. Ce n'est que depuis cinquante ans que s'est élevée la voix hostile de « gens très mediocres ». Elle a pu, à cause du prétexte même de son traité - Homère - refuser de s'associer explicitement à la compagnie, laquelle a participé à une aventure rhétorique dans laquelle « Homère a été trop compromis l61 ». En effet, «dans l'étonnante synthèse théologico-rhétorique des jésuites, 1... 1deux aspects d'Homère fusionnent: père de la rhétorique, il est aussi le père de l'éloquence chrétienne lorsque celle-ci se maintient dans l'ordre naturel 162 ». Il reste finalement possible qu'elle n'ait pas connu cette oraison et qu'elle fasse cavalier seul, comme elle aime à le prétendre: « Il vaut mieux que je deffende Homere toute seule ». En intitulant son traité Des causes de la Corruption du goust et en ne révélant que dans le corps du texte, et encore fort discrètement, qu'elle pense pouvoir découvrir les causes de la corruption de l'éloquence, Mme Dacier fait donc d'une pierre deux coups: elle s'associe au public mondain de son époque, qui s'attache plus aux

l63 question de goût qu'à celles de l'éloquence , et elle évite de se référer explicitement à

159 Voir Marc Fumaroli, op. cit., p. 235: «On n'exagèrera point en soutenant que, dès leur première tentative d'installation à Paris, en 1551 ,jusqu'à leur expulsion définitive du royaume en 1763, le jésuites y firent l'objet d'un procès ininterrompu devant la Grand'Chambre du Parlement, procès attisé par l'Université ».

160 Anne Dacier, Des causes ... op. cil., p. 33.

161 Marc Fumaroli, « Sur Homère en France au XVII" siècle », Loc. cit., p. 647. 161/bidem.

163 Le goût est associé à une certaine urbanité polie. Voir l'Abbé Gédouyn de l'Académie française, « Réflexions sur le temps », Recueil d'Opuscules Littéraires 1... 1et publiés par un Anonime, A Amsterdam, chez E. van Herrevelt, 1761, p. 219-220: «je remarque en premier lieu qu'en latin gustus, d'où vient notre mot de goût, se prend rarement au figuré. 1\ n'y a guère que Quintilien, qui s'en soit servi

51 une querelle antérieure dominée par la voix controversée des bons pères. Seule, elle défend le poète originel et unique.

Le Traité des Causes s'ouvre sur la« divinisation» d'Homère, dont l'auteur dit un peu plus tard qu'il a «donnlél une sorte de Poëme dont il n'avoit jamais veu de modelle, qu'il n'avoit imité de personne, et que personne n'a pû imiter depuis'64• »

A vant Rousseau 165, le poète mythique a imposé une œuvre si singulière qu'elle est presque hors du temps. Comme la parole divine, l'épopée homérique surgit des

'66 ténèbres chaotiques pour guider l'homme vers la lumière • Cette préséance absolue et cette immunité face au temps garantissent sa pureté. En le critiquant historiquement, c'est-à-dire en le lisant d'un point de vue marqué par son époque - en critiquant, par exemple, les mœurs frustres et grossières des héros homériques -, on ne peut que le corrompre parce qu'on le fait entrer dans le temps des hommes. La conception idéale du temps de Mme Dacier semble relever plus de la suspension que du paradigme de la décadence et du progrès. Cet idéal est cependant contredit par la règle: le commun des mortels est soumis aux aléas du temps et il ne peut tout au plus que « se perfectionner par l 'imitation 167 ». «Comment Homere a-t-il donc esté exempt de la loy generale, qui n'a peut-estre souffert que cette exception? C'est ce que je ne sçaurois dire l68.» Cette loi générale est celle de l'imperfect!on des premiers pas, « de la gradation marquée par la nature à toutes les productions de l'esprit humain '69 ». C'est parce qu'Homère invente, sans imiter, qu'il est exceptionnel.

dans le même sens que nous employons le mot de goût. C'est dans la définition qu'il donne de l'urbanité Romaine: proprium quemdam gustum urbis. un certain Goût de politesse qui ne se prend qu'à Rome ».

164 Anne Dacier, Des causes ... , p. 17.

165 Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, premier livre, Paris, Gallimard, 1964, p. 5: «Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur ».

166 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 22.

167 Ibid., p. 19.

168 Ibid., p. 17.

169 Ibid., p. 17. 52 Pour tous les autres, Mme Dacier déploie un récit historique de la formation du goût en cinq temps: Moïse et les écrivains sacrés, dont le bon goût dépend largement de la connaissance du véritable et unique Dieu, jouissent, pour des raisons de doctrine, d'une certaine préséance; l'Égypte qui, «peu de siecles après le Déluge 170 » purificateur, surprend l'helléniste par ses réalisations artistiques et théologiques; «si (ellel passe de là en Grèce, (sonl estonnement est encore plus grand» ; Rome quant à elle croupit dans l'ignorance et la barbarie jusqu'à ce que les « Escrits des Grecs» éclairent les esprits d'une nouvelle lumière; enfin, en France et en Europe, «après la renaissance des Lettres, on vit tout d'un coup s'eslever des gens d'un savoir profond et d'un goût exquis, qui firent des Ouvrages immortels, & qui ouvrirent le chemin aux

autres 171 ». Tout était en place pour que la France atteignît son apogée, mais les « apedeutes ignares» l'ont fait retomber« dans sa première barbarie ». Les bienfaits de l'imitation ne sont pas éternels: ce principe salutaire doit être entretenu, sans cesse opposé à la force du temps corrupteur.

En fait, deux attitudes apparemment inconciliables Vls-a-VlS du temps humain se partagent les héritiers de la Renaissance, et parmi eux la France du XVIIe siècle. L'une est celle des éducateurs, qui parient sur le travail du temps, sur sa capacité de décanter, purifier, amener à leur plénitude des germes qui n'étaient d'abord qu'à l'état de possibilité confuse. De même que le travail du temps atteste la gloire des grands hommes et détruit les réputations usurpées, c'est lui aussi qui fait jaillir des vérités longtemps cachées. L'autre est celle des érudits, qui, loin de se confier à cette germination et à cet éclaircissement, voient dans le temps leur ennemi naturel, dont il revient de combattre sans illusion sur la réussite, les effets 172 corrupteurs et obscurcissants •

Mme Dacier crée pour sa démonstration un espace-temps de la perfection: 1'homme né dans la temporalité pure et vierge des origines et regardé «si

170 Ibid., p. 16. La première épître de saint Pierre (3, 20-21) met en parallèle l'eau du baptême et l'eau du Déluge qui purifia la terre des péchés des hommes.

171 Ibid., p. 22.

172 Marc Fumaroli, «Temps de croissance et temps de corruption: Les deux Antiquités dans l'érudition jésuite française du xvnc siècle », loe. cit., p. 149. 53 favorablement» par le soleil est destiné à l'invention. Ce que peint Homère, c'est la « Nature telle qu'elle estoit dans sa premiere simplicité, & avant que déchuë de sa dignité & de sa noblesse 173 ». En imitant les œuvres de ce démiurge, le reste de l'humanité peut espérer« se tirer de la grossièreté & de la barbarie où Isal naissance l'a

174 plongé )}.

Mme Dacier s'inscrit dans une tradition qui pense le style en fonction du

tempérament, lequel dépend largement des conditions climatiques 175. Relayée par Huarte au XVIe siècle, qui a connu une fortune remarquable en France jusqu'à la fin du

176 XVW , cette conception héritée de la médecine ancienne survivra aux révolutions épistémologiques pour être finalement refondue par Montesquieu dans De l'Esprit des

177 lois • Un acteur tardif de la Querelle des Anciens et des Modernes, l'abbé Du Bos, dresse, dans le cadre d'une réflexion sur les progrès et la décadence des arts, une véritable toponymie des régions propices à l'invention. «ILles hommes ne naissent pas avec autant de génie dans un pays que dans un autre, & dans le même pays, ils ne naissent pas avec autant de génie dans un temps que dans un autre tempsl78.» La tension engendrée par la Querelle d'Homère au sein de la gent lettrée étant chose du

173 Anne Dacier, «préface », dans Homère, L'Iliade d'Homère traduite en françois, avec des remarques par Madame Dacier, Loc. cit., p. XXIII.

174 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 18.

175 Voir Michael Cardy, « Discussion of the theol)' of c1imate in the querelle des anciens et des modernes », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, CLXIII, 1976, p. 73-88.

176 Juan Huarte, Examen des esprits, trad. G. Chappuys, Rouen, Reinsart, 1598, p. 14-15. Voir M. Fumaroli, op. cU., p. 127:« C'est une œuvre de vulgarisation médicale, un peu confuse, et sans grand talent. Mais la diffusion qu'elle connut en Europe, et plus particulèrement en France où elle fut deux fois traduite, au XVIe siècle par G. Chappuys, au XVII" par Vion Dilibray, atteste que Huarte a crée des lieux communs durables où s'est condensée pour un siècle, toute une réflexion humaniste sur les rapports entre style et tempérament. »

177 Montesquieu, «Des lois dans le rapport qu'elles ont avec la nature du climat. Livre quatorzième », De L'esprit des lois, éd. L. Versini, Paris, Gallimard, 1995, t. l, p. 443-465. Voir Jean­ Patrice Courtois, « Le physique et le moral dans la théorie du climat », dans Le travail des Lumières, éd. C. Jacot-Grapa et al., Paris, Honoré Champion, 2002, p. 139-155.

178 Jean-Baptiste Du Bos, Réflexions critiques sur La poésie et sur La peinture, 117191, Genève, Slatkine Reprints, 1993, p. 173-225.

54 passé depuis la célèbre réconciHation qui avait eu lieu dans le salon de Mme de Lambert entre Houdar de La Motte, M. Boivin et Mme Dacier, l'abbé du Bos peut se permettre d'établir un parallèle entre son temps et la fin du siècle d'Auguste, «où les Lettres, les Arts, & principalement la Poësie, tombèrent en décadence. 1... 1 Soixante années après Auguste, Quintilien écrivoit déjà sur les causes de la décadence de l'éloquence latine. 1... 1 Les orateurs avoient disparu '79 ». Mme Dacier a tracé implicitement le même parallèle en choisissant comme modèle Tacite, qui avait vécu dans ce siècle décadent du début de l'Empire. Du Bos explique beaucoup plus longuement sa théorie et, sans doute pétri de l'esprit matérialiste des Lumières, donne la préséance aux causes physiques. L'horloge du monde fait que « le génie des Arts et des Sciences disparoit, jusqu'à ce que la révolution des siècles le vienne encore tirer une autre fois du tombeau l80 ».

Entre les périodes où le génie daigne se montrer, les Arts ne produisent que des « phantômes» ou, pour retourner à Mme Dacier, des «chimères Isanslla moindre apparence de vie l81 ». Homère au contraire

a fait de tout son poëme comme un corps vivant et animé. Car la louange que ce poëte donne à Vulcain, de faire des trépieds qui étaient comme vivants, & qui alloient aux assemblées des Dieux, il la merite luy-mesme. Il est veritablement cet ouvrier merveilleux l82 qui anime les choses les plus insensibles; tout vit dans ses vers •

Mme Dacier adresse sa traduction à ceux pour qui «ce poëte est comme

l83 mort », détruit par les «copies difformes» que sont les « belles infidèles »184. Ces ouvrages corrompent celui qui a réussi l'exploit de survivre au plus grand facteur de

179 Ibid., p. 191 p. 193.

Hill Ibid., op. cit., p. 189.

IHI Anne Dacier, Homère défendu .. , op. cit., p. 2-3.

182 Anne Dacier, « préface », loc. cit., p. xxx.

183 Anne Dacier, « préface », loc. cit., p. XXXVI. Sur la méthode de traduction de Mme Dacier, voir Bruno Garnier, loc. cit., p. 13-42.

184 Voir Roger Zuber, Les Belles infidèles et laformation du goût classique, op. cit. 55 corruption: le temps. «Les parties de ce poëme 1... 1n'ont pû estre considerablement al te rées par le temps, la corruption et l'alteration des ouvrages ne venant d'ordinaire que de l'oubli où ils croupissent». Cette perception de la survie du texte homérique découle naturellement de sa situation originelle hors du temps. Aucun autre texte n'a connu une si grande fortune, hormis la Bible. Mme Dacier n'est-elle donc pas en droit de juger Homère divin, puisqu'il a traversé les époques aussi bien que la parole de Dieu consignée par les hommes. C'est d'ailleurs peut-être pour cette raison aussi qu'elle s'efforce de dresser des parallèles (qui loin de convaincre ses adversaires les scandalisent) entre l'Wade et la Bible. Cette« conformité très remarquable» à ses yeux établit une alliance si serrée entre les deux textes que critiquer le premier revient à critiquer le second. En rendant Homère conforme à la seule tradition que les Modernes ne peuvent pas ouvertement rejeter, Mme Dacier se replie dans la forteresse du dogme, pourtant maintes fois ébranlée depuis la Réforme.

Homère a échappé à l'oubli; les Modernes y sont condamnés. Ainsi, Desmarets de Saint-Sorlin, qui a osé blâmer Homère dans sa Comparaison de la langue et de la poësie françoise, n'a fait qu'une «critique tellement oubliée qu'il n'en restoit plus aucun souvenir. Ce n'est que par hasard qu'un de mes amis l'a trouvée dans la poussière d'une Bibliothèque l85 ». Il y a visiblement «deux poids et deux mesures pour les anciens et pour les modernes l86 ». La cause première de la corruption du goût repose largement sur l'oubli des anciens. L'argument n'est pas neuf, loin de là: il constitue l'un des topoi les plus vivants de toute la littérature. Dans la Consolation de la Philosophie de Boèce (c. 476-524), Dame Philosophie voit dans l'oubli (lethargus) la cause du mal qui affecte le narrateur qui «avait puisé une force d'âme toute virile l87 »dans l'étude des textes. Cette virilité, garante chez les anciens d'une

185 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 7.

186 Houdar de la Motte, « Réflexions sur Homère », dans Œuvres complètes, Genève, Slatkine Reprints, 1970, t 1 p. 196.

187 Boèce, Consolation de la Philosophie, préf. M. Fumaroli, Paris, Rivages, 1989, p. 49: « eduactus alimentis in virilis animi robur evaseraltl ».

56 éloquence maîtresse d'elle-même et pure, s'appuie sur la mémoire. L'homme est comme soutenu par la culture qui le différencie des animaux. «La Consolation de Boèce rétablit le sens originel et radical dont ce mot est chargé: celui d'une raison d'être telle qu'elle peut maintenir debout, inflexible et fidèle, celui que frappent les bourreauxl88.» Les œuvres modernes corrompues et corruptrices sont au contraire

« molles et efféminées'89 ». La mémoire (les textes anciens ne soutient plus l'homme moderne qui suit le mouvement naturel de la décadence: l'affaissement, la chute vers le sol, loin du ciel et de ses dieux. Dans son Homère défendu contre l'Apologie du R. P Hardouin, Mme Dacier dira encore que« la principale cause de cette corruption vient du mauvais usage que l'on fait de ces excellents Originaux'90 ».

Nous l'avons concédé au début de ce chapitre, Mme Dacier ne développe pas explicitement ce qu'elle entend par «corruption ». Les dictionnaires d'époque peuvent, jusqu'à un certain point, pallier à cette insuffisance, mais ils ne permettent pas de comprendre comment le concept fonctionne dans la pensée de la savante. C'est pourquoi il nous faut découvrir une définition interne de la « corruption» au moyen des associations et des images qu'elle emploie. C'est son «introduction» à l'lliade qui

'91 nous fournit le plus d'éléments de réponse • Cette introduction est une réflexion sur son entreprise de traduction. En conséquence, l'analyse des passages qui suivent va non seulement servir à dégager une topique de la corruption, mais aussi fournir les premiers éléments d'une critique par Mme Dacier de son propre travail.

Mme Dacier établit des correspondances entre la mort, la corruption et la copie qu'elle oppose à la vie, à la pureté et à l'œuvre originale. La corruption du goût dépend d'abord de la transmission fautive des textes - éditions, traductions, imitations, adaptations: autant de types possibles de copie-, qu'elle soit volontaire ou non.

188 Marc Fumaroli, « préface », dans Boèce, Consolation de la Philosophie, Loc. cit., p. 9.

189 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 27-28.

l'JO Anne Dacier, Homère défendu ... , op. cit., p. 4.

191 Sur ce texte, voir Fabienne Moore, Loc. cit., p. 87-107. 57 Plus un original est parfait dans le grand & dans le sublime, plus il perd dans les copies. Cela est certain; il n'y a donc point de poëte qui perde tant qu'Homère dans une traduction, où il n'est pas possible de faire passer la force, l 'harmonie, la noblesse & la majesté de ses expressions, & de conserver l'ame qui est répanduë dans sa poësie, & qui fait de son poëme comme un corps vivant et l92 animé •

La force, vis, renvoie à la virilité, garante dans la topique ancienne d'une éloquence pure. Comment cette énergie vivifiante peut-elle survivre «à une langue comme la nostre, toujours sage, ou plutôt toujours timide, & dans laquelle il n'y a presque point d'heureuse hardiesse, parce que toujours prisonnière dans ses usages, elle n'a pas la moindre liberté193 »? Mme Dacier se réfère implicitement à la notion de bienséance, elle-même liée au processus de civilisation mis en évidence par les travaux de Norbert Elias. L'idéal de l'honnêteté ne suppose pas le goût du luxe, mais la vie à la cour l'impose rapidement pour se distinguer. Les adversaires de Mme Dacier associent la force virile d'Homère à la grossièreté tandis que l 'helléniste voit dans les mœurs efféminées et raffinées de la cour un signe de la corruption.

L'âme d'Homère est cette chose sublime et intraduisible. Si cette « âme» est incorruptible, mais, hélas, inaccessible au profane, son « corps» est soumis au temps et à la corruption. Celle-ci est encore aggravée par la traduction. En effet, la médiation linguistique éloigne du texte original parce qu'elle le dédouble. Intervient alors la vieille critique platonicienne de la représentation. «Dans la chaîne qui va de l'idée (eidos) à la copie (eidolon) et à la copie de la copie (phantasma), et tandis qu'on s'écarte de la vérité, la ressemblance ou la fidélité du modèle se pervertit: la copie de copie est une copie dégradée l94.» Si ses contemporains n'apprécient pas Homère, c'est qu'ils n'ont accès qu'à une image déformée du poète. Mme Dacier donne deux exemples de corruption liés à la représentation statuaire ou funéraire: le premier

192 Anne Dacier, « préface », loc. cit., p. xxx.

193 Anne Dacier, « préface », loc. cit., p. xxx.

194 Antoine Compagnon, La seconde main, Paris, Seuil 1979, p. 114.

58 concerne la statue d'airain que Lysippe a fait (t'Alexandre et que Néron a par la suite fait dorer.

La dorure en question a été enlevée parce qu'elle avait corrompu toute sa beauté. ( ... I La dorure qui gaste notre siecie, & qu'il faudrait oster pour luy redonner sa beauté & sa force, c'est le luxe & la mollesse, qui engendrent immanquablement dans l'ame une l95 corruption générale •

l96 L'or corrompt non seulement parce qu'il est un matériau luxueux , mais aussi parce qu'il cache la statue originelle, un peu comme chez les courtisans, dont le luxe

197 ostentatoire dissimule l'être et amollit la fibre morale •

Le second exemple fait appel à l'imagination et met en scène une momie d'Hélène. Mme Dacier se justifie de recourir à une image pour parler de sa

l98 traduction : en effet, cette comparaison opère un dédoublement et est de ce fait un

l99 élément de corruption dont elle eût préféré se passer • Mais elle s'adresse à « ceux qui sont privez du plaisir de lire Homere en Grec200 », ceux qui, dans son esprit, souffrent le plus de la corruption du goût et sont les plus susceptibles d'être sensibles à

195 Anne Dacier,« préface )), loc. cil., p. XXX.

196 Le topos du luxe corrupteur est ancien. Une loi consulaire, sous forme de senatus consulte, au Ile siècle av. J.-c. (182) avait fait adopter la première Lex somptuaria, la Lex Orchia, qui régissait les dépenses exponentielles des cenae. Des lois semblables avaient toujours cours sous l'Ancien Régime. Cf. Vincent J. Rosivach, « Les leges sumptuariae à Rome: tu ne mangeras que du choux! )), conférence prononcée au Centre d'études classiques, Université de Montréal, le 13 janvier 2005 et Frédéric Charbonneau, « Le goût du luxe. Asianisme et bonne chère à l'âge classique )), Tangence, no 65,2001, p. 23-32. Plus contemporain de Mme Dacier, Fénelon fait du luxe, dans le TéLémaque, le père de tous les vices. Sur le topos du luxe dans la Querelle des Anciens et des Modernes, voir Hans Kortum, loc. cil., p. 765-775.

197 Sur cc topos moral, voir par exemple La Bruyère, Les Caractères, éd. R. Garapon, Paris, Garnier, 1962, p. 180 (<< Des biens de fortune, 4 ))): «À mesure que la faveur et les grands biens se retirent d'un homme, ils laissent voir en lui le ridicule qu'ils couvraient, et qui y était sans que personne s'en aperçut )).

198 Anne Dacier, « préface )), loc. cit., p. XXXVI.

199 Sur les liens entre redoublement, imagination et représentation, voir Michel Foucault, « Représenter )), Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 83.

2(X) Anne Dacier, « préface )), loc. cit., p. XXXVI.

59 une telle image. Pour rejoindre ces lecteurs potentiels et les rendre familiers d'un texte devenu étranger, elle se résout à ce compromis. L'objet de sa comparaison, la momie, est un eidôlon, un double chimérique de la célèbre beauté grecque.

Supposons donc qu'Hélène mourut en Egypte, qu'elle fut embaumée avec tout l'art des Egyptiens, & que son corps, conservé jusqu'à notre temps, est porté aujourd'hui en France. Cette mumie Isicl n'attirera pas toute l'admiration qu'Hélène vivante attira à son retour de Troyes [mais) [ ... ] l'imagination frappée de ces restes précieux ira jusqu'à concevoir que celle qui conserve encore de la beauté dans les bras mesme de la mort, de voit veritablement ressembler aux Déesses immortelles pendant sa vie. Voilà certainement l'idée la moins flatteuse que je puisse donner de ma traduction; ce n'est pas Homère vivant et animé, je l'avouë, mais 20I c'est Homère •

Homère, «dans les bras même de la mort », conserve encore une beauté quasi divine. Mais son âme, quoique immortelle, est prise dans un corps corruptible. Mme Dacier voudrait bien donner une traduction qui conserverait toute la vie de l'original, mais elle est consciente, particulièrement dans ce passage, de la fatalité qui frappe la lettre de l'œuvre homérique. Bien que l'esprit survive véritablement, la traduction est toujours une dépouille; une bonne traduction comme la sienne doit cependant se donner pour mandat de rendre à la lumière du jour un corps empoussiéré, offusqué par le temps et les viles copies. À défaut de nous transmettre l'âme d'Homère, Mme Dacier tente de nous rendre son corps mortel le moins corrompu qu'il est possible. « En un mot, c'est Homère, & Homère bien moins changé que dans les traductions qu'on en a faites, où on l'a si estrangement défiguré, qu'il n'est plus reconnoissable202.» Cet exemple de la momie, éclairé par celui de la statue, associe explicitement la mort d'un texte à la décomposition d'un corps, le travail de l'embaumeur à celui du traducteur, l'effet corrupteur de la mollesse à celui du luxe, accusés par le passage du temps, contre lesquels doit s'élever une action purificatrice et

20! Anne Dacier, ibid., p. XXXVII.

202 Ibidem.

60 vivifiante. Contrairement à l'embaumeur dont l'œuvre est destinée à la mort, le traducteur doit faire revivre le texte, dût-il n'en donner qu'une fantomatique copie.

Elle reprendra encore cette image de la statue dans la réponse qu'elle adressera

au R. P. Hardouin, forgeron de « chimères », pour expliquer la théorie singulière du savant qui veut que les œuvres de l'Antiquité soient des inventions de moines du Xlne siècle, destinées à conforter l'augustinisme et, quelques siècle pl us tard, le

203 jansénisme • Mme Dacier imagine qu'il:

se divertit à forger des chimères, que sa raison séduite embrasse d'abord comme des réalitez, semblable en cela à ce célèbre Sculpteur qui devint amoureux de la Statüe qu'il venoit de former. Ce Sculpteur était même plus excusable que le R. P. Hardouin. Son ciseau avait tellement animé sa Statüe, qu'elle paroissoit comme vivante, & que l'œil y étoit trompé; au lieu que tous les efforts du Pere Hardoüin n'ont pû donner à son opinion la moindre apparence 204 de vie • »

Le R. P. Hardouin est si confus, son imagination est si déréglée, qu'il prend la mort pour la vie et la chimère pour la réalité. Réciproquement, Houdar de la Motte reprochera à Mme Dacier de le traiter « sans scrupule comme mort, et Homère comme vivaneo5 ». Chacun des adversaires accuse son opposant d'extravagance.

Le problème posé par la relation entre la copie et l'original préoccupe toujours Mme Dacier une quinzaine d'années plus tard dans son Traité des Causes de la corruption du goust. Elle reprend textuellement la formule du «second original» qu'elle avait employée dans sa« préface» à l'Iliade. À ses yeux, une traduction noble et élégante

qui rend les images sans compter les mots 1••. 1 devient non seulement la fidelle copie de son original, mais un second original

203 Voir Jean Sgard, « Et si les Anciens étaient modernes... Le système du P. Hardouin », loc. cit., p. 209-220.

204 Anne Dacier, Homère défendu ... , op. cil., p. 3.

20S Houdar de la MoUe,« Réflexions sur la Critique », loc. cil., p. 275.

61 mesme. 1... 1 Il)1 n'en est pas de la traduction comme de la copie d'un tableau, où le copiste s'assujetit à suivre les traits, les couleurs, les proportions, les contours, les attitudes de l'original qu'il imite; c'est tout different: un bon traducteur n'est point si contraint; il est tout au plus comme un statuaire qui travaille d'apres l'ouvrage d'un peintre r ... 1. Et dans cette imitation, comme dans toutes les autres, il faut que l'ame pleine des beautez qu'elle veut imiter, & enyvrée des heureuses vapeurs qui s' élevent de ces sources secondes, se laisse ravir & transporter par cet enthousiasme estranger.206

C'est donc dire qu'une imitation libre, mais réglée et inspirée, pourrait mener à l'invention, voire à la suppression de la copie. Un monde sans copie serait-il un monde sans corruption? Oui; mais il est hors d'atteinte. Le récit de la Genèse dit clairement que l 'homme appartient au monde de la copie: «rfJaisons l 'homme à notre image, selon notre ressemblance» (Genèse, l, 26), « c'est-à-dire une image de Dieu non pas identique, mais qui en approche. L'homme est un "représentant" de Dieu. l ... 1 Il se rapproche ainsi de Dieu, il en est un reflet, mais demeure sa créature207 ». L'homme est condamné, par sa nature même, à l'imitation: décalque de Dieu, il ne peut lui-même que copier le monde. Dieu crée par le verbe, mais l'homme ne peut qu'imiter cette nomination première, lorsqu'il donne un nom aux animaux de l'Éden. Cette condamnation pèse encore plus lourd dès lors que l 'homme vit dans un monde corrompu: signe de leur chute, Adam et Ève doivent revêtir les tuniques de peau que Yahvé leur fit. Cette couche de peau supplémentaire dédouble un épiderme désormais insuffisant pour dissimuler l'être fragile de l 'homme voué au monde des apparences. On peut rapprocher ce vêtement de la couche d'or dont on avait recouvert la statue d'Alexandre qui n'était elle-même qu'une copie de l'Alexandre vif. La série corruptrice s'étend à l'infini.

206 Anne Dacier, « préface », lac. cit., p. XIII; Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 329.

207 La Bible, trad. et éd. d'Émile Osty et J. Trinquet, Paris, Seuil, 1973, p. 37.

62 Homère peignait les temps «où Dieu daignoit converser avec les hommes208 ». Dans ce monde d'avant la chute, nul besoin d'intermédiaire pour se faire entendre du divin: les hommes parlent encore une langue pure. De même, le poète écrit une langue si harmonieuse que tous les hommes la comprennent: « le poète suppose que tous les peuples entendent et parlent la langue dans laquelle il a ecrifO'l ». La multiplication des langues sur la terre, comme l'exil d'Adam et Ève, est la punition de Dieu contre l'ubris des hommes, prêts à tout pour régaler. Ainsi, l'épisode de la tour de Babel raconte comment, au temps des fils de Noé, « toute la terre avait un seul langage et les mêmes mots» (Genèse, Il, 1), mais Yahvé « brouilla le langage de toute la terre ». Dans son épître, saint Jacques parle des péchés de la langue:

Si quelqu'un ne chute pas en parole, celui-là est un homme parfait, capable de réfréner le corps entier. Quand nous mettons un frein dans la bouche des chevaux pour nous faire obéir, nous dirigeons leur corps entier. ( ... ] Mais la langue, aucun des hommes ne peut la dompter, mal sans repos, remplie qu'elle est d'un venin mortel 210 (Ja, 3,1-9).

Le livre des Psaumes (141, 3) avait aussi utilisé la métaphore du frein, de la porte fermée devant la bouche: «Place, Yahvé, une garde à ma bouche, surveille la porte de mes lèvres ». Cette métaphore n'est pas propre à la Bible: Sophocle, dans son

Philoctète, décrit l'Écho comme !x9UpOGT0I10Ç (v. 188), Iittéralement« celle qui a une bouche sans porte ». Mme Dacier veut se substituer à la porte chancelante de l'Académie, incapable de réfréner le babillage corrompu des· Modernes: « lalujourd'huy voicy une temerité bien plus grande, et une licence qui va ouvrir la porte à des desordres plus dangereux pour les lettres et pour la poës.e, et l'Academie se

208 Anne Dacier, « préface », lac. cit., p. XXVII.

209 Anne Dacier, ibid., p. LV.

210 É. Osty et J. Trinquet remarquent que: « files écrits sapientiaux de l'Ancien Testament mettent frequemment en garde contre les méfaits de la langue ». La Bible, op. cit., p. 2513.

63 tait ?211 ». Mais, signe de la corruption, c'est paradoxalement par sa parole qu'elle fera taire ses adversaires dégénérés qui s'en prennent à la poésie.

La poésie, le mot est enfin dit. Car sous les notions de goût et d'éloquence, c'est véritablement de poésie qu'il est question. Le Dialogue des Orateurs de Tacite, avant de mettre en scène un débat sur les causes du déclin de l'éloquence, oppose Maternus, un poète, et Aper, un orateur. Aper reproche à Maternus d'avoir délaissé le

Sénat pour les « bocages» où se plaisent les poètes inspirés. Maternus se défend:

L'âme se retire au contraire dans des lieux purs et innocents, et goûte la jouissance d'un séjour sacré. Tel fut le berceau de la parole, c'est encore son sanctuaire. C'est sous cet aspect et avec cette parure que, pour le bien des mortels, elle pénétra dans ces cœurs primitifs, coeurs purs, que ne souillait le contact d'aucun vice. C'est en vers enfin que parlaient les oracles. L'éloquence de lucre et de sang que nous voyons aujourd'hui est d'un usage récent; elle est née de la corruption des moeurs, et, comme tu le disais, Aper, on l'a inventée pour s'en faire une arme. Ah ! bien plutôt siècle heureux, et, pour 212 parler comme de nos jours, siècle d'or •

L'origine (primordiium) de la poésie est un thème assez courant dans l'Antiquité. Largement associée au divin - les oracles, le séjour sacré, le sanctuaire -, la poésie est un art pur, innocent et pacifique que tout oppose à la

213 rhétorique, technique humaine née de la souillure des cœurs et destinée à la guerre • Ainsi, l'éloquence n'aurait jamais été pure. Elle serait une forme dégradée de la parole. Cela détermine complètement le regard qu'il faut porter sur le Traité des Causes de la corruption du goust.

La critique du goût (et de l'éloquence) dissimule une véritable nostalgie de l'origine, de la pureté, du divin. Il y a chez Mme Dacier deux axes qui correspondent à

211 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 32.

212 Tacite, Dialogue des orateurs, op. cit., p. 36-37.

213 Idem., p. 28:« Le péril gronde-t-il sur ta propre tête, alors il n'est assurément pas de cuirasse et d'épée qui, au combat, fournissent un rempart plus solide que n'est pour l'accusé en péril l'éloquence, arle à la fois offensive et défensive ».

64 deux temporalités: l'axe vertical, qui relie traditionnellement le divin à l'humain - c'est le moment unique de la poésie; l'axe horizontal, symbole du temps des hommes qui, déchus, n'ont d'autre choix que de se servir, pour communiquer, d'une prose éloquente, mais corrompue. Ainsi Houdar de la Motte, auteur d'une Iliade abrégée en vers et d'un Discours sur Homère, est deux fois coupable, d'une part de démesure dans le registre de la prose et de corruption dans celui de la poésie:

Car il ne s'est pas contenté de critiquer ce poëte dans un discours qu'il a fait contre luy, sans l'avoir jamais lû et sans connoistre sa langue; il a encore estropié toute sa poësie, et il l'a tellement 214 défiguré, qu'il n'est plus reconnoissable •

Sans comprendre ni reconnaître la sublimité de la parole poétique, Houdar de la Motte cherche à la transposer dans sa temporalité horizontale d'homme déchu. Mme

2l5 Dacier ne se serait jamais permis une traduction en vers , forme pure qu'elle sait inaccessible. Dans l'antiquité, les concepts d'ubris et de souillure (miasma) étaient étroitement asssociés. À ces deux idées fortes s'ajoutait un troisième terme, l' atê (aveuglement, folie envoyée par le dieu), qui permettait de lire les grands récits mythiques, comme le destin tragique d'Œdipe ou l'histoire d'Agamemnon causant la

216 colère d'Achille au début de la guerre de Troie • Mme Dacier semble lire la res gesta des Modernes avec ces concepts. Après Stace, dont « l' Achilleïde217 a corrompu l'unité du sujet », Houdar de la Motte, en réécrivant l'Wade au goût du jour, «a voulu renouveler Icette) doctrine si contraire à la pratique des plus grands Poëtes, qui a esté

214 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 3.

215 Elle y revient plusieurs fois. Anne Dacier, Des Causes, op. cit., p. Il : « moy qui 1... 1 l'ay traduit en Prose le plus littéralement & le plus fidellement qu'il m'a este possible, & qui en mille endroits ay esté assez simple pour avoüer tres sincerement que je me reconnosois tres inferieure a mon Original )) ; voir Anne Dacier, « préface )), Loc. cit., p. XII.

216 Agamemnon par exemple se dit victime de l'atê; il commet alors l'irréparable (ubris) en ne rendant pas au prêtre Chrysès sa fille; la peste (souillure), figurée sous les flèches d'Apollon, s'abat alors sur l'armée des Achéens. Sur l'atê, voir E. R. Dodds,« Les excuses d'Agamemnon ), Les Grecs et l'irrationnel, Paris, Flammarion, 1977, p. 11-36.

211 Poème épique inachevé en hexamètres du poète latin Stace qui raconte comme Thétis cacha son fils Achille dans l'île de Scyros pour qu'il échappe à son destin.

65 proscrite par les Critiques Anciens et Modernes les plus sensez, & ce qui est encore plus considérable, qui a esté flestrie par le mauvais succés de tous les Poëtes qui ont eu la folie de la suivre218 ». Nous verrons bientôt que cette folie est le résulat d'un mal moral. La démesure des Modernes est illustrée par une comparaison: le Traité des Causes s'ouvre en effet sur l'évocation de la gigantomachie (Hésiode, Théogonie, v. 123). Mme Dacier excuserait à la rigueur « l'ambition» et la « témérité» des Géants à cause de leur « force invincible ». Mais si des Pygmées, ces hommes nains mangés par les grues, avaient tenté la même chose, cela aurait été ridicule, car tous « les hommes conviennent qu'il faut toujours que nos forces soient proportionnées à nos desseins219 ». La démesure des Modernes est morale, mais aussi littérale: ils se sont attaqués à trop grand. Le résultat: des œuvres corrompues, une langue empoisonnée, pestiférée.

Car l'éloquence, bien qu'implicitement perçue par Mme Dacier comme corrompue dès ses premiers balbutiements, peut être plus ou moins nocive, plus ou moins malade. Messala, interlocuteur du Dialogue de Tacite dont l'arrivée a fait dévier l'entretien sur la corruption de l'éloquence, fait le même constat. Aper, partisan des modernes, se réjouit de ce que l'éloquence dispose librement «des ornements de la poésie220 » ; Messala au contraire voit là le principal symptôme de la déchéance de cette

221 «reine de toutes les sciences : les arts n'ont plus leur lieu propre et l'éloquence est affublée des vêtements de la danse et du mime. «De là cette exclamation scandaleuse et impertinente, toutefois fréquente, que nos orateurs parlent langoureusement, que nos

222 mimes dansent éloquemment • C'est une question d'aptum: de lieu propre et de proportion.

218 Anne Dacier, Des causes ... op. cil., p. 87-88.

219 Idem., p. 2.

220 Tacite, Dialogue des orateurs, op. cil., p. 46.

221 Idem., p. 60.

222 Idem p. 53.

66 Jamais Mme Dacier n'aurait pris la parole contre un Desmarets de Saint-Sorlin ou un Perrault, ennemis inoffensifs, mais elle avoue à propos du discours de La Motte:

(qu'ill est mieux escrit que tout ce qu'on avoit fait avant luy contre Homere. Sa prose est legere, vive, specieuse; il accompagne ces vieilles critiques de nouvelles raisons; il convertit ces raisons en préceptes, et il parle d'un ton si affirmatif, que cette belle censure a imposé à un grand nombre d'ignorants. Que dis-je d'ignorants? Elle a surpris des gens sçavants, des gens dont la profession est d'estre hommes de lettres et mes me de les enseignern.

Cette prose « légère, vive, spécieuse» est pour ces raisons mêmes un « poison» dangereux pour la jeunesse «crédule et peu précautionnée », susceptible d'être «la dupe d'une fausse doctrine224 ». Tout le paradoxe est là : la parole empoisonnée de La Motte est éloquente. Mme Dacier évoque alors l'exemple de Socrate et condense sa lutte contre les sophistes et sa condamnation à boire la cigüe en un seul écho de sa propre entreprise: elle se bat contre un rhéteur à la verve empoisonnée, n'espérant comme salut que l'antidote de son éloquence à elle. Malgré ses prétentions, son traité ne s'adresse pas surtout à la jeunesse française, et la séduisante figure socratique ne sert qu'à construire l'ethos du sage, soumis aux exigences de la vérité, prêt à être condamné dans ce monde, car certain de sa victoire dans l'éternité. Socrate est une figure ancienne et païenne à laquelle Mme Dacier peut s'associer sans courir le risque de

225 violer les règles de la modestie • C'est là que les Modernes ont, à ses yeux, failli.

Mme Dacier fait une analyse morale de l'attitude des Modernes qu'elle veut

« redresser26 ». Elle se pose en pilote du navire à la dérive des novi de son temps, malheureux d'avoir« esté chercher ce rocher fameux par le naufrage de tous ceux qui y ont heurté; car je ne sçay par quelle fatalité Homere a esté dans tous les siecles l'écüeil

m Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 8. 2241dem., p. 10.

225 Suzanna van Dijk, loc. cit., p. 191-225.

226 Anne Dacier, Homère défendu ... , op. cit., p. 6.

67 de la réputation de tous ceux qui ont escrit contre luy227». Cette métaphore est importante, puisque le topos du naufrage est traditionnellement associé à la tempête des

228 passions • Homère est un rocher, solide, immobile, immuable, sur lequel se brisent les vagues de la critique. De même, dès que les hommes se sont détournés de l'étude des anciens, on «a veu des flots de méchants ouvrages inonder Paris & tout le

Royaume229 ». Elle dit vouloir« purger» le poète de tout ce que le R. P. Hardouin lui a « imputé si injustement230 ». Cet acte médical de ta catharsis doit libérer le R. P. de ses passions, de son imagination déréglée, amollie. Cette imagination malade traite comme de la cire des objets qui devraient être fermes. «La cire molle n'est pas plus obeissante à la main de l'Ouvrier, que les mots des Médailles sont obeissans à l'imagination du R. p.23I.» Aux idées de mort, de corruption, de copie qu'elle oppose à celles de vie, de pureté, d'original, elle ajoute ceux de rocher, de flots et de cire qui connotent le solide et le liquide; le résistant et le mou; l'immobile et le mobile. Ces oppositions paradigmatiques tracent une frontière étanche entre le monde corrompu et la pureté du père de la poésie.

Ainsi, Homère n'est pas de cire, mais de pierre: loin d'être malléable, il est au

232 contraire le moule originel. En cherchant à le modifier, on ne peut que le défigurer , comme on détruirait une statue en voulant lui donner une forme nouvelle. Toutes ces

233 statues nous ramènent à l'effigie de Glaucus, rendue célèbre par Platon • Rousseau,

227 Anne Dacier, Des causes ..., op. cit., p. 14.

228 Voir par exemple Sénèque, « La brièveté de la vie », Traités philosophiques, trad. F. et P. Richard, Paris, Garnier, s. d., p. 71. Sénèque parle de ceux qui ont l'illusion d'avoir longtemps vécu: « Dira-t-on qu'il a beaucoup navigué celui qu'une violente tempête a assailli à sa sortie du port I ... I? Il n'a pas beaucoup navigué, il a été fortement balloté ».

229 Anne Dacier, Des causes... , op. cit., p. 24.

230 Anne Dacier, Homère défendu ... , op. cit., p. 214.

231 Ibid., p. 35.

m Anne Dacier, « préface », loc. cit., p. XXXVII.

233 Platon, La République, trad. et éd. G. Leroux, Paris, Garnier-Aammarion, 2002, p. 508 (X. 61 Ic-61 Id) : «Ce que nous venons de dire au sujet de l'âme est vrai, telle qu'elle nous apparaît dans le

68 certainement le plus grand penseur de la corruption, reprend cette image dans sa préface au Discours sur l'origine de l'inégalité (1754):

Semblable à la statue de Glaucus que le temps, la mer et les orages avaient tellement défigurée qu'elle ressemblait moins à un dieu qu'à une bête féroce, l'âme humaine altérée au sein de la société par mille causes sans cesse renaissantes, par l'acquisition d'une multitude de connaissances et d'erreurs, par les changements arrivés à la constitution des corps, et par le choc continuel des passions, a, pour ainsi dire, changé d'apparence au point d'être presque 234 méconnaissable •

Rousseau reprend ici le topos de la tempête des passions, cause de la chute de 1'homme défiguré, méconnaissable. Cette citation de Rousseau met en évidence une topique de la corruption, dont Mme Dacier s'est faite l'intermédiaire.

Le malade La Motte, dont la traduction est « vicieuse235 », est plutôt atteint de vanité, au point d'avoir abandonné toute prudence: «Personne n'accusera M. De La M. d'estre scrupuleux, mais cette purgation de tout scrupule, qu'est-ce qui l'opere en luy, est-ce la ou la vaine opinion ?236 ». Houdar de La Motte est justement coupable d'avoir corrompu Homère comme les flots, symbole des passions, ont

237 corrompu la statue de Glaucus • S'il corrompt, c'est qu'il est lui-même corrompu.

présent. Nous l'avons considérée cependant dans un état qui se rapproche de la vision de G1aucos, le dieu marin: celui qui le verrait aurait bien du mal à distinguer sa nature originelle, car certaines des parties primitives de son corps sont fracturées, d'autres sont usées et complètement érodées par les vagues, tandis que d'autres parties se sont ajoutées, formées de coquillages, d'algues, de pétrification, de sorte qu'il ressemble plutôt à n'importe quel animal qu'à ce qu'il est naturellement. C'est ainsi que nous contemplons l'âme, dans un état où elle est sujette à une myriade de maux ».

234 Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 158. Rousseau et Mme Dacier, s'ils ne s'entendent pas sur les causes de la corruption, s'entendent sur l'idée. Voyez ce que Mme Dacier dit pour défendre les mœurs frustes décrites pas Homère: «ces moeurs anciennes durent encore dans des pays que le commerce des autres peuples n'a pas corrompus, ce qui est une grande marque qu'elles sont naturelles }}. Anne Dacier, Des causes... op. cit., p. 137.

235 Ibid., p. 13.

236 Ibid., p. 386.

237 Ibid., p. 13: «je prouveray qu'il a corrompu les plus beaux endroits d'Homère, qu'il a mal changé les caractères, qu'il a jetté un comique risible dans des endroits tres serieux, & enfin qu'il a retranché 1•.• 1des beautez que tous les siecles ont admirees }}.

69 Dans son traité, Mme Dacier met en scène un La Motte immoral: « mais l' orgüeilleuse ingratitude de l'Imitateur l'a emporté sur la modeste reconnoissance du Traducteur238 » ; et parlant d'une opinion de La Motte: « Et moy j'ose dire qu'elle est si fausse, si insensée & si extravagante, qu'il faut la trouver telle, ou renoncer à toutes les lumières de la raison239 ». On pourrait multiplier les exemples.

Bien que le Traité des Causes de la corruption du goust et l'Homère défendu contre l'apologie du R. P. Hardouin s'adressent respectivement à Houdar de la Motte et au R. P. Hardouin, Mme Dacier dit s'intéresser moins aux cas particuliers qu'à la corruption générale qui mine sa société. Les deux hommes ne sont que des exemples, d'autant plus regrettables d'ailleurs que ce sont des lettrés «estimables ». Sous le patronage de Tacite, elle accuse le roman et l'opéra, après avoir rappelé les causes plus générales de corruption que son modèle ancien avait identifiées: la mauvaise

240 éducation, l'ignorance des maîtres, la paresse et la négligence des jeunes gens • Tacite aussi avait nommé les responsables spécifiques de la décadence générale: « Mais les vices propres et particuliers à Rome me semblent mettre la main sur l'enfant presque dans le sein de la mère, je veux dire le goût du théâtre et la passion pour les combats de gladiateurs et les courses241 ». Dans les deux cas, c'est la fausseté et l'inutilité de la représentation qui sont mises en cause; de même, l'éloquence est corrompue parce qu'elle est devenue un masque pour une mise en scène sanglante. Sans son arme véritable, la connaissance, l'éloquence devient une forme vide. L'éloquence originelle était vigoureuse selon Tacite: l'éloquence corrompue est abstraite, ses sujets n'ont «aucun point de contact avec la réalité », ce n'est qu'un «fantôme242 ».

238 Ibid., p. 35.

239 Ibid., p. 39.

240 Ibid., p. 24.

241 Tacite, Dialogue des orateurs, op. cit., p. 57.

242 Tacite, Dialogue des orateurs, op. cit., p. . 63-64.

70 Au yeux de Mme Dacier, le roman et l'opéra sont coupables à différents niveaux: l'opéra en sa qualité de spectacle hybride, «licencieux» dont« la Poësie et la Musique également molles et effeminées communiquent tout leur poison à l'Ame, & relaschent tous les nerfs de l'esprit»; le roman parce qu'il est un «faux poëme épique », plein de «faux caracteres » qui métamorphosent « les plus grands héros de l'antiquité en Bourgeois Damoiseaux243 ». Nous retrouvons à l'œuvre certains éléments de la topique de la corruption: la mollesse efféminée, le poison, le relâchement, le faux qui redouble en déformant. Le roman surtout retient l'attention, en raison de son origine épique: il est une forme dégradée de l' epos, ce qui explique aux yeux de Mme Dacier son pouvoir corrupteur. Dans l'Antiquité déjà, le roman grec était perçu comme un héritier - sans connotation péjorative - de l'épopée, auquel il empruntait de

244 multiples motifs, ressorts dramatiques et stratégies littéraires • Les Aethiopiques par exemple, roman d'Héliodore, commencent in medias res, comme l'Odyssée. Pour

245 défendre les mœurs homériques, frustes et grossières aux yeux des Modemes , Mme Dacier a recours à cet argument: l'épopée contrairement au roman imite les mœurs sans les travestir: « le poète doit rendre exactement les mœurs telles qu'elles sont dans le temps qu'il designe, autrement son imitation sera fausse, & ses heros ne seront que des heros de Roman qui n'ont que le nom de ceux qu'ils représentene46 ».

243 Anne Dacier, Des Causes ... , op. cit., p. 24-25.

244 Voir. Tomas Hligg « The Literary Pedigree of the Novel », The Novel in Antiquity, Oxford, Basil Blackwell, 1983, p. 109-124.

245 Voir Houdar de la Motte, «Discours sur Homère », loc. cit., p. 193: «Aussi les critiques les plus hazardeux n'ont jamais avancé, que je sçache, qu'il y eût de la faute d'Homere ; on s'est contenté de dire que son siecle étoit grossier, et que par là, la peinture en étoit devenue desagréable à des siecIes plus délicats. Quelques adorateurs d'Homere ne sont pas contens de cette distinction: on a grand tort, disent­ ils, d'appeller grossiers ces tems heroiques, où le luxe n'avoit point encore corrompu les moeurs, et où 1'homme joüissant innocemment des vrais biens, n'avoit point encore imaginé ces fausses grandeurs, ni ces fausses richesses dont la cupidité s'est avisée depuis. »

246 Anne Dacier, « préface », loc. cit., p. XIX.

71 Pierre-Daniel Huet, évêque d'Avranches et ami de Mme Dacier avait publié en 1669 un traité de l'origine des Romans. Dans une réédition de la fin du XVIW

247 siècle , l'éditeur introduit ainsi le traité:

J. J. Rousseau a dit que les Nations corrompues ont besoin de Romans, comme les malades ont besoin de remedes. Il vaudrait beaucoup mieux, sans doute, qu'elles pussent se passer de ces palliatifs; mais, puisqu'à la fin du dix-huitième siècle nous sommes pour le moins aussi corrompus que nos ancêtres; puisqu'il est nécessaire que nous ayons des Romans, on trouvera certainement utile et même indispensable de connaître leur origine.

248 La précaution oratoire à l'égard des romans corrupteurs est persistante • Houdar de la Motte, dans ses Reflexions sur la critique, se défend de son goût pour le roman en attaquant celui de sa rivale pour le «Cynique Aristophane249 ». Mais forte d'une tradition qui discrédite le roman, genre mineur et bas, Mme Dacier se compare aux héros épiques:

comme dans Homere les guerriers les moins braves et les plus foibles deviennent hardis et forts quand ils sont appuyez par quelque divinité, je suis à peu prés comme ces guerriers, je sens que j'ay prés de moy un secours plus sûr que celuy des dieux d'Homere, et qui ne me manquera pas dans cette occasion. Avec ce secours j'entreprendray de combattre un si terrible adversaire, et d'examiner son discours et son poëme; et d'ailleurs fortifiée par tout ce que l'antiquité me fournit, j'espere de faire voir d'une maniere tres sensible et tres intelligible, que tout le discours roule sur de faux principes, que la critique des passages d'Homere, qu'il a rapportez, est frivole, et qu'il regne par-tout un certain esprit tres capable de nuire aux belles lettres et à la poësie ; et qui a desja donné lieu aux estrangers de nous reprocher que nous dégenerons de ce bon goust 250 où nous estions heureusement entrez dans l'autre siecle •

247 Pierre Daniel Huet, Traité de l'origine des romans, Paris, L. M. Desessarts, an VII (1798).

248 Sur le roman corrupteur, voir Henri Coulet, « Le Topos du roman corrupteur dans les romans francais du XVIIIe siècle », dans L'Epreuve du lecteur: Livres et lectures dans le roman d'Ancien Regime, éd. J. Herman, P. Pelckmans, N. Boursier, Louvain, Peeters, 1995, p. 175-90.

249 Houdar de la Motte, « Réflexions sur la Critique », lac. cit., p. 276.

250 Anne Dacier, Des Causes ... , op. cil., p. 11-12.

72 Mme Dacier se montre bien belliqueuse pour une partisane de l'éloquence pure et réglée de la république tacitéenne. C'est que, qui dit corruption dit compromission. Comment Mme Dacier pourrait-elle échapper à la destinée universelle? En admettant qu'elle soit immaculée, comment pourrait-elle s'adresser à un public corrompu sans toucher de ses mains les outils souillés qui permettent la communication entre les hommes? Si la dimension théorique des traités de l 'helléniste reprend une topique de la corruption qui repose sur des oppositions tranchées - on est soit pur, soit corrompu -, sa pratique rhétorique ne saurait être fidèle à ses chastes principes.

73 LES ARMES : LA PRATIQUE POLÉMIQUE DE MME DACIER

Mme Dacier ne prêche pas dans le désert. Elle doit guérir un public malade, empoisonné par le venin romanesque et les miasmes de l'opéra. Il lui faut toucher les mondains, tout-puissants à l'époque, leur tendre la main, dût-elle la souiller. Comme le médecin saigne le corps du malade, Mme Dacier purge l'âme des honnêtes gens grâce à une parole virile qui redonne sa fermeté à l'éloquence corrompue de son temps. La guérison passe inévitablement par la persuasion, c'est-à-dire par la rhétorique. Aussi Mme Dacier est-elle prisonnière d'un cercle vicieux, puisque cette discipline souffre du même mal que les Modernes qui, entraînés par leur goût corrompu, entreprennent le procès du pilier de la République des lettres: Homère. C'est de cette ancienne république, où régnait le savoir érudit, qu'elle parle encore, mais c'est aux honnêtes gens, qui préfèrent le salon au cabinet, qu'elle s'adresse. Elle doit donc, comme elle l'a déjà fait pour sa traduction de l'Wade parue en 1711, sortir de sa tour d'ivoire et faire

251 des concessions au goût corrompu : « [oln voit bien Mme Dacier à mi-chemin entre une attitude traditionnelle et un parti-pris nouveau, mais plus attachée, à vrai dire, à la première qu'au second. C'est la première occasion que nous avons de constater dans son esprit d'érudite une division, ce ne sera pas la dernière252 ». Cette division n'est pas résolue à l'époque de la Querelle d'Homère, où son ambivalence face au genre polémique et sa pratique rhétorique révèlent à la fois la distance prise avec la

251 Voir Noémi Hepp, op. cit., p. 632; «Un provincial languedocien ou dauphinois, un chartreux retiré du monde peuvent échapper à la contamination du goût mondain, voir très simplement Homère et le traduire sans concession ou presque à leur temps, à condition de laisser leurs ouvrages dans leurs cartons. Une Madame Dacier, si fervente qu'elle soit pour son poète, et à cause même de la ferveur qui la poussera à publier, ne le pourra pas. »

252 Ibid., p. 640. corruption du monde, hic et nunc, mais aussi une certaine compromission avec elle. Cette compromission s'explique d'un côté par le fait que Mme Dacier doit convaincre un public au goût corrompu et, de l'autre, par le caractère contaminé de l'éloquence.

Bien qu'elle prétende le contraire à des fins rhétoriques (captatio benevolentiae) - «mais pour ne pas faire de cet ouvrage un de ces ouvrages purement polemiques, et que je hais parce qu'ils me paroissent plus propres à divertir les lecteurs qu'à instruire, je tascheray de me tirer de cette voye commune de dispute, et de faire une espece de traité253 » -, Mme Dacier a recours au registre polémique. Plus soucieuse de l'utile que de l'agréable, elle donne au public un texte à mi-chemin entre le traité et la dispute. Elle prend publiquement la parole pour défendre le poète grec, que sa traduction a rendu accessible aux honnêtes gens, et à Houdar de la Motte lui­ même, ce qu'il se fait d'ailleurs un plaisir de rappeler:

En un mot, ou Mme Dacier n'a pas rendu Homere, ou je l'entends comme elle, eu égard au fond des choses; et quand même elle ne l'auroit pas rendu, mes remarques auroient encore un objet réel, puisqu'elles tomberoient du moins sur sa traduction dont je m'appuye toûjours. ( ... 1On croit que je juge du grec, tandis que je ne juge que du françois de Mme Dacier254.

Houdar de la Motte a non seulement outragé le poète par son adaptation de l' Wade, par 1'« essai poétique» qui précède l'ouvrage et finalement par la planche où, en « teste de son livre 1... 1, Homere conduit par Mercure, vient luy remettre sa lyre, luy avoüer que tout n'est pas précieux dans son poëme, et le prier de choisir, de retrancher tout ce qu'il y a de deffectueux, et de le mettre en estat de ne plus ennuyer, et de plaire255 », mais soutient en plus que c'est la traduction même de Mme Dacier qui a servi de modèle à son œuvre « gastée ». Paradoxalement, l'innocente ambition de la traductrice a nourri la témérité de son adversaire: « Idlepuis que je me suis amusée à

253 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 14.

254 Houdar de la Motte, « Réflexions sur la Critique », loc. cil., p. 280.

255 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 115.

75 écrire et que j'ai osé rendre publics mes amusements, j'ai toujours eu l'ambition de pouvoir donner à notre siècle une traduction d'Homère256 ». Mme Dacier évoque en une

257 phrase certains topoi qui ont marqué les premiers écrits de femmes , de même au reste que toutes les œuvres dont la légitimité paraissait problématique aux yeux de leurs auteurs: le caractère« récréatif» de l'écriture et l'audace de la publication.

Pour se dissocier de l'ouvrage «dangereux» et fallacieux de La Motte, elle entreprend de défendre Homère, et incidemment sa traduction, en attaquant l'épigone de Fontenelle. La dynamique polémique exige en effet que la·défense se double d'une attaque. Cet impératif stratégique dédouble le texte: que ce soit sous forme de lettres, de dialogues ou encore de citations (dans le cas du traité), il faut sans cesse réactiver la parole hostile pour justifier sa propre agressivité. On ne peut se contenter de se défendre - ce serait se replier -, il faut attaquer en citant son adversaire. L'auteur:

doit prendre en considération une stratégie adverse, occuper donc, en termes de métaphore spatiale, deux terrains et, dans une tactique idéale, « battre l'adversaire sur son propre terrain », démontrer que son argumentation englobe et domine l'adversaire, tout 'en rendant compte de ses insuffisances ( ... j La présence virtuelle du contre­ discours et la navette qui s'établit entre l'adversaire et l'auditeur neutre produit dans le texte des symptômes spécifiques, figures dialogiques recensées par les rhétoriques anciennes: sermonication, concession, prosopopée, communication, subjection. Divers moyens visant à ironiser le discours adverse en même temps qu'on le réfute 258 font leur apparition •

256 Elle reprendra ce topos dans Ses Causes de la corruption du goust, mais cette fois en soulignant la polarité qui se crée entre son érudition et ses devoirs. Elle accorde la primauté à ces derniers ~ pourtant, à voir sa production, on peut, à bon droit, être sceptique: « Et quelqu'un a fort bien dit que le Sçavant est le Dieu de l'Ignorant. Qu'on ne m'accuse point de parler ainsi pour moi: je n'ai jamais prétendu à ce Sçavoir qui rend respectable, je ne me suis jamais amusée à lire ou à escrire que pour me délasser des occupations que les femmes doivent regarder comme leur principal & leur plus indispensable devoir. Mais j'honore, je respecte les veritables Sçavants, ces véritables personnages qui par leurs lumières éclairent tous les hommes dans tous les temps.» Ibid., p.324.

257 Voir par exemple Christine de Pi zan et al., Le débat sur Le roman de la rose, Paris, Slatkine Reprints, 1996, p. 5.

25R Marc Angenot, op. cit., p. 35-36.

76 Le Traité des Causes de la corruption du Goust ne dément pas cette description. Si le fait que Mme Dacier cite in extenso ses adversaires a souvent été perçu comme une faiblesse au plan de l'argumentation, il semble, à la lumière des exigences structurelles du registre polémique, qu'il s'agisse au contraire d'une stratégie qui vise à rendre l'adversaire présent, à construire son texte comme un «dialogue », tout en exerçant un contrôle serré sur le discours de l'autre. Car il est parfois périlIIeux de citer autant un adversaire.

« La citation est (toujours! un corps étranger259 » dont il faut se prémunir par les

260 guillemets • «Je mets entre guillemets comme plourl mettre, non tant en évidence,

261 qu'en accusation • » Platon comme Aristote reconnaissent à la citation un pouvoir proche de celui de la représentation. «Pour Platon, c'est le pouvoir de la mimésis en général: un maléfice; pour Aristote, c'est par exemple le pouvoir de la catharsis propre à la tragédie: un bienfaif62.» Mme Dacier est aristotélicienne: elle cite son adversaire pour purger son discours. En relisant Houdar de la Motte à travers le stylet dacéen, on doit craindre autant que plaindre. Elle a d'ailleurs recours à la topique de la maladie pour décrire la corruption des Modernes: «peste si contagieuse263 »;

« relaschement des nerfs264 ». Citer est un acte médical qui demande des précautions, comme celui de bien marquer la citation pour ne pas contaminer son propre texte. Madame Dacier n'utilise pas les guillemets, elle compose plutôt en italique les textes cités, ce qui a visuellement pour effet d'isoler clairement le discours rapporté. L'usage de la citation chez Mme Dacier est une mise en quarantaine. Loin du «rocher fameux» qu'est Homère, les Modernes sont encerclés par des flots qui les isolent et

259 Antoine Compagnon. op. cit., p. 31.

260 Invention du XVIe siècle (1527) désignée par ce nom au XVII" siècle (1677) probablement d'après le nom ou le prénom de son inventeur (Guillaume).

261 Paul Valéry, Cahiers, cité par Antoine Compagnon, op. cit., p. 47.

262 Antoine Compagnon, op. cif., p. 106.

263 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 29.

264 Ibid., p. 27. 77 préservent le texte homérique. Le texte de La Motte est comme noyé par celui de Mme Dacier et des autorités qu'elle cite. Sur la terre ferme, cet usage prend la forme de la forteresse.

La propriété majeure du texte 1... 1 à régulation interne, et le caractère manifeste auquel il se r~onnaît dès le premier coup d'œil, c'est sa compacité, corollaire de l'unité et de la cohésion exigées de lui sous l'empire d'un auteur. L'élan, la grande mobilité de l'écriture du xvr siècle, exemplaires chez Montaigne, sont désormais contenus. Le texte fait corps, il se ramasse, il se referme sur lui-même, comme une ville fortifiée par Vauban 1... 1. C'est un espace en équilibre, clos sur des frontières rigides et des instances 265 d'énonciation bien découpées •

Madame Dacier critique les défaillances de l'Académie, «ce corps si celebre, qui doit estre le rempart de la langue, des lettres, et du bon gouse66 » et se substitue à elle pour défendre Homère. Elle devient son enceinte et se dit « fortifiée par tout ce que l'Antiquité lIui 1fournif 67».

Il peut sembler paradoxal de citer autant un discours qu'on voudrait purger au point de le faire disparaître, puisqu'en le citant, on lui redonne un nouvel espace, une

268 seconde vie. La citation relève de la répétition , phénomène qui nous ramène à celui de la copie corruptrice que nous avons évoqué dans notre 2e chapitre. En citant sans cesse Houdar de la Motte, Mme Dacier nous donne une version corrompue des originaux (déjà corrompus) de son adversaire. Pour guérir son public, Mme Dacier doit d'abord le convaincre qu'il est malade en accentuant les traits de la maladie, en les soulignant. La citation relève de la stratégie, mais aussi de la compromission, puisque citer revient à copier. En fait, son idéal est platonicien, mais sa pratique est aristotélicienne.

265 Antoine Compagnon, op. cit., p. 328.

266 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 32.

267 Ibid., p. 12.

268 Voir Antoine Compagnon, op. cil., p. 50 sq. 78 Mme Dacier associe d'elle-même son entreprise à l'lliade en se comparant aux héros homériques. Homère, à qui Héraclite reprochait d'avoir fait de la discorde le moteur de l'action épique de l' lliade, met dans la bouche du belliqueux Achille des paroles ambiguës:

Ah ! qu'il périsse donc, chez les dieux comme chez les hommes, cet esprit de querelle, ce courroux qui induit l'homme en fureur, pour raisonnable qu'il puisse être, et qui semble plus doux que le miel sur la langue, quand, dans une poitrine humaine, il monte comme une fumée269.

Le héros plein de regrets décrit l'ivresse de la discorde. La fureur, le miel (traditionnellement associé au vin) et la fumée évoquent l'état inspiré -que décrira Platon en l'associant à une dépossession de soi: l'homme se vide de sa substance pour laisser entrer le dieu en lui. De même, celui qui polémique peut perdre le contrôle de

sa parole et se laisser emporter par elle. « Il y a apparence que toutes ces phrases lui IMme Dacier 1 sont échappées comme un style polémique, sans qu'elle y fit assez d'attention270 », dira Houdar de la Motte pour habilement excuser son adversaire. Dans

le 1er chant de l' /liade, Achille, conseillé par Athéna, avait préféré la querelle verbale au régicide: « Allons, clos ce débat, et que ta main ne tire pas l'épée. Contente-toi de mots 1... 1 Contiens-toi et obéis-nous271 ». La déesse intervient ici pour réfréner la violence d'Achille qui pourrait oublier son rang et le respect qu'il doit à son chef. En choisissant la polémique, Achille se retire du combat et n'y retournera que lorsque le contentieux avec Agamemnon aura perdu son sens, à la mort de Patrocle: que vaut Briséis à côté de l'ami de toujours?

Celle qui se dit «très paresseuse & très pacifique, & là qui Ile seul nom de guerre fait peur72 » ouvre son Traité des causes en comparant l'entreprise des

:X>'} Homère, /liade, trad. et éd. P. Mazon, op. cit., t. III, p. 171.

270 Houdar de la Motte, « Réflexions sur la Critique », lac. cU., p. 275-276.

271 Homère, /liade, trad. et éd. P. Mazan, op. cit., t. 1, p. 11-12.

272 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 4. 79 273 Modernes à celle des Géants qui, selon les traditions posthomériques , se rebellèrent contre Zeus et les dieux de l'Olympe. Mais les Modernes sont petits: à cause de leur démesure, la Querelle des Anciens et des Modernes n'est qu'une imitation ratée de la Gigantomachie.

Homere en parlant de la guerre que les géants déclarerent aux dieux, dit que ces enfants de la terre menacerent les immortels de porter la guerre jusques dans le ciel; et qu'afin de pouvoir l'escalader, ils entreprirent d'entasser le mont Ossa sur l'Olympe, et le mont Pelion sur le mont Ossa. ( ... J Cette taille énorme et cette force invincible justifioient en quelque sorte leur ambition, et servoient d'excuse à leur temerité. On ne voit que trop que cette force excessive est ordinairement accompagnée de violence, d'injustice et d'emportement, et qu'elle regarde la pudeur, la modestie et la raison comme le partage des foibles. Cette guerre donc ne parut pas trop surprenante: mais si on avoit vû des pygmées faire la mesme entreprise, il n 'y a personne qui ne s'en fust mocqué, et jamais Homere n'auroit ajoûté ce trait hardi, ils l'auroient fait sans doute: car c'est une maxime sûre, et dont tous les hommes conviennent, qu'il faut tousjours que nos forces soient proportionnées à nos desseins. Ce qui auroit paru si ridicule dans ces temps heroïques, c'est ce qui arrive aujourd'huy, et qui est mesme plus risible. Tous les geants, j'appelle ainsi tous les grands hommes depuis vingt-cinq ou vingt-six siecles, bien-loin de déclarer la guerre à Homere, l'ont honoré, l'ont respecté, l'ont reconnu generalement pour Ie"pere de la poësie; mais depuis cinquante ans il s'est élevé, je ne dis pas des pygmées, mais des hommes tres mediocres, qui sans autres armes que leur temerité, car il n'yen a pas un seul qui ait sçeu Je grec, ont 274 levé l'estendard contre ce grand poëte •

Dans le récit mythique, c'est Héraclès qui vient au secours des dieux de l'Olympe. À la lumière de cet épisode du mythe, la distribution du drame épique qui secoue la République des lettres devient plus claire: les Modernes sont des pygmées qui se prennent pour des Géants; les Anciens sont les véritables Géants; Homère s'apparente aux Olympiens; et Mme Dacier à Héraclès. Évidemment, l'helléniste tord un peu le mythe, car les Géants, dans l'Antiquité, symbolisaient l'hubris et la barbarie.

~73 Voir Hésiode, Théogonie, v. 123 sq.

274 Anne Dacier, Des causes... op. cit., p. 1-3.

80 Il est étrange que Mme Dacier compare les partisans d'Homère aux Géants qu'elle vient tout juste de décrire comme des êtres téméraires et violents. En fait, elle les décrit comme des géants pacifiés, qui «bien-loin de déclarer la guerre à Homere, l'ont honoré ». Il semble qu'il y ait à l'origine une violence contenue, réprimée. Homère, quoi qu'en pensent les Modernes, est un poète civilisateur. Cette pacification des géants n'est pas sans rappeller le principe qui a présidé à la conception de l'art rhétorique. N'est-il pas, lui aussi, une parole hostile maîtrisée et raisonnée?

La rhétorique syracusaine est née au tribunal et découlait d'une conception nouvelle de la justice qui voulait remplacer l'action tyrannique de la vengeance par une mise en scène parlée du conflit. «Ainsi suivant Aristote, ce fut seulement après l'abolition de la tyrannie en Sicile, que les procès, longtemps réglés par les tyrans, furent de nouveau soumis à des tribunaux réguliers et que 1... 1 Corax et Tisias composèrent une théorie de la rhétorique275 ». Cette proto-rhétorique, essentiellement pragmatique, mettait en péril la raison en soulignant «la scission des res et des

verba276 ». À la parole, devenue action, tous les coups étaient permis, quitte à tordre la vérité. La praxis sans theoria solide pour la réguler répétait l'ancienne tyrannie de la force. C'est pour contrer cette parole agressive, sauvage et dangereuse qu'Aristote développe une théorie complexe de la rhétorique. Doit-on se surprendre que les théoriciens grecs et latins n'aient rien laissé sur ce qui relèverait du «genre» polémique, puisque cette parole indomptée précèderait la véritable rhétorique? «La position de la rhétorique romaine, juridique et institutionnelle, est encore plus nette. Elle est fonctionnellement conçue pour exclure le mode polémique des échanges

régulés de la parole sociale et politique277.» Pourtant, nous avons vu chez Tacite que l'éloquence, juridique notamment, est associée à la guerre. Ce n'est pas seulement le rhéteur corrompu chez Tacite qui est comparé au soldat, c'est l'orateur idéal qui « doit

275 Cicéron, Brutus, op. cit., p. 16.

276 Gilles Declercq,« Rhétorique et polémique », dans La parole polémique, Loc. cit., p. 18.

277 Ibid., p. 17.

81 arriver au forum armé de toutes ses connaissances, comme le soldat à la bataille pourvu de toutes ses armes278 ». Chez Tacite, il s'agit évidemment d'une comparaison et il condamne en outre la« controverse », pure polémique qui n'a «aucun point de contact avec la réalité279 ». La controverse n'est que verba. Rien ne justifie alors le recours à une certaine forme de violence.

L'histoire antique de la rhétorique peut se lire comme une pacification progressive: la violence des Tyrans de Syracuse est remplacée par la rhétorique de Corax, encore pétrie de l'agressivité de son modèle, qu'Aristote et ses successeurs essaient de désarmer par l'usage de la raison. « Au point de rencontre de la puissance dangereuse de l'éloquence et de la logique du vraisemblable se situe une rhétorique que la philosophie tient sous surveillance. C'est de ce conflit intime entre la raison et la

violence que l 'histoire de la rhétorique a produit l' oubli280 ».

Dans l'Antiquité, l'association entre une forme de violence verbale et la guerre relève de la comparaison (analogie) ; au XVIe siècle, l'invention du terme polémique fait de la joute verbale ou écrite une métaphore de la guerre (substitution). La parole agressive devient consciemment guerrière et réintègre le champ de la rhétorique. Sous sa forme adjective, le terme polémique apparaît dans la locution «chanson polémique» au XVIe siècle; puis Agrippa d'Aubigné forge le substantif en 1578, dans Les Tragiques, pour désigner une œuvre de jeunesse (qui ne figure pas dans les manuscrits). «J'ai encore par devers moi deux livres d'Epigrammes françois 1.. 1 et puis des Polémicques en diverses langues281 ». L'adjectif comme le substantif sont dérivés du grec p6lemos et polemik6s qui désignent chez Homère la guerre ou les

278 Tacite, Dialogue des orateurs, op. cit., p. 60.

279 Ibid., p. 64.

280 Paul Ricoeur, La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 17 cité par G. Declercq, « Rhétorique et polémique », dans La parole polémique, loc. cil., p. 18.

281 Agrippa d'Aubigné, «Aux lecteurs », Les Tragiques, dans Œuvres, éd. H. Weber, Paris, Gallimard, 1969, p. 8. 82 qualités belliqueuses des guerriers. «Usage social de la parole 1... 1, dimension constitutive des rapports humains et de l'exercice de la pensée282 », la polémique:

suppose une conception de la parole guerrière. Apparu dans les guerres de religion, il signale la poursuite du combat« avec d'autres armes» 1... 1. À l'origine, il s'applique spécialement aux ouvrages de controverse en matière de théologie, à la dispute sur le dogme. Lui aussi va prendre, au XVIIe siècle et ultérieurement, une extension de plus en plus large pour désigner enfin toute dispute 283 d'idée, tout écrit qui soutient une opinion contre une autre •

Certes, le mot n'invente pas le fait: les luttes écrites existent depuis l'Antiquité, particulièrement dans la domaine religieux et c'est d'ailleurs dans le cadre du schisme protestant que d'Aubigné forge ce terme. Même la célèbre querelle du cicéronianisme s'est doublée

d'une polémique religieuse, puisque ce sont le Sud, catholique, romain et cicéronien, et le Nord, réformiste et érasmien qui s'opposent avant de s'affronter. Cette superposition des querelles ne doit rien au hasard: attaquer la langue des puristes cicéroniens comme le fait Érasme en 1528, c'est en un sens remettre en cause le prestige de la langue de la Curie romaine ( ... J et partant miner 284 l'éminence de la parole pontificale •

Dans l'Antiquité chrétienne, les controverses religieuses étaient légion. Nous avons vu dans notre premier chapitre comment les dictionnaires français associent l'hérésie et la corruption: nous allons maintenant voir comment, dès l'Antiquité, l'hérésie et le registre polémique sont liés. Pour saint Jérôme, la menace de l'hérésie justifie l'usage d'une parole polémique. Dans sa lettre 49, il expose « une théorie très

282 La parole polémique, op. cil., quatrième de couverture.

283 Marc Angenot, op. cil., p. 378-379.

284 Michel Magnien, « Singer Cicéron ou braire avec Apulée », dans La parole polémique, lac. cil., p. 447.

83 affinée de la parole polémique. Signe que ce type d'écriture est non seulement reçu par lui comme acceptable, mais même justifié dans une optique résolument chrétienne285 ».

Le champ est ouvert, l'armée opposée fait front, l'opinion de l'adversaire est manifeste. [ ... 1 C'est une méthode facile de dicter aux combattants ses coups depuis le mur où l'on est à l'abri r... 1 Je n'accepte pas cette forme de lutte où tu ne fais que te protéger toi­ même, où ta main droite reste inactive, tandis que ta main gauche manie de tous côtés le bouclier (49, 12)286.

Saint Jérôme accepte de souiller ses mains du sang ennemi. L'encre coule à chaque coup. Kant a les mains pures, mais il n'a pas de mains dira Peguy. Pour agir, il faut nécessairement les salir. Saint Jérôme aurait été d'accord avec le principe. L'invention du mot polémique au XVIe siècle accentue simplement la conception proprement militaire de cette écriture. À la fin de l'âge féodal, qui voit à la fois l'émergence d'une noblesse de lettres et la. progressive soumission des nobles au pouvoir centralisé, la polémique écrite devient la seule façon de faire la guerre à l'intérieur du royaume: les nobles désarmés et pacifiés feront leurs armes à la cour, en conversant; les érudits, dans la République des lettres naissante.

À cette association entre polémique et hérésie, il faut ajouter l'importance de l'idée de corruption dans quelques grandes polémiques. Au Ive siècle av. J.-c., l'accusation de corruption politique est au cœur du conflit qui déchira Athènes: Eschine, partisan de Philippe et porteur d'un idéal panhellénique inébranlable, et Démosthène, qui produisit à cette occasion Les Philippiques, s'accusaient mutuellement de corruption. Le débat se cristallisa autour des deux ambassades qui furent envoyées à Philippe pour signer la paix avec Athènes. Dans le cas de la querelle du cicéronianisme, c'est la pureté de la langue latine qui est en jeu. Plus spécifiquement, le débat porte sur les« modalités de l'imitation» : donne-t-elle lieu à

2K5 Bruno Bureau et Blandine Colot, « La philosophie païenne dans la polémique chrétienne », dans La parole poLémique, Loc. cit., p. 93.

286 Saint Jérome, cité par Bruno Bureau et Blandine Colot, ibid., p. 94.

84 l'invention d'un latin propre à chaque auteur ou à la corruption de la langue de Cicéron, érigée en modèle parfait par le parti romain. Des auteurs, comme Guez de Balzac, qui

287 tente d'assouplir la rigueur des modèles antiques, sont accusés de corruption • Dans la Querelle d'Homère qui nous intéresse plus particulièrement, c'est Mme Dacier qui impose dàns le débat la notion de corruption esthétique et morale. En somme, l'idée de corruption, si elle n'est pas au cœur des toutes les querelles, semble être un argument topique important et souvent même un enjeu, surtout dans les conflits qui opposent des Anciens et des Modernes.

Plusieurs grands débats écrits précèdent la Querelle d'Homère et font de la polémique un genre achevé à l'époque de Mme Dacier: la querelle du Cid, celle des Imaginaires, celle des Anciens et des Modernes, le débat entre Jansénistes et Jésuites

288 qui avait donné lieu à la publication des Provinciales , etc. Pascal donne à la polémique sa facture littéraire et décrit bien la part que le public peut prendre dans le débat: «Vos deux lettres n'ont pas été pour moi seul. Tout le monde les voit, tout le monde les entend, tout le monde les croit. Elles ne sont pas seulement estimées par les théologiens; elles sont encore agréables aux gens du monde, et intelligibles aux femmes mêmes289». Avec Pascal, le débat théologique est devenu un spectacle: la dispute religieuse entamée par Arnaud et Nicole, censée reposer sur des arguments logiques, implique de plus en plus une activité rhétorique complexe et belliqueuse que Pascal justifie dans la« onzième lettre» en s'appuyant sur les Pères de l'Église. Il cite Tertullien pour justifier sa pratique:

Ce que j'ai fait n'est qu'un jeu avant un véritable combat. J'ai plutôt montré les blessures qu'on vous peut faire que je ne vous en ai fait. Que s'il se trouve des endroits où l'on soit excité à rire, c'est parce que les sujets mêmes y portaient. Il y a beaucoup de choses qui

287 Voir Emannuel Bury, « Un modèle antique de l'art du pamphlet: Lucien », dans Ordre et contestation au temps des classiques, loc. cit., p. 10-11.

288 Voir Laurent Thirouin, «Les Provinciales comme modèle polémique: la querelle des Imaginaires, dans Ordre et contestation au temps des classiques, loc. cit., p. 75-92.

289 Pascal, Les Provinciales, Paris, Garnier, 1965, p. 36.

85 méritent d'être moquées et jouées de la sorte, de peur de leur donner du poids en les combattant sérieusement. Rien n'est plus dû à la vanité que la risée; et c'est proprement à la vérité à qui il appartient de rire, parce qu'elle est gaie, et de se jouer de ses ennemis, parce qu'elle est assurée de la victoire. Il est vrai qu'il faut prendre garde . que les railleries ne soient pas basses et indignes de la vérité. Mais, à cela près, quand on pourra s'en servir avec adresse, c'est un devoir que d'en userw.

Pascal se moque, puis s'étonne ironiquement de recevoir des coups sous forme d'injures (<< douzième lettre »). Les attaques ad hominem constituent un ressort du genre polémique classique: les plus habiles contournent cette violence verbale explicite en la dissimulant sous l'ironie et le sarcasme. Mme Dacier, aux yeux de ses adversaires, a failli en recourant abondamment à ce type d'attaque directe.

Le cadre polémique et le rythme de publication intense des années 1714-1716291 peuvent expliquer la tonalité belliqueuse du Traité des Causes de la Corruption du Goust, que les adversaires de l 'helléniste relèvent et, dans une certaine mesure, condamnent. Mme Dacier est une véritable ancienne: dans ses objets et dans sa manière. Elle s'associe à l'érudition savante de la Renaissance et argumente à la façon humaniste. Au contraire, Houdar de la Motte, épigone de Fontenelle (qui a inventé la vulgarisation pour faire sortir la science des Académies et la faire entrer chez les gens

~9() Ibid., p. 199.

291 Houdar de la Motte publie son lliade abrégée en 1714 et échange avec Fénelon des Lettres sur Homère et sur les Anciens; Mme Dacier répond (Des Causes de la corruption du goût) la même année; toujours en 1714 sont publiés La Lettre de l'abbé de Pons à Monsieur*** sur l'/liade de La Motte ainsi que Le Chef-d'Œuvre d'un inconnu de Saint-Hyacinthe; en 1715, ce même auteur adresse à Mme Dacier la Lettre et seconde lettre à Mme Dacier sur son livre « Des cause de la corruption du goût» ; cette année voit aussi la publication posthume des Conjectures académiques ou Dissertations sur l'lliade de François Hédelin, abbé d'Aubignac, qui conteste l'existence d'Homère; des Réflexions sur la Critique de Houdar de la Motte; de la Dissertation critique sur l'/liade d'Homère de J'abbé Terrasson; de l'Apologie d'Homère et bouclier d'Achille de Jean Boivin; de Homère en arbitrage du père ; du pamphlet de François Gacon, Homère vengé ou Réponse à M. de la Motte sur l'/liade; en 1716, l'abbé Jean Hardouin publie son Apologie d'Homère qui lui vaut l'Homère défendu contre l'Apologie du Père Hardouin ou Suite des Causes de la corruption du goût de Mme Dacier, la même année; finalement, Étienne Fourmont publie l'Examen pacifique de la querelle de Mme Dacier et de Monsieur de la Motte sur Homère et les deux belligérants se réconcilient le 5 avril dans le salon de Mme de Lambert.

86 du monde), est un mondain, assidu du salon de Mme de Lambert: son dessein est qu'Homère quitte le cercle savant pour intégrer celui des honnêtes gens. Son adaptation de l'Wade et son œuvre critique sont déterminées par l'espace auquel il appartient. Le réformateur d'Homère est d'ailleurs dans le camp des vainqueurs, puisque les mondains polis gagnent tous les jours du terrain sur les savants. À partir des années 1710, il faut compter avec les salons, et notamment celui de Mme de Lambert, qui devient «l'antichambre de l'Académie292 ». Cette évolution renouvelle la modalité des échanges qui prennent place dans l'espace intellectuel: le ton pédant, viril et ouvertement polémique cède le pas à la conversation, ironique et mondaine.

Mme Dacier polémique à outrance parce qu'à travers Homère, c'est elle qui a été attaquée:

Il traite trop mal Homere, & il m'attaque sans ménagement. Véritablement il ne me nomme pas, mais c'est pour n'être pas obligé de dire à une femme une politesse qu'elle ne mérite point, & il m'a tellement désignée, qu'il ne m'est pas permis de dissimuler. 293 Je ne suis pas son exemple, je le nomme •

Éprise d'honneur, intransigeante, Mme Dacier défend une cause comme un noble défendrait son nom: en duel, mode d'échange sur lequel nous reviendrons bientôt. Encore faudrait-il que son adversaire comprenne cette conception polémique passée de mode. Mais tout, chez le poli Houdar de la Motte, nous éloigne de Scudéry, opposé à Corneille dans la Querelle du Cid, « qui a le premier offert à la querelle une scène fictive, celle de la République des lettres. Scène à la fois juridique, académique et aristocratique, voire féodale, elle emprunte ses références au modèle de la disputatio,

~9~ Dictionnaire des Lettres françaises. Le XVIII" siècle, dir. F. Moureau, Paris, Fayard. 1995, p. 677.

~93 Anne Dacier, Homère défendu ... , op. cil., p. 5. 87 au code juridique et à celui de l'honneur aristocratique294 ». Or, Mme Dacier compte encore avec ces modèles. Son vis-à-vis le perçoit assez pour sans cesse distinguer sa façon de faire de celle de sa rivale: il y a deux sortes de publics, deux sortes d'auteurs et deux sortes d'injures.

Il Y a de deux sortes d'injures usitées dans les contestations des gens de lettres: les unes toutes cruës, et telles que la passion les suggere d'abord, les expressions les plus naturelles du mépris et de la colere, des démentis en forme, des reproches directs d'impertinence et d'absurdité, et mille autres formules aussi polies. La plûpart des sçavans des derniers siécles n'en étoient point avares, dès qu'ils étoient en dispute; et je soupçonne qu'ils avoient rapporté cela du commerce récent d'Homere, qui les met harmonieusement dans la bouche de presque tous ses héros. Mme Dacier a pris apparemment cet usage pour un privilege de l'érudition; elle ne m'épargne pas ces sortes d'injures, et souvent elle ne m'a pas jugé digne qu'elle se donnât la peine de les assaisonner du moindre tour. ( ... 1 Il Y a d'autres injures plus ingénieuses qui, quoique également injustes, ne laissent pas d'égayer la matière, & de faire passer la malice à la 295 faveur de l'art •

Mme Dacier est d'abord rapprochée des critiques pédants des siècles passés qui se servaient de l'érudition pour justifier l'injure et l'outrage. L'usage« abusif» de l'injure est ensuite associé aux héros homériques qui s'invectivaient à qui mieux mieux et dont La Motte décrit la verve condamnable dans son Discours sur Homère:

Une suite de la vanité grossiere de ces héros, c'est la facilité qu'ils ont à s'offenser les uns les autres; comme ils ne gardent aucune circonspection dans leur orgüeil, ils ne conservent aussi nulle dignité dans leur colere; les injures sont aussi familieres dans la bouche des rois que dans celle des soldats, et Thersite ne tient pas contre Agamemnon des discours plus insolens qu'Achille même. Il n'y a si vaillant homme dans l'iliade, qu'un autre ne l'ose traiter de lâche, au premier emportement; et ce n'est pas seulement dans les combats et les occasions les plus échauffées, qu'il leur échappe de

294 Hélène Merlin, Public et Littérature en France au XVII' siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p.195.

295 Houdar de la Motte, « Réflexions sur la Critique », loc. cit., p. 275-276. 88 ces saillies injurieuses; c'est jusques dans les occasions les plus 296 tranquilles et les plus indifférentes •

Ces héros, comme Mme Dacier, usent brutalement et sans raison de l'insulte, parce qu'ils sont entre barbares belliqueux et que leurs mœurs frustes leur imposent ce langage. La Motte veut bien montrer qu'il n'est pas de ces Thersite - le héros le plus laid et le moins éloquent de l'/liade - qui n'adoucissent pas leur violence par quelque tour d'esprit. Il veut au contraire faire de sa rivale un héros sanguinaire, capable de traîner le cadavre de son ennemi en l'insultant. Bref, tout est dans la manière: Houdar de la Motte reproche à Mme Dacier de n'avoir pas respecté les règles de la politesse. Elle pouvait l'insulter, mais poliment, mais subtilement, comme on le fait dans les salons.

En 1714, l'espace de la querelle n'est plus la Respublica litteraria, ni même l'Académie, mais vraiment le salon qui devient le centre de la nouvelle République. La Querelle du Cid se clôt sur la publication en 1638 des Sentiments de l'Académie sur le Cid. L'Académie répondait clairement au mandat que lui avait imposé son fondateur Richelieu en donnant une réponse politique au débat:

À l'autorité des anciens et la raison des uns, au plaisir et au sens commun des autres, à la puissance de l'auteur discutée par tous, le discours de l'Académie a substitué la raison d'État. En somme, l'Académie a absorbé toutes les scènes ouvertes par la querelle - la république des lettres, le public, le cabinet, la France, etc. - et les a 97 agglomérées à l'Étae •

Dans le cas de la Querelle d'Homère, l'armistice est signé dans le salon de Mme de Lambert. Paradoxalement, l'évolution de l'absolutisme a entraîné la création d'espaces intermédiaires mi-publics mi-privés, dans lesquels travaillent souterrai­ nement des artisans et des critiques du pouvoir: les salons sont de véritables tremplins pour les institutions académiques. Leurs adeptes, dans la pénombre des institutions et

~% Houdar de la Motte,« Discours sur Homère », Loc. cit., p. 190.

~'}7 Hélène Merlin, op. cit., p. 235.

89 du pouvoir officiel, jouissaient de plus de liberté pour soulever de vives discussions. S'il est vrai que Mme Dacier fréquentait elle aussi le salon de Mme de Lambert, nous verrons que c'est un peu malgré elle qu'elle a été entraînée sur le terrain de la sociabilité, espace pourtant privilégié des femmes. Mme Dacier ne croit pas, «comme la Marquise de Lambert », que:

la raison ( ... 1doit plutôt regler les passions que les combattre, & moins travailler au dessein chimérique de les déraciner de nous­ mêmes, qu'à les assaisoner par le goût de l'esprit & par les sentimens du cœur ( ... ]. C'est le goût de l'esprit, c'est la réflexion qui distingue la volupté d'avec la débauche. La raison a sa 298 mollesse •

La tradition a associé la mollesse à la corruption. Mme Dacier adopte la doxa en qualifiant la musique et la poésie de l'opéra, principale cause de la corruption du goût, de « molles et efféminées ». Une raison molle serait comme l'imagination du R. P. Hardouin, prête à tout croire, naïve, informe, soumise aux modes. Mme Dacier au contraire appelle de solides et virils raisonnements. Dans ses choix d'auteurs même, elle se montre plus virile que les hommes de son temps.

C'est donc la force et la vivacité qu'elle loue chez Aristophane ou Plaute, comme elle louait la « saine antiquité» chez Anacréon, dans la mesure où le poète refuse les pointes et les afféteries de la poésie à la mode. Étrange leçon de force et d'atticisme qu'impose une femme, alors que le siècle avait semblé, dans ce domaine, favoriser une parole précieuse et maniérée, à l'image des femmes mêmes ! Est-ce ici un paradoxe qui caractériserait une femme voulant s'affirmer envers et contre tout, dans l'univers d'une philologie nettement masculine? Elle serait alors plus virile dans ses goûts 299 que ses collègues hommes •

298 Mme de Lambert reprise par L'auteur anonyme, de «Lettre sur les romans. A M**. Journaliste étranger. Ce premier septembre 1742 », Les amusemens du cœur et de l'esprit, 1742, t. 14, p. 420, cité par Marc-André Bernier, Libertinage et figure du savoir. Rhétorique et roman libertin dans La France des Lumières (/734-/75/), Laval, Presses de l'Université Laval, 2001, p. 110.

299 Emmanuel Bury,« Madame Dacier », Loc. cit., p. 219. 90 Tout le XVlr siècle a été marqué par l'imposition d'une nouvelle figure, l 'honnête homme, et par la résistance des érudits humanistes. On a souvent fait des femmes les plus sûres alliées de l 'honnêteté. Mme Dacier conteste cette complicité et se pose, en partie grâce à son ethos viril, en érudite. Disons plutôt, pour être plus exacte, qu'elle emprunte tour à tour des identités féminine et masculine extrêmes - la

3 301 bergère protégeant sa petite brebis °O et le vaillant soldat pourfendeur de chimères - qui reproduisent jusqu'à un certain point la tension entre le savant et le mondain, entre l'homme et la femme, et qui trahissent l'inconfort qu'elle éprouve dans l'une et l'autre des deux positions. Comme le relève E. Bury, « Anne Dacier refuse une littérature qui serait pur divertissement mondain; elle refuse, paradoxe inattendu, une conception des Belles Lettres qui cantonnerait le savoir lettré dans l'univers féminin des salons, en retrait du monde réel, et soumis à la variation cyclothymique des modes302 ».

Mme Dacier, au contraire de Houdar de la Motte, n'a pas commenté la réconciliation publique.

Voilà la dispute finie entre Mme Dacier, Monsieur Boivin et moi; et le fruit de nôtre dispute est une amitié sincere et reciproque, dont ils me permettront de me faire honneur devant le public. Heureuses les querelles litteraires qui se terminent là ! [ ... ] [1]1 faut que les disputes des gens de lettres ressemblent à ces conversations animées, où, après des avis differens, et soûtenus de part et d'autre avec toute la vivacité qui en fait le charme, on se sépare en s'embrassant, et souvent plus amis que si l'on avoit été froidement 303 d' accord •

300 Anne Dacier, Homère défendu ... , op. cit., p. 10 : « Quand je lui ôterai le mérite d'avoir entendu Homere et penetré l'art de la Poësie, je ne lui ôterai presque rien: il lui reste des richesses infinies; au lieu que moi, si le R. P. m'avoit ravi le médiocre avantage d'avoir passablement traduit & expliqué ce Poëte, & démêlé l'art du Poëme, je n'aurois plus rien; c'est la seule petite brebis que je possede, je l'ai nourrie avec soin, elle mange de mon pain & boit dans ma coupe, seroit-i1 juste qu'un homme si riche vînt me la ravir ».

301 Ibid., p. 41 : « Heureusement il ne faut pas appeler un Bellerophon à son secours pour détruire cette chimère, je ne suis qu'une femme, & j'espere de la détruire facilement ».

302 Emmanuel Bury, « Madame Dacier », loe. cit., p. 219.

303 Houdar de la Motte, « Discours sur la critique », loe. cit., p. 295-296.

91 Dans la mesure où la résolution du différend s'est faite dans le salon de Mme de Lambert, sur le mode de la conversation, et non au travers des seuls échanges écrits, on peut constater d'une part que les mœurs de la nouvelle République des lettres ne sont pas celles de l'ancienne, et d'autre part que la victoire de Houdar de La Motte est d'avoir su traîner Anne Dacier sur le terrain de la sociabilité qu'elle avait déjà implicitement refusé en choisissant, pour évoquer son sexe, la sphère privée. L'helléniste n'insiste pas sur le fait qu'elle fréquente le salon de Mme de Lambert, elle préfère évoquer sa vie familiale pour revêtir ses habits de femme.

Le meilleur exemple de cette évocation est sans doute la lamentation maternelle qui clôt son introduction à l' lliade. La traductrice vient de perdre sa fille.

Après avoir fini cette préface, je me préparois à reprendre l'Odyssée, & à la mettre en état de suivre l'Iliade de près; mais frappée d'un coup funeste qui m'accable, je ne puis rien promettre de moi; je n'ai plus de force que pour me plaindre. Qu'il soit permis à une mère affligée de se livrer ici un moment à sa douleur. Je sais bien que je ne dois pas exiger qu'on ait pour moi la même complaisance qu'on a eu pour de grands hommes, anciens & modernes, qui dans la même situation où je me trouve, se sont plaints de leur malheur; mais j'espère que l'humanité seule portera le public à ne pas refuser à ma faiblesse ce qu'on a accordé à leur 304 mérite ; jamais on ne s'est plaint dans une plus juste occasion •

L'helléniste ne s'était jamais laissée aller à un tel débordement. Elle construit ici un ethos presque antithétique à celui qu'elle adopte habituellement. Cette mère éplorée n'a plus rien de commun avec la guerrière. Le registre des preuves est aussi considérablement affecté par cette exposition de sa douleur: Mme Dacier se réfugie dans le giron du pathos et délaisse les preuves logiques qui font toute sa fierté dans le reste de ses écrits: «ü le me connois mal en preuves, si celle-cy n'approche de la démonstration305 » écrit-t-elle dans son traité des Causes de la corruption du goust. Lorsqu'elle rédige ce texte liminaire, la Querelle d'Homère n'a pas encore échauffé les

304 Anne Dacier, « préface », Loc. cil., p. IXXJ.

30S Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 31.

92 esprits et Mme Dacier n'a pas encore adopté le ton belliqueux qui caractérisera ses

306 écrits polémiques. Remarquons cependant qu'elle choisit à dessein la sphère privée , sorte d'espace tiers à l'écart des lieux publics que sont les salons et les Académies, pour évoquer son statut de femme. Par ailleurs cette lamentation, qui arrive à la fin de l'introduction et qui précède donc la traduction, a une finalité rhétorique: cet ethos de mère affligée, faible et esseulée n'assure-t-il pas à la traductrice la bienveillance de ses lecteurs? Si Mme Dacier choisit la famille plutôt que la vie sociale, c'est qu'elle sait bien que dans la nouvelle République, qui a son siège dans les salons, elle est perdante. Mais elle perdrait encore plus en reniant complètement sa qualité de femme.

Houdar de la Motte nous donne une idée très claire de ce que doit être la nouvelle République des lettres: un lieu pacifié où ne plane pas sans cesse la menace

307 d'une guerre civile :

La critique est sans doute permise dans la république des lettres [ ... ] Mais autant que la critique est légitime et utile, autant la satyre est­ elle injuste [ ... ]. Il faudroit donc dans la république des lettres traiter les satyriques superficiels comme des séditieux qui ne cherchent qu'à broüiller : et les critiques sages au contraire, comme de bons citoyens qui ne travaillent qu'à faire fleurir la raison et les 308 talents •

C'est un empire déjà constitué que veut La Motte: Mme Dacier est encore dans les conquêtes de la république. Le modèle ancien qu'elle s'est donnée, Tacite, distinguait ainsi les deux éloquences concurrentes à son époque: l'ancienne, saine mais moribonde, et la nouvelle, malade mais florissante. En effet, dans la république, les politiciens avaient non seulement la liberté, mais aussi le devoir de s'exprimer. À la

306 Sur la question de la vie privée au début du XVIIIe siècle, voir Philippe Ariès et Georges Duby, Histoire de la vie privée. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Seuil, 1999,p. 22 : « Nous arrivons ainsi à la fin du xvue siècle et au début du XVIIIe. Dès lors, le public est nettement déprivatisé. [ ... ] Dès lors, l'espace privé peut s'organiser comme un espace presque clos, en tout cas tout à fait séparé du service public devenu parfaitement autonome. Cet espace libéré va être rempli par la famille. »

307 Voir à ce sujet Hélène Merlin,« L'amitié entre le même et l'autre », XVIIesiècle, no 205,1999, p.657-678.

308 Houdar de la Motte, « Réflexions sur la Critique », loe. cit., p. 275.

93 dimension proprement scolaire (mauvaise éducation des maîtres et des enfants) du mal qui afflige l'éloquence au début de l'empire, Tacite ajoute une cause politique que Mme Dacier ne reprend pas, bien qu'elle ait recours à un vocabulaire politique pour décrire l'attaque des Modernes contre Homère (<< étrange attentat, conjuration »). Les temps tumultueux de la république alimentaient les discours des orateurs, tandis que le gouvernement paisible de l'empire ne laisse aucune matière à l'éloquence. La division est la manne de l'éloquence. «Les guerres produisent plus de héros que la paix. De même pour l'éioquence309 ». Si Mme Dacier adopte, comme elle le prétend, le point de vue de Tacite, on comprend mieux sa propension, et même le plaisir qu'elle affiche, à prendre les armes. Si le Traité des Causes de la Corruption du Gous! (1714), adressé à Houdar de la Motte, est dominé par l'indignation et le sentiment que la République des lettres est menacée d'une corruption grandissante et irréversible, l'Homère Défendu contre l'Apologie du R. P. Hardouin ou Suites des Causes de la Corruption du Goust (1716) est ponctué de remarques qui témoignent du plaisir que prend Mme Dacier à citer son «ridicule» adversaire et à se battre contre ses chimères. Par opposition au Traité des Causes qui appartient au genre polémique, l'Homère défendu contre l'apologie du R. P. Hardouin relève plutôt de la satire. Mme Dacier se moque du Jésuite et leurs positions sont inconciliables. Il n'y aura d'ailleurs pas de réconciliation publique.

Le satirique s'installe en un point extrême de divergence idéologique. Il coupe délibérément le discours adverse de ce qui peut le rattacher à une logique universelle et se borne à jeter un regard «entomologique », apitoyé ou indigné, sur le grouillement de raisonnements biscornus du système antagoniste. Il partage avec son lecteur le monopole du bon sens. Le genre satirique développe 31O une rhétorique du mépris •

L'helléniste ne cesse de manifester un plaisir presque «pascalien» dans ce second traité. Elle espère ainsi isoler son adversaire et sa singulière interprétation du

309 Tacite, Dialogue des orateurs, op. cit., p. 68.

310 Marc Angenot, op. cit., p. 35-36.

94 poète grec: « vraiment c'est pour le R. P. tout seul qu'Homere a fait son Poëme, & il luy en a laissé la cleell ». Soucieuse d'aptum, Mme Dacier sait adapter sa réponse à son adversaire. Mais voilà qu'en voulant « redresser» le R. P. Hardouin, Mme Dacier se prend au jeu. Son naturel belliqueux se complaît dans cette activité, bien qu'elle ait soin de rappeler «sa honte» de s'amuser à ces bagatelles. Ce plaisir pugnace est pour le moins paradoxal, surtout chez une femme qui s'est dite «tres paresseuse & tres pacifique312 » dans son Traité des Causes. Elle construit clairement un ethos double qui nous semble manifester la compromission à laquelle elle doit se soumettre pour rejoindre son public. Si elle était un homme et si elle s'adressait aux érudits du règne

er de François 1 , elle n'aurait pas à rappeler sans cesse sa réticence à prendre les armes.

Deux années seulement séparent les deux traités, mais il semble que le danger ne soit pas le même. Houdar de la Motte est un adversaire dangereux qui jouit d'appuis considérables (Mme de Lambert, Fontenelle); le P. Hardouin au contraire est un singulier personnage que la Compagnie de Jésus a désavoué. Mme Dacier a peut-être aussi pris acte des critiques de La Motte et elle a voulu rendre sa défense agréable en manifestant son plaisir. Vaincue dans le salon de Mme de Lambert, Mme Dacier se rendrait aux impératifs du placere et délaisserait ceux du docere que son père, remarquable pédagogue, lui avait inculqué.

Le genre même que les protagonistes de cette Querelle choisissent révèle leur affiliation à des mondes de plus en plus distincts: la savante Mme Dacier produit un « traité» ; le mondain Houdar de la Motte un «discours». Déjà en 1669, Pierre-Daniel Huet avait cherché à éviter la forme «fermée» du traité en écrivant une « lettre-traité» sur l'origine des romans. Ce genre savant évolue rapidement au xvne siècle: avant 1650, ils sont «de dimensions insolentes, ils se dressent devant le lecteur, arrogants, agressifs, tels des machine de guerre. [ ... 1 À la fin du siècle, le traité n'est nullement

311 Anne Dacier, Homere défendu, op. cit., p. 161.

312 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 4.

95 passé de mode 1... 1, mais peu à peu sa structure change 1.... 1: elle est disloquée, ouverte de toutes parts313 ». Mme Dacier, en 1714, renoue avec la tradition humaniste de l'imposant traité monologique. Nous verrons cependant qu'elle n'est pas complètement insensible à la mode de son époque, puisqu'elle construit, à grand renfort de citations ennemies, son traité comme une sorte de dialogue, mais un dialogue qui ne se donne pas la peine de la mise en scène.

Le discours, grâce à ses qualités oratoires explicites, est plus maniable, mobile, ouvert, mais demeure relativement contraignant par rapport à la liberté que procurent des formes éclatées comme la maxime ou la lettre. Ni Mme Dacier ni Houdar de la Motte n'ont suivi Fontenelle, Fénelon ou encore Perrault qui tous ont manié le genre du dialogue. Le choix générique de Mme Dacier peut être lu comme une provocation: ancienne, elle se bat avec les armes anciennes, espérant écraser son adversaire. Plus conciliant, La Motte, qui n'avait rien d'un érudit, a fait un effort pour s'adapter au contexte savant de la Querelle. Pourtant, il demeure étonnant que Mme Dacier n'ait pas eu recours au dialogue conventionnel que son modèle, Tacite, avait élu et qui est, depuis Platon, la forme didactique par excellence. Elle délaisse aussi le discours auquel son prédécesseur, le P. Vavasseur, avait recouru. Ainsi devine-t-on que la visée de Mme Dacier est autre.

L'adoption du modèle humaniste par la savante détermine en quelque sorte sa conception de la querelle. On a souvent reproché à Mme Dacier le caractère obsolète

314 de ses arguments • Il est vrai qu'elle emprunte largement à l'argumentaire de ces savants humanistes qui ont été évincés par les esprits modernes. Alors que La Motte se sert des armes de son temps, Mme Dacier a recours à un modèle de controverse plus

313 Louis Van Delft, Le Moraliste classique. Essai de définition et de typologie, Genève, Droz, 1982, p. 239-240.

314 En effet Anne Dacier pour défendre Homère s'appuie sur Eustathe, sur l'interprétation allégorique et donc sur la théologie, et sur Aristote, traduit par André Dacier. Ce réseau nous montre la savante profondément divisée entre l'époque à « laquelle elle voudrait être entendue et celle à laquelle elle emprunte sa manière de penser ». Noémi Hepp, Homère en France au XVII' siècle, op. cit., p. 647.

96 ancien. Cette accumulation de citations permet à Mme Dacier de répondre systématiquement aux coups de son adversaire, un peu comme dans un duel.

« Coutume barbare », «combat singulier », le duel est une épreuve juridique imposée aux partis « quand les preuves manquoient ; on appelloit cela, le jugemement de Dieu ou le plaît de l'épée315 ». Au XVIe siècle, le duel a servi de modèle à la querelle littéraire. La définition d'Hervé Campangne de la dispute littéraire comme « pratique discursive qui reproduit à plusieurs niveaux le mode de l'échange d'armes 1... 1 [permettant à l'écrivain 1 de s'éloigner d'une [ ... 1 littérature ressortissant au genre épidictique 1pour au contraire adopterl un type de discours qui évoque davantage le genre judiciaire316 », correspond bien à l'entreprise de Mme Dacie·r. Dès les premières pages de son traité, elle expose une visée clairement judiciaire: «je prouveray qu'il rLa Mottel a corrompu les plus beaux endroits d'Homère 1... 1. Après cela il ne tiendra qu'à M. de la Motte de se rendre justice317 ». Son but n'est pas de louer Homère: le caractère épidictique est chez elle subordonné à la finalité judiciaire, au contraire de La

3l8 Motte , et cette différence de genre oratoire permet peut-être d'expliquer pourquoi cet épisode de la Querelle est souvent perçu comme un «dialogue se sourds319 ».

320 Traditionnellement, le pamphlet polémique était plutôt associé augenre épidictique •

La Motte est bien conscient d'ailleurs de cette divergence de conception de la querelle littéraire:

315 Diderot et d'Alembert:, Encyclopédie, s. v. duel.

316 Hervé Campangne, « Dispute et crimes verbaux: la Querelle littéraire en France au XVI" siècle », Revue d'histoire littéraire de la France, XCVIII, l,janvier-février 1998, p. 6-8.

317 Anne Dacier, Des causes... op. cit., p. 14.

318 Voir par exemple Houdar de la Motte, « Discours sur Homère », loc. cit., p. 202: «Je demande de l'équité. Qu'on songe que j'examine les choses sous différens égards; quand je loüe Homere, c'est par le choix de ses images en elles-mêmes, indépendamment des répétitions, et de la multiplicité, quand je le blâme, c'est par le défaut de variété, ou par une abondance vicieuse. »

31,} Noémi Hepp, op. cit., p. 711.

320 Emannuel Bury, « Un modèle antique de l'art du pamphlet: Lucien », loc. cit., p. 8.

97 La plûpart [des auteurs] ne se proposent en disputant que le frivole honneur de vaincre, à quelque prix que ce puisse être. Dès qu'ils ont avancé une opinion, il ne leur est plus possible de convenir qu'elle soit fausse; ils se croiroient même deshonorez d'en rien rabattre, et moitié illusion, moitié mauvaise foy, ils font armes de tout pour la défendre. Plus les raisons contraires les frappent, plus elles les irritent; ils tournent toute la sagacité de leur esprit à imaginer des détours pour échaper à la vérité qui les presse; et rafermissant le mieux qu'ils peuvent leurs préjugez ébranlez, ils payent de subtilitez, de hauteurs, et d'injures même, quand ils ne sçauroient payer de raison. Plûtôt que de ne pas triompher, ils se forgent des chiméres ; et les attaquent. Ils imputent à leur adversaire ce qu'il n'a pas dit, s'obstinent à donner à toutes ses propositions des sens détachez, sans vouloir, ou peut-être, sans pouvoir comprendre qu'elles se modifient les unes les autres, et qu'il en résulte un sens général qui fait précisément la question. Quelquefois même, pour derniere ressource, ne pouvant décréditer les raisons, ils essayent de décréditer l'auteur qui les allegue, en luy reprochant d'autres fautes indifférentes au fait présent: ce qui n'est, à parler juste, que se venger lâchement de son propre tort. Quelques auteurs au contraire, n'ont d'autre vûë dans la dispute, que d'entendre et de faire entendre la raison; le vray leur est aussi bon de la main des autres que de la leur; ils étudient dans ce qu'on leur oppose ce qu'il peut y avoir de raisonnable; aussi contents quelquefois, en avoüant qu'ils se sont trompez, que le peuvent être ceux qui les réduisent à en convenir. Ce caractere me paroît si estimable, que je me le proposerai toûjours pour modelle dans la dispute. où je suis obligé d'entrer. J'éxaminerai les objections de 321 Mme Dacier, comme si je me les étois faites à moi-même • (Nous soulignons le vocabulaire du duel.)

Il ne fait aucun doute que La Motte vise Anne Dacier dans son Discours. Tout comme le R. P. Hardouin, il n'use jamais véritablement d'attaque ad hominem contre elle. Expliquant ces omissions par son sexe, elle entreprend, quant à elle, d'attaquer abondamment et explicitement ses adversaires, dégagée, croit-elle, qu'elle est des exigences de la politesse. Cette pratique reprend un peu celle du cartel: alors que ses adversaires esquivent le duel en s'attaquant à un ennemi abstrait, elle les invite sans

321 Houdar de la Motte, « Discours sur la critique », loc. cit., p. 3-4.

98 cesse à répondre en les nommant et en les citant, bref en actualisant leur parole hostile. Son procédé est simple: il s'agit de citer son ennemi, puis de le réfuter, soit en reformulant ironiquement le propos adverse de façon à le rendre absurde, soit en le confrontant à l'autorité des anciens (Aristote, Horace, Eusthate, etc.) et des modernes (le P. le Bossu, André Dacier). Souvent, elle interrompt brièvement la citation pour exprimer son indignation et pour faire ressortir ce que la politesse masque dans le discours de ses vis-à-vis. Ainsi, alors que le R. P. Hardouin critique la conformité que relève Mme Dacier entre Homère et les Saintes Écritures, elle écrit: «II ne faut pas faire la glorieuse, ni dissimuler, c'est moi que le R. P. Hardouin veut redresser, & me voilà attaquée personnellement, car c'est moi qui ai relevé cette conformité322 ».

C'est parce que le combat semble inégal que Mme Dacier se permet de « faire armes de tout» et se retrouve, parfois malgré elle, sur le terrain de ses adversaires.

Quand je lui ôterai le mérite d'avoir entendu Homere et penetré l'art de la Poësie, je ne lui ôterai presque rien: il lui reste des richesses infinies; au lieu que moi, si le R. P. m'avoit ravi le médiocre avantage d'avoir passablement traduit & expliqué ce Poëte, & démêlé l'art du Poëme, je n'aurois plus rien; c'est la seule petite brebis que je possede, je l'ai nourrie avec soin, elle mange de mon pain & boit dans ma coupe, seroit-i1 juste qu'un homme si riche vînt me la ravi~23 ?

Cette métaphore pastorale est saisissante: on a du mal à imaginer Mme Dacier en pacifique bergère. C'est cependant l'image qu'elle essaie de projeter, probablement pour adoucir son personnage. Elle fait en quelque sorte du R. P. Hardouin le « loup ravissant» qui s'attaque à une victime vulnérable. Mme Dacier tente de se fabriquer un ethos de «faible femme» afin de contrebalancer la violence de son propos. À la croire, il s'agirait presque de légitime défense. Personne cependant n'est dupe et ni les contemporains ni la postérité ne retiendront cette persona. À force de relever des

322 Anne Dacier, Homère défendu, op. cit., p. 15.

323 Ibid., p. 10. Remarquons l'allusion finale à la communion sous les deux espèces, modèle protestant qu'elle oppose à l'ultm montanisme du R. P. Hardouin.

99 conformités entre la Bible et Homère, Mme Dacier en vient même à se comparer au pauvre homme auquel le riche a volé sa petite brebis pour épargner son troupeau (2 Samuel 12). Nathan, en racontant au roi David cette injustice, le contraint à se condamner lui-même: «Cet homme, c'est toi ». C'est à l'homme d'Église qu'elle s'adresse, avec un argument biblique impossible à réfuter. Mais surtout, cette citation biblique nous renvoie au genre de la pastorale, associé à la mondanité depuis l'Astrée, que Fontenelle et La Motte ont exploité. En se faisant bergère en 1714, Mme Dacier donnait dans le goût mondain de son premier adversaire.

Mme Dacier a soin de marquer dans ses deux textes son estime pour ses ennemis: «j'ay pour luy l'estime qu'il merite d'ailleurs, et je n'ay pas oublié l'honneur qu'il m'a fait de m'adresser quelques-unes de ses odes» ; « Je suis très fâchée d'avoir à combattre un homme comme le P. Hardouin, si estimable par ses mœurs, par son grand sçavoir 324 ». Elle ne s'attaque pas à Desmarets de Saint-Sorlin, qu'elle méprise, bien qu'elle accuse La Motte de le suivre « pas à pas comme un fidelle copiste325 ». Non, elle s'en prend à un adversaire plus dangereux, dont le discours est mieux écrit, la prose légère, les arguments nouveaux, etc. Malgré les réticences qu'elle affiche, elle ne répond qu'à qui est digne d'elle. Houdar de la Motte n'est pas si corrompu qu'elle ne puisse espérer le guérir. Cette ouverture témoigne d'une forme de compromis, d'autant plus que Mme Dacier clôt son Traité des Causes sur un appel à l'alliance « contre un adversaire plus redoutable. Un Géometre, quel fléau pour la Poësie qu'un

Geometre !326 ». Si elle est prête à s'allier, c'est qu'elle est prête à se compromettre. Cet indice montre les limites de son désir d'opposition. Mme Dacier resitue alors son différend avec La Motte par rapport à celui qui l'attend avec Fontenelle en citant Térence: « [s]i celuy-cy a une fois commencé, tout ce que l'autre a fait ne paroistra que

324 Voir Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 10 et Homère défendu ... , op. cit., p. 4.

325 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 8.

326 Ibid., p. 613.

100 jeu au prix des scenes que donnera ce dernie~27 ». Après 600 pages d'hostilités, Mme Dacier met en évidence le caractère ludique et presque théâtral de sa querelle avec Houdar de la Motte: le vrai combat est encore à venir et elle sait qu'elle aura besoin de tous les appuis pour vaincre « cet ennemi commun328 ».

Mais cette alliance n'est pas faite et pour l'instant, l'helléniste se bat seule. Le caractère isolé de son entreprise la rapproche du duel qui est, selon François Billacois, « une para-institution judiciaire329 », une façon de se faire justice soi-même. Or, bien que l'Académie soit toujours divisée entre Anciens et Modernes, aucun académicien n'a pris la parole pour dénoncer la traduction-adaptation de La Motte en 1715, comme cela avait été le cas lors de la Querelle du Cid. C'est ce silence officiel qui contraint Mme Dacier à prendre les armes, du moins c'est ainsi qu'elle se justifie. Face à l'affront de La Motte, elle va se faire justice hors des rangs de l'Académie:

Aujourd'huy voicy une temerité bien plus grande, et une licence qui va ouvrir la porte à des desordres plus dangereux pour les lettres et pour la poësie, etl'academie se taist ? Elle ne s'éleve pas contre cet excés si injurieux pour elle? Je sçay bien qu'il y en a qui gemissent de cet attentat, et je suis témoin de l'indignation que quelques-uns en ont conçeûë ; mais cette indignation d'une partie ne suffit pas pour justifier tout le corps, et le public attendoit quelque chose de plus de cette compagnie. Je n'ay garde de vouloir susciter à M. de La M. des ennemis si dangereux, la charité me le deffend. Il vaut mieux que je deffende Homere toute seule, puisque j 'y suis interessée, et que je repousse les insultes que ce censeur fait à sa poësie et à son art qu'il n'a jamais connus. Il en sera quitte à meilleur marché, et par la maniere dont je le traitteray, il verra ce qu'il auroit eu à essuyer, si quelqu'un de ces sçavants hommes qui composent cette fameuse compagnie, et qui sont si indignez de son ouvrage, l' avoit entrepris330.

327 Ibidem.

328 Ibid., p. 614.

329 François Billacois, Le duel dans la société française des XVI' -XVIII' siècle, Paris, Éditions des hautes études en sciences sociales, 1986, p. 7, cité par Hervé Campangne, loc. cit., p. 6.

330 Anne Dacier, Des causes ... op. cÎt., p. 33.

101 Nous retrouvons ici le vocabulaire commun à la querelle et au duel que La Motte relevait chez l 'helléniste. Elle donne aussi à la querelle une résonance politique avec un terme comme «attentat» et celui de «conjuration» qu'elle emploie un peu 33l plus tôt dans son traité • Il n'est guère besoin de rappeler les liens étroits qui existent entre le duel et la sphère politique. Ce qui mérite en revanche de retenir notre attention, c'est cette utilisation que fait la savante d'un vocabulaire politique dans la cadre d'une querelle littéraire. Il ne faut jamais oublier que Louis XIV est le grand juge de la Querelle des Anciens et des Modernes, même s'il est peu invoqué dans le débat qui entoure Homère. Mme Dacier affiche un loyalisme envers Homère un peu comme envers un roi dont l'autorité doit demeurer incontestée. Elle perçoit les écrits de ses ennemis comme un vaste complot, à tout le moins les présente-t-elle ainsi. On sait que la première phase de la Querelle des Anciens et des Modernes, celle qui a opposé Desmarets de Saint-Sorlin et Perrault à Boileau, Racine, etc., a été marquée par une forte propagande étatique du côté des Modernes: il s'agissait de louer le roi en le mettant au-dessus des modèles antiques. Cette problématique s'était un peu estompée par la suite, mais semble ressurgir discrètement ici et être récupérée au profit des Anciens. La transposition du politique dans le domaine des lettres est d'ailleurs inhérente à la structure même de la Respublica litteraria que Mme Dacier voudrait revoir florissante.

La visée clairement judiciaire qu'elle affiche est nécessaire puisque seule l'éloquence de la chaire et du barreau «se sont sauvées de cette peste si contagieuse332 ». Elle ne peut recourir au genre épidictique qui l'associerait explicitement à l'éloquence corrompue de son temps. L'éloquence judiciaire a échappé à la corruption parce que les hommes de robe ont continué à méditer et à imiter les Anciens. L'imitation est le seul moyen de combler la distance corruptrice qui nous éloigne des œuvres pures:

331 Anne Dacier, Des causes ... op. cit., p. 3.

332 Ibid., p. 29.

102 Et c'est ce qui acheve la preuve que j'ay voulu donner de cette importante verité, que c'est la connoissance et la familiarité que l'on contracte avec ces grands personnages de l'antiquité grecs et latins, et sur tout avec les grecs, qui forment et nourrissent le bon goust, et que le mépris et l'éloignement qu'on a pour eux le corrompent et le perdenf33.

En plus d'avoir échappé à la corruption, le genre judiciaire était le seul susceptible de « laver» l'affront et la souillure infligés par le discours adverse. Mme Dacier n'avait pas d'autre choix que de prendre les armes.

333 Ibid., p. 31.

103 NOTRE CORRUPTION

Les Anciens ont si souvent comparé le texte à un corps qu'ils nous ont légué le terme corpus pour décrire un ensemble d'œuvres parentes. Un corpus vivant génère à son tour un autre texte qui, s'il est un corps autonome, est aussi une partie de ce plus grand corps dont il est issu. Cette génération textuelle, dans l'esprit de Mme Dacier, peut engendrer un écrit corrompu ou sain. Il est à espérer que notre mémoire de maîtrise n~a pas été contaminé par son sujet et qu'il a su accueillir la grande richesse du corpus dont il est tributaire.

L'idée de corruption traverse et soutient notre mémoire: elle en est la colonne, le nerf. Le détour par une histoire sémantique des termes grecs, latins et français n'aura pas été inutile: il a mis en évidence l'existence d'une tradition à laquelle puise Mme Dacier. L'idée de corruption a investi les domaines physique et moral dès le début. La signification physique de décomposition, de destruction et de mort qui atteint surtout les corps s'est rapidement appliquée à l'âme, à la langue, au goût, bref à des objets moins tangibles, plus abstraits. La corruption est par ailleurs changeante: elle a formé de nombreuses alliances au fil du temps. Dans la physique aristotélicienne, elle était l'antagoniste de la génération. Elle n'avait pas à l'époque glorieuse d'Athènes la dimension historique que les Modernes de l'après Querelle lui prêteront. Jamais un ancien n'aurait dit comme Péguy que «(Ile propre de l'histoire, c'est ce changement même, cette génération et cette corruption334 ». C'est véritablement à l'époque de la querelle que l'idée de corruption s'est articulée à une nouvelle conception de l 'histoire, alors que l'idée de progrès faisait parallèlement son

334 Charles Péguy, Notre Jeunesse, Paris, Gallimard, 1933, p. 79. apparition. Encore qu'il n'y ait pas au XVIIIe siècle de conception unifiée de l'histoire.

Nous sommes passés, en 2000 ans, du paradigme de la génération et de la corruption à celui du progrès et de la corruption, d'une conception cyclique du temps à une conception plus linéaire. Et il ne fait pas de doute que nous sommes encore déterminés par cette polarité moderne: le XIXe siècle, qui a affirmé sans cesse cette foi dans le progrès, a achevé d'imprégner la société occidentale de cette quasi certitude: ce sera encore mieux demain. Au début du XVIIIe siècle, l'idée de progrès semblait plus séduisante que son antagoniste, plus ouverte sur les possibilités d'un ordre intellectuel et social inédits auquel la Révolution donnera sa première forme. C'est contre ce discours du progrès, qui refuse de reconnaître sa dette envers la tradition, que s'élève Mme Dacier, en utilisant plutôt un autre paradigme ancien, corruption-pureté, que des auteurs anciens soucieux d'éloquence avaient développé sur le modèle de la corruption de l'âme. Sénèque par exemple décrit le style corrompu en recourant au vocabulaire moral (viril/efféminé; désordre; mollesse, etc.).

Mme Dacier est moins une apologiste du poète - voyez comment elle traite le R. P. Hardouin ou son homologue anglais, (deux défenseurs du poète

35 grec), qu'elle critique néanmoins très âpremenf - qu'une polémiste qui attaque le goût corrompu de ses contemporains. Elle craint pour eux, mais surtout pour le texte homérique lui-même qui, en raison de son caractère originel, est nécessairement pur. Les épopées d'Homère sont sans modèle et cette situation hors du temps, hors de la succession, les rend particulièrement sensibles à la corruption environnante.· Ils sont comme des corps qui n'ont jamais été malades et qui sont sans défense. Depuis des siècles, les savants conservaient intact le texte et les érudits de la Renaissance avaient même réussi à lui rendre toute sa lumière. Avec Desmarets de Saint-Sorlin, Perrault et

335 Voir sa postface contre Pope dans la quatrième édition de sa traduction de l'Iliade publiée à Amsterdam chez Wetsteins & Smith en 1731.

105 Houdar de la Motte, ces pygmées qui se croyaient des géants, une ère nouvelle s'est ouverte: celle de la corruption active. Car Mme Dacier sait que le temps est le principal allié de la corruption, bien avant la mauvaise volonté des hommes. L'arme que les hommes se sont donnée pour lutter contre ce temps toxique est l'imitation. Contre le changement, l'imitation, par la répétition, assure une certaine permanence, répète la pureté originelle.

Cependant, il faut aussi se méfier de l'imitation: elle peut changer de camp et devenir sournoisement complice de la corruption. Mme Dacier ne développe pas de théorie consciente de la corruption, mais elle associe toujours le phénomène à celui de la copie: la statue d'Alexandre ou la momie d'Hélène, deux représentations statuaires qui nous ramènent à Platon et à son Glaucos déformé par le temps corrupteur. Il y a clairement deux régimes d'imitation chez l'helléniste: le premier corrompt l'original en le rendant méconnaissable; le second s'en inspire si bien qu'il engendre « un second original ».

Si Mme Dacier associe le goût et l'éloquence, elle ne les confond pas: le goût appartient à l'appréciation des œuvres, l'éloquence, à leur création. Le public de son temps n'apprécie plus Homère parce que le poète a été corrompu par les réécritures de gens comme La Motte. Le problème, avec un tel ennemi, reste que sa prose, malgré sa corruption, est éloquente, séduisante pour le public déjà sérieusement atteint par la doctrine moderne des décennies précédentes. L'helléniste va alors proposer, comme antidote, un examen polémique des textes de Houdar de la Motte, un examen minutieux qui les purge tout en les isolant, par mesure de précaution. Mais comment se faire entendre d'un public à la vue brouillée, aux oreilles sensibles aux seules facilités du roman et de l'opéra? En utilisant, au moins partiellement, ce langage malade.

La conception de la corruption de Mme Dacier nous semble en effet avoir des répercussions sur son éloquence et sa pratique de la polémique. L'helléniste, malgré l'ambivalence qu'elle affiche face à la nécessité de prendre les armes, se révèle aussi tenace que Don Quichotte qui, comme elle, se bat contre des chimères. Les

106 élucubrations du R. P. Hardouin ne sont rien d'autre que des monstres enfantés par une imagination malade. Face à de telles créatures, somme toute assez inoffensives, Mme Dacier rit et ridiculise son adversaire. Mais, contre Houdar de la Motte, elle est au contraire très sérieuse, trop consciente du danger que représente ce protégé de Fontenelle et de Mme de Lambert. Si nous avons parlé de compromission pour décrire le système de défense et d'attaque de Mme Dacier, c'est qu'elle emprunte tour à tour des stratégies qui peuvent apparaître incohérentes. Ou point de vue de son ethos par exemple, elle expose d'une part une virilité héroïque en se comparant aux personnages homériques, puis se dit bergère ou expose sa douleur toute maternelle d'avoir perdu sa fille. Son usage de la citation est stratégique: elle cite sans cesse son adversaire, lui donnant ainsi une voix dans son propre texte. À ce sujet, nous avons émis l'hypothèse, en tenant compte de sa conception de la corruption centrée sur le phénomène de la copie, qu'elle reproduit largement le texte de Houdar de la Motte pour, en le redoublant, mettre en évidence pour ses lecteurs son caractère malade. Cet usage de la citation conjuguée à celle de l'attaque ad hominem nous a permis de préciser le modèle polémique de la savante: le duel. Mme Dacier répond systématiquement à tous les coups de ses adversaires

Ce parcours de l'œuvre dacéenne sous les angles conjugués de la corruption et de la pratique polémique aura peut-être eu le mérite de rendre un peu plus vivants ses deux traités auxquels la critique n'a pas toujours rendu justice. Mais voilà que, comme Mme Dacier, nous nous surprenons à prendre les armes pour la défendre. On ne saurait être complètement imperméable à son sujet. Peut-être aussi ce mémoire, malgré nos souhaits pieux, souffre-t-il de corruption. Nous avons tenté d'interpréter des textes qui ne se prêtent pas facilement à cet exercice. Ce faisant, nous les avons peut-être déformés. Toute interprétation sans doute est à quelque degré déformation. Les interprès sont des passeurs qui « travaillent 1... 1à annuler l'effet de la distance, ils font passer l'oeuvre de la rive éloignée dont elle est originaire à celle où prend naissance le

107 discours interprétatif, dans son rapport actuel avec les destinataires336 ». En effet, 1'herméneutique moderne tient non seulement compte de la conscience historique, mais elle en fait aussi la condition première de toute compréhension, à condition qu'elle soit soulignée, « mise en relief». «II importe en réalité de voir dans la distance temporelle une possibilité positive et productive donnée à la compréhension337 », écrira Gadamer. Impossible donc d'interpréter un texte, un document, un problème historique même, sans imprimer sur cet objet la marque des conditions subjectives de la lecture et de la compréhension; mais nous ne concevons plus cela comme une corruption ou comme une trahison, bien au contraire: cette «copie» qu'est l'interprétation ajoute un

338 « surcroit d'être» au texte original • Nous espérons du moins ne lui avoir rien retiré.

336 Jean Starobinski, «Littérature », dans J. Le Goff et P. Nora, éds., Faire de l'histoire, Il. Nouvelles approches, Paris, Gallimard, 1974, p. 242.

337 H.-G. Gadamer, Vérité et Méthode, Paris, Seuil, 1996, p. 137. 338/bidem.

108 BIBLIOGRAPHIE

TABLE DES MATIÈRES

ŒUVRES t. Œuvres de Madame Dacier 1.1 Traductions et Remarques 1.2 Commentaires 2. Principaux textes de la Querelle des Anciens et des Modernes 2.1 Textes polémiques 2.2 Correspondances 2.3 Commentaires 2.4 Imitations et parodies 3. Autres textes 3.1 Antiquité 3.2 Période Moderne

SOURCES ET DOCUMENTS 1. Dictionnaires 2. Biographies

ÉTUDES 1. Madame Dacier 2. La Querelle des Anciens et des Modernes 2.1 Vue d'ensemble 2.2 Renaissance 2.3 xvue et XVIW siècles 2.4 La Querelle d'Homère 2.5 Postérité d' Homère 3. Histoire des idées, histoire culturelle, histoire sociale 3.1 L'idée de corruption 3.2 Histoire sociale et culturelle 4. Histoire littéraire 4.1 Le genre de la querelle 4.2 Les modes de relecture 5. Théorie ŒUVRES 1. Œuvres de Madame Dacier 1.1. TRADUCfIONS ET REMAROUES 1711. HOMÈRE. L'Wade d'Homère traduite en françois, avec des remarques par Madame Dacier, Paris, Rigaud, Directeur de l'Imprimerie Royale, Rüe de la Harpe, 617 p. 1716. HOMÈRE. L'Odysée d'Homère traduite enfrançois, avec des remarques par Madame Dacier, Paris, Rigaud, 3 vol. in-12, s. p.

1.2. COMMENTAIRES 1714. DACIER, Anne. Des causes de la corruption du goût, Genève, Slatkine Reprints, 1970, 618 p. 1716. DACIER, Anne. Homère défendu contre l'Apologie du R. P. Hardouin, Genève, Slatkine Reprints, 1971, 231 p. 1731. DACIER, Madame. Supplément à l'Homère de Madame Dacier, contenant la Vie d'Homère, Amsterdam, Wetsteins & Smith, 2 t. en 1 vol., 358 p.

2. Principaux textes de la Querelle 2.1. TEXTES POI,ÉMIOlfES 1687. PERRAULT, Charles. Le Siècle de Louis le Grand, lu à l'Académie le 27 janvier 1687, dans La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 2001, p. 257-273. 1688-1697. PERRAULT, Charles. Parallèle des Anciens et des Modernes (extraits), dans La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 2001, p. 361-380. 1688. FONTENELLE, Bernard le Bovier de. Digression sur les Anciens et les Modernes, dans Oeuvres complètes, éd. A. Niderst, Paris, Fayard, 1989, t. 2. 1700. FÉNÉLON. Dialogues des morts anciens et modernes, dans Œuvres, éd. J. Le Brun, Paris, Gallimard, 1983, p. 278-510. 1700-1715. LA MOTTE, Antoine Houdar de. Œuvres, Genève, Slatkine Reprints, 1970, Il t. en 2 vol. 1715. GACON, François. Homère vengé, ou Réponse à M. de La Motte sur l'Wade, Genève, Slatkine Reprints, 1971,462 p. 1716. FOURMONT, Étienne. Examen pacifique de la querelle de Madame Dacier et de Monsieur de La Motte sur Homère, Genève, Slatkine Reprints, 1971,2 t. en 1 vol. 1716. HARDOUIN, abbé Jean. Apologie d'Homère, Genève, Slatkine Reprints, 1971,331 p.

2.2. CORRESPONDANCES

110 1713-1714. FÉNÉLON. «Lettres sur Homère et sur les Anciens », dans Correspondance de Fénelon, éds J. Orcibal, J. Le Brun, 1. Noye, Genève, Droz, 1999, vol. XXIV, p. 140,204,213, 224,280,282,284,291,295,322,328,336,337,409,414,415. 1714. PONS, Jean-François de. «Lettre de l'abbé de Pons à Monsieur *** sur l'Iliade de La Motte », dans La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 2001, p. 519-531. 1715. ANONYME. «Lettre envoyée aux auteurs de ce journal sur la dispute entre M. Terrasson et Mme Dacier », Journal littéraire, VII, p. 412-423. 1715. SAINT-HYACINTHE, Thémiseul de. Lettres à Mme Dacier sur son livre Des causes de la corruption du goût (extrait de la seconde lettre à Madame Dacier), dans La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 2001, p. 532-548. c. 1718. DACIER, Anne. «Lettre à Huet », dans Henry, Ch. Un érudit homme du monde, homme d'Église, homme de cour: lettres inédites de Mme de La Fayette, de Mme Dacier, de Bossuet, de Fléchier, de Fénelon, etc ... extraites de la correspondance de Huet, Paris, Hachette, 1879, 126 p. 1719. DACIER, Anne. «Lettres », dans Durry, M. J., Autographe de Mariemont, Paris, Nizet, 1955, vol. l, p. 362-367. 1738. Pons, Jean-François de. Oeuvres. Suivies De Lettre à Madame Dacier Sur Son Livre: Des Causes de la Corruption Du Goust, Genève, Slatkine, 1971, 1 vol.

2.3. COMMENTAIRES 1665. FLEURY, Claude. Remarques sur Homère, dans Deux amis d' Homère au XVIf siècle. Textes inédits de Paul Pellisson et de Claude Fleury, éd. N. Hepp, Paris, Klincksieck, 1970, p. 137-173. 1715. BOIVIN DE VILLENEUVE, Jean. Apologie d'Homère et Bouclier d'Achille, Genève, Slatkine Reprints, 1970, 287 p. 1715. BUFFIER, père Claude. «Homère en arbitrage », dans La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 200 l, p. 592-599. 1715. FRAGUIER, Claude-François. «Réflexions sur les dieux d'Homère », dans La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 2001, p. 628-635. 1715. HÉDELlN, François, abbé d'Aubignac. Conjectures académiques ou Dissertations sur l'Wade, Paris, Hachette, 1925, 1 vol. 1715. TERRASSON, abbé. Dissertation critique sur l'Wade d'Homère (extraits de la préface), dans La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 200 l, p. 600-627.

2.4. IMITATION ET PARODIES 1699. FÉNÉLON. Télémaque, dans Œuvres, éd. J. Le Brun, Paris, Gallimard, 1983, t. l, p. 1- 326. 1716. MARIVAUX. L'Homère travesti ou l'Wade en vers burlesque, éd. F. Deloffre, Paris, Gallimard, 1972, p. 857-1084.

111 1716. SAINT-HYACINTHE, Thémiseul de. Le Chefd'œuvre d'un inconnu, éd H. Duranton, Paris, Éditions du CNRS, 1991, 197 p.

3. Autres textes

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3.2. PÉRIODE MODERNE

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