Histoire de

Jean-Bernard Charrier Madeleine Chabrolin, Jean-Pierre Harris, Bernard Stainmesse

Histoire de NEVERS

1 ere PARTIE

DES ORIGINES A U DEBUT DU XIXe SIECLE par Jean-Bernard Charrier, Madeleine Chabrolin, Bernard Stainmesse

*

Collection : Histoire des Villes de

EDITIONS HORVATH

ROANNE/LE COTEAU 1984 Directeur de publication : Gérard TISSERAND Directrice littéraire : Corinne POIRIEUX Copyright Editions HORVATH 27, bd Charles de Gaulle — Z.I. 42120 LE COTEAU I.S.B.N. 2-7171 -0318-X INTRODUCTION

Quelques considérations générales ont présidé à l'élaboration de cette "Histoire de Nevers". D'abord, le souci de maintenir un certain équilibre entre l'his- toire dite "événementielle', celle des grands faits politiques ou militaires, et l'histoire économique, démographique, sociale, des faits de civilisation ; une attention particulière a été portée à l'his- toire de l'urbanisme. Ensuite, nous avons voulu replacer Nevers dans son cadre géo- graphique ; il nous est apparu impossible de ne pas dire un mot des petites villes environnantes ; pour autant, nous n'avons pas eu la prétention d'écrire une histoire d', de Guérigny, de Pou- gues ou de . Il nous a semblé utile également d'accorder d'assez longs déve- loppements à la période contemporaine (le XXe s.), peut-être, paradoxalement, la moins bien connue jusqu'ici. Enfin, nous avons donné un certain nombre de références, non par pédantisme, mais pour rappeler que l'histoire s'écrit à partir de documents bruts (d'archives) ou de l'utilisation de travaux antérieurs, dont certains, bien que remarquables, n'ont pas tou- jours été publiés pour autant. Ajoutons que ce livre est un travail d'équipe. Si Jean-Bernard Charrier a coordonné l'ensemble, il va de soi que chaque auteur est resté libre de son approche et de sa méthode.

La dette des auteurs est importante. Ils remercient particulière- ment, parmi ceux qui les ont aidés et conseillés, MM. R. Baron, M. Valtat, E. Rondepierre ; parmi ceux qui les ont autorisés à reproduire des cartes ou des plans inédits, les architectes D. Froi- deveaux ou M. Paillot. Gilles Panné a mis au net nos croquis ; par la richesse de sa contribution, il est en fait un des co-auteurs du livre. Yves Pautrat a élaboré, spécialement pour nous, de fort beaux dessins. L'illustration de ce volume doit beaucoup à la documentation des Archives Départementales, sélectionnée par Madeleine Chabrolin, mais aussi à la Fédération des Oeuvres Laï- ques, au Journal du Centre, etc. Des photographes professionnels comme Aliette Gonin n'ont pas hésité à se mettre spontanément et gratuitement, au service de notre livre. Nous devons à l'amitié de Robert Pouillot d'avoir eu accès aux belles photographies du "Photo-Club" de la Nièvre.

Terminons en précisant que cette "Histoire de Nevers" com- porte nécessairement beaucoup de lacunes. Nous souhaitons être rapidement "dépassés". Si par chance, nous avions contribué à faire naître de nouvelles vocations de chercheurs, notre but serait pleinement atteint.

Les Auteurs. CHAPITRE 1 LE SITE ET LA POSITION

Jean-Bernard Charrier

Avec 60 000 habitants environ en 1975, l'agglomération de Nevers (1) vient au 87e rang des agglomérations françaises. Plus étendu, le "groupement d'urbanisme", qui englobe notamment Imphy et Fourchambault, en compte autour de 84 000. Plus du tiers de la population de la Nièvre est donc concentré dans la région de Nevers. L'ancienneté de Nevers même, qui existait déjà au moins comme bourgade à l'arrivée de César en Gaule, s'oppose au caractère "récent" (milieu du XVIIIe siècle, début du XIXe, voire XXe) des petites villes industrielles de la périphérie : Guérigny, Imphy, Fourchambault, Vauzelles. Sans être très peuplée, l'agglomération de Nevers n'en jouit pas moins d'une nette prépondérance dans le département, puisque les autres agglomérations importantes, celles de Cosne, et Fourchambault, ne comptent guère respectivement que 13 500, 9 600, 9 500 hab. (en 1982). Entre autres facteurs, la position de la ville peut expliquer cette prépondérance.

LA POSITION

Trois caractères principaux méritent d'être retenus. — Chef-lieu de département, Nevers est très excentrée par rap- port à ce dernier. La ville l'était déjà par rapport à l'ancienne pro- vince de Nivernais, mais dans une moindre mesure, puisque celle- ci s'étendait quelque peu sur la rive gauche de la Loire. Du fait de cette position excentrée (Saint-Amand en Puisaye est à 72 km,

(1) Communes de Nevers, Varennes-Vauzelles, Coulanges, et Sermoise. La popu- lation a légèrement baissé en 1982 : 59.274 hab. contre 59.424 en 1975. Luzy à 77 km, Montsauche à 92 km, Alligny-en-Morvan à 101 km), Nevers, ville moyenne, pourtant assez bien équipée (pour sa taille) en commerces et en services, ne parvient pas à rayonner sur tout son département ; il est vrai qu'en contre-partie l'aggloméra- tion attire des clients depuis les cantons limitrophes du Cher, jus- que vers La Guerche et même Sancoins.

— Nevers se situe au centre de la France, ce qui peut constituer un avantage, notamment pour les décentralisations industrielles. En fait, la France du Centre, à l'écart des grands courants de cir- culation (à l'exception des vallées de la Loire et de l'Allier) semble n'avoir jamais été très peuplée ni très active (2). C'est vrai même de la Champagne berrichonne calcaire ; à plus forte raison du Nivernais proprement dit (arrondissement de Nevers et cantons voisins), argileux ou sableux, aux sols soit peu fertiles, soit lourds et humides, difficiles à travailler, qui, comme le Bourbonnais voi- sin, a été peuplé tardivement et incomplètement : pays de forêts donc, ou de grands domaines qui apparaissent fort mal cultivés à la fin de l'Ancien Régime. Nevers est donc cernée de zones rurales peu denses, ce qui constitue un handicap. Il est vrai que le Nivernais occidental était riche en minerai de fer comme en bois, d'où l'essor de l'ancienne métallurgie, mais ces ressources se sont épuisées, ou apparaissent aujourd'hui beau- coup moins intéressantes qu'autrefois.

Le "Centre" se place en marge de la France industrielle et urbaine ; on n'y trouve que des villes au mieux moyennes, dont la croissance a été généralement assez lente. Aussi les grandes villes sont-elles éloignées : Clermont-Ferrand est à 150 km, Orléans à 157, Dijon - la capitale de région - à 188 km, Paris - la capitale régionale de fait - à 240 km.

— Nevers enfin, se situe à un carrefour de voies de communica- tion. Les voies les plus importantes sont les voies Nord-Sud, entre Paris d'une part, et d'autre part Lyon par le seuil de Tarare ou Clermont par la Limagne, mais leur rôle a varié au cours de l'his- toire.

La Loire et l'Allier ont été navigués de l'époque préromaine jusque vers la fin du Second Empire ; ils sont aujourd'hui déser- tés par la navigation ; le canal latéral à la Loire est peu fréquenté. Pour les relations terrestres entre Paris et Lyon, il y a toujours eu deux itinéraires plus ou moins concurrents, l'un par le seuil de Bourgogne et les plaines de la Saône, l'autre par la vallée de la Loire nivernaise. Ce dernier a lui-même varié entre Nevers et

(2) Stendhal, de passage à la Charité, remarque : "Ce Centre de la France est encore bien attardé ; il valait mieux sans doute il y a mille ans, je veux dire il n'était pas tellement infé- rieur au reste du pays" (Mémoires d'un touriste, 13 avril 1837) Nevers, vue générale. La Loire et les ponts. (Dessin d'Y. Pautrat).

Roanne puisqu'à la route antique, longeant le fleuve par Decize et Digoin, s'est substituée, à la fin du Moyen-Âge, la route actuelle par Moulins. Le fait essentiel est toutefois que la "Route Bleue", par Nevers et Moulins, ait perdu, relativement, de son importance au XXe s., et surtout après la dernière guerre, au profit des axes bourguignons, RN 6 et autoroute A 6 par Auxerre et Chalon. Devenue plutôt itinéraire de rechange pour les relations entre Paris, Lyon et le Midi, la RN 7, prolongée par la RN 9 au sud de Moulins, est aujourd'hui menacée même pour les relations Paris- Auvergne, dont elle perdra le monopole et peut-être même l'essentiel du trafic, si l'autoroute Paris-Bourges est prolongée jusqu'à Clermont (3). L'évolution est assez semblable pour le réseau ferré. La ligne du Bourbonnais, par Nevers et Moulins, autrefois importante pour les relations avec Lyon et la vallée du Rhône (4), mais handicapée par la traversée du seuil de Tarare, a cédé la quasi totalité de son

(3) Il est vrai qu'en contre-partie la RN 7 devrait être traitée en voie rapide, à quatre voies séparées. (4) Le P.L.M. avait spécialisé la ligne de Dijon dans les trains nobles de voyageurs, rapides et express, la ligne du Bourbonnais (et celle de l'Azergues, Moulins-Lyon par Digoin) dans le trafic marchandises et notamment messageries. trafic à la "ligne impériale" par Dijon, quand celle-ci a été électri- fiée (en 1952). Elle conserve par contre les trains rapides Paris- Clermont, à traction diesel. Son électrification est prévue pour 1990. Il faut souhaiter que celle-ci ne se limite pas au tronçon Clermont-Nevers, car les trains directs risqueraient fort d'être alors détournés par Saincaize et Vierzon (l'électrification de la transversale Lyon-Nantes par Saint-Germain des Fossés et Sain- caize étant elle aussi prévue).

Les relations vers l'Est sont pour leur part handicapées par l'orientation Nord-Sud des reliefs du Nivernais, et surtout par la présence du Morvan. Le passage le plus commode entre Loire et Saône est celui, aujourd'hui utilisé par la voie ferrée Nevers- Chagny, qui contourne le Morvan par le Sud. Mais la route la plus directe entre Dijon, le Berry et la France de l'Ouest con- tourne le massif par le Nord (Avallon) et franchit la Loire à la Charité, évitant Nevers. Du côté du Berry, il n'y a guère d'obsta- cle à travers la plate Champagne, mais la route Nevers-Bourges est assez secondaire ; le grand axe routier Lyon-Océan relie Mou- lins à Bourges et Tours par Saint-Pierre-le-Moûtier. comme la transversale ferroviaire Lyon-Nantes le fait par Saincaize. Quant au canal à grand gabarit, qui pourrait un jour relier Nevers (et le canal du Centre) à Tours, en court-circuitant la boucle de la Loire orléanaise, il relève du domaine du mythe.

Nevers est donc finalement aujourd'hui un carrefour assez secondaire. Par contre, les relations avec Paris sont aisées : deux heures par les trains les plus rapides, trois heures, ou un peu plus, par la route.

LES ENVIRONS DE NEVERS

La zone proche de Nevers est à la fois variée et relativement accidentée. Pour comprendre le relief actuel, on peut partir du milieu de l'ère tertiaire (— 25 millions d'années environ). A ce moment, l'ensemble du Berry et du Nivernais semble avoir été aplani ; cette "surface d'érosion", constituant une sorte de bas plateau uniforme, s'inscrivait tantôt sur des terrains durs (calcai- res de la Champagne berrichonne, calcaires décalcifiés de la forêt des Bertranges, des hauteurs des Amognes), tantôt sur des ter- rains alternativement durs et tendres - calcaires et marnes -, dont la distribution grossièrement Nord-Sud s'explique par un jeu de failles qui s'était produit un peu antérieurement, à l'Oligocène. C'est ce qui se passe à l'emplacement des "Vaux de Nevers", dits encore "Vaux de Pougues" (5). — Par la suite, la surface du ter- tiaire a été déformée, notamment gondolée ; le compartiment nivernais a été soulevé jusque vers 300 mètres (mont Givre, 298 m), une centaine de mètres au-dessus du compartiment berrichon (6). Ce soulèvement a eu comme conséquence une "reprise d'éro- sion", à l'extrême fin du Tertiaire ; les zones marneuses ont été mises en creux (ex. : depression de Fourchambault), tandis que les zones calcaires restaient en saillie, formant des plateaux (plateau des Bertranges, hauteurs des Amognes) ou des buttes laniérées (ex. : le mont Givre). Accessoirement, des déformations de la sur- face d'érosion expliquent le tracé des principaux cours d'eau, dont la Loire, qui semble suivre une gouttière synclinale, orientée Sud-Est Nord-Ouest, entre Decize et Nevers (7). Au Sud de la Loire, le soulèvement a été médiocre, et il y a même eu une tendance à l'affaissement. Dans cette cuvette "bourbonnaise" sont venus s'accumuler, à la fin du Tertiaire, vers — 10 millions d'années, des sables granitiques, épais de 90 m à Azy-le-Vif, apportés par les ancêtres de la Loire et de l'Allier.

Des ensembles contrastés

Nevers se trouve au contact d'ensembles contrastés. — Au Nord et à l'Est, les vastes plateaux boisés des Bertranges, des forêts de , de Guérigny, des Amognes, dont l'altitude augmente (suivant les déformations de la surface tertiaire) de 200- 220 m à l'Ouest à 300 m et plus à l'Est. En surface, le calcaire jurassique, généralement callovien, est décalcifié, c'est-à-dire recouvert, sur une épaisseur de un à dix mètres, par une forma- tion argilo-limoneuse, de couleur jaune à orangé vif, chimique- ment acide et très pauvre, contenant de nombreux cailloux (chail- les) ; le tout issu de la décomposition (dans des conditions de cli- mat tropical ?) des calcaires sous-jacents. De valeur agricole très médiocre, cette formation convient bien par contre à la forêt, qui s'y est maintenue presque partout. Forêt de chênes surtout, avec quelques fûts de hêtres et de châtaigniers, avec sous-bois acido- phile (fougère, etc.). En Bertrange, une partie du massif est traitée en fûtaie, au moins depuis Colbert. Ajoutons que la formation superficielle contenait du minerai de fer, qui fut exploité jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle.

(5) La faille de Pougues explique évidemment la venue des eaux thermales. (6) C'est l'inverse plus en aval où la région sancerroise a été fortement soulevée par rap- port à celle de Pouilly et de Cosne. (7) J.Gras : Le bassin de Paris méridional, étude morphologique, thèse, Rennes, 1963. Environs de Nevers : relief et hydrologie

(Carte dessinée par Gilles Panné). _ — Les Vaux de Nevers (ou de Pougues) s'étendent au Sud du plateau des Bertranges (Tronsanges, Chaulgnes, Parigny-les- Vaux). Les dénivellations sont notables, pouvant dépasser la cen- taine de mètres. Les points hauts sont généralement constitués par le calcaire callovien, qui forme soit de véritables plateaux (plateau au Nord de Nevers et du Bois de la Brosse, vers 220 m), soit des buttes laniérées guidées par des failles approximativement Nord- Sud, comme le mont Givre déjà cité, ou la butte de Germigny. Les dépressions, excavées dans les marnes bathoniennes, for- ment les plaines de Pougues (190-200 m) et de Fourchambault- Varennes (drainée par la vallée du Riau, 190-175 m), à large fond plat, tapissé d'alluvions, en partie zones inondables. Le parcours de la RN 7 au Nord de Nevers donne une bonne idée de la variété des paysages traversés. De la Croix-des-Pélerins au Nord du Bengy, elle court, rectiligne, sur le plateau callovien ; à hauteur de Vernuche, elle descend un talus (côte de l'Horloge) qui se suit, à peu près Sud-Nord, du Four de Vaux au bourg de Varennes ; elle descend ensuite au fond de la dépression marneuse draînée par le Riau, puis escalade, avec des lacets sévères, les pentes du Mont Givre, pour redescendre 80 mètres plus bas dans la plaine de Pou- gues. A cette diversité répond celle des paysages agricoles. Les larges fonds marneux ou alluviaux humides portent de vastes prairies bocagères. Une partie des plateaux est encore couverte de bois. Mais surtout, les pentes étaient naguère garnies de vignes, à , Pougues, Chaulgnes, Parigny. Aujourd'hui, ce vignoble a presque entièrement disparu, remplacé par des friches et pelouses parfois buisonneuses, mais non sans laisser des traces dans le par- cellaire, particulièrement morcelé. — Au sud de Nevers, le pays "entre Loire et Allier" est beau- coup plus plat. Si on met à part la modeste dorsale Est-Ouest de calcaire bajocien qu'on suit de Sermoise à , ce pays se divise en deux parties : à l'Ouest, les alluvions fertiles du Val d'Allier et les plaines liasiques sont le support de belles prairies d'embouche (Saincaize, Magny-Cours...), tandis qu'à l'Est les dernières avancées des sables du Bourbonnais vers le Nord engen- drent un pays plus ingrat, de "bruyères", encore en partie boisé.

Les cours d'eau

Les cours d'eau secondaires s'épanouissent parfois en de larges vallées, comme l'insignifiant ruisseau du Riau, à la traversée de terrains marneux. Dans les zones calcaires, les vallées se réduisent à d'étroites rainures. La Nièvre s'élargit après le confluent, à Gué- rigny, des deux branches venues d'Arzembouy et de Cham- plemy ; son fond plat atteint 1 500 m à hauteur d'. Mais la vallée s'épanouit surtout à partir de Coulanges, dans les marno- calcaires bathoniens. Le débit moyen reste modeste : autour de 6 mVsec. Toutefois, faute de pente, les inondations sont redouta- bles. La légende veut que le pont Saint-Ours tire son nom d'Ours, compagnon de voyage de l'évêque Aré, noyé ici par une crue, puis ressuscité par le saint évêque. Le large fond plat porte partout des prairies humides et marécageuses. Notons que cette vallée est pourtant une importante voie de passage. Nevers, dès l'origine, est une ville de la Nièvre, autant qu'une ville de la Loire. La Loire et l'Allier n'en marquent pas moins de façon très caractéristique le paysage de la proche région nivernoise. Les deux cours d'eau, qui confluent à une lieue en aval de la ville, présen- La Loire, un fleuve irrégu- tent de grandes ressemblances. D'abord en ce qui concerne la lar- lier, encombré d'îles et de bancs de sable. geur du lit majeur (plaine d'inondation), qui varie entre deux et (CI. Journal du Centre). quatre kilomètres (8). Ensuite, pour l'aspect même de ce lit,

(8) La limite Sud ou Ouest du Val de Loire (lit majeur) correspond presque exactement au tracé du canal latéral. formé surtout de sables (arrachés à la traversée de la Sologne bourbonnaise) ou petits graviers, colonisé par la même végétation de "verdiaux", saules et buissons bas. Le lit mineur est encombré d'îles, d'ailleurs plus nombreuses après le Bec d'Allier, dont on ne sait pas encore très bien dans quelle mesure elles restent stables ou tendent à migrer vers l'aval (9). On peut dire de l'Allier ce que Guy Coquille, au XVIe siècle, écrivait de la Loire : que cette rivière "change souvent son cours et son profond, jettant grandes quantités'de sables es lieux où l'on soulait estre le profond et fai- sant le profond où soulait estre le sable". Mêmes similitudes pour le débit moyen (140 mVsec. pour l'Allier, 185 m3 pour la Loire), la rapidité du courant, l'attaque des berges, les faibles profondeurs, l'instabilité des chenaux, le déplacement des seuils et des mouilles, l'extrême médiocrité des étiages, qui ont pu tomber à 5 mVsec., et à l'inverse le caractère formidable des crues, puisqu'aussi bien l'Allier que la Loire ont pu écouler, chacun, en amont du Bec, jusqu'à près de 5 000 mVsec. lors des grandes crues extraordinaires du milieu du XIXe siècle (1846, 1856, 1866). Malgré leur extrême irrégularité, la Loire et l'Allier étaient pourtant navigables et navigués ; non pas, comme le pensent certains, qu'ils aient écoulé autrefois plus d'eau qu'aujourd'hui, ou que leur régime ait été plus régulier, mais parce que la navigation utilisait des bateaux à fond plat, et surtout qu'elle était périodique et fort aléatoire. La Val de Loire nivernais, avec ses prairies sablonneuses (10), ne ressemble guère au Val "classique", vers Orléans, riche ruban de cultures intensives. Entre autres raisons, c'est que le climat ne présente pas ici "la douceur angevine". Moins frais et moins humide que le Nivernais intérieur où les précipitations dépassent souvent 800 mm, où le nombre de jours de gel atteint ou dépasse 80, le Val nivernais n'en est pas moins assez arrosé (772 mm à Nevers pour la période 1931-60, 97 mm de plus qu'à Bourges, 72 mm de plus qu'à Moulins), avec une rela- tive rudesse des hivers (72 jours de gel contre 60 à Bourges). L'été est moins chaud qu'en Berry ; les températures moyennes de juil- let ne dépassent pas 18°4 à Nevers contre 19°2 à Bourges. Par rapport à Dijon, les hivers sont moins froids, les étés sont moins chauds : le climat est moins "continental".

(9) R. Dion : Le Val de Loire, thèse, tours, 1934 ; Y. Babonaux : Le lit de la Loire, étude d'hydrodynamique fluviale, Paris, Bibl. Nat., 1970. (10) Les alluvions de l'Allier sont plus fertiles que celles de la Loire, en partie parce qu'arrachées aux "terres noires" de la Limagne, d'origine volcanique. LE SITE DE NEVERS

On peut s'étonner que la ville de Nevers ne se soit pas installée au confluent même de l'Allier et de la Loire. C'est qu'en dépit des apparences le site était sans doute moins favorable. A part le val- lon de Saint-Baudière, aucune percée n'échancre le rebord du pla- teau de Marzy, perché près de 70 m. au-dessus de la confluence. Sur la rive opposée, le hameau du Bec d'Allier (dans le Cher) n'a pu s'installer dans le Val que grâce à l'abri d'une "levée". Le site de Nevers, à l'inverse, tout en étant fort proche du Bec, bénéfi- ciait d'un passage resserré de la Loire, de la protection de la butte de la Cathédrale, de la confluence de la Nièvre, ouvrant une route vers l'intérieur et offrant un port en eaux calmes, de celle même du ruisseau de la Passière dont l'embouchure, près de la Tour Goguin, servait également de hâvre aux embarcations.

Le sous-sol de la ville (11)

Nevers, à l'exception des quartiers récemment installés sur les alluvions de la Nièvre ou dans la plaine de la Loire, est bâtie sur un ensemble de plateaux, buttes et vallons, du Jurassique moyen ou supérieur. Les calcaires, calcaires argileux, et les marnes domi- nent. Le relief, à peu près tabulaire dans la partie nord de la ville, devient plus accidenté à proximité de la Loire, qu'un méandre porte à couler au pied du versant nord, dont elle entretient ainsi la raideur ; la dénivellation atteint 25 à 30 m sous la butte de la Cathédrale, plus du double à hauteur des Montapins. L'essentiel de la commune de Nevers, et notamment toute la partie à l'intérieur de la boucle du chemin de fer de Chagny, est construit sur les calcaires calloviens, ou les marno-calcaires du bathonien supérieur. Le callovien constitue notamment tout le plateau au Nord de la vieille ville jusqu'au quartier du Banlay et au delà, sur Varennes-Vauzelles. Il comprend surtout des calcai- res durs, qui constituent la pierre de Nevers, "blanche ou rosée, à patine jaune, malheureusement encore un peu argileuse et très gélive" (J.H. Delance), avec laquelle furent construits les princi- paux monuments de la ville. Les principales carrières se trou- vaient vers Saint-Gildard (cf. le nom de la rue des "Perrières"). Il en exista 1 aussi entre la rue Faidherbe et la rue de Vauzelles, dans

(11) J.-H. Delance, in P. Rat et coll. : Bourgogne-Morvan,collection Guides géologiques régionaux, Masson, 1972, p. 140-141. lesquelles on trouva, en 1866, un squelette de crocodile "presque entièrement pétri de chaux". La base du callovien est cependant marno-calcaire ; elle fait ainsi transition avec le bathonien supérieur sous-jacent. Ce der- nier étage apparaît surtout le long du versant de la Loire, en amont des Saulaies, formant notamment la butte de la cathédrale, et le long du versant de la Nièvre, avant de s'épanouir entre le ruisseau de la Pique et Coulanges. 4 à 5 mètres de calcaire "fauve" surmontent 2 à 3 m de marno-calcaires, et surtout 20 à 25 m de marnes bleues, sujettes à des glissements après les pluies. Au-dessus du callovien, les étages oxfordiens sont plus locali- sés, et limités à l'Ouest de l'agglomération ; ainsi aux Montapins, où la partie inférieure marneuse (faciès oxfordien) est surmontée par des bancs calcaires. Enfin, le calcaire lacustre du Nivernais, avec meulières, d'âge éocène, ne s'observe qu'à la butte des Mon- tapins, dont il coiffe le sommet. Pour conclure, bien que les calcaires dominent, l'importance des marnes, en couches épaisses ou en bancs argileux intercalés

Les bords de la Loire sont formés de terrains alluviaux, principalement sableux. De grands travaux sont souvent nécessai- res pour protéger les constructions qui s'aventurent dans le Val : ici, le quartier neuf de La Baratte. (CI. François Pommery, F.O.L.). dans les calcaires, a des conséquences non négligeables. D'abord sur l'hydrographie. Nevers est construite sur une nappe d'eau d'inégale profondeur. Au Moyen-Âge, on comptait de très nom- breux puits et six fontaines (12). Des eaux stagnantes formaient des marécages, de la partie orientale du Parc aux actuels jardins de l'Hôpital. Quant au relief, du fait de ce caractère géologique, il est formé souvent de buttes aux pentes adoucies, plutôt que de plateaux rigides.

Le site de la ville ancienne

Il se décompose en une série de sous-ensembles individualisés (13). -La butte de la cathédrale ("Oppidum", "Castrum", "Cité"...). La ville ancienne est bâtie en amphithêatre au-dessus des ponts. C'est l'aspect le plus caractéristique, souvent repré- senté depuis 1645 où M. de Monconys arrivant de Roanne par la Loire fait dessiner le panorama (14). Pénètre-t-on dans l'inté- rieur, on trouve un terrain accidenté : "on ne fait que monter et descendre", note Sébastien Locatelli en 1664 (15). Le site primitif, celui de l'oppidum gaulois, puis du "castrum" romain, est en effet la butte qui porte aujourd'hui la Cathédrale et le Palais Ducal ; elle dessine une sorte d'ovale, allongé sur 600 à 700 m dans le sens E.N.E.-O.S.O., pour une largeur moitié moin- dre. Elle culmine à 199 m au-dessus de la rue du Quatorze-Juillet, vers 190-192 m au-dessus du Pont de Loire. C'est de ce côté que la dénivellation est la plus forte (la Loire coule vers 176 m). Cepen- dant, de toute part on est obligé de s'élever (raidillon de la rue Sabatier), même si de ce côté les 5 à 6 mètres de dénivelé semblent avoir été accentués par l'homme, comme le montrent les murs de soutènement et les terrasses étagées de cette façade nord, qui seraient, selon Massillon-Rouvet, un travail d'époque romaine (?) (16).

(12) Fontaine de Beaulpré, dite plus tard du Rivage, près du quai de Loire ; fontaine de Censuère, dans les anciens fossés de la porte de la Barre ; celle du Bourg, rue du Puits du Bourg ; la fontaine Saint-Loup, près de la rue de l'Aiguillon ; celle de Sainte-Vallière ; la fontaine de Beaulmette, au bas de l'escalier du quai de Loire. Cf. M.-F. Caquet. La ville de Nevers au XVe siècle, Mémoire Études Sup., Univ. Dijon, 1974, p.3. (13) D. Froidevaux : Etude du centre-ville, publication ronéotypée avec nombreuses plan- ches, Nevers, 1977. Voir notamment la planche III et son commentaire, dont s'inspire lar- gement ce paragraphe. (14) L. Gueneau : L'organisation du travail (industrie et commerce) à Nevers au XVIIe et XVIIIe siècles, thèse.Paris. Hachette, p.3. (15) Id., ibid., p.5. (16) Massillon-Rouvet, Remparts et monuments de l'ancien Nevers, J. Bellenger, Nevers, 1895. Le site de Nevers. La butte de la cathédrale domine le confluent de la Nièvre et de la Loire. Aujourd'hui, la Nièvre coule en souterrain, et la maison de la Culture (à droite) gâche quelque peu le panorama. (CI. François Pommery, F.O.L.).

— A l'Ouest, le Val de la Passière (185-175 m), drainé par un petit cours d'eau nord-sud (aujourd'hui entièrement souterrain), ravitaillé par le ruisseau de l'Aiguillon et les eaux suintant du pla- teau Saint-Gildard, alimentait des étangs et marais : en amont ceux de la Passière, vers l'actuel pont de Fourchambault et les ins- tallations ferroviaires, en aval, ceux de Ninchat, entre la porte du Croux et la Loire. La confluence, vers la tour Goguin, marqua longtemps le site du principal port de Nevers, avant que Badaud de la Chaussade n'aménage le port industriel de Médine, sur la Nièvre. Tout ce vallon assez large, entre la "Cité" et la butte des Montapins, a été complètement transformé par l'installation du chemin de fer. — Au Nord, une large dépression sépare la butte de la Cathé- drale (199 m) du plateau Saint-Gildard (205-207 m). Ce dernier, terminaison Sud de plateau callovien, tombe par un talus fort raide sur le vallon de la Passière et la rue des Docks. Sans que la pente soit aussi raide vers la ville, on passe de 207 m dans la partie haute du Parc, vers Saint-Gildard, à 194 m dans la partie basse (monument aux Morts, angle de la place Carnot). Tout l'espace compris entre la Prison, la place Carnot, la rue des Ouches, l'Hôpital, la rue Clerget, est pratiquement plat, avec des altitudes de l'ordre de 190-195 m. Une partie de cette dépression était marécageuse. Les eaux fil- trant du plateau callovien s'accumulaient vers la base marneuse de cet étage, constituant l'étang et marais des Minimes, vers l'actuelle avenue Marceau, entre la rue Paul Vaillant-Couturier (ancien faubourg de la Chaussée, au nom caractéristique) et la digue qui porte aujourd'hui l'avenue Colbert ; au-delà, l'étang de la Sangsue s'étendait à l'emplacement des actuels jardins de l'Hôpital et de la Préfecture. Les eaux constituaient donc une protection pour une bonne partie de la façade Nord de la ville ; en revanche, la nature marécageuse des terrains a contribué à retar- der l'urbanisation du quartier de l'avenue Marceau jusque vers la fin du XIXe siècle. — A l'Est de la rue du Commerce, le coteau du quartier Saint- Etienne, taillé pour l'essentiel dans le bathonien, s'incline au con- traire au Sud-Est par une pente douce et régulière (église Saint- Pierre : 190 m, église Saint-Etienne : 184 m, marché Saint- Arigle : 180 m), qui se raidit pourtant quelque peu aux abords de la Nièvre. — Enfin, au Sud-Est, la protection était assurée par les vastes marais de la Nièvre et du Mouësse, dont nous reparlons ci-dessous, avec les différents bras de la Nièvre et du ruisseau de l'Eperon, comme elle l'était au Sud, bien évidemment, par le vaste lit de la Loire. Ainsi, la Nevers primitive apparaît à la fois comme un site d'oppidum (forteresse), un site de confluence, un site de franchis- sement d'un grand fleuve. Aux époques où les préoccupations défensives étaient déterminantes, ce site était avantageux ; le seul côté vulnérable était peut-être celui au pied des hauteurs de Saint- Gildard. D. Froidevaux, s'inspirant de Massillon-Rouvet, note à juste titre que la première enceinte, gallo-romaine, a pris appui sur le relief de la butte, tandis que la deuxième enceinte, beaucoup plus vaste, celle de Pierre de Courtenay (fin du XIIe siècle), s'appuyait principalement sur l'eau et les marais.

Les contraintes du site et de l'expansion moderne

Théoriquement, en terrain plat et homogène, l'expansion de Nevers se serait faite de façon circulaire (en "tâche d'huile"), avec des tentacules le long des principales voies d'accès. En fait, Extension de Nevers (Carte dessinée par Gilles Panné).

d'après Livre Blanc de Nevers (en partie) les contraintes du site, sans parler de celles créées par l'homme lui-même (comme le chemin de fer de Chagny) ont conduit à pri- vilégier certaines directions. C'est ainsi que l'agglomération, au XXe siècle, s'est peu développée vers le Sud (sur la rive gauche de la Loire), et beaucoup vers le Nord et le Nord-Ouest. Trois contraintes naturelles peuvent être signalées : celle du franchissement de la Loire, l'obstacle des zones humides et inon- dables, celle enfin, du relief et des pentes.

Le franchissement de Au Sud, la Loire est l'obstacle majeur. Ses ponts n'ont cessé de la Loire et le pro- causer du souci à la ville de Nevers, tout au long de son histoire blème des ponts (17). L'existence d'un pont romain, assez vraisemblable, reste pour- tant hypothétique. On remarque en effet que l'enceinte gallo- romaine, apparemment, ne comportait pas de porte tournée vers le fleuve. La première mention d'un pont (à péage) remonte à 1227 : la comtesse Mahaut cède alors dix livres de rente viagère sur son péage à Bonne, nourrice de sa fille Agnès (18). Au Moyen- Âge, le pont, encore en bois, est emporté à plusieurs reprises : par les eaux en 1309, par les glaces en 1389, etc. C'est le début (connu) d'une longue série de catastrophes, qui se reproduisent jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Une partie du pont, côté ville, est encore emportée en 1790, et remplacée quatre ans plus tard par un ouvrage provisoire en bois. Jusque vers la fin de l'Ancien Régime, il n'y avait pas un pont mais trois (d'où l'expression encore usitée, les "Ponts de Loire"), plus ou moins alignés et prenant appui sur des îles ou la terre- ferme. Le Grand Pont, sur le bras navigable, côté ville, recons- truit en pierre avant 1535, conduisait à l'Ile aux Bœufs, aujourd'hui disparue, à la suite des travaux du XVIIIe siècle ; à partir de là, le pont Notre-Dame, édifié à une date inconnue, reconstruit en pierre entre 1536 et 1550, conduisait à une nouvelle île sur laquelle se trouvait la chapelle "Notre-Dame du Bout du Pont" ; enfin, le pont de l'Official (19), de la fin du XVe siècle, refait en pierre en 1604, permettait de franchir, en une seule arche, le "ruisseau de la Gonnière", c'est-à-dire un bras mort de

(17) Sur les ponts de Nevers : J. Imbart de la Tour : La Loire, Vallière, 1900 ; A. Julien, La Nièvre à travers le passé, Michot, 1883 ; A. Massé, Histoire de Nevers, m.S. AD Niè- vre, 36 J 22, ch. 41-42 ; F. Lechat : Nevers pas à pas, à Nevers, 1979, p.219 et sq. (18) Cf. Parmentier : Archives de Nevers, 1842, t.II., cité par A. Massé, Hist. Nevers, ch. 41. (19) L'official en question est le chanoine Pierre Régnier, qui propose en 1483 de faire construire le pont à ses frais. la Loire, côté Sud, où l'eau n'apparaissait que pendant les crues, L'ensemble de ces trois ponts, d'une longueur de 580 m, ne tra- versait pas le lit en ligne droite, mais formait une légère convexité vers l'amont. Bien entendu, quand l'un des ponts était détruit, ce qui ne laissait pas d'arriver fréquemment, il fallait franchir la Loire à gué — lors des étiages — ou en barque. L'idée d'un pont unique, avec des travaux pour faire disparaî- tre les îles intermédiaires, remonte au dernier tiers du XVIIIe siè- cle, en partie d'après les plans de Régemortes, ingénieur en chef de la Généralité de Moulins. La partie Sud de l'ouvrage, rempla- çant les Ponts Notre-Dame et de l'Official, fut mise en chantier vers 1770 et terminée vers 1778 ; la partie Nord, on l'a noté, avait été emportée en 1790 ; l'ensemble du Pont, tel qu'il se présente actuellement, fut terminé seulement en 1833. Construit ainsi par Nevers en 1575, plan de Bel- tronçons, en grès de Coulandon (près de Moulins), le pont-route, leforest. On note la multipli- long de 350 m., comporte quatorze arches flanquées de piles cité des îles qui encom- ' braient le cours de la Loire. épaisses ; il a parfaitement résisté aux grandes crues du XIXe siè- Au premier plan, le « ruis- cle, mais la largeur du tablier (13 m 60) ne permet pour l'instant seau de la Gonnière ». (CI. que deux files de voitures. Archives de la Nièvre).