Histoire de Saint-Benin-d'Azy Principaux ouvrages des mêmes auteurs

LES FRERES DROUILLET : Glanes nivernaises - Au son des vielles, poésies — Gastronomie nivernaise — Anthologie des Poètes nivernais. HENRI DROUILLET : Les chansons du Cabaret. JEAN DROUILLET : Mon Oncle Benjamin (1 acte en vers) et Belle Plante et Cornélius (3 actes) d'après Claude Tillier — La Ronde des Provinces (Palais du Chaillot) — Un serviteur du terroir nivernais : Fanchy — Le Nivernais en diligence — Les traditions populaires des pays nivernais (bibliographie critique) — Sonnailles et Fredons, poésies patoises — Le Patois nivernais, vocabulaire d'Amognes — Le Nivernais (récompensé par l'Académie des Sciences Morales et Poli- tiques) — Essai de topo-littérature nivernaise — Romanciers et con- teurs nivernais — Pages choisies d'Henri Bachelin — Pages choisies de Hugues Lapaire — Folklore du Nivernais et du Morvan : 6 volumes parus (Prix Sully-Olivier de Serres, Prix Broquette, Lange et Broquette-Gonin de l'Académie Française) — Hugues Lapaire, maître- poète de la Terre de . PAUL. JEAN et HENRI DROUILLET

Histoire de Saint-Ben i n-d' Azy

Ouvrage couronné par l'Académie Française

NOUVELLE EDITION REVUE ET COMPLÉTÉE

LIBRAIRIE GUENEGAUD 10, rue de l'Odéon, Paris 6e 1974

AVERTISSEMENT

En publiant l'Histoire de Saint-Benin-d'Azy, nous nous devons d'évoquer la mémoire des historiens qui, avant nous, ont écrit sur cette commune des Amognes et dont les tra- vaux ont, en partie, servi de point de dépdrt à cet ouvrage. Victor Gueneau, Charles Petit, Louis-Mathieu Pous- sereau ont essayé, par de patientes recherches, de ressusciter un passé qui n'offrait à ,l'avidité de leurs esprits que des actes épars, des documents non encore inventoriés, des ruines informes, des traditions trop souvent légendaires. Nous n'avons pas voulu nous contenter de reprendre simplement le travail de nos prédécesseurs. Nous l'avons contrôlé et complété. Nombreux sont les ouvrages que nous avons mis à contribution pour donner à notre texte plus de clarté, de mouvement et de vérité. Nous n'avons point négligé non plus le trésor des Archives. C'est à la Mairie de Saint-Benin-d'Azy et aux Archives de la Nièvre que nous avons découvert les sources les plus précises de notre documentation. Nous ne saurions oublier le précieux concours que nous a apporté M. Biver, le distingué archiviste départemental, en mettant à notre disposition sa parfaite érudition et ses aimables services. La bibliographie qui figure à la fin de ce volume est loin d'être complète. Seuls y sont inscrits les ouvrages les plus importants ou ceux dont nous avons fait un assez large usage ; mais nous avons indiqué, en bas de page, au fur et à mesure des citations ou à l'appui du texte lui-même, les références aussi précises que possible. Pour éviter de répéter certaines indications qui reviendront fréquemment au cours des chapitres, nous avons dû employer des abré- viations qui, nous le croyons, recueilleront l' approbation du lecteur : A. S\ B. Archives municipales de Saint-Benin-d'Azy. A. D. N. Archives départementales de la Nièvre. M. S. A. Mémoires de la Société Académique du Nivernais. B. S. N. Bulletin de la Société Nivernaise des lettres, sciences et arts. B. S. C. Bulletin de la Société scientifique et artistique de Clamecy.

Le style de certains passages paraîtra lourd, aride peut-être. Dès maintenant nous nous en excusons. Il n'est guère aisé d'intercaler dans un texte des citations longues et pourtant inévitables. Il nous a fallu revenir à plusieurs reprises sur les mêmes noms, sur les mêmes termes. Souvent nous avons dû choisir parmi les documents dont nous disposions ; mais souvent aussi nous avons tenu à donner in-extenso certains actes, à dresser des tableaux, à comparer des faits. Nous aurions manqué à notre tâche si nous avions négligé tels détails, infimes en apparence, mais qui nous éclairent singulièrement sur le passé. Nous ne prétendons pas avoir épuisé le sujet ; l'histoire se crée chaque jour. Mais nous croyons avoir écrit avec conscience les pages de ce livre, à la gloire de nos aïeux et de notre petite patrie. AVERTISSEMENT pour la 2 édition C'est pour répondre aux nombreuses sollicitations de compatriotes et d'amis que nous nous sommes décidés à rééditer ce livre « de bonne foi » auquel on voulut bien reconnaître quelque mérite. Notre intention fut, tout d'abord, de le livrer tel quel à l'imprimeur. Toutefois, depuis 1936, non seulement nous avons pu réunir quelques documents non négligeables mais, surtout, une tragédie s'est jouée qui n'épargna pas Saint- Benin-d'Azy. De plus, il nous a paru nécessaire de reporter le point final en rédigeant un chapître complémentaire qui mènera nos lecteurs jusqu'à ces toutes dernières années. Ainsi revu et complété, nous espérons que notre ouvrage contribuera à faire mieux connaître encore un coin de France où il fait bon vivre, un coin de France où les hom- mes n'ont pas totalement oublié les traditions de leurs pères... du moins l'espérons nous. Paris, 1970.

PRÉFACE

Je me souviens de l'impression que me laissa la région des Amognes, quand je la parcourus il y a quelques années, lors d'une réunion des Assises du Régionalisme Nivernais. C'était la première fois que je voyais à loisir ce pays aux vallées étroites, verdoyantes, dominées par des collines boisées, et que piquent çà et là de modestes villages groupés autour de leurs églises, dont quelques- unes, celles de Montigny et d'Ourouer, sont de remar- quables spécimens de l'art roman. L'horizon n'y est pas étendu, mais il se dégage de ce pays un sentiment de paix, de pondération, d'intimité et de continuité ; le passé avec ses habitudes, ses traditions, y est encore vivant, bien que modifié par les transformations de la vie moderne. Ce me fut une révélation, en même temps que l'occasion d'apprécier une fois de plus l'utilité d'un régionalisme qui nous apprend à mieux connaître notre pays. Trop longtemps, on s'est peu occupé de l'histoire de nos provinces, et toutes n'ont pas eu la bonne fortune de trouver des écrivains comme ceux à qui nous devons l'Album du Nivernais. Il a fallu attendre le mouve- ment régionaliste pour qu'elles soient en quelque sorte découvertes, pour que l'on connaisse leur beauté, leurs richesses, et que l'on s'intéresse à leur histoire qui n'est pas seulement celle d'une petite région ou d'un petit coin isolé. Il ne faut pas oublier, en effet, que l'esprit, le caractère, le tempérament, en un mot l'âme de la France, ont été formés par l'apport des forces vives et des vertus particulières de chacune de nos provinces, qui se sont amalgamées et fusionnées dans le creuset de l'unité nationale. Etudier ces provinces, en retracer la formation, le développement, l'évolution, ainsi que ceux des centres urbains et ruraux qui s'y sont formés, c'est donc travailler à mieux faire connaître l'histoire de la France entière. Ce sont ces travaux qui permettent de pénétrer dans l'intimité de la vie du passé, d'en disséquer les divers éléments, de les étudier, de connaître et de comprendre leur fonctionnement, de discerner quels furent les traits communs et les caractères propres à chacun de ces groupements naturels et humains ; grâce à eux, nous pouvons suivre nos ancêtres dans leur existence humble et obscure, savoir quels furent leur labeur, leurs souffrances, leurs joies. En nous retrouvant dans le cadre de leur vie, où aujourd'hui, malheureusement, tant de maisons désertées et en ruines témoignent de l'aban- don, nous pouvons évoquer le souvenir de toutes les générations qui s'y sont succédé et dont l'histoire, « sans éclat peut-être, mérite cependant d'être écrite, comme un hommage à l'œuvre persévérante d'hommes qui, tendus vers le même but, travaillèrent toujours pour leur village, pour leur province, pour leur patrie ». Rappeler ce que fut ce passé est un devoir et un hommage rendu à ceux dont nous sommes issus, et au- dessus d'eux, à la France tout entière. C'est ce qu'ont saisi et ce qu'ont réalisé Messieurs Drouillet, de vieille souche nivernaise et dont le nom se retrouve fréquemment dans de nombreux textes de notre région ; ils ont considéré comme un devoir sacré de retracer la vie du centre le plus important des Amognes, Saint-Benin-d'Azy ; et ils se sont pliés à une méthode qui est la meilleure, procédant à la fois du cœur et de l'esprit. Leur enquête préliminaire a été complète : ils n'ont rien négligé, ni les documents qui leur permet- traient d'écrire l'histoire de leur pays, ni les études de leurs devanciers. Ils ont voulu exhausser, célébrer ce qu'avait été la vie de ce coin du Nivernais, et si peut-être le sentiment les a d'abord conduits, l'esprit historique et critique les a en même temps fort bien guidés. Ils ont compris ce que devait être l'histoire locale, qui ne doit pas se borner à une monographie précise et sèche, où les faits sont énumérés chronologiquement, souvent sans perspective, sorte de tableau rétrospectif, qui peut suffire à l'érudit, mais qui ne parle pas à l'esprit de l'ensemble des lecteurs, qui ne les intéresse que médiocrement et ne les fait pas penser et réfléchir. Ils ont tenu à ce que cette histoire ne soit pas seulement un simple résumé historique ; ils ont jugé qu'il fallait faire revivre pour leurs contemporains ce qu'avait été l'existence de nos aïeux, le milieu où ils avaient vécu, leurs ressources, leurs besoins, leurs conditions de vie, leurs croyances. Un centre habité est physiquement déterminé par le sol sur lequel il s'est formé ; il dépend de sa nature ; il est conditionné dans son existence et son développement par les lois physiques et économiques. Il dépend ethniquement et historiquement d'une race, d'un groupe, d'un état ; il a les mêmes besoins matériels et moraux, les mêmes devoirs sociaux que les autres centres dont il est voisin, et à la vie de qui il est forcément amené à participer. Il ne constitue pas une entité, se suffisant par elle-même ; aussi faut-il, si on veut bien le connaître, le situer dans son milieu géographique, ethnique, économique, social, historique. Ce sont ces qualités que l'on trouve dans l'Histoire de Saint-Be nin-d' Azy. Après l'étude du sol, de son aspect physique, les auteurs ont, avec prudence et sagesse, résumé ce qui concerne l'histoire ancienne, montrant que ce fundus gallo-romain, grande propriété rurale, avait pris son individualité le jour où, le Christianisme y ayant pénétré, la paroisse avait été constituée. Comme partout, on vit, au Moyen Age, se créer à Saint-Benin-d'Azy des seigneuries peu importantes, et dont la principale fut celle des cadets de la grande famille des Saint-Verain, les Rongefer. Au milieu des difficultés de l'époque féodale, et malgré les dévasta- tions et les ruines résultant de la guerre de Cent ans, durement ressentie dans la région, le village vivait et se développait. Ce que fut sa vie économique et sociale, on le comprend aisément grâce aux chapitres qui lui ont été consacrés, aux renseignements précis, aux tableaux statistiques qui en augmentent l'intérêt. Les événements politiques et sociaux de la Révolution y eurent leur répercussion, sans toutefois y avoir causé grand trouble, comme le montre la figure si vivement tracée du curé Tirodde qui traversa toute cette période troublée, demeu- rant fidèle à ses ouailles et à sa foi. L'évolution écono- mique, la transformation agricole, le développement de l'industrie sidérurgique qui sembla, à un moment donné, devoir faire la fortune du pays, toute la vie locale au xixe siècle ont été minutieusement retracées par des auteurs qui ont tenu, à côté du passé, à présenter les figures les plus marquantes de l'époque contemporaine, montrant que les hommes d'aujourd'hui ne sont pas inférieurs à leurs aïeux. On ne peut, au terme de cette histoire, que se rallier à la conclusion par laquelle Messieurs Drouillet terminent leur étude, et garder une éternelle reconnaissance à ceux qui, au cours des siècles, constituèrent notre race, et qui « tous, du plus humble paysan au plus brillant seigneur, travaillèrent, inconsciemment peut-être, mais servirent à faire de ce coin des Amognes un foyer de labeur fécond, d'amitié sincère, d'union généreuse ». Nous devons une sincère gratitude à ceux qui s'en sont faits les historiens dans un volume élégamment présenté par les Editions de la Revue du Centre. Que leur exemple soit fécond, et que d'autres coins du Nivernais trouvent eux aussi des enfants pénétrés de l'amour du sol natal, pour élever semblables monuments à la gloire du passé, servant ainsi la grande patrie en ressuscitant les jours anciens de notre province.

LÉON MIROT, + Conservateur honoraire aux Archives Nationales, Membre du Comité des Travaux historiques. CHAPITRE PREMIER

Le Pays

LE NIVERNAIS ET SES RÉGIONS NATURELLES. — LES AMOGNES : SITUATION, ASPECT GÉNÉRAL, HYDRO- GRAPHIE. — ORIGINE DU MOT « AMOGNES ». — LE TERRITOIRE DE SAINT-BENIN-D'AZY.

Point de contact entre Paris et le Massif Central, les plaines de la Loire, qui constituent le Sud-Ouest du Bassin Parisien, n'eurent pas toutes la même destinée historique. Alors que l'Orléanais et la Touraine, occupant la partie septentrionale de la vallée de la Loire, eurent leur existence étroitement liée à celle de l'Ile-de-France, le Berry, confiné au Nord par les marécages de la Sologne, chercha ses relations économiques vers l'Ouest, où coulent ses rivières, et surtout vers le Sud-Ouest et le Nord-Est, le long des calcaires jurassiques faciles à parcourir. Le Nivernais, resserré entre la Loire et le Morvan, ne subit que fort peu l'influence des pays voisins. Bien qu'il fût, dès le moyen âge, un lieu de passage fréquenté, il conserva jusqu'à nos jours sa physionomie propre. Il est d'ailleurs, de toutes les anciennes provinces françaises, la seule qui ne fut jamais réunie au domaine royal. Le Nivernais est formé de neuf régions naturelles : — le Pays entre Loire et Allier, confinant au Bourbonnais; — les Vaux de , contrée fort accidentée, constituée par de frais vallons et des coteaux qu'escaladent les vignes; — les Amognes; — les Vaux de Montenoison, riches en prairies; — l'historique Donziais et ses vastes forêts; — les Vaux d'Yonne, encaissés, pittoresques; — le plantureux Bazois, au centre de la province, pays des grasses embouches ; — au Nord, une portion de la Puisaye, autour de Saint- Amand et de Saint-Verain ; — enfin, le sombre Morvan, qui occupe tout l'Est du département de la Nièvre et déborde sur les dépar- tements voisins de Saône-et-Loire, Côte-d'Or et Yonne. Nous ne nous attarderons pas à étudier en particulier chacune de ces contrées, au relief heurté, dont l'altitude varie entre 135 mètres au Nord de Neuvy-sur-Loire et 850 mètres au Prénelay, point culminant du Morvan niver- nais. Seules les Amognes retiendront notre attention parce que c'est sur un point de leur territoire que s'est édifié, au cours des siècles, le bourg de Saint-Benin-d'Azy. - Les AMOûm— Traversées par le 1cr degré de longitude est du méridien de Paris et par le 47e degré de latitude nord, les Amognes correspondent actuellement à la partie occidentale du canton de Saint-Benin-d'Azy, augmentée des communes d'Ourouër et de Balleray (canton de Pougues), et de la commune de Bona (canton de Saint-Saulge). C'est un bassin argilo-calcaire, en forme de cuvette, de trois à quatre lieues de diamètre, présentant de nombreux replis de terrain et limité par de hautes buttes, couvertes de forêts, qui, de toutes parts, bornent l'horizon. C'est au Nord-Est que ces collines atteignent leur alti- tude la plus élevée, 452 mètres près de Lichy (commune de Bona) ; à l'Est, l'altitude varie entre 320 mètres et 433 mètres au Bois-Château ; au Sud, la butte de Limon atteint 351 mètres; à l'Ouest et au Nord-Ouest, l'altitude moyenne est plus faible, les crêtes ne dépassent pas 354 mètres au Nord d'Ourouër et 290 mètres au Sud de Montigny.

Au point de vue de l'hydrographie les Amognes sont partagées entre les trois bassins de l'Ixeure, de l'Heuillon et du ruisseau de Meulot, ces deux derniers cours d'eau affluents de la Nièvre. L'Heuillon n'arrose, en Amognes, que la commune de Balleray. Le ruisseau de Meulot, dont le cours atteint envi- ron 1 1 km., naît au hameau de Cognant; il arrose succes- sivement les communes d'Ourouër, Montigny-aux-Amognes, Saint - Martin - d'Heuille et Coulanges - lès - Nevers. Ses affluents sont : les ruisseaux de Chassy, de Noelle, de Baugy et de Montigny. Le bassin le plus important est celui de l'lxeure (1) qui prend sa source près de Lichy, dans la commune de Bona, arrose les communes de Saint-Firmin, Saint-Benin-d'Azy, La Fermeté, sort des Amognes à Prye, par 200 mètres d'altitude, et se jette dans la Loire à , entre le Bourg et les Forges, après un cours d'une vingtaine de kilomètres. Par ses nombreux affluents elle draine la plus grande partie des Amognes. Elle reçoit successivement : — les ruisseaux d'Aglan (commune de Bona), de Vannay (commune de Saint-Benin-d'Azy) ; — le ruisseau des Forges ou de Saint-Sulpice (9 km.), grossi lui-même du Mantelet et du ruisseau de Saint-Jean ; — le ruisseau des Douais ou de Saint-Père-à-Ville (com- mune de Saint-Jean-aux-Amognes) ;

L'orthographe actuelle est assez récente. Certains géographes écrivent encore : la Lixeure, forme déjà employée, selon de Soultrait, en 1565. Le même auteur signale la forme « Surra » en 1342. Un document des Archives de la Nièvre donne « Lixurre » en 1450 et le Pouillé de Nevers « Lixura » en 1478. — les ruisseaux du Fourneau d'Azy, de Limon et du Bouchot ou des Perrins.

Cette région fermée, entourée de forêts, fut de tous temps renommée pour sa fertilité. C'est à la richesse de leur sol que certains auteurs estiment que les Amognes doivent leur nom. (( L'autre contrée du Nivernois, écrit Guy Coquille, après avoir parlé des Vaux de Nevers, est celle des Amognes qui est territoire fort fructueux en bleds, pour- quoy aucuns estiment qu'il est ainsi nommé de la diction latine Alimonia qui signifie nourriture. Mais je croy qu'il est dit ainsi selon l'ancien langage des villageois qui appellent les moynes mognes et en lieu de dire aux, dient as, comme qui dirait la terre as mognes, la terre aux moynes : car en toutes les meilleures paroisses de ceste contrée les moynes de Cluny sont les Curez primitifs et patrons, qui est à dire sont les grands dismeurs qui sont les Prieurs de Sainct Etienne de Nevers, de Sainct Sauveur de Nevers, de Sainct Sulpice le Chastel et de Lurcy le Bourg, ausquels appar- tiennent les parroisses de Montigny, Sainct Jean de Lichy, Sainct Père à Ville, Lichy, Ourouer, Sainct Sulpice le Chastel, esquelles paroisses est le vray territoire des Amognes. » Ceste contrée des Amognes outre les bleds a ses commodités de prez, bois, vignes par endroits, mais y a bien peu de rivières et ruisseaux. Es proximitez de ce territoire et presque en mesme assiette sont les paroisses de Baleray, Cicongnes, Prye, Vuez, Bona, Sardolle, Beaumont - sur - Sardolles ». (1) D'après ce texte, précieux, car il démontre que depuis trois siècles l'aspect des Amognes, pays de blé, de prés, de bois et de vignes, a dû rester à peu près identique, Guy Coquille ne semble pas accorder grand crédit à la première étymologie qui fait dériver Amognes de Alimonia. Victor Gueneau a justement fait remarquer qu'il a négligé, d'autre part, de rapprocher du mot Amognes le nom de Limon paroisse voisine de Saint-Benin-d'Azy. (( Il n'a pas songé davantage au mot grec leimôn, qui veut dire pré et qui rappelle les Limoniades, ces gracieuses nymphes des prés et des fleurs ». (2) L'abbé Cachet (3) se rallie à l'opinion d'Arbois de Jubain- ville, voyant dans le mot Amognes la traduction du mot latin Ammonias. « Ammonias, sous entendu casas ou villas, est le féminin pluriel du gentilice Ammonius ou Amonius qui avant d'être un mot latin a été grec et est dérivé d'Ammon, ou mieux Amon, nom d'une divinité égyptienne » (4). Nous n'avons pas à faire ici la critique de ces diverses étymologies. Toutefois nous ne saurions admettre comme défendable l'opinion émise par Guy Coquille et selon laquelle

(1) Guy COQUILLE, Histoire du Pays et Duché de Nivernois, Paris (1612), p. 351. (2) V. GUENEAU, Causerie sur Sainl-Benin-d'Azy, B. S. C., tome IV, p. 64. (3) Abbé CACHET, Les Amognes, B. S. N., 3" série, tome XIV. (4) ARBOIS DE JUBAINVILLE, Recherches sur l'origine de la Propriété foncière et des noms de lieux habités en France. ce serait aux moines de Cluny que les Amognes devraient leur nom. La Charte de fondation du premier monastère clu- nisien en Nivernais, celui de La Charité, n est en effet que de 1059, alors que, plus de quatre siècles auparavant, Fortu- nat, dans sa Vie de saint Germain, parlait déjà du <( Pagus Amœorum » et y situait Rutagium (Rouy), propriété de l'évêché de Paris (1). A ce propos il faut remarquer que la commune de Rouy (canton de Saint-Saulge) est tout entière en dehors du bassin que nous appelons proprement les Amognes. Il est donc vraisemblable que le Pagus Ammoniensis était une contrée beaucoup plus vaste, située entre la Loire et le Morvan, et à laquelle certains auteurs donnent pour limites extrêmes La Charité, à l'Ouest, et Corbigny, à l'Est (2). Mais l'ancien Pays d'Ammonius, à qui correspondraient approximativement, en tout ou en partie, les cantons de La Charité, Pougues, Prémery, Saint-Benin-d'Azy, Saint- Saulge, Châtillon-en-Bazois, Brinon et Corbigny, est loin d'avoir la même unité géographique que les Amognes actuelles, nettement délimitées par la chaîne presque inin- terrompue de collines qui les encerclent comme une muraille.

(1) Cf. LESPINASSE, Le Nivernais et les Comtes de Nevers, tome Ier, p. 83. (2) Dans le premier testament de Varé (721), il est fait mention du pagus « Ammaviorum » ou « Amavorum » ; on trouve également : « Ammonias ». « Coriniacum » (probablement Guérigny), « Casellas » (probablement Chazelles) et « Corbiniacus » (Corbigny) sont donnés comme situés dans ce pagus. Dans le second testament (746), on trouve : « in pago Amaeorum Macerias et Fraxino, seu Carimaco et Casellas ». (Cf. LESPINASSE, op. cil, p. 83, notes). C'est sur le flanc de ces collines et dans le creux des vallons que se dispersent fermes et hameaux. Pays de vie essentiellement rurale, les Amognes n'ont point de ville ; l'agglomération la plus importante, le bourg de Saint-Benin- d'Azy, groupe 424 habitants sur 1.155 que compte l'en- semble de la commune. Les hommes ont bâti sur tous les points du terroir : le cultivateur a sa grange au milieu des moissons, le vigneron habite le village à flanc de coteau et, le long du cours d'eau, tournent lentement les roues des moulins.

Nous avons, jusqu'alors, beaucoup parlé des Amognes, très peu de Saint-Benin-d'Azy. Or c'est à l'histoire de cette seule commune que cet ouvrage est consacré. Il importe donc que nous fixions, dès maintenant, le théâtre où évolueront les acteurs d'un drame, au sens littéral du mot, qui dure depuis plus de vingt siècles et dont les scènes, si elles man- quent parfois de pathétique, n'en sont que plus vraies. La commune de Saint-Benin-d'Az)) est située presqu'en- tièrement dans les Amognes dont elle occupe le Sud-Est. Au delà de Mousseau, elle s'étend sur l'ancien pays de Glénon, dont le nom serait dérivé de gland; on trouve en effet, dans le terrier de Druy, mention du ruisseau de Glan- don, aujourd'hui ruisseau de la Meule, qui traverse la forêt des Glénons (1). Cette vaste zone forestière devait couvrir, Cf. L.-M. POUSSEREAU, Deux anciens prieurés nicernais : Moûtiers-en- Clénon et Varennes-en-Clénon, B. S. N., 3e série, tome XIV. primitivement, tout le Sud du canton actuel de Saint-Benin- d'Azy et le Nord de celui de , aujourd'hui encore très boisés. Le versant amoignon des collines d'Azy appartient au bassin de l' 1 xeure. La seule rivière de quelque importance qui ait sa source sur l'autre versant, dans la commune de Saint-Benin-d'Azy, est le Barathon dont le cours atteint 15 kilomètres. Né dans les bois d'Azy, il reçoit successive- ment les ruisseaux de Lavault, du Quartier-Damas, de Chassy, de l'Armenay et se jette, entre et Ver- neuil, dans l'Andarge, affluent de l'Aron, lui-même tributaire de la Loire. Les collines, dont les points culminants sont le Mont- Bert (361 m.), qui domine le village de Segoule, et la Côte d'Azx> (358 m.), arrêtent les vents qui, soufflant du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, s'écoulent, au Sud, par la vallée des Camards, de Valotte et du Pont-d 'Izy, au Nord par celle de Paillot, Trailles et Sept-Voies. Le terrain, argilo-calcaire, est d'une assez grande ferti- lité. Sur tout le territoire de la commune on trouve une partie des terres de la formation jurassique : étages callovien, bathonien et bajocien de la formation oolithique, La forma- tion liasique existe à l'état de lias supérieur ou étage thoarcien. La zone qui s'étend entre le bourg d'Azy et Billy, et qui comprend, du Sud au Nord, les vignes de Sauvry, les bois d'Azy, les champs, les vignes et les bois de Segoule, a un sol recouvert de silex callovien. Entre cette zone et les champs avoisinant la Maison- Blanche, sur la route de Château-Chinon, la carrière des Provencelles fournit une pierre jaunâtre qui contient du fer à l'état de peroxyde et en couche. La même route, mais au delà de la Maison-Rouge, en direction de Nevers, passe à proximité de la carrière de , d'où l'on extrait le calcaire à entroque ; les pierres, très dures, sont surtout employées pour faire des dalles ou des marches d'escaliers. Signalons enfin la présence, dans les bois, de marnes ferru- gineuses dont le fer fut longtemps exploité. Le territoire de Saint-Benin-d'Azy, qui compte environ 8 kilomètres du Nord au Sud et 6 de l'Est à l'Ouest, com- prend deux zones d'aspect très différent. L'Est, à cheval sur la limite des Amognes, est couvert de forêts ; l'Ouest, égale- ment accidenté, mais d'altitude plus faible, est un pays de culture et d'élevage. Entre ces deux zones, les vignes grim- pent sur le flanc des coteaux. Telle est la physionomie de notre terroir, enrichi tout entier par le labeur de nos aïeux dont l'histoire, sans éclat peut-être, mérite cependant d'être écrite comme un hommage à l'œuvre persévérante d'hommes qui, tendus vers le même but, travaillèrent toujours pour leur village, pour leur pro- vince, pour leur patrie, s'unissant dans leurs efforts à « ces millions de laboureurs et de paysans qui furent de tous temps la véritable force de la France » (1).

(1) Gabriel HANOTAUX. La France en 1614, p. 392. CHAPITRE II Les Origines - Les Gallo-romains LES /EDUI : PUISSANCE. CIVILISATION ET ORGANISATION. LA CONQUÊTE ROMAINE ET SES CONSÉQUENCES. LE PAGUS AMMONIENSIS. — LE GRAND DOMAINE, LA VILLA, LE FUNDUS. — ORIGINE ET ÉVOLUTION DU NOM DE LIEU, AZY. — LA CIVILISATION GALLO- ROMAINE. Le Nivernais, dont faisait partie le pagus Ammoniensis, était compris dans ce que la littérature latine appelait la Gaule Chevelue, « Gallia comata », c 'est-à-dire « celle où l'on porte des cheveux longs ». Les deux autres Gaules, la « Gallia braccata » et la « Gallia togata », désignaient réci- proquement la Provence, pays où l 'on portait des braies, et la Cisalpine, plus près de Rome, où l'on. portait la toge, comme les Romains. (1) Notre région était occupée par un puissant peuple celtique, les /Edui qui, venus de l'autre côté du Rhin au Ve siècle av. J.-C., se fixèrent dans le pays d 'Autun et jus- qu'aux bords de la Loire. <2) 11) DES JARDINS, Géographie de la Gaule, tome II. (2) R. DE LESPINASSE. Le Nivernais et les Comtes de 'Nevers, tome I " , p. 9. Ces « illustres » Celtes disputèrent, aux siècles de l'Indé- pendance, la suprématie de la Gaule aux Bituriges, dont le roi Ambigat fut le bien-aimé « monarque patriarcal ». Au (r siècle, César trouva les Bituriges sous la protection des Eduens. (1) Les peuplades voisines, venues elles aussi en Gaule lors de l'invasion Celtibère, étaient au Sud les Arverni, retranchés dans leurs montagnes; au Nord, les Senones; à l'Est, les Sequani. Autour de leur ville d'Avaricum, les Bituriges, voisins de l'Ouest, étalaient leur puissance. Pratiques avant tout, les Eduens surent retenir près d'eux de nombreuses petites peuplades clientes comme les Segusiavi, les Ambivareti, les Aulerci Brannovices (2). Ils s'en servirent durant la Conquête Romaine, au cours des guerres qui les virent tour à tour alliés et ennemis de César. Le double jeu des Eduens ne fut pas étranger à l'asservissement de la Gaule par les armées du Proconsul. Nous pouvons supposer que diverses colonies étrangères vinrent se fixer sur le territoire de notre province ; Sermoise, près Nevers, et Sermages, près Moulins-Engilbert, conservent le souvenir du séjour des Sarmates en pays Eduen. Lorsque la puissance des Bituriges déclina, celle des Eduens grandit ; c'est ainsi que ces derniers cherchèrent à

(1) CÉSAR, De Bello-Callico, VII, 5. '2) CÉSAR, op. cil., VII, 75. fonder, à proximité du fleuve central de Loire, un « empire celtique universel ». Leur audacieux projet se heurta à la puissance des Arvernes. (1) Les Eduens se disaient parents des Romains ; ceux-ci d'ailleurs célébraient cette fraternité, cette alliance, dans leurs écrits. Cicéron n'hésite pas, en parlant des Eduens, à les appeler frères, « fratres nostri ». Merveilleux agriculteurs, sachant utiliser les engrais, ils ravitaillèrent bien souvent en grain les armées romaines. Les routes qu'ils construisirent étaient si judicieusement tracées que les Romains les adoptèrent; ces voies unissaient les petits clans et les grandes Cités, les bourgades et les villes. Sur le Mont Beuvray, les Eduens établirent un impor- tant « oppidum », Bibracte, qui apparaissait au IIIE siècle comme le centre industriel le plus important de la Gaule. Ainsi nos ancêtres Celtes jouissaient d'une étonnante civili- sation. Ils cultivaient la vigne, le blé, l'orge; traitaient le fer du sous-sol de leur pays; artistes, ils pratiquaient l'orfèvrerie et l'art si fin des émaux qui émerveilla Grecs et Romains ; commerçants, ils échangeaient les produits de leur sol et de leur industrie avec les autres nations, utilisaient activement les rivières et savaient accueillir les étrangers de noble façon. (2) Il nous reste à dire quelques mots de l'organisation poli- tique des Eduens.

11) Cf. DUPONT-FERRIER, La formation de l'Etat français, et FuNCK- BRENTANO, Les origines, p. 59. (2) Cf. Camille jULLlAN, Histoire de la Gaule, tome 11, la Gaule indépen- dante. La Cité, civitas, comprenait de nombreux pagi confédé- rés ; les pagi étaient des peuplades (( dont l'association avait constitué la Cité, mais qui n'avaient pas pour cela dépouillé leur individualité, ni abdiqué toute initiative ». (1) Nous pouvons dire que les anciens habitants du territoire d'Azy, de ce qui fut une partie du pagus Ammoniensis (2\ ont eu leur vie propre, leurs habitudes, leurs coutumes; sur- tout que les pagi, formés de familles unies entre elles par les liens du sang, autour d'un même chef, conservaient leurs traditions ; le Dieu protecteur veillait sur les intérêts communs. On en arriva ainsi a d'âge en âge à ce que chacune des tribus prît une physionomie de plus en plus marquée. Travail séculaire qui donnera au peuple de France, par les vertus du sol, de la race et du labeur traditionnel, son âme multiple, son âme variée. Est-il rien de plus beau ? » (3) Le pagus avait son tribunal, au-dessus du tribunal fami- lial, car le père avait sur les siens droit de vie et de mort. Quant à l'organisation sociale, on peut la définir en deux mots : il y avait les protégés et les protecteurs. Dans les pro- tégés se trouvaient les clients et les esclaves; les protecteurs étaient de nobles personnages, des « patrons » qui possé- daient, comme de véritables souverains, les pouvoirs judi- ciaire, militaire et financier. Ces protecteurs s'entouraient de guerriers, les « soldurii », dévoués jusqu'à la mort, que ne préoccupaient pas les travaux des champs.

(2) Cf.,G. BLOCH,chapitre LesIer. Origines, la Gaule indépendante, p. 65. (3) FUNCK-BRENTANO, op cil. p. 46. Les prétentions des diverses Cités, la menace romaine, le système des clients, n'étaient point faits pour entretenir une paix bienfaisante. Les Arvernes et les Eduens ne faisaient point bon ménage et l'intervention de l'ambitieux César amena, par le jeu normal d'une politique de conquêtes, l asservissement de la Gaule — 51 av. J.-C. Le rôle des Eduens, pendant la guerre pour l'indépen- dance, fut très équivoque. Une partie de la Gaule les suivait, l'autre se ralliait à Vercingétorix l ardent chef des armées nationales. Et malgré la foi jurée, des cités se détachaient de part et d'autre ; celles qui « suivaient la direction des Arvernes fournissaient des partisans aux Eduens et inverse- ment ». La lutte ultime, farouche, du jeune chef Arverne fut un grand exemple de vaillance. Pendant les dix années de guerre, « César prit d'assaut huit cents forteresses, il soumit trois cents tribus, il combattit trois millions d'ennemis, fit un million de cadavres et emmena un million de prisonniers ». Et voilà, conclut Funck-Brentano, comment César était venu secourir la Gaule ! Nous avons souligné le triste rôle des Eduens, rôle con- sistant « à s'incliner devant les armées romaines tout en restant fidèle à la patrie gauloise ». Le vainqueur ne leur en garda jamais rancune et les traita toujours en amis. Qu'allait faire Rome de cette Gaule conquise ? Après lui avoir donné l'unité, elle la découpa en Pro- vinces qui passèrent de quatre — sous Auguste — à dix; puis, sous le Bas-Empire, à dix-sept. Les cadres anciens avaient été conservés; les civitates et les pagi subsistèrent ; « il en est, dit G. Bloch, du pagus comme de la cité; le mot est latin mais la chose est celtique ». Au IVe siècle le pagus n'est plus qu'un « agrégat de domaines ou fundi, servant à la répartition et à la perception de l'impôt foncier ». Guérard cite les pagi Nivernensis, M orvonnensis et Ammoniensis. C'est la troisième fois que nous voyons ce dernier. De nombreux textes anciens en font mention. C'est ainsi qu'au Yle siècle Fortunat, dans la Vie de saint Germain, évêque de Paris, parle du « pagus Amaeorum ». Deux textes de testaments datés de 721 (1) et de 746, citent ce même pagus. Si nous suivons l'évolution du nom, nous trouvons en 864, dans le Cartulaire de l'Yonne, Ammonics ; dans les Archives de la Nièvre, Amoignie en 1376, Amougnes en 1479, Admoignes en 1560. Quelques documents originaux

(1) Testament de Varé, abbé de Flavigny. Cf. DE LESPINASSE, op. cil. p. 83. du comte de Soultrait nous donnent, en 1571, les Admognes et, en 1612, les Admougnes. (1) Tous ces noms, différents suivant les époques, désignèrent un pagus, un pays, dont nos Amognes actuelles furent le noyau.(2) ' Sur ce pays étaient établies des populations agricoles actives, qui, comme au temps des Celtes, se tournèrent de plus en plus vers le « patronus )) plus proche et plus acces- sible que les gouverneurs placés par l'Empire dans les cités. Nous verrons apparaître, en étudiant le régime du patro- nat gallo-romain, l'origine du nom de lieu Azy, qui désigna de tous temps la terre de nos pères.

Depuis les Antonins, les riches Gaulois préférèrent leurs résidences rurales à leurs maisons urbaines. Le Nivernais sous la domination romaine était par excel- lence une contrée de villas agricoles; les vestiges de ces ins- tallations émergent un peu partout. Les grands propriétaires gallo-romains gagnèrent facile- ment à leur cause la population d'ouvriers et de cultivateurs et le grand domaine groupa des centaines et des centaines d'hectares où l'on trouvait tout ce qui était nécessaire à la vie. Les produits du sol étaient transformés sur place par des

(1) G. DE SOULTRAIT, Dictionnaire topographique. (21 Cf. chapitre Ier, Le Pays. milliers d'hommes de toutes conditions : salariés libres, clients, colons, affranchis, esclaves. G. Bloch donne une intéressante description de la villa gallo-romaine : « On traversait d'abord les villages des serfs, des colons, puis on arrivait à la villa proprement dite, à la maison seigneuriale, au prœtorium, comme on l'appelait maintenant (ve siècle), d'un nom significatif auquel les Romains ont toujours attaché l'idée de l 'autorité, du com- mandement. La villa se composait de deux parties bien dis- tinctes, la villa urbaine et la villa rustique. La seconde conte- nait tous les services de l'exploitation, les logements des esclaves, leurs cuisines, leur prison, les étables, les granges, les greniers à provision, les celliers pour l'huile et le vin, le moulin, le four, les pressoirs, les ateliers, la forge, tout cela groupé autour d'une large cour, la chors ou cohors du latin classique, la curtis du moyen âge. La villa urbaine, située non loin de là, était l'habitation que le maître se réservait pour son usage personnel. C était un édifice vaste, commode, bien aménagé, richement décoré, un vrai palais, pourvu de tous les raffinements du luxe et du bien-être » (1). Le grand domaine s'étendait sur le fundus, subdivision du pagus. On peut comparer le fundus à notre commune, le pagus à notre arrondissement et la civitas à notre départe- ment. Le fundus était donc la portion du sol qui formait une exploitation agricole appartenant à un propriétaire déterminé ;

(1) G. BLOCH, Les Origines..., op. cil. p. 449. la villa était le groupe de bâtiments où le propriétaire du fundus et ses serviteurs et protégés se logeaient et qui ser- vaient à l'exploitation. Il n 'y a pas de villa sans fundus, pas de fundus sans villa; ces deux termes sont corrélatifs. La conquête de César modifia et le système de propriété et le système d'impôts. Le fisc romain se servit du nom du fondateur du domaine ou tout au moins du nom d'un des pre- miers propriétaires pour désigner à la fois le fundus du pro- priétaire et le montant de l'impôt foncier qu 'il devait payer. Les Romains désignaient leur propriété par leur gentilice auquel ils ajoutaient le suffixe latin anus, signifiant le domaine d'un tel; le gentilice était le nom de la famille, de la gens, c'est-à-dire des parents, des affranchis, des clients même, « l'esclave seul ne le prenait pas car il fallait être un homme libre pour avoir la qualité de citoyen romain et posséder un gentilice ». Le seigneur gaulois, devenu citoyen romain, prit un gen- tilice romain ou garda son nom pour en faire un gentilice. Mais pour désigner sa propriété, son fundus, au lieu d ajouter le suffixe latin anus, il se servit du suffixe gaulois acos, lati- nisé acus, signifiant toujours : le domaine d'un tel. Ainsi la propriété de Matrinius fut désignée en Gaule par fundus Matrini[acus] et celle de Sabinius, Sabini[acusl (1). Le nom d'Azy, nom de notre territoire, descend soit de la gens Asia, soit de la gens Atia, familles pouvant être

11) Cf. A. LONGNON, Les noms de lieu de la France, leur origine, leur signification, leurs transformations (Paris 1922), p. 71-96. l'origine des noms de lieux appelés en France : Azy, Aisy, Azé, Azay... Ancien fundus Asi[acus] ou Ati[acus], c'est toujours la preuve qu'une famille gallo-romaine a possédé cette région, s'y est installée et a donné son nom à la propriété selon la règle alors établie : fundus Atiacus (( qui vit encore aujour- d'hui » transformé peu à peu et régulièrement d'après les lois de la phonétique (( par les nombreuses générations qui l'ont prononcé des millions de fois pour le faire aboutir à Azy » (1).

Comment s'est appelée notre bourgade ou plutôt notre commune actuelle, au cours des siècles ? Pendant tout le moyen âge il n'était question que des paroisses ; plus tard les curés furent même astreints à tenir des registres paroissiaux. Un procès fut intenté en 1754 contre Charles Fougnot, curé de Mousseaux-sur-Az}) (2), par suite de la destruction des. registres des baptêmes, mariages et sépultures a accidentellement consommés en partye par le feu )). Il était donc normal que d'une manière officielle il ne soit question que des paroisses au nom desquelles fut ajouté Azy ; c'est ainsi qu'après avoir lu Sanctus Benignus, dans le Regis- tre de l'évêché de Nevers de 1287, et Sanctus Begninus,

(1) Cf. Abbé J.-M. MEUNIER, Origine du nom de lieu de St-Benin-d'Azy. (2) Cf. chapitre X. dans les Archives nivernaises à 1 année 1417, nous trouvons Sancto Begnino de Asacio au Pouillé de Nevers (1478) et Sainct Begnin d'Aizy (1518). Quelquefois le nom d'Azy sera seul employé le Dictionnaire topo graphique de Georges de Soultrait nous donne Azy en 1611 et Aazy en 1618 — mais pas d'une manière exclusive. Des dénominations que certains auteurs n hésitèrent pas à qualifier de poétiques furent en usage vers 1792 (1). Nous sommes en pleine période révolutionnaire et les amis des phi- losophes et de la déesse Raison préférèrent Azy-aux-Amo- gnes ou Azy-sur-Ixeure au nom de Saint-Benin d "Azy que porta notre bourg après la réunion des deux paroisses de Saint-Christophe et de Saint-Benin, dès le début du XVIIIe siècle. Ces dénominations sont d'ailleurs très justifiées au point de vue géographique et la première nous ramène aux origines gallo-romaines, joignant au nom du fundus que nos aïeux avaient défriché, cultivé, enrichi, celui du pays sur lequel ils s'étaient installés. Dès 1803 (2), un an, mois pour mois, après la mise en vigueur du Concordat (avril 1802), Saint-Benin-d Azy redevint le nom définitif de la paroisse et celui de la com-

(1) Bien avant cette date, quelques actes portent Azy-aux-Amognes ou Azy- sur-l'Ixeure. (2) Dans le « Registre des Délibérations de la Mairie d Azy », le nom de Saint-Benin-d'Azy apparaît pour la première fois à la date du 9 floréal an XI (30 avril 1803), suivi de « aux Amognes ». mune, « exprimant et l'antique et le religieux passé du pays» . Les notaires s'obstinèrent longtemps encore à écrire sur leurs actes : Azy-aux-Amognes ou Azy-sur-Ixeure.

Le 24 janvier 1889, un conseiller municipal, Charles Petit, en un rapport détaillé, réclama « le retour du nom légal de notre commune : Azy-Ies-Amognes », traitant Saint- Benin de « préfixe cafard et ridicule ». Il terminait en disant que « lorsque la famille Benoist d'Azy voulut accoler son nom à celui de notre commune, elle ne demanda pas l'autori- sation de s'appeler Benoist de Saint-Benin d'Azy. Elle eut le bon goût d'envoyer au diable le grotesque Saint-Benin et de ne se parer que du joli nom d'Azy ». Nous ne jugerons pas ces paroles ; l'impartialité de l'histo- rien n'autorise point un tel débat. Plus tard, en novembre 1908, revenant sur cette demande de Charles Petit, MM. Amyot et Bouillot proposèrent res- pectivement Azy-aux-Amognes et Azy-sur-l'Ixeure. Comme la première fois le conseil municipal décida de prier le Président de la République de ratifier par décret la proposition et, comme la première fois également, cette affaire n'eut pas de suite. (1)

(1) A St B. — Délibérations de la Mairie d'Azy. Fermons cette grande parenthèse qu'a formé l'étude du nom de lieu d'Azy et revenons à nos laborieuses populations gallo-romaines groupées autour de la villa du patron. Sous la Paix romaine, dont parle Fustel de Coulanges, « le peuple demeurera le peuple, déshérité de tout contact civilisateur,/ mais• / restant"1 ^ lui-même, gardant intactes ses forces et son énergie » . Si les cultivateurs, les artisans de la villa, ne bénéficièrent pas de la haute culture et des merveilles de la civilisation latine, le maître, outre ses devoirs publics, l'administration de son domaine et ses interminables parties de chasse, usa des thermes aux eaux bienfaisantes, se divertit dans les théâtres et dans les arènes. Les bains étaient installés dans de nombreuses stations thermales; les Aquae Nismaei, sur 1 emplacement actuel de Saint-Honoré-les- Bains, n'étaient pas bien loin de notre terri- toire et une petite voie romaine joignait cette station à la grande voie qui, partant d'Autun, gagnait Nevers par les Amognes (2). Les arènes, offrant aux foules avides de sang de sauvages

FUNCK-BRENTANO, op. cil. p. 119. (2) Cf. Carte des voies romaines dressée par H. GUETTARD, Année nivernaise, 1930. spectacles, étaient édifiées à l'aide de dons importants dans la plupart des villes.

La population urbaine se contentait du blé que les édiles lui faisaient distribuer et des jeux du cirque. Le « panem et circences » sera-t-il capable d'entretenir de charitables et généreux instincts et ne vaudra-t-il pas mieux compter sur le sain travail du peuple des campagnes gagnant son pain à la sueur de son front et n'ayant pour tout divertissement que les fleurs des jardins ou le chant des oiseaux ? Et ce sont ces travailleurs qui suivront de toute la force de leur âme les apôtres de la religion nouvelle, du Christia- nisme, apparaissant comme l'élément vivificateur du Pays après des siècles d'atonie, après cette marche dans les ténè- bres, machinale, passive, servile (1).

Quels souvenirs tangibles nous restent-ils de cette époque d' « égoïsme stérile » (le mot est de Funck-Brentano) ? Dans notre région, les Romains n'avaient point épargné leurs travaux qu'ils inaugurèrent par l'ouverture des grandes voies de communication, « vrai point de départ de la trans- formation de la Gaule ».

(1) Cf. G. BLOCH, op. cil. p. 421, et FUNCK-BRENTANO, op. cil. p. 118. Se servant du tracé des chemins gaulois, ils construisirent de larges routes dont les solides assises défièrent pendant des siècles les assauts du temps et des éléments ; des bornes indi- quaient les distances en pas « repérées depuis le milliaire d'or ou borne initiale, placée sur le Forum de la capitale de l'Empire ». Trois voies romaines traversaient les Amognes :

— la première, venant d'Alluy, prenait la direction de Nevers en passant par Saxi-Bourdon, Huez, Saint- Sulpice et Faye; des tronçons sont visibles dans la vallée de la Nièvre, à Chaluzy (1) ; — la seconde a laissé quelques débris entre Druy et Imphy; — la troisième, passant par Alluy et Beaumont, rejoignait près de Saint-Ouen la grande voie de Decize à Nevers (2).

Sur divers points furent découverts des objets antiques : à Huez, des tuiles à rebord et l'emplacement d'une station militaire; à Sury, des médailles et des briques; à Beaumont- sur-Sardolles, « deux enceintes circulaires entourées de fossés profonds et, dans l'une d'elles, un puits dont le revêtement intérieur est en pierres carrées ». Duvivier signalait que « tout le long du plateau que cotoie la voie romaine venant d'Alluy, le soc de la charrue

(1) B. S. N., 3" série, tome VIII, p. 121. (2) Cf. la carte de Guettard. amenait à la surface de la terre tuiles à rebord, poteries, bronzes de tous modules ». A Azy, il fut trouvé des tuiles à rebord, une pièce de monnaie de Commode, empereur romain ( 180-193), fils de Marc-Aurèle (1), un vase et de nombreux vestiges d'un cimetière datant des premiers siècles de l'Eglise (2).

Une longue période va suivre, pendant laquelle les témoignages de vie particulière sont'pour ainsi dire nuls. Un voile s'étend sur les siècles qui verront l'invasion des Barbares et l'établissement des dynasties Mérovingiennes et Carolingiennes. Que devient le patron ? Un seigneur. Et les classes laborieuses ? Des vilains, des serfs. Toujours est-il que la Religion du Christ trouvera un terrain merveilleux pour son œuvre de pacification et de redressement moral. Les cloches tinteront, appelant le peuple à la prière; les paroisses seront érigées. Et c'est une nouvelle vie qui prendra naissance dans cette société féodale présentant en un vaste tryptique ceux qui commandent, ceux qui travaillent et ceux qui prient.

(1) B. S. N., 3" série, tome X, p. 347. (2) Mgr CROSNIER, dans le B. S. N., 1re série, tome V, p. 21, signale la découverte d une petite pièce de bronze de Gordien ou de Tétricus, lors des fouilles effectuées pour le cimetière précité, en avril 1867. CHAPITRE III

Le Christianisme en Nivernais Les anciennes paroisses du territoire d'Azy

LE GRAND DOMAINE MÉROVINGIEN ET L'ORIGINE DES VILLAGES ET DES PAROISSES. — L'ÉVÊCHÉ DE NEVERS ET LES PRÊTRES FORAINS. — LE MOUVEMENT MONAS- TIQUE DANS LES AMOGNES. — LES PAROISSES DU TERRITOIRE D'AZY : SAINT-ETIENNE, SAINT-CHRIS- TOPHE, SAINT-BENIN, MOUSSEAUX. — LA CHAPELLE NOTRE-DAME DE L'HOPITAL.

« Comme dans la Gaule celtique, comme dans la Gaule romaine, la recommandation, commendatio, se retrouva et se propagea dans la Gaule mérovingienne ». (1) La société resta donc divisée en deux clans : les pro- tecteurs et les protégés; quant à la possession de la terre, elle demeura entre les mains des seniores qui la subdivisèrent en manses de superficie variable, suivant la richesse des terrains. La manse est l'unité de culture et ce système subsistera pendant tout le moyen âge.

(I DUPONT-FERRIER, op. cil. p. 24. Le senior était installé dans le chef-manse, « terra dominicata », partie réservée dont les autres étaient tribu- taires. Ces dernières étaient distribuées en tenures comprenant des terres entourant une maison, cella. Colons, demi-libres, esclaves étaient répartis sur le grand domaine où prévalaient les droits du maître. Celui-ci, en plus du cens, demandait à ses tenanciers les corvées nécessaires à la culture du chef-manse et à son exploitation. Une source féconde de revenus fut l'installation des moulins, des fours, des pressoirs, obligatoirement utilisés par les habitants du domaine, moyennant quelques redevances en nature : les banalités. Cens, corvées, banalités, trois obligations que nous retrouverons sous le régime féodal. Le propriétaire gardait pour lui les forêts et les cours d'eau, avec les droits de chasse et de pêche; il laissait aux tenanciers les fameux droits d'usage, source de tant de procès, droits qui se perpétueront jusqu'à nos jours. (1i En plus de l'administration de son domaine, le senior, véritable souverain, exerçait la police, levait son armée, en un mot veillait à la sécurité intérieure et extérieure de sa propriété. C. Bayet (2) note que sur le chef-manse s'élèvera l'église de la villa qui deviendra chef-lieu de la paroisse rurale.

(1) Les affouages d'Azy et de Thiernay en sont de vivants exemples. (2) C. BAYET, C. PFISTER et A. KLEINCLAUSZ, Le Christianisme, Les Bar- bares, Les Mérovingiens et Les Carolingiens, p. 206. Résumons ce qu'était la villa mérovingienne par cette définition de Fustel de Coulanges : « Ce qui répond au domaine mérovingien, c'est à la fois le château, le village et tout le territoire de la commune ». Le village, où tous les métiers nécessaires à la vie s'exer- çaient sous la même dépendance, deviendra, par la cons- truction de l'église et l'assentiment de l'évêque, une paroisse et prendra rang parmi les circonscriptions rurales. « Ceux qui l'habitaient, serfs ou demi-libres, attachés au même domaine, se voyaient liés les uns aux autres par le voisinage et la communauté d'intérêts; de là naquirent, sous l'autorité de l'intendant unie à celle du prêtre, des ébauches toutes spontanées d'organisation municipale où l'Eglise reçut le dépôt des actes qui, selon le droit romain, s inscrivaient sur les registres de la Cité. C'est ainsi qu'en dehors des muni- cipes, des villes et des bourgs, où subsistaient, de plus en plus dégradés, les restes de l'ancien état social, des éléments de rénovation se formaient pour l'avenir, par la mise en valeur de grands espaces de terre inculte, par la multiplica- tion des colonies de laboureurs et d'artisans, et par la réduc- tion progressive de l'esclavage antique au servage de la glèbe ». (1)

(1) Augustin THIERRY, Essai sur l'histoire du Tiers-Etat, p. 19. D'où venait le prêtre, desservant de la paroisse nou- velle ? L'évêché de Nevers avait été érigé au vie siècle, alors que la Nivernie s'était trouvée détachée de la Bourgogne pour faire partie de l'Empire Franc, (1) A l'origine, les évêques n'avaient pas de diocèse exac- tement délimité; ils se transportaient dans les centres où leur apostolat pouvait trouver à s'employer utilement; on les appelait pour cela évêques régionaires. Ainsi furent pour notre contrée, au IIIE siècle, Pellerin à Auxerre, Andoche à Autun, Austremoine à Clermont, tous les trois saints ou martyrs. (2) Dans le principe de son organisation le diocèse comportait une seule paroisse, la cathédrale. Peu à peu des prêtres furent envoyés pour desservir les localités éloignées, soit du propre chef de l'évêque, soit à la demande des grands propriétaires; on les appelait prêtres forains. Ceux qui restèrent au chef-lieu furent les prêtres cardinaux. Nous pouvons donc dire que, sur le territoire d'Azy, un

(1) Saint Eulade est donné comme premier évêque de Nevers. (2) DE LESPINASSE, op cit. chapitre m, passim. de ces prêtres forains vint s'installer, délégué par son évêque et nanti par lui de pouvoirs divers : celui de baptiser, celui de prêcher, celui d'exercer une juridiction ecclésiastique. Le Christianisme dut s'implanter de très bonne heure dans notre région. Un précieux témoignage fut la découverte au bourg d'Azy, lors des travaux effectués pour les fonda- tions de l'église actuelle de Saint-Benin, d'un cimetière chrétien des premiers siècles. Mgr Crosnier, qui relate les fouilles entreprises à cette occasion en 1867, écrit que les cercueils trouvés, très peu ornés — quelques-uns cependant sont garnis de moulures ; un fragment porte une croix épatée — étaient de dimensions différentes et placés les uns à côté des autres; les corps avaient les pieds à l'Orient; les tombeaux étaiçnt tous 'vides, « rien n'y a été découvert, ni armes, ni vases, ni fibules, ni ornements, ni monnaies ». (1) Peut-être que ce cimetière existait déjà avant le VIe siècle et que le prêtre forain envoyé vers nos aïeux dépendait du diocèse d'Autun dont celui de Nevers fut détaché ? Car il est certain que sur différents points de la Nivernie il y avait des églises érigées bien avant l'établissement du siège épis- copal de Nevers. (2)

En même temps que l'Eglise s'organisait, s'installait dans les villages, que les prêtres semaient la bonne parole

(1) B. S. N., tome V, p. 21. (2) Cf. Mgr CROSNIER, Tableau synoptique de l'histoire du Nivernais et du Donziois. au milieu des campagnes, un autre mouvement s'opérait : des moines « sylvains roux comme les bois qu'ils fréquentent, se sont installés en quelque val solitaire et l'ont défriché; la cellule est devenue un moutier; le moutier un centre d'habi- tation autour duquel les hommes se sont réunis, cherchant un peu de sécurité et le repos de la prière aux heures où la cloche tinte ». (1) C'est la deuxième origine des villages dont nous trouvons l'exemple dans le pays d'Azy. Des fouilles faites sur la limite des communes de Saint- Benin-d' Azy et de Limon, au nord de la ferme de Clenon, dans un champ appelé « les Montreuils » et dans les champs et les bois avoisinants, ont révélé l'existence d'un village autour d'une église ou d'une chapelle de monastère. Ce village dont la tradition ne nous a conservé ni le nom ni le souvenir, situé dans la partie Nord de l'ancienne forêt de Glenon (2), aurait été construit autour du « petit monastère de Glenon », dépendance des prieurés de Moûtiers-en- Glenon (3' et de Varenne-en-Glenon. (4) Nous pous plaisons à signaler que Mgr Crosnier, sur

(1) Gabriel HANOTEAUX, La France en 1614, p. 276. (2) Nous trouvons dans le Dictionnaire topographique du comte DE SOULTRAIT le nom de cette immense forêt à diverses époques : — en 1312 : Foresta de Glenum (Archives de Decize) ; — en 1422 : Bois de Glanon (Archives de la Nièvre); — en 1512 : Forêt de Gleynon (Archives de la Nièvre). Cf. chapitre Ier du présent ouvrage. (3) Monasterium Anglenone 1287. Terrier de l'Evêché de Nevers, p. 74. (4) Cf. dans l'Année Nivernaise, 1930, p. 46, l'article de L.-M. POUSSEREAU. sa carte de l'Ancien diocèse de Nevers, indique l'emplace- ment d'un monastère disparu, dit de Glenon, près de la source du Barathon, rivière proche du champ des Montreuils. L'influence monacale se fit sentir dans toutes les Amognes où les moines possédèrent de grands biens. Cluny et sa fille aînée La Charité essaimèrent. C'est ainsi que naquirent le prieuré du bourg de Saint-Sulpice et celui de Sainl-Pér a-ville. Le premier, fondé en 1010 par Hugues, vicomte de Nevers, fut donné par lui aux Bénédictins de La Charité. Le second, construit en 1066, sous l'évêque Mauguin, devint la propriété de l'abbaye de Cluny, « perle monas- tique de la Bourgogne ». Mais il n'y eut pas que des monastères d'hommes éten- dant leur domination sur les terres et la population. A La F ermeté-sur-l' 1 xeure fut érigé en 1030, par la femme du comte Renaud, Adélaïde, fille du roi Robert, un couvent de moniales. Près de ces religieuses vinrent s'installer des moines qui cependant, et le fait est curieux, n'eurent point la direction des affaires. (1)

Nous avons dit que les paroisses du Nivernais sont toutes d'origine fort ancienne et dans le « Tableau synoptique de l'histoire du Nivernais et du Donziais » on peut lire ces (1) Cf. V. GUENEAU, Le Prieuré de La Fermeté, B. S. N., 3e série, tome Ier. lignes à la date de 1404 : (( Les autres paroisses que nous n'avons point trouvées dans les titres des siècles précédents sont presque toutes indiquées dans les chartes du xve. La plupart cependant sont bien antérieures à cette époque ». (1) Disons tout de suite que sur le territoire d'Azy il y eut quatre églises : — 10 une église paroissiale à Mousseaux ; — 2° deux églises paroissiales à Azy : Saint-Christophe et Saint-Benin ; — 3° une église dédiée à Saint-Etienne. Les actes mentionnent plusieurs chapelles domestiques à Valotte (2), à Lavault (3) et une chapelle dite « Notre-Dame de l'Hôpital » dont nous parlerons plus loin. La paroisse de Mousseaux existait déjà en 1083 (l). Elle était contemporaine des églises de Saint-Firmin, de Saint- Benin-des-Bois, de Cigogne, de Saint-Jean-de-Lichy, du monastère de Saint-Sulpice, du prieuré de Saint-Péraville, de la collégiale de Frasnay. Très probablement les autres églises d'Azy sont toutes aussi anciennes mais, s'il est permis de le supposer, rien n'autorise à l'affirmer. Op. cil. p. 97. (2) A. S' B. — Acte d'avril 1681 signalant un « Me François Bernard, chappelain de Mr de Valotte ». « en(3) la A.chappelle Sc B. —de ActeLavau du ». 20 juin 1707 relatant une cérémonie de baptème (4) Mgr CROSNIER, op. cit. p. 68. Vers la fin du XIIIe siècle, le diocèse de Nevers fut divisé en deux archidiaconés, celui de Nevers et celui de Decize, eux-mêmes subdivisés en archiprêtrés ; quatre pour Nevers : Prémery, Lurcy-le-Bourg, les Vaux-de-Nevers et Saint-Pierre-le-Moûtier ; quatre pour Decize : Châtillon, Moulins-Engilbert, Decize et Thianges. De ce dernier archiprêtré dépendaient trente et une paroisses dont nous citons les noms d'après le « Registre- Terrier de l'Evêché de Nevers », rédigé en 1287 : Thianges Thianges. Colange Coulonge, commune de Cercy-la- Tour. Dyana Diennes. Albigniacum Aubigny-le-Chétif. Campus versus . Sanctus Leodegarius.. Saint-Léger-des-Vignes. Moranayum Marnay, commune de Druy. Sanctus Andoenus .. Saint-Ouen. Emphiacum Imphy. Sauvigniacum Sauvigny-les-Bois. Sardella Sardolles, commune de Beaumont. Parrigniacum Parigny-sur-Sardolles, commune de Druy. Très Vevres Trois-Vêvres. Bellus Mons Beaumont-sur-Sardolles. Pria Prye, commune de La Fermeté. Sanctus Benignus ... Saint-Benin-d'Azy. Sanctus Xristoforus.. Saint-Christophe-d'Azy. Sanctus Stephanus de Aysiaco Saint-Etienne-d' Azy. Moncellum Mousseaux-sur-Azy. Cysilliacum . Ruygniacum Reugny. Anlesyacum . Monasterium Angle- Moutiers-en-Glenon, lieu détruit, none commune de Sougy. Langiacum Langy. Limon Limon. Villa Ville-lès-Anlezy. Vernolium ...... Verneuil. Druiacum ...... Druy. Beardum Béard. Varenne Varenne, commune de Sougy. Sogiacum , . , ...... Sougy. Ce registre, qui est le premier document connu où nous trouvons ensemble les quatre églises, mentionne que le mon- tant des quêtes biennales effectuées au profit de l'évêché de Nevers (1) était de X sols pour Mousseaux, Saint-Benin et Saint-Christophe; aucun chiffre n'est indiqué en regard de Saint-Etienne. Cette église ne serait-elle couchée au registre que pour mémoire ? Toujours est-il qu'après le XIIIe siècle il n'est plus ques-

(1) On appelait quête, dans le diocèse de Nevers, un impôt que les curés recueillaient de deux ans en deux ans pour le déposer entre les mains des chantres de l'église cathédrale. tion du hameau et de l'église de Saint-Etienne d'Azy. Rien ne peut actuellement nous en rappeler le souvenir. Si les fidèles du diocèse souscrivaient ainsi régulièrement aux quêtes de leur évêque, là ne se bornait pas l'exigence de l'Eglise. Deux documents sont fort précieux à ce sujet et nous permettent de juger de l'importance des différentes paroisses d'Azy par les taxations qui grevaient leurs revenus. Le premier est un manuscrit des Archives du Vatican relatant les paiements effectués au Saint-Siège par les béné- fices du diocèse de Nevers; il a titre « Compte de Procu- ration » et est daté de 1369-1370. Seule la « Curatus de Moncellis », Mousseaux, est imposée pour 50 sols. Les « curatus Sancto Begnino » et « curatus Sancti Christophori de Asiaco » sont indiquées comme ne devant rien à cause de leur pauvreté, « nihil propter paupertatem ». (1) D'ailleurs, dans le deuxième manuscrit intitulé « Compte de l'Equivalent de 1399 », qui est le relevé des impositions établies en 1398 par le Concile national de Paris, frappant les bénéfices exempts de la taxe apostolique, c'est-à-dire le menu clergé, nous trouvons « Curatus Sancti Benigni de Asacio » et « Curatus S. Christofori de Asacio » inscrites pour 10 sols chacune. (2)

(1) Auguste LONGNON, Pouillés de la Province de Sens, p. 510. (2) Ibid. p. 520. La cure de Mousseaux, bien plus riche que les deux autres, perdit peu à peu de son importance. En 1766 elle jouissait de 336 Livres de revenus alors qu'il est certain que Saint-Benin-et-Saint-Christophe d'Azy dépassait 500 Livres. (1) Il y eut un curé à Mousseaux jusqu'en 1792 ; Saint- Christophe en eut un jusqu'à la fin du XVIIE siècle; dès 1674 Me Ferrand signe les actes comme curé de Saint-Bénin et de Saint-Christophe d'Azy.

Quels étaient, à l'origine, les villages dépendant de chacune de ces trois paroisses ? En interrogeant les actes nous avons pu dresser le tableau suivant : ] 0 Paroisse de Mousseaux : Mousseaux ; Lavault. 2° Paroisse de Saint-Benin : Le château et une partie du bourg d'Azy; Sauvry ; Trailles ; Cherault ; Segoule. (1) Archives Nationales C8* 536. Cité par l'abbé Pierre DEBY. Documents concernant la portion congrue dans le diocèse de Nevers (1763-1766), p. 10. 3° Paroisse de Saint-Christophe : L'autre partie du bourg d'Azy; Montgoublin ; Valotte. De l'église de Mousseaux il ne reste plus rien aujour- d'hui. Elle se trouvait, assure-t-on, en haut du sentier qui s'ouvre à la grande croix que l'on rencontre à droite, en venant de Saint-Benin-d'Azy. La cure était à la présentation de l'Abbesse de Notre- Dame de Nevers, de l'ordre de Saint-Benoît, ainsi que plusieurs cures des environs : Lichy, Sardolles, Trois-Vêvres, Chaluzy... L'église de Saint-Christophe, fief de la Châtellenie de Châteauneuf-sur-Allier, était bâtie à l'emplacement qu'occupe aujourd'hui l'hôtel Lhoste. Quelques pans de murs et un restant de portail, utilisés dans la construction des divers bâtiments de service, en sont les seuls vestiges. Sa vétusté fut probablement la cause de sa mise en interdit par l'évêque de Nevers en 1677. Tout près de l'église de Saint-Christophe s'élevait celle de Saint-Benin. Cette dernière était construite exactement à la place qu'occupe actuellement la fontaine entourée de platanes, alimentée par les eaux de Sauvry. Tombant en ruines, elle fut démolie et remplacée par l'église actuelle. (1)

(1) Cf. chapitre xvi, L'Eglise de Saint-Benin d'Azy, La nomination du desservant de Saint-Benin était réservée en 1 182 au chapitre de Nevers. La bulle du pape Lucius, relative à ce pouvoir, mentionnait également quel- ques cures et chapelles des environs d'Azy : Prie, Cigogne, Thianges... Après la réforme du clergé, le privilège de collation appartint aux chanoines, à l'évêque et aux monastères. Mais les évêques nommèrent de moins en moins et leurs droits ne tardèrent pas à passer dans d'autres mains; ils grandirent la puissance des abbés et prieurs du diocèse qui pourvoyaient à cent soixante-deux cures et quatorze vicairies. Au Pouillé de 1478 (1) sont indiqués les patrons de chaque bénéfice. A cette époque les deux paroisses d'Azy : cura Sancti Benigni de Asiaco et cura Sancti Christofori de Asiaco, sont à la collation du prieur de Saint-Sulpice, « Prioris de Sancti Sulpicii Castro » ; quant à la « cura de Moncellis super Asiacum », elle est à la présentation de l'abbesse de N.-D. de Nevers, « Abbatisse Nivernensis ». Si théoriquement il y avait une différence entre collation et présentation, en fait cela ne devait point exister Le même document donne quelques précisions concernant le privilège de nomination aux bénéfices dans l'archiprêtré de Thianges. Sur 29 cures, 10 prieurés, 1 hôtel-Dieu, 1 léproserie et 2 chapelles, soit 43 bénéfices, le chapitre de Nevers patronait cinq cures : Thianges, Imphy, Prye, Ville- lès-Anlezy, Sauvigny-les-Bois ; de l'évêque « Episcopi »

(1) A. LONGNON, op. cil. p. 534-535. ne dépendaient que la léproserie de Ville-lès-Anlezy, « leprosaria Villa versus Anleziacum » et la maison-Dieu du Bouchot, « Domus Dei de Bolcet ». La collation de tous les autres bénéfices était réservée aux prieurs et abbés des monastères de Nevers, La Charité, Vézelay, Saint-Révérien, Coulonges, Lurcy-le-Bourg... Si du prieuré de Saint-Sulpice dépendaient Saint-Benin et Saint-Christophe d'Azy, le même prieuré relevait de La Charité. Notons que de l'abbé de Vézelay relevaient les prieurés de Moûtiers-en-Glenon et Varenne-en-Glenon et que la prieure de La Fermeté nommait à la cure de Limon et à deux chapelles : « capella Sancti Petri de Rosseo » et (( capella mortuorum, alias des Folz ».

Les fidèles n'étaient point sans rendre hommage, comme de vassaux à suzerain, au dignitaire ecclésiastique de qui ils relevaient. Une coutume singulière, qui mérite d'être transcrite ici, unissait en un collectif hommage les fidèles des vingt-cinq paroisses de la juridiction du prieuré de La Charité. Deux auteurs nivernais. A. Duvivier et F. Wagnien, se sont plu à nous la rappeler : Chaque année, le jour de la Nativité de Notre-Dame, les paroisses vassales amenaient en grande pompe au prieuré un char orné de fleurs, traîné par quatre vigoureux taureaux et chargé d'une hémine de froment. A la porte du monastère, quatre jeunes filles, choisies entre les plus belles, faisaient offrande de la redevance. Le blé était porté dans les gre- niers et les taureaux conduits à l'écurie. Les jeunes filles, admises au réfectoire, y étaient splendidement traitées. Quant au char et à l'attelage, ils ne devaient plus quitter le prieuré.

Il nous reste à dire quelques mots de la chapelle Notre- Dame de l'hôpital. Elle s'élevait à l'endroit appelé le « bois de l'hôpiteau », à droite de la route de Nevers à Château-Chinon, un peu en avant du pont des Carreaux ; quelques ruines étaient encore visibles il y a vingt-cinq ans. La chapelle était située sur la paroisse Saint-Christophe et dépendait de la Commanderie de Feuilloux (1) de l'ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem. C'est certainement à ces chevaliers qu'est due la dénomination de 1' « hôpiteau » qui a survécu. Une léproserie ou une maladrerie, comme on en ren- contrait tant en Nivernais du XIIIe au XVIe siècle, devait être attenante à la chapelle dont il nous restait une statue de la Vierge dite « La Vierge de l'hôpiteau », conservée pen- dant longtemps dans une maison du bourg d'Azy, mais,

(1) Petit hameau de la commune d'Avril-sur-Loire. malheureusement, vendue à un antiquaire de passage. On ne sait ce que cette statue est devenue depuis. Divers actes et les registres d'audiences du Bailliage et Présidial de Saint-Pierre-le-Moûtier citent bien souvent l'hôpital d'Azy, soit au sujet de ventes de bois ou de terres, soit au cours de procès relatifs au fermage et à l'adminis- tration des revenus de la chapelle des chevaliers de Saint- Jean. (1)

Dans chacune de nos églises, des aïeux, braves enfants de la terre, l'âme imprégnée de superstitions antiques, se sont agenouillés près du prie-Dieu armorié de leur seigneur, devant le tabernacle. Bien souvent ils manifestèrent de l'hostilité envers leur curé ou les moines du couvent voisin. Pensaient-ils que les clercs menaient une vie large et oisive à leurs dépens ? Dans un chapitre postérieur nous placerons le curé dans sa paroisse, accomplissant les cérémonies du culte sans songer bien souvent à instruire ses ouailles. Nous montrerons la vie misérable qu'il menait, méprisé par le haut clergé et traité en serviteur par la noblesse. N'était-il pas apparenté à la classe laborieuse qui consti- tuera le troisième état, le Tiers ?

(1) A. S' B. et A. D. N., volumes 61 B2 et 61 B3. Les travailleurs des champs, d'une foi naïve, glorifieront Notre-Dame sans s'inquiéter de l'avenir, sans songer à demander des jours meilleurs. L'Histoire dévoile bien des images, brosse bien des tableaux insoupçonnés. Qui aurait pu croire que de l'inertie morale paysanne allait sortir cette force neuve, cette force française, puisée dans la terre, mûrie, forgée au cours de tant de siècles de labeur et de persévérance, cette force triomphante qui clai- ronnera au Monde stupéfait les principes d'un Ordre nouveau ? CHAPITRE IV La Féodalité Les Rongefer, seigneurs de Cherault

L'AUBE DU RÉGIME FÉODAL. — LES RONGEFER, BARONS DE SAINT-VERAIN ET SEIGNEURS DE CHERAULT. — SUZERAINS ET VASSAUX. — JEAN DE , SEIGNEUR DE CHERAULT EN 1389. — LES PETITS FIEFS DU TERRITOIRE D'AZY. — LA VIE FÉODALE : LE SEIGNEUR ET LES DROITS SEIGNEURIAUX; LES VILAINS ET LA POSSESSION DE LA TERRE; LE SERVAGE ET LES AFFRANCHISSEMENTS. — LA VOIX DU « MENU PEUPLE ».

Les siècles qui ont vu naître, puis disparaître les dynasties mérovingiennes et carolingiennes sont décevants pour ceux qui veulent en pénétrer le mystère. La grande nuit, dont parle Funck-Brentano, s'étale, crispante, sur des ruines et d'atroces carnages. Les Barbares sont venus, Normands, Sarrazins, Hongrois. Ces derniers laisseront derrière eux une triste réputation qui donnera naissance aux fameux Ogres de nos légendes. Les populations se débattent dans un état d'anarchie permanente, harcelées de mille fléaux. Voyez le pitoyable tableau de la misère des campagnes: « Dans les villettes rustiques les maisons tombent en pous- sière, les murs des églises se lézardent, les toitures en sont crevées, les lianes envahissent les tabernacles où le lierre s'agrippe aux chapitaux ; la maison de Dieu se transforme en un repaire où les renards se terrent, où se nichent les oiseaux de proie, où l'on voit briller les yeux sans paupière des hiboux immobiles entre les toiles d'araignées. » (1) On « pille de compagnie », on lutte de village à village. De cette anarchie sortira pourtant un lent travail de reconstruction sociale. Les hommes, au milieu de l'insécurité générale, cherche- ront à assurer leur sécurité propre ; ils se serreront les coudes, se rassembleront auprès de celui qui peut les défendre, les faire vivre : besoin d'autorité, besoin de protection. Les seniores, soutenus par les capitulaires royaux invi- tant, puis obligeant chaque homme libre à se recommander, commenceront à déchiqueter l'autorité royale. Après le capitulaire de Quierzy, promulgué en 877, consacrant l'héré- dité des offices, le seigneur n'eut plus d'autre désir que de transmettre son bénéfice à ses descendants. Pour braver l'autorité royale, pour résister à l'agresseur, protecteurs comme protégés ont besoin d'une forteresse.

(1) FUNCK-BRENTANO, Le moyen âge, p. 2. C'est alors que la France se hérisse d'une foule de châteaux qui deviennent capitales des nouvelles seigneuries. Le château formera le cœur de la société nouvelle dans laquelle nous entrons : la Féodalité. Sur les terres, les laboureurs, les éleveurs, les vignerons, vivent de leurs bras, courbant la tête sous le poids accablant d'impôts ou de corvées de toutes sortes. Mais les travailleurs agricoles ne peuvent être répartis entre une classe servile et une classe libre, bien tranchées, car il existait toute une série de conditions « voisines les unes des autres, échelonnées de la liberté à la servitude ». (1) Dans son château, « le maître vit seul avec les siens, comme le loup dans son hallier. Les grands bois protègent sa solitude. Dans ce coin égaré, entre quatre murs rugueux, il est animé de sentiments très étroits, la méfiance, l'hostilité à l'égard du château voisin, du marchand qui passe, de l'oiseau qui vole. Les ponts sont levés, les épieux brillent derrière les poutres bardées de fer ». (2)

Sur un mamelon, à l'Est d'Azy, quelques ruines à fleur de terre et des fossés à demi comblés sont les seuls vestiges d'un de ces nids d'aigle où se réfugièrent les maîtres du

(1) Cf. J. CALMETTE, La Société Féodale, p. 109. (*21 Gabriel HANOTAUX, La France en 1614, p. 276. pays, les farouches et terribles Rongefer, sires d'Asnois, issus des fondateurs de la maison de Saint-Verain. Le lignage de Cibaud, premier baron de Saint-Verain (1), eut une brillante destinée. Formé de personnages audacieux, batailleurs, il sut se tailler, par la force des armes, de solides fiefs en Nivernais. C'est ainsi que les Rongefer possédèrent Asnois, La Celle-sur-Nièvre, Monts, Glané, Villaines-en-Bazoïs, le Mex-Richard, Champignelles, Tavernay et Cherault. Ces fiefs, conquis brutalement au cours des guerres incessantes, n'ont pas d'autre origine que la soumission au seigneur ; « les bonnes ou mauvaises chances de guerre les voyaient souvent s'agrandir ou se diminuer ». Les maîtres voisins « maintes fois s'entrecombatoient Et se tolurent [s'enlevèrent] ce qu'il purent. Li plus fort les greigneurs [plus grands], pars eurent ». (2) Le surnom de Rongefer, qui s'attacha aux sires d'Asnois, peint fort bien la mentalité de ces entreprenants seigneurs ; l'histoire est pleine de semblables cas. Malgré tous les symbolismes qui effleureront ces soldats barbares, ils demeureront d'une psychologie à la fois enfantine et sauvage; brusques revirements, emportements B. S. N., 1re série, tome V, Les Sires d'Asnois. (2) Jean DE MEUN, Le Roman de la Rose (XIVe s.). IMPRIMÉ EN BELGIQUE — L. BOURDEAUX-CAPELLE - DINANT

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