Chroniques Du Mois
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CHRONIQUES DU MOIS ANDRE BOURIN lÊÈkâ LES REEDITIONS Arthur Rimbaud : « Œuvres poétiques » En 1886, paraissaient dans la Vogue, la revue « de littéra• ture, d'art et d'actualité » de Gustave Kahn, les Illuminations, de Rimbaud, présentées par Verlaine. L'auteur de ces « chiffons volants » était alors en Ethiopie, détaché de toute ambition litté• raire (« Je ne m'occupe plus de ça »), préoccupé seulement de quincaillerie, d'articles de bazar, d'ivoire et d'argent (« Je sais le prix de l'argent »). D'aucuns, à Paris, doutaient qu'il fût encore en vie ; l'on parlait même de « feu Rimbaud », de « l'équivoque et glorieux défunt », et il est bien vrai que le poète d'Une saison en enfer, l'homme aux semelles de vent, le voyant n'existait plus. Arthur Rimbaud n'était désormais qu'un négociant malchanceux, un trafiquant d'armes qui, précisément en cette année 1886, faisait route vers le Choa avec une cargaison de fusils et une caravane d'une cinquantaine de chameaux. Un cuisant échec allait terminer l'aventure. Un siècle s'est écoulé depuis la publication de cet « opéra fabuleux », cette « parade sauvage » et, comme pour en célébrer 446 LES REEDITIONS l'anniversaire, la collection « Lettres françaises » s'enrichit d'un nouveau volume rassemblant les Œuvres poétiques de Rimbaud. A savoir : Poésies, Vers nouveaux, Une saison en enfer, Illumi• nations, que complètent, en appendice, Album zutique, Proses évangéliques, les Déserts de l'amour, ainsi qu'un choix de lettres à Théodore de Banville, Georges Izambard, Paul Demeny et Ernest Delahaye (1). Nous en devons la présentation et les commentaires à M. Cecil Arthur Hackett, professeur émérite à l'université de Southampton. Celui-ci n'est pas simplement un spécialiste de Rimbaud, il en est l'admirateur fervent, et cela depuis plus de cinquante ans. Frais émoulu de Cambridge, il lui consacra sa thèse de doctorat de l'université de Paris, puis publia, outre de nombreux articles, quatre volumes sur son poète d'élec• tion, dont l'un fut préfacé par Gaston Bachelard (2). M. C.A. Hackett, de surcroît, n'ignore rien de ce qui a été écrit sur Rimbaud. Et Dieu sait que les livres abondent sur celui qui, comme il nous le rappelle, est tour à tour doté des qualifi• catifs les plus contradictoires. « Les critiques, mentionne-t-il, nous ont présenté un Rimbaud voyou et un Rimbaud voyant, un Rimbaud catholique, athée, kabbaliste, marxiste, surréaliste, exis• tentialiste. Il a été comparé (entre autres) à Prométhée, à Icare, à Oreste, à Adam, à lob, à lérémie, à saint François d'Assise, à saint Jean-Baptiste, à Jeanne d'Arc, à Léonard de Vinci, à Christophe Colomb, à Faust, à Dieu, ci Satan ! » A qui donc M. C.A. Hackett le compare-t-il maintenant ? A personne. Il ne cède pas à ces extravagances, et n'en a nul besoin pour entretenir son lecteur du génie de Rimbaud, faisant sien ce simple mot de René Char : « Rimbaud le poète, cela suffit, cela est infini. » Oui, c'est du poète qu'il nous parle et de personne d'autre, du poète « qui a ouvert pour tous ses succes• seurs un nouveau monde de thèmes, d'images et de visions », qui « a été un des premiers à employer une nouvelle forme du vers libre », dont « l'esprit radicalement nouveau qui anime son œuvre (1) Arthur Rimbaud : Œuvres poétiques. Textes présentés et commentés par Cecil Arthur Hackett. Illustrations de Pierre Clayette. Collection « Lettres françaises », dirigée par Pierre-Georges Castex, membre de l'Institut, Impri• merie nationale. (2) Ajoutons que Cecil Arthur Hackett a consacré également de nom• breuses études à la poésie française du xixe et du xx' siècle et qu'il a été le premier à présenter au public britannique des poètes contemporains en renom, tels René Char et André Frénaud, ainsi que des poètes plus jeunes, comme Bernard Noël et Jean Daive. LES REEDITIONS 447 n'a jamais cessé d'agir, dans toutes les sphères d'activité, sur des peintres, des sculpteurs et des musiciens, aussi bien que sur des poètes», Rimbaud, dont l'œuvre, «belle et troublante entre 448 LES REEDITIONS toutes, est un perpétuel défi » et qui, « en remettant en question toutes nos conventions, idées et valeurs [...] a élargi non seule• ment le domaine littéraire, mais aussi l'expérience humaine ». C'est à cette conclusion que nous conduit l'introduction de M. Hackett. Une introduction véritable à la lecture de l'œuvre, et non une succession de brillants exercices pareils à ceux auxquels se livrent parfois certains exégètes désireux avant tout de briller à nos yeux en faisant preuve de leur virtuosité intellec• tuelle. M. Hackett ne tombe jamais dans ce travers. Il ne cède pas non plus à la tentation de l'anecdote ; la biographie de Rimbaud n'occupe que peu de place dans ses propos et, lorsqu'il parle de l'homme, c'est toujours en fonction du poète. Un poète parfois bien difficile à saisir, comme l'on sait. Aussi M. Hackett se garde-t-il de toute affirmation mal assurée et se refuse-t-il à tout parti extrême dans des débats douteux. L'un d'eux, et non des moindres, concerne les Illuminations. Pour les uns, ces poèmes en prose où Rimbaud se montre « au sommet de son art » seraient sa dernière œuvre ; pour d'autres, parmi lesquels son ancien condisciple au collège de Charleville, Ernest Delahaye, ils auraient été composés de 1872 à 1873, c'est-à-dire antérieurement h Une saison en enfer. Témoignages divers, étude graphologique n'ont pas permis d'élucider le mys• tère. Mais M. Hackett, quant à lui, pense, en raison de la variété de ces textes, que certains ont été écrits avant Une saison en enfer, d'autres pendant sa composition, d'autres encore après son achèvement. Autre problème avec Voyelles. Un tel sonnet ne serait-il pas une élucubration de « fumiste » ? Quelques critiques l'assurent, cependant que d'autres le considèrent « comme un témoignage sur des phénomènes d'audition colorée ». Là encore, M. Hackett ne se laisse pas entraîner sur des pistes hasardeuses .«En fait, dit-il, c'est une expérience linguistique. Par un libre jeu d'asso• ciations, Rimbaud démontre et illustre l'une des possibilités de l'expression poétique. Une telle suite d'images et de métaphores apparaît comme un exemple d'une langue qui, comme il écrivait dans sa "Lettre du voyant", "sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et la tirant". » En complément de cette introduction si éclairante, des notes, succinctes mais précises, apportent des renseignements particu- LES REEDITIONS 449 liers sur chacun des poèmes. L'ensemble constitue un appareil critique nullement pesant et fort instructif. Quant aux illustrations du volume, elles sont d'une qualité que l'on ne saurait passer sous silence. On les doit au peintre Pierre Clayette, grand admi• rateur de Borges, Buzzati et Gracq. Il nous offre ici onze compositions d'un réalisme fantastique parfaitement accordées à l'œuvre de Rimbaud — Rimbaud que Paul Valéry désignait comme l'un des trois rois mages de la poétique moderne, les deux autres étant Verlaine et Mallarmé. Récentes rééditions Paul-Jean Toulet Succédant aux quatre volumes d'œuvres de Paul-Jean Toulet publiées dans la collection 10/18 par Hubert Juin et que nous présentions dans notre chronique du mois d'avril, voici, aux mêmes éditions, un cinquième volume rassemblant des Œuvres diverses du même auteur : un cahier d'aphorismes, une traduc• tion du Grand Dieu Pan, de l'écrivain anglais Arthur Machen, complément indispensable à Monsieur du Paur, et quelques arti• cles de Toulet, notamment sur des écrivains dont il se sentait proche. « On y voit passer des femmes, on y entend de la musi• que, on y sent briller les lumières du Paris d'alors et s'allumer les feux de la rampe », écrit Hubert Juin dans son introduction (éd. Christian Bourgois). De son côté, la collection « Bouquins », dirigée par Guy Schoeller, nous offre, en un volume de plus de quinze cents pages, les Œuvres complètes de Paul-Jean Toulet, c'est-à-dire, outre ses poésies et ses romans, ses nouvelles, ses contes, son théâtre, ses essais et notes, ses journaux, sa correspondance et enfin sa tra• duction du Grand Dieu Pan. Cette édition, présentée et annotée par Bernard Delvaille, contient aussi des repères biographiques établis par Michel Décaudin et une bibliographie par Pierre- Olivier Walzer. Nul, désormais, n'est sensé ignorer Toulet (éd. Robert Laffont). 450 LES REEDITIONS Michelet Deux nouveaux tomes, les XVIIe et XVIIIe, viennent de paraître dans les Œuvres complètes de Michelet, rééditées par Paul Viallaneix. Le premier de ces deux tomes comprend l'Oiseau et l'Insecte, et l'on en doit l'appareil critique à Edward Kaplan ; le second rassemble l'Amour et la Femme, l'édition critique de ce volume a été établie avec le concours d'Aridavane Govindane et Thérèse Moreau. Chacun de ces ouvrages contient également une chronologie de la vie et des œuvres de Jules Michelet pour la période concernée, ainsi qu' « un dossier de presse relatif à chaque œuvre » (Flammarion). « Guide des maisons d'hommes célèbres » Georges Poisson, conservateur en chef du musée de l'Ile-de- France et auteur de nombreux ouvrages historiques, nous propose une nouvelle édition de ce guide, qui nous ouvre les portes de maintes demeures d'écrivains, artistes, savants, hommes politi• ques, militaires et saints. Ainsi nous trouvons-nous dans l'inti• mité de personnages tels que Victor Hugo, Pierre Loti, Balzac, Dumas, Voltaire, en circulant à travers la France, de province en province, au gré de notre fantaisie.