Le Parc De Bercy À Paris
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Le parc de Bercy à Paris Pierre Donadieu ENTRE URBANITÉ ET RURALITÉ LA MÉDIATION PAYSAGISTE u’est-ce que le paysage? Sans doute rien d’autre construction de trente années, qui a abouti à la réinven- Q que le devenir de toute chose dans un univers tion d’une profession comme actrice à part entière de la réduit à la pure visibilité» 1. Il y a quelques années, construction urbaine. Ce rôle lui avait été longtemps Claude Eveno, urbaniste et éditeur, exprimait à la fois refusé par l’architecture et l’urbanisme qui l’avaient can- sa fascination et son agacement pour les pratiques pay- tonnée à la décoration et à l’hygiénisme urbains. sagistes et leur succès. Suffisait-il de vouloir transposer Nous montrerons comment la culture paysagiste de belles images dans la réalité matérielle pour «régler» française a trouvé, à côté de ses missions traditionnelles l’incohérence des villes et réduire la pollution? Suffi- – le décor de l’espace public urbain – une nouvelle sait-il d’apporter arbres, pelouses et eaux au citadin opportunité, celle de participer à la refondation d’un pour améliorer les conditions de vie urbaine? La ville art urbain. L’outil essentiel en a été le projet de paysage sans arbres était-elle irrémédiablement une ville sans en tant que processus de maîtrise du devenir spatial et âme? Il constatait l’inexistence d’un appareil critique social d’un territoire ; utopie déroutante, mais suffisam- pour évaluer l’action paysagiste et préconisait de «cer- ment réaliste pour avoir produit des résultats concrets. ner l’objet, non par sommation des analyses tech- niques, mais par cumul des subjectivités vigilantes face L’irrésistible ascension au danger d’une absence de la critique» 2. Claude Eveno déplorait « la froideur et la morbi- des paysagistes dité» du parc André Citroën, mais ne contestait pas A la fin des années soixante-dix, l’effectif des paysa- beauté et grandeur au lieu. Pour lui, dans ce jardin, gistes français formés dans deux écoles à Versailles et à rien du voyage initiatique des jardins anglo-saxons, Angers ne dépassait pas 400 diplômés5. Presque tous mais une « mise en exposition du savoir paysagiste issus du berceau versaillais – la section du paysage et de contemporain». Presque rien à sauver non plus dans le l’art des jardins de l’École nationale supérieure d’horti- jardin de Belleville où, «dans l’ordre du crime, l’urba- culture – depuis 1945, ils s’inscrivaient dans une tradi- nisme a trouvé son complice, le paysage ». Humeur tion horticole qu’avait instaurée l’architecte-paysagiste isolée d’un déçu des jardins modernes qui préfère le Édouard André depuis la fin du XIXe siècle. Cent ans charme chaleureux du parc Monceau ? Sans doute. après, mais en à peine vingt ans, leur effectif a presque Mais Robert Schäfer, rédacteur en chef de la revue quadruplé. Ce phénomène peut être attribué à deux européenne de paysage Topos, après avoir souligné les évolutions : l’accroissement de la commande publique mérites du jardin de l’Atlantique, construit au-dessus de paysage et l’apparition de quatre nouvelles écoles6. de la gare Montparnasse, n’ajoute-t-il pas que «cette En 1999 s’étaient ajoutées, aux écoles de Versailles et exposition de jardin sur dalle est plus convaincante par d’Angers, l’École d’architecture et de paysage de Bor- sa perfection artisanale […] qu’en tant qu’œuvre origi- deaux, l’École supérieure d’architecture des jardins de nale d’un art du jardin» 3 ? Paris, l’École supérieure de la nature et du paysage de On savait déjà que les paysagistes – «ambulanciers Blois et récemment celle de Grasse ; sans compter la de l’urbanisme moderne» 4 – étaient souvent appelés formation doctorale «Jardins, paysages, territoires» de trop tard et que ces pratiques étaient désormais de plus en plus abandonnées au profit d’une intervention pré- coce des professionnels du paysage. Mais on se souciait 1. Eveno C., « Humeurs ». Pages paysages n° 5, p. 104. moins des limites de leur art, tant étaient évidentes 2. Ibid. leurs capacités à requalifier le cadre de vie des citadins, 3. Schäfer R., « Jardin atlantique », Pages paysages n° 6, 1996/97. à fabriquer correctement la ville, là où les pratiques 4. D’après Marot S., « L’alternative du paysage », Le Visiteur n° 1, 1995, p. 63 architecturales, urbanistiques et environnementalistes 5. En réalité beaucoup moins en activité réelle de paysagiste. devenaient défaillantes ; là aussi où la nature des 6. Sans compter la formation donnée au Centre national d’études et de espaces verts restait un accessoire urbain consternant. recherches paysagères (CNERP) à Trappes près de Versailles de 1972 à 1978. Ce qu’on sait moins, c’est que les pratiques paysagistes d’aujourd’hui sont le résultat, en France, d’une longue Les Annales de la Recherche Urbaine n° 85, 0180-930-XII-99/85/p. 6-15 © METL. PAYSAGES EN VILLES 7 Entre urbanité et ruralité/Donadieu l’école d’architecture de Paris-La Villette depuis 1991. pler et pour fuir la ville. Mais cette inclination obéit à Ce développement rapide n’amène pas encore le dis- des motivations complexes. Dans la forêt de Fontaine- positif de formation à la hauteur de ceux de la Grande- bleau, Bernard Kalaora10 avait montré à la fin des Bretagne et de l’Allemagne7, mais est plus important années soixante-dix que le mobile de la sortie en forêt que ceux de l’Italie ou de l’Espagne. relevait plus de la distinction sociale que du besoin de Cette évolution a été marquée par la lente profes- vert, et que l’aménagement forestier répondait moins sionnalisation du métier de paysagiste8. D’abord iden- aux besoins de loisirs qu’aux reproductions des valeurs tifiés par les collectivités comme des « planteurs » sociales, familiales, dans un cadre mythifié par les dis- d’espaces verts, grâce à leurs compétences horticoles, ils cours urbanophobes. Vingt ans après, il note le dépla- ont construit progressivement leur image d’architecte cement du goût du public vers une nature sauvage, maître d’œuvre distincte de celle de l’ingénieur, du ges- équivoque, propice aux expériences extrêmes et tionnaire des parcs publics urbains et de l’entrepre- authentiques, mais suffisamment «aménagée» pour en neur. Depuis 1982, une Fédération française du pay- éliminer les risques mortels11. Parallèlement, Bertrand sage regroupe les professionnels du paysage autour de Hervieu et Jean Viard constatent le triomphe de l’ur- la défense de leurs intérêts. Elle se consacre en particu- banité – art de vivre ensemble – sous la forme du désir lier à la définition des conditions à remplir pour exer- de paysage de campagne qui masque, pour presque cer la profession, comme le fait, par exemple, le Land- deux Français sur trois, la réalité agricole du pays. Ils scape Institut de Londres. soulignent cependant que « si la campagne incarne Le succès des paysagistes n’est pas lié seulement à beauté et liberté, la ville, elle, bien que lourde d’elle- leur capacité d’auto-organisation qui fut longue à se même, reste un lieu de plaisirs et de loisirs et bien sûr mettre en place, faute d’effectif suffisant et de conver- de travail et de progrès» 12. gences d’idées dans des milieux fortement marqués par Une des conséquences de l’attraction simultanée des la culture de l’ingénierie (Ponts et Chaussées, travaux villes et des lieux de paysage a été depuis vingt ans – à publics et horticulture en particulier). Ce sont les pou- la campagne comme sur le littoral – le repeuplement voirs publics qui, confrontés à la demande sociale de des régions périurbaines et l’abandon relatif des centres qualité du cadre de vie, firent appel progressivement des villes. Dans ce contexte, les responsables des col- aux paysagistes et contribuèrent puissamment à lectivités ont été amenés à préciser, et parfois sous la construire la commande de paysage. Dès 1979, le pression d’associations de défense de l’environnement, ministère de l’environnement créa la Mission du pay- des politiques urbaines d’environnement sous la forme sage qui définit les grandes orientations des pratiques de plan vert, de ceinture verte, de réseau vert ou de paysagistes ; elle fut relayée, à l’échelle départementale, plan de paysage. Dans de nombreux cas, ces projets par les Conseils d’architecture, d’urbanisme et d’envi- ont amené la participation des paysagistes à la créa- ronnement (CAUE), puis par les parcs naturels régio- tion de nouveaux quartiers ou à leur requalification, du naux et les directions départementales de l’équipement fait, soit d’extensions urbaines, soit de changements (DDE), alors qu’étaient instaurées les politiques de d’activités (arrêts d’activités industrielles ou ferroviaires concours pour choisir les concepteurs des projets de par exemple). Dans d’autres cas, des parcs et des paysage comme ceux des parcs du Sausset, de la Villette réseaux piétonniers ou cyclistes ont étendu l’espace ou des Tuileries à Paris. Ce processus de légitimation et public du loisir dans la ville. En faisant appel aux pay- de promotion des architectes-paysagistes connut son sagistes, les élus leur confiaient des missions dont les point d’orgue avec la création d’un grand prix et d’un contenus se sont construits empiriquement au regard trophée du paysage, qui reconnaissaient aux profes- des programmes et des sites à aménager, mais aussi en sionnels du paysage une place explicite parmi les fonction de la culture des paysagistes et de l’idée qu’ils acteurs de l’aménagement, à côté des architectes, des se faisaient de leurs missions. urbanistes et des différentes catégories d’ingénieurs. Parallèlement, les historiens commençaient à révéler la mémoire et à écrire l’histoire d’une profession qui 7.