UNIVERSITE DE TOAMASINA ------FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES ------U. E. R. D’HISTOIRE

LES RACINES HISTORIQUES DU

SEPARATISME ANJOUANAIS

(1997)

Travail d’études et de recherches présenté par :

ABDOUROIHAMANE Mahamoud Bacar

Sous la direction de Monsieur RAKOTONDRABE Daniela Tovonirina Maître de conférences à l’Université de Toamasina

Année Universitaire 2005-2006

DEDICACE

A notre chère famille, surtout NASTAYDA Intibane et SAENDA Youssouf

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REMERCIEMENTS

La réalisation de ce mémoire a bénéficié du concours de diverses personnes. Pour témoigner notre gratitude, nous adressons plus particulièrement nos loyaux remerciements à :  Monsieur RAKOTONDRABE Daniela Tovonirina, notre Directeur de recherches qui, par ses remarques et ses suggestions pertinentes, a su orienter rationnellement nos réflexions pour l’enrichissement de ce mémoire.  Tous les professeurs de l’Université de Toamasina, plus précisément ceux du département d’histoire qui, par le concours de leurs connaissances biens fondées, nous ont initié l’esprit de l’ expérience scientifique.  Tous ceux qui, à différents moments de nos recherches, ont bien voulu répondre à nos interrogations.

Nous adressons également nos vifs remerciements à :  Nos membres de la famille, en particulier notre mère et père, Monsieur et Madame INTIBANE, MAHAMOUD Natacha, ABACAR Mahamoud (Djoni), ALI Mahamoud, NARDA Mahamoud, AYATOULLAH Mahamoud, pour leurs efforts financiers, leur patience et surtout leur encouragement pendant les moments pénibles.  Notre chère bien aimée, SITTI Mohamed qui, par sa patience et son soutien, a impulsivement contribué à ce travail.  Nos enseignants, surtout SOIFAOUIDINE Sidi, MOUSSIAMBOU Halidi, KAISSI Abdallah, MOHAMED Oussene etc.  Tous les étudiants comoriens de Barikadimy, surtout ceux de l’Union Fraternelle des Etudiants et Stagiaires Ouaniens à Madagascar (UFESOM).  Tous les amis, entre autres YOUSSOUFOU Moussa, CHEKIDINE Saïd, DHAHALEB Ali, ABTOIHI Houmadi Bacar Papa, YAHAYA Mohamed, ABDALLAH Omar(Sergio) etc.

ABDOUROIHAMANE Mahamoud Bacar

2 INTRODUCTION

3 À la fin du XIX e siècle bien avant la colonisation des Comores, les îles de l’archipel étaient gouvernées pendant plusieurs siècles par des sultans rivaux connus sous le nom des « batailleurs ». Sous la période coloniale, l’administration française avait dirigé presque un siècle et demi (1886-1975) les quatre îles des Comores dans l’ensemble. Mais, avec l’accession du pays à l’indépendance, l’unité de façade pendant la domination française est davantage menacée. En effet, la décolonisation des Comores avait été revendiquée le 23 décembre 1972 par la Chambre des députés de Moroni. L’Assemblée comorienne vote alors à une forte majorité une résolution demandant « l’accession des Comores à l’indépendance dans l’amitié et la coopération avec la France »1. Le 15 juin 1973, est signée par M. Bernard Stasi (alors Ministre des Départements et des Territoires d’Outre-Mer) et par Ahmed Abdallah (président du conseil de gouvernement), une « déclaration commune » prévoyant l’organisation d’une consultation populaire aux Comoriens, dans un délai de cinq ans, pour décider de leur sort. Le processus de la décolonisation des Comores est effectivement mis en œuvre en 1974. Le 22 décembre1974, les îles de l’archipel des Comores votent pour la souveraineté. Globalement, l’indépendance est voulue par 94,56% des voix. Les décomptes, île par île, relèvent qu’à , à la et à Mohéli, l’acceptation de l’indépendance avoisine les 100%. Mais, l’île de Mayotte se prononce contre l’indépendance à la majorité de deux tiers (63,82%). À la suite de ce scrutin, le projet de loi qui reconnaît l’indivisibilité des Comores est modifié en raison d’une ferme opposition des sénateurs français qui estiment qu’un statut particulier doit être attribué à l’île de Mayotte 2. Par conséquent, les membres de la Chambre des députés des trois îles des Comores, pour contester une procédure qui remet en cause la décolonisation globale de l’archipel, proclament à l’unanimité l’indépendance unilatérale le 6 juillet 1975. Le lendemain, ils désignent Ahmed Abdallah, chef de l’état. Cette décision fracassante provoque la division au sein de la classe politique comorienne ainsi que la sécession de Mayotte. Ainsi, l’année 1975 est un tournant majeur dans l’histoire des « îles de la lune », car le pays a acquis son indépendance, mais cette dernière n’a pas eu un effet de regroupement pour que le pays choisisse en commun son destin. Dès lors, Mayotte est restée dans la République Française jusqu’à l’heure actuelle.

1 La résolution demandant l’indépendance est votée par 34 voix contre 5. Les cinq députés de Mayotte votent contre cette résolution. Pour plus de détails, voir Oraison (A) , Les différends Franco-comoriens sur l’île de Mayotte , RDSDP, 1996, pp. 19-21. 2 MOHAMED Ibrahim, Les Comores : la marche vers l’indépendance (1972-1975), CNDRS, 2000. p : 29. 4 Plus de deux décennies après cette décolonisation inachevée, les régimes en place utilisent le fédéralisme de désagrégation [fédéralisme de désintégration, un fédéralisme qui perd son intégrité, sa cohésion nationale et qui renforce les forces centrifuges]. En effet, en dépit de la constitution fédérale, les élites politiques des Comores se contentent d’un système d’administration cloisonnée et hypercentralisée. La prise de conscience de particularismes insulaires est oubliée et le fédéralisme est resté théorique. Au demeurant, certaines des îles se sont senties lésées et ont pensé se retirer du pouvoir central. C’est le cas de l’île d’Anjouan qui, en 1997, tombe dans une atmosphère bouillonnante. Cette île est fortement tentée par l’idée de se séparer de la collectivité nationale. Ironie du destin, les habitants de cette île réclament ouvertement la sécession vis-à- vis de la République Fédérale Islamique des Comores (RFIC) et leur attachement à l’ancienne puissance coloniale. L’émergence de ce mouvement sécessionniste brusquement survenu dans l’île, la plus proche de Mayotte (70 km), avait occupé entièrement les esprits de presque tous les Comoriens. Les Comores se sont trouvées, pendant plus de quatre ans, confrontées à une crise insulaire sans précédent. Les îles se sont engagées dans un vertige qui lamine peu à peu sa géographie, son histoire commune, provoquant ainsi son démantèlement.

Quelles sont donc les racines historiques du séparatisme anjouanais et de quoi se nourrit-il ?

L’histoire du séparatisme anjouanais qui nous inspire est dictée par deux motivations principales. D’abord, le séparatisme anjouanais de 1997 est un domaine d’étude, jusqu’à nos jours mal défini et mal connu dans le cadre des investigations historiques. En effet, nous n’avons quasiment pas d’ouvrages traitant des racines de la sécession anjouanaise. Ce qui veut dire que la plupart des historiens n’ont pas encore fait jusqu'alors une étude approfondie sur ce thème. Ensuite, nous voudrions savoir la place qu’occupe le séparatisme anjouanais dans l’histoire mouvementée des Comores. Car, nous constatons que la sécession est devenue une tentative récurrente voire une fièvre obsidionale dans les îles de l’archipel des Comores.

Pour ce qui est des collectes de données, nous pouvons dire que nous n’avons pas été épargnés par des difficultés de tout bord ; et qu’il existe aux Comores, un seul Centre National de Documentation et de Recherche Scientifique (CNDRS). Le siège de ce centre est à la Grande Comore. À Anjouan, on aperçoit une annexe qui n’a presque rien, même les journaux complets d’Al-Watwan. Les représentants de cette annexe affirment que la

5 bibliothèque d’Anjouan est carrément négligée par les responsables du CNDRS de Moroni 3. Ce qui fait que le CNDRS est centralisé à la Grande Comore. Toutefois, les représentants d’Anjouan ne font pas des efforts en ce qui concerne la conservation des sources, du point que même les tracts du mouvement séparatiste de 1997 n’existent mêmes pas dans leurs répertoires. Nous constatons une négligence de la part des représentants. Pour avoir une documentation, nous étions obligés d’aller le plus vite possible à la Grande Comore, le siège principal. À notre arrivée, nous avons demandé aux documentalistes de nous orienter vers les ouvrages, les articles et les sources relatifs au séparatisme. À cet égard, ils nous ont donné un répertoire sur lequel figurent les sources et les ouvrages traitant sur les Comores. Nous nous sommes aperçus que, peu de sources et d’ouvrages nous ont fourni des informations relatives à notre sujet. Mais, force est de dire que même les ouvrages susceptibles de nous fournir des informations, ne sont pas disponibles. Ce qui est d’ailleurs alarmant pour les futurs chercheurs. Cependant, au moment de recherche des documents écrits, la plus grande contribution était apportée par Soifaouidine Sidi et Kaïssi Abdallah. Ces derniers nous ont donné et indiqué un certain nombre des documents écrits. Nous pouvons également ajouter la part d’Ibrahim Abdallah (fils du chef séparatiste). Celui-ci nous a donné beaucoup de documents écrits entre autres des discours écrits de son père, des lettres et des journaux. Nous avons enfin complété ce travail de documentation écrite dans les bibliothèques malgaches, en particulier celle de l’Université d’Antananarivo et celle de Tsimbazaza (Fonds-Grandidier). Dans ces centres, nous avons eu quelques informations concernant l’histoire générale des Comores. Sans omettre aussi la grande part du centre Webliographique de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) à Antananarivo dont nous avons tiré un nombre important de documents sur l’Internet. Il est à noter que la plupart des documents écrits que nous avons trouvés sont des journaux. Nous avons constaté que ces journaux véhiculent des informations contrastées :  VIA , revue conçue dans l’île de la Réunion, sympathise avec les séparatistes. Cette revue se sert surtout de l’arme de la légère différence culturelle afin de fonder la légitimité historique et politique de la séparation anjouanaise. Elle véhicule également des propos insultants et haineux envers les autres îles de l’archipel.

3 Témoignage de Maman Ahmed Abdou, Archiviste au CNDRS d’Anjouan, décembre 2004. 6  Al-Watwan est le journal de l’Etat central. Ce quotidien privilégie trop les informations de l’archipel étatique. Il n’est pas du tout un journal indépendant et libre.  Le Monde est un journal indépendant dans ses informations. D’après ce que nous avons lu, nous constatons que ce journal raconte honnêtement et sans détours ce qui se passe en 1997.  Bulletin de l’information du comité de soutien et de liaison d’ Anjouan est un journal périodique qui défend beaucoup plus le séparatisme.  Archipel , un journal également périodique qui défend l’intégrité territoriale des Comores.  Ushé , journal périodique à tendance unioniste. À ce contraste, il est impératif de soumettre les informations journalistiques à un objet critique. Ce dernier consiste principalement à la confrontation des écrits journalistes aux réalités historiques des Comores et aussi aux réalités vécues par les Anjouanais de tout bord.

En ce qui concerne les archives officielles, c’était la tâche la plus colossale. Car les archives qui concernent notre thème n’étaient pas disponibles au CNDRS. Par conséquent, nous étions obligés, pour combler ce manque à gagner, de demander des archives auprès de nos informateurs surtout les plus proches de l’idéologie séparatiste et les plus proches de l’ Etat central. C’est à partir de là que nous avons réussi à trouver des sources relatives au séparatisme.

Nous avons aussi réalisé ce travail historique à partir d’autres moyens de recherche qui sont les sources orales. En effet, nous nous sommes lancé sur les sources orales dans le dessein de mettre en confrontation les deux sources. En d’autres termes, les enquêtes orales constituent en fait une source complémentaire aux sources écrites. Pour cela, nous avons fait une très grande campagne aux enquêtes orales, d’autant plus que la société anjouanaise est essentiellement orale. Ainsi, les enquêtes orales pouvaient non seulement compléter les sources écrites, mais aussi montrer les attitudes de la population anjouanaise vis-à-vis du séparatisme. Il est à souligner que cette phase de recherches était la plus compliquée dans la mesure où les enquêtés, surtout de la région du Sud (Nyumakélé), demandaient de l’argent, alors que nos moyens étaient très modestes pour la satisfaction des ces gens-là. En revanche, dans les milieux urbains, les enquêtes ont été menées de façon satisfaisante . Nous avons effectué ces enquêtes orales par enregistrement sur bande magnétique. Nous avons réussi à enquêter les 7 chefs séparatistes disponibles, les paysans, les citadins et les intellectuels. La plupart du temps ce sont les personnes enquêtées qui nous indiquaient d’autres personnes importantes. Sur les enquêtes réalisées, nous constatons que les informations sont tout à fait contrastées de part et d’autre. Sur ce, nous étions vigilants quant à l’apport de ces informations tout en donnant une grande importance à l’intérêt historique. Autrement dit, nous avons adopté une attitude critique sur les enquêtes , étant donné que l’oralité n’est pas tellement une source fiable parce que la mémoire humaine engendre souvent des oublis et les personnes enquêtées privilégient leur idéologie au détriment de la rigueur historique. Donc, cette approche critique constitue une évidence pour nous. En définitive, la confrontation des résultats des sources orales et écrites avec la bibliographie et la webliographie, nous a permis de construire les racines historiques du séparatisme de 1997.

Ainsi, l’approche de notre sujet se base sur trois axes de réflexions. D’abord, nous verrons le contexte de la sécession ; ensuite, l’approche historique de la séparation et enfin, l’essai d’analyse du séparatisme anjouanais.

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PREMIERE PARTIE : CONT EXTE DE LA SECESSION

9 L’archipel des Comores qui a une superficie de 2235 km 2 est divisé géographiquement en quatre îles. Ces îles ont des aspects et des aptitudes bien différents. La Grande Comore (1148 km 2), la plus vaste, possède un grand volcan en activité dont les pentes et les coulées sont en bonne partie stériles ou difficilement cultivables. Anjouan,avec 424 km 2, cette île aux cours d’eaux permanents, connaît un surpeuplement, mais offre à une capacité de mouillage sûr. Mohéli avec 290 km 2, la plus petite des îles, possède des possibilités de terres à la mise en valeur. Mayotte (374 km 2), a en soi un lagon enserré par un récif barrière qui délimite un espace de pêche privilégié, et a abrité une division navale 4. La configuration géographique de l’unité de l’archipel et de ses diversités physiques ou humaines ne saurait faire l’impasse sur une description de sous-développement dont l’aggravation est une cause essentielle des complexes que l’archipel a connues depuis son indépendance jusqu’à nos jours. Par ailleurs, l’unité nationale tant de fois prônée, n’est jusqu’alors pas une réalité effective. Les disparités de développement, naturelles ou entretenues entre les îles, alimentent les velléités séparatistes de ceux qui pensent que chaque île pourrait mieux vivre sans les autres. En effet, depuis le mois de juillet 1997, la République Fédérale Islamique des Comores traverse une crise séparatiste de fait dans l’île d’Anjouan. Pendant cette période, tous les ingrédients étaient réunis pour l’éclatement. Quels sont les particularismes géographiques d’Anjouan dans le contexte comorien et quels sont les faits marquants de la crise sécessionniste de 1997 ? Pour répondre à ces problèmes, nous analysons dans le premier chapitre, Anjouan dans le contexte comorien et dans le deuxième, la sécession de 1997.

4EMMANUEL(V) et VERIN(Pierre), Histoire de la révolution comorienne ( Décolonisation, idéologie et séisme social), l’Harmattan, Paris, 1999, p.16. 10 CHAPITRE I : ANJOUAN DANS LE CONTEXE COMORIEN.

Certains des caractères naturels, humains et économiques de l’île d’Anjouan, l’une des « îles de la lune » postée en sentinelle à l’entrée Nord du canal de Mozambique, nous aident à comprendre les racines historiques du séparatisme. L’extrême pauvreté de cette île par rapport aux autres a joué un rôle de premier plan dans le processus du mouvement sécessionniste. Il nous paraît donc indispensable de replacer Anjouan dans le contexte géographique comorien. Quels sont les éléments géographiques qui ont contribué à la sécession anjouanaise ? Pour mettre en clair cette problématique, nous allons d’abord voir les aspects physiques, ensuite les aspects humains et enfin les aspects économiques.

PRESENTATION DES CARTES

Voir dans les trois pages suivantes

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Croquis N" 1 :ANJOUAN dans l'archipel des Comores et dans l'Océan Indien

10°

40° 50°

0 100 200 300km

Source : Croquis de l’ auteur

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I. LES ASPECTS PHYSIQUES.

1. La position d’Anjouan.

L’île d’Anjouan est l’une des quatre îles de l’archipel des Comores qui se positionne au Sud-Ouest de l’Océan indien, à l’entrée du fameux canal de Mozambique entre la côte Est-africaine et le Nord-Ouest de Madagascar. L’archipel des Comores est très isolé dans une région parmi les moins développées de l’Afrique. Il est situé à 300 Km des côtes de la Grande île et celles de Mozambique. L’île d’Anjouan se trouve au cœur de la principale route de transport maritime de l’Océan Indien. Cet Océan avait, avant la réouverture du canal de Suez en 1975, une notoriété stratégique importante parce que toutes les flottes pétrolières de l’Occident y transitaient pour se ravitailler en or noir dans les Emirats, en Irak, en Iran et en Arabie Saoudite. 5 Les îles Comores, en particulier Anjouan, avaient une position importante dans l’Océan Indien puisqu’elles étaient sillonnées par les grands tankers jour et nuit. En outre, l’isolement des îles, les unes par rapport aux autres par de profonds fossés d’environ 50km, est patent. Mais, la distance est plus ou moins longue entre les différents ports. Par exemple, de Mutsamudu (Anjouan) jusqu’au port de Dzaoudzi (Mayotte), l’isolement est de 115 Km ; de Moroni à Mutsamudu, la distance est 130 Km ; de Mutsamudu à , l’écart est de 75 Km. Cet isolement, des îles entre elles, pose des problèmes importants . Car cette situation naturelle ne facilite pas les échanges d’informations, de biens et de personnes. L’insularité est un phénomène qui tend par nature à isoler et à accentuer les caractères spécifiques de chaque composante de l’ensemble. Bref, ce phénomène insulaire renforce les forces centrifuges. L’île d’Anjouan se positionne au milieu de l’archipel, au Sud-Est de la Grande Comore, à l’Est de Mohéli et au Nord de Mayotte. Elle s’étend entre les 11° 20’ et 11° 4’ de latitude Sud d’une part et entre 43°11’ et 45°19’ de longitude Est d’autre part. La position géographique de l’archipel, en particulier l’île d’Anjouan, entre l’Equateur et le tropique du capricorne, entraine un climat chaud et humide de type tropical. Ce genre de climat est caractérisé par deux principales saisons. D’une part, une saison chaude et pluvieuse de novembre à mai, qui subit l’influence de la mousson venue du Nord-Ouest de l’Océan Indien et descend jusqu’au Sud des Comores : c’est la période cyclonique.

5 KLOCHROFF(Claude) , Les Comores d’aujourd’hui , Jaguar, Paris, 1989, p.36.

15 D’autre part, la saison sèche et fraîche de juin à octobre, est soumise à l’influence des alizés. Ces alizés sont des vents venus des régions froides du Sud-Est de l’Océan Indien pour arriver enfin aux îles Comores.

2. La nature géographique d’Anjouan

L’île comorienne d’Anjouan a une forme générale d’un triangle dont les lignes de faites (la partie étroite) constituent des bissectrices 6. Ces dernières se situent du mont Ntringui (le point culminant de l’île, 1575 m) à 12 km jusqu’à la pointe de Nyumakélé et à 25 km jusqu’à la pointe . L’île est constituée d’un complexe, d’édifices volcaniques dont les formes sont encore fraîches, la vigueur du relief et des pentes traduisent le caractère récent d’Anjouan. Cette île correspond à la « « phase intermédiaire »7 volcanique. Le dernier paroxysme du volcan est à l’origine des cônes et des crêtes stromboliens relativement bien conservés aux altitudes les plus basses. Par exemple, la partie centrale de l’île (Tsembéhou, Chandra, Koni Djodjo…) est un vieux volcan bouclier dont la cuvette a environ 500 m d’altitude. Dans le pourtour de l’île, les coulées dominent directement le rivage ou le littoral. Ces coulées ne laissent place que très localement à des plaines côtières de taille réduite surtout sur la façade Sud-Ouest de l’île. Ainsi, Anjouan avec son volcanisme ancien est constitué de sols d’origines basaltiques, argilo-limoneux et les sols sont généralement très perméables 8. Le relief de l’île d’Anjouan est généralement accidenté. Il est riche en pentes raides et présente un modèle de dissection vigoureuse. La quasi-totalité des vallées sont étroites et profondes. L’île d’Anjouan est une île montagneuse dont les pentes sont fortes. Ce qui fait que les rivières existantes en ont creusé les flancs pour créer des ravins étroits et profonds. L’île est caractérisée par des réseaux des cours d’eaux plus ou moins permanents qui prennent leur source sur les hauts plateaux . Ce potentiel hydraulique non négligeable constitue la source naturelle la plus importante de l’île. D’après une étude faite par la PNUD 9, malgré le tarissement des cours d’eaux, les ressources en eau superficielle devraient suffire à Anjouan à condition que les campagnes de reboisement et de sensibilisation sur l’environnement suivent leurs cours. Les cours d’eaux existent bien à Anjouan contrairement

6 BRUNHES (J.) et DANDOY (G.), géographie de la filariose dans les îles d’Anjouan et Mayotte, cah. ORSTOM, vol. XV, N°1, 1978, pp. 3-4. 7 Idem, p.4 8 CHAGNAUX (A) et HARIBOU, Les Comores : que sais-je ?PUF,1985, p.9 9 PNUD, le projet de la biodiversité et de développement durable aux Comores,1991, p 2.

16 à la Grande Comore où les rivières sont rares. Mais à Anjouan, ces cours d’eaux sont fortement diminués surtout à cause de la déforestation de plus en plus forte et rapide. L’île d’Anjouan présente trois parties essentielles dont chacune d’elles a un caractère un peu particulier :  La première est la partie de l’Ouest qui est la plus étroite. Cette partie renferme le port de Mutsamudu qui a une capacité de mouillage assez sûr et qui est fréquenté jusqu'à maintenant par les grands courriers du monde ; l’aéroport de appartient aussi à cette partie. Cette dernière est la plus active de l’île car elle détient la quasi-totalité des activités urbaines de l’île.  La deuxième qui est la face Est constitue toutes les régions de Bambao. Cette partie fait de l’île d’Anjouan « la perle des Comores » ou l’île aux parfums en raison de sa beauté et grâce à la production d’huiles essentielles (l’ylang-ylang, jasmin, cassis, ….)  La troisième, c’est la partie du Sud qui se compose surtout de la presque île de Nyumakélé. Elle est la région la plus pauvre de l’île ; elle s’adonne surtout à l’agriculture, à l’élevage et à la pêche.

3. L’exiguïté de l’île

L’île comorienne d’Anjouan est la deuxième parmi les quatre en matière de superficie après la Grande Comore. Sa superficie est de l’ordre de 424 Km² sur 2235 Km² de l’ensemble de l’archipel 10 . Ce qui montre déjà que la superficie totale de l’archipel est relativement exiguë par rapport aux autres îles de la région du Sud Ouest de l’Océan Indien comme Madagascar (587.000 Km²), la Réunion (2512 Km²). Anjouan est la plus densément peuplée parmi les îles de l’archipel. Sa densité actuelle est de l’ordre de 559,7 habitants au Km², loin de celle de la Grande Comore(252,7 habitants/Km²) et de celle de Mohéli (105,6 habitants/Km²). Dans certaines régions de l’île comme Mutsamudu et Nyumakélé, la densité dépasserait 1 000 habitants/ Km². A première vue, les disparités apparaissent graves en comparant les densités non pas par rapport à la surface totale

10 Il y a des auteurs qui mentionnent une superficie de 2171 Km² comme DJABIR (A), les Comores : un Etat en construction , Harmattan, 1993, et ceux qui marquent 2033 Km², mais la référence est prise dans l’histoire de la révolution comorienne de Pierre VERIN, p.15.

17 de l’île, mais par rapport à la surface agricole cultivable et utile. Pour illustrer cette situation, voilà un tableau qui montre les éléments de surface11 : Tableau n°1 : Densités respectives des îles et répartition des terres cultivables. Éléments de surface Grande Comore Anjouan Mohéli Comores Densité par habitant/ Km² (2001) 252,7 559,7 105,6 306 Répartition des terres cultivables par habitant (hectare, 2001) 0,38 0,25 1 0,54 Source : PADC, 2001-2010.

A travers ce tableau, nous constatons que la densité est très forte à Anjouan et la répartition des terres cultivables est moins importante sur 252 000 habitants. Les disponibilités des parcelles cultivables par personne ont une dimension réduite ; alors que près de 80% des Anjouanais vivent directement de l’agriculture. Cette dimension réduite de la surface agricole est due non seulement à la forte pression démographique qui accélère l’urbanisation, mais aussi à l’ingratitude et à la stérilisation du sol. La stérilisation avait atteint un degré considérable à cause des conditions pédologiques, surtout la dégradation du sol à l’instar de l’érosion. Les Anjouanais trouvent alors des difficultés car les terres sont insuffisantes par rapport aux besoins de la population largement constituée de paysans. L’exiguïté de surfaces cultivables a pour conséquence une limitation des potentialités agricoles qui peut réduire la production locale. La forêt a connu aussi une diminution nette, mais cette fois-ci au profit des champs nécessaires à la subsistance. Par exemple, sur un total de 12 300 hectares en 1983, la surface des forêts est passée à 7970 12 hectares en 1993 et en 2003 elle est passée à 6770 hectares. Ainsi l’accroissement de la population, la recherche de nouvelles terres cultivables constituent les facteurs essentiels de cette situation catastrophique de la forêt. Par ailleurs, depuis la colonisation jusqu’à nos jours, le problème foncier reste une préoccupation majeure dans l’île d’Anjouan. En effet, la bourgeoisie terrienne locale qui prend le relais de la puissance foncière coloniale possède de nombreux domaines alors que les paysans ont des parcelles réduites qui ne satisfaisaient pas leurs besoins agricoles 13 . Cependant, le malaise et les difficultés ne manquent pas à cause de la « faim de terre » car une telle situation ne fait qu’entretenir et nourrir un climat d’incertitude et de désespoir. Par exemple dans la région du Sud, Nyumakélé, les difficultés de survivre provoquent une criante

11 Programme d’action pour le développement des Comores, 2001-2010, p.11. 12 PNUD, projet de la biodiversité et du développement durable aux Comores 1991, p. 2. 13 AINOUDINE Sidi, tableau de l’île comorienne d’Anjouan dans les années soixante, Revue historique de Mascareignes , 4 e année, N4, 2002, p. 120.

18 inégalité foncière 14 . Cette région a connu non seulement le contexte foncier de la colonisation et de la bourgeoisie mais elle est aussi la région la plus peuplée de l’île d’Anjouan . Dans cette région, les conflits apparaissent de plus en plus à cause de la lutte pour la terre et de l’ampleur de la pauvreté. Ainsi, face à l’absence de terres cultivables par rapport à l’augmentation rapide de la population, les Anjouanais doivent relever le défi surtout des paysans.

II. LES ASPECTS HUMAINS

1. Une explosion démographique

Depuis les années 80 jusqu’à nos jours, l’archipel des Comores, en particulier l’île d’Anjouan, connaît une explosion démographique sans précédent. De 1980 à 2004, la population anjouanaise est passée de 180.000 à 252.000 habitants. Le taux de variation est donc de 285,71‰ dans vingt quatre ans. Malgré une légère baisse, le taux de la croissance démographique reste élevé dans l’île d’Anjouan. Il se situe autour de 36‰( ≈11,90‰ par an) ce qui le situe parmi les plus élevés de la planète. Cette croissance peut être expliquée par la forte natalité et le recul de la mortalité. Premièrement, la forte natalité est due d’abord à des facteurs culturels. En effet, les mariages précoces sont un phénomène courant à Anjouan. En 2005, l’EDSC 15 montrait que 9% des femmes de 15 à 19 ans ont déjà commencé leur vie féconde ; 7% étaient enceintes pour la première fois. Etant donné que nous sommes dans une île à forte tradition musulmane, le mariage constitue le cadre privilégié de la procréation. La précocité ne peut être dissociée du niveau d’instruction de la population, faute de scolarisation. D’où, l’incapacité de comprendre ce qui se passe ailleurs et les nombreuses personnes qui ignorent ou hésitent à adopter les méthodes contraceptives et ce, malgré la vaste campagne de sensibilisation menée dans le pays. Ce sont bien sûr des aspects qui ne sont pas de nature à conduire à une réduction de la natalité. Cette forte natalité est ensuite due à des facteurs sociaux. En effet, l’Etat n’assume pas sa fonction sociale (nous sommes dans un pays où il n’existe aucun système général de la protection sociale). Par conséquent, cette fonction est assurée par la famille. De nombreuses naissances supposent à la fois une garantie pour les parents âgés ou invalides et un espoir

14 AINOUDINE Sidi, Histoire de la crise foncière ,éd. l’Harmattan,1998, p. 123. 15 EDSC, (Etude Démographique et Sociale aux Comores), statistique réalisé en 2005.

19 qu’un des enfants apporte le mieux être à la famille. Donc, à Anjouan, l’enfant est considéré comme une source de richesse, une police d’assurance pour la vieillesse. De plus, la valeur d’une personne peut dépendre du nombre d’enfants qu’elle possède. Enfin, la forte natalité est due à des facteurs économiques. Bien loin de constituer une charge, l’enfant est perçu dans de nombreuses régions rurales d’Anjouan comme un bien économique contrairement aux sociétés des pays développés où l’arrivée de l’enfant alourdit le budget du ménage. A Anjouan, l’enfant coûte peu à ses parents car jusqu’à deux ans les dépenses d’habillements, de nourritures, de soins, de scolarisation sont insignifiantes ; de plus, vers l’âge de cinq ans, l’enfant participe aux travaux des champs et produit ainsi sa nourriture ou son équivalant.

Rappelons que l’une des raisons de l’explosion démographique est imputable au recul de la mortalité. Le recul doit être attribué aux progrès de l’alimentation et de l’hygiène mais aussi aux changements intervenus dans le domaine de la médecine. Jusqu’à là veille de l’indépendance, les infrastructures de santé et de l’équipement médical comme le personnel laissaient à désirer. Actuellement, les grandes villes de l’île possèdent des infrastructures sanitaires qui permettent de subvenir aux besoins des plus démunis. L’équipement a un peu évolué, le personnel médical a numériquement augmenté. Toutefois, ces progrès ne doivent pas faire oublier que les problèmes de santé sont encore énormes à Anjouan. En définitive, le résultat du recul de la mortalité et de la constance du taux de fécondité sont à l’origine de la croissance rapide de la population anjouanaise. Ainsi, on peut dire que l’expansion rapide de la population semble posée des problèmes, car cette explosion est difficilement absorbable par la croissance économique (2% par an). La prépondérance des jeunes dans la population et l’allure très évasée de la pyramide des âges expliquent cette hausse. Environ 44% de la population anjouanaise a moins de 15 ans et plus de 50%, moins de 20 ans 16 . Et la population active ne représente que 40% du total. Cependant, il est hors de doute que le taux d’accroissement démographique représente une charge insupportable pour l’économie anjouanaise et comorienne en général. Car, le faible taux d’investissement et les bienfaits de cette croissance économique de 2% par an ne sont pas en mesure d’améliorer les conditions sociales de la population 17 . Donc, la croissance

16 Source : La structure démographique de la population en 1997, EDSC. 17 Etude faite par le gouvernement de la R.FIC, programme d’action pour le développement des Comores, 2001- 2010, p. 5.

20 démographique accentue davantage la pauvreté et pousse la population à s’exiler vers les autres îles de l’archipel (Mayotte, Grande Comore…).

2. Les éléments socio-démographiques

Nous allons mettre en exergue les infrastructures sociales en terme de répartition au niveau des îles afin de montrer les disparités socio-démographiques. Mais dans ce domaine, nous n’avons pas des indicateurs fiables sur la répartition du nombre des effectifs des infrastructures de bases. Seulement, nous avons établi des tableaux sur la variation d’une île à une autre du nombre des établissements sanitaires et scolaires pour avoir une idée comparative. D’abord, en matière de santé publique, l’archipel a enregistré quelques progrès en vingt cinq ans. Cela s’aperçoit notamment au niveau des infrastructures, avec la construction des établissements sanitaires : presque tous les villages ont au moins un dispensaire. Les centres médicaux sont seulement dans les régions urbaines (Mutsamudu, , Moroni, Fomboni…). Mais, la répartition est inégale entre les îles de l’archipel.

Tableau N°2 : Les établissements sanitaires 18 : Santé île Grande Comore Anjouan Mohéli Comores Nombre de centre médicaux publiques 13 5 5 23 Nombre de dispensaires 20 15 4 39 Total des établissement sanitaires 33 20 9 62

Apparemment, ce tableau montre qu’en nombre des établissements sanitaires, la Grande Comore a une proportion relativement plus élevée qu’Anjouan et Mohéli. Mais en réalité, Mohéli est l’île la mieux lotie car les calculs théoriques nous ont révélé qu’elle devrait obtenir trois établissements sur soixante deux existants de l’archipel alors qu’elle en a neuf. La Grande Comore se situe autour de la moyenne car les calculs nous démontrent qu’elle devrait disposer de trente cinq sur soixante deux existants, mais elle en a trente trois. Donc, c’est l’île qui obtient en majeur partie ce qu’il lui faut. Anjouan est l’île la plus défavorisée en terme de dotation des établissements sanitaires parce qu’elle devrait obtenir vingt quatre

18 Nous avons établi ce tableau avec nos amis de la Grande Comore (Nasserdine Nidhoime, Ali Abdou) et de Mohéli (Mahamoud Hassane, Toiouildine Mouandhui), recensement 2005.

21 établissements sur les soixante deux existants qui comptent le pays, alors qu’elle n’en a que vingt. Ainsi, l’accès aux soins de santé par les différentes catégories de la population anjouanaise constitue un problème majeur. Ce qui fait d’ailleurs qu’ un nombre important de cette population va se noyer dans la mer pour la recherche de soins à Mayotte. Ensuite, en ce qui concerne le nombre des établissements scolaires, la disparité est également évidente entre les îles. Mais, pour savoir qui est défavorisée ou favorisée par rapport aux autres, nous présentons le tableau ci-dessous 19 : Tableau N°3 : Les établissements scolaires. Etablissements scolaires en 2005 Grande Comore Anjouan Mohéli Comores île Nombre d’écoles primaires 57 43 24 124 Nombre de collèges 21 17 5 43 Nombre d’écoles supérieures 4 5 1 10 Université 1 0 0 1 Total des établissements scolaires 87 68 30 185

D’après ce que nous voyons dans ce tableau, la Grande Comore est bien servie par rapport aux autres îles en matière d’établissements scolaires. Mais elle est réellement la plus défavorisée dans ce domaine car sur les cent quatre vingt cinq établissements existants dans le pays, elle en a quarte vingt sept alors qu’il lui faut une centaine (104). Donc, cette île est le maillon faible par rapport au nombre de sa population (363.000 habitants) sur le 646.000 habitants de l’ensemble des Comores. Mohéli est la plus favorisée en terme d’établissements scolaires. En principe, elle devrait avoir neuf établissements sur cent quatre vingt cinq existants dans le pays alors qu’elle en a trente pour une population de 34.200 habitants. Ainsi, Mohéli a une proportion importante des établissements scolaires par rapport aux autres îles. Anjouan se situe légèrement en dessus de la moyenne car elle devrait obtenir soixante deux sur le cent quatre vingt cinq établissements existants dans le pays, alors qu’elle en a soixante huit sur 252.000 habitants. Ce qui signifie que Anjouan a ce qu’il lui faut en terme de répartition des établissements scolaires.

En somme, en matière de répartition des infrastructures sanitaires et scolaires, Mohéli (la plus petite, 290 Km²) est la mieux lotie par rapport aux autres îles compte tenu du nombre

19 Nous avons établi ce tableau avec nos amis de la Grande Comore (Nasserdine Nidhoime, Ali Abdou) et de Mohéli (Mahamoud Hassane, Toiouildine Mouandhui), recensement 2005.

22 de la population. Anjouan est défavorisée sur le plan sanitaire; la Grande Comore est à son tour, défavorisée sur le plan scolaire.

III. LES ASPECTS ECONOMIQUES

1. L’agriculture traditionnelle

Le secteur agricole emploie 80% de la population active et occupe le premier rang dans la formation du PIB (41%). L’agriculture constitue donc la principale richesse de l’île d’Anjouan. Mais, elle reste un secteur de faible productivité et peu compétitive. En effet, l’agriculture anjouanaise est avant tout une agriculture de subsistance. Les principales raisons de cette faible productivité sont les suivantes :  Les sols ont une structure fragile. La plus part des sols anjouanais sont sensibles à l’érosion, et ceci à cause de l’importance des pentes, de la faiblesse et de l’irrégularité de l’épaisseur exploitable par les racines, de l’intensité des pluies et de la disparition croissante de la jachère 20 . Le maintien des propriétés chimiques et physiques est donc problématique.  Les techniques utilisées restent rudimentaires. En effet, l’agriculture est à l’état primitif car l’entretien du sol est fait au bâton et au couteau fouisseur. L’usage d’outils commandés (binettes, houes) ne se développe que depuis quelques années. L’utilisation des fertilisations est rare sauf dans le maraîchage 21 .  Enfin, Anjouan a connu depuis la colonisation une forte activité foncière. La croissance rapide de la population pousse les paysans à conquérir de nouvelles parcelles, ce qui entraîne une réduction progressive du rapport de surface agricole disponible par habitant . On estime actuellement que l’espace cultivable est en majeur partie utilisé (80%) et souvent par des systèmes d’exploitations inadaptés (feu de brousse, morcellement en petite taille de la terre), ce qui fait que les extensions se font au détriment de la forêt 22 . Cette situation est très inquiétante à Anjouan car la très grande inégalité de la répartition territoriale ne fait qu’accentuer une situation déjà grave.

20 Source : Programme d’action pour le développement des Comores 2001-2010, p.14. 21 Idem p.15. 22 Agenda des Comores 2002 : Economie, Agriculture, p. 5.

23 Ainsi, les perspectives de développement de l’agriculture à grande échelle sont limitées par la rareté des terres cultivables, le morcellement très poussé des exploitations, le problème foncier, le manque de moyens matériels et financiers.

Par ailleurs, la production destinée à l’exportation est limitée à un petit nombre de cultures de spéculation. Les trois principaux produits d’exportation (Vanille, Ylang-ylang et Girofle) sont confrontés à une baisse progressive des prix à l’exportation. La production de la vanille qui constitue 80% 23 des exportations en valeur et en volume connaît une tendance à la baisse due à la mévente de la vanille comorienne fortement concurrencée par la vanille malgache et indonésienne. Les exportations de vanille en valeur s’élèvent à 4,7 milliards de kmf en 1993, elles ont chuté de 42% en 1994 et ne présentent plus que près de 1 milliard de kmf en 1997. Cet effondrement des exportations de la vanille a entraîné une chute des exportations du produit qui, durant la même période (1993-1997), est passé de 6 milliards à 2,6 milliards kmf 24 . L’ylang-ylang, deuxième produit d’exportation après la vanille, connaît un marché mondial arrivé à saturation. L’archipel des Comores, surtout l’île d’Anjouan, est le premier producteur mondial. L’ylang-ylang, au niveau planétaire, est en surproduction dans la mesure où la production potentielle est de l’ordre de 250 tonnes par an, pendant que le marché mondial est de 110 tonnes 25 . Et Anjouan produit en moyenne 40 tonnes par an. Le girofle est le troisième produit d’exportation de l’archipel et d’Anjouan. Le marché du girofle est hautement instable à cause des multiples concurrents notamment de l’Océan Indien, en particulier la Grande île et la Réunion, et de l’archipel d’Indonésie. Il y a actuellement une surproduction du girofle au niveau mondial 26 . La demande normale est de 55.000 tonnes alors que la production est de 80.000 tonnes. La tendancielle de l’ achat a entraîné une baisse de production car les paysans ont été contraints d’abandonner cette production en faveur d’autres produits rentables. Le prix de vente de girofle était de 2000 kmf au début des années 80 ; maintenant il est d’environ 150 kmf. Cependant, la chute des coûts des principaux produits agricoles d’exportation a accentué l’effondrement des économies locales.

23 Programme d’Action pour le Développement des Comores, 2001-2010, pp. 14-15. 24 Idem, p. 15. 25 Idem, p. 15. 26 Idem, p. 15.

24 Pour la production vivrière, bien qu’il y ait eu des progrès, la quantité produite ne couvre pas encore l’ autoconsommation de la population anjouanaise. Cette production est constituée généralement de la banane, (produit le plus consommé à Anjouan), du manioc, du fruit à pain, des légumes… En raison de la pression de la demande intérieure et de l’insuffisance de la production, la culture maraîchère risque de se heurter à un problème d’insuffisance ; car aujourd’hui, l’île d’Anjouan importe des produits vivrières de Madagascar. D’où la nécessité d’étudier la possibilité d’autres débouchés car l’avenir de l’agriculture à Anjouan est incertain.

2. L’élevage et la pêche artisanaux

D’abord, malgré le très grand rôle qu’il joue, l’élevage est aux Comores, en particulier à Anjouan, une activité secondaire par rapport à la production économique totale et par rapport à la production du secteur primaire. Actuellement, la consommation annuelle de viande ne dépasse pas 5 kilogrammes par habitant par an 27 . Donc, le manque de protéine touche une grande partie de la population anjouanaise ; les importations de la viande en provenance, actuellement, de Madagascar, de Mombassa en bonne partie,n’ en sont pas en effet capable de combler cette carence. L’élevage est estimé à 43.200 bovins, 180.000 ovins, 113.000 caprins et 170.850 volailles pour l’ensemble de la population 28 . Cependant, ces chiffres sont en dessous des besoins de la population car l’élevage reste peu productif et souvent réduit à satisfaire aux propres besoins occasionnels familiaux (coutumiers…). Il est pratiqué en symbiose avec l’agriculture, c’est-à-dire qu’il risquera d’entrer en contradiction avec la production agricole. En d’autres termes, le principal facteur qui limite le développement de l’élevage est l’insuffisance de l’alimentation : les ressources fourragères sont limitées car elles entrent en concurrence défavorable avec l’agriculture.

Ensuite, la pêche reste aussi un secteur artisanal. En effet, il n’existe pas encore de pêche sémi-industrielle, ni industrielle à Anjouan. La professionnalisation de ce secteur est un phénomène récent et avant 1979, on dénombrait seulement quelques pêcheurs dont la pêche était la seule activité. Le reste était constitué des pêcheurs occasionnels pratiquant donc d’autres activités. En 1980, les contacts avec le Japon ont permis l’importation des moteurs,ce qui a permis un début de développement de la pêche. Après ces contacts, la production des

27 Agenda des Comores 2002 : Economie : Produits d’importations et d’exportations p. 8. 28 Idem p. 10.

25 poissons est passée de 8.000 tonnes à 13.000 tonnes29 . Cette augmentation est due aux embarcations motorisées. Malgré ce progrès, la pêche n’est pas encore considérée par les Anjouanais comme une grande activité et les pêcheurs sont pris pour une couche sociale marginale. Une potentialité de ressources halieutiques demeure encore inexploitée. Ainsi selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO ) en 2000, la capacité de pêche se situe entre 25.000 et 30.000 tonnes pour les pélagiques, et entre 6.000 et 10.000 tonnes pour les demerseaux 30 . Donc, l’archipel en général, dispose d’importantes ressources halieutiques et actuellement aucune pénurie de poisson n’est à signaler.

3. La paralysie de l’industrie et du tourisme

Le secteur industriel et touristique reste dans l’île comorienne d’Anjouan à l’état embryonnaire. D’abord les conditions d’un vrai décollage industriel aux îles Comores, en particulier Anjouan, ne sont pas encore réunies et elles sont loin de l’être à cause de l’absence de stabilité politique, l’inadaptation du code des investissements, la méfiance en l’appareil judiciaire, l’étroitesse du marché intérieur à laquelle s’ajoutent le faible développement des communications maritimes et aériennes, les pénuries récurrentes d’électricité. L’absence de matières premières, surtout minières, reste le principal obstacle au développement des activités industrielles dans les îles aux parfums. Il en résulte un secteur industriel très faible qui ne contribue au P.I.B. qu’à la hauteur de 12% et qui est limité à l’agro-alimentaire et au secteur du bâtiment 31 . En d’autres termes, les entreprises anjouanaises ont une taille souvent réduite et modeste, se consacrent essentiellement à la transformation des cultures de rente (conditionnement de la vanille, distillation des plantes aux parfums) et au secteur des travaux publics (concassage de lave, construction, …). On peut ajouter à cette liste les productions artisanales (braderies, poteries, bijouteries,...). Le programme de privatisation n’a connu aucune avancée aux îles, même si les objectifs annoncés demeurent la privatisation des entreprises de distributions de produits pétroliers, Société Comorienne des Hydrocarbures (SCH) et de manutention portuaire, SOciété COmorienne des POrts et de TRansport Maritime (SOCOPOTRAM)32 .

29 Programme d’action pour le développement aux Comores, 2001-2010, p. 15. 30 FAO, les potentialités économiques aux Comores, 2000, p. 4. 31 Agenda des Comores 2002 : Economie, le secteur de transformation, p. 13. 32 Programme d’action pour le développement aux Comores, Idem, p. 13.

26 Ensuite, le secteur touristique est faiblement développé. En effet, au moment où les progrès des transports et des télécommunications ont considérablement fait avancer les activités touristiques dans beaucoup de pays, dans l’archipel, les déplacements n’ont pas encore obtenu une place importante. Le pays connaît un retard sérieux malgré des atouts considérables. Le tourisme ne représente que 2,2% du PIB alors qu’aux autres pays de l’Océan Indien comme les Seychelles, Maurice, il atteint plus de 17,8% du PIB 33 . La paix et la sécurité sont des conditions extrêmement importantes pour un pays qui veut promouvoir des activités touristiques. Dans un pays où les coups d’Etat, les changements de gouvernements et les mésententes inter-îles sont courants, où il n’existe pas de justice, le tourisme n’a pas évidemment de place. De surcroît, l’offre hôtelière anjouanaise est encore très faible, comparativement aux autres pays de la région. Pour ainsi dire que les infrastructures touristiques sont inexistantes à Anjouan. Il est déplorable de voir que dans une région comme Domoni, Ouani, Sima, …, les plus grandes villes d’Anjouan, on ne peut ni loger un touriste ni le nourrir. La plupart des capacités d’accueil sont à la Grande Comore (629 en 1995 dont 364 pour Galawa Beach, 50 pour Itsandra et 50 pour Hadoudja), ce qui interdit un développement important des échanges touristiques inter-îles 34 . Les tarifs de transports aériens sont trop élevés pour des distances relativement courtes. Ce sentiment d’isolement est aggravé par le manque de téléphone dans de nombreuses régions de l’île d’Anjouan. Le ramassage du sable, la destruction des récifs coralliens, la déforestation, la multiplication des déchets, le manque d’entretien des sites archéologiques et historiques ne font que réduire la valeur touristique de l’île d’Anjouan. Ainsi, l’absence d’une politique générale du tourisme ne peut que défavoriser cette activité dans un pays où il existe de nombreuses potentialités.

4. La balance commerciale très déficitaire

L’île d’Anjouan dépend des exportations d’un nombre limité des produits d’origine agricole et doit en revanche importer la quasi-totalité des biens de consommations, des produits pétroliers et des matières premières dont elle a besoin. Le commerce extérieur est donc sensible aux chocs extérieurs et à la détérioration des termes de l’échange qui en résultent. Le franc CFA est dévalué en 1994. C’est dans ce contexte que les pays de la zone franc, à l’instar des Comores ont vu leur monnaie dévaluée

33 Agenda des Comores, 2002 : Economie, tourisme, p. 16. 34 Agenda des Comores,2002 : Economie, tourisme, p. 17.

27 en janvier 1994 de l’ordre de 50% et de 33,33% pour le cas des Comores 35 . Pour ce faire, les coûts ou les prix des produits importés ont augmenté, ce qui a entraîné un déficit de la balance commerciale et une inflation importée compte tenu de la faiblesse de l’adaptation de l’économie des îles à la conjoncture. Pendant la période 1994-1997, les importations n’ont cessé d’augmenter, entraînant ainsi une détérioration de la balance commerciale passant de 1,8 milliards de déficit en 1994 à plus de 21 milliards de déficit commercial en 1997 36 . Cependant, les exportations ne couvrent plus que 11% seulement des importations contre 71% pendant quatre ans (1994-1997). Les prix des produits importés ont augmenté de 33,33% et celui du pétrole de 30%, alors que l’indexation des salaires ne dépasse guère les 15%. Ce qui aboutit à une chute du pouvoir d’achat de la population et à une dilapidation des ressources naturelles et dégâts environnementaux considérables ; d’où une augmentation de la pauvreté surtout dans l’île d’Anjouan. Anjouan est donc une île pauvre, qualifiée de moins avancé. La population s’appauvrit de jour en jour et on estime que plus de la moitié des Anjouanais vivent en dessous du seuil de la pauvreté c’est-à-dire qu’ils vivent avec moins de 457 francs comoriens par jour soit un peu plus de $ 1 US (167.000 FC / an = $ 448 US) 37 . En 1997, dans son rapport sur le développement humain durable et l’élimination de la pauvreté aux Comores, le PNUD révélait que 41,1 % des habitants de la Grande Comore, 52% de ceux de Mohéli et 62,1% des habitants à Anjouan sont pauvres 38 . Ces pourcentages montrent des disparités socio-économiques inter-île sensibles. L’île d’Anjouan est la plus pauvre par rapport aux autres îles. Cette montée de la pauvreté à Anjouan est due à la croissance insuffisante de la production intérieure (2%) qui est toujours restée en deçà de l’accroissement de la population (3,5%) elle provient aussi de phénomènes exogènes comme la chute du cours des produits d’exportation et de la dévaluation de CFA en 1994 qui a surtout affecté ceux qui n’ont pas de lien avec l’extérieur. Car la diaspora anjouanaise est faible par rapport à celle de la Grande Comore. Toutefois, il existe fort heureusement à Anjouan une cohésion sociale, familiale et villageoise qui a toujours constitué un filet de sécurité pour les plus démunis. Ce capital socio-culturel peut cependant ne pas être compatible avec une stratégie du développement en vue d’une vraie modernisation économique car c’est un capital de survie et non d’épargne.

35 Atlas économique mondial 2003, Evolution économique des Comores, p 161. 36 Programme d’action pour le développement aux Comores, 2001-2010, p 7 37 idem, p 5 38 idem p 5

28 CHAPITRE II : LA SECESSION DE 1997

Un an et demi après l’élection du président Mohamed Taki Abdoulkarim 39 issu de la Grande Comore, l’archipel est entré dans une phase de turbulence séparatiste qui met en cause l’existence de la nation. Les évènements de 1997 ne sont que les conséquences immédiates du séparatisme anjouanais. Ainsi, dans ce chapitre, nous essayerons d’analyser d’abord la genèse de la crise de 1997, nous expliciterons ensuite les paramètres de cette crise, et enfin nous procéderons à la description de l’île d’Anjouan pendant cette crise.

I. LA GENESE DE LA CRISE DE 1997

1. La revendication des enseignants et des étudiants

Il faut d’abord rappeler que l’idée du syndicalisme aux Comores est récente. Depuis 1975, date de l’accession à l’indépendance des îles Comores, les différents régimes successifs n’ont pas favorisé l’émergence du syndicalisme dans l’archipel. En effet, de 1975 à 1978, avec Ali Soilihi et l’expérience révolutionnaire ; de 1978 à 1989, avec Ahmed Abdallah et les mercenaires, la liberté d’opinion et la liberté syndicale n’existaient pas ; bien qu’elles figurent dans les textes de la constitution.

C’est après la mort d’ Ahmed Abdallah en novembre 1989, avec l’ère de la démocratie instaurée par le président Saïd Mohamed Djohar, que les enseignants ont profité de l’occasion pour se regrouper sous la dénomination de « collectif ». L’idée n’a pas eu de rayonnement car pour les autres services, se regrouper n’était pas facile vu les intérêts disproportionnels 40 des uns et des autres. Les seuls dissidents sont les enseignants. Et en 1989, les enseignants ont créé le Syndicat National des Instituteurs Comoriens (SNIC) et le Syndicat National des Professeurs Comoriens (SNPC). C’est à partir de la création des syndicats que les revendications ont eu droit de cité dans l’archipel. Le salaire des enseignants accuse près de onze mois de retard pendant le règne de Mohamed Taki 41 . A cet égard, les enseignants du secondaire et du primaire, sous la houlette du SNIC et du SNPC, se mettent en grève en 1996 .

39 Il est élu président de la République à une très forte majorité 64% en mars 1996. Il est originaire de la Grande Comore précisément de la région de Hamahamet dans la ville de Mbéni. 40 Témoignage de MOUSSIAMBOU Halidi, secrétaire général du syndicalisme à Anjouan (1998), le 5 janvier 2005. 41 VIA, nouvel enjeu, N°103, septembre 1997, p.26.

29 L’objectif affiché pour les manifestants est l’obtention de trois mois de soldes sur les onze mois impayés. A la poursuite de cette grève illimitée, les élèves manifestent, eux aussi, dans les rues de la capitale d’Anjouan du fait que la situation devient de plus en plus insupportable ; ils craignent l’irréparable c’est-à-dire une remise en cause de tout le calendrier scolaire ou carrément une année blanche au pire comme celle de 1989. Autrement dit, face aux réclamations des fonctionnaires enseignants, les élèves entrent dans le mouvement de grève non seulement pour réclamer la reprise des cours, mais aussi pour soutenir leurs enseignants accumulant de nombreux mois de salaires non payés.

Enfin de compte, ce mouvement est réduit en miette par la gendarmerie et l’armée 42 . A nouveau, le 18 février 1997, une manifestation purement et simplement pacifique est organisée par le mouvement syndical d’Anjouan. La raison évoquée est toujours la même : le paiement des arriérés de salaire. Sur la place de l’indépendance à Mutsamudu, plusieurs centaines de fonctionnaires enseignants manifestent. Ce même jour ; les élèves (écoliers, collégiens et lycéens) une fois de plus, sont entrés dans la grève. Avec l’entrée des élèves, le mouvement de grève a pris une allure considérable. Ces derniers ont obstrué les différentes routes de la capitale. D’où la non circulation des biens et des personnes à Mutsamudu, ce qui a engendré une paralysie totale des activités dans l’île. Pour les autorités comoriennes de l’époque, la grève du 18 février 1997 a franchi la ligne rouge, d’où la répression militaire à l’égard des manifestants.

2. La répression militaire à l’égard des manifestants

A plusieurs reprises, le régime fédéral des Comores sous la houlette du feu président Mohamed Taki Abdoulkarim, a ordonné aux militaires de réprimer catégoriquement les manifestants à Anjouan. Mais ici, on retiendra seulement les deux dates à savoir le 18 février et le 14 mars 1997 qui constituent les faits les plus marquants des prémices des mécontentements anjouanais. En effet, pour le Président Taki et son gouvernement, la seule alternative possible contre les revendications des enseignants et des élèves, c’est le recours à la contrainte et à la violence. Ces autorités n’ont jamais privilégié le dialogue qui constitue d’ailleurs la clé de la diplomatie et de la négociation. Ainsi, le 18 février 1997, elles ont envoyé des militaires pour

42 Témoignage d’AHMED Mohamed, Secrétaire Général de droit de l’homme aux Comores, (février 2005)

30 réprimer le mouvement de grève qui est illimité. En cette date, des affrontements violents entre jeunes manifestants, syndicaux et les forces de l’ordre ont eu lieu à Anjouan. Le bilan de ce jour est de un mort du coté des élèves, plusieurs blessés dont quatre graves et plusieurs personnes arrêtées 43 . Au lendemain de ces affrontements, les manifestants, surtout les jeunes élèves, ont barricadé les différentes routes de la capitale. A partir de cette répression violente du 18 février, la capitale d’Anjouan est en pleine effervescence. Mais, pour les Anjouanais, la date la plus marquante de ces répressions est le 14 mars. Encore une fois, une centaine de militaires sont envoyés à Anjouan par le pouvoir fédéral dans le but de renforcer les militaires de l’île jugés par les dirigeants, incapables de mettre de l’ordre à Mutsamudu. En d’autres termes, des militaires sont dépêchés pour déblayer les routes obstruées par les manifestants car cette obstruction empêche la circulation des biens et des personnes. Toutefois, les troupes débarquées n’ont fait que brutaliser la population anjouanaise plus particulièrement les vieillards et les filles. A titre d’illustration, voici un témoignage qui montre la brutalité des forces armées : «Les Anjouanais ont connu la guerre et gardent le sentiment d’être les rescapés de l’anéantissement. Quand nous avons vu les soldats de Mohamed Taki s’en prendre aux enfants dans les maisons, traîner les femmes et personnes âgées dans la rue, nous avons compris que ce ne sont pas des frères. Dans cette période, nous avons cru notre dernière heure venue 44 ». Certains témoignages 45 renvoient le 14 mars à des images d’une guerre livrée à un pays étranger car on y voit un sentiment d’exclusion, de non appartenance à une même famille et une déclaration belliqueuse du pouvoir. On peut dire que les Anjouanais étaient déçus par le pouvoir central qui, non seulement ne tient pas ses promesses mais aussi donne l’ordre de tirer sur les manifestants. L’entêtement et la violence du régime de Mohamed Taki n’ont pas laissé aux Anjouanais d’autres possibilités que de se battre et de vouloir à tout prix sortir d’un giron de plus en plus envahissant.

43 VIA , nouvel enjeu, N° 103, septembre 1997, p. 26. 44 Témoignage d’ALI Charif, ancien maire de Ouani le 21 décembre 2004. 45 ABOU Mgazi, ATTOUMANE Marie, FATIMA Mkiradjimoi.

31 Par ailleurs, le bilan des émeutes du 14 mars est de quatre morts, vingt blessés et plus de soixante dix arrestations 46 . Au terme de cette répression violente des manifestants, le mouvement dont les auteurs sont, entre autres des élèves qui réclament surtout la réouverture des écoles, a bénéficié de l’entrée des adultes, plus particulièrement des politiciens « oubliés » par le régime de Mohamed Taki et dont la participation a donné au mouvement une autre ampleur.

3. La tournure politique du mouvement

Au lendemain de la répression militaire à Anjouan, plus précisément au mois de mai 1997, le mouvement social réclamant la réouverture des écoles et des meilleures conditions de vie a pris une tournure politique. Le 10 mai 1997 est né à Anjuon un mouvement séparatiste dénommé « Mawana »47 , du nom d’un ancien sultan de l’île. En effet, « Mawana » connu sous le nom d’Abdallah III issu de l’aristocratie chirazienne, régna de 1856 à 1890 . Il est un sultan très ouvert aux idées européennes, et il réalisa de gros bénéfices commerciaux grâce à la sucrerie qu’il exploita personnellement à Bambao Mtsanga 48 . Ce sultan acheta par la traite les soldats de sa garde et les ouvriers de son usine sucrière. Le sultan Mawana est un homme d’affaires et ses préoccupations sont prospères au début de son règne. Mais avec l’abolition de l’esclavage dans ses Etats en 1882 49 , et les guerres qui ont vidé les caisses de l’Etat, le sultan Mawana périclite. Parallèlement, ce sultan est abandonné par la Grande Bretagne pour des raisons qui restent mystérieuses : les unes pour les manœuvres esclavagistes du sultan, les autres pour les rivalités franco-britanniques dans l’Océan Indien. A cause donc de sa ruine et de la dégradation des relations avec la Grande Bretagne, le sultan Mawana a sollicité l’appui de la France. Le 2 avril 1886 est signé le traité de protectorat entre la France et le sultan Mawana.

46 Ndzouani, bulletin de l’information de comité de soutien et de liaison N°1, p. 2. 47 Actuellement le palais de Mawana qui se trouve à Bambao Mtsanga est nommé par les historiens et les archéologues un site archéologique de grande envergure. 48 FAUREC (Urbain), L’archipel aux sultans batailleurs , Imprimerie officielle, Tananarive, 1941, p. 48. 49 Dès 1882, par un traité signé avec la Grande Bretagne, le sultan Abdallah III alias Mawana s’est engagé à mettre fin à l’esclavage dans ses Etats avant le 4 août 1889. Le 25 janvier 1889, le sultan adopta avec les conseillers de résident un pacte allant dans le même sens. Or, en 1891 devant l’échec des négociations, une rébellion des esclaves, menée par Saïd Ottoman, mit Mutsamudu à sac et instaura jusqu’à l’ intervention de l’armée française un pouvoir révolutionnaire ( mars-mai 1891). L’abolition en découle. Source : abolition de l’ esclavage de Mayotte et dépendance, cent cinquantième anniversaire, 1998.

32 Nous pensons que c’est probablement dans une perspective d’un homme fort et d’appel à la France que les séparatistes se réfèrent à Mawana en hissant son drapeau rouge de cinq doigts le 10 mai 1997. Ce qui montre déjà que le séparatisme anjouanais constitue une mythologie. Ce mouvement dénommé « Mawana » est présidé par le commandant Ahmed Mohamed Hazi, ancien gouverneur de l’île et ancien chef de l’état major des forces armées comoriennes sous le régime d’Ahmed Abdallah . Il convient de rappeler que le mouvement séparatiste avait trois appellations 50 : l’Organisation Pour l’Indépendance d’ Anjouan (OPIA), le Mouvement Populaire Anjouanais (MPA) et le Mouvement Séparatiste Anjouanais (MSA). Ces appellations avaient comme objectif principal la séparation d’Anjouan vis-à-vis de la capitale fédérale (Moroni). Saisissant l’opportunité, les chefs du mouvement séparatiste à l’instar d’ Ahmed Mohamed Hazi, Chamasse Saïd Omar, Ahmed Charkane, Abdallah Ibrahim …ont joué un rôle d’avant-garde en manipulant la population anjouanaise et en détournant le puissant mouvement social de 1997. Ces leaders ont prétendu que la grève est de la fantaisie et qu’ils détiennent la vérité absolue : il suffit à la population de l’île de couper le cordon ombilical qui l’attache à l’état comorien pour qu’elle vive dans le meilleur des mondes possibles, « un réhémani 51 ». A cet égard, les leaders sécessionnistes visent dans l’immédiat la rupture comme la seule alternative possible aux maux qui frappent les Anjouanais. Les figures séparatistes n’ont pas tardé à mener une campagne de sensibilisation dans les différentes localités de l’île. L’objectif est de faire comprendre à la population anjouanaise que les Grands Comoriens sont sans doute les auteurs des violations et des répressions dont elle est victime. En d’autres termes, les séparatistes, pour atteindre leur but, dressent les Anjouanais contre les Grands Comoriens en disant que ces derniers sont les responsables des malheurs qui rongent leur île 52 . Alors que la crise économique ou les difficultés quotidiennes n’épargnent aucune île de l’archipel, c’est du moins l’avis de ceux qui connaissent la situation générale des îles. Dans le processus de la campagne de sensibilisation, Abass Djoussouf, homme politique de la Grande Comore, opposant farouche au régime du feu président Mahamed Taki, situe la séparation suivant trois tendances évoluant dans l’île :

50 Pour plus d’ amples informations sur les tendances séparatistes, voir la dernière partie, chapitre V-VI. 51 Le terme « réhémani » désigne le bonheur, la prospérité, la substitution de la misère par une vie de cocagne 52 ABDALLAH Mohamed, un pionnier du séparatisme, témoignage fait le 5 décembre 2004 à Ouani.

33 « La première concerne la catégorie des personnes qui entretiennent des contacts avec la France, laquelle les encourage. La deuxième regroupe les éléments de l’UDZIMA (unité) qui est la machine de guerre du feu président Ahmed Abdallah. La troisième concerne certains takistes qui, après avoir appelé à l’élection de Mohamed Taki en 1996 se sont rendus compte, en moins d’un an, de l’échec de la politique de leur candidat élu pourtant triomphalement. Toutes ces tendances ne voient alors d’autre recours que prôner la séparation 53 ».

Dans le toile de fond, ce sont les politiciens lésés par le pouvoir en place qui ont alimenté et renforcé la crise séparatiste de1997. Il y’a lieu de constater que les élites politiques comoriennes ont tendance à faire une rupture quand elles rencontrent des obstacles et des empêchements. La séparation devient donc un moyen démagogique pour la classe politique comorienne.

Enfin de compte, l’idée des leaders séparatistes est aisément ancrée dans les esprits de presque toute la population anjouanaise. En conséquence, le mouvement se généralise au niveau de l’île entière.

II. LES PARAMETRES DE LA CRISE.

1. Généralisation du mouvement.

Après la propagande des leaders séparatistes et les maladresses du régime de Taki, le mouvement qui était une manifestation de revendication de salaires non payés d’enseignants soutenus à bout de bras par les élèves a pris une autre ampleur. Les séparatistes sont arrivés à esquisser et à abuser les esprits des Anjouanais, surtout de la masse paysanne qui constitue la majorité, en attribuant la responsabilité de la situation désastreuse de l’île aux seuls Grands Comoriens, et en réclamant le rattachement à la France. A partir de là, le mouvement s’est étendu à l’ensemble de la population et au delà du périmètre de Mutsamudu pour réclamer haut et fort le départ d’Anjouan du pouvoir fédéral. L’ escalade de la violence et de l’organisation du défi au pouvoir central a commencé. Pour

53 Discours d’ ABASS Djoussouf, conférence sur la coopération régionale tenue du 25-26 février 1997, Al - watwan N°472 du 11-17 juillet, p. 3

34 bien comprendre la généralisation du mouvement, nous en évoquons les évènements les plus marquants :  Le 14 mars 1997, des manifestations sont organisées par les séparatistes et de nombreuses barricades sont érigées entre Mutsamudu et l’aéroport de Ouani, situé à environ dix kilomètres de la capitale. Une centaine des militaires envoyés par Moroni débarquent à Anjouan, perpétrant des exactions dans les rues de Mutsamudu. Ainsi, cette date marque le début de l’insurrection à Anjouan.  Le 6 juillet 1997, date de la célébration du 22 e anniversaire de l’indépendance des Comores (1975), les séparatistes boudent la cérémonie. Des drapeaux français sont hissés dans la capitale et les habitants réclament ouvertement la sécession vis-à-vis de Moroni et le rattachement à la France. L’indépendance inachevée et déçue nous semble être à l’origine de l’appel à la France. En effet, les multiples avantages dont bénéficient les habitants de Mayotte ainsi que le niveau de vie relativement élevé constituent sans aucun doute une attirance pour les Anjouanais. Ainsi, Mayotte est une référence de réussite aux yeux des Anjouanais. C’est dans ce contexte que les séparatistes se réfèrent à la France. Au fond, le mouvement séparatiste regrette l’indépendance. La presque totalité de la population se demande à quoi bon une indépendance dans la misère et la souffrance.  Le14 juillet, symbole de la victoire du peuple français sur l’arbitraire royal en 1789 (la prise de la Bastille par les émeutiers) devient une date symbolique pour les séparatistes anjouanais. En cette date, ces derniers ont pavoisé la place de l’indépendance à Mutsamudu par des drapeaux français à titre d’attachement. Un officier de la gendarmerie, le capitaine Daoud alias Mataba, venu en éclaireur avec une escorte de sept gendarmes sur le lieu de la manifestation, tente de décrocher un drapeau tricolore et tire à bout portant sur un manifestant, Abdallah Bellela 54 . Ce martyre du mouvement est nommé par les séparatistes « père de la libération anjouanaise ». Nous voyons donc la détermination des séparatistes pour leur rejet du pouvoir central de Moroni et pour leur attachement à la France.

54 Bulletin de l’ information de comité de soutien et de liaison , N°1, p.2

35  Le 18 juillet, création d’un « directoire chargé de présider aux destinées du peuple anjouanais ». Ce directoire est présidé par Abdallah Ibrahim 55 , un homme de 71 ans, en sa qualité de chef religieux et grand notable de Mutsamudu. En cette date, fundi Abdallah Ibrahim, au nom de l’Organisation pour l’Indépendance d’Anjouan, écrit une lettre au président Mohamed Taki pour lui déclarer que : « l’île d’Anjouan appartient aux Anjouanais et qu’elle est officiellement rattachée à la République Française depuis le 14 juillet 1997) 56 ». Il est à noter qu’Abdallah Ibrahim, chef séparatiste, est un homme qui connaît la religion musulmane, mais en réalité, il ne sait ni lire ni écrire la langue française. Ce qui veut dire que le mouvement séparatiste est mené par une personne intellectuellement borné, surtout dans le domaine touchant le monde contemporain.  Le 21 juillet, le président du « directoire politique » est arrêté et transféré à Moroni. Il est emprisonné dans la même cellule que les criminels. Il est ainsi placé sous mandat dépôt. Il est libéré le 26 juillet suite aux cris et aux manifestations incessantes des Anjouanais, sous la condition expresse de ramener la paix et la soumission des Anjouanais 57 . Mais, la liberté d’Abdallah Ibrahim n’a pas ramené la paix parce que le mouvement a continué sa fuite en avant.  Le 3 août 1997, devant 10.000 personnes rassemblées sur la place de l’ indépendance à Mutsamudu, proclamation par Abdallah Ibrahim de l’indépendance de « l’Etat d’Anjouan ». En ce jour, les séparatistes prennent en main l’aéroport de Ouani en délogeant les soldats comoriens à sa garde et en obstruant la piste d’atterrissage pour la rendre impraticable. Le même jour, la même ferveur, les mêmes drapeaux tricolores sont hissés à Domoni. Une volonté de rupture avec la capitale fédérale est donc vive.  Le 11 août 1997, la délégation de l’Organisation de l’Unité Aficaine (OUA), aujourd’hui l’Unité Africaine(UA), est arrivée sous la conduite de l’ivoirien, Pierre Yeké. C’est le début de négociations entre les séparatistes et le gouvernement. L’Unité panafricaine fixe la date du10 septembre à Addis-Abeba pour le commencement des négociations. Ainsi, l’accord d’Addis-Abeba regroupant les séparatistes, le

55 ABDALAH Ibrahim est né vers 1926 à Mutsamudu dans une famille noble. Il fait ses études coraniques à la mosquée de RIFAYI (une école islamique très réputée qui se trouve à Mutsamudu). Après ses études à cette école, il s’est vu attribué le titre de chef religieux ; mais il ne sait pas lire ni écrire la langue française. Dans Les années cinquante, il est devenu bijoutier, et c’est l’activité principale qu’ il exerce dans sa vie. En 1991, il est parmi les fondateurs de l’Organisation pour l’Indépendance d’Anjouan (OPIA). Et en 1997, il est chargé de présider le mouvement séparatiste. En 1999, il est refoulé du pouvoir par les autres séparatistes. Actuellement il vit en France en tant que réfugier politique. 56 Source privée, lettre de deux pages, 1997. 57 Témoignage d’ ABDALLAH Ibrahim, le 15 octobre 2004 à Mutsamudu.

36 gouvernement fédéral, l’opposition, la commission de Mohéli et de la Grande Comore, est sous les auspices de l’OUA et de la communauté internationale. Toutes ces délégations déplorent profondément les actions militaires entreprises sur l’île d’Anjouan ainsi que les pertes en vie humaine, les dégâts corporels et les destructions des biens. Par conséquent, ils ont demandé la mise en place d’une commission d’enquête internationale qui sera chargée d’établir les responsabilités, d’évaluer les dégâts causés pendant la crise. Les représentants se sont engagés selon le format de tenir une conférence comorienne inter-îles en vue d’obtenir un nouveau cadre institutionnel répondant aux aspirations légitimes des Comoriens en faveur de l’unité et de l’ intégrité territoriale 58 . Cet accord reste cependant une lettre morte.

Voilà en bref les grandes lignes de la généralisation du mouvement de 1997. En analysant le processus de la généralisation de l’idée de séparation, il est à noter que le mouvement est incontrôlable et difficile à cerner. Il est en fait une insurrection générale avec toutes ses conséquences. En cette période, la presque totalité des Anjouanais soutiennent la cause séparatiste. La base sociale du mouvement est non seulement rurale, mais également urbaine. La ligne idéologique est la volonté de rupture avec la capitale fédérale et le rattachement à la France.

Voir les photos d’illustration de la généralisation du mouvement dans les deux pages suivantes :

58 Voir le format de l’accord d’Addis-Abeba, p.1

37 Photo 1

La photo d’en haut illustre la déclaration de « l’indépendance » de l’Ile d’Anjouan le 03 août 1997 sur la grande place publique de M’roni (Mutsamudu). La photo d’en bas illustre, quant à elle, les mêmes foules, la même ferveur, les drapeaux tricolores pour manifester une volonté de rompre avec les Comores.

Source : VIA, nouvel enjeu N° 103 septembre 1997, p. 25.

38 Photo 2

La guerre des enfants et la participation des jeunes à l’insurrection de 1997. Sur la photo d’en haut, nous voyons le drapeau tricolore et le drapeau de l’ancien Sultan d’Anjouan connu sous l’appellation de MAWANA. Sur la photo ci-dessous, nous voyons des jeunes qui barricadaient les routes de Mutsamudu afin de gêner la progression des militaires de l’opération GORO

Source : VIA, nouvel enjeu, N° 103septembre 1997 p. 32.

39 2. Débarquement du 3 septembre 1997 à Anjouan

Depuis la proclamation de l’indépendance le 3 août par les séparatistes, les rumeurs du débarquement des forces armées comoriennes n’ont pas cessé de circuler dans l’île. Dès lors, les séparatistes ont commencé des séances d’entraînement au maniement des armes avec les jeunes dans les quartiers des principales villes. Chaque quartier de la ville a un chef issu de l’armée comorienne. Ainsi, les instructeurs sont des militaires anjouanais formés à l’époque de Bob Denard. Ces militaires se sont désistés dans le camps de l’armée loyale car ils ne gagnent pas leurs salaires alors qu’ils avaient des familles à nourrir 59 . L’instruction est ouverte aux jeunes hommes et femmes ; ce qui montre que les jeunes de 15 à 30 ans ont embrassé le mouvement séparatiste de 1997. D’après Kamal Abdou60 , plus de 200 jeunes anjouanais avaient été initié, en août,à l’utilisation des armes automatiques (AK 47, M 43, calibre 12 etc.), au remplissage des chargeurs, à l’usage des bombes et des bals. Donc les insurgés ont organisé et préparé au moins la venue du débarquement. A l’approche du débarquement de l’armée comorienne le 3 septembre, les leaders séparatistes (Mohamed Ahmed Hazi, Charkane Ahmed etc.) ont largement distribué des armes à quiconque se portait volontaire pour combattre 61 . Certes, le pouvoir de Moroni a envenimé la crise séparatiste et a rendu la résolution du problème difficile. Le régime de Moroni trouve dans cette crise un alibi pour justifier son échec et se maintenir au pouvoir en utilisant la violence. Le débarquement du 3 septembre 1997 en est la preuve la plus évidente. En effet, le 3 septembre, « le pouvoir fédéral a dépêché un détachement de 300 militaires débarquant à Anjouan sous le commandement du chef du cabinet militaire du Président de la République »62 . Ces militaires ont posé le pied à Anjouan dans le but de briser et mater l’insurrection généralisée. En cette date, les forces fédérales avaient débarqué à Ouani, et progressaient à l’intérieur en se heurtant de manière sporadique aux insurgés. Le 4 septembre, les milices, les forces anjouanaises ont lancé la contre-offensive contre le détachement de l’armée comorienne sur le port de Mutsamudu.

59 KAMAL Abdou, agent militaire au temps de BOB Denard devenu insurgé en 1997, chef de l’encadrement des jeunes à Mirontsy, interview fait le 21 décembre 2004. 60 idem 61 Bulletin de l’information de comité de soutien et de liaison N° 1, p.3. 62 NIDHOIM Attoumane, quels sont les enjeux de la crise , AL-Watwan N° 487 du 21 au 30 octobre 1997, p. 3.

40 Les jeunes de quinze à trente ans ont été nombreux à participer aux affrontements contre l’armée fédérale. Ce témoignage d’un des prisonniers illustre le courage des jeunes dans le combat : « l’audace de combattants, en ‘’culottes vertes’’ lançant des pierres aux soldats fédéralistes en armes ; ces jeunes n’osant riposter. Pendant le combat, des gamins un peu plus âgés suivaient les séparatistes armés de Kalachnikovs pour remplir les chargeurs et les bandes de munitions. Des adolescents un peu plus âgés utilisaient une arme pour la première fois après une formation d’une semaine »63 . Les jeunes ont bel et bien pris goût au combat et ils ont ainsi eu aussi le courage de défendre leur île d’origine parce qu’ils étaient vraisemblablement frustrés et irrités de la situation désastreuse qui prévalait dans l’île.

Enfin de compte, l’opération « GORO »64 lancée le 3 septembre s’est soldée par la débâcle de l’armée loyale, et les militaires ont été faits prisonniers de guerre. Les Anjouanais se sont défendus ; ils ont infligé une raclée à l’armée, d’où l’échec de la mission de celle-ci qui est venue pourtant pacifier l’île. Mais, quel est le bilan des affrontements ? Dans les jours qui ont suivi le débarquement comorien, le premier bilan dressé par l’association SOS démocratie aux Comores fait état de 40 militaires et 18 civils tués. Dans le Monde du 7 septembre, le journaliste Jean Hélène 65 évoque une source diplomatique en donnant le même chiffre du côté de l’armée comorienne et rapporte au côté anjouanais des estimations entre 60 et 130 morts. Le 11 septembre Jean Louis Macharon, « ex-président de pharmacie » sans frontière, animateur de la cellule humaine, parle de 6 décès à l’hôpital de Hombo. Le 12 septembre 1997, les autorités comoriennes confirment une dizaine de morts et une soixantaine de soldats gouvernementaux faits prisonniers 66 . Ainsi, le débarquement a fait des dégâts sur le plan humain et matériel.

Cette intervention militaire inopportune et mal préparée a attisé et aidé le développement de la crise anjouanaise. L’échec du débarquement et l’image peu glorieuse de prisonniers ont provoqué au sein de l’armée loyaliste un conflit de personnes, et le

63 MOHAMED Cheickh, témoignage, paru dans le quotidien VIA , nouvel enjeu N° 111 septembre 1997, p, 58 64 GORO / Groupement Opérationnel de Rétablissement de l’Ordre, cette opération était placée sous le commandement du lieutenant-colonel SAID Harouna 65 Journaliste de RFI envoyé spéciale aux Comores en 1997. 66 VIA, nouvel enjeu, N° 104, octobre 1997, pp, 34-35.

41 chauvinisme insulaire car l’armée était divisée. L’armée se trouve au bord de l’implosion, au lendemain du débarquement, mais le calme revient plus tard. Il faut en tout cas admettre que l’échec de l’armée fédérale confirme la victoire des séparatistes et consolide leur position sur le plan intérieur. Loin d’être ainsi un moyen de calmer la situation, le débarquement du 3 septembre se traduit en cauchemar pour les forces loyalistes et pour les autorités fédérales. Du coup, loin de s’affaiblir et de déplorer les victimes des affrontements, les sécessionnistes ont savouré l'après débarquement comme synonyme de la victoire de la cause qu’ils défendent, sinon de leur position par rapport aux démarches ultérieures. Voici des photos d’illustration:

Cette photo d’en haut illustre le fiasco du débarquement du 03 septembre 1997. Dans cette même photo, les images de droite montrent l’arrestation des militaires ayant rendu les armes tandis que celles de gauche montrent leur emprisonnement.

Cette photo de bas illustre les

préparatifs des milices « Embargos »

sur le maniement des armes.

Source : VIA, nouvel enjeu N° 104 octobre 1997, p. 37.

42 3. Le référendum « d’autodétermination »du 26 octobre 1997

Après la déroute de l’intervention militaire déclenchée par les autorités comoriennes pour mater la rébellion, le mouvement sécessionniste a pris une autre allure. Dès lors, la balkanisation s’est accentuée en dépit de la médiation de l’OUA reprise au lendemain de l’expédition militaire. En effet, le dimanche 26 octobre, les habitants d’Anjouan ont été invités par les autorités insurrectionnelles de Mutsamudu à se prononcer sur le destin de l’île par la voie d’un référendum, et la question posée était la suivante : « Anjouan, voulez-vous que l’île d’Anjouan devienne indépendante de la République Fédérale Islamique des Comores »67 ? Les Anjouanais avaient probablement répondu à l’appel de leaders Séparatistes. Le taux de participation a été de l’ordre de 90% et le « oui », voix favorable à l’indépendance, représentait 99,88% de suffrage exprimé 68 . Le résultat était largement favorable aux indépendantistes parce qu’ils étaient les seuls maîtres à bord, et ce sont eux qui contrôlaient l’organisation et le déroulement de ce référendum. Par ailleurs, « l’Etat d’Anjouan existe bel et bien depuis le 3 août 1997, lors de la proclamation de l’indépendance qui exprime une liberté, un fait qu’une collectivité n’est soumise à aucune autorité extérieure dans la gestion de ses affaires 69 . En d’autres termes, l’Etat est une réalité sociologique qui exige un territoire, une population et une autorité politique. Anjouan détient tous ces éléments et les autorités insurrectionnelles exercent leurs compétences respectives de manière plénière et exclusive à l’égard de l’ensemble du territoire et de l’ensemble de la population anjouanaise. Mais il lui reste la reconnaissance de l’opinion internationale surtout de l’ONU et d’autres Etats. Cette reconnaissance est une pure opportunité politique qui n’est pas une condition sine qua non pour qu’un Etat existe : « la reconnaissance par tous les Etats n’est nullement nécessaire pour qu’un Etat trouve sa place dans les relations internationales »70 . Ainsi, l’existence politique de l’Etat est normalement indépendante de sa reconnaissance par les autres Etats. La non reconnaissance n’empêche un pays de vivre. Prenons ici l’exemple de la République Turque du Nord de Chypre, créée en 1983 et reconnue uniquement par la Turquie. Cet Etat vit grâce à ses ressources naturelles et à la Turquie. Mais

67 ORAISON (A), L’obligation de non reconnaissance de l’Etat d’Anjouan : le problème posé par la nouvelle balkanisation de la RFIC, Annuaire de l’Océan Indien ,CNRS, 1997, p. 61. 68 Le quotidien de la réunion et de l’Océan Indien , mardi le 28 octobre 1997, p. 61. 69 ORAISON (A), idem, p. 151. 70 ORAISON (A), idem, p. 150.

43 elle ne jouit pas de prérogatives d’un Etat souverain au plan diplomatique. Donc elle n’existe pas sur la scène internationale. A cet égard, la reconnaissance confère seulement une sorte de légitimité qui permet de participer à des organisations internationales. Elle est précisément l’acte par lequel un Etat constate de manière expresse ou tacite l’existence d’un autre Etat 71 . Toutefois, un pays peut difficilement vivre seul et isolé, il a besoin des autres. Dans le cas de « l’Etat d’Anjouan », il est bien évident qu’une reconnaissance internationale lui serait très utile pour pouvoir s’épanouir et se relancer dans son développement. L’île d’Anjouan est presque dépourvue de tout, elle a besoin d’une assistance internationale car la situation économique est vraiment critique dans tous les domaines.

Certes, le « référendum d’autodétermination » qui doit « légitimer la délégation anjouanaise à Addis-Abeba »72 , s’est heurté à l’opposition de la communauté internationale. Celle- ci, sous l’égide de l’OUA, a entrepris une médiation pour trouver une solution pacifique à la crise. Pour l’OUA, sous la houlette de son Secrétaire Général de l’époque Saïd Ahmed Salim, l’Etat d’Anjouan a méconnu la charte de la décolonisation et plus précisément son article 6 selon lequel « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale d’un pays est incompatible avec le but et les principes de la charte des Nations Unies »73 . A cet égard, « l’autodétermination » du 26 octobre est condamnable dans la mesure où elle méconnaît le principe essentiel de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale d’un Etat souverain qui est, de plus, membre des Nations Unies, de l’Unité Africaine, et de la ligue des Etats Arabes. Ce référendum est considéré comme « nul et non avenu » par ces organisations internationales et les autres. Par conséquent, la liberté d’action d’Anjouan est considérablement réduite. En effet, la non reconnaissance a pour première conséquence immédiate le non échange des diplomates et plus exactement le non établissement des relations diplomatiques et consulaires avec les autres Etats. Deuxième conséquence, l’Etat non reconnu ne peut effectivement conclure des conventions internationales avec les autres Etats, avec les organisations internationales à vocation universelle ou régionale et ne peut ainsi bénéficier d’aucune aide bilatérale ou

71 ORAISON (A), idem, p.150. 72 HALIFA Houmadi, interview publié dans le Quotidien de la Réunion et de l’Océan Indien , le 17 octobre 1997, p,8. Il était directeur de cabinet d’ABDALLAH Ibrahim et était un ancien premier Ministre sous le régime du Président Saïd Mohamed DJOHAR. 73 Il convient ici de faire référence à la résolution A / 1514 (XV) adopté à l’unanimité par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 14 décembre 1960 et intitulée déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (la charte de la décolonisation).

44 multilatérale 74 . D’une manière générale, l’Etat d’Anjouan non reconnu ne peut bénéficier d’aucune assistance militaire, économique et financière car il devient un enfant illégitime de la communauté internationale.

En définitive, la non reconnaissance constitue réellement un moyen de pression en vue de rétablir la légalité violée par les autorités séparatistes et pour qu’Anjouan rejoigne son giron naturel.

III. LA DESCRIPTION DE L’ILE PENDANT LA CRISE DE 1997

1. Anjouan asphyxiée

L’intransigeance des séparatistes, et surtout la non conformité de leur mouvement aux exigences de la communauté internationale, ont entraîné l’île d’Anjouan dans une situation confuse et délicate. En effet, l’OUA a pris la décision ferme d’isoler Anjouan en instaurant un embargo à titre de sanction ou de pression. Ainsi, le 8 juin 1998, le secrétaire Général de l’OUA a demandé à la 15 e session du Conseil des Ministres de l’organisation réunie à Ouagadougou, de nommer un coordinateur dans la région, chargé du dossier de la crise comorienne et de prendre « les mesures nécessaires en vue d’isoler les dirigeants séparatistes anjouanais ». 75 De ce fait, l’OUA avait instauré un embargo au même moment de cette réunion. Cet embargo constitue une mesure graduelle dans le dessein de contraindre les chefs séparatistes à respecter leurs engagements. Autrement dit, aux yeux de la communauté internationale à l’image surtout de l’OUA, seule la fermeté est payante pour sortir l’archipel de l’imbroglio c’est-à-dire sortir le pays de la crise. C’est une condition qui favorise également le retour à l’ordre constitutionnel dans l’archipel. L’île rebelle s’est trouvée complètement mise à l’écart et bloquée de toute initiative de l’extérieur. Depuis lors, les séparatistes avaient commencé à voir davantage, de mauvais œil, les autorités de Moroni. C’est ce qu’on peut comprendre à travers cette déclaration : «Après l’échec du débarquement militaire, Moroni veut asphyxier l’île d’Anjouan : pour se venger et pour nous obliger à nous plier à ses volontés, le président Mohamed Taki a

74 ORAISON (A), L’obligation de non reconnaissance de l’Etat d’Anjouan : le problème posé par la nouvelle balkanisation de la RFIC, Annuaire de l’Océan Indien, CNRS, 1997, p.160. 75 VIA , nouvel enjeu N° 112 août 1998, p. 48.

45 soumis notre île à un embargo alimentaire, pétrolier, de télécommunication, de transport et de circulation des personnes de l’extérieur. Notre île est complètement isolée pendant que la part de l’aide extérieure qui lui revient est systématiquement absorbée par Moroni sans aucun remords ».76 Dans cette déclaration, les autorités de Moroni sont considérées comme les responsables de cet embargo. Selon certains témoignages 77 , l’embargo était loin d’ébranler la conscience séparatiste car il est utilisé comme élément de propagande en faveur d’une radicalisation des positions sécessionnistes ; et les difficultés quotidiennes sont réelles car rares sont ceux qui arrivent à gagner le pain du jour. Mais à part le manque d’argent liquide, la principale pénurie qui affecte l’île est celle du carburant qui a causé beaucoup de tort à une économie déjà fragile et précaire. Les conséquences de ce manque de carburant sont ressenties rapidement à travers toute l’île. En effet, depuis cette période de la sécession, l’électricité est devenue plus qu’avant une nécessité. Et pourtant, elle fait souvent défaut et tout s’arrête dans l’île : les ateliers de bois, la bureautique, les chambres froides, les poissons et la viande ne peuvent pas être conservés. La circulation des biens et des personnes est aussi réduite sinon bloquée catégoriquement. Une telle situation de pénurie ne peut que favoriser sans aucun doute l’émergence de la contre bande. Le marché noir se multiplie et, le prix du pétrole et d’essence a doublé ou même triplé car un litre d’essence est passé de 325 FC à 1000 FC. L’embargo a causé beaucoup d’ennuis et de souffrances à Anjouan ; en dépit de tout cela, les séparatistes campent sur leurs positions intransigeantes.

2. Les difficultés sociales, économiques et politiques

Depuis l’avènement de ladite sécession, la quasi-totalité de la population anjouanaise a connu des épreuves difficiles à surmonter, surtout sur le plan social, économique et politique. Sur le plan politique, les dirigeants séparatistes, pour asseoir leur pouvoir, ont muselé les libertés démocratiques en menaçant les opposants au mouvement de mesures répressives. Les autorités séparatistes, au lendemain du débarquement du 3 septembre, ont formé des jeunes milices nommés les « embargos ». Cette formation de milices était fondée dans le but non seulement de prévenir d’éventuelles manœuvres des autorités de Moroni parfois

76 Une déclaration solennelle d’ABDALLAH Ibrahim à la veille de la conférence internationale d’Antananarivo, fait à Mutsamudu le 15 avril 1999, source : RTA (Radio et Télévision d’Anjouan). 77 SAFAOUDINE Sidi, MOHAMED Oussene, KAISSI Abdallah.

46 désireuses de débarquer à Anjouan, mais également de surveiller les opposants au séparatisme 78 . Ces milices ont divisé l’île en « territoires » réservés c’est-à-dire que chaque ville ou village de l’île avait au moins une trentaine de milices. Le plus souvent, les milices se servaient des conteneurs comme des prisons pour les opposants. La population de l’île était excédée par les milices « embargo ». Car ces derniers ne cessaient de terroriser la population à qui on a promis la liberté. A titre d’exemple, Abdallah Sidi, Anfaidine Ali et Mohamed Imrane,79 partisans de l’intégrité territoriale des Comores et hostiles au séparatisme, ont été torturés à plusieurs reprises par les milices. D’après les enquêtes que nous avons menées auprès d’ Abdallah Sidi 80 , les sévices infligés par les milices, dès son arrestation le 14 octobre 1997, étaient impitoyables. Il était enfermé par les milices sécessionnistes dans un conteneur à l’intérieur du palais du sultan Mawana à Bambao Mtsanga. Sur ce point, c’est l’ironie de l’histoire parce que c’est le drapeau de ce dernier qui est hissé par les séparatistes comme symbole d’indépendance et de liberté. Néanmoins, au cours de la crise, son palais classé site nationale sert de camp d’emprisonnement et de tortures pour les délits de l’opinion. Tout compte fait, nombreux sont les gens qui n’osent pas parler dans les médias ou même dans les rues compte tenu de la violence et de la terreur exercées par les milices « embargo ». Les dirigeants séparatistes se montrent comme un pouvoir fort et répressif. De ce fait, les libertés individuelles et collectives étaient inexistantes. Aucune opposition ou protestation à l’idéal du pouvoir séparatiste n’était tolérée. Les opposants aux autorités sécessionnistes étaient réduits au silence par la force des armes.

Au point de vue social, la situation était déplorable. Les fonctionnaires, et en particulier les enseignants, ont accumulé plusieurs arriérés de salaires impayés. En plus, le syndicat des enseignants était muselé par les autorités sécessionnistes 81 . Ce qui montre que les fonctionnaires étaient à la merci de toutes les décisions des chefs séparatistes. Les enseignants n’avaient aucun moyen de revendiquer leur droit de travail. D’où l’ironie du sort également car les sécessionnistes avaient détourné le mouvement de grève au début de la crise en se

78 RANGA Abdérémane, agent de police devenu un insurgé en 1997, interview fait le 15 février 2005 à Sima. 79 Ces personnages sont les leaders qui animent l’opposition au séparatisme. Nous démontrerons leur base sociale et leur trajectoire dans le chapitre V. 80 Témoignage fait le 18 décembre 2004 à Ouani. 81 AHMED Allaoui, Président du Droit de l’Homme à Anjouan, témoignage réalisé le 7 février 2005 à Mutsamudu.

47 montrant capables de mener à bien la situation des enseignants alors qu’en fin de compte, ils menacent de répression et de vives représailles l’organisation syndicale, lui interdisant toute forme de revendication. Autre difficulté sociale frappante : l’épidémie de choléra. En novembre 1998, l’île d’Anjouan, comme les autres îles, fait face à une épidémie de choléra, malgré les mesures sanitaires strictes imposées par les sécessionnistes en vue de se prémunir contre la propagation de la maladie. Cette épidémie de choléra est due à la dégradation énorme des services sociaux. En effet, les organisations internationales, à l’instar de l’OMS et de l’UNICEF, avaient expliqué la vulnérabilité des Comores par un faible niveau d’hygiène personnel et alimentaire 82 . Pour eux, le système d’approvisionnement en eau est mauvais. La majorité des Anjouanais n’ont pas accès à l’eau potable et ont recours à l’eau de ruisseaux. La qualité de l’eau consommée contribue beaucoup aux manifestations de choléra. Certains médecins redoutent dans l’archipel un choléra à l’état endémique tant qu’une véritable politique d’assainissement ne sera mise en œuvre. L’apparition du choléra à Anjouan fait état de 143 victimes dont 14 décès au milieu du mois de décembre 1998. 83 En dépit de l’intransigeance des séparatistes, les autorités de Moroni ont acheminé des médicaments à Anjouan car il s’agit de sauver des vies humaines en danger de mort.

Au point de vue économique, la situation est de plus en plus critique. Les difficultés quotidiennes sont plus réelles car les gens vivent au jour le jour et il y a ceux qui n’arrivent pas à satisfaire leurs besoins quotidiens. En cette période, la population anjouanaise vit dans une précarité tragique. L’île entière est en proie au banditisme et au brigandage. Son approvisionnement en vivres, en médicaments,... se fait dans la plus grande opacité, donnant ainsi lieu à toutes sortes de détournements et de profits illicites ; notamment par un système de surfacturation au profit des séparatistes. Par conséquent, le résultat est une inflation des prix de produits de première nécessité. Par exemple, le prix du riz qui est de 250 FC avant la sécession est augmenté jusqu’à 500 FC. Ainsi le prix du riz est doublé ; ce qui accroît d’autant plus les difficultés de la population qui espérait pourtant l’idéal séparatiste.

82 Rapport de l’OMS aux Comores 1998, p. 12. 83 Bilan fait par un ONG « Humanis » présente dans l’île d’Anjouan, Al-Watwan N° 520 du 13 au 18 juin 1998, p. 5.

48 Dans cette période noire, la situation économique était préoccupante dans toutes les couches sociales. Les habitants de l’île vivent de « nécessité, et celui qui vit de nécessité vit sans loi, et celui qui vit sans loi vit en bête brute »84 . Le chômage fait ravage dans cette population composée d’un nombre élevé de jeunes diplômés et de beaucoup d’autres sans le moindre diplôme. L’alternative possible de ces jeunes anjouanais, c’est de se rendre à Mayotte qui, à moins de 70 km d’Anjouan, fait figure d’eldorado 85 . Toutefois, le sort réservé à cette jeunesse désespérée est de mauvais escient parce qu’on assiste non seulement à la disparition des gens, mais aussi à la chasse à l’ homme dans la terre de Mayotte. A titre d’exemple, le mois de mai 1998, les autorités de Mayotte annoncent la disparition de 47 personnes en provenance d’Anjouans qui tentent de gagner Mayotte, victimes de l’explosion de leur barque. Seules six personnes, deux jeunes hommes, un enfant et trois femmes survivent à cette catastrophe 86 . Et chaque mardi, il y a un avion spécial qui ramène à Anjouan plus de vingt cinq clandestins arrêtés par la gendarmerie de Mayotte. La population anjouanaise à qui on avait promis l’eldorado a perdu ses illusions et prend conscience qu’elle était menée dans une voie sans issue. En conséquence, on assiste de plus en plus au départ des Anjouanais vers les autres îles car la population de l’île désespérée ne voit aucune amélioration de son sort.

Au reste, la crise séparatiste anjouanaise constitue une période très sombre dans les différentes couches de la population. Les habitants de l’île étaient tellement fatigués de la situation morose et sans issue, mais ils avaient peur et n’osaient rien dire à cause de la force des armes qui régnaient dans l’île. Ce qui prévaut dans cette période, c’est l’anarchie, le pillage et l’insécurité générale. Pour ainsi dire, les autorités sécessionnistes ont trahi la population de l’île.

3. Anjouan au bord de la guerre civile

En décembre 1998, l’île d’Anjouan était en proie à la guerre civile qui a pris ses racines dans la crise et dont les responsables sont les dirigeants sécessionnistes.

84 MOHAMED Oussene, interview fait le 14 août 2004 à Ouani. 85 Pour d’ amples informations, voir :chapitre V. 86 VIA ,nouvel enjeu N° 104 octobre 1998, p. 28.

49 A l’origine des rivalités entre séparatistes, il y a d’abord l’existence des incompréhensions. Au début du mois de décembre 1998, le président Abdallah Ibrahim et son premier ministre Chamasse Saïd Omar étaient en conflit à propos de la célébration du 14 juillet. En effet, le président voulait faire de cette date une journée de recueillement en faveur d’Abdallah Bellela, « père de la libération anjouanaise » ; alors que le premier ministre souhaitait faire du 14 juillet l’anniversaire de l’indépendance proclamée le 3 août 1997. A partir de cette incompréhension, Abdallah Ibrahim a destitué Chamasse Saïd Omar, partisan rattachiste, le 7 juillet 1998. Au lendemain de cette destitution, plus précisément le 11 juillet, le leader du mouvement rattachiste, Chamasse, tentait de renverser Abdallah Ibrahim et d’imposer comme président le commandant Mohamed Ahmed Hazi. En ce jour, les deux camps étaient « à deux doigts » de l’affrontement. Le 14 juillet, les milices « embargos » d’Abdallah Ibrahim empêchent les partisans de Chamasse de célébrer la fête nationale française à Mutsamudu. Cette fête est célébrée à Mirontsy, fief des rattachistes. Depuis lors, la méfiance et l’intolérance s’installaient entre les différents protagonistes. De surcroît, l’enjeu pour le pouvoir constitue une cause importante parmi tant d’autres.

Le 5 décembre 1998, Foundi Abdallah Ibrahim échappe à une seconde tentative d’assassinat dans les rues de Mutsamudu. Un de ses gardes est tué par les assaillants. Dès cette date, des affrontements sanglants éclatent ; une bataille est livrée à Mutsamudu entre partisans et adversaires du chef séparatiste. Ainsi, les luttes de clans séparatistes rivaux ont engendré les évènements dramatiques du 5 décembre 1998. Le 12 décembre 1998, une semaine d’affrontement, les autorités de Mayotte ont chiffré un bilan de 60 morts entre les milices séparatistes rivales 87 . En même temps, plusieurs personnes sont gravement blessées, parmi eux des civils. Les autorités de Mayotte prennent en charge les blessés dans leurs hôpitaux. Dans cette période, les habitants de Mutsamudu se sont réfugiés à Sima et à ; et ceux de Mirontsy, dans la ville de Ouani. Cette guerre civile a laissé beaucoup de plaies cicatrisées dans les cœurs de la population. La capitale était choquée non seulement par les pillages, mais aussi par les dégâts énormes. Il faut savoir qu’au moment de cette guerre, les milices « embargos » ont profité de la situation pour braquer les magasins et les maisons des plus riches de Mutsamudu. Ces milices ont ravagé les établissements et ont pillé les maisons. De plus, les dommages étaient

87 VIA ,nouvel enjeu N°112 décembre 1998, p. 50.

50 considérables du fait de l’utilisation des armes. En fait, nous n’avons pas des données fiables pour mesurer l’ampleur des dégâts, mais ils étaient importants. Le 15 décembre 1998, les factions rivales acceptaient de signer un cessez-le-feu, et un pacte de paix est finalement trouvé pour sauver l’essentiel. Mais, ce compromis était fragile car les contradictions entre les camps rivaux ne cessent de surgir.

En somme, l’adhésion de la population anjouanaise tant précieuse au début du mouvement s’est amenuisée au fil du temps à cause des luttes des clans ayant elles-mêmes suscité les évènements du 5 décembre 1998. Dès lors, la population croît de moins à moins en ses dirigeants et en la cause pour laquelle elle est mobilisée.

Au terme de la première partie, au-delà du mécontentement, des répressions et des récriminations de tout genre sont intelligemment exploités par les démagogues séparatistes, nous voudrions retenir trois raisons de fond qui expliquent la spécificité d’Anjouan et le paradoxe du séparatisme : la forte croissance démographique de cette île (la plus élevée du pays), la distribution très inéquitable des terres cultivables et corrélativement le développement d’une misère presque endémique qui fait un cocktail explosif.

51

DEUXIEME PARTIE : HISTORIQUE DU SEPARATISME

52 Anjouan proclame le 3 août 1997 « son indépendance », estimant n’avoir rien bénéficié des vingt deux ans d’indépendance dans l’unité des Comores. Bien évidemment, la mise en cause de l’unité de l’archipel n’est pas anodin ni lié au hasard. Certains traits incontournables de la réalité historique des « îles de la lune » semblent rendre possible cette mise en cause. Mais, il faut reconnaître que c’est un vieux problème qui remonte à plusieurs années, et dont les principaux auteurs sont les élites politiques comoriennes. Ces dernières ne sont jamais parvenues à fonder un Etat de droit et une démocratie qui puissent apporter à la population la vraie liberté, l’égalité et la stabilité tant aspirées. L’ère post-coloniale ne pouvait que conduire ipso facto la nation comorienne à un conflit qui allait toujours apparaître au grand jour. D’où les controverses sans précédent dans toute l’histoire post-coloniale, à l’issue desquelles se déclenche la crise séparatiste qui a bouleversé l’ensemble des îles, plus particulièrement l’île d’Anjouan. Dans cette deuxième partie de notre travail, nous allons justement tenter de faire découvrir les racines de cette crise, à travers un aperçu tant historique qu’ analytique. Le vrai problème à élucider ici, c’est d’identifier et de distinguer les origines lointaines de la crise. Est-ce que la crise séparatiste de 1997 a des fondements historiques solides ? Si oui, quels sont les éléments historiques qui ont contribué à l’avènement de cette crise ? Dans cette partie nous analyserons l’époque des sultans à la lutte pour l’indépendance et les déceptions de l’indépendance unilatérale.

53 CHAPTRE III : DE L’EPOQUE DES SULTANANS A LA LUTTE POUR L’INDEPENDANCE

L’arrivée des Chiraziens dans les îles Comores, au début du XVI ème siècle, était l’ultime voie pour la mise en place de l’institution des sultans. Ces derniers gouvernaient les îles de l’archipel jusqu’au XIX ème siècle. Mais, ces sultans qui ont passé leur temps à se combattre ont fini par délaisser leurs îles aux colonisateurs. En 1912, les « îles de la lune » étaient sous la domination française. Toutefois, lorsque les indépendances tombent en cascade sur le continent africain dans les années soixante, une prise de conscience des élites comoriennes a vu le jour. Le nationalisme comorien avait pris une allure considérable dans les années 70. Dans quelles circonstances l’époque des sultans à la lutte pour l’indépendance présente-t-elle des références historiques de la crise séparatiste de 1997 ? Dans ce chapitre, nous aborderons d’ abord l’ épisode des sultans et les relations historiques d’ Anjouan avec les autres îles ; ensuite , Anjouan dans la lutte pour l’indépendance.

I. L’EPISODE DES SULTANS

1. Les Cités-Etats

Pendant la haute époque, plus précisément au cours du XIII ème siècle, il se créa une nouvelle structure du pouvoir dans les cités swahilis qui parvient au XV ème siècle à la formation du sultanat. Cette évolution est due aux conflits entre sunnites et chiites. En effet, après la prise d’assaut de la ville de Chiraz par les chiites vers l’an 992, la population de cette ville composée en majorité des sunnites, avait quitté alors le pays pour s’installer en Afrique orientale, surtout à Kilwa 88 . Cette nouvelle structure qui vient de naître a bel et bien touché l’archipel des Comores. Puisque celui-ci faisait partie du « couloir Swahili » qui est un axe de navigation censé être le long de la côte orientale d’Afrique, orienté Sud-Nord, opérant pour le bénéfice du Nord- Ouest de l’Océan Indien à l’occasion d’échanges entre le monde arabe et l’ensemble

88 - CHAGNAUX (H) et HARIBOU (A), les Comores : Que sais-je ?Paris, PUF, 1985, p.12

54 Bantou puis Swahili 89 . En plus, comme Zanzibar, les Comores semblent être entrées dans la dépendance de Kilwa (sur la côte africaine, au Sud de Dar-es–Salaam), où règnent des princes venant de Chiraz. Il semble que les premiers habitants d’Anjouan soient des représentants de la civilisation Swahilie. Bien que le terme « Swahili » Provienne de l’arabe, les Swahiliens ne sont pas des arabes, mais un peuple de métis, en majorité composé de Bantous (africains non encore islamisés). Ce sont les Swahiliens qui, dans leur extension sur les rivages de l’Océan Indien occidental, s’installent aux Comores. Avant l’arrivée des chiraziens au XVI ème siècle, les Swahiliens mirent en place une organisation politique et sociale proprement africaine. Cette organisation fut régie par des « Bejas » et « Fanis »90 qui forment une chefferie dirigeante dans chaque village d’Anjouan. A l’arrivée des Arabo-Shiraziens (le terme Shiraz désigne le Golf persique), des groupes islamisés métissés ( arabes et Iraniens), la structure africaine s’était bouleversée au profit de ces nouveaux arrivants. Ces derniers s’imposèrent aux populations indigènes qui étaient déjà installées et leur donnèrent leur religion et leurs coutumes 91 . Cependant, les alliances politiques et matrimoniales des Arabo-Shiraziens avec les chefs comoriens entraînèrent un changement de l’organisation politique et la création du sultanat. C’est ainsi que va s’établir le sultanat aux Comores. Mais le sultanat n’est pas une copie servile de modèles moyen-orientaux, il est plutôt un système qui vient s’ajouter au système Swahili. En d’autres termes, le sultanat est une organisation issue de la culture bantoue qui se marie avec le prestige musulman. Néanmoins, du XVI ème siècle jusqu’au début du XIX ème siècle, le système de sultans n’a jamais créé un empire bien centralisé aux Comores. Avant la colonisation française, l’archipel était un ensemble de Cités-Etats. La notion de Cités-Etats implique l’autonomie, telle que l’ont bien montré les historiens quand ces termes furent employés pour désigner les grandes Cités Grecques. Cette notion de Cités-Etats renvoie à une cité autocentrée. Elle a sa capitale et ne regarde que vers elle, même si elle peut être amenée à chercher des alliances matrimoniales ou autres vers d’autres Cités-Etats 92 .

89 - Claude ALIBERT , Cités-Etats et têtes de pont dans l’archipel des Comores , Omaly Sy Anio ,N°33-36 1994, p. 119. 90 Etymologiquement, les termes « Bejas » et « Fanis »proviennent d’Afrique bantoue, précisément dans la région de Kilwa . Ce sont des noirs Mokois et esclaves importés d’Afrique, puis sont devenus les premiers maîtres d’Anjouan. 91 ROBINEAU (cl), l’Islam aux Comores, une étude d’histoire culturelle de l’île d’Anjouan , Université d’Antananarivo , 1967, p. 41. 92 Claude ALIBERT, cités Etats et têtes de pont dans l’archipel des Comores, Omaly Sy Anio N° 33-36 1994, p. 123.

55 En fait, aux Comores, plusieurs sultans souverains se sont partagés le territoire sous forme des Cités-Etats et ont même tracé des frontières. Ainsi, il exista, à la Grande Comore par exemple, une mosaïque de sultans qui accordent une importance « honorifique à l’un d’entre eux », le sultan Ntibé93 . Ce dernier n’a été qu’un général désigné par les autres sultans coalisés pour faire face à une agression étrangère. Le Ntibé n’avait donc aucun pouvoir réel sur les gouvernants des différents sultans rassemblés parce que, à la moindre défaillance de sa part, les autres sultans se hâtaient de reprendre leur indépendance 94 . A Anjouan, trois lignages royaux implantés dans les trois principales villes (Mustsamudu, Domoni, Ouaui) se partagent le territoire et le pouvoir. Pendant l’époque précoloniale, les « îles de la lune » n’ont pas été unifiées sous une même autorité. Les sultans n’ont pas réussi à implanter une organisation sociale et politique unitaire entre les îles ,voire même à l’intérieur d’une île. Au fond, cette situation liée à l’organisation et à la forme du pouvoir politique qui gère les relations inter-îles dès cette époque, constitue un germe de l’instabilité institutionnelle contemporaine des Comores parce que ce système non centralisé n’a pas instauré un sentiment d’appartenir à un ensemble.

2. Les rivalités sultanes

« Dans une société sans pouvoir centralisé, les luttes entre groupes lignagers ou villages reviennent avec la régularité des saisons,[ …] elles prennent même parfois un tour ludique, comme si la violation contrôlée était une initiative nécessaire à la vie en société »95 . Ici, J .P Chrétien a voulu affirmer que dans une société sans pouvoir centralisé, le recours aux conflits entre les clans est patent pour l’accès au pouvoir. L’histoire précoloniale de l’archipel, divisé en plusieurs principautés sinon en un ensemble des Cités-Etats, était marquée par des événements conflictuels incessants entre les différents sultans. Les difficultés étaient quasiment permanentes dans chacune des îles. En effet, dans l’île comorienne d’Anjouan, deux dynasties rivales convoitèrent le pouvoir. D’un coté, la dynastie des sultans de Mutsamudu issue des anciens maîtres (Fanis et Bejas) qui fondèrent la grande famille des Al-Masela 96 ; de l’autre, la dynastie des sultans de

93 ABDOU Djabir, les Comores : un Etat en construction , Ed l’Harmattan , paris,1993, p. 118. 94 Idem,p. 119. 95 JP CHRETIEN(J P), les racines de la violence contemporaine en Afrique, CNRS , 1987, p.16. 96 Essentiellement, les Al-Masela et les Al-Madwa constituent les deux grandes familles d’Anjouan. Pendant la période des sultanats, il n’y avait pas une véritable dynastie royale mais il existait des maisons familiales. De ce fait, le passage au trône met en scène ces deux familles qui se succèdent à tour de rôle par une démonstration des forces.

56 Domoni issue des descendants des chiraziens de la grande famille des El- Madwa. 97 Entre ces deux dynasties, le recours à la force apparaît de temps en temps : « la population anjouanaise divisée en plusieurs groupes, passait le temps en se faisant la guerre. C’était le droit du plus fort qui formait son code ».98 Les anciens maîtres (Fanis et Bedjas) se considéraient comme étant les propriétaires légitimes d’Anjouan, alors que les descendants chiraziens voulaient imposer leur domination dans l’île. Chacun des deux clans veut affirmer un rapport hiérarchique vis-à-vis de l’autre. Ainsi, les affrontements entre ces deux dynasties semblent être une lutte pour le pouvoir et la suprématie politique. En réalité, les rivalités entre les prétendants au trône sont l’un des éléments de l’histoire mouvementée d’Anjouan et en général des Comores. Elles furent à l’origine des haines qui se font sentir depuis la période de sultans jusqu’à nos jours, entre les Anjouanais eux-mêmes et entre les îles. Car, cette animosité des rivalités se réalise actuellement dans les comportements et la mémoire collective des Anjouanais et des Comoriens, du fait que chaque ville ou île est prête à utiliser la force pour porter au pouvoir leur leader. La guerre civile qui s’imposait en 1998 entre Mutsamudu et Mirontsy coalisé avec Domoni constitue un exemple patent. Au moment où le séparatisme a pris ses pas en 1998, les leaders séparatistes à savoir Abdallah Ibrahim issu de Mutsamudu et Shamasse Saïd Omar issu de Domoni se disputèrent pour le pouvoir. L’accès au pouvoir par la force est ainsi un caractère essentiel pour les politiciens comoriens en général dès l’époque de sultans.

Si à Anjouan, il existait des rivalités entre les deux principales villes (Mutsamudu et Domoni), à la Grande Comore, plusieurs clans étaient incessamment en guerre. Il est à noter qu’ à Anjouan les clans ne possédaient pas de fiefs particuliers car les Al-Madwa et les El- Masela pouvaient exercer le pouvoir dans la même capitale (Mutsamudu). Contrairement à la Grande Comore où chaque clan possédait un territoire bien limité. Par exemple, la capitale Ntibé se trouva tantôt à , tantôt à . Cette capitale de Ntibé faisait souvent l’objet de dispute entre le Hinya Pirusa de Bambao et le Hinya Foumbya d’Intsandra 99 .

97 FAUREC (U), l’archipel aux Sultans batailleurs , Tananarive, imprimerie officielle, 1941, p. 36. 98 ROBINEAU (CL) , l’Islam aux Comores, une étude d’histoire culturelle de l’île d’Anjouan , Université d’Antananarivo , 1967, p. 41. 99 Le terme Hinya désigne un ensemble de familles qui se déclarent descendants de même ancêtre par les femmes. Le Hinya privilégie l’ascendance maternelle. Pour d’amples informations voir Ahmed Saïd Moussa , les clans fondateurs des cités , Omaly Sy Anio ,1994, N°33-36, pp. 101-114.

57 La guerre parait être l’un de seuls moyens d’acquérir avec la possession de biens, le pouvoir honorifique car le trône n’était pas héréditaire. En définitive, la tentative d’acquérir le pouvoir par la force est ancrée dans les mentalités des politiciens comoriens d’une manière générale. L’exemple d’une vingtaine de tentatives de coups d’Etats est significatif. Il en est ainsi de la crise séparatiste de 1997 qui avait comme toile de fond l’accès au pouvoir, parce qu’il faut se convenir que la crise sécessionniste a pris une allure importante à cause de la propagande des politiciens lésés par le pouvoir central. Donc, nous avons considéré les rivalités sultanes comme étant une racine profonde de la crise séparatiste car l’idée de conquérir le pouvoir par le biais de la force est vivante dans les mémoires collectives des élites politiques comoriennes. Ce qui fait que l’épisode des sultans ne constitue pas un creuset pour que les élites politiques défendent avec acharnement les intérêts communs de la nation au détriment des intérêts personnels. Chacun veut être calife à la place de l’autre.

3. La fragilité des sultans

A la fin du XVIII ème et au début du XIX eme siècle, les îles Comores ont connu ,une fois de plus, différentes tentatives d’infiltration étrangère. Ainsi, l’archipel était un point de frictions et d’influences. En effet, les rivalités entre les sultans laissaient les îles Comores dans une instabilité chronique. Ce climat d’instabilité des pouvoirs locaux explique bien la relative facilité avec laquelle les malgaches des régions côtières (Betsimisaraka, sakalava…) s’infiltrent aux îles car il n’existait pas une coalition et une résistance de type national. Il faut savoir qu’à partir du milieu du XVIII ème siècle, les quatre îles des Comores furent victimes de razzias organisées par les pirates malgaches. Les incursions malgaches qui ont été beaucoup plus dévastatrices que les guerres entre les sultans, ont rendu l’île d’Anjouan plus sensible dans la mesure où les incursions affaiblirent les sultans locaux et les poussèrent à rechercher la protection des puissances européennes. En 1786, le sultan Abdallah I se rend à Bombay pour solliciter aux Anglais une protection contre les incursions Malgaches. En 1816, le sultan Allaoui demande la protection de Louis XVIII et se rend même, en personne, à la Réunion (alors île de Bourbon) 100 . Dès lors, il ne se réalise pas dans l’île, de la part des personnes détentrices du

100 - CHAGNAUX [H] et HARIBOU[A], les Comores :que sais-je ?, Paris, PUF, 1985, P.24.

58 pouvoir de sultanat, aucun empêchement à l’infiltration étrangère. D’ailleurs, les appels aux puissances européennes se concrétisent. Au milieu du XIX ème siècle lorsque le fameux Toumpa 101 leva les armes contre le sultan Abdallah III , ce dernier a fait appel à l’Angleterre . Donc, les difficultés de sultan d’Anjouan provoquèrent l’intervention anglaise dans les affaires intérieures de l’île. L’Angleterre exerce ainsi une influence importante à Anjouan. A cet égard, les sultans d’Anjouan voient en la personne étrangère un appui tant stratégique que tactique pour le rétablissement de leur autorité .Cette attitude des sultans de chercher un soutien à l’extérieur refait surface en 1997 à Anjouan . La crise séparatisme d’Anjouan est dans une certaine mesure révélatrice de cet état d’esprit ; parce qu’ en août 1997, les habitants de l’île, accablés par la misère et les difficultés sociales , demandèrent l’appui de la France et voulurent être rattachés à elle. Ainsi, le statut féodal des sultans n’est pas encore révolu dans les comportements des Anjouanais, en particulier des politiciens.

Par ailleurs, entre le XVI ème siècle et le XIX ème siècle, comme ce fut le cas un peu partout dans l’Océan Indien et aux Antilles, l’archipel des Comores fut le théâtre du commerce des esclaves. Déjà, au XII ème siècle , les arabo-chiraziens pratiquaient l’esclavage et c’est d’ailleurs avec leurs esclaves qu’ils arrivèrent, au XVI ème siècle, aux Comores. Plus tard, les Européens allèrent chercher leur main d’œuvre sur la côte Est du continent africain et dans l’Océan Indien. Anjouan était donc un centre important de la population servile jusqu’en 1870 102 . Dans cette île, les souverains locaux furent les auxiliaires de la traite, source de l’esclavage. Le négrier européen prend contact, en fait, avec les sultans et négocie le prix des esclaves. C’est donc à partir des négociations que les représentants des sultans s’enfoncent à l’intérieur de l’île pour ramasser les esclaves. Cette procédure se fit aussi dans les autres îles de l’archipel. Ce qui fait que ce sont les Anjouanais ou les Comoriens qui capturent leurs frères pour les vendre aux Européens installés sur les côtes des îles. Une logistique parfois très élaborée entre les sultans et les négriers, incluant le ravitaillement, semble être indispensable à l’opération de traite à Anjouan.

101 - Voir la révolte de TUMPA dans l’œuvre de ROBINEAU (cl), l’Islam aux Comores, une étude d’histoire culturelle de l’île d’Anjouan , Université d’Antananarivo , 1967 p, 48.

102 - Source : abolition de l’esclavage de Mayotte et dépendance ,150 ème anniversaire dans les colonies françaises ,Mars 1998, p, 19.

59 Ainsi, l’esclavage fut rendu possible aux Comores, et en particulier à Anjouan, par les souverains locaux parce qu’ils ne s’opposent pas à ce commerce inhumain. Nous constatons donc un esprit d’égocentrisme de la part des souverains locaux du point que les sultans se sont enrichis de ce commerce et ont rendu les citoyens serviles. Cet état d’esprit d’assujettissement est visible dans la société comorienne d’aujourd’hui. Par exemple, les pratiques de corruptions des élites politiques sont évidentes et sont le prolongement indirect de l’esclavage. Avec l’avènement d’Abdallah III (sultan Mawana) à Anjouan en 1855, William Sunlay, un planteur Anglais, développe en même temps une plantation sucrière à Pomoni et à Bambao. Sunlay loua à Abdallah III environ 500 esclaves pour ses plantations 103 . Vers 1856, l’Américain wilson devenu secrétaire particulier de sultan Mawana, installe une troisième plantation sucrière à Patsy. L’Américain Wilson loua aussi un nombre important d’esclaves chez Mawana. Ainsi, l’espoir du gain ou d’acquisition d’esclaves semble avoir été un mobile important de Mawana. La pratique de l’esclavage constitua une ressource importante pour ce sultan. En 1882, la Grande-Bretagne imposa un traité au sultan Abdallah III pour abolir l’esclavage, cette fois à l’intérieur de l’île d’Anjouan. Dans la foulée, le sultan Mawana tient la promesse et a aboli l’esclavage à l’intérieur de l’île d’Anjouan . Mais, cet acquiescement va se tourner contre Mawana car l’abolition fait présager à des lendemains difficiles et incertains à ce sultan. L’esclavage constitue la source principale de financement du sultan ; Ce qui fait que son abolition a laissé le trésor de l’Etat de Mawana vide ; d’où la faillite du sultan Mawana. Fatigué par les guerres qui ravageaient son pays, endetté, et abandonné par la Grande-Bretagne, le sultan Mawana à sollicité l’appui de la France. C’est dans ce contexte que le sultan Mawana se tourne vers la France.

En définitive, les rivalités entre les sultans, et l’esclavage ont rendu l’archipel une proie facile pour les étrangers envahisseurs notamment la relative aisance de la France à pouvoir s’imposer dans les îles. D’où donc, les prémices de l’absence de sentiment national car il n’y avait pas de résistance de type national. Le fait que l’archipel était un ensemble des Cités- Etats, marquées par des rivalités internes, les dissensions entre les prétendants au trône font que l’autorité ne s’exerce jamais dans son intégralité aux îles. Car aux yeux de chaque sultan , l’autorité n’a de valeur, de sens que dans le mesure où elle est incarnée par lui. Une telle situation a permis aux sultans de vendre leurs îles aux colonisateurs. Cela rappelle donc le

103 - CHAGNAUX (H) et HARIBOU (A), les Comores : Que sais –je ? PUF, 1985, p . 25.

60 souvenir d’Etat fugitif ; car cette situation ne fonde pas un idéal capable de souder la nation comorienne. Dans les autres pays, c’est au terme de guerres sanglantes que les colonisateurs se sont imposés ; c’était donc des conquêtes très difficiles. Mais aux Comores, les sultans ont facilement délaissé leurs îles à la France. Ce qui explique vraiment l’absence de sentiment national dès la période de sultans .On constate donc aujourd’hui une manifestation d’un certain atavisme dans les mémoires des élites politiques comoriennes.

II. LES RELATIONS HISTORIQUES D’ANJOUAN AVEC LES AUTRES ILES

1. L’hégémonie anjouanaise sur les autres îles

A partir de 1780, l’île comorienne d’Anjouan avait tendance à imposer son hégémonie aux autres îles de l’archipel. A la différence des autres îles de l’archipel, l’île constituait un « Etat » dans une période relativement longue et non une chefferie. Elle était un royaume dont l’autorité s’exerçait sur l’ensemble de l’île, car Anjouan qui était divisée en deux grands sultanats rivaux fut plus ou moins unifiée par l’Abdallah I dans les années 1780. En effet, après les terribles dissensions entre Mutsamudu et Domoni , Abdallah I qui était à la tête de Mutsamudu avait fait disparaître le sultan de Domoni ( Ahmed I er en 1782). Dès lors, Anjouan constituait un seul sultanat (mais les dissensions étaient toujours à l’intérieur). Nous assistions à un signe patent de solidarité et de puissance par rapport à la Grande Comore déchirée par les guerres incessantes. De plus, le gouvernement d’Abdallah I er avait une armée et un « trésor » alimenté par des ressources régulières. Toutefois, le système de ce sultan « n’avait jamais usé cette prérogative essentielle qui est le droit de battre monnaie »104 . La capitale du royaume, Mutsamudu, était devenue une ville florissante et policée en dépit de sa dimension réduite : « vers le milieu de son règne ( Abdallah I er ), Anjouan avait atteint l’apogée de la prospérité et de la gloire ».105 Nous pouvons dire qu’au moment où régna Abdallah I , Mutsamudu était une véritable capitale que les hasards de l’histoire coloniale, puis de l’histoire nationale devaient pourtant lui refuser. Certes, jusqu’en 1784, les îles de l’archipel des Comores étaient parfaitement indépendantes les unes des autres. Mais, l’île d’Anjouan , après son succès économique et son

104 - MAHAMOUD Ibrahim, les Comores avant la pénétration française , WWW.MWEZINET,1999, p. 2. 105 - ROBINEAU (CL), l’Islam aux Comores, une étude d’histoire culturelle de l’île d’Anjouan , Université d’Antananarivo , 1967 p, 49.

61 unification, tentait d’exercer son autorité politique sur l’ensemble des autres îles. En 1816, à l’avènement du successeur d’Abdallah I , Abdallah II, ce dernier tenta de faire reconnaître son autorité sur l’archipel. Il était autoritaire, entreprenant, soutenu en outre par la Grande- Bretagne 106 . Ce sultan parvient à imposer ses droits sur Mayotte et Mohéli, mais se heurta à un échec complet à la Grande Comore . De toute évidence, il réussit à imposer sa domination surtout à Mohéli. Traditionnellement, Mohéli était demeuré longtemps sous l’influence d’Anjouan car elle est la petite île et son royaume n’arrivait pas à faire face à Anjouan qui était plus fort par rapport aux autres îles. Donc, l’autorité d’Anjouan s’applique à Mohéli qui était un fief d’Abdallah II. Mais avec l’arrivée de Ramanetaka à Anjouan, la situation bascule. Celui-ci, cousin du Roi Radama I, se réfugie à Anjouan lors de l’avènement de la Reine Ranavalona I. Après son arrivée, il est nommé gouverneur de la Région de Pomoni . Suite à une expédition militaire à Mohéli, Ramanetaka sollicite de seconder le gouverneur désigné par le sultan Abdallah II pour administrer Mohéli. A partir de là, il a su s’imposer à Mohéli car son activité et son zèle lui valent la reconnaissance des Mohéliens. Ainsi, les velléités d’indépendance mohélienne incitent bien Ramanetaka à s’affranchir de la tutelle anjouanaise. Mohéli, vassale d’Anjouan, se déclare indépendante à l’arrivée de ce Malgache . Car, les difficultés intérieures qui avaient surgi à Anjouan à la suite d’une nouvelle expédition malheureuse contre Mayotte empêchèrent Abdallah II d’aller châtier les rebelles 107 En 1829, suite à cette expédition malheureuse d’Abdallah II contre Mayotte, cette île avait profité pour s’affranchir. Il est à noter que Mayotte était nominalement vassale du sultanat d’Anjouan. Mais, comme tous les vassaux du monde, les chefs de Mayotte cherchaient à s’affranchir du tribut qui matérialisait ce lien de dépendance. Donc, l’hégémonie anjouanaise qui était plus nominale que réelle y fut contestée à plusieurs reprises. Cependant, les liens politiques entre les îles n’étaient pas forts dans la mesure où l’autorité d’Anjouan fut contestée par ses vassaux. L’intervention anjouanaise dans la vie politique de la Grande Comore était devenue nécessaire lorsque Saïd Ali est devenu sultan. La Grande- Comore est plus indépendante et elle s’est davantage rapprochée de Zanzibar. En 1889, le sultan Saïd Ali (sultan de la région de Bambao) lance un appel à Anjouan lorsqu’il était en guerre contre Saïd Hachim (sultan de la région d’Itsandra) . Le rapprochement du sultan d’Anjouan qui avait des prétentions de

106 FAUREC (U), L ’Archipel aux sultans batailleurs, Tananarive, imprimerie officielle , 1941, p. 42. 107 ,Idem , p.43.

62 dominer l’archipel a subi un échec complet à la Grande Comore. L’île d’Anjouan n’était pas arrivée à imposer sa domination sur cette île.

Tout compte fait, Anjouan était un « Etat » puissant et mieux organisé pendant les règnes d’Abdallah I et d’Abdallah II. Ce dernier avait tendance à imposer son hégémonie à ses voisins . Mais, sa domination était essentiellement éphémère parce que son autorité était plus nominale que réelle. Donc, son autorité fut constamment contestée par les petits royaumes et sa tentative à la Grande Comore a subi un échec. Ainsi, les liens politiques étaient peu améliorés dans l’histoire politique de l’archipel pendant la période de sultans. Jusqu’à nos jours, il n’existe pas une véritable cohésion nationale car les frontières des « sultans batailleurs » demeurent dans les mentalités comoriennes. L’Anjouanais a l’ambition de dominer le Grand Comorien et ce dernier ne voulait pas. C’est ainsi que le Comorien ne pense jamais son pays comme un ensemble de quatre îles. Chacun conçoit l’autre de mauvais œil avec un regard plein de méfiance . Cela empêche les Comoriens de réfléchir ensemble et d’exprimer leurs sentiments. La quasi-totalité des autorités ont tendance à limiter leurs travaux aux affaires propres de chaque île et les intérêts généraux de l’archipel ont donc du mal à se faire jour. Ainsi, la situation géographique se trouve prolongée, multipliée et diversifiée par l’individualité de chacune des îles. Ce qui fait que la psychologie des sultans n’est pas encore révolue aux Comores jusqu’à l’heure actuelle. Une telle attitude nous permet de dire que la société comorienne ne vit que par et dans son histoire , sans pour autant parvenir à l’actualiser, à n’en prendre que les évènements qui puissent apporter un résultat positif et aller ainsi vers un avenir meilleur.

2. Les relations historiques

Les îles Comores étaient, pendant la période précoloniale, indépendantes les unes par rapport aux autres et les liens politiques étaient fugitifs entre les sultans. Mais les frontières des sultans ne peuvent pas donner raison au séparatisme contemporain que nous considérons factice. Car, au cours des siècles, l’archipel des Comores a connu une histoire commune fondée sur une homogénéité des aspects humains, religieux, linguistiques et sociaux. Les îles dispersées géographiquement ont tissé des liens profonds entre elles depuis fort longtemps.

63 Sur le point de vue humain, les historiens et les archéologues s’accordent à dire que le peuplement des Comores est issu d’un long brassage de populations diverses qui se sont installées à des époques différentes, introduisant avec elles leur civilisation et leur mode de vie. Mais en dépit de cette diversité issue d’origines différentes, tous les groupes sont intimement mélangés d’une façon à ce que, aujourd’hui les îles Comores ont une population homogène. Le brassage ethnique est à peu près le même dans chaque île. Les différences qui peuvent subsister d’une île à l’autre sont beaucoup moins déterminantes. Les éléments communs aux quatre îles l’emportent beaucoup plus sur les différences. D’ailleurs « c’est en raison de la diversité de la population à l’intérieur de chaque île que les disparités existaient entre les îles » 108 . Ainsi, les îles Comores partagent dans leur quasi-totalité la même population issue d’un long brassage, étalée dans le temps et l’espace, sans relents ethniques. Du point de vue religieux, l’archipel a la même tradition qui est l’Islam. A cet égard, l’Islam apparaît entièrement dominé par l’histoire parce qu’il est inséparable du passé des Comores. Le grand évènement de l’Islam aux Comores fut la venue et l’installation durable de groupes d’ascendance arabe 109 . Cette religion constitue un ciment très important car elle influence et rythme catégoriquement la vie de chaque citoyen par le respect des cinq obligations. L’Islam pratiqué aux îles appartient à l’ensemble majoritaire sunnite, Shaféite. L’Islam constitue un point important dans les liens historiques des comoriens car il s’exerce sur les aspects de la vie sociale et politique d’une façon très conservatrice. Du point de vue linguistique, l’archipel partage depuis longtemps la même langue, le comorien, apparentée au Swahili et mêlée des vocables arabes. Cette langue est couramment parlée dans l’ensemble de l’archipel avec quelques légers accents (particularités) propres à chaque île. Cependant, l’intercompréhension entre les locuteurs de quatre îles est patente comme disait Haribou que « l’intercompréhension entre les comoriens de quatre îles est indéniable, même si elle présente parfois quelques difficultés » 110 . Donc, la langue comorienne ( Shicomori ) est une langue parlée et comprise d’un bout à l’autre dans l’archipel et constitue une valeur profonde et un reflet pour la construction de l’unité comorienne.

Du point de vue culturelle, la civilisation Comorienne est faite d’éléments essentiellement africains remaniés ou bouleversés au cours des siècles par les apports Arabo- islamiques et européens. En effet, l’archipel avait le même impact de la tradition orale sur la

108 HARIBOU(A) et CHAGNAUX (H), les Comores : Que sais-je ? PUF, 1985, p.42 109 ROBINEAU (Cl) « l’Islam aux Comores, une étude d’histoire culturelle de l’île d’Anjouan », Université d’Antananarivo 1967, p.40.

64 vie culturelle. Comme l’a montré Daniel Ahmed (café) que « Une partie de l’histoire comorienne est véhiculée par une tradition orale qui constitue le reflet de la civilisation comorienne. La société comorienne traduit la vie communautaire à travers la parole car la culture comorienne offre à chaque enfant une quantité de contes, de légendes et de traditions, communs aux quatre îles »111 . Aussi la musique et la danse sont présentées dans toute la vie sociale de l’archipel par exemple : Le biyaya, le Shigoma, Zifafa, Ngoma ya Nyombé, Troumba …, sont presque appliquées dans toutes les îles. Donc on assiste à une diversité de cultures qui imprégnait la vie des quatre îles de l’archipel pour la consolidation de l’unité nationale. Sur le plan social, depuis des temps immémoriaux, les mariages inter-îles sont nombreux. Les mariages entre les îles sont très fréquents et exemplaires en terme de solidarité. Il est très difficile pour un comorien avisé et digne de l’être, de comprendre qu’il existe des critères définis qui font qu’un tel soit Anjouanais, Mohélien, Grand Comorien ou Mahorais. Donc, même si ces critères sont déterminés, ils ne seront jamais ni objectifs, ni effectifs pour permettre de faire une classification exacte de l’origine précise insulaire des uns et des autres. L’ amalgame est si fort que l’on trouve tant de personnes, natives d’une telle île (Anjouan par exemple), mais dont les parents sont d’origines différentes (l’un issu de la Grande Comore par exemple , l’autre de Mohéli etc. ).

En somme, l’archipel des Comores n’a pas de frontières du fait que les liens familiaux sont nombreux et traduisent bien le sentiment d’avoir les mêmes origines, la même langue, la même civilisation et la même histoire. Donc, la montée du séparatisme de 1997 est une stéréotype, et une mythologie politique.

III. ANJOUAN DANS LA LUTTE POUR L’INDEPENDANCE

1. Les prémices de la lutte

A partir de 1912, l’île d’Anjouan, comme les autres îles de l’archipel, était devenue purement et simplement une colonie française. Mais, dans les années soixante les événements

110 HARIBOU et CHAGNAUX , Idem p.44. 111 - DANIEL AHMED (café), La littérature comorienne de l’île d’Anjouan. Essai de classification et de traduction des genres littératures oraux et écrits , Doctorat, Etudes africaines, INALCO, Paris, 4 vol,.2000, p. 23.

65 pour l’émancipation, la libération, et la fin de « l’Oppression coloniale », et la domination étrangère, vont bel et bien s’accélérer à Anjouan. Pendant le période coloniale, Anjouan, une île aux dimensions réduites et surpeuplée, voit sa population s’appauvrir de plus en plus. Cette paupérisation est la conséquence du manque de terres et de l’absence d’une politique de développement intégré 112 . En effet, dès 1893, les planteurs Bouing et Regouin prennent le contrôle de l’ancienne propriété du sultan Abdallah III, à Bambao, puis créent la société coloniale de Bambao. Cette société possède 14 010 hectares à Anjouan (soit environ 37% de l’île). En 1900, Jules Moquet achète (à un pris dérisoire) 12 000 hectares dans la presque île de Nyumakelé.113 A coté de ces grands domaines coloniaux, il existait de petits domaines restreints. Ainsi, la dépossession avait pris une ampleur considérable dans l’île d’Anjouan. Dans cette île aux territoires restreints, les concessions restreignaient encore l’espace villageois. Toute la période qui va de 1912 à 1940 fut celle de l’apogée de la colonisation foncière triomphante à Anjouan, malgré les soubresauts de 1940 qui marquèrent la révolte de Nyumakele.114 Le contexte foncier réduisit le relèvement de la situation économique de l’île et aggrave davantage les conditions d’existence longtemps précaires. Une telle situation ne pouvait que nourrir un climat de revendication et d’incertitude, car la pression démographique s’accentuant, les problèmes des domaines couvrent plus de trois quarts de surfaces cultivables. En plus, les habitants cultivaient les terres contribuant à la mise en valeur des domaines, mais le salaire fourni à la main d’œuvre était faible. De ce fait, les Anjouanais se sentent de plus en plus lésés par le système colonial

Par ailleurs, le système politique de la période coloniale ne tenait pas compte de la situation socio-économique de chaque île. Le système coloniale se contente d’une administration cloisonnée, hyper centralisée et inadaptée à la situation géographique, politique et économique des îles de l’archipel. Ainsi, l’administration coloniale était fortement centralisée à Moroni . Le centralisme n’est pas le modèle idéal à adopter dans un archipel au même titre que les comores. Mais, ce modèle favorise bien les colonisateurs.

112 AINOUDINE Sidi, Tableau de l’île comorienne d’Anjouan dans les années soixante, Revue historique des Mascareignes , 4 ème année, N°4, 2002, p.120. 113 Idem, p. 121. 114 Il est à noter que le développement des appropriations, à peu près incontrôlé au début de la colonisation connaît toutefois quelques freins à cause de la révolte de 1915 à la Grande Comore et celle de 1940 à Anjouan. Pour plus d’amples informations, voir AINOUDINE Sidi, Dépossession et conscience foncière aux Comores , thèse ,nouveaux régime, INALCO ,1993, p. 800.

66 Il en est de même de la plupart des activités tertiaires qui étaient centralisées à Moroni : la caisse centrale de coopération économique, la banque de Madagascar et des Comores, la compagnie française d’entreprise , le Shell, la société commerciale des Comores etc. ,avaient leur siège local à Moroni 115 . Une telle situation qui a des répercutions aujourd’hui, rend la population anjouanaise indocile vis-à-vis du pouvoir colonial. La répression et les préjugés sociales véhiculés par le système colonial n’ont pas aussi laissé les Anjouanais indifférents. Ces derniers se sentent ainsi lésés par le pouvoir colonial et l’indépendance semble une bonne affaire. C’est pourquoi, ils reprennent en compte les revendications progressistes, surtout de Mouvement de la Libération Nationale des Comores, le (MOLINACO) qui avait intensifié le combat contre le colonisateur dans les années soixante. Accablée par la misère, la population anjouanaise se ralliera donc massivement à l’idée de l’accession du pays à l’indépendance. Les habitants de cette île étaient largement favorables à l’adhésion indépendantiste parce qu’ « ils ont espéré et cru aux idées généreuses de justice et d’égalité, au progrès, à la société plus libre, plus démocratique et plus respectueuse aux droits de l’homme. Cette population avait aussi l’espoir d’être gouvernée par des hommes authentiques dont la légitimité ne viendrait pas d’ailleurs »116 . Sur ce point, la population anjouanaise a fini par comprendre qu’il fallait changer le système, et que l’avenir et l’espoir sont conditionnés par l’accession des îles à l’indépendance. De plus, la quasi-totalité de la population anjouanaise avait pensé substituer l’autorité coloniale à des hommes qui seraient venus d’eux-mêmes . Mais, en vingt-deux ans d’indépendance, le pouvoir Comorien n’a pas pu établir de différences avec le système colonial. Ce qui a suscité paradoxalement la montée du séparatisme contemporain du fait de la complexité du contexte socio-économique et politique du pays.

2. La place des élites anjouanaises dans la lutte :

Toute l’histoire politique de l’île comorienne d’Anjouan dans les années soixante, période de la prise de conscience du peuple Comorien, fut dominée par deux grandes figures : Ahmed Abdallah et Mohamed Ahmed. Ces deux personnes furent tantôt des alliées, tantôt des opposées. Ces figures ont joué un rôle non négligeable dans le processus pour l’indépendance.

115 AINOUDINE Sidi, Tableau de l’île comorienne d’Anjouan dans les années soixante, Revue historique des Mascareignes ,4ème année, N° 4 -2002, p.130.

67 D’abord, la forte personnalité d’Ahmed Abdallah, né le 12 juin 1919 à Domoni (Anjouan) dans une famille de nobles. Il a fréquenté l’Ecole régionale de Majunga (Madagascar) jusqu’à la troisième année, mais en sort sans aucun diplôme. Il est un propriétaire préparateur de vanille et gérant d’une société d’importation de riz avant d’entrer en politique. En 1946, il est élu conseiller général, et devient, la même année, président des conseillers. Il sera régulièrement réélu à l’Assemblée territoriale jusqu’en 1972. Il est élu conseiller de l’Union française le 04 Novembre 1953. Il est élu sénateur le 26 Avril 1959 par 22 voix sur 31 votants .Il est réélu le 22 septembre 1968 par 49 voix sur 61 votants. Il est également élu président de la chambre des Députés des Comores le 02 Avril 1970 en remplacement du prince Saïd Ibrahim qui prend la fonction du président du conseil du gouvernement après la mort de Saïd Mohamed Cheick. Mais les élections du 06 juin amènent une nouvelle majorité, et Ahmed Abdallah perd son siège de président, mais reste toujours au palais Bourbon en France. Le 22 Décembre 1972, l’Assemblée territoriale le désigne comme successeur de Saïd Ibrahim avec comme mandat « négocier l’accession des Comores à l’indépendance dans l’amitié et la coopération avec la France ». Après l’échec des accords de 1973, et les tergiversations de l’autorité coloniale conséquentes au référendum de 1974, Ahmed Abdallah, en tant que président de conseil de gouvernement, proclame l’indépendance des Comores le 06 Juillet 1975 117 . Ainsi, Ahmed d’Abdallah s’est relevé comme étant une personnalité forte dans sa trajectoire politique depuis la période coloniale. Il a le prestige d’avoir fréquenté le colonisateur en occupant plusieurs postes, et d’avoir épousé ses valeurs. Donc, Ahmed Abdallah n’était pas dans les années soixante, un combattant du nationalisme comorien. Il rejoint ce camp tardivement, dans la décennie soixante dix. En effet, lorsque les événement et les actions vont se précipiter pour l’indépendance, Ahmed Abdallah élu à la présidence du conseil du gouvernement ( 22 décembre 1972) comprit tout l’enjeu de militer pour l’indépendance du pays afin de se maintenir au pouvoir. Dès lors, il était déterminant et ambitieux à l’idée de l’accession de l’indépendance des Comores. Après plusieurs tergiversations de la France sur la question Mahoraise et avec les efforts et les tentatives louables pour la recherche de compromis, Ahmed Abdallah proclame l’indépendance le 6 Juillet d’une manière unilatérale.

116 AINOUDINE Sidi, Tableau de l’île comorienne d’Anjouan dans les années soixante, Revue historique des Mascareignes , 4ème année, N° 4 -2002, p. 122. 117 Nous avons pris cette biographie dans le livre de MOHAMED Ibrahim, la naissance de l’élite politique comorienne (1945-1975) , mémoire de D.E.A, Sorbonne ,1997, p.129.

68 De ce fait, l’Anjouanais est entré dans l’histoire politique comorienne comme le héros, le père de l’indépendance. Sur ce, il a pris une place de premier choix dans la lutte contre la domination française dans la décennie soixante dix. Celui-ci est devenu le premier chef de l’Etat des Comores indépendants. Un mois après qu’il ait proclamé l’indépendance, il est renversé par Ali Soilihi le 3 août 1975. Il reprit le pouvoir à Ali Soilihi le 13 mai 1978 avec le concours des mercenaires dirigés par Bob Denard. Pour conserver le pouvoir et se protéger contre d’éventuels coups d’Etat, il s’entoure des mercenaires. Pendant onze ans (1978-1989), l’autorité d’Abdallah est plus forte que jamais. Elle écrase non seulement les hommes politiques mais aussi les institutions constitutionnelles. Ahmed Adballah a adopté une constitution fédérale en 1978, laquelle aménage pour lui un pouvoir exécutif fort et dominant. La présidence de la république reste le lieu unique du pouvoir. Le président s’occupe de tout, régente toutes les situations et décide de tout, pour asseoir son autorité personnelle. Abdallah, originaire d’Anjouan, a beaucoup contribué à renforcer la centralisation du pouvoir politique à la Grande Comore durant toute sa période. Par conséquent, l’accentuation du centralisme n’est pas le seul fait des Grands Comoriens mais aussi celui de toute l’élite politique comorienne sans distinction d’origine. L’élite politique anjouanaise a largement contribué à centraliser l’autorité politique à Moroni en fonction de ses propres intérêts ( politiques ou économiques ) qui rejoignent alors ceux des élites des autres îles.

Ensuite, Mohamed Ahmed né le 2 Juillet 1917 à Mutsamudu (Anjouan), est issu également d’une famille noble. Il fait ses études primaires à Mutsamudu avant de rejoindre l’école régionale de Majunga, et d’entrer à l’école le Myre de Villers . Il commence par intégrer l’administration territoriale en tant que gouverneur de son île natale en 1948. Curieusement, il n’est élu au conseil général de l’archipel qu’en 1957. Mais la même année, le 13 Août 1957, alors qu’il est conseiller économique et social, il est désigné comme vice- président du conseil du gouvernement. C’est ce poste qui va favoriser son ascension politique jusqu’à l’Assemblée nationale française. Le 08 Mars 1959, il est réélu conseiller territorial, et désigné de nouveau vice-président du conseil de gouvernement, chargé des affaires financières. Il est élu à la chambre des Députés des Comores en Avril 1962. La même année, il cède sa place de vice-président à Saïd Mohamed Cheick, qui va devenir président du conseil. Mohamed Ahmed devient alors membre du conseil économique et social, et député à l’Assemblée nationale jusqu’en 1975 118

118 - MOHAMED Ibrahim, La naissance de l’élite politique comorienne (1945-1975 ) , mémoire de D.E.A, Sorbonne , 1997, p.133.

69 Ainsi, dans la trajectoire politique de Mohamed Ahmed, nous ne voyons pas des traces de luttes pour l’indépendance. Mais d’après les enquêtes que nous avons effectuées auprès de ses anciens fidèles 119 , il est allié d’Ahmed Abdallah dans la décennie soixante dix et était ministre de finances dans le premier gouvernement de celui-ci . De plus, ses interventions à l’Assemblée de Bourbon sont souvent agressives et hostiles envers la colonisation française aux Comores. Ce qui nous permet d’en déduire que Mohamed Ahmed rejette en bloc, avec Ahmed Abdallah le modèle français dans la décennie soixante dix. Il a participé au basculement du destin des Comores. Donc, Mohamed Ahmed a pris une part aussi dans la lutte pour l’indépendance, malgré son attachement à la France. Pendant la période post- indépendance, il a aussi contribué à renforcer le centralisme à la Grande Comore. Il est parmi les élites les plus influents dans le premier régime d’ Ahmed Abdallah.

Tout compte fait, les élites anjouanaises ont joué dans la décennie soixante dix un rôle de premier plan dans la lutte pour l’accession des Comores à l’indépendance. Toutefois, plus de deux décennies après l’indépendance unilatérale, la question de la pertinente indépendance se pose à Anjouan. Ce qui pourrait paraître paradoxal au regard de l’émergence du séparatisme du fait que les Anjouanais ont embrassé cette fuite en avant (l’indépendance), et les élites politiques anjouanaises ont largement contribué au centralisme excessif à Moroni. Une large adhésion à l’idée de l’indépendance parait en 1997 comme une erreur qu’il faut vite réparer. Certains des Anjouanais vont même jusqu’à envier ceux qui ont voulu rester dans le giron de la France.

119 Témoignage d’Afraitane et d’ Ali Charif, amis fidèles de Mohamed Ahmed, interview fait le 11 Mars 2005 à Ouani.

70 CHAPITRE IV : LES DECEPTIONS DE L’INDEPENDANCE FEDERALE A ANJOUAN .

Dans la décennie soixante dix, les Anjouanais se sont engagés dans la lutte pour l’indépendance. Cette dernière est synonyme de libération, d’émancipation et de progrès. En 1975, date de l’accession des Comores à l’indépendance, les Anjouanais se sont mis à espérer et à croire en l’affirmation nationale. Mais, plus de deux décennies , l’indépendance tant embrassée a déchanté les Anjouanais. Certains d’entre eux braquent les yeux sur l’ancienne puissance coloniale. Est-ce qu’après l’indépendance, le pouvoir entre les mains des Comoriens a modifié les méthodes reprochées aux colonisateurs ? Que regrette aujourd’hui le mouvement séparatiste anjouanais, par rapport à l’indépendance des Comores ? Notre approche consiste d’abord à voir l’organisation de l’administration, ensuite les institutions symboliques, et enfin l’absence de développement.

I. L’ORGANISATION DE L’ADMINISTRATION

L’administration est l’unité de base de toutes les réalisations économiques, et elle est en même temps la charnière des orientations politiques et sociales. Aux Comores, cette administration est centralisée et corrompue.

1. Le centralisme

Le concept de centralisme se fonde sur un système d’organisation administrative qui entraîne la centralisation de tous les pouvoirs de décisions et d’autorités dans un lieu unique (île, province, région, etc) . Est-ce que c’est le cas de la République Islamique des Comores (1975-1997) ? Et en quoi cela a mécontenté les Anjouanais ? Vingt deux ans durant, avant le séparatisme de 1997, les différents régimes ont mis en place une administration fortement centralisée, hormis Ali Soilihi 120 . Le centralisme qui était

120 Ali Soilihi est né le 07 janvier 1937 à Chouoini à la Grande Comore. Descendant d’une famille modeste, sa mère l’amène très jeune à Madagascar. Il y passe ses études dans le meilleur lycée de l’époque : le lycée de Gallieni d’Antananarivo jusqu’en seconde. Il a poursuivit des études à l’Institut de Recherche Agronomique Tropical (IRAT). Le 3 août 1975, il renverse Ahmed Abdallah pour instaurer un pouvoir révolutionnaire et laïc. Le 28 mai 1978, il est assassiné par les mercenaires sous le patronage d’Ahmed Abdallah.

71 une réalisation remarquable du système colonial est devenu une pratique du pouvoir post- colonial parce que la classe politique qui s’apprêtait à prendre les responsabilités depuis 1975 est celle formée par le colonisateur. Cette classe politique épouse les valeurs françaises qui restent des valeurs modèles même après l’indépendance. Le pouvoir entre les mains des Comoriens n’a pas modifié les méthodes reprochées aux anciens colonisateurs. Les élites politiques post-coloniales centralisent tout, sauf la période révolutionnaire d’Ali Soilihi qui avait essayé de rapprocher l’administration à l’individu en instaurant une décentralisation effective par le système de « Moudiria »121 . Il est à noter que dans la période révolutionnaire, même le petit paysan commençait à savoir que l’Etat est ce que l’on voit concrètement des yeux. Une idée à vouloir s’autogérer a gagné du terrain. Comme disait Ali Soilihi « l’histoire est le seul juge », et dans le toile de fond, selon lui, un jour viendra où le centralisme n’aura pas de place et les Comores seront condamnées à l’explosion. Ce régime d’Ali Soilihi était pertinemment conscient que l’unité de l’archipel volerait à l’éclat sans une décentralisation effective du pouvoir politique et économique 122 .Le séparatisme de l’île d’Anjouan est là pour prouver cette affirmation parce qu’ en 1997, les Anjouanais ont crié sur le centralisme excessif. Il convient de souligner qu’Anjouan n’est pas la seule victime de ce centralisme, ce qui fait que le séparatisme ne s’est pas développé seulement dans l’île d’Anjouan. Mohéli, la plus petite des îles a emboîté le pas aussi le 11 Août 1997 en proclamant à son tour l’indépendance de l’île. Les séparatistes mohéliens nomment même un président et réclament aussi le rattachement de l’île à la France. Toutefois, le mouvement séparatiste mohélien avait énormément divisé les élites politiques de cette île. La solidarité n’était pas forte en cette période, par rapport à celle des Anjouanais. Donc, le mouvement mohélien n’a pas eu un écho considérable. Le centralisme cause ainsi beaucoup de désagréments fâcheux vu l’insularité qui n’est pas un déterminisme, mais inadapté à la réalité tant géographique qu’économique et politique des îles. D’après les enquêtes que nous avons menées 123 , les directions administratives régionales d’Anjouan n’ont aucune autonomie de conceptions et de décisions. Ce sont des directions vides d’attributions et sans compétences. Il fallait attendre l’aval du Directeur Général résidant à Moroni pour pouvoir effectuer une dépense de moins de 1000 FC. Le

121 Moudiria est une subdivision du district, animé par un moudir, un complexe administratif implanté sur des espaces géométriques bien calculés. Ce moudiria qui est indispensable au fonctionnement d’une administration décentralisée est mis en place en 1976 par Ali Soilihi dans le but de mettre une administration au service du peuple. Pour plus de détails, voir le Mémoire ci-dessous (KAISSI Abdallah pp. 53-56). 122 - KAISSI Abdallah, Contribution à l’histoire de l’expérience révolutionnaire d’Ali Soilihi aux Comores (1975-1978), Mémoire de Maîtrise à l’Université de Toamasina, 2001-2002 , p .142 123 - Des enquêtes faites auprès de SAFAOUIDINE Sidi , MOUSSIAMBOU Halidi, MOHAMED Oussène…

72 pouvoir n’était pas à coté de la population anjouanaise et les fonctionnaires de l’île attendaient tout de Moroni car le pouvoir était confisqué là-bas. Un Anjouanais quitte impérativement son île non seulement pour aller travailler à Moroni, mais aussi pour effectuer le moindre acte administratif ou régler certaines formalités de la fonction publique. Anjouan et Mohéli assistent, impuissamment, à l’exode de leurs populations vers la Grande Comore et à la réduction progressive de leurs activités économiques. De plus, l’accumulation à Moroni de toutes les fonctions politiques, administratives et financières d’une part, les fonctions diplomatiques et les grandes sociétés privées d’autre part constituent un blocage pour les autres îles, en particulier Anjouan, et un atout pour le développement économique et social de la Grande Comore. Les disparités de développement entre Anjouan et la capitale fédérale furent perçues par les Anjouanais comme la conséquence du pouvoir centralisé. Le taux de pauvreté est de 62,1% pour Anjouan, alors qu’à la Grande Comore , il est de 41,1%. Cet état de fait qui s’amplifie de jour en jour accentue le déséquilibre socio-économique entre les îles. L’archipel est resté une administration hyper centralisée depuis 1978 et cette centralisation, disons excessive, est une démarche qui renforce les réactions centrifuges. Mais, les élites anjouanaises ont, elles aussi, joué un rôle capital dans ce centralisme. L’exemple du défunt président Ahmed Abdallah est évident. C’est l’Anjouanais qui a posé les jalons de la centralisation contemporaine. C’est l’héritage du passé administratif de la France actualisé par une élite au pouvoir qui s’enrichit grâce à la centralisation des moyens du gouvernement, pendant onze ans. La centralisation des pouvoirs économiques et politiques a atteint le summun à tel point qu’elle menace le pays à l’éclatement. Il est aberrant qu’un Anjouanais quitte son île juste pour faire légaliser une signature à la chancellerie du Ministère des affaires étrangères à Moroni. Le centralisme à outrance, de certains aspects de l’administration, a contribué à l’avènement de la crise de 1997, mais les élites anjouanaises sont les premières responsables de la dégradation de leur île.

2. La nature de l’Etat

Dans le contexte comorien, la nature de l’Etat est un phénomène très ambigu et difficile à appréhender. La notion de l’Etat aux Comores est -elle différente de celle d’Afrique en général ? L’Etat en Afrique se caractérise par la violence, la tyrannie, l’autoritarisme, le parti unique. Les Comores ont connu tous ces systèmes. En réalité, après vingt-deux années d’indépendance, la République Fédérale Islamique des Comores a connu des régimes

73 politiques fortement autoritaires, dictatoriaux et souvent entièrement corrompus. Par exemple, le régime révolutionnaire du feu président Ali Soihili était entièrement dictatorial. Les partis politiques, les syndicats et associations de jeunes étaient interdits, et toute la population devait obéir aux comités locaux ( commandos Moissi ) qui brutalisaient et réprimaient toute velléité démocratique. C’était le régime de la pensée unique et de la terreur. Mais ce régime était soucieux de l’avenir des simples gens. A l’inverse, le retour du président Ahmed Abdallah et l’accueil triomphal de ses mercenaires allaient ouvrir une nouvelle étape historique. On retourne alors à un Etat fortement centralisé, et en plus, dictatorial, dominé et contrôlé par des mercenaires qui entraînent le pays et tous les secteurs vitaux dans l’inquiétude et la terreur généralisée. Ce régime aime les coutumes sans pour autant faire confiance aux Comoriens. En effet, c’était un régime dominé par les représailles des mercenaires durant onze ans. Aucun de ces systèmes n’a fait l’affaire des Anjouanais car ceux-là ont mécontenté les habitants et ont constitué une bombe à retardement qui a fini par éclater au grand jour. En 1997, les habitants d’Anjouan s’insurgent contre les autorités de Moroni et demandent d’être rattachés à la France. Certains autres semblent envier le sort des insulaires de Mayotte qui ont une vie relativement stable.

La réalité de l’Etat aux Comores se manifeste d’abord comme enjeu de la lutte pour le pouvoir. En effet, depuis l’accession du pays à l’indépendance, l’élite politique a concentré uniquement tous ses efforts dans l’optique de conserver et d’arriver au pouvoir. La classe politique, dans la période post-coloniale, a fait rejaillir toutes les contradictions au sommet de l’Etat autour de l’accès au pouvoir. La plupart du temps, la recherche du pouvoir se fait par la force des armes mais non par la compétition aux urnes. Il est donc à noter que l’archipel est le lit du recours sans précédent aux mercenaires dès 1975. L’assassinat d’Ali Soilihi en 1978, celui d’Ahmed Abdallah en 1989 sont des exemples typiques à cette approche. Mais est-ce que ces présidents assassinés avaient une popularité à Anjouan ? A vrai dire, les Anjouanais les voyaient du mauvais oeil, vu la conduite contestée de la nature de l’Etat qui ne laisse aucune marge de manœuvre à la vie individuelle et collective. Donc, tout cela constitue une profonde frustration de la part des Anjouanais qui se sentent toujours lésés face à ses autorités. Il semble que la terreur infligée aux chefs d’Etat comorien est l’œuvre des « services secrets français », avec la participation des élites comoriennes. L’insécurité de l’Etat et la violence sous toutes ses formes, sont des actes contraires aux intérêts nationaux .

74 De surcroît, suite à l’accès au pouvoir, la propension à l’accumulation des richesses est patente, si l’on en croit cette affirmation de J. F. Médard : « rechercher le pouvoir c’est aussi rechercher la richesse puisque l’un mène à l’autre et réciproquement. Le capital matériel et le capital symbolique jouent en interaction et l’échange économique se combine avec l’échange social »124 . J. F. Médard entend décrire ici les caractéristiques des Etats d’Afrique noire dont l’archipel des Comores, sinon la classe politique comorienne constitue un exemple de référence. A cet égard, l’importance stratégique de l’accès à l’Etat qui se caractérise par la compétition politique conditionnée par le moyen de la compétition économique est évidente dans la mesure où faire de la politique aux Comores est devenu pour les élites dirigeantes un moyen de satisfaire les ambitions personnelles et familiales : « la quasi-totalité des autorités ont tendance à limiter leurs travaux et leurs interventions aux affaires propres , familiales et les intérêts généraux de l’archipel ont du mal à se faire jour »125 . A travers cette affirmation, la classe politique se détermine d’abord par rapport à sa personnalité et sa famille voire à son village, mais rarement par rapport à la nation. Les dirigeants se préoccupent de plus en plus de leurs propres ventres au détriment de la majorité, surtout de la couche la plus démunie. Cette « politique du ventre »126 qui est la tendance à l’enrichissement, renvoie très largement aux pratiques dites de corruption et au patrimonialisme. Les autorités traitent toutes les affaires politiques, administratives, comme s’il s’agissait des affaires personnelles, de la même façon qu’ils exploitent leurs domaines comme s’il s’agissait de propriétés privées 127 .Ces pratiques sont courantes dans les comportements des dirigeants comoriens. Ce qui fait que la réussite sociale aux Comores suppose l’accès à la « bourgeoise directoriale » ou à ses couloirs. C’est donc pour cette raison que les responsables de l’Etat se sont rendus coupables de détournement de fonds publics parce que toute richesse essentielle passe par l’Etat et la tentation est forte de manier l’argent public à sa guise dès lors qu’on dispose du pouvoir. Cette conception « consommatrice » de la chose publique amène le pays au bord du désastre et constitue une cause pour le séparatisme anjouanais. Car c’est une minorité qui bénéficie de la manne de l’Etat et qu’une large majorité de la population anjouanaise vit en dessous du seuil de la pauvreté. En d’autres termes, l’action de l’Etat est développée, non en fonction des nécessités vitales de la population, mais conformément aux voeux du président.

124 (J.F) MEDARD, Etats d’Afrique noire : Formations, mécanisme et crise , Kartala , Paris, 1991, p. 343. 125 Rapport de la Banque Mondiale aux Comores, 1995, p. 4. 126 (J.F) BAYARD Cité par ( J F) MEDARD, Idem, p. 329. 127 ( J. F) MEDARD, Idem, p. 327.

75 Les autorités politiques, dans l’exercice de leurs fonctions officielles, ne font qu’accentuer les tiraillements et la méfiance entre la population des différentes îles à tel point qu’aujourd’hui, la majorité des populations prêche la séparation. Anjouan condamne donc la forme de gouvernement tyrannique du passé et la mauvaise gouvernance. Bref, la nature de l’Etat comorien est un « Etat centrifuge », c’est-à-dire un Etat qui crée ses propres dissidences dès lors qu’il pousse trop loin sa volonté de domination sur le tissu social 128 .

3. La forme du protectorat intérieur

L’indépendance qui est synonyme de libération, n’était pas vraisemblablement préméditée, c'est-à-dire qu’on n’avait pas pensé préalablement à la bonne gestion de la période post-coloniale. Raison de plus, les Comores sont un pays géographiquement divisé en quatre îles. Tout est installé à la capitale fédérale, Moroni. Dès 1978, la constitution, en son article trois, prévoit une décentralisation avec la dénomination du fédéralisme. La réalité est que tout se décide à Moroni et les autres îles, en particulier Anjouan qui est la deuxième de l’archipel en superficie et en infrastructures de base, ne dispose d’aucune représentation diplomatique. Anjouan servait de grenier pour le pouvoir central. D’ailleurs avec le système de gouvernement, même la moindre décision concernant le budget de fonctionnement, doit toujours émaner du pouvoir central. Ce qui explique le malaise des administrateurs résidant à Anjouan dans la mesure où le poids centralisateur pesait dans tous les sens. En effet, toutes les recettes fiscales et non fiscales y compris celles procurées par les impôts directes à Anjouan sont envoyées à Moroni. Ce qui montre que les administrateurs résidant à Anjouan n’avaient aucun pouvoir financier. Une telle situation a engendré un climat de frustration chez les Anjouanais dans la mesure où leurs maigres ressources partent pour la Grande Comore ; alors que les difficultés quotidiennes sont énormes dans leur île. Toutefois, ce qu’il faut souligner ici, c’est que de 1978 à 1989, le président de la République était un Anjouanais en la personne d’Ahmed Abdallah . Comment appréhender cela ? Ce n’est pas le fruit du hasard quand on sait que la légitimité symbolique était de grande importance et encore c’est à la Grande Comore que la notabilité est très bien ancrée dans les esprits des gens. Donc pour le feu président Abdallah, il n’y avait milles solutions

128 « Etat centrifuge », cité DANIEL Bourmaud, Etats d’Afrique noire de J F MEDARD, Kartala, 1991, p. 11.

76 que de se pencher sur cette route pour pouvoir aussi longtemps que possible se maintenir au pouvoir. Ce qui montre que le centralisme n’est pas le fait des Grands Comoriens, ni de la Grande Comore mais des élites comoriennes dans l’ensemble,surtout ceux qui exercent le pouvoir d’Etat dans la capitale fédérale. Ce qui fait que le centralisme est devenu une mystification idéologique et politique. Abdallah a sacrifié Anjouan dans tous les domaines, et voilà bien cette île, est devenue depuis là une forme symbolique administrative avec les institutions en place. D’un moment à l’autre, cette situation n’arrange pas l’affaire de la population anjouanaise appelée à migrer vers les autres îles, en particulier à la Grande Comore. Soulignons que les recettes sont toutes d’ordre fiscal et ne sont plus réinvesties dans l’île. Ce qui nous amène à penser que l’élite au pouvoir s’enrichit grâce à la centralisation des moyens du gouvernement. La part des politiciens anjouanais au pouvoir à cette défaillance est évidente, du fait qu’ils voulaient préserver leurs intérêts qui passent avant toute autre chose. En définitive, Anjouan avec un gouverneur qui représente le président n’avait aucun pouvoir, sinon il est là pour veiller à la rentrée fiscale. Donc une machine à faire pression sur la population, mais pas à les inciter à n’importe quel démarrage de développement. L’île était ignorée, et il était difficile de persuader (Moroni) la capitale de céder un pouce de pouvoir de décision, et de partager entre les régions de l’archipel les avantages et les responsabilités qui en accompagnent l’exercice. Ainsi, les ambitions divisent les hommes politiques, ce qui fait que la construction nationale n’a jamais fait un objet d’études. L’idéal était de renforcer les divisions insulaires en instaurant un protectorat, disons intérieur.

II. LES INSTITUTIONS SYMBOLIQUES

1. La Représentation du fédéralisme

Dès l’année 1978, avec le retour triomphal au pouvoir d’Ahmed Abdallah, l’Etat comorien est connu constitutionnellement comme étant un Etat fédéral. Anjouan vit dans le cadre fédéraliste d’une République Islamique depuis 1978. Ce fédéralisme donna des raisons à la population anjouanaise d’espérer parce que cette fédération offre la possibilité pour l’île de préserver son identité en gérant ses propres affaires, et de mettre au profit ses atouts. De plus, le fédéralisme est vu comme la preuve que la diversité n’est pas un problème mais il est une force pour le pays, et le seul moyen d’échapper au piège de la balkanisation de l’archipel.

77 Toutefois, cette vision était déconsidérée par la classe politique comorienne de façon à ce que l’Etat est resté un fédéralisme théorique et non de fait. En effet, les compétences qui devaient revenir à Anjouan n’ont jamais été transférées. Les quelques mesures de décentralisation(élection de gouverneurs et de conseillers), réalisées depuis 1978 n’ont aucune portée. L’île qui est reconnue comme une entité autonome restait une forme juridique parce que le gouverneur de l’île qui avait comme mission de présider au destin de l’île dans l’ensemble fédéral est vidé de sens. Comme disait Djabir : « Les compétences dévolues au profit de gouvernorat n’ont pas été accompagnées d’un transfert de moyen nécessaire à la gestion autonome des affaires de l’île ». 129 L’autonomie attribuée à l’île est limitée du fait que l’Etat central a tenu à limiter les ressources financières. Le gouverneur n’a les moyens ni la possibilité de gérer l’île, c'est-à-dire que les ressources propres du gouvernorat d’Anjouan sont réduites à la portion congrue par l’Etat. Sur ce, les facteurs d’équité et de bonne entente entre l’Etat Comorien et les Anjouanais n’existent pas parce que la multiplication des ingérences fédérales aboutit à l’effacement complet de l’autonomie de l’île d’Anjouan, et a vidé le fédéralisme de sa subsistance, pour ne pas garder que la forme juridique. A cet effet, l’échec du système fédéral exécutif des Comores est causé par l’incapacité de la pseudo fédération unitaire mise en place pour administrer la diversité sociale. Pour être plus précis, l’échec du fédéralisme aux Comores peut être attribué davantage à son caractère non démocratique plutôt qu’à son caractère fédéral. Ceci suppose que des processus démocratiques complets sont un préalable fondamental à des organisations politiques de types fédéral 130 . L’organisation fédérale ne peut pas cohabiter avec un pouvoir qui ne se partage pas, despotique et arbitraire. En 1978, Ahmed Abdallah a instauré le système fédéral aux Comores. Mais, dans la foulée, il a modifié les caractères démocratiques du pouvoir fédéral en aménageant pour lui un pouvoir fort, dominé par les mercenaires avec des techniques permettant de placer les « îles fédérées » sous surveillance. Cependant, l’Anjouanais, exclusivement soucieux de la préservation de son pouvoir personnel, n’a pas su être l’artisan de la fédération. Il coupe court à une réelle application du fédéralisme et entretient le népotisme. Cette approche à court terme et démagogique de la vie politique et sociale comorienne détruit sans coup férir l’avantage issu de l’indépendance. Il est permis de penser que la fédération comorienne est victime de l’absolutisme d’Ahmed Abdallah et des autres élites politiques.

129 Abdou Djâbir , Les Comores : Un Etat en construction , l’Harmattan, 1993, p. 127. 130 Idem, p. 125.

78 La crise qui secoue les Comores est le résultat des inégalités entre les différentes circonscriptions administratives (entre les îles, zones rurales et urbaines etc.), du niveau de vie de la population, et même de la situation précaire au niveau macro-économique. Les disparités de développement des îles, surtout de la Grande Comore et d’Anjouan, sont devenues la pomme de discorde qui s’est transformée en instabilité chronique qui alimente la propagande démagogique du mouvement séparatiste de 1997. Ainsi, l’échec du fédéralisme se traduit par la révolte et l’éclatement, du fait que les droits qui devaient revenir à l’île d’Anjouan sont bafoués et ridiculisés. La prise de conscience de particularismes insulaires était totalement oubliée par les autorités locales. Ce qui montre qu’une faiblesse indélébile s’inscrit dans la conscience des autorités politiques.

2. Le pouvoir législatif et judiciaire

Jusqu’en 1997, les pouvoirs judiciaire et législatif sont mal exercés dans l’ensemble des Comores et en particulier à Anjouan . En cette date, les Anjouanais s’insurgent contre les injustices et les humiliations perpétrées par les autorités comoriennes en se rattachant à la France, un pays dit de justice, d’égalité et d’équité 131 . Il convient de souligner que l’apparition du mouvement séparatiste qui fissure l’unité de l’archipel, remettant en cause l’Etat ,est un processus de fragilisation du pouvoir judiciaire et législatif depuis 1975. D’abord, sur le plan judiciaire, les magistrats sont réduits à de simples exécutants des vœux du président de la République, qui décide de l’issue des procès. La justice était, en effet, soumise au contrôle et aux préoccupations du pouvoir politique. Comme Djabir l’affirme que « le procès se réduisait à une simple formalité dès que le pouvoir est concerné de près ou de loin. Les affaires jugées d’importance nationale ont été systématiquement retirées de la compétence des juges et de la police pour être confiées arbitrairement à des tribunaux d’exception destinés à perpétuer l’autorité d’un homme ».132 Cependant, la société ne fonctionne plus selon les règles de l’équité, mais plutôt selon l’intérêt individuel et la corruption. L’Etat, la constitution juridique extrême du pouvoir est parfois gérée comme une épicerie avec beaucoup de légèreté et de malhonnêteté. A tous les niveaux, les gaspillages, les détournements de deniers publics sont profondément ancrés dans les mœurs des élites dirigeantes, alors que les difficultés de la vie quotidienne s’accumulent pour les Anjouanais moyens et pauvres. Ce qui fait que la mauvaise gouvernance a permis

131 - Témoignage de BAHAGOULAME, interview fait à Mirontsy- Anjouan, le 5 Janvier 2005 132 -Abdou DJABIR, Les Comores : un Etat en construction , Harmattan ,1993, p :141

79 l’émergence d’une petite bourgeoisie qui s’est elle-même octroyée des privilèges inaccessibles à la grande majorité de la population. Nous ne pouvons pas ici, manquer de faire remarquer que certains ténors du séparatisme anjouanais ont, en d’autres temps, bénéficié des largesses des pouvoirs successifs. Ainsi, les coupables de l’Etat restent trop souvent impunis comme si l’escroquerie et la malhonnêteté constituent la formule idéale pour promouvoir la construction nationale et l’édification de l’Etat. Les tribunaux et les juges ont une image peu respectable du fait que les systèmes de gouvernance ne mettent pas en place un cadre juridique fiable. Nous assistons donc à une absence d’un Etat de droit : un Etat dans lequel les pouvoirs publics sont soumis d’une manière effective au respect de la légalité par voie de contrôle juridictionnel ; un Etat où les comportements des uns et des autres ne s’écartent des règles fondamentales qui régissent la vie publique. A cet égard, les préalables nécessaires pour faire barrage aux tentations séparatistes sont totalement absents. Les pratiques politiques ont distillé des sentiments d’injustice au sein de la société anjouanaise. Ce qui prévaut dans le pays, c’est l’anarchie qui constitue une source importante de désordre social. A ce sujet, l’impunité a suscité en 1997 beaucoup d’intérêts chez les Anjouanais à se livrer à des actes de désespoirs irraisonnés. La population anjouanaise en a assez des théories, de belles paroles, de belles initiatives qui ne vont jamais au-delà des papiers, d’injustices et de l’indifférence des autorités qui ne font qu’accentuer les tiraillements entre les populations des îles. L’expérience a montré que les valeurs fondamentales de la cohésion nationale ne peuvent être valablement défendues que dans un cadre démocratique où l’Etat de droit règne à la place de l’arbitraire. Ensuite, les activités des Assemblées qui doivent jouer le rôle officiel de voter les lois proposées par le gouvernement, furent très perturbées par l’emprise de l’exécutif. La répartition des compétences entre le « domaine législatif »et le « domaine réglementaire », entre les lois et les décrets visaient à l’application d’une même politique. Les Assemblées fonctionnent le plus souvent, comme des organes de consultation pour donner seulement des avis 133 . D’où les projets des lois sont adoptés sans examen approfondi ni débats de fond . Par exemple, la loi autorisant le président Ahmed Abdallah à faire appel à des mercenaires étrangers pour protéger son régime était votée en 1985 par l’ « Assemblée fédérale »134 . Le soutien inconditionnel des députés au président de la République a facilité l’entrée des mercenaires dans les îles Comores. Nous assistons ainsi à une absence de conscience nationale de la part des élus du peuple. L’émergence d’un système regroupant le président de

133 Abdou Djâbir, Les Comores : un Etat en construction , Harmattan , 1993, p. 139. 134 Idem , p. 146.

80 la République et les Députés dès 1975 aux dépens des intérêts nationaux, a provoqué la cassure de la confiance entre les élites dirigeantes et les citoyens anjouanais. De plus, les Assemblées législatives, à quelques exceptions près, n’arrivent pas au terme de leur mandat. Chaque nouveau président souhaite une nouvelle équipe de parlementaires acquise à sa cause. Autrement dit, chaque président abroge la constitution en place, élabore une autre qu’il croit à sa mesure et qu’il ne parvient même pas à appliquer. Donc, la notion juridique de la continuité de l’Etat est profondément ignorée par les élites politiques comoriennes. Les conditions d’un cumul des connaissances tirées de l’expérience de la gestion des affaires publiques ne sont jamais réunies pour permettre la création d’une culture institutionnelle. Ainsi, l’émergence des dérivées institutionnelles marquées surtout par une absence d’un Etat de droit et d’une culture institutionnelle, a contribué à la naissance du mouvement séparatiste. Pendant la crise sécessionniste, les Anjouanais se demandent, est-ce que l’indépendance est liée aux injustices ?

III. L’ABSENCE DE DEVELOPPEMENT A ANJOUAN

1. Les gênes quotidiennes

Vingt deux ans après l’indépendance, des épreuves difficiles ont marqué la mémoire collective anjouanaise. Parmi ces épreuves, il y a la situation économique. En effet, nous découvrirons que l’île d’Anjouan est très affaiblie et se heurte à des destins contraires à l’indépendance. Le paysage économique reste jusqu’à maintenant très sous-développé et les Anjouanais, dans leur écrasante majorité, sont en situation de survie. Il suffit pour s’en convaincre de visiter la région de la presqu’île de Nyumakélé. Cette dernière est la plus pauvre du pays et la plus peuplée de l’île, située au sud d’Anjouan. Dans cette vallée oubliée par le gouvernement central, des dizaines de milliers de gens vivent dans le dénuement . Nous assistons à des fermiers qui survivent à peine et des enfants au ventre rond, victime de la faim. Le niveau alimentaire des habitants de cette région de l’île, est si bas. Pourtant, les habitants de cette région sont connus pour leur ardeur au travail. Cette région a donné un rôle important dans le mouvement sécessionniste surtout pour l’attachement d’Anjouan à la France. Ce qui montre que la misère intolérable a suscité la crise de 1997. Donc, majoritairement, les Anjouanais vivent dans une pauvreté qui se passe surtout sur fond de pénurie des denrées

81 alimentaires et de devises. Bien que les crédits et les aides extérieures qui peuvent servir pour financer la croissance économique, moderniser le pays et le faire sortir de l’engrenage de la misère, soient envoyés par les pays frères (Koweit, Arabie Saoudite, les Emirats, la France…), les Comores ont toujours du mal à se faire sortir de l’ornière. Les décisions d’investissements ont été minimisées faute surtout d’hommes d’expériences capables de coordonner et gérer les opérations engagées. A vrai dire, la situation économique est morose parce qu’elle n’avait pas été bien analysée et bien intégrée. L’Etat se lance vraisemblablement dans un train de vie au-dessus de ses moyens. Par exemple, de 1978 à 1985, le déficit des finances publiques s’est accru de 22% à 39% du PIB. Ce qui laisse dire que les budgets pour les investissements sont votés, mais exécutés en déficits en attendant que le trou soit comblé par les aides extérieures. D’ailleurs, c’est cette perte de crédits combinée à de solides habitudes dépensières, qui place la politique économique et financière du pays sous la surveillance de la Banque Mondiale(BM) et de Fond Monétaire International (FMI). Autrement dit, l’archipel est placé dans le ghetto des instances financières car son histoire financière est mal gérée et mal intégrée. Cette situation peu fiable avec beaucoup d’aides, et peu de réalisations, et de bonnes volontés de gaspiller l’argent public a précipité l’île d’Anjouan dans une crise sans précédent. L’île navigue au jour le jour dans le dénuement à cause des actions incohérentes de décisions et en l’absence de vision de développement à court et à long terme. Ce qui fait que l’Etat, principal employeur ayant pour mission de résorber le chômage, n’arrive pas à satisfaire les besoins des jeunes. La possibilité de la création d’emplois pour les jeunes diplômés et non diplômés est négligée par les autorités locales. C’est pour cette raison que les jeunes ont pris une part considérable pendant la crise de 1997 car ils ne voient aucun avenir. Ainsi, le chômage dû à l’absence d’un dynamisme propre au développement a rendu sensible les candidats à l’immigration vers Mayotte, considéré comme l’Eldorado ; en dépit du dispositif de lutte contre l’afflux des clandestins mis en œuvre en 1993 par la France. Ce qui montre que les performances économiques sont médiocres malgré les moyens importants mis en place par la communauté internationale et les pays amis de l’archipel pour sortir celui- ci du bout du tunnel. Bref, la misère intolérable de la presque totalité de la population anjouanaise a donné un élan important à la propagande démagogique.

82 2. La quasi-inexistence des infrastructures

L’île d’Anjouan indépendante, pendant une longue période de sommeil et d’oubli, avait accumulé du retard dans presque tous les domaines de structures sociales. L’île est désespérément dépourvue de toute infrastructure moderne de communication qui peut désenclaver l’île à l’intérieur. Autrement dit, l’amélioration des infrastructures de communications nécessaires au désenclavement ne fait pas un bon bout du chemin. Sur le point de vue des réseaux routiers, ce pays n’a pas enregistré des progrès dans la mesure où les routes bitumées sont rares et insuffisantes. Les aménagements des caniveaux ne sont pas perçus dans l’île ; alors que son voisin ; Mayotte, a franchi le mur. Ce dernier dispose de réseaux routiers modernes capables de résister aux éboulements. Voilà un indice qui a provoqué la jalousie en 1997 d’être comme les Mahorais. A Anjouan, il n’est pas tellement aisé de mesurer les progrès sur les infrastructures. Sur le point de vue de masse médias, l’île ne possède rien à part la radio. Cette dernière était restée pendant longtemps l’unique instrument local et officiel d’information, d’échange et d’éducation du grand public (la radio Comores). La presse qui constitue le reflet de la réalité quotidienne n’existait quasiment pas. Le seul journal existant aux Comores, Al-watan ; n’a même pas une annexe à Anjouan. De plus, les journaux ne satisfaisaient même pas le tiers de la population. Les Anjouanais dans leur écrasante majorité sont sous informés et mal informés de la situation du pays. Une telle situation ne renforce pas un sentiment national. L’Etat soucieux de sa consolidation et de sa stabilité politique, pratique la censure et la désinformation en cassant les libertés publiques et la sécurité des individus. On assiste à un refus des libertés d’expression et d’information pendant toute la période post-indépendance. Par ailleurs, les projets dits d’équilibre régional qui pourraient permettre les susceptibles de ménager les régions abandonnées sont mal partagés entre les îles. A part Mutsamudu, Domoni, Ouani…, on ne voit pas les infrastructures sociales de bases à Anjouan. Les projets produisent des effets inattendus, et alimentent les jalousies, les rivalités entre les deux grandes îles. Ces rivalités ont eu lieu parce que les îles accusaient une importante disparité de développement. Par exemple, la Grande Comore est presque pourvue de réseau de télécommunication ; alors qu’ à Anjouan , la plus grande partie de l’île en est dépourvue. Mais ici, ce qui est choquant pour les Anjouanais, c’est de voir que le téléphone par exemple qui est un « luxe », faisait presque défaut. Il fallait parcourir des kilomètres pour parvenir à l’unique cabine installée dans les cinq préfectures. A cet égard, la « régionalisation

83 des projets entre les îles est inégalement repartie et la plupart de temps s’est transformée en cimetière des projets avortés, mal conçus et mal réalisés »135 . Ainsi, la régionalisation des investissements sur les infrastructures dans les régions à forte clientèle accentue les disparités et engendre des comportements revendicatifs.

En définitive, la misère intolérable et l’absence de développement par rapport à la Grande Comore et à Mayotte ont suscité des jalousies au sein de la population anjouanaise à tel enseigne que cette dernière se demande à quoi bon une indépendance dans la misère et la souffrance.

Au terme cette deuxième partie, il convient de remarquer que l’idée de conquérir le pouvoir par le biais de la force depuis la période sultane est vivante dans les mémoires collectives des élites politiques comoriennes. L’épisode de sultans ainsi que la période coloniale ne constituent pas un creuset pour que les élites défendent avec acharnement les intérêts communs de la nation au détriment des intérêts personnels. Les pratiques politiques de ces deux périodes sont enracinées dans l’histoire politique des Comores. Le centralisme, une des pratiques héritées de ces périodes, a joué un rôle déterminant dans la crise séparatiste qui a secoué le pays en 1997. Mais ce qui semble vraiment paradoxal au regard de l’émergence du séparatisme d’Anjouan, c’est que les élites politiques d’Anjouan ont largement contribué à centraliser l’autorité à Moroni en fonction de leurs propres intérêts. Le séparatisme ne se repose pas sur des fondements politiques solides. Il est une mystification idéologique et un moyen de chercher le pouvoir.

135 - DJABIR (Abdou), Les Comores : un Etat en construction , Harmattan 1993 ,p :38

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TROISIEME PARTIE : ESSAI D’ANALYSE DU SEPARATISME ANJOUANAIS

85 Certaines personnes, avec leur qualité d’élites politiques, se servent des arguments basés notamment sur l’histoire vécue par les Comoriens mais encore sur la réalité socio- économique et politique qui prévaut dans l’archipel, pour donner un sens au mouvement séparatiste. Les élites politiques gouvernées par la popularité et la course au pouvoir par tous les moyens ont distillé dans la population anjouanaise l’espoir de devenir Français au même titre que Mayotte ou d’être indépendant par rapport à la Grande Comore. La machine de la propagande séparatiste ne cesse de pointer du doigt le caractère unitaire (la similitude des grands moments qui marquent l’histoire) des Comores afin de fonder la légitimité politique et historique de la sécession. En fait, les arguments ne manquent pas pour les leaders séparatistes pour expliquer leur animosité à l’égard de la Grande Comore et leur volonté de changement radical. Ainsi, dans cette partie, on va analyser les différentes tendances du mouvement et les idéologies de ce mouvement séparatiste.

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CHAPITRE V : LES DIFFERENTES TENDANCES DU MOUVEMENT

SEPARATISTE

Pendant la crise socio-politique de 1997, surtout au moment où l’idée de se séparer de la République Fédérale Islamique des Comores se fait jour, plusieurs tendances émergent d’une manière spontanée et complexe à Anjouan. Mais, si tous les Anjouanais sont unanimes à revendiquer et à incarner le changement, ils n’ont pas le même objectif sur ce point. Certains militent pour le rattachement à la France ou l’indépendance, d’autres pour une large autonomie. Quelle est l’origine historique de ces différentes tendances et comment se manifestent-elles dans l’île ? Dans ce chapitre, on va analyser d’abord les « rattachistes », ensuite les « indépendantistes » et enfin les « unionistes ».

I. LES « RATTACHISTES »

1. L’origine historique du rattachisme

La tendance issue des leaders « rattachistes » est la première qui se manifeste au cours du mouvement social et politique de 1997. En effet, les leaders « rattachistes » sont les séparatistes qui souhaitent un rattachement pur et simple d’Anjouan à la République Française. L’origine du rattachement d’Anjouan à la France remonte à plusieurs années. Depuis le 23 novembre 1981, 380 notables et personnalités anjouanais avaient adressé une lettre au président de la République Française, Monsieur François Mitterrand, pour lui demander le rattachement de leur île à la France 136 . Cette lettre émouvante est signée par des gens de différentes professions : chefs religieux, militaires, agriculteurs, commerçants, enseignants. On peut citer, entre autres, Abdallah Bellela, Chamasse Saïd Omar, Salim Hafi, Allaoui Salim, Bahagoulamou, Abdou Mhindi, Mourib Ayouba, Youssouf Bouroi etc. Toutes ces personnes étaient en 1997dans la mouvance rattachiste.

136 La lettre est rééditée en septembre 1997 par la Revue, VIA , nouvel enjeu, N° 103, p, 25. Malheureusement, nous n’avons pas obtenu la lettre entière pouvant nous permettre de montrer en intégralité le contenu. Nous regrettons ce manque à gagner.

87 En 1981, c’est l’élection de François Mitterand à la présidence de la République Française. Les socialistes qui avaient favorisé la prise en considération du sort particulier de Mayotte en 1975 avec une forte majorité au sénat reviennent au pouvoir. Les notables anjouanais avaient probablement pensé avoir le soutien des socialistes comme les séparatistes mahorais en 1975. Nous pensons que c’est dans ce contexte que les notables anjouanais avaient adressé la lettre en 1981 à François Mitterand demandant le retour de leur île dans le giron de la France. Mais, Mitterand n’y a même pas répondu et aucune réaction officielle de la France en ce moment n’ est apparue. La lettre de 1981 constitue le manifeste du mouvement séparatiste avant 1997. La lettre explique d’abord que depuis l’accession des Comores à l’indépendance, la situation n’a cessé de se détériorer. L’île d’Anjouan se sent menacée par la boulimie de quelques responsables, pour tout ce qui a trait aux ressources vitales 137 . Les signataires de la pétition comparent ensuite la situation d’Anjouan à celle d’un « enfant maudit » et affirme que les Anjouanais assistent impuissamment à la désorganisation des diverses sociétés qui composent leur population et leur cadre de vie. La lettre dénonce, en outre, la déconfiture de la fonction publique, le galvaudage des mœurs et l’installation de l’insécurité. Elle dénonce aussi les injustices dont Anjouan est victime dans tous les domaines : les bourses d’études, crédits, postes diplomatiques, etc. Cette lettre expliquait enfin que toute solution aux problèmes anjouanais passe par la France et que l’île d’Anjouan est toujours et en toute circonstance au sein de la France : par un enseignement adéquat, par une justice équilibrée et équitable, pour une médecine polyvalente et soucieuse, par la sécurité générale et le progrès 138 . Au fond, l’appel émouvant des notables anjouanais se présente comme inspiré de l’essor économique et social de Mayotte, alors qu’eux-mêmes, depuis l’indépendance de leur île se sont enfoncés dans le sous-développement. Cette vision des choses rend compte très imparfaitement des raisons du mouvement sécessionniste déclenché aux Comores par les habitants d’Anjouan. En effet, très rapidement, après l’indépendance survenue en 1975, les Anjouanais se sont rendus compte paradoxalement de ses conséquences catastrophiques. C’est d’abord la dictature de style marxiste d’Ali Soilihi qui éprouve les Anjouanais jusque dans leur pratique religieuse. La chute d’Ali Soilihi, en 1978, rétablit la liberté pour les croyants de se rassembler mais n’entraîne nullement une amélioration de la gestion économique. Bien que le

137 VIA , nouvel enjeu, N°103 septembre 1997, p. 25. 138 Idem .

88 nouveau président, Ahmed Abdallah, soit originaire de l’île d’Anjouan, celle-ci continue à être toujours brimée par les élites politiques. C’est pour ces raisons que le 23 novembre 1981, les notables ont adressé une lettre à François Mitterrand parce que l’Etat indépendant n’était pas fiable. Dès le lendemain de l’indépendance, les avantages sociaux et les emplois ont attiré de nombreux anjouanais. Les candidats à l’émigration vers Mayotte sont les plus souvent des Anjouanais. Les Grands Comoriens ont une tradition d’aller à Marseille. Ainsi, l’idée de rattachement à la France depuis 1981 est évidemment une conséquence directe de la décolonisation inachevée et ratée des Comores. La question mahoraise combinée aux facteurs socio-économiques et politiques des Comores indépendantes ont fait le lit du mouvement rattachiste dès 1981. Mais, le mouvement rattachiste qui a pris ses racines en cette date a connu une traversée du désert jusqu’en 1997. Car le régime d’Ahmed Abdallah dominé par les mercenaires ne tolère aucune opposition, aucun système qui remet en cause son pouvoir. Le mouvement rattachiste ne trouve pas un terrain favorable pour s’exprimer en cette période. C’est en 1991 avec l’ère de la soi-disante démocratie que les rattachistes se raniment. En 1997, ils profitent de la situation qui prévaut dans l’île pour sortir de l’ornière. A la faveur du mouvement de protestation des élèves et des syndicalistes, et de la répression qui a suivi, le mouvement rattachiste réapparaît au grand jour au début du mois de juillet 1997. Qui sont les rattachistes ? Pour mettre en clair cette problématique, nous allons essayer de donner la trajectoire de principaux leaders rattachistes : Chamasse Saïd Omar, Abdallah Bellela, et Abdallah Ibrahim. Chamasse Saïd Omar est né vers 1931 à Domoni (Anjouan) dans une famille de noble. Il fait ses études primaires dans sa ville natale, avant de rejoindre l’école régionale de Majunga en 1957. En 1964, Chamasse est inscrit dans la Marine nationale française. C’est là qu’il a fait presque sa vie professionnelle. Revenu aux Comores en 1980 non voyant, il devient un notable influent et respecté dans la ville de Domoni. Il est parmi les notables anjouanais signataires en 1981 de la lettre adressée à François Mitterrand. En 1991, il est aussi parmi les membre fondateurs de l’OPIA. Il nous avoue que c’est à partir de 1991 qu’il a commencé avec enthousiasme à faire de la politique. En 1997, il est l’un des militants, le leader de l’aile dur et l’artisan du rattachement d’Anjouan à la France. En septembre 1997, il est conseiller auprès du directoire présidé par Abdallah Ibrahim. Le 9 mars 1997, il est nommé premier ministre de « l’Etat d’Anjouan ». Le 7 juillet, il est destitué de ce poste. Le 11

89 juillet, il fomente avec Mohamed Ahmed Hazi une tentative de coup d’Etat pour renverser Abdallah Ibrahim. Lorsque le coup de force a échoué, Chamasse est resté dans sa demeure 139 .

Abdallah Bellela, fils d’un maître coranique, est né en octobre 1936 à Ouani dans une famille modeste. Il devient orphelin très tôt, et entreprend une formation religieuse. Après ses études primaires dans sa ville natale, il poursuit ses études à l’école régionale de Majunga. Il arrive par la suite en France dans les années soixante où il entre à l’école de la Marine Française. Il a servi dans le rang de l’armée française jusqu’en 1978. Revenu au pays, il ne cesse d’exercer la fonction de militaire. En 1985, il est nommé chef d’Etat major des forces armées comoriennes subdivision d’Anjouan. Destitué de ce poste en 1987, il reste officier dans l’armée comorienne. En 1990, il est président d’une association religieuse nommée « Bayti Chadhuli » d’ obédience soufie à Ouani. Son influence politique n’est réelle qu’à partir du moment où il est invité par Ahmed Mohamed Hazi en 1991 pour fonder l’OPIA. Dès lors, il est militant du mouvement rattachiste. En 1997, il est parmi les leaders de l’aile dur du mouvement séparatiste. Le 14 juillet 1997, cet ancien officier est abattu à bout portant par le capitaine Daoud, pour avoir refusé de décrocher un drapeau tricolore lors d’une manifestation. Il est nommé par les séparatistes, « père de la libération anjouanaise »140 .

Abdallah Ibrahim est né en 1926 à Mutsamudu dans une grande famille de notables. Il fait ses études coraniques chez son père et poursuit une formation religieuse de grande envergure à la mosquée de Rifayi (une école islamique très réputée qui se trouve à Mutsamudu). Après ses études à cette école, il est attribué le titre de chef religieux et il est un principal Imam (dignitaire de religion musulmane) mais il n’a jamais mis le pied à l’école. Il est devenu bijoutier depuis les années cinquante et c’est l’activité essentielle qu’il exerce dans sa vie. En 1981, il est parmi les signataires de la lettre adressée à François Mitterrand. En 1991, il est parmi les fondateurs de l’Organisation de l’Indépendance d’Anjouan (OPIA). Il nous avoue que c’est à partir de la mort d’Ahmed Abdallah qu’il a pensé faire de la politique. En 1997, il est chargé de présider le mouvement séparatiste. Curieusement, il est rattachiste dès sa première heure, mais il est venu indépendantiste dans la foulée du mouvement. En 1998, il est refoulé du pouvoir par les autres séparatistes 141 .

139 Des enquêtes que nous avons faites auprès de Chamasse le 20 janvier 2005 à Domoni. 140 Des enquêtes faites auprès de sa femme le 14 février 2005. 141 Des enquêtes que nous avons effectuées auprès d’Abdallah Ibrahim le 16 janvier 2005 à Mutsamudu.

90 Ainsi, ces figures marquantes du mouvement populaire anjouanais ont joué un rôle sans précédent dans la voie du rattachement de l’île à la France. On vient de remarquer que ces personnes citées ont presque suivi l’évolution du mouvement rattachiste depuis 1981 jusquà la sécession de1997. Ces leaders tournent autour de soixante à soixante dix ans. La plupart d’entre eux émerge après l’indépendance. Voici l’illustration des photos des leaders rattachistes marquants : Photo 4

Fundi Abdallah Ibrahim Chamasse Saïd Omar

Président de la coordination Politico - Conseiller auprès du Président d’Anjouan, il administrative d’Anjouan (PA) représente l’aile dure des séparatistes (c’est-à- Chef de l’insurrection et premier Président de dire l’artisan numéro 1 du mouvement « L’Etat d’Anjouan » rattachiste).

Abdallah Bellela Ancien officier ayant servi dans les rangs de l’armée française et comorienne, il a été abattu à bout portant le 14 juillet à Mutsamudu par le Capitaine de Gendarmerie Daoud alias Mataba pour avoir refusé de décrocher un drapeau tricolore lors d’une manifestation. Il est nommé par les séparatistes comme étant « Le père de la libération des anjouanais ».

Source : VIA, nouvel enjeu, N° 103, septembre 1997, pp. 30-35

91 2. La propagation du rattachisme.

Les leaders de la tendance rattachiste veulent à tout prix que l’île comorienne d’Anjouan devienne un département français au même titre que Mayotte. Les « rattachistes » ont essayé de faire campagne en montrant à la masse populaire, surtout dans les milieux ruraux, que c’est possible de revenir dans le giron de la France à condition que les Anjouanais se séparent de la RFIC. Ainsi, ils ont mis l’accent sur la perspective de rattachement pour vite arriver à l’idée de la séparation. Les leaders « rattachistes » ne cessent, dans leurs discours, de parler du rattachement à l’ancienne puissance colonisatrice. On note par exemple l’extrait suivant de Chamasse Saïd Omar : « une malade qui recouvre la santé revient en arrière pour son plus grand bien. La chance des Anjouanais est devant notre mère patrie, l’ancienne puissance colonisatrice »142 . A travers cet extrait, il est évident que les leaders séparatistes tablent immédiatement sur un soutien de la France. Pour eux, revenir dans le giron de la France, c’est retrouver le chemin de la liberté et de la prospérité. D’après nos enquêtes faites auprès d’Allaoui Salim 143 , l’appui de certains Français dans l’île est évident ; l’exemple de l’action du consul français, une certaine Madame Loizelle, est illustratif. Cette diplomate française a fait comprendre que le rattachement est toujours la bonne voie et elle ne cesse, au début du séparatisme, de convoquer à son bureau les couches sociales, surtout les anciens auxiliaires français pour leur démontrer l’idée de rattachement à la France. Cela ne faisait qu’envenimer la situation dans un archipel déjà déstabilisé et déséquilibré, et raviver les tensions déjà en plein effervescence. En effet, de telle action de la part de la France sinon de ses diplomates encouragent les anciens militaires et les autres couches sociales anjouanaises à propager l’idée du rattachement de l’île d’Anjouan à la France. A vrai dire, la France n’a pas encore de vrais intérêts à Anjouan, parce que Anjouan n’a presque rien. Mais, nous pensons qu’elle peut œuvrer officieusement pour légitimer sa présence à Mayotte. La population paysanne qui est au bord de l’abîme de l’indépendance ne cherche à savoir si c’est possible ou non d’être rattaché à la France. Bon nombre de la population anjouanaise en est convaincu, avec la naïveté et l’ignorance. Le mouvement rattachiste a eu un écho considérable dans les campagnes pauvres d’Anjouan et les habitants réclament haut et fort le détachement de leur île et son rattachement à l’ancienne puissance coloniale. Dans les régions comme Nyumakélé, Banbao,

142 Discours du premier ministre de l’«Etat d’Anjouan », enregistré à la Radio Anjouanaise, le 14 juillet 1997. 143 ALLAOUI Salim alias Populaire, est l’un des membres fondateurs de l’OPIA en 1991.

92 Domoni (les bastions des rattachistes), l’enthousiasme a dépassé les bornes parce que ce sont des régions très proches de Mayotte et cette dernière constitue un pôle d’attraction. De plus, on écoute radio Mayotte et non radio Comores, et on capte la télévision de Mayotte (RFO). C’est pour ces raisons que ces régions sont les bastions du mouvement rattachiste. Tous les dirigeants de l’OPIA se réclament pro-français, c’est pourquoi ils ont choisi la date du 14 juillet (la prise de la Bastille) pour marquer publiquement leur volonté de séparer Anjouan des autres îles sœurs en faveur du rattachement de l’île à la France. Dès le départ, la logique qui a animé le mouvement insulaire est une logique de rattachement à l’ancienne colonisatrice. Mais, il nous paraît évident de mentionner que la volonté des « rattachistes » de revenir dans le giron de la France, était tout à fait une régression de l’histoire et une évolution à rebours, contraire au sens de l’histoire, parce que c’est un phénomène inouï, jamais vu dans les annales de l’histoire humaine. En effet, cette volonté rattachiste est en quelque sorte une demande politique pour une recolonisation, c’est-à-dire se séparer non pour s’assurer un bien- être dans la liberté, mais pour s’asservir ou se nier. Néanmoins, la voie chimérique du rattachement avait eu au début du mouvement une majorité absolue des habitants ; la presqu’île de Nyumakélé et les régions pauvres qui amassent l’essentiel de la population anjouanaise avaient embrassé avec acharnement la propagande démagogique et mythologique des leaders rattachistes. Donc, il n’y avait aucune possibilité d’expliquer le contraire à une population en situation de survie et de désespoir. Il était facile par la crédulité de comprendre que la belle vie serait le rattachement à la France. Mais, la France condamne rapidement le soulèvement d’Anjouan et réaffirme officiellement son attachement à l’intégrité territoriale des Comores 144 . Après la réaction négative de la France officielle aux avances des rattachistes, le rattachement devenait de moins en moins probable, « l’indépendance » devient l’alternative sur laquelle les séparatistes se rabattent avec plus de convictions, ce qui montre que la propagande rattachiste est une mystification politique et une idéologie de la population car les leaders rattachistes donnent des illusions aux Anjouanais en leur faisant croire que la France viendra pour les faire sortir de la pauvreté.

144 Pour plus d’ amples informations, voir chapitre VI

93 II. LES « INDEPENDANTISTES »

1. La naissance du mouvement indépendantiste

L’idée de l’indépendance d’Anjouan vis-à-vis de la capitale fédérale remonte au lendemain de l’indépendance unilatérale. En effet, après le coup d’Etat d’Ali Soilihi du 3 août 1975, Ahmed Abdallah s’est réfugié dans son île natale (Anjouan) pour déclarer une indépendance par rapport au giron institutionnel de l’archipel des Comores. L’objectif affiché en cette période lors de la mini sécession d’Anjouan suite au coup d’Etat est de faire comprendre à la population anjouanaise que l’action de force est la volonté d’un Grand Comorien de renverser un Anjouanais. Une telle campagne de sensibilisation de nature chauvine pleine d’amalgame de la part des fidèles d’Ahmed Abdallah a influencé les habitants d’Anjouan. Mais, face à cette menace indépendantiste, les révolutionnaires (Mapindruzi) débarquent à Anjouan, le dimanche 21 septembre 1975, pour mater la rébellion. Le lendemain Ahmed Abdallah qui a pris le maquis se rend et il se rallie au nouveau régime. En filigrane, Ahmed Abdallah qui a combattu avec acharnement la dissidence mahoraise après le référendum de 1975 en est réduit à faire de même que les leaders de Mayotte au moment où il est renversé par le Front National Uni (FNU) le 3 août 1975. Ahmed Abdallah en est habité par les réflexes insulaires dès que son pouvoir est mis en cause. Autant dire que, Ahmed Abdallah, exclusivement soucieux de la préservation de son pouvoir personnel, n’a pas su être l’artisan de l’unité comorienne, malgré sa forte appellation « père de l’indépendance ». Ainsi, la sécession sous forme d’un territoire libéré devient depuis 1975 une fièvre obsidionale et un instrument démagogique pour les politiciens comoriens. Une telle attitude qui vient de s’implanter est suivie plus tard par les élites anjouanaises.

Le 10 février 1991 est créé l’Organisation pour l’Indépendance d’Anjouan (OPIA) juste deux ans après la mort d’Ahmed Abdallah à l’initiative du commandant Ahmed Mohamed Hazi. La naissance de cette organisation de nature sécessionniste est le fait de l’instauration du régime multipartite pendant la période de Saïd Mohamed Djohar. Ce denier a institué la démocratie en 1991. Par conséquent, une floraison de partis politiques a vu le jour, parmi eux, l’OPIA. Cette organisation avait comme but de « libérer les Anjouanais du néocolonialisme grand comorien, et tout système qui contribue directement ou indirectement

94 à la domination et à l’exploitation des masses anjouanaises »145 . Dans la fondation de l’OPIA, les leitmotives dominantes sont l’exploitation et la domination des Anjouanais par la Grande Comore. Les principaux fondateurs de l’OPIA sont : Ahmed Mohamed Hazi, Allaoui Salim, Charkane Ahmed, Hachim Abdou Petit, Abdallah Ibrahim, etc. Suite à la fondation de l’OPIA, un colloque est organisé par Ahmed Mohamed Hazi (nommé gouverneur d’Anjouan quatre mois auparavant) le 25 février 1991 146 . Ce colloque regroupe toutes les différentes couches surtout des cadres de l’île. Beaucoup de critiques ont été faites notamment sur le fait qu’Anjouan n’était pas équitablement servie par le fédéralisme. Parmi les questions soulevées en ce temps, il a été relevé également une centralisation excessive de pouvoirs dans la capitale, une insuffisance en moyens matériels et financiers pour permettre à l’administration décentralisée de l’île de s’acquitter convenablement de ses missions. En mars 1994 sont apparus les premiers tracts signés par l’OPIA. Ces tracts sont distribués dans toutes les différentes localités de l’île. Ces tracts regrettent 130 années de colonisation Française et invitent le peuple anjouanais à se soulever pour se libérer des « fauves grands comoriens »147 . Par exemple, les termes utilisés dans le tract du 24 mars 1994 sont : l’expression de désolation vis-à-vis de l’administration comorienne, le regret du départ de la France en 1975 et le sentiment anti-anjouanais à la Grande Comore . En conclusion, le tract appelle le soulèvement de la population anjouanaise contre la mainmise de la Grande Comore sur leur île 148 . L’OPIA considère la colonisation comme une période de bonheur et de prospérité , bien que la plupart des intellectuels la considère comme une période noire. Dans le tract du 25 mars 1994, l’OPIA mentionne que « le départ des Français en 1975 est suivi par la dégradation de l’enseignement et celle des hôpitaux149 ». Cette déclaration de la part de l’OPIA est dans une certaine mesure erronée du fait que les services sociaux de bases pendant la période coloniale laissent à désirer. A titre d’exemple, jusqu’en 1939 il n’existe aux Comores que dix écoles primaires. Seuls les fils des nobles et

145 Témoignage d’ABDALLAH Mohamed, un leader de l’indépendance d’Anjouan, le 5 décembre 2004 à Mutsamudu. 146 Témoignage d’ALLAOUI Salim alias Populaire, un des membres fondateurs de l’OPIA. 147 Source : liste des tracts regrettant 130 années de colonisation, archives privées. 148 Voir le tract du 24 mars 1994 en annexe N° 2. 149 Idem.

95 des élites sociales ont accès à un système éducatif limité tandis que les enfants des classes défavorisées sont exclus du système. De plus, on aperçoit dans le tract de l’OPIA un discours d’exclusion et de rejet envers les habitants de la Grande Comore. La logique de l’OPIA est de pousser les Anjouanais contre les Grands Comoriens dans le but peut-être d’intimider, réprimer et contrôler tout. Dès mars 1994, un travail de sensibilisation et de mobilisation était alors engagé dans l’île d’Anjouan. En mars 1996, Mohamed Taki Abdoulkarim est élu président de la République Fédérale Islamique des Comores à une très forte majorité (64%). Le 14 mars 1997, le pays tout entier est plongé, depuis plus de trois mois, dans une crise sociale sans précédent. Cette tragédie est évidemment exploitée par les séparatistes « indépendantistes ». C’est ainsi que le mouvement indépendantiste a pris ses racines. Mais, on va essayer de retracer les récits de vie des leaders indépendantistes : Ahmed Mohamed Hazi, Abdallah Mohamed et Charkane Ahmed. D’abord, Ahmed Mohamed Hazi est né à Bambao Mtsanga (Anjouan) en novembre 1948 dans une famille noble et riche. Il fait ses études coraniques dans sa ville natale. Après ses études primaires et secondaires, il se rend à Paris en 1967 pour suivre des études supérieures. Il fait l’apprentissage de la politique en France, au sein de l’Association des Stagiaires et Etudiants Comoriens (ASEC) dont il est membre. En 1969, il est entré à la légion étrangère en France. Il est revenu dans le pays un grand officier. Dès son retour au pays, il est entré en contact avec l’homme fort du pays, Ahmed Abdallah. Il adhère à l’OUDZIMA(unité), le parti politique d’Ahmed Abdallah. En 1979, il est nommé commandant des forces armées comoriennes jusqu’en 1989. En 1990, il est également nommé gouverneur de l’île d’Anjouan. Il est destitué de ce poste en 1991. La même année, il crée l’Organisation pour l’Indépendance d’Anjouan (1991). Dès lors, il devient un militant indépendantiste convaincu et il entame les démarches pour la « libération » d’Anjouan. En 1997, il est le leader numéro un du mouvement pour l’indépendance d’Anjouan. Il est conseiller auprès du directoire présidé par Abdallah Ibrahim. Le 11 juillet 1997, Ahmed Mohamed Hazi fomente avec Chamasse Saïd Omar une tentative de coup d’Etat pour renverser Abdallah Ibrahim. En 1999, il fait un accident et il est mort 150 . Ensuite, Abdallah Mohamed est né le 15 décembre 1948 à Ouani dans une famille également noble. Son père est Ben Cheikh, apôtre de l’une des plus influentes confréries musulmanes d’Anjouan (Chadhuli). Il fait ses études primaires et collégiennes dans sa ville

150 Des enquêtes faites auprès d’Alada Houmadi, ami fidèle de HAZI, le 7 janvier 2005 à Bambao.

96 natale avant de rejoindre le Lycée de Mutsamudu. Il est parmi les premiers bacheliers du Lycée de Mutsamudu en 1970. Il est formé à l’Université de Rabat dans le département de droit. Il est revenu au pays en 1975 avec une maîtrise en droit international. Il débute sa carrière professionnelle comme étant un fonctionnaire dans le département des affaires étrangères à Moroni. En 1985, il est nommé secrétaire principal aux affaires étrangères. En 1990, il est nommé chef de département de la coopération internationale. En 1996, il est écarté de ce poste et il est devenu un simple fonctionnaire. En 1997, il rejoint l’OPIA dont il est secrétaire général. Dans la même période, il est en même temps conseiller chargé des affaires étrangères dans le directoire d’Abdallah Ibrahim. En 1998, il est nommé « Ministre de la coopération » de l’ « Etat d’Anjouan » . En 1999, il est le chef de la délégation anjouanaise pendant l’accord d’Antananarivo. En 2001, il est chargé toujours des affaires étrangères. En 2004, il est écarté de ce poste 151 . Enfin, Charkane Ahmed est né à Mutsamudu en 1948 dans une famille aisée. Il fait ses études coraniques et primaires dans sa ville natale. Il arrête trop tôt ses études. Mais en 1970, il est en France pour suivre une formation sur le tourisme. Revenu au pays, il est un fonctionnaire au ministère des affaires intérieures. Il quitte ce poste pour construire un hôtel à Anjouan. C’est là qu’il passe presque sa vie professionnelle. En 1991, il est l’un des principaux dirigeants de l’OPIA dont il est le premier secrétaire. En 1997, il est coordinateur auprès du président Abdallah Ibrahim. Le 27 juillet 1997, il est arrêté par la force comorienne. En 1999, il est devenu militant pour la signature de l’accord d’Antananarivo. Il est mort en 2002 152 . Les leaders indépendantistes sont plus jeunes que la génération des rattachistes. Ils se situent autour de cinquante ans ; ce qui fait qu’ils ont une vision plus ou moins différente de celle des rattachistes. Ces personnes clés et marquantes ont mené un travail de sensibilisation démagogique en 1997 dans les différentes localités de l’île pour la cause de l’indépendance. Il est à remarquer que ces figures indépendantistes ont occupé des postes importantes avant la séparation, ce qui montre que ces gens là ont l’intention de chercher le pouvoir par le biais des Anjouanais et non le souci de sortir Anjouan de l’engrenage des autorités politiques.

151 Des enquêtes que nous avons effectuées auprès de lui, le 5 décembre 2004. 152 Enquêtes faites auprès de HACHIM Abdou Petit, son ami fidèle, le 25 janvier 2005 à Mutsamudu.

97 2. La voie de l’indépendance

La voie de l’indépendance est la deuxième démarche entamée par les séparatistes. Les « indépendantistes » sont les leaders séparatistes qui veulent prendre une autre position par rapport au régime en place pour prendre leur indépendance totale, pour certains ; ou seulement dans le but de manifester leur mécontentement vis-à-vis du pouvoir central, pour d’autres. Autrement dit, l’indépendance se présente en 1997, pour les séparatistes, comme étant la volonté de disposer de leur destin, de se prendre en charge et c’était la façon de se démarquer de la politique impulsée des autorités comoriennes pendant vingt deux ans. D’après les enquêtes que nous avons faites 153 auprès de leaders indépendantistes, deux explications justifient la détermination pour l’indépendance. D’un côté, il y a l’aile dure indépendantiste qui dit que l’idée de l’indépendance d’Anjouan est le pis-aller minimum, à défaut du rattachement d’Anjouan à la France. Dans le toile de fond, c’est après le refus officiel de la France que les extrémistes séparatistes ont opté pour la voie de l’indépendance parce qu’ils ne voient pas une autre alternative possible pour leur idéal, ce qui montre que les fervents défenseurs du séparatisme trompent l’homme de la rue afin d’obtenir leur cause. De l’autre côté, il y a les leaders indépendantistes qui disent que l’indépendance est une manière de viser haut pour gagner les droits et les intérêts des Anjouanais 154 . L’indépendance est une issue pour ramener les dirigeants comoriens à la raison par rapport à la situation désastreuse qui mine l’île d’Anjouan depuis 1975. En filigrane, ces « indépendantistes » ont compris qu’une indépendance pour l’île est internationalement difficile. L’indépendance totale est une conception absurde et inconcevable. La preuve en est que, dès 1997 avec la déclaration de « l’Etat d’Anjouan », un événement qui fait mal diplomatiquement fait isoler l’île du reste du monde. Les « indépendantistes » d’Anjouan, du moins ceux qui sont dans le rang de la seconde explication, c’est-à-dire les indépendantistes non fervents, en optant pour l’indépendance et l’aventure, ont certainement voulu montrer à la face du monde leur profond désespoir et leur désir de ne plus être bafoué par les dirigeants comoriens. En tout état de cause et en dépit de divergences d’interprétations de l’indépendance, presque la totalité des séparatistes ont la ferme volonté de faire sécession vis-à-vis du pouvoir Fédéral en passant, certes, par la voie de l’indépendance. En effet, celle-ci est présentée par

153 D’après HACHIM Abdou petit, FATIMA Abdérémane, ALLAOUI Salim, partisans du MPA et de l’OPIA. 154 D’après ALI Charif, MOURIB Ayouba, HALIFA Saïd, membres de MPA et l’OPIA.

98 les séparatistes indépendantistes, comme l’unique solution possible pour une population confrontée à un sérieux problème de survie. C’est pour cette raison que l’un d’entre eux dit que : « Anjouan contribue à galvaniser les énergies, à épauler les efforts de son peuple, dans le chemin ardu où il est engagé pour conquérir sa liberté, sortir de la misère et du désespoir »155 . En réalité, cette indépendance est conçue comme la voie de la liberté et du bonheur pour une population qui est au bord de l’abîme. Mais est ce que l’indépendance est vraiment l’idéal pour sortir les Anjouanais de la misère ? Certainement non parce que depuis l’accession des Comores à l’indépendance, les hautes sphères de l’Etat sont occupées par des élites anjouanaises. Par exemple, dans le gouvernement d’ Abdallah, quatre ministres sur douze sont originaires d’Anjouan. Ces derniers n’ont rien fait pour les habitants d’Anjouan à cause de leur engouement du pouvoir et de leur « politique du ventre ».

La voie de l’indépendance a touché favorablement les milieux urbains, contrairement à l’idée du rattachement de l’île à la France qui a le soutien de la population paysanne. Le mouvement indépendantiste a eu un écho important dans les villes parce que les habitants urbains ne s’intéressent pas vraiment à la vie de Mayotte ; ils pensent être libres seulement par rapport au pouvoir central. A cet égard, les vieux réflexes d’antagonismes ville-campagne y sont pour quelque chose. En effet, indépendance veut dire aussi pouvoir local, qui jusqu’alors n’est que celui des gens instruits, donc des gens de la ville ou de quelques privilégiés de la campagne. Dans certaines régions (Nyumakélé, Bambao) anjouanaises, une partie de la population s’est abusée : « indépendance, on connaît déjà, nous ce qu’on veut c’est la France »156 ! L’indépendance n’est pas la bienvenue dans les campagnes car les ruraux ne croient pas aux habitants de la ville même si ce sont tous des Anjouanais. De ce fait, l’idée d’indépendance n’a pas eu une majorité par rapport à l’idée du rattachement parce que la majeure partie de la population anjouanaise réside à la campagne, plus particulièrement dans la région de Nyumakélé. Or, cette dernière se tourne plus vers Mayotte considérée comme l’Eldorado. Une alliance tactique est conclue entre les deux mouvements et la réaction négative de la France officielle aux avances rattachistes donne du crédit aux indépendantistes. A partir de là, des passerelles existent entre les mouvements rattachiste et indépendantiste puisque on

155 ZAIDOU Ahmed, VIA , un nouvel enjeu N° 104, octobre 1997, p, 29. 156 Témoignage d’OMAR Abdou, paysan, Koni-Djodjo, fait le 15 janvier 2005.

99 assiste à des rattachistes qui sont devenus indépendantistes. Un mimétisme et une constance des mouvements rattachiste et indépendantiste : un chauvinisme primaire anti-grand comorien. Mais les condamnations de la communauté internationale poussent les responsables du mouvement séparatiste à renoncer à l’indépendance au profit des unionistes.

III. LES « UNIONISTES »

1. L’émergence des unionistes

Il convient d’abord de souligner que la tendance « unioniste » est une idéologie qui se démarque catégoriquement des mouvements rattachiste et indépendantiste. Cette tendance « unioniste » est une conception née au cours du mouvement socio-politique anjouanais de 1997. Elle n’a jamais fait, auparavant, l’objet de débat ou d’étude. C’est donc un vocabulaire politique né de circonstance c’est-à-dire de la situation énigmatique qui sévit dans l’île durant cette période. En 1997, à l’initiative d’Abdallah Sidi et Mohamed Imrane, est créé une organisation anjouanaise qui se dénomme Nouvelle Génération pour les Intérêts d’Anjouan dans l’Unité Nationale (NGIAU) . Cette organisation est fondée dans le but d’œuvrer à la recherche d’une solution juste et durable garantissant l’unité et l’intégrité territoriale des Comores, en privilégiant les intérêts des Anjouanais 157 . Cette organisation avait la volonté de s’opposer à l’omnipotence des leaders séparatistes dans l’île au début de mouvement. L’émergence de la NGIAU démontre la volonté de nombreux cadres et personnalités politiques anjouanais de participer à la recherche d’une solution à la crise séparatiste. Car ces cadres sont surpris devant l’ampleur et la violence des évènements. Certains d’entre eux sont choqués de la tournure politique que prennent les évènements au mois de juillet 1997. Pour cela, le collectif NGIAU a entrepris de nombreuses actions de mobilisation et de sensibilisation à la population anjouanaise en faveur de la sauvegarde de l’unité et de l’intégrité du pays. En d’autres termes, des débats télévisés, des communiqués, des réunions de mobilisation des jeunes, sont faites pour démontrer l’intérêt de l’unité nationale. Le collectif a établi aussi de nombreux contacts avec les autorités nationales, les leaders séparatistes, les personnalités politiques nationales, les représentants des missions diplomatiques et les institutions internationales.

157 Témoignage de MOHAMED Imrane, l’un des fondateurs de la NGIAU, interview fait le 5 décembre 2004.

100 Ainsi, les leaders « unionistes » ont pris publiquement position à travers les médias en faveur de l’intégrité des Comores. De plus, ce mouvement possède en août 1997 un journal, diffusé en français, et a environ 150 exemplaires. Ce journal s’appelle Ushé (réveil). Il dénonce avec fermeté les manœuvres démagogiques des leaders séparatistes. Sa ligne idéologique est de défendre haut et fort l’intégrité territoriale des Comores. Ce journal assure aussi que l’unique chance pour sauver les habitants d’Anjouan est l’unité dans la diversité et qu’enfin, le séparatisme est une voie chimérique parce que les chefs séparatistes veulent tromper les Anjouanais 158 . Mais, trois mois après sa création, ce journal est muselé par les chefs séparatistes. Quels sont donc les leaders du mouvement unioniste ? On va essayer de retracer la biographie des personnes marquantes de la mouvance unioniste à savoir Abdallah Sidi, Mohamed Imrane et Anfaidine Ali. Abdallah Sidi, dirigeant du mouvement « NGIAU », est né le 15 février 1957 à Ouani (Anjouan) dans une famille noble. Son père est un grand commerçant. Il fait ses études coraniques, primaires et collégiennes dans sa ville natale. Après son baccalauréat en 1979 au Lycée de Mutsamudu, il part en France, boursier, pour suivre ses études à l’Université de Sorbonne. Il est revenu au pays, un ingénieur des ponts et chaussées en 1985. Après la mort d’Ahmed Abdallah en 1989, il a commencé à faire de la politique. Il est attiré par le projet d’Ali Soilihi, il est fasciné par son nationalisme et surtout son attention pour les plus démunis, les paysans. Dès lors, il est entré dans le parti MAESHABORA qui se présente comme les héritiers de la mouvance Soilihiste. Mais, il n’a jamais eu la chance d’exercer une fonction politique. En 1997, il est le premier à dénoncer publiquement le mouvement séparatiste. Il ne cesse pas de parler dans les médias pour démontrer le caractère démagogique du mouvement et affirmer son attachement à l’intégrité territoriale des Comores. A plusieurs reprises, il est emprisonné et a subi les représailles des milices « embargos »159 .

Mohamed Imrane est né le 10 novembre 1961 dans une des familles les plus réputées de la ville de Ouani. Son père est l’Imam le plus charismatique de l’île ; et dans les années quatre vingt, est parmi les grands apôtres des Comores pendant l’époque d’Ahmed Abdallah. Mohamed Imrane fait ses études coraniques chez sa mère. Il fait ses études primaires et secondaires à Ouani. Après son baccalauréat, son père l’envoie en France pour suivre ses études d’enseignement supérieur en 1986. Il est revenu aux Comores, Maître es Lettres

158 Voir le journal, USHE en annexe n°3 159 Des enquêtes que nous avons effectuées auprès de lui, le 2 janvier 2005.

101 Modernes, Maître es Lettres Anglaises et Docteur es Lettres Arabes en 1993. Dès son arrivée au pays, il rejoint le camps de la mouvance soilihiste, MAESHABORA. En 1997, il est un opposant farouche du séparatisme et il a fondé avec Abdallah Sidi la NGIAU. Il parle sans cesse dans les radios et les télévisions dans le but de dénoncer le mouvement sécessionniste. Il est un militant de l’unité des îles et a subi aussi les violences et tortures des milices « embargos »160 .

Anfaidine Ali est né en 1959 à Mrémani (Nyumakélé) dans une famille modeste. Il fait ses études coraniques dans sa ville natale, mais il effectue ses études primaires et secondaireses à Mutsamudu. En 1986, il a eu son baccalauréat et cotinue ses études à l’école supérieure de , en Lettres Françaises et en Arabes. Avant le séparatisme, il occupe plusieurs fonctions politiques surtout pendant le régime de Djohar. En 1997, il est un opposant du séparatisme et il fait partie des intellectuels qui dénoncent le caractère démagogique des leaders séparatistes. Il est parmi les fondateurs de la NGIAU en 1997. A plusieurs reprises, il subit avec ses collègues, Abdou Sidi et Mohamed Imrane, les représailles des leaders séparatistes 161 .

La mouvance unioniste est surtout composée des jeunes intellectuels qui ont senti la menace à laquelle sont exposées l’unité et l’intégrité territoriales de l’archipel des Comores. Les unionistes sont plus jeunes (tournent autour de quarante ans) que les indépendantistes et les rattachistes. Ils justifient l’unité nationale dans l’histoire, la géographie et surtout la culture. Mais, ils dénoncent la manière dont les régimes successifs ont conduit l’Etat unitaire. La plupart d’entre eux se réclament des héritiers et nostalgiques d’Ali Soilihi parce que les régimes qui lui ont succédé ont plongé le pays dans une situation désastreuse tant politique qu’économique, à tel point que l’action inachevée d’Ali Soilihi paraît comme une promesse de réussite. Pour eux, il est temps d’unir les efforts pour sauver les acquis d’Ali Soilihi, surtout la décentralisation et l’unité. En fait, Ali Soilihi incarne un nationalisme très important aux Comoriens, c’est pourquoi les jeunes intellectuels se réfèrent toujours à lui.

160 Des entretiens que nous avons faits auprès de lui, le 5 décembre 2004. 161 Des entretiens que nous avons effectués auprès de lui, le 3 janvier 2005.

102 2. L’idéologie des unionistes

Les unionistes sont les Anjouanais, surtout des intellectuels qui veulent, en 1997 une nouvelle organisation politique basée sur une autonomie effective. Cette dernière est le système qui permet de mieux préserver l’unité de l’Etat et l’intégrité du territoire, tout en donnant à chaque île le droit de prendre en charge sa destinée. Ce mouvement a donc l’approbation des jeunes instruits qui suivent le cours de l’histoire. D’après les « unionistes »162 , le mouvement socio-politique de 1997 doit être une lutte contre les injustices des dirigeants et une bataille pour les droits des Anjouanais, mais non une éventuelle inspiration à un retour à l’enfer colonial ou à une balkanisation de l’archipel des Comores, dans ses frontières reconnues internationalement. Les unionistes sont pertinemment conscients des injustices et des déséquilibres dans les affaires du pays au détriment de l’île d’Anjouan, mais la solution pour le progrès de la population n’est pas dans la séparation c’est- à-dire que la séparation est une fausse solution à des vrais problèmes. Voilà un extrait corroborant la thèse des unionistes : « L’histoire des Comores depuis 1975 est caractérisée par de nombreuses injustices et des déséquilibres entre les îles. L’avenir de l’île d’Anjouan est à œuvrer dans un cadre institutionnel rénové qui reconnaîtra, à chaque entité régionale, sa spécificité et qui accordera plus d’autonomie et de pouvoir élargis aux îles ; et rien ne pouvant réussir sans transparence, sans respect scrupuleux des droits de la personne. La perspective d’avenir d’Anjouan n’est pas de couper le cordon ombilical qui le rattache avec les autres îles sœurs. Pour cela, nous ne sommes pas favorables à une séparation pure et simple de l’île d’Anjouan ». 163 A travers cet extrait, les unionistes veulent une nouvelle manière de vivre ensemble, c’est d’assurer la libre expression des particularités de chaque île. Ils pensent modérer les activités qui sont susceptibles de soulever dans les différentes îles des opinions antagonistes ou encore des jalousies et des méfiances entre les unes et les autres. La mouvance unioniste milite pour une large autonomie afin de préserver certaines spécificités liées notamment au phénomène insulaire c’est-à-dire préserver l’unité de la République dans le respect de la diversité des quatre îles. Pour eux, la méconnaissance de l’autonomie par l’Etat comorien a cautionné le déclanchement de la crise séparatiste. Ils considèrent ainsi l’autonomie comme un préalable ou un fondement de l’union des Comores.

162 Témoignage de MOHAMED Imrane et ANFAIDINE Ali. 163 Un extrait d’ABDALLAH Sidi, cité dans L’archipel , N° 163, juin 1997, p, 4.

103 Toutes les constitutions et tous les discours parlent toujours de l’union dans la diversité, mais cette dernière n’est pas forcement la référence des rapports politiques. En effet, on constate que dans la pratique, l’autonomie est toujours méconnue. La population comorienne reste organisée de manière sectaire et la classe politique brille par son incapacité à créer une culture fédérale capable de souder la nation comorienne. La culture politique comorienne est très vulnérable, ses fondements pratiques et son environnement démocratique sont médiocres. L’autonomie peut être donc une source de conflits entre l’Etat central et les institutions insulaires. Il semble impossible que dans de telles conditions l’autonomie puisse être en soi un remède aux maux de la société comorienne. Toute est fonction des pratiques de la classe politique et du comportement des Comoriens. Il est mieux d’inaugurer une nouvelle culture politique qui n’aurait pour critère que la démocratie. Les unionistes sont les leaders qui animent l’opposition au séparatisme. Ils veulent que les Anjouanais se défendent pour concrétiser leurs aspirations légitimes en administrant et en gérant librement leurs affaires tout en préservant l’unité nationale. Ils sont des autonomistes et ne sont pas favorables à l’éclatement de l’archipel. Pour cela, cette tendance se démarque carrément de mouvements « rattachiste » et « indépendantiste » qui ne veulent pas parler des autres îles. En d’autres termes, contrairement aux autres tendances, les unionistes prônent la nécessité de satisfaire le sentiment d’autonomie des collectivités locales en instaurant une décentralisation radicale et de fait. C’est donc le slogan de la mouvance unioniste. Ce courant a mené un travail de sensibilisation à travers surtout les médias. Mais le mouvement unioniste n’a pas trouvé un terrain favorable ou un écho dans les premières heures du mouvement, surtout dans les milieux ruraux. Ces derniers sont les bastions des rattachistes. Dans ces régions dominées par l’illettrisme, l’idée de rattachement ou au moins de l’indépendance est forte par rapport à la tendance unioniste. Il était tellement facile pour les habitants de la campagne de comprendre, par la naïveté, de vouloir « être comme les Mahorais » plutôt que « d’être comme les Mohéliens » et les « Grands Comoriens ». Les unionistes subissent non seulement les répressions de la population en étant qualifiés de « sharakwatsé » (littéralement des traîtres), mais aussi les représailles des autorités séparatistes. A plusieurs reprises, les unionistes à l’instar d’Abdallah Sidi, Mohamed Imrane, Chocolat Allaoui, Anfaidine Ali sont envoyés en prison du fait d’avoir critiqué l’idéal séparatiste.

104 Dans le milieu des cadres anjouanais, de groupes de réflexions ont eu lieu pour défendre avec acharnement l’unité menacée des Comores , mais aucune action ne réussit à influer significativement sur le cours des évènements, surtout au début. Mais, malgré les faiblesses des « unionistes », cette tendance a triomphé sur les autres tendances spontanées de 1997 parce que pour arriver à un terrain d’entente pouvant placer chaque entité dans une situation de confiance et d’auto-gestion pour les affaires internes, l’archipel se dénomme « l’Union des Comores ». Donc, les efforts déployés par la mouvance unioniste ont eu ses fruits au moyen terme.

105 CHAPITRE VI : IDEOLOGIE DU MOUVEMENT SEPARATISTE

Au moment du mouvement socio-politique de 1997, les idéologues de la séparation ont sorti tant bien que mal une panoplie d’arguments pour pousser la population d’Anjouan dans la voie de la sécession. Cette panoplie d’arguments faisait fi souvent de l’unité du peuple comorien. Certains séparatistes ont su distiller les idées préjudiciables à la pensée des Comores unitaires. Quelles sont les bases idéologiques du mouvement séparatiste anjouanais ? Dans ce chapitre, nous allons analyser non seulement les arguments du séparatisme, mais également l’ambiguïté des relations avec la France.

I. LES ARGUMENTS DU SEPARATISME

1. La révision de l’histoire

Nous savons que l’histoire n’est pas une ligne rectiligne, mais une courbe sinueuse qui souvent passe par des retours en arrière. Alors que globalement, l’évolution historique des Comores converge vers la consolidation d’une nation, la crise séparatiste apparaît d’abord comme le retour vers un passé révolu : celui « des sultans batailleurs ». L’apparition, par exemple, du drapeau de « Mawana » est à ce titre révélateur en 1997. Ainsi, à première vue la problématique de l’identité culturelle est revenue constamment pour nourrir l’agitation dans l’île d’Anjouan. L’OPIA qui est présentée comme étant l’expression des habitants de l’île, n’a pas hésité dans ses discours, à réviser l’histoire afin de fonder la légitimité historique et politique de la sécession. Voilà un extrait du chef de l’OPIA, Abdallah Ibrahim : « Anjouan a vécu souverainement pendant près de mille ans, de 993 (début de notre peuplement) jusqu’à 1912 (début de la colonisation). Pendant la colonisation, personne sur place ne parle de l’archipel des Comores, mais des quatre îles qui constituent chacune une entité et que rien ne prédispose à connaître un destin commun. Aujourd’hui, nous pouvons bâtir notre île sans les autres »164 .

164 Discours tiré sur nouvel enjeu, VIA , N° 102 octobre 1997, p. 28.

106 A travers ce discours, le chef de l’OPIA examine de nouveau l’histoire de l’archipel en prolongeant la hauteur et l’épaisseur du mur d’incompréhension léguée par la souveraineté de sultans. A défaut d’une volonté de fédéralisme, les séparatistes ont su distiller des slogans, des discours pour canaliser les mécontentements et leur donner corps. Ils ont érigé d’une manière démagogique les barrières insulaires, les esprits inhospitaliers et chauvins en se référant à l’époque des sultans. Ainsi, les séparatistes anjouanais évoquent le statut féodale des îles avant la colonisation pour entrer en contradiction flagrante avec le principe du droit international de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Le discours d’Abdallah Ibrahim rappelle aux Anjouanais qu’il n’y a jamais eu une unité du peuple comorien, tout au plus une circonscription administrative et coloniale des quatre îles voulue par la France à des fins de meilleure gestion. Pendant la période de sultanat, Anjouan a entrepris une tentative non pas d’unification mais de domination de trois autres îles . Elle a réussi à s’imposer à Mayotte et à Mohéli. Mais, cette entreprise n’a pas duré longtemps à cause de la venue de la France dans cette entité géographique. La France n’a pas dû rencontrer des difficultés à transformer en entité administrative et coloniale, ces îles parlant la même langue et pratiquant la même religion. Pour ces raisons, les séparatistes affirment que l’unité comorienne est une construction coloniale et une vue de l’esprit. Les sécessionnistes anjouanais revendiquent Mawana pour légitimer ce qu’ils estiment comme leur droit de contester l’unité politique et institutionnelle de l’ Etat comorien. Mais, contrairement à ce qu’on a pu entendre et évoquer, la nation comorienne n’est pas une simple vue de l’esprit parce que la nation est un ensemble des êtres humains habitant un même territoire, ayant une communauté d’origine, d’histoire, de culture, le plus souvent de langue et constituant une entité politique (Larousse). Les Comores renferment tous ces éléments. Les quatre îles des Comores constituent un ensemble géographique, socio- historique et politique parfaitement cohérent. Seulement, les séparatistes se réfèrent à l’histoire dans le but de s’affirmer sur le devant de la scène politique. Les dirigeants sécessionnistes sont obligés de mettre en place un discours de soi-disant différence d’origine afin de mettre en place leur idéal, c’est-à-dire qu’ ils se servent de l’histoire pour aboutir à leurs fins. Pour mieux appuyer leurs idéologies, les séparatistes ne manquent pas d’évoquer la « différence culturelle » entre Anjouan et la Grande Comore. Selon les propos de Chamasse Saïd Omar, un des leaders séparatistes, « les îles Comores ne se ressemblent pas étant donné

107 que les Anjouanais sont d’origine perse et arabe et que les Grands Comoriens sont d’origine Est africaine »165 . A travers cette affirmation, on s’aperçoit que le credo du séparatisme est de nier jusqu’à l’existence même des Comores. Le discours révèle clairement que les Comores forment un ensemble sans unité. Nous pensons qu’il s’agit là d’une série de manipulations des leaders séparatistes qui veulent susciter des affrontements pour prouver que l’unité des Comores est éphémère. Ainsi, sont balayés les fondements de la vie commune, de tradition, de tolérance, d’entraide, de reconnaissance de l’autre et de culture commune. Or, comme l’a si bien souligné le professeur Vérin , « la nation comorienne ne se fonde pas seulement sur le souvenir d’un siècle et demi du vécu colonial partagé en commun. Elle participe d’une véritable unité de langue et de culture, même si les Comores font souvent passer le patriotisme insulaire »166 . A cet égard, nul ne peut nier la communauté de langue, de culture, de religion, ainsi que les nombreux liens familiaux des Comoriens à travers les quatre îles. Les quelques différences de faciès dues au métissage sont reparties dans les quatre îles. L’isolement des îles entre elles a essentiellement pour cause des motivations humaines (surtout politiques) plus que des raisons historiques ou géographiques. Les rivalités inter-îles proviennent des particularismes faisant que l’ on pense en tant que Grand Comorien, Anjouanais, Mahorais ou Mohélien avant de se sentir Comorien. En effet, dès leurs origines, les Comoriens sont rattachés à l’ idée de l’ enracinement de l’individu à son groupe social d’origine. Jusqu’alors, le Comorien continue à raisonner à partir de cellule de base. Il s’identifie à sa région plus qu’à son île d’origine et il réclame plus son appartenance à cette dernière qu’à l’ensemble comorien. Autrement dit, le Comorien natif d’Anjouan se considère d’abord comme Anjouanais avant d’être Comorien, le natif de Mohéli s’affirme par son origine mohélienne avant d’accepter sa comorienneté et les Grands Comoriens ne sont pas en reste. L’insularité pèse lourdement dans l’esprit des Comoriens. Le détachement de Mayotte en 1975 a marqué un début de désintégration en inaugurant le patriotisme insulaire. La nation comorienne existe bel et bien, mais elle repose sur des bases fragiles que les élites manipulent facilement. Les idées préjudiciables à la pensée des Comores unitaires sont des stéréotypes des élites politiques car l’unité des Comores est une construction authentique.

165 Discours de Chamasse Saïd Omar, cité dans la VIA , nouvel enjeu, N° 113 août 1998, p. 53.

166 Vérin (P), Les Comores , Karthala, Paris, 1994, p . 45.

108 Par ailleurs, un certain nombre d’évènements ou de circonstances liés à l’histoire particulière des Comores semblent avoir mis en échec l’émergence même de la conceptualisation de l’unité. Les autorités françaises pendant presque un siècle et demi de colonisation et les autorités comoriennes indépendantes n’ont jamais adopté une politique qui irait dans le sens d’une vraie unité de l’archipel, ni tenté de parer aux difficultés inhérentes au morcellement des Comores. Il faut désigner en premier lieu la colonisation, parce que c’est elle qui, d’une certaine manière, a obéré durablement la production d’un discours qui aurait été le signe de l’entrée dans la modernité. Avec l’administration française, les Comores sont un découpage peu connu car elles restent une province éloignée de Madagascar avant de devenir le territoire des Comores. Lorsqu’il s’agit d’être Français, d’apprendre l’histoire de France et de parler français, il existe peu de place pour le sentiment d’être Comorien. La connaissance du passé et des efforts de la construction nationale aux Comores est ignorée à cause de la politique officielle du pouvoir colonial. Ainsi, les Comoriens formés par l’institution française vont garder les traces de ce vide et de cette dépossession pendant longtemps. Lorsque la colonisation s’achève et que l’unité vécue au sein de quatre îles doit trouver son expression dans un état unitaire, c’est l’échec d’une réelle décolonisation avec la perte de Mayotte. Une faiblesse indélébile s’inscrit dans la conscience unitaire et l’échec de la reconquête de Mayotte empêche l’émergence d’une nation comorienne sure d’elle-même ; les Comores sont ainsi privées du dynamisme. Les circonstances sont donc défavorables à la conceptualisation de l’unité comorienne. Les trois années d’administration sous Ali Soilihi, ne pouvaient suffire à l’implantation durable d’une réelle conscience comorienne, pourtant on peut dire que les Comores ont bien connu là un vrai penseur de l’unité. Malheureusement, étant mal apprécié, Ali Soilihi est condamné à travailler sur un espace amputé ; d’où une première signe de faiblesse. Après lui, Ahmed Abdallah, pourtant fort de son appellation (père de l’indépendance), n’a pas su concrétiser son avantage par un réel travail sur les consciences de ses concitoyens. Il continue à fonder son pouvoir sur des pratiques héritées de la colonisation qui tendent à enfermer les habitants de l’archipel dans des logiques étriquées des régions et des luttes de pouvoir. Il entretient aussi le népotisme. Donc, il ne voit pas la nécessité et surtout l’intérêt de jeter les bases d’une vraie structure étatique unitaire en profitant de la réelle unité de l’archipel autour de sa personnalité. Les autres élites politiques d’après Ahmed Abdallah ont fait comme lui.

109 Au demeurant, le concept unitaire et constructeur d’une entité comorienne ne trouve aucun lieu de s’exprimer pour atteindre la population. Au contraire, le discours de la remise en cause de l’unité nationale ne cesse de trouver un terrain favorable. L’idée de la conscience de l’unité comorienne n’est pas solidement ancrée dans les mœurs, elle est plutôt fragile.

2. La Grande Comore, un bouc émissaire

Le transfert de la capitale fédérale en 1961 à la Grande Comore a suscité de temps à autre des sentiments d’hostilité à l’égard de cette dernière. Actuellement, si Anjouan, après vingt deux ans d’indépendance, accuse un retard économique, la responsabilité est attribuée aux Grands Comoriens. Pour la propagande des leaders sécessionnistes, la Grande Comore aurait privé Anjouan de ses droits et avantages. Comme l’a bien souligné Cheikh Abdallah Ibrahim dans un extrait : « Nous connaissons tous, les torts énormes que vingt deux ans de vie commune avec la Grande Comore nous ont causé. Le monde entier en est informé largement. Les humiliations, les dénigrements, les mauvais traitements, les injustices flagrantes et criantes n’ont pas été épargnées aux Anjouanais. Nous étions conduits inexorablement vers la déchéance, la ruine et la misère par la Grande Comore »167 . Dans ce discours, Abdallah Ibrahim revient souvent sur les injustices , les dénigrements, les humiliations, les inégalités dont les Anjouanais sont victimes durant plusieurs années. Il ne cesse de répéter que l’île d’Anjouan est pauvre à cause de la Grande Comore. Les dirigeants sécessionnistes diabolisent les habitants de la Grande Comore. Ces dirigeants ne voient que la division et les antagonismes régionaux alors que les Grands Comoriens et les Anjouanais sont caractérisés par une homogénéité socio-historique. La lecture faite par les sécessionnistes est différente de la réalité existante parce que ce sont de fausses constructions qui ne se reposent pas sur des bases historiques solides. La sécession devient alors une alternative légale parce que la Grande Comore aurait opprimé la survie d’un groupe (Anjouanais) et hypothéqué son développement. Nous pensons que le discours du chef séparatiste est plein de confusion sémantique volontaire dans la mesure où les élites originaires d’Anjouan ont participé fortement aux gouvernements successifs qui siègent à la Grande Comore. Certes, il s’agit bien d’une confusion car le chef séparatiste confond sa libre interprétation subjective à la réalité. La

167 Discours d’Abdallah IBRAHIM, chef de l’Etat d’Anjouan, prononcé sur les ondes de la Radio Télévision anjouanaise, le 15 septembre 1997.

110 réalité c’est que toute l’élite comorienne sans exception, est responsable du chaos socio- politique qui déchire le pays. Cette confusion est effectivement sémantique en ce sens qu’Abdallah Ibrahim a presque entièrement faussé son interprétation. La signification qu’il attribue à la nature et à l’origine des évènements qui secouent la nation comorienne est, pour ainsi dire, erronée. Mais en toute vraisemblance, cette confusion sémantique est la volonté délibérée du chef de file du mouvement séparatiste, juste, dans le but de tromper, la population anjouanaise déjà vulnérable et de faire passer son idéologie démagogique. En vérité, toute l’élite politique anjouanaise a une grande responsabilité dans la situation qui prévaut dans le pays et qui bouleverse toute la stabilité et l’équilibre national. D’ailleurs, depuis l’indépendance, il ne se passe pas un gouvernement sans un président ou un premier ministre anjouanais. De plus, la centralisation a aussi profité à une grande partie de l’élite anjouanaise qui s’associe au gouvernement central. Les arguments séparatistes reposent sur des demi-vérités car les véritables responsables ne sont pas les Grands Comoriens. Ces derniers assistent aussi aux jeux des dirigeants, par exemple, ils accumulent aussi plusieurs arriérés des salaires comme les Anjouanais. Donc, le sentiment de frustration accumulé depuis des années et qui a abouti à la révolte de 1997 est le produit des agissements de nombreux responsables. Les comportements des élites anjouanaises, dans les hautes sphères politiques ont entraîné également l’île dans la tourmente.

Dans la foulée, les pionniers du séparatisme ont toujours cherché à exprimer et abuser les esprits des gens en montant l’Anjouanais contre le Grand Comorien. A titre d’exemple, le pionnier numéro un de la sécession anjouanaise, Abdallah Ibrahim affirme : « il n’est pas facile de vivre avec les Grands Comoriens, et la seule solution est de vivre entre anjouanais »168 . A cet égard, en tenant à exacerber les passions insulaires et à imposer la tendance séparatiste, le chef de file réveille, malgré tout, les convulsions d’une discorde en jetant du poison mortel entre les habitants de la Grande Comore et d’Anjouan. L’argument des leaders séparatistes frise la haine et le racisme. C’est le propre des discours identitaires de verser dans l’exclusion et le rejet. Les propos extrémistes et démagogiques sont facilement passés dans une population à qui on fournit la « raison » de tous les malheurs. Les régions marginales, en particulier, les populations sensibilisées par les événements, ont cru davantage aux propos fallacieux des leaders sécessionnistes. Mais, il est à noter que tous ceux qui connaissent la

168 Extrait de discours d’Abdallah Ibrahim cité dans L’archipel N° 165, 1997, p. 16.

111 réalité sociologique d’Anjouan ne seraient pas surpris par exemple, de voir les « Wamatsaha »169 se révolter contre les « Makabaïla »170 en évoquant les mêmes raisons. Les convulsions terribles peuvent s’annoncer car entre les Anjouanais tout ne devrait pas bien se passer. Les Anjouanais ont l’habitude d’analyser les rapports sociaux en fonction des critères de la ville et de la campagne. Et ceci constitue un sentiment de rejet des uns par rapport aux autres. Les idées séparatistes qui servent à légitimer leur tendance sont des arguments fallacieux et démagogiques. La situation dramatique qui mine l’île d’Anjouan est le produit des comportements de tous les Comoriens et en particuliers, ceux des élites politiques.

3. Anjouan français comme Mayotte

Dans la même lancée de la propagande séparatiste, les arguments ne manquent pas pour expliquer l’animosité et la volonté de changement radical. Anjouan connaît une forte densité (559,7 habts/km²) marquée par le chômage qui fait des ravages dans la population qui ne sait plus à quelle vie se vouer. Pire encore, la mévente des produits de rentes qui traduit l’accentuation de la pauvreté, oblige une grande partie de la population anjouanaise à émigrer vers les autres îles, surtout vers Mayotte considérée comme « l’Eldorado ». Sur ce point, l’idée d’être comme les Mahorais gagne de plus en plus du terrain. Cette idée était exploitée par les leaders séparatistes pendant la crise sociale de 1997. En effet, les sécessionnistes ont montré à la population qu’il était possible d’être comme les Mahorais à condition que les Anjouanais se séparent de la RFIC. Ainsi, pour montrer cela, voici un extrait du chef séparatiste, Abdallah Ibrahim : « J’ai rêvé d’un nouvel Eden, un autre paradis pour les Anjouanais. Ils ont tant souffert pendant des décennies. J’ai rêvé d’un nouvel Eldorado, pays d’enrichissement facile pour les Anjouanais. Ils ne périront plus en mer par centaines tous les mois en cherchant à atteindre Mayotte. Dans quelques mois, nous serons français comme les Mahorais si nous nous unissons pour combattre l’adversaire »171 .

169 Le terme Wamatsaha désigne les habitants de la campagne. 170 Le terme Makabaïla signifie les habitants de la ville (urbains). 171 Déclaration solennelle du président ABDALLAH Ibrahim, tiré de la radio Télévision anjouanaise (RTA), faite à Mutsamudu le 15 novembre 1997.

112 Visiblement, le discours ci-dessus, tenu par le chef séparatiste, est beaucoup trop démagogique et naïf. Mais, le leader séparatiste a su profiter d’une période durant laquelle la situation socio-économique des Anjouanais est dans une des phases les plus critiques. Devant une population de plus en plus fragilisée, en proie à la paupérisation et au bord de la misère, de tels discours passent « un peu » facilement ; d’autant plus que le bas niveau de l’éducation chez certaines personnes, l’analphabétisme et même l’illettrisme chez beaucoup d’autres favorisent la tâche des démagogues au même titre qu’Abdallah Ibrahim. Avec ses partisans, ce dernier est parvenu à sensibiliser tant de personne de différentes catégories sur la nécessité et l’urgence de la sécession, ainsi que sur les possibilités et les avantages de devenir Français comme les Mahorais. Dans cette optique, même les orchestres servent de moyens pour la propagande de ces idées. A titre d’illustration, voici une chanson très populaire d’un groupe :

« Anjouan, à bord des embarcations de fortune Nous partons à destination de Mayotte, l’île cocagne. Cet idéal tant aspiré se réalise chez nous bientôt venez vous joindre à nous… Anjouan est aujourd’hui indépendante Nous sommes tous les jours expulsés de cet Eldorado Cet idéal longtemps rêvé se réalisera chez nous bientôt Venez vous joindre à nous pour construire notre île ». 172

A travers ce texte, on remarque que les leaders séparatistes ne manquent pas d’occasion pour passer leur idéologie au peuple anjouanais. Même par l’intermédiaire des groupes musicaux, ils arrivent à véhiculer aisément leurs idées et leurs rêves quelque peu fantasmatiques, à travers la radio et surtout pendant les émissions les plus suivies d’Anjouan. Ainsi leur message pouvait atteindre facilement les cœurs des Anjouanais. D’ailleurs, le rythme de cette chanson résonne dans tous les coins de grandes villes. Dans le toile de fond, les séparatistes se servent des arguments basés notamment sur l’histoire vécue par les Comoriens, mais encore et surtout sur la réalité socio-économique, et même politique qui prévaut dans l’archipel, plus précisément dans l’île d’Anjouan. D’où justement le bref aperçu, à travers cette chanson, de la situation vécue par les Anjouanais dans

172 Orchestre Yasmine Bande de Domoni Anjouan, traduction d’ELFATAHOU Ali Sidi (étudiant en Lettres Françaises, à l’Université de Tamatave).

113 le quotidien. Cette situation s’explique par leurs tentatives répétitives et souvent dramatiques (calamiteuses) de débarquer à Mayotte en quête de leur idéal. Cet idéal, selon ces leaders séparatistes, est bien réalisable sans pour autant courir le risque de chavirer en pleine mer avec leurs embarcations et sans subir la honte de se voir expulsés par leurs cousins mahorais. Le seul mot d’ordre qui, aux yeux des séparatistes, facilitera la tâche et permettra le rêve de devenir une réalité, c’est la solidarité, l’union des Anjouanais. C’est pour cela que cette chanson appelle vivement au rassemblement « venez vous joindre à nous … ». Nous voyons ainsi à quel point les séparatistes étaient déterminés à aller au bout de leur objectif. A partir de cet appel au rassemblement, l’idée d’être comme les Mahorais poursuit son chemin et renforce le mouvement parce que la population désœuvrée par la crise économique et financière avait cru à cette idée alléchante.

Cependant, il est de plus en plus clair que la question de Mayotte est décisive et qu’elle conditionne dans un autre sens, l’instabilité dans l’archipel. Il paraît patent en se ralliant avec André Oraison qu’« il n’y aurait pas eu de problème de sécession à Anjouan en 1997 s’il n’y avait pas eu à partir de 1975 de contentieux Franco-Comorien sur l’île de Mayotte . Il est parfaitement certain que les multiples avantages dont bénéficient les Mahorais sur le plan social, sanitaire et scolaire en raison de leur statut de collectivité territoriale dans le cadre de la République Française (les flux financiers injectés au nom de l’assistanat) ainsi que le niveau de vie relativement élevé par rapport aux autres îles, ne peuvent susciter que jalousies et frustrations chez leurs cousins comoriens » 173 . Pour cela, le résultat est là à l’orée du XXI é siècle avec la question de l’île d’Anjouan qui réclame haut et fort le retour de l’ancienne puissance coloniale. Une autre explication aux revendications des séparatistes d’Anjouan qui veulent imiter Mayotte pour ne pas continuer à croupir dans la misère de Moroni : la proximité est ici mise en cause. La distance qui sépare Anjouan et Mayotte (moins de 70 Km) est très proche par rapport aux autres îles. Cette question de proximité a joué un rôle non négligeable. On peut également ajouter les liens culturels et linguistiques de ces deux îles. En effet, le mahorais est un dialecte proche de celui d’Anjouan. On a du mal à distinguer un Anjouanais et un Mahorais au point de vue linguistique. Sur le plan culturel, on n’arrive pas à distinguer les cultures mahoraises et anjouanaises. La langue, la culture ainsi que les valeurs islamiques forment le socle historique d’Anjouan et de Mayotte.

173 André Oraison, l’obligation de non reconnaissance de l’Etat d’Anjouan, Annuaire des pays de l’Océan indien , volume 15, 1997, p. 147.

114 Les Anjouanais qui ont « la chance » d’aller travailler à Mayotte reviennent avec quelques économies. Malgré les nombreux naufrages, les brutales expulsions des « clandestins », les Anjouanais tentent toujours leur « chance ». Cette situation, combinée aux facteurs socio-économiques et politiques fait le lit du mouvement, surtout la promesse faite aux Anjouanais de vivre comme les Mahorais.

II. AMBIGUÏTE DES RELATIONS DES ELITES AVEC LA FRANCE

1. L’attitude des élites envers la France

Les élites qui nous intéressent ici sont les hommes qui occupent les positions au sommet des hiérarchies politiques et administratives. Comment les élites comoriennes et en particulier anjouanaises se comportent vis-à-vis de la France pendant la crise de 1997 ? Il convient d’abord de rappeler que les hommes qui se succèdent aux hautes sphères du pouvoir politique aux Comores jusqu’alors sont majoritairement des élites formées par la France. Ces élites sont très proches de la France et de ses valeurs. Comme le dit Swalihi Bwana, « les élites politiques comoriennes continuent de considérer parfois sans l’avouer que le modèle français est le meilleur »174 . Les élites considèrent que tout ce qui est bien vient de la France et qu’il n’y a rien d’autre à faire. De surcroît, certaines élites, pour arriver au pouvoir, ont bénéficié de l’aide de partis, des troupes ou d’associations français. Pour toutes ces raisons, on arrive à ce paradoxe que jusqu’à maintenant beaucoup de décisions qui se prennent aux Comores, d’après les termes de Swalihi Bwana, viennent de la France et l’Etat comorien jusqu’à maintenant est une République bananière 175 . A ce sujet, les élites séparatistes ont suivi la voie d’être encore une fois à côté de la France. Comme l’affirme Abdallah Mohamed, militant séparatiste : « Anjouan, terre de la francophonie dans l’Océan Indien, est consciente depuis toujours qu’elle ne peut vivre en dehors de la France et toute solution aux problèmes des Anjouanais passe par la France »176 . Une telle affirmation de la part d’un Anjouanais instruit montre que la crise séparatiste, surtout l’idée de rattachement à la France, est renforcée par l’attitude de la classe dirigeante. Il nous paraît indéniable de voir que les élites anjouanaises chantent de plus en

174 Swalihi Bwana, la question française aux Comores , CNDRS, 2004, p. 3. 175 Idem : p. 4. 176 Cité dans L’Archipel N° 165, p. 16.

115 plus fort le rattachement Franco-Anjouanais et le retour dans le giron de l’ancienne métropole ; alors que cette dernière a fait des îles de l’archipel le lit de l’ingérence depuis l’accession des Comores à l’indépendance. A titre d’exemple, au nombre des accords 177 , le curieux accord de défense, qui n’a jamais empêché les mercenaires français de venir déstabiliser les îles signataires. La France est derrière les efforts déstabilisant l’ordre dans le territoire national comorien, pourtant les élites épousent de plus en plus ses valeurs. D’ailleurs, les accords de coopération sont improductifs et inadaptés, et n’ont de coopération que de nom parce que celle-ci ne constitue pas un catalyseur de développement. De plus, la politique française sur la question de l’île comorienne de Mayotte qui se caractérise par les expéditions et les expulsions des « Comoriens » se rallient dans la même stratégie. Néanmoins, les élites anjouanaises plient l’échine devant la France, au lieu de protester ou dénoncer la mainmise de l’ancienne puissance colonisatrice sur l’archipel. Peu de voix de la part des élites s’élèvent contre les pratiques condamnables perpétrées par la France. Ainsi, l’instabilité chronique entretenue par la France officieuse convainquirent rapidement les élites anjouanaises « pragmatiques », que pour exister, il fallait un soutien français. Ce soutien est considéré comme un gage de sérieux et d’une promesse de réussite. Jusqu’à maintenant on assiste à une résistance politique assez timide des élites vis-à- vis de la France, alors qu’elles doivent être susceptibles de mettre fin à l’occupation illégale par la France de l’île comorienne de Mayotte, origine de la quasi-totalité des maux qui frappent les Comores depuis 1975. L’élite politique continue à agir sous le joug, quelque peu déguisé de la France. L’attitude des élites comoriennes, pour rendre très effective l’indépendance solennellement acquise, continuent malgré tout à être dépendante, une dépendance silencieuse, rampante et très stratégique.

Ce n’est pas parce que les Comoriens sont indépendants qu’ils sont malheureux mais c’est précisément parce que les îles ne sont pas indépendantes, pas vraiment libres de prendre en main leur destin. C’est précisément parce que l’indépendance des Comores est un problème à poser et à résoudre. La mainmise française avec la complicité agissante des élites qui tiennent un double discours (la duplicité) provoque dans une certaine mesure le séparatisme. Mais pour mieux étoffer nos réflexions et bien expliquer la situation, il convient d’analyser, dans ce contexte, la position de la France.

177 Le 10 novembre 1978, cinq accords de coopération économique et militaire sont signés entre Paris et Moroni.

116 2. La position de la France

La France, ancienne puissance colonisatrice des Comores, détient une position très ambiguë dans la crise séparatiste de 1997 parce que la question des motivations réelles de la France à l’égard des Comores est très complexe et difficile à cerner. D’une part, la France officielle, dès le début des évènements d’Anjouan de 1997, prend position en faveur de l’unité et l’intégrité territoriale des Comores. Cela se fait officiellement par la voix de l’Ambassadeur de France à Moroni : « La France ne peut en aucun cas soutenir l’Organisation Pour l’Indépendance d’Anjouan (OPIA) car elle respecte l’intégrité territoriale des Etats, notamment celle de la République Fédérale Islamique des Comores qui a accédé à l’indépendance en 1975. Les mouvements séparatistes d’Anjouan et de Mohéli font fausse route »178 . Il s’avère ainsi évident que la politique officielle de la France souhaite le maintien de l’unité et de l’intégrité de la République comorienne. Dans cette même perspective, l’Hexagone voit en ces mouvements séparatistes une véritable déroute politique qui s’acharne à rompre sinon à renverser les cours de l’histoire ; or celle-ci ne peut, en aucun cas et sous aucune forme, revenir en arrière. Il n’est guère question de penser à une éventuelle recolonisation puisque cela n’a pas de sens actuellement, d’autant plus que c’est une forme qui n’est plus de mise dans le monde d’aujourd’hui. « La France a fait comprendre également que l’indépendance associée n’était non plus dans ses intentions »179 . Cette position est réitérée à plusieurs reprises par le Quai d’Orsay, notamment lors de la déclaration d’ « indépendance » et du « référendum d’autodétermination » de l’île d’Anjouan. Toutes les déclarations des officiels français, à propos de la crise de 1997, appellent au dialogue et à la recherche d’une solution pacifique. La France n’a jamais voulu s’impliquer ouvertement dans cette affaire, prétextant que sa nouvelle politique, en ce qui concerne la gestion des conflits en Afrique, consiste à ne pas jouer de rôle direct de médiation pour laisser les organisations régionales et les pays voisins régler les conflits. D’autre part, la position de la France ne peut pas apparaître neutre dans le cas de la crise séparatiste anjouanaise du fait que la France se montre beaucoup plus généreuse et coopérative envers les séparatistes, et refuse toute discussion sur le problème crucial de l’île

178 Mémorandum du collectif de la communauté anjouanaise à Ngazidja, une résolution de la crise séparatiste, Moroni le 15 octobre 1998, p. 12. 179 Cité Al-Wathan , N° 482, au 16 octobre 1997, p. 3.

117 Mayotte. En effet, plusieurs raisons montrent que la France fait probablement partie de la crise. On peut citer, entre autres, les raisons suivantes :  C’est au nom d’une volonté de rattachement à la France que les élites séparatistes ont mobilisé la population anjouanaise. Or, il serait étonnant d’assister à un mouvement dirigé surtout par des intellectuels, de les voir réclamer un rattachement à la France sans qu’il y ait, au préalable et en coulisse, des négociations bipartites (séparatistes- français). D’ailleurs, la réaction du consul de la France à Anjouan, Madame Loizelle qui, au cours de conversations avec certains responsables militaires (retraités français à l’instar d’Abdallah Belela, Chamasse Saïd Omar…), rassure ces derniers sur l’hypothèse selon laquelle ledit rattachement était probablement possible. Cette affirmation est un résultat des enquêtes que nous avons menées, des conversations que nous avons eues avec certains membres de l’OPIA, plus précisément Chamasse Saïd Omar, Allaoui Salim et Abdallah Ibrahim. Mais on peut formuler aussi l’idée que ce n’est pas parce que les séparatistes affirment leur rattachement à la France que la complicité de cette dernière reste valable et justifiée ; car une telle affirmation de la part des séparatistes pourrait être une stratégie politique qui ne se repose pas sur des fondements sérieux. Les leaders sécessionnistes pourraient l’utiliser comme un instrument d’une propagande afin de manipuler facilement la population désœuvrée. Ce qui veut dire qu’une éventuelle mise en doute de cette première raison pourrait être permise.  Les autorités locales de Mayotte jouent un rôle non négligeable de soutien aux séparatistes. Mayotte et la Réunion servent de bases arrières, voire de poumons aux séparatistes. A titre d’illustration par rapport à cette affirmation, on peut noter le fait que la plupart des séparatistes dont la sécurité est menacée au cours de la crise, se réfugient, sans aucun obstacle administratif, soit à Mayotte soit à la Réunion. Par ailleurs, de grandes figures de ce mouvement séparatiste sont domiciliées dans ces deux îles. C’est le cas du Docteur Zaïdou qui siège à la Réunion et qui d’ailleurs est un des représentants du mouvement à Addis-Abeba en Ethiopie lors du sommet qui regroupe les protagonistes de la crise et les médiateurs africains et internationaux. Les séparatistes sont soutenus financièrement par la diaspora anjouanaise résidant à Mayotte, à la Réunion et en France. Tous les témoignages concordent à dire que les séparatistes sont en contact permanant et direct avec les responsables des renseignements généraux français à Mayotte.

118 Dans le mémorandum du collectif de la communauté anjouanaise à « Ngazidja », on peut lire ceci : « Maintenant sa présence sur une partie du territoire comorien, la France a induit un déséquilibre politique, social et économique qui déstabilise constamment l’archipel […]. Les séparatistes ont libre accès à Mayotte (notamment leurs leaders) et entretiennent des relations étroites avec certaines autorités de l’île. Du matériel électoral a été acheminé sur Anjouan à partir de Mayotte à l’occasion du « référendum d’autodétermination » du 26 octobre 1997. Le cachet de l’Etat d’Anjouan apposé sur les passeports des personnes en provenance d’Anjouan est admis par les services d’immigrations de Mayotte. Pour finir, la France aurait, selon les séparatistes, proposé d’ouvrir un consulat en pleine crise »180 .

Depuis 1975, la France avait balkanisé les îles de la lune au mépris de la charte de la décolonisation. L’occupation de l’île comorienne de Mayotte est toujours l’objet de reproches, de critiques sur la scène politique internationale. De plus, pendant des dizaines d’années, l’archipel a vu se succéder certains de ses chefs d’Etat par la force des armes (surtout des mercenaires français comme Bob Denard). Comment se fait-il qu’en voulant et souhaitant l’intégrité et l’unité des Comores, la France continue à occuper l’île comorienne de Mayotte, et que celle-ci sert de base arrière aux leaders séparatistes anjouanais ? On ne peut nier l’appartenance de Mayotte à l’Union des Comores et se prétendre neutre sur la question du séparatisme anjouanais. Raison de plus, pourquoi la France n’intervient-elle pas dans les actions déstabilisantes des Comores ?

C’est justement à travers une telle attitude qu’on qualifie la position de la France d’ambiguë face à la crise séparatiste comorienne. Il est difficile de se faire une opinion sur les intentions réelles de la diplomatie française quant au devenir des Comores parce que la réalité est vraiment complexe. A moins que le mouvement séparatiste ne soit un alibi pour légitimer la présence française à Mayotte.

Au terme de cette dernière partie, la volonté du mouvement populaire d’Anjouan de se détacher de son giron naturel est sans équivoque. Les objectifs poursuivis par les séparatistes demeurent confus et les arguments avancés pour justifier la sécession sont fallacieux et reposent sur des démi-vérités. Les responsables de la crise ne voient que la division et les

180 Mémorandum du collectif de la communauté anjouanaise à Ngazidja, une résolution de la crise séparatiste, Moroni, le 15 octobre 1998, p. 12.

119 antagonismes régionaux. La lecture faite par les dirigeants séparatistes relève d’une stratégie politique et ne se base nullement pas sur des fondements historiques solides. Les discours des leaders sécessionnistes frisent la haine, le rejet et l’exclusion sociale. Ils diabolisent la Grande Comore en faisant une confusion sémantique entre les habitants de cette île et l’Etat. Les séparatistes ont voulu imprégner de fausses constructions idéologiques pour accéder au pouvoir.

120 CONCLUSION

121 Le spectre du séparatisme devient une arme ou un instrument de chantage politique. La tendance au sécessionnisme est déjà présente depuis l’accession des Comores à l’indépendance. La crise de 1997 n’est qu’une étape dans la manifestation de cette tendance profonde des élites anjouanaises. Le séparatisme est ainsi un processus latent de la culture politique anjouanaise. Le séparatisme de 1997 n’est pas le fruit du hasard car les racines historiques s’installent dans le temps et l’espace. Le séparatisme est un moyen tactique d’accéder au pouvoir. Les leaders sécessionnistes ont su profiter d’une période à laquelle la situation socio-économique des Anjouanais était dans une des phases les plus critiques. Devant une population de plus en plus fragilisée, en proie à la paupérisation et au bord de la misère, les discours démagogiques des élites politiques anjouanaises passent un peu facilement. De plus, le bas niveau de l’éducation chez certaines personnes, l’analphabétisme et même l’illettrisme chez beaucoup d’autres favorisent la tâche des démagogues. Les séparatistes sont ainsi parvenus à sensibiliser tant de personnes de différentes catégories et groupes sociaux sur l’un des rares canons disponibles de protestations et de revendications sociales. Ils arrivent à véhiculer aisément leurs idées et leurs rêves quelque peu fantasmatiques et fantaisistes. Ils se servent des arguments basés sur l’histoire vécue par les Comores, mais encore sur la réalité socio-économique et même politique qui prévaut dans l’archipel, plus précisément à Anjouan. Cependant, le danger d’éclatement de l’archipel des Comores est entretenu par quelques personnes qui ne trouvent plus leur compte dans les hautes sphères institutionnelles de la République. Les simples gens d’Anjouan aspirent tout simplement à l’amélioration des conditions de vie. Pour la crise de 1997, il s’agit d’une série de manipulations de certaines élites politiques, qui veulent susciter des affrontements pour prouver que l’unité des Comores est une fantaisie. L’unité des Comores n’a jamais été remise en question par sa population, ce sont les élites politiques qui constituent le principal problème en raison de leur engouement pour le pouvoir. Un certain nombre des circonstances liées à l’histoire particulière des Comores semblent avoir préparer l’émergence de la crise sécessionniste. L’émergence du mouvement est directement amplifiée par le gouvernement du feu Président Mohamed Taki. Face au mépris des autorités qui siègent à Moroni à l’égard des revendications des enseignants et élèves, la crise a pris une tournure politique. Les autorités de l’époque se sont distinguées par leur incapacité à sortir le pays de la crise, refusant à engager la clé de la diplomatie (dialogue). Le paradoxe est que l’intervention musclée reste le

122 moyen le plus efficace pour mettre un terme aux revendications. A plusieurs reprises, les troupes de Mohamed Taki ont brutalisé des vieillards, commis des violations de domiciles et incendié des maisons des miséreux. Ainsi, ils ont piétiné en quelque sorte la dignité et l’honneur des Anjouanais. La blessure de la population anjouanaise est devenue beaucoup plus profonde. Le pouvoir fédéral n’a donc pas su gérer cette crise, et une large contribution de ce dernier a conduit à la détérioration de la situation en 1997.

En filigrane, la crise soico-politique de 1997 sonne comme une démonstration du caractère non viable de l’indépendance. Les Anjouanais, avec les contraintes économiques et sociales, ont largement adhéré dans les années soixante à l’idée de l’indépendance des Comores. Plus de deux décennies après l’indépendance unilatérale, aucun projet de société et aucune perspective de développement ne sont offerts à la population anjouanaise. L’indépendance des Comores est une succession de souffrances, d’humiliations et de drames nationaux. Elle est restée inachevée, malmenée et compromise. Ce qui fait que les habitants de l’île d’Anjouan sont désespérés et désorientés. Sur ce, une interrogation sur la pertinence de l’indépendance est posée. Une décolonisation inachevée est une des racines profonde de la séparation anjouanaise. La France, en divisant l’archipel en 1975 au mépris de la charte de la décolonisation, a laissé une indépendance inachevée qui a introduit un déséquilibre social, économique voire politique « aux îles de la lune ». Mayotte, avec l’abondante assistance financière venue de la Métropole, ne pouvait que constituer un attrait irrésistible pour la population anjouanaise qui se débat dans les difficultés d’un « Etat en construction ». L’exode vers Mayotte (l’Eldorado des îles) et l’attachement de l’île d’Anjouan à la France sont bien évidemment révélateurs de cet état d’esprit. La proximité d’Anjouan avec l’île de Mayotte accroît davantage la contradiction et le malaise. La prise de conscience de particularismes insulaires, laquelle avait orienté le choix du statut constitutionnel de l’archipel vers le fédéralisme, est abandonnée. Les dispositions les plus fondamentales du fédéralisme sont oubliées par les autorités compétentes. Le fédéralisme s’est, par conséquent, très peu traduit dans les faits. Le séparatisme de 1997 est la conséquence la plus désastreuse du non respect par les autorités comoriennes, des règles fondamentales du fédéralisme. En effet, certains aspects du centralisme à outrance ont contribué à l’avènement de la crise. Mais, il est à noter que la centralisation a aussi profité à une grande partie de l’élite anjouanaise qui participe au gouvernement central. Donc, le centralisme est une mystification idéologique et politique.

123 Les disparités de développement physique et de la richesse relative entre les habitants de la Grande Comore et ceux d’Anjouan sont devenues la pomme de discorde et alimentent les forces centrifuges qui ont poussé vers l’éclatement.

Par ailleurs, la mauvaise gouvernance et l’instrumentalisation du pouvoir qui ont permis l’émergence d’une certaine élite qui s’est elle-même octroyée des privilèges inaccessibles à la majorité de la population, ont provoqué une frustration. Le sentiment d’isolement, la perception d’une distribution inéquitable des ressources, les difficultés de forger une idée de la nation et de l’intérêt commun sont parmi les racines profondes du séparatisme anjouanais.

A cause de cette physionomie dépressive, un penseur comorien affirme « qu’ il y a une tendance naturelle dans les Etats composés d’une multitude d’ îles ou dans les Etats archipels qui favorisent la sécession beaucoup plus que la volonté de construire un futur commun »181 . Bien évidemment, le déséquilibre et la concentration des ressources, de l’élite administrative et politique dans la capitale fédérale font que ceux qui s’en trouvent éloignés éprouvent une grande frustration et un sentiment d’injustice. Cela explique donc l’omniprésence de l’esprit de la séparation dans les Etats archipels. Toutefois, il convient de savoir qu’aux Comores il s’agit d’une tentation récurrente qui s’inscrit dans un long processus de fragilisation de l’Etat. Ainsi, les dirigeants n’ont pas su concrétiser leur avantage par un réel travail sur les consciences des citoyens. Ils ne voient probablement pas la nécessité de jeter les bases d’une vraie structure étatique unitaire en profitant de la réelle homogénéité autour de l’archipel. L’idée de la conscience unitaire des Comores n’est pas solidement ancrée dans les mentalités. Elle reste jusqu’à maintenant fragile. Or, une nation se construit grâce à la volonté d’hommes et de femmes d’envergure qui privilégient l’unité de la nation et l’intérêt général, au détriment des intérêts particuliers comme facteurs d’instabilité et de division. On assiste donc à une absence totale d’une classe politique à la hauteur de la complexité d’un Etat archipel, ayant une vision prospective de la société. Les élites politiques sont peut-être incapables de profiter des bases historiques solides de la nation pour construire un Etat fiable et fixer d’une manière durable un itinéraire de développement. Il s’agit là du défi le plus important que les Anjouanais et les Comoriens en général ont eu à affronter. Ce

181 Ismaël Ibouroi, Les Comores : La naissance du séparatisme ou l’effondrement d’une République , CNDRS, 2000, p. 5.

124 défi peut être vraisemblablement relevé par une nouvelle capacité d’autonomie, un Etat de droit et une démocratie effective qui feront refluer à l’intérieur des consciences individuelles, la confiance en soi perdue. Ce sont probablement les préalables nécessaires pour faire barrage aux tentations séparatistes qui travaillent la société comorienne. En définitive, deux ans après la signature de l’accord d’Addis-Abeba (10-13 décembre 1997), qui semble restée une lettre morte, de pourparlers de paix tenus à Antananarivo sous les auspices de l’organisation de l’unité africaine, ont abouti à un accord en avril 1999. Cet accord n’a pas été également mis en œuvre. Le coup d’Etat du 30 avril 1999 renverse le gouvernement civil et instaura une junte en la personne d’Azali Assoumani. Mais, au lendemain du coup d’Etat, les partis protagonistes parviennent le 17 février 2001 à s’entendre pour signer l’accord cadre de Fomboni après cinq ans de crise séparatiste. Cet accord constitue un processus national long qui conduit le pays vers un changement radical de ses institutions en vue de mettre un terme à toutes les dérives en posant les fondations d’un nouvel ensemble comorien répondant aux aspirations et aux spécificités des îles. Ce terrain d’entente donne naissance à l’Union des Comores au sein de laquelle chaque île est dotée d’une large autonomie. L’union des Comores marque indiscutablement l’aboutissement d’une longue crise, mais elle est le système le plus complexe que le pays ait jamais connu jusqu’ici. En effet, en multipliant le nombre des Présidents au sein d’un seul Etat, on aboutit à une fragmentation politique auto-entretenue, à une segmentation politique incontrôlée qui a deux conséquences perverses : d’abord, la prolifération des structures administratives et politiques qui augmente considérablement le coût économique de l’Etat ; enfin, une valorisation des critères insulaires ou régionaux aux dépens des critères nationaux. Nous pensons que l’Etat avec quatre présidents et plusieurs centres de décision constituent un foyer de tensions permanentes.

Certaines pistes de réflexions que nous avons essayé d’analyser dans cette étude méritent d’être approfondies dans la mesure où elles présentent les conditions requises pour faire des sujets à part entière de recherches. On note entre autres, le déroulement de la crise séparatiste et ses conséquences, l’analyse des discours séparatistes, le séparatisme et l’identité comorienne.

125 BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES

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128 B. Les sources orales : informateurs

Noms et Prénoms Age Profession Adresse Date de l’interviews ABDALLAH Ibrahim 78 ans Chef religieux (Président de l’Etat d’Anjouan) Mroni-Mutsamudu-Anjouan 16 janvier 2005 ABDALLAH Houmadi 67 ans Commerçant Jimilimé-Anjouan 15 décembre 2004 Administrateur( chef de la délégation Chitsouguini-Ouani-Anjouan 5 décembre 2004 ABDALLAH Mohamed 48 ans Anjouanaise à Antananarivo ) ABDALLAH Sidi 40 ans Ingénieur de ponts et chaussées Ouani collège rural 3 janvier 2005

ABDOURAIHAMANE Houmadi 45 ans Ingénieur à l’école professionnelle de Ouani Ptéleya-Ouani-Anjouan 3 décembre 2004 ABDOU Ali 42 ans Instituteur Hada-Nyumakélé-Anjouan 1er janvier 2005 ABDOU Maoulidi 53 ans Administrateur (ancien premier ministre de -Anjouan 5 janvier 2005 « l’Etat d’Anjouan ») ANFAIDINE Ali 38 ans Professeur Nyumakélé-Mremani 10 janvier 2005

AHMED Mohamed 52 ans Agent de travaux publics Chitsouguini-Ouani-Anjouan 12 février 2005 ALADA Houmadi 58 ans Instituteur Bambao- Tsembeho-Anjouan 7 janvier 2005 ALI Charif 67 ans Ancien député, coordinateur de « l’Etat Chitsouguini-Ouani-Anjouan 11 mars 2005 d’Anjouan » ALLAOUI Salim 62 ans Secrétaire Général de MPA, Conseiller de chef Msiridjou-Ouani-Anjouan 2 décembre 2004 de « l’Etat d’Anjouan » ANSENENE 35 ans Agent de l’aviation Pangahari Ouani Anjouan 12 février 2005 ATTOUMANI Marie 25 ans Paysan Hada-Nyumakélé-Anjouan 1er janvier 2005

129 ANTUFI Mohamed Bacar 47 ans Journaliste Msiridjou-Ouani-Anjouan 6 décembre 2004 ABOU Mgazi 52 ans Notable-Animateur (Radio Dzialandzé) Missiri-Mutsamudu Anjouan 8 décembre 2004 AHMED Allaoui 43 ans Président de Droit de l’Homme aux Comores Guidzoni-Ouani-Anjouan 7 février 2005 BAHAGOULAMOU 58 ans Chef religieux Mirontsi-Anjouan 5 janvier 2005 BOURHANE Abdérémane 56 ans Professeur Ptéleya Ouani-Anjouan 10 août 2004 DHOULKAMAL Ben Attoumane 52 ans Professeur Ouani-Anjouan 3 août 2004 Cheikh Cheikh 58 ans Ex-gouverneur d’Anjouan (officier de police) Domoni-Anjouan 20 janvier 2005 FATIMA Mkiroidjimoi 43 ans Professeur (Vice présidente de l’Etat d’Anjouan) Mutsamudu-Anjouan 25 janvier 2005 FATIMA Abdallah 56 ans Paysanne Mrémani-Nyumakélé-Anjouan 30 janvier 2005 HADIDJA Houmadi 35 ans Paysanne Tsembehou-Bambao-Anjouan 7 janvier 2005 HACHIM Abdou Petit 47 ans Officier de police Mutsamudu-Anjouan 25 janvier 2005 HACHIM Moussa 40 ans Administrateur : Poste et télécommunication Sima-Anjouan 15 février 2005 IBRAHIM Abdallah 53 ans Ex-Ambassadeur des Comores auprès des Etats Guidzoni-Anjouan 5 août 2004 Arabes OMAR Abdou 31 ans Paysan Koni-Djodjo-Anjouan 15 janvier 2005 KOULITHOUME Djanfar 25 ans Paysanne Badrani-Anjouan 21 janvier 2005 KAMAR Ali SIDI 25 ans Pêcheur Badrani-Anjouan 21 janvier 2005 Mohamed Ousseni 45 ans Professeur Ouani-Anjouan 14 août 2004 Mohamed Abdoulwahab 52 ans Professeur Moroni-Grande Comore 15 août 2004 MOHAMED Imrane 36 ans Professeur Ouani Poteleya 5 décembre 2004

130 Moussiambou Halidi 43 ans Professeur Ouani-Anjouan 14 août 2004 Moustoifa Saïd Cheichk 54 ans Secrétaire Général du Front Démocratique Moroni-Grande Comore 15 août 2004 RANGA Abdérémane 37 ans Agent de police Sima-Anjouan 15 février 2005 SAID ALI Abdou 25 ans Chômeur Koni-Djodjo-Anjouan 15 janvier 2005 SAID OMAR Chamasse 68 ans Ex-premier Ministre de l’Etat d’Anjouan retraité Domoni-Anjouan 20 janvier 2005 de l’armée française SAID Hamza 41 ans Pêcheur -Anjouan 17 janvier 2005 Salima Mohamed 27 ans Couturière Badrani-Anjouan 21 janvier 2005 Zaina Houmadi 24 ans Ménagère Pomoni-Anjouan 14 février 2005 Zaïlia Ali 41 ans Maçon Baziraini-Anjouan 25 février 2005

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paris8.com.)

38. ORAISON (André), L’obligation de non-reconnaissance de l’Etat d’Anjouan : Les

problèmes posés par la nouvelle balkanisation de la république Fédérale Islamique des

Comores, Annuaire des pays de l’Océan Indien , 1997, Vol. 15, pp. 143-164.

39. PASCAL (P), Les Comores : Les nouveaux mercenaires , l’Harmattan, Paris, 1994,

174 p.

40. ROBINEAU (CL), Essai sur les phénomènes de comportement économique à

Anjouan , Université d’Antananarivo, 1963, 153 p.

41. ROBINEAU (CL), Société et économie d’Anjouan , ORSTOM, Paris, 1996, 153 p.

42. ROBINEAU (CL), L’Islam aux Comores, une étude d’histoire culturelle de l’île

d’Anjouan, Université d’Antananarivo 1960, pp.39-55.

43. SAID AHMED (M), Guerres, princes et poètes aux Comores , l’Harmattan, Paris

2000, 280 p.

44. SAID (A), Les Comores : le pari et l’avenir , Offices, Paris, 1989, 205 p.

45. SWALLIHI (B), La question Française aux Comores, 2004 (http://www.comores-

online.com).

46. TOIHIR (M), La république des imberbes , l’Harmattan, Paris, 1985, 228 p.

47. TOUEBATI, L’indépendance des Comores et ses effets sur la politique du pays ,

EHES, Paris, 1989, 216 p.

48. VERIN (P), Les antiquités de l’île d’Anjouan, Bulletin de l’Académie malgache, 1984,

pp. 69-80.

49. VERIN (P), Les Comores , Karthala, Paris, 1994, 260 p.

50. WADAANE MAHAMOUD (A), Reformer les Comores , Cercles Repères, Paris,

1996, 320 p.

135 51. WADAANE MAHAMOUD (A), Mayotte : Le contentieux entre la France et les

Comores , l’Harmattan, Paris, 1992, 303 p.

52. ZOUBER (B), Mayotte : Foyer du séparatisme comorien , 1997 (wewu.com).

136

ANNEXES

137 ANNEXE 1 : CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS

Nous avons pris une partie de cette chronologie à l’Internet

N.B : Cette chronologie n’est pas exhaustive. Votre contribution est souhaitée pour la corriger ou la compléter de manière à ce que nous puissions constituer là, effectivement, un document de référence. Je vous remercie de votre collaboration.

Année 1997. 9 janvier : Plusieurs centaines de fonctionnaires, en grève illimitée depuis le 1 er janvier, manifestent à Moroni pour réclamer le paiement de dix mois d’arriérés de salaires. Depuis plusieurs jours, des manifestations se déroulent également à Mutsamudu, pour les mêmes raisons. 28 janvier : Des violents affrontements éclatent entre forces de l’ordre et manifestants à Moroni. Bilan : une vingtaine de blessés et 75 personnes arrêtées. 18 février : Affrontements entre syndicalistes et forces de l’ordre à Mutsamudu. Bilan : 1 mort et plusieurs blessés. 14-16 mars : Des émeutes éclatent à Anjouan (4 morts, 20 blessés et 70 arrestations). 17 mars : Près de 300 lycéens en grève sont appréhendés par les forces de sécurité dans les locaux du lycée de Moroni. 18 mars : Un nouveau remaniement du gouvernement intervient dans un fond de tension social. MAHAMOUD Attoumane est nommé Gouverneur de l’île d’Anjouan, en remplacement d’AHMED Abdallah Sourette. 23 mars : Des lycéens appréhendés le 17 mars sont libérés sur pression de leurs parents. 3 avril : Les enseignants suspendent leur grève et reprennent les cours, au lycée de Moroni. 10 mai : La lettre de l’Océan Indien fait état de la création à Anjouan d’un mouvement séparatiste dénommé « Mawana », du nom d’un ancien sultan de l’île.Le mouvement est présidé par le commandant AHMED Mohamed Hazi, ancien gouverneur de l’île et ancien chef d’état major des forces armées comoriennes, sous le régime d’Abdallah 18 juin : Coup de théâtre en conseil des Ministres : le président Mohamed TAKI accuse ses ministres « d’immobilisme et de divulgation des secrets de l’Etat ». Il en suspend le déroulement.

138 23 juin : Le drapeau français est hissé à Anjouan, durant une heure, face à la préfecture de Mutsamudu. L’armée procède à des arrestations. 6 juillet : La commémoration de l’indépendance nationale n’est pas fêtée à Anjouan. 14 juillet : Deux séparatistes anjouanais sont tués dont 1 manifestant et 1 membre des forces de l’ordre. 15 juillet : Des renforts de l’armée comorienne sont envoyés à Anjouan. 18 juillet : Foundi ABDALLAH Ibrahim, au nom de l’Organisation pour l’Indépendance d’Anjouan (OPIA), écrit au président MOHAMED Taki pour lui déclarer que : « L’île d’Anjouan appartient aux Anjouanais et qu’elle est officiellement rattachée à la République française, depuis le 14 juillet 1997 ». 19 juillet : Une réunion de crise se tient à la résidence privée du Président MOHAMED Taki à entre le gouvernement et une délégation de personnalités anjouanaises, pour tenter de dénouer la crise. 20 juillet : A Anjouan, un directoire politique est mis en place présidé par Foundi ABDALLAH Ibrahim, pour défier les autorités de l’île. 21 juillet : Le gouverneur d’Anjouan procède à l’arrestation de Foundi ABDALLAH Ibrahim et de Monsieur Ahmed CHARKANE. Transférés à Moroni, ils sont immédiatement placés en résidence surveillée. 22 juillet : Violents incidents entre séparatistes et forces de l’ordre à Mutsamudu et à Domoni où la résidence du nouveau gouverneur est incendiée. 24 juillet : Les séparatistes nomment Mme Fatima Mkiradjoumwa, présidente par intérim du directoire politique, en remplacement de Foundi ABDALLAH Ibrahim. 26 juillet : Les séparatistes incendient à Mutsamudu, la résidence d’Ahmed Abdou, premier ministre du gouvernement. 27 juillet : Foundi ABDALLAH Ibrahim et CHARKANE sont libérés, après s’être engagés tous les deux au près du président MOHAMED Taki, à œuvrer pour le retour au calme et à la négociation avec le gouvernement. 29 juillet : Des drapeaux français sont hissés également sur l’île de Mohéli. 3 août : Les séparatistes proclament unilatéralement l’indépendance d’Anjouan, en réponse à la déclaration radiodiffusé du président MOHAMED Taki, le 1 er août. 5 août : Foundi ABDALLAH Ibrahim est désigné président de la coordination d’Anjouan. 9 août : L’OUA rejette la sécession d’Anjouan et dépêche aux Comores l’Ambassadeur Pierre YERE, pour trouver une solution. 11 août : Les séparatistes de Mohéli proclament à leur tour l’indépendance de l’île.

139 12 août : Les séparatistes mohéliens nomment un président et un premier ministre, avant d’occuper à leur tour le gouvernorat et de réclamer le rattachement de l’île à la France. 13 août : L’Union Européenne réaffirme son attachement au respect de l’intégrité territoriale des Comores. 17 août : L’émissaire de l’OUA, Pierre YERE, annonce la convocation d’une conférence de réconciliation à Addis-Abeba, pour le 10 septembre. 18 août : Le Gouvernement français juge encourageant la mission de conciliation menée aux Comores par l’OUA et réaffirment à l’intégrité territoriale de la RFIC. 22 août : Suite à la mission de l’ambassadeur Pierre YERE aux Comores, l’Organe Central de prévention des conflits de l’OUA décide l’envoi d’observateurs dans l’archipel. 28 août : L’armée intervient à Mohéli. 3 septembre : Deux cents militaires débarquent à Anjouan. c’est la débâcle : deux mort et une centaine de prisonniers du côté des forces armées. 26 septembre : La coordination anjouanaise organise un « référendum d’autodétermination », considérée comme nul et non avenu par l’ensemble de la communauté internationale. 6 novembre : L’organe central de prévention des conflits de l’OUA autorise le déploiement d’observateurs militaires aux Comores. 13 novembre : La délégation de l’OUA, conduite par l’ambassadeur Pierre YERE, est » huée et insultée » à Anjouan. Pierre YERE dénonce la dérive totalitaire des dirigeants séparatistes. 14 novembre : Le gouvernement séparatiste anjouanais décide de libérer les prisonniers militaires de l’armée comorienne emprisonnés à la suite de l’intervention du 3 septembre. 17 novembre : MOHAMED Abdou Mmadi, ancien porte parole des séparatistes, devenu indésirable à Anjouan, regagne clandestinement Moroni, la capitale. 10 décembre : Une conférence internationale sur la crise s’ouvre à Addis-Abeba. Un accord est conclu en vue de l’organisation prochaine à Moroni d’un forum de négociation sur le futur statut de l’archipel.

140 Année 1998. 27 janvier : La commission de suivi de la mise en œuvre de l’accord d’Addis-Abeba se réunit à Mohéli. 9 février : Monsieur MOHAMED Abdou Mmadi, ancien porte-parole des séparatistes anjouanais avant de se rallier au pouvoir, tente une opération clandestine contre les séparatistes à partir de son village natal de Mdjamaoué. L’opération tourne au fiasco. MOHAMED Abdou Mmadi échappe de justesse aux séparatistes mais sa maison est mise en feu. 25 février : Les séparatistes organisent un référendum constitutionnel considéré comme nul et non avenu par l’ensemble de la communauté internationale. 5 mars :Le porte-parole du Quai d’Orsay condamne le référendum constitutionnel organisé par les séparatistes. 6 mars : Le conseil des ministres de l’OUA exprime à son tour son mécontentement à l’égard des séparatistes et décide d’envoyer aux Comores une mission ministérielle à laquelle participeront l’Afrique du Sud, le Kenyan, la Tanzanie, Madagascar, l’île Maurice, le Zimbabwe et le Burkina faso. 7 mars : Foundi ABDALLAH Ibrahim dissout son gouvernement et son cabinet. 9 mars : CHAMASSE Saïd Omar est nommé première ministre. Agé de 62 ans et non voyant, il est le leader de l’aile dur des séparatistes et l’artisan du rattachement d’Anjouan à la France. 14 mars : Huit cent cas de choléra dont 20 mortels sont recensés depuis le début de l’année à la Grande Comore. 19 mars : Echec de la mission ministérielle de bons offices de l’OUA à Anjouan. 31 mars : SALIM Hadji Himidy, Directeur de cabinet du président MOHAMED Taki, ordonne l’arrestation du journaliste et ancien ministre, HADJI Hassanaly. 3 avril : Monsieur ABBAS Djoussouf, leader du Forum pour le redressement national (FRN) annonce à Moroni, son intention de se rendre à Anjouan sur invitation des séparatistes. 27 avril : Une délégation du parlement européenne, conduite par l’ancien premier ministre français, Michel ROCARD se rend aux Comores. 1er mai : La COI prend position pour la première fois sur la crise comorienne et exprime sa préoccupation. 3 mai : Mayotte annonce la disparition de 47 personnes qui tentaient de gagner Mayotte par la mer, victime de l’explosion de leur barque. Seule six personnes, deux hommes, trois femmes, et un enfant, survivent à cette catastrophe.

141 5 mai : Plusieurs centaines de jeunes manifestent à Moroni après la saisie par les forces de l’ordre des matériels d’émission de la radio indépendante, Tropic FM. 9 mai : Les dockers en grève depuis plusieurs jours dans la capitale séquestrent un responsable du port de Moroni, Mzawiani, ami du président MOHAMED TAKI. 11 mai : Vive tension à Moroni où les fonctionnaires qui réclament le paiement de quinze mois d’arriérés de salaires, érigent des barricades paralysant la capitale – Bilan trois morts et cinq blessés. 30 mai : MOHAMED Abdou Mmadi fait son entrée au gouvernement dans une équipe entièrement rénovée et composée essentiellement de technocrates. 3 juin : Foundi ABDALLAH Ibrahim, dans une déclaration à l’AFP, propose la création d’Etats indépendants associés. 10 juin : Le sommet des chefs d’Etat de l’OUA réunis à Ouagadougou (Burkina Faso) réaffirme son attachement à l’unité, à la souveraineté, à l’intégrité des Comores et sa détermination à tout faire pour faire respecter ses principes. 18 juin : La commission européenne octroie une aide de 300 000 écus à l’île d’Anjouan, officiellement pour prévenir une épidémie de choléra. 7 juillet : Destitution de CHAMASSE Saïd Omar du poste de premier ministre d’Anjouan. 10 juillet : Désignation du nouveau gouvernement de 5 membres, sans premier ministre. 11 juillet : Manifestation de protestation à Anjouan contre Foundi ABDALLAH Ibrahim. 11 juillet : Le commandant AHMED Mohamed Hazi tente sans succès de renverser Foundi ABDALLAH Ibrahim. 14 juillet : Les milices de Foundi ABDALLAH Ibrahim empêchent les partisans de CHAMASSE Saïd Omar de célébrer la fête nationale française à Mutsamudu. La fête est célébrée à Mirontsy, fief des « rattachistes ». 6 novembre : rentrée d’Europe le matin, le président Mohamed TAKI décède à sa résidence présidentielle. Monsieur TADJIDINE ben Saïd Massounde, président du Haut Conseil de la République en assure l’intérim. 5 décembre : Foundi ABDALLAH Ibrahim, chef des séparatistes échappe à une seconde tentative d’assassinat dans les rues de Mutsamudu. Un de ses gardes du corps est tué par les assaillants. Des affrontements éclatent en bataille rangée à Mutsamudu en partisans et adversaires du chef des séparatistes. 7 décembre : Reprise des affrontements armées entre partisans de Foundi ABDALLAH Ibrahim et partisans du premier ministre ABDOU Mohamed soutenu par CHAMASSE Saïd Omar. Pour la seule journée du 5 décembre, on relève plus de 20 victimes.

142 9 décembre : Le gouvernement comorien demande l’intervention militaire de l’OUA pour mettre un terme à la guerre civile à Anjouan. 12 décembre : La préfecture de Mayotte chiffre à 60 morts, le bilan d’une semaine d’affrontements entre milices séparatistes rivales. Par ailleurs,plusieurs dizaines de personnes sont gravement blessées et plusieurs milliers de personnes ont fui la ville de Mutsamudu et les villages avoisinants pour se réfugier à l’intérieur ou dans les autres îles de l’archipel. 15 décembre : Les belligérants acceptent de signer un cessez-le-feu de 48 heures. 27 décembre : Signature d’un nouveau cessez-le-feu et d’un pacte de paix et de réconciliation. Un comité de suivi de 14 membres est mis en place

Année 1999 8 janvier : Les factions rivales du mouvement séparatiste mettent en place un directoire politico-administratif suite à l’application du pacte signé le 27 décembre. Ce directoire dispose officiellement de toutes les prérogatives dévolues au chef de l’Etat au gouvernement de l’île. 9 Avril : Constitution à Mutsamudu, sous l’autorité du colonel Saïd Abeid, rentré incessamment de France, d’une délégation pour représenter Anjouan à la conférence inter-iles d’Antananarivo. 19 Avril : Ouverture à Antananarivo de la conférence inter-iles, sous les auspices de l’OUA. 23 Avril : A la clôture de la conférence, la délégation anjouanaise refuse de signer le document final. 25 Avril : Des jeunes Grands Comoriens se soulèvent contre les Anjouanais résidents à la Grande Comore pour riposter au refus de la délégation anjouanaise de signer l’accord d’Antananarivo. 28 Avril : Environ 250 Anjouanais quittent tout de même la Grande Comore alors que les forces de l’ordre sont déployées massivement à Moroni pour empêcher des exactions contre les Anjouanais. 30 Avril : Coup d’Etat militaire à la Grande Comore. Le colonel AZALI Assoumani,chef de l’Etat major de l’armée prend le pouvoir. Le président TADJIDDINE ben Said Massonde est placé en résidence surveillée. 1er mai : Le chef des putschistes,le Colonel AZALI Assoumani entame des consultations en vue de former un gouvernement. 3 mai : ABBAS Djoussouf déclare à l’AFP avoir demandé au colonel AZALI de rendre le pouvoir à un gouvernement civil de transition.

143 4 mai : La réunion des pays de la région de l’Océan Indien et de la troïka de l’organe central de l’OUA, tenue à Maputo (Mozambique), demande la restauration immédiate de l’ordre constitutionnel. 6 mai : Publication à Moroni du premier gouvernement du Colonel AZALI Assoumani. 22 mai : Un groupe de miliciens originaires de Mirontsy occupe le dépôt des hydrocarbures d’Anjouan et réclame le paiement de leurs arriérés de salaires. 24 mai : Publication à Moroni de la liste des membres (militaires et civils) composant le Conseil d’Etat. 31 mai : L’OUA retire ses observateurs militaires des Comores, en protestation au coup d’Etat du 30 avril. 5 juin : Les principales factions sécessionnistes rivales d’Anjouan se réconcilient Foundi ABDALLAH Ibrahim et CHAMASSE Saïd Omar appellent leurs troupes à la réconciliation, après avoir aplani leurs divergences. 16 juin : Le Colonel SAID Abeid est désigné coordinateur national par les séparatistes anjouanais. Il forme son gouvernement. 3 juillet : A l’issue d’un entretien à Mohéli, le chef de la junte militaire de la Grande Comore est celui du représentant des séparatistes, le lieutenant-colonel SAID Abeid, se déclarent disposés à « œuvrer ensemble pour une solution durable à la crise comorienne ». 14 juillet : Le 35 e sommet de l’OUA décide que « ceux qui prennent le pouvoir par la force n’auront pas leur place au prochain sommet de l’OUA ». 4 août : Près de 500 lycéens originaires d’Anjouan sont exclus par les autorités militaires de Moroni des épreuves du baccalauréat, en représailles au refus des séparatistes de signer l’accord d’Antananarivo. 8 août : Création à Anjouan par AHMED Charkane, ancien compagnon de Foundi ABDALLAH Ibrahim du groupe d’initiative pour le redressement du mouvement anjouanais (GIRMA), pour réclamer la signature de l’accord d’Antananarivo. 10 août : L’OUA annonce la notion la nomination de Monsieur FRANCISCO Caetano José Madeira, ministre mozambicain des affaires parlementaires comme envoyé spécial de l’organisation pour régler la crise comorienne. 14 août : Première mission aux Comores de FRANCISCO Caetano José Madeira. 3 septembre : Brève échauffourées à Moroni entre l’armée et des manifestants : ABBAS Djoussouf est arrêté ainsi que plusieurs de ses compagnons.

144 6 septembre : La tension monte à Anjouan entre milices fidèles au colonel Abed et milices fidèles à AHMED Charikane et AHMED Fouad dit Kokingo, favorable à la signature immédiate de l’accord d’Antananarivo. 7 septembre : AHMED Fouad dit Kokingo est forcé de quitter l’île avec sa famille tandis que ses partisans sont arrêtés et d’autres expulsés vers Mayotte : Au total 24 personnes expulsées vers Mayotte dont certains se voient refouler vers d’autres îles de l’archipel. 12 septembre : Trois personnalités, proches de l’ex-premier ministre ABBAS Djoussouf, qui comparaissaient devant un tribunal de Moroni, sont relaxées. 13 septembre : Huit principaux partis politiques des Comores opposent à la junte militaire au pouvoir et à la sécession d’Anjouan écrivent au président JACQUES Chirac, une lettre accusant la France de « favoriser le séparatisme ». 5 octobre : L’organe central du mécanisme de l’OUA, chargé de la prévention, de la gestion et règlement des conflits, décide d’envoyer une nouvelle fois à Moroni, une délégation des pays de la région afin de prévenir le risque d’un « syndrome somalien » aux Comores. Cette décision est prise à l’issue de la 59 eme session ordinaire de cette organe tenue à Addis-Abeba. 12 octobre : Le journal de l’île de Réunion fait état de l’expulsion de Madagascar, d’une délégation de quatre responsabilités du régime sécessionniste d’Anjouan venues demander la reconnaissance de l’Etat malgache. 14 octobre : Arrestation à Moroni du journaliste ABOUBACAR M’changama, fondateur du journal l’Archipel. 15 octobre : Plusieurs personnes et organismes manifestent publiquement leur solidarité avec le journaliste emprisonné, ABOUBACAR M’changama. 2 novembre : Le colonel AZALI procède à un léger remaniement du gouvernement. 4 novembre : Nouvelle tension à Mutsamudu. La personne qui sème la panique s’appelle AHAMADI Mdéré. 8 novembre : Publication à Moroni, d’un manifeste des partis d’opposition en dix points dans lesquels ils réaffirment leur « engagement à rassembler et à impliquer toutes les forces vives de la Nation », y compris l’armée, et « agir ensemble jusqu’au règlement définitif de la crise ». 12 novembre : L’Afrique du Sud, en tant que coordinateur du groupe des pays de la région chargé du dossier de la crise comorienne, écrit aux séparatistes pour leur rappeler leurs engagements à signer l’accord d’Antananarivo. La lettre réaffirme la détermination du coordinateur à parvenir au succès de la médiation de l’OUA et pour ce, son souhait d’une rapide mise en application de l’Accord.

145 24 novembre : Rencontre à Addis-Abeba entre le Secrétaire Général de l’OUA et une délégation représentant les partis signataires de l’accord d’Antananarivo et du manifeste du 8 novembre. 25 novembre : SAID Abeid est désigné chef de l’Etat de la transition à Anjouan à l’issue de congrès du mouvement populaire d’Anjouan. 28 novembre : un premier bilan du choléra à Anjouan fait état de 143 cas signalés dont décès. 3 décembre : Ouverture à Saint Denis de la Réunion du 2e sommet des chefs d’Etat de la COI, en l’absence du Colonel AZALI Assoumani, jugé indésirable par ses pairs. 15 décembre : La Préfecture de Mayotte annonce la prise de mesure préventives contre l’extension du choléra à Anjouan. 21 décembre : Des pourparlers sur l’avenir des Comores commencent à Pretoria en Afrique du Sud sous l’égide de l’OUA . Ce dernier refuse de reconnaître la junte militaire au pouvoir et menace à Anjouan et de sanctions si elle ne signe pas l’accord d’Antananarivo dans les délais fixés. 28 novembre : un premier bilan du choléra à Anjouan fait état de 143 cas signalés dont 14 décès. Cette chronologie est à continuer.

146 ANNEXE 2 : TRACT O PIA

APPEL A SOUTENIR L’ORGANISATION POUR L’INDEPENDANCE D’ANJOUAN

NJOUAN est séparée de la France dans des conditions irrégulières. Le départ des A français en 1975 est suivi par la dégradation de l’enseignement et celle des hôpitaux, la déconfiture de la fonction publique au plus haut point corrompu, les galvaudages des mœurs et enfin de compte l’installation de la sécurité générale. Il provoque également des gènes et autres difficultés dont les Anjouanais les vivent quotidiennement. Nous regrettons profondément le départ de la France en 1975 qui a causé beaucoup des malheurs et d’ennuis aux anjouanais.

Nous assistons ces dernière temps à une montée vertigineuse des mesures anti- anjouanaises à la Grande Comore. Les menaces physiques, les tortures morales et les injustices sont des actes courants contre les Anjouanais à Ngazidja. Les Anjouanais vivent dans le dénouement de la pauvreté absolue à cause de l’absolutisme des Grand Comoriens. Pour ces raisons, l’OPIA lance un vibrant appel à la population anjouanaise de se soulever dans le but de sauver leur île restée dans l’exploitation des fauves Grand Comoriens. Pour s’en sortir du néocolonialisme Grand Comorien et de sa mainmise sur notre île, l’OPIA vous invite à épauler et à prendre part à leur combat.

Vive les Anjouanais !!!

Secrétaire Général de l’OPIA

Fait à Mutsamudu le 24 mars 1994 .

147 ANNEXE 3 : Journal Unioniste Ushe

Courrier d’information et de sensibilisation pour la survie de l’unité des Comores

N° 005 du 7 août 1997

Vouloir c’est pouvoir, mais il faut savoir ce qu’on veut

Contre le séparatisme ? es séparatistes doivent comprendre qu’il n’y a pas d’autre alternative possible pour sauver les Anjouanais que la cohésion des quatre îles .

Avoir une cause et prétendre la L’ail dure des indépendantistes ou Ldéfendre suppose au préalable détenir partisans du rattachement d’Anjouan doit savoir des arguments apparemment valables, si que notre seul recours est l’unité et l’intégrité des pathétiques et démagogiques soient-ils, qui la Comores, c’est l’unique chance pour sauver notre rendent légitimes aux yeux du public. pauvre île. Objectivement, on ne peut pas méconnaître la situation désastreuse dans laquelle baigne notre Wadzouani namouke hachiri naouvoimoja chère île ni la misère sans nom qui abat ses wahemassiwa ya komore mana wuvoimoja wayamassiwa yomanine yayo populations. Mais passer notre temps à s’accuser et deyamayecha mema ya leo na messo , se regarder en chien de faïence ne nous fera gagner mawouvoimoja woudjaloulou. que des regrets. La réalité est qu’une telle situation L’union fait la force ! n’est rien d’autre que le produit de nos comportements, en particulier ceux de nos politiques. L’Etat comorien a failli à ses missions régaliennes de sécurisation, d’unification et d’administration. C’est donc la faillite de l’autorité republicaine. C’est ainsi un échec collectif qu’il faut pourtant assumer collectivement et solidairement.

Ushe courrier du 7 août 1997 Adresse : Tel : 00269 71 07 42 page 2

148

’Union des Comores est possible L

L’union des îles peut être un rempart considérable contre la tentation ou la maladie séparatiste. L’avenir de l’île d’Anjouan, notre île d’origine, est à œuvrer dans un cadre constitutionnel renové qui reconnaîtra, à chaque entité régionale, sa spécificité et qui accordera plus d’autonomie et des pouvoirs élargies aux îles des Comores. Il nous paraît claire que les problèmes qui se posent aujourd’hui aux Comores plus particulièrement à Anjouan, relèvent des appareils politiques. Mais c’est aussi un défi lancé à toute la nation comorienne. Nous devons lutter contre cette menace grandissante qui assaille notre patrie. Le rédacteur

bjectif de O ce petit courrier

Le but de nos quelques lignes est de faire comprendre à la population anjouanaise que le séparatisme n’est pas la solution efficace aux problèmes anjouanais et n’est pas un confort pour l’île. Le séparatisme est une voie chimérique parce que les séparatistes surtout les chefs de file veulent nous tromper. Nous pensons que le renforcement du sentiment collectif pour tous les Comoriens est une bonne chose pour un avenir radieux de notre île.

Les unionistes

Ushe, courrier du 7 août 1997 Adresse : Tel : 00269 71 07 42 page 3

149 ANNEXE 4 :

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154

155

156 TABLEAU D’ILLUSTRATION DES CARTES, DES PHOTOS ET DE REPERTOIRE DES TABLEAUX

CARTES

Carte 1 : Anjouan dans l’archipel des Comores et dans l’Océan Indien Page 12 Carte 2 : Les Comores Page13 Carte 3 : La configuration d’Anjouan Page14

PHOTOS

Photo 1 : Généralisation du mouvement Page 38 Photo 2 : Généralisation du mouvement Page 39 Photo 3 : Débarquement à Anjouan Page 42 Photo 4 : Les trois leaders rattachistes Page 91

REPERTOIRE DES TABLEAUX

Tableau N° 1 : Densités respectives et répartition des terres cultivables Page 18 Tableau N° 2 : Les établissements sanitaires Page 21 Tableau N° 3 : Les établissements scolaires Page 22

157 Table des matières.

158 DEDICACE………………...... …………………………………1 REMERCIEMENTS………………………………………………………………………2 INTRODUCTION…………………………………………………...3 PREMIERE PARTIE : CONTEXTE DE LA SECESSION……….9

CHAPITRE I : ANJOUAN DANS LE CONTEXE COMORIEN……………………….11 I. LES ASPECTS PHYSIQUES………………………………………………15 1. La position d’Anjouan…………………..…………...…………………....15 2. La nature géographique d’Anjouan………………...……………………..16 3. L’exiguïté de l’île……………...…….………...………………………….17 II. LES ASPECTS HUMAINS…………………………………………………19 1. Une explosion démographique…..……………………..………………...19 2. Les éléments socio-démographiques……………………….…………….21 III. LES ASPECTS ECONOMIQUES…………………………………………23 1. L’agriculture traditionnelle……...………………………………………..23 2. L’élevage et la pêche artisanaux……...…...……………………………...25 3. La paralysie de l’industrie et du tourisme…...……………………………26 4. La balance commerciale très déficitaire…………………………………..27

CHAPITRE II : LA SECESSION DE 1997………………………………………………..29 I. LA GENESE DE LA CRISE DE 1997…...…………………….………….29 1. La revendication des enseignants et des étudiants……………………………29 2. La répression militaire à l’égard des manifestants……………………………30 3. La tournure politique du mouvement…………………………………………32 II. LES PARAMETRES DE LA CRISE……..………………………………..34 1. Généralisation du mouvement………………………………………………...34 2. Débarquement du 3 septembre 1997 à Anjouan… …………………………...40 3. Le référendum « d’autodétermination »du 26 octobre 1997………………….43 III. LA DESCRIPTION DE L’ILE PENDANT LA CRISE DE 1997………..45 1. Anjouan asphyxiée……………………………………………………………45 2. Les difficultés sociales, économiques et politiques…………………………...46 3. Anjouan au bord de la guerre civile…………………………………………..49

159 DEUXIEME PARTIE : HISTORIQUE DU SEPARATISME…………….52 CHAPTRE III : DE L’EPOQUE DES SULTANANS A LA LUTTE POUR L’INDEPENDANCE………………………………………………………….54 I. L’EPISODE DES SULTANS……………………………...………………..………54 1. Les Cités-Etats…………………….…………………………………………54 2. Les rivalités sultanes………………….………………………………………56 3. La fragilité des sultans…………………….………………………………….58 II. LES RELATIONS HISTORIQUES D’ANJOUAN AVEC LES AUTRES ILES…………………………………………………………………………………..61 1. L’hégémonie anjouanaise sur les autres îles………………………………….61 2. Les relations historiques…………………………………………….………...63 III. ANJOUAN DANS LA LUTTE POUR L’INDEPENDANCE……………………65 1. Les prémices de la lutte…………………………………………………..…...65 2. La place des élites anjouanaises dans la lutte………………………………...67 CHAPITRE IV : LES DECEPTIONS DE L’INDEPENDANCE FEDERALE A ANJOUAN …………………………………………………………………………………...71 I. L’ORGANISATION DE L’ADMINISTRATION……………………………...…71 1. Le centralisme………………………………………………………………...71 2. La nature de l’Etat……………………………….…………………………....73 3. La forme du protectorat intérieur……………………..………………………76 II. LES INSTITUTIONS SYMBOLIQUES…………………….………………………..77 1. La Représentation du fédéralisme……………………...……………………..77 2. Le pouvoir législatif et judiciaire………………………...…………………...79 III. ABSENCE DE DEVELOPPEMENT A ANJOUAN………………………..……..81 1. Les gênes quotidiennes…………………………….…………………………81 2. La quasi-inexistence des infrastructures……………….……………………..83

TROISIEME PARTIE : ESSAI D’ANALYSE DU SEPARATISME ANJOUANAIS………………………………………………………………..85

CHAPITRE V : LES DIFFERENTES TENDANCES DU MOUVEMENT SEPARATISTE……………………………………………………………………………...87

160 I. LES « RATTACHISTES »…………………………………………………..……...87 1. L’origine historique du rattachisme………………..………………….…...…87 2. La propagation du rattachisme………………………………………………..92 II. LES « INDEPENDANTISTES »……………………..…...……………………….94 1. La naissance du mouvement indépendantiste……………………………..….94 2. La voie de l’indépendance…………………………………...……………….98 III. LES « UNIONISTES »…………………………………………….………………100 1. L’émergence des unionistes…………………………………………………100 2. L’idéologie des unionistes……………………………………………...…...103

CHAPITRE VI : IDEOLOGIE DU MOUVEMENT SEPARATISTE………………...106 I. LES ARGUMENTS DU SEPARATISME……………………………………….106 1. La révision de l’histoire…………………………………………….……….106 2. La Grande Comore, un bouc émissaire……………………..……………….110 3. Anjouan français comme Mayotte………………...………………………...112 II. AMBIGUÏTE DES RELATIONS DES ELITES AVEC LA FRANCE.115 1. L’attitude des élites envers la France………………………………………..115 2. La position de la France……………………………………………………..117

CONCLUSION……………………………………………………………………………..121

BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES ………………………………………………………..126

ANNEXES………………………………………………………………………………….. 137

TABLEAU D’ILLUSTRATION DES CARTES, DES PHOTOS ET REPERTOIRES …………………………………………………………………………..157

TABLE DES MATIERES…………………………………………………………………158

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