LA COMMUNE D'ENTRECHAUX

COMTE EMILE, F. A. de l'Académie de

LA COMMUNE D ENTRECHAUX (VAUCLUSE)

ÉTUDE GÉOGRAPHIQUE, ÉCONOMIQME, GÉOLOGIQUE ET HISTORIQUE DE LA PRÉHISTOIRE AU DÉBUT DE L'ÉPOQUE CONTEMPORAINE

4 Edition de 1967, à tirage limité, suivie de documents justificatifs.

IMPRIMERIE MEFFRE VAISON-LA-ROMAINE (VAUCLUSE) Je dédie ce livre à mes petits-enfants

Bernard et Geneviève ARLAUD

(C'est pour eux que j'ai étudié et écrit l'histoire du pays de « Mamy » pour mettre en lumière une commune dont le très intéressant passé ne pourra plus, à l'avenir, être ni oublié ni méconnu).

E. COMTE.

(Traduction et reproduction interdites) L'histoire d'ENTRECHAUX est fort difficile à écrire en raison de la rareté des documents d'archives et de leur grande dispersion ; de ce fait elle était très peu connue. Seuls, quelques « dictionnaires des communes du Vaucluse » dont les auteurs d'ailleurs n'ont nullement la prétention d'avoir présenté un ouvrage complet (travail presque impossible pour tout un département), ont résumé les faits saillants du passé (1). Le but de cette étude monographique est de faire connaître l'essentiel — l'abrégé plus exactement — de ce qui se rapporte à ce magnifique pays pittoresque et aux riches diversités d'as- pect qui en constituent tout le charme. Après avoir défini en détail la position géographique d'ENTRECHAUX, fait l'exposé de ses ressources et étudié la constitution de son sol, j'ai abordé les grandes lignes de son histoire pour piquer la curiosité du lecteur et retenir son attention sans jamais avoir recours à de faciles légendes qui ne sont, au fond, que la poésie de l'histoire si parfois cependant elles lui servent de prélude. J'ai estimé qu'il était indispensable de consacrer un para- graphe spécial au Mont-Ventoux qui ne fait pas partie de la commune mais dont la majestueuse silhouette, se détachant dans un horizon assez proche, a toujours intéressé la population d'ENTRECHAUX. Les pages inédites qui vont suivre sont le fruit de travaux personnels, de très nombreuses recherches dans les bibliothè- ques, les musées, les archives départementales, locales ou privées, les livres ou manuscrits régionaux et aussi de minutieuses vi-

(1) Le dernier en date est le très méritoire ouvrage dû à M. Robert BAILLY (Edition Jean-Yves BAUD, , juin 1960) intitulé : « Vaucluse », ouvrage très complet, fort bien présenté et muni d'une carte du département dressée par M. LOGUINENKO, professeur au Lycée Mistral. sites sur le terrain toutes les fois que celui-ci peut rendre témoignage du passé.. J'ai fait appel à des sources indiscutables, et lorsque des faits pouvaient donner lieu à critiques ou contestations ils ont été sérieusement vérifiés par de judicieux recoupements. Dans le texte ou en renvoi, je cite le nom des auteurs (et de leurs ouvrages) à qui j'ai emprunté des citations ou des informations directes. Il n'y aura donc pas de bibliographie d'ensemble. Assez souvent j'ai dû entrer dans des considérations géné- rales jugées indispensables pour éclairer l'exposé et éviter la sécheresse d'une monographie trop squelettique, car j'ai voulu sortir des « sentiers battus » et si possible instruire. Aurai-je réussi ? Je n'ai pas hésité non plus à jeter un regard sur les pays voisins — surtout ceux qui nous sont limitrophes — chaque fois que ce petit tour d'horizon : incursion amicale extra-muros, pouvait aider à la compréhension de faits strictement locaux. D'avance, je remercie de tout cœur les amis lecteurs qui voudront bien parcourir ce livre et je voudrais surtout que les habitants d'ENTRECHAUX prennent conscience de la réelle beauté de leur pays, qu'ils s'efforcent d'en conserver les curio- sités et les sites pittoresques et qu'ils contribuent à les faire connaître. Je suis certain que plus d'une personne trouvera dans mon livre bien des choses à apprendre. Je rappelle à ce sujet la célèbre phrase de Félix GRAS, poète provençal (2) : « Ame moun vilage mai que toun vilage, ame ma Prouvènço mai que ta prouvinço ame la mai que tout ». « J'aime mon village plus que ton village, j'aime ma Pro- vence plus que ta province, j'aime la France plus que tout ». Et également celle de Jules MICHELET (3) : « Tel le nid, tel l'oiseau. Telle la patrie, tel l'homme ». Emile COMTE.

(2) Né à Malemort en 1844, mort à Avignon en 1901, Félix GRAS était capoulié du Félibrige. C'était le beau-frère de ROUMANILLE Joseph (1818-1891), également poète et prosateur du Comtat, véri- table chantre de la langue d'Oc. (3) Ecrivain et historien français (1798-1874) dans préface du tome I à Histoire de France. ABREVIATIONS :

(A.D. ) - d'après recherches aux archives départementales.

(A.L.) - d'après recherches aux archives locales.

(A.P.) - d'après des recherches dans des archives ou livres de raison privés, communiqués.

(D.A. N° 6) - Se reporter au document annexe N° 6 à la fin de l'ouvrage. Les ruines du château féodal ; à droite, la vieille église paroissiale — Remarquez l'entrée du château avec ses mâchicoulis — En avant, l'empla- cement du vieux pays.

Photo au télé-objectif de M. Jacques Plagnol, auteur à Vaison (Entrechaux, Décembre 1966) Les ruines du château féodal ; à gauche une partie des remparts l'ancien presbytère devenu propriété privée de M. D'Argencé (Auberge). Remarquez l'entrée du château avec ses mâchicoulis — En avant, l'empla- cement du vieux pays avec quelques maisons conservés —

Photo au télé-objectif de M. Jacques Plagnol, auteur à Vaison (Entrechaux, Décembre 1966) Le château féodal d'Entrechaux (Vaucluse) à la fin de 1907, avec encore une partie du vieux pays et de belles olivaies. (Reconstitution et agrandissement par M. Comte d'un vieux cliché). PREMIÈRE PARTIE

I. — NOM - SITUATION - LIMITES - SUPERFICIE POPULATION

Bien que l'étymologie soit souvent une science confuse, plusieurs auteurs (et parmi eux le poète Frédéric Mistral) s'accordent pour dire que le nom « ENTRECHAUX » vient du latin « Intercallis » bas latin « Intercalles » ou carrefour de sentiers. Dans le passé on a orthographié « Entrechaus » (langue d'Oc) et aussi « ANTRECHAUX », nous le verrons au paragraphe histoire (4) (D.A. n" 1). Il faut noter qu'en Provence beaucoup de noms de lieux ont donné naissance à des noms de personnes, exemples : Les

(4) J'ai relevé sur une carte éditée à Amsterdam en 1627, une autre orthographe ; nous figurons sous le nom « Entrecham » ! avec indi- cation de notre Château. J'ai tenu à signaler ce détail curieux puisque, tout au long de cette étude, je porterai un intérêt attentif au vieilles choses. La carte en question figurait en janvier 1954 à la belle exposition organisée à Avignon par « Connaissance de Vaucluse » à l'occasion du 160 anniversaire de la réunion du Comtat à la France. Les mon- tagnes ont, sur cette carte, une représentation fort originale. L'orien- tation n'est nullement respectée. N'oublions pas que les cartes anciennes étaient excessivement rares et que celles dues aux géographes du moyen-âge en particulier tra- hissent — d'après le Général de Fontanges, dans son livre « Topo- graphie » — la plus naïve ignorance. En 1699, le J ésuite BONFA a dressé une carte officielle du Comtat. Les planches de cette carte (cuivres) sont à la bibliothèque de Car- pentras. Les pays y sont figurés par leurs châteaux dont la silhouette est d'ailleurs fantaisiste. d'Antrechaux, au Barroux, les Dubarroux, à , Les Rouaix, à Malaucène, Malozun. La commune fait partie de la Provence telle qu'on la dé- limite actuellement car sa circonscription a varié bien souvent suivant les âges depuis la « Provincia » romaine ; elle est située dans le département de Vaucluse qui doit son nom à la célèbre fontaine de Vaucluse. Entrechaux est rattaché au canton de Malaucène et à l'arrondissement de . Le poète Mistral fait commencer la Provence à Pont-Saint-Esprit. Lors de la formation des communes, ENTRECHAUX avait été rattaché à l'arrondissement d'Orange, ce qui n'a jamais donné satisfaction aux habitants. A maintes reprises des vœux ont été formés par les conseils municipaux pour demander le rattachement à Carpentras. Les plus curieuses délibérations à ce sujet sont celles de 1831 et mai 1832 où les élus sollicitent cette modification « d'un gouvernement juste et paternel» (A.L.). C'était le règne de Louis-Philippe.. Les conseillers faisaient notamment valoir que Carpentras était éloigné de nous d'un myriamètre deux kilomètres seule- ment « alors qu'Orange était à une distance double, sans che- mins praticables (A.L.). Satisfaction a été donnée bien tardi- vement. Le nom ENTRECHAUX ,dont il semble impossible de donner, avec un peu de précision, la date de naissance, est mentionné dès le début du VI siècle sous le brillant épiscopat de l'évêque vénéré SAINT-QUENIN (5) 15 évêque de Vaison, lorsqu'il par- courait son diocèse. A cette époque il figurait sous son origine latine « Intercallis ». Après les bien sombres années des invasions barbares, le nom « Intercallis » reparaît dans divers actes aux environs de l'an mille et ce n'est qu'en 1464 que nous trouvons l'ortho-

(5) Il fut sacré en 556 environ. Son diocèse allait jusqu'à Buis. Saint Quenin passait parfois par Entrechaux. Le Révérend Père Boyer (Bi- bliothèque d'Inguimbert) dit à son sujet : « Pour édifier son diocèse « par ses prédications, il allait chercher ses frères sur les montagnes, « dans les vallées, sans que le froid, la chaleur, les pluies, la neige, « les précipices, les forêts, les bêtes sauvages dont le pays était « plein, fussent capables de ralentir son zèle ». graphe ENTRECHAUX. (Voir documents annexes à la fin de l'ouvrage). L'agglomération qui comprend l'église, la mairie, la poste, les écoles et les principaux commerants n'est, comme nous le verrons plus loin, qu'une faible partie du village ; elle est située, avec des solutions de continuité, de part et d'autre des routes départementales N 54 et 13 (surtout D 13) et comporte quelques ruelles. Elle ne possède pas de maisons curieuses, patinées par les siècles, comme l'étaient celles de l'ancien village blotties d'une façon compacte autour du château et dont les vieilles pierres ont servi à édifier les habitations actuellement un peu plus que centenaires pour la majeure partie (6) Il faut se féliciter que les édiles et les pouvoirs publics à l'époque aient vu grand pour la circulation à l'intérieur du village. (Largeur utile moyenne 10 mètres). C'est en 1837 que les Ingénieurs des Ponts-et-Chaussées dressèrent le plan pour la traversée du pays. Malgré quelques réclamations, ce plan reçut l'adhésion de la municipalité en mars 1837 (A.L.). Malheureusement ENTRECHAUX manque de places publi- ques suffisamment vastes et sa situation actuelle (véritable couloir Sud-Ouest-Est, balayé par les vents) n'offre pas l'abri ensoleillé du vieux pays dont les ruines, réduites pour ainsi dire à l'état de fondations, dorment sous les ronces avec tant de souvenirs disparus ! ...Là des gens ont vécu dont nul ne sait l'histoire... Je voudrais donner un peu de vie nouvelle à ces pages ineffaçables. La commune est bien desservie par un bon réseau routier complété par de nombreux chemins vicinaux ou ruraux qui la situe à 7 kilomètres au Sud-Est de Vaison-la-Romaine ; à 7 kilomètres au Nord de Malaucène ; à 25 kilomètres au N.-E. de Carpentras et à 50 kilomètres au N.-E. d'Avignon. Elle est située sur la jolie route touristique dite « des Princes d'Orange »,

(6) Il y a cependant quelques exceptions, les plus vieilles maisons cons- truites en dehors des remparts, après les guerres de religion, sont celles de « Chatusse » et du « Fustier » près du pont Saint-Michel (1619-1650). Elles formaient de véritables forteresses: les ouver- tures donnaient sur des cours intérieures bordées par des murs très hauts. A la porte d'entrée du « Fustier » un judas-meurtrière était ménagé !... longue de 101 kilomètres, reliant Orange à Orpierre (H.-A.) par le col de Perty à 1.304 mètres. De quelque côté qu'on l'aborde, elle présente un aspect charmant. L'agglomération bénéficie d'une adduction d'eau avec fon- taines publiques et deux lavoirs. C'est Monsieur l'Abbé Antoine Laurent DUMONT (1804-1880) qui, le premier, avait pris l'ini- tiative de cette importante amélioration et acheté certains droits, mais il mourut avant le commencement des travaux. La réalisation de la conduite, des barrages et des fontaines (adjudication du 18 juillet 1880 à M. ROUYER Victor) est due à la Société Jean GUINTRAND, Joseph RAVOUX et Jean An- toine MELQUION. Les travaux furent achevés en novembre 1880 et M. MELQUION se retira de la société le 15-11-1880. La commune n'accepta qu'en 1888 la cession qui lui avait été faite le 20-12-1880 par la Société RAVOUX-GUINTRAND (Délibération du 1 juillet, M. AUDRAN Emile étant maire). Elle reconnut certains droits perpétuels aux auteurs du projet dont des robinets particuliers. L'eau est captée sur le territoire de Malaucène dans le ravin de COMBE-MEYNARD, à 1.845 m. à l'Est du pays et à 30 m. en amont de la ligne de démarcation des deux com- munes. Elle ne permet pas l'alimentation des écarts, n'est pas distribuée à domicile et se trouve classée : « Eau médiocre à surveiller » surtout en temps de pluie, ce qui est pratiquement impossible pour une municipalité. Il est absolument hors de doute qu'actuellement cette source (ainsi que l'augmentation de son débit) serait refusée par les services géologiques officiels. Divers autres projets de captages locaux n'ayant pas donné de résultats ou ayant été rejetés catégoriquement par l'Admi- nistration, nous avons actuellement la seule adduction qui pa- raissait possible, celle des eaux du Rhône distribuées par le Syndicat intercommunal « Rhône-Aigues-Ouvèze » créé le 15-11- 1946 à Bollène et groupant plus de 30 communes. Il sera possible, au fur et à mesure de l'octroi de crédits, de desservir ultérieurement le plus grand nombre d'usagers, même dans les quartiers élevés. Enfin la pression permet une défense efficace contre l'in- cendie comme elle permettra un jour, que nous souhaitons proche, la création de W.-C. et le tout à l'égout. La plage de captage est à , c'est là que sont implantés les puits de pompage dans les nappes alluviales du Rhône. Entrechaux fait partie du haut service. L'eau est pure au captage et elle est périodiquement surveillée. Entrechaux possédait une gare sur la voie métrique de la S.N.C.F. reliant ORANGE à BUIS-LES-BARONNIES (Drôme) mais cette ligne qui était concédée aux chemins de fer écono- miques, a été fermée à l'exploitation en novembre 1952. Dé- classée, déferrée, elle a été remise aux Domaines par la S.N.C.F. le 15-11-1956, et son sol cédé à la commune pour une somme peu importante. Les bâtiments ont été vendus à des particuliers après mise aux enchères. La plate-forme de l'ancienne voie ferrée est, depuis 1963, accessible aux véhicules automobiles sauf poids lourds. Elle constitue une pittoresque route touris- tique longeant, sur une grande longueur, la rive gauche de la rivière « l'Ouvèze » et ses célèbres gorges en reliant Entre- chaux à Mollans à partir de la Route Départementale n° 54, au hameau du Plan. Elle est rattachée, par deux rampes d'ac- cès, au pont Romain permettant ainsi de gagner Saint-Marcellin ou Faucon. Au Nord-Est, le Département de la Drôme se trouve à 3 kilomètres du centre du pays et la localité la plus proche dans ce département est Mollans-sur-Ouvèze à 6,500 kilomètres d'ENTRECHAUX. A vol d'oiseau, il y a environ 145 kilomètres d'Entrechaux à Marseille ; 200 km d'Entrechaux à Lyon ; 720 km pour Paris ; 710 km pour Bordeaux et 295 km pour Nice. La latitude moyenne est 49 grades 13 minutes centésimales, et la longitude 3 grades 12 minutes. Entrechaux est donc plus près de l'équateur que du pôle. La déclinaison magnétique (variable suivant les époques) était, en janvier 1937 — date de l'établissement du nouveau plan directeur de la région — de 8 grades 79 minutes centési- males, c'est-à-dire que la projection horizontale de l'angle que fait l'aiguille aimantée avec le plan du méridien ou Nord géographique a cette déclinaison occidentale. La direction don- née par l'aiguille aimantée est celle du pôle magnétique boréal. Le centre de l'agglomération (Eglise) se trouve à l'intersec- tion des coordonnées de la projection Lambert, sur le plan au 1/20.000 : x = 823,880 y = 216,800 Dans l'avant-propos de cette étude j'ai fait part de mon intention de jeter un regard chez nos voisins lorsque de cette observation il en résultera un fait instructif. En parcourant cet ouvrage vous verrez, cher lecteur, que j'ai tenu promesse !... Au sujet de la longitude du pays, précédemment indiquée, nous en devons les premières déterminations assez précises, à un astronome Seigneur d'un pays voisin ! Il s'agit de Pierre François TONDUTTI, 1583-1669 (Seigneur de Saint-Légier — orthographe primitive de St-Léger — et du Mont Serin en Venaissin) qui s'est chargé avec GASSENDI, de Digne, d'évaluer en 1634 la différence de longitudes entre Paris, Avignon et Digne. Le résultat obtenu par des méthodes primi- tives fait honneur à ces savants car il ne diffère que de sept secondes sexagésimales avec nos évaluations récentes (Réfé- rence : «Le messager de Vaucluse » de 1838). La superficie de la commune est de 1.395 hectares (environ 14 kilomètres carrés), dont, approximativement le tiers sur la rive droite de l'Ouvèze. Les habitants s'appellent Entrechalais (laises). Il s'agit-là d'une désignation consacrée par l'usage mais je n'ai trouvé aucun document permettant de la justifier, ni dans les archives locales, ni dans celles du département à Avignon. Pour ne pas négliger le côté amusant de ce qui se rapporte au pays, j'indique que jadis il était d'usage de donner aux habitants d'un pays un sobriquet individuel ; il en était de même de tous ceux de la localité en général. Le sobriquet était un surnom appliqué en signe de dérision ou pour marquer un particularisme accusé. Il n'est pas toujours facile d'en trouver l'origine et ces mauvaises pratiques, relatées par plusieurs historiens régionaux, étaient tenaces. Lorsque les habitants de nos pays n'avaient entre eux que peu de contacts, il pouvait y avoir un peu de vrai dans ces remarques car chaque pays jugeait sévèrement... le voisin ! Bien que cela fasse sourire aujourd'hui, notons que les gens d'Entrechaux avaient le sobriquet de « pâlot » ou « pâlo » « gros pâlo d'Entrechaou », ce qui se traduit par « lourdaud », « gros pataud », « rustre ». C'est peu flatteur, n'est-ce pas ? J'ai trouvé l'origine de ce qualificatif dans le fait que les comtadins de la plaine ont toujours ridiculisé ceux de la montagne à qui ils ont prodigué de blessantes épithètes. Entrechaux a trouvé un défenseur en la personne du Doc- teur Casimir François Henri BARJAVEL, de Carpentras. Le Docteur BARJAVEL réunissait tous les talents. M. Claude SIBERTIN-BLANC, qui fut conservateur (7) de la Bibliothèque Inguimbertine et du Musée de Carpentras, a fait de lui ce remarquable portrait : « médecin, agronome, musicien, poète, « philologue, historien, collectionneur, bibliophile qui fut en plus « maire de Carpentras et bienfaiteur insigne de la Bibliothèque « Inguimbertine à laquelle il légua intégralement livres et col- « lections à sa mort en 1868 ». Dans ses études historiques publiées en 1849, le Docteur BARJAVEL n'a pas hésité à donner l'admirable leçon suivante de modestie aux détracteurs de nos concitoyens : « La civilisation qui naît de l'abondance, devrait, ce me « semble, inspirer à ceux qu'elle favorise des sentiments de « bienveillance envers ceux qui n'ont pas encore reçu ses eni- « vrantes caresses ». Heureusement, grâce à leur travail acharné, les habitants d'ENTRECHAUX bénéficient des « caresses » du bien-être. En toute justice, et en guise de consolation, je vais vous indiquer les sobriquets des gens de quelques pays parmi nos plus proches voisins.. A tout Seigneur, tout honneur, d'abord Malaucène et Vaison qui, en raison de leur passé, se considèrent comme villes. Des gens de Malaucène on disait « Traite ou escariot (sur- nom de Judas) de Malôoucène », soit traître de Malaucène ; des gens de Vaison «Béou-l'ôli de Veizoun » (buveur d'huile). Le « Béou-l'ôli » est le nom patois du chat-huant et du hibou, ces amis des ruines. Des gens de Mollans (Moulans) ou les Moulansié, on disait « li couidé trouca » ou les coudes percés, sobriquet dû, d'après certains auteurs, au fait que la majeure partie de la population était composée jadis de charretiers ou de rouliers qui man- geaient les coudes sur la table et, d'après d'autres, parce que les désœuvrés restaient accoudés sur le parapet de leur pont (modifié aujourd'hui d'un façon peut-être peu heureuse) à re- garder couler les eaux de l'Ouvèze et à bâiller tout au long du jour !

(7) Ancien élève de l'Ecole des Chartes. Des gens de Saint-Romain on disait : « franc coumo un bémi », faux comme un jeton; des gens du , « courpa- tas », vilain corbeau, ou « gros-bé », gros-bec ; des gens de Puy- méras, « cèrque-malhur dôou Pumera » et les « cendrous ». Quant à Faucon, si le pays bénéficie de l'appréciation flat- teuse — sans qu'il soit possible d'en retrouver la cause — de « lou pichot Paris » (le petit Paris ! ) l'habitant par contre avait le sobriquet de « badau », badaud ou personne sotte. La carte du Comtat-Venaissin dressée par d'Anville et gravée en juillet 1745 portait: «Faucon ou Paris?». J'arrête là mes citations en priant les lecteurs des pays voisins qui pourraient être choqués de ces révélations de vouloir bien considérer qu'écrire l'histoire, c'est rendre hommage à la vérité en citant les faits présents ou passés avec impartialité. Les lecteurs que la diversion ci-dessus relative aux sobri- quets intéresserait particulièrement, peuvent être assurés qu'ils sont tous expliqués, avec faits indiscutables à l'appui, mais comme je l'ai dit dans l'avant-propos de cette plaquette, si je donne parfois un coup d'œil chez les voisins, je n'ai pas entre- pris d'écrire leur histoire, La population d'Entrechaux était de 655 habitants au der- nier recensement d'avril 1962. Elle avait atteint 1.200 habitants en 1833, 1072 en 1857, 817 en 1919. En 1962, 290 personnes seu- lement résidaient dans l'agglomération, ce qui prouve l'impor- tance des fermes disséminées (ou écarts) dans les divers quartiers comprenant trois hameaux principaux : « Le Plan », « Saint-Michel » et « Les Habitants ». Les limites de la commune forment un contour peu tour- menté pouvant sensiblement être inscrit dans un carré de 3.800 mètres de côté environ. Elles touchent six communes savoir : Au Nord, de l'Est à l'Ouest, communes de Saint-Romain-en- Viennois, de Faucon et de Mollans ; à l'Ouest, communes de Saint-Marcellin-les-Vaison et du Crestet ; enfin au Sud et au Sud-Est, sur la plus grande longueur (six kilomètres) commune de Malaucène. Du point le plus au Nord de la commune (à 200 m. au Nord de la naissance du ravin de Combe-Bayle) au point le plus au Sud dans la croupe du « Collet Vaillant » — limite avec Malaucène — il y a, à vol d'oiseau, 4,950 km et la plus grande distance que l'on puisse trouver, en ligne droite, d'un sommet à l'autre du polygone limitant la commune, est de 5 km 180 m. Le bornage de la commune d'Entrechaux est très ancien : 1250 à 1271. Il n'a pas été conservé avec assez de soins (Incurie, intérêt ou cupidité, maux de tous les siècles?). Les Malaucéniens ont jadis disputé âprement leur territoire et retardé la mise en place définitive des bornes nous séparant de leur commune. Ils eurent aussi de sérieuses contestations avec la commune de Mollans et des difficultés avec Le Crestet et Beaumont ! Ce travail fut effectué en 1271 par Etienne Raymond de Grosse, Sénéchal (8), et Béranger Cavallerti, juge du Comtat, après approbation du vice-légat d'Avignon. Il fut fait en même temps que le bornage nous séparant du Crestet. Pour donner une idée de l'importance de ces opérations, et aussi des intérêts en jeu, notons que 369 personnes étaient présentes sur le terrain ! Le procès-verbal de ces délimitations fut dressé le 12 janvier 1281 pour être confirmé en 1496 seule- ment par Raybaudus de Padio (Raybaud du Puy), viguier de Malaucène. D'après le Chanoine Ferdinand SAUREL, dans sa remarqua- ble étude sur Malaucène, en 1882, le procès-verbal original existe toujours. C'est un parchemin assez bien conservé, entiè- rement rédigé en latin, et portant le sceau pontifical en plomb (9). Là, se vérifie encore l'appellation latine du pays « Inter- callis » mentionnée au début de ce chapitre. En 1512, les bornes limitant Entrechaux-Malaucène ont été arrachées. Cette fois, le Chef de l'Etat lui-même, le Pape en l'occurrence, a donné ordre de rechercher les coupables et menacé d'excommunication ceux qui, connaissant des faits pou- vant éclairer la justice, ne les signaleraient pas. Aucun docu- ment ne permet de connaître la suite donnée à l'intervention de la papauté.. Actuellement, les personnes qui seraient intéressées par la position exacte des limites de la commune ont à leur disposition,

(8) Le Sénéchal était un haut fonctionnaire placé à la tête de l'adminis- tration, il était assisté d'un juge supérieur appelé le Juge-Mage. Voir au paragraphe d) — Le Comtat Venaissin — du chapitre III . Période historique, le rôle et les attributions du Sénéchal. (9) Les termes séparant Entrechaux de Faucon et de Saint-Romain ont été révisés et implantés le 17 mai 1753. à la Mairie, un document officiel important. Il est fort bien conçu : il s'agit d'un procès-verbal de délimitation dressé contra- dictoirement avec les représentants de chaque commune limi- trophe, en 1830, par un géomètre-délimitateur. Un croquis, très clair, est annexé à chaque procès-verbal. Le piéton qui voudrait suivre exactement les limites de la commune aurait à effectuer, pour revenir à son point de dé- part, un parcours de 17 km 600.

LA «ROSE DES VENTS » AUTOUR D'ENTRECHAUX :

Les distances, en ligne droite et de clocher en clocher, pour les proches pays situés en étoile autour d'ENTRECHAUX, sont les suivantes : A l'Ouest, Le Crestet, 4.300 m. ; à l'Ouest-Nord-Ouest, Saint - Marcellin, 3.700 m. ; à l'Ouest-Nord-Ouest également, Vaison, 6.200 m. ; au Nord-Nord-Ouest, Saint-Romain, 5.100 m. ; au Nord, Faucon, 4.800 m. ; à l'Est-Nord-Est, Mollans, 4.750 m. ; à l'Est, Veaux, 5.550 m. ; au Sud-Sud-Est, Beaumont, 4.400 m. ; au Sud, Malaucène, 5.200 m. ; et enfin, au Sud-Ouest, Suzette, à 7.900 m. (Les trois clochers de Saint-Romain, Entrechaux et Beaumont, sont sensiblement en ligne droite).

LES JOLIS POINTS DE VUE

(Se munir d'une carte à grande échelle : 1/20.000 par exem- ple — Vaison 1 et 2 — ou mieux, carte spéciale du territoire d'Entrechaux) (10). Pour avoir une vue panoramique d'ensemble de tout le territoire de la commune, je recommande aux touristes, cam- peurs ou estivants disposant de plusieurs journées, de se rendre successivement, par beau temps, aux magnifiques points de vue ci-après désignés, indiqués dans le sens de rotation des aiguilles d'une montre :

1° - A 300 m. au Nord du hameau de St-Michel, au-delà de la ferme GOURBIN (vue sur l'Ouvèze, les gorges, les baumes ou abris sous roche rive droite, les , le rocher de la « Masque », l'ancien Moulin et le Pont Saint-Michel).

(10) Une carte de la commune avec courbes de niveau a été éditée par M. E. Comte, au 1/10.000 avec autorisation de l'Institut Géogra- phique National (N" 4-267 du 25-9-1956). Elle est reproduite à petite échelle à la fin de cet ouvrage. 2° - En face, au-delà des abris (Vue du pittoresque hameau Saint-Michel). 3° - Coude de la route départementale n° 13, avant la descente sur le Toulourenc, à l'altitude 327,90 m. (Vue sur «Les Ramières », le Toulourenc et la plaine de Mollans). Se rendre aussi à la ferme Audran, à « Tray-le-Col » et au « Ameu- riers » (375,10 m.). 4° - Extrémité Ouest du piton du château en face la porte de l'Auro (Vue sur « Le Séguret », la route du pont St-Michel, les «Habitants», Le Plan, etc...). 5° - Devant l'entrée principale du château, sur le perron (Vue magnifique sur le Ventoux, la tour de télévision, le Petit Ventoux, la crête du Rissas, les Combes, la montagne de Bluye). 6° - Colline de Thalès — Thalis sur certaines cartes. Partie Nord, vers la statue de N.-D. de la Salette (Vue sur le château, Chatresse, Le Bosquet, Le Plan, l'agglomération du pays). Partie Est (Vue sur les « Grangres-Brûlées », St-André, N.-D. de Na- zareth). Partie Sud (Vue sur Champ-Long, La Brédouire).

7° - Sommet de Roche-Galière (très recommandé) partie Nord, altitude 325,80 m. (Vue excessivement étendue sur la vallée de l'Ouvèze, dans sa traversée du pays et jusqu'à Vaison, Les Habitants, Territoires de Puyméras, de Faucon, de St-Marcellin, de Crestet).

8° - Col de Chabrière, intersection de la limite des 3 com- munes de Crestet, Saint-Marcellin-les-Vaison et Entrechaux. (Vue sur la Gardette, la Combe-de-Bayle et les parties boisées de la région).

II. — RELIEF DU SOL

Le sol de la commune est assez accidenté ; il forme la transition entre les plaines de la vallée du Rhône, les monta- gnes des confins de la Drôme et le Massif du Ventoux. Les diverses altitudes sont : Cime de la Gardette, au Nord-Ouest du Pays (limite EN- TRECHAUX, St-Romain, St-Marcellin), 476 m 90 ; sommet du Collet-Blanc, au Sud-Est du pays, cote du signal géodésique, 459 m 10 ; sommet de Chante-Pleure, au Sud-Est du pays, for- mant limite avec Malaucène, 444 m, le sommet exact est à 60 m à l'Est de la limite d'Entrechaux c'est-à-dire sur le ter- ritoire de Malaucène ; Combe de Bayle, N.-E. du pays, 420 m 90 ; Le Séguret, 369 m 90 ; vieux château, sol du sommet, 367 m 50 ; point culminant des Grands-Essarts, au-dessus des gorges des Roches, 358 m 30 ; coude de la route de Mollans, au sommet de la Braysse, 327 m 90 ; Champ-Long, route près de la limite de Malaucène, 336 m 50 ; crête de Puyseby. rive droite de l'Ouvèze, 318 m 20 ; Notre-Dame de Nazareth, sol moyen, 310 m ; La Braysse, transformateur, 305 m 10 ; ferme Pie à l'extrémité des Essarts-du-Pont, 306 m 40 ; centre du pays devant la place de l'Eglise, 280 m ; la cote s'abaisse ensuite à 278 m au croise- ment des routes de Vaison et de Malaucène ; à 276 m au quar- tier des Habitants ; 275 m sur la route départementale à la limite de Malaucène, avant le Rieufroid ; 270 m (moyenne) au hameau de Saint-Michel ; 260 m aux points bas des Ramières, sur la rive gauche du Toulourenc ; 248 m au Plan des Amarens ; 243 m à l'ancienne gare ; 237 m à la cave vinicole du Plan, et enfin 220 mètres aux Basses-Espagnoles, point le plus bas de la commune . Il y a donc, entre les cotes extrêmes, une dénivellation de 257 mètres environ.. Toutes les cotes citées dans ce chapitre sont tirées soit du nivellement général de la France (repères), soit déduites du plan directeur révisé en 1937 par le service géographique de l'armée, actuellement Institut Géographique National, rattaché au Ministère des travaux publics et des transports.

III. — CLIMAT

Le climat, méditerranéen, est en général salubre mais le pays étant situé dans la partie montueuse de l'Est du dépar- tement avec, au Sud-Est, le sommet du Mont-Ventoux à 11 ki- lomètres 900 seulement à vol d'oiseau, est moins tempéré que dans les plaines du reste du département. Cependant il y a peu de neige ; elle ne tombe pas tous les ans et souvent ne séjourne pas ou peu de temps. L'air est relativement sec ; la température moyenne an-