Rimbaud : La Clef Alchimique
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LES PORTES DE L'ÉTRANGE Collection dirigée par Francis Mazière DAVID /GUERDON RIMBAUD La clef alchimique ÉDITIONS ROBERT LAFFONT PARIS Si vous désirez être tenu au courant des publications de l'éditeur de cet ouvrage, il vous suffit d'adresser votre carte de visite aux Editions Robert Laffont, Service « Bulletin », 6, place Saint-Sulpice, 75279 Paris, Cedex 06. Vous recevrez régulièrement, et sans aucun engagement de votre part, leur bulletin illustré, où, chaque mois, sont présentées toutes nouveautés que vous trouverez chez votre libraire. © Editions Robert Laffont, S.A., Paris, 1980 ISBN 2-221-00521-X A mes deux fils AVERTISSEMENT Cet ouvrage analyse et explique fondamentalement l'œuvre d'Arthur Rimbaud — ainsi que sa vie tourmentée — à la lumière de la tradition hermétique en général et de celle de l'alchimie en particulier. La personnalité fascinante de Rimbaud n'a pas fini de faire rêver, peut-être plus encore que son œuvre. Né en 1854, à Charleville, dans les Ardennes, ce jeune homme de 17 ans vint à Paris pour y faire reconnaître sa poésie. Après une vie scandaleuse menée en compagnie de Paul Verlaine, il devait totalement disparaître de la scène publique en 1875 pour se consacrer à l'aventure, puis, en Afrique, au commerce lucratif. Ce mépris total pour une œuvre littéraire aussi importante bouleversa, et conti- nue de bouleverser, tous ceux qui s'interrogent sur le mystère poétique et par conséquent sur la destinée humaine. On décela dans l'existence de Rimbaud, sans pour cela la comprendre entièrement, un secret sublime. Il existe en effet deux mystères irritants dans cette vie mouvementée, deux énigmes qui n'ont jamais pu être expliquées d'une façon satisfaisante. D'abord, l'opposition étonnante qui frappe tous ses admirateurs entre l'ado- lescent visionnaire (créateur d'inestimables joyaux poé- tiques) et ce voyou redoutable, même assez méprisable, sur lequel Verlaine, qui l'aimait, finit par tirer deux coups de revolver. Seconde énigme rimbaldienne : son abandon définitif de la littérature à l'âge de vingt ans et sa fuite désespérée au désert, reniement définitif de tout ce qui avait constitué sa vie jusqu'alors. De ces deux lourds mystères, sujets à interprétations contradictoires, décou- lent des thèses explicatives et des contre-thèses virulentes qui n'ont pas fini de s'affronter. Mais l'obscurité autour de Rimbaud persiste. Le poète se cache toujours derrière le voile qu'il a lui-même — avec quelque délectation — tissé. Selon nous — et nous avons dans ce but réuni, à notre avis, un faisceau suffisant de preuves — Rimbaud a suivi délibérément un plan méthodique et précis, chargé de lui accorder ces « pouvoirs psychiques » auxquels aspirait sa jeunesse ambitieuse et qu'il confondait avec les pouvoirs de la poésie. Pour ce faire, il adopta un système d'évolution dirigée inspiré des opérations de l'alchimie. Point de « surnaturel » dans tout cela, mais l'observation stricte, presque scientifique, d'une sorte de Yoga occidental dont justement se rapproche l' Magna. Les preuves de l'existence de cette « méthode », nous les découvrirons dans la correspondance du poète et dans certaines de ses œuvres traduites pour la première fois grâce à la clef de l'hermétisme. Nous exposerons en clair ce fameux système et montrerons que, du fait des nécessités de sa dialectique, celui-ci devait, par la suite, pousser Rimbaud à dépasser le stade de l'obtention des « pouvoirs » pour aller au-delà, vers l'ascèse et la pure contemplation mystique. Nous ne croyons pas que notre « traduction » de la pensée rimbaldienne diminue en quoi que ce soit le poète ni dessèche son œuvre. D'ailleurs, cette traduction est loin d'être exhaustive et ne prétend pas l'être 1 Une caracté- ristique capitale distingue heureusement notre méthode de lecture de la critique scolastique : en déchiffrant le langage poétique à l'aide d'un langage équivalent, celui des symboles — qui possède la même densité de signi- fication, donc la même intensité —, notre interprétation ne risque jamais de tomber dans le prosaïsme niveleur et banalisant qui tue tout mystère poétique. En effet, en procédant à cette analyse, nous pénétrons dans le domaine polymorphe des « mythes », ces rêves collectifs, itiné- raires initiatiques de l'âme qui, comme les contes de fées, ont une fonction sotériologique (certains psychanalystes les ont redécouverts aujourd'hui au niveau thérapeu- tique). Mythes et contes de fées témoignent d'une concor- dance surprenante avec le matériel symbolique de l'alchi- mie, comme l'a constaté, entre autres, Jung. Notre interprétation de l'œuvre rimbaldienne s'effectue donc à l'aide des symboles utilisés par le poète. Il s'agit d'une analyse dite anagogique, parce qu'elle s'élève du sens matériel au sens spirituel, ce qui permet de ne pas amputer les textes de tout leur espace supérieur, donc sacré, comme le fait la critique académique. Bien entendu, notre analyse concerne aussi bien la vie que l'œuvre du poète, inextricablement liées. Toutes deux en effet obéissent — nous le prouverons — au même système d'évolution interne, de quête de la Pierre Philosophale, ce « système », cette « méthode » que le poète a baptisés orgueilleusement son « Alchimie du Verbe ». Nous croyons que cette « méthode » est d'autant plus actuelle qu'elle fournit des solutions individuelles aux 1. Bien que nous publiions la majorité des textes analysés, nous conseillons à ceux de nos lecteurs qui aimeraient se pencher avec profit sur notre étude de conserver sous la main les Œuvres complètes de Rimbaud (éditions de poche, Ed. de la pléiade ou Ed. Garnier, moyen terme entre les deux autres). contradictions les plus explosives de notre époque. Car ne ressent-on pas fortement à présent cette nécessité de « changer la vie » que Rimbaud proclama il y a plus de cent ans ? Entre la Matière et l'Esprit, le système rimbaldien veut servir de pont et de synthèse, grâce au dynamisme de sa dialectique. Il se sert en effet de la dialectique pour résoudre l'opposition des contraires et créer une nouvelle unité qui, bien qu'elle milite en ce monde, ne s'ampute pas du sens du Sacré dont nous éprouvons tellement la soif aujourd'hui. Il utilise la Matière pour aller à l'Esprit. N'est-ce pas justement le « système » que peut comprendre notre civilisation moderne, avide de formules concrètes, de pragmatisme et d'efficacité ? A ceux qui cherchent une clef pratique à leurs pro- blèmes d'évolution spirituelle, nous offrons, non pas le « mythe » de Rimbaud, dont la vie n'est ni triomphale ni exaltante (aucune tentation de déification dans notre propos), mais sa méthode logique de métamorphose totale, une ascèse concrète, audacieuse, virulente, scandaleuse, dangereuse, que certains « appelés » pourront à leur tour mettre en œuvre, s'ils le désirent, à leurs risques et périls. Les étudiants soucieux de progresser sur la voie de l'ésotérisme — si ce n'est sur celle de la « Sagesse » — trouveront en annexe de ce volume l'étude du quater- naire évolutif forgé par Rimbaud, système concret de métamorphose spirituelle qui nous fournira la clef idéo- graphique de la vie du poète ainsi qu'un modus operandi de transmutation personnelle. Cette technique, adaptée à nos mentalités occidentales, après avoir brisé nos condi- tionnements antérieurs 1 facilite l'apparition d'un état de « créativité artistique » — la Voyance rimbaldienne — et, 1. Son action a quelque rapport, dans un contexte bien en- tendu différent, avec les théories de Wilhelm Reich et les exercices chargés de « briser les cuirasses » musculaires et psy- chiques. pourquoi pas, par la suite, d'une véritable « illumination ». C'est cette « méthode » qu'appliqua scrupuleusement Rimbaud jusqu'à la fin de sa vie, et nous savons qu'elle le mena de la formulation des plus pures merveilles litté- raires jusqu'à la solitude incandescente du désert africain. Toutes les énigmes de cette existence déchirée — qui ont agité tant d'esprits depuis cent ans et suscité tant de théories contradictoires — se résolvent finalement par la connaissance des processus de l'alchimie et leur appli- cation systématique sur le plan spirituel. Nous verrons en effet qu'à l'heure de sa mort « l'homme aux semelles de vent » semble bien avoir découvert enfin le point de non-contradiction absolue qu'il recherchait depuis tant d'années et bouclé ainsi le cycle de sa quête « philosophale ». I LA BOUCHE D'OMBRE ET SON FILS Pour mieux comprendre comment Rimbaud devint ce qu'il fut — dans la mesure où l'on peut percer le mystère d'un don poétique naissant —, il importe de découvrir ses racines nourricières au foyer qui l'éleva. Un père fantoche, une mère abusive : peut-on résumer aussi simplement la préhistoire de notre « enfant prodige » ? En tout cas, un détour dans la famille Cuif-Rimbaud nous apportera son enseignement. Ancien combattant d'Algérie, jovial et sceptique, le capitaine Rimbaud avait épousé Vitalie Cuif en 1853. C'était un bon parti puisque la jeune paysanne des Ardennes devait hériter d'une ferme de 23 hectares. Mais le militaire allait vite se lasser du caractère difficile de sa femme. D'un catholicisme intransigeant, Vitalie avait vainement tenté de le convertir à sa foi. Préférant la vie rude, mais distrayante, des casernes à ce foyer lugubre, il l'abandonna en 1860 avec ses quatre enfants. Après la naissance d'Isabelle, la petite dernière, il disparut. Arthur avait six ans. Très orgueilleuse et sensible au paraître, Madame Rimbaud dut souffrir durablement de se trouver abandonnée « comme une fille ». Qu'allaient dire les braves gens de Charleville ? Qu'allait-on penser d'elle à la messe ? Le peu de femme qui restait en elle s'enferma dans un silence hostile. Elle se corseta dans ce rôle si commode de martyre du devoir et de distributrice de discipline avec un fatalisme empli de rancune pour un destin sans pitié.