L'arabe En France
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Octobre 2009 Numéro 15 Langues et cité L’arabe en France L’arabe est aujourd’hui la langue la plus parlée au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Le voisinage immédiat de l’Europe est donc largement arabophone. Avec quelque 200 millions de locuteurs natifs, l’arabe compte parmi les langues numériquement les plus importantes à l’échelle mondiale. Il est langue officielle dans une Langues et cité Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques La langue arabe p. 2 vingtaine de pays. En outre, il représente un référent fondamental dans toutes les cultures où la religion musulmane joue un rôle Arabe maghrébin central : Afrique sahélienne et orientale, monde turc et persan, et création artistique p. 4 Inde, Malaisie et Indonésie… « Mais quel arabe ? », demandera-t-on, « classique ou dialectal ? ». Pratique et transmission p. 6 En effet, l’arabe standard (ou classique, ou littéral) – qui n’est la langue maternelle de personne – est partout assez différent de L’arabe à l’école p. 6 l’arabe parlé. Ce dernier comprend en outre un certain nombre de variétés ou « dialectes », entre lesquelles l’intercompréhension Enseignement supérieur p. 8 n’est pas toujours facile. En France l’arabe est pratiqué quotidiennement probablement par L’arabe maghrébin plus de 3 millions de personnes (citoyens français ou résidents à l’Inalco p. 9 étrangers), très majoritairement sous sa forme maghrébine, mais aussi – au sein de communautés moins nombreuses – sous ses Les ELCO p. 10 formes libanaise, égyptienne, syrienne… L’arabe littéral est enseigné dans le secondaire et le supérieur (Inalco et universités). Bibliographie p. 11 Il existe aussi un enseignement d’arabe maghrébin à l’Inalco depuis le 19e siècle ; plusieurs autres « dialectes » arabes y sont Radios p. 11 également enseignés. Il importe au succès de l’action publique de bien connaitre la Parutions p. 12 problématique contemporaine de l’arabe en France. Le mérite des textes réunis dans ce numéro de Langues et cité est de donner à voir et à comprendre l’arabe comme une réalité globale, dans sa complexité et ses disparités, mais aussi dans le continu d’une langue-culture à travers le temps, l’espace et la société. 909362_langues_cite_15.indd 1 01/10/09 09:05 2 a situation sociolin- il ne suffit pas d'avoir appris proche qu'il puisse être de ses avec une pluralité de dialectes guistique de l'arabe est l'arabe classique pour com- petits frères, et fait figure de arabes. La norme a connu une Lgénéralement décrite prendre la langue courante. langue indépendante. Le riche certaine stabilité à travers le en termes de diglossie : deux Dans le même temps, les héritage culturel qui fonde le temps ; cependant, les raisons systèmes linguistiques, l'un dit passerelles sont multiples sentiment d'appartenir à la na- d'être et les emplois d'une lan- haut et l'autre bas, coexistent entre ces variétés, qui vivent tion arabe est indissociable de gue standard changent au fil dans la même société, où ils en symbiose depuis au moins la langue dans laquelle il s'est des âges, et chaque époque a remplissent des fonctions dif- un millénaire et demi. Notons exprimé depuis des siècles. reformulé la norme en fonction férentes. Que faut-il entendre que le terme de dialecte rem- Les dialectes sont eux aussi de ses besoins. En outre, si ce par-là ? La question est com- plit deux fonctions : il oppose les vecteurs d'un héritage non que celle-ci prescrit est obliga- plexe. Tentons d'esquisser les le parler d'une communauté à moins riche. Mais force est de toire, ce dont elle ne dit rien est grandes lignes du tableau. celui d'une autre ; il oppose la constater que leur poids sym- un champ laissé libre à toutes langue quotidienne à une ou bolique est moindre. les évolutions et variations. Au L'arabe se présente, dans la des variété(s) réputée(s) plus cours de son histoire, l'arabe pratique quotidienne, sous « élevée(s) », en particulier L'arabe classique est autant classique a, tacitement, mais un aspect qui ne saurait sur- l'arabe littéral. une fiction qu'une réalité. À de manière incessante, em- prendre un Allemand ou un la différence de l'allemand ou prunté aux parlers dialectaux, Italien, mais que les Fran- C'est la langue classique qui de l'italien standard, il n'est la aux langues étrangères, et çais ont souvent plus de mal assume à elle seule l'essence langue maternelle de personne développé sur son fonds à concevoir : une langue qui de la langue arabe tout en- et ne peut être acquis que par propre des ressources nou- change presque à chaque tière ; elle est communément l'étude et une certaine mai- velles. Ses frontières elles- kilomètre, un continuum dans considérée comme le seul vrai trise de l'écrit ; il n'est nulle mêmes ont fluctué. lequel on est bien obligé de et bon arabe, l'arabe origi- part la langue de la vie quoti- LA laNGUE arabe, UNE ET MULTiple Julien DUFOUR Université de Strasbourg découper, plus ou moins arbi- nel et pur, le point de repère dienne. En outre, on serait bien La force de cet idéal classique trairement, ce qu'on nomme immuable de tous ceux qui en peine de le définir exacte- vient sans doute précisément des dialectes, tous évidem- parlent arabe, les dialectes ment et les textes mêmes qui de ce qu'il est difficile à sai- ment frères, mais en même passant pour des formes sont censés le graver dans le sir, essentiellement extérieur temps distincts, parfois très abâtardies de la langue. La marbre le plus illustre n'ont à chaque locuteur, et qu'on différents les uns des autres ; recherche scientifique a une unité linguistique que très peut donc se voir reprocher l'intercompréhension, tantôt beau montrer qu'historique- relative : la langue du Coran de ne pas y exceller. C'est aisée, tantôt difficile, est tou- ment l'arabe classique n'a diffère sensiblement de celle un point de fuite que l'on vise jours le résultat d'un effort. Le rien d'une origine, que l'unité de la poésie préislamique ou constamment sans jamais dissemblable est la norme, le n'a pas précédé la diversité, de celle de la prose classique ; l'avoir définitivement atteint. semblable étant l'exception et qu'elle est en fait, bien au quant à l'arabe dit « standard » Du moins officiellement, car, ne concernant le plus souvent contraire, le résultat d'une ou « moderne » d'aujourd'hui, en fait, la plupart du temps, que l'échelon local. construction, que des stan- on peut y reconnaitre, sous il n'est pas vrai qu'on s'y ef- Au sommet de ce corps aux dards linguistiques non clas- l'apparence d'une continuité, force. Mais l'idée plane que mille membres, un visage siques existent partout. Il n'en une ère nouvelle de la langue. l'on devrait… En tout cas, ce symboliquement unique : reste pas moins que cette vi- Disons que l'arabe classique pôle magnétique oriente les l'arabe « classique », dit aussi sion des choses préside très est un standard étroitement discours et les jugements de « littéral ». Est-il très éloigné généralement à la représenta- lié à un corpus de textes et valeur concernant la langue. des arabes dialectaux ? Oui, tion que les Arabes se font de régi par une norme imposant Au point, souvent, de masquer en un sens. En tout cas, il ne leur langue et, partant, de leur certaines caractéristiques de les mécanismes réels des suffit pas d'avoir un dialecte identité. Un dialecte arabe qui, vocabulaire, de morphologie stratégies linguistiques. arabe comme langue mater- comme le maltais, récuse le et de syntaxe, et en interdi- Ce qui n'est pas fictif, en re- nelle pour comprendre l'arabe lien symbolique qui le lie à la sant d'autres. Ce standard, vanche, c'est que dans le classique autrement que de langue classique, cesse d'être s'est sans doute, dès les ori- monde arabe d'aujourd'hui, manière très sommaire. Et un dialecte arabe, quelque gines, défini par différence le locuteur est fréquemment 909362_langues_cite_15.indd 2 01/10/09 09:05 confronté soit à un discours de langue coexistent dans la peuvent s'entendre et que la sociales qui priment et l'on 3 produit dans un niveau de compétence des locuteurs. conversation générale pos- n'a que faire, le plus souvent, langue étiqueté comme Tout un spectre de variétés sède le ton soutenu qui sied d'une éventuelle conformité à « arabe classique », soit à l'exi- linguistiques, plus ou moins au propos. Chacun, bien sûr, la norme classique. gence d'en produire un lui- large suivant les individus, se de retour chez lui, retrouvera même. D'une part, en effet, déploie entre les deux pôles le dialecte qui est le sien et La référence à l'arabe littéral tout discours ayant un carac- que constituent le dialectal de que ses interlocuteurs de la peut en revanche venir après tère public ou prétendant à la vie quotidienne et l'arabe veille auraient eu sans doute coup légitimer un jugement une certaine officialité (qu'il classique le plus soutenu. Ce quelque peine à comprendre. de valeur dont les motivations soit religieux, politique, di- phénomène est peut-être plus sont en fait purement sociales dactique ou médiatique) use net en Orient qu'au Maghreb ; On peut donc décrire la pra- et identitaires. Ainsi, on dit de l'arabe littéral, dans des et historiquement, il n'est pas tique de l'arabe comme une souvent le dialecte égyptien proportions variables. D'autre nouveau ; mais sa quasi-géné- tension entre dialecte et « plus proche du classique » part, le passage à l'écrit im- ralisation n'en caractérise pas arabe classique.