Cahiers d’études italiennes

Novecento... e dintorni 5 | 2006 Images littéraires de la société contemporaine (2) Actes du colloque « Évolution de l’image de la séduction dans la littérature contemporaine italienne » (Université Stendhal – Grenoble 3, 25-26 novembre 2004)

Alain Sarrabayrousse (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cei/803 DOI : 10.4000/cei.803 ISSN : 2260-779X

Éditeur UGA Éditions/Université Grenoble Alpes

Édition imprimée Date de publication : 15 septembre 2006 ISBN : 978-2-84310-086-4 ISSN : 1770-9571

Référence électronique Alain Sarrabayrousse (dir.), Cahiers d’études italiennes, 5 | 2006, « Images littéraires de la société contemporaine (2) » [En ligne], mis en ligne le 15 mars 2008, consulté le 28 mars 2021. URL : http:// journals.openedition.org/cei/803 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cei.803

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Des années 1970 au début des années 2000, l’Italie a traversé bien des vicissitudes : certaines globales, internationales, liées à l'évolution même des données politiques dans le monde, avec en point d’orgue la chute du mur de Berlin et les conséquences que cette chute a pu avoir sur la redistribution des cartes, y compris à l’intérieur même de la péninsule ; d’autres plus spécifiques, comme la décennie sombre qui va de 1970 à 1980, ou l’émergence, à partir de la fin des années 1990, d’une forme de prise du pouvoir des oligarchies capitalistes s’appuyant sur le contrôle de grands moyens médiatiques.

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SOMMAIRE

Présentation Alain Sarrabayrouse

La femme et la mer dans Il silenzio de Francesco Biamonti : au-delà de la séduction Matteo Meschiari

Stereotipo della seduzione e seduzione dello stereotipo in La bella di Lodi di Arbasino Andrea Inglese

Distances et détours : la séduction à l’œuvre chez Alessandro Baricco Yannick Gouchan

Seduzione e tragressione in La controfigura di Libero Bigiaretti Alfredo Luzi

Seduzione amorosa e seduzione artistica in Retablo di Vicenzo Consolo Tatiana Bisanti

Formes, modalités et paradoxes de la séduction dans Il bastardo di Mautàna de Silvana Grasso Margherita Marras

“Né caccia, né fuga…”: techniche di seduzione secondo alcune voci giovani nella letteratura italiana degli anni’90 e 2000 Chiara Lombardi

Uto le séducteur (sur un roman d’Andrea De Carlo) Étienne Boillet

Feinte séduction et autoréférentialité : les romans d’Andrea De Carlo Franco Manai

La “seduzione della letteratura” in Roberto Cotroneo e Andrea De Carlo Enza Biagini Sabelli

Sensualité et obscénité dans L’amore molesto et I giorni dell’abbandono d’Elena Ferrante Martine Bovo-Romoeuf

I miti della seduzione nei primi due romanzi di Carmen Covito Susanne Kleinert

Désir et répulsion : Aracœli ou le miroir paradoxal Agnès Morini

Sedurre con il giallo. Il caso di Hanna Serkowska

Techniques de séduction dans le polar italien contemporain Barbara Meazzi

L’image de la femme dans l’œuvre de Primo Levi : une séduction ambiguë Sophie Nezri-Dufour

Forme e luoghi della seduzione nella narrativa di Alessandro Barbero Filippo Fonio

L’odore del sangue di Goffredo Parise: fascinazione della gioventù, tentazioni di un reporter Matteo Giancotti

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La seduzione postmoderna in Rimini di Pier Vittorio Tondelli Sabina Gola

La séduction ou du sentiment de l’abandon (lecture de Camere separate de Pier Vittorio Tondelli Flaviano Pisanelli

Provocation et séduction dans l’œuvre d’ Stefano Magni

Les figures de la séduction dans les dessins de Poema a fumetti de Dino Buzzati Muriel Badet

« Il seno nudo », ou Palomar et les derniers avatars de la scène de séduction Anne Boulé-Basuyau

La séduction du mystère chez Moravia. La donna leopardo : voyage en Afrique, de la possession à la contemplation Maryline Maigron

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Présentation

Alain Sarrabayrouse

L’éditeur remercie Margherita Marras, Christophe Mileschi, Enzo Neppi et Flaviano Pisanelli de leur soutien et de leur aide dans la préparation de ce volume.

1 Des années 1970 au début des années 2000, l’Italie a traversé bien des vicissitudes : certaines globales, internationales, liées à l’évolution même des données politiques dans le monde, avec en point d’orgue la chute du Mur de Berlin et les conséquences que cette chute a pu avoir sur la redistribution des cartes, y compris à l’intérieur même de la péninsule ; d’autres plus spécifiques, comme la décennie sombre qui va de 1970 à 1980, ou l’émergence, à partir de la fin des années 1990, d’une forme de prise du pouvoir des oligarchies capitalistes s’appuyant sur le contrôle de grands moyens médiatiques.

2 Bref, en l’espace d’une trentaine d’années, le pays a connu de nombreux changements, et s’est trouvé – comme d’autres pays d’Europe, mais en fonction de ses caractéristiques propres – devant la nécessité de plier ses coutumes, ses habitudes, à des nouveautés d’autant plus difficiles à gérer qu’elles étaient en mouvement constant, et entraient pour une bonne part en contradiction avec les modes d’existence et certains modèles qui avaient eu le temps de se cristalliser depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

3 En même temps, ces turbulences allaient de pair avec une certaine libération des mœurs, qui se poursuivait après les grands bouleversements sociétaux entamés dans la décennie 1960.

4 Une question se pose toujours à qui s’intéresse un tant soit peu au roman : celle des liens qui peuvent se tisser entre les traits marquants de l’évolution d’une société et ceux de sa littérature. À la lumière de la présentation fort schématique qui vient d’être faite des étapes de la vie péninsulaire en l’espace d’une trentaine d’années, deux hypothèses peuvent se présenter : ou bien, partant de l’idée que la littérature doit, pour se faire entendre, se régler sur l’évolution de la société, on pense que ces produits de l’édition que sont les romans vont être plutôt sombres, ne pas chercher à voiler les problèmes, pour tenter peut-être de contribuer à les résoudre avec leurs modestes armes, sans chercher en tout cas à s’en détourner par des propos consolateurs ; ou bien, au contraire, partant de l’idée que la fonction de la littérature est essentiellement de

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permettre aux lecteurs de s’évader d’un monde au mieux morose, au pire cruel, et en tout cas déstabilisant, on imaginera que les tables des libraires vont se couvrir d’œuvres lénifiantes, tant dans la manière d’appréhender le monde par la fiction que dans la manière dont les personnages vont se mouvoir dans l’encre des pages, ou encore dans la façon dont l’écriture va attirer et retenir les lecteurs.

5 Bien entendu, le fait littéraire ne saurait se restreindre à ces deux propositions extrêmes. Même aux temps les plus durs de la censure fasciste, au temps où le quotidien devait être décrit sous le jour le plus lumineux possible, une (petite) place restait encore pour des œuvres s’inspirant d’une réalité austère – il suffit de penser à Tre operai de Carlo Bernari, ou à Gente in Aspromonte de Corrado Alvaro. Et même après la seconde guerre mondiale, au temps où, par contrecoup, le roman italien versait généralement dans une description souvent brutale des combats de la Libération et des conditions de vie des plus indigents, on trouvait des auteurs qui, tel Vitaliano Brancati, donnaient le sentiment (illusoire ?) de promener leur regard sur des problématiques plus classiques et moins ancrées dans l’actualité immédiate. Cela posé, qu’elle veuille ou non se donner (inconsciemment ou consciemment, peu importe) une visée dénonciatrice ou combative, qu’elle veuille ou non se présenter comme un miroir de la réalité pour mieux permettre aux lecteurs de s’y réfléchir, et d’en tirer (éventuellement) des conclusions sur leur existence, la littérature doit de toute manière attirer et retenir ces lecteurs, réussir à les placer dans un monde atroce ou doucereux, duquel ils auront – espère-t-on – du mal à sortir. En un mot, quelle que soit la fonction qu’elle se donne – ou qu’elle semble se donner, ou qu’on cherche à lui donner – la littérature narrative est par nature une machine à séduire.

6 La question de la séduction du lectorat est forcément ambiguë. Ainsi posée, elle sous- entend l’existence d’un lecteur unique, ce qui est évidemment un contresens ventru. Et à supposer même qu’il y ait des tendances générales, de vigoureux courants influençant le goût des lecteurs – courants engendrés par des volontés politiques, ou par les « lois » du marché éditorial – la séduction que produira une œuvre peut également tenir au simple fait de produire une petite voix, sinon discordante, du moins différente, dans le grand chœur de l’industrie du Livre. On aurait sans doute un peu de peine à établir des règles générales dans ce domaine : il suffit pour s’en convaincre de constater les décalages qui existent la plupart du temps entre la critique littéraire et le succès d’un ouvrage.

7 Paradoxalement, la question de la séduction entre les personnages au sein d’un roman est peut-être plus en prise avec l’actualité, avec la vie d’une société à une époque donnée. Pour que les lecteurs – quels qu’ils soient – s’identifient un tant soit peu aux stratégies développées par des personnages, et sans doute à plus forte raison si ces stratégies diffèrent des leurs, il faut en effet qu’elles correspondent à des schémas connus et, si possible également, actuels.

8 Les interventions du colloque ont en tout cas montré que cette machine à séduire qu’est la littérature narrative peut fonctionner sur différents registres, et à partir de référents divers. Mais ce qui frappe de prime abord est que rares sont les œuvres analysées qui renvoient à des objets dont la réalité se situe à la limite du vraisemblable. Les seules qui appartiennent à ce registre – et parviennent généralement assez bien à nous entraîner dans un monde relativement coupé des réalités que nous pouvons ou avons pu connaître – sont sans aucun doute celles de Dino Buzzati, Alessandro Baricco et, moins évidemment, d’Andrea De Carlo. Yannick Gouchan montre par quels artifices

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de construction et de style Alessandro Baricco réussit à nous entraîner dans un univers à nul autre pareil. Muriel Badet nous fait entendre, quant à elle, comment Buzzati, par l’intermédiaire de l’art pictural, nous introduit dans un espace de séduction particulièrement irréel – et en même temps particulièrement en syntonie avec les clichés sexuels de son époque. Le cas d’Andrea De Carlo est plus complexe. Partant de l’analyse d’Uto, et du rôle, dans le roman, du jeune homme qui porte ce nom, Étienne Boillet et Franco Manai en arrivent à des conclusions divergentes sur cette figure de séducteur – que beaucoup ont rapproché du héros de Teorema (souvent pour dire qu’il y avait là un phénomène d’altération du sens de l’œuvre de Pasolini). Quant à Enza Biagini Sabelli, elle compare les modes de séduction par la littérature dans Se un mattino d’estate un bambino de Roberto Cotroneo et Tecniche di seduzione d’Andrea De Carlo.

9 D’autres textes et d’autres œuvres peuvent paraître décalés, dans les techniques de séduction qu’ils développent – tant vis-à-vis des lecteurs que dans les attitudes des personnages –, par rapport à la réalité, contemporaine ou non : c’est le cas par exemple des romans historiques et des romans policiers. Tatiana Bisanti montre clairement les liens qui peuvent se tisser entre art et séduction dans Retablo de Vincenzo Consolo, et Filippo Fonio nous livre une analyse rigoureuse des systèmes de séduction au sein des romans d’Alessandro Barbero. De leur côté, Hanna Serkowska, avec son article sur le cas Andrea Camilleri et Barbara Meazzi, avec le panorama qu’elle dresse de la séduction dans le roman policier italien, fournissent des indications précieuses quant aux modalités de séduction propres à ce genre.

10 Les autres ouvrages étudiés renvoient plus décidément à une réalité passée (sans être pour autant, au sens propre, des romans historiques) ou présente, et aux formes de la séduction/transgression à différentes époques : au début du siècle, en Sicile, avec Il bastardo di Mautàna, de Silvana Grasso, étudié par Margherita Marras ; dans les années noires de la déportation et de la Shoah, pour les écrits de Primo Levi explorés par Sophie Nezri-Dufour ; dans les années 1970, pour La bella di Lodi d’Alberto Arbasino, roman examiné par Andrea Inglese, ou pour La controfigura de Libero Bigiaretti, texte analysé par Alfredo Luzi, ou bien pour « Il seno nudo » d’, décrypté par Anne Boulé-Basuyau, ou encore pour L’odore del sangue de Goffredo Parise, objet de l’étude de Matteo Giancotti. Plus près de nous – puisque le roman a été écrit à la fin des années 1980 et publié posthume en 1991 – La donna leopardo d’Alberto Moravia, texte qui prend appui sur une certaine réalité africaine, fait l’objet de la lecture attentive de Maryline Maigron.

11 Les années 1980 ont été marquées par la vague post-moderne et parfois par ses provocations. C’est précisément ce versant insolite des chemins du désir et de la tentation qu’observe Stefano Magni dans son étude de l’œuvre d’Aldo Busi. Quant à Sabina Gola et Flaviano Pisanelli, ils partent de romans de Pier Vittorio Tondelli pour étudier respectivement la « séduction postmoderne », et les rapports entre attirance et sentiment d’abandon.

12 Les années 1990 ont vu aussi éclore différents talents d’écrivains s’intéressant à la séduction : Carmen Covito, par exemple, qui se déclare disciple d’Aldo Busi, et dont nous parle Susanne Kleinert ; ou encore la (très) mystérieuse Elena Ferrante, auteur à ce jour de L’amore molesto et de I giorni dell’abbandono, dont l’œuvre singulière est analysée ici par Martine Bovo-Romoeuf. Chiara Lombardi, quant à elle, nous livre une vision d’ensemble des techniques de la séduction chez quelques jeunes auteurs d’aujourd’hui.

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13 À l’issue de cette brève présentation, je m’aperçois que deux romans analysés pendant le colloque auraient sans doute pu être placés dans la catégorie de la limite du vraisemblable évoquée plus haut. Mais à bien y réfléchir, ils sont tout aussi « vraisemblables », ou « invraisemblables », que n’importe quel autre roman. Non, il s’agit plutôt d’œuvres intemporelles, puisque, dans une vision au demeurant superficielle, ils paraissent résister aux référents actuels ou passés. Il s’agit de Aracœli, d’Elsa Morante, roman du désir et de la différence, lu par Agnès Morini, et de Il silenzio, de Francesco Biamonti, roman de la séduction par et avec le paysage, dont Matteo Meschiari nous livre une solide analyse.

14 Bien évidemment, ma dernière hésitation quant au classement des œuvres montre assurément que les familles thématiques mises en avant pour tenter de synthétiser les apports du colloque n’ont qu’une valeur anecdotique. Les « invraisemblances » des romans de Baricco ou de De Carlo en disent peut-être plus long sur l’évolution d’une société et de sa littérature, dans le domaine de la séduction, que bien des textes « à vocation réaliste ». Il en va de même pour les romans historiques ou les romans policiers. Réciproquement, des romans volontairement transgressifs, comme ceux de Busi, et dans une certaine mesure ceux de Tondelli, renvoient sans doute plus qu’il n’y paraît, toujours dans le domaine qui nous occupe, à des valeurs littéraires et à des traits comportementaux de toutes les époques. Chacun pourra par conséquent, partant de ces différentes analyses, tirer ses propres conclusions quant à la mise en œuvre de la séduction dans le roman italien de ces trente dernières années. Et repérer ce qui relève de la nouveauté ou de la continuité dans l’espace protéiforme de la séduction littéraire.

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La femme et la mer dans Il silenzio de Francesco Biamonti : au-delà de la séduction

Matteo Meschiari

La nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles. Baudelaire

1 Du nouveau roman qu’avait commencé à écrire Francesco Biamonti, il ne nous reste que vingt-neuf pages dactylographiées, de nombreuses variantes, un titre hypothétique, et deux brefs entretiens, qui exposent les grandes lignes de l’inspiration et la trame de l’œuvre. C’est avec une certaine perplexité philologique, qu’à présent nous pouvons lire cette ébauche de récit dans une petite édition posthume, chez Einaudi1. Le mérite de l’entreprise éditoriale, du moins pour ce qui est de la critique, n’est pas tellement de présenter au public une poignée de pages retrouvées, mais de pouvoir vérifier sur un objet largement provisoire une lecture plus générale de l’œuvre biamontienne. Car Il silenzio, qui a été conçu pendant les dernières années de la vie de l’auteur, présente une physionomie unique, et en même temps sans surprises.

2 Pour qui connaît L’Ange d’Avrigue, Vent largue, Attente sur la mer, Les Paroles la nuit2, hormis la déception d’une lecture trop tôt terminée, Il silenzio n’apparaît pas comme une œuvre inachevée, pas plus que les autres romans publiés du vivant de l’auteur. Bien évidemment, s’il en avait eu la possibilité, Biamonti aurait continué à y travailler, et pourtant ce qui reste dans ces vingt-neuf pages résume l’ensemble de sa poétique, dans une sorte d’icône, ou de mini-roman. Il est difficile de savoir si la maladie a joué un rôle structurant, en poussant l’auteur à condenser en très peu d’espace (et de temps) un récit qui, dans d’autres circonstances, aurait pu se développer différemment. En revanche, il semble certain que Il silenzio se présente comme une sorte de métonymie exemplaire, un lieu privilégié où les exercices de lecture critique seront valables pour l’ensemble de l’œuvre de Biamonti.

3 On disait plus haut que le texte à analyser demeure également sans surprises. Un peu comme Cézanne a peint la montagne Sainte-Victoire avec une obsession cognitive qui

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fait pendant à l’indétermination phénoménale du paysage, à chaque saison et sous chaque perspective, Biamonti a, pour ainsi dire, écrit et publié quatre fois le même roman, et il était de nouveau en train de s’y essayer. À chaque roman terminé, c’est comme si l’auteur devait absolument recommencer, en déplaçant son angle d’observation de quelques degrés. En définitive, les personnages, thématiques, lieux et dynamiques narratives demeurent inchangés, mais l’écrivain, comme il le ferait s’il se trouvait en plein air en face d’un paysage, se remet à observer et à décrire, en vue de combattre le désagrément de l’ineffable, de l’inépuisable, avec une perspicacité phénoménologique héritée de Merleau-Ponty3. Italo Calvino à écrit ceci : Ogni volta che ho provato a descrivere un paesaggio, il metodo da seguire nella descrizione diventa altrettanto importante che il paesaggio descritto: si comincia credendo che l’operazione sia semplice, delimitare un pezzo di spazio e dire tutto ciò che si vede; ma ecco che subito devo decidere se ciò che vedo lo vedo stando fermo, come di solito stanno i pittori, o almeno stavano, al tempo in cui i pittori dipingevano paesaggi dal vero – tempo che è durato tre secoli a dir tanto, cioè una fase molto breve della storia della pittura – oppure lo vedo spostandomi da un punto all’altro entro questo pezzo di spazio in modo da poter dire quello che vedo da punti diversi, cioè moltiplicando i punti di vista d’uno spazio tridimensionale. […] Ma bisogna subito dire che mentre io scorro nel paesaggio per descriverlo come risulta dai diversi punti del suo spazio, naturalmente è anche nel tempo che scorro, cioè descrivo il paesaggio come risulta nei diversi momenti del tempo che impiego spostandomi. Perciò una descrizione di paesaggio, essendo carica di temporalità, è sempre racconto: c’è un io in movimento che descrive un paesaggio in movimento, e ogni elemento del paesaggio è carico di una sua temporalità, cioè della possibilità d’essere descritto in un altro momento presente o futuro4…

4 La multiplication des points de vue, la temporalité suggérée par le mouvement physique, la précarité de la perception spatiale et les potentialités cachées constituent des coordonnées des plus efficaces dès lors qu’il s’agit de s’orienter dans l’écriture de Biamonti. Il convient d’ajouter à cela une angoisse subtile qui, d’après Calvino, ne fait qu’un avec les limites mêmes de l’écriture : Descrivere vuol dire tentare delle approssimazioni, che ci portano sempre un po’più vicino a quello che vogliamo dire, e nello stesso tempo ci lasciano sempre un po’ insoddisfatti, per cui dobbiamo continuamente rimetterci ad osservare e a cercare come esprimere meglio quel che abbiamo osservato5.

5 Dans son compte rendu de la première édition de L’Ange d’Avrigue, Calvino lui-même écrivit à propos du roman qu’il y a « des romans-paysage de la même façon qu’il y a des romans-portrait. Celui-ci vit page après page, heure après heure, de la lumière du paysage rude et escarpé de l’arrière-pays ligurien, dans son extrême pointe d’Occident, à la frontière avec la France6 ».

6 Calvino parle de « romans-paysage », et non de « romans de paysage », car il ne pense pas à une présence répétitive de paysages enchâssés dans un tissu narratif : ce qui signifie que les romans de Biamonti sont bien édifiés comme des paysages, d’après une logique qui n’est pas celle de la narration linéaire, mais qui se développe avec une structure par taches et par mouvement de taches, dépourvue d’un centre fixe, sans début ni fin, de manière inachevée, changeante, et pourtant toujours égale à elle- même. C’est bien ce qui provoque la sensation que les romans prétendument « achevés » demeurent en quelque sorte ouverts, tandis que le roman réellement inachevé conserve une harmonie interne, renvoyant à un mouvement circulaire. De la première à la dernière page, Biamonti nous familiarise avec une sorte d’absence de marges, un continuum spatio-temporel où le début et la fin sont des opérations

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arbitraires, nous accoutument à un rythme syncopé qui fait un avec l’entrelacement homme-paysage7. Il est en effet impossible de saisir l’œuvre de Biamonti si l’on fait abstraction de sa conception de la nature. Au cours d’un entretien sur Il silenzio, il faisait remarquer ceci : Potenzierò la trama ma abbandonerò la natura come consolazione. Nei miei romanzi la natura va dalla vita alla morte, dalla morte alla vita, è completamente metamorfica, lo spazio è inficiato, il tempo è malato e il mondo è su un abisso. Però molti si consolavano con le mie descrizioni delle nuvole, del cielo, del mare. Ora non voglio più offrire questa consolazione, voglio che questo diventi un ulteriore pungolo all’ango-scia che investe tutta la nostra coscienza8.

7 Mais seulement quelques mois plus tard, il était revenu à son premier propos : Ancora di più è sentito il rapporto con gli elementi naturali che vengono a sostituire quelli ideologici ; il paesaggio diventa coscientemente consolatorio, ma in maniera indiretta : come riflessioni sul paesaggio, sulla funzione che il paesaggio ha avuto, da Cézanne ai giorni nostri, una riflessione sulla natura non come spettacolo diretto ma come meditazione sugli aspetti della vita, in senso leopardiano9…

8 La consolation constitue bien une thématique centrale, mais Biamonti développe une réflexion méta-littéraire portant sur le paysage, dans un article mal connu qu’il écrivit en français : Tout change avec le XXe siècle : la nature devient indifférente, lointaine et plonge dans un désordre cosmique. […] Toute la littérature existentialiste est traversée par cette conception d’une nature qui ne signifie plus rien, qui n’est plus que le « corrélatif objectif » de l’état d’âme de l’homme. Et avec elle, toute la lignée de la littérature ligurienne et de la côte française de la Méditerranée où la nature fournit des objets qui servent à établir l’état d’âme de celui qui regarde. Ce mélange d’émotivité humaine et de données naturelles commence avec Cézanne. Avec Cézanne, la nature devient non seulement le « corrélatif » de l’état d’âme du peintre mais aussi la fondation de l’émotion même. Il y a cette objectivité de l’émotion qui se transfère dans les choses tout en traçant une sorte d’autoportrait10.

9 La perception de ces rapports qu’entretiennent hommes et nature demeure cruciale quand il s’agit de remonter aux origines de l’écriture-paysage biamontienne. L’état d’âme de l’écrivain, ou du personnage, se cristallise sur un fragment de paysage, sur une réalité phénoménale qui absorbe dans sa traduction verbale le regard plein d’émotion porté sur cette même réalité. Il s’agirait donc d’un autoportrait psychologique objectivé. Mais cette réalité, d’une manière circulaire, devient à son tour fondement de l’émotion. Autrement dit, le paysage n’est pas le simple reflet d’un état d’âme, ou un réactif qui aide l’écrivain à colorer l’émotion, mais il coexiste en harmonie avec elle, comme si hommes et paysages agissaient selon des dynamiques similaires et inéluctables11.

10 La palette biamontienne reste toujours la même : « Le fondamental, pour nous qui habitons sur les rives de la Méditerranée, c’est le rocher, les oliviers, le ciel étoilé, la nuit, l’amour, la mort, l’amitié12 ». Plus qu’un paysage compénétré d’émotions, Biamonti préfère mettre en scène un monde d’émotions primaires s’organisant en paysage, et notamment sur le paysage : la structure narrative, les aspirations des personnages, les sentiments se distribuent d’abord dans l’espace, et seulement ensuite dans le temps. Et c’est bien l’imitation dans l’écriture des caractéristiques morphologiques des lieux qui aboutit à cette spatialisation du récit : des taches et des dynamiques de taches à partir desquelles homme et nature s’organisent dans une sorte

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d’écosystème, une logique naturelle et verbale qu’on reconnaît quand on survole le texte13.

11 Il s’agit ici d’une écologie textuelle et mentale, où l’opposition mer-homme-voyage d’un côté, et terre-femme-maison de l’autre, devient l’axe sur lequel se structure l’intégralité du récit, selon une antinomie omniprésente chez Biamonti14. L’interpénétration de l’esprit et du paysage est si forte que la psychologie humaine est à la fois conséquence directe et interprétation authentique des « lois » du lieu. C’est le cas de l’ambivalence des protagonistes, qui basculent constamment, ne savent s’il doivent partir ou rester, s’égarer dans le présent ou se retrouver dans le passé des ancêtres, hésitent entre une mer à traverser et une montagne à travailler. C’est le reflet logique du paysage ligurien, sa dialectique et son équilibre instable, un paysage qui produit invariablement des personnages de marins rongés par une nostalgie de la terre ferme, et de femmes du continent qui songent à la mer. Le tout est animé par un désir ardent de calme et d’unité, mais au bout du compte cette mécanique existentielle nie la rencontre, l’échange, et engendre l’inéluctable silence entre les sexes. Calvino, dans le compte rendu cité plus haut, disait du personnage masculin : « Quatre personnages féminins, chacun avec son obsession, croisent ses pas ; mais les solitudes, dans la somme, ne s’annulent pas15 ». Car les opposés ne s’annulent pas, ils se nuancent seulement sur les marges, tout en conservant des éléments ambigus qui compliquent leur profil, mais concèdent à l’esprit un équilibre précaire entre séduction et refus.

12 Chez Biamonti, le thème de la séduction est central, mais dans Il silenzio il est traité avec une auto-conscience et une dureté sans appel. À l’appui de notre propos sur la fonction structurante du paysage, on observera que la séduction trouve son espace d’expression en se rivant sur une double géographie, à la fois concrète et intime. Dans un décor naturel polarisé entre mer et terre ferme, dans un cosmos préalablement établi, à l’exception des modalités de sa fin annoncée, tout porte à croire qu’il n’y a plus de place pour le libre arbitre, que la séduction n’est plus un art raffiné, mais une force d’attraction primaire, déterministe, décharnée, réduite a sa plus simple expression, comme les terres avares qui semblent engendrer l’action.

13 L’incipit de Il silenzio est très simple : la rencontre d’un homme et d’une femme, quasiment inconnus l’un à l’autre dans un lieu naturel. Sur leur compte on ne sait rien. La femme cherche des fleurs, elle parle à l’homme, l’homme à son tour parle de l’endroit où ils se trouvent. C’est le strict nécessaire pour entamer un dialogue, et pour montrer les premiers moments d’une sympathie qui amènera à autre chose : « Se non ci fosse quest’amica che mi aspetta mi fermerei volentieri », dit la femme, et encore : « Un giorno, torno. Se capita in paese mi venga a trovare » (p. 5-6). L’homme descend au village mais la femme n’est pas chez elle. Plus tard, il la rencontre dans la rue, et pour la première fois ils se présentent. La scène se déroule d’une façon linéaire, jusqu’au moment où les intentions de la femme deviennent explicites. Le chapitre commence avec une ouverture sur le paysage, qui prépare l’action tout en composant le substrat logique de la narration : « Lei era tornata a cercare qualche fiore, ma in quel periodo di riposo della terra, la linfa, rintanata nei vecchi alberi, non aveva ancora preso a sbocciare nell’oro delle mimose. Nei giorni brevi, di luce necessaria per vivere, venature rosa si allungavano nei rami dei lentischi » (p. 10).

14 D’autre scènes de séduction chez Biamonti commencent de la même manière : une femme enveloppée de végétaux et affectée par leur toucher, et un homme qui parle des lieux, comme dans Vent largue :

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Sabèl toccò le foglie di una waldorf ; le restò sulle dita una sorta di polvere. — Si coprono di polvere per non traspirare, – egli disse. — Se continua questo secco non riusciranno a portare il fiore16.

15 On reconnaît ici une fonction narrative essentielle : la rencontre homme-femme se déroule dans un jardin qui mélange beauté et danger, fécondité et aridité. La scène semble construite sur un socle archétypique, adamique presque, et la séduction semble répondre à un schéma fixe qui transcende la volonté des individus car, au bout du compte, c’est la même vieille histoire qui se répète depuis toujours17. Dans Vent largue, Sabèl est tachée et presque souillée par le végétal, dans Il silenzio Lisa est blessée par une plante : Si mosse tra i lentischi ; uno spuntone le escoriò una gamba, sopra il ginocchio. Vi batté la luce di una nuvola bianca. Passavano delle nuvole, il cielo sembrava scivolare. Solo verso la montagna era di un azzurro rugoso. […] Lei gli chiese dell’acqua ossigenata, Edoardo andò a prenderla, stappò la bottiglia e gliela porse. Lei sedé e si alzò la gonna. – Non si volti, può guardare, – disse. Versò l’acqua sulla graffiatura ; si chinò a guardarla. Le biancheggiò sopra la fronte una ciocca di capelli. Tinta ad arte? Le altre erano di un castano lieve. Si alzò. – Ecco, sono pronta. – Perché tanta premura? – Tanto lei non mi guarda. (Il silenzio, p. 10-11)

16 Comme dans Perceval de Chrétien de Troyes, la plaie et la contemplation de la plaie sont la mise en images d’une pulsion sexuelle sans équivoques. La séduction est ici une séduction primaire, presque brutale de par sa nature explicite, mais ce qui compte surtout est le parallèle entre la lumière blanche qui effleure le genou de la femme et la mèche teinte qui blanchit sur son front. L’élément chromatique et lumineux crée un lien subtil entre le corps et le paysage. La clarification est réciproque : la beauté de la lumière est peut-être fallacieuse, tout comme la mèche peut être trompeuse, car colorée à dessein. Dans le Jardin, Adam est donc mis en garde par de subtiles allusions : le ciel s’écoule, les nuages passent comme les signes d’une histoire éphémère, et la femme, fugace elle aussi, se résout à partir en toute hâte. Cette double « premura », au goût des choses qui finissent, met à nu le point faible d’Edoardo qui, comme tous les personnages masculins de Biamonti, résiste, déjà vaincu, à l’automne du monde.

17 Et pourtant la séduction est efficace, car dans une terre où tout est nu, dépouillé, c’est justement la nudité de la peau qui guide l’acte de séduction, suggère sans médiation l’union des corps. Dans un univers où les solitudes ne s’annulent pas, où la terre touche la mer sans vraiment la rencontrer, où hommes et femmes incarnent une vérité manichéenne, l’art de la séduction est superflu. Il suffit d’une autre rencontre pour passer à l’action, et amorcer la fin : Lisa tornò tre giorni dopo, di sera. Il viola ardeva sui dirupi, li univa al mare, avviluppava l’uliveto. L’aria scuoteva i rami, ma lei non sembrava avere freddo; solo più fondo il blu degli occhi, più nuda la pelle nuda. […] Di quella sera rimase stagliata solo lei che si stendeva nella penombra, che dava, che esigeva. Ma non erano completamente soli nella sera. Si era impossessato di lei un essere strano e ne diceva i desideri con frasi secche e ondosi gemiti. E da che avevano riacceso si era dissolto. (Il silenzio, p. 13-14).

18 Il n’y a plus rien de l’innocence primitive du jardin. Seul subsiste, cru, froid, le paysage : en dépouillant d’un seul mouvement les branches et la peau, il transmet à Lisa la sauvagerie du vent. Les « frasi secche e ondosi gemiti » sont un paysage ligurien dans la pénombre, un paysage du corps qui reflète les terres arides et la mer agitée, un chiasme verbal et spatial qui résume, dans la figure rhétorique de la rencontre-séparation, toute

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la poétique biamontienne. Mais si le vent emprunte sa voix au délire nocturne de Lisa, c’est encore une fois la lumière qui soutient le discours amoureux, et le violet du crépuscule qui préfigure l’union des corps : non seulement la couleur enlace la mer et les escarpements, autrement dit le féminin et le masculin, mais elle brûle sans chaleur, comme la passion froide d’une Lisa qui brûle ardemment, mais qui se brûle dans l’espace d’une nuit. La lumière et ses variations forment un signal précieux pour le critique, car c’est à la lumière que Biamonti attribue une fonction allusive et intra- textuelle. C’est le cas de ce passage révélateur du roman, où l’auteur réitère ce modèle de connexion entre le corps de la femme et le paysage : Il mare di là dai dirupi tentava il fiabesco: si squamava d’oro e incorniciava un paese aggrappato a picco. «Ma non mi prendi, – egli pensava, – la tua seduzione la conosco troppo; ci sovrasta». Cominciava a ricordare certe sere e albe e giorni, sconfinata memoria, da cui lei lo scosse. — Sembra un braciere. — Ancora mezz’ora e si spegne, – lui disse. […] Il dorato del mare, che prima si rifletteva sull’ampia scollatura della donna, sulle stille di perla che scendevano fino al seno, crollava senza alcun rumore nel blu cupo e nella cenere. La sera si avviava verso sentieri impervi. Ma nel ritorno, a notte fonda, cambiò di colpo. Lei denudava le gambe e le apriva, rovesciava la testa come presa da un grande sonno. (Il silenzio, p. 18-19)

19 La mer et la femme sont liées (non pas assimilées) par l’intermédiaire de la lumière au coucher du soleil, et toutes deux, en vrai palimpseste, deviennent des points d’attraction pour un ancien marin qui se méfie. L’or qui coule sur la poitrine de Lisa confère au passage un caractère féerique et ensorcelant, mais en fin de compte il est seulement une « fable ». Pareillement, Lisa est un objet de désir fabuleux et fugace, une belle chose qui « in mezz’ora […] si spegne ». Ne subsiste que la cendre, et encore : la femme mène Edoardo vers une expérience quasi dantesque, qui gâche à jamais leur lien : Entrarono in un piccolo atrio: aveva due scale, una saliva e l’altra scendeva nei sotterranei. C’era un tavolino con un registro e un guardaroba. — Dovete darmi il nome e uno pseudonimo, – la donna disse. Li accompagnò di sopra, in un gorgo di musica, in una sala orlata di divani, con luce a lampi che feriva gli occhi e svelava gente che si accoppiava. In mezzo alla sala qualcuno si ostinava a danzare. Sedettero accanto a una coppia che era ancora alle carezze. Lei aveva un volto chiaro e ossuto. — Che cercate? — Emozioni, – Lisa disse. — Siete arrivati un po’tardi. — Qualcosa faremo. Si sentivano lamenti simulati, qualche grido. « È un fuoco talmente finto, – lui pensava, – che non produce cenere. Un piccolo inferno addomesticato. » (Il silenzio, p. 30-31)

20 Cet enfer domestiqué représente le dernier acte d’une histoire dont le corrélatif objectif est la mer qui « tenta il fiabesco ». Sa séduction n’est qu’une lumière de surface, un feu feint qui ne laisse pas de cendre. Lisa dit à Edoardo : « Forse sono stata un libro troppo aperto » (p. 31), et elle lui pose ensuite une question qui fait office de conclusion au roman inachevé : « Perché non mi hai fermata? » (p. 32). Mais il n’y a pas de réponse, il y a le silence du titre, un silence que Lisa avait prévu : — Non c’è più bisogno di parole, – diceva. — Di che cosa c’è bisogno?

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— Di mettere qualcosa di seducente, di forte sopra le ferite, in modo da renderle indolori e invisibili. — Ci possiamo provare. — Torno ancora per l’ultima volta sullo stesso argomento. Me ne vorrai scusare. Ti pare giusto morire per un’ideologia al tempo della sua morte? — No, non mi pare giusto. Ma non c’è più tempo per nessuna fede. (Il silenzio, p. 19)

21 Recouvrir les blessures par quelque chose de séduisant, ou, comme elle le dira plus tard, poser des images « gioiose […] contro l’angoscia che avanza » (p. 31), c’est une idée commune à Biamonti et à Lisa, tous deux néanmoins conscients de la séparation. C’est pour cette raison qu’Edoardo se trouve dans l’impossibilité de répondre à la question « perché non mi hai fermata? », pour cette raison encore que malgré ses précédents propos, Biamonti n’a pas été en mesure d’effacer la composante naturelle du roman qu’il venait de commencer : Alors, le paysage, à quoi ça sert ? Ça sert de consolation, comme disait Camus, comme les tablettes que les frères du Moyen Âge mettaient devant les condamnés à mort sur le chemin qui les menait à l’échafaud. Peut-être c’est ça : il y a un silence du monde, mais la tâche de l’écrivain, c’est de rendre ce silence, faire en sorte que le monde parle. Faire parler le monde dans un monde de la chute des idéologies et de l’éloignement du divin, c’est difficile : il faut apprendre à écrire en regardant le rocher vers le ciel étoilé. (« Le percept de nature », p. 17)

22 Lisa invoque ainsi le silence, et demande de jeter un voile séduisant, fort et gai sur les blessures, sur l’angoisse qui monte, sur la chute des idéologies. Le voile c’est la chair, la chair de la femme et la chair du paysage. Et Biamonti, par le biais de son personnage Edoardo, écoute la femme et la satisfait, en récréant une confusion parfaite entre le corps de Lisa et le « corps » de la Ligurie : Lasciarono il mare, che tanto non si vedeva; entrarono in vallata; s’inerpicarono, passarono accanto al paese addormentato, andarono a casa di Edoardo. Contraddicendosi, facendo il contrario di ciò che si erano proposti, parlarono sino a giorno fatto. Lei si spogliò che il cielo era di cobalto, di un azzurro che non riusciva a fondersi né con le rocce né con le montagne; gli ulivi vi si specchiavano. La campagna in quel momento non era fatica e pena, ma qualcosa d’altro. «Il suo seno è splendido», egli pensava. Si proiettava sulla parete come gli ulivi sul cielo. La luce entrava senza fiatare, tratteneva il respiro. Era una giornata ferma, di rami immobili. Lo zirlo dei tordi nell’uliveto e il fruscio degli abiti, che cadevano, suonavano come cristallo. (Il silenzio, p. 19-20)

23 À l’instar d’Edoardo et Lisa, Biamonti se contredit, et renonce au silence pour parler du paysage. Car le paysage, dont la destruction nous est pourtant annoncée, est bien la vraie, la dernière séduction. Exclure la terre, nier le « caractère primordial de la terre dans l’aventure humaine » (« Le percept de nature », p. 18), cela reviendrait à perdre un chemin d’accès au réel. C’est ce qui arrive, d’une manière fort symbolique, à la mèche blanche de Lisa : vient le jour où elle décide de se teindre les cheveux, et Edoardo remarque alors que désormais elle a effacé « una strada, un invito all’intimità del suo corpo » (Il silenzio, p. 22).

24 Chez Biamonti, l’amour arrive toujours en retard, dans le désenchantement, mais il arrive aussi comme un paysage, pour soulager la souffrance d’une existence vide et inutile. L’amour est cette lumière blanche qui glisse sur le genou de Lisa, l’or qui refroidit sur sa poitrine, la nature qui touche à sa fin. Biamonti dit : « Il faut se river à cette terre comme à une proie, comme à la seule consolation possible, avec sa dureté et

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malgré la fatale séparation » (« Le percept de nature », p. 19). Ce qui revient à vivre le présent avec fatalité, s’agripper à l’amour pour les choses, sans les nier, et garder seulement de la séduction son essence ultime : le besoin d’une proie.

NOTES

1. F. Biamonti, Il silenzio, Turin, Einaudi, 2003, Le Silence, traduit par Carole Walter, Lagrasse, Verdier « Terra d’altri », 2005. Il existe aussi une traduction partielle par M. Pozzoli, La pensée de Midi, no 3, 2000. 2. F. Biamonti, L’Ange d’Avrigue (L’angelo di Avrigue, 1983), traduit par Ph. Renard, Lagrasse, Verdier « Terra d’altri », 1990 ; Vent largue (Vento largo, 1991), traduit par B. Simeone, Lagrasse, Verdier « Terra d’altri », 1993 ; Attente sur la mer (Attesa sul mare, 1994), traduit par F. Maspero, Paris, Le Seuil, 1996 ; Les Paroles la nuit (Le parole la notte, 1998), traduit par F. Maspero, Paris, Le Seuil, 1999. 3. Pour connaître Biamonti en tant que lecteur passionné de la phénoménologie de Merleau- Ponty, voir F. Biamonti, « È morto Maurice Merleau-Ponty », Il Giornale dell’Unione Culturale Democratica di Bordighera, avril-mai 1961. 4. I. Calvino, « Ipotesi per una descrizione », Italo Calvino. Enciclopedia: arte, scienza e letteratura, M. Politi éd., , Marcos y Marcos, 1995, p. 96-97. 5. I. Calvino, « Osservare e descrivere », Italo Calvino, op. cit., p. 88. 6. Dans F. Biamonti, L’angelo di Avrigue, Turin, Einaudi, 1983 : « Ci sono romanzi-paesaggio così come ci sono romanzi-ritratto. Questo vive, pagina per pagina, ora per ora, della luce del paesaggio aspro e scosceso dell’entroterra ligure, nell’estremo suo lembo di Ponente, al confine con la Francia. » 7. Sur le paysage chez Biamonti, voir G. Bertone, Letteratura e paesaggio. Liguri e no: Montale, Caproni, Calvino, Ortese, Biamonti, Primo Levi, Yehoshua, Lecce, Manni Editore, 2001 ; P. Mallone, « Il paesaggio è una compensazione », Itinerario a Biamonti, Gênes, De Ferrari Editore, 2002. 8. Entretien d’A. Viale (21 septembre 1999), dans F. Biamonti, Il silenzio, op. cit., p. 38. 9. Entretien de M. Camponovo (8 juin 2000), dans F. Biamonti, Il silenzio, op. cit., p. 42. 10. F. Biamonti, « Le percept de nature dans la poétique contemporaine à partir des “Correspondances” baudelairiennes », dans J.-P. Manganaro, G. Passerone, C. Bobas, A. Marino et N. Gailius (éds), Réalités et temps quotidien. Matériaux de la culture italienne contemporaine, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 15-20, et particulièrement p. 16. 11. « Paysage et âmes, non pas un simple paysage de l’âme » (« Paesaggio e anime e non un semplice paesaggio dell’anima »), comme l’a dit G. Conte, « Donne provate dalla violenza e ragazzi sulla via della droga », Avanti!, 18 février 1983. 12. F. Biamonti, « Le percept de nature », art. cité, p. 17. 13. Sur le paysage comme fonction narrative, voir nos articles « Il paesaggio arcipelagico della “Navigatio Sancti Brendani” », Studi celtici, no 1, 2003, p. 159-173 ; « Forme dello spazio nelle chansons de geste. Il caso della lassa similare », Quaderni di filologia romanza, Bologne, no 16, 2003, p. 217-229. 14. Sur cette opposition chez Biamonti, étudiée d’après les catégories du lisse et du strié de Deleuze et Guattari, voir I. Lanslots, « Ascoltare il mare come una liturgia o prendere il volo », dans B. Van den Bossche, M. Bastiaensen et C. Salvatori Lonergan (éds), «… E c’è di mezzo il mare»:

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lingua, letteratura e civiltà marina, Actes du XIVe Congrès AIPI, Spalato, 23-27 août 2000, 2 vol. , Franco Cesati Editore, 2002, vol. 2, p. 313-325. 15. Dans F. Biamonti, L’angelo, op. cit., « Quattro personaggi di donne, ognuna con una sua ossessione, incrociano i suoi passi; ma le solitudini sommandosi non si annullano ». 16. F. Biamonti, Vento largo, Turin, Einaudi, 1991, p. 4. 17. Sur le jardin comme lieu archétypique de séduction, la référence va bien évidemment au poème de Jaufré Rudel Quan lo rius de la fontana, que Biamonti connaît très bien (voir l’entretien à Biamonti par F. Improta, « Grandi, sconcertanti silenzi », La Gazzetta di San Biagio, no 33, octobre 2002), et à la tradition romane de la pastourelle.

AUTEUR

MATTEO MESCHIARI Université Charles de Gaulle – Lille 3

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Stereotipo della seduzione e seduzione dello stereotipo in La bella di Lodi di Arbasino

Andrea Inglese

1 Vi propongo una riflessione sul romanzo breve La bella di Lodi di Alberto Arbasino. L’intreccio del romanzo si sviluppa intorno ad una circostanza di seduzione apparentemente tipica, se situata nel contesto della società italiana dei primissimi anni Sessanta: Roberta, rampolla di una ricca famiglia di Lodi, viene attratta da Franco, giovane e squattrinato meccanico. La storia ripercorre le alterne vicende di questa attrazione, fino allo scioglimento felice e banale, che si conclude con il matrimonio tra i due, una mésalliance dal sapore ottocentesco. Il mio intento è quello di mettere in luce il particolare trattamento narrativo al quale Arbasino sottopone un soggetto tipicamente romanzesco come quello della seduzione. È indispensabile, allora, fornire qualche chiarimento concettuale, prima di accostare il testo che ci interessa.

2 La circostanza di seduzione, da cui prende spunto la trama della Bella di Lodi, si presenta ad Arbasino già caratterizzata, almeno in parte, da un punto di vista ideologico. In primo piano emerge un rapporto tra due individui non perfettamente simmetrico e paritario, in quanto uno dei due possiede il potere, la forza, le qualità necessarie ad attrarre a sé l’altro, caratterizzandosi come il “seduttore”, e l’altro dei due subisce questa attrazione, ne è in qualche modo soggiogato, caratterizzandosi come il “sedotto”. Benché questo rapporto riguardi la sfera dell’eros, ossia l’ambito irrazionale delle pulsioni, esso si lascia leggere immediatamente in termini di potere. Ed è intorno alla nozione di potere, che la circostanza di seduzione acquista un aspetto propriamente “romanzesco”. Finché restiamo nell’ambito di una perfetta reciprocità dell’attrazione, la seduzione si presta difficilmente ad un fecondo trattamento narrativo: la naturalità dell’evento lo renderebbe piatto, banale, a meno di non introdurre, nel bel mezzo dell’idillio, il classico ostacolo all’unione degli amanti. Saremmo, però, di fronte a quella tipologia di ostacolo esterno che corrisponde più all’universo della fiaba che a quella del romanzo. La circostanza scelta da Arbasino non è di questo tipo. Egli si rifà al paradigma del romanzo psicologico novecentesco, che

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considera l’idillio amoroso minacciato in prevalenza da ostacoli interni, sorgenti nella dinamica stessa della relazione. Infatti Roberta e Franco, per buona parte del romanzo, sono esclusi dalla sfera dell’idillio, in quanto non si stabilisce tra loro una trasparente reciprocità di sentimenti. L’ostacolo interno, a cui la loro relazione sembra andare incontro, è legato al pericolo che uno dei due amanti sovrapponga il freddo calcolo alla libera espressione dei desideri. D’altra parte, se questa eventualità manifesta l’aspetto più inquietante della seduzione, ne fa anche un rivelatore della complessità dell’esperienza erotica degli esseri umani.

3 Il sospetto turba il libero slancio di Roberta, che teme di scorgere nell’atteggiamento di Franco il calcolo del profittatore. Questi, infatti, si presenta all’inizio della vicenda con la maschera del seduttore senza scrupoli: attira a sé Roberta, quasi subito la porta a letto, dopodiché se ne scappa mentre lei dorme, derubandola di ori e denari. Quando Franco, qualche tempo dopo, ricompare all’improvviso nella sua vita, Roberta, temendo un nuovo inganno, passa all’attacco, e si pone lei stessa nell’attitudine del calcolo: approfitta dell’impeto passionale di lui, per tendergli una trappola. Lo fa arrestare dai carabinieri, là dove si sono dati appuntamento. A questo punto è Franco a sentirsi tradito, in quanto tornava da Roberta con le migliori intenzioni, avendo preso coscienza di essere rimasto segnato dall’incontro amoroso con lei. Il rapporto tra i due nasce, quindi, all’insegna di un’improvvisa attrazione reciproca, disturbata però da sospetti e diffidenze, che ne insidiano l’immagine idillica di simmetria e sincerità.

4 Arbasino imbastisce un intreccio su di una circostanza di seduzione, secondo la prospettiva seria, anti-idillica, dell’ostacolo interno. Quest’ultimo nasce dalle complicazioni psicologiche, ma anche di classe e di stile di vita, cui vanno incontro i due protagonisti, consumando la loro relazione erotica. Ma nel caso di Roberta e Franco, l’ostacolo interno si rivelerà frutto di un’apparenza erronea, che ha forse radici nella paura di amare di entrambi i protagonisti. Dopo aver annunciato le lotte e i conflitti insolubili della relazione asimmetrica, Arbasino riconduce l’intreccio del romanzo psicologico a quello della commedia, che estingue gli ostacoli sia interni che esterni e si conclude con le nozze degli amanti. Tale operazione trae la sua efficacia proprio dall’aver sollecitato nel lettore una certa aspettativa nei confronti della vicenda erotica, che viene poi smentita dallo svolgimento della narrazione.

5 Mi preme ora richiamare alcuni motivi ricorrenti, che la rappresentazione romanzesca della seduzione offre al lettore novecentesco e a cui Arbasino fa riferimento, nel costruire con voluta ambiguità la storia di Roberta e Franco. Chi possiede, per dote naturale o sociale, esercizio misurato o inganno, la forza di attrarre l’altro, possiede anche un potere sull’altro, almeno fintantoché non soggiace lui stesso alla legge dell’attrazione reciproca. L’asimmetria e la non reciprocità permettono al seduttore d’introdurre nel rapporto erotico non la violenza, ma il calcolo e la finzione, ossia la possibilità di manipolare l’altro a piacimento e con il suo consenso. Questa manipolazione può servire vari scopi ed essere esercitata da diverse tipologie di individui. Dall’Ottocento in poi, il seduttore ha abbandonato i panni aristocratici del libertino, per assumere spesso quelli del nullatenente, ambizioso e cinico, uomo o donna, che attraverso il suo potere di seduzione tenta di farsi strada nella vita. L’avventura erotica è, in questi casi, l’occasione di un riscatto sociale e di un rovesciamento dei ruoli: chi è socialmente più forte, per status, ricchezza e cultura, si può trovare in una posizione di debolezza, dipendenza e sottomissione di fronte all’amante.

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6 Ma il gioco di potere tra seduttore e sedotto tende ulteriormente a complicarsi, ed ecco che il più debole pretende, a sua volta, di garantirsi il controllo del più forte, seppure in modi non di rado vani e destinati allo scacco. Si pensi a quello straordinario romanzo sul tentativo fallimentare di ristabilire un rapporto di forza a proprio favore nel rapporto erotico, che è rappresentato dalla Prisonnière di Proust. Attraverso il suo delirio di gelosia, il protagonista esprime il disperato sforzo di controllare Albertine, che è padrona assoluta dei suoi pensieri e dei suoi sentimenti. Si tratta di un’impresa immane e impossibile: il sedotto pensa di incatenare a sé il seduttore, agendo proprio sul punto di forza di quest’ultimo, ossia il suo interesse. In sintesi, scambiando denaro per amore, Marcel pensa, come innumerevoli altre vittime dello stesso errore, di ristabilire la simmetria perduta nella relazione con Albertine.

7 Negli anni Sessanta, in Italia, tutti questi elementi concorrono ancora a caratterizzare la circostanza di seduzione e le zone di rischio, di conflitto o di impasse esistenziale, a cui essa può condurre gli individui che ne sono coinvolti. Un romanzo che funge da paradigma nell’esplorazione delle minacce e delle ebbrezze connesse alla seduzione, nella sua forma di relazione asimmetrica insidiata da ostacoli interni, è Un amore di Dino Buzzati, pubblicato nel 1963. Costruito secondo criteri prevalentemente realistici, Un amore ci presenta la tormentata relazione erotica dell’architetto Dorigo, benestante e cinquantenne, con Laide, giovanissima prostituta senza scrupoli, sullo sfondo della Milano del boom economico. Laide concentra in sé tutti quegli attributi della seduttrice depravata, “laida” appunto, che una certa cultura patriarcale e borghese ha reso privilegio delle figure femminili. Un’ombra fantastica e diabolica si proietta su di lei, ma nel contempo la metropoli stessa con i suoi nuovi fermenti indica che la realtà tutta sta cambiando e che la depravazione ha assunto un carattere frequente e banale. Una quantità di fattori, quali un più diffuso benessere, il rilassamento dei costumi, la mobilità sociale e le nuove ambizioni hanno moltiplicato le occasioni di seduzione e i rischi ad esse connessi. La ripetizione su larga scala finisce per attenuare, quindi, quegli aspetti, positivi o negativi, che renderebbero eccezionali tali esperienze. Ciò non accade nel romanzo di Buzzati, che espressamente vuole salvaguardare da ogni rischio di banalizzazione il nucleo dell’esperienza erotica di Dorigo. I tormenti del protagonista, manipolato in modo spietato da Laide, costituiscono, alla fine, l’opportunità di un riscatto conoscitivo, che gli permette di penetrare la sostanza della propria personalità e, più in generale, delle relazioni umane.

8 Non si tratta solo della scoperta, attraverso le dolorose tappe di una progressiva disillusione, di quali reali rapporti di forza entrassero nel legame erotico, volgendolo a proprio sfavore. La circostanza di seduzione ha infatti rivelato al protagonista, in vari momenti della sua vicenda, delle realtà che gli erano fino ad allora nascoste. Ecco un esempio, tratto da uno dei monologhi interiori di Dorigo: Lui tartufo come tutti gli altri e adesso si accorge che cosa è la donna di importante per un uomo adesso si accorge come una bella ragazza può essere desiderata dai maschi adesso pensa e ripensa a quanto è falso il mondo che fa finta che non esistano i desideri carnali e non ne parla mentre in realtà ciascun uomo basta che sia sincero se incontri una ragazza anche per la strada una ragazza sconosciuta immediatamente pensa una cosa sola: è desiderabile? mi piacerebbe andarci a letto? 1

9 Questa citazione ci permette di sollevare un’altra questione di carattere generale, che riguarda il modo in cui la circostanza di seduzione si presta non solo ad uno sviluppo narrativo, ma permette al romanziere di investire l’esperienza erotica di idee e valori

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secondo un’ottica spiccatamente personale, discostandosi da una valutazione più corrente e condivisa. In alcuni casi, narrare di un rapporto di seduzione significa penetrare la sfera dell’eros, per coglierne delle verità sulla condizione umana. La circostanza di seduzione diviene un pretesto per analizzare il comportamento erotico, e da questa analisi lo scrittore può trarre verità ignorate o dissimulate dall’opinione comune. Nell’esempio fornito da Buzzati, ciò che conta non è tanto il contenuto specifico della sua scoperta (il desiderio erotico sottende sempre e comunque ogni relazione tra uomo e donna), ma la pretesa che tale contenuto smascheri in qualche modo “la falsità del mondo” e l’“ipocrisia” del protagonista.

10 Parlerò di investimento ideologico dell’eros, per definire il tentativo di utilizzare l’esperienza erotica come chiave di lettura dell’intera esistenza umana. Narrare una circostanza di seduzione significa, allora, non solo disporre di una serie di azioni che coinvolgono una coppia di personaggi e che possono essere sviluppate in diverse direzioni, all’interno di un quadro di possibilità che vanno dalla reciprocità dell’attrazione perfetta e felice alla non reciprocità più spietata e funesta. Narrare la seduzione significa anche poter utilizzare certi fatti dell’eros come un argomento, per difendere o attaccare determinate idee sull’uomo o sulla società.

11 Queste premesse sono necessarie, perché vorrei mostrare come La bella di Lodi sia un romanzo che ha per soggetto una circostanza di seduzione, ma si caratterizza per un ostentato disinvestimento ideologico nei confronti dell’esperienza erotica. Tale disinvestimento ideologico, di cui chiariremo la natura da un punto di vista compositivo e stilistico, ha una portata polemica e, lungi dall’essere una restituzione del fatto erotico a una sua opacità e immediatezza originaria, si pone invece come critica dell’ideologia, nel solco del romanzo d’idee prediletto da Arbasino.

12 Ma vediamo brevemente la genesi del romanzo. La vicenda di Roberta e Franco ha come sfondo l’Italia del boom economico dei primissimi anni Sessanta. La bella di Lodi, infatti, appare inizialmente in forma di racconto nel 1961 sul “Mondo”. Nel 1963, dal racconto è tratto il film omonimo di Mario Missiroli, alla cui sceneggiatura partecipa Arbasino. A distanza di circa dieci anni, La Bella di Lodi diviene un romanzo breve ed è pubblicato nel 1972. Racconto e sceneggiatura nascevano a margine di Fratelli d’Italia, la cui prima edizione è del 1963. Ora, l’interesse per La bella di Lodi è motivato proprio dal significato che assume l’operazione di riscrittura, che nell’opera arbasiniana è sempre un fatto denso di conseguenze. Si è detto, ad esempio, che Arbasino, riprendendo e sviluppando lo schema originario dell’avventura di Roberta e Franco (Giulia e Marcello, nel racconto del 1961), scrive in realtà contro se stesso, ossia non crede più nella storia che racconta2. Da tale premessa scaturirebbe una struttura narrativa dallo svolgimento abbastanza lineare, ma appositamente scucita, approssimativa negli indizi temporali e spaziali, frantumata ulteriormente grazie al procedimento dell’isolamento tipografico di brevi o brevissimi paragrafi tra ampi spazi bianchi.

13 Lo stile è vistosamente discontinuo, ma non nella direzione dell’eterogeneità sistematica del pastiche, praticato con oltranzismo nel precedente romanzo del 1969 Super-Eliogabalo. Nella Bella di Lodi, l’effetto è quello piuttosto di un’indecisione, per cui rivivono, allo stato di abbozzo o di sintetica esposizione, alcune costanti tecniche della scrittura di Arbasino, ma distribuendosi arbitrariamente nei diversi capitoli. Tornano insomma tutte le forme di riscrittura: dal rifacimento serio, à la manière di Balzac o Manzoni, al pastiche satirico, con gli accumuli di merci o reminiscenze Kitsch; dalla parodia delle conversazioni mondane alle tecniche del montaggio dadaista. Ma tutti

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questi procedimenti non rompono, come accadeva in Super-Eliogabalo, la continuità narrativa né esplodono attraverso le procedure di accumulazione e di amplificazione proprie del romanzo-saggio, come accadeva in Fratelli d’Italia.

14 In Super-Eliogabalo, l’uso della citazione e del rifacimento hanno come scopo di rendere del tutto obsoleta ogni forma d’intreccio. Siamo al di là della dicotomia tra intreccio tradizionale, “naturalistico”, incentrato sui fatti e sulla psicologia dei personaggi, e intreccio sperimentale, basato sulla stilizzazione dei caratteri sociali, sulle idee e sulla conversazione. Una tale opposizione interessava ancora l’Arbasino di Certi romanzi del 1964. Ora il plot di Artaud diventa un puro pretesto per incursioni caricaturali e innesti anomali, per associazioni arbitrarie di stili e di situazioni. Ma se l’ambizione è quella della distruzione dell’intreccio in quanto tale, attraverso una denigrazione e una deformazione protratte fin nelle sue più infime componenti, il risultato non appare privo di ambiguità. La realizzazione del libro sul niente, costruito per svuotamento di significati e loro successiva equivalenza, è frenata nel suo procedere da controspinte improvvise. È Renato Rinaldi a farlo notare, in un saggio del 1985. La riscrittura di Arbasino, che dovrebbe ridicolizzare e smontare il testo di partenza, si trova spesso ad aderire, nel tono serio e nella prospettiva ideologia, al modello artaudiano. “Perciò – fa notare Rinaldi – il testo-fonte e il testo nuovo tendono spesso ad avvicinarsi, in nome di una serietà e di una profondità comuni”.3

15 Il riferimento a Super-Eliogabalo ci permette di chiarire un punto. Anche laddove l’esperimento letterario di Arbasino si fa più programmatico e radicale, mettendo in crisi ogni forma di rappresentazione romanzesca ereditata, non è assente l’investimento ideologico dell’eros. Esso emerge in diversi brani del romanzo, laddove il vitalismo erotico e lo spirito di trasgressione, che già animavano situazioni e personaggi di Fratelli d’Italia, assurgono a dottrina vera e propria. Cito da Super-Eliogabalo: Eliogabalo si mette invece [...] alla testa di ogni gioventù che rifiuta il goal dell’efficienza aziendale come ideale spirituale individuale, e preferisce dipingersi la faccia e il corpo [...] assorbire sostanze evasive e sognanti, esplorare la possibilità d’una sessualità di gruppo e di pelle…4

16 Un tale atteggiamento non può stupirci. Per Arbasino, e non solo per lui, gli anni Sessanta hanno rappresentato, in Italia, l’occasione per il legittimarsi sempre maggiore di un’ideologia di minoranza, incentrata sul tema della liberazione sessuale. Questa almeno è la nostra percezione retrospettiva. Noi sappiamo, oggi, che il boom economico e la diffusione su larga scala dei beni di consumo ha favorito anche la caduta di alcuni tabù sessuali, ancora ben radicati, alla fine degli anni Cinquanta, nella società italiana. Ma per molti artisti e scrittori questo nesso non appariva così scontato. Si pensi a certe pagine di un altro importante libro degli anni Sessanta, La vita agra di Luciano Bianciardi, pubblicato nel 1962. Bianciardi oppone di continuo la sessualità alienata o pubblicitaria alla sessualità sana ed elementare. La sessualità è divenuta, secondo lui, “il segno, l’ideogramma, il paradigma, il facsimile”,5 ossia tutto “simbolo” e niente “cosa”. A questa sessualità parassitata dalle esigenze del consumismo, nuova autorità sui corpi più subdola di quella religiosa, Bianciardi oppone una sua visione autentica dell’esperienza erotica: “Ma io so che la noia finirebbe nell’attimo in cui si ristabilisse la natura veridica del coito. Lo so, finirebbe anche la civiltà moderna, perché il coito veridico non è spinta ad alcunché, si esaurisce in sé medesimo e, in ipotesi estrema, esaurisce chi lo compie” (La vita argra, p. 65).

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17 Il paradosso è qui evidente: Bianciardi, nell’atto stesso di separare il sesso reale dal suo simbolo parassitario, investe a sua volta l’eros di valori e idee alternativi. Sostituisce un simbolo con un altro, il discorso ideologico di maggioranza con il discorso ideologico di minoranza. Nonostante La vita agra abbia pochi punti in comune con Un amore, il romanzo di Buzzati quasi coevo, in entrambi gli autori emerge l’opposizione tra un’esperienza erotica autentica e personale, da un lato, e una alienata e di massa, dall’altro. Lo spiritualista Buzzati individua nell’eros un’esperienza quasi iniziatica e portatrice di una conoscenza superiore dell’uomo. Il materialista Bianciardi vede nell’eros la possibilità di un riconoscimento della propria autonomia individuale nei confronti dei poteri impersonali e manipolatori delle società avanzate. In entrambi i casi, ad un’ideologia dell’eros, quella dominante, se ne contrappone un’altra, elitaria e sovversiva.

18 Questo atteggiamento diventa esplicito in Super-Eliogabalo, che scritto nel 1968, si propone come consapevole manifesto “dell’Immaginazione contro ogni oppressione razionalistica e scientifica”. Di questo manifesto, fa parte anche la celebrazione della corporeità e della sessualità liberata, proprio nel momento in cui tali temi, pur rimanendo legati al movimento della contestazione studentesca, si diffondevano grazie ad essa in sfere sempre più ampie della società e del dibattito pubblico.

19 Il romanzo La bella di Lodi non è allora soltanto riscrittura dell’omonimo racconto apparso nel 1961. Esso costituisce una riscrittura rivolta a quelle rappresentazioni dell’eros che da Buzzati e Bianciardi, all’inizio degli anni Sessanta, hanno condotto agli esiti militanti o di fiancheggiamento, di cui è protagonista Arbasino stesso con Super- Eliogabalo. In altri termini, con il suo nuovo romanzo Arbasino non contrappone più un’ideologia della sessualità ad un’altra. Si è infatti reso conto che, da una parte della barricata come dall’altra, il discorso, la dottrina, l’investimento ideologico finiscono per parassitare l’esperienza erotica, caricandola di promesse, di significati e di responsabilità, che ne snaturano il carattere e tendono a regolamentarla, a uniformarla, sia in direzione regressiva che trasgressiva.

20 In primo luogo, abbiamo visto come l’intreccio della Bella di Lodi sia costruito per disinnescare ad una ad una tutte le possibili minacce, tutti gli ostacoli interni ed esterni, connessi alla circostanza di seduzione. Le complicazioni psicologiche si appianano così come i conflitti di classe: l’esperienza erotica non presenta rischi, ma nemmeno rivela aspetti profondi o segreti dell’essere umano. I personaggi, d’altra parte, mancano completamente di spessore psicologico e sono presentati nel loro più esteriore comportamento fisico e verbale. Cito un passaggio, che compendia, a livello microtestuale, l’andamento narrativo dell’intero romanzo: Loro ballano insieme per tutta la sera, si siedono, s’alzano, camminano, bevono, sorridono, soprattutto parlano: allegramente, anche seriamente, in confidenza, con scioltezza, figurine in un paesaggio d’estate padana, colorata, abbastanza sudata, pianura verdissima con filari di viti e di pioppi, ville, prati, architetture nobilissime, nuove fabbriche a centinaia […].6

21 Roberta e Franco, come gli altri personaggi secondari, scorrono in effetti come “figurine” su diversi sfondi. Tanto i loro gesti e le loro parole sono ordinari, prevedibili e banali, quanto gli sfondi sono un compendio del Kitsch d’interni e d’esterni dei tardi anni Sessanta. Lo scioglimento felice più che manifestare la vivacità della commedia suggerisce la meccanicità del cliché e dello stereotipo, secondo il modello di un “romanzo da cartolina” prodotto in serie. D’altra parte, la cartolina pervade il paragrafo conclusivo del libro, fungendo da metafora dello stereotipo a cui è assimilata

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l’intera narrazione. Leggo la frase iniziale del paragrafo: “In una Venezia cartolinesca piena di sole e di turisti, al loro balcone d’albergo sul Canal Grande, Roberta e Franco affacciati guardano le gondole e i vaporetti” (p. 167). Qualche riga dopo: “Hanno già finito di firmare tutte le cartoline”. E l’ultima frase del romanzo: “E tutt’e due, sereni, si voltano sorridendo al fotografo per la cartolina-ricordo” (p. 168).

22 Sul piano dell’intreccio, La bella di Lodi rovescia la strategia di Super-Eliogabalo, senza per questo rinunciare a nessuno dei procedimenti avanguardistici già utilizzati sul testo artaudiano. Solo che ora non sono più i “frammenti mobili” a prevalere sulla trama, disintegrandola, bensì è la trama che, nella sua linearità, ingloba e subordina i “frammenti mobili” della storia di Roberta e Franco. L’intreccio, in ciò che ha di banale e rassicurante, assorbe in sé, neutralizzandole, le pretese dei punti di vista eccentrici disseminati qua e là nel testo. Nessun materiale e nessun procedimento sembra più poter sfuggire alla forza catalizzante dello stereotipo. Ecco allora come si può leggere La bella di Lodi, come un Dictionnaire des idées reçues sulla circostanza di seduzione e, più in generale, sulle promesse o le minacce dell’esperienza erotica. È in quest’ottica che si deve considerare il disinvestimento ideologico di Arbasino nei confronti dell’eros, non già perché sia possibile individuare una zona liberata, un comportamento sessuale al di là dell’ideologia, ma perché ormai il discorso sull’eros è luogo comune, precede l’esperienza stessa degli individui, la illumina e la plasma. I fronti ideologici ancora contrapposti durante gli anni Sessanta, paiono essere, all’inizio degli anni Settanta, sul punto di riunificarsi, e costituiscono un discorso condiviso: il sesso deve essere liberato. L’eccentrico è ormai chi dice il contrario, una minoranza reazionaria e oscurantista. La buona società tutta, con sfumature diverse, parla con una voce sola, la voce dello stereotipo.

23 Tre sono le caratteristiche principali dello stereotipo.7 In primo luogo, esso associa almeno due nozioni, in questo caso: sesso e libertà. In secondo luogo, una volta stabilita l’associazione, essa può ripetersi automaticamente in contesti sempre diversi. Infine, la ripetizione implica anche un obbligo: sesso e libertà devono andare assieme. Non vi è più margine per scelte individuali, eccentriche, impreviste.

24 Tutto il romanzo di Arbasino è dunque attraversato dagli stereotipi. Li ritroviamo nelle descrizioni del paesaggio o dell’abbigliamento dei personaggi. Affiorano nei discorsi e nelle azioni. Costituiscono l’armatura rigida che sottende la commedia apparentemente serena di Roberta e Franco. Ma la normatività dello stereotipo trionfa delle inquietudini relative all’eros. D’ora in poi, sembra dirci Arbasino, sulla seduzione e sull’eros niente più sorprese. Ed è senz’altro parte del fascino della narrazione arbasiniana il fatto che una vicenda di attrazione erotica sia immersa in un’atmosfera così ovattata, distratta, placata. Ma La bella di Lodi ci dice però anche qualcos’altro, alla fine. La percezione precisa che il decennio che si è appena aperto all’insegna della trasgressione, rischi invece il più grande intorpidimento del desiderio.

25 Concludo, con una citazione da Fantasmi italiani. Nel brano Il bla, Arbasino realizza una flaubertiana raccolta di luoghi comuni. Ed eccone uno che fa al caso nostro: “Corpo – Da quando ha le sue problematiche, che brutto scopare, compagni…”8

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NOTE

1. D. Buzzati, Un amore, Milano, Mondadori, 1976 [1963], p. 171. 2. Vedi, ad esempio, le osservazioni di Carlo Bo: “il lettore è affascinato dalla capacità di Arbasino di gettarsi in una storia, senza nessun impaccio. Sennonché, poco dopo, è costretto a registrare una specie di delusione: innanzitutto lo scrittore non crede alla storia che ci vuole raccontare, spesso arriva addirittura a segnare un grosso margine di sfiducia nel ‘fatto’”. C. Bo, “Un Cocteau all’italiana”, Corriere della sera, 27 aprile 1972, ora in Riga. Alberto Arbasino, a cura di M. Belpoliti e E. Grazioli, Milano, Marcos y Marcos, 2001. 3. R. Rinaldi, Il romanzo come deformazione. Autonomia ed eredità gaddiana in Mastronardi, Bianciardi, Testori, Arbasino, Milano, Mursia, 1985, p. 228. 4. A. Arbasino, Super-Eliogabalo, Milano, Adelphi, 2001 [1969], p. 49. 5. L. Bianciardi, La vita agra, Milano, Rizzoli, 1998 [1962], p. 63. 6. A. Arbasino, La bella di Lodi, Milano, Adelphi, 2002 [1972], pp. 113-114. 7. D. Vedi Slakta, “Stéréotype: Sémiologie d’un concept” in Le stéréotype. Crise et transformations, a cura di A. Goulet, Caen, Presses universitaires de Caen, 1994, pp. 35-46. 8. A. Arbasino, Fantasmi italiani, Roma, Cooperativa scrittori, 1977, p. 66.

AUTORE

ANDREA INGLESE Université Paris 3

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Distances et détours : la séduction à l’œuvre chez Alessandro Baricco

Yannick Gouchan

1 Le détournement de la vérité qui a longtemps caractérisé le mécanisme de séduction s’est progressivement transformé, au XVIIIe siècle, en objectif de conquête amoureuse, pour finir par devenir aujourd’hui un acte de persuasion, de fascination, d’attraction par le langage ou par le regard. Un premier exemple de séduction par le regard chez Baricco se trouve dans le roman Seta : Hervé Joncour non smise di parlare ma abbassò istintivamente lo sguardo su di lei e quel che vide, senza smettere di parlare, fu che quegli occhi non avevano un taglio orientale, e che erano puntati, con un’intensità sconcertante, su di lui: come se fin dall’inizio non avessero fatto altro, da sotto le palpebre1.

2 L’évolution sémantique du verbe « séduire », qui signifie d’abord « soustraire, tirer à l’écart », selon l’étymologie depuis le verbe latin « subducere », constitue, selon nous, une possible clé de lecture d’une partie de la production narrative d’Alessandro Baricco. C’est dans un ensemble de romans publiés entre 1991 et 2002 qu’il est possible d’étudier certains aspects des rapports amoureux entre les personnages, au cœur desquels les motifs de la distance et du détour permettront d’analyser le mécanisme complexe de la séduction, et notamment des stratégies et des mises en scènes qui en sont le prélude. Ce mécanisme sera même essentiel dans le fonctionnement narratif de certaines œuvres, où la séduction sous-tend l’ensemble du dénouement. Mais les personnages ne sont pas les seuls à être impliqués dans la stratégie de séduction ; c’est ainsi que l’écriture si particulière de Baricco, formé, ne l’oublions pas, dans le domaine de la musicologie, utilise les mêmes motifs de la distance et du détour à plusieurs niveaux, aussi bien dans le microtexte que dans une certaine posture de l’auteur face au monde médiatique. Cette brève analyse voudrait donc présenter le fonctionnement de la séduction chez un auteur contemporain, afin de fournir quelques pistes de recherche plus générales sur le vaste problème de la fascination en littérature.

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Formes et fonctions de la séduction dans quelques rapports amoureux chez Baricco

3 Nous avons annoncé que, dans certains romans de Baricco, il y avait une corrélation entre la logique de séduction et le motif de la distance. En effet, l’intention séductrice commence souvent par l’abolition d’une distance spatiale (et même temporelle, comme on le verra plus loin) entre les êtres, de manière à créer une illusion de proximité, de complicité amoureuse. Nous avançons le terme d’illusion car les deux premiers exemples auxquels nous pensons présentent justement cette virtualité de proximité constituée par un artifice qui tient véritablement de la séduction amoureuse2. Ainsi, dans Castelli di rabbia3, l’ingénieur Rail en voyage envoie régulièrement des paquets à son épouse, Jun, sans aucune lettre ; les paquets contiennent des bijoux qui semblent devenir le message tacite de leur amour à distance, comme pour établir une relation silencieuse et mystérieuse, alors que Rail est parfois infidèle à son épouse, et que cette dernière connaîtra même un bref moment d’inceste avec le fils de son mari. Toutefois, la force de la séduction réside dans cette illusion d’une distance abolie. D’ailleurs Rail a d’abord conquis son épouse en lui donnant l’impression immédiate d’être proche d’elle et de la désirer, juste au moment où elle s’apprêtait à embarquer pour un voyage sans retour, dans un échange de répliques très brèves, où l’humour agit autant que le désir : E fu lì che vide Jun. E pensò: io vivrò con lei. […] — Io mi chiamo Dann Rail. — E allora? — No, niente, volevo dire che… stai per partire? — Sì. — Dove vai? — E tu? — Io da nessuna parte. Io non parto. — E cosa fai qui? — Sono venuto a prendere qualcuno. — Chi? — Te. (Castelli di rabbia, p. 209-210)

4 Dans le roman Seta, le protagoniste Hervé Joncour reçoit une lettre écrite en idéogrammes japonais qui le place dans l’illusion d’un rapport amoureux avec une jeune fille rencontrée en Asie, alors que la lettre n’est en réalité qu’un artifice de sa propre épouse, Hélène. Cette dernière tente de se rapprocher virtuellement de son époux en organisant à distance une scène érotique, par l’intermédiaire d’une jeune fille japonaise ; l’épouse séduit donc son mari au moyen d’une sorte de « donna schermo », lointaine et mystérieuse. La séduction qui fonctionne dans ce roman utilise par contre la distance à la fois géographique et culturelle pour ravir un homme par personne interposée.

5 Ces exemples montrent un mécanisme séducteur insolite, qui cherche à détourner d’une certaine vérité, mais sans intention de nuire, car c’est une séduction qui doit entretenir un amour conjugal. L’abolition illusoire de la distance par la création d’un amour virtuel se retrouve également dans Oceano mare4, avec les lettres enflammées qu’écrit le professeur Bartelboom à la femme qu’il n’a pas encore rencontrée ; cependant la séduction virtuelle aboutit dans ce cas à l’abolition d’une distance temporelle, car Bartelboom vit une relation amoureuse en séduisant une femme qui n’existe pas, ou plutôt, qui n’existe que sur le papier des lettres qu’il écrit : l’illusion

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d’une proximité avec ce personnage épistolaire le pousse même, dans un premier temps, à refuser de se laisser séduire par une véritable femme, Ann Deverià, rencontrée dans une pension. L’un des meilleurs exemples de la séduction visant à abolir la distance entre deux êtres est offert par le personnage de Nina, dans Senza sangue5 : une femme âgée cherche visiblement à se rapprocher d’un homme du même âge en engageant une conversation banale sur les billets de loterie6, puis elle organise un prélude à la séduction par des regards complices, par une valorisation de la spécificité de l’homme dont elle veut se rapprocher, et enfin par une invitation directe à passer un moment ensemble, par exemple dans un bar. Bartelboom avec ses lettres autant que Nina avec son improbable stratégie utilisent la séduction de manière virtuelle, car la personne à séduire n’existe pas, dans le cas de Bartelboom, ou bien se réduit à une simple vengeance presque dérisoire, dans le cas de Nina (qui semble vouloir exorciser des années d’angoisse lorsqu’elle retrouve l’homme qui a participé au massacre de sa famille bien des années auparavant, mais c’est un homme âgé et totalement vulnérable, désormais inoffensif).

6 Toujours dans le motif de l’abolition de la distance par la séduction, le cas de la jeune Elisewin, dans Oceano mare, signifie la guérison véritable d’un mutisme et l’accomplissement d’un destin. C’est Adams qui séduit la jeune fille intriguée par le mystère qu’il dégage, et l’abolition de la distance entre les deux êtres se concrétise par un amour physique qui guérit Elisewin de sa maladie, tout en lui ouvrant les portes d’une nouvelle vie, comme un éveil soudain. Tous ces exemples de séduction amoureuse qui ont pour objectif de rapprocher des êtres, de faire croire à une illusion, d’abolir la distance, aboutissent toutefois à des résultats insolites ou inattendus, et c’est bien dans cet aboutissement de la logique de séduction que Baricco arrive parfois à nous surprendre, ou du moins à sortir des traditionnelles histoires sentimentales.

7 Comme nous l’avons dit, les cadeaux de Rail à Jun n’empêchent pas cette dernière de céder à l’inceste avec le fils adultérin que lui a apporté son mari, Mormy, puis de quitter son époux, comme cela était par ailleurs convenu au moment même où Rail avait séduit Jun la première fois, sur le port. La séduction épistolaire et virtuelle d’une femme par Bartelboom, dans Oceano mare, se conclut de manière tragi-comique par la rencontre avec une vraie femme, Anna Ancher, qui lui semble correspondre à celle qu’il attendait depuis si longtemps. Cependant, au moment où Bartelboom s’apprête à montrer les fameuses lettres à la femme qu’il va séduire, il se rend compte qu’il les avait déjà données à une autre, Maria Luigia, et il se précipite chez elle pour les reprendre, dans une suite de quiproquos et de maladresses qui désamorcent définitivement la stratégie de séduction en la transformant en épisode comique pour le lecteur, par ailleurs détourné du récit amoureux initial : « Ma Bartelboom era uomo probo e giusto, uno di quelli che hanno un certo stile quando si tratta di digerire le bizze del destino. Bartelboom, lui, iniziò a ridere7 ».

8 En ce qui concerne les deux autres grandes stratégies de séduction, celle de l’épouse d’Hervé Joncour (Seta) et celle de Nina face à son ancien bourreau (Senza sangue), le rire cède la place au regret et à la sérénité. En effet, le stratagème de séduction mis en œuvre par Hélène pour attirer son mari était, dès le départ, voué à l’échec, du moins sans aucune possibilité de retour du désir. Joncour ne comprend pas, ou comprendra trop tard, que sa femme l’a séduit par l’intermédiaire d’une jeune Japonaise qu’il croit aimer, comme il ignore qu’elle est aussi à l’origine des lettres en japonais qu’il reçoit : « È uno strano dolore […] Morire di nostalgia per qualcosa che non vivrai mai8 ». La

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logique de séduction de l’épouse consistait donc à abolir la distance qui la séparait de son mari lorsque celui-ci partait acheter des cocons de vers à soie au Japon. En revanche Nina, désormais âgée, cherche à approcher par une technique de séduction classique (une conversation de plus en plus précise, la recherche de l’intimité dans un bar) l’homme dont elle semble vouloir se venger, Pedro, ancien ennemi de son père et auteur du massacre de sa famille (même si au moment du massacre, qui est décrit dans la première moitié de Senza sangue, Pedro épargne la fillette dissimulée sous le plancher). Ici, la séduction classique relève plutôt d’une logique de vengeance longuement préméditée, par la fragilisation de la cible à atteindre : « Lei è venuta fin qui per cercare me […] Adesso mi ha trovato9 ». Mais la douleur accumulée de Nina se transforme finalement en une véritable séduction de nature amoureuse, destinée avant tout à pacifier l’angoisse, à tourner une page en dépassant la rancœur par la pacification des sentiments ; c’est ainsi que Nina, même si elle continue à ne pas comprendre les motivations qui ont amené Pedro à tuer sa famille, pousse la logique séductrice à son terme par une proposition d’amour physique.

9 Le motif de la séduction dans les romans de Baricco permet, par des moyens détournés, comme l’humour ou la distance géographique, de traiter de manière insolite des problématiques relativement courantes (l’adultère, le dépit amoureux, l’amour conjugal). Mais Baricco nous entraîne aussi vers des problèmes plus complexes et délicats à traiter, comme l’attirance physique pour un membre de sa famille (Jun), l’amour virtuel comme remède à la solitude (Bartelboom), la possibilité d’un désir physique chez des personnes âgées (Nina et Pedro). Ces thèmes très contemporains sont cependant abordés loin de toute analyse psychologique ou d’ancrage dans le monde actuel, car nous verrons plus loin que Baricco cherche justement à séduire son lecteur par la fuite vers des lieux indéfinis et des époques antérieures.

10 Si la séduction anime de nombreux personnages de Baricco, avec les intentions et les logiques les plus insolites, la structure même des récits en est affectée, au point que deux romans trouvent leur dénouement grâce à l’aboutissement d’un mécanisme séducteur. Ainsi, le récit de Seta se construit autour des voyages d’Hervé Joncour au Japon et de l’évolution de son désir pour la mystérieuse jeune fille. Le dénouement arrive avec la révélation de la stratégie séductrice de l’épouse, mais bien après sa disparition, malheureusement. Madame Blanche, une prostituée, fait comprendre à Joncour que la lettre érotique en japonais qui l’a hanté si longtemps avait été écrite par sa propre femme : « Sapete, monsieur, io credo che lei avrebbe desiderato, più di ogni altra cosa, essere quella donna. Voi non lo potete capire. Ma io l’ho sentita leggere quella lettera. Io so che è così10 ».

11 Dans ce cas précis, la séduction a donc bien signifié un détournement intentionnel de la vérité, car Hélène a organisé les conditions pour l’adultère de son mari, dans un élan d’amour conjugal très particulier, parce que l’époux n’a rien soupçonné. Comme pour le dénouement de Seta, la séduction structure celui de Senza sangue. Le premier volet de ce diptyque narratif accumule les détails macabres du massacre de la famille de Nina, tandis que le début du second volet fonctionne au rythme de la logique séductrice de la protagoniste11. Toutefois, Nina séduit Pedro pour dépasser sa propre douleur, certes, mais aussi pour tenter de détourner Pedro de sa vérité politique, comme pour séduire un ennemi en le persuadant de l’absurdité de ses actes. Le roman se termine par la pacification obtenue justement par la logique de séduction ; comme Elisewin a été guérie de son mutisme, Nina affirme, après avoir fait l’amour avec Pedro : « Io non avrò

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mai più paura » (p. 98). Tout le roman, et par la même occasion la vie de Nina, semble aboutir vers ce lit où deux vieillards atteignent une forme de sérénité : « Fece quello per cui aveva vissuto » (p. 104).

12 Ces deux romans trouvent leur dénouement, et leur signification générale, dans le motif de la séduction qui détourne respectivement le thème classique de l’adultère et l’accomplissement d’une vengeance attendue. De plus, le roman Castelli di rabbia avance l’idée d’une séduction perpétuelle entre époux, en l’occurrence Rail et Jun, permettant de relancer le récit à chaque retour de voyage de l’ingénieur ; la séduction amoureuse toujours recommencée devient alors un élément de dynamique narrative composée de va-et-vient entre les départs et les retours de l’époux (rappelant par ailleurs la même dynamique d’aller et de retour dans Seta, avec les voyages de Joncour qui sont à l’origine de la stratégie séductrice d’Hélène) : Dopo – dopo era come ricominciare a scrivere da una pagina bianca. Qualsiasi viaggio avesse portato in giro per il mondo il signor Rail, scompariva nel bicchier d’acqua di quella mezz’ora d’amore. Si ricominciava da dove ci si era lasciati12.

13 La mécanique de séduction opérée par les personnages dans les romans de Baricco connaît donc des aboutissements parfois insolites, du moins inattendus. Mais la problématique de séduction littéraire, entendue comme moyen de persuader et de plaire, se révèle encore plus riche de signification dans le rapport entre l’auteur et son lecteur, d’autant plus que les motifs de la distance et du détour se retrouvent également à ce niveau-là de l’analyse.

Éléments pour une étude de la séduction du lecteur chez Baricco

14 Le ravissement du lecteur résulte d’une certaine élaboration narrative et linguistique (mais aussi médiatique, comme on le verra plus loin), destinée à séduire ; chez Baricco, cette élaboration se fonde notamment sur le détournement, la dissimulation, le mélange, et l’atténuation. Ainsi, un premier élément frappant est la difficulté d’identification du lecteur (italien en l’occurrence) avec les personnages des romans, à cause d’un détournement de la réalité par la création d’univers indéterminés, d’une part et, d’autre part, par le refus quasi permanent (voire systématique) de tout référent à « l’italianité », que ce soit par le choix des noms ou par les références littéraires. L’indétermination semble donc régir l’univers spatial et temporel de Baricco, par une sorte de distance « exotique » avec le monde contemporain. Les lieux des romans sont inventés (Quinnipack, dans Castelli di rabbia) ou sont de véritables « non-lieux », comme la pension Almayer, qui surgit de nulle part dans Oceano mare, ou le paquebot Virginian, sur lequel se déroule une vie entière, dans Novecento13. Lorsque les lieux sont un peu plus précis, on remarque cependant une même distance significative par rapport au monde italique : Seta se déroule entre le sud de la France et au Japon, City se déroule dans une métropole américaine, Senza sangue se déroule dans un pays hispanique non déterminé.

15 Il en va de même pour le choix des époques, toujours à distance du monde contemporain, à l’exception de City, qui par contre est une véritable fuite dans l’imagination des personnages. Les romans se situent soit dans un XIXe siècle imprécis mais tourné vers le progrès et les inventions (Castelli di rabbia et Seta), soit au XXe siècle, mais toujours sans précision (l’ère des paquebots transatlantiques dans Novecento, la

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guerre civile dans un pays hispanophone pour Senza sangue). Le choix des patronymes de personnages correspond aussi à une évasion de la réalité italienne : on trouve ainsi de nombreux noms anglo-saxons (Elisewin, Rail, Gould, Bartelboom, etc.), des noms français (Plasson, Joncour, Hélène, Horeau, etc.) et des noms espagnols (Pedro, Nina), avec l’exception d’un Bonetti, dans Castelli di rabbia.

16 Un tel détournement systématique de la réalité spatiale et temporelle italienne ne se réduit certes pas à une fuite vers l’imagination pure et le refus d’affronter le présent ; d’ailleurs, si Baricco choisit de ne pas ancrer ses récits dans la réalité contemporaine pour mieux faire ressortir des problématiques actuelles (comme la permanence de l’amour conjugal, l’amour entre personnes âgées, l’amour virtuel, entre autres), on peut considérer que ce choix est une sorte de stratégie de séduction, dans la mesure où l’auteur fait contempler le présent par des voies détournées. Cette stratégie littéraire séductrice donne naissance à des personnages hors normes, en proie à l’utopie et parfois aux limites de la folie, comme l’ingénieur Rail, protagoniste de Castelli di rabbia, dont l’auteur précise le caractère insolite, en restant toujours très imprécis sur le plan psychologique : « Non essendo però il signor Rail un uomo come gli altri né Jun una donna come le altre […]14 ». Les personnages fuient leur réalité dans des voyages lointains (Rail, Joncour), et les lieux prennent aussi leur distance avec la réalité, à tel point que leur caractère insolite devient presque familier. C’est par exemple le cas dans Oceano mare, où les personnages mystérieux de la pension Almayer forment un univers clos qui renvoie une certaine image des solitudes et des détresses de notre présent : C’è qualcosa di… di malato in questo posto. Non te ne accorgi? I quadri bianchi di quel pittore, le misurazioni infinite del professore Bartelboom… e poi quella signora che è bellissima eppure è infelice e sola, non so… per non parlare di quell’uomo che aspetta… quel che fa è aspettare, Dio sa cosa, o chi… È tutto… è tutto fermo un passo al di qua delle cose. Non c’è niente di reale, lo capisci questo15?

17 La logique de séduction du lecteur est assez traditionnelle : parler du présent par l’intermédiaire du passé, se servir du lointain pour mieux montrer ce qui est proche16. Toutefois, Baricco parvient aussi à capturer l’attention du lecteur par d’autres moyens de séduction, et en premier lieu par la nature complexe de ses structures narratives, où l’enchevêtrement des récits provoque un tourbillon saisissant. Castelli di rabbia, Oceano mare et City regorgent de multiples plans narratifs différents, comme dans un labyrinthe d’où les personnages doivent sortir (d’ailleurs les personnages sont à l’image de ce labyrinthe narratif : Rail est prisonnier de son utopie et n’en sortira pas indemne ; Gould, l’enfant de City, vit dans le monde parallèle de son imagination féconde ; Bartelboom se perd dans sa correspondance amoureuse et cherche à mesurer les limites de l’océan). La manière dont l’ingénieur Rail séduit sa future femme, Jun, représente une sorte de correspondant fictif au pouvoir incantatoire des récits mis en œuvre par Baricco : Rail séduit Jun en lui racontant des histoires, c’est-à-dire en l’éloignant de la réalité et en la captivant par un ravissement narratif : Le storie che ti ho raccontato io. Vedrai che ci casca. Nessuna donna può veramente resistere a quelle storie li’. […] Per due ore il signor Rail raccontò a Jun del vetro. Inventò quasi tutto. Ma alcune cose erano vere. E bellissime. Jun ascoltava. […] – Ne hai altre, di storie ?… di storie come quella del vetro. – Un mucchio. – Ne hai una lunga come una notte? / così non ci salì, su quella nave 17.

18 La jeune femme se laisse séduire par les histoires plus ou moins vraies de l’ingénieur et décide de ne plus prendre le bateau qui devait l’amener loin de son pays. Le lecteur se

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retrouve parfois dans la même situation que Jun, en proie volontaire aux affabulations de l’auteur qui multiplie les récits parallèles par des détours incessants, composante essentielle de sa logique de séduction. La multiplication des personnages insolites dans Oceano mare est par exemple brouillée par l’interférence avec le triple récit d’un même naufrage (inspiré de celui de la Méduse) qui partage le livre dans sa moitié. L’accumulation affabulatrice est d’autant plus captivante que d’autres romans de Baricco optent au contraire pour un minimalisme narratif complètement inattendu ; c’est ainsi que le modèle du récit essentiel et linéaire, Seta, a été écrit juste après les enchevêtrements d’Oceano mare. Seta et Senza sangue captivent donc sur un tout autre registre, qui rappelle le poème en prose ou la nouvelle, avec une seule histoire (une histoire de séduction dans les deux cas, mais avec des logiques différentes), jusqu’au dénouement qui apporte la signification de la logique séductrice de deux femmes, Hélène et Nina.

19 La mise à distance spatio-temporelle et la déstabilisation relative du lecteur par des romans très différents les uns des autres s’accompagnent enfin, et surtout, d’une grande originalité stylistique, en mesure de captiver et de « ravir » le lecteur. La séduction par le discours chez Baricco intervient, selon nous, par l’interférence inattendue et presque maniériste de plusieurs solutions stylistiques simultanément. La formation musicologique de l’auteur se retrouve bien sûr dans certains passages dialogués hérités du mélodrame, avec une suite de brèves répliques, et des répétitions qui tiennent du refrain ou de l’art de la fugue, des silences, etc. Le dialogue de type dramatique est souvent utilisé en interférence avec de longues parties narratives, le contrepoint rythmique devient un élément d’inattendu efficace : ainsi, le chapitre 49 de Seta est une suite de quelques phrases nominales, rappelant les notes d’un scénario ou d’une didascalie, alors que le chapitre suivant est une longue narration au passé simple du voyage de Joncour. Le mélange des genres littéraires peut s’identifier à une logique de séduction, dans la mesure où le discours cherche à plaire en convoquant des solutions traditionnellement incompatibles ; dans Oceano mare, l’espace blanc typique du poème en vers voisine avec le dialogue de théâtre et la syntaxe nominale de type énumératif. Les derniers chapitres du roman sont d’ailleurs un exercice de style où le dénouement de l’expérience de chaque personnage est traité dans un genre différent : la poésie, l’épistolaire, le catalogue de tableaux, le récit comique, le dialogue, etc.

20 La séduction du lecteur ne se limite pas au mélange des genres et à la convocation d’effets musicaux marqués, capables de modifier le rythme de la lecture. Ainsi, la manipulation typographique crée aussi des effets de surprise par le recours à l’italique, aux lettres capitales et aux espaces blancs. L’utilisation de tels effets, accompagnée d’un incessant mélange de modes de discours, semble vouloir emporter le lecteur, et même le ravir, donc le séduire par un détournement, vers des formes littéraires moins fréquentées du public que le roman. Cette séduction est d’autant plus subtile que les limites typographiques et stylistiques entre les différents modes de discours sont assez floues, et l’on passe sans solution de continuité d’un récit au passé simple à un dialogue dramatique puis à un fragment de nature poétique. L’espace de la poésie, le rythme du mélodrame et le langage dramatique deviennent des éléments familiers du discours pour tout lecteur assidu de Baricco, aussi bien dans ses romans les plus complexes d’un point de vue narratif (Castelli di rabbia, Oceano mare, City) que dans ses récits épurés et linéaires (Seta, Senza sangue).

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21 L’écriture cherche donc ouvertement à surprendre, à susciter l’insolite, à captiver, mais n’oublions pas que Baricco est aussi un curieux manipulateur éditorial. L’attente calculée entre chaque parution de livre (environ tous les deux ou trois ans) se double d’une véritable stratégie médiatique, dans laquelle l’auteur prend une place importante. Par exemple, la sortie de City en 1999 a été savamment orchestrée sur le seul site Internet de Baricco, sans aucune autre forme de promotion. De plus, le choix littéraire de référents non strictement italiens et la diversité de styles et d’histoires d’un livre à l’autre expliquent le véritable succès critique et commercial de Baricco en France : tous ses romans ont été rapidement traduits depuis la découverte de Seta, en 1997, et la plupart sont déjà disponibles dans une édition économique de poche. Les romans de Baricco sont parvenus à séduire un grand nombre de lecteurs en abordant des thèmes qui ne sont pas nécessairement actuels et contemporains, et en utilisant un style qui multiplie les incursions dans d’autres genres littéraires. Baricco ne dresse pas le portrait d’une génération, mais il est devenu une sorte de « superstar du roman spectacle », où chaque parution suscite son lot de polémiques18. Il s’agit bien d’une logique de séduction où tout est mis en œuvre pour un ravissement du lecteur : des récits lointains qui nous parlent du présent, des histoires de séduction amoureuse détournées, une écriture qui puise sa force dans la musique et la poésie, une politique médiatique prudente mais efficace.

22 L’image de la séduction qu’offrent certains personnages des romans de Baricco se construit à partir de l’illusion d’une complicité amoureuse : un époux pense rester présent dans l’esprit de sa femme en lui envoyant des bijoux, alors qu’elle séduit son beau-fils ; une autre femme lance indirectement des invitations érotiques à son mari qui restera longtemps fasciné par une autre ; une femme âgée fait des avances à un vieillard qui a tué sa famille ; un professeur vit une relation épistolaire virtuelle et ne parvient même pas à convaincre la véritable femme de chair et de sang qu’il rencontre, etc. L’illusion consiste en effet à donner l’impression que la distance n’existe plus, mais la charge d’incommunicabilité et de solitude qui pèse sur ces rapports amoureux les rend très actuels, pour le moins proches de certaines thématiques narratives contemporaines. La séduction du lecteur fonctionne en revanche par une série de détours référentiels et stylistiques (fuite de la réalité italienne, ouverture vers des genres différents, capacité d’affabulation qui captive), qui se révèlent très efficaces, même si le lecteur de Baricco soupçonne parfois l’auteur d’abuser d’un certain maniérisme littéraire et de profiter d’une popularité médiatique parfois envahissante.

NOTES

1. Seta, Milan, Rizzoli, 1996. Nous utilisons l’édition BUR de 1999, p. 25. 2. J. Baudrillard parle d’un « piège des apparences », car « la séduction est ce qui ôte au discours son sens et le détourne de sa vérité ». De la séduction, Galilée, Paris, 1979, p. 77-78. 3. Castelli di rabbia, Milan, Rizzoli, 1991. Nous utilisons l’édition BUR de 1997. 4. Oceano mare, Milan, Rizzoli, 1993. Nous utilisons l’édition BUR de 1997. 5. Senza sangue, Milan, Rizzoli, 2002.

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6. « — Lei è diverso […] — mi chiedevo se lei avrebbe voglia di venire […] Ma poi si chinò un po’ verso l’uomo e disse : — Venga con me… La prego. » Ibid., p. 55-56. 7. Oceano mare, p. 193. 8. Seta, p. 82-83. 9. Senza sangue, p. 58. 10. Seta, p. 99. 11. « Lei sembrava si fosse vestita per piacergli ». Senza sangue, p. 76. 12. Castelli di rabbia, p. 55. 13. Novecento, Milan, Feltrinelli, 1997. 14. Castelli di rabbia, p. 29. 15. Oceano mare, p. 92. 16. « La séduction a pour objet une différence pour atteindre indirectement l’identité, elle cristallise l’apparence dans laquelle le sujet peut se réfugier ». M. Meyer, Questions de rhétorique (langage, raison, séduction), Livre de Poche, Paris, 1993, p. 132. 17. Castelli di rabbia, p. 211. 18. L’expression est de A. Codacci Pisanelli, dans son article « La sostenibile pesantezza del nulla », l’Espresso, 3 juin 1999.

AUTEUR

YANNICK GOUCHAN Université de Provence – Aix-Marseille 1

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Seduzione e tragressione in La controfigura di Libero Bigiaretti

Alfredo Luzi

CAPRONI — “Si può dire anche questo: / ogni congiungimento erotico / è, per interposto corpo, / un incesto”. BIGIARETTI — “Innamorarsi non è altro che accumulare false interpretazioni e invenzioni e miti intorno alla persona amata: quando, con la ragione, la si restituisce alla sua realtà e perfino al suo aspetto, l’amore se ne è già andato” (Schedario).

1 Per lungo tempo, almeno fino alla metà degli anni ’60, gli studi sulla dimensione amorosa e sui meccanismi della seduzione hanno avuto anche in Italia un’impronta marcatamente freudiana, basata sul principio che tutte le manifestazioni sentimentali dell’uomo rinviano ad una forma di “sesso inibito” in cui gioca un ruolo fondamentale il complesso di Edipo che seleziona la dinamica della rimozione tra tendenze libere e tendenze ostacolate. In effetti la lettura delle opere di Freud in Italia è stata frammentaria, e forse non indenne da alcuni fraintendimenti, dovuti anche al fatto che la traduzione integrale della produzione freudiana risale ai primi anni ’90. Questa linea ermeneutica ha trovato conferme negli anni successivi con gli studi di Marie Bonaparte, il cui saggio Eros, Thanatos, Chronos. Ricerche psicanalitiche sull’amore, la morte, il tempo è stato pubblicato dalla Guaraldi nel 1973 ed ha avuto i suoi sviluppi soprattutto con i lavori di Igor Alexander Caruso (il suo La separazione degli amanti.Una fenomenologia della morte è stato pubblicato dalla Einaudi nel 1988) e di Christian David (L’état amoureux pubblicato in Francia da Payot nel 1971 è stato tradotto col titolo La dimensione amorosa. Studio psicanalitico sull’amore nel 1982 per i tipi della casa editrice Liguori di Napoli).

2 Ma già Erich Fromm, analizzando il tema del narcisismo, sia in L’arte di amare, 1952 (Il saggiatore, Milano, 1971) sia in Psicoanalisi dell’amore (orig. The Heart of Man, 1964), pubblicato da Newton Compton nel 1981, aveva preso le distanze dalla posizione freudiana illustrando, col metodo psicosociologico, la differenza tra amore e sesso, che

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è anche il perno attorno a cui ruota la teoria di Theodor Reik, illustrata in Psicologia dei rapporti sessuali, 1966 (Feltrinelli, Milano, 1968). Il testo presenta interessanti suggestioni interpretative anche in prospettiva letteraria, soprattutto quando insiste sulla genesi dell’immaginario soggettivo messo in atto dal desiderio: Innamorarsi significa quindi catturare un’immagine. L’oggetto è creato prima che appaia, si trova già nella immaginazione prima di manifestarsi nella realtà […] Innamorarsi significa incontrare l’immagine sognata.1

3 Questa attenzione alla dimensione iconica è ribadita in uno dei saggi che più di tutti ha contribuito ad avvicinare la saggistica sulla psicologia affettiva alla letteratura. Mi riferisco a Frammenti di un discorso amoroso di Roland Barthes, pubblicato in Francia nel 1977 e uscito in Italia da Einaudi nel 1979. Barthes associa il processo affettivo alla organizzazione comunicativa dei sentimenti e sottolinea la funzione dell’immagine interna che l’innamorato elabora come “oggettivazione” della propria interiorità: Decidendo di rinunziare allo stato amoroso, il soggetto si vede con tristezza esiliato dal proprio Immaginario.2

4 Vent’anni prima Georges Bataille, pubblicando nel 1957 L’érotisme (Le Monde, Paris; in Italia tradotto nel 1976 per Mondadori), aveva impostato la sua analisi sull’asse oppositivo fuori/dentro entro cui ogni individuo agisce, anche a livello affettivo, e, secondo Bachtin letterario, dimostrando che l’erotismo è uno degli aspetti della vita interiore dell’uomo. Non deve ingannarci il fatto che esso tende senza posa alla scoperta di un oggetto di desiderio posto al di fuori. Ma questo oggetto corrisponde all’interiorità del desiderio. In realtà, si opta per un oggetto rispondendo sempre alle proprie personali esigenze.3

5 Un deciso spostamento verso le problematiche sociali dell’amore e della seduzione si è registrato a partire dalla pubblicazione del saggio di Jean Baudrillard, De la séduction, nel 1979, ma pubblicato in Italia da Cappelli solo nel 1985, Della seduzione.

6 Baudrillard rifiuta il concetto di seduzione come processo interno della sessualità e insiste invece sul suo valore di “artificio del mondo”, di gioco rituale: Gioco mobile, di cui è falso supporre che sia solo strategia sessuale. Strategia di spostamento, piuttosto (se-ducere: trarre in disparte, far deviare dalla propria strada), confusione sviante della verità del sesso: giocare non è godere. C’è in questo una specie di sovranità della seduzione, che è una passione e un gioco dell’ordine del segno; e a lungo andare è lei a vincere perché è un ordine reversibile e indeterminato.4

7 Inserendo la sessualità nella categoria della produzione, Baudrillard denuncia la reificazione capitalistica del mondo contemporaneo, in cui la produzione mette tutto in evidenza, mentre la seduzione “porta via qualcosa all’ordine del visibile” (p. 53). Viviamo in una “economia del sesso”, definito da Baudrillard come “la forma abolita e disincantata della seduzione” (p. 64). Siamo una cultura dell’eiaculazione precoce. Ogni seduzione, ogni modo di seduzione, che è un processo altamente ritualizzato, sbiadisce sempre di più dietro l’imperativo sessuale naturalizzato. (p. 57)

8 Sulla linea sociologica di Baudrillard, ma con un persistente fondo metodologico di stampo psicanalitico, si collocano i saggi di Aldo Carotenuto. Riprendendo argomenti già trattati nel volume Eros e Pathos. Margini dell’amore e della sofferenza, (Bompiani, Milano, 1988) egli, in Riti e miti della seduzione (Bompiani, Milano, 1994), definisce la seduzione come “una costante della nostra intera esistenza, la trama stessa del nostro entrare in contatto, in sintonia col mondo”,5 ma nello stesso tempo considera la

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seduzione una sorta di “messa in scena” che si basa sull’illusione da parte dell’innamorato, di essere sedotto da qualcuno: in realtà ciò da cui si è sedotti è una propria immagine interiore. “Il più grande errore che possiamo commettere è pensare che l’altro ci abbia sedotto”.6

9 Negli ultimi anni poi i punti di contatto tra studi di psicoanalisi, di psicologia sociale, di sociologia e analisi della scrittura letteraria si sono infittiti. Mi limito, in questa prospettiva, a segnalare il contributo di nuovi apporti interpretativi offerto dalla semiotica delle passioni (Fabbri, Sbisà, Pezzini) e in ambito filosofico dal bel saggio di Remo Bodei, Geometria delle passioni (Feltrinelli, 1991), con ricadute politico-sociali orientate nel senso di una nuova etica basata sull’equilibrio tra ragione e passione.

10 Questa introduzione in parte bibliografica e in parte metodologica è una sorta di giustificazione della griglia di lettura con cui, secondo i principi della teoria della ricezione, ho riletto oggi, dopo tanti anni e dopo una serie di letture sul discorso amoroso, La controfigura di Libero Bigiaretti.

11 Il romanzo, pubblicato nel 1968 da Bompiani, è la storia in prima persona di un trentunenne, sposato con una ventenne, che, in vacanza a Sveti Stefan, vive una esperienza sdoppiata: mentre accetta annoiato la consuetudine matrimoniale e i riti collettivi dell’estate, il suo desiderio erotico è tutto proiettato verso la figura della suocera quarantenne di cui avverte la mancanza. Le prime due parti del romanzo, in cui alcune inserzioni prolettiche svolgono la funzione allusiva di un tabù che, in quanto tale, deve essere censurato, sono di fatto un progressivo avvicinamento, per assenza, alla agnizione dell’oggetto del desiderio. Nella terza parte, il protagonista riesce con una buona dose di aggressività a vincere almeno per un attimo le resistenze della suocera che ha raggiunto la coppia in vacanza, mentre sua moglie è dedita ad un raffinato gioco di seduzione con uno sconosciuto. Ma le convenzioni sociali, le regole collettive trasformeranno la temporanea vittoria del desiderio in sconfitta sociale. La quarta parte, ambientata a Roma e strutturalmente funzionale, con la sua anacronia, ad uno spostamento spazio-temporale (fine della vacanze, ritorno in città), registra l’à rebours della infatuazione che era stata avviata proprio dal conflitto tra la bellezza muliebre e lo stato sociale acquisito di “mamma” (“la tua bellezza era una stortura, mi faceva quasi ribrezzo […] il ribrezzo è diventato voglia”7), il progressivo passaggio del protagonista dall’attrazione al disgusto conseguente al rifiuto della suocera di trasformare in realtà le sue elucubrazioni erotiche. La prospettiva torna ad essere quella della deludente normalità, la mano della suocera che era stata motivo di eccitazione erotica riprende la sua connotazione banalmente materna.

12 Nei materiali originali, manoscritti e dattiloscritti, relativi al romanzo, depositati presso il Fondo Manoscritti degli scrittori del Novecento all’Università di Pavia, è documentata in un appunto manoscritto la data di composizione: “incominciato a Sveti Stefan nell’agosto ’63 (ritrascritto poi nel 67-68)”.8 La genesi narrativa ha dunque, come spesso avviene nelle opere di Bigiaretti, una forte marca autobiografica: L’inizio di questo libro è assolutamente vero. Descrivo questo tipo che sta sdraiato sulla spiaggia di Sveti Stefan […] era un uomo così, non lo so, che io osservavo con attenzione […] Il giovane si è sposato con questa ragazzina diciassettenne o diciottenne. Invece poi appare una donna quarantenne, matura, esperta, bella.9

13 Ma l’analisi delle varianti dei diversi abbozzi riserva anche qualche sorpresa, sia per quanto riguarda una suggestione citazionale, sia per quanto riguarda il contesto storico di produzione del volume. In una stesura, poi cassata nella edizione definitiva, il

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protagonista, parlando di Nora, fa esplicito riferimento non solo alla Lupa verghiana (fonte letteraria da collocare però accanto a Il sosia di Dostoewskij ed altri romanzi centrati sul tema del doppio o dello sdoppiamento) ma anche alla rappresentazione teatrale del testo verghiano da parte di Anna Magnani, che probabilmente aveva colpito in quegli anni lo scrittore.

14 Dal romanzo è stato tratto anche un film dallo stesso titolo, prodotto dalla Claudia Cinematografica, e interpretato da Lucia Bosè, Eva Aulin, Jean Sorel, Marilù Tolo.

15 Sul piano più strettamente letterario, La controfigura è la storia di una seduzione trasgressiva ambientata in un’atmosfera di vacanza, uno spazio intessuto da un continuo gioco di tante altre possibili seduzioni, tra finzione e reale esistenziale, cosa di cui è consapevole lo stesso protagonista-narratore quando afferma che “la vacanza si svolge su due piani distinti e separati: nelle apparenze e nella realtà”.10 E non a caso i personaggi femminili, Lucia, la figlia, e Nora, la madre, vivono nel mondo della moda e del cinema, in quei luoghi in cui certo l’apparire conta molto più dell’essere. Si tratta di una vita-gioco in cui un ruolo fondamentale è svolto dal corpo come icona della identità tutta esteriore e come occasione erotica (per Lucia: “Il suo talento è il suo corpo, la sua intelligenza è tutta nella sua capacità di seduzione”, p. 106).

16 Il punto di partenza della strategia narrativa in questo romanzo sta nel collocare il protagonista in un sistema antinomico e complementare di lontananza-vicinanza. La differenza d’età tra marito e moglie giustifica la ricerca di un meccanismo compensatorio nella figura della suocera che nella sua maturità risulta molto più attraente e completa agli occhi del genero, succube inconsapevole di una pulsione edipica. In verità figlia e madre costituiscono un sistema unitario del doppio determinato dal rapporto verticale in cui somiglianze e differenze, origine comune e separazione, convivono. E la rottura delle convenzioni, l’infrazione al divieto sociale, vengono motivate da quella che, psicanaliticamente, potremmo chiamare “nostalgia di completezza”: Io, trentenne, guardate come mi trovo bilanciato, in perfetto equilibrio tra la ventenne e la quarantenne. Che siano madre e figlia è un puro accidente. Io non sono consanguineo né dell’una né dell’altra; essere suoceri o generi poi è un grado di parentela convenzionale: in nessun caso possono inquietarmi i ricordi culturali relativi all’incesto. (p. 109)

17 Il protagonista, nei primi due capitoli del romanzo, utilizza la sua immaginazione, cioè la sua facoltà di costruirsi un sistema fittizio e alternativo di realtà (“dietro le palpebre chiuse vedo ciò che voglio vedere”, p. 125), per attivare un processo di sdoppiamento o raddoppiamento della identità della giovane moglie. Nora è di fatto, fino al suo arrivo a Sveti Stefan, una icona mentale ontogenetica che si alimenta nell’immaginario del soggetto attraverso la realtà del vissuto di Lucia. Il protagonista ammette di “far l’amore con Nora per l’interposta persona di Lucia” (p. 53), “lo scambio di persona è avvenuto per sovrapposizione e dissolvenza di immagini diverse e coincidenti” (p. 87), “quando chiamo il suo nome lo traduco dal tuo” (p. 91), “poi ho capito la complementarità dei contrari” (p. 93), “l’amplesso con Lucia il più delle volte è sostitutivo” (p. 96), “la parte per il tutto; è sua figlia” (p. 99), “tale la madre, tale la figlia” (p. 127).

18 Le due donne sono personaggi nello stesso tempo speculari, in cui l’opposizione dei caratteri è così marcata da suggerire una unità latente, e complementari, in cui

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l’integrazione armonica dei tratti caratteriali allude ancor più a una fusione tendenziale delle identità.

19 La figura femminile diventa perfettamente interscambiabile in quanto Lucia può essere sostituita con Nora, la quale, proprio come nel ruolo cinematografico della controfigura cui sono affidate le scene più pericolose, “interpreta parti che Lucia non sa fare” (p. 22). Come ha affermato Luigi Silori: La giovane non può mai abbandonare lo stereotipo in cui è stata concepita, mentre la donna matura gode di una libertà incondizionata e può a suo piacimento – o, meglio, a piacimento del regista – uscire dal registro.11

20 L’altro diventa occasione di spostamento e transfert. La copula serve per accedere alla realtà altra, quella vissuta nel desiderio, nella passione erotica insoddisfatta: Per abitudine e per ozio l’abbraccio, la rovescio, la scopro; le sono sopra con slancio diventato subito animoso, come volessi trapassarla, toccare quella che sta dall’altra parte, che sta oltre Nora. La quale rovescia gli occhi usando quelli di Lucia, scoprendo i denti che appartengono a Lucia. Sapore, alito, odore di Nora traspirano dal corpo di Lucia.12

21 L’immaginazione percorre ininterrottamente un andirivieni tra fuori e dentro, intessendo un gioco tra realtà costrittiva e libertà di desiderio che adombra nel sistema oppositivo similarità/contrasto, antagonismo/cooperazione, il tema archetipico di Anfitrione. Tralasciando l’elencazione statistica delle frequenze isotopiche relative alla costruzione interna di immagini alternative al reale, sarà sufficiente sottolineare, ad es., la modalità di inserimento del tema della metamorfosi come traccia del potere di trasformazione dell’essere e dell’identità soggettiva: Più di una volta, pensandoci a freddo, ho provato il desiderio di metterla incinta per vederla lievitare, dilatare, gonfiare, di settimana in settimana. Per poter dire che sono stato io a trasformarla: forse ogni giorno le prenderei la misura del ventre, segnerei i dati su un registro, poi disegnerei il diagramma, preciso, su carta millimetrata, della sua gravidanza: avrei l’equivalente grafico di un mio potere su di lei, il tracciato dell’aumento rassicurante dei nostri affari. […] Può darsi che nel frattempo il corpo, gli indumenti e i modi di Lucia diventino quelli di una vera donna. Ma una vera donna non so figurarmela altro che assolutamente simile a Nora. (p. 43)

22 Sia il tema della coppia sia il tema della proiezione in una realtà altra sono ricorrenti nell’intera opera di Bigiaretti. Ma in questo caso si tratta di una doppia coppia, quella formata da marito e moglie e quella costituita da figlia e madre ed è questo raddoppiamento a mettere in discussione l’ordine apparentemente lineare di una vita senza scosse e senza sorprese (spesso l’io narratore dichiara di essere annoiato).

23 Proprio l’esistenza di censure, di divieti, di ostacoli imposti dal sistema sociale, sentiti come limite alla propria libertà individuale, attiva il meccanismo di seduzione che si configura come affermazione della energia vitalistica primordiale.

24 Le pagine de La controfigura contengono lunghe sequenze relative all’incrocio delle dinamiche seduttive tra i vari personaggi del romanzo. Ma quelle strutturalmente più significative sono due, inserite nel terzo capitolo, in presenza dell’oggetto del desiderio: una in cui si descrive un tentativo di bacio sulla bocca rifiutato da Nora mentre il protagonista l’abbraccia e l’accarezza durante un bagno in mare; l’altra in cui la strategia seduttiva per giungere al possesso sessuale si trasforma in lotta fisica, in un pugilato in cui il vincitore, un attimo dopo la vittoria, è il vero sconfitto: Slaccio, rompo tutto il resto. Ella scatta di nuovo come una furia, e anche io, adesso, sono una furia. Non voglio il match pari o la vittoria ai punti, voglio il K.O.

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La cosa alla fine accade, accade confusamente, senza episodi o particolari precisi. Il mio piacere è tutto nella coscienza che lo sto provando. (p. 139)

25 Applicando il metodo della semiotica delle passioni e utilizzando la terminologia di Bodei che chiama i desideri passioni d’attesa potremmo utilizzare queste due sequenze come modelli attanziali del gioco conclusivo della narrazione che si instaura tra il volere del protagonista, e, in progressione, in entrambe le situazioni, il non volere, volere, e non volere definitivo di Nora.

26 A livello macrostrutturale si potrebbe delineare il seguente schema attanziale: Soggetto = protagonista, l’io narrante Oggetto = Nora Aiutante = in senso lato la vacanza Oppositore = Nora e le convenzioni sociali e morali (il matrimonio, l’incesto sociale) Destinatore = amore, impulso sessuale Destinatario = protagonista

27 In questa prospettiva la seduzione messa in atto dal protagonista corrisponde a quella definita da Carotenuto “strumentale”, in quanto “consiste nel manipolare l’altro riducendolo a uno specchio, o anche nel cercare fuori di sé, nell’altro qualcosa di già noto in quanto nostro, nel proiettare cioè sull’altro un nostro fantasma, un sembiante del nostro teatro interiore”.13 A conferma comunque della immaturità psicologica del personaggio.

28 La realizzazione della pulsione sessuale dovrebbe determinare quella che Mauron ha chiamato “fantasia di trionfo”14 sulle costrizioni del reale ma in questo caso la conclusione del romanzo è di tipo disforico, con il trionfo della realtà e impossibilità della uccisione simbolica e rituale dell’oggetto del desiderio.

29 Il tema della seduzione è sviluppato nella ricca gamma di tematiche complementari che gli studi sull’erotismo hanno individuato come funzionali del processo di attrazione. In primo luogo la vista come strumento di focalizzazione del corpo che è causa dell’eccitazione sessuale. Lo sguardo è qui utilizzato come sistema comunicazionale alternativo alla parola, anche per la forte componente di ambiguità che esso comporta. È tutto uno spiare, guardar di soppiatto, ammiccare, concentrarsi su un particolare, fino a quella forma di voyeurismo collegata ai momenti di tentata seduzione ammessa dallo stesso io-narratore (“guardo il suo ventre, l’ombelico, le lunghe gambe che sforbiciano. Non è come guardare sulla spiaggia: è un guardare di frodo, come dal buco sulla parete di una cabina”15).

30 In connessione con lo sguardo lo strumento di seduzione per eccellenza diventa il vestito, proprio per l’ambivalenza tra copertura e nudità sottolineata anche da Barthes, da Pasini, Galimberti, Carotenuto, che nell’abito, soprattutto femminile, individuano non tanto l’ostacolo quanto il mezzo attraverso il quale si realizza il denudamento fisico e simbolico dell’altro da sé: La tunica gialla è di lei, ha le braccia nude, le mani reggono le falde di un grande cappello di paglia. Poi se lo toglie per tendere le braccia verso di noi, cinquanta metri prima del necessario. Le sue braccia declamano un brano di ritrovamento, recitano una scena di agnizione, mimano un appassionato anelito di abbracciare qualcuno: Lucia, me, o l’intera colonia villeggiante, l’intera sponda orientale dell’Adriatico. (p. 82)

31 Incapace di realizzare il suo progetto di ribellione, di sfida alle regole della collettività, il protagonista del romanzo si dedica ad una minuziosa focalizzazione interna della propria situazione affettiva, autogiustificando la sua passione per la suocera come il

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riscatto delle libere pulsioni animali dai lacci della ragione umana che invece esercita un costante controllo sulle azioni degli individui, ma anche trovando le motivazioni sociali della sua sconfitta: Ma chi segue fino in fondo i propri impulsi? Gli uomini anche travolti dalla passione non smettono di ragionare; se si ammazzano seguono un ragionamento, un proposito di vendetta. I cani sì sanno essere innamorati. […] Non conoscono divieti e convenzioni morali e sociali. Invece quali complicazioni se a me piace Nora, oltre che Lucia, e se a Lucia piace anche il barbuto, e forse le piace anche Roger, e l’anno passato le piaceva un certo Simone. (pp. 53-54)

32 Nel romanzo sono presenti molti soliloqui in cui il soggetto narrante affronta il rapporto tra corpo e mente, tra passione e malattia, tra erotismo e morte.

33 Sulla linea delle riflessioni di Bataille, la violenza del desiderio insoddisfatto del protagonista, ineliminabile dalla esternazione della passione, assume i caratteri della primordiale corporeità e viene convogliata in una sorta di cannibalismo erotico: Lo stesso nome ingombra il mio fegato, occupa il mio stomaco, tatua il mio sesso. Sogno te, mangio te, digerisco te, e, naturalmente, mi accoppio con te (p. 91), che si riscontra già nella fase preliminare della strategia seduttiva (“non sono il primo che la guarda come un cannibale affamato”, p. 105).

34 L’eros determina per induzione la presenza di thanatos come elemento complementare e contrario della coppia oppositiva. La morte, il desiderio di annullamento, il rifiuto all’esistenza per intollerabilità della passio, assumono in questo romanzo una duplice concretizzazione. Talvolta si riscontra un atteggiamento introiettivo che ha i caratteri del masochismo: Bisognerebbe morire sul serio, e non per modo di dire, ogni volta che ci si sente stretti dalla passione, annodati ferocemente ad essa. Morire qui, accanto alla mia sposa ignara, crepato per fame d’amore. […] Può bastare un morto solo per capire che la morte è niente, è un no e basta, un niente che si mette al posto di un tutto. (pp. 48-49)

35 Talaltra la pulsione all’annientamento, favorita dalla gelosia, è proiettata tutta verso l’oggetto del desiderio, percepito come ostacolo alla realizzazione del progetto seduttivo: Tento di scherzare su un gesto che potrei compiere davvero. Da quando sei arrivata qui hai acceso la miccia di un meccanismo distruttivo. Ho voglia di distruggerti. (p. 98) Penso che l’ammazzerò sul serio. Il mio vero desiderio ora si propone come desiderio di distruggerla fisicamente, con la morte, meglio di quanto mi riuscirebbe con l’altro modo. Credo di volere proprio questo: distruggerla, annullarla, cancellarla come si cancella un segno sbagliato. (p. 174)

36 La presenza di queste tematiche è una sicura traccia della modernità della scrittura di Bigiaretti che sembra appunto conoscere all’altezza di quegli anni le più aggiornate problematiche sul discorso amoroso.

37 L’esperienza della sessualità non omologata dal contratto sociale è sentita dal protagonista come una forma di trasgressione dei divieti sia esterni (la collettività) che interni (le inibizioni). Egli scarica le sue frustrazioni utilizzando l’infatuazione amorosa nata da una forma di familiare perturbante come spazio di libertà da conquistare contro le convenzioni, senza però liberarsi da una buona dose di maschilismo che filtra soprattutto nelle ultime pagine quando, con un tipico meccanismo di proiezione di colpa, egli si autoassolve rimproverando Nora perché “ha agito da puttana” (p. 169). Ma la sua ricerca di autenticità, il suo fastidio per il “galateo inconscio delle passioni”

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(p. 88), se da una parte possono essere letti come una forma di liberazione sessuale, dall’altra non sciolgono l’enigma dell’intreccio verità/finzione che si annida nella seduzione e in prospettiva più ampia in una società che andava rapidamente verso una feticizzazione dell’immagine.

38 Il romanzo è tramato dall’arcitema della maschera, emblema dell’ambiguità e dell’inautenticità della società contemporanea, confusa tra apparenza e realtà, tra finzione e verità. Non solo la vicenda è ambientata nel mondo della moda e del cinema (Nora è “una diva mancata degli anni ’50”, p. 129) ma lo sdoppiamento tra realtà e immaginazione favorisce una percezione degli eventi fortemente teatralizzata (“infine quella scena madre, senza antefatto e senza epilogo, che vado progettando da tempo”, p. 9; “all’improvviso la mia memoria zelante mi suggerisce che questa scena la conosco, l’ho già vista, è stata immaginata e compiuta. Mi sento un filodrammatico che inciampa nella interpretazione di un vecchio dramma”, p. 174). I personaggi, invischiati in una rete di reciproche seduzioni ed incerti tra censura ed eversione, non fanno altro che fingere. Il trucco pesante con cui Lucia e Nora si dipingono il volto svolge la stessa funzione di occultamento dell’assunzione, da parte dell’io narrante, di una fisiognomica di circostanza: “Per fargli piacere, mi adatto sul viso una maschera simile alla sua, una maschera furbesca e stupida” (p. 110).

39 Di fronte al principio di realtà, il principio di piacere condensato nell’erotismo riesce solo per un attimo (“il mio piacere è tutto nella coscienza che lo sto provando”, p. 139) a far accedere ad una assoluta libertà individuale ma non si configura, per dirla con Carotenuto, come “la modalità che gli esseri umani hanno sviluppato per imparare a infrangere i divieti”.16

40 Il principio di realtà riprende il sopravvento nel riemergere del tabù sociale dell’incesto e nella cortesia, tutta formale e conformista, quasi compassionevole, della suocera che invita lo spasimante… a capire e a parlarne: “Sei proprio un folle” dice Nora rinfrancata dopo che io ho rimesso il ciottolo dove si trovava. Fa un gesto verso la mia testa come per passarmi una mano sui capelli, al modo che si usa con i ragazzini. E’ una mano materna la sua; la mia, che si appoggia adesso sulla sua spalla, senza violenza, è incestuosa e disgustata. Tutto il mio corpo è disgustato, o indifferente. Mi sento come l’avessi ammazzata sul serio e aspettassi la Polizia […]. Quando sono sulla porta, mi chiama per nome, e appena mi volto mi regala un sorriso, come si regala un po’ di denaro al fattorino, poveraccio, che ha portato un pacco pesante. Si aggiusta il foulard, ché non si vedano i bigodini. Ripete il mio nome e dice: “Suvvia, non prenderla così. Devi capire… Vieni un altro giorno. Parleremo…”17

41 Nell’anno della contestazione studentesca, della immaginazione al potere, delle lotte femministe, della liberazione sessuale, delle gonne sempre più corte, Bigiaretti ci propone la storia di un personaggio attratto sì da un mondo in apparenza reso più libero, in cui la coppia, la famiglia, i legami parentali, i ruoli sociali, hanno perso ogni valore e anche la temporalità è trasformata in un eterno presente: Sembra ignorare che a questo mondo non esistano più madri, né suocere, né nonne, né figlie, né nipoti. Viviamo in una società indifferenziata nel sesso e nell’età. Svégliati, Roger, cerca di capire che se anche hai una quindicina d’anni meno di lei, Nora è una tua, una nostra coetanea. Chi è contemporaneo è anche coetaneo: tutti siamo reciprocamente utilizzabili ai fini sessuali” (p. 133), ma vittima in fondo ancora della forza ancestrale del complesso d’Edipo.

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42 Un romanzo, La controfigura, che rientra a pieno titolo in quell’universo semantico definito da Fusillo: Quello dell’identità e dei suoi turbamenti, che costituisce una sorta di dimensione fondamentale della letteratura: del suo incrinare i ruoli sociali e sessuali prefissati, del suo sovvertire le logiche dominanti, della sua tendenziale regressività (aspetti che si sono fatti più acuti nella nostra età postfreudiana)18.

NOTE

1. T. Reik, Psicologia dei rapporti sessuali, Milano, Feltrinelli, 1968, p. 105. 2. R. Barthes, Frammenti di un discorso amoroso, Torino, Einaudi, 1979, p. 87. 3. G. Bataille, L’erotismo, Milano, Mondadori, 1976, p. 35. 4. J. Baudrillard, Della seduzione, Bologna, Cappelli, 1985, p. 36. 5. A. Carotenuto, Riti e miti della seduzione, Milano, Bompiani, 1994, p. 1. 6. Id., Eros e Pathos. Margini dell’amore e della sofferenza, Milano, Bompiani, 1988, p. 47. 7. L. Bigiaretti, La controfigura, Milano, Bompiani, 1968, II ed., p. 92. 8. Preziose indicazioni metodologiche e suggestioni di lettura critica ho tratto dall’ampia ricerca condotta da Carla Carotenuto nell’elaborazione della tesi di laurea dedicata a Un discorso amoroso in Libero Bigiaretti, Università di Macerata, 1995. 9. H. Salaets, tesi di laurea su Libero Bigiaretti: l’uomo e lo scrittore, appendice, Katholieke Universiteit Leuven, 1988. 10. L. Bigiaretti, op.cit., p. 36. 11. L. Silori, Invito alla lettura di Bigiaretti, Milano, Mursia, 1977, p. 87. 12. L. Bigiaretti, op.cit., p. 24. 13. A. Carotenuto, Riti e miti della seduzione, op. cit., p. 127. 14. C. Vedi Mauron, Psychocritique du genre comique, Paris, Corti, 1964, pp. 104-107. 15. L. Bigiaretti, op. cit., pp. 112-113. 16. A. Carotenuto, Eros e Pathos. Margini dell’amore e della sofferenza, op. cit., p. 78. 17. L. Bigiaretti, op. cit., p. 175. 18. M. Fusillo, L’altro e lo stesso. Teoria e storia del doppio, Firenze, La Nuova Italia, 1998, p. 21.

AUTORE

ALFREDO LUZI Università di Macerata

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Seduzione amorosa e seduzione artistica in Retablo di Vicenzo Consolo

Tatiana Bisanti

1 È solo a partire dal XVI secolo che il verbo sedurre ha acquisito l’accezione oggi comunemente più diffusa, quella di “convincere al rapporto sessuale”, entrata nell’italiano per influenza del francese séduire. Il verbo deriva dal prefisso se- “via, a parte” e ducere “condurre”, e significa dunque in origine “condurre via, condurre in disparte”, ovvero lontano da un percorso diritto e già segnato, dalla retta via (cf. Battaglia, 1961). E proprio il sedurre in tutti i sensi, anche in quello etimologico, è senza dubbio una delle chiavi di lettura più efficaci del romanzo Retablo (1987) di Vincenzo Consolo, un’opera sulla seduzione, ma anche e soprattutto un’opera di seduzione. La seduzione è, in altre parole, l’asse su cui ruota tutta la narrazione, sia dal punto di vista della materia narrata che da quello delle strutture narrative, ossia essa è al tempo stesso oggetto di rappresentazione e operazione in corso. Se da un lato, infatti, il sedurre è tematizzato nel racconto, dall’altro esso costituisce anche il principio strutturale dell’opera: la metafora della seduzione raffigura emblematicamente il processo in cui l’autore coinvolge il lettore, conducendolo su più strade, su diversi percorsi narrativi che si dipartono l’uno dall’altro e si intrecciano a vicenda.

La scrittura della seduzione

2 Come suggerisce il titolo, Retablo ha la struttura di un’ancona a vari scomparti: il romanzo si divide – come un trittico – in tre parti (Oratorio, Peregrinazione e Veritas), tre percorsi narrativi che raccontano la stessa storia da tre prospettive differenti. Il filone narrativo principale, il denominatore comune che unisce le tre parti del racconto, è una storia di seduzione, la storia dell’amore del frate Isidoro per Rosalia, che viene narrata da tre punti di vista. Nella prima parte, Oratorio, la storia è raccontata dalla prospettiva di Isidoro, narratore in prima persona. In Peregrinazione, la parte centrale, l’io narrante è quello di Fabrizio Clerici, pittore milanese che Isidoro accompagna nel corso del suo

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viaggio in Sicilia. La storia di Isidoro si intreccia allora con quella di Clerici, anch’egli amante infelice, in fuga da un amore non corrisposto per la milanese Teresa Blasco, storicamente la nonna di Manzoni, che andrà poi in sposa a Cesare Beccaria. Il capitolo finale, Veritas, è invece una lettera indirizzata ad Isidoro in cui Rosalia racconta la storia dal proprio punto di vista. E come in un retablo sotto gli elementi del polittico c’è una predella, così anche nel romanzo di Consolo al filone narrativo principale si accompagna un altro percorso narrativo, ovvero la storia di un’altra Rosalia, sedotta dal corrotto fra’ Giacinto.

3 Retablo è innanzitutto, come dice Traina (2001: 27), “un romanzo sull’amore deluso”, un tema che affiora sempre assai pudicamente negli altri libri di Consolo, mentre qui si fa motore e ragione di tutta l’azione, di tutto il viaggio. Tre sono dunque le storie d’amore principali (ma ad esse si potrebbero aggiungere altri intrecci secondari) su cui si dipana il filo del racconto. La seconda sezione del libro, quella centrale e di gran lunga la più estesa, è il diario di viaggio che Clerici scrive per Teresa Blasco, la donna amata da cui cerca di allontanarsi compiendo la sua “peregrinazione” attraverso la Sicilia. È solo attraverso il “collaudato contravveleno della distanza”, infatti, che Clerici riesce a ritrovare quell’“aura irreale o trasognata” che gli consente di dedicarsi alla scrittura e alla pittura (Consolo, 1987: 87)1. Quello di Clerici è, per così dire, un caso di seduzione mancata: in fuga da un amore infelice, alla fine del suo viaggio apprenderà che l’amata sta per unirsi in matrimonio con Cesare Beccaria. Nel descrivere un momento di particolare abbandono nel corso del viaggio, la sosta presso i Bagni Segestani, Clerici chiama a raccolta i più celebri miti di seduzione della tradizione letteraria: in particolare quello di Ulisse indotto ad accettare i doni della maga Circe o deciso a resistere al canto seduttore delle sirene, oppure la boccacciana novella di Biancofiore (pp. 61-62). La scena del bagno è il momento di seduzione più alto descritto da Clerici, ma è significativo che si tratti di una scena giocata sul puro piano dell’immaginazione: come Ulisse con le sirene, Clerici si fa sedurre solo in parte dal canto delle fanciulle che gli giunge attraverso la parete che separa il bagno degli uomini da quello delle donne. Non è un caso che il pittore non arrivi ad oltrepassare questa parete che divide i due mondi: in quanto artista egli può vivere il momento della seduzione solo a livello immaginario, e sempre mediato attraverso il filtro della letteratura. In questo momento di abbandono sensuale quelli che affiorano alla mente di Clerici sono episodi attinti esclusivamente all’immaginario letterario, quasi a frapporre una distanza rassicurante fra sé e il mondo, ad attutire attraverso lo schermo della finzione la forza dirompente della realtà in tutta la sua concretezza.

4 Un altro episodio del romanzo è emblematico di come la seduzione dell’arte assolva talvolta ad una funzione di compensazione nei confronti di una seduzione mancata nella vita: in quanto castrato, il maestro di canto don Gennaro non potrà mai sedurre l’adorata Rosalia, e sublima la propria mutilazione attraverso l’arte: C’est la vie: chi canta non vive e chi vive non canta! […] siamo castrati tutti quanti vogliamo rappresentare questo mondo: il musico, il poeta, il cantore, il pintore… Stiamo ai margini, ai bordi della strada, guardiamo, esprimiamo, e talvolta, con invidia, con nostalgia struggente, allunghiamo la mano per toccare la vita che ci scorre per davanti. (p. 158)

5 Ma la classica contraddizione decadentista fra arte e vita viene subito contraddetta, relativizzata e deformata da una lente ironica: con un brusco abbassamento di registro Rosalia interpreta questo allungare la mano alla lettera, e lo riconduce ad un piano ben più concreto e corporeo:

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Ha ragione, ha ragione don Gennaro! Così fanno, allungano le mani, questi artisti. Così il vecchio abate Meli, che alla Flora, sbucando avanti a me all’improvviso da un cespuglio, tocca, sospira e va, declamando poesie. Così il cavalier Serpotta, lo scoltore plastico, quando il marchese mi portò da lui per farmi fare le pose per le statue della Veritas: al posto dello stucco, plasmava me, con insistente mano. (p. 158)

6 Un’analoga concretezza si ritrova nella storia della seduzione di una giovane di nome Rosalia da parte di fra’ Giacinto. Questa narrazione è inserita, come si è detto, a mo’ di predella a metà del romanzo e si sovrappone al racconto di Clerici grazie ad un felice espediente meta-narrativo: Clerici scrive infatti il proprio diario di viaggio sul retro di fogli già scritti, che recano sul davanti il racconto della storia di Rosalia (una delle tante Rosalie di Retablo, la cui identità o eventuale parentela con la Rosalia di Isidoro resta peraltro imprecisata). Approfittando dell’ingenuità della giovane, Giacinto si serve della religione come travestimento per le proprie voglie e i propri desideri più licenziosi. La descrizione di questo episodio è pervasa di forte sensualità e arricchita di particolari concreti.

7 Ma la vicenda amorosa centrale su cui si basa tutto il romanzo è la storia di seduzione di cui sono protagonisti Isidoro e la giovane Rosalia: sedotto prima dal cibo offertogli da Rosalia e dalla madre, poi dalle bellezze della giovane, Isidoro si innamora follemente, tanto da essere indotto a derubare il convento per portare soldi alle due donne. Scoperto l’imbroglio, Isidoro è costretto a fuggire e ad allontanarsi dall’amata. Sarà preso a servizio da Clerici, che riconosce in lui la vittima di “uno di quegli amori furenti che non trovano giammai appiglio o risonanza nel cuore del bersaglio al quale disperatamente son puntati. Ma forse questo è mai sempre il destino di qualsivoglia amore” (p. 34). L’amore, secondo Clerici, “è inseguimento vano, è inganno e abbaglio, fuga notturna in circolo e infinita, anelito mai sempre inappagato” (p. 34). La seduzione di Isidoro, nella descrizione che lui stesso ne fa, all’inizio non si discosta molto dai topoi tradizionalmente associati al processo dell’innamoramento. Il fuoco d’amore si accende attraverso gli occhi e gli sguardi, che, conformemente alla tradizione, sono detti “lampi” (p. 18): anche la scelta lessicale rimanda dunque alla lirica medievale. Ed è proprio sui topoi di questa tradizione (sguardi schivi, donna angelicata) che è costruita tutta la scena iniziale della seduzione: E gli occhi tenea bassi per vergogna, ma da sotto il velario delle ciglia fuggivan lampi d’un fuoco di smeraldo. Mai m’ero immaginato, mai avevo visto in vita mia, in carne o pittato, un angelo, un serafino come lei. (p. 18)

8 Ma è una tradizione che si rivela subito inadeguata a rendere conto della concretezza dei fatti, e che pertanto viene subito straniata attraverso l’introduzione di particolari ben più materiali e corporei: Ché Rosalia, lei, a poco a poco aprì la mantellina, mostrò il corpetto, ciocche arricciate del color del rame, le boccole agli orecchi trasparenti; e sorrideva, con le fossette, mostrando a malapena i denti di cagnola. (pp. 18-19)

9 Il narratore non si dilunga sui particolari; ed è reticente sul seguito, descritto in modo riassuntivo e lapidario: “Breve, la sera appresso conobbi il paradiso. E nel contempo cominciò l’inferno, l’inferno pel rimorso del peccato e per la ruberia del guadagno a danno del convento” (p. 19)2. In parte analoghi, ma più concreti, carnali e sensuali, i toni con cui Rosalia descrive gli stessi eventi dal proprio punto di vista: “mai prima di quella notte io provai il paradiso, né mai per l’innante proverò. […] E dopo quella notte, non volli più lavarmi, sciogliere l’essenza, disperdere l’odore tuo sparso nel mio corpo”

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(p. 156). Isidoro dal canto suo paragona la figura dell’amata a quella della statua di Santa Rosalia, protettrice di Palermo. La sua passione per la giovane si confonde con il culto e l’adorazione della Santa: uguale a la Santuzza, sei marmore finissimo, lucore alabastrino, ambra e perla scaramazza, màndola e vaniglia, pasta martorana fatta carne. Mi buttai ginocchioni avanti all’urna, piansi a singulti, a scossoni della cascia, e pellegrini intorno, «meschino, meschino…», a confortare. Ignoravano il mio piangere blasfemo, il mio sacrilego impulso a sfondare la lastra di cristallo per toccarti, sentire quel piede nudo dentro il sandalo che sbuca dall’orlo della tunica dorata, quella mano che s’adagia molle e sfiora il culmo pieno, le rose carnacine di quel seno… E il collo tondo e il mento e le labbruzze schiuse e gli occhi rivoltati in verso il Cielo… (p. 16)

10 E proprio il mito di Santa Rosalia, con la sua caratteristica fusione di misticismo e carnalità, sottolinea magistralmente questa sintomatica unione di amore divino e profano: nella descrizione del rapimento di Isidoro venerazione della santa, godimento estetico, desiderio erotico ed esperienza estatica diventano tutt’uno. L’annichilamento di Isidoro è totale nel momento in cui riconosce le fattezze dell’amata Rosalia nell’immagine allegorica della Veritas scolpita dal cavalier Serpotta: Davanti a una di quelle dame astanti, una fanciulla bellissima, una dìa, m’arrestai. VERITAS portava scritto sotto il piedistallo. Era scalza e ignude avea le gambe, su fino alle cosce piene, dove una tunichetta trasparente saliva e s’aggruppava maliziosa al centro del suo ventre, e su velava un seno e l’altro denudava, al pari delle spalle, delle braccia… Il viso era vago, beato, sorridente… Mi sentii strozzare il gargarozzo, confondere la testa, mancare i sentimenti. Aprii disperato le ganasce e lanciai un urlo bestiale. – Rosaliaaa!... – urlai, e caddi a terra tramortito. (p. 24)

11 Questa la descrizione dello stesso fatto dal punto di vista di Clerici: “davanti a la Verità, divenne matto: crollato in terra, si contorse, schiumò, lacerossi gli abiti, la faccia, quindi nel vico si diede a piangere, a urlare come un forsennato” (p. 149). Lo stato di sopraffazione che colpisce Isidoro di fronte all’immagine di Rosalia rimanda ai sintomi della sindrome di Stendhal. C’è, infatti, un legame inscindibile fra esperienza estetica ed estasi amorosa. È attraverso il procedimento dell’ekphrasis, familiare alla tradizione letteraria medievale, che si realizza nella scrittura di Consolo quel legame fra seduzione amorosa e seduzione artistica. Come hanno rilevato molti critici, in Consolo scrittura e arti figurative sono strettamente collegate fra loro3. La seduzione della scrittura consoliana agisce soprattutto sull’aspetto visivo, gioca con l’immagine, lo stimolo ottico. È un fenomeno che si ritrova già nel Sorriso dell’ignoto marinaio, dove la storia si sviluppa proprio a partire da un quadro, il Ritratto di ignoto di Antonello da Messina. L’affastellarsi delle sollecitazioni visive è una delle componenti fondamentali di quello che è stato definito il neo-barocco di Consolo. Non occorre insistere sul legame fra scrittura e pittura in Retablo. Esso è annunciato già programmaticamente nel titolo, e sottolineato inoltre dalla scelta dei personaggi: quello fittizio di Fabrizio Clerici è, non a caso, pittore, e rimanda direttamente all’omonimo personaggio reale (1913-1993), il pittore amico di Consolo e autore dei cinque disegni che accompagnano la versione a stampa del romanzo. Del resto non è solo sulla stimolazione visiva che gioca il barocco consoliano: il discorso letterario di Retablo fa leva su un vero e proprio coinvolgimento dei sensi (oltre alla vista, come si è già detto, anche l’udito, l’olfatto e soprattutto il gusto)4. Si tratta, pertanto, di una scrittura che può essere senz’altro definita “seduttiva”, in quanto mette in gioco le tecniche e i meccanismi tipici della seduzione.

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La seduzione della scrittura

12 La seduzione in Retablo non è dunque solo rappresentazione e tematizzazione del desiderio e delle sue modalità di manifestazione, ma soprattutto tecnica narrativa in atto, procedimento attraverso cui il testo conquista il suo destinatario. Il romanzo, infatti, irretisce il lettore nelle trame molteplici della narrazione, lo sorprende e lo avvince con la sfaccettatura e la pluralizzazione delle voci e delle prospettive, lo affascina con la sua lingua musicale, con un enunciato che, prima di appellarsi al significato, gioca innanzitutto sull’esplorazione delle potenzialità sonore, sfruttate al massimo attraverso il ritmo incalzante delle enumerazioni e un uso altissimo e intenso dell’allitterazione.

13 Si è già visto come la stessa storia di amore e seduzione, quella di Isidoro e Rosalia, sia raccontata da tre persone e pertanto a partire da tre prospettive diverse: ognuno narra la propria verità, il romanzo è costruito su una serie di percorsi indecidibili, tutti altrettanto validi. L’intrecciarsi e il sovrapporsi dei vari racconti conferisce al romanzo una struttura paradigmatica, associativa, verticale. È interessante notare come la pluralizzazione dei punti di vista e delle verità possibili avvenga proprio a partire dalle varie figure di donne sedotte o seduttrici, che sembrano confluire in un volto solo: quando infatti Clerici si accinge a disegnare un profilo di donna che nelle sue intenzioni dovrebbe ritrarre l’amata Teresa Blasco, don Vito vi riconosce la Rosalia per amor della quale aveva ucciso il seduttore fra’ Giacinto, mentre Isidoro è convinto che si tratti della propria Rosalia (p. 87). Il fulcro su cui convergono tutti questi percorsi sono dunque le fattezze, ma soprattutto il nome di Rosalia, personaggio dall’identità fluttuante e incerta. Questo nome viene a definire personaggi di volta in volta diversi e non identificabili l’uno con l’altro, diventando quindi una sorta di nome comune, nome di genere atto a definire una categoria di validità pressoché universale. Rosalia è il nome dell’amata di Isidoro, è la Rosalia del manoscritto, è la donna amata dal cavalier Serpotta e modello della statua raffigurante la Veritas; ma Rosalia è anche la santa venerata a Palermo e oggetto di culto da parte di innumerevoli devoti. Su Rosalia convergono tutti i percorsi di desiderio dei vari personaggi e dello stesso lettore. Tutto ciò è evidente fin dall’incipit, un sapiente esercizio di bravura stilistica tutto costruito sulla scomposizione del nome in Rosa e Lia e sulle suggestioni ed associazioni che ne scaturiscono5. Si penserà in proposito alle innumerevoli valenze attribuite da Petrarca al nome dell’amata Laura, mentre, sul versante moderno, il modello indiscusso è senza dubbio il Nabokov di Lolita, non a caso uno scrittore di seduzione per eccellenza6. Nell’incipit di Retablo il gioco fonico e associativo che prende il via dal nome dell’amata è un brillante esempio delle capacità di seduzione della lingua consoliana: Rosalia. Rosa e lia. Rosa che ha inebriato, rosa che ha confuso, rosa che ha sventato, rosa che ha roso, il mio cervello s’è mangiato. Rosa che non è rosa, rosa che è datura, gelsomino, bàlico e viola; rosa che è pomelia, magnolia, zàgara e cardenia. Poi il tramonto, al vespero, quando nel cielo appare la sfera d’opalina, e l’aere sfervora, cala misericordia di frescura e la brezza del mare valica il cancello del giardino, scorre fra colonnette e palme del chiostro in clausura, coglie, coinvolge, spande odorosi fiati, olezzi distillati, balsami grommosi. Rosa che punto m’ha, ahi!, con la sua spina velenosa in su nel cuore. Lia che m’ha liato la vita come il cedro o la lumia il dente, liana di tormento, catena di bagno sempiterno, libame oppioso, licore affatturato, letale pozione, lilio dell’inferno che credei divino, lima che sordamente mi corrose l’ossa, limaccia che m’invischiò nelle sue spire, lingua che m’attassò come angue che guizza dal

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pietrame, lioparda imperiosa, lippo dell’alma mia, liquame nero, pece dov’affogai, ahi!, per mia dannazione. Corona di delizia e di tormento, serpe che addenta la sua coda, serto senza inizio e senza fine, rosario d’estasi, replica viziosa, bujo precipizio, pozzo di sonnolenza, cieco vagolare, vacua notte senza lume, Rosalia, sangue mio, mia nimica, dove sei? (pp. 15-16)

14 Tutto il passo è giocato sull’enumerazione e sull’accumulazione delle associazioni evocate dal nome Rosalia, associazioni che rimandano soprattutto a percezioni sensoriali. È proprio da questo insistito richiamo ai sensi che risulta evidente come il lettore si trovi qui coinvolto in un raffinatissimo gioco di seduzione. Si è già parlato dell’estrema forza visiva e dell’icasticità della scrittura consoliana. Ad essa si aggiungono qui sensazioni uditive create soprattutto dalle sonorità allitteranti del testo e da un andamento ritmico più vicino alla poesia che alla prosa. Si veda ad esempio la prima frase, in cui vengono elencati gli effetti della rosa sull’io narrante: i cinque elementi che la compongono possono essere letti come versi (i primi quattro saranno senari) a rima alternata (ababa, se si considera confuso e roso come rima siciliana). Non manca il richiamo alle percezioni tattili (la spina della rosa che punge, e più avanti l’impulso a toccare la statua della santa), ma soprattutto a quelle olfattive e gustative. Sarà soprattutto la prima parte del nome, la rosa, ad evocare odori inebrianti, segno di un processo di seduzione in corso, di un desiderio risvegliato e ancora insoddisfatto. Le immagini suscitate dalla seconda parte del nome, Lia, rimandano invece piuttosto alle sensazioni del palato, ad un piacere che, nel momento in cui viene gustato, si rivela subito veleno, seduzione letale che culmina in un “bujo precipizio, pozzo di sonnolenza, cieco vagolare, vacua notte senza lume”. Si noti come le associazioni che prendono il sopravvento alla fine del passo insistano proprio sulla mancanza di luce e sulla cecità, a sottolineare il fatto che alla perdita dell’amata corrisponde la fine delle percezioni dei sensi.

15 Alle associazioni sensoriali risvegliate dal nome Rosalia si aggiungono quelle culturali e letterarie: da un lato l’effigie della santa venerata a Palermo, rappresentata nell’iconografia popolare con il capo cinto da una corona di rose bianche, dall’altro tutte le suggestioni letterarie legate all’immagine della rosa. La seduzione della scrittura nei confronti del lettore si avvale allora di tutta una serie di trame intertestuali che attraversano il testo e si sviluppano proprio a partire dal motivo della rosa: è lo stesso Consolo a mettere in risalto le affinità tra il discorso di Isidoro e Rosalia e il contrasto di Cielo d’Alcamo Rosa fresca aulentissima7. Il primo e l’ultimo quadro sono costruiti sul modello del contrasto. L’esempio di seduzione offerto dalla tradizione sarà in questo caso ironico. Ma non è da escludere nemmeno una suggestione derivante dal Roman de la Rose, storia allegorica di seduzione e conquista amorosa in cui l’amata è rappresentata, appunto, da una rosa (ma la metafora risale del resto già alla tradizione latina). Un altro intertesto di importanza centrale sono I promessi sposi manzoniani: non a caso l’amata di Clerici è Teresa Blasco, nonna di Manzoni; e come per quest’ultimo il Seicento era l’occasione per parlare dell’Ottocento, così per Consolo il Settecento è il filtro attraverso cui raccontare l’epoca attuale, come dimostra del resto l’anacronismo nella scelta del personaggio di Fabrizio Clerici, in realtà, come si è già detto, pittore contemporaneo.

16 La stratificazione dei piani temporali viene ad aggiungersi alla sovrapposizione dei piani narrativi di cui si parlava prima. Quest’ultima trova la sua realizzazione più evidente nell’espediente dei fogli già scritti da Rosalia sul cui retro Clerici annota i suoi appunti di viaggio. Dice in proposito il narratore:

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Sembra un destino, quest’incidenza, o incrocio di due scritti, sembra che qualsivoglia nuovo scritto, che non abbia una sua tremenda forza di verità, d’inaudito, sia la controfaccia o l’eco d’altri scritti. Come l’amore l’eco d’altri amori da altri accesi e ormai inceneriti. (p. 89)

17 In tal modo Clerici istituisce un parallelo diretto fra scrittura e vicende amorose. E prosegue paragonando l’intersezione delle scritture a un retablo: E il mio diario dunque ha proceduto […] come la tavola in alto d’un retablo che poggia su una predella o base già dipinta, sopra la memoria vera, vale a dire, e originale, scritta da una fanciulla di nome Rosalia. Che temo sia la Rosalia amata da don Vito Sammataro, per la quale uccise, e si convertì in brigante. O pure, che ne sappiamo?, la Rosalia di Isidoro. O solamente la Rosalia d’ognuno che si danna e soffre, e perde per amore. (p. 89)

18 La metafora del retablo equivale qui a quella postmoderna del palinsesto. L’espediente dei fogli già scritti e riscritti sul retro, che la veste tipografica del romanzo riproduce fedelmente, raffigura in modo concreto e visibile quell’intertestualità di cui si parlava prima e che costituisce uno dei tratti salienti di Retablo. Il lettore può scegliere liberamente quale delle due storie leggere. L’interpretazione è aperta e l’intrecciarsi dei piani narrativi ha come effetto, da un lato, la pluralizzazione dei punti di vista, dall’altro però anche l’universalizzazione del destino individuale. La verità, sebbene inafferrabile, è al tempo stesso universalmente valida: tutti sono accomunati da uno stesso destino, vittime di uno stesso gioco di seduzione. La moltiplicazione dei piani narrativi è, in ultima analisi, solo apparente, perché tutti i percorsi convergono alla fine verso un destino universale che coinvolge tutti, lettore incluso.

19 L’immagine del retablo compare più volte nel romanzo, secondo la tecnica postmoderna della mise en abyme. La spiccata autoreferenzialità e autoriflessività letteraria di certi passi è finalizzata ad un processo autocritico che si rivolge contro l’arte e le sue capacità di seduzione, contro la sua natura finzionale e fasulla che trae in inganno lo spettatore ingenuo. Tuttavia si tratta di un inganno che si rivela anche benefico, in quanto seduce, ovvero allontana l’ingannato dalla triste realtà, offrendogli consolazione e oblio: L’invenzione di far veder nel quadro ciò che si vole, dietro ricatto d’essere, se non si vede, fortemente manchevole o gravato d’una colpa, non mi sembrò originar da loro. E mi sovvenni allora ch’era la trama comica de l’entremés del celebre Cervantes, intitolato appunto El retablo de las maravillas, giunto di Spagna in questa terra sicola e dai due fanfàni trasferito dalla finzione del teatro nella realitate della vita per guadagnar vantaggi e rinomanza. Io mi chiedei allor, al di là dell’imbroglio di Crisèmalo e Chinigò, nel vedere quei rozzi villici rapiti veramente e trasportati in altri mondi e vani, su alte sfere e acute fantasie, sopra piani di luce e trasparenze, col solo appiglio d’un quadro informe e incomprensibile e la parola più mielosa e scaltra, io mi chiedei se non sia mai sempre tutto questo l’essenza d’ogni arte (oltre ad essere un’infinita derivanza, una copia continua, un’imitazione o impunito furto), un’apparenza, una rappresentazione o inganno, come quello degli òmini che guardano le ombre sulla parete della caverna scura, secondo l’insegnamento di Platone, e credono sian quelle la vita vera, il reale intero, come l’inganno per la follia dolce de l’ingegnoso hidalgo de la Mancha don Chisciotte, che combatté contra i molini a vento presi per giganti, o per furore tragico d’Aiace che fe’ carneficina delle greggi credendola d’Atridi, o come l’illusione che crea ad ogni uom comune e savio l’ambiguo velo dell’antica Maya, velo benefico, al postutto e pietoso, che vela la pura realtà insopportabile, e insieme per allusione la rivela; l’essenza dico, e il suo fine il trascinare l’uomo dal brutto e triste, e doloroso e insostenibile vallone della vita, in illusori mondi, in consolazioni e oblii. Ch’ora accattavano i

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villani a poco prezzo, ponendo nel cappello piumato di Chinigò il loro obolo. (pp. 55-56)

20 Il retablo è dunque una metafora dell’arte, della sua inadeguatezza a rappresentare il reale in maniera univoca e attendibile e al tempo stesso del suo grande fascino e potere di seduzione. In un’intervista l’autore ribadisce che “l’idea del retablo è mutuata da Cervantes, il padre del romanzo moderno. In effetti l’arte non rappresenta mai la verità; ma semmai rappresenta la verità ideologica di chi scrive” (De Martino, 1992: 40). Quella di Cervantes è, dice Consolo, “un’autocritica dell’arte come illusione… un’ironia su se stessi. L’arte come menzogna. Il Don Chisciotte è il più grande romanzo ironico, un’ironia sui poemi cavallereschi” (De Martino, 1992: 48). E altrettanto ironico è il titolo dell’ultimo capitolo di Retablo, Veritas, che è anche il nome della statua allegorica modellata sulle fattezze di Rosalia. La verità che Rosalia rivela alla fine nella lettera in cui confessa il proprio amore per Isidoro non è che una delle possibili varianti della stessa storia di seduzione. Sarà da leggere in chiave ironica la ripetizione della formula “Bella, la verità”, che ricorre con cadenza quasi ossessiva nel discorso di Rosalia. Emblematico è anche il passo, citato sopra, dove la statua raffigurante la Veritas viene descritta dalla prospettiva di Isidoro (p. 24): la verità non è altro che una figura di donna seducente e ingannatrice. La seduzione sensuale operata dalla statua rimanda a quella intellettuale esercitata dal concetto di verità: esattamente come la seduzione dei sensi, la seduzione intellettuale della verità si rivela illusoria e fasulla, e viene subito dopo relativizzata attraverso il racconto della stessa storia a partire da altri punti di vista.

21 Retablo è, in ultima analisi, un romanzo sulla seduzione avvenuta e bruscamente finita (quella di Isidoro e Rosalia), sulla seduzione mancata (quella di Teresa Blasco da parte di Clerici), sulla seduzione dai risvolti tragici (quella di Rosalia da parte di fra’ Giacinto, brutalmente ucciso dall’innamorato Don Vito), o sulla seduzione spostata, deviata (la seduzione dell’arte che compensa quella irrealizzabile della carne fra don Gennaro e Rosalia). Ma soprattutto – e in questo consiste la particolarità del romanzo – la seduzione rappresentata va di pari passo con la seduzione in atto esercitata dalla scrittura, che trascina il lettore coinvolgendolo su molteplici piani di lettura. La conseguente relativizzazione della verità artistica fa parte di un processo autocritico che si rivolge non solo contro la “valanga di libri e di libresse privi d’anima, costrutto, lepóre e ragione ch’oggidì invadon biblioteche, botteghe di librai, si spargono pel mondo” (p. 30), ma contro l’arte tutta in generale, e perfino, in particolare, contro lo stesso Retablo consoliano. Così come il retablo ovvero il quadro teatrale seduce e inganna i “rozzi villici rapiti” (p. 55) che lo contemplano, altrettanto fa il romanzo Retablo in quanto prodotto artistico: la mise en abyme è allora al tempo stesso da un lato uno specchio autoriflessivo e autocritico che riflette la finzione artistica, dall’altro uno specchio che rifrange la realtà e la riproduce in modo sfaccettato e molteplice, rivelandone in tal modo l’irrimediabile inafferrabilità.

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BIBLIOGRAFIA

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GEERTS W., L’euforia a tavola. Su Vincenzo Consolo, in Soavi sapori della cultura italiana, Atti del XIII Congresso dell’A.I.P.I., Verona/Soave, 27-29 agosto 1998, B. Van den Bossche (ed.), Firenze, Cesati, 2000, pp. 307-316.

NABOKOV V., Lolita, Novels 1955-1962, New York, The Library of America, 1996.

SCUDERI A., Scrittura senza fine. Le metafore malinconiche di Vincenzo Consolo, Enna, Il Lunario, 1997.

SEGRE C. e OSSOLA C. (eds), Antologia della poesia italiana. Duecento, Torino, Einaudi, 1997.

TRAINA G., Vincenzo Consolo, Fiesole (Firenze), Cadmo, 2001.

NOTE

1. Per le successive citazioni da quest’opera si indicherà d’ora in poi solo il numero di pagina. 2. Questo passo sembra far eco alla reticenza e allusività di Francesca nel dantesco: “Quel giorno più non vi leggemmo avante” (Inferno, V, 138). 3. “In Consolo il linguaggio letterario cerca di rivaleggiare con la pittura” (Geerts, 2000: 308); “In Retablo c’è l’esplicitazione dell’esigenza della citazione iconografica: il «retablo» appartiene alla pittura ma è anche «teatro», come nell’intermezzo di Cervantes” (Traina, 2001: 130). 4. Si veda ad esempio il contributo già citato di Geerts (2000) sui sapori della cucina consoliana e i numerosi passi del romanzo dedicati ai piaceri culinari (fra l’altro, pp. 45, 51, 56-57). 5. È lo stesso Consolo a sottolinearlo: “ho scelto il nome Rosalia per S. Rosalia, ma anche per scomposizione rosa e lia” (De Martino, 1992: 48). 6. Si veda in particolare l’incipit del romanzo, a cui Consolo si è sicuramente ispirato (cf. in proposito Scuderi, 1997: 105): Lolita, light of my life, fire of my loins. My sin, my soul. Lo-lee-ta : the tip of the tongue taking a trip of three steps down the palate to tap, at three, on the teeth. Lo. Lee. Ta. She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arms she was always Lolita. (Nabokov, 1996: 7). 7. Cf. De Martino (1992: 48). Si vedano anche i diretti rimandi lessicali: “Ahi, non ho abènto” (p. 16) richiama il “per te non ajo abento notte e dia” di Cielo d’Alcamo (Segre e Ossola, 1997: 93). L’interesse per Cielo d’Alcamo è documentato inoltre nel romanzo stesso dall’episodio metaletterario dell’incontro di Clerici con l’“Accademia de’ Ciulli Ardenti” di Alcamo, dove si discute sull’opportunità di “far crescere la cima sicola da ràdica toscana o puramente far sbocciare in aura toscana la semente sicola” (p. 46).

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AUTORE

TATIANA BISANTI Universität des Saarlandes – Saarbrücken

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Formes, modalités et paradoxes de la séduction dans Il bastardo di Mautàna de Silvana Grasso

Margherita Marras

1 Silvana Grasso [1951] a puisé dans l’histoire, la société, l’anthropologie, et dans les topoi littéraires de son île, la Sicile, les matériaux de son monde romanesque1. Mais tout en édifiant un pont avec la tradition littéraire sicilienne, elle a cherché et trouvé le moyen de s’en détacher et d’affirmer son originalité : son écriture poussée à l’extrême, démystifiante, hybride, provocatrice et inquisitoriale. Silvana Grasso entre aussi, à juste titre, dans le « cercle » des romancières italiennes (Maria Rosa Cutrufelli, Carmen Covito, Francesca Mazzucato) qui, dans les années 1990, contribuent au brouillage des codes et au bouleversement des modèles, des formes, des styles considérés comme typiquement féminins. Le dépassement d’une littérature marquée par l’appartenance biologique se renforce par une représentation de la séduction, l’un des thèmes qui réunit ces écrivaines2, réalisée sous le signe de la diversité : une confirmation supplémentaire de l’absence de modèles communs (au féminin) mais qui nous renvoie aussi au concept même de séduction dont les frontières restent multiples. Cette étude examinera les formes et les modes de la séduction dans Il bastardo di Mautàna, certainement le roman le plus transgressif de Silvana Grasso, le plus excessif et le plus imparfait, mais aussi celui qui illustre le mieux l’originalité de cette écrivaine3. L’analyse portera sur les personnages féminins auxquels la romancière a confié le pouvoir de séduire et sur les contraintes de la séduction dont les mécanismes et les stratégies s’inscrivent dans une Sicile romanesque, provinciale et archaïque.

2 Il bastardo di Mautàna est structuré en cinq parties rigoureusement distinctes au niveau temporel (Mautàna 25 giugno 1921, Terranova 26 giugno 1921, Terranova 27 giugno 1921, Terranova luglio 1923, Terranova 1948), qui toutefois ne répondent pas à la réelle extension des faits racontés. Cette limitation temporelle représente en fait l’espace pour une évocation du passé (englobant toute la première moitié du XXe siècle), où l’écriture semble tendre, plus qu’à la narration, à une description se formalisant dans une répétition cyclique de gestes, comportements, faits, actions qui sont à l’origine

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d’une redondance autant linguistique que conceptuelle. Le lieu de l’intrigue se situe entre la campagne de Mautàna (propriété de la famille Verderame) et la ville de Terranova : un double espace, intérieur à l’île, dont Silvana Grasso ne cherche pas à mettre en valeur la diversité mais au contraire l’homogénéité, appelée à confirmer le concept de fermeture du monde insulaire avec ses obstacles extérieurs, ses inhibitions et ses paradoxes internes. C’est dans ces contextes que la séduction prend forme, une séduction qui se joue sur plusieurs fronts (la soumission et la révolte, le désir mortifié et la liberté des instincts) et sur l’opposition constante entre femmes dominées et femmes dominantes. Parmi les dominées4, il y a les paysannes des « masserie » de Mautàna, dont le rôle devient expression d’une servilité sociale qui se manifeste dans leur assujettissement au désir des hommes-patrons et dans leur acceptation passive, voire fataliste, des formes ritualisées de l’exploitation sexuelle : Lupo pensava a Mariannina che certo s’era sottomessa a don Giachino pensando ch’era giusto, che coi padroni non si discute mai – e che mai altro poteva fare? non aveva fatto così sua madre? e la madre di sua madre? che pure erano state brave e timorate di Dio. Ed erano morte col conforto dei sacramenti. (Il bastardo, p. 55)

3 Dans la représentation de Silvana Grasso, il existe une libido « socialement sexuée5 », selon la définition de Bourdieu, où la « libido dominantis » (désir du dominant) se réalise à travers une logique d’asservissement sexuel, issue du « droit » à la possession, qui rabaisse les paysannes à des objets de plaisir et les condamne à la perte de leur identité : « Dieci cento o mille, le contadine delle masserie Lupo sono tutte uguali… uguali ti dico… » (p. 61). Impossible de faire l’impasse sur l’un des éléments essentiels de cette représentation, la roba, « l’un des sentiments qui conditionne le plus la vie sicilienne6 », dont I Malavoglia de Verga ont dévoilé « le côté objet et obscène », et qui a été célébrée aux suprêmes niveaux « du Pirandello de l’Esclusa et du Sciascia de A ciascuno il suo7 ». Comme chez le don Gesualdo de Verga, le rapport entre personne et roba se traduit dans Il bastardo di Mautàna par une perte de conscience du sentiment et donc par son inévitable absence. Avec don Giachino, la signification économique de la roba s’étend inexorablement à la femme qui, appelée à confirmer la notion de propriété, devient l’instrument de l’affirmation de sa puissance et de la légitimation de sa violence érotique. Au même titre que la roba, elle est assujettie au droit héréditaire : ainsi, don Giachino promet à son fils naturel que, une fois devenu évêque, il pourra posséder « poderi e pecore e… le femmine delle masserie » (p. 60), « quante ne vuoi… intesi?… intesi Lupo…? » (p. 45).

4 L’avilissement des femmes continue et se renforce à travers un procédé de sexualisation animale – digne d’un manuel d’éthologie – qui, pour les paysannes de Mautàna, se construit autour des perceptions et des descriptions fournies par don Giachino : elles sont remplies de poux qu’elles « scrafàzzano con l’unghia » (p. 61), soumises comme les chèvres (p. 60) et muettes « dopo la monta » (p. 61) comme « vitella che si stacca dal toro » (p. 61) ; ce sont des mercenaires du sexe ou bien des « cagne in calore » (p. 45) qui offrent leur services pour « una pezza di formaggio pecorino e ti stanno addosso come zecche… » (p. 61). À cette mortification de la féminité n’échappe pas non plus l’une des femmes dominantes8 de Mautàna, Stinca, qui dénature toute éthique dans la pratique d’une séduction active. Sa caractérisation animale marque la nature de sa séduction et montre les liens qu’elle établit avec les hommes. Elle est associée aux bêtes errantes (« gatta randagia », p. 118) et indomptables (« viso fiero di cavalla che ignora la sella », p. 35) ; ses stratégies séductrices d’animal rapace (« occhio sparviero », p. 121, « sparviero assassino », p. 124)

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et ses pratiques sexuelles sont comparées à la perversion et à la monstruosité d’une créature imaginaire et anthropophage tel que le « Lupomannaro » (p. 145). Il s’agit ici d’une exagération, presque d’une caricature : on assiste à une sorte de dégradation de l’être humain mêlant le burlesque et le tragique, qui acquièrent une fonction narrative primordiale. Corporéité et corporalité, soumises et effacées, ou agressives et menaçantes, sont aussi à la base des choix, des gestes et des destins individuels. Figure anomale dans sa communauté, Stinca construit son comportement autour de la perception d’une corporalité menacée et à la merci de préjugés, de valeurs et de structures hiérarchiques figées. C’est ainsi que, pour ce personnage, la séduction devient un antidote à la suprématie des hommes et un moyen de contrecarrer leur violence potentielle : elle se sert de son corps, émanation d’une « féminité sauvage » et extension de sa révolte intérieure, pour déjouer les « lois » communautaires et se dresser contre l’ordre inégalitaire de sexes. Mais pour atteindre son but, Stinca doit se voir elle-même en homme, se transformer en animal prédateur pour s’emparer de sa « proie » et mener le jeu sexuel. Elle endosse ainsi la rudesse d’une « nature » masculine dont témoigne l’odeur de son sang menstruel « forte, maschio, intenso » (p. 120), corollaire à l’affirmation de sa sexualité : Non lo fermava Stinca il suo sangue con il panno in quattro, come le contadine di Mautàna che ne avevano vergogna e li schiarivano a bagno con la cenere, di notte, i teli lordi, accorte a non farsi scoprire dagli uomini di casa. Sempre lì a nascondere ogni traccia delle loro mestruazioni, che sentivano come un evento sporco, tanto che, per dire che non avevano le mestruazioni, dicevano « pulita sono ». (p. 120)

5 Par cette désobéissance d’ordre moral et esthétique, entraînant un comportement qui manque à la décence, elle impose au regard d’autrui les signes de sa sexualité, rempart de son émancipation, ce qui lui permet de s’éloigner des modèles féminins établis. En laissant couler librement son sang, elle conforte la cohérence de sa révolte extrême ; elle se place au-dessus de toute contrainte sociale qui puisse dévoiler la vulnérabilité des femmes en les obligeant à des pratiques normées et en les reliant aux habitudes d’une existence soumise.

6 Les principes éthiques d’un art de vivre au féminin sont eux aussi constamment transgressés dans les « rites sexuels et séducteurs » de Stinca visant l’anéantissement de l’homme. Ces rites sont à l’origine d’un renversement catégorique de la « logique de la conquête » masculine mentionnée par Pierre Bourdieu, et de ses habituelles « formes de domination, d’appropriation, de “possession”9 ». Mais pour aboutir à ce résultat, le personnage doit mener un combat contre tous ceux qui (et tout ce qui) entravent son chemin. Elle s’attaque ainsi à l’Église et au clergé, responsables à Mautàna d’une division draconienne des rôles légitimant la domination masculine. Pour s’affranchir de cette emprise, Stinca s’oppose à tous les préceptes chrétiens et viole la sacralité des espaces ecclésiastiques (symboliques et matériels) ; son premier rapport sexuel a lieu dans une église, aboutissement de stratégies sordides commencées pendant la liturgie : Stinca aveva dieci anni e ne era certa che il canonico con l’occhio sudicio la guardava in modo strano […]. Così, forse in principio per vedere se il vecchio seguitava o forse perché a Mautàna non succedeva mai niente […] cominciò a schiuderle le cosce, pian piano, con maestria […] in prima fila davanti all’altare, assicurandosi che ciuffi di pelo rosso venissero fuori, con quel che si vede e non si vede, dalla radura dell’inguine. Ciuffi che lei ripassava con la sugna di porco per renderli più scuri e lucenti, e vedere poi che succedeva con la curiosità maligna più dei bambini che dei furfanti […]. Poi finita la funzione, con la scusa delle ostie, si presentò al canonico che non se lo fece dire due volte, e grasso com’era ancora coi

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paramenti addosso prese a rovistarle il candido fiore dei seni, l’acerba corolla dell’inguine vergine. «Canonico, dov’è lo Spirito Santo?» gli chiedeva Stinca già a terra dietro l’altare «Canonico, dov’è lo Spirito Santo?» Qua è… o… qua forse qua…? e indicava con l’indice i capezzoli duri come olive o la tenera sorgente del pube […] Infine Stinca baciava il Cristo d’oro sul petto sudato del canonico e s’arrampicava, col fazzoletto pieno d’ostie benedette, e il ventre pieno degli umori del Canonico al Pianoro delle stelle, nella notte muta di Mautàna. (p. 37-38)

7 On retrouve dans ce passage le ton des parodies sacrées du Moyen Âge où la connotation érotique ou sexuelle se superpose au territoire liturgique10. Chez Silvana Grasso, cette rencontre se matérialise par un balancement continuel entre le sacré profané et le profane sacralisé, mais aussi par l’identification biblique de Stinca avec la femme tentatrice. Une femme au pouvoir diabolique, qui, toute sa vie, affirme sa séduction à travers une sexualité violente et attractive, qui n’accepte ni refus ni obstacle : séduction immorale et coupable, qui se concentre dans les modalités d’une conquête visant à apprivoiser, captiver, jouer sur la faiblesse des hommes – notamment ceux qui représentent l’autorité craignant Dieu – et les faire tomber dans l’erreur. La tentation de voir dans cette représentation une satire anticléricale est forte : elle trouve confirmation dans l’attitude double et équivoque des hommes d’Église, dont la dévotion et la luxure soulignent l’incohérence de l’éthique chrétienne. Le support indispensable à cette satire est le personnage de Stinca dont le comportement nous ramène, encore une fois, au Moyen Âge et au rôle joué par la « serrana », femme aux approches séductrices, acharnées et impitoyables, qui affiche ouvertement la charge érotique de son corps dans le but de plier l’homme à ses incessantes prétentions sexuelles et de l’obliger à se soumettre à sa volonté : Era dell’Ordine dei Capuccini, poco più di un ragazzo […]. «Ci sta… certo che ci sta… come gli altri ci sta... porco comme gli altri […]. Sotto la tonaca è fatto di carne… di carne… e viene qui a fare il santo… le mani giunte… la croce al petto…». Più il giovane predicatore pareva serio e pregava e curava i cristiani di Mautàna, più Stinca procurava d’avvicinarlo, e tentarlo e metterlo in croce, a suo modo, s’intende. Voleva averlo a tutti i costi, ne voleva provare il fermento del sesso intatto, che solo nel pallido lino del letto, di notte e involontariamente, si abbandonava a schizzi improvvisi, trasparenti come rugiada. (p. 40-41)

8 Cette charge négative caractérisant la séduction apparaît absolument conforme au « vocabulaire ecclésiastique », normée et modelée sur lui, et plus précisément sur son acception originaire de « corruption », « terme emprunté au latin classique seductio “action de mettre à part” ». La séduction équivaut à « tromperie dans laquelle on fait tomber quelqu’un en erreur11 », et au Moyen Âge (mais encore à l’époque classique) elle devient « œuvre du diable et figure du mal12 ». Stinca est « diavola » (p. 26), « diavùla » (p. 40), « occhiodiciàula » (p. 79), « indemoniata » (p. 135), et elle entretient un rapport irrévérencieux et démystifiant avec la morale familialiste, l’éthique féminine et les coercitions de nature, encore une fois, biblique. Toute l’histoire de sa vie, d’ailleurs, se déroule autour de cette désacralisation et de la déformation des prescriptions évangéliques. Ainsi, la relation de Stinca avec Tano Verderame (marié avec Leonora) remet en cause les liens sacrés du mariage. La procréation féminine se dénaturalise par la volonté nihiliste de ce personnage qui désagrège autant les valeurs chrétiennes que les lois naturelles ; sa grossesse n’est pas marquée par des signes corporels : « Non si vedeva affatto che era incinta, nemmeno una sporgenza sul ventre, niente di niente » (p. 122). Stinca oppose sa désobéissance à la malédiction biblique qui condamne la femme aux douleurs de l’accouchement, en mettant au monde son enfant en silence : « Nell’aria non un grido, non un lamento, non uno spasimo » (p. 123). Le concept de

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rédemption et de purification liée à la naissance, conditionnement culturel présent dans l’Occident, est contredit par son mépris et sa violence animale : Lo guardò, Janìa, era come un bozzolo di lombrico pieno di bava. Un pezzo di carne rossa da macello, la coscia d’un agnello o i rognoni di un toro. Coi denti, con uno strappo netto, serrò quel budello che la legava al bambino che lei aveva appena partorito. (p. 124)

9 Et c’est toujours par rapport à cet affrontement qu’on peut lire l’ignominie de son geste contre nature suivant l’accouchement : l’abandon et l’exposition de son enfant « ai rapaci della notte che lo finissero a beccate e ne spolpassero il cervello » (p. 124).

10 La logique diabolique et profanatrice de Stinca n’est pas, toutefois, un cas isolé dans Il bastardo di Mautàna : elle imprègne le roman et est placée au coeur d’une tension interférant – dans un mouvement double et inverse – avec le contexte, les personnages et leurs comportements. C’est par ces moyens que se formalise la représentation, jusqu’à l’extrême, de l’île sicilienne comme « oxymoron géographique et anthropologique13 ». Les termes de cet oxymoron gravitent souvent autour d’épithètes péjoratifs, d’analogies impertinentes entre le vocabulaire ecclésiastique (la crucifixion, la passion du Christ, la prière) et les nombreuses connotations sexuelles qui deviennent métaphore du triomphe de la chair et de la corporalité. Ainsi, les paysannes de Mautàna sont « nude come Gesù alla Croce e una tempesta d’umori tra il pelo rizzuto dell’inguine » (p. 61) après leurs rapports sexuels. Et, contrairement à Stinca, leur grossesse est à l’origine d’une dissonance monstrueuse – autant visuelle14 qu’olfactive15 : « Una caverna di grasse budella mosse di nuove seme di vita […] ventre pieno, costipato di carni come budello di maiale per le salsicce della festa per la Madonna della Speranza a Terranova » (p 55). La nef de l’église est « lunga come il budello per il sanguinaccio » (p. 71) et sa coupole marquée d’« escrementi nigrosanguinelli come amarene » (p. 97) ; dans son bordel, « Mimina la santa » (p. 105) reçoit ses clients avec « il Rosario in mano » (p. 105). Et nombreux sont encore les passages où, entre autres, la prostitution et l’homosexualité apparaissent comme inséparables des hommes et des espaces religieux.

11 La combinaison de ces éléments est à l’origine d’une transposition sacrilège où semble évidente l’intention parodique de Silvana Grasso. Elle fonde son texte sur ces associations discordantes et établit une connexion logique entre le développement thématique et la dimension subversive du monde représenté. Le locus – aux contours rudes et incertains – ainsi créé amplifie le drame des personnages et justifie leur soumission ou leur révolte.

12 Mais on ne peut pas saisir l’importance et les raisons de ces oppositions incessantes, parfois harcelantes, sans prendre en compte la Sicile, et plus précisément sa littérature narrative et les nombreux essais qui, à maintes reprises, ont évoqué la position du Sicilien par rapport à la religion. Avec des nuances et des registres bien moins affichés et moins pressants que ceux de Silvana Grasso, Leonardo Sciascia raconte, dans La corda pazza16, une religion unissant dévotion et jurons, et Gesualdo Bufalino, dans Il malpensante, affirme ce même concept (« J’ai blasphémé longuement cette nuit, les mains jointes en prière, dans le noir17 ») et il évoque la mixité entre religion et amour profane en comparant « la première fois au bordel » à une « joyeuse confirmation » et à la prise des « ordres d’un sacerdoce profane » (Il malpensante, p. 1054). De son côté, Dominique Fernandez fait remarquer que la vie sentimentale des Siciliens est scindée en deux : une part « conventionnelle » et l’autre « active ». La première correspond à

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l’amour conjugal, « ressortit au devoir, à la loi, à la religion », tandis que la seconde appartient au domaine de la liberté et de la vraie vie érotique qui « commence dans la chambre de passe18 ».

13 Fortement récurrente dans l’œuvre de Silvana Grasso, cette dualité est aussi au coeur de la séduction. Stinca utilise la séduction comme moyen de défense, mais la perversion des mécanismes qu’elle met en place transforme cette séduction en soumission volontaire (choisir avant d’être choisie), de même d’ailleurs que les buts de ses stratégies sordides – correspondant à l’anéantissement de l’autre – entraînent inexorablement son autodestruction. Ayant choisi la séduction comme moyen d’affirmer sa transgression, Stinca, par la violation de tout pacte social, renonce d’emblée à l’amour. Elle n’en connaît que les poisons et les saveurs toxiques, elle sacrifie et mortifie son désir en donnant son corps à des hommes rebutants19 et à tous ceux qui se prennent dans ses filets. Par ses choix, Stinca se condamne à la défaite. Sa vie ne peut, en effet, se dérouler qu’entre une liberté absurde et un esclavage grotesque où sa séduction transgressive, entre calcul et folie, devient le signe d’une victoire éphémère. Comme dans un jeu de réfractions et d’équivalences malheureuses, ses victimes se transforment en bourreaux, et tous ses efforts aboutissent à la vacuité la plus totale. Les mécanismes de la séduction de Stinca, à l’origine de dévastations multiples, coïncident ainsi avec une éducation sentimentale à la mort qui se réalise, jour après jour, par un processus de décomposition et de consomption de la vie. Mais si toute tentative de révolte tombe dans le vide, c’est aussi parce que, dans le monde de Mautàna, aucune dialectique n’est possible, car aucun acte de rébellion ne peut desserrer l’étreinte de l’île-prison : Ancora dopo trent’anni o più, il rintocco della campana del Carmine, le entrava nel petto, le squarciava i timpani come i diti, grossi e sudati del canonico, le avevano squarciato, da bambina, l’inguine intatto, i seni duri come nespole sul ramo. (p. 39)

14 Dans son exhibition d’histrion, Stinca met en place les paroxysmes de la séduction et ses rituels animaux, devenant héroïne « pirandellienne », condamnée à subir elle- même et à s’affubler de nombreux masques, tous dignes de foi et tous faux. Son parcours existentiel « du ventre maternel à son cercueil », selon la définition de la vie insulaire donnée par Gesualdo Bufalino, a été une histoire de « compartiments étanches, de capsules », une sorte de navigation « dans un système d’écluses20 », emblème d’un monde insulaire sous-entendant une ségrégation de l’être humain (« de la province, de la famille, de la chambre et de son propre cœur21 »). Silvana Grasso a fait de Stinca une « mutinée » contre la vie, et le personnage qui incarne le mieux le lien ancestral entre Eros et Thanatos : une représentation habituelle dans la littérature sicilienne, proche de la conception que les Siciliens ont (ou ont eu) de la femme. À ce propos, Leonardo Sciascia affirmait dans Pirandello e la Sicilia que « la femme, dans le pur événement érotique nous emporte vers une contemplation de la mort22 ».

15 Cette connexion femme-mort est une note constante chez Silvana Grasso. Elle se manifeste aussi bien à travers un langage codé que dans la destinée funeste des hommes de l’entourage de Stinca.

16 L’emprise de Stinca sur le sexe masculin est comparée à « la peronospera che s’attacca ai vitigni e li secca » (p. 134), et le flux de son sang menstruel, emblème de sa rébellion et de son rôle de dominante, donne lieu à une représentation qui s’aligne sur le paradigme de la destruction : « Sangue che le allagava le cosce nude immacolate, giù a

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precipizio dall’utero aperto come la grandine d’agosto sul chicco rigonfio dell’uva » (p. 120).

17 Parmi ses victimes, le jeune prédicateur qui se suicide après avoir cédé aux tentations : Lo trovarono al carrubo, di mattina presto, con la corda al collo di seta, gli occhi immoti al cielo tra confuso sciame d’api. Pendeva dal carrubo, il predicatore, quasi in pace ora che il peccato di esserci stato con quella creatura […] si strozzava tra i lacci attorno al suo collo. (p. 41)

18 Tano Verderame subit pendant trente ans la séduction irrésistible de Stinca. D’où une dépendance morbide et viscérale qui met sa vie en danger et dont la seule échappatoire possible est la mort, propos qui devient un refrain obsédant dans le roman23 : « L’unica cosa che Tano sapeva con certezza era “m’ammazza una volta o l’altra m’ammazza o l’ammazzo io” » (p. 118).

19 Les notes funèbres accompagnent aussi la théâtralité de la vie de Stinca. Ses masques tombent avec son suicide, dernier défi aux préceptes chrétiens mais surtout prise de conscience de son échec et choix extrême de purification et d’expiation – confirmé par le lieu (le caroubier où s’était pendu le prédicateur24) et par le moment choisi (le jour de la mort de Tano25) – nécessaire pour atteindre, enfin, la liberté : « Lei […] pendeva nell’aria libera come la passera tra le forre dell’Accia, leggera come le tamerici della palude che hanno la foglia verde e pulita pure se di fango si nutre la radice » (p. 169).

20 Ce geste tragique résume la vie de Stinca, véritable épigone décadent où se mêlent chair, diable et mort. Mais son histoire est aussi celle de tous les personnages qui, dans Il bastardo di Mautàna, dans la révolte autant que dans la soumission, sont condamnés à vivre prisonniers de contraintes obscures, dans la violence des schémas élémentaires d’un contexte répugnant. Silvana Grasso raconte les moindres aspects de ce monde en décomposition avec son écriture particulière et artificieuse, codée et allusive, où l’amalgame entre oxymorons, métaphores et analogies n’est pas toujours réussi. Son lexique est modelé sur des termes d’origines différentes (précieuse, archaïque, dialectale), ses phrases se construisent sur de fréquents mélanges linguistiques. Au registre soutenu succède un autre registre aux tons démystifiants, à l’origine d’exagérations fastidieuses, redondantes et souvent harcelantes. La représentation de la séduction et de la sexualité est confiée à une parole dont le retentissement s’amplifie dans de nombreuses associations qui se focalisent – après les symboles sacrés – sur la matière corporelle et physiologique et sur l’espace naturel.

21 Ces associations se manifestent au travers de confrontations abjectes entre liquides humoraux (sang, sperme, sueur, urine), viscères, appareil génital, phénomènes atmosphériques, monde végétal et « produits dérivés » : ainsi, la soumission à don Giachino des « serve delle masserie » (p. 61) aux « natiche dolci come i meloni della Piana » (p. 45) ou « spinose come zucche della Piana » (p. 61) qui reçoivent le sperme (« getto giallo, colore della semola », p. 61) de leur maître.

22 Le même procédé est utilisé pour agresser les symboles de la virilité. En témoignent les images horrifiantes, débordantes de violence, de fellations vampiriques : Stinca, nella trappola delle labbra, lo serrava il nervo grande di Tano tra l’aguzzo puntiglione dei suoi denti d’avorio. […] Inerme e pavido era Tano a fronte di quei dentini che or lo ferivano or l’animavano or l’ammazzavano come timido parto d’anguilla che cede la vita alla furia lucente dell’amo. (p. 145)

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23 En témoigne également la putrescence dégoûtante d’un sexe rongé par la maladie, comme la hernie (« sozzo budello », p. 72) de don Giachino qui, lors de ses rapports avec les femmes des masserie, « veniva giù. Precipitava » (p. 72) : Un’ernia grassa sconsacrata grande come melone marcito sul campo gli cadeva a metà coscia, prima lenta come marmellata di mela cotogna, poi, una volta fuori dal testicolo, si lasciava andare a precipizio come grandine sulla vigna. Nel testicolo a manca i visceri grassi dell’addome s’erano fatti un varco, e vi calavano molli come ricotta, quella col siero, sì che il muscolo cedeva, quale muro senza malta alla furia del muschio. (p. 72)

24 La symbiose des différents éléments met en scène la triade mort/femme/espace. La mort de don Giachino en est un exemple : Si chiusero per sempre gli occhi di don Giachino al mestruo raggio del sole che incendiava la Rocca, quando se ne stava sulla stuoia di capra accanto alla Canaria, e alle sue cosce lunghe come erano, lunghi, i tramonti sull’Accia. (p. 92-93)

25 Par son écriture, Silvana Grasso établit des liens significatifs entre l’être humain et les éléments naturels et/ou animaux, corollaires les uns des autres, qui se renforcent dans une sorte de contamination réciproque, dans une fusion cyclique sous le signe de la destruction et de la régénération : l’avorteuse après avoir vidé les paysannes « del misero fardello di carni […] e [de]i germogli di vita » (p. 17), « con quello che ne tirava fuori, vi concimava la vigna » (p. 73). Ou encore les hommes « deboli di polmoni » (p. 82) et les femmes, « spolpate di parto recente » (p 2), vont à l’abattoir communal pour boire des litres de « sangue rosso come di vitello scannato […] caldo caldo, con l’odore di stalla e fieno » (p. 82).

26 À cette fusion cyclique n’échappe pas non plus la séduction. Dans Il bastardo di Mautàna, celle-ci se glisse et envahit tous les espaces de Mautàna et de Terranova. Elle est l’emblème de ces mondes couleur de ténèbre, évoluant dans un éternel présent, comme en témoigne la destinée immobile d’êtres humains qui ne sont que des figurants dont les vies, dans une mise en scène infinie, se poursuivent et se reflètent.

27 Il bastardo di Mautàna est un « pastiche », le résultat de nombreuses alliances entre traditions narratives différentes : d’où la difficulté d’un classement précis dans la littérature contemporaine. Le seul point indiscutable de l’écriture de Silvana Grasso reste son rapport avec la littérature sicilienne (de Verga a Bufalino en passant par Pirandello). Tout en étant soumis à une narration transgressive, ses paramètres et ses thématiques se manifestent comme des constantes, révélatrices d’un fort lien « héréditaire » avec la tradition autochtone, à laquelle peu d’écrivains siciliens ont échappé (ou échappent). La Sicile est le cœur de son inspiration créatrice, un point de départ pour représenter la crise des structures sociales, les aliénations de personnages à la merci d’une île anthropophage qui les contraint à se soumettre à la malédiction éternelle de l’immuabilité.

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NOTES

1. Nebbie di Ddraunara (1993) suivi de Il bastardo di Mautàna (1994), Ninna nanna del lupo (1995), L’albero di Giuda (1997) et La pupa di zucchero (2001). 2. M. R. Cutrufelli dans La Briganta (1990), C. Covito dans La bruttina stagionata (1992) et F. Mazzucato, entre autres, dans Amore a Marsiglia (1999). 3. S. Grasso, Il bastardo di Mautàna, Turin, Einaudi, 1994. Toute citation tirée de Il bastardo di Mautàna comportera le numéro de page correspondant dans le corps du texte et entre parenthèses. 4. Parmi les femmes dominées, il y a aussi les épouses des propriétaires des terres de Mautàna dont la présence dans le roman est toutefois assez marginale. Il s’agit de femmes enfermées dans un art de vivre au féminin sous le signe de la plus totale vacuité. 5. P. Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998, p. 64. 6. L. Sciascia, Pirandello e la Sicilia, Caltanissetta, Sciascia, 1961, p. 24. 7. M. Onofri, Storia di Sciascia, Bari-, Laterza, 2004, p. 131 8. L’autre femme dominante de Mautàna est Canaria, la guérisseuse, dont la figure de « maiara » renforce la particularité et les contradictions du monde de Mautàna : elle soigne avec ses herbes mais sa tâche principale est liée à l’avortement qu’elle pratique chez les paysannes, même à grossesse avancée, « che pure se la chiamavano per abortire, si facevano il segno della croce. Tre volte sul petto, perché gli ricordava il peccato » (p. 16). Les actes sexuels ne sont pas subis par la Canaria mais, souvent, calculés et en rapport avec son métier : « Poi – lo faceva apposta – mentre con rapidi gesti delle mani gli conciava la caviglia gonfia e la strofinava con sugna di capra, non si curava affatto di rimettere ordine tra i seni in fuga dal reggipetto così che il picciotto, addietro al dondolio del suo petto, avesse meno pensieri dei dolori della caviglia. E lei, se non c’erano storie si picciava prima » (p. 15). 9. P. Bourdieu, La domination masculine, op. cit., p. 26. 10. Pour cette inspiration parodique voir, entre autres, Libro del buen amor de Juan Ruiz. 11. C. Dauphin et A. Farge, « Cerner le sens des mots », Séduction et société, Paris, Seuil, 2001, p. 8. 12. C. Klapisch-Zuber, « Les postiches de la séduction et la métaphore de la statue peinte », Séduction et sociétés, C. Dauphin et A. Farge (éds), op. cit., p. 29. 13. G. Bufalino, Cere perse, Opere 1981-1988, dans M. Corti et F. Caputo (éds), Milan, Bompiani, 2001, p. 859. 14. « Una pancia grande, mostruosa, anzi pareva che, eccezion fatta per la testa, null’altro avesse che pancia pancia pancia e pancia ancora » (p. 54). 15. « Puzzava d’aglio fritto e broccoli pure se la veste per il battesimo del figlio era quella della festa, ma le saliva sui fianchi, ingrassati per la gravidanza », (p. 55). 16. Voir L. Sciascia, La corda pazza, Turin, Einaudi, 1970, p. 193. 17. G. Bufalino, Il malpensante, Opere 1981-1988, op. cit., p. 1108. 18. D. Fernandez, Mère Méditerranée, Paris, Grasset, 1965, p. 210. 19. Entre autres, le prêtre de Bagheria « grasso, aveva un occhio che sparava in fuori, grande umidiccio con poche ciglia e la palpebra inferiore rivoltata » (p. 37). 20. G. Bufalino, Il malpensante, op. cit., p. 1060. 21. « L’insularità […] non è una segregazione solo geografica, ma se ne porta dietro altre : della provincia, della famiglia, della stanza, del proprio cuore », G. Bufalino, La luce e il lutto, ibid., p. 1141. 22. L. Sciascia, Pirandello e la Sicilia, op. cit., p. 25. 23. Voir p. 62, 69, 108, 112, 114, 118, 122, 124 et 131.

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24. « S’era ammazzata Stinca al carrubo, col cingolo del predicatore di Città che al carrubo aveva lasciato vita e peccato » (p. 169). 25. Stinca « da sé s’era ammazzata ora che non più Tano poteva farlo » (p. 19).

AUTEUR

MARGHERITA MARRAS Université d’Avignon

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“Né caccia, né fuga…”: techniche di seduzione secondo alcune voci giovani nella letteratura italiana degli anni’90 e 2000

Chiara Lombardi

1 In occasione di questo convegno sull’evoluzione dell’immagine della seduzione nella narrativa italiana dagli anni ’70 ai giorni nostri, ho scelto di parlare di alcuni romanzi scritti tra il 1991 e il 20041, ai quali non viene richiesto di costituire un “canone” di valore, ma solo di essere lo specchio – uno possibile – delle moderne immagini della seduzione e delle sue trasformazioni. In questo contesto, mi è sembrato interessante mettere in luce qualche costante – come il rapporto tra seduzione e scrittura, quest’ultima spesso intesa come forma di compensazione a un desiderio non pienamente realizzato – e anche alcune varianti, specie nel diverso approccio al tema da parte maschile e femminile. La lettura di questi romanzi, inoltre, permette di rispondere a una delle domande che ci sono state rivolte, cioè di considerare come la narrativa, soprattutto negli ultimi anni, tenti di suscitare nel lettore una forma di desiderio, o di dirigerlo verso l’accettazione di nuove forme letterarie che lo contengano2. D’altra parte, non è sempre facile vedere se e in quale misura l’espressione della seduzione provochi nel lettore uno sconvolgimento dell’“orizzonte d’attesa” tale da preludere a una possibile “risposta estetica”3.

2 Lo spunto di questa indagine nella letteratura contemporanea è stato un verso della Gerusalemme Liberata che riporta a uno dei momenti in cui Clorinda e Tancredi si incontrano – e, involontariamente, si seducono – prima che l’eroe cristiano uccida la sua avversaria, nonché la donna di cui è innamorato. Nel poema questo momento è preceduto da una serie di altri incontri, dove si svela la forza seduttiva della guerriera pagana e i suoi effetti sull’eroe cristiano. La prima volta Tancredi vede Clorinda a una fonte e se ne innamora, colpito dalla fronte che gli appare come unico elemento di nudità tra l’armatura: “Quivi, a lui d’improvviso una donzella / tutta, fuor che la fronte, armata apparse” (I, 47, 1-2). In un altro incontro, Clorinda va “all’assalto” di Tancredi, il

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quale, dopo un reciproco scambio di colpi, le rompe i lacci dell’elmo e lascia libere “le chiome dorate al vento sparse” (III, 21, 7). L’eroe resta immobile, si accontenta di guardare, non si decide neanche a dichiararsi. È poi l’arrivo di un guerriero cristiano a rompere l’indugio. Da lui ferita leggermente, Clorinda appare ancora più bella: il “bianco collo” è attraversato da “lievissima piaga” e “i biondi crini / rosseggiaron così d’alquante stille, / come rosseggia l’or che di rubini / per man d’illustre artefice sfaville”, III, 30, 3-6). Tancredi – ribelle per amore alla sua stessa fede – parte all’inseguimento del soldato cristiano, mentre la guerriera pagana “riman sospesa”, li guarda allontanarsi, non le interessa seguirli (“né seguir le cale”, III, 31, 3-4), ma si ritira tra quelli della sua parte per ricomparire talvolta per inseguire e difendersi: “or si volge or rivolge, or fugge or fuga, / né si può dir la sua caccia né fuga” (III, 31, 7-8).

3 Anche per i personaggi maschili e femminili dei romanzi contemporanei che prenderò in considerazione, la seduzione si può dire “né caccia né fuga”. Già la figura di Clorinda è ambigua, sia come oggetto di seduzione sia come parte attiva di essa (e ciò è evidente in tutte le corrispondenze metaforiche relative al suo ruolo di guerriera); ma l’ambiguità del personaggio che più o meno consapevolmente seduce diventa un espediente letterario centrale nelle tecniche di seduzione dei personaggi moderni. Inoltre, da un punto di vista formale, come nella Gerusalemme Liberata si trovano elementi polifonici e trasgressivi all’epica stessa4, così nei romanzi contemporanei incontriamo strutture epiche tradizionali all’interno delle quali prendono vita contenuti moderni e nuove modalità espressive5. Ad esempio, all’interno di uno schema epico tradizionale, la quest e il duello – ampiamente presenti anche nell’Orlando Furioso – diventano filo conduttore possibile di molti processi di seduzione. Nei romanzi contemporanei, essi assorbono le diverse modalità di rappresentazione del desiderio delineando un’imagery scritta da un linguaggio aperto anche ad altre forme artistiche (il cinema, il teatro, la musica, la danza…).

4 La maggior parte dei romanzi di Andrea De Carlo – come, del resto, quasi tutti i romanzi d’amore – ruotano intorno a una quest, messa in movimento da un incontro folgorante con una ragazza tanto bella quanto difficile e contraddittoria, che irrompe spesso in un momento di calma piatta o di insoddisfazione e rende possibile lo svolgimento della storia con tutti i suoi snodi. Il romanzo Di noi tre si apre con il nome di una ragazza, Misia Mistrani, il cui rilievo spicca già attraverso l’anacoluto: “Misia Mistrani l’ho conosciuta il 12 febbraio del 1978”. A partire da quel giorno, il romanzo si svolge per quasi vent’anni intorno alle peripezie di due amici – Livio (la voce narrante, aspirante pittore) e Marco (aspirante regista) – uniti dall’amore per Misia, “questa incredibile ragazza bionda” intravista da Livio la sera della sua laurea in Storia, in un finto pub inglese pieno di fumo, musica, umidità: Non c’erano molte possibilità di non notarla, anche nella densità estrema dell’aria e nel rumore grattato e martellato ai timpani: aveva quest’aria luminosa, questa naturalezza leggera, questo profilo teso e intelligente quando si girava verso qualcuno dei suoi amici per ascoltare o dire qualcosa o sorridere in un modo così non-affatturato da farmi quasi male al cuore. La sua luce speciale sembrava trasmettersi come un fenomeno elettrico alle persone che le stavano intorno, attraversava lo spazio pieno di gente fino a me che la guardavo a occhiate intermittenti dalla parete opposta; e c’erano altri sguardi nella ressa confusa, non facevano che accentuare il mio senso di mancanza e bisogno, consapevolezza intollerabile dei miei limiti. (p. 10)

5 A questa figura femminile sfuggente e incomprensibile sono consacrati tutto il tempo e lo spazio del romanzo: un tempo finalmente libero, attraverso la narrazione, di dare

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sfogo a quella tendenza che il professore di Storia rimprovera a Livio durante la discussione della tesi di laurea (“La storia è prospettiva. Non si può parlare di eventi di sette secoli fa come se fossero successi l’altro ieri e lei ci fosse stato in mezzo”, p. 9); uno spazio che si estende da Milano a Firenze, a Roma, dal Brasile alla Colombia, all’Argentina, passando per Zurigo, Londra e Parigi, le Baleari, e perfino per un piccolo paesino dell’Alta Provenza. Qui Misia si ritira per sfuggire ai ritmi delle città e per assecondare lo stereotipo di una vita bucolica e incontaminata (come Angelica tra i pastori…), e qui trascina i personaggi che a loro volta inseguono le intermittenze, le concessioni, le sparizioni, i colpi di testa (e di scena) creati dalla ragazza, tra stabili occasioni borghesi e desiderio di libertà che non trovano una possibile conciliazione.

6 Un altrettanto articolato percorso spaziale – molto più rapido, però, anche come durata della narrazione – contraddistingue la quest di Leopoldo, il protagonista del romanzo di Alain Elkann Una lunga estate, da quando incontra Nina: Una sera di giugno, in Piazza del Popolo, Leopoldo incontrò Nina, una donna bellissima, sensuale, che conosceva da anni, ma di cui sapeva poco. Aveva dei meravigliosi occhi verdi che potevano essere imprevedibilmente dolci, gelidi, intimidenti. Le poche volte in cui l’aveva vista gli era sembrata una gatta, sempre in fuga, misteriosa, abituata a lottare per raggiunge, da sola, una sicurezza che nessuno era mai stato in grado di darle. Uomini si diceva che ne avesse avuti molti, ma ogni volta li aveva lasciati. (p. 7)

7 Risulta chiaro come gli elementi più sfacciatamente seduttivi, in entrambi i romanzi, siano la bellezza e il mistero, la tendenza alla fuga, che rappresentano il motore dell’azione e, al tempo stesso, il suo ostacolo, in assenza del quale la narrazione non avrebbe ragione d’essere6. Tuttavia, mentre nel testo di De Carlo la seduzione di Misia si svolge per tutta la durata del romanzo senza che la ragazza si conceda al protagonista (ma solo all’amico, Marco, con cui rimane sposata per poco tempo), in Una lunga estate Nina si concede quasi subito, provocando così la necessità di nuove e diverse “tecniche di seduzione” per tenere avvinto spasimante e lettore senza generare un’immediata sazietà. All’inizio, le soluzioni adottate sembrano molto facili, sensibili a stereotipi e luoghi comuni. Leopoldo e Nina partono, si godono i piaceri di un soggiorno pieno dei più scontati vizi, indugiano quel tanto che basta per fare sospirare in poche pagine l’inevitabile unione, in un clima da Mille e una notte: La luna e le stelle, quella notte, erano così luminose da far sembrare tutto incantato. Nina era spensierata e sull’Ape a tre ruote verso casa, dette un bacio sulla guancia a Leopoldo e gli si strinse vicino. Poi scesero dall’Ape, Leopoldo la baciò sulla bocca e lei non oppose resistenza. A casa, salirono sul tetto a guardare le stelle. Era molto tardi quando i loro corpi accaldati e ubriachi si congiunsero. (p. 20)

8 L’ostacolo, però, sopraggiunge immediatamente: Verso l’alba Nina disse: “Mi dispiace, ma oggi arriva Taddeo. Non credo si fermerà a lungo. È geloso e stupido. Questa notte se l’è proprio meritata.” “Che cosa devo fare?” “Venire a dormire con me.” “E poi?” “Vedremo.” (p. 20)

9 Taddeo è sposato e, come tutti i personaggi del libro, non ha rapporti stabili; per questo non costituirebbe alcun vero problema per la donna, che sembra quasi disposta a convivere con entrambi per esaltare il proprio fascino. Eppure, se Nina adotta la tecnica di lasciarsi passivamente corteggiare, Leopoldo, invece, si allontana, stacca il cellulare e

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trascorre alcuni giorni in una specie di rudere abbandonato, consolandosi con il cibo, il vino, con i pescatori e i fumatori di Papastratos e con una sensuale cameriera greca, Irene, che ama ogni notte pur senza dimenticare Nina. E senza cercarla. Questa condizione di malinconico – ma non troppo spiacevole – isolamento è interrotto da una lettera di Nina, la quale comunica a Leopoldo la sua partenza per la Corsica, lanciandogli, alla fine, la più invitante e subdola esca (lo fa passare dalla parte del torto e lo lusinga al tempo stesso): “Perché invece di lasciarmi una lettera e fuggire, come se fossimo i protagonisti di un romanzo, non mi hai aspettata? Mi piaceva molto fare l’amore con te! Peccato! Nina” (p. 36).

10 La lettera di Nina fa scaturire l’inseguimento di Leopoldo lungo un percorso che si svolge parallelo a quello della donna per congiungersi con esso solo alla fine. Dopo la Corsica, infatti, Nina andrà a Parigi diretta a Tangeri, mentre Leopoldo partirà dal Pireo per Roma, arriverà in Corsica per poi dirigersi, ripassando un’altra volta per Roma, alla volta di Madrid e poi di Tangeri, dove finalmente rivedrà Nina. Il suo viaggio, però, pur nella ferrea volontà di ritrovare l’innamorata, si nutre di altri indugi più o meno piacevoli. Leopoldo scrive un articolo su Picasso, gusta le specialità di tutti i luoghi, si decide comunque ad inseguirla “forse più per gioco che per amore”, oppure perché, come è lui stesso a rivelare: “Nina è una donna bellissima e il mio sentimento per lei non ha limiti di tempo. O il nostro sarà un amore assoluto o non sarà niente…” (p. 57).

11 Senza dubbio, quindi, è Leopoldo a creare motivi di indugio, nella volontà di orchestrare quello che la stessa Nina aveva intuito: essere personaggi di un romanzo, sovrapporre arte e vita secondo un ideale romantico-decadente di cui il protagonista è il moderno – e, in fondo, ironico – rappresentante per tutto il tempo della storia, fino allo scacco finale e al dissolversi di quel clima di leggerezza tanto rarefatto ed estremo da sfumare con un sorriso e senza drammi. Infatti, la bella e corteggiata Nina befferà, proprio come l’Angelica del Furioso, tutti i suoi corteggiatori, prima sprofondando in un tattico coma (massima esasperazione della sua passività), poi rivelando di essere incinta dell’unico omosessuale del gruppo, il fascinoso fotografo Gérard.

12 Per molti aspetti, quindi, sembra che il personaggio contemporaneo patisca dello stesso male sofferto dall’artista Raphaël de Valentin in un episodio della Comédie Humaine di Balzac, La Peau de Chagrin, dove il protagonista, insoddisfatto di una vita oscura, in una società consumistica e feroce, riceve dal diavolo una pelle d’asino capace di esaudire tutti i suoi desideri, salvo restringersi ogni volta fino a sparire. Il desiderio, specie quello amoroso e sessuale, consuma con rapida avidità e ferocia la vita, che necessita così di essere ripercorsa e ricomposta attraverso la scrittura. Le “tecniche di seduzione” si confondono con le “tecniche narrative”, in un gioco di sospensioni e corrispondenze che sprofonda in una sorta di mise en abîme e che, al tempo stesso, costituisce una delle tentazioni più forti per gli autori contemporanei. Le “insufficienze” del rapporto uomo- donna (un sentimento non corrisposto, l’incomunicabilità, la distanza, il tradimento…) suscitano molteplici interrogativi, generano possibili blanks testuali 7 e rivelano il tentativo dell’ordito narrativo – frutto di quello stesso “pensiero narrativo” che sorge spontaneamente come proiezione e difesa, e vive di tali mancanze8 – di colmarli pur senza riuscirci completamente (anche perché, se ci riuscisse, il testo perderebbe ogni senso e valore). Ad esempio, come in Di noi tre l’innamoramento avrà come unico effetto quello di tradurre in atto le potenzialità artistiche dei due amici innamorati di Misia, in un altro romanzo di Andrea De Carlo, Tecniche di seduzione, la deludente vicenda narrata si traduce alla fine in quel testo che è appena stato offerto al lettore: “ho pensato che

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Polidori mi aveva fatto perdere una moglie e una innamorata e il mio primo romanzo, ma in cambio mi aveva lasciato abbastanza sentimenti scoperti da scriverne un altro, questo” (p. 355).

13 Tale percorso comporta, però, due rischi: 1) un’eccessiva e narcisistica identificazione tra autore e protagonista; 2) la produzione di una serie di stereotipi che finiscono con il ripetersi inaridendosi e perdendo suggestioni originali. Ho cercato, proprio per questo motivo, di individuare – nel controcanto di alcune scrittrici dello stesso periodo, quindi anche in un cambiamento di punti di vista – alcune possibili varianti a questo leit-motiv. Nel romanzo di Alessandra Montrucchio Cardiofitness, per esempio, si ripresenta la modalità dell’incontro con una persona di sesso opposto, la cui bellezza colpisce e irrompe in un momento di noia, insoddisfazione e squallore. Tra pizze e pomeriggi in centro con le tre amiche battezzate Charlie’s Angels, la storia della ventisettenne Stefania si incrocia con quella del quindicenne Stefano intravisto in palestra, spazio descritto come cornice privilegiata della quest e della seduzione: L’altissimo e magro si aggirava per la zona attrezzi con due manubri in mano, dando la schiena al vetro fumé. Aveva una nuca sottile, e la curva fra il collo e le spalle era la più delicata che Stefania avesse mai visto. (p. 18)

14 La prima fase della seduzione – tanto più inconsapevole ed eccitante per la giovane età del ragazzo – si gioca su un’immagine baluginante che fonde modelli narrativi tradizionali basati su curiosità e suspence con suggestioni e ritmi cinematografici, e non dimentica l’ironia con cui è scritto tutto il romanzo. La suspence non prevede altri commenti, ma l’azione riprende alla “moviola”, concentrandosi sui movimenti e sui discorsi oziosi delle ragazze nello spogliatoio. Solo più avanti si dice che, mentre le amiche passavano accanto alla zona attrezzi, “l’altissimo e magro si sollevò da una panca, posò il bilanciere che aveva usato e guardò Stefania” (p. 20). Il testo prevede un rientro maggiore rispetto a quelli di ogni capoverso, per isolare il cruciale momento che delinea, accanto alle caratteristiche fisiche, un’idea della personalità di Stefano: Anche Stefania lo guardò, e lui continuò a fissarla, senza timidezza e senza arroganza, finché non fu lei ad abbassare gli occhi. (p. 20)

15 A questo punto può sciogliersi la reticenza del testo. Mentre le amiche continuano i loro commenti sull’istruttore, “Stefania pensava agli occhioni stupiti e alla fronte spaziosa dell’altissimo e magro – e peccato che ci fosse un piccolo dettaglio che dava alle sue gambe tremolanti e al suo batticuore un che di allarmante” (p. 20).

16 La seduzione – concentrata sul “piccolo dettaglio” della nuca (la fronte di Clorinda…) – è iniziata. Ora comincia la quest, anzi, l’“Operazione Tendina” (così, infatti, Stefania ha soprannominato il ragazzino che l’ha colpita, per il modo in cui porta i capelli). Naturalmente, il fatto che sia una donna a condurre il gioco della conquista rovescia – anche se certo non costituisce un elemento di assoluta novità – i rapporti consueti e gli stereotipi della conquista. Ma è soprattutto la differenza di età ad accentuare questo rovesciamento di ruoli, e Stefania si presenta come un moderno Humbert Humbert perso nell’estasi di ogni movimento di Stefano-Lolita.

17 In seguito agli approcci di Stefania – diretti, coraggiosi, quasi sfacciati, ma che la distinguono dalle noiose e prevedibili ragazzine delle discoteche e dei Mc Donald’s – alla fine la conquista ha successo: Stefania e Stefano si baciano, si innamorano, fanno l’amore ed entrano in una specie di film, con tanto di didascalie e di colonna sonora, corrispondente all’intera durata del romanzo. Al termine del racconto, in un torrido luglio torinese, i due innamorati si trovano a discutere proprio sul finale e,

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inevitabilmente, sul legame tra la loro storia e la scrittura. Stefania, infatti, ha trasformato il loro amore in un romanzo che, a dispetto del soddisfacente andamento della storia e dell’happy ending, ora deve concludersi: A un certo punto si decide che una storia comincia lì. In quel momento e in quel posto. È più difficile stabilire quando e dove finirà, la storia. Spesso non finisce. Neanche questa storia finisce. Ma è una storia felice. Monotona da scrivere, noiosa da leggere, difficile da ricordare, e allora è meglio smettere di raccontarla. (p. 251)

18 … “Se non si vuole se non si sente se non si sanguina dal desiderio di farlo come si fa come si può scrivere se non si sente se non si vuole se non si ama scrivere quello che scrivere si deve come si…”, dice Aleté, la protagonista del romanzo di Chiara Gamberale Color lucciola (p. 71), prima di essere interrotta da Paolo/Orfeo, il ragazzo solitario e malato che lei – dotata del dono maieutico della verità (da cui il nome greco alethé) – dovrebbe fare guarire. Aletè è una verità che prescinde da ogni forma di letteratura, ma, al tempo stesso, sarà colei che, proprio attraverso una seduzione pregna di vitalità non soffocata da alcun sapere, guarirà Orfeo restituendogli la gioia di vivere e la possibilità di scrivere, di dare vita al romanzo di Ruggero e Sofia. Aletè, inoltre, rovescia le modalità consuete di rappresentazione della seduzione, prima tra tutte la passività, la tendenza alla menzogna e l’elusività. Eppure, riesce ad accrescere il proprio fascino in modo ancora più efficace: “Ti avverto che sarà difficile che io riesca a raccontarmi senza metafore.” “Sai una cosa? Metafora è una di quelle parole che sento e ti dirò di più, usi spesso, senza però aver mai avuto voglia di sapere l’esatto significato…” (p. 119)

19 Aletè, infatti, gioca e seduce con la metafora senza conoscerla, ma con la felice consapevolezza che essa “allontana dalla verità delle cose”, e implicitamente la trasferisce nel testo, a sua volta seduttivo perché ricco di simboli quasi magici e di elementi figurali.

20 Come abbiamo visto, quindi, più o meno tutte queste tecniche di seduzione si manifestano nel corso una quest. Alcune di loro, invece, culminano in un duello. È il caso del romanzo di C. Alessandra, Skill, tutto dedicato al gioco virtuale e al percorso di preparazione di un giovane eroe, Skin, prima delle finali del campionato del mondo. Campione indiscusso, superbo e dannato – vive di succo d’arancia e di beveroni ipercaffeinati, sniffa cocaina come se fosse spray per il raffreddore, alterna hamburger e coca-cola ai sashimi di balena, calma la tachicardia con quantità industriali di tavor e si sfoga con le porno-biondine che gli piombano tra le braccia nelle suite degli alberghi di lusso – Skin sarà vinto dalla ragazza di cui è innamorato, Kina, con la quale conduce una sfida virtuale all’ultimo sangue – moderna e capovolta riscrittura, in questa specie di epopea futurista, del duello tra Tancredi e Clorinda: La mappa ha le sfumature del tardo pomeriggio. Un tramonto sintetico colora le colline di sfondo. […] Con tono sensuale Kina sussurra: – Skin, ti piace il mio costumino da squaw? – Poi spara una bordata che mi trancia di netto il braccio sinistro. Quaranta meno. Entro nel saloon. Mi sposto dietro il bancone del bar e raccatto la Colt. Salgo al primo piano, esco da una finestra e mi lancio. Atterro in piedi. Meno venti per cento punti-vita. Rientro alla porta, Kina è di spalle. Le sparo due colpi alla testa. Frag. […] Lei ha effettuato il respawn.9 Non la vedo. Devo stare attento e distrarla, mi restano solo quaranta punti-vita. Passo rasente ai muri. Non riesco a focalizzare dove si sia appostata, da dove abbia sparato. La traiettoria è precisa, il proiettile mi fora il polpaccio. Meno venti punti. […]

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Lei mi lascia fare qualche passo in avanti poi spara dritta. Al cuore. Respawn. Le do la caccia per tutta la mappa. La vedo sparire, sparire. Il massacro diventa sistematico. Dentro e fuori dai fabbricati. Nei sentieri ocra che si tingono di carminio. Rosse le sfumature del tramonto. Dentro e fuori. Sono sotto di due frag. Sono in un bagno di sudore. Le tempie mi martellano. Ho la mascella talmente contratta da non riuscire a deglutire. Silenzio nell’arena silenzio nella mappa. Il vento artificiale mi ondeggia nei capelli. Meno cinquanta secondi. Tempo di gioco. Prendiamo la mira simultaneamente. Tempo. Mio. Spariamo. La manco. Mi centra. […] – Game over! (pp. 170-171) Le Printemps adorable a perdu son odeur ! 10

21 Se consideriamo nel loro complesso questi romanzi – che costituiscono soltanto in minima parte l’orizzonte letterario italiano sul tema della seduzione negli ultimi anni – si può notare come spesso il desiderio prenda forma con tanta efficacia che il lettore non può non esserne contagiato. Pensiamo al momento del primo bacio tra Stefania e il quindicenne Stefano in Cardiofitness: Stefano dovette interrompersi, perché Stefania lo aveva preso per la nuca e lo stava baciando. Lei. per alcuni istanti, Stefano rimase mummificato e con la bocca chiusa; poi percepì il caldo umido delle labbra di lei, il suo corpo al di là dei vestiti, e proprio quando Stefania stava per lasciarlo le andò incontro, aprì la bocca e la baciò. Lui. “Ma di quanto sei cresciuto, da quando ti conosco?” gli chiese Stefania non appena si staccarono per riprendere fiato. “Due o tre centimetri, penso. Perché?” “Devo stare quasi sulle punte per baciarti, sai? Guarda.” Stefania incollò di nuovo la bocca alla sua, e Stefano si sentì incendiare da una vampata di desiderio e intraprendenza […]. (p. 115) oppure al primo incontro d’amore di Roberto e Maria in Tecniche di seduzione: Maria ha tirato delle tende blu e mi ha guardato, e l’ho abbracciata di nuovo, siamo caduti sul letto e ci siamo rotolati stretti, ci siamo baciati e strusciati come se volessimo mangiarci, impazienti di eliminare le stoffe che ci coprivano e percorrere con le mani ogni avvallamento di pelle nuda. E quando ho finito di toglierle tutto di dosso sono rimasto paralizzato a vedere così da vicino le sue forme molto più dolci di come sembravano sotto i vestiti e di come mi ricordavo a teatro: il bianco morbido del suo collo e dei suoi seni e della sua pancia, delle sue cosce e dei polpacci e delle caviglie sottili e dei piedi. […] Poi ho allungato una mano a carezzarle un seno, e mi sono chinato a baciarglielo, e tutto il tempo ero consapevole del suo sguardo, delle sue labbra dischiuse e del ritmo del suo respiro; del suo odore leggero di miele e di pane appena sfornato e di sudore dolce da leccare […]. (p. 201)

22 D’altra parte, ci si deve domandare se una più efficace “risposta estetica” possa essere suscitata nel lettore da testi come questi o da altri meno indulgenti ad assecondare una rappresentazione esplicita e – per certi aspetti – prevedibile e stereotipata del desiderio e della seduzione. In questa direzione va, ad esempio, la raccolta Ragazze che dovresti conoscere. The sex anthology, dove, però, la seduzione tra uomo e donna appare

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annientata in quasi tutti i racconti, a vantaggio di un’idea di morte e di violenza che occupa pressoché tutto l’immaginario possibile del desiderio. Si tratta di “disorientamento” o di gusto perverso di “stupire”? Forse è meglio che domande come questa restino aperte, anche in attesa che, col tempo, si possa guardare a testi così vicini a noi con occhio più obiettivo.

NOTE

1. A. De Carlo, Tecniche di seduzione, Milano, Bompiani, 1991; Di noi tre, Milano, Mondadori, 1997; A. Montrucchio, Cardiofitness, Venezia, Marsilio, 1998; C. Gamberale, Color Lucciola, Venezia, Marsilio, 2001; A. Elkann, Una lunga estate, Milano, Bompiani, 2003; C. Alessandra, Skill, Torino, Einaudi, 2004; AAVV, Ragazze che dovreste conoscere, Torino, Einaudi, 2004. All’edizione di questi testi si farà riferimento in tutte le citazioni. Molti di questi romanzi – in particolare quelli di De Carlo e della Montrucchio – sono stati tradotti in Francia, Inghilterra, Germania. Cf. M. Barenghi, Oltre il Novecento. Appunti su un decennio di narrativa, Milano, Marcos y Marcos, 1999; L. Beatrice, Stesso sangue. DNA di una generazione, Roma, Minimum Fax, 1999; V. Spinazzola, Tirature 2000. Romanzi di ogni genere. Dieci modelli a confronto, Milano, Il Saggiatore, 2000. 2. Per una più estesa analisi del desiderio e della seduzione in rapporto alla società e all’arte, cf. A. Carotenuto, Riti e miti della seduzione, Milano, Bompiani, 1994; S. Zizek, Il godimento come fattore politico, Milano Cortina, 2001; C. Dumoulié, Il desiderio. Storia e analisi di un concetto, Torino, Einaudi, 2002; M. Senaldi, Enjoy! Il godimento estetico, Roma, Meltemi, 2003. 3. Mi riferisco all’estetica della ricezione e agli studi di W. Iser, L’atto della lettura. Una teoria della risposta estetica, trad. it. di R. Granafei, Bologna, Il Mulino, 1987; H. R. Jauss, Estetica della ricezione, trad. it. di A. Giugliano, Napoli, Guida, 1988; Perché la storia della letteratura?, trad. it. di A. Varvaro, Napoli, Guida, 1989. 4. Osserva Sergio Zatti: «il poema cristiano edificato sulla restaurazione dell’epica antica e, più ambiguamente, sulla contestuale negazione del romance, inaugura in effetti un nuovo tipo di “romanzo”, quello dell’introspezione psicologica e della polifonia sentimentale, quello del forte, moderno rilievo dei personaggi» (S. Zatti, «Epos, romance, novel: conflitto di codici e trasformazioni di “genere”», Le immagini della critica, a cura di V. Olivieri, Torino, Bollati Boringhieri, 2003, pp. 135-159, p. 145). 5. Cf. R. Barilli, «L’epica della discoteca», Precisione e imprecisione (Tabucchi, Del Giudice, De Carlo), Torino, Testo e Immagine, 2000, pp. 109-113. 6. Il formalista russo Viktor Sklovski parla, per le narrazioni tradizionali, di costruzioni “a gradini”, “ad anello”, oppure “a nodo”. E spiega quello che ci può sembrare ovvio, ma che rappresenta il punto di convergenza tra motivazioni psicologiche e testo: “La descrizione di un amore felice e corrisposto non crea una novella, o anche se la crea, ciò è soltanto perché la si percepisce sullo sfondo tradizionale delle descrizioni di un amore ostacolato”. Infatti “la costruzione di una novella richiede non solo una azione, ma anche una contrazione, una cera mancanza di coincidenza. Questo imparenta il “motivo” con il tropo e il calembour” (V. Sklovski, «La struttura della novella e del romanzo», I formalisti russi. Teoria della letteratura e metodo critico, a cura di T. Todorov, con pref. di R. Jakobson, Torino, Einaudi, 1968 e 2003, pp. 207-229, pp. 208-209).

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7. Spesso il testo cerca di ricomporre tali interrogativi senza, però, riuscire a trovare e a dare delle risposte. Cf. W. Iser, Asimmetria tra testo e lettore, in L’atto della lettura. Una teoria della risposta estetica, op. cit., pp. 241-262, pp. 246 sgg. 8. Cf. A. Smorti, Il pensiero narrativo, Firenze, Giunti, 1994; A. Smorti (a cura di), Il Sé come testo: costruzione delle storie e sviluppo della persona, Firenze, Giunti, 1997. 9. Cioè la “resurrezione” del personaggio all’interno del videogioco, una sorta di “seconda vita”. 10. C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, LXXX.

AUTORE

CHIARA LOMBARDI Università di Torino

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Uto le séducteur (sur un roman d’Andrea De Carlo)

Étienne Boillet

1 L’objet de cette communication est de présenter un roman d’Andrea De Carlo publié en 1995, en centrant notre analyse sur le thème de la séduction, porté par le personnage éponyme de ce roman, autodiégétique1 puisqu’il est à la fois protagoniste et narrateur.

2 Son histoire est la suivante : Uto, dont le nom de famille est Drodenberg, est un pianiste de dix-neuf ans exceptionnellement doué, ce que ne laisse pas forcément deviner son apparence, puisqu’il a surtout l’air d’un jeune marginal, voire d’un jeune délinquant, avec ses habits de cuir et ses cheveux jaunes et hérissés. La mère d’Uto l’envoie passer quelque temps aux États-Unis, à la suite du décès de son beau-père, qui s’est suicidé en faisant exploser tout son immeuble, qu’il croyait vide à ce moment-là, mais qui en fait ne l’était pas complètement. Uto se retrouve donc dans la communauté où vit l’une des amies de sa mère, Marianne, avec son fils de quatorze ans Giuseppe et avec son compagnon Vittorio Foletti, qui est peintre et qui a lui-même une fille, Nina, un peu plus âgée que Giuseppe. La communauté dans laquelle vit cette famille recomposée s’appelle Peaceville et s’organise autour d’un chef spirituel qu’on appelle le Swami, ou, de manière moins exotique, le gourou. Toutefois, il ne s’agit pas exactement d’une secte, étant donné que chaque famille vit la plupart du temps seule chez soi, que les préceptes du gourou n’ont apparemment pas valeur de commandements, et qu’il ne semble pas se produire à Peaceville les dangereuses dérives habituelles au sein d’autres communautés. Si Uto est envoyé par sa mère dans la famille Foletti, dont les quatre membres vivent apparemment en harmonie entre eux et avec les autres habitants de Peaceville, c’est parce qu’il ne parle plus à personne depuis le suicide de son beau-père, et que le fils biologique de celui-ci le déteste, justement parce qu’il pense que c’est à cause de lui que son père s’est tué. Mais, de façon il est vrai assez prévisible, Uto et ses habits de cuir noir ne se fondent pas dans le paysage enneigé du Connecticut. Ce sont au contraire les membres de cette famille semble-t-il équilibrée qui évoluent peu à peu sous l’influence du nouvel arrivant. Les relations du couple formé par Marianne et Vittorio se détériorent à mesure que ressort la nature profondément sanguine,

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sensuelle et matérialiste de ce dernier, tandis que Nina est séduite par Uto et que Giuseppe est également fasciné par ce nouveau modèle qui s’offre à lui2.

3 Du point de vue formel, le récit est raconté à la première personne par Uto, mais il se singularise par des passages en italique où la narration passe de la première à la troisième personne : Uto, personnage extrêmement soucieux de son image, se décrit alors de l’extérieur, semblant concevoir sa vie comme une mise en scène précise et réussie. Le récit d’Uto commence d’ailleurs par une de ces visions, où le protagoniste se décrit lui-même à la troisième personne, et se met à imaginer le crash de l’avion qui l’emmène en Amérique : Uto Drodenberg. Uto Drodenberg morto. Uto Drodenberg morto nella neve, sbalzato fuori dall’aereo andato a pezzi : abbandonato sulla schiena con un filo di sangue a un angolo della bocca ma non sfigurato, una specie di soggetto da romanzo illustrato dell’Ottocento3.

4 On notera que la comparaison avec un héros du dix-neuvième siècle, récurrente par la suite et justifiée ici par l’esthétisme morbide de cette rêverie, relie le personnage aux romantiques, aux dandys et aux décadents de cette époque, ce qui d’emblée donne à son charme une certaine profondeur et place par ailleurs le personnage dans une situation de passivité, puisqu’il apparaît au lecteur comme un jeune homme qui imagine la vision de son propre corps inerte.

5 Mais surtout, par ce procédé narratif qui s’adapte à la personnalité d’un personnage totalement absorbé par son sens de la théâtralité, ce qui suppose qu’il imagine toujours se produire devant un public, réel ou non, qu’il doit fasciner, nous nous rendons compte qu’avant même la rencontre entre Uto et Nina (la jeune fille de la famille), la question de la séduction apparaît comme un phénomène total qui dépasse le seul domaine amoureux. En outre, étant donné qu’Uto apporte son propre désir de mort dans une famille apparemment idéale et qu’il n’a aucunement l’intention de se laisser convertir aux valeurs prétendument positives et optimistes qu’on entend lui inculquer, il faut ajouter que la notion de séduction, appliquée aux faits et gestes du protagoniste, va de pair avec celle de subversion (de l’ordre établi) et celle de pouvoir (à conquérir).

6 Ainsi, la relation amoureuse qui s’établit entre Uto et Nina ne concerne qu’une seule des modalités de la séduction dans le roman. En effet, Uto ne séduit pas seulement Nina : il exerce aussi son charme, ou son charisme, sur Marianne et sur Giuseppe, avant de conquérir la communauté de Peaceville tout entière. Sur les vingt-six chapitres du roman, tous assez courts, seuls six sont principalement consacrés à des moments qu’Uto passe avec Nina. En revanche, ce qui fait ici la particularité du traitement de cette thématique de la séduction amoureuse, c’est qu’elle est indissociable de l’attention que le protagoniste accorde à sa propre image. Uto, qui ne parle que des sensations et non des sentiments que lui inspire Nina, se comporte avec elle comme il le fait avec les autres, c’est-à-dire qu’il cherche à se voir de l’extérieur, ce qui ne va pas sans une sorte de conflit intérieur entre ce sens de la théâtralité et l’abandon à l’instant présent. On comprendra, de ce fait, qu’Uto ne maîtrise que l’image et non la parole. Ainsi, il commente en ces termes ses « techniques de séduction », pour reprendre le titre d’un autre roman de De Carlo : « Non ero mai stato molto bravo ad attaccare bottone con le ragazze; tutto quello che riuscivo a fare era lavorare alla mia immagine, diventare più interessante e suggestivo che potevo » (p. 72).

7 Cette primauté écrasante de l’image sur la parole peut amener à parler à son propos de séducteur post-moderne, ou tout du moins d’un séducteur produit par la société de

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l’image, un séducteur pour qui la vie se transforme sans cesse en une mise en scène comparable à celles qu’offre le cinéma, ou un concert, voire une publicité ou un téléfilm, pour ce qui est des faits et gestes quotidiens de la famille Foletti. Juste après la phrase que nous venons de citer, on peut lire : « Sono sceso dietro di lei per le scale, le ho guardato il sedere magro sotto la stoffa dei calzoni; dopo i primi gradini guardavo me dal di sotto per capire che effetto facevo visto dal soggiorno4 ».

8 Mais si Uto est un séducteur de type passif, bien différent de l’archétype du séducteur donjuanesque, il n’en reste pas moins que, d’une part, pour Uto, le rapport à l’autre, quand il ne prend pas la forme d’une rébellion silencieuse, est un rapport de séduction, et que d’autre part, la séduction est pour lui le moyen d’une conquête. La thématique de la séduction amoureuse fait partie d’un tout (le rapport à soi, au monde et aux autres qu’entretient Uto en général, dont l’évolution constitue l’intrigue du roman), et elle se mêle aux autres thématiques liées à la séduction dans un sens plus général, à savoir le rapport entre séduction et subversion et entre séduction et pouvoir.

9 Dans quelle mesure pouvons-nous parler de subversion ? En fait, l’influence d’Uto sur Nina, la fille de Vittorio, et sur Giuseppe, le fils de Marianne, crée ou plutôt fait émerger des tensions au sein de la famille : entre Vittorio et Marianne, mais aussi, de manière plus difficilement perceptible, entre Nina et Marianne, entre Giuseppe et Vittorio. Uto finit par subvertir un système qui fonctionnait bien avant son arrivée, et cela, après l’avoir soigneusement analysé et avoir imposé aux autres l’évidence de sa supériorité, qui repose d’après lui sur le regard critique qu’il porte sur lui-même : « Io sto zitto a guardare e ascoltare ; mi vergogno per loro, per la loro mancanza di spirito critico e di senso dell’umorismo, la loro incapacità di vedersi dal di fuori » (p. 39).

10 La métaphore du virus, non seulement sous-jacente, mais aussi employée explicitement par les protagonistes5 et par De Carlo lui-même pour présenter son livre sur son site Internet, est alors intéressante, car elle s’accompagne d’un réseau de valeurs indiscutables : du côté du positif, se trouvent la vie, la santé, le normal ; du côté du négatif, se trouvent la mort, la maladie, le pathologique. Or, Nina est anorexique, ce qui, dans le roman, est bien évidemment symbolique d’un refus du monde qui l’entoure et d’une incapacité à s’accepter soi-même. Mais l’influence du « virus » Uto a paradoxalement sur elle un effet thérapeutique, puisqu’elle reprend du poids et des formes : le pathologique redevient normal, la menace de mort redevient envie de vivre. Alors, Uto est-il sain, voire saint, comme Marianne semble le penser de plus en plus fort, ou malsain, comme l’affirme Vittorio avec de plus en plus de rancœur ?

11 Pour Nina, sa fréquentation est saine, pour Vittorio, c’est tout le contraire : tout bascule quand le peintre, après avoir assouvi son désir de manger de la viande rouge (poussé par Uto, qui prétend être en manque de viande, à tel point qu’il se sentirait vidé de son sang, « dissanguato » comme il le dit [p. 220]), puis bu beaucoup d’alcool et tenté de séduire trois jeunes filles dans un bar enfumé, frappe ensuite violemment deux chasseurs qui ont tué un renne6. À partir de ce moment, Vittorio commence à détruire l’édifice matériel et moral qu’il avait construit, par exemple en mettant en pièces devant Uto les guitares qu’il avait patiemment fabriquées lui-même. Mais cette destruction, matérielle et morale, est-elle vraiment un événement malheureux ? Vittorio n’était-il pas trop foncièrement étranger à l’atmosphère spirituelle de Peaceville ? Il le dit lui-même à Uto : È che sono fatto così, Uto! Sono la persona sbagliata per questo posto! Forse anche una brutta persona in assoluto! Posso provarci quanto voglio, ma non c’è niente da

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fare! Sono violento e attaccato alla materia come pochi, Uto! Mi piace mangiare e mi piace bere e mi piace scopare, e se trovo un bastardo di cacciatore di cervi gli spacco la faccia! E mi va benissimo così, se vuoi saperlo! MI VA BENISSIMO COSÌ! (p. 241)

12 À l’instar de l’amour et de la vie, la vérité apparaît comme une valeur en elle-même, plus forte que les valeurs parfois hypocrites de la communauté : Uto guérit Nina grâce à l’amour, et précipite la chute de Vittorio en le forçant à voir sa vraie nature. Ce n’est donc pas lui qui est sain ou malsain.

13 Mais surtout, l’œuvre de séduction opérée par Uto, avant d’être saine ou malsaine, est une lutte pour le pouvoir engagée contre Vittorio, le seul qu’il ne cherche pas à séduire. Ce n’est pas par rapport à un véritable système moral, mais par rapport au fait que le système familial est dominé par Vittorio, que la séduction d’Uto est destructrice ou subversive. En séduisant Nina, en se faisant admirer par Giuseppe et aussi par Marianne7, Uto essaie d’une certaine manière de renverser l’ordre établi en se hissant à la place du chef de famille occupée par Vittorio. Le schéma œdipien se répète ainsi une nouvelle fois dans le roman, puisque Uto avait quitté Milan après le meurtre symbolique de son père symbolique, c’est-à-dire le suicide de son beau-père. Lorsque Vittorio finit par quitter Peaceville, c’est donc comme si Uto tuait le père une deuxième fois, à ceci près que cette fois-ci il prend sa place sans être contraint à quelque exil ou autre forme de castration symbolique que ce soit (bien au contraire, comme nous allons le voir en commentant la fin du roman).

14 Après avoir montré que la séduction dans ce roman est un phénomène total, qui ne se limite pas au seul domaine amoureux, et que sa dimension subversive se juxtapose aux mécanismes d’une pure et simple lutte pour le pouvoir menée contre une figure paternelle, il convient maintenant de se demander ce qu’est le profit de la séduction. Qu’est-ce qu’Uto prend ou donne aux autres en les séduisant ? Une première réponse consisterait à privilégier la conquête féminine comme objet final de la séduction : l’amour de Nina, et même de Marianne, en un certain sens, ou la jouissance possible du corps féminin, constituent ce qui motive Uto et ce qu’il obtient en prenant symboliquement à Vittorio sa femme et sa fille, « le sue donne » comme Uto le dit lui- même, désignant ainsi la nature primaire, fondée sur la domination, des rapports entre les personnages.

15 Cela dit, en évoquant le baiser échangé avec Marianne, nous avons suggéré que l’importance du pouvoir l’emportait chez lui sur celle de la jouissance. Ce qu’Uto conquiert avant tout, par la séduction, c’est la place du chef, ce qui est d’autant plus vrai à la fin du roman. En fait, cette fin se déroule en deux temps. D’abord, Uto part avec Vittorio couper du bois pour une vieille dame de la communauté. Uto, qui d’habitude ne fait rien, demande la tronçonneuse à Vittorio. Il glisse et se coupe profondément au bras, et le roman atteint alors une sorte d’apogée négatif : un apogée de la tension qui menace de détruire l’harmonie de la famille de Marianne. Mais il se produit ensuite un renversement tout aussi net que cette blessure était brutale : après avoir été le virus qui attaque la communauté, Uto s’y impose comme son guide spirituel, à la suite d’une cérémonie où, devant tous les membres de la communauté, il défait son pansement et agite sa main et son bras que l’on croyait paralysés par l’accident. En réalité, Uto avait retrouvé l’usage de son bras depuis quelques jours, mais il n’en avait rien dit à personne, si bien que son geste apparaît comme un miracle, tout comme le fait que la vieille Sarawasti se lève juste après de son fauteuil roulant, elle qui était paralysée depuis longtemps, à la suite du décès de son mari. Seul le gourou n’est

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pas dupe, mais avant de mourir, il confie à Uto que celui-ci a bien fait de simuler un miracle, et il lui déclare qu’il a maintenant trouvé son successeur : Uto devient le nouveau gourou, chef et père à la fois8.

16 Mais Uto, s’il devient l’homme le plus puissant, devient aussi un homme plus complet. D’une part, il accède à la dimension du sacré, tel un martyr christique transcendé par son sacrifice. D’autre part, son statut de gourou lui permet d’établir aussi le contact avec l’autre, avec la réalité, contact qui lui manquait au début, comme il le déclarait : Tendo a fare così con tutto, se ci penso : a orientare ogni mio gesto e parola in base a un sistema di riferimenti visuali come un marinaio senza carte nautiche che si regola in base alle stelle. E lo faccio per un pubblico, ma non è rilevante che ci sia davvero una folla a guardarmi ; mi sembra di essere sempre sotto gli occhi di qualcuno, in qualunque luogo e in qualunque momento, non ho pause per lasciarmi andare. È come se avessi il mio pubblico incorporato, critico e concentrato fino allo spasimo, attento a ogni minima sfumatura, pronto a perdere interesse e annoiarsi e fischiarmi al primo cedimento. (p. 149)

17 Alors qu’il ne laisse jamais les autres le déchiffrer, Uto avoue notamment à Marianne que ce qu’elle croit être chez lui un don, la faculté de déchiffrer les autres, est en fait une maladie (« malattia » est bien le mot qu’il emploie) : « Forse viene dal fatto che fin da bambino sono sempre stato fuori luogo. Non c’è mai stato verso di nascondermi nel gruppo. Potevo solo stare fuori dalle cose a registrarle » (p. 146).

18 Uto n’est ni actif ni productif, car l’espace qui l’entoure ne l’intéresse qu’en tant que scène, et les personnes qui l’entourent ne l’intéressent que comme public. En dehors de cette configuration, il n’arrive pas à établir de relations entre le monde et lui, et ses mains hypersensibles ne semblent faites que pour le piano, au contraire de Vittorio qui sans cesse caresse, saisit ou travaille les objets. C’est pourquoi la séduction n’est pas qu’une conquête de l’autre pour Uto, mais aussi une quête de soi-même à travers l’autre : l’abandon à l’instant, au désir de l’autre et au contact physique avec l’autre sont des objets à conquérir, au-delà de l’ascendant exercé sur la personne séduite. Uto a conscience d’être prisonnier de la maîtrise totale de sa propre image et il formule dans son récit, de façon certes assez vague, le souhait de s’en libérer, en s’exprimant une nouvelle fois à la troisième personne et à propos d’un moment passé avec Nina : « Dovrebbe seguire l’istinto e seguire la corrente, lasciarsi cadere dentro questo momento senza preoccuparsi affatto dello spazio tra prima e dopo e tra quando e quanto e tra semplice e complicato, tra immaginato e fatto. Dovrebbe esserci » (p. 159). C’est en devenant le gourou de Peaceville que Uto trouve enfin sa place, et que ses rêveries exprimées dans les passages à la troisième personne se réalisent concrètement, ce qui explique la fin de l’histoire, ou plutôt l’arrêt du récit, qui n’a plus lieu d’être, pour le narrateur Uto.

19 Mais toute l’ironie du roman vient du fait que la réalisation de cette conquête de soi, à travers une conquête du pouvoir qui passe par la séduction, se produit justement à Peaceville. En effet, bien que la relation entre le virus Uto et l’organisme de la communauté semble s’affirmer finalement comme une interaction bénéfique aux deux entités, il serait erroné d’interpréter le dénouement du roman comme une apologie du système social sur lequel repose Peaceville. Certes, au contact du groupe, Uto change et apprend. Certes, l’histoire du roman est celle du passage d’un premier équilibre, dominé par le Swami et Vittorio, à un second équilibre, dominé par Uto. Mais la conclusion du récit, quand Marianne raconte, dans une lettre à la mère d’Uto, l’avènement de celui-ci à la tête de la communauté, n’en est pas moins chargée d’une

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ironie objective, que provoque l’accumulation de tous les détails ridicules parsemant la vie de la communauté9. Finalement, par le truchement d’Uto, l’individualisme parvient à s’imposer au sein d’une collectivité qui voudrait l’effacer.

20 L’individu à la tête d’un groupe qui nie l’individu : à l’intérieur des structures sociales et spatiales assez simples du roman, c’est ce type de dualisme subtil qui en fait tout l’intérêt, car d’une part les oppositions ne sont ni manichéennes ni figées, et d’autre part ces oppositions mettent toujours en valeur le protagoniste, puisque ce dernier en est toujours un des termes : Uto et la communauté de Peaceville, Uto contre Vittorio, Uto (qui a trois ou quatre nationalités) opposé à l’incertain Jeff-Giuseppe, pris entre son identité italienne et son identité américaine, Uto et le gourou qu’il admire (malgré leurs différences) pour son indéniable charisme.

21 Ainsi, à l’intérieur d’un roman aux structures assez simples pour paraître proche de l’apologue et de la fable, le double événement final, de la blessure et de la consécration d’Uto, constitue une chute surprenante, qui complexifie la signification d’ensemble plus qu’elle ne la réduit. Ce n’est d’ailleurs pas seulement le dénouement du roman, ainsi que son sens général, qui sont mis en valeur par cette simplicité des structures. Le personnage d’Uto est le premier à en profiter. En premier lieu, il est mis en valeur par les diverses antithèses dont il est l’un des termes, et qui bénéficient elles aussi de la simplicité des structures pour acquérir de la force : il en est ainsi de l’opposition très nette des couleurs que sont le blanc de la neige, le noir des vêtements d’Uto (alors que tous les habitants de Peaceville s’habillent de vêtements aux couleurs pastel), symbole de sa dimension destructrice, le rouge du sang, qu’il s’agisse du sang carnassier qui circule dans les veines de Vittorio, ou du sang réellement versé, celui des deux chasseurs, sur l’asphalte noir d’un parking, ou celui d’Uto, sur la neige blanche de Peaceville. Bien sûr, le personnage se singularise également par la situation narrative particulière, qui donne à voir aussi bien son détachement et sa capacité d’analyse, dans sa description de la famille Foletti et de Peaceville, que son étonnant égocentrisme théâtral, dans ses descriptions de lui-même à la troisième personne. Il apparaît donc comme un personnage très réussi : une sorte de séducteur post-moderne, d’abord parce qu’il ne vit que comme image, dans une logique où l’extérieur a pris le pas sur l’intérieur, ensuite parce que la société où il poursuit, sans vraiment y réfléchir, sa quête du pouvoir à travers la séduction, est bien celle de la civilisation occidentale, qui, s’interrogeant sur son individualisme et son matérialisme, s’estime arrivée à une impasse, mais adhère finalement à la mise en place d’une organisation des plus archaïques. Une organisation où l’individualisme s’impose au sommet d’un système qui voudrait le nier : un paradoxe subtil, qui justifie à lui seul la lecture d’Uto d’Andrea De Carlo.

NOTES

1. Selon la taxinomie proposée par G. Genette, Discours du récit, dans Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 253.

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2. Au cours du colloque, il a été remarqué que la situation d’Uto rappelait celle du protagoniste de Teorema (le film et le livre) de Pasolini. C’est tout à fait exact, même si ces deux jeunes gens, ainsi que l’environnement, nouveau pour eux, où ils évoluent, présentent de notables différences. Aussi peut-il être judicieux de comparer les deux œuvres, pour faire ressortir l’écart existant entre deux auteurs et entre deux époques, ainsi qu’entre deux manières de se situer, par rapport à des idéologies, ou, de manière plus générale encore, par rapport à la sphère du politique. L’analyse, d’ordre surtout anthropologique, qui en découle, ne nous semblait toutefois pas compatible avec les limites naturellement imposées par le thème et la longueur de notre exposé. 3. Uto, Milan, Bompiani tascabili, 1999, p. 15. Uto a été publié chez Bompiani en 1995. Nous citons dans cet article l’édition de poche « Bompiani tascabili ». Les citations de cette édition seront suivies du numéro de page dans le corps de l’article. 4. Ibid. Ce mouvement du regard, qui va du désir de l’autre au désir narcissique de soi, se retrouve dans les autres passages où les deux jeunes gens se rapprochent l’un de l’autre. Ainsi, quand Nina vient parler à Uto, attirée par la musique étonnante qu’il réussit à tirer du piano (p. 106-108) ; puis quand ils s’embrassent fugitivement dans un bois, après être allés aider une habitante de Peaceville, paralysée dans son fauteuil roulant ; enfin, quand ils s’embrassent plus langoureusement, dans la cuisine de la maison (p. 206-210). 5. Par Vittorio vers la fin du roman (p. 289 : « È una specie di virus, il tuo angelo »), quand il ne peut plus supporter Uto, mais aussi par Uto lui-même (p. 65 : « Mi muovevo attraverso questo teatrino per rappresentazioni famigliari come un virus attraverso un organismo sano addormentato »). 6. Ces deux chasseurs sont d’ailleurs des jeunes gens qui viennent rejoindre les jeunes filles du bar, ce qui souligne le côté primaire de cette scène de violence, comme si la jalousie de ne pas posséder ces femmes était une motivation latente de la rixe. 7. Avec laquelle se tisse une relation ambiguë, qui débouche sur un baiser que s’échangent les deux personnages, ce qui procure à Uto une sensation grisante, de pouvoir plus que de plaisir, décrite dans un passage à la troisième personne (p. 301-303). 8. Il ne fait aucun doute qu’Uto s’empare de la place du chef, ou même de celle du père. Marianne elle-même, dont la voix représente pour le lecteur celle de toute la communauté, compare le Swami à un père pour les habitants de Peaceville, qui se sentent un temps orphelins après sa mort, avant d’accepter la consécration d’Uto comme un événement écrit depuis toujours. 9. Notamment quand Marianne termine sa lettre de la manière suivante : « Om shanti om. Kaliani (Marianne) » (p. 334).

AUTEUR

ÉTIENNE BOILLET Université de Poitiers

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Feinte séduction et autoréférentialité : les romans d’Andrea De Carlo

Franco Manai

1 La littérature italienne des années 1980 et 1990 est caractérisée par une accélération du processus d’abandon de thématiques liées à des problèmes et à des questions spécifiquement italiennes, et par l’affirmation d’une écriture qui se veut moins provinciale. D’une certaine façon, s’accomplit le processus amorcé après la seconde guerre mondiale, grâce à l’engagement d’intellectuels comme Pavese, Vittorini, Calvino. Mais il s’agit en réalité d’un accomplissement bien différent des intentions propres à cette époque.

2 Il convient de rappeler que ce changement de route fut appréhendé dès ses débuts entre les années 1970 et 1980 et défini par le terme de « reflux ». Environ entre les années 1980 et 1990 allait s’ajouter une autre étiquette, pour compléter le tableau de cette perte du caractère provincial : la « globalisation ». En réalité, l’impression générale est plutôt celle d’un provincialisme littéraire qui reflète d’ailleurs la triste réalité politique et économique. En effet, si l’Italie confirme sa place de périphérie de l’empire, absolument dénué d’autonomie politique et économique, il n’y a pas de raison que sa littérature, et de façon plus générale son art, cinéma y compris, exprime autre chose.

3 Si, au cours des années 1960-1970, une longue vague de la contestation était arrivée du centre de l’empire pour revêtir en Italie et en Europe une densité politique et sociale originale (grâce à la diffusion simultanée de la contestation ouvrière), au cours des années 1980-1990 les mots d’ordre importés furent « dérégulation » et « privatisation ». Martelés férocement par tout le système d’élaboration du consensus, de concert avec la communication télévisée qui s’imposait comme outil charnière de formation et d’information, ces principes entrèrent puissamment en jeu, se mêlant aux instances progressistes dominantes de la période précédente avec des résultats destructeurs.

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4 La littérature a fait de son mieux pour s’adapter à cette nouvelle grande vague. Le modèle divertissement/consolation – dont s’était déjà appropriée la télévision en le développant à une puissance autrement supérieure – a également été adopté par les écrivains italiens, probablement convaincus d’avoir ainsi accès à un public plus étendu. Là aussi furent adoptés certains mots d’ordre propres à la phase précédente particulièrement mouvementée, en particulier ceux de « transgression » et d’« anticonformisme ». Une fois transformés en inoffensives étiquettes à la mode, ils purent également contribuer à la vente de romans comme on le ferait pour un nouveau jean ou un maillot de bain, ou encore une voiture ou un nouveau type de compte bancaire. Le thème de la séduction constitue un excellent indicateur de cette tendance générale et c’est ce que nous aimerions développer dans cet article.

5 Pour illustrer ce qui, selon nous, a été le parcours général de la culture italienne entre les années 1970 et nos jours, nous avons choisi deux écrivains fortement représentatifs de deux moments différents : l’un – Pier Paolo Pasolini –, pour son prestige et sa notoriété, certes violemment discutés, mais acquis aussi bien en Italie qu’à l’étranger ; l’autre – Andrea De Carlo –, pour son succès incontestable auprès du public, là encore en Italie comme à l’étranger.

6 Teorema1 fut ébauché en 1966, en même temps que l’ensemble des œuvres théâtrales de Pasolini2, et conserve la structure théâtrale tant dans la version cinématographique que dans la version littéraire. Le film fut ensuite tourné et sortit en 19683, peu après le livre.

7 Le train-train quotidien, solidement organisé en apparence, d’une famille de la haute bourgeoisie milanaise, est bouleversé et subverti par l’arrivée d’un Hôte, qui en peu de temps couche avec la domestique, le fils, la fille, la mère et le père. Tout comme il est arrivé, l’Hôte repart, mais la vie de la famille ne retrouve pas le statu quo ante. Pour chacun de ses membres, la rencontre avec l’Hôte a été une expérience renversante, après laquelle il n’est plus possible de reprendre le cours des choses comme si rien ne s’était passé. L’Hôte a exercé à leur encontre une œuvre de séduction qui respecte le sens étymologique du terme : celui d’éloigner, séparer de tout ce à quoi on était attachés auparavant.

8 Cette révélation de l’Hôte est silencieuse – on pourrait dire purement négative. Précisément comme dans la meilleure tradition de la théologie négative, elle tire sa vigueur non d’une énonciation positive, par la force limitée des choses, mais de tout ce qu’elle ne dit pas. L’irrésistible puissance attractive de l’Hôte tient essentiellement à sa nature même, au fait qu’elle existe tout simplement, ou, comme le disait Pasolini, dans le scandale de sa beauté4.

9 Trois caractéristiques fondamentales sont attribuées à l’Hôte : immédiateté, disponibilité, autonomie. Sa tranquille assurance, sa capacité à se maîtriser et à maîtriser le temps, sont représentées par exemple lorsqu’il dort sereinement et attire irrésistiblement la passion du jeune Pietro ; lorsqu’il lit, allongé dans le jardin, et éveille le désir désespéré d’Emilia ; ou bien lorsqu’il conduit, heureux, et pousse Paolo, le Père, à le caresser tendrement. Cette autonomie tranquille n’est ni pose théâtrale ni solipsisme autistique. À la caresse de Paolo, il répond par un sourire reconnaissant, suivi d’une scène d’amour ; à la course désespérée d’Emilia vers le gaz il accourt plein d’égards, et s’ensuit une scène d’amour ; à la tremblante exploration nocturne de Pietro il se réveille, puis vient une scène d’amour.

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10 Suivant les propos mêmes de l’auteur, on parle en général de Teorema comme la représentation de l’impact du sacré lorsqu’il fait irruption dans la plate réalité bourgeoise, laquelle, par nature, lui est parfaitement étrangère.

11 Le rapprochement avec le sacré est omniprésent dans l’œuvre de Pasolini et s’articule sur deux niveaux. D’une part, il y a le rapprochement avec la tradition catholique comme élément constitutif de l’identité culturelle des masses paysannes italiennes, dont la disparition accélérée est au cœur de l’œuvre pasolinienne, dans une sorte de plainte élégiaque. D’autre part revient de façon obsédante la méditation sur le sacré en tant que tel, c’est-à-dire sur le sens du divin, du transcendant, qui a marqué et marque l’expérience existentielle de l’homme dans les conditions historiques et sociales les plus diverses. Il suffit par exemple de penser à la réélaboration du mythe de Médée5, avec au début les grandes scènes de sacrifices humains dans la Colchide, et à la fin la mort de la nouvelle épouse de Jason, survenue grâce aux artifices de Médée, à ses dons magiques et religieux, à son pouvoir sacerdotal. Bref, l’apparition du thème du sacré n’est pas dans Teorema quelque chose d’impromptu ou d’inusité, exactement comme pour le thème de la séduction. L’histoire de Médée est en fait par excellence une histoire de séduction : ici s’accomplit la séduction du profane sur le sacré. Dans Teorema, au contraire, on a la séduction du sacré sur le profane. Et les effets en sont tout aussi négatifs. Après la connaissance (au sens biblique) de l’Hôte, le microcosme bourgeois bien ordonné se délite complètement.

12 La mère, Lucia, s’adonne à la quête désespérée de jeunes hommes pouvant lui rappeler d’une certaine façon l’Hôte disparu.

13 Pietro abandonne la maison de famille, se retire pour vivre dans un atelier d’artiste au centre ville et se lance furieusement dans la création d’œuvres d’art, ne rencontrant que les pires déceptions. Il en vient à uriner sur ses œuvres, dans lesquelles il ne parvient à représenter qu’une absence, celle de l’Hôte.

14 La fille, Odetta, finit à l’asile, réduite à l’état de larve, plongée dans une sorte de contemplation immobile et stupéfaite du vide, avec comme unique, absurde, manifestation de volonté son poing serré frénétiquement autour du vide, de l’air capturé en effleurant l’image de l’Hôte sur une photo.

15 La bonne, Emilia, quitte elle aussi la famille, pour retourner dans sa maisonnée de la plaine. Le père, Paolo, s’attache également à rechercher désespérément un remplaçant à l’Hôte disparu. À la gare centrale de Milan, il tente d’approcher un jeune homme, peut-être un ouvrier, ou un chômeur, mais au moment de le suivre dans les toilettes pour un rapport sexuel anonyme, du type de ceux de Lucia avec des jeunes gens rencontrés dans la rue, Paolo est comme ébloui par une fulguration. Au milieu de la foule ébahie, il ôte ses vêtements pour se retrouver entièrement nu et commence sa marche dans le désert, traînant péniblement ses pieds brûlés sous le soleil ardent. Il a donné son usine aux ouvriers, ce qui provoque perplexité et commentaires6.

16 À travers la fantasmagorie de l’opposition entre sacré et profane, perdition et miracle, mise en œuvre par la séduction de l’Hôte dans la première partie, Pasolini affronte donc une série de problèmes cruciaux pour la société contemporaine7. Il représente en toute conscience ce qui se passait au centre de l’empire, mais il le fait à partir d’une position concrètement européenne, et italienne avant tout.

17 Teorema est un livre de littérature « moche » mais, que l’on me pardonne le jeu de mots, de grande littérature. Pour rester dans l’univers pasolinien, la « saleté » qui le compose

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fait penser aux films de la trilogie de la vie (Decameron, Racconti di Canterbury, Il fiore delle mille e una notte), où des acteurs recrutés dans la rue sont doublés par d’autres acteurs venus également de la rue, avec cette accumulation d’inexpérience professionnelle comme puissant facteur d’étrangeté et d’antiréalisme.

18 Pasolini montre qu’il est à des années-lumière de toute tentation expérimentale ; mais ses exigences communicatives, liées à une implacable envie d’approfondir la connaissance, ont donné naissance à un livre destiné à continuer à agir comme un vif ferment littéraire et culturel. Andrea De Carlo donne un exemple tout à fait opposé de la façon de concevoir et pratiquer la littérature, en particulier le roman. Et cet exemple nous semble vraiment significatif, dans la mesure où le succès de De Carlo auprès du public, datant de son premier roman, Treno di panna, s’est confirmé sans discontinuer depuis lors, en faisant de lui un auteur absolument significatif8.

19 L’univers fictionnel de De Carlo est entièrement dominé par un point de vue exclusivement adolescent, nourri de mythes souvent d’une désarmante naïveté, conforme à une confiance aveugle en ces concepts que nous avons évoqués au début de cet article : anticonformisme, sincérité, spontanéité, naturel, beauté, fascination, mystère, liberté et évidemment, par-dessus tout, amour. Plus que par les thèmes, le caractère adolescent est donné par le tissage même de l’écriture qui concerne essentiellement la catégorie de l’apparaître. Non seulement les personnages de De Carlo sont obsédés par leur apparence – nous le verrons un peu plus loin – mais la technique narrative elle-même, les figures stylistiques affichées, focalisent précisément l’attention sur l’apparence. Ce qui est typique chez De Carlo (et en cela il est très proche de son contemporain Daniele Del Giudice9), c’est la reprise d’une technique propre aux minimalistes américains et à l’école du regard, celle de la caméra : c’est pourquoi la modalité narrative dominante est la description. Le mode est l’indicatif, le temps est le présent. Les dialogues, martelés par de continuels « dico », « dice » – chacun d’eux pouvant être répété cinq ou six fois de suite –, perdent toute possibilité d’épaisseur dramatique, pour s’uniformiser eux aussi sur le principe de la description : tout est saisi dans le moment de l’apparition et devient dès lors objet d’évaluation10.

20 Dans un contexte de ce genre, comme cela est d’ailleurs prévisible, les figures de la séduction sont absolument dominantes et reviennent avec une régularité constante.

21 Que la séduction ait une place de choix dans la fantaisie créatrice de l’auteur, on en a la confirmation par un roman de 1992, Tecniche di seduzione. Roberto Bata, journaliste pour un quotidien milanais et aspirant écrivain, rencontre à une fête le célèbre écrivain Marco Polidori, qui, après avoir lu l’un de ses manuscrits inachevés, invite Roberto à venir à Rome afin qu’il termine son roman en s’éloignant de l’étouffante routine milanaise.

22 Non seulement le texte fourmille de moments de séduction, mais il est aussi riche (et inégal) sur le plan des techniques de séduction. Après avoir joué un rôle de sulfureux Méphistophélès à l’égard d’un Roberto vraiment peu faustien, Polidori l’éduque sur la façon de conquérir la belle Maria Blini. En bon pédagogue, il lui apprend d’abord la théorie, à savoir que pour se lier durablement à une personne, il ne faut pas lui donner de certitudes et n’être joignable qu’occasionnellement, de façon habilement dosée, avant de passer à la pratique, en ne permettant pas à Roberto de le trouver lorsque ce dernier le cherche.

23 Nous sommes ici, c’est évident, au niveau de la psychologie pour revues féminines, mais sans la finesse qu’on trouve souvent dans leurs pages. Le fait est que même dans ce

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roman, comme dans Arcodamore et dans Uccelli da gabbia e da voliera, le point de vue central est celui d’un adolescent moderne, ou postmoderne, dont l’imaginaire est dominé par une mythographie inspirée des bandes dessinées et de la télévision, ou par un sens du surhumain digne des romans-feuilleton : le rêve à réaliser est celui du grand geste, de l’exhibition théâtrale qui arrache les applaudissements à un public omniprésent et idéal. Pour conquérir définitivement Roberto, Polidori se fait accompagner en avion et le pousse à sauter en parachute, bien qu’il n’ait aucune préparation et soit mort de peur. Et, au beau milieu de profondes dissertations sur la vie et la mort (en passant par le suicide), le célèbre écrivain sort un pistolet chargé et le montre à son disciple effrayé, comme preuve de domination et de maîtrise de la vie. Goût du risque, émotions fortes, courage, mépris du danger, femmes et pouvoir : il ne manque rien. Et qu’il s’agisse d’idoles polémiques, de la représentation erronée d’une façon de concevoir la vie et les rapports humains, cela n’allège en rien la banalité de la mise en scène.

24 De Carlo n’aime pas le non-dit, et il ne résiste pas à la tentation d’esquisser une sorte de définition de la séduction à travers les réflexions de Roberto, qui se demande à quoi tient le secret de l’irrésistible attraction que Polidori exerce sur les femmes (ici aussi, c’est « dis-moi ton secret » : on a l’impression d’être dans un talk-show télévisé) : Mi chiedevo cosa esattamente le intrigava [les amies de Polidori]; e più della sua fama e delle sue capacità artistiche mi sembrava che fosse il suo interesse senza fine per le donne: la curiosità quasi ossessiva che impregnava i suoi romanzi come i suoi sguardi, arrivava al bersaglio anche attraverso una semplice fotografia. (p. 131)

25 C’est un peu comme si on identifiait la séduction dans l’acte de tendre un miroir où le « séduit » se voit non pas comme il est, mais comme il voudrait être, avant même d’apparaître ainsi aux yeux du séducteur. Et en fait ne sont séduits que ceux qui étaient déjà fermement décidés à l’être, et même ceux qui en ont besoin pour leurs desseins plus ou moins nobles. Dans le cas présent, Roberto voit en Polidori la réalisation possible de son rêve placé dans un tiroir (car nous en sommes là, à un rêve dans un tiroir), et il se jette à corps perdu dans l’aventure, espérant en recueillir quelque chose. Ainsi Polidori exerce-t-il la séduction de l’homme à succès dont le contact peut de toute façon être avantageux ou utile. Cette « séduction de filou » est utile à Roberto. À la fin, tel Renzo chez Manzoni (si infima licet…, le personnage fait le point sur ses aventures et se demande ce qu’il a appris : « [Polidori] mi aveva fatto perdere una moglie e una innamorata e il mio primo romanzo, ma in cambio mi aveva lasciato abbastanza sentimenti scoperti da scriverne un altro, questo » (p. 355). Le lecteur apprend ainsi ce qui est utile pour écrire un roman : des sentiments dévoilés.

26 Quelques années après Tecniche di seduzione, De Carlo revient sur le lieu du crime et en commet un autre, cette fois encore moins pardonnable, car on sent de près le modèle pasolinien dont nous avons parlé au début de cet article : Teorema. Dans Uto, un jeune Italien de dix-neuf ans est envoyé par sa mère dans une famille qui vit à Peaceville, une localité isolée du Connecticut où s’est établie une communauté d’adeptes d’un vieux gourou indien. La famille est composée du père, Vittorio Faletti, célèbre peintre au passé turbulent, de la mère, Marianne, une Allemande qui a longtemps vécu en Italie, de Nina, dix-sept ans, fille de Vittorio et de sa première femme, et enfin de Giuseppe, quinze ans, fils de Vittorio et de Marianne. Voyons comment l’auteur lui-même présente le roman sur son site web : Un ragazzo cattivo che suona il piano come un dio viene spedito da sua madre presso una famiglia di amici che vive in una comunità spirituale negli Stati Uniti. Ha

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l’effetto di un virus in un organismo sano, e provoca reazioni a catena. Riflessioni sulle famiglie e sulle comunità, sulla spiritualità, la vita di ogni giorno, i ruoli, i miracoli. Sperimentale e sfaccettato, un romanzo cubista11.

27 L’analogie avec Teorema est assez évidente de prime abord. Au bout d’un bref laps de temps, le jeune Uto perçoit déjà de la part de Marianne, femme mûre et encore belle et vive, un intérêt érotique à son égard, et il finit par faire l’amour avec Nina qui a presque le même âge que lui. Le plus jeune Giuseppe est entièrement fasciné et subjugué par le nouveau venu et il finira par calquer son comportement sur ses enseignements. Le père, Vittorio, est lui aussi à sa façon sous le charme de ce jeune homme, mais il y réagit d’abord par le défi, une confrontation pure et dure entre hommes, puis il saisit l’occasion pour récupérer sa vraie nature, brimée seulement en apparence et pour ainsi dire réprimée par l’acceptation des règles de vie communautaire imposées par Marianne : il quittera sa famille et Peaceville et reprendra probablement sa précédente vie de débauché. Si l’on considère que, chez un auteur comme De Carlo les excès pasoliniens seraient impensables, tout comme le serait une quelconque allusion à l’homosexualité et au sexe en général, la filiation au modèle est sûre. Et ce qui est d’autant plus évident et symptomatique du climat culturel différent dont nous parlions au début de cet article, c’est la réduction de l’horizon intellectuel global, et par conséquent le scénario de la représentation artistique. Si, dans Tecniche di seduzione, la cible polémique était le fameux écrivain Polidori, dans Uto elle est encore plus facile à détecter. La famille Foletti apparaît dès le départ comme une composition artificielle, fondée sur une acceptation acritique de règles de vie factices basées sur une bonté forcée. La sérénité derrière laquelle la famille et toute la communauté se retranchent avec fierté apparaît comme une surface sous laquelle s’agitent des tensions latentes. En outre, toute la construction de Peaceville est clairement basée sur le privilège économique garanti par les grosses entrées d’argent de certains membres, qui rendent possible le maintien d’un niveau de vie élevé, et donc la préservation d’un havre de paix qui ne peut exister qu’en ignorant le monde réel.

28 Or, de graves problèmes se profilent à l’horizon, comme le confirme l’anorexie dont souffre la jeune Nina. Tant et si bien que le séducteur parvient à déstructurer un ordre qui est déjà en soi chancelant. Contrairement à ce que dit De Carlo dans le résumé cité, le jeune Uto, le séducteur désigné, n’est pas du tout « méchant », et n’agit pas du tout « comme un virus dans un organisme sain ». L’organisme, on l’a vu, n’est pas des plus « sains », et Uto est un garçon avec ses problèmes qui, propulsé dans un monde qui n’est pas le sien, cherche quand même à survivre en conservant son identité. C’est précisément cette cohérence avec lui-même qui touche profondément la famille faussement heureuse en la faisant sortir de rails déjà mal joints. Par rapport au schéma de Teorema, cependant, il y a un autre grand écart – ce que l’on pourrait peut-être considérer comme un éclair d’originalité. À la fin, le séducteur devient le séduit : le mécanisme de la séduction révèle sa nature ambiguë d’arme à double tranchant. Entre Uto et le swami, le vieux gourou indien, centre spirituel de la communauté de Peaceville, se crée une tension particulière dans une double direction : le swami agonisant désigne Uto comme son successeur à la tête de la communauté, et Uto accepte12.

29 À la fin, Uto est donc celui qui a subi les plus grandes transformations. Après avoir abandonné ses habituels vêtements noirs, il a commencé à revêtir des tuniques aux couleurs pastel typiques du swami et de la communauté, même s’il y ajoute le port du pantalon et de chaussures de jogging. Il ne teint plus ses cheveux et a ôté ses lunettes

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de soleil afin de pouvoir regarder chacun dans les yeux. Il adopte en public des discours qui persuadent même les plus sceptiques, du fait qu’ils viennent d’un illuminé, et au piano il exécute de bon gré des airs légers de Mozart, au lieu de l’ardent Tchaïkovski avec lequel il avait séduit son auditoire la première fois. Bref, c’est la métamorphose totale d’un individualiste extrême, mi-punk mi-hard rocker, en gourou entièrement dévoué à la communauté qu’il dirige. À y regarder de près, cependant, la portée de la métamorphose est vraiment plus limitée, si l’on considère que la position de nouveau gourou fait ressortir la composante exhibitionniste présentée d’emblée comme centrale dans la personnalité du jeune Uto, pas vraiment « méchant » et, depuis le début, loin d’être insensible aux problèmes des autres.

30 Quoique exténué par les répétitions incessantes de mots et de concepts, de figures rhétoriques et de style, le lecteur pourrait croire au bout du compte que toute l’histoire est ironique, à commencer par l’univers édulcoré de Peaceville, la famille Foletti, et Uto (première ou seconde version) : mais sans compter que le registre de l’ironie est absolument inconnu de De Carlo, toutes les indications du texte conduisent à estimer qu’il s’agit d’un texte terriblement sérieux. Au contact du monde clos de Peaceville, Uto en a absorbé les valeurs positives, présentes, et a mûri, apportant à la communauté un vent frais sans doute à même d’améliorer sensiblement la façon de vivre communautaire. C’est dans cette direction que tend la structure fermée du livre, qui commence et finit par les lettres des deux amies, Marianne et Lidia, la mère d’Uto.

31 Avec Uto, De Carlo aboutit donc à un renversement total de la littérature telle que la pratiquait Pasolini, une littérature ouverte, contradictoire et problématique. Le déferlement de la vague séductrice n’a lieu qu’en fonction de l’apaisement final, qui confirme et sanctionne l’ordre social et idéologique. Si pour Pasolini, nous avons pu conclure que nous nous trouvions face à une littérature « moche », mais de haut niveau, avec De Carlo on ne peut que constater le renoncement à toute épaisseur littéraire et la pratique d’une formule industrielle : formule conforme aux mécanismes de la production de masse, vouée à satisfaire les exigences de la consommation au détail, dépourvue de toute instance critique et cognitive – instance que nous persistons à considérer comme un élément constitutif et indispensable de la pratique littéraire et artistique.

NOTES

1. On peut le lire dans P. P. Pasolini, Romanzi e Racconti, sous la direction de W. Siti et S. De Laude, Milan, A. Mondadori, 1998, p. 891-1067. 2. Calderòn, Affabulazione, Pilade, Porcile, Orgia, Bestia da stile. Affabulazione présente notamment des personnages, des thèmes, des situations, des structures très semblables à ceux de Teorema, qui sont traités de façon bien plus transgressive. Lire E. Golino, Pasolini: il sogno di una cosa: pedagogia, eros, letteratura dal mito del popolo alla società di massa, Bologne, Il Mulino, 1985, p. 151-153. 3. Pierpaolo Pasolini (metteur en scène), Teorema, Rome, Aeros films, 1968.

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4. « Nella confusione […] fa la sua apparizione, ora, il personaggio nuovo e straordinario del nostro racconto. Straordinario prima di tutto per la bellezza: una bellezza così eccezionale, da riuscire quasi di scandaloso contrasto con tutti gli altri presenti. […] La sua presenza lì, in quella festa assolutamente normale è dunque, quasi di scandalo: ma di uno scandalo ancora piacevole e carico di benevola sospensione ». P. P. Pasolini, Romanzi e racconti, op. cit. p. 905-906. 5. On peut le lire dans P. P. Pasolini, Il Vangelo secondo Matteo; Edipo re; Medea, Milan, Garzanti, 2002. 6. Le problème est en particulier posé de savoir si une telle aliénation ne peut être vue comme le triomphe dernier et définitif de la bourgeoisie, qui transforme les ouvriers en bourgeois, en finissant par une homologation de toute la société. Après avoir éliminé le monde paysan, en effaçant les bases structurelles de son existence et en réduisant sa culture à une épave sans avenir, la bourgeoisie réduit définitivement même le dernier antagonisme survivant, celui de la classe ouvrière, en lui inculquant ses misérables valeurs et en la contaminant de ses intérêts les plus mesquins. 7. Ce n’est pas un hasard si Teorema naît au retour d’un voyage effectué aux États-Unis, plus précisément à New York, qui fut pour lui une expérience fondamentale. Si, dans le projet d’origine, la scène devait être située justement dans la métropole américaine, il est hautement significatif que le choix définitif ait été Milan, la ville la plus moderne et internationale d’Italie. Voir E. Siciliano, Vita di Pasolini, Florence, Giunti, 1995, p. 408. 8. Nous donnons ici une liste des romans d’Andrea De Carlo : Treno di panna, Turin, Einaudi, 1981 ; Uccelli da gabbia e da voliera, ibid., 1982 ; Due di due, Milan, Mondadori, 1989 ; Tecniche di seduzione, Milan, Bompiani, 1991 ; Arcodamore, ibid., 1993 ; Uto, ibid., 1995 ; Di noi tre, Milan, Mondadori, 1997 ; Nel momento, Scrittori italiani, ibid., 1999 ; Pura vita, ibid., 2001 ; I veri nomi, ibid., 2002 ; Giro di vento, Milan, Bompiani, 2004. Dans l’article, nous ferons référence à ces éditions en indiquant seulement le numéro des pages. 9. D. Del Giudice, Lo stadio di Wimbledon, Turin Einaudi, 1983 ; Atlante occidentale, ibid., 1985. Voir les observations de R. Ceserani, Il romanzo sui pattini, Ancône-Bologne, Transeuropa, 1990, p. 91-93. 10. L’attention accordée aux vêtements des protagonistes, mais aussi des personnages que ces derniers rencontrent, ou encore aux modèles et aux marques des voitures qui apparaissent dans les différentes histoires, est également teintée de mythologie adolescente. On pourrait penser à une représentation critique d’un des aspects les plus compromis de la société de consommation contemporaine, mais la récurrence de cette attention morbide, l’absence totale d’ironie chez De Carlo, et surtout la relation de cet élément avec la technique de la caméra, poussent plutôt à y voir un syndrome d’intériorisation absolument acritique d’un des éléments les plus caractéristiques de la vision du monde dominante en cette civilisation occidentale moderne. 11. A. De Carlo, Andrea De Carlo. Sito Ufficiale (2004). . 12. Uto est encore une fois l’incarnation d’un rêve d’adolescent. Comme Fiodor dans Uccelli da gabbia e da voliera, il a vécu dans divers pays et parle couramment trois ou quatre langues. Il joue du piano « comme un dieu », il a évidemment à son actif de nombreuses expériences, et a beaucoup lu, chose rare pour un garçon de cet âge. Il s’est construit un personnage avec des vêtements rigoureusement noirs, des bottes de moto, des lunettes de soleil toujours sur le nez comme pour créer un écran entre le monde et lui. Le drame familial, dont la mère est convaincue qu’il fallait l’éloigner, est celui du suicide de son beau-père, avec lequel il ne s’était jamais entendu, et qui s’est tué de façon dramatique et démentielle, par le gaz, en provoquant l’explosion de son immeuble et la mort de nombreuses autres personnes. Comme tous les personnages de De Carlo, sans distinction, Uto est constamment concentré sur lui-même et attentif à son apparence extérieure, à la façon dont les autres le voient et à l’impression qu’ils en retirent.

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AUTEUR

FRANCO MANAI University of Auckland

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La “seduzione della letteratura” in Roberto Cotroneo e Andrea De Carlo

Enza Biagini Sabelli

La seduzione è solo l’odore della seduzione, senza più sostanza, l’erotismo una leggera parvenza, come mettersi un profumo. DANIELE DEL GIUDICE, Com’è adesso, in Mania,Torino, Einaudi, 1997, p. 49. Si può scrivere una lettera in forma di libro per spiegarti un piacere, quello della lettura? La risposta è nell’esistenza di questo libro: che è un modo un po’ diverso per raccontarti la storia della coccinella […]. L’epilogo non te l’anticipo, Francesco. Ti dico solo che sarà un racconto, una fiaba. Ti racconterò di un vegliardo, di un castello, di tanti personaggi che stanno seduti ad ascoltare una straordinaria lezione sulla letteratura, sul mondo, e sul mondo della letteratura. Certamente non si tireranno le somme, in letteratura le somme non esistono […]. Tutto rimane ambiguo, tutto scorre. ROBERTO COTRONEO, Se un mattino d’estate un bambino. Lettera a mio figlio sull’amore per i libri, Roma, Frassinelli, 1994, pp. 5, 13. Quando Tecniche di seduzione è uscito molti mi hanno chiesto se era una storia vera, nel senso di successa a me. La seconda domanda era: chi è Polidori? Alcuni avevano suggerimenti pronti, nomi di scrittori famosi con cui avrei potuto avere a che fare. È una delle reazioni che provoca un romanzo nel senso che la sua storia è immaginaria. Anche Polidori è un personaggio

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immaginario. Il suo nome l’ho preso da quello del medico personale di Byron, che aveva pubblicato a suo nome la storia di Dracula che Byron, Shelley, Mary Shelley e altri amici avevano inventato in alcune sere nebbiose sul lago di Lugano. Mi colpiva l’idea che una storia di vampiri fosse stata a sua volta vampirizzata da qualcuno per ricavarne gloria e fama, anche se in modo effimero. ANDREA DE CARLO, Tecniche di seduzione [1991], Torino, Einaudi,

1 2001, p. VI.

“Il patto con il serpente”

2 “Il n’est point de serpent ni de monstre hideux / qui par l’art imité ne puisse plaire aux yeux”. Questi celebri versi di Boileau, che hanno la prerogativa di illustrare un’idea, tutto sommato, desueta e stigmatizzante di quanto si può intendere per “seduzione della letteratura”, possono qui servire da falsariga ad una riflessione che, per vie diverse, finirà comunque per incrociare le tracce del tradizionale “patto con il serpente”. Il serpente è simbolo seduttivo dell’immaginario e il terreno artistico entro il quale agisce, in virtù dell’antico patto, per modalità e per storia, è praticamente esteso quanto il fare artistico; perciò i due esempi scelti – il romanzo di Roberto Cotroneo Se un mattino d’estate un bambino. Lettera a mio figlio sull’amore per i libri e Tecniche di seduzione di Andrea De Carlo – servono in qualche modo a segnare dei limiti forzosi intorno ad alcuni aspetti recenti del tema.

3 Ma innanzi tutto, dando per acquisito il famigerato “patto con il serpente” che, in epoche diverse da quelle di pratica generalizzata della seduzione, ancora attuali, ha attribuito poteri seduttivi alla letteratura (suscitando censure e formule motivanti di riparazione quali l’“utile dulci”, il docere delectando…), ha un senso tornare ad interrogarsi sull’idea della seduzione letteraria? Chi esalta ancora il potere suggestivo e magico della parola (“Je dis une fleur…”), chi parla di “poesia per sé” , di “romanzo puro”? Oppure chi censura e condanna il potere perverso della letteratura, di se- ducere, cioè sviare e quindi traviare? E su chi avrebbe ancora presa tale potere seduttivo, tale barthesiano “piacere del testo”? Su chi fa letteratura? Su chi la legge?

4 Ho parlato di idea desueta, pensando non solo alla natura invasiva1 delle forme moderne e postmoderne di seduzione, per cui quasi appare fuori corso l’equivalenza arte = seduzione, ma piuttosto perché mi è sembrato significativo che uno scrittore come Italo Calvino, nell’illustrare, da par suo, le “qualità” della letteratura da consegnare al nuovo millennio (nelle Lezioni americane), non vi abbia fatto il minimo accenno diretto. Il suo silenzio parrebbe avvalorare uno stato di crisi o un oblio, magari per eccesso, del famoso “patto con il serpente”2. Eppure, a parlare è un autore che, senza ombra di dubbio, si può collocare nel novero degli scrittori tra i più seducenti – seduttori della letteratura (e da questa sedotto). Questo per dire che se è vero che Calvino non menziona la “qualità seduttiva” per illustrare i cardini della propria idea della letteratura, è altrettanto vero che, da scrittore, egli l’ha praticata continuamente, rappresentandola; seguendo, cioè una tradizione che è largamente diffusa. Ma non è

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alle forme della seduzione “rappresentate” nel romanzo e nella letteratura (attraverso descrizione di temi, scene o atti di seduzione erotica, figure di seduttori e seduttrici celebri per bellezza, per fascino, ecc.) che conviene rivolgersi, per rispondere alla domanda che desidero porre, ma piuttosto alle forme che più o meno esplicitamente recano tracce, riflessive o tematiche, dei segni dell’antico (?) potere seduttivo della letteratura.

5 Gli aspetti interessanti in questi due romanzi di Cotroneo e di De Carlo, per certo, non si richiamano ai trascorsi esempi di esplicita esaltazione del “patto con il serpente”; esempi che, per altro, hanno segnato anche la fine dei rimproveri di condannevole lusinga, di falsità, di artificio e menzogna nei confronti della letteratura (e i nomi da citare in tal senso sarebbero fin troppi: da Marino a D’Annunzio, da Moravia a Manganelli a Gadda, a Volponi, a Arbasino, a Sanguineti ma anche da Poe a Mallarmé, a Valéry , a Zanzotto, alle avanguardie e alle neo-avanguardie…); tuttavia, questi due testi recano, in modi diversi, anche le tracce di una tradizione che continua a rappresentare la letteratura come “attrazione fatale” (alla maniera di Mario Praz, per intendersi)3.

Cotroneo e l’illusione romanzesca come seduzione

6 Ho parlato di una scelta di esempi in cui l’idea della letteratura che seduce compare in forma tematizzata. Se un mattino d’estate un bambino… di Cotroneo, infatti, a più livelli, da quello letterale a quello simbolico, intreccia diversi motivi riconducibili al tema della seduzione della letteratura, passando attraverso la griglia più attuale del “piacere della lettura”. Infatti, come indica il sottotitolo del romanzo, si tratta di una “lettera [al] figlio sull’amore per i libri”, cioè di una sorta di racconto di iniziazione al “piacere della letteratura”: Caro Francesco, questa mattina, una mattina di mare, una mattina d’estate, ti sei svegliato e mi hai detto “papà storia”, portandomi il libro della coccinella. Eri ancora spettinato […]. Ed eri a piedi nudi. Ti ho detto di sederti sul gradino […]. Per ora ti può bastare la storia della coccinella, o quella di Dumbo. Poi cambierai e vorrai leggere altre cose […]. Comincerai a sentir parlare di qualcosa che si chiama letteratura e anche di poesie […]. Non aver paura in futuro, caro Francesco, non diventerai come molti che per soggezione verso la cultura hanno paura di maneggiarla, di scherzarci sopra, di usare il paradosso, di dialogare con gli autori senza troppi problemi […]. Non farò di te un presuntuoso4.

7 Il romanzo di Cotroneo (a differenza da quello di De Carlo, come si vedrà) non contiene, ovviamente, neppure una scena di seduzione; per converso, quasi ad ogni frase è evocato con insistenza il “piacere della letteratura”, magari accompagnato dai suoi “buoni maestri” propiziatori: Ho avuto un professore al liceo da cui non ho mai imparato bene l’inglese, ma mi ha insegnato cosa mai fosse la letteratura, e lo ha fatto senza la preoccupazione della sacralità, senza mettersi su un piano più alto. Entrava in una classe di ragazzini di quindici anni e chiedeva: “Avete mai sentito parlare del dottor Johnson?”. Intendeva Samuel Johnson. Intendeva, ancora di più, la biografia di James Boswell: di un migliaio di pagine. Nessuno di noi conosceva la Vita di Samuel Johnson. Ma il suo miracolo era nel riuscire a farci leggere quei libri, e senza chiederlo. Debbo a lui molte letture importanti della mia vita, ma, cosa ben più importante, debbo a lui l’insegnamento di un metodo prezioso. (p. 6)

8 Nella sua lezione d’amore per i libri, il narratore evoca pratiche esemplari d’insegnamento e spesso la necessità di retta interpretazione: ma il “buon maestro”

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non è un critico. Questi, in quanto tale, compare qui come un seduttore (uno che svia), un praticante di “carte false”; il “buon maestro” è invece – e a sua volta – un lettore avvertito (e prevenuto) intorno a certe lusinghe della parola altrui sulla letteratura. Con questo voglio far notare che tutta l’insistenza del narratore sulla necessità di una giusta interpretazione, non rinvia tanto alla richiesta di una “buona critica”, bensì alla necessità di liberarsi dai discorsi tendenziosi, capaci di mascherare la vera natura della letteratura. Seduttori e perversi sono dunque i discorsi: “Non fidarti, Francesco” è la frase-leitmotiv del padre che si accinge a insegnare al figlio come separare, in qualche modo, il “grano dal loglio”, a distinguere l’“incanto” dalle trappole e le lusinghe che sono di ostacolo alla seduzione della letteratura: Non caderci, Francesco, cercheranno di farti credere che la vita è più complessa della letteratura. Non è vero: il mondo letterario di Proust è infinitamente più complesso di quello reale. La giornata di Leopold Bloom è ben altra rispetto a quella di qualunque dublinese, anche del più colto. La letteratura è un mondo Analogo, dove i libri si parlano tra di loro: per entrarci bisogna fare un salto, andare da un’altra parte. E dopo, il ritorno è difficile, perché quei personaggi continueranno a parlarti, a consigliarti, a farti prendere decisioni […]. E quale bambino non ha pensato di vedere in cielo, una notte d’estate in cui non vuole prender sonno, il veliero di Peter Pan? Voglio insegnarti a vedere quel veliero, voglio scrivere questo libro per dirti che anche i libri seri, anche i libri per gli adulti, anche quelli difficili, non sono altro che velieri mascherati, e che hanno lo stesso incanto del veliero di polvere d’oro di Peter Pan. E poi sai una cosa, Francesco […], fidati di chi ama leggere, fidati di chi porta sempre con sé un libro di poesie. (pp. 9-10)

9 Eccolo individuato, il buon effetto seduttivo (e ormai desueto) della lettura: è quello legato alla promessa di rinnovati valori, veicolati da “incanti”, di cui disporre, una volta che si è liberato il campo dai falsi (o veri?) seduttori. Credo sia importante notare che Cotroneo usa un sinonimo della parola “seduzione”, altrettanto desueto ma più neutro: “incanto”, appunto. Questo gli permette di rimanere nell’ambito di una sorta di freudiana promessa di “piacere preliminare”, di “premio di seduzione”, di desiderio, insomma, senza avere a che fare con gli aspetti più o meno censurabili, di deviazione, di lusinga, prefigurati nel corteo di significati (negativi) che fa da corredo al termine “seduzione”. Significati che, in ogni caso, non permettono di scansare l’ombra dell’ambivalenza che ricollega, quasi fatalmente, la promessa di piacere a quella di perversione (e di corruzione, prevalente in De Carlo). Quali sono i nomi e i libri che “incantano”? “Pochi libri, scelti con molta attenzione che possono darti un’idea della letteratura diversa […] da quella che t’insegneranno a scuola”, dice il narratore (p. 11). Ma non ci vuole molto ad accorgersi che l’“incanto”, cioè la seduzione, della letteratura – la quale, ripeto, qui passa attraverso la rappresentazione dei suoi effetti in qualche modo depurati – conduce a un genere di fascino ben noto: quello legato all’illusion romanesque (la stessa di Emma Bovary: “[…] ce n’étaient qu’amants et amantes…”) e al Bildungsroman, più che a un’idea e pratica della letteratura come “iniziativa resa alla parola”.

10 Insomma, Cotroneo, nel suo romanzo, propone una sorta di nuovo “patto” che attraversa piani di discorso, variamente implicati in una vera e propria visione edificante della lettura (letteratura) come incanto-seduzione.

11 Un elemento di nota in questo rinnovato “patto con il serpente” lo si è appena visto: consiste, infatti, nella presenza di un narratore-lettore di certi libri rilevanti proprio grazie all’illusion romanesque o al fascino del vissuto. Tre esempi sui quattro testi di maggiore esemplarità, scelti come avvio all’incanto della lettura, sono “finzioni”. Il

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primo è L’isola del tesoro, di Robert Louis Stevenson, “riraccontato” in virtù dell’attirail del romanzo d’avventura, in cui però si distinguono gli autentici elementi d’“incanto” dalle piste false (i “buoni” che non sono sempre tali; le avventure di personaggi negativi dalle vittorie solo apparenti…), il tutto accompagnato da dettagli suggestivi e sempre resi a misura dell’immaginario di un bambino. Come qui, ad esempio: Ricordi del serpente Kaa del libro della giungla e di come Kaa ipnotizza Moogli e Baghera? Bene, tienilo a mente, nel finale de L’isola del tesoro tutti i temi si confondono, si sfiora persino la magia, vengono evocati spettri e antichi ricordi, malefici e assassinii, ma nonostante questo Silver rimarrà lì, lucidissimo, a gestire una situazione difficile in modo magistrale […]. Nella vita, caro Francesco, saper non cedere alla tentazione è un’arte difficile, ma è importante. John, però non è solo un mascalzone, non è solo un criminale […]. John Silver è qualcosa di più: è la vita, il mondo che svela il suo vero volto; è l’inquietudine, la complessità, la quarta dimensione, l’immoralità che galleggia nelle acque del buon senso. (pp. 30, 34)

12 Semplificando, si può dire che Cotroneo segue in modo sistematico la strategia dell’usare veleno e contravveleno, seduzione e rimedio e “piacere preliminare”. Il fine del nuovo “patto” resta quello di accendere il desiderio in soggetti non adulterati da cattivi seduttori. Così avviene negli altri racconti: i due esempi, che possiamo chiamare “biographies fictives”: Il giovane Holden [The Catcher in the Rey], di Jerome David Salinger e Il soccombente [Der Untergeher], di Thomas Bernhard (sostanzialmente, due modelli di Bildungsroman); e la sequenza poetica di T.S. Eliot (per altro tra le più narrative, The Love Song of John Alfred Prufrock, da The Waste Land).

13 Ho già accennato alla presenza di un complesso universo fictionnel che agisce su più livelli e dove il comune fondamento, più o meno esplicito, conduce verso la dimensione esemplare della favola. I capitoli del romanzo fanno, infatti, riferimento a qualità simboliche da “illustrare”, ognuna legata proprio alla natura emblematica del racconto: l’“ambiguità” (e paura) è esemplificata nel romanzo di Stevenson; la “tenerezza” è il cardine de Il giovane Holden di Salinger; la “passione” è associata a Prufrock, di T.S. Eliot e infine il “talento” è la favola esemplare del romanzo di Thomas Bernhard5.

14 “Ambiguità”, “tenerezza”, “passione”, “talento”: dire che è soltanto grazie a simili qualità programmatiche che, in questo romanzo, è reso possibile un “patto con il serpente”, meno seduttivo ma più profondo, sarebbe giusto ma piuttosto limitativo. Significherebbe, cioè, far passare in secondo piano tutte le altre molteplici pièces à convinction addotte da Cotroneo per perorare la causa del piacere della lettura, tanto più che queste coincidono sempre con tratti intrinsechi alla capacità di seduzione della letteratura e hanno a che fare tutte con la prerogativa di se-ducere, creando “mondi analoghi”, dove regna l’eterna possibilità di ricominciare a inventare e a conoscere6.

15 Ma come in un cerchio che si chiude, in questa “lezione d’amore per i libri” tali prerogative convergono, ancora una volta, nel piacere del narrare, e, in ultima istanza, nel sogno esplicito di raggruppare tutti i “personaggi di carta” in un unico romanzo. Questo avviene nel capitolo E se un giorno al castello un vegliardo, dove il narratore non cita Calvino di Se una sera d’inverno un viaggiatore… (1979), ma si richiama a Borges, che è un autore amato da Calvino (che sarà presente anche nelle Lezioni americane) e al quale affida il compito di contenere en abîme le ragioni che spingono ogni volta uno scrittore a lasciarsi sedurre dal “mondo parallelo immaginario ma reale della letteratura”: Il señor aveva terminato [si tratta della conferenza di Borges sul libro e sulla lettura ] […]. Aveva raccontato a tutti i personaggi della letteratura che loro, fatti di parole, di lettere, di virgole, di puntini di sospensione, erano il mondo; aveva detto anche, al tempo stesso, che se il mondo esiste, esiste per giustificare un libro. Aveva detto

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queste due cose, che in realtà non aveva detto proprio lui, ma altri due signori, che forse si erano ispirati ad altri signori ancora. (Se un mattino…, p. 141)

16 Vale a dire che, al di là dei patti, guardati con sospetto, degli inviti alla diffidenza, proprio la “giustificazione” offerta da Borges finisce anche per far emergere la traccia, più o meno confessabile, di una voluptas scribendi: quella degli “incanti” autoriferenziali della letteratura: Ti sto spiando; mentre guardi un film di Lassie […]. Mi accorgo che ormai guardo te […]. In questo momento tu sei il mio film: un film di te che guardi un film. Succede spesso in letteratura. Si chiama costruzione en abîme; costruzione in abisso […]. Caro Francesco, quella mattina sei arrivato e mi hai portato il tuo libro […]. Era quello della coccinella, rilegato a spirale. Adesso siamo giunti alla fine di questa lunga lettera dedicata a te. Ti ho anche raccontato una favola, con il grande Borges per protagonista. Ma in quella favola non ti ho svelato un dettaglio: sul bavero della giacca di Jorge Luis Borges era poggiata una coccinella rossa […] la tua coccinella rossa, quella che cambia storia ogni volta, è arrivata fin lì, insieme a tutti gli altri personaggi dei libri e della letteratura […]. Perché i libri son così piccolo Francesco: non hanno bisogno del mondo, è il mondo che ha bisogno di loro. (pp. 134; 142-143)

Il seduttore-corruttore

17 Ma, appunto, questo procedimento metanarrativo, che può fare ancora la gioia di qualche narratologo non pentito, a uno sguardo più attento aggiunge un ulteriore elemento di interesse che consiste nel rivelare la traccia, finalmente esibita, di una voluptas scribendi che sussume la vera posta in gioco del “patto con il serpente” e della seduzione della letteratura.

18 Non è un caso, mi sembra, che, anche in Tecniche di seduzione di De Carlo, la dimensione metanarrativa si riveli in quanto struttura simbolica di tale voluptas scribendi, per altro ancora una volta tematizzata a più livelli, visto che i personaggi principali appartengono all’universo letterario. Tuttavia, nel romanzo di De Carlo, il “piano ulteriore” della scrittura en abîme, che compare nei capitoli conclusivi, va anche nel senso dello smascheramento, che preannuncia all’eroe, l’aspirante scrittore Roberto Bata, la scoperta di essere vittima di un’altra voluptas, quella di Marco Polidori, l’astro della letteratura che ha “vampirizzato” la sua passione letteraria, la propria vita privata, condividendo, a sua insaputa, anche l’avventura sentimentale con Maria Blini, la donna con cui Bata vive una passione amorosa.

19 Certo, nel libro di De Carlo il gioco va oltre, dal momento che tale voluptas si palesa più forte di ogni frode, allorquando, nella frase finale, quasi per una trouvaille conclusiva, e alla stregua di Borges, il libro si “giustifica”, concretamente, come forma di racconto di racconto, riparazione di effetti di seduzione subiti: Mi chiedevo se ero diventato per sempre un piccolo pappagallo letterario ambizioso e sorvegliato, o la mia era una trasformazione reversibile. Poi ho pensato che Polidori mi aveva fatto perdere una moglie e un’innamorata e il mio primo romanzo, ma in cambio mi aveva lasciato abbastanza sentimenti scoperti da scriverne un altro, questo7.

20 A parte questo nesso, non del tutto secondario, però, con il testo di Cotroneo, nel libro di Andrea De Carlo sono evocati, come si è visto, scenari ben diversi, rispetto alla “seduzione della letteratura”, tanto che l’autore stesso mette in guarda il lettore anche da una visione eccessivamente scontata e unilaterale del tema:

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Il titolo di questo libro mi si è fissato nella testa quando ero forse a un terzo della prima stesura. Succede ogni tanto, e quando succede non c’è più verso di trovarne un altro. Il titolo che hai in mente diventa una delle chiavi per entrare in quello che stai scrivendo […]. Più tardi mi è capitato a volta di pensare che fosse sbagliato: troppo freddo o distaccato, o fuorviante […]. In realtà questo libro non ha a che fare con la seduzione sessuale o sentimentale, ma con un altro genere di conquista. Ed è il contrario di un manuale: è la storia di uno che non sa molto della vita e cade in una trappola da cui esce cambiato in modo irreversibile nella sua visione del mondo, incluso se stesso. Da una posizione simile è molto difficile mettersi a dare istruzioni agli altri; quello che si può fare è raccontare cosa è successo, e come. Ricostruire i meccanismi della trappola, pezzo per pezzo, e il modo in cui si è caduti8.

21 Invece di “incanti” letterari, De Carlo parla di “altro genere di conquista” e di volontà di “ricostruire i meccanismi della trappola pezzo per pezzo”, ma appare fin troppo evidente che è ancora questione dell’esemplarità del Bildungsroman. Qui, se si vuole, la stessa traccia del noto “patto”, già individuata come parte della trappola, sembra manifestarsi senza piani intermedi, secondo il punto di vista del vissuto e appena mediato dal tono testimoniale del racconto in prima persona di Roberto Bata, lo scrittore giovane appunto, che registra dall’interno, come spiega l’autore, le vicende che coinvolgono lui, Caterina (sua moglie), Marco Polidori (il “vampiro”) e Maria Blini (un’attrice con cui entrambi vivono una avventura passionale). Un tale effetto di vissuto è importante proprio per la riuscita del disvelamento finale ma anche per la resa di esperienza mimetica della seduzione. Inviterei a rileggere, in questo senso, i momenti più isolabili di altri, quelli più intrisi di seduzione, nella presentazione dei personaggi9, dei luoghi (Milano e soprattutto Roma), delle situazioni (con le lusinghe e le connivenze di vita del mondo dello spettacolo, del giornalismo, della televisione e della letteratura). Ed è vero che questi suggestivi effetti mimetici fanno apparire fuorviante la scansione e la forma del “trattato” (per cui ad ognuna delle quattro parti, corrisponde una costruzione, programmata ad effetto, delle cosiddette “tecniche di seduzione”, dai preliminari di “avvicinamento” agli atti di “conquista” e di “possesso”, al finale di “abbandono”). Malgrado l’avvertimento di De Carlo si può credere, però, che è a quest’altro piano, che appare gestire il racconto dall’esterno, che è affidato il compito di portare verso una “retta interpretazione”. Tutte le fasi seduttive, infatti, non sono messe in atto da Roberto Bata, bensì sono da lui “subite”10. Il racconto esemplare risiede qui; è contenuto, insomma, nella dimensione ideologica sottesa, la stessa che è spiegata dall’autocommento di De Carlo: Quello che mi interessava era raccontare di un aspirante scrittore che ancora non ha idea di cosa voglia dire trasformare la propria passione in mestiere, e di uno scrittore ultraconsacrato che ha molto mestiere ma più nessuna traccia di passione. Mi interessava mettere a confronto due punti di vista opposti in un possibile unico percorso: lo slancio e il distacco, l’ingenuità e il cinismo, l’invenzione libera e la conoscenza degli strumenti. Volevo riflettere sull’uso reciproco che due persone così distanti possono fare una dell’altra; e sul modo che hanno di riconoscere una parte di sé nell’altro malgrado la distanza che li divide. Più volevo raccontare un pezzo d’Italia che mi fa orrore, e quello che avevo imparato sul cosiddetto mondo dell’arte e della cultura. Volevo descrivere la commistione oscena tra ambizioni materiali e finte aspirazioni, indignazioni ostentate e complicità nascoste […]. Avevo voglia di parlare di tutte queste cose nel modo più diretto possibile. Avevo voglia di parlare dello scrivere come urgenza di comunicazione, e dello scrivere come gioco freddo: delle domande troppo aperte e delle risposte troppo meditate, di quello che si può perdere e guadagnare in questo lavoro. (pp. VI-VII-VIII)

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22 Dal nostro punto di vista, l’opposizione tra “passione” e “mestiere”, “slancio” e “ingenuità”, vista come partita giocata tra due scrittori che, in ruoli diversi, soggiacciono entrambi alla voluptas scribendi, evidenzia una situazione abbastanza inedita. È la situazione dello scambio che, secondo Baudrillard, è proprio di ogni atto di seduzione (e in ogni “patto con il serpente”, aggiungiamo noi). Il fatto è che tale regola di scambio (che consiste in una richiesta di reciprocità, per cui alla formula che manifesta l’intenzione di desiderio – “lasciati sedurre” – corrisponde un consenso – “seducimi”) si trova ad essere applicata alla lettera da due scrittori, ed è applicata in modo tale che la figura del seduttore-vampiro finisce per incarnare il fantasma metastorico dei sospetti e dei divieti, pensati e praticati nei confronti della letteratura e, in genere, dell’arte. Nel ruolo di Marco Polidori, che equipara il seduttore al corruttore, si trova, insomma, nuovamente stigmatizzata l’antica liaison dangereuse tra seduzione della letteratura e traviamento. Ma in un’epoca post-moderna e di seduzione invasiva, fino a che punto è credibile una simile gageure? Non ci trova forse dinanzi al desiderio di una diversa stipula di “patto”, di una voluptas scribendi motivata, e al sogno di una forma di seduzione della letteratura priva di seduzione (e di corruzione)?

23 Effettivamente, in Tecniche di seduzione, una spia di una tale dimensione può vedersi proprio nello scambio, nella reversibilità di ruoli tra seduttori e sedotti. Così l’attrice che seduce Roberto Bata è a sua volta “vittima” del fascino di Marco Polidori che, del resto, a sua volta, prima di diventare un vampiro, si dichiara un rescapé della “mafia letteraria”11. Del resto Maria Blini, rivolgendosi a Roberto Bata, non finirà proprio per giustificare il comportamento di Marco Polidori? Si veda: “Lo sai come riesce a riempirsi di fuoco per la più piccola cosa, magari per un gesto di cui non ti sei neanche accorta, e di colpo si mette ad amplificarlo e staccarlo dallo sfondo, lo fa diventare una specie di poesia di dati di fatto invece che di parole, finché ti guardi intorno come se avessi paura di calpestare un’ombra o di danneggiarla […]”. “È sempre così perseguitato dalla noia. Noia delle persone e noia delle situazioni e noia dei posti, noia del suo lavoro. Ha un modo di spremere a fondo tutto quello che ha, per forza che poi deve sempre cercare materiale nuovo”. (p. 327)

24 In quanto scrittore, come un vero vampiro, Polidori non può desiderare che di appropriarsi di “materiale nuovo”; e non tanto paradossalmente, così facendo, lui, il seduttore, mostra di inseguire un sogno, quello, per così dire, di una letteratura rimossa dalla seduzione12. È per obbedire a questo sogno che sin dall’inizio si lascia, a sua volta, sedurre dalla lettura di una storia, “non macerata fino a una poltiglia dagli acidi della consapevolezza e della presunzione”, lontana, cioè, da ogni artificio seduttivo e “letterario”. Si ricordi la scena del primo incontro: Siamo rimasti in silenzio […]. Poi lui senza nessun preambolo ha detto: “Quella tua storia è bellissima. È piena d’invenzione, e di divertimento, e di tristezza, e di verità. Non so da quanto non leggevo qualcosa di così vivo. Di così crudo, non macerato fino a una poltiglia dagli acidi della consapevolezza e della presunzione”. Ha sorriso, e per un attimo mi è sembrato che avesse gli occhi lucidi di lacrime […]. Sono rimasto allibito […]. Non riuscivo a trovare nessuna frase o espressione facciale di risposta […]. Polidori sembrava commosso; ha detto “Tu non hai idea di quanto sia finto e pretenzioso e privo di vita quello che si legge di solito, Roberto […]. Leggere una storia come la tua è una specie di miracolo, trovare un diamante nella spazzatura” […]. “Quello che mi colpisce è la qualità pura e grezza della tua scrittura, come se non avessi letto nessun libro in vita tua, oppure li avessi letti tutti e seguissi l’insegnamento Zen di dimenticare quello che sai”13.

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25 In definitiva, l’abbaglio di Roberto Bata consisterà nel credere che “nel [suo] libro tutto [sia] troppo semplice”, nel diffidare del suo “tentativo di romanzo scritto senza quasi rileggerlo” e nella sua volontà di riscriverlo con tratti più seducenti e “astratti”14. Rispetto alla stipula di un ipotetico “patto senza serpente”, l’opposizione tra lo scrittore ingenuo sedotto e lo scrittore seduttore e vampiro, evocata da de Carlo come movente narrativo, sfocia in un autentico rovesciamento di ruoli, dal momento che il seduttore-corruttore arriverà a giustificarsi proprio in nome di quel patto quando Roberto Bata, dinanzi al libro pubblicato privo del suo nome, gli chiede: “Perché l’hai fatto?”: “Perché è una bellissima storia” […]. “E perché sei riuscito a rovinarla completamente. La tua seconda versione è uno schifo, Roberto. È il lavoro di un piccolo pappagallo letterario ambizioso e sorvegliato, con un occhio alla critica e un occhio ai miei libri e un occhio ai possibili lettori. Non c’è più niente dei sentimenti scoperti che c’erano. Hai piallato via tutta la ruvidezza e smussato tutti gli angoli e doppiato tutti i dialoghi, sei stato un idiota”. “Non era più tua” […]. “L’hai buttata via senza neanche pensarci, sei andato a ficcarti in tutte le trappole che potevi trovare” […]. “I libri sono di chi li legge Roberto. Non li puoi chiudere in una cassetta di sicurezza”. (pp. 342-344)

26 Certo, l’ultimo gesto di rabbia di Roberto Bata (che ribatte: “è una visione del mondo che mi fa schifo […]. È una visione da ladri e da assassini”) può farci tornare a evocare il tema noto della “letteratura e il male”. Tuttavia l’immagine finale del libro- risarcimento e, quasi, “premio di seduzione”, come in ogni “patto con il serpente” che si rispetti, riporta in primo piano il ruolo, già più volte emerso, giocato, sia in Cotroneo che in De Carlo, proprio dalla voluptas scribendi.

NOTE

1. Jean Baudrillard ha persino parlato di “metastasi” in, Della seduzione [1979], trad. di Pina Lalli, Milano, SEI, 1997, p. 179. 2. Non è un caso che, sempre Baudrillard, riflettendo sull’onnipresenza delle forme seduttive, non rivolga una specifica attenzione al binomio “arte-seduzione”. 3. Si veda M. Praz, Il patto con il serpente, Milano, Mondadori, 1972. 4. Se un mattino d’estate un bambino…, op. cit., pp. 3, 5. 5. Si veda: “Ti ho parlato della difficoltà di saper distinguere in qualche modo quale sia il bene e il male: ed era Stevenson. Ti ho parlato della difficoltà di crescere, di guardare dal basso, dall’altezza dei bambini il mondo degli adulti: ed era Salinger. Ti ho raccontato della difficoltà di decidere, ti ho fatto seguire, spiare un uomo ossessionato dalla propria mediocrità: ed erano i versi di Eliot. Ora cercherò di spiegarti un’altra cosa: l’eccesso di spirito critico, la difficoltà di raggiungere un punto di equilibrio” (pp. 119-120). 6. Si veda: “I libri sono così Francesco, divagano, parlano d’altro e poi tornano all’argomento principale, con qualcosa in più” (p. 15). E si veda anche: “Tutti i libri sono macchine interpretative dotate di una coscienza, la tua. Qui sta la grandezza dei libri: vogliono letture diverse, si aprono con chiavi che devi cercare […]. Non si concedono a tutti; tanto meno a chi non li cerca” (p. 45).

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7. De A. Carlo, Tecniche di seduzione, op. cit., pp. 345-346. 8. Ibid., p. VI. Ricordo che Il principio della trappola concentrica è proprio il titolo del libro di Roberto Bata, pubblicato “vampirescamente” a nome di Marco Polidori (p. 338). 9. In entrambi i ritratti, quello di Polidori e quello del suo alter ego al femminile, Maria Blini, è messo l’accento sui loro caratteri suasivi e morbidi. Così è presentato, Marco Polidori, il cui ingresso è annunciato da “una vibrazione quasi impercettibile tra la gente”: “Era meno alto di come sembrava nelle fotografie o alla televisone, ma solido di figura, elegante in un abito nero tagliato morbido rispetto a quelli imbottiti e sagomati degli altri invitati. I suoi famosi capelli grigi corti alle tempie e sulla nuca gli ricadevano a ciuffo sulla fronte, i suoi famosi occhi scuri sembravano penetranti come nelle quarte di copertina dei suoi libri. Assecondava con agio le pressioni della padrona di casa che gli stava attaccata al fianco […]. Non lo avrei citato tra i miei scrittori preferiti se me lo avessero chiesto; eppure trovarmelo di fronte mi ha emozionato come non mi era capitato spesso”. In quanto a Maria Blini, Bata è colpito dai suoi “lineamenti morbidi”, dalle “belle labbra”, dal “modo vitale e famelico” di mangiare, l’“eleganza di selvaggia incivilita”, i “capelli biondi lunghi” la “pelle dorata” (rispettivamente, pp. 22, 24 e pp. 23, 27, 29, 30). 10. Roberto Bata è consapevole dei suoi cedimenti: “Mi sono reso conto di come mi stavo mettendo a disposizione in quel momento: di come la mia diffidenza e il mio desiderio di autonomia si stavano riducendo a un diaframma sempre più sottile” (p. 40). 11. Mi riferisco alla lunga autogiustificazione di Polidori (pp. 246-252). 12. In Freud, secondo Baudrillard, vi sarebbe la rivincita di una rimozione originaria, e cioè la rimozione della seduzione. Della seduzione, op. cit., p. 63. 13. A. De Carlo, Tecniche di seduzione, op. cit., pp. 38-39. Questo tono di totale seduzione si ripeterà, in modo speculare sempre come discorso riferito da Roberto Bata, al momento della scoperta della frode: “Sono passato davanti alle vetrine di una libreria nella piazza e ho visto che in gran rilievo era esposto un libro di Marco Polidori. Il titolo era Il principio della trappola concentrica […]. Per qualche ragione ho cercato subito la dedica: diceva A Maria […]. Poi ho letto la prima pagina per vedere come cominciava, e cominciava con le stesse identiche parole del mio romanzo nella sua prima versione. Aveva lavorato sul manoscritto con una cautela da curatore, conservando quasi tutti i semidifetti e le goffaggini […]. Leggevo con un senso di incredulità così forte da cancellare gli altri miei sentimenti: pagina dopo pagina più stupito all’idea che Polidori avesse potuto fare una cosa del genere, con un’impudenza da rasentare la naturalezza. Mi venivano in mente i suoi discorsi a Milano, e i suoi appunti in margine alle fotocopie […]; tutto il gioco di lusinghe e incoraggiamenti e consigli e sollecitazioni […]. Mi venivano in mente le sue considerazioni sui politici italiani e sulla loro frontatezza” (pp. 338-340). 14. Si veda: “Nel mio libro tutto era troppo semplice, in bianco e nero e tagliato a spigoli; non c’erano sfumature né ambiguità, ogni frase aveva solo il suo stretto significato. Polidori nella sua profonda sofisticazione forse aveva trovato interessante proprio questo” (p. 201).

AUTORE

ENZA BIAGINI SABELLI Università di Firenze

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Sensualité et obscénité dans L’amore molesto et I giorni dell’abbandono d’Elena Ferrante

Martine Bovo-Romoeuf

1 Elena Ferrante est une écrivaine mystérieuse et envoûtante, tout d’abord parce qu’elle a offert aux lecteurs deux romans éblouissants et atypiques, L’amore molesto et I giorni dell’abbandono publiés aux éditions E/O respectivement en 1992 et 2002 1, mais aussi parce qu’elle a choisi de rester dans l’ombre, loin des circuits médiatiques, en ne dévoilant pas son visage, en alimentant la curiosité sur son identité réelle, en refusant toute participation aux colloques, débats, remises de prix2, fidèle à une conception du texte comme organisme autosuffisant, écartant expressément toute promotion de ses romans afin de laisser son écriture parler d’elle-même3.

2 Le premier ouvrage est devenu un roman culte, et Mario Martone en a tiré un film4. Les questions sur les réticences singulières de l’auteur désireuse de ne pas se produire en public ont foisonné, se multipliant à la sortie du deuxième roman, au point que les éditions E/O publièrent un volume réunissant les échanges épistolaires d’Elena Ferrante avec des lecteurs d’exception comme Goffredo Fofi, ou Mario Martone5.

3 Dans le premier roman, Delia, confrontée à la douloureuse perte de sa mère Amalia retrouvée mystérieusement noyée, mène une enquête qui la conduira sur les traces de son passé à Naples. Le contact avec cette ville fait resurgir des souvenirs d’enfance douloureux et des émotions intenses liées à sa mère. Au détour de rencontres, au fil des souvenirs, Delia reconstitue l’existence d’Amalia, dont la mystérieuse fascination se décline en termes de pouvoir de séduction sur les hommes. Mais, ce faisant, Delia reconstitue aussi sa propre histoire. L’image d’Amalia qui ressort de cette quête ne fait que brouiller les pistes et confirmer une personnalité mouvante, séductrice et ambiguë.

4 Dans I giorni dell’abbandono, l’histoire d’Olga est le récit d’une descente aux enfers, d’un naufrage sentimental : après avoir été abandonnée par son mari, cette femme d’une quarantaine d’années lutte pour émerger, se sauver. Cette lutte passe par la mise à l’épreuve de son corps, et en particulier par l’expérience cathartique de l’obscénité.

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5 La séduction est au cœur des deux romans d’Elena Ferrante. Dans L’amore molesto, le système des personnages repose sur le rapport de chacun d’eux à la séduction : Amalia est l’incarnation ambiguë du pouvoir de séduction, sa fille Delia se définit comme l’opposée de sa mère, incapable de plaire spontanément, de se faire aimer comme pouvait le faire Amalia. Son histoire est le récit d’une lente et progressive prise de conscience de l’existence d’un rapport à sa mère contradictoire, nourri à la fois de compassion (pour cette femme qui travaillait durement et était victime des accès de jalousie conjugale), de haine (sa mère était la « molla che scatenava l’ira del padre », p. 57) et de peur (à la capacité séductrice d’Amalia est liée la peur de Delia enfant de perdre sa mère, de la voir s’échapper, la crainte d’une solitude partagée également par le père.)

6 Le père est le symbole de l’amour possessif et violent : lorsque Delia était enfant, Amalia était régulièrement battue par son mari. Pour quelle faute ? Pour une capacité séductrice inhérente à Amalia et indépendante de sa volonté : Amalia était gaie, festive, enjouée. Enfin, le mystérieux personnage de Caserta, qui collectionne les sous- vêtements élimés et souillés d’Amalia, est ici la figure de l’obscène vieillard qui, dans sa folie sénile et inoffensive, joue à harceler verbalement les clientes du magasin de lingerie féminine Vossi.

7 La trame a de lointains échos avec la structure du roman policier dont les composantes essentielles sont transposées en leur équivalent sur l’échelle intime de la séduction : le texte s’ouvre sur une mort énigmatique (Amalia retrouvée nue à l’exception d’un soutien-gorge de luxe finement ouvragé, de boucles d’oreilles, et portant les restes d’un maquillage très chargé). Sa mort est associée à des efforts de séduction inhabituels chez elle, qui conduisent Delia à mener une enquête. Celle-ci sera parsemée d’indices (pour n’en citer que deux : le mystère de cette valise pleine d’effets personnels, de sous- vêtements, objets de séduction féminine par excellence, apportée la nuit par l’homme qui l’avait insultée dans la rue, ou encore la rencontre sexuelle initiatique entre Delia et le fils de Caserta), parsemée d’obstacles et de courses poursuites (avec les apparitions du vieillard Caserta, aussi fugaces qu’étranges), pour s’achever par une hypothétique résolution de l’énigme.

8 Mais à ce stade un glissement se produit : l’enquête sur Amalia se révèle le déclencheur et l’aboutissement d’un processus de quête d’identité de Delia. Le roman prend alors la forme d’un récit initiatique où le corps, lieu intime de découverte et d’apprentissage de la vie, est le réceptacle exclusif des émotions et devient sous la plume d’Elena Ferrante le moyen d’expression privilégié pour raconter non seulement une histoire familiale douloureuse, mais surtout une ville : Naples.

9 La quête se traduit tout d’abord par la recherche à travers la ville de l’énigmatique Caserta. Pour tenter de comprendre les derniers instants de sa mère, Delia décide de traquer ce personnage fuyant. En fait, la rencontre ne se produira pas : cet expédient narratif est en réalité l’occasion pour Delia de se laisser gagner, reconquérir par les souvenirs qui affluent malgré elle de son passé. Des souvenirs teintés de fascination, de crainte, d’éveil à la sensualité : elle revoit cette mère, belle, qui exerçait un envoûtement érotique exalté dans son imaginaire d’enfant. Petite fille, Delia éprouvait des sentiments confus : tout en percevant la portée sensuelle de sa mère, elle redoutait le danger de cette capacité érotique (peur d’être quittée, abandonnée). Tout en abhorrant la violence de son père, elle s’attachait à lui plaire en exerçant un contrôle sur les gestes de sa mère.

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Se la vettura era affollata mi prendeva la smania di proteggere mia madre dal contatto con gli uomini, come avevo visto che faceva sempre mio padre in quella circostanza. Mi disponevo come uno scudo alle sue spalle e me ne stavo crocefissa alle gambe di lei, la fronte contro le sue natiche, le braccia protese, una mano stretta all’appoggio di ghisa del sedile di destra, l’altra a quella di sinistra. Era uno sforzo inutile, il corpo di Amalia non si lasciava contenere. I fianchi le si dilatavano per il corridoio verso i fianchi degli uomini che aveva a lato, le sue gambe, il ventre si gonfiavano verso il ginocchio o la spalla di chi le sedeva davanti. O forse avveniva il contrario. Erano gli uomini che si incollavano a lei come mosche alle carte appiccicose e giallastre che pendevano nelle macellerie o a perpendicolo sui banchi dei salumieri, zeppe di insetti morti. Risultava difficile tenerli lontani coi calci o coi gomiti. Mi carezzavano la nuca allegramente e dicevano a mia madre: «La schiacciano questa bella bambina». Qualcuno voleva anche prendermi in braccio ma io rifiutavo. Mia madre rideva e diceva: «Fatti in qua vieni». Resistevo in ansia. Sentivo che se avessi ceduto, se la sarebbero portata via e io sarei rimasta sola con mio padre furibondo. (L’amore molesto, p. 63-64)

10 L’amour, la souffrance et la culpabilité ont pétri cette personnalité complexe et sont exprimés par le langage du corps. Ainsi n’est-ce pas un hasard si l’élément liquide, symbole du féminin, est omniprésent dans le roman : Amalia meurt noyée (symboliquement le jour de l’anniversaire de sa fille et en un lieu tout aussi symbolique, celui de leur villégiature au bord de mer lorsque Delia était enfant) ; sous le coup de l’émotion intense, le jour de la sépulture, Delia a ses règles (des règles abondantes qui surviennent tout à coup, juste après avoir porté le cercueil de sa mère6, et qui dureront pendant une bonne partie du roman, pour s’achever dans la scène du rapport sexuel manqué entre Delia et Antonio, le fils de Caserta) ; ce même enterrement est placé sous la sensation physique de l’humidité (les larmes des gens, leur sueur)7 ; lorsque Delia se rendra dans l’appartement d’Amalia, elle trouvera le robinet de la cuisine ouvert, l’eau coulant à flot ; la ville elle-même s’offre du début à la fin sous une pluie battante (représentation inhabituelle pour une ville du Sud !) ; enfin, la jouissance et le plaisir féminin sont évoqués par l’embarras de Delia en présence d’Antonio, lorsque les préliminaires amoureux provoquent en elle cet élément liquide abondant incontrôlable8. Même la jalousie et la violence conjugale s’exercent dans une atmosphère humide, qui n’est pas sans réveiller chez Delia un sentiment de culpabilité pour un lointain mensonge d’enfant : Quando mio padre seppe che Amalia e Caserta si vedevano segretamente nell’interrato – pensai di raccontargli piano piano – non perse tempo. Innanzitutto rincorse Amalia per il corridoio, poi per le scale, poi per la strada. Mia madre scappò sotto il ponte della ferrovia, scivolò in una pozzanghera, fu raggiunta e si buscò pugni, schiaffi, un calcio nel fianco. Una volta che lui l’ebbe punita per bene, la riaccompagnò a casa sanguinante. Appena lei tentava di parlare, tornava a colpirla. La guardai a lungo, pesta, sporca, e lei mi guardò a lungo, mentre mio padre spiegava l’accaduto a zio Filippo. Amalia aveva uno sguardo meravigliato: mi fissava e non capiva. (L’amore molesto, p. 117)

11 L’élément liquide, tel qu’on le trouve dans les variantes précédemment évoquées, permet un rapprochement d’ordre analogique entre la ville et le personnage d’Amalia. Du liquide amniotique – la mer – aux sécrétions corporelles féminines, du rideau de pluie s’abattant sur Naples à la flaque – théâtre d’un châtiment corporel immérité –, toute substance liquide est présence d’Amalia, et Amalia ruisselle dans chaque angle de rue, transpire dans la promiscuité citadine, sécrète ses substances par tous les pores. En disparaissant physiquement, Amalia semble avoir laissé dans son sillage quantité d’indices et de traces humides de sa présence dispersés à travers la ville. Cet effet de

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dilatation des modalités de représentation du personnage d’Amalia, même s’il est amplifié chez Delia adulte, existait déjà chez l’enfant. En effet, la souffrance de Delia petite fille se concentrait sur certaines parties du corps, hyperboliquement érotisées dans son imaginaire d’enfant, comme c’est le cas dans les extraits suivants lorsqu’elle se focalise sur la langue : « Riconoscevo la bocca di Caserta che si muoveva veloce e gli vedevo la lingua, rossa, col frenulo che l’ancorava impedendole di guizzare verso Amalia più di quanto non si provasse già a fare » (p. 93). Ou encore : Se in quel momento Amalia fosse entrata col suo tailleur blu di decenni prima, la sciarpa delicatamente colorata e il cappotto con veletta, al braccio di Caserta in cappotto di cammello, avrebbe sicuramente accavallato vistosamente le gambe e avrebbe fatto scintillare gli occhi a destra e a sinistra con allegria. Era a feste di cibo e risate come quella che la facevo andare quando lasciava la casa senza di me ed ero certa che non sarebbe tornata mai più. Mi inventavo che fosse carica d’oro e d’argento, che mangiasse senza ritegno. Ero sicura che anche lei, appena fuori di casa, estraesse dalla bocca una lunga lingua rossa. (p. 104)

12 Or, si Delia tentait en vain de combler les absences douloureuses de sa mère par des scènes érotiques issues de son imagination devenue adulte, c’est par la mise en pratique de ce même érotisme qu’elle parviendra à la retrouver. Deux épisodes sont significatifs.

13 Tout d’abord, lorsque Delia découvre la valise d’Amalia pleine d’effets personnels : elle est malade, vomit, et son malaise est suivi par une soudaine envie de se maquiller précisément avec la trousse d’Amalia, de plaire, de changer d’aspect. Tout en se félicitant de ne pas ressembler à sa mère (« non ti assomiglio » dira-t-elle sur un ton revendicatif), de ne pas avoir de longs cheveux noirs (les siens sont gris et courts), Delia accède à son insu à la sensualité d’Amalia.

14 Le second épisode fondamental est constitué par la scène du rapport amoureux inachevé entre Antonio et Delia. Delia se laisse conduire dans une chambre d’hôtel, tout simplement parce qu’elle est subjuguée par l’odeur d’Antonio qui lui rappelle son enfance : l’odeur de la pâtisserie du grand-père et de la cave où se déroulaient en parallèle leurs jeux d’enfants et d’imaginaires jeux érotiques entre Amalia et Caserta. En acceptant une relation sexuelle impromptue avec Antonio, Delia croit pouvoir matérialiser les scènes de rencontre Amalia-Caserta qui, du temps de sa jeunesse, n’étaient que rêverie, imagination, fantaisie pure. Or Antonio n’est plus un enfant. Ses désirs sont ceux d’un homme à la sexualité agressive, et Delia qui plonge dans le passé par le biais des sensations physiques, par ses sens en éveil, ne répond pas aux sollicitations physiques du présent.

15 Cette scène est comme le point de rencontre entre deux dimensions temporelles, celle du présent et celle du passé : dimensions incompatibles, et qui sont comme la clef de voûte du roman. Pour exister, Delia doit enterrer son passé et refouler son envie de jeunesse consistant à ne pas ressembler à Amalia. Or, malgré tous les efforts déployés pour ne pas être comme elle, Delia sera rattrapée par son passé napolitain, par le fantôme séducteur d’Amalia, et finira par être… Amalia, dans la scène finale, théâtre d’une réconciliation posthume et symbolique : Il sole cominciò a scaldarmi. Mi frugai nella borsa ed estrassi la mia carta d’identità. Fissai la foto a lungo, studiandomi di riconoscere Amalia in quella immagine. Era una foto recente, fatta apposta per rinnovare il documento scaduto. Con un pennarello, mentre il sole mi scottava il collo, disegnai intorno ai miei lineamenti la pettinatura di mia madre. Mi allungai i capelli corti muovendo dalle orecchie e gonfiando due ampie bande che andavano a chiudersi in un’onda nerissima, levata sulla fronte, mi abbozzai un ricciolo ribelle sull’occhio destro, trattenuto a stento

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tra l’attaccatura dei capelli e il sopracciglio. Mi guardai, mi sorrisi. Quell’acconciatura antiquata, in uso negli anni Quaranta ma già rara alla fine degli anni Cinquanta, mi donava. Amalia c’era stata. Io ero Amalia. (p. 178)

16 Dans ce premier roman d’Elena Ferrante, exister, pour les personnages féminins, consiste à pouvoir séduire : Delia, en devenant Amalia à la fin du roman, parvient à l’acceptation sereine de sa propre sensualité. Amalia, après avoir été surveillée et brimée toute sa vie, accède pleinement à ce pouvoir dans ses derniers instants, alors qu’elle s’accorde un voyage sans retour en compagnie de Caserta sur la plage. Un voyage ponctué d’excès langagiers comme si Amalia se libérait soudain et goûtait par les mots l’ivresse d’un érotisme jusqu’alors réprimé : « Alle sette del mattino mia madre telefonò di nuovo. Per quanto io la tempestassi di domande, si limitò a snocciolarmi a voce molto alta, scandendole con gusto, una serie di espressioni oscene in dialetto » (p. 10).

17 À ce point, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec le deuxième roman qui s’articule comme le premier sur une alternance entre présent et passé, le passé de Naples étant toujours celui qui resurgit dans l’esprit du personnage d’Olga. Tout comme Delia parvient à retrouver sa mère par la découverte de la sensualité, Olga réussit à remonter la pente par la mise en pratique de l’obscénité.

18 I giorni dell’abbandono est d’abord l’histoire d’une usure sentimentale, d’une lassitude des corps avant d’être le récit d’une expérience, celle de l’abandon, qui consume le personnage féminin, ébranle ses convictions, sa façon d’être, jusqu’à son registre expressif. La première étape de la crise conjugale est affrontée par Olga avec une attitude contrôlée, freinée par l’éducation. Puis, plus son angoisse va croissant, plus des souvenirs s’imposent à elle, souvenirs d’une femme qui appartient à son enfance napolitaine, malheureuse en amour comme elle, trompée : la « poverella » qui avait fini par détester ses enfants parce qu’ils avaient gâté son corps en laissant sur elle « un malodore di mamma » qui avait fait fuir son mari. La descente aux enfers d’Olga suit alors un double trajet : une mise en parallèle croissante de son expérience avec la mésaventure de la femme napolitaine, et une mise à l’épreuve de son corps qui devient le réceptacle de sa douleur, le moyen d’expression de son rejet d’elle-même et du monde. En effet, dès que la vérité sur les intentions de son mari lui est révélée, Olga exprime son désespoir par l’agressivité, l’abandon de toute forme de séduction, et l’adoption d’un langage obscène par lequel elle tente tour à tour d’imaginer sa rivale, de provoquer son conjoint. Au plus fort de cette épreuve sentimentale pour Olga, l’obscénité devient l’unique clef d’interprétation de l’Autre, l’unique langage possible, l’unique façon d’appréhender et d’aborder son prochain, comme c’est le cas par exemple lorsqu’elle aperçoit un voisin d’immeuble : Chissà quali segreti di uomo solo aveva, l’ossessione maschile del sesso forte, il culto fino a tarda età del cazzo. Anche lui sicuramente non vedeva più in là del suo sempre più miserabile fiotto di sperma, era contento solo quando poteva verificare che gli si rizzava ancora, come le foglie morenti di una pianta riarsa che riceve acqua. Rozzo coi corpi di donna che gli capitavano, frettoloso, sporco, aveva certamente come unico obiettivo segnare punti come in un poligono, affondare dentro una fica rossa come in un pensiero fisso coronato da cerchi concentrici. Meglio se la macchia dei peli è giovane e lucida, ah la virtù di un culo sodo. (I giorni dell’abbandono, p. 54)

19 L’épreuve que connaît Olga comporte des paliers de déchéance physique : lorsqu’elle croyait être l’unique élue de son mari, Olga cultivait son corps. Elle exprimait son amour en prenant un soin tout particulier à dominer les odeurs, à gommer les aspects

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désagréables de la corporéité. Une fois délaissée, le corps reprend le dessus avec un naturel cru, dans un abandon sans pudeur, dans l’ivresse de la déchéance physique de qui touche le fond. L’un de ces paliers est constitué par la scène d’amour entre Olga et ce voisin qu’elle observait : mue par le désir de vérifier qu’elle pouvait encore plaire, Olga a délibérément choisi cette expérience purement physique pour se prouver à elle- même qu’elle existait. C’est précisément parce qu’elle acceptera son corps à l’état brut, son cortège d’humeurs, sa propre déchéance qu’elle parviendra à se retrouver, à redresser la tête et sortir de ce long cauchemar. Avant d’arriver à ce stade, le souvenir de la « poverella » s’est fait toujours plus pressant. Les souvenirs d’Olga enfant de huit ans n’ont eu de cesse de se superposer au quotidien d’Olga adulte, au point que le passé s’imposait avec force face au présent, par une prosopopée des plus menaçantes : Poggiava i piedi nudi sul corpo di Otto [le chien qui va mourir], aveva un colorito verdastro, era la donna abbandonata di piazza Mazzini, la poverella, come la chiamava mia madre. Si lisciò accuratamente i capelli, come se volesse pettinarseli con le mani, e si aggiustò la veste stinta sul seno, troppo scollata. La sua apparizione durò il tempo necessario per mozzarmi il respiro, poi svanì. Brutto segno, me ne spaventai. Se la donna era davvero nella stanza, riflettei, io di conseguenza non potevo essere che una bambina di otto anni. O peggio: se quella donna era lì, una bambina di otto anni che mi era ormai estranea, stava avendo la meglio su di me, che ne avevo trentotto, e mi stava imponendo il suo tempo, il suo mondo. Ed era solo l’inizio: se l’avessi assecondata, se mi fossi abbandonata, sentivo che quel giorno e lo spazio stesso dell’appartamento si sarebbero aperti a tanti tempi diversi, a una folla di ambienti e persone e cose e me stesse che avrebbero esibito tutte, simultaneamente presenti, eventi reali, sogni, incubi, fino a creare un labirinto così fitto da cui non sarei più uscita. (I giorni, p. 126)

20 Comme Olga, Delia subit les assauts répétés de son passé napolitain. Naples n’est pas un simple décor urbain sur lequel se déroule le fil de l’existence des personnages. La langue raffinée et sensuelle d’Elena Ferrante fait affleurer cette ville du plus profond de chacune de ses créations féminines. Rappelons, dans le cas de Delia (elle vit à Rome et revient à Naples à l’occasion du décès d’Amalia), qu’il s’agit d’un retour obligé dans une ville qu’elle n’aimait plus (« scoprii che non provavo più simpatia per la città, seppi che stavo perdendo mia madre definitivamente9 »), un retour perçu comme une agression permanente : la ville est hostile, tout comme le dialecte de ses habitants est impérieux. C’est par le biais des sensations physiques, des émotions, des sens en éveil que Delia retrouve le contact perdu avec Naples, cette ville qu’elle associe à sa mère. Les véritables vecteurs entre les deux dimensions temporelles du passé et du présent sont constitués par des sensations purement physiques, par les émotions, par des lieux ou des objets personnels qui la propulsent dans le passé. Dans les moments où resurgit ce passé, tous les sens de Delia sont en éveil, le corps est à l’écoute, le temps est suspendu10 et c’est précisément dans cette dilatation temporelle que font irruption, dans une marée dialectale, les bruits et les odeurs de la ville : ils s’imposent en surimpression à ces allers et retours temporels, et font apparaître une image insolite de Naples. Elena Ferrante plonge ses personnages dans une ville sale, bruyante, trouble, humide, imprégnée d’odeurs moites et suffocantes, où les rapports entre individus sont marqués par la violence et l’agressivité. Le vrai personnage des romans de Ferrante est cette Naples dangereuse, peuplée de personnages inquiétants à l’érotisme agressif qui surprend, déroute et séduit tout à la fois par l’originalité de sa représentation.

21 La séduction de l’écriture d’Elena Ferrante tient en deux points essentiels. Le premier concerne la typologie de ses personnages féminins. « On ne naît pas femme, on le

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devient », disait Simone de Beauvoir11. Elena Ferrante met en scène des processus de devenir féminin : elle fait plonger ses héroïnes dans l’immondice et la violence de leur passé pour les faire naître femmes. La quête de Delia s’achève par l’éveil et l’acceptation de sa propre sensualité. Pour parvenir à ce stade, elle a dû affronter les épreuves d’un contact physique avec sa ville natale sentie comme une menace, renouer avec sa mère- Amalia-Naples, accomplir un retour cathartique dans les entrailles de sa ville. À ce seul prix elle parvient à construire une nouvelle image de soi, à devenir femme, exactement comme Olga qui doit connaître la dégradation corporelle avant de renaître.

22 La deuxième caractéristique de cette séduction de l’écriture tient en une représentation inédite de Naples, étrangère au mythe du Sud solaire et à toute évocation stéréotypée. L’écriture raffinée et élégante d’Elena Ferrante dément les propos de La Capria et de De Luca12, convaincus que Naples « ne pouvait être racontée » Sous sa plume, la ville parthénopéenne affleure à travers la sensualité débordante des personnages, le récit intériorisé de leurs émotions, la vivacité et la résistance de leur dialecte (rappelons que Delia, dans son refus de la ville, avait délibérément renoncé au dialecte, car sa vague sonore la ramenait vers des souvenirs de violence du père). Curieusement, ce dialecte refoulé échappe au contrôle de sa raison dès lors que le personnage est confronté à des situations extrêmes de colère, de surprise, ou de désespoir prouvant ainsi que le langage propre à cette ville est inscrit de façon indélébile dans son esprit : le dialecte est charnel, il est le signe de cette appartenance à Naples. Delia, qui a tenté de fuir le Sud, y revient malgré elle, et cède devant la force séductrice de sa ville d’origine. Elena Ferrante, qui écrit dans La Frantumaglia13 avoir quitté très jeune Naples, y revient par la littérature, prouvant ainsi comme d’autres auteurs tels que Domenico Starnone, Antonio Franchini ou Giuseppe Montesano14 qu’il est difficile d’échapper à son emprise.

NOTES

1. E. Ferrante, L’amore molesto, Rome, E/O, 1992, I Giorni dell’abbandono, Rome, E/O, 2002. Dans la suite de l’article, nous ferons référence à ces éditions en indiquant les pages citées. 2. Elena Ferrante a refusé d’aller en personne retirer le Prix Procida-Elsa Morante remporté pour son premier roman en 1992. Elle fit parvenir une lettre aux membres du jury, lettre qui fut lue durant la remise du prix et fut publiée par la suite dans les Cahiers Elsa Morante par Jean-Noël Schifano (son traducteur en France) aux Edizioni scientifiche italiane, 1993. 3. L’écrivaine répondait en ces termes à une question de Goffredo Fofi sur les motivations de son silence médiatique : « Voglio che il mio romanzo se ne vada il più lontano possibile proprio perché possa dare la sua verità romanzesca e non gli scampoli accidentali, che pure contiene di autobiografia. Ma i media, specialmente quando connettono foto dell’autore a libro, performance mediatica dello scrittore a copertina dell’opera, vanno proprio in direzione opposta ». Dans La Frantumaglia, Rome, Edizioni E/O, 2003, p. 63 4. Mario Martone (metteur en scène), L’amore molesto. Scénario : Martone, Mario. Musique : Steve Lacy et Alfred Schittke. Interprètes : Anna Bonaiuto, Angela Luce, Carmela Pecoraro, Lucia Maglietta, Gianni Cajafa, Anna Calato, Giovanni Viglietti Peppe Lanzetta, Italo Celoro, Franceso

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Paolantoni, Enzo De Caro, Tailer Martini, Carlo Carotenuto, Lina polito, Marita d’Elia. Production : Teatri Uniti, Lucky Red (Italie : SACIS, 1995). 5. Il s’agit du volume La Frantumaglia, ouvr. cité. 6. « Quando la bara era stata deposta nel carro e questo si era avviato, erano bastati pochi passi e un sollievo colpevole perché la tensione precipitasse in quel fiotto segreto del ventre. Il liquido caldo che usciva da me senza che lo volessi mi diede l’impressione di un segnale convenuto tra estranei dentro il mio corpo ». (L’amore Molesto, p. 15) 7. « Alcuni mi strinsero con tale forza e versando lagrime così copiose che oscillai tra un senso di soffocamento e un’insopportabile sensazione d’umido che mi si allungava dal loro sudori e dalle loro lagrime fino all’inguine, all’attaccatura delle cosce. » (p. 16) 8. « Temevo che il respiro già lento mi si sarebbe fermato del tutto. Inoltre ero paralizzata da un imbarazzo crescente per i liquidi copiosi che stavo versando. Anche quando da ragazza cercavo di masturbarmi accadeva così. Il piacere si diffondeva tiepidamente, senza nessun crescendo, e la pelle cominciava subito a bagnarsi. Per quanto mi carezzassi, ottenevo solo che gli umori del corpo debordassero: la bocca, invece di seccarsi, si riempiva di una saliva che mi pareva gelida, il sudore colava dalla fronte, dal naso, dalle guance, le ascelle diventavano pozze, non un centimetro di pelle restava asciutto, il sesso si faceva così liquido, che le dita vi scivolavano sopra senza attrito e non sapevo più se mi stavo veramente toccando o immaginavo soltanto di farlo. » (p. 113) 9. L’amore molesto, p. 65. 10. « Trascorsi non so quanto tempo accanto alla finestra della cucina, ad ascoltare il vocio del vicolo, il trafficare delle motorette. La strada esalava un odore di acqua stagnante. » L’amore molesto, p. 31. 11. S. Beauvoir (de), Le Deuxième sexe, tome 1, quatrième partie : formation, chapitre 1, « L’enfance », Paris, coll. « Idées », Gallimard, 1981 [1949], p. 285. 12. Propos tenus dans Tuttolibri, no 918, août 1994. Lire également les articles parus dans La Stampa sur l’identité mystérieuse d’Elena Ferrante : « Alcune sorprendenti somiglianze tra i due autori e i loro romanzi indicano la possibile soluzione di un enigma letterario che dura dal’ 92. Ferrante-Starnone un amore molesto in via Gemito », La Stampa, 16-01-2005, p. 27. Mais aussi : « Il Caso Ferrante Starnone. Lo scrittore che cerca il suo doppio. », La Stampa, 17-01-2005, p. 1 ; « Coincidenze sospette », La Stampa, 16-01-2005, p. 27 ; « L’enigma della scrittrice senza volto: dietro il suo nome si nasconde l’autore di Via Gemito? La soluzione proposta dalla Stampa affascina i critici », La Stampa, 17-01-2005, p. 27. 13. « Con Napoli, i conti non sono mai chiusi, anche a distanza. Sono vissuta non per breve tempo in altri luoghi ma questa città non è un luogo qualsiasi, è un prolungamento del corpo, è una matrice della percezione, è il termine di paragone di ogni esperienza. Tutto ciò che per me è stato durevolmente significativo ha Napoli per scenario e suona nel suo dialetto. » Dans La Frantumaglia, ouvr. cité, p. 67. 14. D. Starnone, Via Gemito Milan, Feltrinelli, 2002 ; A. Franchini, L’abusivo, Venise, Marsilio, 2001 ; G. Montesano, Nel corpo di Napoli, Milan, Mondadori, 1998.

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AUTEUR

MARTINE BOVO-ROMOEUF Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3

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I miti della seduzione nei primi due romanzi di Carmen Covito

Susanne Kleinert

1 Carmen Covito ha pubblicato il suo primo romanzo, La bruttina stagionata (1992, 1993), all’età di 44 anni. Precedentemente aveva vissuto a lungo in Giappone, in seguito aveva lavorato come critica letteraria e come sceneggiatrice di fumetti insieme ad un disegnatore argentino. Nel 1985 fa la conoscenza di Aldo Busi, insieme al quale mette a punto traduzioni di classici come Il Novellino e Il Cortegiano di Castiglione in italiano moderno. Fino ad oggi ha pubblicato quattro romanzi e varie traduzioni di autori francesi e inglesi. È così che la Covito stessa descrive il suo rapporto con Aldo Busi: “Sono una discepola affezionatissima di Aldo”1. Renato Barilli la ritiene “l’unica che dimostrasse qualche capacità di seguire la poderosa lezione di Aldo Busi”2. Con Busi la Covito condivide il tentativo di integrare la lingua parlata nel testo letterario3, lo sguardo ironico nei confronti dei ruoli sessuali e la tematizzazione dell’omosessualità.

2 Nei suoi primi due romanzi, La bruttina stagionata (1992) e Del perché i porcospini attraversano la strada (1995), Carmen Covito ha affrontato il tema della seduzione in modi diversi. Al centro del primo romanzo troviamo una figura di donna che si mostra in primo luogo come il capovolgimento ironico della figura della seduttrice, cosa a cui allude chiaramente lo stesso nome, Marilina Labruna, versione comica della mitica bionda Marilyn Monroe. Nel secondo romanzo la Covito crea il personaggio di un seduttore maschile di successo, che viene osservato dalla prospettiva di un io narrante femminile. Ad essere tematizzati sono dunque tentativi e strategie di seduzione maschili e femminili.

3 Alcuni cenni espliciti alla tradizione di mitici personaggi di seduttori sottolineano l’importanza del tema della seduzione nel romanzo. La bruttina stagionata rimanda ironicamente al mito di seduzione moderna Marilyn Monroe, alla Carmen di Rosi4 e alla Carmen di Bizet (p. 245). Del perché i porcospini attraversano la strada si riferisce al mito di Don Giovanni: il protagonista maschile interpreta come ballerino il ruolo di Don Giovanni ed è un seduttore anche al di fuori del palcoscenico teatrale. La rielaborazione dei miti di seduzione da parte di Carmen Covito è legata ad una riflessione sui ruoli sessuali. Sia il mito femminile della femme fatale che quello maschile del Don Giovanni

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implicano un netto bipolarismo incentrato sui ruoli di vittima e carnefice. La trasgressione delle norme legata al tema della seduzione consiste, nel caso della seduttrice femminile, nel fatto che essa ottiene sull’uomo un potere che costituisce uno scandalo nella società patriarcale. Per questo la femme fatale deve generalmente pagare con la propria morte. Nel caso di Don Giovanni il crimine e la sfida all’aldilà si aggiungono all’immagine della seduzione. Nei miti tradizionali della seduzione ai quali alludono i due primi romanzi della Covito la tentazione erotica viene rappresentata sullo sfondo di un discorso moralistico o implica una connotazione antifemminista. Un’analisi dell’immagine della seduzione in questi romanzi comporta quindi anche una riflessione sul modo in cui la scrittrice si rifà a questa tradizione. Se fosse possibile osservare dei cambiamenti rispetto ai miti tradizionali della seduzione, questo potrebbe significare che la Covito non li giudica più completamente adatti a simboleggiare situazioni moderne di seduzione – un’ipotesi probabile, se si pensa alle conseguenze che ha avuto per i due sessi il cambiamento del ruolo delle donne avvenuto negli ultimi decenni. Dato che figure letterarie mitiche come la femme fatale o il Don Giovanni sono il prodotto di ossessioni maschili, il semplice fatto che sia una scrittrice a rifarsi a questa tradizione può implicare un cambiamento di prospettiva.

Donna fatale e “bruttina stagionata”

4 Marilina Labruna, la “bruttina stagionata”, rappresenta l’esatto contrario di una seduttrice, come segnala già il titolo del primo romanzo: è troppo vecchia, non bella, nemmeno brutta, ma solo “bruttina”, e tira avanti piuttosto scontenta scrivendo tesi di laurea per studenti provenienti da famiglie benestanti. Sa di non essere in grado di sedurre, e soffre del fatto di non corrispondere all’ideale femminile coltivato dagli uomini. Marilina dà la colpa della propria mancata bellezza alla provenienza meridionale del padre, alla “razza mediterranea trapiantata a Milano troppo tardi per sviluppare un po’ di longilineità” (p. 8).

5 Da un lato la psiche di Marilina sembra essere fortemente influenzata dagli ideali di bellezza tradizionali e da un atteggiamento tendenzialmente masochista nelle relazioni, dall’altro tuttavia cerca di esplorare i nuovi spazi che le si aprono grazie alla propria indipendenza economica e al cambiamento dei ruoli indotto dall’emancipazione femminile. Nel corso del romanzo compie un’evoluzione grazie a tutta una serie di incontri che si basano su due diversi tipi di rapporti. Nella relazione con Berto sembra compensare le esperienze fatte nelle relazioni amorose precedenti, caratterizzate da una forte dipendenza psichica e dalla perdita di autonomia. I rapporti di potere sul piano economico sono capovolti, dato che è lei a pagare l’amante, e in un momento di verità fa l’esperienza di un nuovo tipo di relazione, una forma di incontro basata su un atteggiamento ironico e di osservazione distaccata, al quale tuttavia cerca subito di sottrarsi5. Il fatto che l’ironia venga esplicitamente nominata potrebbe qui assolvere già ad una funzione metanarrativa. Carmen Covito rifiuta, anche nel momento in cui descrive esperienze di violenza, una visione vittimistica del rapporto fra i sessi e predilige generalmente forme di rappresentazione ironiche e satiriche. L’ironia attraversa anche la descrizione della seconda storia d’amore di Marilina. La protagonista si innamora infatti di uno dei suoi clienti, Giandomenico Accardi, un uomo che è il suo esatto contrario: giovane, bello, ricchissimo, e, pertanto, irraggiungibile. Nella caratterizzazione satirica di questo personaggio Carmen Covito si serve di

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immagini stereotipate della felicità, come l’accenno al fatto che Giandomenico si accompagna ad una biondina magra e dalle gambe lunghe e che i suoi genitori hanno uno yacht a Portofino. Marilina, frustrata sia dalla sua relazione puramente sessuale con Berto sia dal suo amore non corrisposto per Giandomenico, cerca una via di scampo nel tentativo, descritto anch’esso in modo satirico, di conquistare l’autarchia sessuale andando in un sex shop. Viene allora coinvolta in un’imbarazzante discussione tecnica sui vibratori – un grottesco capovolgimento delle immagini femministe dell’emancipazione sessuale, citate esplicitamente in questo contesto (pp. 95-102). Carmen Covito contrappone alle idee di emancipazione sessuale del passato le reali tecniche di seduzione dell’industria pornografica e analogamente alla scrittrice austriaca Elfriede Jelinek, premio Nobel per la letteratura nel 2004, stimola inizialmente il voyeurismo del lettore, salvo poi frustrarlo alla fine dell’atteso piacere.

6 Com’è che Marilina, nonostante i suoi gravi difetti, riesce a divenire un personaggio di seduzione? Ciò che glielo consente è l’esperienza compiuta in un altro luogo in cui non si sente percepita attraverso stereotipi sessuali, ovvero in una discoteca gay6. È proprio qui che riesce finalmente a trovare uno spazio di libertà, perché ha l’impressione di non essere oggetto di uno sguardo giudice. All’omosessualità la Covito associa la possibilità di sfuggire alla tradizionale bipolarità dei ruoli sessuali: “Quando entra in campo l’omosessualità, i ruoli di genere si moltiplicano e possono annullarsi a vicenda”7. Ballando Marilina comincia a giocare con i cliché sulla seduzione e diventa lei stessa seduttrice. Il modello implicito a cui si ispira la Covito in questa scena è Rita Hayworth nel film Gilda del 19428. In tal modo essa elabora un modello di seduzione (ricorrente e strutturante nella scrittura della Covito, e dunque significativo da un punto di vista narratologico) che si basa sulla citazione ironica dei miti di seduzione. Nella discoteca gay Marilina riesce a sedurre un eterosessuale e ne trae la seguente lezione: “Dunque, per incontrare un uomo basta non darsi da fare per incontrarne uno? Strana cosa, la vita”9.

7 Alla fine Marilina riesce anche a sedurre Giandomenico Accardi, ma raggiunge il suo scopo solo quando ormai si sente molto distante da lui. Nella scena, alle quale partecipa anche il commesso del sex shop l’autrice crea un effetto di contrasto particolarmente grottesco mettendo come sfondo al crudo evento il testo delle arie della Carmen10. Anche l’allusione a un possibile esito tragico è ripresa da Carmen. Quando Giandomenico Accardi minaccia di ucciderla, Marilina è tentata di identificarsi con il mitico personaggio della femme fatale: Ma se invece lei ardisse recitare fino in fondo questo copione mitico che le viene così semplicemente offerto, se si lasciasse fiorire sulla tempia o sul seno un garofano di sangue, ecco che all’improvviso sulle spalle il cappotto le si merletterebbe nella spuma impalpabile di una mantiglia, e la sua gonna si allungherebbe in una fiammeggiante cascata di volants: e sarebbe lei Carmen. Marilina alza la fronte, spinge uno sguardo tragico oltre la soglia del Walhalla delle donne fatali e dice: “No.” (p. 248)

8 Ma la tragedia che il lettore si aspetta in questo momento viene trasformata in una farsa. Riassumendo, il tema della seduzione è affrontato ne La bruttina stagionata in modo generalmente ironico. La protagonista aspira alla posizione di potere che potrebbe raggiungere in quanto seduttrice, ma non corrisponde all’ideale collettivo della femme fatale. Questa discrepanza iniziale viene sostituita da un’altra discrepanza ironica, quando Marilina è alla fine in grado di sedurre, ma si accorge che l’oggetto della seduzione non ne vale la pena. L’ironia del testo può essere definita

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postfemminista nella misura in cui da un lato riprende dal movimento femminista la rivendicazione dell’autonomia sessuale, dall’altro tuttavia prende le distanze dal discorso vittimista che il femminismo ha spesso portato avanti e commenta in modo autoironico i tentativi di emancipazione della protagonista11.

9 L’ironia del testo si basa sull’utilizzo di un doppio registro, da un lato sulla rappresentazione e la riflessione sul cambiamento dei ruoli di genere che è stato provocato dalla liberazione sessuale e che ha per conseguenza una certa incertezza sulle regole di comportamento, dall’altro sulla decostruzione ironica dei classici miti di seduzione come il motivo di Carmen. L’ironia è una strategia che consente di appropriarsi di un’ossessione originariamente maschile, quella del mito di una seduzione femminile fatale. Attraverso il recupero ironico di questo mito in una prospettiva femminile è superata quella bipolarità di ruoli sessuali che implica come conseguenza la tragica fine della seduttrice. Significativa è anche la conclusione a cui la protagonista giunge alla fine del romanzo: in futuro potrà affrontare l’incontro con l’altro sesso come una messinscena o un gioco.

10 Nel suo saggio del 1994 Carmen Covito riflette sul mito della femme fatale e stabilisce un collegamento fra i modelli letterari e la nuova realtà dei ruoli sessuali: La tecnica teatrale dello straniamento può essere applicata, secondo me, anche alla realtà psichica delle donne contemporanee: oggi, dopo vent’anni buoni di femminismo militante che hanno profondamente trasformato il modo in cui le donne occidentali vedono se stesse, il fantasma della donna fatale non può più essere preso sul serio. Ma può essere assunto per scherzo. Cessata la possibilità di una identificazione “tragica”, si apre alle donne tutta la vasta gamma del comico: dalla parodia alla farsa, dal distacco ironico all’esagerazione grottesca12.

Straniamento del mito di Don Giovanni

11 Del perché i porcospini attraversano la strada prende in esame il mito del seduttore maschile. Il romanzo è dedicato ad Aldo Busi e ad altri artisti13. Attraverso i personaggi principali Arianna Maj e José Luis Medina Rossi alias Camacho14 vengono messi a confronto due modelli contrastanti di rapporto, il rapporto d’amore15 e quello di seduzione, che nella seconda metà del romanzo vengono sempre più accostati l’uno all’altro. Il seduttore Camacho, un ballerino di Flamenco di notevole talento, è visto con gli occhi di Arianna. È la percezione di quest’ultima a guidare il lettore, mentre manca del tutto la prospettiva interna di Camacho. Camacho è il capo di una compagnia di danza e fa la parte di Don Giovanni in uno spettacolo di cui lui stesso ha ideato la coreografia, che mescola elementi tradizionali e d’avanguardia, e colpisce per la sorprendente ibridazione fra il flamenco e la danza Butoh giapponese16. Le modifiche operate da Camacho nella trama del Don Giovanni riflettono in parte anche il suo sviluppo interiore. Il fatto che la Covito citi Antonio Gades nella sua dedica costituisce un richiamo intertestuale anche al film Carmen (1983) di Carlos Saura e Antonio Gades, che stabilisce lo stesso parallelo fra amore vissuto e messa in scena coreografica17.

12 Il momento della prima nel 1990 al Teatro Valli di Reggio Emilia costituisce la cornice a partire dalla quale Arianna, con un flashback di circa 10 anni, racconta le precedenti vicende dei personaggi. Tre dei sei capitoli portano i nomi di amanti del ballerino. Camacho è un amante “seriale”, le cui storie d’amore finiscono non appena lui ha l’impressione di avere troppo poco spazio per la propria vita personale. Ma a differenza di Don Giovanni, che in Don Juan Tenorio di Zorrilla ha bisogno solo di un’ora per

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dimenticare le proprie amanti, Camacho resta fedele alle proprie ex-amanti facendole continuare a lavorare per sé, una situazione che viene descritta non senza ironia. Per Arianna Camacho è di seducente bellezza nei momenti in cui balla dimentico di sé o quando si prepara alla danza18. È assente in lui la componente manipolatoria, di modo che Arianna alla fine constata: “Camacho non ha niente della mentalità del dongiovanni” (p. 250). Rispetto alle immagini militari e strategiche inerenti ai miti classici della seduzione, possiamo osservare qui un cambiamento significativo che riflette anche il fatto che Camacho è visto in una prospettiva femminile: egli è oggetto di uno sguardo esterno e non autoproiezione di una volontà di potere maschile. La seduzione di Arianna da parte di Camacho non avviene a livello sessuale. Tra il modello dell’amore e quello della seduzione rimane una distanza che Arianna tuttavia accetta: Non ci siamo mai amati. E non era possibile: ogni volta che i due percorsi delle nostre vite tornavano a incrociarsi e io tornavo a conoscerlo come se fosse un uomo nuovo e sempre più vicino alla mia idea di me con qualcun altro, Camacho si era già spostato di una frazione di centimetro più in là sul percorso che intersecava il mio, già mi dava le spalle, già aveva gli occhi presi dall’immagine di un’altra o un altro da desiderare. (p. 250)

13 Il motivo della seduzione nel secondo romanzo della Covito è fortemente associato all’arte, alla teatralità e alla messa in scena. La distanza della spettatrice, ovvero l’irraggiungibilità del seduttore, sono chiaramente evidenziati.

14 Arianna descrive l’effetto seducente del ballo come “quella qualità di agonia seducente, quella tensione da arco che è lì lì per saettarti nelle viscere una fatalità di desiderio andato a segno eppure non lo lascia mai scoccare”19. La seduzione è concepita dunque come una tensione in cui è inscritta una distanza, dato che la freccia di Cupido non raggiunge veramente il proprio obiettivo. Alla posizione di osservatrice di Arianna si aggiunge come caratteristica particolare la sua identità sessuale incerta; nel personaggio di Arianna la presentazione di sé e l’identità interiore, gli elementi maschili e femminili della personalità sono coinvolti in una fluttuazione continua, che modifica anche lo sguardo con cui essa osserva gli altri personaggi. Il cambiamento di questo sguardo le consente alla fine di riconoscere la differenza fra Camacho e la classica figura del seduttore. In un’intervista con Rocco Capozzi Carmen Covito sottolinea il fatto che il personaggio di Arianna è costruito in modo da sfuggire ad un codice dei sessi di tipo binario: Arianna è una donna che se ne infischia di apparire convenzionalmente “femminile”, e questo fa di lei una persona “non gender” (decisamente in anticipo sui tempi, visto che di “non gender” si sta cominciando a parlare solo adesso). Quanto a me, condivido il fastidio che questo personaggio prova nei confronti di chiunque cerchi di attaccarle addosso un’etichetta di genere, sia che si tratti di generi sessuali (gender), sia che si tratti di generi letterari (genre)20.

15 La dissoluzione del bipolarismo dei ruoli sessuali riguarda anche la descrizione del balletto Don Giovanni21. In una scena centrale il personaggio di Don Giovanni non viene più rappresentato come seduttore di donne, ma rivela un erotismo omosessuale nel momento in cui balla un pas de deux “ipnotico” con il Commendatore. La danza riflette quella fase della vita di Camacho in cui egli, sposato con un transessuale, non cerca più la femminilità nelle donne, ma la vive all’interno di un’esperienza omosessuale. Al tempo stesso però il significato di questa scena di danza trascende il piano sessuale. Camacho balla con l’amato Maurizio, un giovane ballerino di talento, ma il suo vero scopo non è la rappresentazione del desiderio erotico, ma una messa in scena della propria morte reale. Giunto ormai alla fine della propria carriera, desidera morire tra le

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braccia dell’amato per continuare a vivere nel suo ricordo – un desiderio che tuttavia non si realizzerà e che Arianna commenta in questo modo: “seduzione all’ultimo sangue, che idiozia” (p. 269).

16 In Del perché i porcospini attraversano la strada, il tema della seduzione è dunque modificato in una direzione ben precisa rispetto alla materia del Don Giovanni. Mentre il rapporto fra i sessi nel Don Giovanni contiene un bipolarismo inequivocabile di seduttore e sedotto, di carnefice maschile e vittima femminile, nel romanzo della Covito questa relazione si fa decisamente ambigua. Da un lato è lo stesso Camacho/Don Giovanni ad essere sedotto – dalla transessuale Mafalda, ma già prima dalla capacità di metamorfosi della giapponese Tetsuko – è dunque un “seduttore sedotto”22. Dall’altro lato si elude il bipolarismo delle posizioni sessuali attraverso la rappresentazione di bisessualità, transessualità e omosessualità. Il capitolo del matrimonio di Camacho con Mafalda ha a questo proposito una funzione centrale23, dato che la prospettiva di Arianna si arricchisce di conoscenze che guidano anche la percezione del lettore. All’inizio Arianna ritiene la sposa di Camacho una “Miss Troppo-bellaperesserevera” (p. 204), che risponde ai cliché di bellezza femminile, nobiltà e ricchezza, e si esibisce con Camacho in una danza nuziale estremamente seducente. Solo un poco alla volta Arianna si accorge che Mafalda è un transessuale e che il consenso di Camacho al matrimonio è basato solo su un gesto di amicizia e di empatia per i bisogni psichici di Mafalda. Il tema della seduzione è visto in questo caso in una prospettiva che oscilla fra empatia e ironia. Sia il tema della seduzione che quello dei ruoli sessuali viene in tal modo reso ambiguo e legato al motivo della maschera. Ciò che seduce di Mafalda è proprio la sua artificialità, non la sua biologia, come Arianna riconosce alla fine con una certa ironia: “Come donna, Mafalda aveva circa la stessa età della vernice rosa ciclamino sulla sua Ferrari, ridipinta per festeggiare la piena riuscita dell’ultima operazione di cambiamento di sesso” (p. 228). Secondo il commento finale di Arianna, il rapporto di Camacho con le donne ha dunque come logica conseguenza l’omosessualità: È un amante seriale però onesto, così come era stato un amico sincero quando mi consigliò di mettere una maschera da donna alla mia incerta identità sessuale; e non è colpa sua se l’ho fatto in ritardo sui suoi tempi, diventando una donna a modo mio mentre Camacho stava già studiando il riassunto e l’epitome e l’enciclopedia di tutto ciò che rappresenta la muliebrità nella mente di un uomo, e, a cinquant’anni, attraverso Mafalda, scopriva che la strada più semplice per possederla è saltare le donne e arrivare ad amare direttamente gli uomini; né è colpa mia se non ho mai imbroccato la rappresentazione giusta da recitargli nel momento giusto. (p. 250)

17 La fluttuazione dell’identità sessuale e il motivo della maschera mostrano che la Covito costruisce sul piano letterario un’idea di gender che – tradotta in concetti astratti – si può accostare alla teoria femminista del “gender trouble” di Judith Butler, la quale mira ad una destabilizzazione filosofica del binarismo dei sessi24.

18 Lo sguardo femminile sul personaggio del seduttore maschile genera alla fine un’altra immagine, quella delle linee convergenti piuttosto che quella del movimento verso un punto centrale. Arianna cerca infatti di aggirare il problema del potere insito nella classica rappresentazione del tema della seduzione: Mi rendo conto che la strana danza di corteggiamento ideata per me da Camacho, a poterla vedere col distacco che dà una prospettiva presa a volo d’insetto, non mi rivelerebbe nessuna ragnatela avvitata a spirale verso un centro che mi abbia catturata in trappola, ma la figura semplice e pulita di due singole linee che per un tratto convergono […] e al punto di congiungersi o scontrarsi o scavalcarsi fanno uno scarto minimo che ci porta a procedere affiancati senza rancore. (pp. 251-252)

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19 Che il tema della seduzione contenga anche una dimensione metanarrativa lo dimostra il fatto che la vera seduzione di Arianna non avviene sul piano della sessualità, ma su quello dell’esperienza artistica. Sotto l’influsso di Camacho Arianna diviene creatrice di opere d’arte tessili e costumista di fama internazionale. Alla fine riconosce che l’arte seduttoria di Camacho rappresenta un’altra forma di amore: “Se ha giocato con me come ora sta giocando con Maurizio, è stato per una specie di amore che nessun altro mi ha mai dato prima: nemmeno Gabriel, che non ha mai capito la mia smania di dipingere” (p. 271). L’evoluzione di Camacho e Arianna segue lo schema di un chiasmo. Lui fa l’esperienza dell’interiorizzazione della femminilità, lei compie attraverso l’esperienza artistica un’intima esperienza di virilità. Anche la sua concezione dell’amore ne viene modificata e diventa “una maniera nuova e tutta mia di amare, senza romanticismi e senza smanie di possesso e dominio [...] una forma di amore senza guerra” (p. 239).

20 La rielaborazione dei miti della seduzione confluisce nella Covito in una visione androgina dell’esperienza artistica, che si può interpretare non solo come una modernizzazione di questi miti, ma anche come il loro sovvertimento, giacché sposta la tematica su un altro livello, non più quello del potere e del sesso ma quello dell’autoaffermazione artistica. Sintomatico in tal senso mi pare anche il modo in cui la narratrice vede la sessualità. In superficie Carmen Covito fa parte di quelle autrici che infrangono i tabù utilizzando in alcuni passi descrizioni pornografiche. Spesso tuttavia questi passi non sono direttamente seducenti, poiché sono attraversati da elementi satirici e umoristici, cosa che succede in entrambi i romanzi. Momenti di seduzione che vengono descritti in modo seducente si trovano piuttosto nel secondo romanzo e non sono legati alla rappresentazione della sessualità, ma piuttosto a quella della danza artistica e dei costumi. L’io narrante Arianna descrive un chimono di seta in modo molto più sensuale che un’esperienza sessuale. Che questa sia una cosciente strategia testuale lo dimostra il mascheramento ironico metanarrativo di una citazione tratta da una recensione sui lavori tessili di Arianna: E proseguendo la strada aperta da Rebecca Medel, la ben più postmoderna A.Maj fa scattare nei tessuti mentali dell’osservatore la consapevolezza di una verità epistemologicamente illuminante: nella nudità più profonda del nostro oggi, è l’abito che, finalmente, fa il monaco25.

21 Questo richiamo colloca l’intero romanzo nell’ambito del postmodernismo e della relativa estetica delle differenze, che fa largo uso di procedimenti come quelli del mascheramento e dell’ironia.

22 Camacho e altri personaggi del romanzo seducono perché conoscono l’arte della messa in scena e del mascheramento. La maschera è, a sua volta, in stretto rapporto con il tema delle identità fluttuanti, un motivo ricorrente in Carmen Covito. Le posizioni bipolari dei ruoli sessuali tradizionali si fanno nel romanzo mobili e permeabili. Analogamente, gli elementi culturali di diversa provenienza si mescolano e possono essere liberamente combinati fra loro. A questo pensiero della differenza corrisponde l’estetica della citazione ironica, dell’umorismo e del grottesco, della cui appartenenza al postmoderno la stessa autrice è ben consapevole. Per quanto concerne il tema della seduzione è possibile osservare un’evoluzione e un approfondimento estetico nel passaggio dal primo al secondo romanzo di Carmen Covito: il duplice piano della seduzione vissuta e della seduzione artistica conferisce una maggiore ambiguità

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all’ironia di Del perché i porcospini attraversano la strada e inserisce il motivo della seduzione in un’estetica intertestuale e metanarrativa della differenza e della distanza.

NOTE

1. Magda Biglia intervista Carmen Covito scrittrice, in Interviste di un’ora sulla felicità, Gussago (Brescia), Vannini, 2000, p. 4. Per altre indicazioni bibliografiche cf. il sito . Per l’interpretazione dei primi tre romanzi della Covito, cf. S. Kleinert, Carmen Covitos Italienbilder: Geschichten von narzisstischen, elektronischen und interkulturellen Beziehungen, in Italienische Erzählliteratur der Achtziger und Neunziger Jahre. Zeitgenössische Autorinnen und Autoren in Einzelmonographien, a cura di F. Balletta e A. Barwig, Frankfurt am Main et al., Peter Lang, 2003, pp. 389-398. 2. R. Barilli, È arrivata la terza ondata. Dalla neo alla neo-neoavanguardia, Torino, Testo & Immagine, 2000, p. 82. 3. Cf. C. Covito, In Search of the Italian Language: Integrated Italian, “World Literature Today”, no 71, 1997, p. 309-312. Per quanto riguarda la lingua della Covito cf. anche S. Contarini, “‘L’eredità’ della neoavanguardia nei romanzi di Silvia Ballestra, Rossana Campo, Carmen Covito”, Narrativa, M.-H. Caspar (a cura di), no 8, luglio 1995, pp. 75-99. 4. C. Covito, La bruttina stagionata, Milano, Bompiani, 1992, p. 220. 5. Cf. p. 18: durante il rapporto sessuale Marilina si accorge con un “lampo di malessere” che Berto ricambia il suo sguardo ironico in modo altrettanto ironico. 6. Cf. pp. 166-175. La prospettiva autopunitiva di Marilina si manifesta anche nel vocabolario dantesco che viene usato al principio per descrivere la decisione di andare in una discoteca gay: “quale limbo migliore ci può essere di un mondo che la esclude per principio?” e “le era sembrato di essere nel purgatorio giusto” (p. 166), ma è proprio l’esclusione a concederle uno spazio di libertà che scopre ballando, dunque perdendo il suo autocontrollo usuale. 7. C. Covito, “Un guardaroba di fantasmi. La donna fatale oggi: realtà o citazione?”, All’insegna della donna fatale, A. Neiger (a cura di), Trento, New Magazine, 1994, p. 219. 8. Vedi in proposito le dichiarazioni della stessa Covito, op. cit., pp. 213-225. 9. C. Covito, La bruttina stagionata, p. 174. La scoperta delle proprie capacità di seduzione non è tuttavia aliena da pericoli, perché l’oggetto della seduzione, l’algerino Karim, una volta a letto diventa violento e comincia a strangolarla nel momento in cui vede minacciata la propria virilità (p. 186). 10. Il carattere grottesco e dunque in ultima analisi antivoyeuristico della scena deriva dal fatto che il coito anale a cui Marilina viene costretta da Giandomenico è interrotto da una telefonata del padre di lui, che dà istruzioni al figlio per il fiscalista, cf. pp. 223-224. Inoltre Marilina perde ogni interesse per Giancomenico nel momento in cui riconosce, in un vecchio film porno che lui le fa vedere, la madre di Berto e Berto stesso da bambino; capisce allora che Giandomenico usa i soldi come strumento di potere e che ha comprato il film da Berto (pp. 227-228 e 246-247). 11. Con un dettaglio significativo, la Covito allude al movimento femminista (p. 245): Silvio, il nuovo uomo, legge La sessualità maschile di Ida Magli perché gli piace la saggistica provocatoria (p. 242). Nel contesto dell’incontro con Silvio nell’Ambrosiana vi è anche un riferimento a Lucrezia Borgia, sulla quale Marilina sta compiendo delle ricerche per una tesi di laurea. Essa prende le distanze da questa immagine di donna potente ma anche vittima: “Se fosse nata lei nel

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1480, Marilina è sicura che sarebbe stata esattamente come è oggi: intenta a sopravvivere da sola, senza potere, senza un nome e senza un soldo” (p. 232). 12. C. Covito, “Un guardaroba di fantasmi”, op. cit., p. 221. 13. Oltre a Busi la Covito nomina nella propria dedica l’attrice cinematografica giapponese Murasaki Fujima, il ballerino spagnolo Antonio Gades, il giapponese Yasunori Gunji, direttore di Change Performing Arts Milano, l’attore kabuki Ennosuke Ichikawa III e – presumibilmente – il disegnatore di fumetti argentino José Muñoz, nonché il non meglio identificabile Jo Liberato. 14. Il nome di Arianna rimanda al mito omonimo: non è un caso che la protagonista chiami il proprio negozio di artigianato tessile “Labirintite”, dopo aver scartato “Il filo di Arianna” (C. Covito, Del perché i porcospini attraversano la strada, Milano, Bompiani, 1995, p. 208). Il nome Camacho risale alle “nozze di Camacho” nel Don Quijote e al sindacalista antifranchista spagnolo Marcelino Camacho (p. 211). Camacho è spagnolo e ha un passato antifranchista; tuttavia, fatta eccezione per un breve accenno al maggio 1968 (p. 212), non è possibile attribuire una particolare valenza politica al personaggio. 15. Arianna rappresenta il rapporto d’amore. A Madrid, dove copia i quadri del Prado, si innamora di Gabriel, un argentino esiliato e traumatizzato a causa della tortura subita durante la dittatura militare argentina. In questo rappporto d’amore perde sempre più la propria libertà per appoggiare Gabriel. Solo dopo aver rincontrato Camacho ritrova la propria autonomia lavorando per la compagnia di danza. Quando Camacho le rivela che Gabriel aveva tradito i suoi compagni in Argentina, si separa da Gabriel perché questi le aveva nascosto la verità (pp. 261-264). Infine Gabriel diventa l’amante della transessuale Mafalda. Il fallimento di questo amore non è rappresentato come tragico o drammatico. 16. “Mescolando danza classica, rock e flamenco con apparizioni di butoh giapponese, alcuni flash rubati a Pina Bausch e qualche citazione dall’espressionismo palladiano di Losey” (p. 16). 17. Sul proprio sito internet la Covito dedica un omaggio ad Antonio Gades, morto nel 2004. Lo ha conosciuto e intervistato nel 1984 e su “Panorama Mese” del giugno 1984 ha pubblicato un lungo articolo su di lui che si può leggere anche sul sito (consultato il 18 novembre 2004). La Covito avverte però che Gades è solo uno dei tre personaggi reali che hanno ispirato la figura di Camacho, insieme ad elementi puramente immaginari. 18. “Rimango trafitta come tutti da una bellezza che toglie il respiro” (p. 14); “quello che emana è forza, è una promessa di gioventù, è una luce animale” (p. 15). 19. P. 61. Il potere di seduzione del flamenco che Camacho e la giapponese Tetsuko mettono in scena trova una continuazione a livello dell’intreccio: Tetsuko seduce l’amica di un giovane giapponese che reagisce a questo tradimento di Tetsuko con il suicidio (pp. 79-85). Questo capitolo è ambientato a Madrid, ovvero in un paese in cui, come in Giappone, il concetto di onore è culturalmente molto radicato. Il potenziale distruttivo della seduzione nel contesto di una morale dell’onore non viene tuttavia più tematizzato altrove nel romanzo. 20. R. Capozzi, “Un incontro elettronico con Carmen Covito”, Forum Italicum. A Journal of Italian Studies, no 33(1), estate 1999, pp. 263-272, citazione a p. 263. 21. Cf. pp. 90-93. 22. Vedi infatti il commento autoironico: “E difatti il balletto si sarebbe potuto intitolare Il seduttore sedotto, se Camacho non mi avesse obiettato che chi vuole trovare una morale in un’opera d’arte deve essere obbligato per punizione a fare la fatica di cercarsela da sé […]” (p. 232). 23. La funzione centrale di questo capitolo (pp. 201-247) è evidente dal fatto che è qui che vengono spiegati il nome e la biografia di Camacho (pp. 210-213), il nome di Arianna (“A.Maj” = “amai”: “tu sei una che ha amato!”, p. 223) e il titolo del romanzo (p. 227). Il cognome di Mafalda Fitz-Fulke allude a un personaggio femminile del Don Juan di Lord Byron.

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24. J. Butler, Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity, New York et al., Routledge, 1990. Vedi in particolare l’attenzione al principio della parodia nella prassi e nella riflessione teorica sulla transessualità e sull’omosessualità. 25. P. 265. Nel contesto di questa citazione vengono nominati anche Baudrillard e Popper, e sebbene non venga menzionata nessuna opera in particolare, è possibile che la Covito conosca De la séduction di Baudrillard (Paris, Galilée, 1979). Rebecca Medel è un’artista tessile di fama internazionale, che insegna negli Stati Uniti presso la Tyler School of Art, cf.: (sito consultato il 12 novembre 2004).

AUTORE

SUSANNE KLEINERT Universität des Saarlandes – Saarbrücken

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Désir et répulsion : Aracœli ou le miroir paradoxal

Agnès Morini

1 La fable de Manuele, le protagoniste du dernier roman d’Elsa Morante1, est, comme toutes les fables, cruelle, féroce même, mais à la différence des autres, elle est sans morale, elle ment et elle ensorcelle pour ne rien révéler d’autre que son mensonge ; au contraire d’une initiation ou d’une catharsis, elle est un piège inéluctablement refermé, une impasse : « C’era una volta uno specchio dove io, mirandomi, potevo innamorarmi di me stesso: erano i tuoi occhi, Aracœli, che m’incoronavano re di bellezza nelle loro piccole pozze incantate » (p. 107).

2 Un jour – celui où on lui met sur le nez ses premières lunettes –, Manuele, littéralement contraint d’ouvrir les yeux, lit dans ceux de sa mère le premier signe d’une disgrâce définitive : « Per la prima volta nella [sua] vita, essa [lo] vedeva brutto2 » (p. 174). C’est alors et de cette manière que Manuele sort brutalement des « limbes3 », chassé à vie du « jardin magique » ou « jardin d’amour » par celle dont le nom promet pourtant exactement l’inverse (p. 123). Il ne se sentira plus jamais beau : « Presto mi fu chiaro ch’io non posso piacere a nessuno, come non piaccio a me stesso » (p. 14).

3 Pire encore, il n’aura plus de son corps d’autre image que de répulsion. Dans un miroir, celui sans concession d’une médiocre chambre d’hôtel cette fois, son corps qui apparaît ne lui inspire qu’une verbalisation dépréciative et les sentiments corollaires de dégoût de soi4 et d’« antipathie », pour reprendre un terme qui figure dans les pages auxquelles je fais allusion (p. 106-107). Ne se reconnaissant pas dans l’enveloppe humiliante de sa chair, Manuele cherche au fond du miroir de ses propres yeux, cet autre lui-même, « le seul, le vrai », cet enfant qu’il fut aux temps aveugles d’avant le désamour d’Aracœli, et dont il ne parvient pas à faire le deuil5. Mais ses pupilles ne reflètent qu’une « petite ombre diluée (presque naufragée) », mirage fabriqué par les yeux maternels, qu’il poursuit, « canuto Narciso », derrière tous les « narcisi imberbi » auprès desquels il mendie des miettes d’amour – « mi umiliavo in implorazioni mi prostravo gemevo » (p. 107). Et si nous employons le verbe « mendier », c’est que tout le comportement amoureux de Manuele reproduit celui de l’enfant de cinq ans qui se découvre laid dans les yeux de sa mère – « veggenza lacerante » – et essaie d’effacer des lèvres d’Aracœli

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un sourire forcé par son propre sourire « di rimedio », « di elemosina », « d’ansia interrogativa e di seduzione », appelant un baiser ou une caresse qui, en quelque sorte, le ré-aveugle (p. 174-175). Adulte suppliant et pleurnicheur, Manuele n’obtient généralement de ses amants que d’être objet de leurs « dileggi, ribrezzi, ricatti, percosse e linciaggi » (p. 107). C’est ce qu’illustre sa pitoyable aventure avec Mariuccio, sur le mode d’un « je t’aime moi non plus » dans lequel lui échoit le rôle du mauvais stratège : In un trattato sulla strategia amorosa avevo letto che i grandi seduttori da ultimo ricorrono alla tattica dell’assenza per trasformare un’ordinaria avversione in una nostalgia straordinaria. Ma alla mia assenza, invece, corrispose solo una calma spettrale. (p. 49)

4 Un calme après une tempête de rebuffades et d’insultes parmi lesquelles ce « Non lo vuoi capire che mi fai schifo? » n’est peut-être pas la pire (p. 48). La monstrueuse image que Mariuccio renvoie à Manuele n’est du reste qu’une variante verbale et injurieuse de cette « forma reale » que le miroir d’un petit hôtel d’Almeria « [gli] butta in faccia, senza cerimonie », de nombreuses années plus tard (p. 107) : « Sempre per la stessa domanda, o millanteria, o pretesa [celle d’être aimé, bien sûr], ci si consegna alla strage e alla croce e al sadismo e all’algolagnia e al saccheggio e alle macerie » (p. 107).

5 Mais, de station en station d’un interminable chemin de croix, la passion de Manuele ne rachète rien ni personne : « La mia domanda assillante ormai si legava inesorabilmente […] al tema della colpa e della vergogna. Ho rinunciato, alla fine, a ogni domanda; ma la colpa e la vergogna perdurano6. » (p. 14)

6 Ange déchu, Manuele vérifie dans sa chair le décret divin « Vi vergognerete della vostra nudità », auquel on negligea d’ajouter : « E avrete bisogno di carezze fino all’ultimo vostro giorno » (p. 108). Toutefois la loi est injuste, qui permet aux uns de séduire, à d’autres de n’être que les pantins d’un jeu de massacre – « pupazzo […] disarmato e sfasciato, una sagoma da tiro a segno » (p. 108-109) : Favoriti, infatti, fra i mortali, sono i giovani belli, che possono offrire senza vergogna alle carezze la propria carne radiosa. E riscattati coloro che, almeno, possono offrire qualche altro sfoggio, da farsene piacenti: esempio i campioni; i taumaturghi, i poeti. Ma io? Da offrire non ho niente7. (p. 108)

7 Tel est le drame humain selon Manuele : « Ogni creatura, sulla terra, si offre. Patetica, ingenua, si offre: “sono nato! eccomi qua […]. Vi piaccio? mi volete?” […] “vi paio bello?” » ; « unica perpetua domanda di ogni vivente agli altri viventi » (p. 107-108) : E ciascuno, allora si dà a esibire le proprie bellezze: donde si spiegano le nostre vanità disperate. […]. Orfani e mai svezzati, tutti i viventi si propongono, come gente di marciapiede, a un segno altrui d’amore. (p. 107)

8 Inutile de multiplier les exemples de cette nature, qui sont légion. On aura compris à ces quelques rappels que la logique du désir et de la séduction induite par le discours de Manuele est une logique de destruction. Et dans ce roman, nul n’y échappe.

9 Aracœli moins que les autres. Somme de toutes les femmes et mères des romans d’Elsa Morante, elle est l’illustration d’une nature à deux dimensions inconciliables entre elles : la maternité et la sexualité. Dans sa dimension maternelle, Aracœli se caractérise par trois traits : la permanence de l’enfance, la référence mariale et le statut royal (ragazza, Vergine et regina sont de fait les qualificatifs récurrents et emblématiques qui la définissent). « Macchina idiota », nous dit Manuele, « serva ignara » de ses propres mécanismes, « il […] corpo, immune da ogni tentazione erotica », « senza languore né civetteria » (p. 104), elle est porteuse de cette « attente inconsciente de la semence »

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pour remplacer ses poupées per « una bambola di carne viva » : « Esplorando fra le nebbie delle tue chimere bambinesche, forse si scoprirebbe che tu, allora, contavi su una fecondazione “senza peccato” comme quelle della Virgen » (p. 103-104).

10 Il n’y a encore chez cette Aracœli-ci qu’une sorte de coquetterie instinctive, génétique, mise en œuvre pour accéder à la maternité. La chambre conjugale reste le lieu d’une « investitura sacra » (p. 136). Mais quand la mère n’est plus – ce que marque symboliquement la mort de la petite Carina –, la femme, érotisée, se contorsionne dans le ballet nymphomaniaque, bestial et obscène d’une sorte de pestiférée8. La demande d’amour d’Aracœli est alors proférée par une voix définitivement « laida e plorante di femmina » (p. 239) et un appel du corps sans ambigüité : Al suo passo ondulante, le curve del suo corpo si proponevano, ingenue e sfrontate […]. E le voci di lode alla sua bellezza, le occhiate parlanti, parevano toccare fisicamente la sua epidermide, come lingue o dita, o mordere la sua pelle fino agli strati profondi, facendola trasalire. Di quando in quando, […] si lasciava in pose che una volta le avrebbero fatto vergogna. Si tendeva sul busto […]. Accavallava le gambe con una incuranza volgare […]. E se da un tavolo vicino un uomo prendeva a fissarla […] essa ne risentiva una emozione ansiosa, udibile e visibile nei suoi respiri. (p. 236)

11 Et plus elle s’offre, plus elle se donne, plus Aracœli se dégrade, au propre comme au figuré : les dernières descriptions du personnage multiplient les mots du gâchis, de l’avilissement et de la déchéance. Par ailleurs, plus elle se détruit, plus Aracœli corrompt ceux qui l’entourent. Parmi eux, Daniele, l’ordonnance de son mari, un jeune marin qui avait conservé la fraîcheur limpide et confiante de l’enfance, mais qui, attiré dans le lit d’Aracœli, est métamorphosé par un « hurlement bestial » – « da scimmia o da gatto selvaggio9 » (p. 260) –, après lequel sa voix sera « irriconoscibile, stonata e monca », puis toute « gemiti rantolanti » du jeune suicidaire qui a ingurgité un quelconque détergent à sa portée (p. 263). Quant à Eugenio, le père de Manuele, il est une présence solaire dans la première moitié du roman, nimbé d’un vague héroïsme, véritablement aimé des dieux (il s’appelle aussi Amedeo) et haussé à leur rang. Toutefois, s’il est dans un premier temps consacré par la « fede adorante d’Aracœli » (p. 183), il décrit ensuite avec cette dernière la courbe descendante d’une éloquente décrépitude : aux dernières pages du roman – qui lui sont presque entièrement consacrées –, sale, ivre, le corps déformé et malodorant, la peau maculée et sanguine, incapable de proférer autre chose qu’une série de mots informe « quasi idiota, finché gli si disfaceva in un impasto di suoni disarticolati e inservibili » (ibid.), Eugenio n’inspire à Manuele que « ribrezzo » (p. 321), « un cupo imbarazzo senza nessuna pietà » (p. 323) et « una torva antipatia » (p. 324). Aracœli, séductrice malade, jette sur le monde qui l’entoure la malédiction ravageuse du pourrissement et de la dissonance.

12 Il est alors logique que Manuele, éconduit et donc désenchanté (dans tous les sens du terme), nous donne du monde qui l’entoure une vision (et un point de vue narratif) pour le moins déformée, et ses défauts visuels y contribuent certes largement – il est à la fois myope, presbyte et astigmate : « Via via che il mondo […] s’andava offuscando e storcendo alla mia vista menomata, nel medesimo tempo l’acqua delle mie iridi s’intorbidava » (p. 175).

13 On remarque ici un nouvel effet de miroir : la vue défectueuse du personnage « trouble » le monde, et le monde « trouble » sa vue. Dès qu’il enfourche ses premières lunettes, Manuele enfant découvre un « mai veduto spettacolo d’orrore », un monde dont il saisit la clarté et le relief comme « un’unica violenza proteiforme » (ibid.). Il aura

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beau essayer d’ôter ses lunettes pour en repousser la laideur et en même temps reconquérir sa mère, rien n’y fera. Adulte, il gardera d’ailleurs l’habitude d’enlever et remettre ses lunettes dans l’espoir tout aussi vain de démêler ses fausses visions des vraies10. Bref, quoi qu’il fasse, Manuele appréhende le monde dans la difformité du gigantisme, du rétrécissement, de contorsions et d’effets lumineux de tous ordres, qui excluent toute harmonie. Il s’ajoute à cela toutes sortes de brouillages sonores qu’accentuent encore les effets chimiques de l’alcool, des drogues ou des narcotiques ingérés par le personnage : ses divagations visuelles et auditives deviennent pour le coup proprement « stupéfiantes ». Or, il ne s’agit pas tant, pour Manuele, de fuir le monde, fût-ce dans le sommeil artificiel – « Ho imparato a praticare il sonno come sperpero, sciopero e sabotaggio. E questi ultimi anni, io li ho spezzati e disfatti, disertando la fabbrica del tempo […]. Alla mia assenza, gli orologi del mondo saltavano, e le giornate si fogliavano in disordine… » (p. 51) – que de se laisser repousser par lui ; il s’agit en fait de se soumettre à un bouleversement de l’espace et du temps, de contribuer à subvertir l’ordre du monde (le pôle répulsif), pour accomplir le voyage à rebours vers Aracœli (son pôle d’attraction), comme le soulignent ces deux passages si emblématiques : Ribaltare il sistema del tempo. Il futuro all’indietro, il passato viene incontro. E in questa anarchia falotica, di là dalle croci dei giorni, c’è lei che mi aspetta11. (p. 51) Verso El Almendral, i tempi si riducono a un unico punto sfavillante : uno specchio, dentro il quale precipitano tutti i soli e le lune. (p. 22)

14 Ce point spatio-temporel aimanté, ce Nord de la boussole interne de Manuele, pourrait- on dire12, trouve par ailleurs un équivalent phonique dans la voix d’Aracœli, « proprio la voce fisica di lei, col sapore tenero di gola e di saliva » (p. 10), qui semble l’aspirer vers El Almendral13. Et Manuele de nous expliquer que ces manifestations ne sont pas une « transcription abstraite de la mémoire » (p. 109), mais le fruit de ce qu’on pourrait qualifier de « mémoire organique », un sixième sens capable de voir, d’entendre et de sentir par delà les dimensions réelles, « in quella zona [in cui] si avvera […] la resurrezione carnale dei morti » – on comprend du même coup que Manuele, en mal du corps de sa mère, réponde aux stimuli de ce cordon mnémonique (p. 10). Cependant cette mémoire-ci est une sirène, comme le révèle ce passage indispensable à notre propos : In genere si suppone che, al momento della nascita, la nostra memoria sia un foglio bianco; però non è escluso che, invece, ogni nuovo nato porti in sé la stampa di chi sa quali soggiorni anteriori, con altre nature e altre luci. Forse queste, agli esordi del suo soggiorno terrestre, interferiscono ancora, simili a una lente aberrante, nelle nuove apparenze quotidiane offerte alla sua retina. E allora il suo campo s’inonda di forme e colori favolosi, per via via ridursi, impallidendo nel tempo, alla povertà di una sinopia dopo lo strappo dell’affresco. Finché la memoria adulta (comunemente, almeno) provvede a dissipare fino all’ultima ombra di quel primario spettro luminoso. Considerandolo, a distanza, nient’altro che un effetto equivoco, falso e strumentale: il quale forse, con le sue fantasmagorie precarie, voleva consolarci della nascita, così come le visioni leggendarie dell’al di là vorrebbero consolarci della morte. (p. 111)

15 Nous voudrions d’abord remarquer le recours, ici particulièrement suggestif, au langage de la physique optique ; ensuite, la connotation paradisiaque du passé « prénatal » et consolateur dont les couleurs illumineraient la prime enfance ; puis la coïncidence entre la sortie de l’enfance et la désillusion littérale : le « spectre lumineux » est un spectre, l’effet d’optique (de mémoire) est un effet. Et force est de déduire de ce propos que l’Aracœli des origines après laquelle court Manuele, et qui,

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selon cette conception, appartiendrait au royaume des « fantasmagories précaires », est ainsi renvoyée à sa fonction de fée Morgane et de mirage14. Et même le souvenir de l’Aracœli des cinq premières années de Manuele, celle de la maison des Quartieri Alti, pourrait bien n’être qu’une « reconstruction visionnaire » (l’expression est empruntée à Manuele, p. 11), une image repêchée dans les eaux du fleuve Restitution : « È in quest’altro fiume che si ribevono le memorie perdute; ma come accertarsi che le sue acque non siano drogate, e inquinate da presagi o seduzioni, fabulazioni o inganni? » (p. 166). Manuele évoque du reste plusieurs fois des souvenirs apocryphes – « ricordi apocrifi » ou « rimembranze apocrife15 », que voici justifiés. La mémoire ainsi conçue explique également les impressions de déjà-vu qu’il éprouve et qu’il interprète comme autant de reflets entre plusieurs vies, de jeux de miroirs ! Voilà pourquoi Manuele croit reconnaître son parcours vers El Almendral : Chi sa in quale altra mia biogafia, già una volta mi sono avviato in questa direzione […]. Può darsi che quell’altra mia biografia sia soltanto immaginaria, un riflesso effimero di questa; ma anche è possibile che questa odierna, invece, sia solo un riflesso dell’altra: la vera […] questa esistenza mia presente in realtà non sarebbe che l’ultimo di una serie infinita di riflessi ingannevoli. L’unica vera mia esistenza starebbe alla sorgente, di là dagli innumerevoli specchi deformanti che me ne contraffanno la figura. (p. 139)

16 Cette source vers laquelle il doit remonter à la rencontre de sa « vraie » vie, c’est bien sûr Aracœli, celle dont l’image est restée prisonnière du miroir qui ornait le mur de sa chambre à sa naissance. Le voyage en avion de Milan à Almeria, est, nous dit Manuele, comme un pèlerinage vers le « Sanctuaire du Miracle ». C’est en tout cas un voyage à travers le miroir – « dentro il suo specchio dalla sontuosa cornice, [dove] mi precede la mia staffetta encantadora: lei! Aracœli!16 » (p. 20).

17 Les mots Miroir, miracle et mirage, qui dérivent, on le sait, d’une même souche, définissent pléonastiquement le personnage d’Aracœli en le plaçant dans le champ d’une séduction paradoxale et vénéneuse, c’est-à-dire qui attire (les hommes et la mort avec) et qui repousse (Manuele et avec lui la vie). Ainsi, en ce qui concerne Manuele, on constate l’effet quasi mécanique de cette séduction-répulsion : Aracœli morte, l’abandon consommé en quelque sorte, Manuele reflue en proportion vers leur point de fusion originel, le lieu de sa « vraie » vie, comme il finit par le croire ; la séduction de sa mère est donc tout à la fois vitale et létale17.

18 Nous voudrions à présent proposer d’envisager la thèse selon laquelle le miroir qui emprisonne cette Aracœli est au fond une métaphore du roman éponyme. Un roman envoûtant, mais d’une âpreté qui voudrait en signifier l’impuissance voire la mort. Un roman qui nous attire dans les mailles enchevêtrées des délires de Manuele en même temps qu’il nous repousse vers ses « matrices », les romans d’avant la mort de Pasolini – sous le sceau de laquelle il est placé, comme on le sait –, d’avant la vieillesse, la maladie et la tentation suicidaire d’Elsa Morante. Un roman qui, comme le miroir de la chambre d’Aracœli, garde les images des trois autres et donc nous y renvoie au détour de chaque page. Alors certes, la mémoire romanesque, comme celle de Manuele, spéculaire et trompeuse, hésite parfois entre fidélité et distorsions, mais nombreux, très nombreux sont, dans Aracœli, les échos thématiques, structurels et rhétoriques des trois romans précédents, tous degrés de déformation compris. Il n’est évidemment pas question de dresser un inventaire de ces coïncidences. Quelques exemples particulièrement significatifs suffiraient d’ailleurs à étayer une interprétation qui

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mériterait de toute façon plus que ces quelques lignes. Nous en retiendrons un surtout, celui de l’instance narrative.

19 Souvenons-nous que l’Elisa de Menzogna e sortilegio, et Manuele, sont imaginés dans des contextes existentiels initiaux qui, s’ils présentent de nombreuses différences, ont tout de même en commun de mettre en scène deux « malades de leurs parents », empoisonnés, intoxiqués (ces mots parcourent les deux œuvres) par du mensonge (et peu importe la nature de celui-ci, en réalité). Elisa, qui aspire à la guérison et à la revanche sur les fantômes des siens, nous raconte leurs vies dans un réordonnancement discursif systématique, s’affirmant peu à peu dans la maîtrise redoutable et ensorcelante d’une poésie ; elle élabore pour nous, ses complices explicitement désignés, un roman organiquement structuré en parties, chapitres, sous-chapitres, dans lequel elle tient presque tous les rôles – de personnage, de narratrice, de « secrétaire » inspirée, d’écrivain. Aracœli en revanche, nous propose une focalisation narcissiquement interne, presque asphyxiante18. Replié dans les volutes du cerveau détraqué d’un narrateur divisé entre un « vrai soi-même » et d’autres moins vrais, entre lui-enfant et lui-adulte, dans et en dehors de la réalité, ne se réalisant ni dans le féminin ni dans le masculin, bref constamment « réfléchi », dessaisi d’une identité stable – insaisissable19 –, le récit, à l’inverse de la reconstruction méthodique du familienroman d’Elisa, se présente comme une suite non orchestrée de fragments, discontinu, magmatique, conforme à l’incurable « natura scissa » de Manuele (p. 113), conforme aussi à son désir de revenir au temps informe d’avant sa naissance. Il n’est ni canalisé, ni dénoté, exempt de toute médiation métatextuelle, dépourvu du secours d’une voix unitaire et unifiante qui puisse réordonner la réalité dans la réalité romanesque20. Manuele a perdu la distance démiurgique qui instituait Elisa en être narrante-scrivente : il ne crée pas, ni ne re-crée – la création du récit reste jalousement auctoriale, et sa recréation nous est totalement confiée21 (on voit d’ailleurs poindre avec cette remarque un des arguments qui a pu faire parler de négation du récit dans Aracœli). De ce point de vue, Aracœli est une image totalement renversée de Menzogna e sortilegio.

20 Mais bien sûr, nous aurions tout aussi bien pu rappeler comment Aracœli perpétue le mythe de l’enfance non pas comme le temps et le lieu d’un bonheur sans failles – il est facile de recenser les situations de solitude et de frustrations affectives que connaissent les enfants morantiens –, mais comme condition d’une grâce interdite aux adultes ; comment il réaffirme la fonction tragiquement contaminatrice de cette pestilence qu’est l’histoire ; comment en tuant l’Aracœli « divine barbare » et avec elle toutes les Anna, Nunziata et Ida qui l’ont précédée, il ne réussit qu’à les sacraliser par le martyre de Manuele ; et ainsi de suite. À l’inverse, d’aucuns se sont ingéniés à voir dans cet ultime roman d’Elsa Morante, celui de la négation22, d’une amère palinodie23, celui du meurtre des autres, pour reprendre ici l’hypothèse de Cesare Garboli : Aracœli, est une parodie des romans morantiens vieille manière […] c’est un roman bouleversé, brisé et au fond objet de dérision ; les morceaux de verre qui le composent reflètent l’épave d’un ancien univers […]. La parodie est un autodafé ; une exhibition obscène ; le geste par lequel ce que nous avons aimé le plus est déchiré. Aracœli est ce geste24.

21 Appliquant ces jugements à l’espace diégétique ouvert par les pensées mortifères de Manuele, on pourrait de fait y souscrire – et ils ne sont en outre pas forcément incompatibles avec notre propos sur certaines permanences thématiques ou idéologiques dans ce roman. Pourtant, si l’on considère cette fois le style de ce dernier

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roman, raffiné, travaillé, qui reproduit des oscillations entre une ligne haute et une ligne basse auxquelles les trois précédents nous avaient déjà habitués25, qui bouscule une fois encore les conventions d’équivalences sociales du langage, s’il l’on considère son hybridation générique aussi (et nous ne nous attarderons pas à démontrer qu’il reste dans Aracœli d’évidentes traces de fable, des traits parodiques, des chansons, des pages hautement lyriques, et même le dessin du talisman d’Aracœli !), n’est-il pas évident qu’Elsa Morante, pas plus qu’elle n’a tué le genre avec Menzogna e sortilegio ne parvient à le faire avec Aracœli26 ?

22 Au miroir d’Aracœli, c’est encore l’image de la poésie totale inventée par Morante qu’on peut voir, et elle n’a rien perdu de sa puissance émotive, de sa force onirique (fût-ce sous la forme maléfique du cauchemar) et… oui, en dépit de ses tentatives nihilistes, de son pouvoir de séduction. Secondo certi negromanti, gli specchi sarebbero delle voragini senza fondo, che inghiottono, per non consumarle mai, le luci del passato (e forse anche del futuro)27.

NOTES

1. Notre édition de référence est l’édition princeps, Turin, Einaudi, 1982. 2. « Senz’altro, allora essa dovette rendersi conto, invincibilmente, che suo figlio, crescendo, s’imbruttiva; e che accusarne soltanto gli occhiali sarebbe […] un falso alibi. In verità, sullo stampo primitivo del mio viso, che tanto la innamorava, già cominciava a lavorare quel pollice oscuro e maligno che doveva deformarlo senza rimedio, per la mia eterna disgrazia » (p. 175). Voir aussi p. 172 et 283. 3. Nous faisons allusion au dernier vers de la dédicace de L’isola di Arturo, « fuori del limbo non v’è Eliso ». 4. « E chi non si schiferebbe di questa scimmia, quando me ne schifo io medesimo? » (p. 107). 5. Voir p. 106-107. 6. Le thème de la condamnation collective du paria est introduit dès cette page : « Quando mi succede di trovarmi fra una folla, io mi sento l’oggetto designato per un linciaggio. Il giudizio innumerevole del Collettivo punta le sue pupille omicide addosso al mio corpo » (p. 15). 7. On se souvient de l’Elisa de Menzogna e sortilegio, qui tend à se dénigrer au plan physique (elle évoque une « antica avversione per la […] propria figura » qui rappelle très directement l’autodévaluation de Manuele – p. 12 dans l’édition Turin, Einaudi, 1975, « Gli struzzi » 72), à faussement s’apitoyer sur son sort, tentant ainsi d’attirer sur elle la compassion, l’attention donc, de son lecteur, de l’impliquer dans une relation directe qui lui permette de transférer sur lui la frustration irrésolue de l’amour de ses parents. Elisa, faute de séduire son lecteur en imposant une beauté qu’elle dit ne pas avoir, l’attire dans les filets du récit qu’elle tisse. Sa coquetterie, sociale en somme, est celle de la conteuse qui s’exhibe pour être reconnue comme essere scrivente. Elle est, pour reprendre la classification de Manuele, du côté des poètes, des « riscattati ». 8. L’image d’un mal bestial qui tenaille Aracœli – « occulte mandibole lavoravano con ferocia nel suo ventre » (p. 249) – s’accompagne de celle de la contamination – « lebbra nascosta » (p. 248) ou « morbo ossessivo » (p. 249). C’est la différence la plus grande entre Aracœli et les personnages féminins des romans précédents d’E. Morante : Aracœli offre l’image d’une excroissance montrueuse de la volupté de l’Anna de Menzogna, comme si l’on était passé, du premier au dernier

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roman, de l’idylle de roman de gare à la pornographie. C. Garboli évoque, pour sa part, une « Madonna capovolta, sconsacrata, rovesciata » (Il gioco segreto. Nove immagini di Elsa Morante, Milan, Adelphi, 1995, « Piccola Biblioteca », p. 197). 9. Et par delà la mort, dans une hallucination de son fils, elle apparaît encore, silhouette dansante, mais « il suo ballo è una sconcia parodia dell’adescamento puttanesco. Via via […] essa si spoglia […] e le sue nudità scoperte provocano a vederle la stessa vergogna misera e irremediabile che fa torcere lo sguardo dai corpi degli animali scuoiati » (p. 130). 10. « Io mi metto, e mi ritolgo, e mi rimetto gli occhiali per ritrovare sempre il solito sfacelo di sassi e rupi » (p. 131) ; « gli oggetti comuni mi si trasmutano in sagome stravaganti e indecifrabili […] Né sempre gli occhiali bastano a soccorrermi » (p. 20). 11. D’autant que Manuele affirme par ailleurs : « Io […] sono tentato a inseguire la mia ragazza Aracœli in tutte le direzioni dello spazio e del tempo, fuorché una a cui non credo: il futuro » (p. 7), et : « Mi sono messo sulla strada […] per andare alla ricerca di mia madre Aracœli nella doppia direzione del passato e dello spazio » (p. 9). 12. En se référant à ces réflexions : « Quel minimo punto […] da ultimo era diventato l’unica stazione terrestre che indicasse una direzione al mio corpo disorientato », « portato dai [miei] sensi acuti, [io rifaccio] tutto il cammino all’indietro, verso il punto del principio (forse a una agnizione?) » (p. 9). Du reste, ce « richiamo senza nessuna promessa, né speranza » (ibid.) qui attire Manuele vers sa préhistoire nous paraît une forme inversée de celui qui happe Ida et Useppe vers l’« atroce Paradis » auquel est destinée l’humanité (La storia, Turin, Einaudi, 1974, « Gli struzzi » 58, p. 337 à 340). 13. Il convient de rappeler que Manuele souhaite carrément être ré-ingugité par sa mère : « Ma tu, mamita, aiutami. Come fanno le gatte coi loro piccoli nati male, tu rimàngiami. Accogli la mia difformità nella tua voragine pietosa » (p. 109). 14. Dans le même registre, la mémoire est par ailleurs qualifiée de « brumosa necropoli » hantée de « fantasmi […] larve minaccianti del passato. Miraggi negativi […] larve o miraggi: vale a dire fumo, zero » (p. 165). 15. Respectivement p. 11 et 13. 16. Pour la première évocation de ce miroir, cf. p. 10-11. 17. Et il nous semble que cela se produit aussi par ricochet, par personne interposée : souvenons-nous qu’Eugenio, détruit par Aracœli, devenu pour son fils objet de répulsion, révèle en même temps ce dernier à l’amour pour son père – « mentre mi rivoltavo di schifo alla sua presenza, io forse ne ero preso disperatamente d’amore » (p. 328). Par ailleurs, la répugnance de Manuele pour le sexe féminin illustre le même paradoxe. Laissé aux mains d’une prostituée, Manuele, entre dégoût et illusion d’amour, explique : « Era intoccabile dai miei sensi, non tanto […] perché repulsiva, ma piuttosto perché sacra » (p. 85). 18. Le rôle narratif de l’Arturo de L’isola est de toute évidence d’une complexité bien inférieure à celui d’Elisa, plus léger et limpide, au final. La Storia, ensuite, entre texte, paratexte, chapitres chronologiquement disposés, garde une ossature structurée, mais confie le récit à l’omniscience d’une voix extérieure avec, il est vrai, maints relais qui donnent souvent l’impression d’un roman choral, polyphonique. 19. Pour une forme aboutie et extrême de la schizé d’Elisa, en quelque sorte. Par ailleurs, alors que le narrateur de La Storia est positivement tout le monde, celui d’Aracœli l’est négativement : il n’est personne. 20. Dans un article intitulé « Aracœli: morte di Narciso », A. M. Zampolini observe fort justement que : « In Aracœli la narrazione ha perso la sua forma dinamica strutturante di uni-versum e gli elementi della storia ricadono nella più aspra confusione di tempi » (dans Letture di Elsa Morante, ouvrage collectif, Turin, Rosenberg & Sellier, 1987, « Quaderni/Gruppo La Luna », p. 186).

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21. D’ailleurs Manuele nous exclut et nous met en garde : « Questa sorta di monologo sregolato, che vado qui recitando a me stesso, io l’ho imbastito, fino dall’esordio, coi fili dell’equivoco e dell’impostura » (p. 24). 22. Nous faisons allusion à G. Ferroni, qui définit Aracœli comme « una negazione definitiva di ogni esperienza » dans lequel E. Morante aurait voulu « bruciare per sempre la sua vita, la sua passione, la sua letteratura » (dans Storia della letteratura italiana, Turin, Einaudi, 1991, vol. IV, p. 561). 23. G. Rosa, Cattedrali di carta. Elsa Morante romanziere, Milano, Il Saggiatore, 1995, p. 293. 24. [Aracœli è una parodia dei romanzi morantiani vecchia maniera […] è un romanzo rotto, sconvolto, frantumato e in fondo deriso; i pezzi di vetro che lo compongono riflettono i rottami di un antico universo […]. La parodia è un autodafé; un’esibizione oscena; il gesto con cui si straccia ciò che abbiamo amato di più. Aracœli è questo gesto], Il gioco segreto, ouvr. cité, p. 199. 25. Voir P. V. Mengaldo, « Vent’anni dopo La Storia. Omaggio a Elsa Morante », Studi Novecenteschi nos 47-48, juin-décembre 1994. 26. On se souvient qu’interrogée sur Menzogna e sortilegio, E. Morante avait déclaré : « Io volevo scrivere l’ultimo romanzo possibile, l’ultimo romanzo della terra, naturalmente, anche il mio ultimo romanzo » (Il Mondo, 13 avril 1968). 27. Aracœli, ouvr. cité, p. 11.

AUTEUR

AGNÈS MORINI Université Jean Monnet – Saint-Étienne

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Sedurre con il giallo. Il caso di Andrea Camilleri

Hanna Serkowska

1 Prima di parlare dei romanzi polizieschi di Andrea Camilleri, occorre fare alcune premesse. La prima osservazione è che ci muoviamo nello spazio del popolare e che il genere di massa, giudicato spesso come inferiore e collocato a margine della cultura alta, obbliga chi lo studia a spiegare se e quali vantaggi si possono trarre dall’occuparsene; in secondo luogo, porta ad indagare il contesto della comunicazione, la poetica dell’enunciazione e della ricezione. Una dettagliata disamina del testo, della fabula, dei personaggi e dei meccanismi narrativi interessa viceversa solo gli studiosi di indirizzo narrativista, decisi a dimostrare l’applicabilità dei propri strumenti di lavoro. Nel presente studio si propone invece di considerare alcuni elementi strutturali dei gialli camilleriani per metterne in evidenza le modalità di seduzione e individuare eventualmente il tipo di lettore (non solo comune, secondo l’accezione riduttiva del termine) cui punta lo scrittore.

2 La seconda premessa, derivata da e collegata con la prima, riguarda l’avvertenza della difficile identificazione e classificazione di ciò che è di massa e di ciò che non lo è. Contrario alla divisione in cultura alta e bassa, cultura e sottocultura, , spiega che le due non procedono mai del tutto indipendenti l’una dall’altra1. Contrario a simili rigide categorizzazioni è anche Camilleri di cui ho scelto di occuparmi solo delle inchieste poliziesche del commissario di pubblica sicurezza Salvo Montalbano2 (che per la brevità chiamerò “gialli”). Anche se non è mia intenzione dimostrare errata o prevenuta la bassa valutazione del giallo solo per spirito polemico, quanto affermerò in seguito, porterà tuttavia a concludere che la serie con Montalbano propone qualcosa d’altro rispetto a un intrattenimento intellettualmente sterile. Mi concentrerò in definitiva su come è costruito quel che viene detto nel romanzo, quale immagine del mondo si può ricostruire leggendo, quali sono, insomma, gli elementi utilizzati dallo scrittore per sedurre il lettore3. Non l’immagine della seduzione, dunque, bensì la seduzione con l’immagine e con dell’altro. Vediamo ora alcuni degli strumenti con cui Camilleri rende implicita la richiesta del lettore.

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La seduzione linguistica, gli schemi iterativi e i personaggi comuni

3 La decennale carriera di “tragediatore” (ovvero di tragediografo), l’esperienza e la sensibilità teatrali sono un fattore decisivo nella formazione del Camilleri narratore. Da uomo di teatro, Camilleri è abituato ad avere personaggi veri, non macchiette o funzioni, non figurine qualunque4, dotati anche di un dialetto specifico che è l’essenza della loro natura. Per questo il linguaggio originalissimo e i personaggi fortemente caratterizzati vanno considerati insieme. La loro lingua è il loro pensiero, constata Camilleri5, e usa un linguaggio che è una variante del dialetto siciliano perché essendo siciliani di nascita, non si può non tenere conto soprattutto della lingua della propria “tribù”, una lingua distinta da quella nazionale che è troppo neutra e inespressiva, utile solo a compilare una domanda in carta bollata6. La lingua esprime il costume sociale e politico dell’isola, gli odori, i cibi, il sole, ma anche la crudeltà, la violenza, l’omertà, la mentalità, le locuzioni gergali. D’altra parte, scrivere in dialetto siciliano significherebbe escludere dalla fruizione delle proprie opere il grande pubblico (“in un giallo ci sono già troppi enigmi perché se ne aggiungano anche di linguistici”)7. Il frutto della ricerca di un mezzo linguistico, capace di esprimere sia i concetti (prerogativa della lingua, secondo Pirandello) che i sentimenti (prerogativa del dialetto), è l’invenzione di un dialetto inesistente definito dall’autore un “italiano bastardo”8. Di esso ci piace l’espressività, la vivacità dei calchi del parlato quotidiano e ci diverte la stilizzata colloquialità e proverbialità. È un linguaggio colorito, pittoresco. Ma quel che ci seduce davvero è il piacere che si prova quando con agio si viene a padroneggiare una lingua nuova, perché il dialetto “mescidato” (cioè meticciato, creolizzato, come a volte lo si chiama) è in Camilleri sorprendentemente comprensibile. La lingua vigatese viene spiegata dal narratore o dagli stessi personaggi, le espressioni dialettali sono commentate, parafrasate, accompagnate da diversi sinonimi di cui almeno uno è comprensibile, o poste in un contesto che le rende facili a capirsi9. L’operazione linguistica, poi, interessa solo il lessico, mentre la sintassi rimane ancorata a quella italiana (tranne una accessibilissima concessione al vernacolare nell’uso del passato remoto o nella collocazione del verbo al termine della frase). Il lettore è difatti coinvolto da quello che è un innocente, cioè elementare, facile giallo linguistico e le sue capacità intellettive ne escono lusingate. Non si rimane spiazzati se non per poche pagine. Poi si impara a districarsi, si acquista familiarità e si capisce il vigatese.

4 Per parlare dei personaggi (ma il discorso vale anche per i temi e i motivi dei gialli di Andrea Camilleri) conviene ricordare la forza suadente e l’efficacia della ripetizione che, abbinata all’innovazione (meglio se minima), piace e reca conforto10. La regola sembra applicata per intera da Camilleri. Le iterazioni continue, il ritorno e il riconoscimento del già noto lusingano il lettore facendogli identificare in un contesto o in una situazione nuova, o leggermente cambiata, gli elementi risaputi sia in una serie di testi con un gioco di richiami da romanzo a romanzo (che della serie con Montalbano fanno un sequel), sia replicando gli stessi elementi all’interno di un testo (ricorrenze intratestuali).

5 I personaggi principali sono tutti seriali, ritornano di romanzo in romanzo tutti, tranne Montalbano, con le stesse abitudini, poco o per niente mutati. Siccome hanno ciascuno una determinata funzione da svolgere in relazione al protagonista, sono spesso psicologicamente ingenui e portano avanti in maniera caricaturale determinati vizi o

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virtù, spesso in coppia antitetica con un altro personaggio. Anna Tropeano, donna sicula (quindi dai costumi riservati), è contrapposta alla svedese Ingrid (sensuale e disinvolta). Livia, la fidanzata leale, ma lontana, “continentale” che vorrebbe irretire il maschio nei lacci matrimoniali, si confronta con la governante Adelina, un’ottima cuoca, un tipo di donna che non pone problemi e non crea tensioni. Non v’è (forse ad eccezione di Clementina, l’ex-insegnante di Montalbano, una figura materna, dignitosa e intelligente) un personaggio femminile dotato della stessa dignità di Montalbano, quindi in tal senso Camilleri non rinnova gli schemi del giallo, genere tradizionalmente maschilista, né cerca di sovvertire gli stereotipi isolani vigenti in materia.

6 Il vice-commissario Mimì Augello è un rivale del commissario in privato (da smodato donnaiolo, dimostra troppe attenzioni a Livia) e al lavoro (aspira al posto dell’altro). Il collaboratore fidato e coraggioso, l’amico leale di Montalbano, Fazio, è invece un ottuso. Nutre una passione maniacale per la stesura minuziosa di indagini, verbali, rapporti, dovuta forse al suo complesso da impiegato dell’anagrafe. Alcuni personaggi, quasi caricaturali, destano ilarità, come Catarella, il centralinista del commissariato, incapace di fare altro e forse incapace di fare anche questo. La sua robusta ignoranza e il fatto di conoscere esclusivamente il dialetto vigatese, lo costringono a comunicare ricorrendo a una variante di linguaggio fatto di vocaboli storpiati, attinti dal burocratese, dal popolare e dal dialetto siciliano. Per riuscire a comunicare con il telefonista, Montalbano cerca di servirsi del linguaggio dell’altro costituendo così delle scene distensive e spassose. Sono dei personaggi stereotipati, ridotti a sentimenti e a valori rudimentali, e, osserviamo, sono delle persone comuni. Li conosciamo e riconosciamo di puntata in puntata, ci affezioniamo e li amiamo.

7 Tra di loro spicca la figura del commissario11, cui il lettore si affeziona ancora di più: solitario, sensibile all’ingiustizia arrecata ad altri (meno importante delle sue vedute politiche – sappiamo tuttavia che è di sinistra, è un ex-sessantottino che disprezza i pentiti e detesta i trasformisti – è il fatto che Montalbano è sempre pronto a difendere i deboli), leale e onesto, ma anche bisbetico e permaloso, con repentini sbalzi d’umore a seconda del variare delle condizioni atmosferiche. Ha i suoi vizi e le sue virtù: è insomma un eroe del tutto comune. Ama il proprio lavoro ma è insofferente verso la burocrazia e i metodi sterili di indagine, non è asservito alla mafia. È intuitivo e istintivo (una delle maggiori doti possedute dal nostro commissario è il suo formidabile istinto, un fiuto animalesco)12, sincero ma anche camaleontico e irascibile; contrario all’uso della forza anche se impaziente e diffidente; risoluto e razionale ma anche un bravo commediante che sa bluffare e mentire all’occorrenza. Allo stesso tempo è modesto (il contrario dell’arrivista Augello), non tiene alla carriera e alla promozione (in particolare se la promozione andasse a coincidere con la compromissione dei suoi ideali). Diventa timido, come le persone comuni, alla luce dei riflettori e balbetta davanti alle telecamere. Trasandato nel vestire, rifiuta in genere le pubbliche relazioni e le conferenze stampa.

8 Il protagonista camilleriano è poi vero anche in questo: invecchia. E invecchiando diventa più scettico, più svogliato, cambia i propri rapporti con gli altri. Da sempre tollerante e non violento, il sopraggiungere della vecchiaia ne diminuisce l’entusiasmo del detective, crescono invece il senso della stanchezza e del disgusto verso la realtà circostante che lo rende sempre più deluso e impotente. Quel che egli riesce a conservare è il fermo senso morale, l’incorruttibilità.

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9 In privato, lo “sbirro” dal volto umano, anche se attratto dal gentil sesso, è celibe e non è un donnaiolo. Mangia, beve e legge. Le doti culinarie e il gusto per la buona cucina di chi del mangiare fa un rito diventano un criterio di valutazione degli altri personaggi. Chi è capace di cucinare è simpatico. Ma attenzione: la lettura è ancora più importante del mangiare. Montalbano (come Maigret di Simenon) ha una casa piena di libri, li commenta, ne cita gli autori e crede nel valore dei libri, il che non è un dato irrilevante all’interno del meccanismo di seduzione del lettore. Il fatto che il protagonista simpatico legge, deve aumentare nel lettore l’interesse a leggere altri libri, compresi i gialli di Camilleri.

La Sicilia tra cartolina e caricatura, ma depoliticizzata

10 L’ambientazione dei libri di Camilleri è siciliana. Il fatto piace ai lettori, ma dispiace a molti critici tra cui Giulio Ferroni che definisce la rappresentazione camilleriana della realtà politico-sociale della Sicilia “di pura maniera: un Meridione da cartolina (macchiettistica e stereotipata, incapace di toccarne i problemi autentici; una Sicilia rassicurante) con esiti di involontaria parodia quando ricorre ai più usurati clichés fatti propri da una certa banale letteratura e cinematografia”13. Secondo Marcello Sorgi, la “sicilitudine di Camilleri è autentica, ma un po’ datata”14. Io trovo invece la sua sicilianità innanzi tutto caricata, cioè caricaturizzata. Lo scrittore s’inventa una città immaginaria e inesistente, ma fatta ugualmente come un crogiolo di una tale quantità di caratteristiche (pur più usurate) e di mali isolani da diventare la città siciliana per eccellenza. Le doti dei siciliani, presentate inizialmente come virtù (diffidenza, rifiuto di cambiare), diventano dei difetti. Per esempio, l’amicizia tra i siciliani richiede la lealtà e la complicità, e implica il timore del tradimento al punto che una lite con un nemico si può risolvere più facilmente rispetto ad una lite con un amico; in questo secondo caso infatti entrerebbe in gioco il sentimento del tradimento. Ma siciliane sono anche, e prima di tutto, le radici culturali dello scrittore che si ritiene figlio di autori siciliani: “Dico sempre che quando ho le pile scariche vado da Sciascia e Pirandello, i miei elettrauti, e mi rileggo un loro libro. In fondo, la mia sicilianità è una questione genetica, spirituale, culturale e filosofica. Una cosa seria”15. E si crede un padre degli scrittori siciliani verso cui confessa di avere un atteggiamento mafioso: “io degli scrittori siciliani vorrei essere padre, complice, amico, tutto. Sugnu mafiusu rispetto agli scrittori siciliani…”16. La sua prosa presenta tuttavia delle differenze da quella dei suoi padri letterari. In Camilleri la mafia (che ha visto in Sciascia uno dei maggiori denunciatori) è un tema marginale, o comunque non costituisce la prima ragione del delitto, mentre i moventi più comuni sono il denaro, le passioni, le vendette personali. Camilleri semplicemente non ritiene giusto esaltare i mafiosi a livello letterario. Non bisogna conferire loro la dignità di personaggi letterari. Se ne dovrebbero occupare i carabinieri, la polizia e la magistratura, dice a Lodato17. Quanto a Camilleri, egli vorrebbe depoliticizzare la Sicilia, e forse anche l’intero paese.

Invitare i lettori a diventare, insieme a Montalbano, “teorici del giallo”

11 Il giallo è un genere cui Camilleri è approdato per razionalizzare la scrittura18. Glielo consigliò Sciascia stesso suggerendo che la gabbia più vera per uno scrittore è il

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romanzo giallo. Il giallo è la forma letteraria più onesta, perché non si può barare con il lettore19. Oltre che per motivi di apprendistato narrativo, Camilleri si serve comunque del genere per sovvertirne le regole, come prima di lui hanno fatto Gadda, Dürrenmatt, Vàzquez Montalbàn. La serie con Montalbano è un omaggio al giallo globale20. Lo stesso Camilleri ammette, abbiamo già detto, l’ascendenza sciasciana e pirandelliana, eppure, anche dal punto di vista della tipologia del giallo, dell’autore de Il giorno della civetta, Camilleri ha tutto e nulla. Lo scrittore in modo spregiudicato strumentalizza gli ingredienti canonici del giallo (compreso quello del giallo storico sciasciano): riduce l’inchiesta poliziesca vera e propria a favore di un’indagine psicologica, dà molta attenzione alle vicende personali dei personaggi. Le premesse ideologiche cedono agli interessi psicologici. I lettori sono resi spettatori e complici di tali trasformazioni del genere di largo consumo.

12 Diversamente da Sciascia, Camilleri non vuole risalire alla verità. Il male nel mondo di Salvo Montalbano non è proprio di una fazione politica, di una classe, di una regione o di un’epoca storica. È umano. Eterno. E la verità è ambigua, per cui sembrerebbe che l’autore non condivida la dialettica schematica tipica, secondo Umberto Eco, della prosa popolare in genere. Si è manichei per due motivi: per motivi operativi e umani. Il romanzo si serve della contrapposizione semplice e elementare perché la cerca l’uomo comune che in tali contrapposizioni si riconosce21. Se Camilleri non riproduce semplicemente il modello manicheo è perché la lotta tra il bene e il male, e soprattutto il trionfo del primo sul secondo, non è scontato. Il suo detective non diventa perciò un superuomo, né un giustiziere machiavellico. Giustizia e verità trionfano raramente. Le indagini del poliziotto camilleriano non portano spesso a scoprire se non a quello che è una verità possibile22.

13 Resta comunque il fatto che il giallista baciato in fronte dalla fortuna del mercato ha clamorosamente confutato l’opinione di Alberto Savinio – espressa negli anni ’30 – il quale riteneva il giallo italiano non riuscito perché mancante dell’elemento romanzesco che avrebbe dovuto viceversa accompagnarsi al filone poliziesco. Facendo questo e riproponendo una formula nuova del giallo, in cui anche la ricerca linguistica è lungi dalla sperimentazione di marca gaddiana (non è un gioco linguistico fine a se stesso), Camilleri sconfina in pura ilarità e seduce il lettore facendogli apprezzare il genere del giallo capace non di denuncia politico-sociale ma di intrattenimento. Il piacere deriva dal fatto che il lettore è reso partecipe e testimone del tutto, comprese le trasformazioni della forma del genere.

Un impegno debole o forte?

14 Un certo impegno sulla realtà è un atteggiamento oggi tornato di moda, dopo decenni di evasione imperante. Quello camilleriano, riflesso nelle sue fabule, è un impegno debole. Al di là dei romanzi, Camilleri-intellettuale nutre una forte “passione civile”23, ne sono prova soprattutto i suoi interventi su “MicroMega”,24 dove spiega tra l’altro che la sua Sicilia non è una terra assopita e rassegnata che in tanti (escludendo Sciascia e Pirandello) hanno descritto prima di lui. È una terra in continuo movimento, sempre ribelle contro qualcosa o qualcuno; raccontare ciò con ironia o provocare il riso al lettore non significa mancare d’impegno né tanto meno mancare d’impegno nelle questioni civili. Camilleri non trascura l’interesse per l’attualità25, sostiene semplicemente che il giallo ha dei compiti civili da assolvere. In La voce del violino, mette

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in bocca alla ex-insegnante di Montalbano, Clementina Vasale Cozzo, un’apologia del giallo, considerato erroneamente come un genere di seconda categoria: tutta la letteratura è un giallo perché tutta la letteratura senza distinzioni cerca le radici del male. A chi lo aggredisce, come Vincenzo Consolo (secondo cui Camilleri sarebbe colpevole di aver tradito la tradizione impegnata di Sciascia e di gran parte della letteratura siciliana), Camilleri ribatte dicendo di avere un’idea diversa della letteratura e dei suoi obiettivi26, I veri compiti della letteratura sono quelli di “avere una funzione di conoscenza, però senza darlo a vedere, perché se lo diamo a vedere diventiamo dei maestri di scuola, oppure facciamo della propaganda per questa o per quell’idea; bisogna non darlo a vedere e, meglio ancora, possibilmente divertendo”27.

15 Una cosa è orchestrare rappresentazioni realistiche del mondo, un’altra credere di poterlo cambiare. Camilleri si limita infatti alla denuncia dell’affaristica e mafiosa classe politica siciliana e italiana in genere, tuttora in buona salute e le cui qualità sono concentrate nella figura di Silvio Luparello, campione della trionfante nuova classe dirigente al potere, o in quella dell’avvocato Rizzo. Montalbano non vuole perseguitare e punire i rei. Si limita alle indagini che, pur brillanti, spesso non portano all’arresto del colpevole, alla condanna del malvivente (vuoi perché il reato cade in prescrizione o è coperto da segreto di stato, vuoi per la compassione del commissario) e tutto si dilegua. Più che scovare il colpevole si vuole capire la molla, rivelare la causa scatenante del crimine che è spesso umana prima che politica.

16 E nel far sì, Camilleri risulta magistralmente consolatorio ai lettori comuni, ma non solo. In primo luogo perché le immagini di giustizia gestita da altri (il lettore può mettersi la coscienza in pace) gli fanno dimenticare, almeno momentaneamente, che nella realtà la giustizia gli è sottratta28. In più, nonostante le mille cose che accadono, l’ordine della realtà non è alterato ma riconfermato. La consolazione è mistificatrice, ma efficace. Il giallo camilleriano scopre così il suo volto non rivoluzionario, ma consolante e conformista. Se si contesta è solo per riaffermare definitivamente l’ordine (sociale, di costume, politico) momentaneamente turbato. La società di Camilleri, pur turbata e corrotta, resta ciononostante in equilibrio. Si tratta ora di trovare un modo per far accettare il mondo com’è. Il giallo camilleriano seduce senza garantire una finale e univoca soluzione del mistero, cioè senza fondarsi sulla premessa dell’inevitabile e dell’imprescindibile scoperta del vero. Si passa dal giallo storico- ideologico sciasciano a quello camilleriano comico-esistenziale e civile (e anche autotematico, se vogliamo ricordare il bricolage del genere). La serie con Montalbano tornerebbe a rappresentare quello che Eco ha definito la prima fase del genere popolare (con Eugenio Sue, I misteri di Parigi, e Dumas, Conte di Montecristo – metà Ottocento) con la sua apparente mancanza di impegno, con la sua deliberata volontà di divertimento, con il suo descrivere la vita delle classi subalterne o comunque estranee al potere. Si ha la piena consapevolezza che il ricco prevarica sul povero, che il potere è fondato sulla frode, ma non si auspica né si profetizza la lotta sociale, né si vuole sovvertire l’ordine della società. Camilleri propone una soluzione minima, una quasi-soluzione: oppone la propria giustizia e dirittura morale all’ingiustizia comune. La sua stessa quest ricompensa i buoni e ristabilisce l’armonia. Consola i lettori con l’immagine o con l’illusione della giustizia, mettendo al contempo a nudo (denunciando) dei problemi. Seduce con gli schemi iterativi, con il gioco linguistico, con “l’eroismo comune” dei protagonisti, con un’immagine depoliticizzata della Sicilia e, infine, lodando i lettori per la capacità di riconoscere le trasformazioni del genere. Il catalogo degli strumenti

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impiegati per sedurre l’oggetto prescelto ne descrive il tipo. Il lettore immaginato da Camilleri è uno che vuole essere divertito e intellettualmente lusingato, commosso e spaventato, per poi essere consolato e rassicurato. O c’è qualcuno che non lo vorrebbe?

NOTE

1. Il superuomo di massa, Milano, Bompiani, 2001, p. 16. 2. Dal 1967 Camilleri, che fino a quell’anno fece solo teatro, poesia, giornalismo e insegnò all’Accademia d’Arte Drammatica, scrive romanzi. Nel 1978 pubblica Il corso delle cose (il titolo è una citazione da Merleau-Ponty, il corso delle cose è sinuoso, non lineare) e trova tutte le porte chiuse, forse a causa dell’uso che fa del linguaggio. La forma dell’acqua, il primo racconto della serie con Montalbano, nasce dopo diversi romanzi a soggetto storico ed è pubblicato da Sellerio nel 1994. 3. Anche se la reazione del lettore non è fino in fondo prevedibile (la seduzione non è che il tentativo, la speranza, l’illusione del sedurre), parlando delle modalità di seduzione testuale non ci muoviamo tuttavia nell’ignoto assoluto. L’oggetto sedotto esiste pur nello sguardo / nella mente di chi seduce, quindi tramite l’analisi testuale si può risalire al tipo di lettore modello che l’autore cerca e che cerca di sedurre. 4. Ancora ne La forma dell’acqua Montalbano era una macchietta, ma a partire da Il cane di terracotta, Camilleri ha cercato di definire meglio il personaggio (cf. M. Sorgi, La testa ci fa dire. Dialogo con Andrea Camilleri, Palermo Sellerio, 2000, p. 75). 5. Sorgi M., op. cit., p. 120. 6. “Per essere vero, devo usare il linguaggio della tribù” – afferma Camilleri intervistato da U. Ronfani, “Il Resto del Carlino”, 1 settembre 1999. 7. Cf. M. Pistelli, . Sulle tracce del più famoso commissario di polizia italiano, Firenze, le Càriti Editore, 2003, p. 18. 8. M. Pistelli, op. cit., p. 23. 9. Si veda a questo proposito M. Sorgi, op. cit., pp. 19-22. 10. U. Eco, Il superuomo di massa, op. cit., p. 73. 11. Piero Dorfles (Montalbano e altri poliziotti istituzionali in: Il caso Camilleri. Letteratura e storia, Palermo Sellerio, 2004, pp. 54-60) osserva che il commissario esce dagli schemi, va contro le regole di comportamento di un poliziotto. Così anche Simona Demontis (I colori della letteratura. Un’indagine sul caso Camilleri, Milano Rizzoli, 2001) dice che il poliziotto camilleriano, incline all’irrazionale e alla trasgressione, spesso indaga delitti che non cadono sotto la sua competenza o che sono archiviati da anni, cause non sue, e contro il divieto dei superiori. Nonostante le pressioni che gli arrivano da tutte le parti, egli persiste, convinto che la ricerca della verità non deve essere ingabbiata negli schemi dell’apparato burocratico. Montalbano assume dunque un ruolo anti-istituzionale e anti-regolamentare. La forma dell’acqua è una specie di compendio di tutto ciò che un poliziotto può fare contro le regole. La funzione sociale del detective supera quindi gli obiettivi giuridici e raggiunge quelli morali. 12. Vedi M. Pistelli, op. cit., pp. 62-63. 13. Cf. M. Serri, «Ferroni stronca l’autore più letto dagli italiani. Camilleri? Solo marionette», l’Espresso, 18 gennaio 2001. 14. M. Sorgi, op. cit., p. 29.

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15. M. Pistelli, op. cit., p. 58. 16. S. Lodato, La linea della palma, Milano, Rizzoli, 2002, p. 244. 17. Id., op. cit., p. 24. 18. M. Sorgi, op. cit., p. 72. 19. Camilleri su La Stampa, 2 giugno 1998. Inizialmente la sua intenzione era di “vedere se potev[a] scrivere un libro dalla a alla zeta” (i romanzi storici li scriveva partendo da un fatto attorno al quale costruiva cerchi concentrici) (l’Espresso, 25 giugno 1998), e con Diego Fabbri ha imparato a destrutturare e successivamente a rimontare nella sceneggiatura i gialli di Simenon (Beppe Benvenuto, Montalbano, “teorico” del giallo, in Il caso Camilleri, op. cit., pp. 61-75). 20. A. Camilleri, La Stampa, 2 giugno 1998. 21. U. Eco, op. cit., pp. 168-169. 22. S. Demontis, op. cit., pp. 157-158. 23. Camilleri racconta a Sorgi il suo passato fascista, poi comunista, e infine il suo disinteresse per la politica: “Ti confesso che sono abbastanza disincantato. […] Mi dirai che sono indifferente: è possibile, sono anziano. […] Ogni tanto mi indigno… [...] In sostanza: non ho alcuna nostalgia del passato. Ma come vedi, ho un giudizio negativo sul presente”. M . Sorgi, op. cit., pp. 142-143. 24. Su “MicroMega”, dove l’autore pubblica dal 1999, scrive Cinque favole sul Cavaliere, n. 4, ott.- nov. 2000 e Cinque favole politicamente scorrette, n. 1, febb. 2001. 25. L’impegno sul reale è talmente forte che egli “non s[a] inventarsi le storie di sana pianta, h[a] bisogno di una spinta di verità. […] Io ho sempre bisogno di un punto di partenza, minimo se vuoi, del fatto accaduto, di qualcosa che è già successo…” (M. Sorgi, op. cit., pp. 74, 81). 26. “Consolo pone un problema immenso: l’obbligo dell’impegno. Uno scrittore non è scrittore se non s’impegna. Io penso il contrario: uno scrittore s’impegna all’atto della scrittura. […] Io reagisco a una certa idea dell’impegno, come lo intende Consolo, e come lo intendeva Sartre. L’impegno organico, lo scrittore organico. Uno scrittore, specialmente uno scrittore siciliano, si deve scontrare per forza con la realtà. Che poi lo faccia in termini di leggerezza, è duro in Italia a farlo capire. […] Quando mi chiedono un articolo per un giornale, nel novantanove per cento dei casi è un articolo su un fatto di costume. Non mi sono mai sognato, per questo, di considerarli articoli disimpegnati. L’impegno non è assoluto, è quotidiano, si vede anche nel pagare le tasse.” (M. Sorgi, op. cit., pp. 148-149, p. 153). 27. Un giallo mediterraneo? Domande di M. D’Alema a M. V. Montalbàn e A. Camilleri, p. 62, cf. M. Pistelli, op. cit., p. 105. 28. U. Eco, op. cit., p. 87.

AUTORE

HANNA SERKOWSKA Uniwersytet Warszawski

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Techniques de séduction dans le polar italien contemporain

Barbara Meazzi

1 Avant d’introduire mon sujet, il faut trouver une définition de la séduction qui convienne au genre que j’ai choisi d’explorer, c’est-à-dire le roman policier. La séduction prévoit le détournement du droit chemin, du bien, du devoir, ainsi que le signale le Trésor de la Langue Française1. L’étymologie du mot, attesté depuis 1175, possède plusieurs connotations indiquant la trahison et le détournement : la séduction serait une action amenant à commettre une faute d’ordre moral. Bien entendu, le terme renvoie également à de nombreuses implications sensuelles, sexuelles et érotiques dont les femmes sont les objets alors que les hommes – cela arrive pourtant rarement – sont les victimes. La séduction demeure en effet surtout une affaire d’hommes : si la femme ose la séduction, c’est qu’elle est monstrueuse, comme la Lulu de Wedekind.

2 Le séducteur, tel Sade ou encore Don Juan, est par conséquent un corrupteur de femmes et surtout de jeunes filles ; il possède également la capacité de susciter le désir sans pour autant le satisfaire. Le séducteur a plusieurs techniques à sa disposition, selon le contexte, la situation et l’époque. Les conseils donnés aux hommes pour séduire les femmes, sur les sites Internet les plus disparates, sont nombreux. Généralement, la séduction d’une femme se décompose en sept mouvements : il y a d’abord le repérage, puis l’échange de regards et de sourires ; l’infiltration ; la diversion ; l’avancée fulgurante ; le retrait stratégique momentané évidemment suivi de la capitulation de la femelle, circonvenue avec de belles paroles.

3 La séduction passe donc par le langage : dans son ouvrage de 1916, Come si seducono le donne, Marinetti insiste sur le fait que la femme hait le langage éhonté des hommes, préférant la rhétorique de la séduction2. Pour aboutir dans la conquête, précise encore Marinetti, il faut avoir toutes les qualités du futuriste italien : un corps svelte, fort, agressif ; une belle chevelure ou une belle calvitie électrique ; une vitalité puissante, une voix mâle, des attitudes oratoires bien développées. Mais d’abord et avant tout, pour séduire, il faut considérer la femme comme une sœur de la mer, du vent, des nuages. Les femmes, écrit Marinetti, « pensano, vogliono, lavorano; preparano anch’esse il progresso intellettuale dell’umanità3 ».

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4 L’image que les femmes ont de la séduction masculine ne correspond pas toujours à celle que les hommes se font de leur pouvoir de séduction. Nous en avons un bel exemple dans un récit de Matilde Serao, « La virtù di Checchina » : mariée à un véritable rustre, Checchina se laisse séduire par les mots du beau marquis d’Aragona ; le marquis se révèle cependant aussi malotru que l’affreux mari, et la séduction décrite par le narrateur est une affaire finalement plutôt expéditive4.

Le roman policier et la séduction esthétique : première hypothèse

5 Le roman policier est un genre fondé sur deux types de séductions : la séduction (en vérité occasionnelle) entre les personnages principaux – que je désignerai comme séduction sexuelle et que j’illustrerai plus tard – et la séduction que l’auteur exerce sur le lecteur – que j’appellerai séduction esthétique.

6 Car le roman policier est une machine à lire. Il s’est produit quelque chose de mystérieux que l’on va essayer d’expliquer rationnellement : de ce fait, l’auteur tient le lecteur en haleine jusqu’au bout. Comme le note Sciascia, le lecteur est d’autant plus effrayé, intrigué, trahi et donc séduit assez facilement par l’auteur qu’il s’approche du polar dans un état de repos intellectuel absolu. Le lecteur est au polar ce que la femme serait à l’homme dans le domaine de la séduction : il se laisse emporter par l’émotion et accepte, par convention, « un ruolo di inferiorità e passività intellettuale5 ».

7 Conçu autour de la séduction esthétique, le roman policier ne donne jamais tout à voir, si ce n’est peut-être à la fin, lorsque le lecteur a l’illusion de disposer des mêmes indices que le détective. Si le roman policier donnait tout à voir, il tomberait dans la même sphère que la pornographie, c’est-à-dire dans un univers unidimensionnel trop réel et trop exact. Dans le roman policier, l’auteur donne à suggérer ; dans la pornographie, tout est donné, rappelle Baudrillard, et par conséquent toute poussée transgressive liée au principe de plaisir se trouverait inhibée. Seul le désir, dans sa violence irrationnelle, « dans sa pulsion hérétique et insurrectionnelle vers la totalité peut offrir une alternative révolutionnaire6 ».

8 Si le roman policier appartenait à un domaine unidimensionnel hyperréaliste comparable à l’hyperréalisme pornographique, il ne contiendrait que des certitudes et nierait le désir. Or – c’est là ma première hypothèse –, dans le roman policier rien n’est certain, et parfois même la solution n’est pas complètement arrêtée. Le roman policier est l’expression d’une incertitude, d’un désir non assouvi ; il est l’expression d’une excitation de l’esprit. Dans certain cas, du moins dans ceux que nous allons examiner, le désir suscité chez le lecteur par la séduction esthétique peut quelquefois contenir une portée transgressive justement dans la frustration d’un désir non assouvi.

9 Fondé sur une oscillation continuelle entre logique et imaginaire, ancré dans le suspense, le roman policier ne se résume jamais, puisqu’on déflorerait le plaisir de la lecture7. Il y a du suspense dans la séduction entre un homme et une femme ; il y a une oscillation continuelle entre logique et imaginaire. Une femme ne se séduit pas deux fois, en général, à moins que l’on ne soit un adepte d’Alexandre Jardin : une fois qu’elle a été séduite, la femme devient autre. Encore faut-il qu’elle ait été séduite et non pas désignée, comme le fait l’Alligatore pour Virna, dans Nessuna cortesia all’uscita :

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A servire ai tavoli ci pensava Virna. Di nome faceva Giovanna ma la chiamavamo così perché qualcuno aveva notato la sua somiglianza con Virna Lisi [...]. Quella ragazza cominciava a piacermi. [...]. Prima o poi l’avrei conquistata. Bisognava solo trovare il tempo di elaborare una strategia di corteggiamento. Magari vincente8.

10 Quelque temps après, l’Alligatore et Virna ont une conversation. Ce serait le moment où l’homme pourrait déployer sa stratégie gagnante : en réalité, il perd ses moyens rhétoriques. Quant à Virna, il ne s’agit point d’une femme fatale en train de faire un strip-tease, telle Rita Hayworth dans Gilda, par exemple. Ses gants, rigoureusement noirs, ne sont pas de soie mais de caoutchouc, car elle est en train de passer la serpillière : Virna mi chiese di farle compagnia mentre lavava il pavimento [...]. «Ce l’hai una donna?» mi chiese mentre tenevo i piedi alzati per permetterle di pulire sotto il mio tavolo. «No, ma se hai qualche ora di tempo ti posso raccontare un paio di storie tristi e lacrimevoli. Pensa che l’ultima donna che ho amato follemente ha tentato di uccidermi un paio di volte». Lei rise di gusto pensando a uno scherzo. Si appoggiò al bastone dello straccio. «Anch’io non ho nessuna storia al momento». «Non ti ho chiesto nulla» mi affrettai a chiarire. «Appunto. Te l’ho detto perché non me l’avresti mai chiesto» ribattè in tono pratico e poi aggiunse: «Ho pensato che potremmo metterci insieme o almeno provarci». «Così. Senza corteggiarci. Sei proprio una romanticona». Virna si tolse lentamente i guanti di spessa gomma nera lunghi fino al gomito e andò al banco a preparare da bere. […]. «Secondo me vieni sempre in questo locale perché ci sono io. Ho visto come mi guardi e son sicura di piacerti» continuò seria. «Anche tu non sei male. Magari sei uno stronzo […]». Virna abitava in una vecchia palazzina del centro di Padova, ristrutturata durante i meravigliosi anni Ottanta in proficui miniappartamenti da trentasette metri quadri ognuno. Scopammo con circospezione e scarsa fantasia. «Magari la prossima volta ci scateniamo e facciamo delle cose pazzesche» disse lei alla fine, infilandosi la camicia da notte. «Magari» approvai con entusiasmo. (p. 43-44)

11 Ce sera pratiquement tout. De temps en temps, les deux tourtereaux auront l’occasion de se voir et de passer une nuit ensemble, en toute pudicité, comme d’ailleurs le conseille Sciascia dans son article sur Casanova et l’utopie : « La monotona ripetizione di quelle scene per cui sono considerate di acceso erotismo mi ha piuttosto inclinato alla contraria manzoniana considerazione e osservanza che di amore – e di fare l’amore – al mondo ce n’è tanto che non occorre metterlo nei libri9. »

12 Par conséquent, bien que les romans de Carlotto soient très transgressifs et subversifs, les évocations des images d’amour et de séduction demeurent très limitées et sont finalement très classiques, du moins pour ce qui concerne l’Alligatore, qui est un ancien détenu en quête de normalité et d’un quotidien aussi banal que possible10. L’amour pour Virna donne un sens de vérité et de normalité à la vie de l’Alligatore qui, pour rien au monde, ne veut renoncer à ce sens-là dans sa vie privée.

Le roman policier et la séduction sexuelle : seconde hypothèse

13 Pour ce qui est du thème amoureux entre protagonistes principaux, d’ailleurs, Carlotto respecte assez les règles du genre. Il est bien connu que les histoires d’amour doivent

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être bannies du roman policier, du moins selon Van Dine : « Le véritable roman policier doit être exempt de toute intrigue amoureuse. Y introduire de l’amour serait, en effet, déranger le mécanisme du problème purement intellectuel11. »

14 L’amour, surtout s’il concerne le détective, détournerait l’attention du lecteur et fourvoierait l’enquête : « L’amour est désordre et ne se laisse pas enfermer dans un plan » (ibid., p. 88). Du coup, dans les romans policiers classiques, il n’y a pas de véritables histoires d’amour : s’il y en a, elles sont tragiques – songeons à 120 rue de la gare, de Léo Malet – ou bien réduites à l’essentiel. Maigret aime Mme Maigret sans frémissements, sans excès sensuels et presque sans ennui : une présence asexuée et inutile, en apparence. Cependant, comme l’écrivait Michel Décaudin, Mme Maigret est nécessaire, sans elle Maigret « ne serait plus tout à fait Maigret12 ».

15 Pourtant, il y a dans certains polars des histoires de séduction entre le détective et une femme – nous parlerons ici de séduction sexuelle – et qui servent en général à trahir et à confondre le lecteur. Par ailleurs, l’évolution de la séduction sexuelle coïncide, souvent, avec la relation de séduction esthétique : là où il y a jeu de séduction entre personnages – voici ma seconde hypothèse – on peut trouver souvent des indices utiles à la solution de l’enquête.

Fruttero & Lucentini, ou l’adultère transgressif

16 La donna della domenica est un roman policier des plus classiques. Le jeu de séduction entre Anna Carla – une femme mariée – et le commissaire Santamaria – célibataire – est exemplaire : au fur et à mesure que l’enquête avance, le jeu de la séduction sexuelle se fait de plus en plus serré. Néanmoins, ce n’est qu’à la toute dernière page que l’on découvre les deux personnages au lit, en train non pas de s’amouracher, mais de faire le point sur l’histoire policière : – Ho telefonato in questura. Forse non era tanto il momento, ma non resistevo più. Morivo letteralmente dalla voglia di… Non era di quella voglia, che moriva. Quella voglia se l’era levata dopo, bevendo Coca-Cola, spostando cuscini, fumando, perdendo accendini, facendo molte domande, sì, chiedendo molti particolari. Ma non poi troppi, si disse il commissario ottimisticamente, non poi così insistenti, minuziosi. – Che ora sarà? […] Il commissario accese la luce, guardò l’orologio. – Sono le sette e venti. – Oh mipovradona! disse ridendo Anna Carla. Ma è tardissimo! Scese dal letto leggera, e cominciò in fretta a rivestirsi13.

17 Dans A che punto è la notte14, nous retrouvons le même commissaire Santamaria aux prises avec une sorte de sœur jumelle d’Anna Carla, Mme Guidi, également mondaine, désœuvrée et mariée.

18 Le commissaire et la belle dame se rencontrent au commissariat. Guidi Costanza – pour la première et dernière fois le prénom de la dame est explicité – est interrogée suite à la mort de Don Pezza. Tout d’abord, Santamaria pense qu’il s’agit d’une prostituée (p. 234) ; puis elle devient « bella mamma » à la fin de l’interrogatoire, lorsqu’elle explique sa situation et surtout celle de sa fille, Thea, dont le petit ami est un mafieux. C’est dans le journal de l’agent Pietrobono que nous obtenons d’autres indices sur le jeu de séduction en cours, ainsi que sur certains mouvements à l’intérieur du commissariat. La séduction esthétique intervient alors pour maintenir en haleine le

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lecteur, tout en l’amusant : « Bella C. G., devo ulteriorm. dire, non convincermi troppo, anzi, stammi abbast. sulle scat. – Suo gran cine (di cui accortami beniss.) per incantare celebre S. Maria (che cascatoci come cret.) […] » (p. 239).

19 Dès que le commissaire tâtonne, dès que l’enquête arrive à un point mort, les indices de la séduction sexuelle viennent dynamiser la situation ; dès que la séduction sexuelle est mise en place, l’enquête momentanément essoufflée retrouve son élan. Comme dans La donna della domenica, le cas sera complètement résolu lorsque Santamaria et la femme seront physiquement très proches. Mme Guidi se glissera alors dans le lit avec le commissaire, plus ou moins de la même manière qu’Anna Carla.

20 Le retardement de la révélation complète du dénouement fait partie de la stratégie de séduction esthétique qui accompagne le jeu de séduction sexuelle entre Mme Guidi et Santamaria : « Ma dov’era intanto, si stavano chiedendo in parecchi, il commissario Santamaria? Perché tardava? Perché non si faceva trovare? Perplessità di ogni genere crescevano attorno alla sua inspiegabile assenza » (p. 598). Même le Grande Boss, qui a pris la relève du narrateur pour l’accomplissement de certaines tâches, le cherche partout : « Il Grande Boss, che conosceva il suo uomo, non ci mise molto a localizzarlo, né si stupì di vederlo impegnato in una conversazione di alto tenore intellettuale e morale » (p. 599).

21 La dernière conversation entre Santamaria et la signora Guidi peut être lue tantôt comme un commentaire à l’histoire de Santa Liberata, tantôt comme un commentaire à l’adultère sur le point d’être consommé : – Ma io non sono mica gnostica, non sono mica infame! – si ribellò la signora Guidi giocherellando con un elastico. – Io continuo a trovare che la vecchia dottrina, i vecchi divieti, il vecchio contra sextum... Ora non aveva più niente addosso. S’infilò per prima sotto le diacce lenzuola della stanza n° 12. – Perché insomma, – disse con un brividino –, il vecchio Dio, con tutti i suoi difetti... Il Grande Boss chiuse l’altro occhio. (p. 601)

22 L’autre œil, le Grande Boss l’avait déjà fermé pour ne pas avoir à regarder Thea et Graziano en train de faire l’amour en voiture. Les yeux du Grande Boss se ferment, pour une fois et pour une nuit. Le cas est résolu, on n’a plus besoin de maîtriser la rationalisme et on peut laisser libre cours, enfin, à la sensualité, à l’amour, à l’indétermination et l’imagination.

23 Il faut remarquer tout de même qu’il y a, dans ce roman, des histoires d’amour secondaires, comme celle entre Thea, la fille de Mme Guidi, et Graziano, le mafieux : quand Thea s’aperçoit qu’elle est amoureuse, elle bascule de la Verführung au Zauber15, du détournement implicite de la séduction à la magie. Dès lors se met en place un univers à part, où le méchant mafieux devient bon, collabore avec la police et trouve des indices déterminants pour la solution de l’enquête. Le couple Thea-Graziano est très différent du couple signora Guidi-Santamaria. Il y a même presque opposition : le premier couple, en effet, passe de l’indétermination sentimentale au déterminisme amoureux ; le second bascule du déterminisme décisionnel pré-séductif à l’indéterminisme sensuel contenu dans l’adultère. Autrement dit, le couple Thea- Graziano va vers la révélation de l’intrigue, alors que le couple Signora Guidi- Santamaria éloigne le lecteur de la solution.

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Comme « Un disco dei Platters »

24 Le jeu de séduction apparaît évident dans Un disco dei Platters16, de Macchiavelli et Guccini. Le protagoniste, détective un peu malgré lui puisqu’il est censé être en vacances, est le maresciallo Santovino. À la fin des années 195017, Santovino éprouve l’envie de revoir le village des Apennins où il avait travaillé dans sa jeunesse18. Pendant le voyage, le sympathique quinquagénaire ou présumé tel fait la connaissance d’une jeune femme, Raffaella Anceschi, qui se rend dans le même village pour des raisons professionnelles.

25 Comme dans A che punto è la notte, l’histoire de séduction sexuelle procède au même rythme que la séduction esthétique : Santovino interroge Raffaella sur sa vie privée alors qu’ils sont en train de discuter du trésor de la Regina Selvaggia (p. 115) ; elle l’appelle pour la première fois Benedetto (p. 117), au moment où ils doivent monter à l’Abbaye afin de poursuivre leurs recherches. Les deux personnages s’approchent de plus en plus : le jeu de séduction devient à la fois attraction inéluctable et prétexte nécessaire au développement de l’histoire policière.

26 Santovino est plutôt passif, cependant : c’est Raffaella qui l’embrasse la première sur la joue (p. 165), c’est elle qui prend l’initiative et mène la danse du jeu de séduction. Lorsque Santovino s’en aperçoit, un peu tardivement, il essaie de protester, comme s’il se sentait piégé. L’apparition de Cleto, lors d’une discussion entre eux deux, est providentielle, du moins pour Santovino et pour l’enquête : « Ma santamadonna, possibile che non ti accorgi… Ooh, io sono un uomo e tu una donna ! » « Lo so. Per questo stiamo bene assieme, non ti pare ? » « Insomma, mi ricevi in casa tua di sera tardi, mi fai certi discorsi… Mi baci e, santamadonna !, non sono tuo padre ! » Il viso di Raffaella si rilassò. Sorrise : « Ah, solo per questo ! Io chissà che credevo ! Lo so che non sei mio padre […] ». Santovino uscì dalla stanza e Raffaella lo seguì : « No, senti, Benedetto… » Da anni non era Benedetto : Santovino per tutti e sentirsi chiamare con il nome di battesimo… « Non pensare che io… Insomma, cerca di capire… » Santovino posò la valigia sul primo gradino per lasciare libere le mani di agitarsi a loro piacere, come non faceva da tempo : « Cosa devo pensare ? E che c’è da capire ? Se me lo spieghi… » Lo interruppe Cleto, rosso in viso [...]. (p. 166-167)

27 Le jeu des regards, les atermoiements, sont autant d’éléments qui contribuent au prolongement du suspense et donc au retardement de l’inévitable premier baiser sur la bouche (p. 199), échangé lorsque Raffaella propose à Santovino une tentative d’explication de la mort du Romitto. L’enquête policière, basée sur la quête des indices – autant de signes laissant prévoir d’autres circonstances incertaines ou à venir19 – est très proche du jeu de séduction sexuelle. Et la supercherie a un rôle fondamental dans les deux cas : ce qui est donné à voir ne correspond jamais tout à fait à la vérité. Si c’était le cas, d’ailleurs, le lecteur se retrouverait comme plongé dans le discours interprétatif, qui est « le moins séduisant qui soit »20.

28 Ce n’est que plus tard et plus ou moins à cause d’un orage que Raffaella demande – ou plutôt exhorte – Benedetto à passer la nuit avec elle. Après cette nuit, évidemment écourtée pour les raisons de l’enquête, Raffaella et Santovino deviennent d’inséparables complices, mais la séduction et la sensualité ont disparu. Raffaella est devenue le faire-

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valoir du détective : comme Holmes et Watson, Poirot et Hastings, Santovino et Raffaella deviennent complémentaires, même si, évidemment, c’est lui qui trouve la solution, après avoir quitté la jeune femme. En effet, Santovino quitte le village à la fin des vacances, et Raffaella, telle Didon abandonnée par Énée, est accablée21 ; elle lui demande de revenir vite et Santovino ne répond pas. L’affaire amoureuse n’est pas du tout résolue, et l’affaire judiciaire non plus : dans le train, Santovino retrouvera ses esprits, ce qui permettra enfin au lecteur de connaître au moins la fin de l’histoire policière.

De la séduction féminine à l’attraction partagée

29 Je ne pourrai pas effectuer une analyse approfondie de l’image de la séduction dans La collega tatuata de Margherita Oggero, qui se situe dans la lignée de Fruttero & Lucentini : le commissaire – Gaetano –, que la professoressa trouve belloccio, a les ongles propres, sait conjuguer le subjonctif, et est par conséquent un héritier du commissaire Santamaria22. La professoressa s’amourache de lui, imperceptiblement, dans son flux de conscience (« perché lo tratto così confidenzialmente sia pure soltanto nel mio flusso di coscienza? », p. 76) et essaie de le séduire avec la parole, en partie aussi pour lui arracher des informations utiles à l’enquête en cours : Oddio, forse mi sta facendo la corte. O forse mi sfotte […]. Di sicuro invece io sto civettando. Senza esibire tette e culo (che non sono un granché), senza protendere labbroni siliconati da sesso presidenziale, senza sbattere ciglia da giraffa (sono più lunghe di quelle da cerbiatta […]), ma con le parole, che è il modo che più mi piace, anzi l’unico che mi piace veramente. La semplice arte del delitto come anticipazione di un eccitante marivaudage. (p. 112)

30 L’art de la séduction, associé ici à l’art du délit – en papier – demeure une affaire de logos. Gaetano réagit favorablement à la séduction sexuelle et le lecteur cède à son tour à la séduction esthétique : c’est bien lors des rencontres entre Gaetano et la professoressa que le lecteur obtient des informations sur l’enquête. « Sto cacciandomi in una storia che ha come sbocco prevedibile l’adulterio » (p. 168), se dit-elle au fur et à mesure que l’enquête avance. Brusquement, elle arrête le jeu de séduction sexuelle : Gaetano et elle deviennent amis et complices, comme l’ont été Raffaella et Santovino. Cependant la professoressa sans nom n’est pas le faire-valoir du détective, parce qu’elle est elle-même détective : du coup, elle parvient à la solution grâce à son flair, en même temps que Gaetano (p. 234).

La séduction transgressive

31 La relation entre Grazia Negro et Simone, dans Almost Blue, est très étrange. Ici, ce n’est pas Grazia qui séduit l’aveugle Simone, mais c’est Simone qui est séduit par Grazia, sans qu’elle s’en rende compte. Pour lui, elle est tout d’abord une voix23, puis une voix bleue dans un rêve (p. 86), une odeur qui est une musique – Grazia utilise un parfum qui s’appelle Summertime (p. 96). C’est pour cette raison que Simone accepte de participer à l’enquête et d’aider Grazia : il a peur de ne plus entendre sa voix et de ne plus sentir son odeur.

32 La séduction que Grazia exerce à son insu sur Simone est entièrement fondée sur la parole, la voix, les sons, puis aussi sur le toucher et les odeurs (p. 176). Lorsque la

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séduction se transforme en attraction réciproque (comme dans le cas de Raffaella et Santovino), Grazia devient Holmes et Simone devient Watson ; comme Raffaella, Simone est le complémentaire indispensable au développement de l’enquête.

33 Dans leur relation, cependant, le passage de la séduction à la magie d’amour n’a plus du tout la force de transformer la solution de l’affaire en dénouement heureux. D’où évidemment l’apparition de la transgression chez Lucarelli : après avoir pris les traits de Simone, l’Iguana pourrait encore s’échapper et tuer ; à la fin du roman, Simone a une musique qui résonne dans la tête, comme c’était le cas pour l’Iguana ; Grazia, qui est censée être la détective inébranlable, apparaît constamment dans toute sa fragilité de femme. Et surtout, dans le dernier chapitre d’Almost Blue, il y a une tension vers un futur plus ou moins prévisible et très inquiétant : alors qu’un polar de Fruttero & Lucentini se terminerait sur un happy end où le couple commente au lit l’enquête et donne au lecteur les derniers détails, ici, Grazia et Simone ne sont pas encore au lit et la séduction esthétique, par conséquent, laisse le lecteur dans une situation de désir insatisfait du fait de l’insolubilité du cas. La séduction sexuelle n’a pas abouti complètement. Quant à la séduction esthétique, non seulement elle n’a pas amené de vérité absolue, mais elle a contribué à l’écarter : retrouvant ici sa signification étymologique originelle, la séduction soustrait et détourne la vérité. Nous avons alors une illusion de la fin – encore une allusion fugace à Baudrillard24 – où non seulement le crime est imparfait, mais où l’écartement du droit chemin nous amène au centre de l’extrême et au bord de l’impensable.

L’illusion de la fin

34 Toute histoire policière devrait rétablir un équilibre entre le Bien et le Mal, ce qui n’est pas le cas chez Lucarelli. Il n’y a plus aucun équilibre à rétablir, d’ailleurs, parce que la société que nous nous sommes construite n’a jamais été en équilibre. La consolation mystificatrice n’existe plus.

35 Si la vérité n’est qu’une illusion, c’est que toute apparence cache une supercherie, comme la séduction, du reste, qui ne serait qu’un jeu de brouillage des pistes parmi tant d’autres. D’où l’inquiétude constante véhiculée par le roman policier italien contemporain ; d’où également l’inquiétude constante qui nous accable dans la réalité, ou dans l’illusion de la réalité. En même temps, comme dans un roman policier, nous ne sommes pas capables de nous soustraire à cette illusion inquiétante de la fin qui nous charme et nous envoûte. LA ROMANCIÈRE (au lecteur) Ceci est une histoire vraie, je vous le jure. Oh, j’ai changé les noms, bien sûr ; j’ai changé les lieux, l’époque, […], les dialogues, l’ordre des événements […] ; et pourtant, tout ce que je vais vous raconter est vrai. C’est […] une fantasmagorie comme toujours : les témoins vont converger ici et s’efforcer un à un de vous convaincre, de vous éblouir, de vous mener en bateau […]25.

36 En somme, le cercle ne peut pas se clore, du fait que la vie imite la littérature et que la littérature imite la vie. Il n’y a pas de solution à cette dialectique, qui n’est qu’en apparence une aporie.

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NOTES

1. 2. F. T. Marinetti, Come si seducono le donne (1916), Florence, Vallecchi, 2003, p. 27. 3. Ibid., p. 97. Enif Robert ajoutera, dans une lettre à Marinetti, que la définition étymologique de la séduction ne correspond plus à la réalité, parce que la femme fait de son corps ce qu’elle en veut et décide de s’offrir à l’homme seulement si elle le souhaite : E. Robert, « Lettera aperta a F. T. Marinetti », Come si seducono le donne, ouvr. cité, p. 113. 4. M. Serao, « La virtù di Checchina » (1883), La virtù delle donne, Cava de’ Tirreni, Avagliano Editore, 1999. 5. L. Sciascia, « Breve storia del romanzo poliziesco », Cruciverba (1983), dans Opere 1971-1983, C. Ambroise (éd.), Milan, Bompiani, 2001, p. 1182. Sur l’importance de l’abandon et de l’envoûtement du lecteur, voir Boileau-Narcejac, Le roman policier, Paris, PUF, 1975, p. 124-125. 6. J. Baudrillard, « Le ludique et le policier », Utopie, no 2/3, mai 1969, dans Le Ludique et le policier, Paris, Sens & Tonka, 2001, p. 23-25. 7. Boileau-Narcejac, ouvr. cité, p. 228. 8. M. Carlotto, Nessuna cortesia all’uscita, Rome, E/O, 1999, p. 19. Dorénavant, l’indication des pages sera donnée directement après la citation, entre parenthèses. 9. L. Sciascia, « L’utopia di Casanova », Cruciverba, ouvr. cité, p. 1022. 10. Je remercie Massimo Carlotto pour avoir parlé de Virna lors de son intervention le 18 novembre 2004 à l’université de Savoie. 11. Cité dans Boileau-Narcejac, ouvr. cité, p. 97. 12. M. Décaudin, « Enquête sur une personne au-dessus de tout soupçon », p. 387 du tiré à part. M. Décaudin m’avait envoyé cet article quelques semaines avant de décéder. Il n’est plus là pour répondre à toutes les questions que j’avais encore à lui poser, il n’est plus là pour encourager certains projets et il nous a laissé un vide impossible à combler. Et il n’est plus là non plus pour me dire quand et où il avait publié ce texte sur Mme Maigret. 13. Fruttero & Lucentini, La donna della domenica (1972), Milan, Mondadori, 1989, p. 502-503. 14. Fruttero & Lucentini, A che punto è la notte (1979), Milan, Mondadori, 1993. Dorénavant, l’indication des pages sera donnée directement après la citation, entre parenthèses. 15. R. Schérer, « La composition du charme », (8 octobre 2003) : . 16. Macchiavelli & Guccini, Un disco dei Platters, Milan, Mondadori, (1998), 1999. Dorénavant, l’indication des pages sera donnée directement après la citation, entre parenthèses. 17. « Un disco dei Platters » est évidemment une chanson écrite et interprétée par le Quartetto Cetra dès 1957 et « Nel blu dipinto di blu » cité à la fin du roman gagne le Festival de Sanremo en 1958. 18. Les débuts de la carrière de Santovino sont racontés dans Macchiavelli & Guccini, Macaronì, Milan, Mondadori, 1997. 19. L. Grimaldi, Il giallo e il nero, Milan, Pratiche Editrice, 1996, p. 26. 20. J. Baudrillard, De la séduction, Paris, Denoël, 1979, p. 76. 21. Merci à Loriano Macchiavelli de m’avoir livré cette suggestion. 22. M. Oggero, La collega tatuata, Milan, Mondadori, 2002, p. 66 ; dorénavant, l’indication des pages sera donnée directement après la citation, entre parenthèses. 23. C. Lucarelli, Almost Blue, Turin, Einaudi, 1997, p. 39 ; dorénavant, l’indication des pages sera donnée directement après la citation, entre parenthèses.

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24. Il n’est évidemment pas question, ici, de faire référence à tout le discours de Jean Baudrillard sur le concept d’extermination de l’illusion et du réel contenu dans son ouvrage Le crime parfait, Paris, Galilée, 1995 ; voir aussi J. Baudrillard, L’illusion de la fin, Paris, Galilée, 1992. 25. N. Huston, Une adoration, Paris, Actes Sud, 2003, p. 11.

AUTEUR

BARBARA MEAZZI Université de Savoie – Chambéry

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L’image de la femme dans l’œuvre de Primo Levi : une séduction ambiguë

Sophie Nezri-Dufour

1 Chez Primo Levi, la femme offre l’image d’une séductrice dont les agissements ont une implication très forte aussi bien dans la vie de l’ex-déporté que dans l’ensemble de son œuvre. Miroir d’une société en pleine mutation, touchée de plein fouet par la Shoah, la femme renvoie, dans des romans comme Il sistema periodico (publié en 1975) ou Se non ora, quando ? (publié en 1982), à l’image d’une séduction symbole de paradis perdu et de réconfort, mais aussi, parallèlement, par sa dimension à la fois sexuelle et sociale, de désordre et de totale remise en question. Le terme « séduction » n’est-il pas d’ailleurs, étymologiquement, synonyme de séparation, de divergence ?

2 La séduction devient alors, chez Levi, étroitement liée à l’idée d’altérité. Une altérité tout aussi ambivalente, car elle renferme à la fois les rêves et les peurs les plus inavoués de l’écrivain.

3 La séduction est donc toujours marquée, chez l’auteur turinois, par une Histoire apocalyptique et par les blessures d’un individu que l’on a toujours considéré, à tort, comme un pur esprit, rationnel, sans tenir compte de sa fragilité et de ses doutes1.

4 Dès lors que Primo Levi entre dans l’âge adulte, il est en effet intéressant de voir que ses rapports problématiques et souvent décevants avec les femmes coïncident avec ses rapports difficiles et désespérants avec l’Histoire, au moment même où s’organise au niveau de l’État la discrimination des juifs en Italie.

5 On se rend compte à quel point le jeu de la séduction devient alors, pour le jeune Turinois, un enjeu vital. En 1938, Primo Levi a en effet 19 ans, il entre à l’Université, et commence à s’intéresser aux filles. Mais la difficulté qu’il rencontre à les aborder semble aller de pair avec l’exclusion que le régime fasciste semble vouloir lui faire subir, avec la proclamation des lois raciales. Pourtant, son désir le plus fort, à l’époque, est d’être aimé d’une femme, sans doute pour s’assurer qu’il fait toujours partie d’une société qui l’isole peu à peu. Ainsi écrit-il, dans Il sistema periodico : « Mi sentivo

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frustrato e sfidato. Mi sentivo disperato, anzi […] in quel tempo mi credevo condannato ad una perpetua solitudine mascolina, negato per sempre al sorriso di una donna, di cui pure avevo bisogno come dell’aria2. »

6 Son origine juive, condamnée par le régime, est ainsi source d’un complexe qu’il conservera longtemps, d’autant plus qu’à l’époque, ses camarades non juifs insistent volontiers sur le fait que sa circoncision ne serait finalement rien d’autre qu’une castration. La différence intrinsèque entre un homme et une femme se double alors de cette différence identitaire – à la fois religieuse et culturelle – qui envahit et trouble profondément son existence : « Perché ebreo sono […] e lei no », écrit-il à propos d’une jeune fille qu’il courtise, « sono io l’impurezza […], sono il granello di sale e di senape. L’impurezza, certo » (p. 460).

7 Et lorsqu’il va jusqu’à oser passer son bras sous celui de cette même jeune fille, qu’il raccompagne chez elle, ce n’est pas seulement une victoire sur sa timidité sexuelle qu’il remporte, mais également une première victoire contre une Histoire hostile, qui semble lui refuser le bonheur et la normalité. Il racontera à ce sujet : Tremando per l’emozione, infilai il mio braccio sotto il suo. Rita non si sottrasse, e neppure ricambiò la stretta: ma io regolai il mio passo sul suo, e mi sentivo ilare e vittorioso. Mi pareva di aver vinto una battaglia, piccola ma decisiva contro il buio, il vuoto, e gli anni nemici che sopravvenivano. (p. 461)

8 La séduction joue donc à cette époque, pour Primo Levi, un rôle essentiel, car elle a une valeur presque historique. Pour lui, jeune juif mis au ban de la société, il ne s’agit pas, lorsqu’il courtise des jeunes filles, de simple badinage amoureux, mais d’une véritable bataille contre un destin et une société qui lui sont hostiles. S’il réussit, lui l’exclu, à se faire aimer, et à séduire, c’est qu’il a finalement une place dans cette société, et une chance de survivre socialement. Par contre, si même la femme le repousse, c’est que son existence sociale lui est définitivement niée, refusée. Sa peur, bien légitime, est ainsi de voir sa propre existence remise en cause, à la fois par le régime, qui stigmatise et refuse sa judéité, et par la femme, qui pourrait l’éviter, le repousser.

9 Ainsi, lorsque, quelque temps plus tard, une collègue de travail cherche à lui présenter des jeunes filles, Primo Levi comprend bien que « la sua fretta di liberarmi di una vecchia angoscia, e di procurarmi subito una modesta porzione di gioia, veni[va] da una sua intuizione oscura di quanto il destino mi stava preparando, e mira[va] inconsapevolmente a deviarlo » (p. 537).

10 On voit là encore à quel point les rapports de Primo Levi avec les femmes sont intimement liés à l’Histoire, à une Histoire qui semble lui refuser sa part du bonheur. Il a pour ennemies non seulement les lois raciales, mais aussi, en fin de compte, les femmes, chez qui il ne parvient pas à trouver le réconfort dont il a tant besoin. Ces dernières, séductrices avant tout, occupent alors dans sa vie une place essentielle, mais problématique, puisqu’elles participent des temps difficiles qu’il est en train d’expérimenter. Ainsi écrivait-il, évoquant l’un de ses amours de jeunesse : Venne un furioso temporale, Giulia resistette a due fulmini, al terzo cercò rifugio contro di me. Sentivo il calore del suo corpo contro il mio, vertiginoso e nuovo, noto nei sogni, ma non restituii l’abbraccio [car Giulia est fiancée, et lui-même ne croit pas au bonheur]; se lo avessi fatto, forse il suo destino e il mio sarebbero usciti fragorosamente dai binari, verso un comune avvenire totalmente imprevedibile. (p. 538)

11 Femmes et lois raciales se coalisent donc pour lui refuser la possibilité de goûter à la vie, avec légèreté et insouciance, comme n’importe quel jeune Italien de son âge.

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Evoquant son inhibition sexuelle, il écrira, sur un ton tragi-comique : « La mia incapacità di avvicinare una donna era una condanna senza appello, che mi avrebbe accompagnato fino alla morte, restringendomi ad una vita avvelenata dalle invidie e dai desideri astratti, sterile e senza scopo » (p. 544).

12 Et lorsque le jeune Turinois raccompagne celle qu’il aime sur son vélo, pour qu’elle puisse rejoindre plus vite son fiancé, un bel « aryen » insouciant, c’est avec une grande amertume qu’il expérimente le lien étroit entre une Histoire injuste et ses rapports difficiles aux femmes : Mi sentivo crescere dentro, forse per la prima volta, una nauseabonda sensazione di vuoto : questo, dunque, voleva dire essere altri, questo il prezzo di essere il sale della terra. Portare in canna una ragazza che si desidera, ed esserne talmente lontani da non potersene neppure innamorare: portarla in canna in Viale Gorizia per aiutarla ad essere di un altro, ed a sparire dalla mia vita. (p. 544)

13 La femme devient ainsi synonyme de cette vie, de ce bonheur, de cette insouciance qui lui sont refusés durant les lois raciales. Et s’étant refusée à lui, la femme devient alors source de solitude et de frustration. D’où, dans son œuvre comme dans sa pensée, une conception tourmentée de la séduction et de l’amour, où la femme s’apparente à l’Autre, souvent ennemi, en tout cas problématique. Et par là même, la femme devient, tout comme l’Histoire, une cruelle initiatrice à l’âge adulte. Elle contribue à sortir Primo Levi de l’enfance et de ses illusions.

14 Il faudra attendre l’arrivée de Lucia, son épouse, pour qu’il se réconcilie avec les femmes, et parallèlement avec la vie. La rencontre avec cette jeune fille juive turinoise, aux lendemains d’Auschwitz, correspondra à un véritable cadeau du destin qui, jusque- là, lui avait été plus qu’hostile. Toujours dans Il sistema periodico, il écrira : Avvenne che […] il destino mi riserbasse un dono diverso e unico: l’incontro di una donna, giovane e di carne e d’ossa, calda contro il mio fianco attraverso i cappotti, allegra in mezzo alla nebbia […], paziente sapiente e sicura mentre camminavamo per le strade ancora fiancheggiate di macerie […]. In poche ore mi ero sentito nuovo e pieno di potenze nuove, lavato e guarito dal lungo male, pronto finalemente ad entrare nella vita con gioia e vigore, ed esorcizzato il nome e il viso della donna che era discesa agli inferi con me e non ne era tornata. (p. 572)

15 Il ne faudra en effet jamais oublier la présence fantomatique d’une jeune femme qu’il aima, Vanda Maestro, compagne de résistance arrêtée et déportée en même temps que lui, puis gazée à Auschwitz, qui reviendra plus d’une fois hanter ses pensées et ses pages, comme nous aurons l’occasion de le voir. Là encore, femme et Histoire seront intimement liées, puisque Vanda Maestro deviendra le paradigme d’une humanité innocente, et d’une humanité féminine, disparue dans les camps.

16 Mais grâce à Lucia, l’instinct de vie reprendra le dessus. Cette femme, dans sa séduction la plus positive (« giovane », « calda », « allegra », « paziente sapiente e sicura »), s’érigera alors comme emblème vital d’optimisme, tirant Primo Levi hors de l’univers de la mort. Même si la seconde existence de l’écrivain turinois prendra racine sur les ruines laissées par la guerre et le massacre nazi, c’est par l’intermédiaire d’une femme qu’il se réconciliera, du moins en apparence, et dans un premier temps, avec l’existence.

17 Dès lors, la femme conservera toujours deux visages dans l’œuvre de Primo Levi : elle sera tantôt l’ennemie, liée à la cruauté de la vie, de l’Histoire, à l’âge adulte aussi, et donc à une prise de conscience de soi-même, de ses faiblesses, de ses peurs, et de ses fantasmes ; tantôt la femme idéale renvoyant à un paradis, perdu le plus souvent, à une

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enfance humaine, à une femme-mère mais aussi à un alter ego symbiotique, ce deuxième spécimen étant le plus souvent lié à un rêve utopique.

18 On le voit bien dans le roman Se non ora, quando?, où plusieurs femmes, appartenant au passé, revêtent une dimension idéale mais malheureusement irréelle ou dépassée. Ainsi en est-il de Rivke, la femme de Mendel, qui est le protagoniste du roman, et qui ressemble, sous bien des aspects, à Primo Levi. Mendel est un résistant juif qui, entouré de ses compagnons, traverse l’Europe en flammes et combat les nazis. Rivke est la femme qu’il a perdue, qui a été assassinée et jetée dans une fosse commune. Son souvenir hante Mendel, totalement déstructuré depuis la mort de sa femme, dont la séduction résidait dans des valeurs simples qui désormais n’ont plus cours : [Rivke] apparteneva all’ordine, al mondo delle cose giuste fatte alle ore giuste […]. Mi faceva coraggio quando ne avevo bisogno: mi ha fatto coraggio perfino il giorno che è scoppiata la guerra e io sono partito per il fronte […]. Eravamo una carne […] era […] una regina della casa3.

19 Dans sa séduction la plus pure et la plus innocente, Rivke appartient à un univers englouti, révolu, détruit par la Shoah, dont il est nécessaire de s’extraire pour aller de l’avant : un univers devenu idéal depuis qu’il n’existe plus, un univers de la mémoire où la séduction de la femme est idéalisée par la nostalgie ; un univers où la séduction n’est pas synonyme de coquetterie ou de mensonge, mais de stabilité, d’équilibre et de sérénité. Or, l’Histoire a bouleversé et anéanti cet univers, et a détruit à jamais cette image de la femme, et surtout du couple édénique qu’elle continuait à perpétuer : « Eravamo una carne » est en effet une référence directe au couple primordial d’Adam et Eve (Genèse, 2, 24), avant que les choses ne se gâtent : « Senza Rivke, se dit Mendel, saresti un altro uomo, che pensa chissà come, un non-Mendel. Senza Rivke, senza l’ombra di Rivke, saresti pronto per l’avvenire. Pronto a vivere, a crescere come un seme » (p. 485).

20 Dans l’esprit de Mendel, alter ego romanesque de Primo Levi, la femme idéale n’existe donc plus, tout comme le passé de son enfance, qui lui aussi a été anéanti. Son épouse assassinée est l’emblème des victimes de la Shoah, et de l’impossibilité d’un avenir paisible et normal. On voit que, là encore, femme et Histoire sont intimement liées, puisque la Shoah, par le Chaos et l’horreur qu’elle a engendrés, a totalement bouleversé les rapports humains et le statut des individus, notamment celui de la femme dans la société. On ne peut désormais plus penser et appréhender les choses comme avant : Auschwitz oblige à penser autrement. Ainsi, si Mendel cherche en Sissl, une résistante qui se bat à ses côtés, le réconfort de la femme idéale, douce, maternelle, il sait en même temps que l’apparente sérénité qu’elle lui apporte n’est qu’éphémère. Néanmoins, les moments d’amour qu’ils vivent sont le lointain écho d’un rapport rempli d’harmonie et de douceur : « Faceva freddo, si spogliarono a mezzo, e Mendel fu stordito dall’odore femmineo di Sissl e dal bagliore della sua pelle. Sissl si aprì come un fiore, docile e calda ; Mendel si sentì irrompere nelle reni la forza e il desiderio che da due anni tacevano » (p. 297).

21 Dans ce contexte, la séduction féminine réside dans la vie et l’énergie que la femme parvient à insuffler à l’homme. Elle symbolise la douceur, la sécurité, la paix, un goût de paradis : « Non ci fu bisogno di parole, fu naturale e dovuto come nel Paradiso Terrestre » (p. 296).

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22 Mais en même temps, cette Sissl, douce, réservée, proche de la mythique Rivke, reste paralysée dans son rôle de femme traditionnelle, et ne parvient pas à offrir à Mendel de nouveaux horizons dans un univers qui n’est plus celui d’autrefois4.

23 Line, au contraire, autre personnage de Se non ora, quando?, est une résistante juive, féministe, qui représente la femme de l’après-Shoah, et revêt une séduction qui fascine et, dans le même temps, effraie Mendel. La séduction qu’elle dégage est celle de la femme qui a appris à survivre aux atrocités de l’Histoire, et qui revendique l’égalité des sexes, luttant dans un monde encore extrêmement violent, agressif, puisque la guerre n’est pas finie. Consciente que le passé juif d’Europe de l’Est est désormais englouti, elle combat pour une nouvelle place de la femme dans une société masculine qui longtemps l’a reléguée et rejetée : « Le donne oggi vanno in esilio come gli uomini, explique-t-elle. Sono impiccate come gli uomini, e sparano meglio degli uomini » (p. 354-355).

24 Lorsqu’elle deviendra la maîtresse de Mendel, leur rapport amoureux sera bien différent de celui qu’avait eu Mendel avec Sissl. Line n’est la femme de personne, et n’a aucunement l’intention d’être liée et dominée. Sa séduction est celle d’une guerrière : Mendel si spogliò, e subito Line gli si avvinghiò addosso come per una lotta. Schiacciata sotto il peso del corpo mascolino, Line si torceva, avversario tenace e resiliente, per eccitarlo e sfidarlo. Era un linguaggio […]: ti voglio ma ti resisto. Ti resisto perché ti voglio. Io esile ti giaccio sotto ma non sono tua. Io non sono la donna di nessuno; e resistendo ti lego a me. Mendel la sentiva armata anche nuda. (p. 361)

25 Line est la femme moderne qui a su se battre et se construire seule, malgré l’adversité, et sans l’aide des hommes. Indépendante, forte, courageuse, sa séduction naît essentiellement de ses qualités morales et intellectuelles, de sa potentialité à être sûre d’elle, à ne pas douter, afin de mieux survivre. Loin de la séductrice conventionnelle, elle est décrite en des termes qui font d’elle une femme nouvelle, volontaire, qui brise toutes les images de la séduction féminine traditionnelle. Elle a su s’adapter aux métamorphoses de l’Histoire, en se métamorphosant elle-même, et en s’imposant dans un univers essentiellement masculin : Era una partigiana, non una rifugiata. Mendel aveva ammirato […] la sua destrezza nel maneggiare le armi, e durante la marcia sulla neve la sua resistenza […]. Questo non è un dono della natura, pensava: è una riserva di coraggio e di forza che va ricostituita ogni giorno, dovremmo fare tutti come lei. Questa ragazza sa volere […]. Line parlava poco, e mai inutilmente […]. Aveva modi diversi da quelli delle donne, ebree e non, che Mendel aveva incontrato fino allora. Non mostrava ritrosie né falsi pudori, non recitava e non faceva capricci. (p. 297-298)

26 La femme doit désormais se transformer, se métamorphoser, afin de s’adapter aux soubresauts de l’Histoire. Première à se rendre compte de la nécessité de s’adapter au nouveau contexte historique qui se met en place, elle offre une image d’elle-même en mouvement perpétuel, jamais définitive. Plus que ses compagnons, elle représente l’Homme moderne.

27 Hybride, elle a désormais plusieurs fonctions, plusieurs vertus qui fascinent mais inquiètent. Reflet du changement de l’époque, elle offre aux hommes le miroir d’une société en pleine mutation, difficile à saisir. C’est ce qui séduit Mendel mais en même temps le perturbe : « Davanti a Line, Mendel non poteva sottrarsi all’impressione di una sostanza umana preziosa ed insolita ma inquieta ed inquietante. Sissl era come una palma al sole, Line era un’edera intricata e notturna » (p. 297).

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28 Line est cette femme qui lie mais ne se lie pas, comme si elle envahissait l’esprit de celui qui est lié à elle pour l’aliéner. Elle personnifie donc également une séduction dérangeante, trop moderne, et trop nouvelle pour ne pas déstabiliser. De même que l’époque que Mendel est en train de vivre remet en question tous ses repères, de la même manière, une femme telle que Line remet en question toute une partie de ses convictions et de ses certitudes. Elle le met face à la Réalité historique, nouvelle et perturbante.

29 Line n’en est que plus séduisante mais elle lui fait peur. Réveillant en lui toute une série de fantasmes, elle réveille ses angoisses et son irrationalité, liées à la fois à la sexualité et au chaos historique : A Mendel, quando osservava Line, veniva in mente Raab, la seduttrice di Gerico, e le altre ammaliatrici della leggenda talmudica […]. Michàl, che affascinava chi la vedeva. Giaele, la mortifera partigiana di un tempo, che aveva trafitto le tempie del generale nemico con un chiodo, ma che seduceva tutti gli uomini col suono della sua voce. Abigaìl, la regina assennata, che seduceva chiunque pensasse a lei. Ma Raab era superiore a tutte, qualsiasi uomo pronunciasse soltanto il suo nome spandeva istantaneamente il suo seme. (p. 298)

30 On voit par cet exemple que pour Mendel-Levi, la femme est celle qui, dans sa séduction, brise l’équilibre et provoque le désordre dans l’esprit de l’homme. Elle représente cet irrationnel que craint tant Primo Levi, ce côté inconscient que l’homme ne peut pas toujours maîtriser, et qui fait de lui un individu sous l’emprise de pulsions, de fantasmes, et d’angoisses qui le dépassent. Elle est l’incompréhensible, attirant, mais qui entraîne l’homme dans ce qu’il ne domine plus. Elle est la matière, fuyante, qui s’oppose et nuit à l’Esprit.

31 En outre, à l’inverse de Rivke qui ne formait qu’une seule chair avec Mendel, et qui représentait donc l’Eve de l’Eden, créée directement à partir d’Adam, Line, de son côté, représente Lilith, personnage omniprésent dans l’œuvre de Primo Levi5, qui selon certains textes de la tradition juive (le Zohar), aurait été la première femme d’Adam, créée indépendamment de celui-ci, contrairement à Eve. Féministe avant l’heure, Lilith, aspirant à être l’égale de l’homme, aurait refusé, au moment de l’acte d’amour, de se coucher sous Adam, et se serait par la suite enfuie, devenant une diablesse (Zohar II, 22 b).

32 Line est la Lilith de Primo Levi et de Mendel : elle aussi refuse d’être dominée durant l’acte d’amour, elle aussi abandonne Mendel pour ne pas se lier. Elle est le nouveau type de femme que la Shoah a créé, et dont le rôle s’est élargi. Elle ne forme plus une entité indissociable et harmonieuse avec son partenaire. Elle n’est plus, systématiquement, aux côtés de l’homme, mais en face de lui. Elle lui renvoie alors sa propre image, l’image d’un individu qui a perdu ses repères traditionnels, et qui ne maîtrise plus sa destinée.

33 Cette peur-fascination est celle d’un Primo Levi qui, depuis le début, nous l’avons vu, nourrit un sentiment ambivalent vis-à-vis de la séduction féminine. Pour lui, la femme est à la fois fascinante et incompréhensible, car elle offre la nouveauté, le plaisir, mais aussi le désordre, l’incertitude. Elle est vitalité et absence, plénitude et vide. Elle représente un bonheur concret, physique, tangible, mais elle s’apparente du même coup à la matière, et donc à une nature qui éloigne l’homme de sa raison et de sa stabilité.

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34 Représentant la séduction par essence, la femme s’associe en effet au sexe, donc à l’instinct, à la fatalité d’une nature que l’on ne peut pas contrôler, et c’est ce qui fait peur à Primo Levi. Soucieux d’être toujours maître de ses émotions, de ses pensées, il sait que la femme peut susciter en l’homme une avalanches d’émotions mal maîtrisées, une violence qui le répugne, un vice de l’esprit qui l’affaiblisse, et le diminue intellectuellement.

35 Par sa nouvelle dimension historique, et par sa charge sexuelle très forte, la femme revêt alors la dimension paradigmatique de l’Autre, car elle remet l’homme en question, et lui interdit toutes certitudes, toute sécurité, tout projet assuré. Mais par là même, elle lui permet aussi d’évoluer, de remettre en question des notions figées. Elle est un miroir, nous l’avons vu, qui peut devenir le miroir des questionnements enfouis de l’homme. Elle le sort de ses convictions, pour lui révéler l’inconnu, souvent effrayant, et donc le faire pénétrer dans son propre monde, et dans le monde adulte. Belle et monstrueuse, douce et cruelle dans le même temps, elle est l’image de l’existence, mystérieuse et imprévue, mais qu’il faut savoir affronter dans ses métamorphoses. Les certitudes du passé ont été détruites à Auschwitz, et la métamorphose nécessaire de la femme en est un reflet. D’où une profonde nostalgie pour ce qui ne reviendra plus, car l’homme aussi va devoir changer.

36 Symbole d’altérité, la femme devient alors le catalyseur d’une peur de la complexité des choses qui se transforment et peuvent disparaître. Elle est souffle divin et poussière, elle représente donc cette dichotomie inhérente à la nature humaine, faite de boue et d’esprit, qui trouble tant notre auteur turinois, si méfiant, à cause d’Auschwitz, à l’égard des passions humaines.

37 Créature à la fois concrète et abstraite, presque mythique, vitale et nocive, elle ouvre à un univers qui refuse toute définition figée, sclérosée. Et ce qu’elle a gagné, elle, en confiance et en courage par la force des choses, elle semble l’avoir retiré à l’homme, qui désormais doute plus que jamais. « E Line? Che dire di Line? », pense Mendel à la fin du roman, lorsque la guerre est finie : È una madre-moglie-figlia-amica-nemica-rivale-maestra. È stata carne della mia carne, io sono entrato in lei, mille anni fa [...] quando c'era ancora la guerra e il mondo era giovane e ognuno di noi era un angelo con la spada in mano [...]. Eccola accanto a me, non guarda me ma guarda fisso questo paesaggio tedesco e sa sempre con esattezza quello che si deve fare. Mille anni fa, nelle paludi, lo sapevo anch'io e adesso lei lo sa ancora e io non lo so più [...]. Ma quando rivedo il suo corpo nella memoria, quando lo indovino sotto le vesti, mi sento lacerare, e vorrei ricominciare, e so che non si può e proprio per questo mi sento lacerare. (p. 485)

NOTES

1. C’est ce que j’ai tenté de démontrer dans mon essai : S. Nezri-Dufour, Primo Levi, una memoria ebraica del Novecento, Florence, la Giuntina, 2002. 2. P. Levi, Il sistema periodico, dans Opere I, Turin, Einaudi, « Biblioteca dell’Orsa », 1987, p. 459. Dorénavant, l’indication des pages sera donnée directement après la citation, entre parenthèses.

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3. Id., Se non ora, quando?, Opere II, Turin, Einaudi, « Bilioteca dell’Orsa », 1988, p. 426. Dorénavant, l’indication des pages sera donnée directement après la citation, entre parenthèses. 4. Dans cette analyse, je m’inspire du travail de mon étudiante de maîtrise, Sabrina Noémie, auteur de La rappresentazione della donna nell’opera di Primo Levi, Université de Provence, 2001-2002, 150 p. 5. On pensera notamment au poème « Lilith » dans Ad ora incerta dans Opere II, ouvr. cité, p. 547, ou au recueil de nouvelles intitulé Lilit, Opere III, Torino, Einaudi, « Biblioteca dell’Orsa », 1990, p. 373-577.

AUTEUR

SOPHIE NEZRI-DUFOUR Université de Provence – Aix-Marseille 1

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Forme e luoghi della seduzione nella narrativa di Alessandro Barbero

Filippo Fonio

1 Alessandro Barbero*, romanziere “d’eccezione”1, è anzitutto uno storico. Se non altro per tale ragione, i romanzi di Barbero tendono a collocarsi nell’ambito di un genere, quello del romanzo storico, dalle molte sfaccettature ma dotato di caratteri minimi di riconoscibilità2.

2 Riassumendo al massimo i termini della questione nonché giocando con le definizioni, si può dire che i quattro romanzi finora pubblicati da Barbero siano romanzi storici in una duplice accezione: a farne dei romanzi storici non è soltanto un’etichetta applicabile al setting, ma anche una maniera peculiare di rapportarsi alla tradizione del genere. Il romanziere ama tanto avvalersi delle metodologie dell’indagine storica nella ricostruzione dell’ambiente, del personaggio ecc., quanto pasticciare con la storia del romanzo storico servendosi della spregiudicatezza del non addetto ai lavori.

Romanzo storico postmoderno? Presentazione del corpus

3 Tale osservazione introduce una questione, quella dell’intertestualità e del romanzo postmoderno, che è di respiro troppo ampio perché se ne possa trattare in questa sede. Per ora basti quindi constatare come la narrativa di Barbero si stia evolvendo verso la rarefazione e la semplificazione, come in altre parole l’indice di intertestualità dei suoi romanzi vada riducendosi di pari passo alla parentela col postmoderno (dubbia peraltro fin dagli esordi, proprio in virtù di una peculiare tecnica nell’utilizzo delle fonti).

4 Se infatti pensare a un romanzo storico postmoderno significa fare riferimento al primo Umberto Eco, al Nome della rosa in particolare (1980) 3, è difficile individuare analogie altro che superficiali fra tale modello e i romanzi di Barbero, ai quali è venuto il momento di dedicare qualche parola di presentazione.

5 L’opera prima di Barbero, Bella vita e guerre altrui di Mr. Pyle, gentiluomo (1995, Premio Strega, 1996), è un romanzo molto complesso sul piano della ricostruzione storica.

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Imparentato coi mémoires e la narrativa (pseudo)autobiografica, MrP consta di una cornice ambientata emblematicamente nel 1848, la quale introduce l’espediente classico del manoscritto e racchiude la narrazione di secondo grado, costituita dal diario del viaggio in Europa dell’americano Robert L. Pyle nel 1806. Tale forma implica ovviamente la presenza di un personaggio, Mr. Pyle appunto, di statura preponderante rispetto agli altri, il che avrà anche delle conseguenze a livello del ruolo della seduzione nel romanzo. Barbero si trova fra l’altro a confrontarsi con gli stilemi della memorialistica francese, della letteratura di viaggio, dei resoconti dei Grands Tours (MrP si avvicina in qualche caso a un Baedeker dell’Europa Centro-orientale), del romanzo libertino e del novel inglese del Settecento.

6 Romanzo russo (“Fiutando i futuri supplizi”), del 1998, è una narrazione d’impianto meno tradizionale, caratterizzata da un continuo moltiplicarsi e stratificarsi dei punti di vista e dall’introduzione meno camuffata di una congerie di materiali “altri”. La vicenda, che ammicca alla spy story e al thriller d’archivio oltre che al romanzo storico propriamente detto, è situata fra Mosca e Bakù, per lo più in un arco di anni che va dalla fine del 1987 al febbraio 1991, periodo centrale per la storia dell’ex Unione Sovietica. Anche in RR si è in presenza di una cornice, la narrazione in prima persona di Tolik, un intellettuale moscovita che rende conto del ritrovamento di un manoscritto, un romanzo sugli anni della perestrojka, del quale la narrazione di secondo grado costituisce il testo. Chi si sia occupato dell’effettiva pubblicazione del romanzo rimane avvolto nel mistero (ragion per cui si potrebbe parlare, a rigor di logica, del testo del romanzo come di un terzo grado di narrazione, per quanto il primo grado resti implicito e non lasci tracce di sé), in quanto Tolik, nel Prologo, rende conto altresì di aver provveduto a seppellire nuovamente il manoscritto, dopo averlo letto (RR, p. 11). Sebbene lo svolgimento della vicenda si muova a stretto contatto con le ricerche di Tanja, non si può dire che la costruzione del personaggio della storica si differenzi in maniera evidente da come sono costruite alcune altre figure del romanzo, Oleg o il giudice Lappa ad esempio. Una voce autoriale autoritaria domina infatti i personaggi, imponendosi di continuo all’attenzione del lettore con frequenti appelli4.

7 Con il terzo romanzo comincia in qualche modo il secondo periodo della narrativa di Barbero, quello appunto del lavoro di sottrazione operato sul romanzo storico tradizionale, e che porta al superamento delle “opere mondo”. L’ultimo rosa di Lautrec (2001) è il resoconto di una giornata del febbraio 1899 nella Parigi di Toulouse-Lautrec. Si entra subito in medias res, senza cornice, c’è un narratore tendenzialmente onnisciente ma non invasivo, che concede spazio al monologo interiore dei personaggi. Lautrec non è la figura preponderante del romanzo, anzi se ve n’è una si tratta della ballerina Yvonne, motore dell’azione e delle seduzioni. L’impianto è, nel caso di URL, tradizionale, ai materiali extra-letterari si fanno ormai soltanto allusioni, senza inserti testuali se non nel caso di brevi articoli di giornale. La ricostruzione d’ambiente avviene non per mezzo della tecnica dell’affresco, bensì sempre attraverso i personaggi, che si interrogano sui fatti e le questioni salienti della fin du siècle, dall’affaire Dreyfus all’Expo, alla frenologia, all’impressionismo.

8 L’ultimo romanzo finora pubblicato da Barbero prosegue sulla medesima scia, lavorando ulteriormente alla semplificazione e al ridimensionamento del ruolo delle convenzioni di genere e dei materiali altri. Poeta al comando (2003) narra gli ultimi giorni dell’avventura fiumana di Gabriele D’Annunzio. Con PC si torna all’espediente della cornice e del narratore intradiegetico, Tom Antongini, segretario del Vate, che nel

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1944 da Salò rievoca i fatti ai quali egli stesso ha assistito e preso parte vent’anni prima. La voce del narratore intercala la vicenda con commenti tesi a rendere ragione dei comportamenti di D’Annunzio, di modo tale che l’interiorità del personaggio chiave del romanzo, il Vate appunto, venga oggettivata senza ricorso, se non sporadico, al monologo interiore. Ciò da vita a un curioso gioco di rifrazioni, tanto più che nelle ultime pagine del romanzo Tom suggerisce che il punto di vista che egli ha fino a quel momento presentato sia, o possa essere in parte influenzato dai racconti di Cosetta. Se il seduttore per eccellenza di PC è D’Annunzio, Tom gli si affianca spesso in tale ruolo, e la stessa Cosetta subisce in qualche modo un’evoluzione, da sedotta a seduttrice.

9 Entrando maggiormente nello specifico, si tenterà di mettere in evidenza gli elementi utili a delineare una mappa del tema della seduzione nella narrativa di Barbero. Il fatto che il ruolo delle dinamiche della seduzione non sia ancora stato trattato con attenzione sufficiente in riferimento al romanzo storico inteso come genere rende ragione del carattere classificatorio del presente articolo, che vuole essere un piccolo contributo a una linea di indagine che andrebbe estesa al genere tutto5.

Forme

Seduzione intellettuale o a sfondo sociale

10 La prima delle tre forme in cui la seduzione viene messa in atto nei romanzi di Barbero è proprio la meno scontata, e ciononostante la più importante per mostrare come la seduzione funga da spinta in grado di far progredire l’azione. La seduzione intellettuale, che può o meno tradursi in atto e intersecarsi a vario livello con le altre due categorie che considererò, ha spesso una caratteristica in comune con esse, ovvero la non-pariteticità del coinvolgimento.

11 Il fascino intellettuale che un personaggio – o l’ambiente del quale esso fa parte – rivestono per un altro, può tradursi in bramosia sessuale, come nel caso della seduzione di Cosetta da parte di D’Annunzio, seduzione fra l’altro in grado di scatenare un movimento di reciprocità (Cosetta, sedotta da Gabriele attraverso i suoi libri, decide di sedurlo a sua volta, di persona e col proprio corpo). È interessante come il rapporto fra Gabriele e Cosetta inizi come un gioco intellettuale intrapreso da Cosetta – e questo sarà un altro fra gli elementi che avvieranno il secondo movimento della seduzione – anche in competizione con la madre (cf. PC, pp. 10-ss; 39-ss). La questione degli appellativi che Cosetta assume nel corso del romanzo (da Cecilia Cosulich a Cosetta6, a Susina), nonché il dono, emblematico, di un guinzaglio, vanno sempre nella direzione di un particolare prestigio intellettuale accordato dalla giovane al partner.

12 Altri esempi, che mostrano invece il fascino esercitato da un determinato ambiente, sono le osservazioni di Lautrec a proposito della consueta reazione delle donne alla proposta di un ritratto (URL, p. 10), oppure la richiesta di Amalia a Robert Pyle, di essere portata ai Bagni di Link in cambio di una dimostrazione della sua “compiacenza” (MrP, pp. 429 e 456-ss).

13 La seduzione intellettuale può restare sul piano soltanto intellettuale, specie nel caso in cui si presenti sotto forma di un rapporto maestro-discepolo, come avviene in RR con Čimut-Dovžev. Il filosofo moscovita invita a casa propria Tanja, Oleg e Sergej (RR, pp. 134-ss), e tra Čimut-Dovžev Sergej, seduttore intellettuale a sua volta, il cui ruolo in

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relazione a Tanja suscita in diverse occasioni la gelosia di Oleg, si crea una strana tensione.

14 La stessa Tanja è forse il più riuscito esempio di seduttrice intellettuale nella narrativa di Barbero, nonché una delle figure femminili tracciate con maggiore complessità. Si tratta di una seduttrice che molti elementi ha in comune con la Tereza dell’Insostenibile leggerezza dell’essere di Milan Kundera (1984), a partire dai libri sottobraccio, attributo della donna lettrice, fino a certe caratteristiche dei sogni che la tormentano, nei quali ai rapporti familiari problematici si intersecano i timori nei confronti del sesso e degli uomini, e in particolare il discorso inerente il pudore7.

Desiderio e seduzione

15 Nei romanzi di Barbero, la seduzione mossa dal desiderio ottiene di solito l’effetto sperato. Si tratta di quei casi in cui la necessità fisiologica, come avviene con molte figure minori dei romanzi, ma pure di frequente nel caso di Robert Pyle, o più spesso la vista di un particolare fisico, un tratto del portamento, ecc., mettono in moto il corteggiamento. “Macchine desideranti” per antonomasia sono in questo caso Pyle e D’Annunzio, ma pure Lautrec con la sua fissazione per le rosse8.

16 Il desiderio che porta alla seduzione è quasi sempre una dinamica maschile, mentre molte delle donne di Barbero paiono mosse dall’utile, dalla speranza in un guadagno o in un dono (frequentissimo è il sesso mercenario). Per ragioni sociologiche come si vedrà meglio in seguito, Pyle è il personaggio che si imbatte più di frequente in ragazze e donne le quali accettano o incoraggiano il corteggiamento a fini di lucro.

17 Possono riconoscersi due significative eccezioni, due personaggi esenti da una dinamica di questo tipo, Yvonne Lesueur in URL e Cosetta in PC, entrambe derivanti da un’evoluzione di personaggi che, mentre nelle prime pagine sembrano indifesi e di fatto seducibili, maturano nel corso della vicenda fino al raggiungimento di una superiore autoconsapevolezza, mutandosi in seduttori9. Le due ragazze presentano del resto diversi tratti che possono accomunarle, dalla giovane età alle caratteristiche fisiche, la magrezza in particolare e una bellezza lunare – che in Yvonne si accompagna tuttavia di frequente all’emergere di componenti ferine – al rapporto problematico che ciascuna intrattiene col proprio corpo10.

18 Dalla soddisfazione del desiderio derivano le molte scene di sesso presenti nei romanzi, scene che indugiano spesso, come si vedrà in seguito, sui luoghi e i particolari d’ambiente, oppure su dettagli fisici o dell’abbigliamento, che di frequente hanno a che fare con la moda del tempo (gli accenni alla caviglia, alle scollature e alla trasparenza in MrP – trasparenza che ritorna a livello di Leitmotiv, pur se in un’accezione completamente diversa, in RR).

Seduzione e innamoramento

19 Laddove infine la componente del coinvolgimento sentimentale, esclusiva nella prima categoria individuata, è associata a elementi riconducibili piuttosto alla seconda categoria, viene istituito un rapporto fra seduzione e innamoramento, rapporto all’interno del quale le due fasi sono beninteso interscambiabili (l’innamoramento può indurre a un tentativo di seduzione, o viceversa una dinamica messa in moto come seduzione può trasformarsi in innamoramento).

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20 Va detto che questa terza categoria, ibrida, è nettamente meno presente rispetto alle altre due, e che nei casi a essa ascrivibili prevale di solito la componente piuttosto orientata verso il desiderio. L’innamoramento è di nuovo appannaggio pressoché esclusivo di quei personaggi femminili che non mercanteggiano il proprio sesso, anche in questo caso però con due apparenti eccezioni, Mr. Pyle e Oleg.

21 L’innamoramento di Pyle per Victoire, che riprende gli stilemi del romanzo libertino, è infatti poco più dell’ennesima manifestazione della sua costante esigenza e volontà di sedurre, mentre il legame di Oleg nei confronti di Tanja è indagato con maggiore profondità, benché non gli sia concesso molto più spazio nell’economia del romanzo. Queste caratteristiche differenti dei due innamoramenti maschili obbediscono anche, di nuovo come in un gioco di specchi, alla ricostruzione dell’ambiente che il romanzo storico pone in essere. Al dandy ante litteram Robert Pyle si addicono infatti sentimenti manierati (e questo vale non soltanto per l’innamoramento), mentre al giovane giornalista sovietico dei nostri giorni calzano meglio atteggiamenti forse ugualmente stereotipati se guardiamo alla letteratura, ma all’apparenza più sentiti.

22 Una sensibilità che si avvicina in qualche modo al melodramma, restando dunque nell’ambito dello stereotipo dell’epoca, è invece quella di Victoire, particolarmente evidente nella scena dell’abbandono da parte di Pyle in occasione della sua partenza per Königsberg (MrP, pp. 265-ss). Victoire è forse il solo personaggio di Barbero affetto da bovarismo, per quanto non sia l’unica lettrice di romanzi (ibid., pp. 158-159); Cosetta, spesso costretta a letto, legge infatti avidamente11, e non è forse un caso che, nel primo capitolo di PC, la si sorprenda a cincischiare con delle molliche di pane…

Luoghi

23 La seduzione, che in questo breve paragrafo coincide sostanzialmente con la seconda delle accezioni prese in considerazione, avviene per lo più in luoghi chiusi. Questa è forse l’unica costante, seppure assai debole, desumibile dalla miriade di luoghi della seduzione presenti nei quattro romanzi. Per il resto, vi sono alcuni luoghi che ricorrono, taverne, osterie e teatri ad esempio in MrP; frequente è ovviamente la casa, ma ancor più il bordello (in MrP, URL e PC). In URL poi, buona parte dell’azione (non della seduzione, tuttavia) ha luogo proprio nel bordello gestito da Madame, luogo che era stato qualche tempo prima la residenza di Lautrec, ragion per cui il bordello rappresenta anche il teatro della memoria allucinata del pittore, come dei ricordi delle prostitute.

24 La questione dei luoghi della seduzione nella narrativa di Barbero, del bordello in particolare, non è esente da risvolti sociologici. In MrP, dove il protagonista e i suoi occasionali accompagnatori fanno visita a un gran numero di bordelli, in più occasioni si trovano notazioni, sempre à la Baedeker, sulle differenze riscontrabili nei vari bordelli a seconda delle usanze e del tenore di vita delle regioni. Non soltanto Pyle annota spesso particolari di questo tipo nel suo diario, ma i personaggi si imbarcano più volte, nei salotti come nei bordelli stessi, in discussioni circa i caratteri dei luoghi e delle ragazze che vi lavorano, oppure circa gli atteggiamenti dei governi in materia di tolleranza, incentivazione o detrimento della prostituzione.

25 È però di nuovo in URL, romanzo in cui la frenologia riveste un ruolo non secondario proprio per l’epoca in cui è ambientato, che il bordello viene indagato facendo ricorso agli strumenti della proto-sociologia tardo-ottocentesca. La permanenza del dottor

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Péladan all’interno del bordello è caratterizzata dal resoconto dettagliato della visita alle prostitute (URL, pp. 62-ss), accompagnato dall’esposizione di tutta una serie di teorie piuttosto in voga all’epoca, ad esempio quella della maggior vicinanza della donna alla scimmia e della conseguente inclinazione degli esseri femminili al vizio, alla mancanza di pudore e alla depravazione (ibid., p. 65).

26 Dopo la quieta spensieratezza delle case di piacere del primo Ottocento ancora libertino descritte in MrP, ecco che nel bordello belle époque di URL si infiltrano la paura della malattia e il sospetto di trovarsi in presenza di esseri degenerati. Non è forse un caso che la maison di Madame sia teatro dell’azione in una pigra mattinata domenicale, quando l’attività giornaliera e la clientela sono ancora di là da venire. L’idea di degenerazione accomuna del resto le prostitute a Lautrec, il nano, che il dottor Péladan ritiene, in base alle caratteristiche fisiche, “un pervertito nato” (ibid., p. 75). Le tinte fosche del bordello parigino fin du siècle fungono da preludio e forse da laboratorio per l’atmosfera che si respira nella Fiume dannunziana, non soltanto in riferimento ai luoghi della seduzione…

27 È interessante vedere ancora due episodi a suggello di quanto detto sull’approccio sociologico adottato talvolta da Barbero. Si tratta anzitutto di alcune fra le pagine conclusive di RR, in particolare il dialogo fra Oleg e una giornalista svedese nel corso della cerimonia per l’elezione della prima Miss Unione Sovietica post-glasnost: [… parla la giornalista] non vi accorgete che qui da voi è già sbarcata l’America? Forse che le ragazze che hanno sfilato in questi due giorni sembravano russe? Ma se erano tutte uguali, alte, magre, bionde e sorridenti, come le top model che si vedono sulle riviste occidentali! Io sono riuscita a distinguere solo le ragazze asiatiche, forse perciò mi son sembrate belle. [… Oleg] quanto a questo non ha mica torto, anche da noi ormai trionfa la bellezza tipo caramella: scartami-scartami, vedrai quanto son dolce, ma intanto è tutto artificiale, resina e coloranti. [… la giornalista] una me la ricorderò, la ragazza che veniva da Bakù, com’è che si chiamava? Sì, quella è difficile dimenticarla, riusciva a sembrare sempre nuda, in abito da sera e in costume nazionale. Ogni volta che sfilava i fotografi facevano a gomitate, e si capisce, erano tutti maschi; più era nuda e più il pubblico l’acclamava. (RR, pp. 449-450)

28 Segue una replica di Oleg, che evidenzia bene come la seduzione sia tutt’altro che una questione secondaria nel confronto fra l’Occidente capitalista e un’Unione Sovietica che tenta in ogni modo di fare un’indigestione di quel capitalismo dal quale troppo a lungo sente di essere stata tenuta lontana: La vita, e cioè le sofferenze, il lavoro sfibrante, il marito che beve, i figli ammazzati in guerra, ecco che se tutto questo lascia il segno sulla faccia di una donna, quella per voialtre è bella! Mentre invece una troietta grassa, che non fa altro se non dipingersi le unghie e mangiar dolci tutto il giorno, e farsi scarrozzare dal suo uomo, e scopare, quella, si capisce, vi fa schifo. (ibid., p. 452)

29 Infine, ma sarebbe una questione troppo complicata da approcciare, seduzione e sociologia si toccano anche in un problema che Barbero sfiora soltanto in URL, quello del rapporto fra arte e pornografia12. Nel dialogo fra il gallerista e la sua compagna in visita allo studio di Lautrec sono messe in evidenza le due posizioni, rispettivamente: l’arte prescinde dal comune senso del pudore; e: quanto offende il comune senso del pudore non può essere considerato arte, bensì solo e soltanto pornografia13.

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La seduzione come macchina narrativa

30 Oltre che, come si è visto, essere una tematica ricorrente che agisce a vari livelli nella costruzione del personaggio e del setting, la seduzione opera nella narrativa di Barbero anche su un piano diverso, incidendo sulla forma stessa del romanzo.

31 Ciò non si verifica ovviamente su scala macroscopica; di rado infatti azioni o eventi mossi dalla seduzione decidono o influenzano il nucleo di una narrazione, a meno che non si tratti di una narrazione incentrata solo e soltanto sulle dinamiche di seduzione. Ferma restando questa precisazione, nei romanzi di Barbero sono presenti episodi nei quali la seduzione accompagna per così dire l’intreccio, inducendo i personaggi a prendere delle decisioni che influiranno talora in maniera determinante sul prosieguo dell’azione.

32 Gli esempi più calzanti in proposito riguardano le tre grandi figure rievocate o create da Barbero: Mr. Pyle, Lautrec, D’Annunzio.

33 In MrP si trova per l’appunto un cenno, non privo di importanza, a una possibile modifica dell’itinerario di viaggio dell’americano, al fine di rincontrare Bertha, la quale Pyle sa in procinto di recarsi a Dresda: “[…] fra me e me calcolavo se dopo il viaggio a Varsavia non avrei potuto proseguire per Dresda, ma mi guardai bene dal farvi cenno, perché in presenza di una madre attenta è facile parlare troppo, e ci si trova intrappolati in men che non si dica” (MrP, p. 285). Effettivamente, così avverrà, e la permanenza a Dresda (MrP, pp. 413-ss.), benché Pyle non abbia molta fortuna con Bertha, influenzerà lo svolgimento successivo della vicenda.

34 Per Lautrec si può dire che proprio un tentativo di seduzione, o meglio il tentativo di raggiungere un luogo della seduzione, la soffitta in cui abita Yvonne, metta in moto la macchina narrativa. Se nelle prime pagine del romanzo il pittore non fosse infatti caduto a terra in preda ad allucinazioni di fronte al portone di Yvonne, sparando nel contempo e attirando in tal modo l’attenzione della ragazza, non fosse stato caricato da Papà Charlot sulla sua carretta e condotto alla maison, la giornata di Lautrec – il romanzo dunque – sarebbero stati alquanto diversi.

35 Le strategie di seduzione di D’Annunzio sarebbero ben più complesse da illustrare. Si ricava infatti l’idea che il personaggio spesso si comporti come si comporta esclusivamente per sedurre. Basti un esempio, particolarmente significativo anche perché collocato in limine (PC, pp. 7-ss). Gabriele non avrebbe alcuna intenzione di partecipare al pranzo in casa Cosulich, ma Tom sa come gestire la situazione, e predispone una trappola nella quale il Vate non può non cascare, fornendo una descrizione ad hoc della padrona di casa. L’aggettivo impiegato da Tom nel riferirsi alla signora Cosulich, “materna” (PC, p. 11), unito alla precisazione che la senatrice è una fedelissima dannunziana, gettano un’esca alla quale Gabriele abbocca, accettando di recarsi a un pranzo nel corso del quale egli deciderà di imbarcarsi in un altro tentativo di seduzione, non della signora Cosulich bensì della figlia. Tale scelta darà vita a un nuovo personaggio, Cosetta.

36 In tal senso si può dire che la seduzione assume talvolta nei romanzi di Barbero il ruolo di deus ex machina.

37 Questa non è che un’applicazione di una tipologia ermeneutica di portata più ampia, di una linea di ricerca, estensibile anche oltre i confini del genere romanzo storico, che si propone di considerare le dinamiche della seduzione come macchina narrativa.

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NOTE

*. Un sentito ringraziamento ad Alessandro Barbero per le utilissime chiacchierate, nonché per avermi consentito di accedere all’“officina dell’autore”. Nota. A partire dalla presentazione del corpus ricorrerò alle abbreviazioni seguenti nel fare riferimento ai romanzi di Barbero: MrP – Bella vita e guerre altrui di Mr. Pyle, gentiluomo, Milano, Mondadori, («Scrittori italiani»), 1995. RR – Romanzo russo (“Fiutando i futuri supplizi”), Milano, Mondadori, («Scrittori italiani»), 1998. URL – L’ultimo rosa di Lautrec, Milano, Mondadori («Scrittori italiani e stranieri»), 2001. PC – Poeta al comando, Milano, Mondadori («Scrittori italiani e stranieri»), 2003. Le citazioni sono ridotte al minimo per ragioni di spazio, tanto più che si presenterebbe spesso l’esigenza di citare passi molto estesi. 1. Per il concetto di “letteratura d’eccezione” e per i caratteri che tale attività extra- professionale tende ad assumere, cf. G. Baldissone, La letteratura come eccezione. Narrativa e poesia nell’uso dei filosofi, in Il potere delle parole. Sulla compagnia tra filosofia e letteratura, a cura di S. Petrosino, Roma, Bulzoni, 2000, pp. 13-51. Tengo a sottolineare che lo spunto per questo contributo nasce proprio da un tentativo di applicazione delle categorie individuate dalla studiosa, che ringrazio vivamente per i preziosi consigli. 2. Non posso rendere conto in questa sede della sterminata bibliografia relativa al romanzo storico, tanto più in quanto il problema è strettamente connesso alla riflessione sui generi letterari tout court. Mi limito pertanto a segnalare i testi consultati, rinviando per un approfondimento della questione alla bibliografia dei singoli volumi. Anzitutto il classico di G. Lukács, Il romanzo storico, a cura di C. Cases, Torino, Einaudi, 1972 [prima ed. it. 1965; ed. or. Der historische Roman, Berlin, Aufbau Verlag, 1957]. Quindi, in ordine cronologico, M.G. Riccobono, Storia e romanzo storico nell’interpretazione della cultura italiana dalla fine dell’Ottocento agli anni recenti, in Il romanzo della storia, Pisa, Nistri-Lischi, 1986, pp. 297-342; M. Legnani, Riflessioni su storiografia e romanzo in prospettiva novecentesca, in I racconti di Clio. Tecniche narrative della storiografia, (Atti del Convegno di Studi, Arezzo, 6-8 novembre 1986), Pisa, Nistri-Lischi, 1989, pp. 241-265; R. Rosso, Storiografia e narrativa: una strumentazione parallela, ibid., pp. 267-286; L. De Federicis, Letteratura e storia, Roma-Bari, Laterza, 1998; M. Ganeri, Il romanzo storico in Italia. Il dibattito critico dalle origini al post-moderno, Lecce, Piero Manni, 1999. L’opera di riferimento per il genere del romanzo, con importanti contributi anche per quanto concerne il romanzo storico, è Il romanzo, a cura di F. Moretti, 5 vol., Torino, Einaudi, 2001-2003. 3. Il nome della rosa costituisce forse il massimo esempio italiano di quella che John Barth nel 1967 definiva la literature of exhaustion, in questo caso un grande romanzo storico che racchiude al proprio interno la teoria, l’applicazione di tale teoria e il suo superamento. Il primo romanzo storico italiano della seconda metà del Novecento, apripista nei confronti di un ritorno all’ordine e di un rinnovamento del genere, è con ogni probabilità La storia di Elsa Morante (1974), la cui componente di denuncia, presente in pratica ab origine nel genere romanzo storico (pensando in particolare al Manzoni), andrà per lo più perdendosi presso epigoni e continuatori. Più che come impegno o, genericamente, attenzione alla contemporaneità, denuncia è da intendersi come sinonimo di presa di posizione in qualche modo esplicita in merito a problemi di impatto al momento dell’uscita del romanzo. Molti infatti considerano Il nome della rosa come prototipo del cosiddetto romanzo di idee, il che non ne fa tuttavia un romanzo di denuncia. 4. In una maniera simile a quanto accade, ad esempio, in Se una notte d’inverno un viaggiatore di Italo Calvino (1979). 5. Non essendo possibile discutere in questa sede della natura della seduzione, cosa che sarebbe invece il presupposto logico in grado di evidenziare i criteri alla base della campionatura, mi

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limito a indicare in ordine cronologico una serie di saggi sull’argomento – molti del resto notissimi, dai quali ho potuto desumere tali criteri: G. Bataille, L’érotisme, Paris, Les éditions de minuit, 1957 [tr. it. L’erotismo, Milano, Sugar, 1962]. E. Hardwick, Seduction and Betrayal. Women and Literature, New York, Random House, Vintage Books, 1975. M. Foucault, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976 [tr. it. La volontà di sapere, Milano, Feltrinelli, 1978]. R. Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Paris, Gallimard, 1977 [ora in Œuvres complètes, III, 1974-1980, a cura di É. Marty, Paris, Seuil, 1995, pp. 457-687 [tr. it. Frammenti di un discorso amoroso, Torino, Einaudi, 1979]. J. Baudrillard, De la séduction, Paris, Galilée, 1979 [tr. it. Della seduzione, Bologna, Cappelli, 1980]. M. Lavagetto, Freud, la letteratura e altro, Torino, Einaudi, 1985, passim. U. Eco, Come riconoscere un film porno [1989], in Il secondo diario minimo, Milano, Bompiani, 1992, pp. 130-131. 6. In riferimento alla Cosette dei Misérables. 7. RR, pp. 290-ss.; M. Kundera, Nesnesitelná lehkost bytí, Toronto, 1984 [tr. it. L’insostenibile leggerezza dell’essere, Milano, Adelphi, 1985], ad ex. pp. 152-ss. 8. Cf. in part. MrP, passim, ad ex. p. 123: “[…] ho veduto una ragazza dai capelli rossi che vendeva fiori all’angolo della strada. Le ho fatto cenno di avvicinarsi, e poche parole sono bastate a capire che era disponibile per un commercio più privato, come avviene spesso alle donne della sua classe.” PC, p. 62: “Era già sulle scale quando il Comandante s’accorse che pensando a quel corpo sotto il coltello, a come doveva essersi divincolato sotto il coltello, gli era tornato addosso un desiderio feroce e umiliante. Ora la fermo e la faccio tornar su, pensò.” URL, pp. 9-11. 9. URL, pp. 201 e 229-230; PC, pp. 166-ss. 10. Cf. di nuovo URL, pp. 229-230. 11. PC, pp. 13, 40: “[…] è una ragazzina malaticcia, quella, dunque le sue giornate monotone le passerà a letto; e lì, si capisce, starà a mangiarsi le unghie, e leggere e rileggere. Che cosa? Ma Il Piacere, naturalmente…” 12. URL, in part. pp. 176-177. 13. Al dialogo in questione fa da pendant la dichiarazione di Lautrec nel corso del colloquio con la madre, altra fautrice della subordinazione dell’arte al comune senso del pudore: “LA PITTURA È COME LA MERDA, NON SI SPIEGA, SI ANNUSA!” (URL, p. 184; maiuscolo nel testo).

AUTORE

FILIPPO FONIO Università degli Studi di Pisa

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L’odore del sangue di Goffredo Parise: fascinazione della gioventù, tentazioni di un reporter*

Matteo Giancotti

1 1. Uno dei pochi margini di discussione lasciati da Cesare Garboli nella sua esauriente Prefazione a L’odore del sangue1, il romanzo postumo di Goffredo Parise, riguarda l’interpretazione di un tratto fondamentale dell’opera. Il ragazzo di cui Silvia s’innamora tradendo il marito Filippo, il giovane violento e senza volto che incarna in breve l’ossessione di Filippo, è fascista. Costituzionalmente fascista, si direbbe, dal momento che questa connotazione politica precede nel romanzo ogni sua descrizione fisica, morale, “culturale”. Alle domande del marito che la interroga per la prima volta intorno a questo altro uomo della sua vita, Silvia risponde infatti, sminuendo: “Ma niente” […] “è un ragazzo, figurati, un ragazzo che ho conosciuto per strada. Fascista per di più. Figurati, alla mia tenera età”. (p. 11; nostro corsivo)

2 Dato fondamentale, dunque, quello dell’appartenenza politica del giovane, accampato agli albori della vicenda e più volte ossessivamente ribadito nel corso del libro. Come lo interpreta Garboli? Come una funzione razionalizzante, un tentativo di disinnescare la devastante portata simbolica del fallo del ragazzo che ha ammaliato Silvia2. In realtà la connotazione fascista non ha l’effetto di contenere il dolore ma di esasperarlo, rendendolo più terribile e minaccioso, più irrazionale.

3 Silvia ama un truce e violento ragazzo. Tanto violento e prepotente quanto interiormente fragile e qualunquista. Ignorante. Afasico. Epilettico. Con i segni sulle braccia di un tentato suicidio. Che cosa poteva renderlo più minaccioso e mostruoso? L’appartenenza neofascista, che ha punti di contatto solo apparenti con la retorica celebrazione della virilità da parte del fascismo storico o mussoliniano, già demolita con vivacissima ironia dal Parise de Il prete bello. Per capire meglio l’aria minacciosa e irrazionale che spira dalla gioventù neofascista bisogna rituffarsi negli anni Settanta, “a Roma, nell’odore del sangue” (p. 229). Partendo dal romanzo, dall’importante rappresentazione di una Roma putrefatta e violenta che prende forma agli occhi di Filippo durante una passeggiata notturna:

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Erano non so più se le tre o le quattro, e Roma mostrava il suo volto notturno fatto sostanzialmente di spazzatura vagante, di qualche pantera della polizia, urlante, di ragazzi in giubbotti di cuoio che sfrecciavano rombando in motocicletta. Eccoli, erano loro, i giustizieri della notte, quelli che avevano assassinato Pasolini, quelli che avevano stuprato le ragazze del Circeo, quelli che avevano bruciato un somalo dormiente su un letto di cartoni, “per scherzo”. Intravedevo le loro facce, anche nella velocità della corsa. Parevano facce americane, alcune bionde e butterate, altre nere dai capelli ricci, di arabi americanizzati. Erano, nella loro anonima e meccanica criminalità, le facce di Roma. Dei figli della borghesia o delle borgate di Roma, la stessa cosa: entrambi vestiti allo stesso modo, entrambi con fattezze di tipo americano e criminoide con appena una punta di quella vanità e brutalità mediterranea e romana che si vede appunto a Roma. (pp. 90-91)

4 La descrizione di questi ragazzi combacia con le sembianze che Filippo immagina, e poi verifica nella realtà, appartenere al ragazzo di Silvia3. Non è ancora guarita dunque in Parise, all’epoca della stesura del romanzo, la cicatrice lasciata dall’uccisione brutale di Pasolini. È una ferita aperta che ancora agisce nella sua immaginazione, che lo perseguita4, che trova per la prima volta uno sfogo di scrittura in questo romanzo. Avvicinare il giovane fascista amato da Silvia alla schiera dei linciatori romani, dei giustizieri per noia e per scherzo, dei fantasmi dell’omicidio Pasolini (un’enorme massa di gente dagli identici connotati fisionomici e sociali), ha l’effetto di incupire e illividire la vicenda del romanzo. Il neofascismo del giovane amante è un’ombra ambigua e terrifica che infetta ulteriormente, anziché razionalizzare, la tragedia sessuale e sentimentale di Silvia e Filippo; un’ombra reale, esistente. Una piaga nell’Italia degli anni Settanta e di Roma in particolare.

5 Nei due anni precedenti alla sua morte, Pasolini aveva trattato spesso, in interventi pubblici durissimi e dolorosi, il tema del neofascismo, spesso mettendolo in relazione al radicale mutamento di costumi provocato nei giovani italiani dall’affermazione della civiltà dei consumi. Non esiste più – diceva – quella Roma popolare che egli amava e immaginava antropomorfizzata nelle “sembianze di un tipico ragazzo romano di borgata: cioè bruno, olivastro, con l’occhio nero, il corpo aitante. […] Snello, non precisamente atletico. Un po’ come gli arabi che non sono atletici ma sono, diciamo così, fatti armoniosamente”; la civiltà dei consumi e dei mass-media ha trasformato Roma in “una delle tante piccole città italiane. Piccolo-borghesi, meschine, cattoliche, impastate di inautenticità e di nevrosi”5. Inasprendo il proprio giudizio sui nuovi giovani italiani (“questi giovani d’oggi che la pagheranno cara e che mi fan pena”), Pasolini dichiarava: “sono odiosi. I ragazzi dai quindici ai venti ai ventuno ai ventidue anni sono odiosi. Poveretti. Non sanno più parlare, sono completamente afasici, sono dei presuntuosi. Sono proprio una povera cosa. […] hanno perso la loro individualità, son tutti uguali, fascisti, antifascisti, studenti, operai, borghesi, sottoproletari, delinquenti. Se tu vai per strada in una borgata romana o nelle periferie milanesi e cammini e vedi dei gruppi di giovani, niente, ma proprio niente ti può far dire guardandoli se quelli sono o no dei delinquenti e se fra cinque minuti ti ammazzeranno. Io lo trovo semplicemente spaventoso”6. Un passo da L’odore del sangue riguardante ancora il degrado sociale di Roma (chiaramente cassato da Parise e riprodotto dai curatori in appendice con il titolo Roma) dimostra, nelle evidenti affinità con queste ultime affermazioni di Pasolini, l’origine pasoliniana di molte angosciose atmosfere del romanzo postumo di Parise7.

6 Il ragazzo di Silvia esce esattamente da queste inquietanti analisi, integrate dall’esame “autoptico” che Parise, grande osservatore della realtà, conduce sul campo trovandosi

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perfettamente d’accordo, come dice in un passo sopra riportato del romanzo, con le posizioni di Pasolini8. Non per razionalizzare la potenza sessuale del giovane, dunque, Parise gli attribuisce i connotati politici del neofascismo, ma al contrario per rendere più esasperante la carica minacciosa di questo individuo senza volto, per rendere più teso “l’odore di agguato” che Filippo percepisce nella casa coniugale profanata dalle visite di questo picchiatore “per scherzo”. Fallisce infatti il suo tentativo di esorcizzare con la ragione il tradimento della moglie spaventosamente in balia del fallo sempre eretto di un giovane (quel fallo che, monstrum naturale incomprensibile alla ragione, continua in fondo ad ipnotizzare per la sua potenza sia la moglie che il marito). Né gli riesce quell’esercizio di sociologia che dovrebbe portarlo, attraverso la scomposizione analitica del carattere, della provenienza sociale e degli obiettivi politici del ragazzo, a liberarsi dall’ossessione della gelosia. La ragione non vale nei confronti di questi giovani nuovi, di questa “nuova razza”9 di uomini che sono fascisti senza un perché, che sono fascisti come potrebbero essere antifascisti, che uccidono per scherzo, per puro arbitrio; che in un delirio di ignoranza, prepotenza, nevrosi e vanità infantile teorizzano “il culto della forza fisica, del disprezzo delle donne” e “il disimpegno assoluto, la teorizzazione del non far nulla, di non agire” (così Silvia definisce il giovane e i suoi amici, aggiungendo anche, brutalmente: “Ci sono loro e il loro cazzo e basta”, pp. 175-176). La minuziosa ricomposizione delle tessere sociali e “culturali” che dovrebbero portare Filippo alla comprensione della psicologia del giovane, e quindi a dare un volto razionalmente rappresentabile al tradimento di Silvia (il che basterebbe, secondo il razionalista Filippo, a superare il trauma e a vincere la gelosia10), non centra il bersaglio: questo ragazzo continua a presentarsi con volto di sfinge11. Ed è una sfinge terrifica, abbiamo detto, densa di un’aura potenzialmente e inspiegabilmente omicida, casuale e perciò non prevedibile nelle sue intenzioni. A ciò è da aggiungere il ricordo raccapricciante della morte di Pasolini, che affiora in Parise come crux desperationis, delitto giuridicamente irrisolto ma in realtà addirittura previsto dalla vittima che lungamente aveva studiato e osservato, addirittura guardato in faccia, quelli che sarebbero stati – secondo Parise – i suoi carnefici. Niente di più irrazionale e inquietante dunque, nel neofascismo degli anni Settanta, secondo l’interpretazione di Pasolini adottata in blocco da Parise (che in quegli anni, era straordinariamente recettivo rispetto a molte delle questioni sollevate dall’intellettuale friulano12): “Tutti sapevamo, nella nostra coscienza, che quando uno di quei giovani decideva di essere fascista, ciò era puramente casuale, non era che un gesto, immotivato e irrazionale”13; e ancora: “Il nuovo fascismo […] è un tumore centrale […] è un po’ la media delle aspirazioni nevrotiche di una società i cui elementi parossistici, i conformisti esemplari, sono gli estremisti che mettono le bombe e i killers. […] Io ritengo che nulla è stato intrapreso contro l’irrazionalismo e la disperazione di una certa categoria di giovani […]”14.

7 2. Silvia è soggiogata dal prepotente odore della vita e della gioventù che il sesso del suo ragazzo venticinquenne emana. Filippo lo sa, lo percepisce anche dalle piccole tracce che il linguaggio di Silvia dissemina durante i loro infiniti dialoghi. Sono i cosiddetti lapsus. Filippo è uno psicanalista, non può fare a meno di notarli, e di interpretarli15. Una situazione del genere sarebbe, per qualsiasi marito innamorato della propria moglie (Filippo dice di esserlo), orrenda: la realizzazione di un incubo, probabilmente il peggiore degli incubi maschili. Per di più, il ragazzo che tiene soggiogata Silvia appartiene ad Ordine nuovo, “una pericolosa società mezza segreta di teppisti fascisti romani” (p. 52), il cui solo nome basta a proiettare nella mente di

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Filippo “un suono sinistro” che emana “odore di sangue marcio, di assassinio, di stupro, di bravate delinquenziali” (pp. 101-102).

8 Silvia non è solo una donna che tradisce il marito; è una donna in pericolo, che rischia la vita, e Filippo ne è consapevole: Ero preso dal terrore. Non soltanto di perdere Silvia per sempre, ma di perdere Silvia per sempre e in un modo oscuro, sinistro, in cui sentivo fino a provarne il vomito l’odore nauseabondo del sangue. (p. 121)

9 Bisogna agire per salvarla, anche con la forza se necessario, come Filippo prospetta a se stesso: sottrarla “al plagio di questo stronzo di ragazzo” (p. 135). L’altro modo di salvarla, gli spiega Mario, amico e collega psicanalista cui Filippo si rivolge in preda alla disperazione, è quello di lasciare che questa storia impossibile si esaurisca da sé, come è destinata a fare per ragioni sociali e anagrafiche, e che Silvia ritorni da sola e, per così dire naturalmente, al marito. Filippo, secondo Mario, dovrebbe solo essere comprensivo e starle vicino, non abbandonarla. Soprattutto, non esercitare la psicanalisi su di lei, perché “potrebbe essere pericoloso e lo sai bene” (p. 134).

10 Filippo ha dunque due possibilità di azione per salvare Silvia. Una che potremmo definire massimalista, che prevede l’uso della forza, e una moderata che impone pazienza, affetto, comprensione, sospensione del giudizio e dell’analisi. Non adotterà nessuna delle due.

11 L’ipotesi massimalista, quella dell’azione romantica, dell’opposizione eroica al destino, è bruciata in partenza. Primo perché Filippo è un intellettuale e questo tipo di azione diretta, di intervento immediato nella vita, non gli è possibile se non debolmente e quasi unicamente sul piano del pensiero16. Secondo perché nel romanzo italiano, e Parise lo sapeva bene essendo Moravia uno dei suoi maestri, la possibilità di azione romantica, lo sdegno e l’ira di fronte all’oltraggio e al tradimento, era già stata liquidata come “arcaica” fin dal tempo de Gli indifferenti (1929). Impossibile, inapplicabile, defunta, come prova sulla propria pelle il giovane Michele, protagonista del romanzo d’esordio di Moravia: incapace di reagire con forza di fronte a Leo còlto in un tentativo malriuscito di seduzione della “sua” donna (Lisa); incapace di una autentica e vitale reazione di orgoglio di fronte allo stesso Leo che, pur essendo l’amante di sua madre, ha sedotto e rovinato anche la sorella Carla, oltraggiandone il pudore17. Edoardo Sanguineti ha parlato di questi aspetti nei termini di una “impossibilità della tragedia”, impossibilità-impotenza dell’azione romantica e grande, incapacità di liberare la violenza come naturale conseguenza dell’istinto borghese ferito18. “Michele figura dell’impotenza”, scrive Sanguineti a proposito del protagonista degli Indifferenti19. Anche riguardo a Filippo dell’Odore del sangue si è parlato esattamente di “impotenza” ad agire20. Ma se negli Indifferenti l’impotenza di Michele origina “l’impossibilità della tragedia” (che rivela il costituzionale gretto pragmatismo di una borghesia sempre capace di ricomporre le rovine con un gioco al ribasso delle idealità), l’impotenza ad agire di Filippo è nell’Odore del sangue il vero motore della tragedia: qui nessuno dei protagonisti, pur essendo in fondo tutti borghesi, ragiona e agisce alla luce dell’utilitarismo borghese che ha come norma imperante il “salvare il salvabile”, l’economia della vita residua21. Qui ogni esperienza è vissuta fino all’estrema conseguenza, senza troppa considerazione del rischio della vita, senza paura dello scardinamento dell’istituto familiare. L’odore del sangue mette in scena una tragedia moderna, un “gioco al massacro” (p. 36) in cui ogni azione è libera e incondizionata dalla morale: un funambolismo senza reti. Si misurano in queste divergenze il tempo

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passato dai romanzi di Moravia, le nuove possibilità di azione e reazione che uomo e donna possono esercitare all’interno – e all’esterno – dell’istituto della coppia.

12 Anche i consigli dell’amico-collega Mario, di cui dicevamo poc’anzi, sono per Filippo inaccettabili. Filippo, alter ego di Parise (o Parise tout court come propone Perrella 22), non può, come Silvio, protagonista de L’amore coniugale di Moravia, entrare nella “parte” di marito della donna adultera, aspettare che la bufera passi e che il tempo gli riconsegni la moglie, magari provata, magari invecchiata di dieci anni, ma viva. Filippo deve capire, interrogare, arrivare alla verità e al nucleo delle ragioni che hanno generato la paurosa sbandata di Silvia. Deve farlo ad ogni costo: “Io devo sapere […] devo sapere la verità, solo sapendola sarò in grado di fare qualcosa per lei al momento in cui sarà necessario” (p. 135). Deve quindi, ciò che in effetti fa, sospendere qualsiasi tipo di azione e ragionare, ragionare e interrogare Silvia, tirarle fuori tutta la verità. Questa – dice a se stesso, mentendo – è l’unica terapia per sopravvivere al dolore e per salvare Silvia: quando le cose saranno dette con chiarezza, non faranno più paura e sarà facile esorcizzarle. In realtà, questa specie di maieutica ossessiva, esercitata su Silvia con infiniti e dolorosi dialoghi, non è nient’altro che una maieutica della distruzione. Non perché Filippo voglia con questo suo metodo – come pure ammette varie volte nel corso della narrazione – uccidere lui stesso Silvia, farsi “mandante” del suo assassinio (p. 230): questo è soltanto un espediente narrativo. Piuttosto perché dietro a Filippo (in Filippo) c’è Parise, lo scrittore entomologo, l’attentissimo giornalista osservatore della realtà umana in tutte le sue forme. È lui che provoca la narcosi nel protagonista, quella sospensione obbligata dell’azione, quella potente epoché che inibisce la gelosia e i germi della reazione istintiva di fronte alla perdita di possesso della donna amata, di fronte allo scempio del suo corpo che lei stessa è costretta ad ammettere e che farebbe impazzire ogni uomo. Di fatto, l’azione provocherebbe la fine – una fine qualsiasi – dell’avventura di Silvia e di conseguenza l’impossibilità di Filippo (di Parise) di proseguire il suo “studio”. Egli percepisce il pericolo in cui si trova Silvia, ma non vuole fermare il suo descensus ad inferos: vuole restare (come Parise, come il lettore) a vedere il seguito di questa storia, senza interromperla, da spettatore. Per questo – ha scritto Garboli – quello di Filippo è “un presentimento oscuramente colpevole, perché direttamente interessato allo sviluppo della realtà divinata, e quindi complice nel determinarne l’esito sciagurato” (p. IX).

13 Nella struttura concentrica e ripetitiva del romanzo, il nucleo tematico centrale si moltiplica in modo psichedelico: struttura identica, cioè, e variazioni minimali. Di fronte al fantasma dell’ossessione (la moglie che esegue come un rito sinistro la fellatio sul sesso del ragazzo), immaginato, divinato, sognato o raccontato direttamente dalla moglie, Filippo prova innanzitutto la bordata destabilizzante dell’odore del sangue: gelosia, impeto violento, sconvolgimento, paura, invidia della gioventù del ragazzo, terrore della vecchiaia incipiente e dell’impotenza senile. In questi frangenti potrebbe agire d’istinto, intervenire con forza e violenza per interrompere il rapporto di Silvia col ragazzo. Ma sempre, regolarmente, provvidenzialmente, subentra in lui la “narcosi”, uno stato di sonnambulismo che anestetizza l’infezione della gelosia, disarma l’istinto a difendere la propria compagna e a battersi per lei: tramite la narcosi, esattamente come attraverso l’anestesia, cioè in un “sonno artificiale e non naturale” (p. 12), Filippo passa dallo stato “animale”, potenzialmente attivo e istintivo, ad una passività completamente razionale dove anche solo l’ipotesi dell’azione è negata. Manuela Brunetta ha colto nelle apparizioni seriali della narcosi il “freudiano ‘principio della coazione a ripetere’”23. Pare che sia Filippo infatti a cercare inconsciamente quello

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stato che gli permette di astrarsi dalla realtà e dalla preoccupazione per la sorte della moglie, che gli garantisce il principio di non-azione come premessa necessaria alla riflessione e al ragionamento. La narcosi di Filippo non è diversa dall’ebbrezza che si cerca, temendola ma allo stesso tempo accarezzandola, in una droga. Gli serve perché è la garanzia dell’immutabilità: Ma ecco, a questo punto dei miei pensieri, scendere su di me quella narcosi, quell’anestesia benefica che serviva a lasciare le cose come stavano. (p. 218; nostro corsivo)

14 Gli consente cioè di superare l’infezione sentimentale per restare da solo ad osservare e a ragionare. Ciò che veramente interessa a Filippo, e a Parise, è il ragazzo di cui Silvia s’è innamorata, quel ragazzo che appartiene a una nuova razza di giovani dai valori e dai comportamenti indecifrabili. E in effetti l’inconsueta condotta di Filippo di fronte al tradimento delinea e negativo un’altra faccia che potremmo definire la “tentazione giornalistica” di Parise: l’idea di sfruttare il viaggio di Silvia negli abissi della nuova, pericolosa e indecifrabile gioventù per capire, sapere, conoscere il mondo contemporaneo e le sue mutazioni24. Accantonare la gelosia, l’istinto possessivo e l’apprensione del marito comune per guardare con occhio distaccato e critico. L’unico modo, insomma, per giungere alla conoscenza diretta con la freddezza necessaria, all’indagine scientifica. Il professionista (l’analista) prende il sopravvento in Filippo sul marito sofferente25, con un espediente narrativo che nasconde la vera ratio sottesa al romanzo: la tentazione istintiva del reporter, la sete di conoscenza di uno straordinario giornalista come Goffredo Parise. Che infatti, in un intervento pronunciato a Napoli il 22 ottobre 1976, presso la Pontificia Facoltà Teologica, si esprimeva così a proposito della nuova cultura consumistica (nata dall’“innesto del pragmatismo consumistico americano nella tradizione materialistica della cultura italiana, popolare e non, di matrice cattolica”) e del suo rapporto coi giovani: È un fenomeno al tempo stesso ripugnante e attraente. Ripugnante alle categorie, a tutte le categorie della vecchia cultura (in cui comprendo cultura cattolica, cultura liberale e la brevissima cultura marxista), ma attraente per qualche cosa che non appartiene a nessuna categoria culturale e che io chiamo “vitalità”. Non c’è alcun dubbio, positiva o negativa che sia o la si voglia giudicare, la nuova cultura possiede una enorme vitalità. Se tale vitalità sia simile alla vitalità dei fenomeni degenerativi e necrotici dei tessuti (il tessuto sociale del nostro paese in questo caso) non sta a me giudicare perché, per farlo, dovrei afferrarmi saldamente a qualche pilastro della vecchia cultura, come per esempio la morale cattolica, il razionalismo laico o la dialettica marxista. Afferrarmi saldamente a uno di questi pilastri per me non è possibile perché l’attrazione verso la vitalità, di qualunque specie essa sia, è più forte, in me, di qualunque pilastro interpretativo e metodologico. Preferisco il nulla, il vacuum, che mi può dare le vertigini ma allo stesso tempo mi proietta nella conoscenza diretta delle cose26.

15 Parole illuminanti se lette in funzione del romanzo. Quelle “vertigini” di cui Parise parlò a Napoli non corrispondono forse con lo stato di narcosi che cala sul protagonista nel suo disperato tentativo di raggiungere la verità? Di fatto, quelle vertigini e quella narcosi altro non sono che nomi diversi di una stessa vocazione esistenziale. Di fronte al mutamento epocale dei costumi, di fronte alla “nuova razza” dal ghigno nevrotico e assurdo che minaccia l’Italia, Pasolini si ribella, reagisce attivamente e violentemente con parole e azioni. Parise invece, attraverso la narcosi e le vertigini, trova una reazione “implosiva”: sprofonda nella prospettiva dello sguardo contemplativo che si lascia inghiottire passivamente dal flusso magmatico della realtà27.

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NOTE

*. Una redazione più ampia di questo scritto è stata anticipata, in accordo con gli organizzatori del convegno, su “studi novecenteschi”, XXXII, 69, gennaio-giugno 2005. 1. G. Parise, L’odore del sangue, a cura di C. Garboli e G. Magrini, Milano, Rizzoli, 1997 (da qui si cita con l’indicazione dei numeri arabi per le pagine del romanzo e dei numeri romani per la Prefazione di Garboli e la Nota al testo di Magrini). Scritto nel 1979, sigillato e mai più riletto fino a due mesi dalla morte, il romanzo non fu mai chiaramente approvato o rifiutato dall’autore (secondo la testimonianza di Garboli, p. VI, Parise disse soltanto “che alcune parti del romanzo erano buone, altre da rifare”). 2. “[…] il Narratore è impegnato a contenere la sofferenza, a misurarla, a circoscrivere la prepotenza del fallo antagonista ragionandoci sopra, cercando di abbatterlo con argomenti intellettuali, dandogli una connotazione fascista, […]”. (p. XX) 3. “Un ragazzo qualunque del generone romano […] certamente nevrotico come mille altri, dei Parioli, di Piazza del Popolo, del Pantheon, ma anche delle borgate, del sottoproletariato, uno delle centinaia di migliaia di ragazzi di cui è impossibile riconoscere l’origine sociale. [Frutto] di quel mutamento, di quella omologazione antropologica di cui parlava Pasolini”. (pp. 229-230) 4. “Pianse come nessun altro sui suoi amici, sulle mani di Comisso morente, su una fotografia incollata sul loculo dei resti di Pasolini, […]”; così N. Naldini, Con Goffredo Parise. Atti del convegno (Treviso, 19 settembre 1987), a cura di N. Naldini, Treviso, Zoppelli, 1988, p. 40. 5. P. P. Pasolini, Quant’eri bella Roma, in Id., Saggi sulla politica e sulla società, a cura di W. Siti e S. De Laude, Milano, Mondadori, 1999, pp. 1701-1704. 6. Id., Eros e cultura, Saggi, op. cit., p. 1715. 7. “[…] Girellai per Piazza del Popolo. La piazza, così bella in altri tempi, era disseminata di rifiuti e seduti, anzi stravaccati, sulle sedie esterne del Bar Rosati, che mi ricordava sempre il mio primo incontro con Silvia, stavano dei ragazzi. Anche loro in blue-jeans, in maglietta, con un giubbotto nero, i capelli ricci e arabi tagliati corti. Alcuni andavano, altri venivano con grosse motociclette. […] Così doveva essere, esattamente così, come migliaia in tutta Roma, il ragazzo di Silvia. […] Mi avvicinai per guardarli. […] Anch’essi, di tanto in tanto, mi gettavano un’occhiata, ma non era l’ora, quella, del linciaggio. Il linciaggio era già stato forse compiuto da qualche parte durante la notte. La spedizione punitiva di quelle facce aveva itinerari casuali che nascevano sempre come scherzi, come occasioni di fare qualche risata e soprattutto di esprimere se stessi. Il pestaggio di un omosessuale, per esempio, se non, puro e semplice, l’assassinio e la fuga, come topi nelle fogne” (pp. 231-233). 8. Sul difficile rapporto tra Pasolini e Parise cf. Marco Belpoliti, Settanta, Torino, Einaudi, 2001: “dopo la tragica morte di Pasolini, Parise sul ‘Corriere’ sembra fare propri i temi e le questioni del suo ‘avversario’. […] È come se perdendo il suo ‘antagonista’ – a tratti detestato, a tratti amato, ma sempre ammirato – Parise avesse assunto su di sé anche la sua parte” (p. 82). 9. S. Così Perrella, Fino a Salgareda. La scrittura nomade di Goffredo Parise, Milano, Rizzoli, 2003, p. 117. Ma cf. anche Pasolini, La prima, vera rivoluzione di destra, in Scritti corsari e ora Saggi, op. cit., p. 289: “Ci stanno sostituendo degli uomini nuovi, portatori di valori tanto indecifrabili quanto incompatibili con quelli, così drammaticamente contraddittori, finora vissuti”. 10. Cf. p. 69: “Partivo dall’idea che conoscere le cose significa esorcizzarle.” 11. Effigie immobile più che personaggio capace di azione e pensiero, il ragazzo è figura caratterizzata da emblemi che segnalano la sua appartenenza alla nuova società dei consumi prima che a un’organizzazione politica: “Sta sempre con quel maledetto giubbotto addosso, non se lo leva mai” dice di lui Silvia (p. 45). E Filippo ne integra l’identikit: “Portava naturalmente blue-jeans e scarpe da ginnastica. Una catena d’oro al collo” (p. 53). Infine, emblema degli

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emblemi, compare la Coca Cola: “Fascista, che fa l’alba tutte le notti, che non ha la più lontana idea di lavorare e va in palestra e beve Coca Cola” – dice Filippo –. “Come fai a saperlo?” “L’ho visto in frigidaire, ne hai una scorta”. “Sì, beve solo Coca Cola e non fuma”, disse Silvia […]” (p. 101). 12. Cf. un articolo uscito il 30 giugno 1974 sul Corriere della Sera (Il rimedio è la povertà): “I giovani ‘comprano’ ideologia al mercato degli stracci ideologici così come comprano blue jeans al mercato degli stracci sociologici (cioè per obbligo, per dittatura sociale). […] Ha ragione Pasolini quando parla di nuovo fascismo senza storia” (G. Parise, Verba volant. Profezie civili di un anticonformista, a cura di S. Perrella, Firenze, Liberal, 1998, p. 78). 13. P. P. Pasolini, Il vero fascismo e quindi il vero antifascismo in Scritti corsari; ora in Saggi, op. cit., p. 317. 14. Id., Da un fascismo all’altro, in Id., Il sogno del centauro, a cura di J. Duflot, Roma, Editori Riuniti, 1983, ora in Id., Saggi, op. cit., pp. 1530-1531. 15. “Molto prepotente, nel nuovo linguaggio reticente di Silvia, significava che questo ragazzo aveva su di lei, come si dice, pieni poteri. Che lei era alla sua mercé; anzi, per essere più precisi e brutali, alla mercé del suo cazzo” (p. 88). 16. Cf. p. 73: “Devo agire perché Silvia non sia innamorata di qualcun altro, chiunque sia, devo fare qualcosa per non perderla. E architettavo infinite azioni per così dire belliche affinché la cosa potesse avvenire; al tempo stesso, proprio nel momento dell’azione, ecco la [narcosi], l’anestesia, l’impossibilità di agire. E una volta subentrata l’anestesia che corrispondeva a una certa relativa calma della mente e dei nervi, come avviene appunto durante la pausa di una battaglia, ragionavo”. Reale, ma abortito, il tentativo di strangolare la moglie in un albergo di Venezia: “Mi prese una furia tremenda […] e in quello stesso istante mi alzai sul letto e l’afferrai al collo. Silvia ebbe un leggero sorriso, tra stupito e scherzoso, perché spesso, per scherzo, le facevo un gesto simile. Ma io non scherzavo ed ero deciso. Strinsi forte il collo finché divenne paonazza. A quel punto mi resi conto di quanto stavo facendo e alzai i pugni stretti, mugolando e come preso dalla pazzia. La guardai, lo ricordo molto bene, con un odio tremendo e omicida. Silvia aveva preso paura” (p. 213). 17. Questi i pensieri di Michele: “Bisogna dire qualcosa di più forte… io sono il fratello oltraggiato dall’amante di sua madre nell’onore di sua sorella (tutte queste parole virtuose e familiari gli facevano un ridicolo effetto come se fossero state arcaiche): bisogna trovare qualche cosa di più duro… magari è necessario esagerare…” Ma tra queste ironiche falsità la sua triste stanchezza aumentava: avrebbe voluto lasciare questa commedia […]” (A. Moravia, Gli indifferenti, introduzione di E. Sanguineti, Milano, Bompiani, 1997, p. 238; corsivo nostro). 18. E. Sanguineti, Introduzione a A. Moravia, Gli indifferenti, op. cit., pp. XVI-XX. 19. Ibid., p. XXI. 20. Sulla scorta di esplicite ammissioni del narratore: “Mi sentivo ed ero impotente, come nella realtà dei fatti. Come non potevo in nessun modo agire, così non potevo in nessun modo fare all’amore” (p. 226). L’impotenza d’azione è strettamente correlata all’impotenza sessuale di cui il cinquantacinquenne Filippo comincia ad avvertire il fantasma: cf. M. Brunetta, “Lutto, sensualità mentale, erotismo senile: ‘L’odore del sangue’ di Goffredo Parise”, Esperienze letterarie, XXVI, 2001, n. 4, p. 67. 21. Spiega infatti Filippo: “In casi normali, quella che ho definita una signora borghese romana come Silvia, quando vede il pericolo vero, se ne fugge via a gambe levate. Ma tutto mi diceva che questo non era un caso normale” (p. 177); e ancora: “l’innocenza di Silvia nell’accettare gente così, non fosse altro che per la sua schizzinoseria e il suo temperamento tremante, farla venire in casa, sedere alla sua tavola, preparare lei stessa il cibo, mi pareva un’altra spia di un tipo di plagio che andava oltre la novità, oltre la cotta per un ragazzo, oltre i limiti, appunto, che la borghesia impone a ogni pazzia a cui ha voglia di abbandonarsi” (pp. 178-179). 22. S. Perrella, Fino a Salgarèda, op. cit., p. 115.

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23. M. Brunetta, Lutto, op. cit., p. 66. 24. Su Parise giornalista, cf. A. Zanzotto: “L’interesse di Parise per “tutto ciò che è umano”, anche se corroso dai più crudi dubbi sul senso generale dell’uomo e del suo cammino contorto e vagolante, non viene mai meno. Egli, pur conservando un suo distacco, una sua imprendibilità, vuole essere sempre “sul campo”, testimone che mai si perdonerebbe d’essere stato assente là dov’è in gioco una possibilità di capire, amare, partecipare, stupirsi, ribellarsi, sdegnarsi, di fronte agli eventi, all’immenso teatro della realtà” (Scritti sulla letteratura, a cura di G. M. Villalta, vol. II, Aure e disincanti nel Novecento letterario, Milano, Mondadori, 2001, p. 273). 25. “La curiosità, professionale personale e passionale, mi pungolava e sapevo anche come soddisfarla, senza dare troppo nell’occhio” (p. 45). 26. Rielaborazione scritta pubblicata col titolo “Nuovo potere e nuova cultura” in Rassegna di teologia, n. 6, XVII, novembre-dicembre 1976. Ora in G. Parise, Opere, a cura di B. Callegner e M. Portello, vol. II, Milano, Mondadori, 1989, p. 1403. 27. Secondo Zanzotto il Parise giornalista, pure avvicinabile a Pasolini per “una forte volontà critica e pedagogica”, se ne distingue tuttavia perché “non redarguisce, non propone, si dichiara quasi perdente in partenza, finisce per constatarsi egli pure italiano con tutti i difetti degli italiani, fatto della loro stessa “materia”, dello stesso humus. L’indignazione rimane come bloccata da un’indulgenza sofferente e scarsamente convinta, e finisce quasi sempre nel gusto amaro di una quasi-connivenza” (Aure e disincanti nel Novecento letterario, op. cit., p. 275).

AUTORE

MATTEO GIANCOTTI Università di Padova

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La seduzione postmoderna in Rimini di Pier Vittorio Tondelli

Sabina Gola

1 La famosa cittadina della riviera romagnola che funge da cornice al romanzo di Tondelli1 è rappresentata dall’autore come il luogo per eccellenza della seduzione di massa2. Essa viene descritta dall’autore come un immenso parco di divertimenti nel quale vigono regole “altre”, nei gesti, nel linguaggio e nei comportamenti. Per i turisti andare a Rimini vuol dire uscire temporaneamente dal rito monotono della quotidianità ed entrare nel mito.

2 Luogo privilegiato del cammuffamento, dell’illusione e dell’irrealtà, Rimini costituisce a tutti gli effetti un perfetto esempio di non-luogo postmoderno nel quale si evidenzia come principale elemento seduttore il carattere carnevalesco – cioè la possibilità di “trasgredire e invertire le norme sociali abitualmente condivise nella vita quotidiana”3. Tutto il romanzo poggia quindi sui binomi realtà/illusione, vero/falso, sostanza/ apparenza, interiorità/esteriorità.

3 Il tentativo di condanna di Rimini nelle pagine conclusive del romanzo, per bocca di un professore di latino, arrivato a Rimini per annunciare l’apocalisse, suona del tutto inutile e non fa che esaltare il carattere consumistico e illusorio della città. Ancora una volta si impone, infatti, la logica del consumo: da un lato, i venditori di sogni, cioè coloro che capiscono che la fine del mondo può avere risvolti economici positivi, e dall’altro, i consumatori di sogni che non pensano che ad appagarli almeno un’ultima volta.

4 In questo paese delle meraviglie dove tutto è costruito all’insegna del divertimento, della ricerca del piacere e del sogno ad occhi aperti, l’esteriorità diviene specchio dell’anima. Di conseguenza, il corpo4 sia nella sua fisicità che negli elementi che servono a “distinguerlo” (abbigliamento, trucco, ecc.) e a renderlo quindi più seducente, assume il ruolo fondamentale di rappresentante privilegiato dell’interiorità. La descrizione che il narratore fa della camminata del giovane Aelred calza perfettamente: Il ragazzo camminava in simbiosi con la propria andatura così naturalmente sovrapposto all’artificialità del suo passo, così completamente abbandonato ai gesti

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appresi (che parlavano di palestre, di basket ball [sic], di cavalli, di lavoro a tavolino) che il suo carattere si diffondeva, completamente svelato all’esterno. Bruno notò che la sua corazza gestuale non appariva come una difesa, non nascondeva non occultava, anzi parlava chiaramente e dolcemente. La sua camminata, infatti, nient’altro era che il tic del suo animo. (p. 191)

5 Attraverso il corpo si stabiliscono inoltre rapporti di superiorità e di inferiorità: l’influenza dell’aspetto esteriore sulla realtà è così profonda che l’essere belli fisicamente può portare al successo e quindi all’acquisizione del potere; l’essere brutti all’insuccesso. Da qui il culto per la bellezza e per l’eterna giovinezza5.

6 I personaggi di Rimini si muovono quindi in una società in cui il mondo interiore si manifesta attraverso ciò che si vede. Marco Bauer, protagonista di una delle storie del romanzo, che racconta la sua vicenda in prima persona, guarda i personaggi, con cui interagisce e, in maniera ossessiva, ce ne descrive l’aspetto fisico e l’abbigliamento, mostrandoci quindi solo ciò che i personaggi vogliono farci vedere.

7 In definitiva, i vari personaggi messi a fuoco da Tondelli (“sotto l’occhio dei riflettori”, p. 52) si muovono come comparse sul palcoscenico di questa grande fabbrica di illusioni che è Rimini, private completamente della loro interiorità. Infatti, se da un lato la volontà li spinge ad autodeterminarsi rispetto al mondo circostante e quindi a portare a compimento i propri desideri (modello della quest), dall’altro, sono ignari del fatto che nel non-luogo postmoderno “la soggettività viene eterodiretta, e il dispositivo spettacolare incanala le affermazioni soggettive in soluzioni che però sono anche preordinate e finalizzate secondo silenziosi e rigidi schemi socializzanti”6. Lo stesso Tondelli, in un’intervista a Fulvio Panzeri, affermava che “solo poche persone hanno capito che Rimini è un libro di sconfitti”7.

8 Molteplici sono i personaggi che affollano il romanzo, ma Tondelli punta i riflettori su alcuni di essi e sulle loro vicende, anch’esse molto diverse sia nel contenuto che nello spazio narrativo8: Marco Bauer, rampante giornalista inviato a Rimini dalla redazione milanese del suo giornale per dirigere il supplemento estivo; Bruno May, giovane scrittore omosessuale; Alberto, musicista notturno che si innamora di Milvia, giovane madre di famiglia in vacanza a Rimini; Beatrix, antiquaria tedesca alla ricerca della sorella scomparsa; Roby e Tony, registi e produttori di un film ambientato sulla riviera; Renato, figlio di una famiglia decaduta di imprenditori romagnoli; un professore di latino arrivato a Rimini per annunciare l’apocalisse. Marco Bauer, Bruno, Alberto e Beatrix sono coinvolti in storie di seduzione, tutte molto diverse e nelle quali la seduzione assume rilevanza e significati diversi.

9 Alberto e Milvia – donna non bella, per niente appariscente, sempre spettinata, perfetto opposto della donna fatale – vivono la loro breve ma intensa storia d’amore in una camera d’albergo. La loro storia è magistralmente costruita da Tondelli sull’opposizione reale e metaforica di buio e luce. Mentre Milvia rappresenta la luce per Alberto che è prigioniero della notte, Alberto rappresenta per Milvia, presa nell’accecante luce della vita, il misterioso e fantomatico sconosciuto della notte. “E così facendo entravano nel mito: Alberto non era solo un uomo, ma tutti gli uomini di questa terra; e lei, Milvia, tutta la dolcezza recettiva e femminea di questo mondo” (p. 163). Entrambi, scontenti di sé stessi e della loro vita, si seducono reciprocamente per sfuggire all’apatia e alla tristezza della quotidianità9.

10 Nella storia di Mario e Beatrix, la seduzione si lega strettamente alla ricerca dell’identità e all’amore. Sulla spiaggia di Rimini, Beatrix conosce Mario, che per

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guadagnarsi un po’ di soldi dà lezioni di italiano ai turisti tedeschi. Beatrix, che ormai comincia a disperare di ritrovare Claudia, rimane subito colpita dallo sguardo del giovane professore: “E qual era il sole che l’aveva illuminata? Il sole della costa, il sole dell’Italia o lo sguardo di quel ragazzo, Mario?” (p. 179). Tondelli non sfugge alla tentazione dello stereotipo. Gli ingredienti ci sono tutti: spiaggia, sole e un affascinante professore di italiano. Mario però non veste minimamente i panni del seduttore, anzi si mostra subito dolce e gentile con Beatrix, assumendo un ruolo fondamentale nella ricerca e nel ritrovamento di Claudia. Beatrix, reduce da un matrimonio fallito e in preda alla disperazione, si lascia sedurre dai modi gentili del giovane, se ne innamora profondamente e gli si concede sessualmente solo quando la sua ricerca (della sorella e, in realtà, anche della propria identità) sarà conclusa.

11 Il giornalista Marco Bauer si illude di essere stato mandato a Rimini per compiere un salto di qualità nell’ambito della sua professione (è stato incaricato di scoprire la verità su un supposto suicidio). Dalla personalità chiaramente narcisistica10, definito da Peter Brooks “macchina desiderante”11, Bauer, arrivato a Rimini, parte alla conquista del suo momento di gloria giornalistica e contemporaneamente dell’oggetto amoroso, incarnato dalla bella Susy, la collega che lo affianca nella redazione del giornale. Se, nell’irrealtà riminese, Bauer appare come l’infallibile scopritore della verità e l’abile seduttore (e Susy la ragazza sedotta), nella realtà, il giornalista è soltanto una pedina della ragazza, incaricata di tenerlo sotto controllo proprio da coloro che si nascondono dietro tutta la faccenda del finto suicidio. In ogni caso, l’esperienza riminese di Bauer si rivela un tragico salto nel vuoto dell’illusione e della sua personalità.

12 Marco Bauer e Susy sono i protagonisti della storia principale del romanzo: entrambi giornalisti desiderosi di sfondare nella loro professione, senza esclusione di colpi. Tondelli costruisce due personaggi molto simili, ma nello stesso tempo anche molto diversi. Bauer presuntuoso, con tendenza cronica a sopravvalutarsi; freddo e distaccato soprattutto con le donne per evitare di rivelare i propri sentimenti; di gusti mediocri quanto mediocre è la sua preparazione professionale (“lettore da due soldi”, per sua ammissione); incapace di capire gli individui nell’animo, attento osservatore quasi maniacale dell’aspetto esteriore dei personaggi, soprattutto dell’abbigliamento e dei capelli; rigorosamente carente di empatia verso i problemi delle altre persone. Susy è una bella donna, elegante, seducente, arrivista, determinata, sicura di sé, competente nel suo lavoro, abile nella finzione e in grado di capire bene la personalità degli altri (soprattutto di Bauer) e di comportarsi di conseguenza.

13 Il rapporto che si instaura tra di loro è un rapporto di forza, che troverà soluzione solo alla fine del romanzo, a scapito di Bauer che accecato dall’illusione non è più in grado di interpretare la realtà che lo circonda.

14 Fin dall’inizio cuore e lavoro si confondono nei pensieri e negli atti di Bauer che non esita a sacrificare il primo in favore del secondo e a sfruttare gli altri per i propri interessi, soprattutto le donne con le quali esce. Da entrambe le relazioni amorose di Bauer, prima con Katy – un’affascinante modella di dieci anni più vecchia di lui che egli non esita a lasciare per impegnare tutte le sue energie nel successo professionale12 – poi con Susy, appare chiaramente che per il rampante giornalista i sentimenti hanno ragione di esistere solo se al servizio della carriera e che il sesso, naturalmente slegato dai sentimenti, è solo un divertimento senza impegno.

15 Il primo incontro-scontro tra Bauer e Susy avviene alla redazione riminese, dopo un primo brevissimo e “gelido” dialogo telefonico la cui funzione principe è quella di

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mettere in evidenza la voce calda e suadente di Susy attorno alla quale si crea un alone di mistero. Susy arriva alle spalle di Bauer, inaspettamente – il fatto di comparire all’improvviso sembra essere una delle particolarità che la rendono ancora più seducente e misteriosa – annunciandosi con la voce. Bauer stesso ce la presenta, descrivendone come del resto fa con gli altri personaggi, l’aspetto fisico e l’abbigliamento: Mi voltai. Era lì che si stava togliendo la giacchetta gettandola distrattamente sul divano. Era la principessa e che razza di principessa. Aveva capelli neri, occhi neri, pelle abbronzata, un paio di gambe affusolate inguantate in calze trasparenti nere, scarpe col tacco alto anch’esse nere. E una camicetta senza maniche di seta bianca che lasciava indovinare un paio di tette da schianto, ritte e dai grandi capezzoli scuri. Mi chiamo Susanna Borgosanti, disse la fata. Era una favola, una bellissima favola13. (p. 37)

16 Bauer rimane “naturalmente” sedotto da Susy (altre descrizioni lo confermano, cf. p. 92), senza però rendersene conto. In effetti, in netto contrasto con la sua professione di giornalista, egli non si spingerà mai ad interpretare il loro rapporto, mostrando così la propria cecità, causa principale della sua ingenuità. Egli accontenta l’occhio, la osserva, mettendo in risalto, nelle sue descrizioni, i gesti più sensuali: Susy rise apertamente. Era la prima volta che lo faceva da quando l’avevo conosciuta, qualche ora prima. Rise spingendo avanti la bocca e aprendo le labbra in modo da spalancare la visione dei denti bianchissimi e serrati. Il suono della risata aveva qualcosa di estremamente infantile. Si arrotolava su se stesso per riprendere poi più squillante. Solamente nel momento in cui portò con eleganza le dita contro le labbra – qualche secondo più tardi – parve placarsi. (p. 42)

17 Sempre attento all’esteriorità, Bauer si lascia sfuggire il significato reale di alcuni atteggiamenti della bella collega nei suoi confronti, come ad esempio la sua apparente sottomissione alle decisioni che lui prende in redazione (“– Sei tu il capo, no?”, p. 44). Accecato dal suo desiderio di successo professionale, Bauer interpreta questa docilità in termini di seduzione, non rendendosi conto di avere di fronte il suo doppio, una donna bella, disinvolta, sicura di sé, caratteristiche che insieme creano un effetto di seduzione irresistibile ma anche la premessa indispensabile per la conquista del potere. “La principessa doveva sempre essere trattata con il velluto. Mi adeguai. La accarezzavo, la gingillavo, la gratificavo, e tutto sommato, la lasciavo in pace. E lei veniva dalla mia parte come attratta da una forza lenta, ma irreversibile” (p. 46).

18 Se Susy sembra sentirsi a suo agio nell’illusorio universo riminese – “l’importante è farlo credere. E crederci” (p. 51), risponde serafica all’obiezione di Bauer che Viale Ceccarini a Rimini non è il Sunset Boulevard o la Quinta Strada – Bauer inizialmente si muove con goffaggine. Partito in avanscoperta in un luogo a lui sconosciuto – Bauer non conosce Rimini neppure di fama e non ne conosce quindi le risorse (prima di parlare con alcuni amici di Susy crede che il mare sia l’attrattiva maggiore della riviera) – si scontra con una giovane drogata (Claudia, la sorella di Beatrix) che lo obbliga a farla salire sull’auto. “La ragazza gorgheggiò qualcosa, fece un paio di inchini al suo pubblico e salì come su di una Limousine. E naturalmente l’autista ero io” (p. 47). Questo breve episodio, apparentemente insignificante, ci dà invece indicazioni utili sullo sviluppo della storia. In effetti, Bauer si comporta inconsapevolmente per tutto il romanzo come un “autista”14; il ruolo che Tondelli gli affida è quello di condurre l’opinione pubblica alla conoscenza di una verità apparente ben diversa da quella reale e se stesso alla scoperta della vuotezza della sua personalità.

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19 Mosso da fantasie di illimitato successo, Bauer si sente unico e speciale, l’attore principale su un palcoscenico che è, in realtà, un’intera città15. Forte delle sue velleità professionali, egli tenta la conquista della bella collega, sia sul piano professionale che su quello amoroso, facendo attenzione “da buon giornalista” a ogni dettaglio della personalità della giovane per scoprirne le debolezze e poterle così sfruttare a suo favore. Ma Susy non si lascia prendere nemmeno un momento nella rete di Bauer, malgrado le varie strategie utilizzate. Bauer la provoca nell’orgoglio, poi la lusinga scusandosi. Susy sfodera la sua sensualità. Ha già capito quanto Bauer sia narcisista e per questo, lusingandolo a sua volta, vince il round: Dischiuse le labbra in un accenno di sorriso. “Questo non mi riguarda, Marco”. Era la prima volta che pronunciava il mio nome. Fu un buon colpo, da parte sua. Non ci si abitua mai abbastanza a essere chiamati dagli estranei con il proprio nome di battesimo. È sempre un battito un po’ strano e piacevole essere riconosciuti per quelle quattro sillabe e quando ciò accade partendo dalle labbra di una bella donna, bene allora ha un senso quasi magico. Lo si interpreta come una promessa. E si è stupidamente felici di abbassare la guardia. Di cedere l’onore delle armi. Va bene Susy sussurrai, ho capito. (p. 53)

20 Tra i due si apre una sfida fatta di scontri aperti e di scaramucce che durerà fino alla fine del romanzo e che vedrà Susy vincere su tutta la linea. Più volte, per riprendere in mano la situazione, Bauer cerca di ristabilire le gerarchie professionali ma, in realtà, senza che lui se ne accorga, il gioco lo conduce lei imponendosi anche dal punto di vista professionale16.

21 Susy ha trovato l’io del narcisista seduttore, lo ha snidato e lo ridurrà gradualmente in briciole, senza comunque che Bauer, fino alla fine, se ne renda conto : Con Susy tutto succedeva come in una estenuante partita a scacchi. Mossa dopo mossa, ora all’attacco, ora in difesa, cercavamo reciprocamente di stanarci. Nessuno dei due aveva in tasca lo schema vincente. Per il momento ci studiavamo, ci guardavamo, ci annusavamo. Ognuno fermo e rigido sulle proprie posizioni. (p. 97)

22 Dopo un ennesimo scontro “professionale” tra i due e le ennesime scuse di Bauer, il sarcasmo della voce di Susy lo intenerisce e scatena la sua voglia di possedere infine quella che lui crede essere la sua preda. Per non esporsi troppo, dice che lo fa per interpretare il desiderio di entrambi: Le cinsi la vita con un braccio. La sentii morbida e flessuosa come un’arpa. “Vieni a dormire da me ... Subito.” Fu sul punto di dire qualcosa, ma non sentii niente. Mi guardò. “Perché me lo chiedi?” “Perché è quello che vogliamo tutti e due. Fin dall’inizio.” Fece sì con la testa. (p. 108)

23 La scena si trasferisce dall’aeroporto all’appartamento di Bauer. Scoppia un temporale e c’è un’interruzione di corrente. Bauer, incerto della sua conquista, non riuscendo più a trovare Susy nel buio della stanza, pensa che lei ne abbia approfittato per andarsene; invece Susy approfitta del buoi per riprendere il controllo della situazione e condurre lei l’atto sessuale. Bauer, naturalmente, non si accorge di nulla. Anzi è talmente orgoglioso della sua conquista (“La vicinanza di Susy mi inorgogliva. Mi sarei congratulato con me stesso”, p. 185) che non pensa minimamente che Susy possa usare anche nei suoi confronti l’ambiguità di cui fa uso regolarmente con gli altri (“Riusciva a essere convincente anche nelle situazioni più contraddittorie”, p. 186). Questa sua ambiguità la rende ancora più seducente e desiderabile ai suoi occhi. Pur di suscitare ammirazione negli altri e sentirsi quindi appagato, Bauer ufficializza il loro rapporto, e

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la chiama “la mia ragazza” quando prende le sue difese contro lo scrittore Bruno May che l’aveva aggredita durante l’intervista.

24 La morte di Bruno sconvolge il giornalista (Bruno aveva tentato di sedurre Bauer, che lo aveva immediatamente scoraggiato). Bauer, che cerca l’atto sessuale nei momenti di maggior vulnerabilità, telefona a Susy e “la implora” di andare a casa sua. Per la prima volta Bauer si ascolta, sente la sua voce (“una spugna fradicia di alcool e di lacrime”, p. 234) e comincia a vacillare. Per un attimo sembra acquisire doti umane, che perderà però subito il giorno dopo quando tenta di ristabilire la sua superiorità professionale su Susy. Susy però non ci sta, si ribella e la sua ribellione scatena le voglie di Bauer che ancora una volta si accorge della sua bellezza e, per la prima volta, del suo potere di seduzione: Forse davvero quella donna mi stava stregando. Aveva un modo particolare di ricevere i miei abbracci […]. Ci sapeva fare. Conosceva ormai le mie debolezze in fatto di corpo femminile e se le teneva care. Riusciva a giocarci, a offrirle, per poi subito riprendersele finché non tornavo all’attacco con forza. (p. 239)

25 Neanche il paragone dell’organo sessuale di Susy con una pianta carnivora lo rende consapevole del fatto che “sicuramente” quella donna lo stava stregando. Proprio in questa scena di sesso si mette in luce la vera natura del loro rapporto: “Non eravamo due forze opposte, ma la somma di due spinte che tentavano di raggiungere la stessa meta” (p. 240).

26 Come da copione, alla fine dell’amplesso, Bauer pensa al lavoro, alla sua indagine e improvvisamente ha l’illuminazione decisiva per risolvere il caso. A partire da questo momento, Susy diviene più intima, e Bauer invece non sa cosa dire, non essendo abituato a una relazione seria. Così preferisce pensare solo al lavoro. Si mette qui in evidenza un’altra differenza fondamentale tra i due: mentre in Susy le pulsioni verso l’appagamento sessuale e quelle mirate al successo professionale coesistono, in Bauer sono separate.

27 La situazione evolve abbastanza velocemente: Bauer capisce di essere stato usato. Ha paura, beve, chiama Susy e le rivela tutto, per scoprire qualche istante dopo di essere stato ingannato anche da lei.

28 Bauer è un personaggio statico. Il suo comportamento rimane invariato nel corso di tutta la storia: occulta la sua vulnerabilità ed esibisce continuamente la sua “supposta” superiorità. La sua convinzione di essere il migliore condiziona infatti la sua visione delle cose e gli impedisce di comprendere gli avvenimenti e, soprattutto, di decifrare il comportamento degli altri. Egli usa il suo potere di seduzione come strumento per arrivare al successo e uscire da quella situazione di inadeguatezza e di inferiorità iniziale. In realtà Bauer viene sedotto due volte, prima dall’atmosfera incantatrice di Rimini, poi da Susy.

29 Susy è una donna ambigua e imprevedibile, in continua metamorfosi. Questo la rende rappresentativa della società in cui si muove, una società che richiede ai suoi membri una capacità di adattamento indipendente da ogni senso morale. Con Susy, Tondelli richiama l’archetipo femminile dell’angelo seduttore che però si adegua alle regole della società postmoderna e ai suoi modelli di comportamento.

30 La sconfitta “amorosa” di Bauer è coerente con il comportamento abituale del personaggio. La sua personalità narcisistica lo induce a pensare di avere ottime doti di seduttore, ma in realtà il suo narcisismo si risolve solo in un vuoto apparire, in un mero sforzo esteriore; il suo fascino è fugace come un fulmine, perché dietro l’apparire si

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percepisce ben presto una inconsistenza interiore. La sua seduzione o meglio seduttività maschera il nulla17.

31 Bruno May e Aelred, giovane artista, si conoscono a Londra in occasione dell’inaugurazione di una mostra di sculture. Bruno si sente profondamente attratto da questo giovane dagli occhi “stretti” e “selvaggi”. Lo presenta a un critico d’arte e Aelred lo ringrazia invitandolo a mangiare insieme a lui. Improvvisamente però se ne va dal ristorante lasciando Bruno da solo che, risentendosene, decide di tornare a casa. Aelred lo richiama per telefono e propone di recarsi a casa sua. Così inizia la storia di Bruno e Aelred, che si concluderà con la tragica morte di Bruno a Rimini durante la cerimonia per l’assegnazione di un premio letterario.

32 Fin dal primo sguardo, i due giovani si seducono reciprocamente e in modo fulmineo. Bruno rimane immediatamente sedotto dagli occhi e dalla voce di Aelred18 che, a sua volta, rimane colpito dalla bellezza di Bruno. Bruno sta attraversando un momento difficile, è alla ricerca della propria identità e ciò gli impedisce di scrivere. L’incontro con Aelred potrebbe aiutarlo ad uscire dall’impasse esistenziale in cui si trova e quindi gli si concede completamente. Aelred è uno “spostato” (p. 199), secondo i suoi stessi amici che mettono in guardia Bruno dal frequentarlo, uno che “non sa chi è e non potrà mai amare nessuno finché non lo scoprirà. E lo dovrà fare da solo” (p. 202), sono le parole di Padre Anselme, amico di Bruno. Accecato dall’amore, Bruno non vuole ascoltarli, ma ben presto si accorgerà che Aelred è un giovane instabile e un profittatore.

33 Malgrado la mutevolezza e l’ambiguità di Aelred, entrambi vengono immediatamente travolti dall’amore reciproco. Il loro rapporto non è però ad armi pari (come quello tra Bauer e Susy): Aelred è più debole e quindi Bruno assume un ruolo quasi paterno nei suoi confronti. Dopo il loro primo amplesso, Bruno contempla il corpo del giovane compagno e ringrazia Dio “per avergli fatto conoscere, attraverso il corpo di Aelred, la preghiera nascosta e universale delle sue creature” (p. 197).

34 Lo stato di abbandono totale non dura molto a causa dell’instabilità di Aelred che non è ancora certo delle sue scelte sessuali. Tra di loro infatti si insinua una donna che per Bruno rappresenta l’“essenza stessa della femminilità” (p. 198).

35 Il rapporto tra Bruno e Aelred si costruisce sull’abbandono, inteso sia come fusione che come allontanamento, e sulla riconciliazione. Tornare a Firenze fu per Bruno come tornare a guardarsi nello specchio: riconoscere i tratti del proprio viso, i propri lineamenti, le proprie espressioni. Da troppi mesi infatti il viso che trovava quando si specchiava non era il suo, ma quello pallido di Aelred. […] Bruno provò quella particolare e strana dolcezza che è solo dell’abbandonato […]: il sentirsi cioè ancora fidanzato per il resto della propria vita, ma fidanzato in assenza. Questo particolare sentimento allora gli si riversava addosso come venerazione di un corpo che l’amato aveva venerato. Attraverso un tale gioco di proiezioni Bruno sentì di amarsi, di voler continuare a esserci, di voler scrivere. Sapeva che nessuno mai al mondo avrebbe potuto togliergli il ricordo del suo amore. Aelred era come incollato alla sua pelle. (p. 209)

36 L’uno senza l’altro sono perduti, soprattutto Bruno che è sicuro di aver trovato la persona ideale che ha sempre sognato di aver accanto per tutta la vita.

37 Bruno, sempre stordito dall’alcool, vive nel ricordo ossessivo dell’amante. Al ritorno di Aelred, dopo la prima separazione, alla sua dichiarazione d’amore assoluto e alla sua

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domanda di perdono, Bruno singhiozzando gli dice: “Poiché tu sei il mio Dio, Aelred, di cosa dovrei perdonarti?” (p. 201).

38 Alla fusione fisica totale di questi due giovani si aggiunge anche la dimensione spirituale. Proprio a causa di questa dimensione spirituale, il dolore della separazione cresce di volta in volta, soprattutto in Bruno, più cosciente del significato assunto dal loro amore: “Sapeva di uscire da un incubo, ma sapeva altrettanto bene che un altro incubo, molto più terribile, quello dell’abbandono e dell’addio, lo attendeva” (p. 202). Non solo il rapporto tra uomo e uomo, ma anche quello tra uomo e Dio è sentito come corporeo, solo così può risultare profondo e vitale: un vero e proprio legame d’amore. La finitezza di un gesto, purché d’amore, è in grado di superare la singolarità del momento per schiudere significati oranti e universali.19

39 La storia di Bruno e Aelred mutatis mutandis viene ripresa nel romanzo successivo di Tondelli, Camere separate20. Mentre per Leo la scrittura è un modo per sopravvivere e scappare al vuoto affettivo, per Bruno essa è strumento di morte. Bruno non riesce a scrivere né nell’unione né nella separazione: Certi giorni cercava di scrivere, di riordinare gli appunti del suo romanzo, ma erano sempre tentativi destinati al fallimento. Non riusciva a entrarci, a mettersi tranquillo, a incatenarsi per il futuro a un’avventura esclusiva e totale come quella della scrittura. (p. 199)

40 Quando si decide a separarsi definitivamente da Aelred – “Dobbiamo separarci. Siamo due deboli attaccati disperatamente uno all’altro. Con una forza sovrumana. Se c’è un mistero nel nostro amore è tutto qui” (p. 221) – e a tornare a Firenze per scrivere, si rende conto che una volta liberatosi dal peso dell’amore si è liberato anche dell’essenza stessa della vita. Non gli rimane che il suicidio per fuggire al suo disagio esistenziale.

41 Nella storia di Bruno e Aelred, seduzione è lacerazione, segnale di un profondo disagio esistenziale, messo in rilievo proprio dall’incontro tra i due. La fusione dei corpi e la spiritualità di cui si caricano la corporeità e la sensualità non aiutano Bruno nella ricerca della propria identità, a mettere ordine nel groviglio dei propri sentimenti (neppure Padre Anselme riesce a “guidarlo” nel disordine della sua anima), anzi lo conducono sempre più verso il baratro. Neppure l’abbandono è un approdo. La scissione tra i due “corpi” provoca la morte di una parte di essi e dal dolore della separazione deriva solo angoscia.

NOTE

1. Su Tondelli e la sua opera, consigliamo la lettura di R. Carnero, Lo spazio emozionale. Guida alla lettura di Pier Vittorio Tondelli, Novara, Interlinea srl edizioni, 1998. 2. Rimandiamo al commento di Carlo (l’amico di Susy) sulla città romagnola, in P. V. Tondelli, Rimini. Corriere della Sera – I grandi romanzi italiani, p. 51. Per le successive citazioni da quest’opera si indicherà d’ora in poi solo il numero di pagina. 3. A. Righi, Tondelli: Welcome to Seaside. Le implicazioni del non-luogo come oggetto di narrazione primario in Rimini (1985).

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4. Sul tema del corpo nella narrativa tondelliana, si veda E. Buia, Verso casa. Viaggio nella narrativa di Pier Vittorio Tondelli, Ravenna, Fernandel, 1999. Ne citiamo solo un breve passaggio: “La poetica tondelliana dell’emotività, oltre a permettere una perenne oscillazione tra degrado e esaltazione, investe il corpo di una dirompente carica sensuale, questa ben lontana dall’essere vissuta in maniera tiepida e discreta, dilaga con esuberanza e vivacità, divenendo una componente irrinunciabile in una scrittura che intende calarsi profondamente nelle pieghe della vita. Il rifiuto e la lode della corporeità finiscono per esacerbarsi nella complicanza del discorso amoroso” (p. 21). 5. Marco Bauer invidia la forma fisica e il bel corpo atletico di Guglielmo, amico di Susy. (Rimini, pp. 90-91). 6. A. Righi, op. cit. 7. F. Panzeri e G. Picone, Tondelli il mestiere di scrittore, Milano, Bompiani, 2001, p. 58. 8. Nelle parole dello stesso Tondelli, Rimini è il tentativo di descrivere la riviera adriatica “come “contenitore” di storie diverse… un affresco, forse una sinfonia, della realtà italiana di questi anni e dei vari modi – quello sentimentale, quello drammatico, quello esistenziale – di raccontarla”. Si veda F. Panzeri e G. Picone, op. cit., p. 109. 9. “I due amanti procedevano nei loro abbracci costruendosi reciprocamente una sorta di loro personalissima leggenda” (p. 163). 10. Sul narcisismo che caratterizza la società degli anni Ottanta, e che si incarna nel personaggio Marco Bauer, si veda K. Krízová, “Rimini: Personalità e cultura narcisistica” (). 11. A. Righi, op. cit. 12. Nel momento dell’ultimo amplesso con Katy, che egli stesso definisce “masturbazione”, Bauer si dice: “anche tu non fai più per me. Come il vecchio bar, come la vecchia stanza di redazione. Siete tutti arredi del mio passato. Io vi sto lasciando e quel che è peggio è che non ho rimorsi. Vi lascio come si lascia una lunga, noiosa convalescenza. Per vivere” (p. 31). 13. Il commento venale accompagna sempre la descrizione di Susy (cf. p. 91). 14. Anche in un’altra occasione Bauer si sente trattato da “semplice autista”. Quando riaccompagna a Rimini Bruno May che aveva ritrovato al monastero di Badia Tebalda (p. 145). 15. La visione della riviera illuminata dalle insegne e dai fari delle automobili, descritta come un vero e proprio palcoscenico, lo porta a immaginare e ad assaporare già il suo illusorio successo : “E quella strada che per chilometri e chilometri lambiva l’Adriatico offrendo festa, felicità e divertimento, […] quella stessa scia di piacere segnava il confine tra la vita e il sogno di essa, la frontiera tra l’illusione luccicante del divertimento e il peso opaco della realtà… tutto questo mi piacque e mi eccitò; forse anche mi confuse…” (p. 52). 16. Durante uno dei servizi che Marco e Susy realizzano insieme, quello sulla “spiaggia dei desideri”, Susy mostra chiaramente la sua autorità professionale e la sua capacità di imporsi su Bauer (cf. p. 93). 17. Sulla differenza tra seduzione e seduttività si veda Carotenuto A., Riti e miti della seduzione, Bompiani, 1994. 18. “Va bene Aelred, hai vinto. Molte altre volte, innumerevoli altre volte quelle parole sarebbero uscite con lo stesso spasimo di tenerezza e abbandono dal profondo del suo [di Bruno] animo” (p. 194 ). 19. E. Buia, op. cit., p. 31. 20. Ibid., p. 32.

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AUTORE

SABINA GOLA Université Libre de Bruxelles (ULB)

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La séduction ou du sentiment de l’abandon (lecture de Camere separate de Pier Vittorio Tondelli

Flaviano Pisanelli

I campi di battaglia, le morti quotidiane, la sopraffazione dell’altro avvengono in forma di « delitti sublimi » negli strati profondi della personalità e del comportamento. Non c’è, all’esterno, spargimento di sangue. Eppure i cadaveri sono fra di noi. Pier Vittorio TONDELLI, Camere separate.

1 Publié en 1989, le roman Camere separate1 a été considéré comme l’œuvre de maturité de Pier Vittorio Tondelli. De nombreux critiques ont parlé de ce roman comme d’une forme d’intériorisation, de stratification, d’élaboration et de sublimation de toutes les vicissitudes de la jeunesse italienne des années quatre-vingt, qui constituent d’ailleurs la matière première de Altri libertini, de Pao pao et de Rimini. Mais dans son dernier roman, Tondelli prend ses distances avec le jargon et l’argot juvéniles, pour orchestrer des mouvements narratifs se fondant sur une mémoire et une intériorité qui se cachent et s’expriment par la force de la douleur. L’auteur devient ainsi le témoin d’une vie qui se confie à l’écriture et au sentiment de l’abandon, du séparé, de l’ambigu.

2 À travers l’histoire d’un deuil – provoqué par la mort de l’amant et la déconstruction identitaire de soi-même qui en résulte –, Leo parcourt, requalifie, transforme, détruit et régénère son image en revivant le voyage de son existence.

3 Ce parcours, qui demande au protagoniste Leo de renoncer à son idéal et de comprendre pour de bon le sens de sa diversité (celle d’être simplement un homme parmi d’autres hommes, un écrivain, un homosexuel), s’accomplit grâce à une attitude de séduction, qui représente le point de départ et l’achèvement de son voyage dans le deuil, dans la désillusion, jusqu’à la prise de conscience d’être un « homme séparé », dans le sens de « différent ».

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4 Pour mieux comprendre la fonction et le sens de la séduction à l’intérieur de ce roman, il nous faut prendre en compte l’étymologie du mot « séduction », qui dérive du latin « seductio-onis ». Cicéron utilise ce terme dans le sens de « mettre quelqu’un à l’écart » ; Célius Firmin Lactance l’emploie dans le sens de « séparation ». Ce substantif renvoie au verbe latin « seduco » qui, dans ses différentes acceptions, se rapporte à l’action de « diviser », « séparer », « distinguer », « se conduire, se porter ailleurs ».

5 La notion de séduction s’impose dans le projet ultime du roman. Elle conduit, amène, ramène, trace et efface, unit les protagonistes et les sépare. La vie de l’un représente toujours la mort de l’autre : dans ce flux bipolaire entre la vie et la mort, Leo et Thomas expérimentent l’apprentissage d’un amour qui fuit l’absolu et s’achève par la mort de Thomas. Ce moment marquera le début de la régénération de Leo par la découverte d’une solitude qui sera perçue, enfin, comme une valeur et non pas comme une nécessité.

6 Camere separate n’est structuré ni en chapitres ni en épisodes. L’ouvrage se compose de trois mouvements qui mettent l’accent sur les notions de transformation, de métamorphose, sur le caractère initiatique du texte, dans une sorte de concordia discordabilis, la condition naturelle de l’identité humaine2. Dans ce parcours vers la régénération, tous les aspects de la personnalité de Leo sont concernés : sa sexualité, la mise en question de sa stratégie amoureuse (celle des « chambres séparées »), ses origines, son idée de voyage entendu comme refuge et fuite de soi-même, son expérience religieuse de jeunesse, son rôle de père et de créateur qu’il ne vivra jamais, et qui est à l’origine du caractère sado-masochiste auquel toutes ses histoires d’amour aboutissent à un moment donné.

La séduction comme expression du silence

7 Le premier mouvement, qui s’intitule Verso il silenzio [Vers le silence], présente d’un côté la première rencontre entre Leo (dans lequel on reconnaît l’alter ego de l’auteur) et Thomas, et de l’autre la mort de Thomas. Le roman débute sur l’image de Leo dans un avion, en vol entre Paris et Munich. Il est plongé et presque englouti dans un état d’« abandon » (mot qui est, d’ailleurs, le titre d’un ouvrage de Tondelli3).

8 Dans les premières pages du roman – qui sont consacrées à la première rencontre entre les deux personnages – le champ sémantique le plus fréquent fait référence au sens de la vue. La séduction ne laisse pas de place à la parole ; le seul langage possible est celui du corps, bien que les deux protagonistes appartiennent l’un au monde de la littérature (Leo) et l’autre à celui de la musique (Thomas).

9 Le lieu de la rencontre entre Leo et Thomas – la maison de Bernard – est empli de lumière. Les objets, les personnes, les pièces de l’appartement, les corps se révèlent soudainement, comme dans un rêve, grâce à la lumière qu’ils diffusent vers l’extérieur : une lumière pénétrante, comme celle du regard de Leo se posant pour la première fois sur le corps de Thomas. Dans cette sorte de vision, Leo perçoit et découvre la « présence » de Thomas.

10 Le regard comme instrument de séduction n’est pas vraiment une nouveauté, surtout si l’on pense à la tradition littéraire du Moyen Age, aux premières expressions poétiques en vulgaire italien4. Mais dans le roman, le regard n’a pas la fonction de contact ou de révélation de l’un à l’autre ; il ne favorise pas non plus nécessairement le

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rapprochement de deux mondes, de deux identités. Au contraire, il marque comme une sorte de distance, de différence. Ce regard introspectif révèle plutôt l’anxiété d’un sentiment, d’un « connaître pour se re-connaître », d’un travail intense qui œuvre du dedans. Le regard cache et manifeste un sentiment de dérive et d’abandon : il devient le seuil et la frontière d’un jeu qui préfigure déjà une condition de séparation.

11 Le premier véritable contact entre Leo et Thomas a lieu lors d’un concert de rock5. L’excès de lumière et le mouvement agité, à la fois de Leo, pris dans sa recherche frénétique de Thomas, et de la foule, submergée de bruit et d’excitation, s’opposent à l’immobilité de Thomas, tranquillement assis parmi les spectateurs. Après un certain nombre de fatigantes acrobaties, Leo se fait remarquer de Thomas qui parvient enfin à le rejoindre6.

12 Dans ce passage du roman, nous retrouvons les caractéristiques principales de la séduction que l’un exerce sur l’autre. Au long des années passées avec Thomas, cette séduction provoquera chez Leo la recherche d’un état de « séparation » qui ensuite, après la mort de son compagnon, se transformera en solitude et en sentiment d’abandon. Dès ce premier contact, Thomas semble en effet s’adapter à l’étreinte de Leo, il s’y confond, il se serre contre lui, il se livre à Leo non pas en tant que Thomas, mais plutôt en tant que « Thomas-pour-Leo ». Leo apparaît tout de suite comme celui qui choisit, domine, décide, qui unit et qui sépare : cette dynamique affective révèle la tendance sado-masochiste des sentiments de Leo, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.

13 Le besoin, le transport et le contact physique que Leo ressent ne supposent jamais un sentiment d’union, ou la disponibilité à l’accueil dont Thomas fait au contraire toujours preuve à son égard. Si Thomas séduit Leo dans l’intention de trouver chez l’autre un « lieu » à habiter, Leo ne fait que se tourner de plus en plus vers lui-même, développant un « lieu de séparation » et de solitude. D’autre part, la relation avec Thomas place Leo face à l’obligation de désirer le contact avec une altérité que l’on puisse toucher, ressentir, que l’on vit et qui, par conséquent, le pousse à s’emparer de tout besoin idéal7.

14 Ce premier mouvement du roman s’achève sur la mort de Thomas, réduit à un état d’inconscience par sa maladie. Leo ne peut s’empêcher de poser encore une fois son regard sur les yeux souffrants de son compagnon. La séparation géographique, physique et existentielle imposée par Leo pendant la durée de leur relation se transforme maintenant, avec la mort de Thomas, en « séparation définitive ». Aux yeux de Leo, Thomas devient soudainement un enfant. Son regard à demi éteint lui rappelle celui d’un enfant palestinien agonisant, d’un petit Indien d’Amérique du Sud qui assiste au massacre de sa race, tandis que Leo ressemble de plus en plus à un père impuissant qui sent son corps se vider de toute possibilité de rédemption avec soi-même et avec une histoire qui le fait définitivement entrer dans l’âge adulte.

La séduction comme recherche de la solitude

15 Le deuxième mouvement, intitulé Il mondo di Leo [Le monde de Leo], retrace les phases principales de la vie du personnage après la mort de Thomas, et revient sur les moments les plus importants de la relation entre les deux hommes. Tondelli nous fait part de leurs voyages à travers l’Europe, des efforts de Leo pour que les autres acceptent Thomas comme son « accompagnateur officiel » lors de ses conférences et de

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sa vie en société. En prenant progressivement conscience de l’attachement physique et psychique de Thomas, Leo sent grandir dans son cœur un sentiment de peur8.

16 À côté de la narration en « absence » du personnage « Thomas-et-Leo », l’auteur continue de tracer le profil en « présence » du personnage « Leo-sans-Thomas ». Dans cette contre-narration, l’univers de la vie – marqué par le passage de Leo de l’âge de l’adolescence à l’âge adulte – se reflète de façon presque spéculaire dans l’univers de la mort, représenté par le passage de Thomas de l’âge adulte à l’âge de l’enfance. Ce type d’écriture à deux visages est réalisé par une narration fragmentaire et discontinue, qui mêle l’histoire au souvenir, le passé au présent, tout en ouvrant une nouvelle perspective sur un « futur proche » où les effets de la mort semblent plus proches de Leo que de Thomas.

17 Dans cette sorte de contrepoint narratif spatio-temporel, Leo décide de partir pour un long voyage qui l’amènera en Angleterre, la « terre séparée » du continent européen. Il pourra enfin y éprouver sa condition d’« être séparé », tenter de fuir la mort de Thomas et de faire son travail de deuil dans une complète solitide9.

18 La séduction que Thomas avait exercée sur Leo à travers les sens, la vue, le corps, et qui avait engendré le personnage « Thomas-et-Leo », se transforme maintenant en un regard figé sur soi-même. Ce voyage de et vers la mort, tout en exprimant un évident refus de la vie, accompagne Leo jusqu’à sa complète destruction et, ensuite – après avoir « traversé » le corps mort de Thomas – à sa reconstruction finale. Cette conquête d’un nouvel équilibre passe chez Leo par une relecture radicale de son enfance, de sa passion pour l’écriture, de ses origines, de sa foi en un Dieu qui ne nie pas l’amour mais qui, au contraire, l’autorise dans toutes ses formes et ses expressions possibles. Réconforté par ce nouveau regard sur lui-même, Leo décide de se rendre à son village natal. Là aussi, il perçoit nettement un sentiment de séduction qui se transforme en mouvement, en un chemin vers l’essence de soi-même, vers un état de « séparation » qui n’est plus abandon de la vie, mais seulement abandon de la douleur.

19 Dans sa terre natale, souvenir de solitude et de non-acceptation, Leo parvient vraiment à relire sa vie : un parcours vers les origines, comme celui que Thomas avait effectué au moment de sa disparition. Leo découvre un village quitté depuis des années, mais cette fois il ne demande plus à faire partie d’un groupe, à être intégré au sein d’une communauté qui l’avait depuis toujours obligé à adhérer à des valeurs qui n’étaient pas dans sa nature. Pour la première fois son regard est chargé d’affection et de souvenirs qui l’amènent à percevoir différemment les odeurs de sa jeunesse, les messes du dimanche, les vieilles dames qui bavardent sous les arcades. Ce lieu exerce une sorte de séduction irrépressible qui métamorphose son sentiment de « séparation » par rapport à cet univers familial. Chaque geste, chaque habitude, chaque rite familial devient le symbole d’une réalité transfigurée et lointaine. Leo comprend que même son amour pour l’écriture avait contribué à affirmer sa différence et à forger son imaginaire, son paysage idéal. La pratique de l’écriture avait mis en relief sa conscience de devenir de plus en plus un « être séparé » : cette même écriture qui, à présent, ne se manifeste plus, car Leo n’a plus de raisons de défendre sa différence10.

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La séduction comme désagrégation et reconstitution d’une identité

20 Le désir de solitude qui aide Leo à construire son état de « séparation » reste la thématique centrale du troisième et dernier mouvement, qui s’intitule Camere separate [Chambres séparées]. Tout en revenant sur le motif inspirateur de son ouvrage, Tondelli insiste sur les derniers moments de l’existence du personnage « Thomas-et- Leo ». Il achève également le récit du voyage de Leo vers la conquête de son identité. Au niveau formel et narratologique, ce double plan de la narration crée une sorte de dyscrasie qui correspond à la genèse du principe des « chambres séparées ». Cette stratégie d’amour s’appuie sur l’idée d’un rapport fondé sur une relation de contiguïté, d’appartenance, mais jamais de possession.

21 Deux ans après leur première rencontre, Leo impose à Thomas une relation à distance faite de longues périodes d’absence, de silences, d’hésitations, de retrouvailles et d’abandons, qui deviennent pour Thomas une véritable prison de l’âme et du corps. Leo percevait une telle relation comme nécessaire, car elle convenait à sa manière sadomasochiste de vivre l’éros et la séduction de l’autre. Pour lui, la séduction devait conduire vers un ailleurs qui sépare, qui ne peut agir que dans un état d’absence, dans la crainte de devoir mourir et de disparaître. Le vide de ce rapport fondé sur la distance sera provisoirement comblé par l’écriture : Leo et Thomas décident en effet d’entamer une correspondance presque quotidienne pendant leurs périodes de séparation. L’action de la séduction quitte ainsi la sphère purement sensuelle et sexuelle pour agir à travers la parole. Le personnage « Thomas-et-Leo » essaie de s’ouvrir pour la première fois à l’idée d’altérité, et franchit la frontière de l’epos, d’une écriture qui tempère le vide de l’éloignement. L’écriture n’agit donc plus – comme pour Leo pendant sa jeunesse – en tant que dispositif qui affirme une différence et légitime le sentiment de non-possession de l’autre. Elle pousse, au contraire, à la rencontre de l’autre dans un ailleurs créé par le mouvement de séduction, de rencontre-collision, de présence-absence. Malgré l’effet bénéfique de l’écriture, Thomas, à la différence de Leo, n’arrive pas à s’habituer à l’absence et à la distance. Lors d’une de leurs rencontres à Berlin, Leo s’aperçoit enfin de l’illusion trompeuse de sa stratégie des « chambres séparées »11.

22 Le détachement de Thomas bouleverse Leo, qui réalise que leur relation est probablement arrivée à un point de non-retour. Pendant les trois ans de leur relation, Leo n’avait cessé de tuer Thomas, dans le but de mystifier le sentiment de non- appartenance qu’il ressentait vis-à-vis de lui-même. Lorsque Leo pense avoir atteint le comble de son amour pour Thomas, la stratégie des « chambres séparées » prend une tournure imprévue. Thomas décide d’introduire dans leur espace et leur mouvement de séduction une troisième personne : une jeune fille prénommée Susann.

23 Se comportant comme un « anti-Leo », Susann arrive là où Leo ne veut pas ou ne peut pas arriver. À l’intérieur des « chambres séparées », Thomas est le seul à parcourir tous les espaces possibles. Il parvient ainsi à limiter la pulsion sadomasochiste de Leo et à se défendre de l’état de séparation qu’il lui impose. Si autrefois l’idée d’abandon jouait au détriment de Thomas, maintenant cette même idée fait prendre conscience à Leo qu’il a toujours désiré tout de Thomas et n’en a eu qu’une partie, un aspect, une projection.

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24 Au sein du personnage « Thomas-et-Leo », les deux protagonistes ont progressé parallèlement, mais en sens inverse : tandis que Leo s’acheminait vers la prise de conscience – intime et silencieuse – de ses trente ans, Thomas se dirigeait au contraire vers la récupération de sa jeunesse. Ce sentiment de non-appartenance sera aussi à la base de la dynamique qui s’instaure entre Thomas, Leo et Susann. L’équilibre de leur relation résulte de la synergie « en absence » de trois identités qui se mêlent sans jamais se posséder dans leur totalité.

25 Après la mort de Thomas, Leo poursuit son voyage en quête de solitude, vivant dans une sorte de chasteté forcée : il perçoit la disparition de Thomas comme une frontière, une manière de censurer et d’anesthésier ses sens et sa vie. Cette perte symbolise aussi la mort de Leo qui, dans son sentiment de déchirement, considère son corps comme quelque chose d’étranger et d’inutile, une carcasse infernale : un corps dont il renie les fonctions et les besoins qui le poussent parfois vers la perdition et la tentation sexuelle12.

26 La prise de conscience définitive de la mort de Thomas et le changement de vie de Leo qui en découle ont lieu grâce à l’intervention d’un ancien ami de Leo : Rodolfo. Il tente à plusieurs reprises de lui faire comprendre qu’il faudrait célébrer une fois pour toutes les funérailles de Thomas, de sorte que sa vie puisse enfin être réellement vécue. Dès lors, la recherche de la solitude de la part de Leo ne se limite plus à un pur mouvement intérieur et autoréférentiel. Au contraire, la douleur que Leo a ressentie jusqu’à présent parvient à faire naître une forme de vie : le désir de se recomposer et de former une famille. Dans son prototype de famille, il n’y a de place ni pour une femme ni pour des enfants, ni pour des pères ou des mères. En revanche, il y a de la place pour des individus qui fondent entre eux un lien aussi fort et aussi naturel. Parmi les membres de cette famille on retrouve Rodolfo, Michael et Eugenio. Ce dernier est un jeune garçon que Leo apprendra à connaître et à apprécier après quelques difficultés initiales (et surtout grâce à la considération qu’Eugenio manifeste pour son activité littéraire).

27 Après des années vécues dans la vaine recherche d’une prison capable de garder intacte la mémoire de Thomas, le regard de Leo se porte vers le « dehors » : pour qu’il puisse atteindre non pas la paix illusoire d’une quiétude initiale ou d’un passé révolu, mais une nouvelle perception des choses et de l’homme, de l’autre et de soi-même13.

28 Lorsque Leo rencontre Eugenio – l’étymologie grecque de ce prénom renvoie à l’idée de « bonne naissance » –, il apprend à vivre la séduction différemment : elle n’est plus simplement un sentiment qui lie à une autre personne, mais une sensation physique et intellectuelle qui permet de ressentir tout ce qui caractérise l’espèce humaine. Ainsi, le personnage « Thomas-et-Leo » ne représente pas une entité stérile, comme Leo le pensait du vivant de Thomas. Ce personnage uni et séparé, proche et lointain, en présence et en absence, a su engendrer quelque chose, quelqu’un : le « Leo-adulte », qui arrive à sortir de son monde pour toucher, comprendre, sentir et aimer un monde qui ne s’arrête plus au corps mort de Thomas14. Le regard de séduction physique, qui avait eu une place remarquable au moment de la rencontre entre les deux hommes, se transforme donc en regard intériorisé qui mène à la maturité et à l’achèvement d’un projet humain, se traduisant en témoignage et en une prise de conscience de l’identité individuelle15.

29 Ce parcours vers la lumière – qui jaillit et éblouit avec force, sémantiquement et symboliquement, dans un certain nombre de pages de ce roman – concerne aussi la réflexion de Leo sur son activité littéraire et, par conséquent, le questionnement de

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Tondelli par rapport au rôle et à la fonction de la littérature, dans une époque que l’on qualifie de « post-moderne ». L’écriture n’est plus le lieu esthétique d’une fuite, d’un idéal, d’une identité violée par un narcissisme aux nuances sadomasochistes. Elle est au contraire un lieu de veille et de séduction, de rencontre et d’ouverture, de douleur et de compréhension : un espace ouvert, où tout peut se déplacer dans une sorte de jeu d’agrégation et de désagrégation de la matière, des sentiments et des sensations.

30 Le roman se termine sur le voyage de Leo à Québec, à l’occasion d’une rencontre organisée pour célébrer la mémoire de Jack Kerouac. Pendant son séjour, Leo fait un bilan « provisoirement » définitif de son travail de deuil, et se rend compte que son destin d’« homme séparé » sera lié pour toujours à celui de « Leo-écrivain ». Cet état de « séparation » ne se fonde plus sur la conviction d’être un étranger qui met en scène sa vie, mais sur celle d’être un témoin actif de la séduction. Il s’agit d’une séduction entendue comme création de quelque chose qui n’existe pas encore, mais qui demande d’ores et déjà d’être aimée et qui se construit dans un corps à corps avec la vie16.

Pour une parabole de la séduction

31 La parabole du personnage de Leo est marquée par une séduction qui illustre toute une phénoménologie complexe de l’abandon (dans le sens, à la fois, d’un rapprochement et d’une séparation). Thomas se livre sans condition à Leo, acceptant la confiance qu’une séduction silencieuse et sensuelle installe rapidement entre eux. Au contraire, Leo vit le sentiment d’abandon comme un éloignement de Thomas, du fait d’un manque de conscience de soi et d’un sentiment de non-appartenance à lui-même. Cet abandon devient enfin définitif lors de la mort de Thomas. Sa disparition est d’ailleurs à l’origine du voyage de Leo dans son intériorité.

32 Cette double nature du sentiment d’abandon se reflète dans les trois étapes fondamentales que le personnage « Thomas-et-Leo » traverse : l’élaboration de la stratégie des « chambres séparées », qui marque la fuite de Leo loin d’une passion destructrice ; la déconstruction de son identité, qui se réalise avec la mort de Thomas, avec la disparition du personnage « Thomas-et-Leo », et avec la réflexion sur le sens et le rôle qu’a pris l’écriture dans sa vie ; enfin, la réhabilitation de Leo qui retrouve le sens de la vie et de l’écriture en fonction de l’ouverture à l’autre.

33 La séduction agit fortement dans la vie de Leo. Au bout de son voyage, il prend conscience de l’urgence de sortir de la « représentation », de la « mise en scène » de son existence, pour accomplir sa recherche de l’essentiel et faire ainsi de la solitude un moyen d’apporter des réponses à ses besoins et à ses désirs. Cela veut dire être prêt à récuser un idéal entendu comme prison et différence, pour s’ouvrir à une solitude entendue comme valeur, dans le but d’accéder à une passion qui soit surtout compréhension de l’Homme. La condition de « l’être séparé » n’est plus seulement une manière d’affirmer une différence, mais surtout une attitude qui amène l’homme au sacrificium et qui prépare l’accueil de l’Autre.

34 Au long de ce parcours, la séduction – dans le sens de « se porter ailleurs » – passe par différents niveaux de manifestation. À la séduction sensuelle, celle du corps et du regard, succède une séduction « dans l’absence » à travers la mémoire, l’écriture et la parole. Elle s’insinue dans l’intimité de l’individu, afin qu’il puisse se retrouver là où personne ne l’attend, dans un corps à corps avec une vie et une écriture qui sont encore à concevoir et à créer. La séduction est dès lors le terrain où les notions de possession

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et de non-appartenance se rejoignent enfin sous le signe commun du désir et de la connaissance.

NOTES

1. P. V. Tondelli, Camere separate, Milan, Bompiani, 1989. Aujourd’hui, les œuvres complètes de l’auteur ont été publiées en deux volumes, sous la direction de F. Panzeri : P. V. Tondelli, Opere. Romanzi, teatro, racconti, Milan, Bompiani, 2000 et P. V. Tondelli, Opere. Cronache, saggi, conversazioni, Milan, Bompiani, 2001. Une traduction en langue française de Camere separate a été publiée en 1992 : P. V. Tondelli, Chambres séparées, trad. par N. Sels, Paris, Seuil, 1992. Dans notre étude, toute citation du texte fera référence à l’édition Bompiani de 1989, et sera suivie de l’indication de la page entre parenthèses. Pour un approfondissement ultérieur de l’œuvre de Tondelli, et en particulier de Camere separate, voir E. Minardi, Pier Vittorio Tondelli, Fiesole, Cadmo, 2003, p. 88-96. 2. À propos de la structure narrative de Camere separate, Tondelli, lors d’un entretien avec Fulvio Panzeri, dit : « Avec Camere separate je ne voulais pas créer une sorte de confession. Je devais trouver une forme : j’ai alors pensé à une forme musicale qui est beaucoup plus spontanée et authentique, car cette narration est comme un chant. C’est le chant d’une personne seule qui réfléchit, qui reprend tout son passé, qui se projette dans le futur, dans ses propres expériences. Par conséquent, j’ai préféré trois moments, qui présentent tous plus ou moins les mêmes thématiques, à une narration se déroulant d’un point à l’autre. De cette manière chaque thématique coexiste avec l’autre et elles agissent ensemble dans chaque mouvement. » (notre traduction, dorénavant T.d.A.), dans F. Panzeri et G. Picone, Tondelli. Il mestiere di scrittore, Ancône, Transeuropa, 1994, p. 74. 3. P. V. Tondelli, L’abbandono. Racconti dagli anni ottanta, Milan, Bompiani, 1993 (posthume). Il s’agit d’un recueil d’écrits dans lesquels Tondelli réfléchit sur le rôle et la fonction de l’écriture et sur les différentes manières de travailler sur le langage avant de passer au véritable acte d’écriture. En particulier, l’auteur revient sur ses premiers modèles littéraires italiens (Arbasino, Celati) et sur la passion qu’il porte à la littérature américaine contemporaine. 4. Le regard représente dans la littérature médiévale le moyen, le véhicule et l’élément révélateur de l’amour et de la beauté. Il suffit de penser à la poésie provençale, à la poésie lyrique sicilienne de la cour de Frédéric II de Souabe, et surtout aux poètes du « dolce stil novo », entre autres, Guido Guinizzelli et Dante. Dans la Vita Nova, par exemple, l’amour que Dante ressent pour Béatrice trouve son expression dans le regard qui est souvent discret et furtif et qui se substitue à la parole. 5. « Le luci sul palco lampeggiano intermittenti, colpi di decine e decine di flash rosa pastello […] e finalmente il bianco accecante delle luci ad arco […] un riflettore inizia a volteggiare fra il pubblico inquadrandolo in un ristretto e accecante cono di luce. […] La luce sul palco è rosso intenso » (Camere separate, p. 24, 25). 6. « Leo lo guarda orgoglioso allargando le braccia. Thomas si adatta a quell’abbraccio, si confonde in esso, si stringe a Leo appoggiandogli la testa sulla spalla. Leo gli accarezza i capelli. […] Le labbra di Leo cercano la bocca di Thomas » (p. 29). 7. « [Leo] sapeva, fin dall’inizio, che mai lui avrebbe potuto essere « tutto ». Per questo chiamava il loro amore « camere separate ». Lui viveva il contatto con Thomas come sapendo,

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intimamente, che prima o poi si sarebbero lasciati. La separazione era una forza costitutiva della loro relazione e ne faceva parte analogamente all’idea di attrazione, di crescita, di desiderio sessuale » (p. 101). 8. « Si voltò e vide, in quel fracasso, gli occhi di Thomas fissi nei suoi, solo per un istante, e allora sorrise, si alzò con tutti gli altri e uscirono dall’aula. In quel momento Leo sentì Thomas troppo profondamente accanto a sé. Sentì celebrata la sua unione, accettata, protetta, la sentì come un valore sociale fondamentale per difendere il quale un popolo avrebbe anche potuto affrontare una guerra, offrire una generazione intera al martirio pur di preservarlo intatto nel proprio patrimonio culturale » (p. 65-66). 9. « Dopo circa un mese di piccoli spostamenti ora sta finalmente lasciando il continente e con esso il corpo martoriato di Thomas. Si lascia alle spalle la guerra, i cadaveri, il dolore, i campi di sterminio, le città distrutte e rase al suolo. L’Inghilterra gli appare come un paese separato e distante in cui non conosce nessuno e nessuno lo conosce, in cui può stare solo senza soffrire di solitudine, in cui può camminare, sedere al pub, bere, scrivere senza che nessuno lo guardi o lo disturbi. […] Thomas era la Storia ; il suo paese e la sua lingua gli scenari della guerra » (p. 69). 10. « Lui che aveva affidato alle parole, non ancora alla letteratura, non ancora ai libri, ma proprio alle lettere e ai racconti tutta l’ansia e il desiderio di un cambiamento della sua vita, si trova ora annullato dalla mancanza di desiderio per le parole. E conseguentemente, per le cose. […] Lui è cosciente che il suo immaginario è morto. È cosciente di averlo perduto. E lo ha perso di fronte alla morte dell’amante, di fronte all’unica cosa che avrebbe potuto far crollare quella lunga, decennale, problematica, ambivalente calcificazione interiore di speranza e di sogno : la paura di dover morire, la paura di essere già morto » (p. 94, 141-142). 11. « Continuava a credere che l’amore fosse una meravigliosa vacanza della sua vita. Un week- end da passare insieme alla persona desiderata nella comodità, alla luce delle candele, con un paesaggio da ammirare e del buon rhum da bere. Forse “camere separate” era l’illusione, forse fin troppo turistica, che la sua idea dell’amore corrispondesse a quella delle canzoni e dei libri. Ma quale altro tipo di amore poteva esistere? » (p. 179). 12. « Ma il fatto più grave è che la sua rinuncia gli sta rendendo il corpo sempre più inconoscibile e estraneo. La castità è una virtù mistica, per quanti l’hanno scelta; e forse l’uso sovrumano della sessualità. Per lui questa astinenza coatta è solamente una tortura in più che sta trasformando in ossessione il suo naturale bisogno di corporalità, di contatti, di carezze, di visione del corpo nudo dell’altro » (p. 191-192). 13. « [Leo] deve finalmente procedere al disimpasto fra chi è vivo e chi è morto. Annullare l’avvoltoio che è in lui. Perché se una cosa è certa è che per tutti questi anni lui si è mantenuto in vita cibandosi delle spoglie mortali di Thomas, dissetandosi con il suo sangue, sfamandosi con la sua carne squarciata come un qualsiasi insaziabile predatore di carcasse della savana » (p. 196). 14. « Un tempo, quando riteneva la sua relazione d’amore sterile e senza frutto, si sbagliava. Leo e Thomas hanno partorito, con dolore, almeno un figlio. E questo figlio espulso nel mondo, che pensa e agisce, è oggi il trentatreenne Leo » (p. 203). 15. Fulvio Panzeri, dans sa « Nota al testo », écrit ceci : « Dans Chambres séparées Tondelli célèbre une sorte de rite, celui du retour, accompagné d’une pietas soumise : un retour qui définit les raisons de la prise de conscience de soi dans une solitude qui donne lieu aux élégies d’une fragmentation s’imposant sur l’existence à partir du niveau littéraire » (T.d.A.). Dans P. V. Tondelli, Biglietti agli amici, Milan, Bompiani, 1997, p. 109. 16. « La sua diversità, quello che lo distingue dagli amici del paese in cui è nato, non è tanto il fatto di non avere un lavoro, né una casa, né un compagno, né figli, ma proprio il suo scrivere, il dire continuamente in termini di scrittura quello che gli altri sono ben contenti di tacere. La sua sessualità, la sua sentimentalità si giocano non con altre persone, come lui ha sempre creduto, finendo ogni volta con il rompersi la testa, ma proprio nell’elaborazione costante, nel corpo a corpo, con un testo che ancora non c’è » (p. 212).

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AUTEUR

FLAVIANO PISANELLI Université d’Avignon

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Provocation et séduction dans l’œuvre d’Aldo Busi

Stefano Magni

1 Dans la plupart des romans de Busi, le protagoniste est un « je » qui, par plusieurs aspects, est l’alter ego de l’écrivain ; un « je » qui, comme lui, traverse les années et qui a le même âge et les mêmes conditions de vie que l’auteur1. Le thème central de ses aventures concerne ses relations homosexuelles, souvent décrites avec une vulgarité et une grossièreté exhibées. Elles sont proclamées et racontées avec une verve linguistique insolente, et ne tendent à satisfaire que des instincts élémentaires, sans partage humain2. L’« autre » est réduit à n’être qu’un pur instrument du plaisir, au nom du mythe de la jouissance, et l’amour ne renvoie qu’à une énumération anonyme3 ou à une observation technique et machinale des corps.

2 Or, suivant Baudrillard4, la séduction est la capacité à attirer et à charmer et ne fait pas partie de la nature, mais de l’artifice, non pas de l’énergie, mais du rituel. Apparemment, dans les romans de Busi, de ce point de vue, elle est quasiment absente. Au mieux, en de très rares cas, elle est liquidée hâtivement, par quelques phrases. Mais le plus souvent elle est surtout remplacée par la violence, par la corruption ou par une consommation instinctive et brutale de l’expérience sexuelle, sans la moindre communication interpersonnelle.

3 Nous nous demandons, alors, quel est le rôle réel de la séduction et quel est le point de vue de l’écrivain par rapport à ce sujet. Pour répondre à cette question, notre article examinera trois romans d’Aldo Busi : Cazzi e canguri (pochissimi i canguri) (1994), Vendita galline km 25 (1993) et Casanova di se stessi (2000). Dans le premier cas, nous observerons la séduction au masculin, dans le deuxième la séduction au féminin. Enfin, à partir du troisième titre, nous prendrons en considération l’autoréférentialité de la séduction chez Busi6.

4 Les deux premiers textes ont été choisis pour la proximité des dates de publication, parce que Cazzi e canguri synthétise les caractéristiques les plus fréquentes des romans de Busi, et parce que Vendita galline km 2 est le seul roman avec un narrateur féminin. L’étude de Casanova di se stessi sera la conclusion de notre cheminement logique.

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Les fétiches sexuels du « je » masculin

5 Dans Cazzi e canguri, l’auteur a concentré ses thèmes de prédilection : un narrateur à la première personne, l’idolâtrie pour le sexe masculin, le mépris pour les femmes et la violence sur les enfants.

6 Un passage révélateur de la mythologie phallocentrique et phallocrate pourrait être le début de Cazzi e canguri, où le phallus est au centre d’une description réalisée avec une stupéfiante technique cinématographique. Il est suivi par une caméra imaginaire, restant toujours au centre de l’image : « Il primo cazzo lo intravedo appena, ma lo intravedo in tutta la sua magnificenza tendere la stoffa sdrucita dei jeans di lui che è steso nella sezione centrale del jumbo semivuoto destinazione finale Sydney. Dorme il giovanotto […] » (p. 1).

7 Cet objet du désir est totalement anonyme – le lecteur ne saura rien de son légitime propriétaire – et atteint une indépendance ontologique, comme symbole iconographique indépendant. Mais cet hommage à la puissance virile est en même temps une négation de la force. En effet, le jeune homme dort. Or, la position de dormeur détient une note de fragilité, la virilité étant affaiblie par le sommeil. Le masculin ne peut pas dormir : dormant, il perd sa force et sa puissance. Dans la Gerusalemme liberata, par exemple, Armida enlève Rinaldo dans les îles de la Fortune en l’endormant. Par cette stratégie, elle le réduit à la passivité, une passivité « féminine » qui le maintient esclave de la passion amoureuse. Parce qu’il s’est laissé endormir, Rinaldo perd le sens de l’honneur et du devoir guerrier7.

8 À côté de ce mythe, chez Busi, un autre des thèmes les plus exploités est celui de la futilité sexuelle de la femme. Si un garçon suffit à satisfaire un autre garçon, la femme apparaît seulement comme un modeste concurrent qui lutte pour disputer le sexe masculin aux autres garçons. Dans les premières pages de Cazzi e canguri, le thème est présenté avec un fort sens du comique. Dans un extrait savoureux, le protagoniste, toujours à bord du même avion, est côtoyé par un homme d’âge mûr, qui explique ses inclinations sexuelles en provoquant des réactions dédaigneuses parmi les passagers. L’homme en question, père de famille, aime à s’habiller en femme et comme tel à être traité sexuellement : ainsi déguisé, il trompe paysans et éleveurs de tous les coins de la planète, qui, par des annonces dans Playboy, cherchent des femmes désireuses d’aventures herculéennes. Le fait que le travesti parvienne tout le temps à se faire accepter, en donnant pleine satisfaction à ses partenaires, indique encore une fois – en connaissant des situations analogues – qu’une femme peut sereinement être remplacée par un homme.

9 En outre, d’une façon sordide, la femme est souvent identifiée par une synecdoque obscène à son sexe, pour lequel le narrateur emploie de méprisants parallélismes alimentaires8. Elle est immédiatement exclue comme sujet de séduction et est souvent humainement inconsistante9, surtout s’il s’agit d’un personnage mineur. Dès lors, quand elle devient protagoniste – pensons notamment au personnage de Carità dans Casanova di sé stessi –, elle relève du comique, parle d’une manière inconvenante et ne respecte pas, dans son physique comme dans son comportement, les clichés de la femme séductrice. De surcroît, Carità refuse la sexualité d’une façon morbide.

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10 Si les femmes sont victimes de l’oubli et parfois de violences ou d’exploitation, les enfants ne connaissent pas un meilleur sort. Ils sont l’objet d’une sexualité qui ne les concerne pas, mais qui est une étape obligée pour grandir dans l’optique du roman de formation et du roman initiatique. Du point de vue de l’adulte, les enfants comme les femmes n’ont pas d’autonomie mentale. Ils sont tout simplement des objets de consommation, faibles victimes de la jungle sexuelle, nécessaires sacrifices de la bestialité des adultes. Les exemples sont nombreux. Toujours au début de Cazzi e canguri, on trouve le passage suivant : « Vedi quello? è il figlio della Silvestra, me lo faccio che è una meraviglia, e più lui pensa di avere trovato in me una figura paterna, e più me lo inculo e, se grida, botte, e se lo dice a sua madre, gli ho detto, ti strangolo con le mie mani » (p. 20). Mais on perçoit le filtre de l’auteur : la présence de la violence n’exclut pas la condamnation morale10. De plus, le narrateur raconte parfois les cas de férocité à partir de sa propre enfance, en les chargeant d’un fort potentiel affectif et émotionnel. La séduction est ici, dans le plein sens religieux – et comme le dit encore Baudrillard11 –, stratégie du diable, attraction vers le mal. Pour Casanova, « il seduttore di professione, colui che ne fa un sistema, è un uomo abominevole […] » (Casanova di se stessi, p. 143). Casanova ne séduisait pas, c’était lui le premier à être séduit : « […] Non ho mai sedotto consapevole di farlo, visto che il primo ad essere sedotto ero io12. »

11 Chez Aldo Busi, l’adulte semble mettre en oeuvre une séduction pervertie et fétichiste, celle que décrit Guy Rosolato dans Le désir et la perversion13 : le premier but du perverti étant de violer la loi et de la remplacer par la loi de son désir.

12 Au début de Cazzi e canguri, nous avons donc trouvé les principaux thèmes de la version masculine de la séduction et des rapports sexuels. Dans un discours général, nous pouvons indiquer cette version comme la tendance caractéristique des romans avec un narrateur dont le « je » est masculin.

Le « je » féminin comme sosie du « je » masculin

13 Vendita galline km 2, qui précède Cazzi e canguri, s’annonce comme un anomalie. La protagoniste, qui est aussi la narratrice, est une femme, Delfina Pastalunghi. Il s’agit d’un des rares cas de « vested voices » : le « je » du narrateur est de l’autre sexe. Le roman raconte l’histoire d’amour entre la riche Delfina, descendante d’une famille de notables – qui mène une vie désordonnée – et la jeune et (au premier regard) niaise Caterina14. Ce qui intéresse notre propos est l’image des aspects déjà détectés dans les romans où le narrateur est masculin : l’image de la beauté féminine et de la séduction relative, de la virilité et des enfants.

14 Dans ce roman comme dans Cazzi e canguri, l’objet de la séduction est présenté immédiatement. Delfina s’enflamme de passion pour la jeune et belle Caterina, étudiante et serveuse, qu’elle veut ensuite exhiber à ses côtés, pour rehausser l’éclat de sa réputation publique. Le lecteur s’attend donc à voir décrite une femme ravissante, digne du désir et objet de séduction. Or, Caterina est certes d’une beauté voyante, mais son image est ternie par certains détails comiques qui nuisent à son charme. Elle bégaie irrémédiablement. Dans le sommeil, elle ronfle avec le « fracasso di una catramiera » (Vendita, p. 202). Enfin, elle fait étalage de son ignorance avec désinvolture et naïveté. L’image qui en résulte est fortement comique, comme celle de Delfina elle-même : une femme drôle et hystérique de la bonne société, alcoolique et droguée, toujours en quête de coups de théâtre et d’extravagances pour attirer l’attention. Donc, même si le

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narrateur est une femme, elle est dépeinte sous des traits comiques qui dégradent sa beauté.

15 Or, si les femmes sont toujours bavardes et frivoles, il n’y a pas en parallèle un égal mépris radical des hommes. Au contraire, et même lorsqu’il s’agit du regard d’une femme homosexuelle, la description de la descendance mâle des Pastalunghi loue explicitement la noblesse des hommes de la famille. Le regard du « je » féminin – dont nous ne donnons ici que très peu d’éléments – ne s’éloigne pas beaucoup de celui du « je » masculin. Il retrouve fondamentalement les mêmes topoi culturels. Delfina refuse les hommes parce qu’elle les considère comme des « cannibales » et, plutôt que d’être mangée15, elle préfère être anthropophage. En conséquence, c’est elle qui chasse les femmes (Vendita, p. 106-107). Ensuite, dans le rapport à deux, Delfina revêt le rôle masculin et évidemment paternel : elle introduit la jeune femme dans la société, en l’éduquant et en l’acculturant. Elle joue le rôle du formateur.

16 Ce sont par contre les différences entre narrateur masculin et féminin qui intéressent notre argumentation. Une première différence concerne les souvenirs d’enfance : dans Vendita galline km 2, le récit ne se concentre pas sur les violences physiques, même si l’on se trouve en présence de moments psychologiquement durs. Une seconde différence nous intéresse surtout, car Vendita galline km 2 présente une exception au niveau de la structure : contrairement à la plupart des romans de Busi où il n’y a pas de véritable histoire d’amour, mais où l’on passe d’un lit à l’autre, d’un hôtel à l’autre, d’un sauna à l’autre, et où l’on cherche l’amour idéal et impossible, dans ce cas l’histoire d’amour vécue est au centre de l’attention16, et occupe une bonne partie du roman. En contrepartie, dans la plupart des cas, la caractéristique la plus remarquable au niveau de la diégèse est la digression, sous forme de considérations éthiques et philosophiques sur l’amour : or, ici, ces considérations sont absentes.

La digression comme différence entre « je » masculin et « je » féminin

17 Comme c’est souvent le cas chez Proust, Busi remonte à l’enfance et au passé à partir d’un détail. Ce mécanisme conduit le narrateur à évoquer des épisodes de sa maturation sexuelle, ou de celle de ses amis, à travers le prisme, déjà indiqué, des violences et des abus. La référence à Proust n’est pas gratuite, car dans Cazzi e canguri on trouve une longue citation de l’écrivain français. À l’occasion d’une importante digression relatant l’histoire d’un compagnon violé pendant des années par son frère, le protagoniste, un écrivain, dit ceci : « Io e Proust affondiamo appieno in quella che è la nostra vera tematica: la pietà del dolore » (p. 159). Le propos continue avec un renvoi explicite à des passages de la Recherche cités entièrement. En tout état de cause, les deux écrivains semblent partager le même goût pour la digression.

18 Dans Le hors sujet. Proust et la digression, Pierre Bayard affirme d’une façon provocatrice et ironique que les romans de Proust sont trop longs et qu’en enlevant les digressions à la Recherche, la qualité de l’œuvre y gagnerait et les textes seraient plus accessibles17. Si Pierre Bayard cherche ce qui resterait des textes de Proust lorsque les digressions sont supprimées, nous pourrions nous poser la même question pour les romans de Busi. En décomptant soigneusement les pages consacrées à ce procédé littéraire, nous

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remarquons que l’histoire principale, à laquelle se rapporte le titre, occupe un pourcentage très réduit de la narration entière.

19 Les digressions se structurent en différentes formes18 : d’un côté, les narrations qui évoquent des souvenirs d’enfance, de l’autre, toute une série de considérations sur les relations amoureuses et sexuelles et sur la philosophie du plaisir19. La forme des textes qui en résulte, à la fin, semble celle du traité, plutôt que celle du roman. En fait, Aldo Busi a été aussi traducteur, ou plus précisément, « modernisateur linguistique » de Il cortigiano di Baldassar Castiglione. Dans la préface de sa traduction, il cite des traités comme Della dissimulazione onesta de Torquato Accetto, Il Principe de Machiavel ou bien les Discorsi de Guichardin. De ces lectures semble subsister le cynisme envers les autres et envers la morale. Au niveau des contenus, en revanche, d’autres traités – surtout érotiques – donnent l’impression d’avoir été la source d’inspiration de ces longues digressions. Étant donné le thème éthiquement licencieux des divagations, la référence privilégiée est le marquis de Sade. Une citation de l’œuvre de Sade pourrait trouver sa place dans Casanova di se stessi. En parlant d’un personnage, Carità Starace, le narrateur dit : « […] Come a una sciura da boudoir scaligero » (p. 112). Cet emprunt linguistique, « boudoir », semble une référence à peine voilée à La philosophie dans le boudoir du marquis20.

20 Les parallélismes entre les deux écrivains sont très nombreux – ne seraient-ce que les dissertations explicites sur les positions et les techniques sexuelles. De plus, tous deux abordent ces thèmes selon une philosophie aux limites de la morale, élaborée d’une façon réfléchie et consciente. Les exemples pour les deux cas sont très nombreux. J’en citerai un qui me semble révélateur et qui entre dans notre propos de la séduction : Busi affirme que la victime d’une violence séduit son bourreau, car si la victime ne meurt pas ou ne se suicide pas, en acceptant l’acte subi, elle devient elle-même vicieuse21. Toujours dans Casanova di se stessi, et encore dans un esprit très sadien, la séduction est rapprochée au sacrifice et à la mort. Une métaphore insistante et esthétisante, reprise tout au long du roman, présente le séducteur comme le chat qui guette la nichée des souris et qui attribue ses faveurs à la souris qui lui semble être arrivée au juste point de maturation (p. 18). Ici, on peut effectivement associer amour et mort, car les faveurs que le chat offre aux souris ne consistent qu’en un jeu sadique qui se conclue par la mort de la souris. Le protocole se termine en recrachant les restes de la sourie. Busi, avec une pointe de sadisme, définit cette conduite comme une éducation sentimentale. Le sort des souris est le même que celui des enfants de ses romans. La séduction est un instrument nécessaire du mal, à qui la victime se conforme en s’en rendant complice.

21 Sade n’est pas le seul référent : Busi cite souvent des auteurs classiques, dont Platon22. Si, dans le Banquet, l’amour pour les beaux corps doit tendre à l’amour de la connaissance et, de là, à l’amour en tant que tel, l’amour charnel de Busi a besoin d’exister seulement comme entité qui se justifie en soi23. L’image négative de la femme, l’idée de la femina nulla bona, par contre, pourrait être inspirée de certains textes médiévaux, comme le traité De Amore24 d’André Chapelain ou le Corbaccio25 de Boccace. Dans le troisième livre de son De Amore, Chapelain dresse une liste des défauts des femmes, d’un cynisme rationnel et structuré rarement atteint : les femmes sont cupides, avares de nature, envieuses, médisantes envers les autres femmes, voraces, esclaves de leur ventre et aussi mensongères, commères, bavardes ; elles ne respectent aucun secret, elles sont luxurieuses à l’extrême, prédisposées à tous les vices et n’ont

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aucun sentiment sincère pour les hommes. Busi situe ses descriptions de personnages féminins dans ce cadre, mais détourne la morale de Chapelain. En effet, pour l’écrivain médiéval, l’amour ne peut exister qu’entre homme et femme, parce que l’amour a honte d’accepter ce que la nature interdit. Pour Busi, en revanche, seul l’amour homosexuel est authentique.

22 En tout état de cause, les fréquentes références à la philosophie ou à l’essai font entrer les textes de Busi dans le domaine du traité. Après Giorgio Manganelli, qui avait déjà expérimenté ce mode d’écriture, les œuvres de Busi s’apparentent à l’anti-roman, pratiqué aujourd’hui par un nombre restreint d’écrivains parmi lesquels Ermanno Cavazzoni. Cette tendance à l’essai s’installe progressivement dans l’œuvre de Busi. Dans son premier roman, Seminario sulla gioventù26, cette technique est absente, alors que Casanova di se stessi, publié en 2000, est – selon les mots de l’écrivain lui-même – son « romanzo meno romanzato27 ».

Fonction de la digression : l’auto-estime du « je »

23 Par la forme du traité, Manganelli trompe le lecteur. Il affirmait que la littérature n’est pas capable de transmettre de message. Il offrait la beauté de l’écriture comme seule fin de la lecture. L’écriture devient objet de plaisir, dans une forme qui est aussi une autocélébration. Si Manganelli ne veut mener nulle parte, où veut nous conduire Busi ?

24 La structure-type de ses textes consiste en premier lieu à proposer un titre qui laisse présupposer un roman28, mais qui, ensuite, soumet au lecteur des digressions répétées qui renvoient le roman, le « plot », à jamais. De plus, nous avons l’impression que les souvenirs d’enfance n’ont qu’une fonction épidictique, et qu’ils sont subordonnés à la réflexion philosophique. Ces réflexions sont intéressantes pour leur originalité morale, leur relation avec les traités érotiques des siècles passés, mais surtout parce qu’elles déplacent l’intérêt du lecteur, de l’histoire racontée à la voix du narrateur. Si Manganelli focalise l’attention du lecteur sur la perfection formelle de l’écriture, le narrateur de Busi semble détourner la concentration du lecteur sur l’intelligence de ses réflexions, et donc sur lui-même en tant qu’objet pensant. Cette tendance est fréquente et nombreux exemples sont présents dans Casanova di se stessi.

25 Le thème l’intelligence du narrateur masculin traverse tous les romans de Busi. L’intelligence du narrateur consiste, après avoir raisonné sur la morale, à en tirer des conclusions plus exactes et supérieures à la moyenne. La synthèse de cette maturité philosophique se résume dans l’idée que chaque mâle désire un autre mâle : seuls ceux qui ont une liberté suffisante peuvent le comprendre, alors que ceux qui se cachent derrière leurs craintes ne pourront vivre pleinement le véritable plaisir sexuel. Dans les romans de Busi, il n’y a pas d’hétérosexuel qui ne soit séduit par un homosexuel. Mais l’hétérosexuel est toujours dans l’incapacité d’assurer idéologiquement son geste et préfère se cacher29. Une phrase de Cazzi e canguri illustre cette position : « […] Non sono i bei ragazzi coi bei cazzi che mancheranno qui come altrove, ma uomini intelligenti e senza paura di esserlo30 ». Comme le narrateur l’explique souvent, la crainte est d’accepter sans inhibitions une inclinaison homosexuelle. En conséquence de quoi naît aussi un refus des autres hommes, qui atteint un sommet dans Casanova di se stessi : Io, pur piacendomi sessualmente gli uomini […] col passare degli anni non mi sono sentito tenuto a tanto servilismo ideologico nei loro confronti […]. È finita che non mi è più piaciuto nessuno, perché se per scopare con un uomo la seconda volta devi

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chiudere un occhio sulla sua cialtroneria e due occhi alla terza volta sulla sua mancanza di dignità che vuole schiacciare la mia, be’, tanto valeva tenerli aperti sul vuoto […] fine del mito, fine del cazzo. Ora, quando vado a letto […] ci porto il sonno. (p. 239)

26 La seule séduction possible consiste à se renfermer dans son coin en méprisant le monde entier. Dans Casanova di se stessi on lit ceci : « Sempre più solo. In tutti i sensi. Col risultato che tutti i sensi al mondo sono solo i miei » (p. 419). Il ne s’agit pas à proprement parler d’une insatisfaction ou d’une amertume liées à l’expérience d’un libertin, et même pas non plus, en utilisant la terminologie de Michel Foucault, du souci de soi, de l’attention pour son propre corps. Au contraire, le narrateur regrette les maladies vénériennes qu’il avait dans sa jeunesse. Cette abstinence est due à une incompatibilité spirituelle, à une forme de narcissisme élitaire.

27 La seule séduction possible reste celle de l’écriture qui, dans tous les cas, a une double fonction. Busi séduit intellectuellement son lecteur. C’est la seule séduction encore concevable, lorsque la sexualité pratiquée dans une dark-room ne satisfait plus. D’autre part, l’écrivain se séduit aussi lui-même, comme palliatif et comme forme autoréférentielle du plaisir.

28 Or, nous avons dit que le séducteur est impitoyable, et qu’il est comparable à un chat qui joue avec la mort de ses proies ; cette action d’auto-séduction correspond donc à une technique préconçue d’autodestruction, au sens où écrire est antinomique de vivre : c’est donc mourir31.

NOTES

1. Dans certains cas, le jeu est insistant. Dans Casanova di se stessi, Milan, Mondadori, 2000, des phrases contradictoires semblent écrites pour désorienter le lecteur : « Non volevo scrivere un falso estetico […]. Detesto i narratori anche quando sono bravi, perché comunque non sono mai bravi abbastanza là dove la sfida è suprema: narrare di sé. Come sa fare Giacomo Casanova, e pochi altri… » (p. 68). Et, dans le sens contraire, on trouve ceci : « E io? Che dire di me. Io sono un personaggio, sono il personaggio Aldo Subi e non so niente della persona che mi ha creato » (p. 456). 2. Les exemples sont nombreux. Dans Cazzi e canguri, Milan, Frassinelli, 1994, on peut remarquer celui-ci : « L’amore lo faccio sempre e comunque con me e solo da me, non riesco a condividere con lui nemmeno la mia solitudine di quel momento a due » (p. 32). 3. Cazzi e canguri, ouvr. cité, p. 66 : « Anche a Melbourne: ci sto una settimana, ne conto trentasei toccati, leccati, presi nei primi cinque giorni […] e neanche un canguro ». 4. J. Baudrillard, De la séduction, Paris, Denoël, 1979. 5. Id., Vendita galline km 2, Milan, Mondadori, 1993. Édition consultée : coll. « Oscar », 1997. 6. Les numéros de pages entre parenthèses renverront aux éditions précédemment citées. 7. T. Tasso, La Gerusalemme liberata [1575], Milan, Rizzoli, 1998, canto XIV, 65 : « Sì canta l’empia, e’l giovenetto al sonno / con note invoglia sì soavi e scorte. Quel serpe a poco a poco, e si fa donno / sovra i sensi di lui possente e forte […] ».

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8. Dans ce cas aussi il y a plusieurs exemples. En voici un : « … E io, sì, le ho messo un dito nello spacco della capace e l’ho tirato su con tutto quello che c’era rimasto attaccato e gliel’ho messo sotto il naso e le ho detto, ecco perché non ti scopo più, perché mi sembra di scopare mezzo chilo di gorgonzola, lavati ogni tanto, zozzona, che magari mi verrebbe ancora voglia » (Cazzi e canguri, p. 22). 9. Encore une fois, les exemples sont nombreux : « Una donna raramente spazia oltre l’orizzonte della propria vagina e della propria nidiata » (Casanova di se stessi, p. 237) ; « La corruzione è femmina. Le persone più propense a corrompere e a essere corrotte sono le donne […] » (Cazzi e canguri, p. 34). 10. Voir la dédicace de Suicidi dovuti, adressée aux enfants : « […] a tutti i bambini del mondo che, malgrado tutte le atrocità dei grandi, troveranno ancora la forza di restare vivi ». 11. J. Baudrillard, De la séduction, ouvr. cité, p. 9. 12. Ibid. Dans la préface des Mémoires, Casanova rappelle qu’il a toujours agi instinctivement plutôt qu’après réflexion : « Ayant reconnu que, dans tout le cours de ma vie, j’ai plus agi par l’impulsion du sentiment que par l’effet de mes réflexions […] ». G. G. Casanova, Mémoires, Paris, Gallimard, 1958, vol. I, préface, p. 6 13. G. Rosolato, « Le Fétichisme », dans Le désir et la perversion, Paris, Seuil, 1967, p. 9-52. 14. Une analyse complète du roman mériterait d’approfondir ce sujet. Pour notre propos actuel, il restera à l’écart. 15. Tout un discours sur la connexion entre le dauphin, animal de la mer, et son prénom, se développe dans ce sens. 16. Certes, les doutes de la fin laissent penser que il y a eu un amour unilatéral, car Caterina a peut être utilisé la riche Delfina pour en obtenir des privilèges, mais nous somme intéressé à l’importance de l’histoire dans la diégèse. 17. P. Bayard, Le Hors sujet. Proust et la digression, Paris, Minuit, 1996. Cf. la quatrième de couverture : « Proust est trop long. Tirant les conséquences logiques de cette constatation qui décourage de nombreux lecteurs potentiels, ce livre se propose de réduire la Recherche en supprimant les digressions […] Quand, par exemple, peut-on dire d’un texte qu’il est trop long ? Existe-t-il des passages inutiles ? ». 18. À propos de Proust, Pierre Bayard parle de deux typologie de digressions : les digressions de contiguïté et les digressions de ressemblance, ouvr. cité, p. 47-69. 19. Dans Casanova di se stessi, on lit notamment : « I titoli saranno anche discutibili, ma tutti i miei libri girano attorno a questo faro da spostare per capire come sono andate le cose, e che senso ultimo nascondevano, che germe allignavano in sé e alimentavano oscuro a tutti noi spettatori e, spesso, anche gli stessi attori in scena che grondano sangue vero e non lo sanno. […] bisogna sbalestrarlo un po’dal suo asse, questo faro, posizionarlo in maniera un po’obliqua per raddrizzare la storia nella sua giusta prospettiva, occorre farle violenza, accecarla per farle sputare il watt segreto, da sola non si accenderà mai » (p. 134). 20. Dans ce cas le lien est au niveau des contenus plus que de la forme. En effet : La philosophie est sous la forme du dialogue. 21. A. Busi, Casanova di sé stessi, ouvr. cité, p. 140 : « Sopravvivere richiede farsi sparire come vittima e sedurre il proprio carnefice fino a metterlo nella condizione di farci il male che ci ha fatto, amarlo per non odiarsi in maniera irreparabile, subdola […] Con una variante inaccettabile alla costrizione a priori: la libera scelta a posteriori ». 22. Platon, Le Banquet, Paris, Flammarion, 1998 [385-380 ? 420-418 av. J.-C. ?] et Platon, Phèdre, Paris, Les Belles Lettres, 1994 [418-415 av. J.-C. ?]. 23. Platon, Le Banquet, ouvr. cité, p. 73. 24. Andreae Capellani regii Francorum, De Amore Libri Tres, éd. établie par S. Battaglia, Rome, Perella, 1947. 25. G. Boccaccio, Il corbaccio [1366 ?], Lecce, Congedo Editore, 1982

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26. A. Busi, Seminario sulla gioventù, Milan, Bompiani, 1984. 27. Id., Casanova di sé stessi, ouvr. cité, p. 32. 28. Je ne considère pas la forme traité explicite de textes comme Manuale del perfetto gentiluomo ou Manuale della perfetta gentildonna. 29. Cf., pour son caractère exemplaire, une anecdote racontée dans Cazzi e canguri : « Hai incontrato [un ragazzo] in un centro di assistenza per tossicodipendenti, e che, però, è strenuamente omofono, anzi perbenino, si fa vanto al microfono di essere sieropositivo perché eroinomane, niente a che vedere lui con storie gay o di marchette. Bene, mi racconti mese dopo mese l’andamento di questo tormentato dejà vu del rifiuto di un eterosessuale convinto e finalmente, improvvisamente, il giovanotto ci sta, è tuo pieno di sgomento per la scoperta di quanto possa essere esaltante il sesso tra maschi e però non vuole farsi vedere in pubblico con te, e cose così, cose antiche, cose che si ripresentano ogni volta uguali come dieci, venti, trent’anni fa, sempre le stesse come si ripresenteranno fra dieci, venti, trent’anni a venire » (p. 152-155). 30. Cazzi e canguri, p. 28. Cf. aussi p. 30 : « Un uomo col cazzo giusto e la mente giusta non esiste al mondo, mettiamocelo nel culo e nella testa […] ». 31. Busi dit aussi, dans Casanova di se stessi, que « scrivere è morire » (p. 315).

AUTEUR

STEFANO MAGNI Université Stendhal – Grenoble 3

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Les figures de la séduction dans les dessins de Poema a fumetti de Dino Buzzati

Muriel Badet

Picasso à Buzzati1 : — Si vous ne voulez pas avoir une indigestion de poison cessez de peindre. Vous, vous êtes écrivain. Le monde – je veux dire votre monde, qu’il soit petit ou grand – a de la considération pour vous en tant qu’écrivain. Et Picasso de poursuivre : — … sur le plan pictural… Oui, oui, une certaine intelligence dans l’invention. Mais en ce qui concerne le métier ! de grâce ! ici nous sommes en plein dans la BD ! Un chromatisme sommaire. C’est inutile, lorsque les bases font défaut (un petit rire) Littérature ! Littérature ! la peinture, c’est autre chose ! Comme pour répondre à l’entretien avec Picasso, Buzzati aurait déclaré, non sans provocation2 : La peinture n’est pas pour moi un hobby : c’est au contraire l’écriture qui en est un. De toute manière, que je peigne ou que j’écrive, je poursuis toujours le même but qui, après tout, est simplement de raconter des histoires.

1 Dino Buzzati est principalement connu comme écrivain et comme chroniqueur au Corriere della Sera. En novembre 1959, il en devient le critique d’art. Il est aussi peintre. Ses premières œuvres, des portraits de Beatrice Giacometti, la jeune fille qu’il aime, ou des autoportraits, datent des années 1924-19283. Tout au long de sa vie, Buzzati continue à peindre et à dessiner. En 1945, il écrit et illustre La Famosa invasione degli orsi

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in Sicilia ; en 1958 se tient sa première exposition personnelle à la galerie Re Magi à Milan ; en 1959, il réalise pour la Scala les décors pour Jeu de cartes de Stravinsky.

2 En automne 1968, Buzzati propose à l’éditeur Arnoldo Mondadori La Dolce morte, manuscrit qui deviendra quelques mois plus tard Poema a fumetti (Poème-Bulles pour la traduction française). Poema a fumetti4 se présente sous forme d’un livre d’images où se mêlent, sur une même page, texte et dessin en couleur. Ouvrage singulier, difficilement identifiable, ni un roman, ni vraiment un conte fantastique ou un récit mythologique illustré, encore moins une bande dessinée, Poema a fumetti ne peut en rien être considéré comme un hasard : il est même la concrétisation du travail pictural de Buzzati.

3 Ce texte fait du désir et de la séduction le sujet principal de sa narration. Un homme, Orfi, souhaite ramener à la vie la femme qu’il aime, Eura, et pour cela il descend la chercher dans le monde souterrain et urbain de l’au-delà. Dans cette histoire-prétexte, transposition à l’ère contemporaine de la descente aux Enfers d’Orphée, parti quérir Eurydice, la séduction passe des mots aux images, de la citation à l’invention, accentuant la singularité des situations, les orientant vers un sentiment d’inquiétante étrangeté où le déjà vu, le déjà lu voisinent avec l’univers personnel et fantastique de Buzzati.

4 Au travers des dessins, présences prépondérantes du livre, au moins quatre figures de la séduction apparaissent : le chanteur, l’image de la disponibilité des femmes, le travail de la citation et le personnage du séducteur.

Le chanteur

5 Dans la mythologie, la voix enchanteresse d’Orphée séduit tous ceux qui l’écoutent. Le son de sa lyre charme animaux, arbres et rochers et pacifie la nature5. Ce chant permet au héros de franchir le seuil de l’Hadès : il fait taire Cerbère et fléchit les divinités infernales qui l’autorisent à reprendre Eurydice. L’étymologie de son nom précise l’être dans le nom et la dualité qui l’habite : Orphée est voix et mélopée mais il est aussi obscurité, celui qui accède aux Ténèbres. Il est le premier, avant Hercule et Thésée, à tenter de ramener une âme sur terre, le premier à vouloir vaincre la mort et à revenir de la mort. Le pouvoir surnaturel de sa musique est pareillement duel : il calme les tempêtes lors de l’expédition des Argonautes mais, en même temps, il fait taire les sirènes, leur intimant ainsi leur mort prochaine6.

6 Orfi, dans Poema a fumetti, est une pop star. Lui séduit les filles dans les boîtes de nuit (p. 38-39), fait céder la porte de l’enfer et son gardien (p. 198), enthousiasme la foule des âmes qui peuple ces espaces funèbres (p. 154-155). Le contenu des chansons d’Orphée n’est connu, dans la version ovidienne, qu’au retour de l’Hadès pour justifier la fin tragique du chantre. Buzzati choisit de les révéler au fur et à mesure du récit. Comme un leitmotiv, les ritournelles d’Orfi parlent d’amour (p. 180-181), de dieu (p. 192-193), d’angoisse (p. 133-135) et de mort. La mort hante littéralement le chant (La Storia dell’uomo che si voltò, p. 164 ; La Storia dei nove gentiluomini, p. 166 ; La Storia del casellnate, p. 168). La révélation des paroles explique l’effet qui en découle, la porte qui s’ouvre et l’autorisation de partir à la recherche de la femme aimée et défunte7.

7 Quel que soit le public, vivant ou mort, les chansons accompagnées de leur mélodie subjuguent. Le pouvoir de séduction de la musique d’Orfi passe par les mots et les

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souvenirs qu’ils éveillent. Immanquablement, la douce violence de la nostalgie capture les auditeurs. Elle touche leurs désirs les plus secrets. La mélancolie d’un temps révolu agit comme un charme. De là découlent la soumission des volontés, le désir impérieux d’écouter en se remémorant ce qui disparaîtra ou ce qui a déjà, à jamais disparu. La séduction de ce chant – la survivance qui s’y joue – touche au plus intime l’être de celui qui l’entend. Buzzati suggère ainsi le pouvoir du chant de ramener à la vie, de faire renaître.

8 Les images que dessine Buzzati sollicitent à leur tour l’attention. Par leur contenu et leur plasticité, elles captivent. Elles montrent la séduction à l’œuvre et parallèlement font œuvre de séduction. La séduction circule. Elle passe du récit au lecteur/regardeur. Mais pour en saisir le fonctionnement, il faut d’abord, se laisser gagner par le pouvoir hypnotique de l’image.

Les images du féminin

La disponibilité des femmes

9 Milan permet à Buzzati d’évoquer l’univers infernal. À l’image de la ville s’ajoute celle du bordel. On y pénètre dès le seuil de la première porte. Une femme en petite tenue, guêpière, jarretelles, bas sombres et escarpins à talon, accueille Orfi et l’invite à entrer (p. 72-80). Descendant plus avant, il croise d’autres filles toutes aussi aguicheuses et dévêtues que la première. Le pays des morts est peuplé de femmes impudiques et lascives. Leur nombre suscite la fascination et renvoie le regardeur à son désir tandis que leur érotisme branche directement la séduction sur leur corps, les magnétise comme réservoir de flux. Ces corps, servis par un dessin stéréotypé, se commuent en force active qui happe. La stratégie est sommaire et imparable : elle se nomme exhibition.

10 Dessinées en plan rapproché sur une seule page, les filles découvrent leurs seins ronds aux tétons roses et pointus, leurs fesses charnues, leurs tailles fines et souples. Elles jouent l’innocence tout en invitant à la licence. En s’amusant avec leur chevelure ondoyante (p. 206), en aguichant par des regards envoûtants et directs (p. 114-115, 117), elles miment la proposition sexuelle. Leurs poses à la limite de la vulgarité – des hanches cambrées (p. 116, 210), des jambes écartées (p. 113), des bouches pulpeuses et entrouvertes, un doigt entre les lèvres (p. 107, 211)… tous les stéréotypes de l’érotisme rebattu et facile ici répertoriés – suggèrent l’obscénité. Une ligne noire et régulière contourne chacun des corps féminins, quasiment tous de la même teinte chair, sans nuance, sans ombre et lumière. Ainsi dévoilés et fétichisés, ils accèdent à un statut de signes. Au fil des pages, la chartre graphique crée une unité visuelle, introduit un rythme répétitif où la provocation de la nudité prédomine. Celle-ci sature l’ensemble du livre. Image envahissante, elle soutient l’attention, attire les regards. Invitation perverse, elle éveille le désir de voir toujours plus.

11 Les dessins témoignent de l’image d’un féminin affriolant et tentateur, tout entier adressé aux fantasmes masculins. Tous ces corps réduits à un seul, à chaque fois identique, ne proposent qu’une seule valeur d’usage, la disponibilité sexuelle. L’image de celle qui prend l’initiative – la séductrice – n’est concevable, ici, que sur le mode économique de la prostitution, qu’enfermée dans l’espace clos du bordel, réduite à être un objet de plaisir. Or, en même temps que son corps s’expose, il fait advenir l’image

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d’un autre corps, l’image spectrale et non moins fantasmatique d’un corps perdu, son double et son antithèse, pur et intouchable.

Éros et Thanatos

12 Les images luxurieuses sont d’autant plus envahissantes qu’elle sont relayées au cours du récit par les thèmes des chansons d’Orfi. Le premier chant, Le Streghe della città (p. 40-47) met en scène des prostituées. La seconde mélodie, Il Visitatore del pomeriggio (p. 172-175) raconte le cauchemar d’une dormeuse attaquée et totalement pénétrée jusqu’au trépas, par un monstre lancéolé et arachnéen. L’action de la mort se superpose à la licence des représentations. Elle se glisse entre ces dessins sulfureux. À chaque fois de façon différente – un pendu (p. 30), des crânes (p. 34, 147, 151), des cimetières (p. 140, 193), des visages ou des corps inanimés (p. 61-62, 233), un oiseau de mort (p. 67) ou un cortège funéraire (p. 57-58) –, elle trouble et inquiète l’image.

13 La mort est sans relâche à l’œuvre dans le livre de Buzzati. Or, la force noire de la séduction dérive de l’intrication de l’érotisme avec la mort. La référence à Georges Bataille ne dit rien d’autre. L’allusion textuelle à « la petite mort » (p. 191) est annoncée tout d’abord par un dessin (p. 103) où un crâne, dissimulé dans l’enchevêtrement de corps sensuels sourit, indiquant la vanité de la chair et du plaisir, puis par la reprise d’une photographie de la célèbre strip-teaseuse, Mademoiselle Féline (p. 109)8, qui cachait son anatomie sous deux têtes de mort grimaçantes. L’érotisme incarne cette capacité à succomber, à mourir suavement. L’arrachement au monde par le ravissement dessine la béance dans laquelle se glisse le dernier souffle de l’agonie ou de l’orgasme. Par cet effondrement des corps et par l’ébranlement de l’être, les repères disparaissent et les limites sont transgressées, dépassées pour atteindre le vertige du désir satisfait.

14 La troisième figure de la séduction vient déjouer le risque d’une atmosphère lugubre et mortifère. En effet, la citation contrebalance les effets de la pulsion de mort par l’abondance des références, la malice des allusions, la ruse des évocations ; citation qui est ici, l’outil principal de la création plastique buzzatienne.

La fabrique des images : la citation comme figure de la séduction

Citer

15 Les dessins de Poema a fumetti sont majoritairement des citations : citations de reproductions issues d’un large fonds culturel, de photographies réalisées sous la direction de Buzzati9 et de reprises de ses peintures antérieures. La citation pénètre l’essentiel de l’œuvre sous des modalités plurielles, par accumulations stratifiées prenant la forme du palimpseste, par plagiat ou par allusion. Poema a fumetti est, dans son ensemble, sous l’influence du Pop Art américain que Buzzati connaît bien car il a rencontré, lors d’un voyage à New York, en 1965, les principaux acteurs de la pop culture. Buzzati leur emprunte leurs procédés techniques (peinture acrylique, usage de la photographie et du collage) et l’introduction de la culture populaire dans l’univers des beaux-arts.

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16 De Wesselmann, Buzzati retient surtout son esthétique de l’impudeur et reprend à son compte l’indécence des nus allongés, la provocation des poses où les corps s’étirent, les jambes s’écartent, les langues se tirent. Cette peinture rutilante offre une image stéréotypée de la lascivité où, pour une convergence de significations, lit, fourrure, poils, peau, lèvres, cigarette incandescente, fruits ou fleurs fétichisent la sexualité.

17 Les peintures de Wesselmann sont directement inspirées de la culture de masse. Les pin up des dépliants publicitaires ont souvent servi de point de départ à ses compositions. Le peintre renouvelle leur aspect glamour pour en souligner le sex-appeal. Mais plus que le surgissement de nudités obscènes produites durant les années pop, le thème dominant est bien plutôt l’exhibition de quelques perversions sexuelles, fétichisme et sadomasochisme par exemple.

18 L’enfer de Poema a fumetti est un bordel. À la manière des filles peintes par Richard Lindner ou par Allen Jones, qui privilégient l’aspect tactile des textures (peau, tissus, cuir, latex ou fourrure) et qui développent ainsi le spectacle de l’ultra-féminin soit dominateur, soit totalement dominé, les petites putes en déshabillé que croise Orfi participent de cette esthétique. Buzzati reprend les codes fétichistes, s’attache aux corps et aux vêtements et accroît ainsi la charge érotique du livre.

19 Même si les évocations de pratiques sadomasochistes sont discrètes dans Poema a fumetti, Buzzati, dans ses remerciements, reconnaît sa dette envers l’éditeur et photographe new-yorkais, Irving Klaw, grand initiateur de la photographie bondage avec son modèle culte, Betty Page, et promoteur actif de nombreuses bandes dessinées sadomasochistes comme celles d’Éric Stanton ou d’Eneg, sources d’inspiration de quelques dessins de Buzzati10.

20 Le recyclage des images se poursuit. La citation relève du principe du découpage et du collage. Elle est prélèvement et appropriation de fragments élus. Poema a fumetti est un réseau de citations et se rapproche en cela du travail de Rauschenberg. Par ses sérigraphies ou ses Combine Paintings, Rauschenberg dépersonnalise l’acte de peindre en choisissant des photographies, des coupures de journaux, des lettres, de la bande dessinée, des images préfabriquées. Il fait se rencontrer des éléments hétéroclites employés librement, combinés de façon constructive ou placés dans des rapports aléatoires, donnant le sentiment d’une absence d’interprétation à cet ensemble désordonné, morcelé et touffu. Malgré des processus de création mécaniques qui désindividualisent et objectivent les images, Rauschenberg arrive à une œuvre chargée de significations intimes. Les citations choisies par Buzzati pour Poema a fumetti, sans être aussi prolixes et complexes que celles de l’Américain, fonctionnent à l’identique. Buzzati emprunte des images au très sérieux Atlante di medicina legale de Prokop et Weimann (p. 30), à la bande dessinée (la reine de Sogo dans Barbarella de Jean-Claude Forest11, le personnage à nez d’oiseau dans Batman, la tête de mort de la couverture d’un numéro de Kriminal12 [p. 34] et certaines mises en page de Guido Crepax 13 pour Valentina [p. 108, 188 et 238]), à l’illustration (une aquarelle pour Rip van Winckle d’Arthur Rackham14 [p. 138], des dessins d’Otto Greiner [p. 139] ou d’Achille Beltrame [p. 170], tous deux illustrateurs pour des quotidiens milanais). Il cite un photogramme de Nosferatu le vampire de Murnau (p. 150), des photographies de revues érotiques (p. 41, 43, 172). Il réemploie sa propre peinture (Urlo, Santa ingenuità, Il visitatore del mattino, entre autres)15. En revanche, Buzzati ne convoque que des impressions provenant des univers esthétiques de Dalì16 (la déliquescence des formes [p. 51-52, 163]), de Friedrich17 (l’immensité des espaces vides [p. 130]) ou de Bellmer18 (l’érotisme polymorphe des

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corps et la linéarité du graphisme [p. 183]). Buzzati dessine ensuite ce qu’il connaît, Milan, ses rues (p. 35) et ses monuments, la tour Velasca (p. 45), la tour Pirelli (p. 89), le dôme (p. 194, 204-205). Il représente ses amis, le peintre Antonio Recalcati (Orfi), le journaliste Franco Gremignani (l’Homme en vert), Runa Pfeiffer (la Servante des enfers), Almerina, son épouse (Eura). Les illustrations de Buzzati suggèrent encore d’autres références, celles-là implicites : les calligrammes d’Apollinaire (p. 110), la lithographie d’Arachnée pour Le Purgatoire de Dante de Gustave Doré (p. 175), le portrait photographique tremblé, au regard dédoublé de la Marquise Casati par Man Ray19 (p. 49), les différentes visions de la gare de Milan de Pasolini et de Fellini 20 (p. 212-215), les tableaux expressionnistes, La Madone (p. 206) et Le Cri (p. 126) de Munch21 ou encore les espaces urbains désertés des peintures de De Chirico et de Sironi22 (p. 70-71, 99, 131). Buzzati prélève, mélange et recompose pour élaborer Poema a fumetti. Il recycle une masse considérable de documents. Ce recueil est fabriqué à partir de fragments d’images, de morceaux de peintures, de souvenirs de représentations, de lieux familiers, d’êtres proches. De la même manière que pour Rauschenberg, l’accumulation lui permet d’aboutir à une polarité entre objectif et subjectif.

21 De Lichtenstein et de Warhol, Buzzati retient l’introduction des codes de la bande dessinée dans la peinture23. Dans Poema a fumetti, une majorité de pages est divisée en cases. Les phylactères sont écrits en majuscules. Un contour noir et régulier détoure tous les dessins. La couleur est sobre et uniforme. Des bulles de dialogue, de pensée, des onomatopées animent le texte. Alors que pour les deux pop artistes, l’agrandissement d’une case était un moyen de vider de sa symbolique la peinture et d’éliminer le message narratif de la bande dessinée, pour Buzzati, le recours à la bande dessinée permet d’établir un pont entre dessin et écriture et de faire cohabiter les deux modes d’expression.

22 Le Pop Art, en choisissant comme ligne directrice la répétition, l’anonymat mécanique, la récupération des images toutes faites, questionne l’originalité et la paternité de l’œuvre ainsi que les rapports entre culture savante et culture de masse. La composition de Poema a fumetti ne progresse pas autrement. Le recours extrêmement riche à la citation fonctionne comme un montage signifiant. Les images sont issues de réalités extrêmement éloignées les unes des autres pour être combinées entre elles. Poema a fumetti sonde les interactions de la citation au sein de l’œuvre et ses répercussions sur les deux messages, linguistique24 et iconique.

Citer et séduire

23 La citation est appropriation. Elle recycle des choses toutes faites. En pénétrant l’image, elle se modifie et la modifie. Il y a les mêmes œuvres et l’œuvre même. En faisant jouer les images les unes avec les autres, la citation fait éclater l’objet de départ pour lui proposer une autre destination, une nouvelle singularité. Le rapport n’est pas d’équivalence ni de redondance car la citation creuse le texte et l’image. Elle les ouvre, elle les écarte pour un départ vers de nouvelles significations. Il y a, dans son utilisation, une volonté de détourner le sens premier. Sa force est justement son installation dans l’écart, écart entre l’original et la reprise, écart d’autant plus grand que Buzzati ne fait pas de citation littérale et manipule que des fragments.

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24 La citation agit comme un déclencheur, comme le moteur d’un travail de création dans l’imaginaire. Elle amorce l’élaboration de la lecture. Elle fait appel au lecteur/regardeur et à sa capacité à recevoir, à reconnaître et à s’emparer de sa proposition pour l’appliquer à autre chose. Donc, par un phénomène de remémoration, la citation suscite l’interrogation. Elle éveille la curiosité ; les multiples références de Buzzati surprennent. C’est justement dans cet étonnement que s’installent conjointement son pouvoir mobilisateur et la parade du séducteur.

25 La séduction est une force qui machine, esquisse, aguiche, se dérobe, s’avance jusqu’à devenir insaisissable. Les jeux de citations dans Poema a fumetti sont intrigants à plus d’un titre : ils mettent en scène des images érotiques qui fétichisent le corps féminin cantonné à un état d’objet sexuel ou d’objet à asservir et à punir, punir d’avoir été désiré ; ensuite, ils misent sur le pouvoir de fascination de la mort en montrant ce qui se passe dans l’au-delà ; enfin, le recours à la citation joue sur les différents niveaux de la répétition où chaque référence s’enchaîne, se rapproche et en entraîne une nouvelle, dilatant sans fin le champ de la reconnaissance. La citation buzzatienne entretient avec la mémoire une liaison exubérante : elle semble former la circularité ininterrompue de l’anneau de Möbius car l’identification n’arrête pas de se modifier, de se moduler, d’osciller pour finir par tanguer. Dans l’ambiguïté se joue l’action de la séduction.

26 Les citations sont comme des gestes furtifs à l’encontre du regardeur, des coups d’œil facétieux. Elles sont en quelque sorte une métaphore de l’amour. Elles sont l’équivalent de la cristallisation qui travaille le coup de foudre. Elles décomposent l’image envoûtante mais pour la recomposer aussitôt, la cadrer, la condenser. Dans la peinture tout comme dans l’écriture de Buzzati, la citation tente de reproduire une passion de lecture et d’amateur d’art, de retrouver l’instantanée fulgurance de la sollicitation originelle. La citation répète, elle fait retentir la lecture dans l’écriture, le regard dans la peinture. Par là même, elle invite et sollicite ; elle joue sur le désir du regardeur. Elle est un ébranlement, un ravissement avant même sa compréhension tandis que l’excitation est à la recherche dans l’image, de la cause de cette sollicitation.

27 À la manière du séducteur qui engage une mise en scène précieuse et calculée pour attirer et retenir, la citation, tout en transportant du sens, emprunte des correspondances pour aller ailleurs. Elle nous convoque et nous déplace vers une série infinie. Citare en latin signifie mettre en mouvement, faire passer du repos à l’action. Les sens des verbes faire venir à soi, appeler mais aussi provoquer entrent dans le champ lexical de la citation et de la séduction. Une même puissance est en jeu, celle qui met en branle. Dans le vocabulaire de la corrida, on dit que le torero « cite » le taureau, c’est-à- dire qu’il provoque sa charge à distance, le promeut en agitant un leurre devant ses yeux. « C’est certainement cet emploi qui demeure le plus fidèle au sens premier et essentiel de la citation » constate Antoine Compagnon25 ; c’est aussi le sens de la séduction. La séduction n’est ni plus ni moins qu’un leurre vers lequel se dirige l’être séduit. Tout comme la citation, elle entraîne et déplace. Et dans les deux cas, cela suppose de l’adhésion ; cela nécessite d’être vulnérable, en instance d’être séduit ; c’est se mettre en état d’être affecté, devenir poreux, s’ouvrir, s’abandonner, se perdre. Si, dans la séduction, il y a une forme de rapt, il y a nécessairement alors oubli de soi. Séduire, c’est donner confiance à l’autre et l’obtenir pour induire un mouvement en retour et ainsi obtenir que ce dernier revienne du soi de l’autre. Mais pour cela il faudra que le séducteur ait agi et touché.

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Le séducteur buzzatien

28 Le séducteur est un professionnel, un personnage dangereux qui a une idée derrière la tête, une stratégie, des moyens, des objectifs qu’il dissimule. Il dispose du séduisant pour arriver à ses fins et, notamment, il sait ce qu’il en est du désir de l’autre. À quelle catégorie appartient notre séducteur littéraire ? Plutôt débauché ou plutôt libertin ?

29 Le libertin au XVIIIe siècle est celui qui trompe, abuse de la crédulité de sa victime pour l’abandonner ensuite. Il est le cynique collectionneur, le trompeur destructeur tandis que le débauché est celui qui reconnaît la validité du code qu’il enfreint, la légitimité des règles qu’il transgresse et auxquelles il se soustrait parce qu’il a le sentiment de la légèreté de sa faute, de l’absence d’intention malveillante à l’encontre de l’autre, parce qu’il y a consentement mutuel. L’autre est le partenaire et non la victime ou l’objet passif.

30 Avec Poema a fumetti, Buzzati tire les ficelles, se joue des œuvres pour les recycler. Au moyen des citations, il manipule son lecteur et manipule la littérature, une littérature qui traite de la séduction mais, plus sûrement, une littérature qui a pour but la séduction. Le texte de Buzzati dit et ne dit pas ce qu’il est. Ses images citent et ne citent pas. Cette démarche est à rapprocher du sens originel de séduire, mener à l’écart et détourner. Buzzati nous ensorcelle, nous attire dans son réseau de références. Il nous détourne du sens du récit pour nous conduire sur d’autres voies en titillant notre désir de voir, de connaître et d’identifier. Il nous charme. En réalité, il est Orphée. Mais Orphée n’est-il pas l’archétype de l’artiste, et son mythe le symbole de la création ? Que cherche à nous donner Buzzati, si ce n’est l’origine même de l’œuvre, dans sa très grande fragilité parce qu’il sait qu’à tout moment, elle peut retourner dans la nuit. « Orphée ne chantait pas, il peignait » écrit Jean-Luc Marion26, et le peintre, ici, a le pouvoir de rendre visible ou plutôt de faire monter l’invisible.

NOTES

1. Cité par A. Donat-Cattin, « Le peintre », Cahiers Dino Buzzati, no 2, Paris, Laffont, 1978, p. 219. 2. Ibid., p. 216. 3. D. Buzzati, Romantica, 1924. Encre sur papier, 55 x 37, coll. privée ; Il Lampione, 1926. Tempera sur papier, 41 x 43, coll. privée ; Primo amore, 1930. Encre sur papier, 45 x 36, coll. privée. Toutes les dimensions des œuvres sont en centimètres. L’indication de la technique huile sur toile se simplifie en HT. 4. Poema a fumetti, Milan, A. Mondadori Editore, 1969, est composé de 224 planches, au départ dessinées à l’encre de chine sur un format de 30 x 40 cm puis colorées à la demande de l’éditeur. Publié en 1969, Buzzati obtint le prix Premio Paese Sera. L’édition consultée : Milan, Oscar Mondadori, 1991. 5. Ovide, Les Métamorphoses, Paris, les Belles lettres, 1991, X ; Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques, Paris, les Belles lettres, 1976, 1, 26-29 : « On conte qu’il avait charmé dans les montagnes les durs rochers et le cours des fleuves par la musique de ses chants. »

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6. Les Argonautiques orphiques, Paris, les Belles Lettres, 1987, 1284-1297 : « Tandis que je jouais de ma cithare, les Sirènes, depuis la cime de leur guette, furent prises de stupeur et mirent fin à leur chant. De leurs mains, elles lâchèrent, l’une les roseaux de la flûte et l’autre sa lyre. Elles poussèrent d’affreux gémissements, car le triste jour de leur mort, fixé par le destin, était arrivé. » 7. « Sì, ragazzo Orfi, ci hai abbastanza emozionati. SEI GIOVANE, MA HAI GIÀ CAPITO MOLTE COSE. Puoi passare. Puoi entrare. Ti sono concesse ventiquattro ore » (Poema a fumetti, p. 198). 8. D. Chevalier, Métaphysique du strip-tease, Paris, Pauvert, 1961. 9. Dino Buzzati réunit en 1968, les principaux acteurs de Poema a fumetti et les photographie à la manière des romans-photos. Il fixe les mimiques nécessaires pour ses futurs dessins. Une fois développées, les photographies sont recopiées ou décalquées. Voir Buzzati 1969: il laboratorio di «Poema a fumetti», Milan, Mazzota, 2002, p. 72. 10. Poema a fumetti, p. 105 et Vicki, l’héroïne de Éric Stanton dans Bound in leather, 1953 ; Poema a fumetti, p. 141 et la position en arc d’Elexus, héroïne d’Eneg, alias Gene Bilbrew dans Island of captive, 1953. 11. J.-C. Forest, Barbarella, Paris, le Terrain vague, 1964. 12. Batman, no 36, 23 juin 1968, Milan, A. Mondadori Editore ; Kriminal, no 5, décembre 1964, couverture de Luigi Corteggi, Milan, Editoriale Corno. 13. G. Crepax, Valentina, Milan, Libri edizioni, 1968. 14. A. Rackham, Les Monts Kaatskills ont toujours été hantés, 1904. Plume et aquarelle, 39 x 30, localisation inconnue ; illustration extraite de Rip Van Winkle (§ 7) de Washington Irving, 1905. 15. D. Buzzati, Urlo, 1967. Acrylique sur papier, 30 x 39, localisation inconnue ; Poema a fumetti, p. 33. Santa ingenuità, 1966. Acrylique sur toile, 100 x 65, coll. privée ; Poema a fumetti, p. 49. Il Visitatore del mattino, 1963. Technique et localisation inconnues ; Poema a fumetti, p. 173-175. 16. S. Dalì, Le Téléphone/Homard, 1936. Assemblage d’objets, 18 x 12 x 30, Edward James Foundation, en prêt à Rotterdam, Museum Boymans-van Beuningen ; L’Énigme de Hitler, 1939. HT, 95 x 141, Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia. 17. C. D. Friedrich, Abbaye dans un bois de chênes, vers 1809. HT, 110,40 x 171, Berlin, Nationalgalerie ; Collines et champs près de Dresde, 1824. Huile sur bois, 22,20 x 30,50, Hambourg, Kunsthalle. 18. H. Bellmer, Sans titre, 1962. Crayon à papier sur feuille quadrillée, 16,50 x 18, coll. privée ; Sans titre, 1965. Crayon à papier, 50 x 59, coll. privée. 19. M. Ray, La Marquise Casati, 1922. Positif argentique sur plaque de verre, 24 x 18, Paris, Musée national d’art moderne. 20. P. P. Pasolini, Teorema, 1968. Le cadrage des dessins de Buzzati ressemble au panoramique cinématographique sur la verrière et la trouée de lumière qui se déplace ensuite vers la droite, resserrant l’image sur les trains, à la fin du film. avec lequel Buzzati collabore en 1965 pour le scénario du film jamais réalisé, Il Viaggio di G. Mastorna, et avec lequel il invente cette image de trains à étages ressemblant à des villes sur rail. 21. E. Munch, La Madone, 1893. HT, 90 x 68, Oslo, Munch-Museet ; Le Cri, 1893. Huile, tempera et pastel sur carton, 84 x 67, Oslo, Munch-Museet. 22. G. De Chirico, Méditation automnale, 1912. HT, 55 x 70, coll. privée ; Gare Montparnasse (La Mélancolie du départ), 1914. HT, 140 x 184,50, New York, Museum of Modern Art. M. Sironi, Periferia (il tranvia e la gru), 1920. Huile sur papier entoilée, 98 x 72, Milan, coll. privée ; Compositione de architettonica urbana, 1923. HT, 58 x 80, Vérone, Galleria dello Scudo. 23. R. Lichtenstein, Drowning Girl, 1963, HT, 172,5 x 172,5, New York, Museum of Modern Art ; Andy Warhol, Superman, 1960, Acrylique sur toile, 170 x 133, coll. G. Such. 24. Le texte recèle de multiples références, il faudrait penser à Ovide, Dante, Lewis Carroll, Apollinaire, Tennessee Williams, sans oublier les nouvelles et romans de Buzzati. 25. A. Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979.

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26. J.-L. Marion, La Croisée du visible, Paris, La Différence, 1991.

AUTEUR

MURIEL BADET EHESS, Paris

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« Il seno nudo », ou Palomar et les derniers avatars de la scène de séduction

Anne Boulé-Basuyau

1 Chez un écrivain comme Italo Calvino qui, en quarante ans de production littéraire, n’a jamais choisi une femme pour protagoniste d’un de ses romans, et qui, en 1960, en repensant à l’époque de la rédaction du Sentiero dei nidi di ragno, déclarait déjà : « je n’étais pas intéressé – et peut-être n’ai-je guère changé depuis lors – par la psychologie, l’intériorité […]1 », on n’est guère surpris que le thème de la séduction, propice à l’introspection et à l’évocation des mouvements de l’âme, soit si peu présent dans son œuvre.

2 Les rares occasions où l’écrivain s’est inspiré de ce topos narratif n’en prennent que plus de relief, d’autant qu’elles sont l’un des lieux de l’expression de la « comicità » calvinienne. Parmi celles-ci, nous avons choisi d’analyser « Il seno nudo », publié par Calvino dès 1977 dans Il Corriere della Sera et repris en 1983 dans le recueil Palomar avec quelques modifications2.

3 Après avoir montré en quoi ce texte se rattache au thème romanesque de la séduction et comment Calvino se singularise dans son traitement, nous le mettrons en parallèle avec une production plus ancienne de l’auteur, dont il semble être le pendant moderne : le fameux épisode de l’« innamoramento » de Rambaldo, dans Il cavaliere inesistente. En mettant en évidence constantes et variantes, la lecture croisée des deux textes, produits à dix-huit ans d’intervalle, permettra de mieux saisir l’interprétation que Calvino propose de ce thème dans la deuxième moitié du XXe siècle.

La séduction dans « Il seno nudo »

4 Dominé par la figure du protagoniste, Palomar est une œuvre où les personnages féminins sont très rares. L’épouse de Palomar jardine à ses côtés dans « Il fischio del merlo » ; dans « La pancia del geco », tous deux observent l’animal qui a coutume, le

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soir, de venir se chauffer sur la vitre extérieure de leur vitrine ; dans aucun de ces deux microtextes, cette épouse n’apparaît comme un objet érotique. Dans « Gli amori delle tartarughe », Palomar épie l’accouplement de deux tortues mais, réduit à une lente poursuite de la femelle par le mâle puis à un frottement de deux carapaces, il n’éveille chez le protagoniste qu’une perplexité et une curiosité d’ordre scientifique. Seul « Il seno nudo », qui met en scène une jeune inconnue en monokini, introduit un personnage féminin dans sa dimension érotique, laquelle induit l’apparition du motif de la séduction.

5 Placé dans le premier chapitre des « Vacanze di Palomar », qui le situe « Sulla spiaggia », l’épisode succède à l’observation des vagues et précède celle des reflets du soleil couchant. Calvino y décline diverses réactions masculines face à la poitrine nue d’une femme, en fonction des préjugés de l’homme, de son respect pour la Femme, de son souci de discrétion, mais aussi en fonction de « l’air du temps », à une époque où la libération des mœurs – rappelons que le texte est publié la première fois en 1977 – commence à se traduire par l’abandon du soutien-gorge, en particulier sur les plages.

6 Comme l’explique l’écrivain dans le « mode de lecture » qu’il livre avant la table des matières, la numérotation qu’il a affectée à cet épisode indique que des éléments anthropologiques y sont présents et que le texte s’organise principalement sous la forme d’un récit. En effet, Palomar se promène sur la plage quand son attention est attirée par une femme qui prend le soleil, seins nus ; la question que se pose Palomar, « uomo discreto » troublé par cette vision, est de savoir quelle qualité de regard il convient d’adresser à cette nudité. Parce que la réponse est difficile, Palomar modifie le déroulement de sa promenade : il passe et repasse devant la jeune femme, au rythme de ses interrogations. Le texte s’organise en quatre parties qui correspondent aux quatre passages de l’homme devant elle, chacun d’eux se caractérisant par un certain type de regard. Du refus de voir initial3 – motivé par un profond respect pour la Femme –, Palomar passe, après deux étapes intermédiaires4, au regard délibérément appuyé de la fin, qui veut rendre ouvertement hommage à cet attribut de la féminité5. S’il y a quatre passages devant la femme, c’est-à-dire quatre types de regard, c’est parce qu’aucun ne le satisfait durablement. À chaque passage, le doute s’insinue quant à la légitimité du regard choisi, amenant le protagoniste à faire demi-tour pour expérimenter une autre façon de regarder cette poitrine, plus respectueuse – pense-t-il – de la personne, de son sexe : un regard en somme apparemment plus libre de préjugés que le précédent. Le texte est donc construit à partir d’un schéma très simple : adoption d’un type de regard / satisfaction passagère / doute sur la légitimité de ce regard. Le schéma est reproduit trois fois intégralement. Mais, lors du quatrième passage de Palomar, avant que le doute ne survienne de nouveau, la procédure est interrompue par l’objet même de l’observation, qui devient alors sujet agissant. « […] Lei si alza di scatto, si ricopre, sbuffa, s’allontana […] » : ce qui met un terme définitif aux interrogations de Palomar, à ses allées et venues et à l’épisode.

7 Deux inconnus de sexe opposé, quasiment seuls sur une plage : c’est une situation presque banale à partir de laquelle un écrivain peut aisément imaginer une entreprise de séduction. Du reste, puisque la promenade originellement linéaire se métamorphose en de brefs et répétitifs allers et retours6, et que « séduire » signifie étymologiquement « détourner du chemin », Palomar, littéralement aimanté par la jeune femme aux seins nus, est effectivement séduit par elle. Mais on a affaire à un curieux épisode de

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séduction, Calvino battant en brèche les principaux stéréotypes que véhicule ce thème en littérature.

8 Le topos de la séduction comme jeu à deux, opposant un gagnant – le séducteur conquérant (presque toujours de sexe masculin) – et un perdant – le plus souvent, la femme soumise à l’entreprise de séduction – est refusé par Calvino, et même inversé, dans « Il seno nudo » : ici, la séduction émane de la femme et c’est l’homme qui a le rôle passif du partenaire séduit. Mais il ne faut pas y voir pour autant une concession de la part de l’auteur aux revendications égalitaires de type féministe, vives en Italie à partir du milieu des années 19707, car cette femme, qui se croyait tranquille sur la plage isolée, n’a rien d’une conquérante, et la fin du texte confirme qu’elle se serait bien passée de l’intérêt que lui porte Palomar. Quant à celui-ci, absorbé par les cogitations où le plonge la vue de cette poitrine nue, il est loin de reconnaître le plaisir que cette vision a fait naître en lui et qui reste masqué par les opérations mentales auxquelles il s’adonne sans fin. Les différentes façons par lesquelles ce sein est nommé – « nuvola bronzeo-rosea », « ricolma luna di pelle più chiara », « cuspidi aureolate » – l’attestent : le recours à la métaphore et à un lexique recherché permet une mise à distance de l’objet érotique qui a éveillé la fascination masculine8. Dans « Il seno nudo », Calvino imagine donc une séduction d’un genre nouveau puisque, d’un côté, il n’y a pas intention de séduire et, de l’autre, pas de conscience d’être séduit.

9 On remarque également que le thème de la séduction, tout en occupant l’épisode entier, est réduit au moment appelé en littérature « scène de séduction » : il n’y a ni un avant (où serait évoqué l’état de manque dont souffrirait l’un des personnages, ou l’esprit de conquête chez un autre, les prédisposant respectivement à être séduit et à séduire), ni un après (constitué des suites psychologiques de la rencontre, du développement de la relation née de cette rencontre). Dans ce texte, le thème de la séduction s’exprime strictement dans le face à face momentané de deux inconnus. Encore qu’il soit même exagéré de parler de « face à face », les approches de Palomar étant plus latérales que frontales et la rencontre se réduisant plutôt au passage de l’un devant l’autre, sans que l’on sache, sauf dans les dernières lignes, ce qu’en pense précisément l’autre.

10 Cette autre a d’ailleurs une présence textuelle fort restreinte : il n’y a pas de description de la femme observée, alors que la « scène de première vue9 » est très souvent l’occasion d’un portrait féminin, y compris à travers le topos de la beauté indicible. Le corps de la jeune femme n’existe dans le texte de Calvino que de façon métonymique : par sa seule poitrine. Et celle-ci, pourtant vecteur de la séduction, n’est décrite que succinctement, à l’aide de qualificatifs génériques : « petto […] fresco e piacevole alla vista ».

11 On n’est guère surpris, dans ces conditions, de constater une autre infraction au déroulement de la scène de séduction classique : alors que le concept de séduction est lié à l’échange entre deux êtres qui pourraient devenir deux partenaires, pas un mot n’est prononcé dans « Il seno nudo ». Et, du moins jusqu’au dénouement, le regard ne semble qu’à sens unique : c’est celui de l’homme sur la femme. Bien qu’aucune réciprocité ne l’y encourage, Palomar continue imperturbablement ses allées et venues sous le nez de la jeune femme et son regard, selon la gradation déjà évoquée, se focalise de plus en plus sur cette poitrine. Dernier paradoxe, qui sert de conclusion abrupte à la scène de séduction : l’homme séduit est finalement pris pour un séducteur de bas étage, « un satiro » qui fait fuir la jeune femme.

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12 Par le traitement anti-conventionnel, en particulier anti-sentimental et anti- romanesque, qu’il inflige au thème de la séduction dans Palomar, Calvino se positionne de façon originale dans l’histoire de la littérature. Mais le détournement des stéréotypes liés au thème de la séduction, observé dans « Il seno nudo », n’est pas un cas unique dans son œuvre. Il existe un précédent à cette scène de séduction hors norme : l’épisode de l’« innamoramento » de Rambaldo au chapitre IV du Cavaliere inesistente.

Autre « scène de première vue »

13 Les différences entre les deux œuvres sont nombreuses : le dernier volume de la trilogie pseudo-historique est un court roman tissé de réminiscences littéraires, une parodie du genre chevaleresque, un texte riche en rebondissements et en personnages invraisemblables ; Palomar est au contraire un recueil de proses brèves empreintes de méditation, une œuvre de la maturité de l’écrivain, plus proche de l’essai que d’un véritable roman, dominée par un unique personnage proposé comme un alter ego de l’auteur. Mais, en dépit de ces différences, les passages qui nous intéressent, construits tous deux autour de la rencontre d’un homme et d’une femme, déclinent le thème de la séduction selon des modalités comparables.

14 Les situations initiales sont très proches en ce qu’elles mettent en scène une femme épiée par un homme dans un moment d’intimité : l’héroïne du roman de 1959 est en train d’uriner, la jeune femme des années 1970 prend le soleil sur la plage. Dans les deux cas, l’homme, métamorphosé en voyeur, est confronté à une semi-nudité féminine. D’un roman à l’autre, Calvino inverse simplement la partie dénudée : partie inférieure du corps pour la guerrière du temps de Charlemagne, partie supérieure pour la femme du XXe siècle. Réduite à l’un de ses attributs sexuels, la femme devient un objet d’observation ô combien troublant, même si ce trouble s’exprime de façon différente dans les deux romans. Le jeune Rambaldo, envahi par la stupéfaction et l’émotion, est immédiatement séduit : « Ne fu tosto innamorato » ; tandis que Palomar, homme d’âge mûr et marié de surcroît, veut ignorer ce trouble et se réfugie dans ses cogitations. En un premier temps inconsciente du regard du bachelier, la guerrière est – comme la jeune femme moderne dont elle partage l’anonymat – une séductrice involontaire. Les deux épisodes mettent donc en scène le même décalage entre le désir masculin, éveillé par le spectacle d’une femme séductrice malgré elle, et la réalité : l’unilatéralité de ce désir.

15 Les deux scènes connaissent la même issue immédiate : la femme, enfin consciente du regard indiscret de l’homme et de son désir, s’éloigne, exaspérée. La réaction de la guerrière – « tratto dalla cintola un pugnale glielo tirò contro » –, liée à sa pratique virile des armes, préfigure sur un mode exacerbé la réaction de la baigneuse, limitée, en ces temps moins belliqueux, à quelques « scrollate infastidite delle spalle ». Ainsi toutes deux rompent-elles brutalement la fascination masculine en laissant sur le terrain, respectivement, un Rambaldo « vergognoso » et un Palomar amer de ne pas avoir été compris : dans les deux cas, un homme frustré.

16 En somme, bien que les deux romans diffèrent de façon flagrante, on est frappé par les constantes qui se dégagent de l’examen des deux textes. La scène de première vue semble avoir été conçue dans « Il seno nudo » comme une sorte de pendant de celle du

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chapitre IV du roman de 1959, puisqu’elle en reprend, dix-huit ans plus tard, les traits essentiels : le schéma de ces deux scènes de séduction est le même, le rapport homme/ femme est similaire, l’issue identique et le traitement est humoristique dans les deux cas. Toutefois, le comique, capital dans les deux épisodes, fonctionne de façon très différente.

Le comique dans les scènes de séduction

17 On ne doit guère être surpris que la « comicità » calvinienne s’exprime dans ces scènes de séduction. Déjà en 1969, dans « Il sesso e il riso », l’écrivain rappelait « […] le lien profond, au niveau anthropologique, entre le sexe et le rire ». Les deux épisodes l’illustrent bien, tout en exploitant des formes de comique dissemblables.

18 Dans le passage du Cavaliere, le sourire du lecteur naît du cumul de divers procédés. Le comique de cet épisode où est révélée abruptement l’identité féminine de l’inconnu et qui, de ce fait, peut se métamorphoser en scène de séduction, résulte du décalage entre un registre soutenu et la trivialité de la situation narrée, ainsi que du détournement de plusieurs hypotextes10. Le dévoilement de la féminité du sauveur s’inspire de la scène du double coup de foudre, au Livre III de l’Orlando innamorato (Chant V). Calvino reprend la situation centrée sur la guerrière, mais en inversant les termes de la situation : Roger est remplacé par Rambaldo, le retrait du casque par celui de la partie inférieure de l’armure, et le dévoilement volontaire de Bradamante par un exercice de voyeurisme masculin. C’est en fait la situation littéraire traditionnelle qui est parodiée, la contemplation du visage féminin y étant remplacée par la vision volée de la moitié inférieure dénudée du corps féminin. La conclusion de l’épisode, « Rambaldo ne fu tosto innamorato », couronne cette scène de parodie comique : Rambaldo est séduit, et même conquis, comme l’avait été Roger, mais au terme d’une libre transposition des étapes intermédiaires, où la miction apparaît comme un élément fonctionnel inédit d’une scène de séduction d’un genre nouveau11.

19 Dans le volume Palomar, qui met en scène l’homme contemporain, les effets comiques de décalage entre la matière narrée et le registre de langue étant plus limités, Calvino s’en remet à d’autres procédés. Dans ce recueil à la structure sérielle, « Il seno nudo » est lui-même construit de façon sérielle, ce qui engendre un comique de répétition. Les choix lexicaux et rhétoriques concourent eux aussi au sourire du lecteur : l’oxymore « reggipetto mentale » génère un évident comique de mots. La chute de l’épisode où l’homme, convaincu de sa discrétion, est pourtant comparé à un satyre, relève du phénomène humoristique baptisé par certains critiques « malice des objets ». Il désigne tout ce qui s’oppose à la volonté de savoir et de comprendre du sujet : caractère insaisissable des vagues, foule de touristes japonais qui fait obstacle à sa méditation, etc. Ici, la « malice des objets », ce sont les préjugés contre lesquels Palomar essaye de lutter, pour rendre au sein sa dignité ; c’est aussi la réaction de la femme, objet de l’observation, qui brusquement se rebelle en se méprenant sur les « intenzioni più illuminate » de Palomar. Ce sont en somme les préjugés de la femme conjugués à ceux du protagoniste. Enfin, on ne peut manquer de sourire de l’écho franciscain de l’antépénultième paragraphe : « Il suo sguardo […] s’affretterà a coinvolgerlo [il seno] in uno slancio di benevolenza e gratitudine per il tutto, per il sole e il cielo, per i pini ricurvi e la duna e l’arena e gli scogli e le nuvole e le alghe, per il cosmo che ruota intorno a quelle cuspidi aureolate ». Le cantique de saint François, « Laudes

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creaturarum », y est humoristiquement détourné : l’amour pour toutes les choses finit par englober cette poitrine nue qui, sacralisée par la métaphore des « cuspidi aureolate », devient même le nouveau centre du cosmos, se substituant en cela à l’« altissimu, onnipotente, bon Signore » à qui François rendait hommage dès le premier vers. Après cette évocation de l’amour universel, envolée poétique d’un Palomar heureux d’avoir enfin trouvé le bon regard, la chute n’en est que plus dure : l’homme pétri de poésie primitive est rabaissé au rang de satyre importun.

Fonctions de la scène de séduction

20 Si, dans chacun des deux passages, la scène de séduction est l’occasion de faire sourire le lecteur, sa fonction, au niveau du livre, ne se limite évidemment pas à cela. Dans Il cavaliere, l’amour, né dans le cœur de Rambaldo au cours de cet épisode, introduit un élément dynamique dans le récit, réactive le binôme topique de la littérature chevaleresque « l’arme, gli amori », dont Calvino donne cette interprétation personnelle : « La guerra la combatti bene soltanto dove tra le punte delle lance intravedi una bocca di donna, e tutto, le ferite il polverone l’odore dei cavalli, non ha sapore che di quel sorriso » (chap. VII). Outre le plaisir jubilatoire qu’elle procure au lecteur averti, et qui tient à la connivence que suppose tout jeu d’hypertextualité, la scène de séduction est donc également fonctionnelle au niveau de la trame, puisqu’elle transforme le jeune héros, lui donne un but – se faire aimer de la belle guerrière –, ce qui l’implique dans une série de quêtes et de poursuites qui déboucheront sur la réciprocité de cet amour. La scène de première vue du chapitre IV, qui s’était conclue par le geste de colère et la fuite de la jeune femme, connaît en fait une seconde issue, issue retardée mais heureuse : au chapitre XII, Bradamante, enfin convaincue de la valeur et de l’amour du jeune Rambaldo, s’abandonne elle aussi à cette passion et l’avenir s’ouvre à eux.

21 Nulle réciprocité en revanche dans « Il seno nudo », pas de « lieto fine » à l’« aventure » de Palomar sur la plage, qui reste purement visuelle et cérébrale et se clôt dans les limites exactes du microtexte. Loin d’apporter un regain de vitalité au protagoniste et d’entraîner des conséquences sentimentales sur son quotidien d’homme d’âge mûr et déjà marié, la scène de séduction est un épisode visant à accroître son isolement. Elle consacre l’échec de la tentative de communication par le regard12 et la faillite de toute volonté de compréhension mutuelle. Il n’y a pas de partage possible dans l’univers de Palomar, encore moins de communion entre les êtres.

22 Naturellement, lorsque le texte fut publié pour la première fois, en page 1 du Corriere della Sera du 2 août 1977, sous la rubrique « Si diffonde, anche se fioccano le denunce, la moda del bikini », l’épisode avait une valeur et une fonction autres. En page 2 du même quotidien, dans un article intitulé « Operazione-lampo della polizia a Cesenatico. Denunciate cinque ragazze con il monokini », Vittorio Monti racontait sur un mode plaisant les récentes mésaventures de cinq belles Italiennes surprises seins nus sur une plage romagnole et dûment verbalisées par les représentants de la force publique, eux- mêmes en maillot de bain. Le récit de cette « […] retata in difesa della pubblica decenza » permettait au journaliste de rappeler les sanctions pénales encourues. Le lecteur pouvait s’attendre à ce que l’article de Calvino, publié dans ce contexte, c’est-à- dire dans les pages de ce même numéro du Corriere della Sera, présente le point de vue de l’intellectuel sur ce nouveau fait de société. Mais dans « Un uomo e un seno

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all’orizzonte », l’intérêt de Calvino se porte sur l’effet produit par une poitrine dénudée sur celui qui la regarde. Au lieu de se positionner explicitement face à ce problème de société qui déchaîne à l’époque les passions, l’écrivain invente une petite nouvelle mettant en scène « una giovane donna […] distesa sull’arena […] a seno nudo » et un « uomo, persona civile e discreta » ; à travers le trouble et les interrogations du personnage masculin, Calvino invite le lecteur du quotidien à réfléchir plus en profondeur sur ce phénomène13, tout en lui offrant, grâce au ton et à la chute du texte, une occasion de s’amuser en lisant – chose appréciable en pleines vacances d’été. Sous un abord divertissant, la petite fiction imaginée par Calvino est la réponse à la fois posée et spirituelle de l’intellectuel à l’excessive effervescence suscitée par ce problème de société14.

23 Lorsque, six ans plus tard, ce récit, à peine remanié au plan de l’écriture mais profondément transformé par l’introduction de « Palomar » (qui remplace désormais l’inconnu de 1977), rejoint les autres articles publiés au cours des années précédentes, pour s’organiser en recueil, l’épisode prend une autre valeur et une autre résonance. L’évolution des mœurs dont témoignait l’article, en mettant en scène une femme désireuse de disposer de son corps comme bon lui semble, ne paraît plus représenter l’essentiel du microtexte, son noyau, mais plutôt une sorte d’arrière-fond, comme ailleurs dans le livre la terrasse ou le zoo, qui sont simplement les éléments d’un décor où se déroule la série des « aventures » de Palomar. La contextualisation nouvelle de l’épisode, désormais inséré dans un livre qui constitue un projet et un enjeu intellectuel tout autre, fait que le microtexte, naturellement toujours centré sur la scène de séduction, acquiert un autre sens : il devient une étape dans le processus d’anéantissement progressif du protagoniste : pris pour un satyre à la fin de « Il seno nudo », Palomar est ensuite considéré comme « demente » par la petite foule qui l’observe avec perplexité dans la conclusion de « La contemplazione delle stelle », puis comme « debol[e] di mente » par les clients de la fromagerie dans les dernières lignes du « Museo dei formaggi ». « Il seno nudo » et sa scène de séduction contribuent en fait à l’entreprise de négation systématique des efforts du protagoniste pour comprendre le monde qui l’entoure et y trouver sa place. En écrivant que « Chaque microtexte coïncide […] avec l’étape d’un voyage vers le vide15 », Claudio Milanini a exprimé fort efficacement la progression de Palomar vers le néant. Au fil des microtextes, de façon plus sensible dans la troisième partie intitulée « I silenzi di Palomar », le dénouement se dessine peu à peu, inévitable : l’explicit « In quel momento muore », on ne peut plus laconique, sanctionne définitivement la vanité des tentatives cognitives du protagoniste en mettant un terme à la reproduction sérielle de ses aventures.

24 L’évolution entre les scènes de séduction des deux œuvres, pour ce qui concerne l’image et le destin de leur protagoniste masculin respectif et la représentation des rapports entre homme et femme, témoigne d’un pessimisme croissant de la part de l’écrivain, on l’aura compris. Au début du Cavaliere inesistente, Rambaldo était certes inférieur, dans le domaine du maniement des armes, au personnage féminin doté de vertus militaires au contraire très affirmées ; on peut y voir du reste une interprétation calvinienne de la crise de la virilité observée dans la littérature européenne depuis le xixe siècle. Mais le jeune héros, au terme du roman, n’en finissait pas moins par conquérir Bradamante à force de ténacité et de constance : l’homme retrouvait ainsi un statut de digne partenaire16 .

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25 Dans Palomar, l’évolution des mœurs qui sert de toile de fond au microtexte n’est qu’une illusion de progrès : elle ne conduit pas, dans la situation décrite sur la plage, à une plus grande harmonie entre les êtres de sexes différents. Les préjugés sortent au contraire renforcés de cette scène de première vue, le fossé entre les sexes est confirmé, la solitude de Palomar plus évidente et plus inéluctable. Ce dernier avatar de la scène de séduction, déclinée sur un mode qui déçoit toute attente sentimentale chez le lecteur, participe de la destruction du romanesque et, concrètement, du personnage masculin dans l’œuvre de Calvino. Dans cet épisode de son dernier « roman », l’écrivain consacre l’inévitable infériorité de l’homme, face à une femme qui, en refusant son regard et en quittant les lieux, décide tout bonnement de se passer de lui. Cette fin, que l’on peut qualifier de castratrice, préfigure la « vraie » mort du personnage fictif à la fin du livre. Ultime incursion de Calvino dans l’univers littéraire de la séduction, « Il seno nudo » achève de façon emblématique son itinéraire toujours prudent au pays d’Eros.

NOTES

1. Dans « Postfazione ai Nostri antenati. (Nota 1960) ». Comme l’analyse D. Ferraris, « très tôt […] l’ennemi à combattre a pu être clairement désigné sous un vocable simple : l’émotion » (« Italo Calvino : l’Ordre et la Chair », Revue des Études italiennes, tome 47, nos 3-4, juillet-décembre 2001, p. 213). 2. Le texte paraît en 1e page du Corriere della sera du 2 août 1977, sous le titre originel : « Un uomo e un seno nudo all’orizzonte ». La version publiée dans le volume Palomar échange le protagoniste anonyme, « un uomo », contre Palomar et le titre se réduit désormais au seul syntagme « Il seno nudo ». 3. « Palomar, uomo discreto, volge lo sguardo all’orizzonte marino ». 4. Lors de ces deux nouveaux passages, Palomar décide d’« effleurer » le sein de son regard : le regard embrasse tout d’abord indifféremment tous les éléments du paysage, y compris cette poitrine ; puis, la fois suivante, parce qu’il sent qu’il doit montrer qu’il reconnaît le statut particulier de ce sein, Palomar salue par « uno scarto, quasi un guizzo » l’entrée de la poitrine dans son champ visuel. 5. « Ora il suo sguardo […] si soffermerà sul seno con uno speciale riguardo. » 6. Chacune des quatre parties s’ouvre précisément par un verbe de mouvement : « cammina », « Ritornando/ripassa », « Si volta e ritorna », « Fa dietro-front ». 7. Rappelons que la première grande manifestation du mouvement féministe en Italie eut lieu à Rome en décembre 1975 ; elle rassembla environ 20 000 participants. La même année, le Movimento di liberazione delle donne italiane recueillit 800 000 signatures pour l’organisation d’un référendum sur l’avortement. 8. Ce phénomène relève de la mise à distance que D. Ferraris décèle dans tout l’œuvre de Calvino et qu’il relie au besoin de maîtrise du monde par l’écrivain, « […] une mise à distance de toute matière susceptible d’être un objet de représentation artistique ou littéraire, à commencer par les pulsions et désirs humains qui constituent par excellence le danger du dérèglement majeur » (art. cité, p. 218). 9. L’expression dérive du titre de l’excellent essai de Jean Rousset, Leurs yeux se rencontrèrent. La scène de première vue dans le roman, Paris, José Corti, 1984.

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10. Sur les sources dont Calvino s’est inspiré pour ce roman, voir notre article : « Calvino et la littérature chevaleresque : Pulci, Boiardo, l’Arioste et les autres… dans Il cavaliere inesistente », dans Diffusion et réception du genre chevaleresque, Presses de l’université de Toulouse-Le Mirail, Collection « l’ÉCRIT », no 10, 2005, p. 269-293. 11. Si la fin insolite de cette scène de séduction, suivie de rapides ablutions, n’est inspirée par aucun texte antérieur, elle sert en revanche quelques années plus tard d’hypotexte à Calvino lui- même, qui la transpose, en un style un peu moins élevé, dans le chapitre « Storia del guerriero sconosciuto » de La taverna dei destini incrociati. Mais dans cette nouvelle version, où l’on retrouve pourtant, plus directement, l’influence de Boiardo, dans la chevelure libérée par le retrait du heaume, le chevalier-voyeur ne s’abandonne pas à la contemplation de la féminité révélée du guerrier inconnu – en somme, l’épisode ne tourne pas à la scène de séduction : l’homme, furieux d’avoir été défait par une femme, lui vole son épée et prend la fuite. 12. Ailleurs dans le livre, c’est l’échec de la communication verbale qui est le plus souvent illustré. 13. V. Spinazzola rappelle, à propos de l’implication de Calvino face à des sujets d’actualité, sa « […] predilezione insistita per la stesura del bilancio di una somma di dati d’esperienza, a suffragio della volontà di giungere a un chiarimento concettuale e valutativo spassionato » (« L’io diviso di Italo Calvino », dans Italo Calvino. Atti del convegno internazionale (Firenze, 26-28 febbraio 1987), ouvrage collectif, édition établie par G. Falaschi, Milan, Garzanti, 1988, p. 110). Car la mission de l’intellectuel, selon Calvino, n’est pas d’imposer des solutions ou des vérités toutes faites, mais de guider le lecteur dans l’ardu décodage de la réalité complexe qui l’entoure. 14. Comme l’écrit encore Spinazzola, « Le manifestazioni di novità, le infatuazioni o nevrosi collettive eccitavano in lui una risposta di pacatezza, come di chi bada a capire e far capire, ossia aiuta i lettori a superare gli stati emotivi per orientarsi equilibratamente nella realtà » (ouvr. cité, p. 109). 15. C. Milanini, L’utopia discontinua, Milan, Garzanti, 1990, p. 173. 16. Cette sorte de réhabilitation du personnage dans le domaine érotique, précédée de sa réhabilitation dans le métier des armes, contribue à faire de Rambaldo le protagoniste de l’œuvre ; le jeune homme vole en effet ce statut au personnage éponyme du roman qui, malgré sa volonté à exister, ne peut, par exemple, satisfaire les exigences sexuelles de la belle Priscilla au chapitre VIII, si ce n’est, faute de mieux, par les artifices d’un discours érotique remplaçant les actes par les mots.

AUTEUR

ANNE BOULÉ-BASUYAU Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris 3

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La séduction du mystère chez Moravia. La donna leopardo : voyage en Afrique, de la possession à la contemplation

Maryline Maigron

1 Dans l’œuvre d’Alberto Moravia, la séduction revêt deux formes principales : la séduction exercée par la femme et celle exercée par l’Afrique. Dans les deux cas, c’est la dimension mystérieuse, de la femme ou de l’Afrique, qui attire le personnage masculin des romans ou le voyageur Moravia. Et c’est un mystère que Moravia et ses personnages masculins n’auront de cesse de sonder1, en vain, de livre de voyage en roman. Car le mystère résiste. Et c’est justement cette résistance qui provoque l’égarement du personnage masculin, comme celui du voyageur, de sorte que le mot séduction convient parfaitement pour définir l’attirance que le mystère suscite. L’intérêt de Moravia pour le mystère féminin se manifeste, en particulier, à travers son attention pour le couple qui remonte à 1949, année de la parution de L’amore coniugale, et ne cessera jamais. Rappelons les principales étapes romanesques de cette longue radiographie littéraire du couple : Il disprezzo paru en 1954, La noia en 1960, L’uomo che guarda en 1985. L’amour de l’Afrique commence au début des années soixante et donnera naissance à trois livres de voyages : A quale tribù appartieni? paru en 1972, Lettere dal Sahara, paru en 1981 et Passeggiate africane, en 1987. Dans les années quatre-vingt, la séduction du mystère devient un motif dominant, presque obsessionnel, exploré dans différents récits, pièces de théâtre et qui aboutira, à la fin de la décennie, à l’écriture de La donna leopardo, roman paru posthume en 1991. C’est à travers ce roman que nous voudrions analyser la séduction du mystère féminin. Au moment de l’écriture de La donna leopardo, Moravia se sert de sa propre attirance pour l’Afrique pour mieux comprendre l’attirance exercée par la femme sur son personnage masculin. L’Afrique joue donc un rôle essentiel dans le roman : elle ne sert pas, pour le couple qui s’y rend en voyage, de destination exotique et de décor, mais de révélateur2. Il convient donc, pour bien comprendre l’originalité de La donna leopardo, de comparer les personnages du roman avec ceux des

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romans précédents, et de mettre en rapport l’œuvre de fiction de Moravia avec son œuvre de voyage. Nous montrerons que, grâce à l’Afrique, non seulement Moravia invente une forme nouvelle de représentation du mystère féminin mais qu’il trouve enfin, pour ses personnages, une forme accomplie de l’amour.

2 Depuis L’amore coniugale, Moravia s’intéresse au même couple. En effet, le couple principal de La donna leopardo présente les mêmes caractéristiques que les autres couples moraviens. C’est un couple fixe : Lorenzo et Nora sont mariés depuis deux ans ; c’est un couple sans enfants : ce n’est donc pas, pour Moravia, une famille (constituée pour lui, le plus souvent, d’un parent, ou de deux, et d’enfants). Comme toujours, Moravia s’intéresse principalement au couple fixe mais il considère d’autres relations entre hommes et femmes et, dans ce dernier roman, les situations sont variées puisqu’au couple principal s’ajoute un autre couple fixe, constitué par Colli et par sa femme Ada qui entretiennent des relations croisées avec le couple principal (à savoir Nora avec Colli et Ada avec Lorenzo), relations que pour l’instant nous ne définirons pas. Comme dans les autres romans, l’attention de l’auteur se concentre sur le personnage masculin et le point de vue sur le couple est principalement le sien, bien que, dans La donna leopardo, la première personne du singulier soit abandonnée au profit de la troisième personne. Le personnage masculin est toujours un bourgeois et un intellectuel mais, nous le verrons, le statut de la femme a changé. Ce qui est observé par l’homme est sa femme et ce qui, en elle, le séduit. Cependant, dans La donna leopardo, se fait jour une réflexion sur la relation à l’intérieur du couple. La singularité principale de La donna leopardo, par rapport aux romans et récits précédents, est que Moravia soumet le couple à une réalité nouvelle, celle de l’Afrique. Les deux couples partent en voyage au Gabon et, comme le dit Nora à Lorenzo avant leur départ, c’est à cause de l’Afrique3 qu’il leur arrivera quelque chose pendant ce voyage. Si la réalité africaine est nouvelle pour le couple que Moravia observe depuis quarante ans, elle ne l’est pas pour l’auteur qui voyage depuis trente ans en Afrique, c’est donc pour Moravia une réalité déjà intériorisée et médiatisée par son regard de voyageur et par sa plume d’écrivain.

3 Partons du couple principal formé par Lorenzo et Nora et observons ce qui a séduit Lorenzo. Voici le récit de leur première rencontre : Era andata così: all’università lui aveva fatto una conferenza sul mestiere del giornalista e alla fine aveva presentato una sua raccolta di articoli di viaggio. Dalla tribuna sulla quale stava la cattedra aveva subito notato una ragazza seduta in prima fila. Pareva un ragazzo per via dei capelli biondi tagliati cortissimi in modo da formare come un casco d’oro intorno al volto dai tratti smussati, efebici, quasi maschili. Poi, durante la conferenza, aveva notato altri particolari: gli occhi della ragazza dalla testa d’oro erano di un azzurro risplendente ma ansiosamente fissi e come privi di sguardo. Questi occhi insieme con la forma del volto stretto alle tempie e largo alla mascella davano alla faccia un aspetto che si poteva facilmente chiamare felino. Sì, aveva pensato Lorenzo, la ragazza seduta in prima fila aveva qualche cosa del gatto e anche di un felino più grosso, la pantera o il leopardo. Aveva appena fatto questo paragone che si era accorto quasi con paura che adesso, invicibilmente, non parlava più per il pubblico ma per la ragazza dalla testa d’oro. (p. 113-114)

4 C’est la félinité de Nora qui a séduit Lorenzo. Observons cet aspect. Il convient, tout d’abord, de situer le passage dans l’ordre du récit. Cette évocation est faite par Lorenzo alors que le couple se trouve déjà en Afrique et, surtout, après le récit d’une autre rencontre singulière. Un soir, dans l’obscurité de la forêt gabonaise, Lorenzo aperçoit

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les yeux d’un félin et pense aux « yeux de Nora » (p. 108). C’est la vision du félin qui provoque le récit de la première rencontre. La ressemblance entre Nora et le félin ne se limite pas à une certaine similitude physionomique, elle se concentre sur la singularité de leurs yeux. Voici la description des yeux du léopard : « Erano certamente due occhi ma avevano la singolare proprietà di risplendere e al tempo stesso di non guardare » (p. 108). L’analogie entre Nora et le félin se fonde sur une caractéristique commune : leurs yeux ont la particularité de briller, ils attirent donc le regard, mais sont eux- mêmes sans regard. Moravia imagine la félinité de Nora comme forme nouvelle de représentation du mystère féminin. Il procède ici comme dans son roman La noia où il utilisait la tautologie pour représenter le mystère de Cecilia. En effet, par son langage, caractérisé par l’utilisation de la tautologie, Cecilia ne se révèle pas, elle se dérobe. Ce qu’elle dit est inconditionnellement vrai, on ne peut donc pas dire qu’elle ment. Mais quelle vérité révèle-t-elle, elle qui ne dit rien ? Il en va de même pour les yeux de Nora et du félin : ils ne révèlent rien. Comme Cecilia, Nora et le félin conservent leur mystère.

5 Il convient de se demander, à ce point de notre analyse, pour quelle raison Moravia choisit la félinité comme nouvelle représentation du mystère féminin. La félinité ne correspond pas seulement à l’animalité, une notion souvent utilisée par Moravia pour parler de ses personnages féminins, comme par exemple d’Emilia dans Il disprezzo4. La félinité de Nora est une animalité liée à l’Afrique. C’est la connaissance des livres et récits des voyages de Moravia en Afrique qui permet de répondre à notre interrogation. Pour l’écrivain voyageur5, la nature africaine est tout entière impénétrable. L’adjectif mystérieux est celui qui définit le plus souvent le paysage africain dans les trois livres de voyages en Afrique, et c’est ce mystère qui séduit le voyageur. Le léopard, évoqué dans La donna leopardo, représente l’Afrique telle que Moravia la perçoit et telle qu’elle apparaît dans ses livres et récits de voyage : c’est donc un félin chargé de la caractéristique principale de la nature africaine, à savoir son opacité. Moravia a compris, en Afrique, que ce qui rapprochait la femme de la nature, était leur incompréhensibilité justement. Dans La donna leopardo, le mystère de Nora se nourrit de l’Afrique. Dans l’œuvre de Moravia, le mystère de la femme est toujours ce qui attire le personnage masculin des romans ou des nouvelles. Dès L’amore coniugale, Silvio parle du mystère de sa femme mais, pour le définir, il le compare au mystère de la religion6. Le mystère est représenté seulement deux fois : dans La noia, par la tautologie, et dans La donna leopardo, par la félinité.

6 Observons le mystère de Nora en le comparant à celui des personnages féminins qui l’ont « précédée », pour mieux comprendre quel type de séduction il opère sur le personnage masculin et quelles manifestations du désir il entraîne.

7 Si ce qui est mystérieux est ce que l’on cache, ce n’est pas son sexe que Nora semble vouloir cacher. Au contraire, elle l’exhibe dès sa première rencontre avec Lorenzo. Nora est décrite avec « le ginocchia largamente divaricate, la gonna risalita in su, verso il ventre » (p. 114). Dans la mesure où son acte est public, Nora bouleverse les conventions sociales. Certes, l’auditoire de la conférence de Lorenzo n’est pas mentionné (le message de Nora s’adresse à Lorenzo), mais il n’en est pas moins là. Il apparaît donc que le mystère de Nora n’est pas lié à une inhibition, puisqu’elle veut faire entrer dans la réalité quelque chose qui est de l’ordre du fantasme. L’absence de retenue de Nora (liée à l’évolution des mœurs) rappelle celle de Cecilia : bien que retenue sur le plan verbal, à cause de son langage caractérisé par la tautologie, Cecilia

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ne l’était pas dans l’amour physique. Cependant, Lorenzo ne voit pas ce que Nora offre à sa vue : « Tra le magre cosce maschili l’oggetto sessuale che lei aveva inteso mostrare non era visibile » (p. 114). Le but de cette exhibition manquée n’est pas de provoquer une vision différée (même si la vision a effectivement lieu plus tard, lorsque le rapport de Nora et de Lorenzo devient un rapport amoureux complet). Moravia ne nous paraît pas représenter, ici, un mystère érotique. D’autre part, si Nora manque son objet, elle atteint quand même son but et provoque un trouble. Si Lorenzo ne voit pas, ce n’est pas parce qu’il n’y a rien à voir. C’est parce que ce qui est montré est inconnaissable. Telle est la félinité de Nora, c’est-à-dire sa ressemblance avec la réalité africaine. Pour Lorenzo, le sexe reste donc, bien que montré avec ostentation par Nora, mystérieux.

8 L’exhibition de Nora nous met sur la voie d’une autre dimension de son mystère. Nora n’est pas aliénée comme Cecilia : elle a conscience de son mystère et le revendique. Cet aspect est essentiel. Lorsque Lorenzo lui confie qu’en voyant les yeux du léopard, il a pensé à ses yeux à elle, Nora répond : « Ma si capisce, sono la donna leopardo, soltanto che io so di esserlo » (p. 111). Moravia situe clairement son personnage féminin – mais moi, je sais, dit-elle, soulignant ainsi que les autres personnages féminins n’avaient pas conscience de leur mystère – dans la lignée de toutes les femmes qu’il a imaginées précédemment, pour signifier combien elle est différente. Nora n’est pas une femme présentée comme dépendante financièrement de son mari, comme l’était Emilia dans Il disprezzo. C’est le premier personnage féminin de roman (dans les nouvelles ou pièces de théâtre des années quatre-vingt, il y en a d’autres, comme Vittoria de La cintura) qui est une intellectuelle : elle a fait des études, et a rencontré Lorenzo à cette occasion. Son mystère renvoie donc, également, à une liberté de nature sociale et économique. Ainsi est-il à l’opposé de celui de Cecilia. Cette dimension est liée bien sûr à l’évolution du statut de la femme dans la société italienne, mais elle illustre aussi la position nouvelle que Moravia veut faire occuper à la femme dans le couple.

9 La liberté de Nora apparaît bien en observant les circonstances de son départ en Afrique. Le roman s’ouvre sur l’incertitude de Nora quant à sa participation au voyage. Lorenzo doit partir avec Colli, qui est le propriétaire du journal auquel il collabore, et insiste pour que Nora parte également. La première raison de l’hésitation de Nora est liée à l’Afrique : « L’Africa è il luogo appunto in cui me la sentirei di fare qualsiasi cosa » (p. 9), dit-elle. Nora pressent que l’Afrique influera sur son mystère, et c’est ce qui se produit. Le pressentiment de Nora n’est pas seulement un artifice littéraire permettant à l’écrivain de préparer ce qui va advenir. Ce pressentiment introduit la nature du rapport entre le personnage féminin (et donc la femme) et l’Afrique. La proximité plus grande de la femme par rapport à la nature (toujours soulignée par Moravia) fait pressentir à Nora que la nature africaine, qui domine les êtres humains, donnera vigueur à sa propre animalité (qui devient félinité). L’Afrique rendra donc son mystère plus insondable. La deuxième raison de l’hésitation de Nora est liée à la présence de Colli. Voici ce que Nora dit à Lorenzo, avant leur voyage, à propos de Colli : « Appena l’ho visto ho provato il presentimento che tra me e lui avrebbe potuto esserci qualche cosa come una simpatia o meglio diciamolo pure un interesse, ecco, un interesse di me per lui e di lui per me » (p. 11). Nora ne veut pas aller au Gabon pour ne pas être soumise, par son mari, à la situation de l’adultère bourgeois, situation qui est celle d’Emilia dans Il disprezzo. Finalement, Nora partira en Afrique, convaincue par Colli. C’est dans cette décision que le mystère de Nora apparaît. En effet, en prenant sa décision malgré le pressentiment qu’elle a clairement exprimé à son mari, Nora marque son indépendance vis-à-vis de lui, une indépendance absente chez Emilia qui subit

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l’adultère à cause de son aliénation économique. Nora revendique son mystère dans sa relation avec Colli. En effet, c’est une relation dont ni Lorenzo, ni Ada, ni, bien sûr, le lecteur ne sauront jamais rien. Mais il ne s’agit pas du même type de secret que celui de l’adultère bourgeois (sur lequel nous reviendrons plus avant), basé sur la tromperie et le mensonge. Nora ne se cache pas, elle revendique la liberté de ne pas montrer, si elle le désire. Ce qui est différent. Il s’agit d’un secret qui doit rester insondable.

10 Et d’ailleurs, à la fin du roman, Colli meurt en emportant avec lui le secret de Nora. Elle reste donc seule avec son secret. Cette solitude finale est essentielle. En effet, que ce soit l’homme qui perçoive la dimension mystérieuse de la femme (c’est-à-dire de sa femme, puisque nous parlons du couple) ne signifie pas que ce soit lui qui la lui confère. Certes, l’homme perçoit cette dimension mystérieuse à cause de son désir. Dans La donna leopardo, le rapport de Lorenzo avec Ada le montre bien : Lorenzo n’a pas d’attirance pour elle et celle-ci est pour lui toujours prévisible. De plus, pour Lorenzo, le mystère de Nora est lié à la présence d’un autre homme, et donc à la jalousie. Cependant, Nora possède cette qualité en dehors du regard et du désir des personnages masculins. Ainsi, Nora veut-elle mettre Lorenzo à l’épreuve de sa liberté, en le soumettant à son mystère.

11 Si le mystère est ce qui ne se comprend pas, ce qui est mystérieux, c’est également la beauté. Voilà l’autre qualité du mystère de Nora, du mystère de toutes les femmes imaginées par Moravia, depuis Leda dans L’amore coniugale. Et pas seulement par lui. Bien sûr. Souvenons-nous des vers de Baudelaire : « Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris » disait la beauté7. Il apparaît donc que le mystère de Nora ne réside pas dans ce qui est caché, mais dans ce qui est inconnaissable, qu’il s’agisse de sa beauté ou de sa liberté. Et ces deux dimensions du mystère sont particulièrement bien représentées par la félinité.

12 La séduction que le mystère exerce sur le personnage masculin n’est pas passagère, elle ne naît pas seulement de la nouveauté (et cela est différent de ce qui se passe pour le paysage africain), elle perdure, au-delà de la rencontre. En effet, dans la mesure où le mystère résiste, l’attirance persiste également et cette persistance provoque une sorte d’exacerbation de l’attirance (et du désir) qui finit par opérer un véritable détournement du personnage. Ainsi, le mot séduction convient-il parfaitement pour rendre le type d’attrait que le mystère suscite. Il est d’ailleurs significatif qu’en italien Moravia utilise, pour parler de la séduction du mystère, des mots ou des expressions qui renvoient toutes à la séduction comme détournement. Dans L’amore coniugale, Silvio dit, à propos de la beauté de sa femme : « Mi traeva in inganno e mi seduceva8 ». Il utilise donc une expression qui renvoie au premier sens de séduire, à savoir celui de faire tomber dans l’erreur. Dans La donna leopardo, l’expression est encore plus explicite. Juste avant d’évoquer sa première rencontre avec Nora, Lorenzo déclare, en effet, que ce récit lui permettra de comprendre pourquoi il s’est égaré (le choix de l’image est, comme nous le verrons, important) : « Voleva in altre parole fare come i viaggiatori nel deserto quando smarriscono la pista ; tornare indietro al punto di partenza e vedere che cosa aveva provocato l’errore minimo di osservazione che più tardi gli aveva fatto smarrire il cammino » (p. 113). Ce détournement n’est pas à entendre (dans La donna leopardo, en particulier) dans l’acception courante du mot séduction, qui renvoie à un détournement de nature religieuse et morale (une morale qui place la vertu de la femme dans sa fidélité conjugale). Selon nous, le détournement est opéré par la possession comme expression du désir du personnage masculin.

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13 Il convient de rappeler, brièvement, ce qu’est la possession chez Moravia. L’écrivain n’utilise pas ce mot seulement pour parler de l’amour physique du point de vue de son personnage masculin, ou du rapport de l’aliénation économique (y compris dans le couple). Ce mot renvoie chez lui au mystère féminin. Posséder signifie, avant tout, tenter de percer le mystère, c’est-à-dire comprendre, savoir, connaître. Le détournement opéré par le mystère de Nora conduit donc Lorenzo – il le dit lui-même – sur une fausse piste. Et l’image africaine de la piste n’est pas choisie au hasard : c’est l’Afrique qui le ramènera sur la bonne voie.

14 Présent dès L’amore coniugale, le motif de la possession est au centre de Il disprezzo, mais c’est dans La noia que l’égarement du personnage masculin est particulièrement bien représenté. Face au mystère de Cecilia, Dino tente d’utiliser différentes formes de possession : le langage verbal, puis le sexe et enfin l’argent. En vain. Le mystère de Cecilia résiste. Dans les années quatre-vingt, Moravia explore dans ses romans, ses nouvelles, ses pièces de théâtre, deux formes extrêmes de la possession que sont la jalousie et le rapport sadomasochiste. Présentée au sein du rapport amoureux, la jalousie apparaît comme un désir de connaissance, mais cette connaissance est source de souffrance. Dans L’uomo che guarda, l’expérience de voyeurisme du personnage masculin, qui tente de surprendre l’intimité amoureuse de sa femme, est douloureuse. Dans le long récit « La villa del venerdì », qui donne son nom à un recueil de nouvelles portant sur la jalousie9, et dans les deux versions (pièce de théâtre et nouvelle) de « La cintura », le rapport sadomasochiste est présenté comme une impasse pour le couple. Pour l’homme, parce que la connaissance complète est impossible. Ainsi Stefano, qui a pourtant franchi une étape ultérieure dans la connaissance de sa femme puisqu’il sait également – et sans l’épier, mais parce qu’Alina le lui dit – que chaque fin de semaine, elle se rend chez son amant, ne peut-il que souffrir de son insatiable désir de savoir. Pour la femme, car la douleur physique n’est pas une source de plaisir pour les personnages féminins. Alina quittera son amant qui la frappe. Quant à Vittoria, elle recherche la souffrance physique pour sentir l’amour de son mari, et non par désir de souffrir, c’est-à-dire par masochisme. C’est parce que son mari, par une sorte de défaut (d’impuissance) de la possession (il ne la frappe donc pas, avec la ceinture, par sadisme), n’est pas en mesure de lui manifester son amour, qu’elle recherche la douleur physique, et non parce que cette douleur provoque une jouissance. Nora ne connaîtra pas l’égarement d’Alina ou de Vittoria, car elle manifeste clairement sa volonté de ne pas être possédée par Lorenzo.

15 Observons les manifestations de la possession chez Lorenzo. À la différence de Dino, dans La noia (qui ne prend conscience qu’après sa tentative de suicide), Lorenzo est conscient de la possession comme expression de son désir : c’est ce qu’il exprime au début du roman en parlant, à propos de sa femme, de sa fierté de posséder « un oggetto raro e prezioso » (p. 15). Dans un premier temps, sa conscience de posséder Nora renforce son égarement, au lieu de le conduire à un changement. En effet, si Lorenzo pousse Nora à participer au voyage et à faire la connaissance de Colli, c’est par excès de possession, par vanité. Il veut que Colli admire « a sua volta la bellezza della moglie » (p. 15). Cependant, Lorenzo a également conscience de cet excès. De plus, Lorenzo, qui se trouve dans la même situation de dépendance financière par rapport à Colli que Riccardo Molteni vis-à-vis de Battista, est conscient de pousser sa femme à participer au voyage en Afrique par intérêt. Il pourrait obtenir de Colli, grâce au charme de Nora, une augmentation de salaire. Moravia replonge donc son personnage masculin dans la

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situation de Dino dans La noia et de Riccardo dans Il disprezzo, pour mettre en évidence sa différence. Cette différence réside dans la conscience que Lorenzo a de la possession et, comme dans le cas de Nora pour son mystère, c’est une étape vers le dépassement. De plus, Nora n’est pas aliénée, ou économiquement dépendante, comme Cecilia ou Emilia.

16 L’autre prise de conscience importante de la part de Lorenzo concerne sa réflexion sur le couple et sur la jalousie. C’est à travers la relation forcée qu’il entretient avec Ada (Lorenzo et Ada se retrouvent ensemble lorsque Nora et Colli choisissent de s’isoler), que les excès de la possession, dans la relation de couple, lui sont révélés. Cette relation est basée uniquement sur une expérience commune, celle de la jalousie. Or, cette jalousie est peut-être sans fondement, puisque nul ne sait ce qui se passe entre Nora et Colli. Moravia se sert donc de la relation entre Lorenzo et Ada pour tourner en dérision la jalousie à l’intérieur du couple (et soulignons qu’il considère également, ici, la jalousie féminine). Nora regarde d’ailleurs la relation entre Ada et Lorenzo sans jalousie, marquant ainsi, non son désamour pour Lorenzo, mais son désintérêt pour la jalousie. C’est également à l’adultère bourgeois que le couple tourne définitivement le dos dans ce roman. En effet, Ada et Lorenzo ne parviennent pas à devenir un couple adultère. Ada voudrait faire avec Lorenzo, en se cachant de son mari (puisque son mari se cache d’elle), ce qu’elle imagine que son mari fait avec Nora, mais elle ne le fait pas car elle aime son mari. Lorenzo, quant à lui, jaloux de la relation de sa femme avec Colli, voudrait faire de même avec Ada, mais sa conscience du ridicule de la situation l’en empêche. Le couple de l’adultère bourgeois est donc tourné en dérision puisque Ada et Lorenzo, ne « faisant rien » ensemble, n’ont rien à cacher. Lorenzo est donc conscient de devoir dépasser l’adultère bourgeois, fondé sur le mensonge, et accepter le mystère de Nora. L’acceptation du mystère est donc une façon de ne pas souffrir de la jalousie. Dans La donna leopardo, « profitant » de l’expérience des personnages qui l’ont précédé – une expérience que Moravia rend par la prise de conscience de Lorenzo –, Lorenzo ne tentera pas de percer le mystère de Nora.

17 Le renoncement final de Lorenzo à la possession s’exprime dans le mot bestia qu’il utilise pour pousser Nora à lui révéler le secret de sa relation avec Colli, après la mort de celui-ci. En utilisant ce mot, Lorenzo renvoie Nora à sa félinité, c’est-à-dire à son mystère, et marque ainsi, du même coup, à la fois sa propre prise de conscience et son acceptation du mystère : une acceptation basée sur la force nouvelle de Nora (l’ultime refus de Nora montre bien qu’elle revendique son mystère). Accepter le mystère, c’est le laisser en l’état. Et laisser le mystère en l’état, pour Moravia, c’est contempler.

18 Rappelons le sens de la contemplation chez Moravia. C’est à partir de La noia que la contemplation commence à être présentée comme une alternative à la possession10 à l’intérieur du couple. Ainsi dans l’épilogue, parlant de Cecilia, Dino conclut : « io non volevo più possederla bensì guardarla vivere, così com’era, cioè contemplarla11 ». La contemplation naît vraiment du mystère, car si le mystère est ce que l’on ne peut pas comprendre, on ne peut que le contempler. Mais, à la différence du voyeurisme, la contemplation n’est pas une vision douloureuse, car elle n’a pas comme but la connaissance.

19 Dans La donna leopardo, c’est l’Afrique qui remet Lorenzo sur la bonne voie, c’est-à-dire la voie de la contemplation. Tout d’abord parce que la séduction de l’Afrique a produit, également, l’égarement de Moravia voyageur. Et face à l’incompréhensibilité du paysage africain, l’écrivain utilise une série de médiations pour tenter de percer le

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mystère. Dans ses trois livres africains, la poésie et la peinture, en particulier, lui servent de filtre pour appréhender l’inconnu. Moravia adopte donc, dans La donna leopardo, le procédé inverse de celui qu’il utilise dans le récit de l’Afrique : c’est l’inconnu, c’est-à-dire la félinité de Nora, qui sert de médiation pour son personnage masculin. Mais Moravia découvre, lors de ses voyages en Afrique, qu’il est au contact d’une nature que la raison ne peut réduire. La réalité résiste. Il faut donc renoncer à comprendre et contempler. Et en Afrique, Moravia a découvert l’autre objet, avec la femme, à contempler. En effet, c’est la beauté de l’Afrique qu’il contemple. Et la beauté de l’Afrique est elle-même un mystère : quelque chose d’inexplicable, d’indicible écrit Moravia.

20 Et c’est la beauté de Nora que Lorenzo contemple. Comme ce chat que Lorenzo avait enfant et qui ne voulait pas se laisser caresser12, qui se laissait regarder et ne voulait pas donner plus, qui ne donnait que sa beauté, Nora ne veut pas être possédée mais être contemplée. Il y a donc un point commun fondamental entre la contemplation de la femme et celle de l’Afrique : la jouissance que cette contemplation procure est esthétique. Selon moi, ce roman représente le testament littéraire de Moravia sur le couple. Moravia y livre le point d’aboutissement narratif et créatif de la recherche qu’il mène depuis quarante ans sur le couple et sur l’amour. Le premier voyage en Afrique du couple imaginé par Moravia dans La donna leopardo constitue le terme du long parcours de tous les autres couples de son œuvre de romancier, en se présentant comme le dernier voyage du couple, de la possession à la contemplation. Soumettant son couple à la contemplation, Moravia le sauve donc de l’impasse de la jalousie ou du rapport sadomasochiste. Mais qu’en sera-t-il du couple ? Ada jette son alliance : ce geste signifie-t-il que le couple traditionnel, celui que Moravia a toujours représenté, est mort ? Si la jouissance que la contemplation de la beauté procure est purement esthétique, devons-nous en conclure que Moravia pense à une forme d’amour sans désir, comparable à celle que chante Pétrarque dans ses poèmes ? Nora refuse le désir sans amour qui s’exprime dans la possession et dont la forme extrême est le sadisme : elle est bien une anti-Justine. Cependant, bien que manifestant la volonté d’être aimée en étant, comme Laure, contemplée, Nora ne semble pas aspirer à un amour qui nierait le désir. Moravia ne soumet pas Lorenzo à la contemplation pour le contraindre à sublimer son désir. Le couple nouveau que Moravia ébauche dans La donna leopardo devra penser en terme de complémentarité, et non plus d’opposition, le rapport de l’amour et du désir.

NOTES

1. Scandagliare, ou son corollaire scavare, sont les mots que Moravia réserve à la tentative de compréhension du mystère. 2. Le rôle de l’Afrique dans ce voyage n’est pas sans rappeler celui de l’Italie pour les personnages de Viaggio in Italia de Roberto Rossellini (1954). 3. A. Moravia, La donna leopardo, Milan, Bompiani, 1991, p. 9.

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4. « C’era, insomma, in lei quell’aria di grazia e di maestà placida, involontaria, spontanea che può venire solo dalla natura e che, per questo, appare tanto più misteriosa e indefinibile. » A. Moravia, Il disprezzo, Milan, Bompiani, 1954, p. 31. 5. Pour l’analyse approfondie de cet aspect, nous renvoyons le lecteur à notre livre : M. Maigron, Alberto Moravia écrivain voyageur, Chambéry, Laboratoire Langages, Littératures, Sociétés, Université de Savoie, 2005. 6. « Io avevo trovato, insomma, un mistero altrettanto grande, o almeno così mi pareva, che quelli della religione: un mistero secondo il mio cuore, in cui il mio sguardo e la mia mente avvezzi a scandagliare la bellezza, finalmente si perdevano e si pacificavano come in uno spazio amabile e infinito. » A. Moravia, L’amore coniugale, dans Opere 1948-1968, édition établie par E. Siciliano, Milan, Bompiani (« Classici Bompiani »), 1989, p. 142. 7. C. Baudelaire, La beauté, Spleen et idéal, Les Fleurs du Mal. 8. « A tal punto quella bellezza che in mancanza di altre parole bisogna chiamar per forza spirituale, mi traeva in inganno e mi seduceva. » A. Moravia, L’amore coniugale, ouvr. cité, p. 130. 9. A. Moravia, La villa del venerdì, Milan, Bompiani, 1990. 10. Dans L’uome come fine, essai écrit en 1946 mais publié seulement en 1954, Moravia parle, pour la première fois, de la contemplation en l’opposant à l’action. Moravia constatait, cependant, que, dans le monde moderne, il n’y avait pas d’objet à contempler. 11. A. Moravia, La noia, dans Opere 1948-1968, édition établie par E. Siciliano, Milan, Bompiani, Classici Bompiani, 1989, p. 715. 12. A. Moravia, La donna leopardo, ouvr. cité, p. 119.

AUTEUR

MARYLINE MAIGRON Université de Savoie – Chambéry

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