Huysmans Et L'affaire De L'index (1898-1899)
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View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk brought to you by CORE provided by HAL Clermont Université Huysmans et l’affaire de l'Index (1898-1899) Jean-Baptiste Amadieu, Philippe Barascud To cite this version: Jean-Baptiste Amadieu, Philippe Barascud. Huysmans et l’affaire de l'Index (1898-1899). Bul- letin de la Soci´et´eJ.-K. Huysmans, 2007, pp.111-148. <halshs-01315416> HAL Id: halshs-01315416 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01315416 Submitted on 6 Jun 2016 HAL is a multi-disciplinary open access L'archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destin´eeau d´ep^otet `ala diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publi´esou non, lished or not. The documents may come from ´emanant des ´etablissements d'enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche fran¸caisou ´etrangers,des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou priv´es. Open licence - etalab JEAN-BAPTISTE AMADIEU PHILIPPE BARASCUD Huysmans et l’affaire de l’Index (1898-1899) Jusqu’à présent, l’éventuelle mise à l’Index de Huysmans n’avait été étudiée que d’après sa correspondance, les témoignages de contemporains, les articles de presse. Jean-Marie Seillan, dans un article récent sur « Huysmans et les censeurs1 », fait le point, à partir de ces matériaux, sur les menaces de censure qui pèsent sur l’auteur dans un chapitre intitulé « Huysmans censuré ? La Cathédrale et l’Index2 ». Pierre Jourde et Brigitte Cabirol avaient quant à eux étudié l’intervention de la princesse Bibesco, le rôle joué par Mme de Sainte-Foix, les réactions de Cécile Bruyère, dans leur édition de la « Correspondance de Huysmans et de la princesse Jeanne Bibesco, Mère Bénie de Jésus », publiée dans notre Bulletin et précédée d’une riche présentation3. Nous reprendrons inévitablement quelques éléments de l’affaire, sans toutefois détailler celle-ci. Il s’agit plutôt de présenter ici les nouvelles informations obtenues à partir d’un dépouillement des archives du Vatican : l’ouverture en 1998 des archives de l’Index et du Saint-Office par le cardinal Joseph Ratzinger permet aujourd’hui d’apporter des éclaircissements sur ce qui s’est réellement passé à la Curie romaine, et non plus de se limiter aux échos extérieurs au Saint-Siège. Parler en l’occurrence du Saint-Siège, au singulier, serait omettre la variété des institutions qui composent la cour pontificale, et les rivalités qui traversent parfois les instances apostoliques. Trois institutions furent mêlées à la question d’un examen de l’œuvre de Huysmans, bien qu’aucune procédure régulière n’eût lieu : la secrétairerie d’État, la congrégation du Saint-Office et la congrégation de l’Index. Organe principal du Saint-Siège, la secrétairerie d’État s’occupe des affaires intérieures de l’Église, ainsi que des affaires politiques et 1. Revue d’histoire littéraire de la France, n° 1, 2006, p. 83-115. 2. Ibid., p. 86-93. 3. Bulletin de la Société J.-K. Huysmans, n° 89, 1996, p. 1-45. diplomatiques. Le secrétaire d’État de Léon XIII, au moment de la « dénonciation » de Huysmans, était le cardinal Mariano Rampolla del Tindaro. Si le nom officiel de la congrégation du Saint-Office est toujours Inquisition romaine et universelle, l’usage désigne ce dicastère comme Saint- Office. Après le concile de Vatican II, il devient Congrégation pour la Doctrine de la foi. La congrégation se désigne elle-même comme Suprema, soit la congrégation suprême. C’est à elle que revient la tâche d’évaluer le degré de conformité ou d’écart des doctrines avec le magistère romain. Parmi ses nombreuses attributions, la Suprema peut procéder à l’examen d’ouvrages et décréter une interdiction de lecture ; le cas échéant, elle la transmet ensuite à la congrégation de l’Index. Issue du Saint-Office et de la commission tridentine chargée de dresser une « liste des livres interdits » (en latin Index librorum prohibitorum), la congrégation de l’Index est spécialisée dans les condamnations d’ouvrages. Elle examine les livres qui sont déférés devant son tribunal après une plainte, appelée dénonciation. L’Index n’entame pas nécessairement de procédure d’examen chaque fois qu’une plainte lui parvient. Si la plainte semble fondée, s’ensuit un procès. Le Saint-Office et l’Index sont composés de deux catégories de membres : d’un côté, les cardinaux ; de l’autre, ceux qui ne le sont pas, que l’on désigne, selon les congrégations et les fonctions, du nom de consulteurs, de qualificateurs ou de rapporteurs. Les institutions du Saint-Siège, jalouses de leurs attributions respectives, ont leur fonctionnement et leur personnel propres. Mais comme le nombre de cardinaux est limité, l’appartenance à une institution de la Curie n’empêche pas un cardinal d’appartenir également à une autre. Il est important de noter, pour l’affaire Huysmans, que le cardinal Rampolla cumule les fonctions de secrétaire d’État et de cardinal membre du Saint-Office, et que la majorité des cardinaux membres du Saint-Office sont également membres de la congrégation de l’Index. Le fonctionnement des procès contre des ouvrages est assez similaire dans les deux congrégations : un rapporteur rédige un votum, c’est-à-dire un examen détaillé de l’œuvre incriminée à la fin duquel il propose un avis (condamnation, abandon des poursuites, interdiction provisoire en attendant une édition corrigée). Ce votum est imprimé et diffusé aux membres de la congrégation. Les consulteurs se réunissent en congrégation préparatoire. Après un débat éclairé par le votum, ils votent une proposition de sentence ; leurs voix ne sont pas délibératives, puisque la réunion des consulteurs se limite à une sorte de conseil. Ce sont les cardinaux, qui se réunissent à leur tour quelques jours plus tard en congrégation générale, qui ont le pouvoir de décréter. Lors d’une audience, qui a lieu dans les jours qui suivent, le pape ratifie ou non le décret des cardinaux. Les archives de l’Index et du Saint-Office conservent les vota, les relations manuscrites des congrégations préparatoires et générales, le rapport présenté au pape, et la résolution prise par le Souverain Pontife lors de l’audience. Les archives de la Secrétairerie d’État, du Saint-Office et de l’Index conservent une documentation très limitée sur Huysmans : Fonds d’archives Document Date Lettre de l’abbé François Belleville, accompagnant son ouvrage contre Secrétairerie d’État 25 novembre 1898 Huysmans, adressée au cardinal secrétaire d’État. Lettre de Dom Joseph Bourigaud, abbé de Saint-Martin de Ligugé, au cardinal 27 novembre 1898 Vincenzo Vannutelli, recommandant Huysmans. Carte de correspondance du cardinal Index Vincenzo Vannutelli au cardinal Andrea 7 décembre 1898 Steinhuber, préfet de l’Index. Cette carte fait suivre la lettre de Dom Bourigaud. Copie d’une note de David Fleming, consulteur du Saint-Office, dénonçant [13 juin 1899 ?] l’œuvre de Huysmans. Original de la note de David Fleming. 29 mai 1899 Relation de la décision des cardinaux du Saint-Office Saint-Office au sujet de la note rédigée par 7-13 juin 1899 David Fleming. La Congrégation de l’Index est informée du cas Huysmans en décembre 1898, puis en juin 1899. On sollicite le Saint-Siège au sujet de Huysmans d’abord à la Secrétairerie d’État et à l’Index en novembre et décembre 1898, puis au Saint-Office en mai et juin 1899, enfin de nouveau à l’Index en juin 1899. À l’automne 1898, Huysmans est dénoncé à Rome, en même temps qu’une lettre de recommandation en sa faveur parvient à la Congrégation de l’Index ; au printemps 1899, l’affaire est relancée par une dénonciation provenant d’un consulteur du Saint-Office : ce dicastère transmet le cas à l’Index, qui enterre l’affaire. Si l’on en croit le témoignage de l’abbé Mugnier, les craintes de Huysmans quant à la mise à l’Index de son œuvre se concentrent en novembre 1898, et sont motivées par la réclame que l’abbé Belleville fait de La Conversion de M. Huysmans, une brochure publiée à Bourges en 1898 « chez l’auteur ». Le 14 novembre, l’abbé Mugnier, dans son Journal, rapporte une conversation lors d’un dîner chez le romancier : « On a causé de la plaquette Belleville, cet animal de prêtre envoie son livre partout4. » Une semaine plus tard, le 20 novembre, il note : « L’annonce du livre de l’abbé Belleville fait le tour des Semaines religieuses5. » Trois jours plus tard, le 23 novembre, il rencontre Huysmans, inquiet de la diffusion de cette publicité : « Je trouve Huysmans très embêté de toutes les cochonneries de l’abbé Belleville. Il craint l’Index6. » Huysmans a raison de se méfier des manœuvres de Belleville, qui envoie son livre au cardinal Mariano Rampolla, secrétaire d’État de Léon XIII7. Belleville accompagne l’envoi d’une lettre dans laquelle il présente sa brochure : Bourges, 25 novembre 1898 Éminence, La conversion de M. Huysmans, écrivain français, fait du bruit parmi les catholiques. Cet écrivain compte des partisans jusque dans le clergé. C’est pourquoi j’ai cru devoir étudier les caractères de sa conversion. L’opuscule que j’ai l’honneur de vous adresser, Éminence, montre clairement que ce romancier a publié des ouvrages de la plus révoltante obscénité ; et qu’en se convertissant il n’a rien fait pour retirer de la circulation ou désavouer ses romans qui se vendent plus que jamais sous le couvert de sa conversion. Le récit même de cette conversion le montre foulant aux pieds la morale et outrageant l’Église – depuis le Souverain Pontife jusqu’aux plus humbles dévotes.