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LA SAGA DE LA FAMILLE SUDISTE © Lignes S.A. 1988 ISBN 2-906284-80-7 GWENDOLYNE/CHABRIER

WILLIAM FAULKNER

LA SAGA DE LA FAMILLE SUDISTE

LIBRAIRIE SÉGUIER 3, rue Séguier, 75006

INTRODUCTION

Cet ouvrage a pour objectif d'étudier la famille faulknérienne d'un point de vue littéraire à travers l'œuvre — romans et nouvelles — de Faulkner. Toutefois, quelle que soit l'analyse littéraire que l'on peut faire du lauréat du prix Nobel, cette analyse doit prendre en considération le contexte sociologique et biographique de l'auteur, tout en mettant en balance l'importance de la projection par rapport à la réalité. Faulkner est tout d'abord un sudiste, et sa conception de- la famille ne peut être comprise que dans son cadre spécifique. Le rôle prépondérant que joue la famille, en tant que telle, est bien résumé dans un article récent de Donald M. Kar- tiganer : « Plus peut-être que le chroniqueur d'un coin mythique du , Faulkner est le premier romancier américain de la famille. Les personnages qu'il décrit de ma- nière si caractéristique et si forte traînent dans leur sillage des nuées de parents qui les déterminent : grands-parents, parents, frères et sœurs dont l'identité cumulative forme l'indispensa- ble contexte du caractère individuel. La plupart des person- nages de Faulkner ne sont pas des êtres seuls et isolés, mais des entreprises collectives, le produit et le processus de drames familiaux, sans lesquels l'acteur individuel est à peine com- préhensible. » Pour Faulkner, comme pour ses compatriotes sudistes, la famille était déjà, bien avant la Guerre Civile, l'institution dominante du Sud, comme elle l'est encore de nos jours. Elle peut être considérée comme un microcosme, un reflet de la société sudiste dans son ensemble. Dans ce monde patriarcal et passéiste en déclin, les familles imaginaires de Faulkner sont en partie créées à l'image de leurs doubles historiques ou actuels, en partie fondées sur une projection biographique, ou bien elles sont le fruit d'une imagination vivace et colo- rée qui tend bien souvent à exagérer la réalité, et ce jusque dans sa dernière œuvre, où l'on trouve alors une double ten- dance à la simplification et à la projection. Le lauréat du prix Nobel ne fut reconnu, dans son pro- pre pays, à l'exception de ses pairs en littérature, qu'à la publication de Sanctuary en 1933. Il reçut un maigre accueil de la part de la majorité du public américain puritain. Or, Faulkner était déjà, en 1931, très apprécié à l'étranger. Les Français étaient ses plus fervents admirateurs. Durant l'hiver 1932, Maurice Coindreau lança Faulkner en , suivi de près par André Malraux, Valery Larbaud, Jean-Paul Sartre et Albert Camus, parmi les plus connus. Le succès qu'il obtint par la suite en Amérique vint en grande partie du soutien de ce que Malcolm, son beau-fils, décrivait comme « la France chérie de Pappy ». Jusqu'à la publication de l'édition Viking Portable de Faulkner en 1946, ses ouvrages étaient périodi- quement épuisés aux Etats-Unis. Les Américains s'étaient jus- que-là trompés sur l'œuvre de Faulkner, la jugeant trop régionaliste, tout en la trouvant illisible et immorale. En réa- lité, s'il est vrai que Faulkner est un écrivain régionaliste et que le Sud, et tout spécialement la famille sudiste, est au cen- tre de son œuvre, il reste que ses romans transcendent l'en- vironnement local et parlent de vérités universelles, ce que la classe moyenne américaine provinciale fut incapable de voir. Faulkner était considéré, d'un point de vue personnel, comme un asocial, un sauvage, et le lecteur américain acceptait dif- ficilement ce détachement apparent. Il est vrai que la critique nationale se comprend. Le refus de s'adapter à son public peut s'expliquer en grande partie par sa peur presque para- noïaque de l'intrusion. Faulkner était probablement le seul auteur à se servir d'une hache pour faire des trous dans le chemin qui menait à sa maison afin de se débarrasser de ses visiteurs. Il arrivait même que Faulkner urinât systématique- ment sur les parterres de fleurs devant la véranda lorsqu'il se sentait menacé par les touristes, comme le rapporte Lamar Stevens. Malgré la réticence à son égard de la plupart des Mis- sissippiens (dont presque tous les membres de sa famille), les familles imaginaires qui peuplent le comté mythique de Yok- napatawpha sont modelées pour une large part sur les familles qu'il connaissait à Oxford. Certaines sont, elles, à l'image de la famille Falkner comme les vieilles familles de la haute société telles les Compson, les Sartoris et les Priest. Jusqu'à son dernier ouvrage, les familles de Yoknapatawpha vont connaître un déclin systématique, comme la sienne propre, au fil des générations. Quant aux personnages, ils tentent de s'évader du présent pour trouver refuge dans un passé idéalisé. Le sudiste tradi- tionnel, comme l'auteur lui-même, regrette l'époque d'avant la Guerre Civile, celle d'Absalom, Absalom !, avec « les nègres de la maison (qui portaient) les parasols et les chasse-mouches », « les dames qui circulaient parmi les minuscules popelines des petits garçons et les pantalons des petites filles... », enfin « la grande maison remplie de chandeliers, de robes de soie et de champagne ». Le sudiste a des difficultés à adapter son mode de vie à la vulgarité et à l'immoralité du nouveau Sud. Comme le dit Robert Penn Warren, le gentleman sudiste du dix-neu- vième siècle est complètement dépassé par la société du vingtième : « La plupart de ceux qui sont issus de l'ordre ancien sont incompétents à maints égards : la compétition avec des Snopes sans honneur leur est interdite par leur code de l'honneur, ils oublient l'esprit de leur tradition pour s'accro- cher à la lettre, ils perdent contact avec les réalités du présent

(i) Ancien nom de la famille de William, qui ajouta un « u » en 1918. et se réfugient dans un monde imaginaire fait d'alcool, ou de rhétorique, ou de bonnes manières, ou de folie, ils s'entichent de la défaite ou de la mort... »

Yoknapatawpha ne comprend pas qu'une élite apparte- nant à la haute société, elle est aussi habitée par une classe moyenne représentée par les Colfield ou encore par les High- tower. Ces familles ont tendance à se mêler et à s'identifier à la haute société, ce qui fait qu'elles connaissent les mêmes problèmes en leur sein. Il existe aussi un autre type de fa- mille de la classe moyenne, c'est celle que personnifient les Snopes, que Faulkner déteste, qui est montée très rapide- ment dans l'échelle sociale sudiste du vingtième siècle, en plein mouvement. Et ces familles-là sont sujettes à une frag- mentation occasionnée par les valeurs matérialistes du par- venu. Faulkner met surtout l'accent sur les familles de la haute société, sur les familles pauvres et sur les familles noires, ce qui n'est pas surprenant si l'on considère que le Sud était une société très stratifiée avec des distinctions de classes très nettes, où la classe moyenne refusait son identi- té sociale pour s'amalgamer à la haute société. Sans cela, elle restait une classe à part très conservatrice. On comprend donc que l'attention de Faulkner se porte sur les classes res- tantes, tout spécialement sur les familles pauvres blanches comme celle des Bundren, ou bien sur les familles noires comme celle des Gibson. Dans l'œuvre de Faulkner, les familles pauvres blanches sont pourtant la proie de conflits très semblables à ceux que connaissent les familles aisées, conflits amplifiés par les difficultés matérielles de tout ordre. L'auteur arrive à s'identifier aux membres des classes défa- vorisées, du moment qu'elles sont blanches. Il projette, en outre, bien qu'à un degré moindre, ses problèmes familiaux sur ces groupes. A l'inverse, le regard qu'il porte sur les Noirs est complètement différent. Ne s'identifiant pas à ses frères noirs, qui dans la société sudiste forment une caste et une classe à part, il idéalise généralement les familles noires et mulâtres, puisqu'en tant que sudiste libéral il porte la responsabilité de leur exploitation. En même temps, Faulkner présente toujours de paisibles familles rurales noires telles que les Beauchamp ou les Gibson qui, bien qu'elles se révoltent de façon périodique contre leurs maîtres, ne s'ima- ginent même pas pouvoir un jour les égaler ou, pire, les dé- trôner. Finalement, c'est la famille noire qui, dans la réalité, est obligée de s'occuper des familles blanches décadentes, fin de race, et impuissantes, revers ultime des relations maître- esclave. Si l'on se penche avec attention sur les relations fami- liales des familles blanches, plus précisément celles des cou- ples et celles qui mettent en jeu les parents et leurs enfants, sans oublier les relations de type incestueux ou encore mixte, on se rend compte que l'univers faulknérien est condamné à un enfer puritain, où les familles sont vouées au refoulement, à l'incompréhension, à l'isolement, au rejet, à l'ambivalence, à la domination, à la rébellion, aux problèmes d'identité et à la culpabilité. Les familles fictives de Faulkner, tout comme les familles sudistes ou la sienne propre, sont le produit d'une société patriarcale, d'une société dominée par l'homme, où la femme est reléguée sur un piédestal isolé, pendant que celui- ci jouit de sa supériorité sur la femme mais aussi sur le Noir. Avec l'arrivée de la Guerre Civile, la société connaît de tels bouleversements que le pouvoir de l'homme blanc est remis en question, surtout par le Noir mais aussi par la femme. Les effets se font sentir sur l'institution la plus importante du Sud, c'est-à-dire la famille. Même si le Sud est resté sous la domination masculine, comme le reflètent les lois sudistes en vigueur, bien des changements sont survenus qui ont eu des conséquences sur les structures et les relations familiales, malgré le peu de désir et la capacité réduite du sudiste à s'adapter. Faulkner est tout à fait conscient de l'amélioration de la condition féminine encore précaire. Mais, en dépit de ses déclarations, son œuvre est toujours pleine de misogynie, qui puise ses racines, sinon dans une tendance homosexuelle latente, du moins dans une fixation à sa mère, qu'il n'a ja- mais pu faire disparaître. A l'exception de The Reivers, la mère dominatrice et abusive, constamment présente dans son œuvre, est l'incarnation de sa propre mère qu'il projette inconsciem- ment sous la forme d'une femme castratrice. En même temps, la position progressivement en recul de l'homme est incarnée par un père du type Compson. Autrement, l'archétype du su- diste d'avant-guerre, à la stature imposante, est personnifié par son grand-père et tout spécialement par son arrière-grand- père Falkner, qu'il projette d'une manière colorée sur les Sar- toris. La famille sudiste ne peut être globalement comprise que comme le résultat de son contexte social et historique. Le sudiste, comme l'auteur, aime le Sud mais a une attitude équivoque quant à sa Dixie ; il l'aime avec le cœur, mais il la hait avec sa raison. Faulkner est confronté à la contri- tion du Sud, résultat historique de l'esclavage, mais avec un sentiment de remords auquel le sudiste des temps modernes ne peut toujours pas échapper, puisqu'il partage encore le racisme de sa région et participe à la ségrégation et à l'ex- ploitation de la race noire. Les sentirnents de culpabilité qu'éprouve le sudiste sont, du reste, renforcés par son milieu puritain qui est là pour lui rappeler à tout instant le senti- ment qu'il a de la damnation. Le sudiste traditionnel, et pourtant conscient, porte en lui l'équivoque et la culpabili- té. Il doit également faire face au Sud inhumain des mer- cantiles Snopes ; envahi par un sentiment d'échec dû à son impuissance, le sudiste se replie sur lui-même et sur sa fa- mille. C'est là son ultime moyen de se protéger dans un monde qui lui est étranger et incompréhensible. Le sudiste classique évolue dans un univers où il n'a pas sa place, et dans lequel son système de valeurs est démodé. Une fois perdu son cadre de références, il lui arrive fréquemment de se trouver sans identité propre. L'introversion familiale su- diste contribue d'autant plus à réduire ses contacts avec le monde extérieur et l'étranger. Il se referme sur lui-même, aux dépens des échanges qu'il pourrait avoir en famille, comme il se coupe de la société. Les sentiments qu'il tra- verse face au matérialisme, à la frustration, à la culpabilité, à l'ambivalence, à l'isolement, au rejet et à la perte d'iden- tité se traduisent au plan familial et retentissent sur les rap- ports conjugaux et parentaux, comme sur les rapports de type incestueux et mixte. Le portrait de la famille noire chez Faulkner n'est pas exempt de la culpabilité qu'il ressent en- vers cette race en général. C'est un facteur déterminant qu'on peut opposer ici au tableau qu'il fait de la famille rurale noire, à laquelle il rend aussi hommage, bien qu'avec dis- tance. La peinture de la famille blanche, chez Faulkner, devient, et c'est intéressant à noter, plus modérée, et en fait même très optimiste vers la fin de sa vie, lorsqu'il voit ses propres problèmes familiaux se résoudre. Des familles telles que les Mallison, et surtout les Priest, sont des familles qui relèvent de la biographie, et The Reivers reflète l'état d'esprit eupho- rique dans lequel le plonge sa nouvelle condition de grand- père. Alors que l'œuvre majeure de Faulkner est une exagération négative de l'image de la famille sudiste, ses der- niers ouvrages vont dans le sens contraire. Il faut donc éta- blir un équilibre entre ces deux extrêmes. La réalité de la famille faulknérienne peut être mieux comprise si on la com- pare à celle d'autres écrivains majeurs tels que Robert Penn Warren, Thomas Wolfe, Katherine Anne Porter, Caroline Gor- don, James Agee, Carson McCullers, Erskine Caldwell, Wil- liam Styron, Truman Capote, Flannery O'Connor. Si les critiques et les historiens jugent la famille sudiste de façon plus analytique, les auteurs sudistes sus-mentionnés en ont, comme Faulkner, une approche plus subjective. Comme lui, ils réagissent avec plus de passion, puisqu'ils sont eux-mêmes, dans l'ensemble, prisonniers d'une lignée condamnée ; la di- mension écrasante et oppressante de la famille sudiste est l'i- névitable revers de la force qu'elle possède. La famille, comme on le voit dans les œuvres plus tardives de Faulkner a, sans aucun doute, été un soutien de la vie sudiste, même si c'est là un aspect bien souvent négligé. CHAPITRE 1

LA FAMILLE ET L'ESPRIT SUDISTE CHEZ FAULKNER ET SES CONTEMPORAINS DU SUD

Il faut tout d'abord rappeler l'accueil critique que reçut Faulkner aux États-Unis. Il se trouve que, par une ironie du sort, l'édition des ouvrages du lauréat du prix Nobel était épuisée au moment de la parution de The Portable Faulkner de Malcolm Cowley. On rapporte que dans les années trente, quand Shelby Foote n'était qu'un jeune homme, Faulkner était si peu aimé que selon Foote, « il suffisait que l'on demande le chemin de sa maison à Oxford pour que les gens se dé- tournent et crachent par terre ». Faulkner était fort heureu- sement plus apprécié en Europe et tout particulièrement en France, et ce sont en fait les Français qui sont à l'origine de sa consécration. Le problème de l'auteur était essentiellement dû au fait que celui-ci semblait n'avoir aucun respect pour les normes du goût puritain, et qu'il faisait peu de cas des avertissements de la critique. Dans sa préface à l'édition de Sanctuary de la Modern Library, il annonçait sans vergogne qu'il avait écrit ce roman « à partir d'une idée de rien du tout... simplement pour gagner de l'argent ». La critique voyait en lui un écrivain obsédé par les abrutis, les idiots, les pervers et les nymphomanes ; il était, pour elle, le chef de file de l'école de la cruauté. Néanmoins, on vit apparaî- tre, en 1939, deux travaux critiques favorables à Faulkner, an- nonçant une analyse plus sérieuse de son oeuvre ; le premier, de Conrad Aiken, intitulé William Faulkner : The Novel as Form, était un essai portant sur le lien existant entre la forme et le contenu dans sa fiction ; le second, de George Marion O'Donnell, appelé « Faulkner's Mythology », était un article qui le définissait comme un moraliste traditionnel dans le meilleur sens du terme, et le décrivait, de plus, comme « un homme de tradition dans un Sud moderne ». Il était en revanche, dès le début de sa carrière littéraire, qui avait commencé dans les milieux intellectuels deux ans avant la parution de The Sound and the Furj en 1929, très ap- précié de la jeune génération littéraire américaine. Elle était composée de Carson McCullers, et Eudora Welty, et, un peu plus tard, d'un groupe encore plus jeune, celui de Truman Capote, Gore Vidal et William Styron. Flan- nery O'Connor le tenait en haute estime et plaçait le futur lauréat du prix Nobel à part, en déclarant, avec finesse, que « personne n'a envie d'être coincé sur la voie ferrée avec sa mule et son chariot quand le train du Sud arrive en gron- dant ». En 1934, Robert Penn Warren comparait Faulkner à l'écrivain populaire T. S. Stribling et considérait que, contrai- rement à l'opinion des critiques littéraires, Faulkner se pen- chait sur les problèmes de fond. John Crowe Ransom, entre autres écrivains sudistes, disait déjà de lui, en 1935, qu'il était « à l'heure actuelle le personnage le plus extraordinaire de la littérature contemporaine aux États-Unis ». Allen Tate esti- mait qu'il était « le romancier américain le plus fécond et le plus original et l'un des meilleurs dans le monde moderne ». Toutefois, et toujours par une ironie du sort, l'impor- tance littéraire de Faulkner ne fut d'abord reconnue, avant 1946, qu'à l'étranger et surtout en France. Faulkner, en per- sonne, le rappelle dans la lettre qu'il écrivit à Harold Ober en janvier 1946 : « En France, je suis le père d'un mouve- ment littéraire. En Europe, on me considère comme un écri- vain de tout premier plan et en tout cas comme le meilleur écrivain américain. Aux États-Unis, je me renfloue avec l'ar- gent gagné à bâcler un scénario de film et en remportant un second prix dans un concours de romans policiers ». En France, Maurice-Edgar Coindreau allait être dès 1931 le critique le plus important à faire l'éloge de Faulkner. Il le voyait comme « l'une des figures les plus intéressantes de la jeune littérature américaine ». Les préfaces, les traductions et les articles de Maurice E. Coindreau avaient une grande por- tée puisque, étant professeur de littérature française à Prince- ton, il assurait le lien entre l'Amérique et la France. Du reste, Jean Giono, selon Maxwell Smith, admirait Faulkner au point de le considérer comme « le plus grand des contemporains américains ». Edmond Jaloux le décrivait comme « un grand romancier », et « sans conteste l'écrivain le plus original d'après-guerre après Kafka et Virginia Woolf » ; Claude Si- mon considérait Faulkner comme « le Picasso de la littéra- ture » ; Alain Robbe-Grillet affirmait que Kafka et Faulkner « étaient simplement les grands romanciers du début de ce siècle ». Albert Camus disait de Faulkner qu'« il est le plus grand écrivain au monde », et Jean-Paul Sartre affirmait : « Pour la jeunesse de France, Faulkner est un dieu ». Sartre ajoutait que Faulkner les avait influencés, lui et d'autres écri- vains comme Simone de Beauvoir et Albert Camus, en pré- cisant que dans les premiers jours de l'Occupation, « la lecture des romans de Faulkner et d'Hemingway est devenue pour certains un symbole de résistance ». Bien que les Français fussent les plus grands admirateurs de Faulkner, celui-ci était généralement très bien accepté à l'étranger depuis le début de sa carrière. Il trouvait en Eu- rope un très bon accueil, sauf chez les critiques anglais qui étaient surtout influencés par la réticence des critiques améri- cains. D'ailleurs, les opinions préconçues des Britanniques sur le Sud poussaient les Anglais à une plus grande réserve vis- à-vis de Faulkner. Néanmoins, et selon Frederick J. Hoffman, les critiques anglais étaient, malgré leur réticence, toujours plus indulgents que leurs homologues américains. Mais, en Allemagne, par exemple, les critiques étaient dans leur ensem- ble plutôt favorables à l'auteur. L'insistance de Faulkner à traiter de la destinée tragique de l'individu et de sa perdition finale plutôt que de son salut par le progrès, comme son re- fus d'une civilisation industrialisée et standardisée, rendaient Faulkner attrayant aux yeux des critiques allemands. Quoique certains fussent peu réceptifs à son côté sombre et pessimiste, beaucoup étaient ravis de pouvoir s'évader grâce à lui de l'Allemagne et de ses problèmes. D'autres se montraient bien disposés à l'égard de Faulkner parce qu'ils voyaient dans sa philosophie des correspondances avec le fascisme. En Espagne, Faulkner était le plus connu et le plus apprécié des écrivains américains après Hemingway. En fait, tous ses ouvrages im- portants, ainsi que beaucoup de ses écrits mineurs, avaient déjà été traduits en 1934. Faulkner était également bien accueil- li en Italie et l'on vit, là aussi, apparaître des articles et des traductions importantes. Des Italiens, comme Aldo Camerino et Emilio Cecchi, à l'opposé de leurs contemporains améri- cains, reconnurent aussitôt la portée morale de l'œuvre et, pour Cecchi, la fiction chez Faulkner était imprégnée de com- passion humaine. Mario Praz disait, dès 1931, que Faulkner était un moraliste et non pas le pourvoyeur de violence gra- tuite que bien de ses compatriotes américains l'imaginaient être. Hors d'Europe, Faulkner était aussi chaudement accueilli ; les écrivains sud-américains, par exemple, le tenaient en très haute estime. Gabriel Garcia Marquez, Vargas Llosa, Miguel Angel Asturias, Carlos Fuentes, Ernesto Sabato, José Revueltas étaient tous ses ardents défenseurs. Ainsi que l'on décrit Luis Harss et Barbara Dohmann, dans Into the Mainstream : Conversations with Latin-American Writers, « aucun écrivain n'a eu une telle in- fluence » sur la littérature latino-américaine des vingt dernières années. De la même façon, en Union Soviétique, bien que Faulkner y fût en tout cas moins populaire qu'Hemingway, il allait vite être considéré comme l'un des grands écrivains du siè- cle ; quant au Japon, où l'on porte toujours un grand intérêt à Steinbeck et à Hemingway, Faulkner y est également très ap- précié, tout spécialement dans les cercles universitaires. Cependant, l'accueil glacial que ses premiers romans re- çurent en Amérique tenait aussi à sa vie retirée et à sa haine de la publicité. En 1948, lorsque le Magasine of the Year en- voya un photographe prendre des photos de Yoknapatawpha County, Faulkner refusa de se laisser photographier, en di- sant : « J'espère être le dernier individu sur terre à échapper aux registres et aux archives ». On le citait aussi dans le New York Times Book Review pour avoir dit que le prix de la gloire était considérable : « [Autrefois] j'étais un homme libre. Je n'avais qu'un pantalon, une paire de chaussures et un vieil imper avec une poche assez grande pour y glisser une bou- teille de whisky. Maintenant je reçois des piles de lettres qui me demandent ce que je prends pour mon petit déjeuner et ce que je pense des courbes et des lignes discontinues ». En- fin, son caractère d'introverti se manifesta nettement lors- qu'ayant appris qu'il avait reçu le prix Nobel, il refusa tout d'abord de se rendre à Stockholm en avançant : « C'est trop loin, je suis fermier par ici et je ne peux pas m'éloigner ». Comme l'a fait remarquer Coindreau, Faulkner fut criti- qué dans un premier temps par ses compatriotes américains comme romancier régionaliste. Or, ce que le public américain ne voyait pas, c'était la subtilité de ce régionalisme ; si l'ac- tion était toujours située dans le Sud, les thèmes, eux, étaient universels, tout en étant en rapport complet avec le Sud du XIXe et du XXe siècles, ce qui, certainement, explique, pour une grande part, que l'audience étrangère de l'auteur ait pu s'affirmer. En outre, le régionalisme même de Faulkner re- présente plutôt une force qu'une faiblesse puisque, comme il le dit lui-même, il est essentiel que l'auteur écrive sur ce qui lui est familier : « ... l'écrivain doit écrire en s'appuyant sur son histoire. Il doit partir de ce qu'il connaît... Ma vie s'est passée, mon enfance, dans une toute petite ville du Missis- sippi, et cela fait partie de mon histoire. J'ai grandi avec cela. Je l'ai assimilé, je l'ai intégré sans même m'en rendre compte. C'est là tout simplement ». D'autres écrivains sudistes, tels que Thomas Wolfe, ont émis le même avis que Faulkner, comme le montre la remarque suivante : « Je suis convain- cu que tout vrai travail créatif est fondamentalement autobio- graphique : un homme doit s'appuyer sur ce qu'il a vécu s'il veut créer quelque chose de valeur ». Tout au début de la carrière de Faulkner, Phil Stone avait déjà souligné le sens profond de la perspective régionaliste de l'auteur dans sa pré- face à The Marble Faun : « L'auteur de ces poèmes est pro- fondément enraciné dans son sol natal, c'est un homme du Sud par toutes ses fibres et pour être encore plus précis, c'est un homme du Mississippi. George Moore a dit qu'on pou- vait atteindre l'universel seulement en s'attachant au particu- lier, et que le soleil du Nord du Mississippi, ses oiseaux moqueurs et ses collines bleues font partie intégrante du jeune Faulkner ». Déjà, en 1922, Faulkner écrivait que « l'art est avant tout provincial : il est toujours lié à une époque et à un lieu déterminés » et, dans son essai de 1924 intitulé Verse old and nascent : a pilgrimage, il faisait l'éloge de A. E. Hous- man pour avoir évoqué « la beauté du sol, visible dans un arbre » et ajoutait qu'il avait lui-même « fixé » ses « racines » dans son « sol » natal. Par la suite, Faulkner allait en outre dire, lors de ses entrevues avec Jean Stein : « J'ai découvert que mon propre petit timbre-poste de terre natale valait la peine de l'écriture et que je ne vivrais jamais assez longtemps pour l'épuiser ». Les critiques, comme les écrivains, ont tous bien obser- vé la fidélité de Faulkner à son Sud natal. Robert Penn War- ren, faisant la critique du recueil de nouvelles These Thirteen par exemple, le considérait comme « son aspect le plus écla- tant », comme son sens du bien. Penn Warren observait, au sujet du territoire littéraire de Faulkner, qu'« aucun lien dans aucun roman n'est analysé avec autant d'acuité sur un plan sociologique ». Malcolm Cowley voyait en Faulkner « le Bal- zac du Sud » et déclarait qu'il était le premier à avoir inven- té un comté du Mississippi qui était comme un royaume mythique, complet et vivant jusque dans le moindre détail. Cowley croyait aussi que Faulkner faisait de son histoire de Yoknapatawpha une parabole de la légende du Sud profond. Alfred Kazin décrivait Faulkner comme « l'homme d'une tra- dition à laquelle il se donne sans partage sinon sans résis- tance ». Kazin voyait également l'ambivalence de Faulkner par rapport au Sud comme une affirmation de l'auteur pour qui si « le Sud était le dépositaire d'une grande tradition avec ses frustrations et ses souvenirs délicieux, il était aussi — et Faulkner l'a amplement démontré — le symbole de toute la haine et de toute la terreur du monde ». Kazin, comme Robert Penn Warren et Malcolm Cowley, faisait ressortir l'importance centrale du Sud dans l'œuvre de Faulkner en concluant : « La vie pour lui, c'était le Sud, et les souvenirs qu'il en avait, ce qu'on lui racontait, ce qu'il y avait vu, épuisaient toute la puissance d'imagination, toute la profondeur de l'esprit hu- main. Tel un champ de bataille homérique, le Sud était le centre de toute référence, il était à la fois le cœur du théâ- tre du monde et la limite même de l'existence, cette barrière imaginaire au-delà de laquelle on ne pouvait plus parler de vie ». Eudora Welty, pour sa part, voyait dans la spécificité de Faulkner ce qui touche au Sudiste et au Mississippien en gé- néral. « Son caractère s'enracine dans le sens du lieu, dans la signification de l'histoire, etc. » et elle poursuivait en disant que « cela n'a pas changé ». L'importance du Sud dans l'œuvre de Faulkner est aussi soulignée par les critiques français. Paul Jaffard, écrivant dans Critique en 1953, insistait sur le fait que les Américains conce- vaient Faulkner, presque unanimement, comme un « roman- cier du Sud ». En outre, influencés qu'ils étaient par l'avant-propos de The Portable Faulkner, nombre d'érudits fran- çais, comme Pierre Brodin, en particulier, mais aussi Jean Si- mon, soutenaient que « William Faulkner est essentiellement un homme du Vieux Sud, du Vieux Sud américain ». L'observation la plus à propos qui se dégage ici est pro- bablement la réflexion d'Alfred Kazin sur l'ambivalence de Faulkner envers le Sud ; une attitude exprimée directement par l'auteur lui-même. Faulkner, écrivant à Malcolm Cowley, lui dit qu'après la guerre il était revenu pour trouver qu'« il était à nouveau chez lui à Oxford, Mississippi, et qu'en même temps... il n'y était pas vraiment ». Dans son essai, Missis- sippi, il approfondit ses sentiments d'affection mutuelle et de répulsion quand il parle de « l'aimer tout entier même s'il doit le haïr en partie car il sait maintenant qu'on n'aime pas pour, mais qu'on aime malgré ; non pour les vertus, mais malgré les défauts ». Du reste, lorsqu'en 1955 à Nagano, on demanda à Faulkner s'il aimait le Sud, sa réponse fut : « Je l'aime tout en le haïssant. Il y a des choses que je n'aime pas du tout mais je suis né dans le Sud, j'y suis chez moi et je le défendrai toujours même si je le hais ». L'ambivalence de Quentin, l'un de ses personnages, se manifeste lorsque Shreve lui demande, dans Absalom, Absalom ! la raison pour laquelle il hait tellement le Sud, et que le jeune protagoniste proteste avec force du contraire : « "Je ne le hais pas", ré- pondit vivement Quentin, sur-le-champ, immédiatement, "je ne le hais pas", dit-il. « Je ne le hais pas, pensa-t-il, haletant dans l'air glacé, dans l'implacable obscurité de la Nouvelle- Angleterre ; Non. Non ! Je ne le hais pas ! Je ne le hais pas ! » L'ambiguïté qui transparaît chez l'écrivain sudiste est bien ob- servée par Wilbur Cash, dans son ouvrage The Mind of the South, qui pense qu'elle est due à un élément de frustration et de haine de soi. Cash a le sentiment que l'écrivain sudiste hait le Sud : « comme l'amant poursuit d'une haine exaspé- rée celle qu'il ne peut convaincre de son désir. Ou plus exac- tement peut-être, comme Narcisse, parvenant enfin à l'esprit d'analyse, se serait soudain rendu compte que ce qu'il voyait dans l'étang, c'était sa propre image ». William Alexander Percy note aussi cette double tendance et en arrive à la conclu- sion que « tout écrivain, tout écrivain du Sud, est selon moi frappé par cette ambivalence de la haine et de l'amour ». Cette dualité, qui marque Faulkner et son œuvre, est fonda- mentale pour comprendre la mentalité sudiste ; le sudiste lu- cide, qui aime instinctivement le Sud, doit simultanément assimiler intellectuellement sa culpabilité historique ; le su- diste, et tout particulièrement le sudiste sensible et clairvoyant, tels Faulkner et nombre de ses héros et contemporains litté- raires, se heurte à la frustration et à la haine de soi, que dé- crit Cash, lorsqu'il se trouve confronté à la réalité historique de son Sud bien-aimé. Il réalise qu'il faut payer « le prix quand on a construit l'édifice économique non sur le roc d'une moralité austère mais sur les sables mouvants de l'op- portunisme et du brigandage ». En fait, la Guerre Civile était « une fièvre » envoyée par Dieu afin de tenter de purger le Sud de « la maladie » de l'esclavage. Ce même sudiste doit faire face à sa culpabilité, née de la ségrégation et du racisme, dont il est directement responsable. Ce qui est bien rendu par Faulkner dans Intruder in the Dust quand Gavin Stevens dit à son neveu : « Je dis seulement que cette injustice est la nôtre, que c'est celle du Sud. Nous devons expier et l'abo- lir nous-même, seuls et sans l'aide de personne ». Ce qui n'est pas surprenant, comme le signale Lillian Smith dans Killers of the Dream : « La culpabilité était alors et elle est encore aujourd'hui la plus grosse moisson récoltée dans le Sud ». Le Sud de Faulkner est le Sud de Thomas Wolfe, et l'on peut dire d'Eugène Gant, comme des autres protagonistes de Look Homeward, An

Après la Première Guerre mondiale, le Sud du vieil ordre traditionnel fut peu à peu remplacé par un Sud au nouvel ordre moderne, ce qui sensibilisa fortement les sudistes à la distinction entre le passé et le présent. L'importance attribuée par Faulkner au passé est semblable à la signification que ses contemporains littéraires du Sud donnent au passé. Comer Vann Woodward remarquait que les deux principales figures de la Renaissance sudiste ont même publié des travaux, non dans le domaine de la fiction, mais dans celui de l'histoire ; ce sont la biographie d'Allen Tate sur Stonewall Jackson, pu- bliée en 1928, et celle de Robert Penn Warren sur John Brown en 1929. En outre, la plupart des romanciers les plus talentueux ont choisi des époques, des figures, des mouve- ments ou encore des sujets historiques. En même temps, les autres écrivains sudistes, tel Faulkner, insistent sur l'existence du passé dans le présent. Allen Tate parle de l'écrivain sudiste et définit la renaissance littéraire comme « littérature consciente du passé dans le présent » et ajoute que les livres sudistes sont remplis de personnages voués à la destruction parce qu'ils oublient « le simple fait de la continuité de la vie ». De la même façon, dans Band of Angels, Robert Penn Warren écrit : « On vit dans le temps, dans cette petite portion de temps qui est la nôtre, mais cette portion de temps n'est pas simplement notre vie, c'est la somme de toutes les autres vies, qui se déroulent en même temps que la nôtre ». De même, Thomas Wolfe soutient, dans Look Homeward, Angel, que « chaque moment est le fruit de quarante mille années ». De son côté, Ellen Glasgow, dans son autobiographie posthume, déclare : « Je suis née avec un goût intime pour l'esprit du passé et pour une poésie non- chalante du temps et de l'espace ». Le passé occupe une place tout aussi importante chez Katherine Ann Porter que l'on voit, dans Old Mortality partir à la recherche de son passé fa- milial et personnel afin de les rattacher au présent. Ce désir se retrouve chez Jack Burden qui rêve interminablement sur les lettres fanées et le journal intime de Cass Mastern, s'ef- forçant encore une fois de renouer le passé au présent. L'obsession du passé peut donc être considérée comme une tentative de transcender le sentiment de défaite et d'im- puissance issu de la Guerre, sentiment décrit par Faulkner dans Absalom, Absalom ! L'auteur y parle du Sud, libéré de l'esclavage, « libéré de la maladie mais en réalité inconscient du fait que cette liberté était celle de l'impuissance ». En outre, d'après Andrew Lytle, la défaite du sudiste a résulté de son auto-contemplation et de sa propre prise de conscience. Cette perception de lui-même a engendré une profonde intro- version, une peur de tout ce qui vient de l'extérieur, enfin une appréhension face à tout ce qui est plus spécifiquement étranger. Les sentiments d'insécurité du sudiste l'ont poussé à se tourner vers sa famille et vers lui-même et à réagir avec véhémence face à l'étranger qui le menace. Ce penchant a fait naître une forme de xénophobie comme l'illustre bien la ré- flexion de Clarence Snopes dans Sanctuary : « Mais la chose la plus basse, la plus misérable sur cette terre c'est pas le nègre, c'est le juif ». Quant au Sud, assailli par l'insécurité et la mauvaise conscience, il a vu sa frustration et sa culpabilité se changer en fureur et en haine qui se sont déchaînées à travers le pays tout entier sous forme de révolte et de violence ; la violence elle-même, comme l'a dit en conclusion C. Dwight Dorough, est « un héritage de l'esclavage ». En fait, le Ku Klux Klan, qui était l'incarnation réelle de la violence sudiste, était une organisation terroriste qu'avaient formée six anciens soldats confédérés, dans le Tennessee en 1866. Le premier Klan s'est développé durant l'ère de Reconstruction qui a suivi la Guerre de Sécession. C'était une création exclusivement sudiste, quant à l'origine de ses membres et à ses intérêts, tandis que le se- cond, né en 1915, s'est répandu à travers le pays dans les années 1920, recueillant une adhésion et un soutien politique sans pareils jusqu'alors comme depuis. Le troisième Klan vit le jour après la Seconde Guerre mondiale, en réaction à la déclaration des Droits Civiques et à la Guerre Froide. Le Klan originel auquel Faulkner fait allusion revêtait le dégui- sement de fantômes, chevauchait la nuit à travers la région, arrachait de force les gens à leurs maisons, pour les fouetter et les tuer ensuite à coup de fusil ; souvent, ils les chassaient de chez eux et détruisaient tous leurs biens. Ils justifiaient cette violence par un désir de perpétuer la suprématie blanche et de cantonner les Noirs à leur place du point de vue éco- nomique et social. Ils se vouaient, en outre, à la défaite du Parti républicain. Le premier Klan a commis certainement plus de crimes que ses successeurs. La plupart de ses victimes étaient des Noirs, mais les Républicains blancs ne furent pas épargnés. Le Ku Klux Klan est mentionné dans Light in August. Il surgit, par exemple, pour enlever le cuisinier noir de High- tower et fouetter le révérend en personne. Hightower, à qui les membres du Klan ont laissé un message lui ordonnant de quitter la ville, n'obtempère pas. Il est immédiatement emme- né dans les bois, attaché à un arbre et battu jusqu'à ce qu'il s'évanouisse. Faulkner confirme cette violence généralisée dans le Sud lorsqu'il déclare : « L'esprit qui conduit un homme à enfiler un drap et à brûler des bouts de bois dans votre cour est très répandu dans le Mississippi, mais tous les habi- tants ne le font pas. Ils détestent et regardent avec mépris les gens qui le font, et pourtant le même esprit, le même élan est en eux, même s'ils ne vont pas pour autant porter une chemise de nuit et brûler des bouts de bois ». Faulkner, ainsi que nous le révèle la citation ci-dessus, condamne vi- goureusement la violence et le Ku Klux Klan, mais d'autres sudistes, comme Thomas Dixon dans son ouvrage intitulé The Klansman : An Historical Romance, publié en 1905, non seule- ment justifient les activités du Ku Klux Klan mais vont même jusqu'à le vénérer comme instrument de justice. Même si Dixon est, comme Faulkner, contre l'esclavage, il s'oppose en tout cas avec véhémence à l'idée d'égalité. Pour une vue d'ensemble de ce que représente le Sud de Faulkner, il est primordial de ne pas oublier l'élément re- ligieux, et plus spécifiquement le protestantisme sudiste ; ques- tion étroitement liée à la violence dans le Sud, au sens où une grande part de la violence sudiste se justifiait aux yeux du sudiste puisqu'elle lui servait à défendre sa religion ou ses principes. Par ailleurs, il était assez fréquent qu'il usât de la violence pour se rebeller contre la rigueur et le puritanisme de l'Église sudiste, ce que E. Callaway définirait comme la « camisole de force de l'Église ». Tandis que les Églises pro- testantes du Nord se préoccupaient des conditions de travail, de l'injustice raciale et de la procédure civile, l'Église protes- tante du Sud se souciait, elle, de ce qu'elle estimait être des questions morales, telle la malfaisance du tabac, de l'alcool, du jeu, de la danse, du théâtre, des rixes, des duels, des ba- garres, des querelles, des ragots, ou encore le luxe superflu, l'illégalité de certaines pratiques, et le divorce. L'influence de l'Église était si forte que les diverses législations de l'état fi- rent même passer des lois prohibant le blasphème, l'athéisme, la polygamie et autres violations semblables de la morale chré- tienne en général. La nature répressive du protestantisme su- diste et la violence qu'il a engendrée est bien traduite par Julius, dans Mosquitoes : « Il me semble que la foi protestante a été inventée dans le seul but de remplir nos prisons, nos morgues et nos maisons de détention... Comment les jeunes Protestants passent-ils leurs dimanches après-midi dans les pe- tites villes quand le baseball et les dépenses physiques du même genre leur sont refusés ? Ils tuent, massacrent, volent et brûlent ». La préoccupation du péché et de la culpabilité qui caractérise l'Église presbytérienne et baptiste dans le Sud fait du sudiste un être incapable, selon Peter Swiggart, d'ac- cepter les sentiments antithétiques du plaisir. D'après Faulkner, dans Light in August, le sudiste s'échappe alors dans la vio- lence : « Le plaisir, l'extase, ils ne peuvent apparemment pas les assumer. Ils les fuient dans la violence, l'alcool, la bagarre et la prière ». Faulkner traite les baptistes et les presbytériens bien plus durement que les méthodistes. A propos des baptistes, par exemple, il déclare dans un entretien donné en Virginie qu'« on peut légitimement se demander si les baptistes croient ou non dans la religion ». D'ailleurs la plupart des gens à Yoknapa- tawpha sont des baptistes et on peut noter ici que les « méchants » sont chez l'auteur des membres de l'Eglise bap- tiste, comme Flem Snopes, modèles de l'amoralité du nouveau riche, son cousin sadique, Clarence, qui est également un juge corrompu, les habitants de la ville dans Sanctuary qui lynchent l'innocent Lee Goodwin ou M. Stovall, le diacre qui se sert de Nancy comme d'une prostituée, refuse de la payer et la frappe au sol en lui brisant les dents. Les presbytériens, en fait, ne sont pas épargnés par Faulkner, comme l'illustrent Doc Hines et Simon MacEachern, tous deux des fanatiques religieux destructeurs. Les méthodistes, eux, sont traités avec plus d'in- dulgence. Bien que Goodhue Coldfield, le marchand méthodiste, aille jusqu'à se priver de nourriture dans un grenier, signe de l'extrémiste protestant, ses filles Rosa et Ellen sont toutefois traitées avec plus d'indulgence, puisqu'elles sont dépeintes comme les pauvres victimes de l'opportunisme et de la féroci- té de Thomas Sutpen. Will Varner, un autre méthodiste, est considéré comme le citoyen en chef de Frenchmen's Bend, tan- dis que les Mallison de leur côté, eux aussi des méthodistes, sont, au moins, dans Intruder in the Dust, l'incarnation de l'une des familles les plus positives chez Faulkner. En général, la religion était, après la famille, l'institution dominante du Sud ; son importance est bien perçue par Lil- lian Smith dans Killers of the Dream lorsqu'elle affirme que « Dieu n'était pas simplement quelqu'un qu'on rencontrait le dimanche ; en réalité il faisait complètement partie de la fa- mille ». Dans les états sudistes, les méthodistes et les bap- tistes constituaient au moins les deux tiers des protestants déclarés et en Géorgie, dans le Tennessee, l'Alabama, l'Ar- kansas et en Louisiane, ces deux cultes représentaient plus de quatre-vingts pour cent des Églises protestantes. Dans The Town, par exemple, la ville de Jefferson est fondée par « une petite communauté inflexible, constituée de façon informelle à la fois de Baptistes et de Méthodistes ». Or il y avait plus d'églises baptistes que d'églises méthodistes dans le Sud. Pres- que la moitié des membres de l'Église sudiste se rencontraient dans l'Eglise baptiste du Sud ; elle regroupait plus de 12,4 millions de personnes et était représentée par 35 000 congrégations en 1973. Toutefois, la différence entre les mé- thodistes et les baptistes ou même les presbytériens repose sur leur croyance en la culpabilité de l'homme, en sa dépra- vation et en la prédestination, face au libre arbitre des mé- thodistes. La conception calviniste de la prédestination rejoint, ainsi que Alwyn Berland l'a fait remarquer, l'idée de Faulkner pour qui le temps tout entier, passé et futur, est dans le mo- ment présent. Les Calvinistes, comme l'a montré George San- tayana, prenaient un plaisir féroce à l'idée même de la misère et spécialement celle de tout un chacun. Faulkner a semblé, jusque dans son dernier ouvrage, complètement absorbé par cette tradition, « la tradition protestante calviniste », selon J. Robert Barthe. Il demeure jusqu'à un certain point, mal- gré l'aspect contradictoire de la majeure partie de son œuvre, toujours sous l'influence de son éducation méthodiste, comme en témoigne sa production de la deuxième partie des années cinquante et des années soixante, ainsi que la déclaration faite lors de son entrevue en 1956 avec Jean Stein où il affirme « que l'homme est indestructible à cause de sa volonté d'ê- tre libre ».

La position religieuse antérieure de Faulkner est implici- tement à la limite de l'agnosticisme et de l'athéisme, au point que l'on peut même se demander si, pour lui, comme pour le révérend Mahon dans soldiers' Pay, Dieu ne serait pas l'ar- bitraire. Il semble que pour Faulkner, comme pour Mahon, Dieu pourrait se définir comme « circonstance ». De façon analogue, en 19 51, lors de la publication de Requiem for a Nun, la question put se poser de savoir si Temple ne serait pas le porte-parole de l'auteur lorsqu'elle se demande : « Quel est donc ce Dieu qui soumet Ses fidèles au chantage de la misère et de la ruine du monde ? » Finalement, Faulkner tente de fuir toute soumission à une quelconque orthodoxie religieuse. Dans un entretien de 1 9 5 2, il déclare qu'il ne croit pas en un Dieu mécanique ou personnel — la divinité favorite du protestantisme sudiste — mais plutôt en « un Dieu qui est l'expression la plus com- plète de l'humanité, un Dieu qui appartient à la fois à l'éternité et au présent... selon une conception très proche de celle de Bergson ». La position religieuse plus tardive de Faulkner transparaît le mieux chez le révérend Tobe Sutterfield qui, dans A Fable, déclare qu'il témoigne de l'homme. « Dieu n'a pas besoin de moi. Bien sûr je suis le témoin de Dieu, mais je suis avant tout le témoin de l'homme ». Ce dernier com- mentaire comporte toujours des relents d'agnosticisme. Il faut souligner enfin l'élément puritain du protestantisme sudiste et son impact déterminant dans l'œuvre de Faulkner. Le mouvement, connu sous le nom de Great Awakening, qui naquit dans le Sud vers 1740, allait avoir une influence ma- jeure sur l'histoire religieuse du Sud et indirectement un im- pact considérable sur l'œuvre de Faulkner. Depuis le début, ce mouvement avait de quoi attirer tout spécialement les su- distes car il offrait, entre autres grandes innovations, la mise en pratique de la « religion de famille » ; il encourageait la dévotion familiale. Le Great Awakening était un mouvement opposé au formalisme de l'Église épiscopale ; il était d'un grand attrait pour l'homme du commun et donna naissance à une formidable croissance des églises baptistes, méthodistes et presbytériennes. H. L. Mencken fait référence au Sud comme à « la bande des États-Unis, fosse de Baptistes, miasme de Méthodistes, de charmeurs de serpents, de promoteurs mar- rons, d'évangélistes syphilitiques » et décrit le Sud comme « le dernier grand rempart de la chrétienté... le défenseur de l'Arche, ses habitants... [étant] le peuple élu ». Faulkner ne se réfère ni à l'élément « orgiaque » de ce mouvement évangé- lique ni à son Dieu anthropologique, ce « tyran passionné et fantasque », le Dieu auquel Doc Hines et Joanna Burden s'adressent « comme s'il s'agissait d'un homme présent dans cette pièce ». L'auteur est toujours très influencé par l'esprit calviniste de répression sexuelle propre à ce mouvement. L'in- fluence puritaine la plus forte s'empare du Sud avec l'arrivée du Great Awakening. C'est le rapprochement constant du sexe et du péché, la conception de la sexualité de l'homme comme symbole de sa nature déchue, l'image de la femme tentatrice — une Ève condamnée à le détruire — enfin une vision des choses qui domine la majeure partie de l'œuvre de Faulkner ainsi que l'illustrent les Charlotte Rittenmeyer, Temple Drake, Joanna Burden et Eula Varner. Le puritanisme de Faulkner est l'un des thèmes qui ont le plus retenu l'attention des critiques à la fois américains et étrangers. Faulkner s'y arrête dans une lettre à Maurice Coin- dreau dès 1932. Il avoue qu'il a « une conception très puri- taine de la sexualité (au sens propre du terme puritain bien sûr, et non dans son acception américaine) ». En dehors des critiques sus-mentionnés, bien d'autres critiques américains se sont penchés sur cet aspect de son œuvre. Wyndham Lewis, par exemple, se réfère à lui comme à un « moraliste calvi- niste » ou comme au « moraliste avec un épi de maïs », tan- dis que Edith Hamilton considère Faulkner « comme un puritain très torturé ». Peter Swiggart note en outre que « le thème majeur de l'œuvre de Faulkner est la façon dont l'es- prit puritain projette sur le monde une vision morale et so- ciale tourmentée ». Randall Stewart met en parallèle, de façon frappante, le Sud de Faulkner et la Nouvelle-Angleterre de Hawthorne et observe que ces deux auteurs « se déterminent à partir d'une tradition qui considère le péché originel comme un postulat. Dès lors il importe peu de savoir si la tradition est protestante, catholique, calviniste ou augustinienne ». Ha- rold J. Douglas et Robert Daniel ont le sentiment que l'œu- vre de Faulkner « est nourri de calvinisme » et, comme Randall Stewart, établissent une comparaison entre Faulkner et Hawthorne. Ce sont surtout William Van O'Connor et Ilse Dusoir Lind qui, à propos de Light in August, en rendent compte : William Van O'Connor, dans The Tangled Lire conclut que « l'esprit calviniste est la question centrale » de Light in August et ajoute que « l'ombre noire de la Guerre est prise dans une force qui la dépasse, le calvinisme, et bien plus encore dans des principes sévères et un esprit rigide ». De son côté, lise Dusoir Lind, dans son article « The calvi- nistic Burden of Light in August », fait observer que Calvin Burden, personnage hanté par la mauvaise conscience — l'in- carnation du puritanisme sudiste — voit dans la mort de son parent « la volonté de Dieu et la malédiction d'Adam qui s'expriment dans le problème racial du Sud ». Les critiques étrangers ont prêté beaucoup d'intérêt au puritanisme de Faulkner. Si le prix Nobel allemand, Herman Hesse, a pu insister sur ce thème prédominant dans l'œuvre de celui-ci, il dénonce chez lui « la théologie puritaine abâ- tardie qui hante les romans de Faulkner, théologie sournoise, sombre, quasiment infernale ». Ce sont les Français qui ont 1 reconnu ce sillon puritain qui parcourt ses écrits. R. N. Raim- bault considère — c'est une exception — lorsqu'il critique Requiem for a Nun, que le puritanisme de Faulkner y est at- ténué, s'il a jamais existé « autrement qu'en apparence, en fausse apparence ». Cependant, la plupart des critiques fran- çais voyaient automatiquement en Faulkner un puritain. Hu- bert Juin trouve, dans Requiem for a Nun, comme un legs de la tristesse puritaine. Pour Michel Gresset, l'ensemble de l'œu- vre de Faulkner révélerait « un puritain au sens le plus strict du mot », tandis que Monique Nathan a le sentiment que Faulkner est toujours imprégné de son héritage puritain qui lui fait penser plus à la communion des pécheurs qu'à la communion des saints. Dominique Nores, comme Madaule et les autres, critique Faulkner pour excès de puritanisme, se de- mandant : « Laissons-nous envahir notre mode de vie par cette furie puritaine qui, traversant l'Océan, travaille à faire de nous des justiciers agresseurs de conscience » ? Pour Roger Asselineau, la rigueur ancienne du purita- nisme demeure profondément enracinée dans l'œuvre de Faulkner. Dieu serait alors le Jéhovah courroucé et implaca- ble de l'Ancien Testament qui poursuit sa vengeance « sans se soucier de savoir si ceux qu'il broie sont des innocents ou des coupables ». Et, à propos de Sartoris, Jean-Paul Sartre af- firme : « Le silence hors de nous, le silence en nous, c'est le rêve impossible d'un ultrastoïcisme puritain ». Les critiques français soulignent, en outre, l'importance du puritanisme chez Faulkner en le reliant à son attitude dé- sobligeante à l'égard des femmes, comme l'ont démontré Mau- rice Coindreau et François L. Pitavy. M. Coindreau fait remarquer que, contrairement à Erskine Caldwell, qui glori- fie les plaisirs de la chair, Faulkner, ayant « matérialisé son propre puritanisme ancestral », avilit les femmes et traite de l'érotisme comme de « la morbide bestialité ». Pour Coin- dreau, Faulkner parle des femmes comme « les Pères de l'Église. Moderne Paphnuce, il ne voit dans les filles d'Ève que des Thaïs promenant sous leur fard la plus vile lubrici- té ». François L. Pitavy avance que « nourri de l'Ancien Tes- tament et de ses mythes, Faulkner s'inscrit dans la descendance des puritains pour qui la femme est le serpent et l'homme l'éternel Adam qui tente en vain de refuser la pomme et de fuir l'Ève éternelle. » Les Français semblent plus conscients du puritanisme de Faulkner vis-à-vis des femmes et de la sexualité. Cela tient beaucoup au fait qu'historiquement la so- ciété française est plus libérale, et donc que les Français sont plus à même de reconnaître le conservatisme, sinon la miso- gynie, de l'auteur. L'idée de déterminisme ou de destin — thème intime- ment lié à la religion et au puritanisme sudiste — a égale- ment sa place dans l'univers de Faulkner. A travers la majeure partie de son œuvre et jusqu'au dernier ouvrage, il dépeint les hommes, et plus précisément le sudiste, comme les vic- times du destin. Dans son entretien en Virginie, il affirme l'importance du déterminisme en disant : « Je pense que le libre-arbitre de l'homme se met en jeu sur un fond de cul- ture grecque ». Les personnages de Faulkner, comme l'écri- vain lui-même, ont été influencés par la marque fondamentale du protestantisme sudiste. Il les dépeint constamment comme les victimes sans espoir du sort, du destin, du « joker cos- mique », du « noir joueur de dés », de l'adversaire, du ha- sard, du châtiment, de l'ironie du sort, du grand metteur en scène... enfin de « cet Arbitre, Architecte, Juge... pervers im- puissant ou aveugle ». Jusque vers la fin de son œuvre, lors- que l'auteur, lui-même, se sentira alors moins fragile, ses héros seront les jouets de « forces qui les écrasent inexorablement ». Et Faulkner pourrait faire sienne la remarque de Conner Vann Woodward : « Rien ne vient confirmer l'idée que le Sud se- rait, à travers son histoire, l'enfant chéri de la Providence ». Ce facteur déterministe, inhérent au calvinisme, devait probablement plaire à beaucoup de sudistes. Le sudiste tradi- tionnel, comme l'auteur lui-même, croyait que « le Sud... était mort, tué par la Guerre de Sécession », ce que suppose Tho- mas Wolfe lorsqu'il dit : « l'Amérique a déraillé à un certain endroit... au moment de la Guerre de Sécession, ou très peu de temps après ». Se considérant, eux-mêmes et leur société, comme des victimes sans espoir, les sudistes pouvaient se per- mettre de se retirer du monde pour se consacrer à eux-mêmes et à leur famille, tout en justifiant leur attitude par leur dé- sir d'échapper au pouvoir destructeur du « Manipulateur ori- ginel qui se joue des désirs fous » ; ils pouvaient, par ailleurs, excuser leur fuite en faisant valoir leur impuissance à lutter contre l'omnipotence du destin. En dernière analyse, les théo- ries de Faulkner sur la destinée ou la notion calviniste de dé- terminisme étaient l'ultime justification d'une religion et d'une philosophie qui leur permettait de se convaincre de leur in- nocence dans l'apathie et l'inaction ; M. Compson, son fils Quentin, le jeune Bayard Sartoris, Horace Benbow et le ré- vérend Hightower se satisfont de la passivité et de la faiblesse dues à la mentalité générale du Sud, et ils y restent plongés. Cette philosophie se résume à ce que dit M. Compson à Quentin, dans The Sound and the Fury : « On ne gagne pas de batailles, dit-il. Elles n'ont même jamais lieu. Elles révè- lent simplement à l'homme sa folie et son désespoir et la vic- toire est une illusion des philosophes et des fous ». Les écrivains et les critiques ont commenté l'importance du déterminisme dans l'œuvre de Faulkner ; celui-ci a reçu de la part des Français une attention toute spéciale. Aux Etats-Unis, ce sont Malcolm Cowley, Ralph A. Ciancio et Stanley Woodworth, parmi les critiques et les écrivains, qui ont relevé le rôle que joue le destin dans l'univers faulkné- rien. Cowley estime que les personnages de Faulkner sont nécessairement les victimes de leur passé ; ils sont incapa- bles d'échapper à leur sort et ne peuvent s'orienter dans le L'hypothèse principale du livre de Gwendolyne Chabrier est que la compréhension que Faulkner a pu avoir des relations familiales à l'intérieur de ses romans a évolué en fonction de la conception que lui-même a pu se faire de sa propre famille tant parentale que maritale. Parti d'une représentation très sombre des relations familiales où la mésalliance, l'adultère et l'inceste sont le lot tragique des fratries, Faulkner se servant de son travail d'écriture comme d'une thérapie réparatrice, va parvenir au travers de ses romans au fur et à mesure de leur création, à améliorer l'image détériorée qu'il avait de la famille en général et de sa famille en particulier, de sorte que les derniers romans ainsi que sa propre fin de vie apparaîtront comme apaisés au regard des premières œuvres et des difficultés personnelles rencontrées particulièrement dans sa vie de couple. Mêlant œuvre et vie, aux confins de l'essai et de la biographie, le livre de Gwendolyne Chabrier parvient très finement à éclairer la biographie par la création sans tomber dans les pièges d'une réduction intempestive ou d'une interprétation sans nuances.

Gwendolyne Chabrier est née à New-York en 1948. Après des études à l'Université de New- York et à Harvard, elle a enseigné la littérature tant aux États-Unis (Université de New-York) qu'en France (Universités de Rouen et de la Sorbonne). Elle vient de soutenir avec succès à Paris, une thèse de doctorat d'Etat sur Faulkner.

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