WILLIAM FAULKNER LA SAGA DE LA FAMILLE SUDISTE © Lignes S.A. 1988 ISBN 2-906284-80-7 GWENDOLYNE/CHABRIER WILLIAM FAULKNER LA SAGA DE LA FAMILLE SUDISTE LIBRAIRIE SÉGUIER 3, rue Séguier, 75006 Paris INTRODUCTION Cet ouvrage a pour objectif d'étudier la famille faulknérienne d'un point de vue littéraire à travers l'œuvre — romans et nouvelles — de Faulkner. Toutefois, quelle que soit l'analyse littéraire que l'on peut faire du lauréat du prix Nobel, cette analyse doit prendre en considération le contexte sociologique et biographique de l'auteur, tout en mettant en balance l'importance de la projection par rapport à la réalité. Faulkner est tout d'abord un sudiste, et sa conception de- la famille ne peut être comprise que dans son cadre spécifique. Le rôle prépondérant que joue la famille, en tant que telle, est bien résumé dans un article récent de Donald M. Kar- tiganer : « Plus peut-être que le chroniqueur d'un coin mythique du Mississippi, Faulkner est le premier romancier américain de la famille. Les personnages qu'il décrit de ma- nière si caractéristique et si forte traînent dans leur sillage des nuées de parents qui les déterminent : grands-parents, parents, frères et sœurs dont l'identité cumulative forme l'indispensa- ble contexte du caractère individuel. La plupart des person- nages de Faulkner ne sont pas des êtres seuls et isolés, mais des entreprises collectives, le produit et le processus de drames familiaux, sans lesquels l'acteur individuel est à peine com- préhensible. » Pour Faulkner, comme pour ses compatriotes sudistes, la famille était déjà, bien avant la Guerre Civile, l'institution dominante du Sud, comme elle l'est encore de nos jours. Elle peut être considérée comme un microcosme, un reflet de la société sudiste dans son ensemble. Dans ce monde patriarcal et passéiste en déclin, les familles imaginaires de Faulkner sont en partie créées à l'image de leurs doubles historiques ou actuels, en partie fondées sur une projection biographique, ou bien elles sont le fruit d'une imagination vivace et colo- rée qui tend bien souvent à exagérer la réalité, et ce jusque dans sa dernière œuvre, où l'on trouve alors une double ten- dance à la simplification et à la projection. Le lauréat du prix Nobel ne fut reconnu, dans son pro- pre pays, à l'exception de ses pairs en littérature, qu'à la publication de Sanctuary en 1933. Il reçut un maigre accueil de la part de la majorité du public américain puritain. Or, Faulkner était déjà, en 1931, très apprécié à l'étranger. Les Français étaient ses plus fervents admirateurs. Durant l'hiver 1932, Maurice Coindreau lança Faulkner en France, suivi de près par André Malraux, Valery Larbaud, Jean-Paul Sartre et Albert Camus, parmi les plus connus. Le succès qu'il obtint par la suite en Amérique vint en grande partie du soutien de ce que Malcolm, son beau-fils, décrivait comme « la France chérie de Pappy ». Jusqu'à la publication de l'édition Viking Portable de Faulkner en 1946, ses ouvrages étaient périodi- quement épuisés aux Etats-Unis. Les Américains s'étaient jus- que-là trompés sur l'œuvre de Faulkner, la jugeant trop régionaliste, tout en la trouvant illisible et immorale. En réa- lité, s'il est vrai que Faulkner est un écrivain régionaliste et que le Sud, et tout spécialement la famille sudiste, est au cen- tre de son œuvre, il reste que ses romans transcendent l'en- vironnement local et parlent de vérités universelles, ce que la classe moyenne américaine provinciale fut incapable de voir. Faulkner était considéré, d'un point de vue personnel, comme un asocial, un sauvage, et le lecteur américain acceptait dif- ficilement ce détachement apparent. Il est vrai que la critique nationale se comprend. Le refus de s'adapter à son public peut s'expliquer en grande partie par sa peur presque para- noïaque de l'intrusion. Faulkner était probablement le seul auteur à se servir d'une hache pour faire des trous dans le chemin qui menait à sa maison afin de se débarrasser de ses visiteurs. Il arrivait même que Faulkner urinât systématique- ment sur les parterres de fleurs devant la véranda lorsqu'il se sentait menacé par les touristes, comme le rapporte Lamar Stevens. Malgré la réticence à son égard de la plupart des Mis- sissippiens (dont presque tous les membres de sa famille), les familles imaginaires qui peuplent le comté mythique de Yok- napatawpha sont modelées pour une large part sur les familles qu'il connaissait à Oxford. Certaines sont, elles, à l'image de la famille Falkner comme les vieilles familles de la haute société telles les Compson, les Sartoris et les Priest. Jusqu'à son dernier ouvrage, les familles de Yoknapatawpha vont connaître un déclin systématique, comme la sienne propre, au fil des générations. Quant aux personnages, ils tentent de s'évader du présent pour trouver refuge dans un passé idéalisé. Le sudiste tradi- tionnel, comme l'auteur lui-même, regrette l'époque d'avant la Guerre Civile, celle d'Absalom, Absalom !, avec « les nègres de la maison (qui portaient) les parasols et les chasse-mouches », « les dames qui circulaient parmi les minuscules popelines des petits garçons et les pantalons des petites filles... », enfin « la grande maison remplie de chandeliers, de robes de soie et de champagne ». Le sudiste a des difficultés à adapter son mode de vie à la vulgarité et à l'immoralité du nouveau Sud. Comme le dit Robert Penn Warren, le gentleman sudiste du dix-neu- vième siècle est complètement dépassé par la société du vingtième : « La plupart de ceux qui sont issus de l'ordre ancien sont incompétents à maints égards : la compétition avec des Snopes sans honneur leur est interdite par leur code de l'honneur, ils oublient l'esprit de leur tradition pour s'accro- cher à la lettre, ils perdent contact avec les réalités du présent (i) Ancien nom de la famille de William, qui ajouta un « u » en 1918. et se réfugient dans un monde imaginaire fait d'alcool, ou de rhétorique, ou de bonnes manières, ou de folie, ils s'entichent de la défaite ou de la mort... » Yoknapatawpha ne comprend pas qu'une élite apparte- nant à la haute société, elle est aussi habitée par une classe moyenne représentée par les Colfield ou encore par les High- tower. Ces familles ont tendance à se mêler et à s'identifier à la haute société, ce qui fait qu'elles connaissent les mêmes problèmes en leur sein. Il existe aussi un autre type de fa- mille de la classe moyenne, c'est celle que personnifient les Snopes, que Faulkner déteste, qui est montée très rapide- ment dans l'échelle sociale sudiste du vingtième siècle, en plein mouvement. Et ces familles-là sont sujettes à une frag- mentation occasionnée par les valeurs matérialistes du par- venu. Faulkner met surtout l'accent sur les familles de la haute société, sur les familles pauvres et sur les familles noires, ce qui n'est pas surprenant si l'on considère que le Sud était une société très stratifiée avec des distinctions de classes très nettes, où la classe moyenne refusait son identi- té sociale pour s'amalgamer à la haute société. Sans cela, elle restait une classe à part très conservatrice. On comprend donc que l'attention de Faulkner se porte sur les classes res- tantes, tout spécialement sur les familles pauvres blanches comme celle des Bundren, ou bien sur les familles noires comme celle des Gibson. Dans l'œuvre de Faulkner, les familles pauvres blanches sont pourtant la proie de conflits très semblables à ceux que connaissent les familles aisées, conflits amplifiés par les difficultés matérielles de tout ordre. L'auteur arrive à s'identifier aux membres des classes défa- vorisées, du moment qu'elles sont blanches. Il projette, en outre, bien qu'à un degré moindre, ses problèmes familiaux sur ces groupes. A l'inverse, le regard qu'il porte sur les Noirs est complètement différent. Ne s'identifiant pas à ses frères noirs, qui dans la société sudiste forment une caste et une classe à part, il idéalise généralement les familles noires et mulâtres, puisqu'en tant que sudiste libéral il porte la responsabilité de leur exploitation. En même temps, Faulkner présente toujours de paisibles familles rurales noires telles que les Beauchamp ou les Gibson qui, bien qu'elles se révoltent de façon périodique contre leurs maîtres, ne s'ima- ginent même pas pouvoir un jour les égaler ou, pire, les dé- trôner. Finalement, c'est la famille noire qui, dans la réalité, est obligée de s'occuper des familles blanches décadentes, fin de race, et impuissantes, revers ultime des relations maître- esclave. Si l'on se penche avec attention sur les relations fami- liales des familles blanches, plus précisément celles des cou- ples et celles qui mettent en jeu les parents et leurs enfants, sans oublier les relations de type incestueux ou encore mixte, on se rend compte que l'univers faulknérien est condamné à un enfer puritain, où les familles sont vouées au refoulement, à l'incompréhension, à l'isolement, au rejet, à l'ambivalence, à la domination, à la rébellion, aux problèmes d'identité et à la culpabilité. Les familles fictives de Faulkner, tout comme les familles sudistes ou la sienne propre, sont le produit d'une société patriarcale, d'une société dominée par l'homme, où la femme est reléguée sur un piédestal isolé, pendant que celui- ci jouit de sa supériorité sur la femme mais aussi sur le Noir. Avec l'arrivée de la Guerre Civile, la société connaît de tels bouleversements que le pouvoir de l'homme blanc est remis en question, surtout par le Noir mais aussi par la femme.
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