Opération Grand Site des Falaises d’Étretat – Côte d’Albâtre

Livret Esprit des Lieux

5 juin 2015

Qu’est-ce que l’Esprit des Lieux?

La notion d’esprit des lieux est employée pour désigner la personnalité particulière de chaque Grand Site. Cette personnalité propre repose sur des caractères tangibles et intangibles, qui relèvent d’une appréciation pour partie objectivable et pour partie sensible du lieu, de la part de celui qui en fait l’expérience.1

Dans le cadre de l’Opération Grand Site des Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre, cette défi nition de l’esprit des lieux, objet du présent document, émane du travail d’expertise des prestataires choisis pour élaborer les études de diagnostic et d’élaboration du programme d’actions. Réalisé dans une démarche de concertation avec les membres du Comité Technique, ce document synthétique complète les documents de diagnostic plus exhaustifs réalisés dans le même temps. Il résulte à la fois des observations de terrain, des recherches et des entretiens avec des personnes «ressources» - les éléments tangibles - et des ressentis individuels, de l’expression des élus du territoire lors d’un séminaire ou encore d’échanges informels avec des habitants - les éléments intangibles. Chaque personne ayant sa propre expérience du territoire et ces expériences étant parfois contradictoires, ce document renferme une certaine part de subjectivité et laisse place à une certaine forme d’imaginaire.

« Je vis sur les falaises. J’adore positivement ces La défi nition de l’esprit des lieux du territoire des Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre marque la fi n de la falaises d’Etretat. Je n’en connais pas de plus belles, phase de diagnostic. Ce livret, par le caractère du lieu qu’il décrit, doit à présent être un outil de référence de plus saines. Je veux dire saines pour l’esprit. pour l’élaboration du programme d’actions de l’Opération Grand Site. C’est une admirable route entre le ciel et la mer, une Ces actions devront en effet permettre à chaque habitant et chaque visiteur du territoire de saisir et de route de gazon qui court sur cette grande muraille de rochers blancs et qui vous promène au bord du percevoir ce qu’est l’esprit de ces lieux. monde, au bord de la terre, au-dessus de l’Océan. Mes meilleurs jours sont ceux que j’ai passé, étendu sur une pente d’herbe, en plein soleil, à cent mètres au-dessus des vagues, à rêver. » Guy de 1 Extrait du document « Valeurs communes des Grand Sites de » Maupassant; L’Homme de Mars, 1887 Document-cadre approuvé par le Conseil d’administration du Réseau des Grands Sites de France du 2 octobre 2014

1 Fécamp

Saint- Criquebeuf- Léonard en-Caux

Vattetot- sur-Mer

Froberville Bénouville

Étretat

Bordeaux- Saint-Clair Les Loges

Le Tilleul

La Poterie- Cap d’Antifer

Saint-Jouin- Bruneval

Carte des paysages du territoire des Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre

2 Si le territoire de l’Opération Grand Site des Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre est un territoire de projet nouvellement constitué, celui-ci pour autant ne tient pas du hasard. En effet, de ses treize communes littorales*, situées entre Fécamp et Saint-Jouin-Bruneval, on découvre un ensemble paysager époustoufl ant, riche d’un patrimoine naturel et culturel multiple d’où se dégage une atmosphère rugueuse tout autant qu’accueillante et fi nalement ressourçante. Le paysage rural du plateau cauchois y laisse peu à peu, à mesure que l’on avance vers le trait de côte, entrevoir l’immensité de la mer et la pureté de son horizon.

Paysages distincts, le plateau et le trait de côte montrent des visages et des univers bien différents. Ces contrastes se matérialisent particulièrement par ces falaises abruptes qui délimitent le «monde d’en haut» et le «monde d’en bas». Ils s’incarnent dans les fi gures des « gens de mer » et des « terriens » qui aujourd’hui encore se sentent parfois étrangères l’une à l’autre, tout comme les habitants laborieux et les visiteurs oisifs qui se cotoient sans se connaître et se disputent l’accès aux logements et aux infrastructures.

Ces confrontations marquées sont pourtant largement déjouées par de très nombreux liens qui se sont tissés au fi l des siècles, grâce en particulier à l’existence et à la vie des vallées et des valleuses, connexions naturelles et exclusives entre deux univers qui partagent et échangent plus qu’ils ne le laissent voir au premier abord.

Depuis l’apparition du tourisme balnéaire et le développement des infrastructures ferroviaires et routières, cette terre et cet horizon maritime attirent un public toujours plus large et lointain tout comme ils ont fasciné les artistes les plus aboutis et reconnus de leur époque, dont les plus connus à travers le monde sont les impressionnistes.

Ce territoire, plus que tout autre, entretient un rapport très particulier au temps. L’alternance des couches de craie et de silex sur les falaises agit comme une partition à ciel ouvert, rythmant l’immensité du temps géologique auquel vient se superposer l’instantanéité des lumières et des couleurs changeantes au gré du climat instable et capricieux. Cette imbrication des échelles du temps et la confrontation aux éléments a le pouvoir de renvoyer quiconque foule cet espace à des questionnements personnels, philosophiques voire mystiques.

Cette expérience consciente ou inconsciente nécessite de savoir parcourir et traverser ce territoire, de changer de point de vue, de braver le climat et surtout de ménager des temps de contemplation. La compréhension de la nature profonde des Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre est à ce prix. Ce territoire se cherche, s’expérimente, s’éprouve, se vit, pour offrir au fi nal non seulement un voyage unique dans un lieu mythique mais également une expérience intérieure, intime et inattendue.

*Les limites du Grand Site des Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre n’étant pas encore défi nies, ce livret porte sur le territoire des treize communes de l’Opération Grand Site.

3 (1) Le site des Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre : un territoire aux trois paysages aux confrontations fortes et aux liens discrets

Le site des Falaises d’Étretat – Côte d’Albâtre englobe une partie de la frange littorale du Pays de Caux. Entre Saint-Jouin-Bruneval et Fécamp, c’est le spectacle du plateau de Caux qui s’achève brusquement par des falaises de craie, face à la Manche, qui nous est offert. Ce plateau, lieu de labeur battu par les vents, est entaillé de nombreuses petites vallées sèches, communément appelées valleuses, qui nous accueillent chaleureusement et nous emmènent doucement vers la mer. Le plateau, les vallées et valleuses et le trait de côte, constituent les trois visages du territoire des Falaises d’Étretat – Côte d’Albâtre. Ils forment pourtant un tout indissociable, une sorte de « bout du monde » qui nous projette tantôt vers la Mer, tantôt vers la Terre, un lieu authentique et contradictoire jusque dans son patrimoine culturel matériel et immatériel (« gens de terre » / « gens de mer » ; villégiateurs et touristes / population locale, etc.) mais aussi un lieu d’échanges et d’infl uences réciproques que l’on retrouve dans l’architecture, les chants et danses, etc.

Les troupeaux de vaches qui semblent se détacher sur l’horizon marin créent un lien insolite entre le plateau et la mer.

4 LE PLATEAU : de vastes étendues ondulantes dédiées à l’agriculture, ponctuées de nombreux hameaux et bourgs à l’identité rurale et jardinée

Le plateau se déroule en légères ondulations occupées quasi exclusivement par l’agriculture. Les grandes parcelles de cultures et, dans une moindre mesure, de prairies laissent fi ler le regard au loin, parfois jusqu’à la mer. De nombreux noyaux habités ponctuent toutefois ces étendues. Ils émergent, signalés par l’abondante végétation qu’ils renferment ou par un clocher qui pointe, quand il s’agit des bourgs.

Le plateau est un espace surtout vécu au quotidien par ses habitants - qui l’appellent «la plaine» - et les agriculteurs qui le façonnent. C’est un lieu que l’on traverse mais qui laisse entrevoir, au détour d’un chemin ou d’une route, au hasard des courbes du relief, une vue sur la mer ou sur un élément rappelant la présence de la mer (phare d’Antifer, sémaphore de Fécamp, etc.).

« Le soleil de midi tombe en large pluie sur les champs. Ils s’étendent, onduleux, entre les bouquets d’arbres des fermes, et les récoltes diverses, les seigles mûrs et les blés jaunissants, les avoines d’un vert clair, les trèfl es d’un vert sombre, étalant un grand manteau rayé, remuant et doux sur le ventre nu de la terre. » Contes du jour et de la nuit, L’aveu

5 Même si les cultures dominent l’occupation du plateau, les clôtures qui jalonnent les horizons signalent la présence de Le lin est une culture emblématique du prairies permanentes et territoire des Falaises d’Étretat – Côte rappellent l’importance de d’Albâtre. Sa fl oraison éphémère de couleur l’activité d’élevage, rattachées bleue et son léger balancement sous les effets généralement aux sièges du vent lui vaut un rapprochement fréquent d’exploitations agricoles. avec la mer.

A l’image de ces grands pins qui émergent au bord d’un chemin, quelques arbres remarquables par leur aspect graphique Les clochers, comme ici celui de Saint-Jouin-Bruneval, sont des éléments de repère importants dans viennent parfois pontuer le paysage. le paysage de plateau. 6 Les bourgs et hameaux du plateau sont riches de l’architecture qui les compose et de l’abondante végétation qu’ils renferment (clos-masures ou restes, talus ou fossés cauchois, anciens vergers, jardins, bandes végétalisées). L’imbrication de ces éléments donne une qualité à ces noyaux habités.

Il existe un fort contraste entre le sentiment d’ouverture et de « lointain » qui domine au milieu des champs et la sensation d’intimité qui règne dans les noyaux habités. Mais ce contraste tient plus de la complémentarité. On vient chercher au cœur des hameaux ou des bourgs l’ombre qui manque dans les Les clos-masures constituent une structure paysagère marquante du Pays de Caux. Ils champs en été. On vient aussi se protéger du vent, font d’ailleurs l’objet d’une démarche d’inscription au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. qui souffl e sans limite sur les étendues agricoles. Au sein du territoire des Falaises d’Étretat – Côte d’Albâtre, ils existent rarement en tant qu’entité isolée – comme sur la photo ci-dessus – mais constituent plutôt, par leur agglomération, la base des structures urbaines des hameaux et villages. Certains vergers de haute-tige qu’ils renferment traditionnellement sont aujourd’hui préservés. Les mares sont également un élément du paysage du plateau qui tend par contre à disparaître.

L’architecture traditionnelle est une association de brique et de silex, typique du pays de « La cour, immense, entourée de cinq rangées d’arbres Caux. magnifi ques pour abriter contre le vent violent de la Les bâtiments traditionnels plaine les pommiers trapus et délicats, enfermait de sont presque systématiquement longs bâtiments couverts en tuiles pour conserver les alignés aux voies, soit de fourrages et les grains, de belles étables bâties en manière parallèle ou de silex, des écuries pour trente chevaux, et une maison manière perpendiculaire. en briques rouges, qui ressemblait à un petit château. » Ils participent à la composition Guy de Maupassant,Contes du jour et de la nuit, Coco de l’espace public. 7 « En face de lui, LE TRAIT DE CÔTE: Porte à la Reine presque au niveau de la Porte au Roi falaise, en pleine mer, se Cap Fagnet dressait un roc énorme, une interface de craie monumentale et abrupte entre la Terre et la Mer, Trou au Chien haut de plus de quatre- vingts mètres, obélisque soulignée de plages de galets colossal, d’aplomb sur Fécamp sa large base de granit la Roche qui pleure que l’on apercevait la Bonne Pierre au ras de l’eau et le Chaland qui s’effi lait ensuite Pointe du Chicard jusqu’au sommet, ainsi la Pucelle Roche aux Anglais que la dent gigantesque Yport d’un monstre marin. Blanc comme la falaise, d’un blanc gris et sale, Fontaine aux Mousses l’effroyable monolithe Aiguille de Belval était strié de lignes Porte d’Amont Roc Vaudieu horizontales marquées le Chaudron par du silex, et où l’on le Banc à Cuves voyait le lent travail Porte d’Aval des siècles accumulant l’Aiguille Étretat les unes aux autres les la Manneporte couches calcaires et les le Pertuiser couches de galets. Pointe de la Courtine les Pisseuses De place en place la Roche aux Guillemots une fi ssure, une Pointe du Fourquet antofractuosité, et tout de suite, là, un peu de Cap d’Antifer terre, de l’herbe, des feuilles. Et tout cela puissant, solide, formidable, avec un air indestructible contre quoi l’assaut furieux des vagues et des tempêtes ne Port pétrolier pouvait prévaloir. Tout cela, défi nitif, immanent, grandiose, malgré la grandeur du rempart de falaises qui le dominait, Saint-Jouin- immense malgré Bruneval l’immensité de l’espace où cela s’érigeait. » Maurice Leblanc L’Aiguille Creuse

8 L’Aiguille et la Porte d’Aval à Étretat Le Roc Vaudieu et l’Aiguille de Belval Les falaises, hautes de 80 à plus de 100 mètres, créent la ligne de rupture entre la Terre et la Mer. Vues d’en haut ou d’en bas, leur verticalité les rend infranchissables. Gigantesques, monumentales, sculpturales, ces véritables murailles de craie blanche offrent un tableau de matières brutes, presque primitif. Apparemment immobiles et éternelles, elles sont pourtant des géants en constante mutation. Les falaises sont formées par des alternances de lits de silex noirs et de craie très blanche, formées au Crétacé Supérieur (entre - 100 millions et - 65 millions d’années). Cette craie, rare au niveau planétaire, est friable et donc sensible à l’érosion. La mer sape inlassablement le bas des falaises tandis que la dissolution du sommet par l’eau de pluie altère la masse de craie. La conjonction de ces deux phénomènes érosifs conduit à un recul des lignes de rivage et à une instabilité du trait de côte (éboulements).

Le trait de côte du territoire des Falaises d’Étretat – Côte d’Albâtre est un formidable témoin géologique, une véritable coupe géologique présentée verticalement devant nos yeux. Les falaises sont surtout « visitées » parce qu’elles sont de véritables monuments naturels. On emploie souvent pour parler d’elles les termes de « mur » ou de «muraille», on les qualifi e de sculptures, elles s’apparentent à une forme d’architecture dessinée par la nature. Leur géomorphologie rare, leur couleur blanche, si lumineuse, leurs avancées dans la mer et leurs formes (arches), les aiguilles qui semblent s’en être détachées, leur donnent une renommée mondiale. Chaque pointe, chaque porte, chaque aiguille, chaque source est nommée. Elles sont alors familières et servent de point de repère pour les locaux. Au pied des falaises, la grève crayeuse est couverte de galets de silex, roulés et polis par les vagues et les courants. Si inconfortables sous les pieds, ils rendent la baignade sportive et vivifi ante.

Plage d’Antifer

La blancheur des falaises rend la lumière plus intense quand le soleil brille, la mer scintille alors comme nulle part ailleurs. Au contraire, quand le brouillard est là, l’eau n’est plus qu’une étendue sombre et peu accueillante, et les roches qui nous entourent prennent une allure fantomatique, presque monstrueuse.

Trou dans la falaise - plage Tufi ère près de Grainval Lits de silex dans la craie Blocs de craie, plage d’Antifer d’Antifer 9 Le trait de côte a constitué longtemps à la fois un lieu de labeur et de loisirs, partagé par les pêcheurs (à pieds ou en bateau, pêche côtière ou en haute mer), les travailleurs des chantiers navals et des industries, les ramasseurs de galets, les lavandières, les vacanciers et les baigneurs, etc. C’est encore aujourd’hui le cas à certains endroits, comme dans le port de Fécamp, à la fois port de plaisance, port de pêche et port de marchandises. Les usages du bord de mer ont toutefois beaucoup changé et l’on s’y adonne désormais majoritairement à des activités de loisirs.

La tradition portuaire sur le territoire des Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre est très ancienne. Les Calètes et les Véliocasses par exemple, installés sur le territoire vers 300 avant Jésus-Christ, étaient à la Le port de Fécamp fois agriculteurs et pêcheurs et avaient établi un port d’échouage dans l’anse de l’actuelle Etretat.

Le port de Fécamp a été fondé au XIème siècle. D’abord tourné vers la pêche aux harengs, il est devenu dans le courant des XIXème et XXème siècles un des plus importants ports morutiers de France avec les Terre-Neuvas. Il est marqué sur son pourtour par la présence de patrimoine lié à l’industrie maritime et par des établissements d’armement, puis en deuxième ligne par les maisons de pêcheurs. Il demeure actif et est encore aujourd’hui tourné vers le transport de marchandises (principalement bois, sel, graves de mer, néphéline et engrais) et dans une moindre mesure l’avitaillement et la pêche, côtière, petite pêche et grande pêche. La criée existe toujours. Fécamp dispose également d’un port de plaisance relativement important.

Yport et Étretat n’ont jamais disposé quant à elles de ports véritablement constitués. Il s’agissait plutôt de ports d’échouage dédiés à la pêche côtière et parfois au . Les bateaux utilisés, notamment Le front de mer à Yport les caïques (bateaux bordés à clins, comptant trois mâts, très résistants et légers, pouvant accueillir plus de huit hommes) mais aussi quelques canots (eux aussi à voiles, comptant deux mâts, plus petits que la caïque et pouvant accueillir deux ou trois hommes), étaient construits sur place. Les ports d’Yport et Etretat offrent aujourd’hui un front de mer avec pour paysage les bateaux, anciennement caïques ou périssoires désormais embarcations de loisirs, ainsi que les éléments rattachés à l’activité de la pêche (caloges, anciennes caïques renversées servant de réserve ; cabestans, etc.).

Le port pétrolier à Saint-Jouin-Bruneval est la plus récente infrastructure liée à l’activité maritime créée sur le territoire. Ce complexe industriel, port satellite du Havre, est installée en contrebas des falaises. Il est composé d’une digue principale de 3,5 kilomètres de long et de plusieurs cuves de stockage.

10 Le front de mer à Étretat Le port pétrolier depuis «Le Belvédère» à Saint-Jouin-Bruneval La présence des falaises rend l’expérience de l’estran très particulière. Comme écrasé par des géants de craie, on s’y sent tout petit. L’infi ni de la mer qui s’étend devant nous n’est pas pour atténuer cette impression. Y accéder n’a déjà pas été chose facile… Les goélands, dans leur ballet circulaire incessant vers les Le galet est devenu un véritable symbole pour falaises où ils nichent, semblent même se moquer de nous ! le territoire des Falaises Le bruit des galets qui roulent sous l’effet de la houle est d’Étretat - Côte d’Albâtre. tantôt reposant, tantôt presque assourdissant, suivant la D’une part pour l’histoire qu’il force de la mer. raconte, liée aux ramasseurs de galets (le galet était utilisé comme matériau de construction une fois taillé, mais aussi par exemple dans la fabrication de la porcelaine), dont l’activité a largement Plage de Vaucottes décliné dans les années 1970 . Cette activité est aujourd’hui interdite puisque les galets Les stations balnéaires (Étretat, Yport et Fécamp) constituent une véritable se sont développées principalement à partir de protection au pied des la deuxième moitié du XIXème siècle jusqu’à la falaises et devant les valleuses Première Guerre Mondiale, sur le modèle des aménagées contre l’érosion et stations balnéaires anglaises. Leur première vocation l’assaut des tempêtes. était essentiellement thérapeutique, dans la lignée des courants hygiénistes du XIXème, avant un développement de la dimension ludique des bains de mer et du thermalisme. Pêche à pied, Yport Kayakistes à Fécamp

M. Cramoysan - Ramasseurs de galets - Étretat - 1970 source: www. cataloguedrouot.com

Les lavandières, elles aussi disparues, creusaient à marée basse pour venir chercher l’eau douce cachée sous les galets et nécessaire au lavage source: www.affi ches-anciennes.fr source: www.normandie-heritage.com Activités nautiques, Plage de Saint-Jouin-Bruneval du linge. 1111 Valleuse de Grainval Pointe du Chicard Le bord de falaise: un Yport Porte d’Amont balcon sur l’immensité de la mer... Depuis le bord de falaise, c’est le sentiment de projection et de suspension au-dessus de la mer qui domine. La sensation de vertige alterne avec le sentiment de toute- Falaises vues depuis le Cap Fagnet puissance. La peur de basculer laisse parfois place à l’envie de sauter, comme si les lieux nous rendaient Le trait de côte est une interface entre Terre et Mer. En haut, il possède une certaine invulnérables. profondeur qui se défi nit par le rapport visuel progressif qui s’instaure avec l’étendue marine. Depuis le plateau, sur les cent derniers mètres, parfois plus, parfois moins, l’horizon de la mer prend peu à peu une place plus importante dans le champ visuel. Les étendues vertes sont remplacées au fur et à mesure que l’on avance par une étendue bleue, de plus en plus présente.

Aller voir la mer est un but en soi et la ligne de falaises qu’on atteint enfi n est un véritable balcon sur la mer. C’est un lieu de contemplation, on y vient voir cet horizon, cet infi ni qui n’est pas un lieu pour l’Homme. Cet espace très pratiqué des randonneurs est aussi un fi l tendu qui permet d’embrasser du regard une immensité d’eau confrontée à une immensité de terre. La mise en relation de ces deux éléments massifs que sont le plateau et la mer est évidente sur le rebord de falaise. Cette mise en relation, qui n’est ni tout à fait une confrontation, ni tout à fait un rapprochement, est résolument ce qui fait l’attrait et la force de cette partie du territoire.

Cette mise en relation est également matérialisée par le biais d’éléments construits.Ce balcon sur la mer est en effet ponctué d’édifi ces qui, malgré une vocation résolument maritime, sont de véritables points de repère à l’échelle du territoire et font le lien entre le plateau et le trait de côte. C’est le cas du phare d’Antifer, qui culmine à près de 130 mètres au niveau de la mer et de ce fait rayonne sur plusieurs kilomètres (il est visible depuis le plateau de Bénouville). De même, la Chapelle Notre-Dame de la Garde à Étretat, la Chapelle Le sémaphore de la Vierge à Fécamp culmine à plus de 110 Notre-Damedu Salut et le sémaphore de la Vierge, installés sur le Cap mètres au-dessus de la mer. Fagnet à Fécamp, eux aussi liés de près à la vie des marins, trouvent un écho jusque dans les terres puisque eux aussi sont visibles à plusieurs Phare d’Antifer kilomètres. 12 Falaise d’Amont LES VALLÉES ET VALLEUSES : Un lien entre terre et mer, 12 lieux intimes comme autant de lieux de vie et d’accès à la mer

Si les vallées et valleuses constituent de manière globale un des visages de la personnalité du territoire des Falaises d’Étretat – Côte d’Albâtre, chacune a son propre caractère.

Urbanisées de manière dense, à l’image des vallées accueillant Étretat, Yport ou Fécamp ; jardinées comme les valleuses de Bruneval et de Vaucottes ; sauvages Sur le GR21, la valleuse de Vaucottes comme la valleuse du Fourquet ; semi- émerge du plateau. boisées ou boisées comme la valleuse d’Antifer ou la valleuse d’Étigue ; elles ont cette particularité commune d’être des lieux d’accueil et les seuls accès à la mer, À l’exception de la valleuse du Fourquet, les vallées et valleuses du territoire des Falaises d’Étretat - Côte véritables liens physiques entre le plateau d’Albâtre ont toutes les versants boisés. Elles constituent donc de véritables écrins verts. Depuis le plateau, c’est et la côte. la végétation qui émerge de l’horizon qui nous indique leur présence.

Vue sur Étretat et son écrin boisé depuis la falaise d’Amont13 Les vallées et valleuses, de par leur forme naturelle, leur relief doux et Valleuse de Vaucottes leur végétation arborée, constituent des havres, des refuges, véritables réceptacles d’une vie fl oristique et faunistique riche et préservée. A l’inverse du plateau, elles sont préservées des vents forts et bénéfi cient d’un microclimat plus favorable.

Leur position en interface douce entre la terre et la mer a fait de ces vallées et valleuses, à l’exception des valleuses du Fourquet et d’Antifer et du Fonds d’Etigue, des lieux privilégiés d’implantation humaine. Les premières tribus dont les historiens et archéologues ont repéré des traces, ont trouvé là des sites privilégiés pour développer les trois activités qu’étaient la pêche, l’agriculture et le commerce. Véritables lieux de rencontres et d’échanges, les Vue sur Yport vallées et valleuses ont vu se croiser les « terriens » (venant commercer ou pour certains travailler sur la côte) et les gens de mer (pêcheurs, ramendeuses et ramasseurs de galets - aujourd’hui disparus, etc.), la population locale et les villégiateurs et touristes, les impressionnistes et leurs détracteurs, etc.

Valleuse de Bruneval Le patrimoine culturel et architectural présent en leur sein traduit ces notions de liens, de rencontres et d’infl uences réciproques. C’est dans le fond et sur les fl ancs des vallées et valleuses que l’on retrouve la plus grande diversité de patrimoine (villas et jardins des villégiateurs dans toute leur diversité, sobres ou excentriques, habitat collectif ou maisons individuelles; maisons de pêcheurs et leur architecture infl uencée par les modes constructifs amenés par les villégiateurs ; patrimoine industriel, majoritairement en lien avec les activités de pêche ; patrimoine religieux bâti et mobilier tel que les ex-voto). Un patrimoine qui renvoie aussi, par les matériaux utilisés (parements de silex et briques notamment), par la destination des bâtiments (patrimoine religieux présent sur l’ensemble du territoire, y compris sur le bord des falaises), par les graffi tis de bateaux retrouvés dans des églises rurales, etc., à celui que l’on observe sur le plateau et le long du trait de côte. Villa

C’est par ailleurs par le biais des vallées et valleuses qu’ont circulé les chants et danses du Pays de Caux et il n’est pas rare d’entendre les mêmes airs, les mêmes mélodies sur le plateau et sur la côte, chez les gens de mer et chez les gens de terre (qui utilisent de gros coquillages appelés cornets pour souligner les chants de fi n de moisson et se faire entendre de très Les valleuses de Vaucottes et de loin), d’y entendre les mêmes histoires racontées différemment et d’y voir Bruneval, valleuses de villégiature aux pratiquer les mêmes rondes chantées ou branles à trois pas. La dichotomie allures de parc habité, renferment ici n’est pas géographique mais sociale, ce sont les classes populaires qui une végétation luxuriante où des villas chantent et dansent. anglo-normandes sont dissimulées.

14 Le Clos Lupin à Étretat 1 2

La valleuse du Fourquet (2) et le Fonds d’Étigue (1) sont les plus sauvages du territoire. Leur aspect presque originel et le peu de fréquentation touristique qu’elles accueillent en font des espaces hors-du-temps.

Valleuse de Grainval Vallée des Carrières La Valleuse de Grainval a fait l’objet, dans La Vallée des Carrières, par laquelle on accède au port pétrolier sa partie basse, d’un aménagement visant du Havre - Antifer a été fortement aménagée, contrastant avec à gérer les eaux pluviales. les valleuses plus sauvages.

Valleuse d’Antifer La vallée de la Valmont, qui accueille la ville de Fécamp, vue depuis le plateau. 15 (2) Un territoire qui questionne sur notre rapport au temps

Site grandiose par la monumentalité des falaises et l’immensité de la mer et des champs qui s’étendent à perte de vue, le territoire des Falaises d’Étretat-Côte d’Albâtre personnifi e la jonction de diverses temporalités qui s’affrontent, interagissent et se mêlent pour créer un paysage en transformation permanente, à la fois toujours le même, reconnaissable entre mille, et toujours différent. Les falaises, les vallées, valleuses et le plateau, constitués progressivement depuis des millions d’années, sont soumis à l’action des hommes qui les pratiquent depuis des millénaires, ainsi qu’aux changements très rapides des éléments (la mer, la pluie, le vent, …) qui les érodent, les façonnent, les éclairent de manière sans cesse renouvelée et modifi ent la vision et l’appréhension de ce territoire par sa population et par les visiteurs.

Certains lieux du trait de côte, presque primitifs, nous rappellent l’immensité du temps géologique. Les falaises qui semblent immuables peuvent pourtant, d’un instant à l’autre, s’effriter, se déliter, voire même perdre tout un pan de leur paroi sans qu’on puisse ne le prévoir. Cette Nature défi e la volonté humaine de prévoir et de temporiser les choses. Il est aujourd’hui en effet impossible d’anticiper les éboulements de manière précise.

Le phare d’Antifer dans la brume Paysage lunaire - Falaise d’Amont - Étretat un matin de juillet 2014 La pratique de l’estran est conditionnée par le rythme naturel des marées dont certaines permettent de cheminer d’une valleuse à l’autre au pied des falaises. Ce rythme constitue Quand soudain la présence d’un bateau sur l’horizon vient une temporalité supplémentaire pour le territoire. nous rappeler à la civilisation moderne... Falaise d’Amont - Étretat 16 Les artistes, peintres, écrivains, musiciens, photographes, cinéastes, etc., ne s’y sont pas trompés en prenant depuis longtemps ce territoire pour source d’inspiration ou modèle, tentant d’immortaliser par leurs œuvres le passage du temps sur le paysage, essayant de capturer l’insaisissable.

Tous viennent, reviennent, s’installent parfois durablement sur la Côte d’Albâtre, s’attachent à en explorer et représenter les différentes facettes, étudiant et documentant les évolutions des activités humaines, sociales et des modes de vie, travaillant peintre à Yport - octobre 2014 le même sujet, notamment les falaises et le bord de - Étretat, la Porte d’AVal: bâteaux de pêche sortant du port - 1885 mer, encore et encore, observant les changements de saisons, les transformations de la lumière « L’an dernier, en ce même pays, j’ai souvent suivi d’heure en heure, de minute en minute, leurs effets Claude Monet à la poursuite d’impressions. Ce n’était plus un peintre, en vérité, mais un chasseur. Il allait, sur le paysage… suivi d’enfants qui portaient ses toiles, cinq ou six toiles Né dans la première moitié du XIXème siècle représentant le même sujet à des heures diverses et avec la volonté de certains artistes de s’inspirer avec des refl ets différents. directement de la nature dans leurs œuvres, et Il les prenait et les quittait tour à tour, suivant tous accentué par le développement de la villégiature, les changements du ciel. Et le peintre, en face du l’apparition du chemin de fer et les innovations sujet, attendait, guettait le soleil et les ombres, cueillait techniques (chevalets et sièges pliants, tubes de en quelques coups de pinceau le rayon qui tombe peinture à bouchons à vis, …) après 1850, l’attrait ou le nuage qui passe, et, dédaigneux du faux et du des artistes pour la Côte d’Albâtre a contribué à la Pascal de Lattre - Étretat convenu, les posait sur sa toile avec rapidité. renommée de ce territoire à travers le monde et Je l’ai vu saisir ainsi une tombée étincelante de lumière sur la falaise blanche et la fi xer à une le temps, ces paysages étant aujourd’hui encore coulée de tons jaunes qui rendaient étrangement associés notamment aux peintures de Monet et le surprenant et fugitif effet de cet insaisissable et aux descriptions de Guy de Maupassant et de aveuglant éblouissement. Maurice Leblanc. Une autre fois, il prit à pleines mains une averse Un attrait jamais démenti puisque les artistes, abattue sur la mer, et la jeta sur sa toile. Et c’était professionnels ou amateurs, reconnus ou non, bien de la pluie qu’il avait peinte ainsi, rien que la continuent de s’inspirer de la Côte d’Albâtre et pluie voilant les vagues, les roches et le ciel, à peine d’en produire des représentations. Les œuvres distincts sous ce déluge.» en elles-mêmes ou mises côte à côte, de même Maupassant, extrait de La vie d’un paysagiste, que l’histoire des artistes et des communautés publié dans Gil Blas en 1886 artistiques qui se sont créées ou renforcées sur Guy de Maupassant, originaire du territoire, la Côte d’Albâtre, témoignent de ce passage du n’a eu de cesse de décrire la Côte d’Albâtre et temps, de la confrontation du temps long et du le Pays de Caux. temps court à cet endroit. peintres à Étretat - octobre 2014 17 Le patrimoine culturel, marqueur des identités multiples du territoire, de ces oppositions et contradictions comme de ses points de jonction et d’échange, témoigne lui aussi de ce passage du temps et des transformations et des continuités qu’il entraine avec lui.

Ainsi, l’architecture porte-t-elle les strates du temps, certains bâtiments donnant à voir l’évolution des modes de construction et portant donc en leurs murs l’histoire du territoire. De nombreux exemples peuvent être trouvés sur le territoire, tels que l’Eglise Notre-Dame d’Étretat, dont la partie la plus ancienne, de style roman, date du XIème siècle, à laquelle ont été ajoutées des extensions de style gothique. L’architecture de villégiature de la seconde moitié du XIXème siècle a également permis d’enrichir l’architecture traditionnelle des maisons de pêcheurs. Ainsi, à cette époque, un certain nombre a été transformé avec des ajouts plus «victoriens» (bow-windows, lambrequins, décors de faîtage, etc.).

La vision même du territoire et de son patrimoine bâti évolue au fi l du temps. C’est le cas par exemple des blockhaus qui maillent la côte. Le passage du temps, de la mémoire à l’histoire, permet aujourd’hui de penser l’interprétation et la valorisation de bâtiments rattachés aux mauvais souvenirs de la guerre et de l’occupation, et que la population ne souhaitait plus voir sans pour autant être en mesure de les Maison de pêcheurs ayant subi Le Mémorial de Bruneval des transformations d’infl uence rend hommage aux soldats faire disparaitre. Ils constituent aujourd’hui des témoins et des éléments de compréhension de l’histoire balnéaire à Étretat britanniques intervenus lors de du territoire. l’Opération Biting en 1942.

De la même façon, les fêtes locales, religieuses ou laïques, ont longtemps marqué la succession La triste vie du matelot des saisons et la périodicité des activités humaines : fêtes des moissons, fêtes destinées à marquer les (chanson recueillie départs en mer des pêcheurs puis leur retour avec le produit de leur labeur, etc. auprès de Roland Les chants traditionnels, accompagnés de rituels (quêtes, repas, gerbes de blé tressées offertes Lemesle, Fécamp) : « à la maîtresse de maison à la fi n des moissons, etc.), sont particulièrement représentatifs de cette Oh qu’elle est pitoyable saisonnalité et des liens avec le calendrier social et les travaux collectifs. Ainsi, les chants de quête la vie d’un matelot / nommés «aguignettes» marquaient la première partie de l’année tandis que les chants de début et de Qui mange que des gourganes et ne boit que fi n de moissons retentissaient en été. Les chants de marins s’entendaient quant à eux en février, lors de l’eau / Et couche sur des départs en haute mer. Les danses accompagnaient largement ces chants, et notamment les rondes la dure sur un vieux lit à trois pas telles que celles pratiquées lors de la fête des Rois, qui était la seule journée de congés des de camp / On fait triste ouvriers agricoles dans l’année. fi gure lorsqu’on n’a pas Malgré la disparition ou presque de certaines activités, ces fêtes continuent d’être célébrées (Saint- d’argent / Lorsqu’on n’a Pierre des Marins par exemple) et les chants et danses traditionnels qui les accompagnaient font pas d’argent // Adieu aujourd’hui l’objet d’un travail de collecte, d’analyse et de transmission aux jeunes générations dans le cher camarade adieu il but d’empêcher la disparition de ce patrimoine immatériel. faut se quitter / Faut quitter la bamboche Le territoire de la Côte d’Albâtre défi e donc notre rapport au temps. L’accélération de cette relation à bord il faut aller / En arrivant à bord en au temps (avec désormais l’augmentation de la rapidité des déplacements, des communications, des passant la coupée / A activités, etc.) se trouve confrontée à l’immensité et à l’ancienneté du paysage qu’il nous est donné l’offi cier de quart il faut de contempler et qu’il s’agit de découvrir et de protéger, pour nous-mêmes et pour le transmettre aux se présenter / […]» générations futures. C’est en cela aussi que ce territoire se mérite.

18 Pour s’installer sur ce (3) Un territoire qui se mérite territoire, les hommes ont du s’y adapter et le mériter par Découvrir, redécouvrir et comprendre le territoire dans sa globalité et dans sa diversité, autrement dit dans ses nuances, un dur labeur, qu’il s’agisse des nécessite de le protéger et d’adopter une démarche volontaire, de fournir un effort à la fois intellectuel et physique et donc agriculteurs ou des marins. aussi de prendre le temps de visiter, d’arpenter, d’expérimenter, d’explorer, d’observer, de questionner, etc. Les chants locaux par exemple témoignent de la diffi culté C’est au détour d’une petite route sinueuse, derrière une ondulation du plateau, au pied d’un escalier vertigineux ou au de faire face aux éléments et sommet d’une pente abrupte que l’on découvre tout ce que le territoire peut offrir. parfois de la dureté de la vie Il faut marcher, monter, descendre, tourner, chercher, braver le vent, attendre que le brouillard se lève pour connaître et menée ici. comprendre toute la richesse et toute la complexité de ce territoire. Ainsi de la chanson de marin A l’image de ses habitants, le territoire des Falaises d’Étretat – Côte d’Albâtre n’est pas d’un abord facile et il faut être citée précédemment, La triste patient, gagner sa confi ance pour connaître toutes les facettes de sa personnalité. C’est un territoire qui se mérite, un territoire vie du matelot : « […] Oh mère à côté duquel on passerait si on ne prenait pas le temps de l’explorer, de le parcourir, de le découvrir. De l’éprouver presque. ma chère mère qu’as-tu fait de Le bord de mer, par exemple, semble inaccessible: seulement 13 accès tout au plus sur un linéaire de 25 kilomètres de ton fi ls / Marin c’est une peine côte; 12 valleuses, dont certaines ne se pratiquent qu’à pied, et l’escalier vertigineux de la descente au Chaudron, sur la oui c’est trop souffrir / J’aime Falaise d’Amont. bien ma patrie et mon frère Par le plateau, vouloir atteindre le rebord de falaise, c’est se heurter à des voies en impasse, faire demi-tour et abandonner au berceau / Mais de lui je t’en ou laisser sa voiture et se dire qu’il faut marcher. Même par beau temps, le vent souffl e souvent et peut rendre l’expérience supplie n’en fait pas un matelot pénible. Chercher un abri ou continuer ? La récompense de ce que l’on trouve au bout du chemin est à la hauteur des efforts / Soldat pour son drapeau // […] » fournis. Un bout de terre et une vue sur l’infi ni de la mer qui semble n’appartenir qu’à nous. Prendre le temps d’expérimenter le territoire rend les lieux que l’on découvre infi niment plus précieux. Certains lieux Les musiques, chants et uniques, confi dentiels, ne peuvent être découverts qu’en sortant des sentiers battus. A l’instar de la petite plage du Fourquet danses relatives au travail ou de certains panoramas existants sur le plateau des Loges, ils appartiennent à leurs habitants et à qui sait chercher pour agricole ont plutôt trait à la les trouver. célébration de la fi n du labeur intensif d’un mois ou plus qu’est la moisson. Quel que soit le temps, le travail ne cesse qu’au moment où toute la récolte est rentrée.

La Mauvaise nouvelle - Pierre Marie Valleuse du Fourquet Sentier dans la pente - Impasse à Bénouville Descente au Chaudron - Beyle - 1885 - Musée de Fécamp Valleuse d’Antifer Falaise d’Amont 19 Les artistes eux-mêmes font les frais de cette nature dure et indomptable. Capter une lumière particulière, La même démarche d’effort intellectuel et physique s’impose s’agissant du patrimoine culturel. peindre, photographier ou décrire des lieux peu fréquentés, La multiplicité des patrimoines matériels et immatériels en présence et leur implantation, voire leur inédits, nécessite des efforts dont les artistes n’anticipent dispersion sur le territoire, nécessitent de prendre le temps de la découverte. pas toujours les risques. On ne compte plus les anecdotes rapportant les mésaventures des peintres et écrivains, tels Sur ces treize communes et ces trois entités (plateau / vallées et valleuses / trait de côte) Alphonse Karr coincé au pied d’une falaise par la marée formant le Grand Site, les patrimoines divergent, se rapprochent et se répondent. C’est donc en et sauvé par la corde lancée par un douanier, ou encore arpentant les lieux, en observant, en comparant, y compris dans le détail, en ne se contentant pas Jean Lorrain dont le bateau s’est renversé pendant une de traverser, que la compréhension du territoire dans sa globalité, dans ses contradictions comme promenade. dans ce qui relie l’ensemble, s’offre aux visiteurs. C’est ainsi en parcourant des rues et ruelles moins fréquentées dans les communes que l’on Extrait d’une lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé, Etretat tombe sur des éléments architecturaux préservés. C’est de même en entrant dans les églises que le 27 novembre 1885 : l’on découvre les ex-voto marins et des objets classés Monuments historiques (tels que les autels « Chère Madame, Après une matinée encore pluvieuse, j’étais content de voir le à Bénouville, Les Loges et Criquebeuf-en-Caux, l’orgue de l’église Notre-Dame d’Etretat, une temps se remettre un peu : bien qu’il souffl e un grand vent et que statuette dans l’église de Vattetot-sur-Mer,etc.). la mer soit furieuse, mais justement à cause de cela, je comptais faire une riche séance à la Manneporte, mais il m’est arrivé un accident : ne vous alarmez pas, je suis sain et sauf, puisque je vous écris, mais peu s’en fallu que vous n’ayez de mes nouvelles et que je ne vous revoie pas. J’étais dans toute l’ardeur du travail sous la falaise, bien à l’abri du vent, à la place où vous êtes venue avec moi : convaincu que la mer baissait, je ne m’effrayais pas des vagues qui venaient mourir à quelques pas de moi. Bref, tout absorbé, je ne vois pas une énorme vague qui me fl anque contre la falaise et je déboule dans l’écume, avec tout mon matériel ! Je me suis vu de suite perdu, car l’eau me tenait, mais enfi n j’ai pu en sortir à quatre pattes, mais dans quel état, bon Dieu ! (...).» Chapelle Notre-Dame du Salut, Fécamp Église de Criquebeuf-en-Caux

Cette nécessité de l’effort est accentuée aujourd’hui par le fait qu’une part non négligeable du patrimoine n’est ni valorisée ni interprétée, soit parce que la population ne le souhaitait pas (exemple des blockhaus), soit parce que les fouilles et/ou le travail de recherche absolument nécessaires n’ont pas été réalisés ou ne sont pas encore suffi samment avancés (travail sur le patrimoine de villégiature, fouilles des sites gallo-romains, etc.).

Claude Monet - Gros temps à Étretat - 1883 2020 À l’instar du patrimoine culturel, le patrimoine écologique du territoire, souffre lui aussi d’un manque sensibilisation et d’accessibilité à sa diversité, sa richesse, sa fragilité et sa gestion pour les habitants et le grand public, même si quelques sorties sont proposées dans les Espaces Naturels Sensibles et sur l’estran. Pourtant, le territoire de Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre est largement reconnu par les institutions pour son patrimoine écologique exceptionnel notamment à travers les différentes zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et fl oristique, ses espaces naturels sensibles (valleuse d’Antifer et Falaise d’Amont) et les espaces remarquables du littoral. Cette reconnaissance se traduit également au niveau européen par la désignation de sites Natura 2000 au titre de la directive habitat et de la directive oiseaux.

L’intérêt écologique du site réside dans ses milieux littoraux remarquables (valleuses, falaises, pelouses aérohalines) et dans la présence d’espèces protégées (oiseaux marins, insectes, amphibiens), dont une espèce végétale uniquement rencontrée sur les falaises normandes (Séneçon laineux) et en limite d’aire de répartition (landes, Petit Rhinolophe). De plus, le site comporte des habitats éligibles Natura 2000 comme les forêts de pente, les pelouses aérohalines, les végétations à Chou maritime, les cavités, les tufi ères (végétation de mousses).

Cette fl ore, cette faune, ces milieux, parfois invisibles et souvent fragiles peuvent être menacés par la méconnaissance du public à leur égard. Ainsi, la fréquentation du rebord de falaise peut provoquer un dérangement des oiseaux qui y nichent et en premier lieu une dégradation des pelouses aérohalines par le piétinement.

Au contraire, les efforts de gestion et de préservation de certains lieux, comme la valleuse d’Antifer par exemple, visent à favoriser une prise de conscience du public. Le calme absolu qui y règne, le ressourcement apporté par l’absence de tout élément extérieur au site, ne saurait fi nalement exister sans un effort d’humilité et de respect face à un patrimoine fragile. Mériter ce territoire c’est savoir le protéger et donc savoir s’extraire de certains lieux pour que les richesses qui y sont Pelouses aérohalines - Falaise d’Amont - offertes soient préservées et continuent de participer à sa qualité globale. Étretat

Valleuse d’Antifer Érosion des pelouses par le piétinement - Falaise d’Amont - Étretat 21 22 Le territoire des Falaises d’Étretat - Côte d’Albâtre apparaît donc comme un territoire d’oppositions marquées: il présente trois visages au premier abord inconciliables mais en réalité étroitement liés les uns aux autres, par le paysage, par l’environnement et par l’activité humaine et le patrimoine culturel qui en résulte.

Ce bout de Terre battu par les vents et où la mer se joue de nous est un lieu d’émotions contrastées, aux dimensions à la fois grandioses et fragiles. Il impose un rapport au temps particulier et un effort de découverte et de compréhension.

Ainsi, si ces lieux ont un esprit, il ne peut se résumer en une seule image de la falaise d’Aval ou de la Manneporte, fût-elle un chef d’œuvre de Monet.

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