LANGUES TIBETO-BIRMANES DU NORD-EST DE L'INDE: INVESTIGATIONS TYPOLOGIQUES EN ET AU

PAR

FRANÇOIS JACQUESSON *

RÉSUMÉ Une brève mission en Assam et au Nagaland (Nord-est de l'Inde) pendant l'hiver 1994/95 a permis des investigations systématiques sur la morphologie et la syntaxe de onze langues ou dialectes tibéto-birmans, certains jusqu'alors non décrits (dialecte anal du groupe kuki) ou inconnus (langue zaiwa, distinct du tsaiwa du groupe jingpho). Après la présentation des systèmes de pronoms per- sonnels, sont étudiés sur un plan homogène la morphologie contrastée de «l'ad- jectif» déterminatif et prédicatif, puis les schémas de relativation. Les trois langues pronominalisantes (nocte, anal, zaiwa) font ensuite l'objet d'une des- cription moins sommaire. L'article se termine par des remarques sur l'histoire des populations et le groupement des langues de cette zone.

ABSTRACT During a short trip in Assam and Nagaland (North-eastern ) in winter 1994/95, I could develop a systematic survey of the main morphosyntactic features in eleven Tibeto-Burman languages or dialects, some of them until now left undescribed (anal, a kuki dialect) or unknown (zaiwa, a language quite different from the tsaiwa of the jingpho branch). The personal pronouns are studied first, and then the contrast between the determinative and predicative «adjectives», after which come some indications on the relativization patterns.

* Enseignant détaché au CNRS, LACITO, 44 av.de l'Amiral-Mouchez, Paris XIVe.Mes remerciements vont d'abord au Professeur Claude Hagège et au Collège de France, sans qui cette mission eût été impossible; à mesdames Denise Bernot et Annie Montaut, et à monsieur Boyd Michailovsky, qui m'ont prêté des documents et aidé de leurs conseils. Je remercie également le Consulat de France de Calcutta, ainsi que le Gouvernement de l'Inde et celui de l'Assam pour leur aide et leur compréhension.

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The three pronominalizing languages (nocte, anal, zaiwa) are examined more closely. I conclude with several remarks on the history of these populations and the grouping of their languages.

I. Rappels géographiques et historiques II. Les pronoms personnels: langues no et langues nang III. Prédication et détermination IV. Relativation V. Pronominalisation VI. Remarques sur la classification Bibliographie

I. RAPPELS GÉOGRAPHIQUES ET HISTORIQUES Les lignes qui suivent ne sont pas un historique, même rapide, du Nord-Est indien, pour quoi on consultera le vieux mais remarquable livre de Gait1, et celui, plus moderne et plus complet, de Madame S.L. Baruah2. Il s'agit d'une perspective sélective, à peu près unique- ment préoccupée des populations de langues non indo-aryennes. Les régions occidentales de l'actuel Assam sont fréquemment men- tionnées dans le Mâhabhârata (mis au point entre les IIe et VIIe siècles, mais reposant sur des éléments souvent antérieurs) et dans une partie de la littérature puranique et tantrique3; l’Arthaçâstra, un traité sur l'art de gouverner attribué à ce Kautilya qui mit Chandragupta au pouvoir (IVe siècle av. J.C.), cite des produits commerciaux pro- venant de cette région4; d'autre part, certains chefs indo-aryens qui

1 Gait 1926. 2 Swarna Lata Baruah 1985. 3 Le Kamrup (le Kâmarûpa des textes sanscrits), qui correspond aujourd'hui à la par- tie occidentale de la province d'Assam stricto sensu, et qui désignait autrefois une aire plus large, est l'un des lieux majeurs du bouddhisme tantrique; le temple de Kâmâkhyâ, sur un piton rocheux près de Gauhati, est particulièrement important. Le nom du Kâma- rûpa a été autrefois commenté par Sylvain Lévi 1933: 46-47. 4 Arthaçâstra, édition de R.P. Kangle 1960-1965. Les passages en question sont 2.11.43-55 (le santal), 57-59 (l'aloès), 61-65 (l'encens), et citent des localités que les commentaires s'accordent généralement à situer en Assam. Il faut cependant signaler les controverses sur la date de cet important ouvrage, cf. Kangle, vol. 3, ch. 4.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. LANGUES TIBETO-BIRMANES DU NORD-EST DE L'INDE 161 ont opéré en Birmanie aux IIe et IIIe siècles ont dû traverser l'Assam5. La présence indo-aryenne est donc assez ancienne dans l'Assam au sens large, même si l'hindouisme ne s'y est installé que lentement6. Cette pré- sence a pour témoin essentiel la langue assamaise qui, même si elle est fortement influencée par les langues locales, forme avec le bengali et l'oriya le rameau oriental des langues indo-européennes de l'Inde. Le prestige croissant de l'assamais, qui se marque également par la forma- tion d'intéressants pidgins7, et que promeut l'importance déterminante de la vallée du Brahmapoutre où il règne à peu près en maître, n'a cependant pas gagné la majorité du pays: toutes les régions de collines et de montagnes qui entourent la grande vallée, sans être tout à fait sous- traites à l'influence de l'assamais, conservent jusqu'à nos jours leurs langues locales par dizaines. Administrativement, l'Assam n'est de nos jours que l'État de la vallée. Toute la circonférence, tant au nord vers le qu'à l'est vers la Bir- manie, est divisée en états ou régions autonomes qui tantôt manifestent leur volonté d'indépendance, et tantôt réclament du gouvernement de l'Inde une aide accrue. Au nord et à l'est de la grande vallée s'étend l'Arunachal, vaste région relativement peu peuplée et mal connue8. Au sud, c'est-à-dire entre Bangladesh (séparé depuis 1971 seulement, en raison surtout du caractère musulman de la population) et Birmanie, on trouve une série d'états et de régions dont les plus individualisés sont les plus montagneux: au contact de la Birmanie s'échelonnent, du nord au sud, le Nagaland, le et le ; au contact du Bengale on trouve le et le Tripura. Linguistiquement, hormis l'assamais dominant et le bengali (dont l'immigration récente a accru l'importance) qui sont indo-aryens, s'op- posent trois groupes d'importance inégale. Le principal est le groupe tibéto-birman, très largement majoritaire, mais très divisé en sous-groupes sur quoi je reviendrai. Le second est le groupe mon-khmer-munda,

5 La question des routes qui relient l'Assam à la Birmanie puis la Chine est évidem- ment importante. Pelliot 1904: 177-182 l'a abordée autrefois en commentant des géo- graphes chinois. 6 Cf. aussi pour le bouddhisme: S. Sasanananda 1986. 7 Sreedhar 1985, Boruah 1993. 8 Itanagar, capitale de l', n'en est pas moins un centre actif de publications.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. 162 F. JACQUESSON principalement représenté par le khasi (Meghalaya). Le troisième est le groupe tai, historiquement très important à cause des souverains ahom à qui le pays doit en partie son unité politique; mais les Ahom n'ont pas maintenu leur langue (malgré l'importance des chroniques historiques rédigées dans cette langue, les buranji), et les populations actuelles de langues tai sont formées d'immigrants assez récents, venus comme les Ahom du pays Shan (Birmanie orientale), dont les plus nombreux sont les Khamti, arrivés dans le nord-est de l'Assam au milieu du XVIIIe siècle. Les premiers princes des Ahom, arrivés par ce même nord-est en 1228, n'ont longtemps «régné» que sur une petite région de la rive sud du haut Brahmapoutre, avec diverses capitales dans la région de Sib- sagar. Ils se trouvaient confrontés à deux royaumes, celui des Chutiya au nord du fleuve, et dont la capitale était Sadiya (qui sera plus tard le poste le plus avancé du pouvoir britannique), puis à l'ouest celui des Kachari, dont la capitale fut longtemps Dimapur. Dans ces deux royaumes, la langue était de type bodo-garo, et la caste religieuse des Chutiyas a pré- servé sa langue jusqu'à nos jours: c'est celle des actuels Deori9. Comme l'actuelle diffusion des langues bodo-garo est bien antérieure aux revers du royaume des Kachari, il est très probable que ce sous-groupe du tibéto-birman était dominant au moins dans l'actuel Assam avant l'ex- pansion ahom. Les Ahom commencent leur expansion au début du XVIe siècle, à la fois en prenant le contrôle des deux royaumes cités (ce qui n'ira pas sans révoltes, pratiquement jusqu'au XIXe siècle), et en repoussant les premières tentatives sérieuses d'invasion musulmanes (1527 et 1532-3), qui introduisent l'usage des armes à feu. On n'avait jusqu'alors combattu qu'avec des arcs et des flèches. Rappelons en outre que le che- val était virtuellement inconnu dans ces régions. L'extension de la souveraineté ahom à l'ensemble de l'Assam se fait, non sans fréquents revers, au cours des guerres contre les incursions musulmanes, qui ne cesseront qu'à la fin du XVIIe siècle. Comme celles-ci venaient de l'ouest, le royaume ahom s'étendit peu à peu dans cette direction, et Gauhati fut tantôt d'un côté, tantôt de l'autre de la

9 U. Goswami 1994.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. LANGUES TIBETO-BIRMANES DU NORD-EST DE L'INDE 163 frontière. C'est aussi pendant cette période que les autres groupes tibéto- birmans apparaissent sur la scène politique, surtout les Naga (le terme a alors un sens très large) à l'est, et au nord, menaçant le fleuve, les tribus des contreforts de l'Arunachal. Le plus important des souverains ahom, Rudra Singh, meurt en 1714, après avoir pratiquement annexé les royaumes kachari au sud (le centre du pouvoir kachari s'était déplacé sous la pression des Ahom) et jaintia à l'ouest, dans le Meghalaya. Les expéditions de représailles contre les tri- bus de l'Arunachal, cependant, allaient rester une constante nécessité. Les successeurs de Rudra Singh se trouvent devant deux nouvelles difficultés: d'une part les perturbations croissantes dues à certaines sectes religieuses hindouistes, notamment celle des Moamaria à partir de 1769, d'autre part l'audace nouvelle des Birmans qui attaquent le royaume frontalier du Manipur. La première cause provoque une intervention anglaise en 1798, et la seconde mène ces mêmes Anglais à annexer le pays en 1846. La 2ème guerre mondiale a touché directement la région, à cause des incursions japonaises en provenance de Birmanie (siège de Kohima en 1944). L'indépendance du Bangladesh en 1971 a accru l'isolement de toute la région par rapport aux centres indiens, et provoqué dans les val- lées une immigration de Bengalis, contre qui les habitants manifestent parfois leur ressentiment.

II. LES PRONOMS PERSONNELS Langues NO et langues NANG Proposer un classement des langues tibéto-birmanes qui soit limité aux langues du Nord-Est indien n'a guère de sens. Il existe plusieurs essais bien connus de classification générale du Tibéto-birman, et aussi des monographies sur le classement des groupes locaux. Les découvertes plus récentes, en Chine notamment, rendent l'entreprise d'un classement cohérent plus difficile qu'au temps de Sten Konow10. Mon propos n'est pas de refondre les classifications en usage, dont je me sers abondam- ment, mais de signaler ici une isoglosse remarquable.

10 Konow a été chargé par Grierson des langues non indo-aryennes pour le Linguistic Survey of India, œuvre.admirable qui, près d'un siècle après le début de sa publication, reste encore utile.

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L'étude des tons, dans tant de langues différentes, réclame une étude à part, de même que l'étude de plusieurs problèmes de phonologie. Cet article étant dévolu à la morphosyntaxe, je n'indiquerai pas les tons. Les pronoms personnels sont constamment mis à profit, depuis les débuts de la linguistique historique et comparative, pour cerner les familles de langues. Cette méthode est utile, même si elle ne va pas sans danger11. C'est à la 2ème personne que la variété des formes des langues actuelles est la moins grande. P. Benedict y voit la trajectoire historique d'une forme *na∞. En réalité, hors du sous-groupe tibétain, on trouve deux types de formes12: des formes en na∞, notamment dans le groupe birman et en jinghpo, et des formes en no. Ce clivage est utile pour se représenter en première approche13 la cartographie linguistique du NE. Je reviendrai sur ce thème dans la dernière partie.

11 J'ai résumé certaines des difficultés les plus évidentes dans F. Jacquesson 1993. 12 L'étude essentielle sur ce thème, qui envisage l'ensemble du tibéto-birman, est celle de Thurgood 1985. 13 Naturellement, comme B. Michailovsky l'a vu tout de suite (comm. pers.), les formes sans nasale vélaire finale peuvent être dues au fait que la langue n'a jamais de nasale vélaire dans cette position; auquel cas le critère prend une autre signification. En réalité, ceci se produit en effet dans la partie occidentale des langues tani de l'Arunachal. Cf. J. Sun 1993a et b, 1994, sur ce point.

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Les formes nang à la droite et au dessous du tracé sont respectivement pour le jinghpo et les dialectes kuki. En remontant à partir de l'angle inférieur droit, on trouve des formes nang pour l'anal (kuki), le rongmei (naga), et plus haut pour le nocte, comme d'ailleurs pour le tangsa; les formes nang dans la partie ouest sont pour le bodo-garo (en bas), et pour le sherdukpen14 (à gauche du grand cercle). Les trois cercles ou ellipses pour les formes no sont, pour le plus grand, le domaine de l'Arunachal: dialectes adi, miri, et nishi (les langues du groupe Tani); le moyen pour de nombreuses langues naga (angami, sema, tangkhul); le plus petit en haut à droite pour le zaiwa. Les formes nang sont les plus répandues. Cependant les langues kuki opposent le plus souvent la forme directe nang du pronom et la forme préfixale na- du possessif ou indice personnel15 (l'anal oppose nang à a-). Cette question sera reprise après l'examen des formes pronominales.

Voici les formes des pronoms personnels dans les langues sur quoi j'ai des informations directes16. Les pronoms sont donnés d'abord au singulier, les principales formes actancielles17 sont données, quand j'en ai eu des témoignages directs.

14 Dondrup 1988. 15 D. Bernot me signale (comm. pers.) qu'en birman, dans les syllabes en -∞ qui pas- sent au ton haut, cette nasale finale devient inaudible. On sait qu'en birman le ton haut marque précisément le déterminant. Cette question mériterait un examen approfondi. 16 Pour plus de clarté, j'ai préféré ne pas mêler à ces notes ce qui aurait pu être tiré de nombreux autres travaux. Il va de soi que la comparaison doit être faite. Voir la biblio- graphie. Il faudrait également tenir compte des travaux locaux, notamment ceux que produit ou dirige le chef du département de linguistique de l'université de Gauhati, Satyendra Narayan Goswami. Goswami 1988 est une collection de notices claires et détaillées sur les langues suivantes: rabha, mishing, deuri, karbi, gale, boro, ahom, phakial, khamti; les trois dernières sont des langues tai. Il dirige également des thèses parmi lesquelles il faut signaler Konwar 1991 et Talukdar 1992. 17 J'utilise les codes suivants: U participant unique d'un énoncé monoactanciel A agent d'un procès biactanciel O patient d'un procès biactanciel Je préfère éviter le code S, «sujet», qui est ambigu dans ce cadre puisqu'il s'oppose à P, «prédicat», et n'est pas directement un actant. Cf. la théorie des «3 points de vue» de Hagège, qu'il a exposée à plusieurs reprises et notamment Hagège 1982. dans La structure des langues, PUF, coll. «Que sais-je», 3ème éd. 1990. POS forme déterminative, «possessive»

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On trouvera d'abord les langues NANG, ensuite les langues NO dans l'ordre suivant: garo galong anal padam rongmei nishi meithei angami (bishnupriya) sema nocte zaiwa Les notes donnent également les noms de mes informateurs.

GARO18 12 3 U=A a∞.a na.?a w.a O a∞.ko na∞.ko u.ko POS a∞.ni na∞.ni u.ni Les suffixes -ko et -ni valent également pour les noms. Le suffixe -a est avec les noms d'emploi plus fluctuant. Exemples: – wa gohati.ona ¢reba?aha il est venu à Gohati. – wa(ba) a∞ko n¢kkaha il m'a vu – a∞ni phag¢pa ou a∞ni apha mon père A propos de ce dernier exemple, il faut signaler que a.pha «mon père» est considéré comme un terme d'adresse. nang pha «ton père» est plus naturel que nangni phagepa.

ANAL19 12 3 U=A ni na∞ ama

18 La langue garo est bien connue depuis les travaux de R. Burling. Cf. surtout Bur- ling 1961. Mon informateur garo, à Gauhati, est L.K. Sangma. 19 Il existe sur les Anal une petite monographie ethnographique Kabui 1985. Les Anals étaient, selon cette source, 6670 en 1971, essentiellement au sud-est du Manipur. Le LSI a une notice très succincte (III,3,272-280) dont les sources anciennes sont McCulloch 1859 et Damant 1880. R. Shafer a rencontré en 1957 à Imphal un étudiant anal, N.G. Sheltun, dont il tient ses données lexicographiques, cf. R. Shafer 1966: 9. Mes informateurs, à Dimapur, sont Kevin Pischel et son oncle.

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O nikakõ na∞akõ ama hele POS niki na∞ki ama ki ka- a- wa- Les suffixes paraissent inusités dans ces fonctions avec les noms, où -ki a un sens d'ablatif. Les formulations possessives, comme presque partout en kuki, peuvent être «longues», e.g. ni.ki ka.pa «mon père» ou «brèves» c'est-à-dire avec le seul préfixe. Notons les séries suivantes: «père» ka.pa «mère» ka.nu «frère» ga.upa a.pa a.nu a.upa wa.pa wa.nu upa La morphologie des formes O montre la formation d'une clise fusion- nelle; il est intéressant de comparer avec les formes de «datif» nikanatin «pour moi» na∞natin «pour lui» On sait que les langues kuki sont parmi les plus «usées» phonétique- ment, dans le TB; on ne peut pas s'étonner qu'elles offrent un type à mi-chemin de l'agglutinant et du fusionnel. L'emploi actanciel des possessifs comme indices personnels sur le verbe sera examiné plus loin.

RONGMEI20 12 3 U=A aj na∞ kamaj O a.ta na∞.ta POS a- na∞- ka- L'emploi du suffixe O n'est pas systématique, par exemple dans: aj si (ta) hauwe «j'ai vu un chien» L'informateur signale que dans ce dernier exemple, l'emploi de -ta suggère une traduction «j'ai vu le chien». Le suffixe se comporte donc plutôt comme une marque de définitude. Ce -ta devient indispensable dans des énoncés comme:

20 Cette langue s'appelle également ‘kabui', mais les locuteurs préfèrent l'appellation ‘rongmei'. Mon informateur à Dimapur est Poujeng Kamei.

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aj hau.mej si ta na∞ hau.ni hau.mad®o moi vu chien DEF toi voyant voir.INT «as-tu vu le chien que j'ai vu?» Le possessif n'est directement préfixé qu'avec les noms de parenté et quelques autres; ailleurs, un nominal intervient, souvent tua∞: «père» a.pu «banc» a.tua∞ bens na∞.pu na∞.tua∞ bens ka.pu ka.tua∞ bens Il existe d'autres suffixes ou postpositions, parmi quoi xau «datif». L'agentivité peut être soulignée par l'emploi de la postposition rui «ablatif».

MEITHEI (=MANIPURI)21 12 3 U=A aj na∞ O aj.bu na∞.bu POS aj.gi na∞.gi ma Il est possible, mais non obligatoire, de marquer l'agentivité par la postposition na: – na∞ (na) aj.bu hui toi (A) moi.O voir «tu me vois» La marque de patient est bu avec les humains, du ailleurs quand il y a lieu: – aj san.du hui «je vois une vache» Cette marque disparaît quand apparaît un démonstratif: – aj jum.du hui «je vois une maison» – aj jum si hui «je vois cette maison»

21 Cette langue est connue par plusieurs publications (voir plus bas). Mon informateur à Gauhati est le professeur Naorem Sanajaoba, doyen de la faculté de droit.

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La possessivation se fait régulièrement avec -gi. Mais l'emploi du possessif anaphorique de 3ème personne peut compléter22 cette structure dans la détermination nominale: nupi masas.gi ma.mit ce fille-gi POS3.œil «l'œil de cette jeune fille» Cette même syntaxe peut être employée quand le déterminant est un pronom personnel, pour marquer la déférence: na∞.gi ma.mit «votre œil» (vous de politesse)

Le meithei, ou manipuri, mérite une mention particulière, en ce qu'il est la seule langue tibéto-birmane locale à avoir une littérature écrite ancienne, et un statut officiel dans sa province (le Manipur) en même temps qu'un rôle de lingua franca. J'ai constaté que certains Naga l'em- ploient pour se faire comprendre de certains Kuki, notamment des Anal qui se sont agrégés aux Naga. Le professeur Sanajaoba, mon aimable informateur pour le manipuri, est un historien du Manipur qui a publié plusieurs volumes de docu- ments et d'essais sur son sujet. Je tiens de lui qu'il existe à Imphal, capi- tale du Manipur, un dépôt de 600 manuscrits23 sous la responsabilité de l'archiviste N. Khelchandra; les manuscrits les plus anciens remonte- raient au XVème siècle, pour des textes dont certains datent du XIIème siècle. L'étude de ces textes présenterait évidemment un grand intérêt pour la linguistique. A ce jour, le seul texte en vieux-manipuri qui ait été publié, à ma connaissance, se trouve dans Hodson 1908 The Meitheis, pp. 188-211. Hodson a noté d'abord le texte en vieux-manipuri qu'on lui dictait, puis a noté une traduction en manipuri de son temps (glosée en anglais), et a ensuite essayé d'ajuster en traduction juxtalinéaire les deux textes manipuri, le vieux et sa traduction moderne; avec un succès modéré. Je

22 Par «peut compléter», nous entendons que ce n'est pas toujours le cas. On trouve également, surtout quand le déterminant n'est pas défini, une syntaxe par simple séquence déterminant+déterminé. Exemple: jum («maison») thak («partie supérieure») «toit». 23 Le fait qu'il existe des MSS anciens a déjà été signalé par Primrose 1888; et avant lui encore par Damant 1875.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. 170 F. JACQUESSON suis en train de refaire le travail, mais il déjà patent que les pronoms (et les possessifs) sont les mêmes dans les deux états de la langue24.

BISHNUPRIYA MANIPURI25 Cette langue, assez répandue à l'ouest du Manipur dans les provinces avoisinantes (pays Cachar, nord du Tripura et du Mizoram) et jusqu'au Bangladesh, est un parler assamais remanié par les locuteurs des régions mentionnées. Nous donnons un tableau similaire aux précédents. 123 U=A mi ti ta, fém. tej O mo.re to.re ta.re POS mo.r to.r ta.r Exemples: – mi gohati.t ahesu «je suis venu à Gohati» – mi bag a.go maresu «j'ai tué un tigre» – ta mo.re dehese «il m'a vu» – mo.r mur go «ma tête» Je donne ci-dessous les formes assamaises: 123 U=A mai/ami tai hi O mo.k to.k ta.k POS mo.r to.r ta.r les formes du bengali pour comparaison: U=A 0mi tui si O amake to.ke tahake POS amar to.r tahar

24 La «traduction» en meithei moderne est assez précise pour la première moitié du texte, quoiqu'elle offre même là de brillants exemples d'improvisation (souvent des com- mentaires; bien sûr ces discordances sont en elles-mêmes intéressantes); d'autre part le texte en vieux-meithei souffre d'une édition très mauvaise: Hodson, à la fin surtout, était de toute évidence fatigué (il reconnaît qu'il ne comprenait pas grand chose à ce qu'on lui dictait), et de nombreuses coquilles de l'imprimeur n'arrangent rien. 25 Mon informateur à Gauhati est le professeur Sinha.

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Un point intéressant (et partiellement comparable avec ce qui se passe en assamais) est l'intervention de classificateurs avec les possessifs: go pour les objets en volume, han pour les objets plus plats, gas pour les plus fins, e.g. mor ahi go «mon œil» mor ahi gi «mes yeux» mor at han «ma main» mor at hani «mes mains» luri gas «un fil» luri nan «un fil très fin» Pour les termes de parenté, on distingue la forme d'adresse mor baba «mon père!» mor ima «ma mère!» et la forme de référence mor bapok «mon père» mor malok «ma mère»

NOCTE26 12 3 U=A ∞ana∞ atti O ∞a.na∞ na∞.na∞ atti.na∞ POS i- na∞- atti- Les formes agentives, pronominales ou nominales, sont assez souvent marquées par -ma: – na∞.ma atti.na∞ iwatt?o «tu le frappes» – sa.po.ma man.pa rït.phi.ta «le tigre a tué la vache» mais pas nécessairement: – ∞a na∞.na∞ ikhi.e «je te vois» On se rappelle qu'il s'agit d'une langue pronominalisée, et en effet les pronoms ne sont pas toujours exprimés. Voir plus loin pour ce problème.

26 Cette langue remarquable est décrite dans une grammaire: K. DasGupta 1971. Mon informatrice à Gauhati est Changan Lowang.

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La détermination nominale se fait par simple séquence déterminant + déterminé (ex. sa mit «œil de tigre», «l'œil du tigre»); et la possessi- vation par simple usage du préfixe possessif: i.va «mon père» na∞.va «ton père» atti.va «son père» Notons27 que les dialectes tangsa ont: 12 3 U nga nang pai(h) POS nga im pai

GALONG28 Galong et padam29 sont deux dialectes de ce qu'on appelle la langue adi, parlée au centre de la province d'Arunachal. 123 U=A ∞onomï O ∞o.m no.m mï.m POS ∞o.k no.k mï.k – ∞o goati hogo ito «je suis venu à Gohati» – ∞o nom kato «je t'ai vu» – ∞ok abo «mon père» Les suffixes valent généralement aussi pour les noms: – mï ho.¢m mokto «il a tué la vache» – ∞o ni hok ana.m kato moi homme ici venir.O vu «j'ai vu l'homme qui est venu»

27 Il existe plusieurs dialectes tangsa, dont le jugli, le lungchang, et le moklum. Je connais seulement deux brochures publiées à Itanagar en 1988 par Winlang Rekhung sur les deux premiers dialectes. Je n'ai pas pu trouver la thèse de S.K. Pandyopadhyay 1980.; voir du même auteur 1989. 28 Mon informateur pour le galong est Goli Riba. 29 Les premières informations sur le padam sont dues à un missionnaire français, l'abbé N. Krick, qui voyagea dans la vallée en 1853, et a noté les pronoms. Krick 1854. Cf. Megu 1988 et 1990. Tayeng 1990a et b.

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On trouve cependant plutôt -lok dans les cas où le déterminant d'un nom est marqué comme tel: – ni anik homme œil «l'œil d'un homme» – ho.(lok) anik «œil de vache»

PADAM30 123 ∞onobwï Les mêmes suffixes qu'en galong valent en padam. Je note pourtant qu'un -¢ peut marquer U ou A: – si.mio.¢ adu∞ «un tigre est venu» – si.mio.¢ garu.k doto «un tigre a tué la vache» – ∞o si.mio.m kato «j'ai vu le tigre» – ∞o.k abwu «mon père» Les traits morphosyntaxiques particuliers seront traités plus loin.

NISHI31 123 U=A ∞onomi DAT ∞o.m no.m POS ∞o.ke no.ke – ∞o no.ke apu kato «j'ai vu ta fleur» – ∞o no.m apu.go ®ito «je t'ai donné une fleur» La morphologie est un peu plus complexe avec les pronoms de 3ème personne:

30 Mon informateur est Atet Pertin. 31 Mes informateurs sont Tama Mui et Jomta Dulom.

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– jame apu.go ni®i.ra.m ®ito «il a donné une fleur à elle» – ni®i.h¢ jame.h¢.m apu.go ®ito «elle a donné une fleur à lui»

ANGAMI 32 12 3 U=A anopwo O a ∞ pwo POS a ∞ pwo Exemples: – a vuor «je suis venu» no vuor «tu es venu» pwo vuor «il est venu» – no a methu ∂u krja daddi mu «tu m'as vu tuer la vache» – a pfo «mon père» µ pfo «ton père» pwo pfo «son père»

SEMA33 12 3 A i.no no.no pa.no O nji no pa POS i- o- pa- L'agent, pronom ou nom, est ordinairement marqué par -no. – i.no no ithulu «je t'ai vu» pa.no nji ithulu «il m'a vu» – topumi.no axamnu kuhu ithulu femme.A fleur rouge vu «la femme (mariée) a vu une fleur rouge» – i.ki «ma maison» i.pu «mon père» o.ki «ta maison» o.pu «ton père» pa.ki «sa maison» pa.pu «son père»

32 Mon informatrice est Elisabeth K. Lowang. Il existe plusieurs publications sur l'an- gami. Cf. Giridhar 1980, MacCabbe 1887. 33 Mes informateurs sont trois étudiants du clan Zhimo: A. Hokishe, S. Phukuto, et Bohoto S. Rotokha. Cf. Hutton 1916.

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ZAIWA34 123 U=A ko no u O ko.w¢k no.w¢k u.w¢k POS ko.j¢k no.j¢k u.j¢k L'informatrice présente les suffixes -w¢k (-wik) et -j¢k (-jik) comme interchangeables. Ce suffixe est en outre utilisé pour la détermination nominale: – awoso.j¢k mik oiseau œil «œil d'oiseau» – ko.j¢k awoso «mon oiseau» – ko majso ki∞ «je suis une fille» – ko awoso.jik ∞o∞ mi∞ «je vois l'oiseau» Comme dans la langue précédente, le sema, noms et pronoms sont semblablement construits lorsqu'ils sont – déterminants d'un nom – patients d'un verbe

III. PRÉDICATION ET DÉTERMINATION Il s'agit ici de voir comment ces langues différencient deux énoncés du type: une fleur rouge la fleur est rouge

34 Cette langue, dont les locuteurs manifestent une intercompréhension relative, en partie pour des raisons culturelles, avec le tibétain, n'est pas le tsaiwa connu dans la lit- térature, notamment par la monographie (en chinois) de XU Xijian et XU Guizhen, publiée à Pékin en 1984 comme une description d'un dialecte jinghpo; le tsaiwa de ces auteurs est une langue en effet assez proche du jinghpo (j'ai la chance de pouvoir travailler à Paris avec une informatrice jinghpo). Mon informatrice pour le zaiwa, Chhinjo Meyor, une jeune femme d'une intelligence remarquable, m'assure que son peuple, une communauté isolée d'environ mille personnes, n'a jamais été visitée par aucun linguiste.

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Et donc d'observer les tendances morphosyntaxiques qui organisent l'opposition entre un type de détermination nominale (un verbe «adjec- tif» déterminant un nom) et la prédication. Ce contraste n'est pas «mini- mal», au sens où l'on utilise cette expression en phonologie, car une contrainte de définitude semble porter sur le sujet du prédicat dans ces langues autant qu'en français35. Je présente les énoncés obtenus d'abord, dans les deux cas, pour chaque langue; ensuite un tableau qui facilite la comparaison. L'ordre des langues n'est pas le même que précédemment, pour des raisons qui apparaîtront dans le tableau annoncé. ZAIWA e kthu mutok cette fleur blanche e mutok kthu me cette fleur est blanche GARO g¢tsak bibal une fleur rouge ja bibal g¢tsak ©˜∞?a cette fleur est rouge ANAL i.Òin r¢pal une fleur rouge36 ama r¢pal he Òin ka cette fleur est rouge GALONG jalï.na apu une fleur rouge37 hi apu. ¢ jalï du cette fleur est rouge MANIPURI lej ∞a∞ be une fleur rouge lej asi ∞a∞ i cette fleur est rouge NISHI apu jalï nogo une fleur rouge apu∞ jalïn do (cette) fleur est rouge RONGMEI mun ha∞ mei une fleur rouge mei mun hei ha∞∞e cette fleur est rouge

35 C'est-à-dire qu'il est difficile de dire «une fleur est rouge»: un prédicat de ce type implique un sujet défini. 36 Il existe d'autres syntaxes, comme on verra dans la partie IV. 37 L'informateur préfère ici retraduire par une tournure relative, et propose «a flower which is red». Voir dans le chapitre suivant, à propos des relatives, le commentaire.

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ANGAMI nje.pu ke.merje une fleur rouge nje.pu hu merje cette fleur est rouge

PADAM akom botté une grande maison si akom si botté do cette maison est grande

NOCTE d®o∞.po tÒak une fleur rouge are d®o∞.po pe a.tÒak cette fleur est rouge

SEMA axamnu kuhu une fleur rouge axamnu hie a.kuhu cette fleur est rouge

Le tableau qui suit tente de saisir l'essentiel des structures. Les abré- viations sont: D déterminant d déterminé CL classificateur p marque prédicative + démonstratif (avant d) marque de thème (après d) J'ai préféré, pour les schémas de prédication, conserver les codes d et D; y substituer S et P aurait réduit l'intérêt de la comparaison, et n'au- rait pas permis de dissocier p.

détermination prédication zaiwa D d + d D p garo D d + d D p anal i.D d + d + D p galong D.na d + d + D p manipuri d D.be +d + D p nishi d D (CL) +dD p rongmei d D.(mei) + d + D p angami d ke.D +d + D padam d D + d + D p nocte d D + d + a.D sema d D +d + a.D

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L'ordre choisi est basé sur la technique déterminative nominale: depuis les langues à séquence {D d} jusqu'aux langues à séquence {d D}, en passant par des types à marque morphologique. Ce tableau peut être utilisé de deux façons. D'une part, verticalement, il permet de comparer les structures de chaque langue; d'autre part, horizontalement, il permet de juger du contraste morphosyntaxique entre structure déterminative nominale et structure prédicative. Ce second point est au moins aussi important que le premier. En effet, les possibili- tés d'associer deux lexèmes, dans l'une ou l'autre structure, sont somme toute assez limitées: l'ordre ne peut varier qu'entre {D d} et {d D}, et l'on peut ajouter à l'un ou l'autre (ou aux deux) composant(s) une marque segmentale ou prosodique. Dans tous les cas, l'exigence fonda- mentale est que les deux structures soient distinctes.

On remarquera, pour ce qui concerne les structures du syntagme nominal (double colonne de gauche), que si l'on trouve tantôt {D d} et tantôt {d D}, le seul composant marqué est D. Pour les structures de type S/P (sujet/prédicat, double colonne de droite), la constante est dans l'ordre des composants, avec le prédicat toujours final. Il en résulte que pour certaines langues (haut du tableau) les séquen- ces fondamentales contrastent: l'adjectif précède, mais le prédicat suit; tandis que pour beaucoup d'autres (bas du tableau) les séquences sont les mêmes38, et l'on observe alors différentes techniques complémen- taires qui assurent le contraste: (a) marque prédicative après le déterminant en fonction de prédicat, comme pour le haut du tableau, (b) marque déterminative sur le déterminant nominal (angami): la mar- que prédicative alors n'est pas nécessaire, (c) marque prédicative préfixée (nocte, sema): la marque déterminative nominale alors n'est pas nécessaire; c'est le cas contraire du précé- dent.

38 Le fait a été noté depuis longtemps. Cf. Clarck 1893, qui donne nisung tazung et traduit «a good man, the man is good». Pour l'ao, qui comporte deux dialectes nettement distincts, il est nécessaire de lire également ce que dit Mills 1926: 332 sqq.

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Aucun de ces cas n'est original en soi: on trouverait des faits com- parables dans à peu près toutes les familles de langues. On remarquera plutôt que des langues très proches, par exemple nishi, galong, et padam, utilisent des techniques différentes de détermination nominale39, mais des structures identiques de prédication. On est donc amené, d'un point de vue typologique, à considérer celles-ci comme plus indicatives pour le classement «génétique», et celles-là comme plus mobiles; cette mobi- lité ne manque pas d'intérêt. On notera enfin l'importance énonciative, dans la plupart de ces langues, des marques qui concluent le thème. En voici le tableau40 pour faciliter la comparaison: galong ¢ anal he sema hie rongmei hei angami hu manipuri asi padam si nocte pe

IV. LA RELATIVATION 41 Les faits de relativation sont très variés, et ils sont liés aux précédents dans la mesure où les «adjectifs» sont des verbes en fonction de déter- minant nominal, et donc partiellement assimilables à des relatives. L'in- formateur galong, par exemple, en proposant l'énoncé jalï.na apu «une fleur rouge» préfère re-traduire par «une fleur qui est rouge». Il est plus difficile de fournir un classement des faits de relativation, parce que plusieurs types de morphosyntaxe se juxtaposent dans chaque

39 Voir cependant la remarque en note, et plus loin le commentaire à propos de la rela- tivation, pour le galong. 40 Cette liste ne prétend pas être complète; elle résume seulement les données des exemples cités. 41 Ce terme, qui a l'avantage d'être clair, est ici parfois contestable car on verra que certaines de ces structures, même si elles sont aisément traduites par des propositions relatives, donc déterminant un nom, ne sont pas morphologiquement dépendantes.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. 180 F. JACQUESSON langue. On verra que, la plupart du temps, il est utile de distinguer la relativation de U, type je vois l'homme qui vient la relativation de A, type je vois le tigre qui a tué la vache enfin la relativation de O, type je vois la vache que le tigre a tué Ces distinctions cependant, comme on verra, ne sont pas toujours celles dont il faut partir: il faut considérer les contrastes mis en évidence par les morphosyntaxes elles-mêmes, et ne pas s'engager trop vite dans la recherche des «pivots». En outre, les faits de temps et d'aspect inter- fèrent avec les faits d'actance, comme souvent. En conséquence, je reviens pour ce chapitre à l'ordre que j'ai adopté pour la présentation des faits pronominaux, ordre plus proche de la classi- fication génétique. On trouvera donc d'abord la présentation des faits dans chaque langue, avec à chaque fois des schémas, dans la mesure où j'ai pu mener l'investigation, puis à la fin du chapitre des réflexions synthétiques. Les exemples sont numérotés en continu pour faciliter les comparai- sons; il m'a paru utile d'ajouter parfois des énoncés sans relativation qui aident à comprendre les structures plus complexes. Les énoncés à rela- tives sont numérotés en chiffres arabes; les autres par ordre alphabétique.

GARO (1) gohati.ona reba?¢.pa mande.ko na?a n¢kka.ma Gohati.ALL venu.DEM homme.ACC toi.AGE voir-PAS.2 «As-tu vu l'homme qui est venu à Gohati?» (a) na?a do?o.ko n¢kka.ma toi.AGE oiseau.ACC voir-PAS.2 «tu as vu un oiseau» (b) a∞.ni a.pha moi.POS père «mon père» (2)na?a a∞.ni n¢kg¢men do?o.ko n¢kka.ma toi.AGE moi.POS vu oiseau.ACC voir-PAS.2 «as-tu vu l'oiseau que j'ai vu?»

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analyse schématique42 (1) {V2-pa} O-ko A-a V1 rel43 de U (a) A-a O-ko V (2) A1-a {A2-ni V2} O-ko V1 rel de O Les désinences des V2, différentes en (1) et en (2), ne varient pas selon la personne: ce sont des participes. Ce fait est confirmé par la syn- taxe de type nominal du A2, qui est marqué comme un déterminant nominal, comme le rappelle (b). Dans les deux cas, l'énoncé dépendant est antéposé au nom déterminé; ceci correspond à la syntaxe détermina- tive examiné en III.

ANAL (c) i.Òi∞ r¢pal DET.rouge fleur «une fleur rouge» (3) ni kohima.ha i.ha∞ mikhe tijonu moi Kohima.ALL DET.aller homme ai-vu «j'ai vu l'homme qui va à Kohima» (3) U=A1 {i-V2} OV1 L'exemple (c), comme le montre (3), est une relativation. Il existe d'autres syntaxes «d'adjectivation», non relatives, en anal, comme j'en ai prévenu plus haut dans une note. Voici deux exemples: (d) pui r¢pal «une fleur jaune» ama r¢pal he pui wa «cette fleur est jaune» (e) pahol pa in «une grande maison» ama in he pahol (pa) ka «cette maison est grande» Le type illustré par (e), avec -pa, très répandu en TB, rappelle par exemple un des participes du garo exemplifié en (1).

42 Ces schémas sont destinés à rendre ensuite (voir la fin de cette section IV) les com- paraisons plus faciles. Les abréviations U, A, O, V sont employées comme auparavant; l'exposant 1 signale un syntagme de l'énoncé central (principal), 2 un syntagme d'un énoncé dépendant (subordonné); {…} enclot cet énoncé dépendant, relatif ou non. 43 Signifie «relativation de U»; voir le début de cette section IV.

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RONGMEI (f) méjpénhéj DEM crayon DEM «ce crayon» (4) go∞ méj pu venir DEM homme/celui «l'homme qui est venu» (5) go∞.ni méj pu venir.FUT DEM homme/celui «celui qui viendra» (6) dula∞∞ai go∞ méj pu héj baina da.je hier venir DEM homme DEM très gros.ASS «l'homme qui est venu hier est (très) gros»44 (g) na∞ hau.ni hau.mad®o toi voir.INT «as-tu vu?» (h) aj Òi (ta) hau.we moi chien (DEM) voir.ASS «j'ai vu (le) chien» (7) aj hau méj Òitana∞ hau.ni hau.mad®o moi voir DEM chien DEM toi voir.INT «as-tu vu le chien que j'ai vu?» (i) sã∞ dsa∞ méj «une longue route» mi sã∞ dsa∞ méj «cette longue route» mi dsa∞ méj sã∞.e «cette route est longue» (8) na∞ hau méj dsa∞ héjsã∞.e toi voir DEM route DEM long.ASS «cette route que tu vois est longue» (j) aj laire liw.e moi livre acheter.ASS «j'ai acheté un livre» (9) aj liu méj laire ta na∞ hau.ni hau.ma moi acheter DEM livre DEM toi voir.INT «as-tu vu le livre que j'ai acheté?» (10) laire liu.kan méj pu ta aj hau.we livre acheter.PAS DEM homme DEM moi voir.ASS «j'ai vu l'homme qui a acheté le livre»

44 Ici comme souvent, par exemple en jinghpo (ou en chinois), le «très» sert à pré- senter le prédicat. A mon avis, il s'agit d'un cas de grammaticalisation.

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pour (4) et (5), voir (6); pour (7), voir (9) (6) {V-mej} Urel U (8) {A2 V2 -mej} U-hej V1 rel O (9) {A2 V2 -mej} O-ta A1 V1 rel O (10) {OV2-kan-mej} O-ta A1 V1 rel A La postposition mej est omniprésente dans la relativation, quelles que soient les fonctions des nominaux relativés; mais l'exemple (f) montre qu'elle est autant une préposition au nom, lequel, lorsqu'il est défini (et il l'est automatiquement lorsqu'il est déterminé par une relative) est en outre suivi d'un démonstratif -hej ou -ta. Les démonstratifs (le cas n'est pas rare dans le Nord-Est; c'est d'ailleurs aussi le cas souvent en fran- çais) peuvent donc être discontinus: mi45 pen héj «ce crayon-ci» mi héj «ceci» héj pen ta «ce crayon-là» héj ta «cela» ce qui permet de délimiter l'ensemble du syntagme nominal défini (cf. (i)). Si l'on compare avec (6), on voit que cette façon de cerner le syntagme défini revient à poser les limites du segment déterminé par rapport au déterminant qui précède, et dont la fonction n'est alors indi- quée que par la place dans l'énoncé avant le segment défini. Mais on peut trouver simplement en rongmei: mi pen «ce crayon» mi mun «cette fleur» là où l'anal usera plus volontiers du discontinu: ama pen he ama r¢pal he Dans les deux cas, le hej rongmei ou le he anal sont ces marques que nous avons décrites comme thématiques à la fin du chapitre III. L'informateur présente systématiquement les V isolés sous la forme V+mej, formation qui est l'équivalent de notre «infinitif», et donc sur- tout une formation nominale. En conséquence, dans des énoncés comme (7), (8) ou (9), la technique de relativation revient à nominaliser l'énoncé qui devient dépendant, en le plaçant comme d'habitude avant le syn- tagme à déterminer. La même technique vaut pour (10), à cela près que

45 mi dans cette position paraît être l'équivalent (variante?) de mej. A moins que mej ne soit historiquement issu de mi + hej.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. 184 F. JACQUESSON dans l'énoncé nominalisé «O» est en tête, d'où le passif en -kan afin que ce O sémantique reste le sujet de l'énoncé dépendant.

MANIPURI (11) la?iwa nupi masasi na∞ hu.bra venant DEM fille toi voir.INT «vois-tu la fille qui vient?» (12) aj.na lej lokibasi na∞.no hui moi.AGE fleur prendre.PART toi.AGE voir «tu vois la fleur prise par moi» (13) na∞ aj.na lej lokibasi hui toi moi.AGE fleur prendre.PART voir «tu vois la fleur que j'ai prise» Mon informateur souligne lui-même la différence entre (12) et (13), en jugeant la formulation (12) plus «passive», et (13) plus «active». (11) {V2} OA1 V1 rel U (12) {A2-na O V2} A1-na V1 = rel O (13) A1 {A2-na O V2} V1 = rel O La situation en (12) et (13) est cette fois un peu particulière, puisque «l'antécédent», i.e. plus strictement le nom déterminé, est intégré à l'énoncé dépendant comme O de celui-ci. Il ne s'agit donc pas d'un énoncé secondaire déterminant un syntagme qui serait un de ses actants si l'énoncé était central, mais de ce que C. Hagège appelle «relative implicative»46, soit un énoncé complet déterminant un prédicat central. En l'occurrence, l'énoncé secondaire ne se présente pas comme un énoncé indépendant puisque il s'agit d'une façon de participe: c'est donc le groupe aj.na lej lokibasi en entier qui se présente comme un déter- minant du prédicat central. Il est intéressant de comparer (11) avec un énoncé noté par Primrose et publié en 1888: ngarâng lak.pa mi adu ngasi chat.kani hier venir.PART homme DEM aujourd'hui partir.FUT «l'homme qui es venu hier part aujourd'hui»

46 Hagège 1982: 63.

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Cet auteur remarque que le participe en -pa (qui sonne de nos jours en (11) comme -wa, tandis que la vélaire implosive paraît s'être elle aussi affaiblie) est lié à l'emploi après le nom déterminé du démonstratif asi ou adu, que nous retrouvons suffixé en (11): le nom déterminé est aussi défini. Ce même élément démonstratif se retrouve en (12) et (13) suffixé au V2 qui clot l'énoncé secondaire. L'évolution relativement sensible, au moins sur le plan phonétique, du manipuri, rend d'autant plus intéressant l'examen des manuscrits anciens dont nous avons parlé à son propos dans le chapitre des pronoms.

NOCTE (h) sa.po.ma man.pa rït.phi.ta tigre.AGE vache tuer.PAS «le tigre a tué la vache» (14) sa.po.ma rït.phi.ta man.pa khitak tigre.AGE tuer.3 vache voir.1 «j'ai vu la vache que le tigre a tuée» (15) na∞.ma rtt.phi.to man.pa khitak toi.AGE tuer.2 «j'ai vu la vache que tu as tuée» (16) man.pa rït.phi.ta sa.po ∞a.ma khitak vache tuer.3 tigre moi.AGE voir.1 «j'ai vu le tigre qui a tué la vache» (h) A-ma O V (14) {A2 V2} OV1 rel O (16) {O2 V2} OV1 rel A Naturellement on peut traduire (14): «j'ai vu le tigre qui a tué la vache», mais il est clair que cette traduction convient mieux à (16). Rap- pelons à propos de khitak que cette langue est pronominalisante; on trouvera d'autres exemples de relatives, complétant (15), dans le cha- pitre sur la pronominalisation.

GALONG (17) ∞o ni hok a.nam ka.to moi homme ici venir.PART voir.PAS «j'ai vu l'homme qui est venu ici»

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(18) ∞o nij.¢m a.dobe ka.to moi homme.ACC venant voir.PAS «j'ai vu l'homme venir» (19) ∞o ho mok.na.nam ka.to moi vache tué voir.PAS «j'ai vu la vache qui a été tuée» (20) ∞o ho.¢m mok.na ni.¢m ka.to moi vache.ACC tué homme.ACC voir.PAS «j'ai vu l'homme qui a tué la vache» (21) ∞o no.k mok.nam ho.¢m ka.to moi toi.POS tuer.PART vache.ACC voir.PAS «j'ai vu la vache tuée par toi» (22) ∞o no.m ∞o.k ®i.nam apu.¢m ka.to moi toi.ACC moi.POS donner.PART fleur.ACC voir.PAS «j'ai vu la fleur que je t'ai donnée» (23) (∞o) no.m ho.¢m mok.dobe ka.to moi toi.ACC vache.ACC tuant voir.PAS «j'ai vu que c'est toi qui tuais la vache» (24) ∞o ho.¢m no.m mok.dobe ka.to moi vache.ACC toi.ACC tuant voir.PAS «je t'ai vu tuant la vache» Les nuances thématiques, ou les questions d'aspect ont été soigneuse- ment vérifiées avec l'informateur, un étudiant en droit très attentif à l'exactitude et aux nuances, qui connaît parfaitement sa langue et dont l'anglais est très soigné. Il en ressort que la forme en -dobe marque la simultanéité de V2 et V1, tandis que -na(m) marque en V2 un procès antérieur à V1. – Avec -dobe on a: (18) A1 O-m {V2} V1 rel U (23) A1 O1-m {O2-m V2} V1 rel A (24) A1 {O2-m A2-m V2} V1 rel > sec – avec -na, on trouve (20) A1 {O2-m V2} O1-m V1 rel A – avec -nam on trouve: (17) A1 {U V2} V1 rel > sec (21) A1 {A2-k V2} O2-m V1 rel O (22) A1 {DAT2-m A2-k V2} O1-m V1 rel O

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Le commentaire «rel > sec» dans la colonne de droite souligne que la syntaxe correspondante sort du cadre de la stricte relativation, et qu'il y a élaboration d'un énoncé secondaire dépendant. En effet, par un procédé similaire à ce que j'ai noté plus haut en (12) et (13), le nom qui ailleurs est déterminé par la relative se trouve cette fois intégré à l'énoncé dépendant; en (24) par exemple, au lieu que ni «l'homme» soit, comme dans l'énoncé (23), marqué comme O1 de V1 et déterminé par V2, il n'est pas marqué par -m et est d'autre part, par sa place dans l'énoncé, positionné comme U de V2: on a donc affaire à ce que la tradition grammairienne appelle une complétive, c'est-à-dire un énoncé entier en fonction de patient du V1. Je crois utile de faire les trois remarques suivantes: A) Le schéma fondamental paraît être celui de (17)/(18): (17) «j'ai vu l'homme qui est venu» (auparavant) (18) «j'ai vu l'homme venir» (alors) L'antériorité est marquée par O1+zéro et V2+nam La simultanéité est marquée par O1+m et V2+dobe Ce qui suggère des segmentations syntaxiques différentes: (17) A1 {U V}2-m V1, soit A {O}-m V (18) A1 O1-m {V2} V1 et incite finalement à comprendre -nam comme -na+m, et que V2 suit le nom qu'il détermine. Il faut alors considérer (19) comme une extension de (17), avec -na- «passif»: (19) A1 {U V}2-m V1 B) Vient maintenant le cas où V2 possède A2 ou O2. Observons d'abord les cas (20), (21) et (22) qui sont les plus simples: (20) A1 {O2 V2} O1 V1 avec V2 en -na (21) A1 {A2 V2} O1 V1 V2 -na.m (22) A1 {DAT2 A2 V2} O1 V1 V2 -na.m Quand V2 a son propre O2 (tandis que O1 fonctionne comme son «A2»), le suffixe est -na. Quand V2 a son propre A2 qui morphologiquement est son possesseur (tandis que O1 fonctionne comme son «O2»), la segmentation syntaxique

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. 188 F. JACQUESSON est différente et le suffixe est -na.m: il y a alors une sorte d'accord en cas. Ceci paraît intéressant pour saisir la signification syntaxique de ce qu'est un accord. Dans tous les cas, l'énoncé déterminant précède le déterminé. Vient ensuite le contraste plus complexe entre (23) et (24). Si A1 est le thème, nous obtenons (23): (23) A1 O1 {O2 V2} V1 avec V2 en -dobe alors que si le thème est {O2 V2}, analysé en fait comme un O2 comme en (24), cet O2 glisse en première position: (24) A1 O2 O1 V2 V1 avec V2 en -dobe et nous obtenons une syntaxe tout-à-fait différente. C) Si nous considérons enfin l'ordre relatif de l'énoncé déterminant et de son déterminé, en mettant de côté les cas (17), (19) et (24) qui ne sont pas des relativations poroprement dites, nous découvrons que: – en (18) et (23) l'énoncé déterminant (la relative) suit le nom déter- miné. Ce sont les énoncés en -dobe. – en (20), (21) et (22), l'énoncé déterminant précède le nom. Ce sont les énoncés en -na(m). Cela confirme d'une part ce à quoi nous avons fait allusion dans la section précédente à propos de cette langue, et d'autre part suggère que l'ordre fondamental est celui où le déterminant suit le déterminé.

PADAM (25) ∞o garu.¢m simio.¢ do.duém ka.to moi vache.ACC tigre.AGE tué voir.PAS «j'ai vu le tigre qui a tué la vache» (26) simio.lok garu.¢m do.duém ∞o ka.to tigre.INS vache.ACC tué moi voir.PAS «j'ai vu la vache que le tigre a tuée» (25) A1 {O2-m A2-e V2} V1 rel > sec (26) {A2-lok O2-m V2} A1 V1 rel > sec Quoique ces deux exemples ne permettent pas de tirer de conclusions générales, on voit que le padam traite de façon différente, mais par deux

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énoncés secondaires, la différence thématique qui correspond dans la traduction à la relativation respectivement de A et de O.

NISHI (27) ∞o no.ke apu ®i.nam.∞am ka.to moi toi.POS fleur donné voir.PAS «j'ai vu la fleur que tu as donnée» (28) ∞o no.ke apu mï.m ®i.nam.∞am ka.to moi toi.POS fleur lui.DAT donné voir.PAS «j'ai vu la fleur que tu lui as donnée» (29) ∞o nji.¢m a.dobe ka.do moi homme.ACC venant voir.PST «je vois l'homme qui vient» (30) ∞o nji.¢m apu ®i.dobe ka.do moi homme.ACC fleur donnant voir.PST «je vois l'homme qui donne une fleur» (31) ∞o no.m apu ®i.dobe ka.to moi toi.ACC fleur donnant voir.PAS «je t'ai vu donnant une fleur» – avec -nam (28) A1 {A2-ke O2 DAT2-m V2} V1 = rel O – avec -dobe (29) A1 O1-m {V2} V1 rel U (30) A1 O1-m {O2 V2} V1 rel A On retrouve ici une morphosyntaxe analogue à celle du galong, où s'opposent les marques de procès simultané, -dobe, et de procès antério- risé ,-nam (ici avec -ngam). Les énoncés (29) et (30 et 31) permettent de vérifier que la relativation de U et A se fait dans des conditions identiques, de même que dans l'énoncé indépendant U et A sont traités identiquement. Comme en galong les énoncés dépendants en -dobe ont leur agent marqué en -m (c'est ce qui invite à les comprendre en réalité comme des O1), tandis que ce n'est vrai des énoncés en -nam: il paraît possible d'en déduire que dans ce dernier cas, c'est la forme en -na qui est marquée par -m, et doit être considérée comme le O1 historique; quelque chose comme «j'ai vu le donner-fleur de toi», ce qui rendrait compte en même temps du traitement de A2 comme possessif.

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ANGAMI (32) a methu mu no du krja daddi moi vache voir toi tuer «j'ai vu la vache que tu as tuée» (33) a no methu du krja daddi mu moi toi vache tuer voir «je t'ai vu tuer la vache» (34) a methu no du krja daddi mu moi vache toi tuer voir «j'ai vu la vache se faire tuer par toi» (32) A1 O1 V1 {A2 V2} rel > sec (33) A1 {A2 O2 V2} V1 rel > sec ou A1 O1 {O2 V2} V1 rel A (34) A1 {O2 A2 V2} V1 rel > sec ou A1 O1 {A2 V2} V1 rel O Les énoncés (32) d'une part, et (33) et (34) de l'autre, s'opposent encore sur le plan aspectuel. L'énoncé (33) ne dit pas que A1 ait assisté au procès dépendant, mais seulement qu'il en voit le résultat; au contraire (33) et (34) indiquent tous deux que les deux procès sont contemporains, et s'opposent entre eux quant au thème du rhème dépendant. On notera que (34) n'est pas le passif de (33), en ce sens que dans ces deux exemples seul change l'ordre des actants, mais que ni leur marque, ni le V2 ne sont changés en rien. Je regrette de n'avoir pas vérifié si un énoncé comme A1 A2 V1 O2 V2 contrastant avec (32) du point de vue thématique (quelque chose comme «j'ai vu que tu avais tué la vache»), était véritablement impossible. Cette morphosyntaxe est remarquablement différente de celle des trois langues examinées précédemment.

SEMA (k) a∞Òu.no amiÒi tsï.ve tigre.AGE vache tué «le tigre a tué une vache» (35) i.no a∞Òu.no amiÒi tsï.a.k'eu ithulu moi.AGE tigre.AGE vache tuer.PART1 voir.PAS «j'ai vu le tigre tuer la vache»

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(36) i.no a∞Òu.no amiÒi tsï.payi.k'eu ithulu moi.AGE tigre.AGE vache tuer.PART2 voir.PAS «j'ai vu la vache tuée par le tigre» (37) i.no amiÒihé?kri.payi.k'eu ithulu «j'ai vu la vache (qui a été) tuée» (35) A1-no {A2-no O2 V2} V1 rel > sec (37) A1-no O1 {V2} V1 rel O Le schéma ci-dessus pour (35) présente l'énoncé dépendant comme secondaire, puisque O2 enclavé n'apparaît pas comme le nom déterminé par l'énoncé dépendant. Mais A2 peut n'être pas exprimé, ainsi que le montre (37) où «vache» peut être analysé comme O1, et donc comme déterminé par V2. Il en ressort que c'est l'explicitation de A2 qui change le statut de l'énoncé dépendant. On peut en induire que ce changement de statut n'importe pas dans cette langue. Dans le cas de (35) et (36), c'est le suffixe du V2 qui marque le chan- gement thématique, et rien d'autre; on remarque que cette inversion thé- matique correspond à une inversion aspectuelle. L'énoncé (36) n'a pas de A2, et c'est pourquoi, expliquent les infor- mateurs, comme on ne sait pas pourquoi la vache est morte, on ne peut employer le même verbe «tuer» que précédemment, car le verbe tsï- est réservé aux fauves.

ZAIWA (l) ho?∞˜ gzo∞ awoso jik ∞o∞ mo DEM homme oiseau PAT voir ASS «l'homme voit l'oiseau» (m) ko awoso jik ∞o∞ mi∞ moi oiseau PAT voir 1-3 «je vois l'oiseau» (38) ho?∞˜ khuk?e th¢r gzo∞ thi.lo DEM venant R homme parti.PAS «l'homme qui est venu est parti» (39) ko.kui ∞o∞ jo?∞ th¢r awoso si.lo moi.AGE voir PAS-1 R oiseau mourir.PAS «l'oiseau que j'ai vu est mort» (40) no.kui ∞o∞ e th¢r awoso si.lo toi.AGE voir PAS-2 R oiseau mourir.PAS

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(41) u.kui ∞o∞ méj th¢r awoso si.lo lui.AGE voir PAS-3 R oiseau mourir.PAS «loiseau qu'il a vu est mort» (42) no.kui ∞o∞ méj th¢r mutok jik ko.kui thram phuk?∞˜ toi.AGE voir PAS R fleur PAT moi.AGE apporter.1 «j'ai apporté la fleur que tu as vue» (43) ko.kui ho?∞˜ awoso.wik ∞o∞ jo?∞˜ moi.AGE DEM oiseau.PAT voir PAS jo?o (awoso) wik ho?∞˜ gzo∞.kui sãt ki DEM (oiseau) PAT DEM homme.AGE tuer «j'ai vu l'oiseau qui a été tué par cet homme» (38) DEM {V2 R} UV1 rel U (39) {A2-kui V2 R} UV1 rel O (42) {A2-kui V2 R} O-jik A1-kui V1 rel O (43) A1-kui DEM O-wik V1 DEM (O)-wik DEM A2-kui V2 rel O Le zaiwa possède une morphosyntaxe différente de toutes celles que nous avons vues jusqu'à présent. La syntaxe de relativation par participe (formation à base verbale, mais nominalisée et invariable en personne) semble lui être inconnue: les V2 sont tous conjugués, comme le mon- trent les exemples (39) à (41). En outre, il existe un relateur spécialisé th¢r (énoncés (38) à (42)), qui ne disparaît qu'en (43), où la structure est proche de la juxtaposition, avec pourtant un déictique jo?o qui paraît spécialisé. Dans la syntaxe avec le relateur th¢r (noté R), l'énoncé dépendant se comporte comme un déterminant du nom qui suit. Dans la détermination nominale bilatérale (i.e. d'un nom par un nom), le déterminant précède aussi le déterminé, mais intervient un relateur jik ou wik, celui-là même qui marque le patient. Le déterminant de type «adjectif», comme on l'a dit plus haut, est directement antéposé au nom déterminé: ko e kthu mutok jik ∞o∞.mi∞ moi DEM blanc fleur PAT voir.1 «je vois cette fleur blanche» De même que dans cet exemple le déterminant verbal kthu est enclavé entre le DEM et le nom, de même en (38) le groupe kukh?e th¢r entre le DEM et le nom.

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La postposition agentive kui semble impliquer l'initiative; elle n'ap- paraît pas dans (l), ni dans (m) awoso gzo∞ jik ∞o∞ mo oiseau homme PAT voir.3 «l'oiseau voit l'homme» où l'on note en outre l'absence du DEM devant l'agent non-humain, mais apparaît dans (44) ho?∞˜ gzo∞ kui awoso jik sa:t ki DEM homme AGE oiseau PAT tuer «l'homme a tué l'oiseau» Cette langue remarquable se rapproche donc à certains égards des langues de type tibétain (on pense au relateur mkhan des relatives tibé- taines), mais s'en distingue nettement par nombre de traits, en particulier par la pronominalisation. Il faut conclure cette revue des relativations en comparant ces données morphosyntaxiques avec celles du chapitre précédent sur la détermina- tion. Rappelons que dans le cadre du chapitre précédent, il s'agissait de détermination du type «la fleur (qui est) rouge», c'est-à-dire de la déter- mination d'un nom par un verbe; il est donc raisonnable de comparer avec la structure des relatives. La colonne de gauche est identique à celle qui a été établie plus haut, celle de droite se borne à indiquer l'ordre de succession de la relative et du nom déterminé, dans les cas naturellement où il n'y a pas formation d'énoncé secondaire.

détermination relativation zaiwa D d D d garo D d D d anal i.D d D d galong D.na ddD manipuri d D.be Dd nishi d D (CL) d D rongmei d D.(mei)D d angami d ke.D d D padam d D sec. nocte d D D d sema d D d D

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On voit que les deux classements ne concordent que partiellement. On ne saurait s'en étonner pour les langues qui, dans le cas de la «déter- mination» (les guillemets s'imposent du fait que la relativation est éga- lement une détermination), utilisent une marque segmentale, laquelle est susceptible d'induire une modification de la séquence. En tenant compte de la relativation, on est amené à proposer un classement différent:

détermination relativation zaiwa D d D d NO garo D d D d NANG anal i.D d D d NANG manipuri d D.be D d NANG rongmei d D.(mei) D d NANG nocte d D D d NANG nishi d D (CL) d D NO galong D.na ddDNO padam d D sec. NO angami d ke.D d D NO sema d D d D NO

J'ai ajouté ensuite à droite du tableau les observations du chapitre sur les pronoms. On observe que, à l'exception du zaiwa, ce premier classe- ment recoupe celui à quoi nous venons d'aboutir. C'est un fait impor- tant, sur quoi il nous faudra revenir.

V. PRONOMINALISATION Un des aspects les plus curieux, et des plus étudiés, du tibéto-birman, est la question de la «pronominalisation». Depuis le Linguistic Survey of India, on essaie de savoir quel est le type original: le prédicat invariable en personne, ou celui qui marque par un indice l'accord en personne avec le sujet. Je ne prétends pas ici refaire une fois de plus l'histoire de cette question aussi controversée que passionnante, mais je pense pou- voir ajouter quelques éléments importants à ce lourd dossier. Parmi les onze langues passées en revue, trois sont pronominalisantes: le nocte dont la pronominalisation a été déjà étudiée par Bauman, l'anal qui est une langue kuki mais dont la pronominalisation ne semble pas avoir

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été décrite, et le zaiwa, qui n'a été étudié par personne parce qu'il était inconnu. Ces trois langues appartiennent à des sous-groupes différents.

NOCTE L'informatrice fournit deux paradigmes différents, au passé, pour «venir» et pour «voir» (ce dernier sans patient explicite): «venir» «voir» SG1 ∞ava∞ ta∞∞a ma khje tak 2 na∞ va∞ tho na∞ ma khje to 3 atte va∞ tha atti ma khje ta PL1 ni: va∞ thi ni ma khje ti 2 nekhu va∞ th¢n ne ma khje tat 3 th¢nin va∞ tha tanin ma khje ta La différence d'aspiration du suffixe personnel entre les deux para- digmes n'est pas assurée, ni le statut des détails dans la réalisation des formes des pronoms47; mais la postposition agentive ma n'apparaît qu'avec «voir», et les désinences personnelles sont partiellement différentes. Deux paradigmes différents aussi (dont je n'ai relevé que le singulier) pour le verbe transitif selon qu'il est au passé ou au présent-futur. Le verbe ici utilisé signifie «frapper, battre»; je n'ai pas reproduit le jeu des pronoms qui est régulier: les pronoms en fonction agent et patient sont respectivement suivis par ma et na∞ présent continu passé 1 > 3 i.wat?ha∞ wattak 1 > 2 i.wat?e watti 2 > 1 i.wat?ha∞ watta∞ 3 > 1 i.wat?ha∞ watta∞ 2 > 3 i.watt?o watto 3 > 2 i.watt?o watto Les formes 3 > 3' sont en -ta. Là encore, je préfère laisser ce qui apparaît comme des irrégularités plutôt que de rationaliser a priori les paradigmes.

47 Non seulement parce que je n'ai eu qu'une informatrice pour le nocte, mais parce que mes enregistrements pour cette langue et pour le zaiwa ont disparu à l'aéroport de Damas, au retour.

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L'interprétation des désinences est assez facile. On peut établir, au singulier, les correspondances entre la gamme intransitive «vraie» (type «venir») et la gamme monoactancielle transitive (type «voir») d'une part, et d'autre part la gamme biactancielle, de la façon suivante: «venir»/«voir» biactanciel -ak A 1 1 > 3 -a∞ U 1 2-3 > 1 -o 2 2 > 3 et 3 > 2 -a 3 3 > 3 -i PL 1 1 > 2 D'où ressortent les faits suivants: La désinence active -ak (comme dans «voir», par opposition à «venir») vaut aussi pour 1 > 3, ce qui est logique. Cette fonction agentive n'existe pas au présent; il existe de nombreux parallèles à cette spécificité agen- tive du passé. La désinence non-active -ang, en revanche, marque en contexte biac- tanciel une 1ère personne patient; ce qui répond à la même logique. La désinence -o qui marque 2, prime sur 3 (mais non sur 1) en contexte biactanciel; phénomène connu de hiérarchie agentive. La désinence -a vaut pour 3 exclusivement, c'est-à-dire U3 ou A3 > O3 Plus intéressant est le cas de -i. En contexte monoactanciel, cette dési- nence (ici comme dans nombreuses langues TB) est un inclusif, et met donc en jeu à la fois le locuteur et un (ou des) allocutaires. Il est donc compréhensible qu'en contexte biactanciel elle marque 1 > 2. Un tel phénomène n'est pas isolé48. Enfin, il faut signaler que le verbe d'une relative se conjugue, mais que le verbe V2 transitif dont le nom relativé est O se conjugue comme «voir» ci-dessus. Soit un énoncé comme «j'ai vu la vache que j'ai tuée» ∞a.ma rït phe.tak man.pa ∞a.ma khji.tak moi.AGE tuer.1 vache moi.AGE voir.1

48 J'ai eu l'occasion de faire une communication sur un thème analogue au Congrès International Sino-Tibétain de Sèvres, en 1994.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. LANGUES TIBETO-BIRMANES DU NORD-EST DE L'INDE 197 de même à la 3ème personne: «j'ai vu la vache qu'il a tuée» atte.ma rït phe.ta man.pa ∞a.ma khji.tak ou à la 1ère pluriel, etc. ni.ma rït phi.ti man.pa ∞a.ma khji.tak «j'ai vu la vache que nous avons tuée»

ANAL Cette langue présente dans certains cas une double pronominalisation, de l'agent et du patient. Voyons d'abord le paradigme intransitif, au passé, pour «venir» et pour «voir» (sans patient explicite). Les pronoms U sont les mêmes dans les deux cas; je ne les donne qu'une fois, à gauche: «venir» «voir» ni ava∞ka.ni∞ ka.tival na∞ ava∞ka.ti a.tival ama ava∞ka wa.tival ni.hin ava∞ka.hin.ni∞ na.tival.hin na∞.hin ava∞ka.hin.ti a.tival.hin ama.hin ava∞ka wa.tival Il est clair que la marque de pluriel, identique pour le pronom et pour le verbe, est suffixée de la même façon. Clair aussi que les indices per- sonnels forment deux séries distinctes: – suffixés pour «venir», avec une 3ème personne sans indice, – préfixés, et identiques aux possessifs, pour «voir». En réalité, un verbe comme «voir» est construit exactement comme un nom possessivé. Si «voir» a un patient personnel indicié, les deux techniques se com- posent d'une façon particulière: 1 > 2 ni na∞.akõ a.tival.ni∞ 2 > 1 na∞ nik.akõ ka.tival.ti 1 > 3 ni ama.hele ka.tival 2 > 3 na∞ ama.hele a.tival 3 > 1 ama nik.akõ ka.tival 3 > 2 ama na∞.akõ a.tival 3 > 3' ama mi.hele wa.tival

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On remarque que, si 3 est présent, il n'y a pas de suffixe, et seul le préfixe apparaît tantôt pour marquer l'agent, tantôt pour marquer le patient; si 3 n'est pas en cause, le suffixe marque l'agent, et le préfixe marque le patient. On peut présenter les mêmes faits d'une façon différente, en partant par exemple de: ni pen ka.holÒi «j'ai acheté un crayon» na∞ pen a.holÒi «tu as acheté un crayon» ama pen wa.holÒi «il a acheté un crayon» et remarquer d'abord qu'avec un patient 3 l'agent est possessivé; puis qu'avec un patient 1 ou 2, c'est le patient qui est possessivé; enfin que si avec patient 1 ou 2 l'agent est 2 ou 1, alors celui-ci est marqué par un suffixe. Avec des actants pluriel, on a par exemple: «ils m'ont vu» ama.hin ka.tival «ils nous ont vus» ama.hin na.tival.hin «tu nous as vus» na∞ ka.tival.hin.ti «nous l'avons vu» ni.hin mi.hele na.tival.hin Certaines formes, perçues distinctes dans la traduction, sont donc homonymes en anal, ainsi «ils nous» et «nous le», ou encore «nous les», car le suffixe de pluriel vaut à la fois pour l'agent et le patient. Le réfléchi possède une morphologie différente: 1 > 1 ni ka.da i.ti.d®a.ni 2 > 2 na∞ a.da i.ti.d®a.ti 3 > 3 ama wa.da i.ti.d®a Les grands traits en sont lisibles: d'une part le patient réfléchi est exprimé par un -da possessivé, d'autre part le verbe, marqué d'un cir- confixe i--dza, porte la série des indices suffixés.

Cette langue possède donc deux séries d'indices personnels (l'une identique à celle des possessifs), morphologiquement distinctes des formes pronominales; ce qu'on peut résumer ainsi, en se bornant au sin- gulier:

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Pronoms possessifs indices 1 ni ka- -ni∞ 2 na∞ a- -ti 3 ama/mi wa- -Ø On ne peut manquer de penser à l'article de Eugénie Henderson «Col- loquial Chin as a pronominalized language», publié en 195749. L'auteur montre qu'en Tiddim Chin (langue kuki des Chin Hills de Birmanie) «there is a sharp contrast between colloquial and formal literary usage. Sentences in formal literary style almost invariably end with a verb follo- wed by a particle, never with a pronominal form. In colloquial style final pronominal forms abound.»50 J'ordonne ci-dessous une partie des formes données par E. Henderson (qui donne en outre les tons) de la même façon que je l'ai fait ci-dessus pour l'anal: formal lit. colloquial Pronoms possessifs indices 1 kei.(ma?)ka--i∞ 2 na∞.(ma?)na--té? 3 a.ma? a--Ø La similitude est patente. Dans cet article, E. Henderson ne cite que des formes du verbe «aller», pour quoi en colloquial style elle remarque les fameux suffixes qui font défaut au style littéraire. Il est regrettable qu'elle n'ait pu donner d'exemples avec des verbes actifs comme «voir», ou avec des verbes transitifs; ce qui aurait accru l'in- térêt du rapprochement. Quoiqu'il en soit, le cas de la langue anal confirme et développe de façon inattendue, quarante ans plus tard, ce que cet excellent article voulait montrer: qu'il existe une pronominalisa- tion en kuki. Là où les deux langues divergent, c'est sur le fait qu'en anal, les deux procédés morphologiques sont utilisés complémentairement dans une syntaxe qui donne à chacun une fonction propre, au lieu d'une réparti- tion stylistique.

49 Henderson 1957. Voir aussi Henderson 1965. 50 op.cit. p. 325.

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La tribu Anal, qui vit sur la frontière de la Birmanie et du Manipur, se considère désormais comme appartenant au groupe Naga. Mais il ne semble pas que les Nagas, quels qu'ils soient, aient pu influencer la langue anal pour lui donner sa syntaxe si particulière51, d'une part parce qu'aucune langue naga connue ne présente de faits comparables, et d'autre part précisément parce que E. Henderson a montré que les éléments morphologiques d'une telle syntaxe se trouvent au contraire en pays Kuki-Chin. Il semble donc que cette tribu Anal, placée aux marches de la zone d'influence du pouvoir des princes du Manipur d'une part, et d'autre part à la frontière des royaumes successifs de Birmanie, ait pu maintenir une morphosyntaxe que, jusqu'à présent, on n'a pas pu identifier dans les langues kuki parlées en territoire birman. Les travaux de E.Hender- son montrent que cette morphosyntaxe, dissociée stylistiquement en pays Tiddim, est pourtant bien kuki.

ZAIWA Le verbe intransitif distingue au moins trois paradigmes selon le temps/ aspect. Voici les trois séries pour le verbe kuk «venir»; les pronoms U sont les mêmes, et ne sont donnés qu'une fois, à gauche. passé présent futur SG ko kuk li∞ kuk mi∞ kuk mi∞ no kuk tÒilo ku? iku? ilek u kuk lo ku? ∞˜ kuk lek PL ki kuk laj kuk maj kuk maj nisi∞ kuk tÒilo naj ku? ini kuk ilek naj mi(si∞) kuk lo kaj ku? ∞˜ kuk lek ko La vélaire finale du verbe kuk est réduite à /?/ devant /i/ ou /∞˜ /. La diphtongue /aj/ peut être réalisée /e/. Les amalgames formels peuvent être en partie analysés en comparant les trois séries.

51 Cette intégration identitaire au groupement Naga est en outre récente. Kabui 1985: .10-11, en situe le départ au début des années 1970. C'était à juste titre qu'en 1912 J. Shakespear: 149sqq. donnait les Anal comme une tribu kuki; il signale qu'une chro- nique manipuri mentionne les Anal dès le milieu du XVIème siècle.

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123 456 passé SG li∞ tÒ il o lo PL laj tÒ il onaj lokaj futur SG mi∞ ilek lek PL maj ileknaj lekko présent SG mi∞ i ∞˜ PL maj ini ∞˜ Il est probable que l'élément de rang 3 (Rg3) est un ancien verbe auxiliaire, comme le suggère en outre le fait que la forme en soit parti- culière à la 1ère personne au futur et au présent; c'est un phénomène bien connu, y compris de l'anglais. Rg6 est un suffixe de pluriel52, distinct du -sing de certains pronoms53. Il permet de mesurer le degré de reformation de chaque paradigme: constant au passé, réaménagé à la 3ème PL futur (sans doute pour mieux se distinguer du passé, au terme d'une apparente métathèse vocalique entre Rg4 et Rg6), il n'est conservé au présent qu'en 1ère PL. Au Rg5, certains morphèmes rappellent les pronoms, ainsi n- pour no et ni.sing, et -ing par sa distribution identique à celle du pronom ko. Au Rg2 (accompagné au passé par le Rg1), seulement aux 2èmes personnes, un préfixe i- qui est identique au possessif correspondant (mais i- n'est possessif qu'au SG de la 2ème personne; le PL a ni-).

52 Comparer avec le morphème -ei qui en lakher (=mara, langue kuki) marque sur le verbe le pluriel de l'agent ou du patient. 53 Le suffixe du pluriel humain est également en -sing en manipuri, par exemple.

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Cette position particulière d'un morphème spécifique de la 2ème per- sonne a un parallèle en trung (= dulong). Dans la monographie détaillée du Pr Sun Hongkai sur cette langue, géographiquement toute proche du zaiwa, on lit par exemple (les tons sont indiqués dans la mono- graphie) pour le verbe t© «écouter, entendre» le paradigme personnel suivant54: SG DU PL 1 tå∞ tåÇÓ tåi 2 nÓ t© nÓ tåÇÓ nÓ tån 3 t© t© t© où nÓ est une forme liée au pronom de 2ème personne, SG nå/nå˘, PL nÓ ni∞.

Toujours à propos des intransitifs, il faut ajouter le paradigme de l'auxiliaire prédicatif: ko maiso ki∞ «je suis une fille» no maiso e «tu es…» etc. u maiso me ki maiso kaj nisi∞ maiso me misi∞ maiso me Les formes transitives portent au présent des désinences identiques aux intransitives, et référant à l'agent. Avec le verbe pak- «porter (des animés)». ko i.wik pak.mi∞ «je te porte» ko u.wik pak.mi∞ «je le porte» no ko.wik pak.?i «tu me portes» no u.wik pak.?i «tu le portes» u ko.wik pak.?∞˜ «il me porte» u no.wik pak.?∞˜ «il te porte» Au passé, les formes sont différentes et moins claires. On note aussi la tendance (il ne semble pas s'agir de règle stricte) à marquer davantage l'agent.

54 Sun Hongkai 1982: 92.

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ko i.wik pak.?jo?∞˜ «je t'ai porté» ko u.wik pak.?jo?∞˜ «je l'ai porté» no.kui ko.wik pak.tÒu «tu m'as porté» no.kui u.wik pak.tÒik «tu l'as porté» u.kui ko.wik pak.phu «il m'a porté» u.kui no.wik pak.phu «il t'a porté» Les formes où agent et patient sont de 3ème personne portent le suf- fixe -wik (ou -jik, indifféremment: il s'agit donc de ce même suffixe qui marque le patient ou le possesseur): u.kui u.wik pak.wik «il l'a porté» u.kui misi∞.wik pak.wik «il les a portés» misi∞.kui u.wik pak.wik «ils l'ont porté» misi∞.kui misi∞.wik pak.wik «ils les ont portés» La forme réfléchie ne diffère que par la forme du patient: u.kui rabse.jik pak.wik «il s'est porté» Si maintenant on compare les morphèmes désinentiels du verbe tran- sitif, pour le passé, en zaiwa et en nocte, on constate (pour le singulier de l'agent comme du patient), que tous deux possèdent un jeu de cinq désinences distinctes, alors que les deux langues n'en ont que quatre au présent. D'un point de vue analytique qui part des sept situations biactancielles possibles, quant on recoupe les trois agents et les trois patients, en excluant les situations réfléchies, cela signifie qu'il y a dans les deux langues, au passé, deux cas d'homophonie. Mais ces deux cas sont tout différents: nocte zaiwa O1 O2 O3 O1 O2 O3 A1 iak jo?∞˜ jo?∞˜ A2 a∞ o cu cik A3 a∞ o a phu phu wik L'organisation des désinences du nocte se comprend (voir plus haut, dans ce chapitre) à partir des désinences intransitives, qui sont les mêmes. Ce n'est pas le cas du zaiwa, qui présente des désinences biac- tancielles spécifiques. Cette spécificité est le résultat d'amalgames du même ordre que ceux que j'ai analysés plus haut pour les désinences

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. 204 F. JACQUESSON monoactancielles; c'est donc chez celles-ci qu'il faut chercher les élé- ments de celles-là. Il semble raisonnable de proposer, provisoirement, l'analyse suivante: O1 O2 O3 A1 jo + ∞˜ jo + ∞˜ A2 c +jo c + jik A3 ph + jo ph + jo jik On retrouve pour la 1ère personne un -∞, ici syllabique, comme par- tout en U1; et pour la 2ème personne au passé ce c- (plus haut noté tÒ-) de U255, dans une position également «préfixale» par rapport à -jo-, qui semble être le pivot de la formation. Quoi qu'il en soit du détail de l'analyse, il est clair que l'organisation du système est toute différente de celle du nocte. Les marques pour cha- cune des personnes suivent nettement une tendance agentive. Or cette tendance est rare; elle n'apparaît de cette façon dans aucune des langues pronominalisées TB décrites, que ce soient celles du Népal ou les langues plus proches comme le rawang ou le jyarung.

VI. REMARQUES SUR LA CLASSIFICATON

Somme toute, les langues tibéto-birmanes du Nord-Est peuvent se grouper pour l'essentiel en trois grands ensembles: (1) les langues Bodo-Garo majoritaires, dont les locuteurs ont formé dès les premiers témoignages historiques plusieurs royaumes consé- quents, tant en Assam que dans l'actuel Bihar. Voir la carte. (2) les langues dites «Tani» par J. Sun56, qui couvrent la majorité des montagnes et des piedmonts de l'Arunachal, ou même la zone au nord du fleuve (Miri=Mishing).

55 Je signale que ce morphème c- pour la 2ème personne n'est pas tout à fait isolé. Sans même songer à certaines formes tibétaines, on le trouve dans certaines langues kuki. Par exemple R.A.Lorrain (1951): 9 donne un exemple comme: a.bei.pa cha aw.ei «the chief called you». Cette forme de patient semble être nécessairement devant le verbe. Cette intéressante question mériterait des développements. 56 Voir en particulier sa thèse: Tianshin Jackson Sun 1993a. Je dois la connaissance de cette thèse à Boyd Michailovsky.

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(3) les langues du côté birman: Arunachal de l'Est (Tirap), Nagaland, Manipur, Mizoram. Contrairement aux deux groupes précédents, lin- guistiquement homogènes, ce troisième groupe est historico-géogra- phique, et doit être détaillé. Il ne fait aucun doute que parmi ceux-ci, les Kuki sont les derniers arrivés, en provenance des Chin Hills de Birmanie. Ces migrations ne semblent guère antérieures au XVIIIème siècle, mais ont continué jus- qu'à nos jours. La classification adoptée par Konow en Old Kukis et New Kukis réfère aux dates d'arrivée des tribus kuki en pays Kachar: à

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. 206 F. JACQUESSON la fin du XVIIIème s. pour les premiers (Rangkhol et Paite), milieu du XIXème pour les autres (les Thado surtout). La date récente de ces migrations explique que les langues et parlers Kuki-Chin soient encore homogènes, pour l'essentiel. Les occupants plus anciens des montagnes orientales sont les Naga et les Konyak, qu'on a raison de distinguer sur des critères linguistiques; la littérature ancienne les confond souvent sous le nom générique de «Nagas». Les Konyak sont un groupe probablement assez mélangé. Ils vivent dans ces monagnes qu'ont franchies autrefois les Ahom, et après eux bien d'autres troupes: des Tai comme l'étaient les Ahom, mais aussi des Jinghpo; la plupart en provenance de ce qui est aujourd'hui la Birmanie du nord. Il me semble que les Konyak (en tant que groupe lingustique, comprenant les Nocte, Tangsa, etc.) sont, comparés aux Naga stricto sensu, des immigrants plus récents, mais provenant peut-être de régions plus lointaines. Tous les clans Tangsa, par exemple, entretiennent le sou- venir de leurs itinéraires à travers l'actuelle Birmanie septentrionale, en provenance d'une localité (probablement au Yunnan) qu'ils nomment «Masoi Sinrapum»57; le commerce, l'amitié et les alliances avec des populations au-delà de la frontière sont choses communes. Quant aux Nagas, sur quoi je reviendrai à la fin, ils semblent bien être aussi différents de ces «Konyak» leurs voisins au nord, qu'ils le sont des Kuki leurs voisins du sud et de l'est. Ils sont sans doute les plus anciens habitants connus de leur pays, et probablement aussi de certaines régions occupées maintenant par les Kuki (qui sont vus par eux comme des immigrants arrogants) et les Konyak. Les histoires ou légendes liées à l'origine ou aux migrations de la plupart des Naga58 concernent strictement le pays qu'ils occupent aujourd'hui, et les chroniques de Manipur attestent leur présence dans les collines au moins dès le XVe siècle59. Entre Naga et Kuki se pose le problème des Meithei (= Manipuri), puis des Mikir (=Karbi), et même des anciens Dhimal. Ceux-ci ont été

57 Dutta 1959: 3-7. 58 Mais non de tous. Le quartier nord-ouest des Naga Hills (Ao et Lhota par exemple) a sans doute une histoire récente plus complexe. Cf. N.K. Das & C.L. Imechen 1994. 59 Hodson 1911, p. 11.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. LANGUES TIBETO-BIRMANES DU NORD-EST DE L'INDE 207 rapproché à tort des Bodo-Garo par Hodgson; plus récemment, on a rap- proché la langue Dhimal du groupe Tani (Abor-Miri-Dafla), ce qui me paraît abusif60, quoique moins faux que l'idée de Hodgson. Il me paraît utile de reprendre ici le critère que j'ai proposé dans l'étude des pronoms, et de distinguer selon la forme du pronom de 2e personne, tantôt NO, tantôt NANG. La carte qui suit est évidemment une carte simplifiée, mais elle tente de visualiser les choses en tenant compte de l'extension historique du groupe bodo-garo.

L'histoire du groupe Naga reste compliquée, et partiellement obscure. R. Shafer a consacré plusieurs articles à leur classement. Thurgood admet qu'il est prématuré de proposer un schéma commun aux pronoms

60 Le rapprochement est suggéré, sans conviction exagérée, par Benedict dans le Conspectus, p. 6. Dans sa thèse, J. Sun a examiné ce rapprochement et le trouve aussi très douteux.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. 208 F. JACQUESSON du Naga61. Voici ces deux classements, dans leurs grandes lignes. J'ajoute à droite la forme du pronom NO/NANG, en suivant Thurgood pour ce qui le concerne.

Shafer 195362 Luhupa branch Maring nang Tangkhul na Kupome nang Western branch Maram nang Kabui nang Empeo nang Northern Naga Hlota na-no Ao na-nang Thukumi na Eastern branch Rengma no Sema na-no Angami no

Thurgood SW Naga Maram nang Maring nang Kabui nang Empeo nang Rengma ne-no Tangkhul na – nang Angami Sopvoma ni Kezhama no Angami no Lhota dialectes na-no Ao Mongsen nang Chungli na Tengsa nang Sema dialectes na-no

En réalité, sans prétendre éclairer tout de cette façon, il suffit de reporter sur une carte de pronom de 2e SG pour voir se grouper les formes. Toutes les langues non indiquées sont au sud et en NANG.

61 Thurgood 1985, pp. 385-387. 62 Son classement de 1966 est identique. Cf. Shafer 1953, 1954.

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D'autre part, les formes en NO des Naga Hills appartiennent à deux groupes différents, puisque dans quelques langues (N°2 sur la carte) la nasale vélaire finale n'existe pas, tandis qu'elle est bien attestée dans d'autres (N°1), comme elle l'est dans l'est de l'Arunachal63 et en zaiwa. (la carte est adaptée de celle du LSI)64

63 Cf. Jackson T.S. Sun 1994. Je dois la connaissance de cette article, ainsi que de la thèse de cet auteur, à Boyd Michailovsky. 64 On peut vérifier et compléter les localisations d'après celles qu'a fournies J.P. Mills.

Journal Asiatique 284.1 (1996): 159-212. 210 F. JACQUESSON

Les langues du Nagaland ont NA ou NO, celles du Manipur ont NANG. Les deux exceptions sont de type différent. Nagaland et Mani- pur sont séparés par une importante chaîne de montagnes, qui culminent à 3000 m.; si cette frontière géographique est aussi linguistique, il existe néanmoins un passage important et traditionnel: les langues en NA/NO ont débordé par cette voie vers le sud, comme en témoigne le sopvoma (=mao65). De l'autre côté du domaine NO, au nord, certains dialectes liés à l'ao ont NANG66; mais je n'en sais pas la raison. Il faut donc bien dissocier Nagaland et Manipur, et rappeler une importante différence entre les deux. Le Manipur a été un royaume assez puissant pour avoir sa propre écriture, et j'ai signalé plus haut qu'il existe des archives importantes. Le Dr Sanjaoba a rédigé ou dirigé plu- sieurs volumes sur l'histoire de ce royaume, dont l'ancienneté remonte peut-être au XIIIe siècle. Au début du XVIIIe siècle, le roi Pamheiba («Gharib Nawaz»), converti à l'hindouisme, mena quelque temps des guerres victorieuses contre les Birmans, qui prirent ensuite longuement leur revanche. On sait que c'est à cause d'une invasion birmane par cette voie que les Britanniques songeront à occuper l'ensemble de l'Assam au sens large. Tout cela signifie qu'à l'inverse du Nagaland, le Manipur est en contact constant avec l'est et le sud, cette même direction d'où viennent aussi les Kuki. L'histoire vient donc confirmer la géogra- phie, et l'ensemble a son expression linguistique. La langue manipuri elle-même, qu'on commence à beaucoup étu- dier67, possède de façon caractéristique à la fois des traits kuki et des traits naga. L'examen des MSS anciens devrait être plein d'intérêt.

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65 Le nom de mao vient d'un village du même nom, mais c'est un nom meithei (=manipuri); le nom naga est Sopvoma, cf. Hodson 1911 (1989), p. 3. P.P. Giridhar a récemment publié un travail approfondi sur cette langue. 66 Voir à ce sujet J.P. Mills 1926, ch. 6. Mills fournit aussi une carte détaillée de la distribution dialectale en pays Ao. 67 Voir Sh.L. Chelliah 1990.

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