<<

UNIVERSITÉ DE LYON

UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2

INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES DE LYON Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012

Des différentes utilisations et interprétations du festival-comme- hétérotopie-sexuée

DAMIENS Antoine

Mémoire de Séminaire

Sociologie des acteurs et des enjeux du champ culturel

2011 - 2012

Sous la direction de : SANIER Max

Membres du jury : - SANIER Max - CORDONNIER Sarah (Soutenu le : 31 août 2012 )

Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012

Des différentes utilisations et interprétations du festival-comme- hétérotopie-sexuée Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Sommaire Dédicace...... 8 Remerciements...... 8 Epigraphes...... 9 Introduction...... 10 Cinéma et festivals de film 'LBGT' : de l'intérêt de la re-présentation minoritaire...... 10 Le Festival Ecrans Mixtes 2012 : un événement spécifique...... 14 Festivals, publics et spectateurs...... 15 Le public, l'impensé des études de festivals LBGT...... 18 Définir l'hétérosexualité sociologiquement : tensions entre une approche identitaire / de performance / d'affect (queer - hétérosexualités) et une approche en termes d'institutions / d'idéologie (féminisme matérialiste - hétérosexualité)...... 20 Enjeux du travail de recherche...... 27 Hypothèses et dispositif de recherche...... 28 Sections...... 32 1. Le Festival Ecrans Mixtes 2012 : des festivals de films « gays et lesbiens » aux festivals queer ; le festival comme organisation discursive polysémique...... 33 1.1. festivals de film et production discursive : de la polysémie d'Ecrans Mixtes...... 34 1.1.1. Le Festival comme organisation discursive...... 34 Délimiter le rôle du festival de film : études textuelles et film festival studies.....34 Démultiplication des festivals, réseau, discursivité : de la nécessité de s'auto- définir et de se démarquer...... 34 Festivals de film « gays » : une exception aux festivals traditionnels ?...... 37 L'analyse textuelle, une méthode insuffisante pour comprendre Ecrans Mixtes ...... 39 Ecrans Mixtes, organisation et discursivité ...... 39 Ressources, Organisation de la communauté et discursivité d'Ecrans Mixtes : un (vrai) festival de film...... 40 Ressources, Organisation de la communauté et discursivité d'Ecrans Mixtes : identité et communauté...... 41 Contexte et discursivité : des éléments qui « font sens » dans un festival...... 43 Lieux : espaces sexués et légitimation culturelle...... 43 Temporalité : Agenda, temps, discours...... 45 1.1.2 Festivals « gays et lesbiens » de film, festivals de « films gays et lesbiens » et festivals queer : programmation d'Ecrans Mixtes ; une pluralité de lecture...... 47 (Festivals de) « films gays et lesbiens » et (festivals) « gays et lesbiens » de film, « Festivals de film » gay et lesbien et festivals queer : du festival thématique au Festival activiste, différentes modalités de compréhension d'Ecrans Mixtes...... 47 Ecrans Mixtes, entre « festival de film » gay et lesbien et festival de « films gays et lesbiens »...... 48 Activisme, droits de l'homme, thématiques : quelques exemples de conceptualisation d'Ecrans Mixtes comme « festival de films gays et lesbiens »...... 49 Programmation et ligne éditoriale...... 51 Démystifier la programmation : des critères et des publics...... 51 Quels films pour les Festivals Gays et Lesbiens ?...... 52

2012 4 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

1.1.3. Communication d'Ecrans Mixtes et discursivité...... 54 Nom, visuel, catalogue, partenaires : de la visibilité du caractère LBGTQ d'Ecrans Mixtes...... 54 Analyse de la revue de presse...... 55 De la polysémie d'Ecrans Mixtes ; différentes interprétations et différentes diffusions d'un même évènement...... 57 1.2. Une variété de publics et de spectateurs...... 58 1.2.1. Genre et sexualité - Ecrans Mixtes, un festival « plus que » gay et lesbien ?. 58 1.2.2. Cinéphilie et public...... 61 1.2.3. Publics et scènes culturelles emboitées...... 62 Scènes culturelles : entre lieux et identité...... 62 Délimiter les scènes culturelles d'Ecrans Mixtes...... 64 2. Ecrans Mixtes, hétérotopie sexuée et auto-constitution du/des public(s)...... 66 2.1. Ecrans Mixtes : une hétérotopie sexuée ...... 66 2.1.1. Le Festival comme hétérotopie sexuée...... 67 Hétérotopie et Festivals de Films Gays et Lesbiens...... 67 De l'intérêt d'une analyse centrée sur l'hétérotopie...... 68 2.1.2. Stratégies identitaires des publics dans l'hétérotopie...... 70 Stratégies identitaires et (hétéro)sexualité dans l'hétérotopie...... 70 Genre et stratégie...... 71 2.1.3. Rapports différenciés à l'hétérotopie...... 73 Hétérotopie et publics au / du Festival...... 73 (dé)-sexualisation de l'hétérotopie...... 75 2.2. Délimiter le(s) public(s) : auto-constitution des publics et hétéropublics...... 76 2.2.1. Du public (sing.) aux publics (plur.) : vers les hétéro-publics...... 76 Polysémie des/du public/s et festival de film – des lacunes des analyses en termes de contrepublics et de spectateurs critiques...... 76 Spectateur critique : entre psycho-analyse et réception critique, une notion peu propice à l'analyse d'un public...... 77 Les (contre-)publics warnerien : de la polysémie « du » et « des » publics...... 79 Penser l'auto-constitution des publics : des community studies aux hétéropublics ...... 82 Apport des études psycho-sociologiques et des community studies...... 82 Vers les hétéropublics : s'auto-exclure de l'hétérotopie...... 83 2.2.2. Hétéropublics, (hétéro)sexualité, hétérotopie...... 84 Hétéro-sexualité et hétéro-publics : se mettre à la marge...... 84 Hétéropublic, hétérosexualité et minoritaire...... 84 Appartenance à l'hétéropublic et hétérosexualité...... 86 Deux cas particuliers : dés-identification et hétéropublics...... 87 Homosexualité, dés-identification, sensibilité queer et inclusion dans le public ...... 88 « I'm ashamed of my heterosexuality ! » : Hétérosexualité queer et inclusion dans l'hétérotopie ...... 90 2.2.3. Stratégies de sélection et identités sexuelles : au delà des hétéropublics, la persistance des positions sexuées des publics...... 94 Sélection, genre et sexualité : retour sur l'approche séparatiste de la programmation...... 94

2012 5 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Lieux, contenu des séances, publics hétérosexuels et accompagnateurs : stratégies sexuées des publics hétérosexuels...... 95 Stratégies d'accompagnement, contenu des séances et lieux...... 96 Des hétéropublics situationnels...... 97 3. Interprétations et usages différenciés du Festival comme production discursive : modéliser les différentes lectures et utilisations d'un « même » événement...... 99 3.1. Hétéro-publics hétérosexuels : une lecture normative d'Ecrans Mixtes ?...... 100 3.1.1. Hétéropublics hétérosexuels et sphère sexuée : de l'interprétation générale du Festival, Ecrans Mixtes comme espace gay et lesbien...... 100 3.1.2. Hétéropublics hétérosexuels : « festival gay et lesbien » de films, rapports à la sphère hétérotopique et à l'identité sexuelle...... 102 3.1.3. Analyses des films et du festival : entre touriste et droits de l'homme...... 103 3.2. Autres publics hétérosexuels : vers des interprétations différenciées du Festival Ecrans Mixtes...... 106 3.2.1. Des publics hétérosexuels à pratique constructiviste ET cinéphile : lectures réflexives de l'espace discursif...... 106 Positionnement dans l'espace hétérotopique et scènes fréquentées...... 107 Programmation, espace discursif et ligne éditoriale : une dé/construction des genres (cinématographiques et sexués)...... 109 Réflexivité des usages et interprétations du Festival...... 112 3.2.2. Des publics hétérosexuels féministes et/ou intéressés par le genre : Ecrans Mixtes comme espace hétérotopique de réflexion...... 115 Ecrans Mixtes comme festival sur le genre...... 115 Espace hétérotopique et réflexivité...... 118 Usages de la sphère hétérotopique : un festival activiste ?...... 120 3.2.3. Vers le mélange des genres : construire un modèle...... 122 Des publics homosexuels dans l'hétérotopie – questionner l'implicite du sujet...122 Publics homosexuels et narratifs dans l'espace hétérotopique...... 123 Retour sur les entretiens : Ecrans « Mixtes » - de l'intérêt de l'analyse en termes de narratifs...... 124 Vision de la sexualité – espace discursif imaginé et compréhension du Festival : une tentative de modélisation...... 125 Vision de la/sa sexualité – espace discursif imaginé et compréhension du Festival : les variables des narratifs...... 125 Modéliser la compréhension d'Ecrans Mixtes...... 126 Conclusion : tou-te-s « rebelles rebels » ? - le Festival comme espace polysémique...... 130 Remise en cause de certains paradigmes des Film Festival Studies – le festival comme espace discursif polysémique...... 130 « We're here, We're (not) queer ! We're not used to it !» : Publics hétérosexuels et adhésion à l'espace discursif hétérotopique...... 131 « Tou-t-es rebelles » - Usages et interprétations différenciés du Festival : des modalités de compréhension d'Ecrans Mixtes...... 132 Critiques et limites du travail de recherche...... 133 Quelques pistes...... 134 Bibliographie...... 136 Résumé ...... 152 Summary ...... 152

2012 6 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Annexes...... 1 Glossaire...... 1 Liste des sigles utilisés...... 2 Liste des festivals de film cités...... 2 Liste des tableaux et figures...... 3 Notes méthodologiques...... 6 Questionnaire & traitement de l'enquête quantitative...... 6 Traitement des entretiens...... 8 Grille d'entretien...... 9 Quelques éléments relevés dans les entretiens...... 10 Quelques entretiens...... 14 Entretien n°8 – homme, hétérosexuel, étudiant en cinéma et bénévole sur le Festival...... 14 Entretien n°4 : lesbienne, anime une émission de radio féministe...... 26 Entretien n°7 – Femme hétérosexuelle, 40aine...... 32 Affiches...... 40 Ecrans Mixtes...... 40 Face à Face St Etienne...... 41 Vues d'en face Grenoble...... 41 Pink Screens Bruxelles...... 42 Chéries Chéris Paris...... 42 Principaux tableaux statistiques...... 43 Tableau a : Ecart dans la représentativité du public par séance...... 43 Tableau b : Part d'une catégorie du public qui a vu au moins un film d'un programme x...... 44 Tableau c : Accompagnements et public hétérosexuel...... 45

2012 7 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Dédicace A Jennifer Bird et Lan Duong. Remerciements Comme le souligne à juste titre Michel Foucault1, l'auteur est une structure de sens. Un processus intellectuel n'est jamais le fruit d'un seul, mais bel et bien une oeuvre collective à laquelle « l'auteur » donne une cohérence quasi herméneutique. A travers les remerciements, véritable section canonique d'un travail de recherche, il s'agit pour moi de reconnaître ceux et celles qui, à défaut d'être sources au sens académique du terme, sont et ont été des sources d'inspiration précieuses. Sincèrement, « mon » mémoire n'aurait pas été possible sans :

L'équipe d'Ecrans Mixtes qui m'a accueilli en son sein, a supporté mes questions incessantes et les appels parfois tardifs, toujours avec le sourire ; les bénévoles et le public du Festival (un grand merci à celles et ceux qui ont accepté les entretiens), les salles de cinéma qui m'ont laissé enquêter, l'équipe du Lavoir Public, les collectifs Only Porn et Middlegender.

Le service Prêt Entre Bibliothèques de l'université Lyon Lumière – qui a su rester calme devant mes (très) nombreuses demandes, la Bibliothèque Nationale de France, les bibliothèques universitaires de University of California Riverside et Irvine, Jennifer Bird pour l'envoi de livres depuis l'étranger malgré les risques de saisie par la douane, les membres du Film Festival Research Network2.

Max Sanier, sans qui je serais toujours en train en lire - perdu dans la littérature -, pour ses conseils toujours justes et son optimisme. Sarah Cordonnier, pour m'avoir fait l'honneur de faire partie du jury.

Mes enseignants à l'IEP de Lyon et à l'Université de Californie Riverside. Une pensée particulière pour Jane Ward – pour l'incipit de son prochain ouvrage, cité dans ce travail, Lan Duong – pour le soutien conféré tout au long du mémoire, les conseils et discussions caféinées, Keith Harris – pour m'avoir entraîné dans de nouvelles manières de penser l'homosexualité, et tous les professeurs qui m'ont formé : pour paraphraser Toby Miller, dans un de ses podcasts, il y a des cours qui changent une vie.

Aux amis, d'ici et d'ailleurs, qui ont eux aussi vécu « mon » mémoire et ont fait preuve d'une patience remarquable, que ce soit dans l'annulation ou le report de cafés,

1 Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur? », in Dits et Ecrits, tome 1 : 1954-1975, Gallimard, 2001. 2 Film Festival Research | The website for the Film Festival Research Network, http://www.filmfestivalresearch.org/, consulté le 25 juillet 2012.

2012 8 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

dans mon retard de correspondance ou devant l'enthousiasme, monomaniaque et redondant, s'imposant dans mes conversations.

Aux relecteurs, qui se reconnaîtront. Epigraphes Il y a plus de stars présentes cette année qu'il n'y en a jamais eues. Un ami me montre Lilly Tomlin. Ma copine dit "Oh mon dieu, C'est David Greffen 'out' au festival ! Regarde les garçons qui l'entourent ! ". Plus important, K.D. Lang est là. Elle écoute les Murmurs jouer après la projection d'un film lesbien, paraît-il qu'il y en avait beaucoup cette année. (…) Nous continuons à boire de l'Hennessy, du Martini, de la Coors Light et de la Smirnoff3 jusqu'à la soirée de clôture. Nous patientons pendant les remerciements à (encore) d'autres sponsors pour voir Late Bloomers, une fiction sur deux d'âge moyen, qui vivent en banlieue résidentielle, tombent amoureuses et se marient. (…). Puis une représentante de la Coalition The Freedom to Marry ['Droit au mariage' NDT] s'avance sur le podium et nous débite un discours passe-partout sur l'importance du mariage comme combat politique. Elle finit par frapper son poing sur le podium en disant : " Quand nous aurons gagné cette bataille, nous aurons gagné la GUERRE ! ". Je râle, et les murmures derrière moi se transforment en conversations animées dans le lobby, après le film. Nous nous plaignons de la politique assimilationniste. Nous nous mettons d'accord sur le fait qu'un combat conservateur ne devrait pas galvaniser notre mouvement culturel entier. Je laisse échapper : " Peut-être que nous devrions penser davantage au divorce ", mais je ne suis pas vraiment sûre de ce que j'essayais de dire.4 Kaucyila Brooke, sur OutFest Los Angeles 1996

La question de ce que nous sommes, une certaine pente nous a conduits, en quelques siècles, à la poser au sexe. Et, non pas tellement au sexe-nature (élément du système du vivant, objet pour une biologie), mais au sexe histoire, ou sexe-signification, au sexe discours. (...) Il ne faut pas s'y tromper : sous la grande série des oppositions binaires (corps-âme, chair-esprit, instinct raison, pulsions conscience) qui semblaient renvoyer le sexe à une pure mécanique sans raison, l'Occident est parvenu non pas seulement, non pas tellement à annexer le sexe à un champ de rationalité, (...) mais à nous faire passer presque tout entier - nous, notre corps, notre âme, notre individualité, notre histoire - sous le signe d'une logique de la concupiscence et du désir. Dès qu'il s'agit de savoir qui nous sommes, c'est elle qui nous sert désormais de clef universelle.5 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, tome 1.

3 Sponsors officiels du festival OutFest cette année là. [Note de traduction] 4 Kaucyila Brooke, « Dividers and Doorways », JUMP CUT : A review of contemporary media, décembre 1998, no 42. [Je traduis] 5 Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, vol.1: La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 102– 103.

2012 9 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine Introduction

« Hollywood, cette immense usine à mythes, a appris aux personnes hétérosexuelles quoi penser des homosexuels, et aux personnes homosexuelles [gays]6 quoi penser d'eux-mêmes » - Vito Russo, dans The Celluloid Closet.7 Etudier l'utilisation par des minorités du cinéma-comme-forme-culturelle (au sens élargi), c'est immédiatement poser la question de la représentation (ou re-présentation) - dans les trois sens du terme (représenter comme construction de l'esprit / figurant pour, comme fait d'agir à la place de, ou comme re-présentation d'une situation/d'une identité)8 - mais aussi des relations entre formation d'identités (électives), processus de codages-décodages (culturels) et traduction politique. Vito Russo9 – le premier – a montré l'intérêt du cinéma pour les minorités sexuelles – comme outil politique (exister publiquement et politiquement en tant que personnes LBGTQ10) ou/et construction identitaire (« quoi penser d'eux-mêmes »). Cinéma et festivals de film 'LBGT' : de l'intérêt de la re-présentation minoritaire Les festivals11 de film gay et lesbiens (FFGL) sont des phénomènes relativement anciens – du moins au vu de l'histoire 'LBGT'12. Ces manifestations culturelles ont été relativement peu étudiées en sociologie, mais il reste possible de dresser les grands traits de leurs fonctions socio-historiques :

6 Depuis les années 1970, le terme 'homosexual' est considéré comme dépréciatif en anglais – puisqu'il s'agit d'un terme imposé par le discours médical et non une d'identité choisie. On lui préfère 'gay'. En France, le terme 'gay' est tantôt connoté négativement tantôt endossé alors que l'expression 'homosexuel' est vue comme neutre. Pour ces raisons, on traduira systématiquement 'gay' (anglais) par 'homosexuel'. On utilisera 'gay' (français) pour se référer spécifiquement aux homosexuels masculins, 'homosexuels' désignant à la fois les 'gays et les lesbiennes'. 7 Rob EPSTEIN et Jeffrey FRIEDMAN, The Celluloid Closet, 1996 ; adaptation cinématographique de: Vito RUSSO, The celluloid closet: homosexuality in the movies, Harper & Row, 1987, 387 p. [Je traduis] 8 Le Petit Robert de la langue française, http://robert.bibliotheque-nomade.univ-lyon2.fr/pr1.asp, consulté le 22 décembre 2011 ; Pour une analyse de la notion de représentation dans les cultural studies et litrrary studies, cf Michael O’SHAUGHNESSY et Jane STADLER, Media & society, Oxford, UK, Oxford University Press, 2008, 548 p. 9 Vito RUSSO, The celluloid closet, op. cit. Et particulièrement l'introduction : Vito Russo y met l'accent sur la nécessité de trouver des images 'homosexuelles' – fussent-elles caricaturales, erronées, dépréciatives – comme fondement d'une démarche « d'acceptation » (selon ses termes – un point de vue plus queer aurait été de dire de construction identitaire) et de reconnaissance (théorie du miroir cinématographique, relativement classique). 10 LBGTQ : Lesbien Bi Gay Trans Queer. 11 J'utiliserai festival (minuscule) pour désigner la forme festival dans sa généralité, Festival (majuscule) pour parler spécifiquement d'Ecrans Mixtes 2012. 12 Le plus ancien serait Frameline San Francisco, fondé en 1977. Marc SIEGEL, « Spilling out onto Castro Street », Jump Cut, 1997, vol. 41.

2012 10 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

• Les cinémas, et plus particulièrement les festivals de cinéma, sont historiquement symboles de lieux de rencontre – et notamment de drague – que ce soit dans un cadre 'culturel' ou plus pornographique13. • Les festivals / cinémas sont abordés comme re-présentations, comme outils d'une construction réflexive d'une identité sexuelle via la médiation image–réception et via une négociation identité individuelle – identité collective. Cette fonction est plus particulièrement analysée par Patricia White14 et Marc Siegel15. Elle est élégamment résumée par Martha Gever : «Puisque nous envisageons ces espaces [les festivals de film gay et lesbiens] avec une présomption de communauté, peu importe qu'elle soit fictive, ils deviennent des espaces culturels qui changent notre relation à l'écran. Nos identités sont constituées autant par l'évènement que par les images que nous y voyons »16. On est ici typiquement dans l’identité telle que comprise par les interactionnismes symboliques de Goffman, Mead et Cooley17. Peut-être le meilleur croisement entre ces auteurs sociologiques et une analyse cinématographique en termes de cultural studies réside dans l'étude de Stuart Hall sur l'identité caribéenne et les films / festivals de film :

« [Le cinéma fonctionne] non pas comme un miroir de second ordre, qu'on tiendrait [dans la main] pour réfléchir ce qui existe déjà, mais comme une forme de représentation qui est aussi capable de nous constituer en de nouvelles formes de sujet et, de fait, [qui] nous permet de découvrir qui nous sommes ».18 • Le festival est un outil d'affirmation politique. On est ici dans la re-signification de l'homosexualité et dans l'auto-représentation19, bien visible notamment dans le cadre du

13 George CHAUNCEY, Gay New York: the making of the gay male world, 1890-1940, New York, Basic Books, 1995, p. 194 ; José Esteban MUÑOZ, Cruising utopia: the then and there of queer futurity, New York, NYU Press, 2009, 245 p ; Phillip Brian HARPER, « Playing in the Dark: Privacy, Public Sex, and the Erotics of the Cinema Venue », Camera Obscura, mai 1992, vol. 10, no 3:30. 14 « Queer Publicity: A Dossier on and Gay Film Festivals Essays by B Ruby Rich, Eric O. Clarke, and Richard Fung, with an introduction by Patricia White », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 1 janvier 1999, vol. 5, no 1. 15 Marc SIEGEL, « Spilling out onto Castro Street », op. cit. 16 Russell FERGUSON et Martha GEVER, Out there: marginalization and contemporary cultures, Cambridge, MA, MIT Press, 1992, p. 202. [Je traduis, je souligne] 17 erving GOFFMAN, The presentation of self in everyday life, New York, Anchor Books, 1959, 284 p ; George H. MEAD, Mind, self, and society: from the standpoint of a social behaviorist, Chicago, IL, University of Chicago Press, 1934, 440 p ; Charles Horton COOLEY et Hans-Joachim SCHUBERT, On self and social organization, Chicago, IL, University of Chicago Press, 1998, 284 p. 18 Stuart HALL, « Cultural identity and cinematic representation », Framework, 1989, vol. 36, no 1. p.80 [Je traduis] 19 « Queer Publicity », op. cit.

2012 11 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

festival de Genève, dans les années 197020. Celle ci peut être assimilationniste (Frameline San Francisco) ou plus utopiste et/ou séparatiste. Divers facteurs sont ici à considérer : le placement du festival dans le réseau mondial21, son organisation interne22, la période à laquelle une édition prend place, le public et le type de financement espérés23... • Les festivals / le cinéma sont des lieux d'acquisition d'une culture et de codes communs qui (1) permettent la construction réflexive d'une 'communauté' LBGTQ dans le prolongement de la formation médiatée de l'identité sexuelle et (2) offrent une possibilité de reconnaissance entre personnes aux mêmes préférences sexuelles – de manière relativement similaire à l'opéra et à la musique au début du XXe siècle24. Ces festivals thématiques doivent donc être compris en tant que 'contre-sphères publiques'25 qui laissent place à une expérience collective, artistique et culturelle, touchant à l'identité (sexuelle). On pourrait ici utiliser les termes de communauté liquide et éphémère26, imaginée (au sens d'Anderson)27, communauté affective et élective qui inter-agirait avec l'identité sexuelle des spectateurs autant qu'elle serait en elle-même porteuse de politique identitaire. Cependant, cette seule dimension occulte des phénomènes économiques – et notamment une tension vers l'homonormalisation28 et liée au dollar rose [pink dollar]29 - qui peuvent être analysés en termes de domination

20 Sylvie BURGNARD, « Se regrouper, se rendre visibles, s’ affirmer: l’expérience des mouvements homosexuels à Genève dans les années 1970 », Genre, sexualité & société, 2010, no 3. 21 Richard PORTON, « Introduction: on film festivals », in Dekalog 03: On Film Festivals, London, Wallflower Press, 2009, pp. 1–13 ; Marijke De VALCK, Film Festivals : from European Geopolitics to global cinephilia, Amsterdam, Amsterdam university press, 2007, 276 p ; A. QUINTIN, « The Film Festival Galaxy », in Dekalog 03: On Film Festivals, London, Wallflower Press, 2009, pp. 38–53. 22 Joshua GAMSON, « The organizational shaping of collective identity: The case of lesbian and gay film festivals in New York », Sociological Forum, juin 1996, vol. 11. 23 Mark Peranson, « First you get the power, the you get the money.: two models of film festivals », in Dekalog 03: On Film Festivals, London, Wallflower Press, 2009, pp. 23–37. 24 ADAMS Byron, Homosexuality and music, University of California Riverside. Winter 2010. Lecture codée MUS/MCS156 25 « Queer Publicity », op. cit. p.74 26 Zygmunt BAUMAN, Liquid modernity, Hoboken, NJ, Wiley-Blackwell, 2000, 238 p ; Tony BLACKSHAW, Zygmunt Bauman, New York, Routledge, 2005, p. 103 ; Tony BLACKSHAW, Key Concepts in Community Studies, Thousand Oaks, California, SAGE Publications Ltd, 2009, p. 32–40. 27 Benedict ANDERSON, Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso, 2006, 240 p. 28 Lisa DUGGAN, The Twilight of Equality: Neoliberalism, Cultural Politics, and the Attack on Democracy, Boston, Beacon Press, 2004, 140 p ; Lisa DUGGAN, « The New : the of Neoliberalism », in Materializing Democracy: Toward a Revitalized Cultural Politics, Duke University Press, 2002, pp. 175–194. - Homonormalisation : tendance vers une normalisation du « mode de vie » queer ; assimilation dans un modèle hétéro-normatif. 29 Ragan RHYNE, Pink dollars: gay and lesbian film festivals and the economy of visibility,, Graduate School of Arts and Science, New York, 2007, 332 p. Pink Dollar : utilisation de l'économie et du libéralisme (dans les deux sens du terme) pour exister politiquement et publiquement en

2012 12 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

(Bourdieusienne) ou d'hégémonie de sens (plus proche de Gramsci), raciale, genrée et sexuée, dans le courant des queer studies nord-américaines. D'autre part, il convient de ne pas oublier le rôle des différentes échelles (temporelles, spatiales, d'ampleur du festival). Parler ici de communauté(s) permet certes de mettre en valeur l'interaction au coeur des processus identitaires, mais nous paraît gênant, et ce d'autant plus dans un cadre multi-national : il n'est pas dit que la 'communauté' homosexuelle existe partout, et encore moins que la réalité saisie par le concept 'communauté homosexuelle' soit la même à différents points du globe (il n'est d'ailleurs pas certain que les schémas discursifs de savoir-pouvoir foucaultien, sur lesquels se baseraient les identités sexuelles, soient universels30). Il convient donc de se garder d'une vision simpliste du phénomène « festival de film gays et lesbiens ».

En outre, cette expression est empreinte du sens commun : qu'y a-t-il proprement de gay et lesbien ici ? Sont-ce les films qui relèvent d'une thématique orientée 'gay et lesbienne' (et que cela signifie-t-il dans ce cas ?) ? Est-ce le public ('festival de films pour les gays et les lesbiennes') ? Les réalisateurs (festival de films réalisés par des personnes gay et lesbiennes ') ? Les différents acteurs ? Leurs personnages ('festival de films sur des gays et des lesbiennes') ? Le festival en lui même ('festival gay et lesbien de film') ou les films ? D'autre part, l'expression « gay et lesbien » pose des problèmes de définition à part entière : il s'agit de voir « qui sont » les gays et les lesbiennes (auto- définition d'une orientation sexuelle ? Faire partie d'une « communauté gay et lesbienne » basée sur des valeurs et normes partagées ? etc.) mais aussi de savoir si l'on s'arrête aux seuls « gays et lesbiennes » (autrement dit, la réalité saisie par cette expression inclut-elle ou non les bisexuels, les transgenres, etc.). Ces réflexions, qui ne sont pas sans rappeler l'interrogation de Pierre Bourdieu sur l'inadéquation du vocabulaire du sens commun dans les sciences humaines31, sont entre autres soulevées par Harry Benshoff32. De manière provisoire, on peut voir ici – plus qu'une tentative épistémique de déconstruction d'un vocabulaire empreint de sens commun – l'opportunité d'une vision polysémique et pluraliste du phénomène 'festival de film gay et lesbien', qui appelle à une prudence méthodologique et qui prend en compte les relations et luttes de pouvoir discursif dans le cadre de l'analyse d'un festival.

tant que personnes LGBTQ. 30 Les travaux récents en sociologie du genre / de la sexualité et en Queer Studies inciteraient plutôt à penser le contraire. Entres autres : Jasbir K. PUAR, Terrorist assemblages: homonationalism in queer times, Durham, North Carolina, Duke University Press, 2007, 372 p ; Joan Z. SPADE et Catherine G. VALENTINE, The kaleidoscope of gender: prisms, patterns, and possibilities, Thousand Oaks CA, Pine Forge Press, 2007, 609 p. 31 Entre autres : Pierre Bourdieu, « La jeunesse n’est qu’un mot », in Questions de sociologie, Paris, Editions de minuit, 1984, pp. pp.143–154. 32 Harry Benshoff, Queer cinema : the film reader, New York, Routledge, 2004, p. 1–2.

2012 13 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine Le Festival Ecrans Mixtes 2012 : un événement spécifique C'est dans cette optique que l'on doit comprendre le festival de Lyon – Ecrans Mixtes. D'abord association de cinéphiles, Ecrans Mixtes organise son premier festival en 2011 avec une rétrospective New Queer Cinema33. De manière notable, l'association n'est pas alliée au Forum Gay et Lesbien (FGL). L'édition 2012 « Rebelle Rebel », consacrée à John Waters, apparaît encore plus floue quant au caractère LBGT des films projetés : ce réalisateur ne fait a priori pas parti du canon du 'cinéma gay et lesbien'. Avec une programmation centrée avant tout sur la notion de patrimoine cinématographique, une communication à double destinataire (partenariats légitimant l'évènement tels que Télérama, complémentarité de la diffusion par les circuits cinéphiles traditionnels et le « milieu » gay et lesbien) et un nom qui ne transcrit pas directement un caractère homosexuel, Ecrans Mixtes se démarque des festivals de ce type et tente, peut-être, de réaliser un syncrétisme entre diverses « scènes culturelles ».

D'autre part, il est fort probable que le contexte politique français soit différent de celui des pays anglophones – notamment en termes de politique identitaire et de gestion des minorités. L'expression des communautés infra-républicaines en France et dès lors la formation discursive d'un festival de cinéma consacré aux minorités sexuelles doivent être questionnées. L'universalisme et la faiblesse relative de la « communauté » homosexuelle (communauté organisée et ressentie en tant que telle) en France sont à prendre en compte34.

Les spécificités d'Ecrans Mixtes sont donc primordiales, en tant qu'elles ne transcrivent pas les fondamentaux des FFGL (tels qu'analysés par Zielinski outre Atlantique35). Elles peuvent donc induire des espaces discursifs et des publics différents. La prudence est ici une vertu cardinale, que ce soit dans l'utilisation de la méthode comparative ou dans l'analyse de l'étendue de ce travail de recherche.

33 New Queer Cinema : ensemble de films dits « indépendants » réalisés dans les années 90, principalement dans les pays anglophones, et qui manifestent une remise en cause des « normes » cinématographiques et genrées. Le contexte historique (sida) est particulièrement important. Si le statut du New Queer Cinema est discuté (mouvement ou genre cinématographique ? ), l'expression désigne généralement les travaux de Gregg Araki, Todd Haynes, Derek Jarman (post 90), etc. 34 Le fait que le mot « communautarisme » n'existe pas en anglais est particulièrement éclairant. 35 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, Thèse de doctorat, Université McGill, Montréal, 2008, 321 p.

2012 14 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine Festivals, publics et spectateurs Les travaux abordés jusqu'alors sont issus pour la plupart des études de genre ou de film – et utilisent principalement une méthode sociologique. Peu s'interrogent à vrai dire sur les spécificités du format 'festival', qui induit pourtant des pratiques de conservation, d'organisation et de visualisation ('pratiques culturelles') différentes de la location d'un DVD, d'une séance de cinéma ou d'un visionnage télévisuel. Ces différences structurantes modifient certainement la manière dont un spectateur regarde, par exemple, une oeuvre et l'interprète. En outre, le format 'festival' est propice à l'existence de rituels36 et/ou de processus identitaires37. Ces lacunes tendent à être comblées par les très récentes 'film festival studies' – fondées dans un premier temps au milieu des années 1990 (avec la parution de travaux sur la géopolitique des festivals38) et en plein essor aujourd'hui (la moitié des publications sur le sujet ont été éditées en 2010-2011). Il convient donc d'essayer de connecter une analyse en termes d'étude de média/de genre à des travaux centrés sur les festivals comme phénomènes sociaux à part entière.

D'autre part, comme le souligne Marc Siegel dans son analyse de Frameline (San Francisco), un festival n'est jamais une simple projection de films. L'évènement 'festival' a une cohérence propre qui déborde largement le cadre des seules projections :

« Nous devons (…) considérer la participation d'un spectateur / consommateur / membre de la communauté à tous les niveaux du festival, depuis l'achat des tickets au fait d'aller aux fêtes, de mater dans les files d'attentes, de vagabonder dans les halls, de se répandre dans Castro Street ».39 Cependant, si les film festival studies et les cas d'étude de FFGL tendent à améliorer notre connaissance du champ, rares restent les travaux centrés sur le public. De manière symptomatique, la revue américaine GLQ a publié quatre numéros consacrés au sujet,

36 André BAZIN, « The Festival Viewed as a Religious Order », dekalog, 1955, vol. 3. 37 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals : culture, people, and power on the global screen, New Brunswick N.J., Press, 2011, p. 5 ; Roy GRUNDMANN, « Politics, aesthetics, sex : Queer Films and their Festivals », Cineaste, 1992, vol. 19, no 1 ; Skadi LOIST et Ger ZIELINSKI, « On the development of Queer Film Festivals and their media activism », in Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, pp. 49–62 ; Ragan RHYNE, Pink dollars, op. cit. ; Kelly MCWILLIAM, « « We re Here All Week »: Public Formation and the Brisbane Queer Film Festival », Queensland Review, 2007, vol. 14, no 2 ; Sarah SCHULMAN, « What is the role of gay film festivals? », in My American history : lesbian and gay life during the Reagan/Bush years, New York, Routledge, 1994, p. ; diana SLOCUM, « Film and/as Culture: The use of cultural discourses at two African Film Festivals », in Film Festival Yearbook I : the festival circuit, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2009, pp. 136–152. 38 Marijke De VALCK, Film Festivals : from European Geopolitics to global cinephilia, op. cit. 39 Marc SIEGEL, « Spilling out onto Castro Street », op. cit. [Je traduis]

2012 15 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

décomposés en : introduction40, directeurs / conservateurs [curators]41, critiques42 et artistes-réalisateurs43. Le public n'y est pas problématisé autrement que comme que des « personnes gays et lesbiennes allant à un festival gay et lesbien », tautologie remarquable, qui ne permet ni une étude sociologique du public, ni une analyse approfondie qui dépasserait le sens commun. Cela présupposerait, comme le précise De Valck, de prendre en compte la complexité des festivals en tant qu'organisations. Son analyse en termes d'acteurs-réseaux latouriens lui permet ainsi de faire face au pluralisme des acteurs aux scripts et buts différents44 – problème majeur notamment soulevé par le travail ethnographique de Dayan à Sundance45.

Une approche en termes de public(s) des festivals de film(s) dits gay et lesbiens semble donc nécessaire. Reste à savoir ce que signifie « prendre en compte le(s) public(s)». De manière générale, le tournant Gramscien des cultural studies met l'accent sur la multiplicité du public : les caractéristiques socio-culturelles des différents spectateurs influencent les manières de coder/décoder les films proposés, ainsi que les pratiques identitaires et/ou de représentation. Comme le souligne Staiger :

« Ce qui nous intéresse, dès lors, ce n'est pas la soi-disante lecture " juste " d'un film quelconque mais l'étendue des lectures possibles, des manières [processus] de lire en relation avec un moment historique ainsi que des relations ou absences de relation à des groupes historiques de spectateurs. » 46 On postulera donc ici une lecture en termes d'hégémonie de sens. Les publics sont divers et ne peuvent être traités en un bloc uniforme, tant leurs caractéristiques socio- économiques, mais aussi sexuelles, et leurs pratiques du cinéma diffèrent. Ils ne sont pas passifs, mais créent un sens en décodant-recodant les films, donnant ainsi naissance à des représentations qui interagiraient avec leur(s) identité(s) : pour Toby Miller, ce rapport à l'identité dans les pratiques représentationnelles, qu'il qualifie de postmoderne, constituerait même la « quatrième dimension » de la citoyenneté culturelle47.

40 « Queer Publicity », op. cit. 41 Michael BARRETT, Charlie BOUDREAU, Suzy CAPO, Stephen GUTWILLIG, Nanna HEIDENREICH, Liza JOHNSON, Giampaolo MARZI, Dean OTTO, Brian ROBINSON et Katharine SETZER, « Queer Film and Video Festival Forum, Take One », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 1 janvier 2005, vol. 11, no 4. 42 Chris STRAAYER, « QUEER FILM AND VIDEO FESTIVAL FORUM, TAKE TWO: Critics speak out », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 1 janvier 2006, vol. 12, no 4. 43 Thomas WAUGH et Chris STRAAYER, « QUEER FILM AND VIDEO FESTIVAL FORUM, TAKE THREE: Artists Speak Out », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 1 janvier 2008, vol. 14, no 1. 44 Marijke De VALCK, Film Festivals : from European Geopolitics to global cinephilia, op. cit. 45 Daniel DAYAN, « Looking for Sundance: The Social Construction of a Film Festival », in Moving images, culture, and the mind, Ib Bondejerg (dir)., Luton, University of Luton, 2000, pp. 43–52. 46 Janet STAIGER, « The Handmaiden of Villainy: Methods and Problems in Studying the Historical Reception of a Film », Wide Angle, 1986, vol. 8, no 1. [Je traduis] 47 Toby MILLER, The well-tempered self: citizenship, culture, and the postmodern subject, Johns Hopkins University Press, 1993, p. 25.

2012 16 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

D'autre part, la spécificité du format festival doit là aussi être questionnée : de manière relativement similaire à la télévision – telle qu'analysée par Liebes et Katz48 – les publics discutent des films qu'ils viennent de voir, ce qui conditionne leur lecture. De même, la programmation d'un festival crée une cohérence (ou absence de cohérence) entre des films divers : une ligne éditoriale qui cadre les processus de codage / décodage. L'étiquette 'gay et lesbien' va dans le même sens, en proposant de facto une grille d'analyse prépondérante qui oriente possiblement l'interprétation des films. Ainsi, pour Liz Czach :

« Les festivals queer aident à définir ce qu'est le cinéma gay, lesbien, bisexuel et transgenre ; un festival tel que 'Vues de l'Avant Garde' [Views from the Avant Garde] offre un commentaire sur l'état du cinéma expérimental. Les décisions de programmation sont en réalité un argumentaire qui définit un champ, un genre, ou un cinéma national. »49 On pourrait aussi penser ici à Samantha Searle et à sa description de l'influence de la dénomination : « Le fait de nommer les festivals comme queer ainsi que les présomptions d'un espace 'libre' et d'une identité collective partagée changent l'étendue des lectures possibles des films et des vidéos »50.

D'autres phénomènes qui transforment la réception sont ici à prendre en compte, comme la pluralité des pratiques culturelles dans le cadre du festival (i.e. entre le public assidu qui assiste à l'ensemble de la programmation et le public occasionnel qui ne voit qu'un film ou deux).

S'il est difficile de déterminer a priori des variables d'interprétation, on peut penser que le genre et l'orientation sexuelle des publics conditionnent la lecture, et ce en sus des critères socio-économiques traditionnels (et notamment le capital culturel bourdieusien). D'autre part, l'étude d'un public dit « hétérosexuel » dans un festival « gay et lesbien » pose des questions quant à la manière dont l'identité et l'orientation sexuelle conditionnent les comportements. Si des travaux ont été réalisés sur la conformité au genre dans un espace public donné (et notamment des mécanismes qui garantissent une présentation de soi comme « normatif sur le genre et la sexualité » [gender / sexuality normative]51), peu ont été écrits sur la (non)conformité à une

48 Tamar LIEBES et Elihu KATZ, The export of meaning : cross-cultural readings of Dallas, New York, Oxford University Press, 1990. 49 Liz. Czach, « Film Festivals, Programming, and the Building of a National Cinema », The Moving Image, 2004, vol. 4, no 1, p.86 [je traduis] 50 Samantha Searle, « Film and video festivals; Queer politics and exhibition », Meanjin, 1996, vol. 55, no 1, p.53. [Je traduis] 51 C. Shawn MCGUFFEY et B. Lindsay RICH, « Playing in the Gender Transgression Zone », Gender & Society, 1 octobre 1999, vol. 13, no 5., travail centré sur la conformité au genre / à la sexualité des enfants en colonie de vacances.

2012 17 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

(homo)sexualité dans un espace 'gay et lesbien'.

Dans cet espace où le festival 'gay et lesbien' en tant que format définit (1) ce que le cinéma 'gay et lesbien' veut dire, (2) une certaine représentation de l'orientation sexuelle et donc comprend des modalités de politique identitaire et (3) des codes d'interprétation possédés ou non par les publics, les publics hétérosexuels nous paraissent particulièrement intéressants, en ce qu'ils ne sont pas le coeur de cible du festival. La confrontation entre deux univers sexuels normés, entre des ethos possiblement différents, peut conditionner une lecture différenciée des films, mais aussi créer un ajustement sur le plan des interactions symboliques (notamment une interrogation sur l'identité (hétéro-)sexuelle ou une réaffirmation de celle ci). Le public, l'impensé des études de festivals LBGT Une des plus grandes difficultés quant au traitement de ce sujet est liée au manque de sources spécifiques aux FFGL. A ce jour, les articles centrés sur ce thème prennent certes le parti du festival comme espace discursif, mais s'attachent à dresser une analyse textuelle de l'évènement. Ainsi, Gamson52, Siegel53 et Searle54 analysent chacun un ou deux cas d'étude de manière à révéler l'évolution historique des politiques culturelles et sexuelles d'évènements spécifiques, leur « vérité », sans s'attacher outre mesure à la manière dont celle ci est réinterprétée par les publics. Cette faiblesse se retrouve dans les trois thèses écrites sur le sujet : si chacune met en lumière un aspect important de la forme 'festival LBGT', la question des publics y est, de l'aveu même de Zielinski55, délaissée.

Dans « Is it Queer Enough »56, Jamie June revient sur les critères de sélection utilisés dans les festivals de film dits « gay et lesbiens ». Enquête quantitative effectuée auprès des directeurs de festivals LBGTQ Nord Américains, son travail cherche à délimiter l'espace discursif dans lequel les programmations sont effectuées ainsi que les critères invoqués par les organisateurs dans le processus de sélection. Sa problématique peut schématiquement être résumée par l'interrogation : « à partir de quand un film est-il assez " gay et lesbien " pour être programmé dans un festival " gay et lesbien " ? ». Si, à la suite de cette enquête, Jamie June dégage quelques critères, l'auteure elle-même reste

52 Joshua GAMSON, « The organizational shaping of collective identity », op. cit. 53 Marc SIEGEL, « Spilling out onto Castro Street », op. cit. 54 Samantha SEARLE, « Film and video festivals; Queer politics and exhibition », op. cit. 55 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 12. 56 Jamie L. JUNE, Is it queer enough? An analysis of the criteria and selection process for programming films within lesbian, gay, bisexual, transgender and queer film festivals in the , Mémoire de Master, University of Oregon, Oregon, USA, 2003, 40 p.

2012 18 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

consciente des limites de son travail – dans un contexte où, pour paraphraser Turan, chaque festival doit se différencier des autres pour exister57. Plus problématique : si Jamie June cherche à comprendre les critères choisis par les programmateurs, elle ne questionne pas le vocabulaire utilisé et l'univers discursif propre à chaque organisation. Savoir que « [sur les 17 de l'échantillon] 13 festivals ont programmé des films qui n'étaient pas particulièrement gays, lesbiens, bis, trans en termes de contenu »58 ne nous renseigne donc pas sur ce qu'est « un contenu gay, lesbien, bi, trans ». De même, des expressions telles que « film à thématique homosexuelle » restent des pré-notions issues du sens commun, inutilisables en tant que telles. En réalité, ce que Jamie June démontre relève plus des argumentaires de justification des différents programmateurs que de leurs critères de sélection.

A contrario, Zielinkski, dans « Furtive, Steady Glances »59, cherche à étudier le développement des festivals de film dits gay et lesbiens comme espaces discursifs dans un cadre foucaltien. En étudiant l'organisation même de ces évènements, il tente de comprendre comment le discours produit par le festival crée un cadre normatif et hétérotopique, qui délimite l'expérience du spectateur (programmation, type de public visé, etc), mais aussi la place de l'évènement dans la sphère publique et les relations qu'il entretient avec les institutions dites légitimes. Cependant, Zielinski se refuse à parler véritablement des publics autrement que comme « contrepublics » passifs et soumis à l'ordre discursif de l'organisation. Les (contre)publics ne sont finalement envisagés que comme conséquence logique, qu'elle soit voulue ou non, de la production discursive des festivals en tant qu'organisations, ce qui néglige les différentes ré- appropriations et ré-interprétations par les spectateurs.

Rhyne60, lui, tente de réaliser le syncrétisme entre l'approche culturaliste (type école de Birmingham et Center for Contemporary Cultural Studies) et l'économie politique, courants qui structurent l'organisation de la recherche culturelle actuelle61. Sa thèse se centre sur les conséquences des transformations politiques américaines et de l'évolution du libéralisme en termes de développement normatif des festivals de film LBGT. Pour lui, le néo-libéralisme transforme et conditionne les politiques identitaires (au sens d'identity politics) au coeur des festivals. Il s'agit d'un mouvement contradictoire : s'il

57 Kenneth TURAN, Sundance to Sarajevo : Film Festivals and the world they make, University of California., Berkeley, University of California Press, 2002, 179 p. 58 Jamie L. JUNE, Is it queer enough? An analysis of the criteria and selection process for programming films within lesbian, gay, bisexual, transgender and queer film festivals in the United States, op. cit., p. 17. Je traduis 59 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit. 60 Ragan RHYNE, Pink dollars, op. cit. 61 On reconnaît ici l'influence de son mentor, Toby Miller.

2012 19 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

permet le développement d'une certaine forme de culture minoritaire, il conditionne fondamentalement la manière dont les FFGL sont amenés à produire des discours – qui justifient et cadrent leurs actions (par exemple : modification des lois sur le financement de la culture, recherche de fonds privés qui « professionnalisent » l'évènement et « l'économisent », nécessité d'une « bonne image »). De facto, l'organisation, la cible et la programmation sont affectées. L'évolution des festivals de film LGBT – qu'il décrit sous forme de « stades » - est une conséquence du climat économique et politique. Bien plus qu'une socio-histoire, Rhyne s'inscrit dans la tradition « critique » des cultural studies américaines (tournant Althusserien), qui cherche à comprendre les liens entre libéralisme, politique(s) identitaire(s), discours et représentations. Finalement, il y aurait « homonormalisation », une assimilation dans une société hétéro-normée. Ces phénomènes sont notamment liés à une stratégie de la « citoyenneté économique »62 comme vecteur d'intégration et à une volonté de pouvoir « passer » dans la société.

Dès lors, si le festival de film gay et lesbien comme espace discursif et économico- politique, participant à une formation identitaire, a été relativement étudié, la question du public semble délaissée. L'analyse de Searle est ici symptomatique, en ce qu'elle admet le « postulat » d'un public queer, qui permettrait le développement d'une politique sexuelle inscrite dans la forme festival63. Or, s'interroger sur la manière dont des spectateurs perçoivent, utilisent et comprennent un événement culturel, c'est fondamentalement observer différents usages et réinterprétations de l'espace discursif. Définir l'hétérosexualité sociologiquement : tensions entre une approche identitaire / de performance / d'affect (queer - hétérosexualités) et une approche en termes d'institutions / d'idéologie (féminisme matérialiste - hétérosexualité) Une des difficultés dès lors reste de définir sociologiquement l'hétérosexualité. Comme le note Mary Maynard, il s'agit d'une vrai problème tant l'hétérosexualité-en- tant-que-sens-commun-et-comportement-naturalisé est persistante dans notre société :

« L'hétérosexualité est généralement considérée comme acquise, sans autre théorisation (…) Elle requiert cependant davantage d'attention puisqu'elle inscrit les femmes en position de subordination et qu'elle soutient le pouvoir masculin »64.

62 Toby MILLER, Cultural citizenship: cosmopolitanism, consumerism, and television in a neoliberal age, Temple University Press, 2007, 256 p ; Toby MILLER, The well-tempered self, op. cit. 63 Samantha SEARLE, « Film and video festivals; Queer politics and exhibition », op. cit., p. 51. 64 Mary MAYNARD, June PURVIS et Women’s Studies Network (UK) ASSOCIATION, (Hétéro)sexual politics,

2012 20 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

L'hétérosexualité s'est imposée dans le sens commun comme la sexualité « normale » voire normative (hétéronormativité). Pourtant, l'hétérosexualité mérite une analyse plus approfondie, tant il s'agit d'une forme historiquement et géographiquement circonscrite d'identité sexuelle. Katz en dresse par exemple une histoire, montrant comment l'hétérosexualité, en tant que concept, s'est imposée et s'est transformée avec l'avènement de la modernité puis d'une sur/post-modernité65. Or, paradoxalement, et comme le souligne Louis Georges Tin, « c'est l'essor des cultures gaies et lesbiennes qui rend aujourd'hui possible une réflexion de fond sur la question hétérosexuelle »66. Plus que l'essor des cultures gays et lesbiennes (qui pourraient après tout se baser sur une compréhension hétéronormative de la sexualité), on pourrait ici souligner le rôle des études queer ou des qui remettent en cause le paradigme bio- sociologique des années soixante-dix. Il convient donc de « traquer le cela-va-de-soi hétérosexuel », comme le souligne Monique Wittig67 et de se détacher d'une vision biologisante de la sexualité.

Celle-ci doit dès lors être comprise en tant qu'identité sexuelle, forme inscrite dans une histoire culturelle précise. Foucault montre ainsi le rôle des discours, qui forment peu à peu notre compréhension du monde68 : l'identité sexuelle serait un schéma de pouvoir, contra-ponctuel69. De manière simplifiée, l'identité sexuelle apparaîtrait au XVIIIe siècle, grâce au / à cause du discours de la 'police' (au sens foucaltien : médecine, loi, religion). Elle remplace une approche en termes de pratiques sexuelles (la sodomie au sens ancien : tout acte non reproductif). La manière dont nous entendons les (hétéro/homo)sexualités varie depuis, notamment en fonction des biopolitiques des Etats70. De manière célèbre : « Le sodomite était un relaps, l'homosexuel est maintenant une espèce»71. Cette analyse a été depuis confirmée par de nombreux théoriciens, notamment par John D'Emilio72. D'autres travaux ont visé à montrer en quoi les formes

Taylor & Francis, 1995, p. 4. [je traduis] 65 Jonathan Ned KATZ, L’invention de l’hétérosexualité, EPEL, 2001, 232 p. 66 Louis-Georges TIN, « Comment peut-on être hétérosexuel ? », Cités, 2010, vol. 44, no 4. p.91 67 , La pensée straight, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, p. 60. 68 Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, vol.1: La volonté de savoir, op. cit. 69 Gilles DELEUZE, Foucault, Paris, Editions de Minuit, 2004, 144 p. 70 On pourrait mentionner notamment la compréhension de l'homosexualité en Allemagne pré-nazie. De manière similaire au New York des années 30 analysé par Chauncey, deux catégories d'homosexuels existent : les « vrais », nécessairement passifs et « femmes dans un corps d'homme » (Uraniens) et les « occasionnels » (reprenant ici les premiers écrits de Freud sur le sujet), fondamentalement hétérosexuels et actifs – de vrais hommes en somme. 71 Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, vol.1: La volonté de savoir, op. cit., p. 164. 72 Si des différences de datation / de facteurs provoquant la 'naissance' de l'identité sexuelle existent, l'hypothèse de l'apparition du binôme hétérosexualité/homosexualité au XVIIIe est privilégiée. Ainsi, pour John d'Emilio, la naissance de l'homosexualité en tant qu'identité serait due à l'essor du capitalisme, à une reconfiguration de la ville industrielle – offrant de nouvelles possibilités de loisir / d'homosociabilité ainsi qu'à l'avènement du 'moderne' (basé sur une identité, etc)... cf : John D’EMILIO,

2012 21 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

de sexualité non-occidentales73 et/ou pré-modernes74 ne correspondent pas à notre (hétéro)sexualité contemporaine. D'autres analyses encore font le lien entre une vision de l'hétérosexualité/l'homosexualité comme concepts « naturels » et une vision ethnocentriste voire post-coloniale de la sexualité (par exemple : Jasbir Puar et son homonationalisme75). En outre, il convient d'historiciser l'hétérosexualité et de montrer en quoi le contenu de « l'identité » hétérosexuelle a évolué dans un même pays (entre autres : détachement de la procréation76).

On a dès lors une hétérosexualité comme identité socialement construite et propre à certaines sociétés. Celle ci est basée sur un système genré, une dichotomie homme- femme (« deux genres et deux uniquement » pour paraphraser Betsy Lucal77) qui neutraliserait l'existence possible d'une polysémie de sexes/genres78. Comme le soulignent et Diana Leonard, « la raison pour laquelle deux groupes sont distingués socialement, c'est parce que l'un domine l'autre »79. On aurait donc deux systèmes performatifs basés sur l'identité - le genre et la sexualité, desquels découleraient une domination (masculine / hétérosexuelle). D'après la théorie queer, ces deux systèmes seraient imbriqués et s'auto-naturaliseraient80. Le genre est prépondérant dans la sexualité : être hétérosexuel, c'est se conformer aux « attentes sociales de son genre » [gender expectation] et agir de manière normée – y compris dans l'attirance sexuelle. La sociologie américaine attache ici aux positions genrées et sexuées des nexus de privilèges / oppressions qui décrivent ce qu'un genre particulier / une orientation sexuelle particulière a le droit ou non de faire dans la structure sociale, en termes de comportement mais aussi d'opportunités sociales81.

Cependant, cette approche en termes d'identité et de performance – très queer – pose un problème majeur : il y est très dur de décrire le fondement de l'identité

Sexual politics, sexual communities: the making of a homosexual minority in the United States, 1940- 1970, Chicago, University of Chicago Press, 1998, 292 p. 73 Christine HELLIWELL, « It’s Only a Penis: Rape, , and Difference », , 2000, vol. 25, no 3. 74 Deborah T. MEEM, Michelle GIBSON, Michelle A. GIBSON et Jonathan F. ALEXANDER, Finding out: an introduction to LGBT studies, Thousand Oaks, California, Sage, 2010, 484 p ; Joan Z. SPADE et Catherine G. VALENTINE, The kaleidoscope of gender, op. cit. 75 Jasbir K. PUAR, Terrorist assemblages, op. cit. 76 Alain GIAMI, « Cent ans d’hétérosexualité », Actes de la recherche en sciences sociales, 1999, vol. 128. 77 Besty LUCAL, « What It Means to Be Gendered Me », Gender & Society, 1999, vol. 13, no 6. Je traduis 78 Sharon E. PREVES, « Beyond Pink and Blue », in The kaleidoscope of gender: prisms, patterns, and possibilities, Thousand Oaks CA, Pine Forge Press, 2007, pp. 35–40. 79 Christine DELPHY et Diana LEONARD, Familiar exploitation: a new analysis of marriage in contemporary Western societies, Polity Press, 1992, 301 p. 80 Judith BUTLER et Cynthia KRAUS, Trouble dans le genre: Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006, 298 p. 81 Gayle RUBIN, « Thinking sex: notes for a radical theory of the Politics of Sexuality », in Culture, society and sexuality: a reader, Richard Guy Parker and Peter Aggleton., Londres, Psychology Press, 1999, p. 143–179.

2012 22 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

hétérosexuelle. Les rares travaux qui abordent cette identité sexuelle ne l'envisagent que par décalcomanie, via les sexualités moins normatives. L'hétérosexualité n'a été étudiée que sous le prisme de la liminalité discursive82 : elle est globalement ce que n'est pas l'homosexualité. Être hétérosexuel dès lors, c'est avant tout affirmer que l'on n'est pas homosexuel (étrange retour de la figure du placard, qui structurerait notre compréhension de la sexualité, notamment en imposant des choix binaires83). Et pour cause : lorsque Anne Marie Déroff tente d'analyser ce que signifie être homme ou femme (hétérosexuels), elle se retrouve confrontée à une pluralité de définitions84. Utilisant la sociographie, elle tente de définir ce qui constitue le 'coeur' de l'identité hétérosexuelle. S'il y a un « travail de cohérence » dans les narratifs proposés par les sujets de l'enquête, Déroff ne parvient pas à une unité de l'hétérosexualité85. Peut-être faudrait-il donc, par prudence méthodologique, parler d'hétérosexuels et d'hétérosexualités au pluriel, en mettant l'accent sur la pluralité des expériences et des manières de vivre 'une' identité sexuelle (une dans un continuum qui ne se limiterait pas au dualisme homo-hétéro-sexualité). En effet, rompre avec le substantif 'hétérosexualité', c'est aussi tenter de s'éloigner du sens commun essentialiste. La métaphore de l'orientation sexuelle comme 'kaléidoscope' d'expérience est ici appropriée86. Cette pluralité d'expérience doit en outre être comprise dans le cadre du paradigme intersectionnaliste87 : on sait que la définition même de ce qui constitue une orientation sexuelle / un genre est liée à une position sociale en termes de capital culturel88, de race (au sens américain du terme)89, de classe90, etc.

Une approche en termes d'identité présuppose donc de rompre avec toute

82 J'emprunte ce concept à Stéphane Corcuff 83 Eve Kosofsky SEDGWICK, Epistemology of the closet, Thousand Oaks, University of California Press, 2008, 282 p. 84 Marie-Laure DEROFF, Homme-Femme, la part de la sexualité : une sociologie du genre et de l’hétérosexualité, Rennes, PUR, 2007, 224 p. 85 Ibid., p. 184. 86 J'emprunte cette expression à Joan Z. SPADE et Catherine G. VALENTINE, The kaleidoscope of gender, op. cit., p. 4. 87 Kimberle CRENSHAW, « Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », Stanford Law Review, 1 juillet 1991, vol. 43, no 6. 88 LE GUERNPhilippe, « Aimer l’eurovision, une faute de goût ? Une approche sociologique du fan club français de l’eurovision », Réseaux, 2007, no 2-3. 89 Cf : Patricia Hill Collins, Black Feminist Thought: Knowledge, Consciousness, and the Politics of Empowerment, 1ère éd., Routledge, 2008, 384 p ; Sur les africains américains : Amy L. Stone et Jane Ward, « From Black people are not a homosexual act to gay is the new Black: mapping white uses of Blackness in modern gay rights campaigns in the United States », Social Identities, 2011, vol. 17, no 5 ; Keith Harris, IN THE LIFE ON THE DOWN LOW: Where’s a Black Gay Man to Go?, http://www.beyondmasculinity.com/articles/harris.php, consulté le 24 décembre 2011 ; mentionné dans : Christophe Broqua et Fred Eboko, « La fabrique des identités sexuelles », Autrepart, 2009, vol. 49, no 1. 90 « Whose Gay Community? Social Class, Sexual Self‐expression, and Gay Community Involvement », The Sociological Quarterly, vol. 46, no 3.

2012 23 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

essentialisation de l'orientation sexuelle. Utiliser l'identité sexuelle comme donnée sociologique, c'est irrémédiablement s'en remettre à une analyse en termes d'identités emboitées et contradictoires, relativement postmodernes, à une analyse déconstructiviste. Un problème majeur reste l'impossibilité d'assigner une identité sexuelle par l'observation scientifique. Il convient donc de s'en remettre à l'auto- définition. Dès lors, l'identité sexuelle doit être détachée de la pratique sexuelle effective. Mendès (et alii) notent par exemple la prédominance d'hommes (à l'identité) hétérosexuel(le)s dans les relations anonymes homo-sexuées91. Dans son analyse du « sexe entre mecs » ['dude sex'], Jane Ward explique que les « hétérosexuels » qui cherchent une relation sexuelle avec d'autres hommes ne peuvent pas toujours être considérés comme « homosexuels »92, thème approfondi dans son étude des annonces « d'hommes cherchant des hommes » sur internet :

« Certains hommes aiment le sexe [having sex] avec des hommes dans les toilettes des bars gays après avoir dansé sur de la musique techno, d'autres aiment le sexe avec des hommes en regardant du porno hétéro et en parlant de salopes [fem. : bitches]. Puisque les actes sexuels entre hommes sont la seule chose que ces expériences ont en commun, nous pourrions dès lors voir l'hétérosexualité comme un système de relations érotiques et comme une expérience culturelle qui parle aux personnes qui choisissent d'être hétérosexuels (...) »93. Ici, Jane Ward construit sa réflexion autour des théories queer de la sexualité – basées sur l'identité et la performance et plus récemment sur les notions d'affect et de sensibilité (qu'on trouvera notamment chez Halberstam). Dans la même mesure, l'apparition de l'hétéro-flexibilité (définie comme « Je suis hétéro, mais tout peut arriver »94) attire l'attention sur le caractère fluide et mouvant de l'identité sexuelle, qui doit être envisagée comme des plis identitaires et des assemblages (au sens deleuzien). Cette notion est cependant critiquable, puisqu'elle réaffirme une vision essentialiste de la sexualité (« je suis hétéro » comme immuable et fixe)95.

Cette approche queer en termes d'identité / de performance a été contestée par les féministes matérialistes. Celles-ci y voient une manière de réinscrire la domination

91 Rommel MENDÈS et Leite Bruno PROTH, « Pratiques discrètes entre hommes », Ethnologie française, 2002, vol. 89, no 1. 92 Jane WARD, « Dude-Sex: White Masculinities and `Authentic’ Heterosexuality Among Dudes Who Have Sex With Dudes », Sexualities, 2008, vol. 11, no 4. 93 Jane WARD, « Straight Dude Seeks Same: Mapping the Relationship Between Sexual Identities, Practices, and Cultures », in Sex Matters: The sexuality and Society Reader, Mindy Stombler et al., New York, Allyn and Bacon, 2004, pp. 31–37. [je traduis] 94 Urban Dictionary: heteroflexible, http://www.urbandictionary.com/define.php?term=heteroflexible, consulté le 24 décembre 2011. [je traduis] 95 Jane WARD, « Critical approaches to heterosexuality [titre provisoire] », A paraitre. Chap.1

2012 24 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

masculine96. Cette tension est symptomatique d'un changement de paradigme dans l'analyse des constructions sociales, d'un regard plus matérialiste et holistique (i.e la domination masculine, marxienne) à une grille dite post-moderne (identités fluides et mouvantes du queer). En tentant de dépasser cet antagonisme, on soutiendra qu'il existe en sus des hétérosexualités (identités / performances / affects) une hétérosexualité en tant qu'institution et idéologie.

En effet, les féministes radicales matérialistes, au premier rang desquels Monique Wittig et Christine Delphy, soutiennent que le sexe est avant tout une catégorie sociale – de laquelle découle le genre – visant une discrimination économique et culturelle97. Monique Wittig définit les femmes en tant que classe en soi, au sens marxien, dominée financièrement (contrat de mariage) et sexuellement (contrainte à l'hétérosexualité98) par les hommes-en-tant-que-classe (en soi ou pour soi selon les écrits) et notamment grâce aux appareils idéologiques d'Etat (qui propagent ce que Wittig appelle la « pensée straight », et qui permettent la reproduction de la domination masculine). De manière relativement célèbre, Wittig stipule que « la Lesbienne n'est pas une femme » – puisqu'elle échappe à la domination hétérosexuelle (domination masculine et patriarcale) : elle serait la seule possibilité d'émancipation féminine. L'hétérosexualité est ici une institution et une idéologie normative, ce qui ne rentre pas nécessairement en contradiction avec les (hétéro)sexualités comme identités (multiples).

On a donc des identités sexuelles – hétérosexualités – emboitées dans l'hétérosexualité comme institution et idéologie : l'hétérosexualité est à la fois une structure sociale (matérialiste), une lunette idéologique et des prismes identitaires kaléidoscopiques. De manière purement didactique et opératoire, on pourrait ainsi définir une typologie :

• Les hétérosexualités au sens large : comme identités-orientations sexuelles, basées sur l'auto-définition des sujets (a minima : ne pas s'identifier comme homosexuel) • Les hétérosexualités au sens réduit comme identités-orientations sexuelles, basées sur l'auto-définition des sujets dans le cadre d'une idéologie hétérosexuelle (croyance en deux genres séparés et opposés, naturels, complémentaires et fixes). A minima : ne pas s'identifier comme homosexuel et être cisgenre99 – exclusion des transgenres100

96 Sabine MASSON et Léo THIERS-VIDAL, « Pour un regard féministe matérialiste sur le queer. », Mouvements, 2002, vol. 20, no 2. 97 Monique WITTIG, La pensée straight, op. cit. 98 , « Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence », Signs, 1 juillet 1980, vol. 5, no 4. 99 Cisgenre : « homme / femme » vu comme « naturel et biologique », personne dont le genre est en conformité avec son sexe. (par opposition à transgenre) 100 On désigne par transgenre les personnes ne s'identifiant pas comme 'hommes naturels' ou 'femmes

2012 25 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

• L'hétérosexualité comme institution et mode de pensée normatif ('la pensée straight' de Wittig), qui conditionne une manière de voir le monde (hétérosexualité en tant que norme – illustrée par le vocable anglais straight101). Dans ce mémoire, et puisque le chercheur ne peut assigner une identité sexuelle à un quidam par l'observation, on prendra le parti de l'auto-définition, et utilisera dès lors l'hétérosexualité au sens large.

Il convient en outre d'éviter le penchant relativiste du post-modernisme, tout en décrivant les mécanismes qui permettent de donner sens à « l'hétérosexualité » du sens commun (sing.) - malgré une pluralité d'identités (hétéro)sexuelles (plur.). Deux mécanismes jouent ici : d'une part, comme le souligne Foucault, une histoire de la sexualité est avant tout une histoire du discours102, ce que Katz fait précisément lorsqu'il analyse l'évolution sémantique du terme « hétérosexualité »103. Il s'agit donc de s'intéresser non pas à la sexualité (effective) en tant que telle mais davantage à la manière dont elle fait sens dans le monde social, historiquement et sociologiquement. Dans une perspective foucaltienne, cette historicisation et sociologisation des concepts rappelle la notion d'auteur, une catégorie juridique (partiale) qui permet une cohérence de sens entre des textes littéraires éparses104. De la même manière, d'autres découpages sexuels étaient possibles (sodomie au sens ancien v. sexe reproductif ; sexe dit 'vanille' v. sexe SM) et les définitions mêmes de la binarité homo/hétéro évoluent. Le terme « hétérosexualité » au singulier est avant tout une structure de sens, un terme flou mais qui permet le classement (sexuel). D'autre part, cette approche peut être croisée avec les interactionnistes symboliques : une identité est toujours réflexive. On retrouve ici la reconnaissance de Mead. Si les identités sont plurielles et construites individuellement, elles émergent par une réinterprétation (individuelle) constante de ce qu'est la sexualité à travers les interactions : le sens même de ce qu'est être hétérosexuel(s) varie selon les individus mais les interactions entre personnes tendent à promouvoir une

naturelles' (dits cisgenre). Cela inclut donc les transsexuels (qui visent à changer de genre et/ou de sexe), mais aussi une pluralité d'identités de genre telles que les genderqueer (qui remettent en question la binarité homme/femme et s'inscrivent sur un continuum mouvant d'identités de genre), les Troisièmes Genres (remise en cause totale du modèle homme/femme – third gender), les Deux Esprits (Two Spirit : modèle en cours chez les Indiens Américains), etc. 101 Si straight signifie bien hétérosexuel, il se traduirait avant tout par 'normal' ou 'qui reste dans la norme'. Le mot 'straight' a d'ailleurs été utilisé par d'autres populations minoritaires. Par exemple, les utilisateurs de drogue type MDA/LSD considèrent 'straight' quelqu'un qui n'a jamais fait usage de stupéfiants et qui est a priori contre celui ci. 102 Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, vol.1: La volonté de savoir, op. cit. 103 Jonathan Ned KATZ, L’invention de l’hétérosexualité, op. cit. Chap 1,2,3. Il est flagrant de constater à quel point « l'histoire de l'hétérosexualité » de Katz est avant tout une histoire des discours sur la sexualité. 104 Michel FOUCAULT, « Qu’est-ce qu’un auteur? », op. cit.

2012 26 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

hétérosexualité négociée comme structure de sens, protéiforme, floue et réinterprétée. On est typiquement ici dans la sexualité telle que comprise par Risman : cette auteure définit la sexualité / le genre comme des structures sociales - visibles au niveau macro- sociologique - qui déterminent privilèges et oppressions (institutions + idéologie), basées sur et influencées par un interactionnisme meso et micro sociologique (incorporation de l'idéologie, reconnaissance de l'Autre et production réflexive d'identités)105. Peut-être est-ce donc dans l'hybridation des paradigmes queer et féministes radicales (identités individuelles et structure sociale), liés à une analyse interactionniste (structure de sens et sens commun), que se trouve la 'théorie radicale', qui permettrait de « penser le sexe », qu'appelle Gayle Rubin106. Enjeux du travail de recherche Dans ce contexte, ce travail de recherche se propose d’étudier le public hétérosexuel du Festival Ecrans Mixtes 2012 : il s’agit de voir comment le festival en tant qu'espace discursif inter-agissant avec l’identité (d’un événement culturel, où la sexualité joue un rôle important, mais aussi de manière réflexive comme formation discursive de ce qu'est être homosexuel) conditionne et est réinterprété par un public dit « minoritaire ». Dans ce contre espace public, les identités sexuelles traditionnellement réprimées socialement sont érigées en quasi-norme, ce qui questionne dès lors l’hétérosexualité en tant qu’institution et idéologie : comment les publics non homosexuels réagissent-ils à et comprennent-ils une sphère sociale homo-sexuée ? Comment la formation discursive de l'identité du festival d'une part et le renversement de l'homosexualité (affichée ou non clairement par les autres publics) comme stigma d'autre part influencent-ils la manière de présenter, d'affirmer et/ou de questionner leur propre orientation sexuelle ? Cette même orientation sexuelle se traduit-elle par des pratiques culturelles différenciées, une sélection et une interprétation différente, des stratégies identitaires au sein du festival – questionnant ainsi l'idée de mixité – notamment en ce qui concerne leur codage- décodage des évènements et médias proposés ?

Ce qui nous intéresse dès lors n’est pas tant la formation discursive de l’évènement - qui pourrait être analysée de manière relativement classique (textuelle), mais davantage la manière dont différents publics se saisissent des discours autour d’un évènement spécifique, les réinterprètent et, de manière réflexive, constituent l’espace festival. A travers les publics–spectateurs hétérosexuels, ce travail se propose donc d'essayer de comprendre le nexus publics – festival – identités et d'analyser la manière dont un sous-

105 Barbara RISMAN, « Gender as a Social Structure: Theory Westling with Activism », in The kaleidoscope of gender: prisms, patterns, and possibilities, Thousand Oaks CA, Pine Forge Press, 2007, pp. 9–21. 106 Gayle RUBIN, « Thinking sex: notes for a radical theory of the Politics of Sexuality », op. cit.

2012 27 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

groupe, dans un contexte social donné, s'adapte à et comprend une norme (sexuée).

Pour autant, on ne pourrait voir ici une volonté d'expliquer de manière globale et imprescriptible l'attitude des publics hétérosexuels en sphère homosexuée : du fait des spécificités des festivals de film LBGT comme formats normés (en général) et d'Ecrans Mixtes (en particulier), l'ethos du sociologue invite à une prudence quant à l'applicabilité de cette recherche à d'autres évènements. Hypothèses et dispositif de recherche Ce travail de recherche part dès lors d'un présupposé : celui d'utilisations et de réappropriations de l'espace discursif qui varieraient selon le genre et l'identité sexuelle du public considéré. De manière schématique, on cherchera à vérifier les postulats suivants :

(1) Ecrans Mixtes, comme espace discursif, n’insiste pas sur le caractère “gay et lesbien” mais sur un double discours «culture légitime / culture minoritaire », ce qui permet une plus grande inclusion des différents publics.

(2) En outre, il existe différentes programmations pour différents publics. Le choix des films se fait notamment en fonction de la sexualité et du genre (en termes de contenu des séances et de choix des lieux).

(3) Dans ce cadre, il y a coexistence de différents publics. Cela a des conséquences en termes de gestion de l’identité sexuelle – comme la nécessité de « passer inaperçu », de réaffirmer son identité sexuelle ou de se faire accompagner.

(4) Certains publics hétérosexuels ne se sentent pas inclus dans “le public” (perçu) du festival.

(5) Les interprétations du festival, de son rôle, de sa mission et de sa programmation sont différentes selon les publics. Dans le même temps, Ecrans Mixtes interroge la notion de festival 'gay et lesbien'. Cela n’est pas forcément perçu par les publics hétérosexuels.

Pour répondre à ces hypothèses, j'ai intégré l'équipe du Festival en tant que bénévole et j'ai participé aux comités de programmation et de rédaction du catalogue (textes spécifiques à deux films). Cette approche ethnographique participante permet de récolter des informations autrement indisponibles sur la construction du festival comme espace discursif, ainsi que d'établir un rapport de confiance propice aux entretiens informels et/ou compréhensifs. L'ethnographie en terrain militant est une technique délicate, tant il

2012 28 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

est difficile d'établir des limites entre la recherche et l'engagement personnel107 – aussi bien pour soi même que pour les membres de l'association. Il n'est en effet pas évident d'éviter de prendre parti lors des réunions – afin de ne pas modifier l'objet d'étude – sans apparaître comme extérieur à l'association. Pour cette raison, il a été choisi de ne participer qu'aux tâches n'ayant pas un impact direct sur le public.

Le statut de bénévole permet en outre de pratiquer l'observation, pendant le Festival : en se chargeant de l’accueil, il est possible pour le chercheur de s'informer discrètement sur les comportements du public, notamment dans les files d'attentes. L'apprenti chercheur peut par exemple être témoin d'interactions symboliques, qui ne transparaissent pas lors des entretiens. Le 'village du festival' (au Lavoir Public) a été exclu du dispositif de recherche – puisqu'il a été relativement peu fréquenté – ainsi que la soirée officielle « Divine Divine », organisée par le collectif déjà existant Middlegender : il s'agit en soi d'un événement dans l'événement, au public certainement proche de celui d'Ecrans Mixtes mais qui ne peut être simplement superposé à une analyse du festival sans introduire d'importants biais méthodologiques.

Lors de cette phase d'observation pendant le festival, un court questionnaire papier108 a été distribué avant chaque projection. Il s'agissait d'obtenir des indicateurs quantitatifs basiques quant à la composition du public, dans l'optique notamment d'établir un échantillonnage représentatif pour les entretiens. Le taux de retour par séance est assez variable et dépend principalement des conditions de diffusion (temps disponible avant la séance / espace alloué dans le lieu). Il est compris entre 1/4 et 7/10. On peut estimer que plus d'un tiers des spectateurs ont participé à l'enquête. Au total, 651 questionnaires ont été récoltés et traités pour 500 répondants uniques109. Au niveau purement méthodologique, doivent être pris en compte la difficulté de remplir « une (ou plusieurs) » cases d'auto-définition, ainsi que les biais traditionnels des sondages (Bourdieu). Bien que des personnes s'identifiant comme hétérosexuelles avec leurs amis (tel qu'observé lors du travail anthropologique) aient répondus « bi/pan » (par exemple), seules leurs réponses sur le questionnaire ont été comptabilisées – du fait du choix de l'auto-définition. D'autre part, il convient de noter que le questionnaire ne nous renseigne pas sur la signification donnée à une catégorie identitaire, mais beaucoup plus sur le vocabulaire utilisé pour s'auto-décrire (autrement dit, on sait si quelqu'un se définit comme « hétérosexuel », mais pas ce que « hétérosexuel » signifie pour lui ou

107 Mes difficultés sur ce point sont similaires à celles de C. Broqua lors de son ethnographie d'Act Up Paris. Cf Christophe BROQUA, « L’ethnographie comme engagement: enquêter en terrain militant », Genèses, 2009, no 2. 108 Annexes, p.vii 109 Les modalités de traitement de l'enquête quantitative sont précisées en annexe, p.vi-viii

2012 29 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

elle).

Par rapport au travail ethnographique, il semble probable qu'une proportion plus importante de personnes hétérosexuelles ait refusé de remplir l'enquête. N'ayant pas de base quantitative suffisante pour corriger ce biais, il a été choisi de laisser les données telles quelles. De même, et cela a été confirmé par les entretiens, certains spectateurs n'ont rempli qu'une ou deux fois le questionnaire, et non à chaque séance, ce qui induit une sous-représentation des publics réguliers.

L'intérêt principal du travail quantitatif est de servir de base pour les entretiens : les adresses mails récoltées ont constitué une base de donnée précieuse. Le dispositif est composé de 16 entretiens semi-directifs, dont 14 avec le public et 2 avec des bénévoles hétérosexuels. Une attention particulière a été portée à la représentativité en termes de types d'accompagnement, de nombre de séances vues, de genre, de sexualité et de type de programmation. Il était prévu sept entretiens avec des personnes hétérosexuelles (4 femmes, 3 hommes, dont à chaque fois au moins un accompagné par des amis LBGTQ et au moins 1 hors rétrospective), et sept avec des spectateurs non hétérosexuels (4 hommes, 3 femmes, en faisant attention à couvrir l'ensemble de la programmation)110.

Identité sexuelle / Personnes interrogées de genre Femme - - Entretien n°2 – étudiante en cinéma – s'est centrée sur la hétérosexuelle rétrospective, accompagnée d'amis LBGTQ - 06/04/2012 - Entretien n°6 – étudiante sur les thématiques de genre. Films « lesbiens » (En 80 jours et Bye Bye Blondie) accompagnée d'amis LBGTQ. 22/04/2012 - Entretien n°7 – plus âgée, se définit comme cinéphile (va à plusieurs festivals dans l'année). La naissance des pieuvres et Polyester. Seule et accompagnée LBGTQ. 23/04/2012 - Entretien n°9 - bénévole, passionnée par la culture queer, s'identifie alternativement comme hétéro / queer. Venue seule. 04/05/2012 - Entretien n°10 – étudiante en droit de la culture, très proche de la culture queer. Bénévole Lavoir (post festival) et Middlegender (pendant le festival). A fait toute l'édition précédente, cette fois ci : Soukaz. Venue accompagnée LBGTQ 07/05/2012 → Les entretiens n°2 & 7 concernent des personnes ayant une programmation « classique » (au vu de leur orientation sexuelle). Les informantes n°6 et n°9 ont eu une programmation mixte (quelques films avec peu de filles hétérosexuelles). La n°10 une programmation « anormale ». Femmes – - Entretien n°4 - anime une émission de radio féministe. Bye Bye

110 La grille d'entretien est donnée en annexe p.ix-x

2012 30 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Identité sexuelle / Personnes interrogées de genre homosexuelles / Blondie / Victor Victoria / Les Nuits Fauves / 3 Waters / Polyester / bi / pan Cruising. Venue la plupart du temps seule. 13/04/2012 - Entretien n°12 – programmation « typiquement » lesbienne (Bye Bye Blondie / Brandon Teena / En 80 jours). 15/05/2012 - Entretien n°13 – ibid. 16/05/2012 → l'entretien n°4 témoigne d'une programmation mixte (lesbienne, mais aussi orientée classiques et rétrospectives) – contrairement aux n°12 et n°13 (typiquement lesbienne). Hommes - - Entretien n°3 – passionné par la culture alternative, travaille dans hétérosexuels l'image. Principalement rétrospective, accompagné d'amis LBGTQ. 12/04/2012 - Entretien n°8 – étudiant en cinéma, bénévole sur le Festival. Venu seul ou accompagné non LGBT. 30/04/2012 - Entretiens courts n°15 et 15 bis – deux amis hétérosexuels étudiants en sciences sociales (recherche). Les personnes en question ont insisté pour être interrogées en même temps – le premier est venu cette année voir les deux documentaires « lesbiens » (Edie & Thea + Brandon Teena) accompagné d'une fille hétérosexuelle, le deuxième a assisté l'année précédente à un film de la rétrospective (Mysterious Skin – sur la pédophilie) accompagné d'amis (sans précision). 25/05/2012 - L'entretien n°3 semble être relativement représentatif du profil « rétrospective » (homme hétérosexuel se centrant uniquement sur la rétrospective John Waters et accompagné d'amis LBGTQ), tandis que l'entretien n°8 témoigne d'une plus grande réflexivité quant aux pratiques cinématographiques. Les entretiens 15 et 15 bis doivent être compris comme un mini focus group (réflexivité des réponses et établissement collectif de sens) Hommes – - Entretien n°1 – étudiant cinéma / politiques culturelles, cinéphile. homosexuels S'est centré sur la rétrospective (plus séance de minuit). 26/03/2012 - Entretien n°5 – étudiant en design / décors théâtraux. Bénévole lavoir (pré-festival) et Middlegender (pendant le festival). 2 Waters + Polyester / Bye Bye Blondie / Les Nuits Fauves. 16/04/2012 - Entretien n°11 – enseignant en philosophie et cinéma, a participé à la programmation du festival Face à Face St Etienne. Soukaz et Les Nuits Fauves. 13/05/2012 - Entretien n°14 – genderqueer (homme) homosexuel – fréquente le Lavoir et Middlegender (scène queer) et a vu la soirée Soukaz et les Nuits Fauves. 18/05/2012 Fig. 1 : Répartition des entretiens Il a été particulièrement difficile de recontacter les hommes hétérosexuels, qui représentent pourtant une part non négligeable du public. Ceux-ci ont pour la plupart

2012 31 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

refusé les entretiens (qui « portaient sur leur expérience lors du Festival ») sans justification. Cet élément est en lui même significatif. Par ailleurs, si les caractéristiques genrées / sexuelles / de programmation sont à l'image du public du Festival, on observe une possible sur-représentation des étudiants dans le panel. N'ayant aucune statistique sur le sujet, il semble difficile d'étudier le biais potentiel induit par la méthode de contact (mail). Cependant, empiriquement, ces profils correspondent peu ou prou au public du festival (très jeune et étudiant).

Les entretiens doivent être systématiquement pris avec précaution : il s'agit toujours d'un discours d'un-e, fait à un instant T, à une personne étrangère. D'autre part, on ne raconte pas ses habitudes culturelles et encore moins sa sexualité comme on « la vit ». Il s'agit avant tout d'un discours, d'une représentation projetée. La complémentarité des méthodes ethnographiques, quantitatives et des entretiens est donc fondamentale. Sections On s'intéressera dans un premier temps à la discursivité du festival et à la variété des publics : il s'agit non pas d'établir le « sens » d'Ecrans Mixtes en tant que Festival mais bien plus de dépasser la simple analyse textuelle et de voir en quoi l'évènement est fondamentalement polysémique et peut être interprété de manières différentes. En comparaison des autres festivals du type, le public paraît relativement varié.

Dans une deuxième section, on cherchera à comprendre les stratégies mises en place par le public : qui vient, dans quel type de lieu et surtout qui se « sent » appartenir au public ? Penser l'auto-constitution des publics, c'est délimiter, à travers la discursivité de l'évènement, comment un spectateur devient ou non membre « du » public (au singulier).

Ceci nous permettra, dans un troisième moment, de dégager divers usages interprétations du Festival Ecrans Mixtes, des narratifs qui permettent d'établir une modélisation des variables dans la réappropriation de l'espace discursif par le public hétérosexuel.

2012 32 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine 1. Le Festival Ecrans Mixtes 2012 : des festivals de films « gays et lesbiens » aux festivals queer ; le festival comme organisation discursive polysémique. « Les festivals de film [LGBT] sont, en quelque sorte, des maisons ou des entrepôts pour l'identité collective : ils impliquent une prise de décision consciente et continue sur le contenu et les contours du " nous ", rendu littéralement visible. »111 Dans cette citation, Gamson attire l'attention sur la discursivité de « l'organisation festival » comme marqueur identitaire réflexif, ce qu'il appelle « la fabrique organisationnelle de l'identité collective »112. Son analyse, basée sur la sociologie de l'organisation et l'analyse textuelle du New Fest et de MIX-NYC (New York), lui permet de distinguer deux types de festival – le premier institutionnel et tourné vers une politique gay assimilationniste, le second davantage ancré sur le terrain de « l'expérimental ». Ce constat est relativement classique. S'il permet d'établir une approche comparative, il oublie néanmoins deux dimensions majeures de la discursivité :

D'une part, comme le souligne Dayan113, les acteurs d'un festival sont nombreux. Ils n'ont pas tous la même fonction sociale, ni le même but ; ils n'agissent pas selon les mêmes scripts sociaux. Il n'est donc pas certain qu'ils utilisent et interprètent l'espace discursif de la même manière. Chercher à comprendre « le sens » et « la » politique d'un festival via l'analyse textuelle peut avoir un intérêt socio-historique, mais cela obscure la polysémie des discours et leur réinterprétation par le public.

D'autre part, le raisonnement de Gamson (comme tant d'autres) repose sur l'hypothèse d'un festival à destination d'un public gay et lesbien (ou queer). Comme chez MacWilliams114 et Rich115 (par exemple), il y a l'idée que le public ne peut être composé d'un nombre significatif de personnes hétérosexuelles. Cet impensé est à questionner.

111 Joshua Gamson, « The organizational shaping of collective identity », op. cit., p. 238. [je traduis] 112 Titre même de son article 113 Daniel DAYAN, « Looking for Sundance », op. cit. 114 Kelly McWilliam, « « We are Here All Week » : Public Formation and the Brisbane Queer Film Festival », op. cit. 115 « Queer Publicity », op. cit.

2012 33 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine 1.1. festivals de film et production discursive : de la polysémie d'Ecrans Mixtes Tout en s'aidant des analyses textuelles et comparatives, il apparait nécessaire de révéler les éléments qui constituent le festival comme espace discursif, pour voir en quoi ils sont fondamentalement polysémiques et peuvent entraîner diverses interprétations et appropriations de l'évènement par le public.

1.1.1. Le Festival comme organisation discursive Partons d'une définition relativement classique des festivals de film :

« Les festivals sont des endroits où des acteurs multiples négocient des relations locales, nationales et supranationales à la culture, au pouvoir et à l'identité. Finalement, ils sont des centres cruciaux pour le développement de la connaissance des films et des pratiques cinématographiques : les festivals et les personnes qui les créent et les recréent déterminent ce que les publics et chercheurs verront, les films nous que respecterons ou négligerons et souvent la manière dont nous lisons une oeuvre cinématographique. »116 Dans ce passage introductif, Hing Yuk Wong donne les principales clefs de lectures du phénomène « festival de film ». Elle insiste sur la création de discours propres aux festivals (discursivité de l'organisation) et sur la réflexivité, aussi bien en termes de genre cinématographique et de capital culturel (création d'une compréhension de la pratique culturelle) que de publics (formation réflexive d'une identité et d'une « grille de lecture »).

Délimiter le rôle du festival de film : études textuelles et film festival studies Traditionnellement, les festivals de film sont étudiés sous le prisme du cinéma – soumis à l'ethos de l'analyse textuelle. La réflexivité n'est amenée que comme élément théorique : tout en définissant le festival comme objet protéiforme et aux enjeux multiples, Hing Yuk Wong ne cherche pas à comprendre la manière dont les publics se saisissent d'un genre ou d'un élément discursif, mais bien plus comment le festival lui- même crée certains types de compréhension des films (et non de l'évènement).

Démultiplication des festivals, réseau, discursivité : de la nécessité de s'auto-définir et de se démarquer. Cette tendance à l'étude linéaire de « l'identité » (sing.) d'un festival part d'un constat simple, postulat des Film Festival Studies : alors même que l'accès au film n'a jamais été aussi simple (NTIC), les festivals se démultiplient. Comme le souligne Barber :

116 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 1. [je traduis]

2012 34 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

« Parfois, il semble que non seulement chaque capitale, mais aussi chaque café au bout de chaque rue de n'importe quel trou pommé a son festival de film : d'après le magazine Variety, il y en aurait plus de 5000 dans le monde, même s'il est difficile de voir comment ils [Variety] définissent l'objet " festival de film " (…). Les films médiocres semblent trouver de la place dans le circuit des festivals avec une facilité alarmante. Souvent, tout ce qu'ils ont besoin de faire est de se conformer à un thème particulier (par exemple gay et lesbien) ou de venir du bon patelin. »117 Ce constat est relativement classique118 et ancien : Ruby Rich va jusqu'à dire, non sans humour, qu'un pays indépendant doit « créer un drapeau, fonder une compagnie aérienne et monter un festival de film »119. A la suite de De Valck120, de nombreux chercheurs tentent de comprendre comment cette pluralité de festivals arrive à coexister. Les festivals feraient partie d'un circuit121 et seraient soumis à des négociations géopolitiques, y compris dans le cas des FFGL122 (il existerait des sous-circuits123 ou des réseaux parallèles124 – l'expression réseau insiste ici sur la supposée non hiérarchisation et la coopération des festivals gays et lesbiens dans une optique quasi cybernétique). Dès lors, il y aurait un besoin des festivals de créer du discours et de se différencier, de se donner « une identité ».

Au niveau local, l'association des festivals de cinema en Rhone-Alpes fait le même constat : la région abrite à elle seule 83 festivals. Le rapport témoigne d'une volonté de mise en réseau (coordination des dates, établissement de ressources communes visant à créer une attractivité et un circuit) ainsi que d'une nécessité de se démarquer125. Parmi eux, trois festivals sont consacrés à des thématiques gays et lesbiennes (Face à Face St

117 Lynden BARBER, « A Fistful of Festivals », Meanjin, 2008, vol. 67, no 4. [Je traduis] 118 De manière classique, en sus de De Valck : Thomas ELSAESSER, European cinema : face to face with Hollywood, Amsterdam, Amsterdam Univ. Press, 2005, 563 p ; Kenneth TURAN, Sundance to Sarajevo : Film Festivals and the world they make, op. cit. tente de voir en quoi chaque “grand” festival, alors même qu'ils semblent ^tous suivre la même formule, se démarque des autres,; Christel TAILLIBERT, Tribulations festivalières: les festivals de cinéma et audiovisuel en France, Paris, Editions L’Harmattan, 2009, 350 p. 119 « Queer Publicity », op. cit., p. 82. [Je traduis] 120 Marijke De VALCK, Film Festivals : from European Geopolitics to global cinephilia, op. cit. 121 De manière générale : Ibid. ; diana IORDANOVA et Ragan RHYNE, Film Festival Yearbook I : the festival circuit, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2009, 225 p.. Ce qu'ils sont certainement : voir notamment le rôle de la FIAPF dans l'attribution du statut “A' au niveau international. 122 Notamment chez Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 116. 123 Chez Jamie L. JUNE, Is it queer enough? An analysis of the criteria and selection process for programming films within lesbian, gay, bisexual, transgender and queer film festivals in the United States, op. cit. 124 Dina IORDANOVA, « Film Festivals and Dissent: Can Film Change the World? », in Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, p. 14. insiste sur l'inadéquation du mot “circuit” et lui préfère "réseau" 125 L’ASSOCIATION DES FESTIVALS DE CINEMA EN RHONE-ALPES, LES FESTIVALS DE CINÉMA EN REGION RHONE-ALPES, 2007.

2012 35 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Etienne, Vues d'en face Grenoble, Ecrans Mixtes Lyon). Au niveau national, cette tension entre mise en circuit et nécessité de démarcation se retrouve dans les Assises du festival de film gay et lesbiens, peu fructueuses126.

Les festivals s'auto-définissent et créent des discours sur eux-mêmes, afin de se différencier. Cette nécessité est résumée par Hing Yuk Wong :

« Alors que les rôles des réalisateurs, de la presse, ou des critiques nous semblent indépendants [des festivals], les festivals eux-mêmes offrent aussi leur propre interprétation de leurs propres activités. [Par exemple], chaque festival publie son propre catalogue (...) »127 Pour paraphraser Dayan, la production textuelle d'un festival est considérable – entre les critiques, sites internet, catalogues, publicités et documents de subvention128. Hing Yuk Wong insiste sur la nécessité d'établir un « univers » et une cohérence propre à l'évènement.

Dans le cas des FFGL, cette tension vers l'auto-définition est accrue. Pour Jamie June, cela illustrerait les tensions entre « communauté » homosexuelle et festivals LBGT : il s’agirait de définir à l'avance quels critères de programmation permettent une représentation (au sens de montrer une réalité) des identités gay et lesbiennes129. Au delà même de cet aspect, le flou de l'expression « gay et lesbien » et, dans le cas français le cadre républicain, tendent à promouvoir la nécessité d'une justification quant à l'existence même de l'évènement : il s'agit notamment de voir si, pour un festival donné, le cinéma « gay et lesbien » relève davantage du cinéma ou de la politique sexuelle.

Or, l'auto-définition n'est que peu pratiquée par Ecrans Mixtes. Par exemple, le site internet ne présente pas l'association. Seule référence au caractère gay et lesbien, la barre de titre (« Bienvenue sur le site du Festival Ecrans Mixtes – Festival Ecrans Mixtes, le Festival de films LGBT de Lyon »)130 insiste davantage sur la cinéphilie et forme festival (mentionnée tout de même trois fois) que sur la politique sexuelle en tant que telle. L'expression « films LGBT », arrivant à la fin, n'est pas questionnée, pour mieux mettre en valeur le format festival et les films (renforcés par un « le » quasi emphatique). Cette tension se retrouve dans le texte de présentation posté sur Facebook, seul passage écrit par l'association sur ses activités, publié sur internet :

126 1eres assises nationales du cinema lesbien, gay, bi et trans, Actes des assises, 2007. Cf notamment la section 2 sur les différentiels d'approche et de programmation et la section 3 sur la mise en réseau. Ecrans Mixtes n'était alors pas encore un festival. 127 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 121. [Je traduis] 128 Daniel DAYAN, « Looking for Sundance », op. cit. 129 Jamie L. JUNE, Is it queer enough? An analysis of the criteria and selection process for programming films within lesbian, gay, bisexual, transgender and queer film festivals in the United States, op. cit. 130 Festival Ecrans Mixtes, http://www.festival-em.org, consulté le 7 mars 2012.

2012 36 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

« L’association Écrans Mixtes a été créée en 2007 avec le concours de cinéphiles et de professionnels de l’exploitation. Écrans Mixtes est destiné à rendre visible pour tous les publics un cinéma des différences, dans les principaux cinémas du Grand Lyon. Écrans Mixtes accompagne la sortie de films sur le territoire lyonnais et alterne soirées-débats sur des sujets de société (homophobie, homoparentalité, lutte contre le sida etc…) et des rencontres avec des équipes de films lors d’Avant Premières. »131 De la même manière, le côté « cinéma » est ici mis en avant ; les films ne sont pas présentés comme LGBT (« des différences »). On note ici l'utilisation « des principaux cinémas de la région » et de l'insistance sur « la cinéphilie » et les « professionnels » : Ecrans Mixtes relève davantage d'un ethos traditionnel des festivals de film que des spécificités de la version gay et lesbienne. Notamment, les notions d'identités et de communauté(s) sont absentes. Lorsque les thématiques liées à la sexualité sont abordées, ce n'est plus dans le cadre du Festival en tant que tel, mais d'un « accompagnement ». On est ici loin des «descriptions des missions du festival», centrées sur la sexualité qu'observe June132.

Festivals de film « gays » : une exception aux festivals traditionnels ? Ce flou relatif dans l'auto-description d'Ecrans Mixtes peut paraître surprenant : il y a une insistance sur le caractère « vrai festival de film ». Cela tranche avec Barber lorsqu'il dit, non sans mépris : « tout ce qu'ils [les films médiocres] ont besoin de faire est de se conformer à un thème particulier (par exemple gay et lesbien) ou de venir du bon patelin »133. Les festivals de film LGBT sont ainsi souvent dénotés : il y a une suspicion quant au caractère culturel de l'évènement. Dans le psyche de ces auteurs, un festival gay et lesbien ne saurait se centrer « uniquement » sur le cinéma (culture légitime) puisqu'un critère sexuel est invoqué lors de la programmation. Les modalités identitaires contenues dans les FFGL les constitueraient dès lors davantage en évènements « communautaires » qu'en célébrations d'une forme culturelle.

De manière moins caricaturale, on retrouve cette opposition entre « festivals légitimes » et folklore dans la littérature des films festivals studies. Par exemple, Hing Yuk Wong sépare festivals internationaux, festivals thématiques134 (y compris LGBTQ)

131 Écrans Mixtes Lyon, https://www.facebook.com/ecransmixtes.lyon.5/info, consulté le 17 juin 2012. [je souligne] 132 Jamie JUNE, « Defining Queer: The Criteria and Selection Process for Programming Queer Film Festivals », CultureWork, 2004, vol. 8, no 2. 133 Lynden BARBER, « A Fistful of Festivals », op. cit. Je traduis. 134 Division que l'on retrouve aussi chez Dina Iordanova, Film festival Yearbook 2: Film festivals and imagined communities, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2010.

2012 37 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

et festival sur les droits humains :

« Ces évènements [les festivals thématiques] ne sont pas simplement définis par leur contenu (…) : se battre pour les droits des personnes LBGTQ, encourager l'expression pour et des personnes LBGTQ, créer des alliances entre les communautés LBGTQ et éduquer sur les problèmes q'ils rencontrent. De plus, ils constituent une présence publique et visible des spectateurs queer et de leurs problèmes – c'est un endroit de socialisation, de divertissement, pour les affaires et pour l'activisme. Tout comme le queer est une alternative à l'hétérosexualité dominante, (…) les festivals de film queer [sont] des alternatives, et à certain moment sont opposés, aux festivals de film plus 'mainstream' et à leurs discussions. »135 Cette division entre « vrais » festivals de film et festivals « thématiques » se retrouve au niveau économique chez Peranson, lorsqu'il divise l'objet entre festivals « d'audience » (thématiques) et festivals « d'affaire » (internationaux)136, ce que d'autres encore appellent « festival d'exposition » (au sens positif du terme exhibition : montrer une oeuvre, par opposition à montrer une identité)137. Iordanova, elle, oppose les festivals « instruments d'une diplomatie culturelle » (légitimes) à ceux qui contiennent / promeuvent des modalités identitaires138. Dans le cadre français, Mariette parle de festivals militants, qui « donne[nt] ici à voir une volonté de mobiliser par le cinéma »139 (bien plus que de 'montrer' 'du' cinéma).

Elle est même adoptée par certains chercheurs qui étudient les festivals LBGTQ : Zielinski parle ainsi des « spécificités (…) [qui font que les festivals gays et lesbiens sont] significativement différents des festivals de film internationaux tels que décrits par Elsaesser, De Valck, et d'autres. »140

Il ne s'agit ici pas de nier les spécificités du format festival de film gay et lesbien (telles que la « précarité » analysée par Loist141), mais bien plus d'interroger l'impensé de cette dichotomie : en opposant les « festivals de film » aux festivals de film(s)

135 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 181. [je traduis] 136 Mark PERANSON, « First you get the power, the you get the money.: two models of film festivals », op. cit.p.25 137 Robert Koehler, « Cinephilia and film festivals », in Dekalog 03: On Film Festivals, London, Wallflower Press, 2009, p. 83. 138 Dina IORDANOVA, « Mediating Diaspora : Film Festivals and « Imagined Communities » », in Film festival yearkbook 2: Film festivals and imagined communities, Iordanova, Dina and Cheung Ruby., St. Andrews, Scotland, St Andrews Film Studies, 2010, p. 17. Je traduis. 139 Audrey MARIETTE, « Pour une analyse des films de leur production à leur réception : Du « cinéma social » au cinéma comme lieu de mobilisations collectives », Politix, 2011, vol. 93, no 1. p. 49 140 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 1. 141 Skadi LOIST, « Precarious cultural work: about the organization of (queer) film festivals », Screen, 20 juin 2011, vol. 52, no 2.

2012 38 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

« thématiques », ces auteurs sous-entendent que les premiers sont plus légitimes à parler de « cinéma » que les seconds. Or, si certains publics, lors des entretiens, jouent sur cette distinction pratique culturelle légitime / modalités identitaires142, il n'est pas certain que l'on puisse toujours opposer « film » comme forme artistique légitime et représentation identitaire – du moins au vu de l'histoire du New Queer Cinema. De plus, les mêmes auteurs qui développent les spécificités des festivals thématiques insistent dans d'autres ouvrages sur les modalités identitaires et géopolitiques des festivals internationaux « traditionnels » : on peut dès lors questionner l'idée d'une « spécificité » inhérente aux festivals thématiques.

L'analyse textuelle, une méthode insuffisante pour comprendre Ecrans Mixtes Cette dichotomie s'explique principalement par la méthode des film festivals studies : à partir d'études de cas, analysées de manière textuelle, on compare plusieurs festivals et tente de conceptualiser les différences entre les « univers » discursifs. Au sein des FFGL, cela s'est principalement traduit par l'étude de deux ou trois événements par pays et par l'analyse socio-historique du discours. Les cas sont peu nombreux, étant données les difficultés (relevées par Armatage143 dans le cadre des festivals sur les femmes et exemplifiées par Zielinski) : rares sont les festivals ayant eu une existence continue ; les archives sont peu nombreuses.

Dans le cas précis d'Ecrans Mixtes, les différentiels entre politiques assimilationnistes et expérimentales – par exemple – sont difficiles à cerner : l'analyse textuelle est complexifiée par le caractère récent du festival. Une socio-histoire n'est ici pas possible. De même, la comparaison avec le monde anglo-saxon est délicate, tant les modalités identitaires y sont différentes.

Tout au plus, les film festival studies nous permettent d'envisager plusieurs pistes de compréhension du festival : entre « festival de film » et « gay et lesbien », entre différents types de politiques sexuelles et cinématographiques. L'auto-définition du festival est insuffisante et est fondamentalement soumise à interprétation.

Ecrans Mixtes, organisation et discursivité Au delà de la simple méthode textuelle, il reste possible d'étudier la discursivité du Festival telle que créée par l'organisation. En effet, pour Gamson, les « limites

142 A titre d'exemple, dans l'entretien n°1, du 26/03/2012, avec un homme homosexuel, on note une opposition constante entre identités et cinéma. Bien que le sujet soit passionné par le New Queer Cinema et Gregg Araki, il insiste lourdement sur le fait que « ce n'est pas le caractère gay et lesbien qui [l]'attirai[t] » et sur ses pratiques cinéphiles (institut lumière). 143 diana ARMATAGE, « Toronto Women & Film International 1973 », in Film Festival Yearbook I : the festival circuit, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2009, p. 83.

2012 39 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

identitaires sont formées par et sont modifiées par l'activité organisationnelle qui elle- même est conditionnée par l'environnement institutionnel »144.

Ressources, Organisation de la communauté et discursivité d'Ecrans Mixtes : un (vrai) festival de film. Dans The organizational shapping of collective identity, Gamson complexifie l'étude textuelle en cherchant à délimiter comment l'organisation conditionne l'identité collective, en tant que médiation entre une communauté (imaginée) et le festival (auto- définition). Pour lui, il convient de prendre en compte le « point de départ » de chaque festival – en tant qu'il détermine les ressources de l'association.

Certains exemples donnés par Gamson sont particulièrement frappants. Pour lui, le lien entre l'organisation et la « communauté » homosexuelle est déterminant : plus l'association organisatrice est liée au « milieu » LBGTQ, plus le soucis de la représentativité sera important145 et plus les politiques sexuelles et cinématographiques du festival seront tournées vers des thématiques telles que « l'intégration » ou les « droits ». Ecrans Mixtes est ici intéressant : si l'association fut alliée au Forum Gay et Lesbien (FGL) de la ville pour des projections ponctuelles, les coopérations entre les deux organisations ont été depuis rompues. Ecrans Mixtes jouit donc d'une relative liberté quant à sa politique sexuelle / cinématographique. Cette déconnexion entre la plus grande association LBGTQ lyonnaise et Ecrans Mixtes se retrouve exemplifiée par la Marche de Fierté du 16 Juin 2012 (dite gay pride)146 : si l'équipe du Festival Face à Face de St Etienne s'est déplacée sur Lyon et a participé au cortège (organisé par la Lesbian and Gay Pride - LGP, dont l'organisation tutelle n'est autre que le FGL), Ecrans Mixtes n'était pas représenté. Certains de ses membres ont d'ailleurs, à titre personnel, rejeté l'appel à marcher (jugé trop assimilationniste)147. De même, l'organisation par la LGP , de manière autonome, d'une « nuit du cinéma gay et lesbien » le 23 juin 2012 peut surprendre : on pourrait s'attendre à une mutualisation des savoir-faire entre Ecrans Mixtes et la LGP148.

144 Joshua GAMSON, « The organizational shaping of collective identity », op. cit., p. 235. Je traduis, italiques dans l'original. 145 De manière similaire, pour June, les festivals organisés par une organisation liée à une association type Forum Gay et Lesbiens tendent d'une part à avoir une définition plus restreinte de ce qu'est un film gay et lesbien et d'autre part à chercher à “représenter” "la communauté" dans son ensemble.Jamie L. JUNE, Is it queer enough? An analysis of the criteria and selection process for programming films within lesbian, gay, bisexual, transgender and queer film festivals in the United States, op. cit. 146 Observation, 16 juin 2012. 147 Conversations informelles avec les membres du bureau 148 Lesbian and Gay Pride Lyon - Soirée Spéciale Saint Valentin, http://www.fierte.net/article.php3? id_article=374&var_recherche=Ecrans+Mixtes&var_recherche=Ecrans%20Mixtes, consulté le 26 juin 2012.

2012 40 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Au niveau purement institutionnel, Ecrans Mixtes s'insère dans le cadre plus général des festivals (traditionnels) de film, ce qui s'explique en partie par la sociographie des membres fondateurs. Comme le souligne Mariette, dans le cadre des festivals militants,

« Reconstituer la trajectoire sociale et politique des différents participants, leur formation professionnelle et leur carrière (en s'intéressant aux coopérations préalables auxquelles ils ont participé) permet de les situer dans les différents espaces sociaux, en particulier (pour ce qui nous concerne ici) militant d'un côté et cinématographique de l'autre »149 Ainsi, le coordinateur du Festival est avant tout issu du milieu cinéphile : il a longtemps été programmateur au cinéma d'art et d'essai Le Zola, pour lequel il organisait divers festivals (notamment du film britannique), il est fondateur du Ciné Club Strawberry Film Forever150. Parmi les autres membres du bureau, on note la présence de professionnels de la communication, de l'évènementiel et de personnes issues du secteur Arts Vivants. L'équipe du comité de programmation suit la même ligne : arts du spectacle, Institut Lumière, co-pilote d'un lieu culturel alternatif, journaliste et organisateur de festival de film d'animations151. Ces profils tendent à orienter davantage le Festival vers une formule traditionnelle (cinéma, légitime) par opposition à un simple événement communautaire (professionnels du milieu gay et lesbien). Cela se manifeste notamment par une communication traditionnelle, avec un catalogue sur papier glacé et par la présence de nombreux partenaires culturels et institutionnels tels que l'Institut Lumière, Télérama et le Grand Lyon. S'il s'agit avant tout d'une forme de légitimation de l'évènement (LBGT) comme cinéma à part entière, l'aspect communautaire semble moins présent que dans la plupart des festivals de ce type. D'une certaine manière, Ecrans Mixtes répond, sans l'avoir vécu, à un défi posé aux festivals LGBT en termes d'organisation : le passage d'un festival communautaire à un festival d'une communauté cinématographique.152

Ressources, Organisation de la communauté et discursivité d'Ecrans Mixtes : identité et communauté. Cependant, comme le souligne Gamson, les festivals LGBT se retrouvent coincés entre « les rôles d'organisation de la communauté et d'organisation de la communauté »153 : les ressources de l'organisation s'entendent aussi en termes de public(s) et de cible(s) potentiel(s). Dès lors, même inavoué, le rapport à une

149 Audrey MARIETTE, « Pour une analyse des films de leur production à leur réception : Du « cinéma social » au cinéma comme lieu de mobilisations collectives », op. cit., p. 54. 150 Entretiens compréhensifs lors de l'observation ethnographique 151 Observation ethnographique, complétées par l'utilisation de Linkedin, Viadeo et Facebook. 152 Joshua GAMSON, « The organizational shaping of collective identity », op. cit., p. 254. 153 Ibid., p. 238. Je traduis. Italiques dans le texte.

2012 41 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

« communauté » LBGT est inévitable, notamment lorsque l'on « imagine » le public potentiel du festival, celui à qui la communication va s'adresser.

A titre individuel, on peut d'ailleurs noter la présence au sein de l'association d'un ancien membre du bureau de la LGP, d'habitués du FGL, du rédacteur en chef d'Hétéroclite (magazine gay et lesbien) mais aussi de membres d'association plus queer (par exemple Middlegender154). En outre, certains membres d'Ecrans Mixtes sont impliqués dans des projets parallèles, tels que Le Lavoir (lieu culturel associatif, à tendance queer) et Only Porn (festival de films pornographiques alternatifs féministes pro-sexe)155. Ces ressources permettent une balance, non seulement entre vision cinéphile et politique sexuelle, mais aussi entre optique « gay et lesbienne » traditionnelle et choix plus queer. Il s'agit aussi d'opportunités de diffusion.

Par ailleurs, il convient de noter les attentes des partenaires, tels que la Bibliothèque Municipale, à travers sa collection dédiée au genre (le Point G), ou les magazines gays et lesbiens qui assurent une visibilité à l'évènement. De même, la ville est certes engagée au titre du cinéma, mais le budget alloué au festival n'est pas neutre étant donné le focus assumé de la Mairie sur la mémoire homosexuelle et sur les minorités. Comme le soulignent Gamson156 et Penney157, les partenaires et leurs attentes jouent un rôle considérable dans l'organisation de l’identité du festival.

Parrain de l'association, mentor des membres fondateurs d'Ecrans Mixtes) et auteur de nombreux textes du catalogue, Didier Roth-Bettoni est emblématique de la tension contenue dans l'organisation Ecrans Mixtes : journaliste « légitime » de la presse cinématographique (entre autres : ancien rédacteur en chef du Mensuel du Cinéma, collaborateur à Première158), il est aussi l'auteur d'une histoire du cinéma homosexuel159 - autant acclamée par le circuit cinéphile que par le milieu gay et lesbien. Outre la volonté de légitimation de l'organisation Ecrans Mixtes par l'inscription dans un projet de recherche sur « l'histoire du cinéma (LBGT) », Didier Roth Bettoni est une métaphore parfaite des tensions entre un ethos type cinéphilie professionnelle

154 « MIDDLEGENDER est une association queer et mixte, festive et politique qui organise des événements alternatifs autour de musiques indépendantes et éclectiques : indie-rock, post punk, riot grrrl, pop décalée, électro raffinée... à Lyon et ailleurs. Mais pas que... » Groupe Facebook de l'association. 155 Dans le cadre de ce mémoire, j'ai d'ailleurs intégré l'équipe d'Only Porn, été bénévole au Lavoir et pour Middlegender. 156 Joshua GAMSON, « The organizational shaping of collective identity », op. cit., p. 254. 157 Renée PENNEY, Desperately seeking redundancy? Queer Romantic Comedy and the Festival Audience, Mémoire de Master, The university of British Columbia, Vancouver, 2010, p. 37–38. 158 D'après la biographie publiée sur le site d'un de ses éditeurs : Roth-Bettoni Didier - Catalogue Adulte - Éditions Milan, http://www.editionsmilan.com/b4abd407/Didier-Roth-Bettoni.html, consulté le 13 août 2012. 159 Didier ROTH-BETTONI, L’Homosexualité au cinéma, La Musardine, 2007, 747 p.

2012 42 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

(traditionnelle) et l'insistance sur l'identité sexuelle, deux ordres de ressources qui participent à la formation de l'identité collective du Festival.

Contexte et discursivité : des éléments qui « font sens » dans un festival Ecrans Mixtes en tant qu'organisation est donc capable de mobiliser différents ordres de ressource et peut être interprétée de plusieurs façons par le public. Cette analyse organisationnelle peut être enrichie par l'étude du contexte du Festival : récemment, les Films Festival Studies ont cherché à déterminer l'importance du lieu et du temps du festival, thèmes qui prennent une toute autre signification dans un contexte queer : comme le souligne Edelman dans No Future, les étalons du temps et les significations attachées aux espaces ne sont pas les mêmes dans une société hétéro- normée et dans un milieu queer160. Munoz, délaissant le tournant négatif d'Edelman pour l'utopisme sexuel, fait un constat similaire : l'espace et le temps queer seraient toujours de l'ordre de la potentialité, des « là bas » et « après », traces et fantômes derridiens161.

Lieux : espaces sexués et légitimation culturelle Dans les Film Festivals Studies, le lieu d'un festival est un élément signifiant en tant que tel : il conditionne l'identité d'un festival et en retour affecte notre perception de la ville hôte162.

« Quand nous essayons de penser à un festival de film, son sens est inséparable de sa localisation. Et si ce n'est pas possible de faire sens d'un festival sans son emplacement, il est de plus en plus difficile d'imaginer certaines villes sans leurs festivals de film. Les festivals de film utilisent et influent sur le sens d'un endroit dans une boucle sans fin (...) »163 La ville de Lyon est ici un endroit intéressant, qui informe deux types de discours autour d'Ecrans Mixtes. D'une part, la ville est perçue comme cinéphile aux niveaux local et national – ce qui légitime et est renforcé par la présence d'Ecrans Mixtes (interprétation traditionnelle), d'ailleurs inscrit dans les « salles légitimes » (Institut Lumière). D'autre part, le Festival prend place dans un ville qui tend à s'ouvrir à un tourisme gay et lesbien (création de pages web consacrées aux établissements et évènements gays sur les sites d'Only Lyon et de l'Office de Tourisme164, commande d'un

160 Lee EDELMAN, No future: and the death drive, Durham, North Carolina, Duke University Press, 2004, 206 p. 161 José Esteban MUÑOZ, Cruising utopia, op. cit. 162 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 2. 163 diana HARBORD, « Film Festivals - Time - Event », in Film Festival Yearbook I : the festival circuit, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2009, p. 40. [je traduis] 164 HETEROCLITE : Le magazine web gay, mais pas que... à Lyon Grenoble et Saint-Etienne, http://www.heteroclite.org/index.php?/societe/dossiers/2/33319/%ABNous-n%92en-sommes-qu%92aux- pr%E9mices%BB.htm&PHPSESSID=6c2e6556942d87eb56b32f455d2b6534, consulté le 18 juin 2012 ;

2012 43 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

guide de la vie gay et lesbienne165 et partenariat avec le magazine Têtu pour un numéro spécial sur la ville166 ). Ecrans Mixtes participe à cette re-définition de la ville comme attractive pour les personnes homosexuelles.

L'espace du Festival au sein de la ville suit le même schéma : de prime abord, les lieux choisis – le CNP des Terreaux, le Comoedia, l'Institut Lumière et la Bibliothèque Municipale - sont des institutions culturelles légitimes et prescriptrices. En s'inscrivant dans des salles d'art et d'essai renommées, Ecrans Mixtes légitime son existence en tant que (vrai) festival de cinéma. On est bien loin des projections dans un amphithéâtre d'une université progressiste (comme aux débuts d'Outfest Los Angeles167), dans une MJC ou dans le local d'une association LBGT (comme l'étaient par exemple les premières éditions de Frameline San Francisco168). Les lieux choisis par Ecrans Mixtes sont importants et informent notre compréhension du Festival.

Seulement, ces mêmes lieux peuvent être perçus différemment : des chercheurs issus des queer studies et des geographical studies insistent sur le caractère (hétéro)sexué de l'espace, constat basé sur la distinction public / privé. La ville serait fondamentalement hétéro-normée169. Or, on pourrait ici penser à l'analyse de Munoz170 et s'intéresser à l'histoire sexuée des lieux du Festival. Les (vieux) cinémas sont historiquement des endroits connotés sexuellement : dans un cadre de drague ou pornographique, mais aussi parce que ces mêmes institutions « légitimes » et « d'art et d'essai » ont été les seules à proposer certains types de représentations sexuelles. Ce constat, des cinémas plus « homo-sociaux » que d'autres, se retrouve encore aujourd'hui : le CNP fut par exemple un des seuls cinémas en France à passer Baise Moi de Despentes (invitée par ailleurs au Festival) après son re-classement en film X. Ici, puisqu'il n'existe pas en France de travail sur la géographie sexuelle des cinémas, on peut empiriquement supposer que ces mêmes institutions qui légitiment Ecrans Mixtes en tant qu'association cinéphile ancrent le Festival dans un passé et des traces (derridiennes) sexuées. La Bibliothèque Municipale fonctionne dans la même optique : historiquement lieu de catégorisation du savoir et d'archive, qui contenait parfois les seules sources

Gay Friendly - Office du Tourisme de Lyon, http://www.lyon-france.com/Decouvrir-Lyon/Gay-Friendly, consulté le 18 juin 2012. 165 Un nouveau guide gay et lesbien pour Lyon - Têtu, http://www.tetu.com/actualites/media/Un-nouveau- guide-gay-et-lesbien-pour-Lyon-13239, consulté le 18 juin 2012. 166 « Lyon, l’autre capitale friendly. Numéro spécial. », Têtu, 2012, no 175. 167 En l'occurence, UCLA – avec lequel Outfest travaille toujours aujourd'hui. Cf notamment Outfest : Legacy Project - 5th Anniversary!, http://www.outfest.org/legacy/anniversary/, consulté le 10 août 2012. 168 Marc SIEGEL, « Spilling out onto Castro Street », op. cit. 169 Entre autre : Phil Hubbard, « Here, There, Everywhere: The Ubiquitous Geographies of », Geography Compass, 2008, vol. 2, no 3. 170 José Esteban MUÑOZ, Cruising utopia, op. cit.

2012 44 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

d'information sur la sexualité (même si leur accès était fortement compliqué), elle détient aujourd'hui une des plus grandes collections sur le genre (le Point G) et organise régulièrement des conférences – débats sur les sexualités.

Temporalité : Agenda, temps, discours Le « temps » du festival suit le même schéma. Les films en tant que tels produisent un effet de réel, dans lequel s'entremêlent temps cinématographique, temps de la création, temps de l'action et temporalité171. Le format festival complexifie encore le rapport au temps :

« Si le temps fabrique l'évènement, le festival de film dialogue aussi avec la fragmentation et la dé-structuration contemporaine du temps. Si le temps du travail et le temps du loisir sont moins clairement définis à ce moment historique qu'ils ne l'étaient un siècle auparavant (ou plus), le festival est un événement, une occurrence qui déplie le " maintenant ", qui offre à la fois un temps structuré et déstructuré. »172 En effet, le festival est l'occasion d'un rapport particulier au temps. Comme le soulignent Barber173 et Iordanova174, le festival est par définition un événement « live ». Pour Harbord, il requiert donc une part d'accidentel, pour maintenir sa présence dans le « maintenant »175. En parallèle, le festival est fondamentalement un événement récurrent, une célébration para-rituelle du cinéma176, qui consacre le passé (via l'archive) et montre le futur (premières). Ce rapport (complexe) au temps est résolu dans la production discursive de l'organisation177. Le temps de l'évènement et le temps du/des film(s) s'entremêlent ici :

« Le but du festival de film est de faire en sorte que le temps compte, de rendre urgent le fait de voir un film dans un certain contexte historique, où la sortie d'un film n'est plus un événement en soi. La structure du festival rend le " ici " et le " maintenant " de la projection importants. »178 Ce rapport au temps peut être compris de deux manières. D'une part, il y a une mission d'archive et de promotion culturelle. Le festival fait le lien entre un passé cinématographique, redécouvert, et un futur (avant-premières) qui forment notre compréhension du temps cinéphile et des mouvements culturels179. Ecrans Mixtes joue

171 Emmanuel ETHIS et Bruno PÉQUIGNOT, Les spectateurs du temps: pour une sociologie de la réception du cinéma, Paris, Editions L’Harmattan, 2006, 325 p. 172 diana HARBORD, « Film Festivals - Time - Event », op. cit., p. 41. Je traduis 173 Lynden BARBER, « A Fistful of Festivals », op. cit. 174 Dina IORDANOVA, « Mediating Diaspora : Film Festivals and « Imagined Communities » », op. cit., p. 12. 175 diana HARBORD, « Film Festivals - Time - Event », op. cit., p. 43. 176 André BAZIN, « The Festival Viewed as a Religious Order », op. cit. 177 diana HARBORD, « Film Festivals - Time - Event », op. cit., p. 44. 178 Ibid. Je traduis 179 Bill NICHOLS, « Discovering Form, Inferring Meaning: New Cinemas and the Film Festival Circuit »,

2012 45 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

clairement cette fonction, en projetant des classiques du cinéma et des avant-premières, en dédiant des séances à l'histoire des films. La récurrence du festival légitime l'évènement et ce rapport au temps, en l'inscrivant dans le paysage culturel.

Dans sa version 'queer', le rapport au temps du festival prend une autre signification, décrite par Edelman180 : l'urgence du « maintenant », accentuée par la crise SIDA et la mort de militants historiques. Pour Loist et Zielinski, ce rapport au temps et à l'urgence est même à la base des premiers FFGL181. Ecrans Mixtes tente ici de ré-affirmer un passé, en consacrant une séance à des réalisateurs LGBT historiques, âgés et malades, en projetant des films militants difficiles d'accès. On est ici dans une fonction inter- générationnelle et politique spécifique aux festivals LGBTQ. Ici, la récurrence de l'évènement, comme le souligne MacWilliams, joue le rôle de la potentialité (de Munoz182) : constituer une utopie sexuée, une visibilité et une présence des 'queer'183.

Le placement d'Ecrans Mixtes dans l'année, en mars, est aussi significatif : Mars est un des mois les moins chargés dans l'agenda des festivals lyonnais, ce qui tend à donner à l'association une visibilité au niveau des cinéphiles. Dans le même temps, le Festival s'inscrit dans la routine annuelle gay et lesbienne : entre le 1e décembre, journée mondiale de lutte contre le sida, la journée contre l'homophobie (17 mai) et les marches de fierté (juin-juillet).

Le temps doit aussi être questionné en tant qu'élément politique : si cela ne relève pas d'Ecrans Mixtes en tant que tel, la présence d'élections majeures en 2012 affecte la discursivité de l'évènement. Cet élément est renforcé par l'activité importante des mouvements LGBT (FGL, LGP) pendant la campagne présidentielle (organisation de meetings, de débats, interpellations des candidats184). Dans ce contexte, une rhétorique en termes de « droits » des personnes LGBT peut parasiter la discursivité d'Ecrans Mixtes.

Film Quarterly, 1 avril 1994, vol. 47, no 3. 180 Lee EDELMAN, No future, op. cit. 181 Skadi LOIST et Ger ZIELINSKI, « On the development of Queer Film Festivals and their media activism », op. cit. 182 JJosé Esteban MUÑOZ, Cruising utopia, op. cit. 183 Kelly McWilliam, « « We are Here All Week’: Public Formation and the Brisbane Queer Film Festival », op. cit. 184 Cf la page de la LGP et du FGL consacrée aux élections 2012, qui donne un apperçu de l'activité des associations LGBTQ lyonnaise pendant les élections : Lesbian and Gay Pride Lyon - Elections présidentielle et législatives 2012, http://www.fierte.net/rubrique.php3?id_rubrique=51, consulté le 13 août 2012 ; ou la page interassociative : Egalité LGBT 2012 : les associations lesbiennes, gays, bi et trans interpellent les candidats, http://www.egalitelgbt2012.fr/, consulté le 13 août 2012. Ecrans Mixtes est une des rares associations à ne pas s'être engagé dans l'élaboration de ce site internet (cf notamment la page « qui sommes-nous ? »)

2012 46 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

1.1.2 Festivals « gays et lesbiens » de film, festivals de « films gays et lesbiens » et festivals queer : programmation d'Ecrans Mixtes ; une pluralité de lecture Ce qui apparaît lorsque l'on analyse Ecrans Mixtes à partir de la littérature, c'est qu'il n'existe pas « une » façon unique de comprendre l'objet, que ce soit en termes de temps, de lieu, ou de ressources. Derrière ces différentes conceptualisations de l'objet se cachent des modalités discursives, qui influencent la manière dont on « perçoit » ou « utilise » l'espace festival. Revenir à la programmation du Festival Ecrans Mixtes permet alors de donner d'autres pistes de compréhension discursives.

(Festivals de) « films gays et lesbiens » et (festivals) « gays et lesbiens » de film, « Festivals de film » gay et lesbien et festivals queer : du festival thématique au Festival activiste, différentes modalités de compréhension d'Ecrans Mixtes La question qui se pose à travers l'expression 'festival de film(s) gay(s) et lesbien(s)' est assez simple : le qualificatif gay et lesbien doit-il s'accorder avec « festival » ou « film(s) » ? Autrement dit, est-ce le festival, dans sa structure ou dans son public, qui relèverait de la sphère sexué (festival gay et lesbien de film), ou les films projetés (festival de films gays et lesbiens) ? Et même dans ce second cas, comme le souligne Benshoff, l'expression « cinéma gay et lesbien » est floue :

« Cette étiquette [cinéma gay et lesbien] est confuse – se réfère-t- elle uniquement aux films faits par des personnes gay et lesbiennes ? Ou cela signifie-t-il 'les films qui ont rassemblés un vaste public gay et lesbien ? Peut-être cela veut-il dire des films qui contiennent des personnages gay et lesbiens, même quand ceux-ci sont réalisés par des hétérosexuels notoires ? Et qui décide quand et si un personnage est gay ou lesbien ? De plus, le sens même des mots gay et lesbiens (…) a énormément changé en une décennie, tout comme les conditions de la représentation cinématographique des gays et lesbiens (...). »185 Pour répondre à ces questions, Jamie June prend le chemin inverse : plutôt que de chercher à délimiter ce qu'est un festival de film gay et lesbien, elle tente de comprendre ce qui constitue un film « gay et lesbien » au vu des festivals. Or, de manière intéressante, elle ne parvient pas à trouver de définition, tant les critères utilisés par les programmateurs, sur lesquels elle base sa méthodologie, sont variés et dépendent de chaque festival.186

185 Harry BENSHOFF, Queer cinema, op. Cit. pp.1-2 (Je traduis) 186 Jamie L. JUNE, Is it queer enough? An analysis of the criteria and selection process for programming films within lesbian, gay, bisexual, transgender and queer film festivals in the United States, op. cit. pp.35-40.

2012 47 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Ecrans Mixtes, entre « festival de film » gay et lesbien et festival de « films gays et lesbiens » Ecrans Mixtes se positionne entre une compréhension traditionnelle des festivals de film (« festival de film » gay et lesbien) et un événement communautaire (« festival de films gays et lesbiens »). Dans le premier cas, la cinéphilie classique est constitutive de l'évènement et façonne l'organisation en termes de ressources, d'espace, de temps, de discours. Dans le second, la sexualité modifie la compréhension et la fabrication de l'évènement : les buts et modalités attachés au festival sont conditionnés par l'accent mis sur l'homosexualité (bien plus que par les règles traditionnelles du champ cinématographique).

Dans cette optique, et comme le note Zielinski, l'évolution de dénominations, de « festivals de films gays et lesbiens » aux « festivals LBGTQ » puis « festivals queer » est assez significative d'une tendance à une plus grande inclusion des identités sexuelles187. Le terme « queer » est là aussi fondamentalement polysémique188 : historiquement, il s'agit d'un moyen d'inclure toute sexualité « non hétérosexuelle » dans un seul mot189. Cette définition informe l'analyse de Benshof sus-citée190 (queer inclusif). Ce terme a ensuite évolué pour désigner une posture critique, notamment académique, anti-essentialiste et en contre-point avec la rhétorique gay et lesbienne traditionnelle (queer critique). Les films queer désigneraient dès lors pour Erhart « des représentations anti/contre/non hétéro-normées (…) qui rendraient l'hétérosexualité étrange »191, idée relativement similaire à la définition proposée par Quiros :

« (…) un art du minoritaire [qui] remet[tre] en question les territoires et les matériaux légitimes de l’art, met[tre] en discussion le statut de l’artiste. Il vient formuler un projet de contre-pratiques artistiques, un contre-cinéma, qui viendraient constituer et affirmer la multiplicité des regards absents des pédés, trans, intersexes, gender variant, sujets sexuels "abjectés", séropositifs, freaks, anormaux. »192 De manière intéressante, Ecrans Mixtes ne se positionne pas comme festival « LGBT » ou « queer » (que ce soit inclusif ou critique), ce qui laisse une possible

187 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 189. Zielinski insiste en outre sur le fait qu'un « festival queer » (autoproclamé) n'est pas forcément « queer » 188 Skadi LOIST, « A complicated queerness: LBGT Film festivals and Programming Strategies », in Coming soon to a festival near you: programming film festivals, St. Andrews, Scotland, St Andrews Film Studies, 2012, p. 160 ; Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 182. 189 Ward, Jane. Spring 2012. WMST 134 : Queer Social Movements in the US. UC Riverside. 190 Harry BENSHOFF, Queer cinema, op. cit., p. 1. 191 Julia ERHART, « Laura Mulvey Meets Catherine Tramell Meets the She-Man: Counter-history, reclamation and incongruity in Lesbian, Gay, and Queer Film and Media Criticism », in A companion to film theory, Wiley-Blackwell, 2004, p. 174. Je traduis 192 Kantuta QUIRÓS et Aliocha IMHOFF, « Art/Cinéma/Queer », Multitudes, 2008, vol. 35, no 4. p. 164

2012 48 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

pluralité de lectures au vu de sa ligne éditoriale. Il n'y a pas ici de « lecture correcte » de l'évènement, contrairement à ce que postulent les études textuelles, mais bien plus une pluralité de définitions de l'expression qui entraine des compréhensions différentes du festival.

Activisme, droits de l'homme, thématiques : quelques exemples de conceptualisation d'Ecrans Mixtes comme « festival de films gays et lesbiens ». La question, dès lors, est celle de la relation entre le focus sur l'homosexualité et la structure du festival. Les notions de festivals thématiques (sur les minorités) et festivals sur les Droits de l'Homme mises en tension par Hing Yuk Wong sont ici intéressantes193.

Pour elle, les festivals sur les Droits de l'Homme, souvent organisés par des ONGs, cherchent avant tout à attirer l'attention sur les problèmes rencontrés par certaines populations, à construire une conscience commune et des outils d'action et à constituer le spectateur en défenseur d'une cause, que ce soit par la fiction ou les documentaires 194. En ce sens, le film est envisagé comme un médium, et non comme une finalité en soi – contrairement aux festivals thématiques, dont l'intérêt principal resterait le cinéma. Si c'est dans cette catégorie « thématique » que Hing Yuk Wong range les festivals LBGT, l'attention portée par Grassili sur la malléabilité de l'expression « droits de l'homme » peut ouvrir des pistes d'interprétation d'Ecrans Mixtes195 : ce concept s'étend du fait de sa réutilisation dans les mouvements sociaux ; les rhétoriques qui cadrent les combats LBGT comme luttes pour les droits de l'homme tendent à influencer nos lectures des évènements. Cela permettrait une compréhension des festivals LGBT comme centrés sur les droits de l'homme.

La notion de festival thématique reste floue chez Hing Yuk Wong : on ne comprend pas la relation entre le thème et l'organisation discursive du festival. S'agit-il uniquement de festivals qui prendraient le parti d'une ligne éditoriale portée sur un sujet, ou cela influence-t-il la constitution de l'espace public de l'évènement ? Cette difficulté se retrouve lorsqu'elle exemplifie les festivals thématiques par les festivals LGBT :

« Ces évènements ne sont pas simplement définis par leur contenu (...) Beaucoup de ces festivals ont un agenda large sur les questions LGBTQ : se battre pour les droits des personnes LGBTQ, promouvoir l'expression par et pour les personnes LBGTQ, construire des alliance avec d'autres groupes LBGTQ, éduquer la communauté sur les problèmes qu'ils rencontrnt. (…) un endroit de socialisation et de divertissement, pour le commerce et pour

193 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 171. 194 Ibid., p. 174. 195 Mariagiulia GRASSILLI, « Human Rights Film Festivals : Global/Local networks for advocacy », in Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, p. 34.

2012 49 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

l'activisme. » 196 Peut-être la notion de festival thématique peut-elle être restreinte au vu des « festivals activistes », analysés par Torchin197 : pour lui, de tels évènements seraient marqués par leur insistance sur l'information et le témoignage, au détriment du focus plus traditionnel sur l'art et le divertissement. Pour qu'il y ait festival activiste, il faudrait une déclaration claire d'intention et une mise en contexte politique des films. Iordanova étend la notion : tout notant la diversité des buts et des structures des festivals, elle donne aux « festivals activistes » les missions « de correction de l'histoire, d'instruction et de mobilisation »198. Cependant, ceux-ci ne constitueraient pas une « réalité séparée » des autres festivals de film199, contrairement aux festivals Droits de l'Homme.

Ces distinctions sont purement artificielles et didactiques : dans la réalité de l'évènement Ecrans Mixtes, toutes ces compréhensions informent et façonnent, de manière concurrente et/ou parallèle (fig. 2), les discours autour du Festival. Le cas d'étude « Ecrans Mixtes » et, de manière générale, les festivals LGBT, ne peuvent être positionnés de manière simple. Il s'agit plus de grilles de lectures possibles de l'organisation discursive que d'une description de la « réalité » de l'évènement. Cette difficulté à saisir le caractère gay et lesbien d'Ecrans Mixtes se retrouve dans la plupart des entretiens. De manière symptomatique, les entretiens n°7200 et n°10201 – avec deux femmes hétérosexuelles - résument bien ces tensions entre festivals thématiques, « festivals de films » gays et lesbiens et festival Droits de l'Homme :

Q : Donc Ecrans Mixtes serait un festival de film sur l'homosexualité ? Non, même pas. Pour moi, c’est vraiment plutôt un festival de film (...) Plus sur des gens, sur des personnes qui ont des histoires qui sont complexes parce que c’est pas forcément tout le temps simple. Au final, si je faisais un film sur mes potes, il pourrait passer, alors que mes potes ne sont pas forcément homosexuels. C’est un espèce de “on a des histoires, on les raconte”.202

Q : Pourriez-vous me parler un peu de la manière dont vous percevez la programmation, la ligne éditoriale dans son ensemble ? Bah gay et lesbien. Bah si, je vois ça un petit peu quand même. (...) 196 Cindy Hing-Yuk Wong, Film festivals, op. cit., p. 171.Je traduis. 197 Leshu TORCHIN, « Networked for advocacy: Film Festivals and Activism », in Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, pp. 1–12. 198 Dina IORDANOVA, « Film Festivals and Dissent: Can Film Change the World? », op. cit., p. 14. Je traduis. 199 Dina Iordanova et Leshu Torchin, Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, p. 1 200 Entretien n°7, 23/04/2012. 201 Entretien n°10 07/05/2012 202 Entretien n°10, femme hétérosexuelle, étudiante en droit de la culture, bénévole Middlegender. 7 mai 2012. On est clairement ici plus dans une compréhension « festival de film » gay et lesbien.

2012 50 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Et moi ce qui m’intéressait c’est que ce soit un festival sur l’homosexualité. Enfin contre les discriminations, c’est plutôt ça.203

Fig 2. : Répartition des différentes compréhensions / théorisations des festivals LGBT par rapport au rôle donné à la sexualité dans l'organisation discursive – de la difficulté à catégoriser les festivals LGBT et de la pluralité des interprétations possibles Programmation et ligne éditoriale De manière générale, la programmation reste un des champs les moins étudiés des festivals de film, qu'ils soient gays et lesbiens ou non204. Pourtant, les critères employés par les festivals participent à l'élaboration du champ discursif.

Démystifier la programmation : des critères et des publics Comme le note Liz Czach, l'étude de la programmation est généralement mal vue puisqu'il s'agit de questionner « le caractère magique et fondamentalement infondé de la notion de qualité »205 en révélant la domination culturelle et l'agenda politique : il ne s'agit jamais de montrer uniquement « les meilleurs » films. Programmer, pour Czach, c'est fondamentalement exclure un certain nombre de films et définir une ligne éditoriale206, d'autant plus dans la logique choisie par Ecrans Mixtes, d' « intervention

203 Entretien n°7 du 23/04/2012, femme hétérosexuelle, la quarantaine. 23/04/2012 Je souligne. On est ici en tension entre une compréhension type festival thématique, festival de « films gays et lesbiens » et festival droit de l'homme. 204 Marijke DE VALCK, « Finding Audiences for Films: Festival Programming in historical Perspective », in Coming soon to a festival near you: programming film festivals, St. Andrews, Scotland, St Andrews Film Studies, 2012, p. 26. 205 Liz. CZACH, « Film Festivals, Programming, and the Building of a National Cinema », op. cit., p. 82–83. Je traduis 206 Ibid., p. 85.

2012 51 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

culturelle »207. De Valck donne quelques exemples de ligne éditoriale pour les « festivals spécialisés ou thématiques » :

« Certains veulent simplement montrer toutes les nouvelles productions dans leur domaine (…), contribuant à une culture cinématographique plus diversifiée (…), ou espérant une représentation plus fidèle d'une région (…). D'autres ont des agendas plus explicitement politiques (…). »208 Comme le souligne Ruoff, la question centrale reste celle du « spectateur idéal » d'un festival, celui vers qui la programmation est orientée209. Bien qu'officiellement basée sur la cinéphilie, et la cinéphilie uniquement, la programmation d'Ecrans Mixtes reste orientée vers des publics particuliers : au sein du comité de programmation, il était clair que certains films étaient directement choisis pour leur cible potentielle, afin d'atteindre une plus grande inclusion et visibilité de certaines parties de la « communauté ». D'autres séances étaient plus ouvertes, moins « marquées » sexuellement et plus inclusives. Il convenait notamment d'avoir un certain nombre de « films lesbiens »210 et de films dans l'ethos du mouvement gay et lesbien contemporain (e.g. mariage)211. Loist fait un constat similaire, lorsqu'il note la spécificité des critères de programmation des festivals LGBT. Il oppose une ligne éditoriale basée sur la représentativité et la « communauté » à une logique « inclusive » et « queer », qui éviterait, par exemple, la séparation homme–femme212, deux éléments fondamentalement présents dans Ecrans Mixtes.

Quels films pour les Festivals Gays et Lesbiens ? Pourtant, le Festival Ecrans Mixtes ne propose pas uniquement des films « gays et lesbiens », quel que soit le sens de l'expression – ce qui le distingue des autres festivals du type213 (fig. 3).

Festival Ecrans Mixtes Face à Face Vues d'en face Rebelle Rebel 2011 2012 % séances avec au moins un 50% 90% 100%

207 Marijke DE VALCK, « Finding Audiences for Films: Festival Programming in historical Perspective », op. cit., p. 31. De Valck oppose intervention culturelle (= le festival choisit ses propres films) à la logique de submission par les producteurs. Pour elle, l'intervention culturelle nécessite une ligne éditoriale forte. 208 Ibid., p. 35. Je traduis 209 Jeffrey RUOFF, Coming soon to a festival near you: programming film festivals, St. Andrews, Scotland, St Andrews Film Studies, 2012, 259 p. 210 En l’occurrence Bye Bye Blondie, Edie & Thea. Certains films étaient aussi dirigés vers un public « plus cinéphile que gay » ; i.e. Scène de chasse en Bavière, Cruising et la rétrospective Waters. 211 Notamment Edie et Thea. 212 Skadi LOIST et Ger ZIELINSKI, « On the development of Queer Film Festivals and their media activism », op. cit., p. 161. 213 On comparera ici Ecrans Mixtes aux dernières éditions des festivals de film gays et lesbiens de la région. Les courts métrages / séances spéciales hors programme ont été exclues.

2012 52 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Festival Ecrans Mixtes Face à Face Vues d'en face Rebelle Rebel 2011 2012 personnage clairement gay, bi ou lesbien214 % séances dont le réalisateur 70% (séances) 70% 70% est ouvertement LBGTQ215 64% (réalisateurs) % séances dans lesquelles le 45% 80% 95% thème LBGT est principal216 % films sortis dans ou ayant 45% 50% 75% impacté le milieu G&L217 Fig. 3 Programmation des festivals gays et lesbiens en Rhône Alpe et critères de sélection Ce qu'on voit assez clairement se dégager ici est une différence d'approche : les lignes éditoriales de Face à Face et de Vues d'en Face portent principalement sur les films à thématiques ou à personnages gays et lesbien(ne)s. Les films programmés sont d'ailleurs assez similaires dans l'ensemble aux dernières éditions du NewFest (New York), de Frameline San Francisco et d'Outfest Los Angeles (festivals que Loist analyse justement dans le cadre d'un ethos de « représentativité de la communauté »). A contrario, le caractère LGBT d'Ecrans Mixtes est moins visible. En outre, seuls 25% des films programmés par Ecrans Mixtes ont été réalisés ces trois dernières années, contre 63,64% à St Etienne et 95% à Grenoble. En comparaison, le Festival Lyonnais emprunte à la fois aux programmes « classiques » des festivals gays et lesbiens et à une approche plus généraliste (festival de film traditionnel).

L'analyse du catalogue d'Ecrans Mixtes nous livre ici quelques éléments : si les programmations de Vues d'en Face et de Face à Face n'y sont pas problématisées, le Festival Lyonnais s'y découpe en thématiques – à savoir une rétrospective John Waters (réalisateur gay, qui ne parle pas spécifiquement d'homosexualité), une collection classique (dont plusieurs films qui ne portent pas directement sur la sexualité mais qui peuvent être relus à l'aune d'une grille LGBT, tels que Victor Victoria218), des documentaires et des avants-premières. Chaque catégorie peut attirer du public219, ce qui

214 Critère : Le personnage a un rôle majeur et dit à un moment du film être gay ou lesbien. 215 Critère : le réalisateur a publiquement annoncé qu'il était LBGTQ ou 'a réalisé plus de trois films et uniquement des films sur des personnages LGBTQ'. 216 Critère : mention de l'homosexualité dans le synopsis officiel du film. A défaut de synopsis, mentionnée dans les résumés de IMDB et de RottenTomatoes. 217 Critère : le film a fait une avant-première dans un festival gay et lesbien ET/OU pour un prix gay et lesbien dans un festival de film classique ET/OU a entrainé de fortes réactions du milieu gay et lesbien 218 Blake Edwards, Victor Victoria, 1982. 219 Jeffrey RUOFF, Coming soon to a festival near you: programming film festivals, op. cit., p. 7.

2012 53 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

se voit très clairement dans les entretiens220. Ce pluralisme permet dès lors un dépassement du « simple » caractère gay et lesbien, via des missions de patrimoine et « l'effet » avant-première. Si la ligne éditoriale de l'association (cinématographique et sexuelle) et le nom de l'édition (Rebelle Rebel) peuvent influencer une lecture sexuée de l'organisation, la programmation permet une pluralité d'interprétations et de pratiques culturelles.

1.1.3. Communication d'Ecrans Mixtes et discursivité Un dernier élément influe sur la perception et la compréhension du Festival : la communication.

Nom, visuel, catalogue, partenaires : de la visibilité du caractère LBGTQ d'Ecrans Mixtes. Là encore, Ecrans Mixtes laisse au spectateur une pluralité d'interprétations. Le nom du Festival et de l'édition (Rebelle Rebel) ne contiennent aucune référence directe et transparente au caractère possiblement gay et lesbien de la programmation, ce qui contraste avec de nombreux festivals tels que OUTfest, filmout (san diego), le London Gay & Lesbian Film Festival, Pink Screen (Bruxelles), cinépride (nantes), question de genre (Lille, association GayKitschCamp), Confusion des genres (Aix), In and Out (Toulouse)... Dans les quelques cas où le nom n'inclut pas de référence directe à la sexualité, les festivals affichent leur orientation par un sous titre (« Face à Face – Le Festival Gay et Lesbien de St Etienne » ; « Vues d'en Face, Festival International du Film Gay et Lesbien de Grenoble », « Chéries Chéris, Festival Gays, Lesbiens, Trans & ++++ de Paris », anciennement « Festival International de Films Gay et Lesbiens de Paris »). Ecrans Mixtes est ici une exception : le caractère LBGTQ ne transparait ni dans le nom du Festival, ni dans celui de l'édition221.

Cette volonté de ne pas rendre trop « visible » le caractère LGBTQ se retrouve au niveau des affiches. Celle d'Ecrans Mixtes222 est relativement neutre : elle ne donne pas d'indice sur le caractère LGBTQ du Festival et insiste sur les partenariats institutionnels qui légitiment l'évènement. Cependant, une lecture sexuée est possible : la figure de Divine, incrustée dans le lettrage, peut être perçue comme une (discrète et contestable) référence à une sensibilité queer. A l'inverse, les affiches de Face à Face, Vues d'en Face, Pink Screens et Chéries Chéris contiennent toutes des « codes » LGBT (sur-présence du

220 Par exemple : entretiens 1,2 et 3 : uniquement rétrospective. Entretiens 12 & 13 : films lesbiens. Entretien n°15 : documentaires. 221 Même si « Rebelle Rebel » est une référence claire à David Bowie. 222 Les affiches mentionnées dans ce paragraphe sont reproduites en annexes, avec bref commentaire, pp.xl- xlii

2012 54 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

rose, arc en ciel, mariage gay, etc), des logos partenaires évocateurs ou une référence textuelle à l'homosexualité.

Globalement, le catalogue d'Ecrans Mixtes, sur papier glacé, suit une formule « classique » des festivals de film (édito / présentation des films / grille / informations pratiques / partenaires). Les encarts publicitaires et les partenaires « gays » sont relayés à la seconde moitié du catalogue (p. 14 : AIDES, p. 16 : , p. 23 : Têtu, p. 24 : Pink TV, p. 30 : Hétéroclite, dernière page : INPES223). Textuellement, si l'on excepte la description de certains films, le caractère LBGTQ du Festival ne transparait qu'à travers l'édito, écrit par un adjoint à la Mairie. Cela a son importance : Unwin a montré que les « nouveaux » spectateurs tendent à lire les catalogues de manière très superficielle, même s'ils sont une des sources d'informations sur l'évènement et les films projetés les plus importantes224. La stratégie de distribution joue aussi un rôle : il a été demandé aux bénévoles d'insister davantage sur le tractage dans les lieux culturels (cinémas, théâtres, cafés, office de tourisme) que dans les endroits gays et lesbiens. De même, la consigne a été donnée de ne pas trop vanter le caractère LBGTQ225, de porter l'accent sur le « patrimoine ».

De fait, sans lecture approfondie du catalogue, Ecrans Mixtes peut sembler être davantage un festival classique qu'un événement thématique et sexué. Ce double discours 'festival dédié à la mémoire homosexuelle – festival de film, sans précision' est distillé dans toutes les communications d'Ecrans Mixtes226. De manière symptomatique, des spectateurs n'avaient visiblement pas perçu le côté gay et lesbien du Festival227, ce qui se retrouve dans les entretiens : 8 personnes sur les 13 ayant eu le catalogue en main n'avaient pas identifié le caractère LBGTQ au premier abord.

Analyse de la revue de presse En dehors de la production discursive de l'association, les textes sur le Festival peuvent influencer la perception des spectateurs. On dénote une sur-représentation de la

223 Institut National de Protection et d'Education pour la Santé, ici la branche santé gay et lesbienne. 224 Elinor Unwin, Finola Kerrigan, Kathryn Waite et David Grant, « Getting the picture: programme awareness amongst film festival customers », International Journal of Nonprofit and Voluntary Sector Marketing, août 2007, vol. 12, no 3. 225 Observation ethnographique tout au long au Festival. 226 Y compris lors de la conférence de presse du 17 février 2012. De manière schématique, lors du même discours, l'idée qu'Ecrans Mixtes n'est pas un Festival Gay et Lesbien « classique » a coexisté avec l'accent porté sur les mouvements LBGTQ 227 Observation lors du Festival. En particulier, plusieurs personnes s'étonnaient du « nombre d'homosexuels » dans un festival de cinéma. D'autres, comme avant la projection de La Naissance des Pieuvres à la Bibliothèque Municipale, ont confessé n'avoir pas compris « le thème du festival », parce que « le nom » n'était pas clair.

2012 55 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

presse culturelle (locale et nationale) dans la couverture d'Ecrans Mixtes (fig. 4)228, et notamment dans Télérama (2 numéros), Le Petit Bulletin (2 pages, couverture complète) et les magazines spécialisés cinéma (3). La presse gay et lesbienne est elle aussi bien représentée, mais principalement grâce à Hétéroclite (2 numéros, 8 pages, 5 articles à lui seul).

Type de presse Culturelle / Locale / Gay et Total Cinématographique régionale* Lesbienne Nb de couvertures 1 (50.00%) 1 (50.00%) 0 (0.00%) 2 (%)** Nb de pages (%)*** 20 (58.82%) 5 (14.71%) 9 (26.47%) 34 Nb d'articles (%) 13 (56.52%) 4 (17.39%) 6 (26.09%) 23 Nb de numéros (%) 9 (56.25%) 4 (25.00%) 3 (18.75%) 16 Fig. 4 : Couverture dans la presse du Festival Ecrans Mixtes 2012, d'après la Revue de Presse officielle Si l'on exclue la presse gay et lesbienne, près de la moitié des publications sur Ecrans Mixtes ne mentionnent pas le caractère LGBT du Festival (Fig. 5). Dans les autres cas, les articles n'insistent généralement pas sur l'homosexualité, ce qui se traduit par un nombre de pages sans référence aux thématiques LBGTQ important (60.87%). Seul un article donne un but politique au Festival.

Type de presse Culturelle / Locale / régionale Cinématographique Mention du caractère LBGTQ 4 (30.77%) / 5 (20.83%) 3 (23.08%) / 5 (20.83%)

228 Articles présents dans la revue de presse officielle : Julie Hainaut, « Réflexion et subversion », A nous lyon, mars 2012, no 157 ; Guillaume Beraud, « Festival : Ecrans Mixtesjoue les rebelles », Lyon plus, p. 22 ; Stéphane Caruana, « Déshabillez-moi », Hétéroclite, février 2012, no 64 ; D M, « Les rebelles se rebiffent », Télérama Sortir Lyon, mars 2012, no 3237 ; Alexandre Minel, « J’avais trop envie de voir Victor, Victoria sur grand écran ! », Le progrès ; Didier Roth-Bettoni, « Gros plan festival : John Waters, dandy trash », Hétéroclite, février 2012, no 64 ; Didier Roth-Bettoni, « Soukaz sans oukaze », Hétéroclite, mars 2012, no 65, p. 10 ; Romain Vallet, « Ne rien s’interdire », Hétéroclite, mars 2012, no 65, p. 11 ; Romain Vallet, « Antique mais pas en toc », Hétéroclite, mars 2012, no 65 ; « Cinéma : savoir-faire queer* », Lyon Citoyen, février 2012, no 104 ; « Scène de Chasse en Bavière dans le cadre du Festival des Ecrans Mixtes », Programme du Goethe Institut Lyon, mai 2012 ; « 20 ans des nuits fauves, festival Ecrans Mixtes », Rue du premier film, février 2012, no 95 ; « Festival Ecrans Mixtes 2e ed. - Rebelle/Rebel », Télérama, Février 2012, no 3239 ; « 20 ans des nuits fauves », Programme de l’institut Lumière, février 2012 ; « Ecran Festival Ecrans Mixtes », Kiblind, janvier 2012, no 39, p. XV ; « Festival Ecrans Mixtes Rebelle Rebel », Topo, mars 2012, no 106, pp. 16–17 ; « Edito », Topo, mars 2012, no 106, pp. 2, 16–17 ; « Agenda », Topo, mars 2012, no 106 ; « John Waters, Dandy du Mauvais Goût », Exit, mars 2012, no 9, pp. 88–92 ; « Couverture », A nous lyon, mars 2012, no 157, p. 1 ; « Ecrans Mixtes à Lyon », la dixième Muse, mars 2012, no 55 ; « AGD », Hétéroclite, mars 2012, no 65, pp. 24–25 ; « La contre-culture dans les Waters », Le petit bulletin, 7 mars 2012, no 657, pp. 1–4 ; « Agenda : Animations - Festival Ecrans Mixtes », Le petit bulletin, 7 mars 2012, no 657. * Hors presse culturelle régionale / locale. ** Ont été comptées toutes les couvertures où Ecrans Mixtes était mentionné *** Ont été comptées les pages où Ecrans Mixtes était mentionné, sans distinction de longueur d'article

2012 56 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Type de presse Culturelle / Locale / régionale Cinématographique dans le numéro / sur la page Absence de référence à la 6 (46.15%) / 14 (60.87%) 0 / 0 sexualité dans le numéro / la page But politique donné au festival 0 / 0 1 (7.69%) / 1 (4.17%) dans le numéro / sur la page Fig 5. Mention du caractère LGBTQ dans les différents articles de la Revue de Presse Ecrans Mixtes 2012 A titre de comparaison, seuls 14% des documents cités à la revue de presse de Vues d'en face 2011 ne mentionnent pas le caractère LGBTQ du Festival (programmes des cinémas partenaires compris)229.

Ces différences en matière de programmation entre festivals se retrouvent dans les entretiens : les trois personnes interrogées qui ont assisté à d'autres évènements de ce type ont conscience de la différence d'Ecrans Mixtes230. Parmi les autres, seuls certains ont identifié les spécificités du Festival en termes de programmation.

De la polysémie d'Ecrans Mixtes ; différentes interprétations et différentes diffusions d'un même évènement. A travers la programmation et la communication, mais aussi l'organisation discursive du Festival, on voit bien comment Ecrans Mixtes peut être interprété de différentes manières et peut donner lieu à une pluralité de pratiques culturelles. Si les études de cas cherchent généralement à déterminer la « réalité » d'un événement, un focus sur le public amène à s'interroger sur la polysémie du festival, sur les « grilles de lecture » qui peuvent être mobilisées. Il ne s'agit pas de nier qu'un festival x a une politique différente d'un autre, ce que s'attachent à montrer la plupart des travaux (comparatistes), mais de voir que, si l'on cherche à analyser le public, les distinctions effectuées jusqu'alors peuvent cohabiter et influencer la compréhension de l'évènement. Dans ce cadre, ce qui nous intéresse est moins la manière dont Ecrans Mixtes en tant

229 Documents de la revue de presse officielle de Vues d'en Face 2011 : « Programme de la cinémathèque de Grenoble » ; E G, « Ces films qui ne passent pas ailleurs... », GREnews, avril 2011, no 140 ; Aurélien Martinez, « La semaine arc-en-ciel », Le Petit Bulletin, Avril 2011, no 794 ; Didier Roth-Bettoni, « Plein les Vues », Hétéroclite, , no 55 ; Romain Vallet, « Double Vues », Hétéroclite, , no 55 ; « Agenda », Rendez-vous, avril 2011, no 18 ; « Couverture », GREnews, avril 2011, no 140 ; « Agenda », Le Petit Bulletin, Avril 2011, no 794 ; « Programme du ciné-club de Grenoble ». Les articles sur les évènements hors festival ont été exclus. 230 Entretien n°14 du 18/05/2012 – homme genderqueer homosexuel : comparaison avec un Festival organisé dans le cadre d'une gay pride. Entretien n°11 du 13/05/2012– homme homosexuel, professeur de cinéma et qui participe à Face à Face. Face à Face serait davantage militant, orienté sur la représentation de la communauté. Entretien n°4 du 13/04/2012 – femme homosexuelle, militante féministe - comparaison par rapport aux festivals féministes.

2012 57 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

qu'organisation essaye de se positionner que l'ensemble des lectures possibles, médiatées par les processus de codage – décodage de Stuart Hall231. L'espace discursif est fondamentalement réflexif : il est autant le fait de l'organisation que du public. Cette question est relativement peu abordée, autrement qu'en termes « d'ambiance » du festival232 et qu'à travers le rôle du public dans les sessions de Questions Réponses233.

Ici, Ecrans Mixtes est un cas particulier, qui amène une prudence méthodologique. En effet, la stratégie d'ouverture à différents publics et la relative faiblesse du caractère « gay et lesbien » de l'évènement (écrans « mixtes »), par rapport aux autres festivals de ce type, doivent informer l'usage des comparaisons. 1.2. Une variété de publics et de spectateurs La question, dès lors, est de savoir si cette pluralité de lectures possibles et cette volonté d'ouverture à d'autres publics se traduisent effectivement par une plus grande diversité socio-sexuelle des spectateurs.

1.2.1. Genre et sexualité - Ecrans Mixtes, un festival « plus que » gay et lesbien ? C'est ici qu'intervient l'enquête quantitative : il s'agissait de déterminer le ou les profils « types » au sein du ou des public(s). Deux critères étaient retenus dans l'élaboration du questionnaire : le genre/la sexualité et la cinéphilie (définie par la fréquence et le type de salle habituelle du public).

En termes de genre (fig.6) et de sexualité (fig.7), on observe une sur-représentation des « femmes » et une forte proportion de personnes s'identifiant comme « au moins » hétérosexuelles (36%). Ce chiffre est probablement sous estimé.

Hommes Femmes Autres234 % public s’identifiant comme 40.80%* 57.11%* 4.21%* Fig.6 : Répartition genrée du public d'Ecrans Mixtes, en spectateurs uniques. Plusieurs réponses possibles.

231 Stuart Hall, « Codage/Décodage », Sociologie de la communication, 1997, vol. 1, no 1. 232 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 45 ; Daniel DAYAN, « Looking for Sundance », op. cit., p. 47. 233 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 165. 234 Cases intersexes / transgenres / genderqueer. * Total supérieur à 100% : plusieurs choix étaient possibles.

2012 58 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Hétéro- Homo- Pan/Bi/Queer Autres % public s'identifiant 36.00%* 46.60%* 15.80%* 2.20%* comme Fig.7: Répartition sexuée du public d'Ecrans Mixtes 2012, en spectateurs uniques. Plusieurs réponses possibles. On retrouve ici les spécificités d'Ecrans Mixtes telles qu’analysées en filigrane dans la production discursive de l'organisation : la programmation et la communication permettraient une plus forte intégration des publics non homosexuels (écrans « mixtes »), élément soutenu par le contexte républicain français (qui joue dans la configuration des FFGL et de leur publics).

Genre Sexualité % genre % public total Femmes Hétérosexuelles 46.16% 24.60% Homosexuelles 38.25% 21.80% Bi-pan-queer 19.30% 11.00% Autres 0.70% 0.40% Hommes Hétérosexuels 28.50% 11.40% Homosexuels 60.50% 24.20% Bi-pan-queer 8.00% 3.20% Autres 3.00% 1.20% Autres Hétérosexuels 9.52% 0.40% (intersexes / Homosexuels 33.33% 1.40% transgenres / genderqueer) Bi-pan-queer 52.38% 2.20% Autres 2.38% 1.00% Fig. 8 : Répartition en termes de genre et de sexualité du public d'Ecrans Mixtes 2012 – spectateurs uniques, plusieurs réponses possibles Genre et sexualité % public Femmes hétérosexuelles 24.60% Femmes homosexuelles 21.80% Femmes bi-pan-queer 11.00% Hommes hétérosexuels 11.40% Hommes homosexuels 24.20% Hommes bi-pan-queer 3.20%

2012 59 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Genre et sexualité % public Personne ne s'identifiant dans aucune des catégories susmentionnées* 6.20% Fig. 8bis : Répartition en termes de genre et de sexualité du public d'Ecrans Mixtes 2012 – spectateurs uniques, plusieurs réponses possibles De manière générale, 93,80% du public s'identifie donc dans des catégories « simples » d'orientation sexuelle (fig 8 bis). On note ici la forte proportion de femmes hétérosexuelles, qui explique en partie la sur-représentation des « femmes » dans l'échantillon. Les différentiels homme / femme en termes de nombre de personnes s'identifiant comme bi/pan informent plus globalement sur l'histoire des mouvements LBGTQ et sur la relative biphobie qui existe chez les gays235. Plus intéressant encore : la faible part des hommes hétérosexuels dans le public d'Ecrans Mixtes, qui se retrouve dans la difficulté à obtenir des entretiens. Sur les 28 personnes contactées, une seule a accepté un entretien236. On peut donc légitimement poser l'hypothèse d'un accès au Festival plus difficile pour les hommes hétérosexuels.

Ce qui frappe ici, c'est la forte proportion du public hétérosexuel. Il n'existe malheureusement que peu de statistiques sur l'orientation sexuelle du public des FFGL. Si rien n'a été publié au niveau français, certains festivals nord américains ont édité des statistiques sur le sujet, à des fins marketing. D'après Penney, seuls 4% des spectateurs d'Out On Screen Vancouver 2006 seraient hétérosexuels237. Les autres enquêtes ne se posent même pas la question – ce qui est en soi significatif238. Au niveau du genre, les festivals de film gays et lesbiens sont traditionnellement dominés par des hommes (tout comme les salles de cinéma de manière générale239) : ceux-ci constituent 77% du public à Filmout San Diego (2011)240, 65% à Outfest Los Angeles (2011)241, 49% (contre 37% de femmes) à Out On Screen242.

* Personnes n'ayant choisi aucune des catégories susmentionnées (homme/femme et hétéro/homo/bi/queer/pan) ou s'identifiant par le genre 'autre' 235 Deborah T. MEEM, Michelle GIBSON, Michelle A. GIBSON et Jonathan F. ALEXANDER, Finding out, op. cit. et Jane Ward. 2012. Queer social mouvements in the US. WMST 134. Winter 12. UC Riverside. 236 Hors bénévoles. Entretien n°3 du 12/04/2012, homme hétérosexuel. Les entretiens n°15 et 15b du 25/05/2012 ont été obtenus grâce à des amis en commun. 237 Renée PENNEY, Desperately seeking redundancy? Queer Romantic Comedy and the Festival Audience, op. cit., p. 32. 238 Dans les documents disponibles sur internet : Frameline / Outfest / Filmout. Le document « sponsor » d'Outfest commence d'ailleurs par résumer l'importance de la cible gay pour les entreprises … comme s'il n'y avait aucune personne hétérosexuelle au festival. 239 Et les salles de cinéma de manière générale, outre atlantique. Toby Miller, The contemporary Hollywood reader, London, Routledge, 2009, 558 p. 240 About FilmOut, http://www.filmoutsandiego.com/2012/about-filmout, consulté le 24 juin 2012. 241 Outfest - Sponsor, http://www.outfest.org/sponsor.html, consulté le 24 juin 2012. 242 Renée PENNEY, Desperately seeking redundancy? Queer Romantic Comedy and the Festival Audience, op. cit., p. 32.

2012 60 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Là où les auteurs postulent un public homosexué, Ecrans Mixtes questionne de facto l'idée de festival 'uniquement' « pour et par » la communauté homosexuelle. Il y a pluralité des publics.

1.2.2. Cinéphilie et public Afin de mesurer la cinéphilie du public, deux critères ont été retenus : d'une part le type de salle dans lesquelles le public déclare sortir (classée ou non « art et essai ») et d'autre part la fréquence à laquelle les spectateurs d'Ecrans Mixtes se rendent au cinéma.

Type de salle Art et essai Centre ville / Chaînes Autre243 % public 71,60% 11.83% 23.67% Fig. 9 : Type de salles fréquentées par le public d'Ecrans Mixtes (plusieurs réponses possibles) Le public d'Ecrans Mixtes semble préférer le CNP, le Comoedia et l'Institut Lumière au Pathé et à l'UGC. Il s'agit là d'une préférence déclarée et non d'une réalité observable (biais statistique à prendre en compte : les publics sont conscients du degré de légitimité des salles sus-mentionnées). De manière intéressante, une part non négligeable de personnes qui se rendent dans les chaînes déclarent aller au cinéma plus d'une fois par semaine – 17.5%. On peut supposer qu'il s'agit là de personnes abonnées à l'année, possiblement cinéphiles.

Fréquence Plus d'une fois par semaine Entre les deux Moins d'une fois par mois % public 11.74% 42.98% 45.28% Fig. 10 : « Vous vous rendez au cinéma …. » (un seul choix possible, en spectateur unique) Les 42.98% de personnes qui déclarent se rendre au cinéma entre une fois par semaine et une fois par mois sont à comparer à la fréquentation moyenne des salles au niveau national, telle qu'établie par le CNC en 2011 : 5,4 films par an en moyenne, par spectateur244. Il s'agit cependant d'un chiffre donné par le public et donc à prendre avec précaution (on ne sait rien de leur pratique effective), mais qui laisse penser qu'une partie des spectateurs d'Ecrans Mixtes correspond aux catégories « réguliers » et « assidus » du baromètre du CNC, les plus à même de fréquenter les salles d'Art et Essai245. Ce que l'on voit apparaître ici, c'est la coexistence au sein d'Ecrans Mixtes de publics aux niveaux de cinéphilie différents. Cela contraste avec les chiffres données par Ruby Rich sur Frameline San Francisco : 80% du public de ce festival n'irait pas au

243 Salles non classées art et essai mais n'appartenant pas à un groupe type UCG / Pathé 244 CNC, Bilan 2011 du CNC, n°322, 2012, p. 58. 245 Ibid., p. 68.

2012 61 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

cinéma le reste de l'année246. Les autres FFGL ne donnent aucune statistique sur le sujet.

De manière générale, le public hétérosexuel est plus enclin à citer des salles dites « d'art et essai » et se rend plus souvent au cinéma que les publics LGBTQ (fig. 11). Cela tend à valider l'hypothèse d'un public (ou d'une partie du public) hétérosexuel plus « cinéphile ».

Hétérosexuels Non hétérosexuels Type de salle fréquentées Art et essai 72.03% 67.52% Centre ville / autres 15.25% 10.19% Chaînes 19.49% 29.30% Fréquence Plus d'une fois / semaine 15.24% 9.21% Entre les deux 46.34% 39.47% Moins d'une fois /mois. 38.41% 51.32% Fig. 11 : Fréquence et type de salle fréquentée en fonction de la sexualité Les publics d'Ecrans Mixtes se distinguent doublement de ceux des FFGL traditionnels : par la forte proportion d'hétérosexuels présents, mais aussi par une posture relativement cinéphile : on est ici plus proche des festivals de film traditionnels que d'un « simple » événement orienté vers une communauté. Ce que ces statistiques mettent en valeur, c'est une certaine multiplicité des publics, parallèle au pluralisme des grilles de lecture et d'analyse.

1.2.3. Publics et scènes culturelles emboitées Cette analyse quantitative permet de mettre en valeur la diversité des publics d'Ecrans Mixtes. Cependant, elle ne nous renseigne pas sur leur origine ou sur les conséquences discursives d'une pluralité de spectateurs. Ici, une analyse en termes de scènes culturelles247 peut s'avérer intéressante.

Scènes culturelles : entre lieux et identité La scène culturelle est un concept a priori gênant pour le sociologue, tant il est ancré dans le sens commun248. Tentant de dépasser cet état de fait, Straw définit la scène comme :

246 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 180. 247 Will STRAW, « Cultural scenes », Loisir et société/Society and Leisure, 2004, vol. 27, no 2. 248 Alan BLUM, « Scenes », Public, 2001.

2012 62 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

« des clusters particuliers d'activité culturelle et sociale, sans pour autant spécifier la nature des frontières qui les délimitent. Les scènes peuvent être distinguées par leur lieu (…), par le genre de la production culturelle qui leur donne une cohérence (…) ou par les activités sociales, plus vaguement définies, autour desquelles elles prennent forme (…). »249 Zielinski résume en précisant qu'une scène est définie par le nexus spatialité - production culturelle250. Pour Blum, la scène est dominée par une régularité (récurrence et temporalité sans quoi elle « meurt »)251 et des barrières à l'entrée252 : pour faire partie d'une scène, il conviendrait d'avoir une certaine forme de connaissance et de capital sous-culturel253, prélude à l'intégration dans une communauté forte (la scène est fondamentalement un espace collectif qui délimite les identités, dans une optique postmoderne)254. On serait « membre » d'une ou de plusieurs scènes, qui influeraient sur la représentation collective et sur l'identité de ses membres (ce que Blum appelle la performance et la théâtralité)255.

Chez Straw, la scène « émerge de l'excès de sociabilité qui entoure la poursuite d'intérêts [culturels] »256. Elle est nécessairement ancrée dans un lieu – qui la conditionne matériellement et discursivement (et vice versa), ce qui la distingue de la communauté.

Dans une optique plus postmoderne, les spectateurs (individuels) du Festival Ecrans Mixtes peuvent appartenir à une ou plusieurs scènes culturelles, ancrées dans un territoire donné et reflets de leurs identités nécessairement multiples. A travers les scènes, ils forment leurs propres grilles d'analyse des différents genres culturels : leur capital sous-culturel est, chez Thornton, le résultat du développement de capacités interprétatives spécifiques, à travers leur implication dans des sous-cultures particulières257.

Dès lors, une analyse en termes de scènes culturelles permet d'apporter des éléments qualitatifs aux statistiques, en (1) spécifiant l'origine (culturelle) possible des spectateurs d'Ecrans Mixtes, (2) tenant compte de la diversité sexualle et-cultuelle du public et (3) établissant des liens discursifs réflexifs entre différents « milieux » et différentes

249 Will STRAW, « Cultural scenes », op. cit., p. 12. [Je traduis] 250 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 220. 251 Alan BLUM, « Scenes », op. cit., p. 10. 252 Ibid., p. 13. 253 Sarah THORNTON, Club Cultures: Music, Media, and Subcultural Capital, University Press of New England, 1996, 208 p. 254 Alan BLUM, « Scenes », op. cit., p. 12. 255 Ibid., p. 13–14. 256 Will STRAW, « Cultural scenes », op. cit., p. 412. [je traduis] 257 Sarah THORNTON, Club Cultures, op. cit.

2012 63 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

compréhensions d'Ecrans Mixtes. L'insistance sur le « lieu » de la scène comme prenant part à la formation de la « communauté sous-culturelle » et conditionnant son développement est ici intéressante, en ce qu'elle permet de cartographier différents schèmes identitaires spécifiques à Lyon, que l'on retrouve chez les spectateurs.

Délimiter les scènes culturelles d'Ecrans Mixtes Deux sources de données peuvent être utilisées pour délimiter les scènes culturelles qui inter-agissent avec Ecrans Mixtes : les ressources organisationnelles (et notamment la sociographie des membres de l'association) et les entretiens (la discussion « informelle » était orientée sur les pratiques culturelles habituelles). Bien évidemment, le « milieu » gay lyonnais (symbolisé par les boîtes de nuit, lieux associatifs et de sociabilité) est une de ces scènes, activée par la présence d'un journaliste à Hétéroclite et d'un membre du FGL dans l'organisation et mise en relation via la distribution de catalogues dans les bars gays et lesbiens du 1e arrondissement. On la retrouve dans les entretiens n°5 (homme homosexuel), 12 et 13 (femmes lesbiennes).

Parallèle au « milieu », mais se démarquant par une volonté contre-culturelle, la scène queer peut être délimitée par les soirées Middlegender (dont l'équipe organisatrice est assez similaire à celle d'Ecrans Mixtes), Bunny Slut, Arm Aber Sexy (du Lavoir – dont les bénévoles sont souvent les mêmes que ceux d'Ecrans Mixtes), une « culture queer » (New Queer Cinema ou mouvements culturels Queer Wave) et éventuellement le collectif Only Porn (projet créé par quelques membres de l'association). Ici, il y a une opposition nette à la normativité et à la politique assimilationniste de la scène gay et lesbienne traditionnelle, un jeu sur le genre ainsi qu'une plus grande ouverture aux publics hétérosexuels. Les personnes interrogées n°1, 5, 11 et 14 (hommes homosexuels) et n°9, 10 (femmes hétérosexuelles) sont impliquées – à des degrés différents – dans cette scène.

Là aussi relativement proche, en raison de lieux communs avec la scène queer, le milieu culturel « alternatif » et/ou contre-culturel résonne avec Ecrans Mixtes. Il s'exprime principalement au Sonic et au Grrrnd Zero. Les personnes interrogées n°1 (homme homosexuel, organisation de concerts), n°2 et 10 (femmes hétérosexuelles), n°3 et 8 (hommes hétérosexuels, organisation de festivals et/ou d'évènements musique / image contre culturels) s'inscrivent dans ce cadre. Ici, la scène contre-culturelle fait écho à une partie de la programmation et notamment au choix de John Waters, considéré comme le « pape » du trash et du mauvais goût. Elle se distingue notamment par la fabrique du « hype », pour reprendre les travaux de Thornton.

Le milieu féministe lyonnais inter-agit aussi avec Ecrans Mixtes – ce que l'on voit

2012 64 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

dans les entretiens n°4 (femme lesbienne – animatrice d'une émission de radio féministe) et n°6 (femme hétérosexuelle, étudie la notion de genre) – notamment dans le questionnement sur le genre.

On pourrait en outre citer la scène cinématographique légitime (Institut) ainsi que celles spécifiques à certains évènements (Germanophones du Goethe Institut sur Scène de chasse en Bavière).

A travers cette analyse en termes de scènes, couplée aux statistiques sur le public, on voit bien comment Ecrans Mixtes est un événement multiple, fondamentalement polysémique, dès lors que l'on s'interroge sur les spectateurs. Que ce soit dans la compréhension de l'évènement en termes de lieu, de temporalité, de ressources, de champs discursifs ou dans l'interprétation de la programmation et de la communication, Ecrans Mixtes permet la coexistence de différentes scènes (fig. 12) et de publics aux caractéristiques sexuelles et aux niveaux de cinéphilie différents.

Fig. 12 : Exemple de modélisation des différentes scènes culturelles inter-agissant avec Ecrans Mixtes.

2012 65 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine 2. Ecrans Mixtes, hétérotopie sexuée et auto-constitution du/des public(s) - « Pourtant je crois qu'il y a - et ceci dans toute société - des utopies qui ont un lieu précis et réel, un lieu qu'on peut situer sur une carte ; des utopies qui ont un temps déterminé, un temps qu'on peut fixer et mesurer selon le calendrier de tous les jours. (...) On ne vit pas dans un espace neutre et blanc; on ne vit pas, on ne meurt pas, on n'aime pas dans le rectangle d'une feuille de papier. » - Michel Foucault258 On sait donc que le public du Festival est varié – et que cela découle (en partie) d'une stratégie consciente d'Ecrans Mixtes. Cela ne nous renseigne cependant pas sur la manière dont le public se comprend dans l'espace discursif, sur la manière dont il s'inclut ou non dans « le » Festival, dans « le » public. Un festival de film gay et lesbien, c'est à la fois un lieu « autre », une utopie localisée et temporalisée (une hétérotopie, aurait dit Foucault) et un point de rencontre entre différents spectateurs aux caractéristiques socio-culturelles éparses, constitués en « un » public. 2.1. Ecrans Mixtes : une hétérotopie sexuée Traditionnellement, le rapport d'un festival aux lieux, aux spectateurs et à la « mission politique » est envisagé sous le spectre de la communauté imaginée d'Anderson259. Pour Iordanova, par exemple, le festival et sa production discursive participeraient à une double communauté imaginée : d'une part, constituée par l'évènement en train de se dérouler (communauté du festival) et d'autre part élargie par la médiation « personnages des films » / thématique / spectateurs (dans ce cas, communauté gay et lesbienne au sens large)260. Le concept de communauté imaginée permet ici de mettre l'accent sur la dimension performative et politique (imaginée) des FFGL, mais rend peu compte de la constitution de l'espace et du public en tant que « communauté ». Autrement dit, on voit bien comment le public du festival peut être imaginé et comment l'évènement participe à la figure discursive de ce qu'est être homosexuel, mais, comme le souligne Rhyne261, la formation « du » public en tant que communauté reste à questionner.

258 Michel FOUCAULT, Le corps utopique, les hétérotopies, Paris, Editions Nouvelles Lignes, 2009, p. 23. 259 Benedict Anderson, Imagined Communities, op. cit. 260 Dina IORDANOVA, « Mediating Diaspora : Film Festivals and « Imagined Communities » », op. cit. - le lien entre les deux communautés imaginées est, chez Iordanova, possible grâce à la temporalité du festival et est soutenue par les médiascapes propres à la communauté. 261 Ragan RHYNE, Pink dollars, op. cit., p. 26. Pour Rhyne, la communauté est une notion libérale qui cacherait les conditions (matérielles et discursives) de production (de la culture, de l'évènement, du public) et naturaliserait les rapports hiérarchiques.

2012 66 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

2.1.1. Le Festival comme hétérotopie sexuée A l'inverse, le concept foucaltien d'hétérotopie insiste sur la constitution géographique, discursive et temporelle du Festival comme événement262 ; on cherche donc à analyser le public en présence et localisé bien plus que sa projection imaginée et performative. De manière schématique, pour Foucault, une u-topie est un lieu qui n'existe pas, un endroit imaginé. L'hétérotopie, à l'inverse, serait un « autre lieu », un « contre espace », réel et à la marge de la société :

« Or, parmi tous ces lieux qui se distinguent les uns des autres, il y en a qui sont absolument différents : des lieux qui s'opposent à tous les autres, qui sont destinés en quelque sorte à les effacer, à les neutraliser ou à les purifier. Ce sont en quelque sorte des contre- espaces. (…) je rêve d'une science - je dis bien une science - qui aurait pour objet ces espaces différents, ces autres lieux, (…) [une] science [qui] étudierait non pas les utopies, puisqu'il faut réserver ce nom à ce qui n'a vraiment aucun lieu, mais les hétéro-topies, les espaces absolument autres (...) »263 Hétérotopie et Festivals de Films Gays et Lesbiens. comme le démontre Zielinski264, les caractéristiques de l'hétérotopie soulignées par Foucault s'appliquent particulièrement bien aux FFGL. Pour Foucault, à toute société correspondraient des hétérotopies, notamment de crise biologique (rites de passages ou lieux dédiés à la manifestation de la sexualité hors de la société) et de déviation 265. Les FFGL remplissent ici les deux rôles : précisément créés pour rassembler en un lieu ceux que la société considérait, et considère toujours au sens sociologique, comme déviants266, ils fonctionnent comme des lieux d'affirmation d'une sexualité (ou d'une identité) hors de l'espace public hétéro-normé (crise biologique).

Pour Foucault, le lieu-cinéma est d'ailleurs une hétérotopie en soi : il « juxtapose en un lieu réel plusieurs espaces, qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles »267 et connait son propre découpage du temps268. Ce phénomène est accru lors d'un FFGL : les lieux physiques de l'évènement cohabitent avec les « lieux » des

262 Le concept d'hétérotopie varie selon les écrits entre pôles discursifs – préface des Mots et des Choses – et géographique – dans les hétérotopies. 263 Michel FOUCAULT, Le corps utopique, les hétérotopies, op. cit., p. 24–25. 264 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 172. 265 «c'est-à-dire des lieux que la société ménage dans ses marges, (...) [qui] sont plutôt réservés aux individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée. » Michel Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies, op. cit., p. 26–27. 266 Skadi LOIST et Ger ZIELINSKI, « On the development of Queer Film Festivals and their media activism », op. cit. 267 Michel FOUCAULT, Le corps utopique, les hétérotopies, op. cit., p. 29. 268 Ibid., p. 30.

2012 67 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

films projetés, mais aussi avec les « scènes » localisées des différents spectateurs, ce que Zielinski appelle « un nexus de relations entre des endroits potentiellement variés, leurs publics et les programmes des films »269. Le festival fonctionne en outre à la fois comme « hétérochronie » (le temps qui s'accumule, l'archive, redécouverte), comme juxtaposition de temporalités et comme « hétérotopie chronique », festive et récurrente.

Zielinski va plus loin, lorsqu'il superpose à cette analyse les temporalités et lieux queer ; le festival devient dès lors emblématique d'une certaine sociabilité gay et lesbienne : il reflète de manière kaléidoscopique l'ensemble de ces « autres lieux » sexués. Aux films, Zielinski juxtapose donc une géographie variable (bars, salles de sports, ...) : le festival n'est pas une communauté imaginée, mais il informe (par un jeu de miroir) sur certains aspects de « la » (supposée) communauté (imaginée, gay et lesbienne). L'hétérotopie entraîne ici un jeu d'identification (ou de désidentification) . Ce constat est basé sur l'implicite d'un public « semblable »270 (au moins au niveau de l'identité sexuelle) :

« La figure du miroir [hétérotopique de Foucault], que je prends ici comme métaphore institutionnelle, raisonne superbement avec les expériences d'un festival de film gay et lesbien (…), dans lequel les spectateurs expérimentent un jeu d'absence et de présence très similaire, dans les projections, dans les filles d'attentes, lorsqu'ils " matent ", etc, a travers des mécanismes subtils de ressemblance, d’empathie, d'identification, de dés-identification etc. (…) En bref, le festival lui-même prend place dans et produit un endroit unique. »271 D'autre part, les hétérotopies sont

« la contestation de tous les autres espaces (...) en créant une illusion qui dénonce tout le reste de la réalité comme illusion (…) ou au contraire en créant réellement un autre espace réel aussi parfait, aussi méticuleux, aussi arrangé que le nôtre est désordonné, mal agencé et brouillon »272. Les FFGL constituent à la fois des lieux de contestation de l’hétéro-normativité naturalisée (e.g. : volonté de corriger les représentations) et des tentatives d'espaces « autres », sûrs pour les personnes LGBT : des utopies localisées.

De l'intérêt d'une analyse centrée sur l'hétérotopie L'insistance sur le lieu est ici primordiale, pour plusieurs raisons : en utilisant le concept foucaltien d'hétérotopie, le chercheur situe nécessairement le festival hors de la

269 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 174. Je traduis. 270 qui transparait très clairement p. 173. 271 Ibid., p. 170. Je traduis. 272 Michel FOUCAULT, Le corps utopique, les hétérotopies, op. cit., p. 34.

2012 68 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

société. L'évènement est dès lors circonscrit dans la salle et dans les halls du cinéma, qui lui donnent corps. C'est parce que le festival se limite à ces lieux qu'il acquiert une dimension rituelle, contient des normes et un ethos qui ne correspondent pas à ceux de « la » société. En ce sens, Ecrans Mixtes est à la fois dans la sphère publique, en tant qu'évènement annoncé, a priori ouvert à tous (on est libre d'entrer ou de sortir de certaines hétérotopies) et hors de la vie quotidienne : il y a réalisation d'une utopie à la fois localisée et temporalisée, circonscrite, dans laquelle l'hétérosexualité n'est plus une norme de fait.

Là où la « communauté imaginée » prend pour point de départ l'ordre discursif et une mise en commun quasi totalisante qui ne permettent que peu une pluralité de compréhensions de l'évènement, l'hétérotopie insiste sur la situation du festival dans la sphère sociale. Il s'agit avant tout d'un discours, d'une temporalité, d'une localisation ; il s'agit de normes particulières qui ne présagent en rien de la réaction des publics qui entrent dans cet autre espace sexué. L'hétérotopie n'a pas la force normative de la communauté273 – concept qui suppose à un degré ou à un autre un contrôle social ou une mise en commun – mais elle permet d'étudier la réaction des différents publics à un espace « autre », dans lequel les règles globales de fonctionnement de la société peuvent être altérées. On rejoint ici le constat de Zielinski : le festival n'est pas en soi une « communauté » (contrairement à l'analyse de Iordanova), mais peut à travers le jeu hétérotopique participer à une « communauté » plus large. On est ici proche de la notion d'espace socio-sexuel, développée par McWilliams dans le cadre du festival de film gay et lesbien de Brisbane274.

Tous les entretiens témoignent, à des degrés divers et variés, d'une conceptualisation d'Ecrans Mixtes comme espace hors de la société, comme hétérotopie et/ou utopie localisée dans laquelle (1) l'hétérosexualité n'est pas forcément une norme, (2) un certain « public » est rassemblé (hétérotopie de déviation) ce qui permet une autre socialisation, et/ou (3) les positions sexuelles (en termes de pouvoir) sont inversées. En ce sens, l'hétérotopie est consciente. Si des discussions proches du concept de « communauté » ont eu lieu, elles ne concernaient pas directement le Festival, mais davantage les scènes culturelles parties prenantes.

Comme le souligne encore Michel Foucault, l'hétérotopie a « toujours un système d'ouverture et de fermeture qui [l']isole par rapport à l'espace environnant »275. Si l'on

273 Tony BLACKSHAW, Key Concepts in Community Studies, op. cit. 274 Kelly MCWILLIAM, « « We re Here All Week »: Public Formation and the Brisbane Queer Film Festival », op. cit. p 1 275 Michel FOUCAULT, Le corps utopique, les hétérotopies, op. cit., p. 32.

2012 69 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

voit bien comment l'hétérotopie est circonscrite en termes de temps et de lieu, on ne sait finalement pas grand chose de « l'entrée » dans cet espace autre. Pour paraphraser Foucault, Ecrans Mixtes est un événement « ouvert ». Cela ne signifie pas pour autant que l'on « entre » dans l'hétérotopie facilement (question des déterminants sociaux), ni même que l'on s'y sent appartenir (question de l'adhésion – au sens de membership).

2.1.2. Stratégies identitaires des publics dans l'hétérotopie Il n'est pas facile de connaître la réaction des publics à l'hétérotopie : de manière générale, demander à un spectateur « comment il a vécu son hétérosexualité dans un festival de film gay et lesbien » (par exemple, et de manière caricaturale) aboutit inévitablement à une réponse en faux-semblant (de type « mais je n'ai aucun problème avec cela »276). Pour autant, il est probable qu'il y ait des ajustements (conscients ou non) sur les plan des interactions symboliques, dans la manière de se présenter et d'afficher sa sexualité.

Stratégies identitaires et (hétéro)sexualité dans l'hétérotopie C'est en tout cas ce que tendent à confirmer les observations anthropologiques.

Une première technique a trait au coming out hétérosexuel. Ainsi, par plusieurs reprises, on a pu voir des hommes, manifestement hétérosexuels, qui agrippaient la main de leur amie alors qu'ils arrivaient devant le cinéma. Les deux protagonistes, à chaque fois, étaient venus sans se tenir la main. Ces personnes signifient de fait leur hétérosexualité dans la sphère hétérotopique277. Parfois, le signe est plus discret. A la bibliothèque du 1e, lors des séances consacrées aux documentaires (lesbiens), un homme hétérosexuel se faisait accompagner d'une amie (non LBGT). Sans être pour autant en couple, leur proximité et leur fermeture aux personnes extérieures agissaient comme un puissant signifiant. Lors de l'entretien, cet homme a précisé qu'il n'y avait pas ici de stratégie, tout en confirmant qu'il ne s'était – de fait – pas intéressé aux autres spectateurs278. D'autres encore, plus ou moins discrètement, glissaient dans une conversation à leurs amis – assez fort pour que cela soit entendu – une référence à leur hétérosexualité (« ma copine (...) » ou les plus transparents « je ne suis pas homosexuel » et « vous les homos »)279.

Parfois, déterminer s'il s'agit ou non d'une stratégie est délicat : que faire des

276 Cf notamment l'entretien n°7 : dès que la sexualité est abordée, la personne (femme hétérosexuelle) multiplie les « je n'ai aucun problème avec ça … je ne regarde pas ça » 277 Observé les samedi 10 mars – Cruising - ; et sur la rétrospective John Waters (CNP Terreaux) 278 Entretien n°15, homme hétérosexuel. 25/05/2012 279 Observé pendant la rétrospective Waters et sur Naissance des pieuvres.

2012 70 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

nombreuses personnes hétérosexuelles effectivement venues en couple, sans stratégie spécifique ? A travers l'enquête papier, on peut estimer que 38.92% des personnes hétérosexuelles étaient venues accompagnées uniquement de personnes ne s'identifiant pas comme LGBT, contre 14,11% des non-hétérosexuels. Ce différentiel ne nous renseigne cependant pas sur le statut de l'accompagnateur (couple ou amis), ni sur la raison de l'accompagnement (s'il s'agit d'une stratégie ou d'une « simple sortie entre amis »280). L'utilisation de la stratégie du coming out hétérosexuel est difficile à quantifier.

Une variante réside dans l'auto-justification de la présence au Festival par un discours emprunt d'un certain capital sous-culturel ou cinématographique légitime : sur la rétrospective, il s'agissait de montrer que l'on était un aficionado de John Waters, parce qu'il était une figure contre-culturelle281. Sur les Nuits Fauves282, certains vantaient le film tout en développant l'histoire de sa production et les raisons pour lesquelles celui-ci était un classique du (vrai) cinéma, avec une connaissance quasi encyclopédique. Ici, la présence dans la sphère hétérotopique est justifiée par la connaissance du champ - « je viens parce que c'est un festival de (vrai) film, et non un FFGL ».

La stratégie du passing est plus difficilement observable pour le sociologue : il s'agit de « ne pas se faire remarquer » comme hétérosexuel, consciemment, tout en étant mal à l'aise dans la sphère hétérotopique. Des petits détails montrent que cette stratégie a été utilisée : de nombreuses personnes hétérosexuelles (d'après leurs conversations informelles avec des amis, entendues à la volée) ont coché les cases « bisexuels », « pansexuels » ou « ne souhaite pas répondre » sur l'enquête, érigées en options de repli. A ce titre, on peut s'interroger sur la sur-représentation des catégories bi/pan (15.80% des spectateurs) dans l'échantillon statistique. Il ne s'agit pas de nier que la bisexualité est une identité sexuelle, mais simplement de voir comment, de manière situationnelle, elle peut être utilisée comme 'droit d'entrée' dans une sphère LGBT.

Genre et stratégie Ces stratégies sont difficiles à évaluer et à quantifier. On observe cependant un différentiel homme / femme, qui se retrouve dans les entretiens : les hommes sont plus

280 Typiquement sur les John Waters les plus connus ; Pink Flamingos et Hairspray. Le nombre de personnes hétérosexuelles venues accompagnées sans amis LGBT est impressionnant, mais peut être imputé (au moins partiellement) au statut du film (« culte »). 281 Observé lors de la rétrospective, et largement développé dans les entretiens n°3, homme hétérosexuel, 12/04/2012 et n°9, femme hétérosexuelle, 04/05/2012 282 Cyril Collard, Les Nuits fauves, G.C.T.H.V., 1992.

2012 71 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

enclins à ajuster leur identité et à justifier leur présence283. On peut en partie l'expliquer par l'histoire croisée des mouvements féministes, gays et lesbiens284 (autrement dit, une féministe hétérosexuelle dans une sphère homosexuée n'a rien d'inédit) – cas de l'entretien n°6 du 22/04/2012 - et par le mythe de la « fille à pédé »285 (entretien n°9 du 04/05/2012), sous étudié sociologiquement : il existerait une « proximité » sociale entre (certaines) femmes hétérosexuelles et les personnes gays.

En ce qui concerne les hommes hétérosexuels, les sociologues du genre ont montré à quel point la pression vers une masculinité hégémonique (nécessairement sexuée) était forte. Un des meilleurs exemples ici reste le travail de McGuffey et de Lindsay Rich : elles démontrent la force de la pression à la masculinité à travers les jeux d'enfants286. La sexualité, virile, est une composante majeure de la masculinité287, et ce même dans l'âge288 ou dans le cas d' « hommes hétérosexuels couchant avec d'autres hommes »289. Pour Kimmel, la masculinité est en soi homophobique290. Cette position radicale ne distingue pas les différentes formes de masculinités291 et semble simpliste. Pour Theodore et Basow, la masculinité serait un composant de l'homophobie, dans une perspective interactionniste292. Cela explique en partie la faiblesse de la part des hommes hétérosexuels dans le public d'Ecrans Mixtes et les stratégies identitaires qu'ils mettent en place, que ce soit pendant le Festival ou dans le refus de répondre à des entretiens.

A l'inverse, la féminité soulignée [emphasized femininity]293 est plus difficilement

283 On retrouve des justifications claires dans les quatre entretiens avec des hommes hétérosexuels, contre seulement deux femmes hétérosexuelles sur cinq. 284 On trouvera un résumé de ces relations chez Sebastien Chauvin, « Les aventures d’une «alliance objective». Quelques moments de la relation entre mouvements homosexuels et mouvements féministes au XXe siècle », L’Homme et la société, 2005, no 4. 285 Eve Kosofsky SEDGWICK, Epistemology of the closet, op. cit., p. 267–268 ; Deborah THOMPSON, « Calling all fag hags: from identity politics to identification politics », Social Semiotics, avril 2004, vol. 14, no 1 ; Stephen MADDISON, Fags, hags, and queer sisters, Macmillan Press Basingstoke, 2000 ; Dan SHEPPERD, Adrian COYLE et Peter HEGARTY, « Discourses of Friendship between Heterosexual Women and Gay Men: Mythical Norms and an Absence of Desire », Feminism & Psychology, 21 mai 2010, vol. 20, no 2. 286 C. Shawn MCGUFFEY et B. Lindsay RICH, « Playing in the Gender Transgression Zone », op. cit. 287 Isabelle CLAIR, « Le pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel », Agora débats/jeunesses, 2012, no 1. rend bien compte ici du différentiel homme / femme 288 Toni CALASANTI et Neal KING, « Firming the floppy penis », Men and Masculinities, 2005, vol. 8, no 1. 289 Jane WARD, « Dude-Sex », op. cit. montre à quel point les narratifs autour de ces pratiques visent à maintenir une masculinité hégémonique. 290 Micheal KIMMEL, « Masculinity as homophobia », in Gender relations in global perspective, essential readings, Toronto, Canadian Scholars’ Press, 2007, pp. 73–82. 291 Robert HEASLEY, « Crossing the borders of gendered sexuality: queer masculinities of straight men », in Thinking Straight: The Power, the Promise, and the Paradox of Heterosexuality., New York, Routledge, 2005, pp. 109–129. 292 Peter S. THEODORE et Susan A. BASOW, « Heterosexual Masculinity and Homophobia », Journal of Homosexuality, 23 décembre 2000, vol. 40, no 2. 293 R. CONNELL, Gender and power: Society, the person, and sexual politics, Stanford Univ Pr, 1987 ; R.W.

2012 72 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

définissable294. Si elle est bien entendu hétérosexuelle, elle insiste moins sur la « pratique » sexuelle, en tant qu'il convient d'éviter la figure de la « pute »295. L'intégration dans la sphère homosexuée est en outre facilitée par le mythe de la « lesbienne invisible » : on cherche moins à voir qui est lesbienne et qui ne l'est pas. La pression à l'hétérosexualité (obligatoire)296 est forte, mais peut se conjuguer avec la présence dans une sphère homosexuée.

2.1.3. Rapports différenciés à l'hétérotopie Dans cet espace autre, outre les stratégies mises en place par les publics hétérosexuels, on observe des rapports différenciés à l'hétérotopie festival : une interprétation à géométrie variable de ce qui constitue l'espace et de ses raisons d'être.

Hétérotopie et publics au / du Festival Ainsi, il apparaît au vu des entretiens et des observations que les lieux du Festival influent sur la constitution de l'hétérotopie en tant qu'espace sexué. Par exemple, les séances à la Bibliothèque de la Part Dieu ne s'inscrivent pas uniquement dans l'espace Ecrans Mixtes, mais aussi dans une autre hétérotopie : la Bibliothèque. De manière relativement claire, il y a coexistence de publics aux caractéristiques socio-sexuelles différentes, parvenus par des circuits différents. Empiriquement, on peut estimer qu'environ la moitié du public à la séance La naissance des pieuvres297 n'était pas venu dans le cadre d'Ecrans Mixtes et ne savait pas ce qu'était le Festival 298. Ce constat a été confirmé par l'entretien n°7299. Il est en outre relayé au niveau statistique, puisque 77.78% des spectateurs sur cette scéance n'ont vu aucun autre film du Festival300. Dans le même ordre d'idée, le fait que 25.00% des spectateurs de cette séance aient refusé d'indiquer leur adresse mail (contre 13.60% sur l'ensemble du Festival) tend à indiquer que le public est, quelque part, différent. Parler ici d'Ecrans Mixtes comme hétérotopie sexuée est peut-être correct, mais cela cache la co-présence de publics au (venus pour

CONNELL et Raewyn CONNELL, Masculinities, Univ of California Pr, 2005. 294 Guenther Katja. 2012. Sociology of Gender SOC 28. UC Riverside, Spring 12. 295 Isabelle CLAIR, « Le pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel », op. cit. 296 Adrienne RICH, « Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence », op. cit. 297 Céline SCIAMMA, La naissance des pieuvres, 2007. 298 Observation participante : je distribuais ce jour là les catalogues à l'entrée de la séance. Or, environ la moitié des personnes présentes étaient surprises d'une manière ou d'une autre que la séance s'inscrive dans le cadre d'un festival 299 Femme hétérosexuelle, 40aine, qui a vu des Waters et La naissance des pieuvres. Lorsque l'on a abordé sa perception du public, la première réponse (spontanée) était « gay », pour nuancer derechef, en se penchant sur les spécificités de la séance à la Part Dieu (public différent, pas venus pour le Festival mais pour le film). 23/04/2012 300 Travail quantitatif, enquête. Croisement des données par adresse mail ; les spectateurs n'ayant pas fourni leur adresse mail – non identifiables sur l'ensemble du Festival – ont été exclus.

2012 73 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

une séance sans savoir ce qu'était Ecrans Mixtes) et de publics du Festival. De la même manière, Bye Bye Blondie301 était une avant-première française, en présence de Virgine Despentes, très attendue par certains : les tickets ont été vendus en moins de 48 heures302. 85.39% du public n'a vu aucun autre film303. On peut légitimement supposer que cette séance dépasse le cadre du Festival.

Ici, ce qui importe finalement, c'est le différentiel entre le public au festival (i.e. personnes présentes) et celui du festival (personnes présentes pour Ecrans Mixtes). Le fait qu'Ecrans Mixtes soit un espace hétérotopique ne présage en rien de la manière dont les publics (au festival) envisagent l'évènement.

D'autre part, le fait que les publics du festival aient généralement conscience de l'hétérotopie ne signifie pas qu'ils la comprennent de la même manière. Cela ne nous dit rien sur la façon dont les spectateurs utilisent et se saisissent de l'hétérotopie Ecrans Mixtes (en tant qu'espace physique et discursif). Un bref panorama des entretiens permet de montrer qu'il existe différents « buts » assignés, spécifiques à la constitution d'un espace « autre ».

Ainsi, l'hétérotopie est propice pour certains à une réflexion sur la norme, à la manière des cercles féministes des années MLF304 ou des groupes homosexuels révolutionnaires305 (qu'ils soient non-mixtes ou non)306. Pour d'autres, l'hétérotopie est communautaire : le foyer d'une culture LGBT307 ou queer308, spécifique à un sous- groupe social, et qui ne pourrait s'exprimer en dehors de l'espace festival. Parfois, l'espace du Festival est perçu comme un endroit où la pression sexuelle est moindre309. Il

301 Virginie DESPENTES, Bye Bye Blondie, 2012. 302 Entretien compréhensif avec le personnel du Comoedia, 4 mars 2012 303 Travail quantitatif, enquête. Croisement des données par adresse mail ; les spectateurs n'ayant pas fourni leur adresse mail – non identifiables sur l'ensemble du Festival – ont été exclus. 304 Typiquement deuxième vague féministe. Sur la prise de conscience (« empowerement ») féministe par la constitution d'hétérotopie, cf par exemple : Catherine Achin et Delphine Naudier, « La libération par Tupperware? », Clio, 2009, no 1 ; Manon Labry, « Riot Grrrls américaines et réseaux féministes « underground » français », Multitudes, 2010, vol. 42, no 3 mouvement lesbien, prise de conscience à travers la musique); Christine Delphy, Un universalisme si particulier: Féminisme et exception française (1980-2010), Paris, Editions Syllepse, 2010, 354 p. (une des figures du MLF, théorisation de la non mixité) 305 Guy HOCQUENGHEM, Le Désir homosexuel, Nouv. éd., Fayard, 2000, 180 p. montre bien ce travail à travers le FAHR – notamment. 306 Entretien n°4, 13/04/2012 – femme homosexuelle, féministe ; entretien n°6 du 22/04/2012 étudiante hétérosexuelle (travaille sur le genre) ; entretien n°11 du 13/05/2012 – homme homosexuel (variante gay révolutionnaire, type FAHR) 307 Entretien n°5 – homme homosexuel 16/04/2012 308 Entretien n°9 – femme hétérosexuelle – se définit comme queer. 04/05/2012 309 On s'inspirera ici du concept de « safe space » américain, issu des mouvements féministes et LBGTQ ; littéralement endroit sûr, où tous et toutes sont « respectées ». La notion est largement répandue mais n'a été que peu théorisée. Pour un aperçu de ce qu'est un « safe space », cf : Creating Safe Space for GLBTQ Youth: A Toolkit, http://www.advocatesforyouth.org/publications/608?task=view, consulté le 1 juillet

2012 74 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

s'agit typiquement du cas des femmes hétérosexuelles : dans le cadre du Festival, les rapports de domination sexuelle, s'ils existent toujours, sont altérés. La nécessité pour une femme de se conforter à un ethos de la féminité soulignée est amoindrie et il n'y pas pas d'insistance sur la drague310. De manière plus classique, l'hétérotopie est vue comme rendant possible la diffusion d'une culture cinéphile, basée sur des représentations non conventionnelles. A travers cet exemple du but, on voit bien comment le rapport du public du et au Festival à l'hétérotopie varie, selon des critères socio-sexuels.

(dé)-sexualisation de l'hétérotopie Jusqu'alors, on a postulé qu'Ecrans Mixtes était une hétérotopie (homo)sexuée. Or, cette caractéristique reste à prouver. De manière générale, toutes les personnes interrogées définissent le Festival comme gay, mais à des degrés divers et variés. 55% d'entre eux n'émettent aucune réserve sur le caractère LGBTQ du Festival. Aucune différence à ce niveau n'est observée entre les personnes hétérosexuelles et homosexuelles. Dans de rares cas, la notion d'espace homosexuel n'est pas uniquement liée à la sexualité : dans les entretiens n°4 et 6311, elle est étendue aux cercles féministes. Elle est restreinte dans l'entretien n°9312 à une simple « culture » (par opposition à et déconnectée de la sexualité).

Plus intéressant : on observe une certaine désexualisation du Festival, dans les entretiens n°1, 2, 3 et 13313 . Il s'agit généralement de justifier sa présence dans le cadre du Festival et/ou de se détacher d'un public perçu comme « trop » homosexuel (peur du milieu).

Dans le même état d'esprit, on observe une perception sexuée du public plus accrue chez les personnes hétérosexuelles interrogées. 72.22% d'entre elles perçoivent les spectateurs d'Ecrans Mixtes comme quasi-exclusivement homosexuels (en réalité, ceux qui ne fréquentent pas assidument les lieux ou organisations gay et lesbiennes), contre 42.86% des non-hétérosexuels (les autres insistent sur la pluralité du public) On peut donc supposer que, dans une sphère homosexuée, la perception de l'identité sexuelle du public par les hétérosexuels tend à être biaisée. Deux hypothèses peuvent être avancées. (1) Il est probable qu'un spectateur hétérosexuel, malgré tout, ne se sente pas « appartenir » à Ecrans Mixtes comme « festival gay et lesbien de film ». (2) Une personne hétérosexuelle qui n'a pas l'habitude de fréquenter les scènes gays et queer

2012. 310 Entretien n°2, 9 et 10 – femmes hétérosexuelles. 311 Femmes respectivement homo et hétérosexuelles, toutes deux féministes. 312 Femme hétéro se définissant comme queer. 04/05/2012 313 Respectivement : homme gay , femme hétéro, homme hétéro, femme lesbienne

2012 75 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

peut présumer que tous les publics présents sont homosexuels314, comme le souligne d'ailleurs l'entretien n°5 (homme homosexuel) :

Après j’ai souvent eu l’impression que les hétéros, quand il y a une majorité d’homosexuels, il ne perçoivent pas qu’il y a des hétéros. C’est à dire que quand ils sont dans un lieu où il y a une majorité homosexuelle, ils le voient comme un lieu homo, où il n’y a que des homos. Ils ne sont pas habitués à être dans un lieu où il y a plus d’homos. Donc forcément, pour eux il n’y avait pas d’hétéros.315 2.2. Délimiter le(s) public(s) : auto-constitution des publics et hétéropublics A travers les stratégies identitaires mises en place dans l'hétérotopie et les justifications de certains spectateurs, notamment hétérosexuels, on voit bien que l'affiliation – au sens du sentiment d'appartenir – à Ecrans Mixtes est à géométrie variable. Ici, il convient de penser les publics, dans leur pluralité.

2.2.1. Du public (sing.) aux publics (plur.) : vers les hétéro-publics Le terme public (sing) est en soi problématique, puisqu'il présuppose une entité indistincte, une masse sociale dont les caractéristiques socio-culturelles (1) ne sont pas strictement définies et (2) n'influent pas sur leur statut social de spectateur 316. Etudier « le » public, c'est en outre généralement s'attacher à la relation de sens entre spectateurs et formes culturelles, rarement à l'appartenance « au » groupe.

Polysémie des/du public/s et festival de film – des lacunes des analyses en termes de contrepublics et de spectateurs critiques Reste à savoir ce que signifie « prendre en compte le public ». Les études de cas utilisent deux concepts différents : les spectateurs critiques317 et les contrepublics318

314 Un travail de psychologie sociale sur la géographie sexuée serait ici intéressant afin d'explorer plus en avant les liens entre espace homosexué et perception de la sexualité des personnes présentes. 315 Entretien n°5, homme homosexuel, bénévole Middlegender & Lavoir. 16/04/2012 316 Micheal WARNER, Publics and Counterpublics, New York, Zone Books, 2002, p. 65. 317 Michele AARON, New queer cinema: a critical reader, Piscataway, NJ, Rutgers University Press, 2004, 204 p. 318 Cindy Hing-Yuk Wong, Film festivals, op. cit., p. 161 ; Gerald J. Z. Zielinski, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 207–228 ; Kelly McWilliam, « « We are Here All Week’: Public Formation and the Brisbane Queer Film Festival », op. cit., p. 17 ; Skadi Loist et Ger Zielinski, « On the development of Queer Film Festivals and their media activism », op. cit., p. 50.Micheal WARNER, Publics and Counterpublics, op. cit., p. 9.

2012 76 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Spectateur critique : entre psycho-analyse et réception critique, une notion peu propice à l'analyse d'un public. Dans les années 1970, l'analyse textuelle avait permis de montrer que la représentation agissait en termes d'institution, d'idéologie et de sémiotique – le structuralisme d'Althusser et de Barthes permettait ici une étude des codes signifiants présents dans les films. Parler de public au singulier a un sens, puisque le film est vu comme agissant (de par sa structure) sur le spectateur dé-personnifié. Leur penchant pour la psychanalyse (notamment pour l'identification à l'écran-miroir, analogie basée sur Lacan et développée par Metz319) doit être replacé dans le zeitgeist des années 1970. Cependant, si de tels travaux permettent d'explorer un lien – précaire – entre idéologie et films, ils tendent à constituer le spectateur comme récepteur passif face à un film véritable 'seringue hypodermique' lasswellienne320.

La distinction opérée par Judith Mayne entre 'viewers', 'subjects' et 'spectators' complexifie l'analyse321. Pour elle, le 'viewer' est la personne réelle, derrière l'écran- cinéma, dans une position passive ('il regarde'). Ce sont les 'publics-voyeurs'322, expression qui insiste sur l'action de regarder, davantage que sur un processus actif. Le « sujet » concerne la personne influencée par le film : dans la théorie classique, il s'agit du public tel que manipulé (au sens de soumis à et constitué par) par l'idéologie du film. Le troisième terme nous semble plus intéressant : Mayne appelle 'spectatorship' (le spectateur) la position entre le public-voyeur et le sujet. C'est l'acte de médiation : le spectateur désigne celui qui voit – passivement – aussi bien que celui qui transforme (et est transformé par) l'expérience cinématographique. Il s'agit du public codeur-décodeur.

Si Mayne postule qu'un spectateur type existe (rejoignant ainsi les théories sémiotiques et structuralistes), de manière parallèle au sujet (formé par l'idéologie), elle admet la possibilité d'un 'spectateur critique' [critical spectatorship]323 et condamne l'absence relative de travaux sociologiques sur la réception324. En effet, le spectateur

319 Christian Metz, Le Signifiant imaginaire: psychanalyse et cinéma, Paris, Union générale d’éditions, 1977, 392 p ; Pour l'application la plus célèbre, notamment en termes de genre, voire : Laura Mulvey, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Screen, 1975, vol. 16, no 3. 320 Cette optique perdure jusque dans les années 90. A titre d'exemple, Tania MODLESKI, « Femininity by design: Vertigo », in The women who knew too much: Hitchcock and , New york, Routledge, 1989, pp. 78–100 complexifie l'argument de Mulvey mais garde l'iéde d'un spectateur homme soumis à un film psychanalyse – il ne crée pas le sens ; Jane GAINES, « White privilege and looking relations: Race and gender in feminist film theory », Cultural Critique, 1986, no 4. étudie la formation d'un regard « blanc » dans le cinéma, regard quasi-automatique. 321 Judith MAYNE, Cinema and Spectatorship, Routledge, 2002, p. 36–37. 322 Terme qui joue sur les théories psychanalytiques du cinéma 323 Judith MAYNE, Cinema and Spectatorship, op. cit., p. 162–198.. 324 Ibid., p. 80–83.

2012 77 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

critique, dont l'exemple canonique reste la communauté gay et lesbienne325, est loin d'être une notion sociologique qui permettrait l'étude du public : ce concept désignerait avant tout une lecture contestataire des représentations contenues dans Hollywood, dans le contexte des culture wars américaines326. Le spectateur critique est fondamentalement LGBTQ – de ce statut sexuel découle la possibilité d'une lecture contestaire des médias proposés. Ainsi, la base de son raisonnement restent les manifestations de groupes LGBT contre des films tels que Desperate Living (John Waters)327 ou Cruising (William Friedkin)328, tous deux projetés à Ecrans Mixtes et accusés de propager une « mauvaise image » de l'homosexualité.

La notion de spectateur critique – en tant que membre du public qui n'a pas une lecture « traditionnelle » des films proposés – peut sembler séduisante. Cependant, elle tend à consacrer la réception dans l'ethos textuel des années 70 : elle postule une « lecture juste » des films – basée sur Mulvey329 et sur l'interprétation psychologisante de la forme cinéma, de laquelle se démarquent certains spectateurs, ce qui complique l'analyse de la réaction des publics :

« Cette dernière [l'analyse psychologique et textuelle] a été dominée par une analyse basée sur le texte et, en particulier, par le structuralisme, la psycho-analytique et leurs dérivés. Bien que ces approches aient été importantes, elles n'ont laissé que peu de place pour explorer les processus par lesquels différentes audiences (…) comprennent différemment le film »330. Comme le souligne aussi Miller :

« L'imbrication de l'audience et de l'esthétique à travers les questions de représentation est un effet durable de cette histoire [les études de films] (…). [Or] selon votre politique, cela peut mener à montrer '' les codes culturels du patriarcat '' (…) ou les '' modes de représentation de l'Autre'' »331. On est clairement plus dans l'analyse de l’idéologie que du public – le spectateur critique est avant tout celui qui n'a pas une lecture traditionnelle de l'idéologie du film

325 Ibid., p. 164. 326 Qui a notamment donné lieu à une conférence au double sens révélateur (comment je regarde / à quoi je ressemble?), dont les actes ont été publiés. Bad Object-Choices (Organization), How do I look? : queer film and video, Seattle, Bay Press, 1991. Voire particulièrement l'introduction. La liste des participants – Mayne, Fung, De Lauretis (avant son tournant queer) – et des critiques (Rainer / Dyer) est révélateur de ce double focus théories psychanalytiques de l'écran / mouvements gay et lesbiens proto-queer. 327 John Waters, Desperate Living, N/A ; Pour un aperçu de la polémique : Jeff Garlin, This Filthy World, 2006. 328 William Friedkin, Cruising, 1980 ; Pour un aperçu de la polémique : A. Wilson, « Friedkin’s Cruising, Ghetto Politics, and Gay Sexuality », Social Text, 1981, no 4. 329 Laura MULVEY, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », op. cit. 330 John GABRIEL, « What do you do when minority means you? Falling Down and the construction of ‘whiteness’ », Screen, 20 juin 1996, vol. 37, no 2. p.132 [Je traduis] 331 Toby MILLER et Robert STAM, A companion to film theory, Wiley-Blackwell, 2004, p. 4. [Je traduis]

2012 78 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

du fait d'un statut / d'une histoire culturelle (sexué.e.s). Or, les Cultural Studies du centre de Birmingham ont montré la polysémie des réceptions et le rôle du public – actif et créant le sens. Dans cette mesure, parler d'idéologie en dehors du sujet semble abusif. Les lecteurs « surimposent un savoir non fictif sur les textes de fiction. Le sens est créé dans l'intertexte »332, ce que l'on retrouve très clairement dans le travail de Katz et Liebes sur Dallas333.

La notion de spectateur critique est en outre problématique en tant qu'elle réifie des groupes de spectateurs. Le « critique » est attaché à et découle d'un statut sexuel chez Mayne. Il n'y a pas de processus de codage – décodage, mais une identité de laquelle découle la position. Schématiquement, utiliser la notion de spectateur critique dans le cadre d'Ecrans Mixtes conduirait à dire que les spectateurs hétérosexuels ont une lecture « juste » ou « normale » des films proposés, là où les personnes LGBTQ seraient dans la relecture contestataire. De plus, l'analyse de l'hétérotopie Ecrans Mixtes montre que (1) l'appartenance au Festival est à géométrie variable (autrement dit, le « critique » est préliminaire au « spectateur ») mais aussi que (2) le fait de « voir » un film n'est pas le seul phénomène à prendre en compte dans l'étude « des » publics.

Les (contre-)publics warnerien : de la polysémie « du » et « des » publics. Pour Warner, la vraie difficulté consiste à définir ce qu'est « un public » : il s'agit à la fois d'une construction socio-historique et d'une figure d'intelligibilité334, à la manière de l'auteur foucaltien. « Un » public est à la fois indéterminé335 (il s'agit d'un bloc impersonnel) et spécifique à un espace discursif336. Il est « auto-organisé », c'est-à-dire qu'il est créé et se crée par le discours. L'adresse au public (relativement similaire à l'interpellation d'Althusser), à la fois personnelle et impersonnelle, est constitutive de ce dernier : « Le discours public doit être compris dans deux directions : comme adressé à nous [en tant que membre du public] et comme adressé à des étrangers. (…) Notre subjectivité entre en résonance avec celle des autres, et ce immédiatement »337. Il y a circulation du texte parmi le public, une « relation entre des étrangers »338, ce qui lui donne une existence propre : « La particularité d'un public est qu'il s'agit d'un espace discursif organisé par le discours. Il se crée lui-même et est auto-organisé »339. Il n'existe donc pas en dehors du discours et de l'évènement : il est spontané. Faire parti d'un

332 Toby MILLER, The well-tempered self, op. cit., p. 65. [Je traduis] 333 Tamar LIEBES et Elihu KATZ, The export of meaning, op. cit. 334 Micheal Warner, Publics and Counterpublics, op. cit., p. 9. 335 Ibid., p. 65. 336 Ibid., p. 66. 337 Ibid., p. 76. Je traduis. Il s'agit ici d'une distinction majeure avec l'interpellation Althusserienne. 338 Ibid., p. 74. Je traduis 339 Ibid., p. 67-69. Je traduis, italique dans l'original

2012 79 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

public demande une participation minimale (faire attention est suffisant)340 ; les membres du public ont conscience d'en faire partie. Par opposition, Warner utilise « le » public comme entité nécessairement imaginée et projetée, par les organisateurs / les auteurs d'une part et par les membres « du » public d'autre part.

Le caractère im/personnel de l'adresse à un public est particulièrement important, en tant que cela présuppose à la fois des discours totalisants (qui visent le public potentiel, ce que Warner appelle « les étrangers ») et spécifiques (aux membres du public). L'unité « du » public est purement « idéologique » ; le discours s'adresse à une pluralité de spectateurs dont la seule caractéristique commune est de partager l'espace discursif à un moment donné, ce qui tend à entériner des relations de pouvoir dans l'espace discursif. La tension entre personnel et impersonnel dans l'adresse au public tend, réflexivement, à constituer un public particulier :

« Les discours publics ne disent pas seulement " qu'un public existe" mais " qu'il ait ces caractéristiques, qu'il parle de cette façon, qu'il voit le monde de cette manière ". Ils vont ensuite chercher la confirmation qu'un tel public existe (…) L'unité du public est (…) idéologique. Elle dépend de la stylisation de la lecture, comme acte réplicable [à l'identique] et transparent, elle dépend d'une fermeture sociale arbitraire (…), elle dépend de formes institutionnalisées de pouvoir (…). Pour ces raisons, certains publics sont plus à même de passer pour le public (...) »341 Dans ce contexte où Ecrans Mixtes est un espace discursif, l'intérêt de Warner est de définir ce qu'est « le » public du Festival, en tant qu'étrangers adressés. On voit bien ici comment se définit une vision normative de ce qu'est « le » public de l'évènement ; comment certains membres « du » public peuvent ne pas se sentir inclus dans « le » public. En cela, la notion de « contrepublics » prend exactement le contrepied des « spectateurs critiques », en s'attachant d'abord à l'analyse des personnes parmi lesquelles un texte circule, notamment en termes d'identité discursive. Ainsi, pour Asen :

« Certains publics ne se développent pas simplement comme un parmi une constellation d'entités discursives, mais comme des alternatives explicitement positionnées contre des publics plus larges (…). La manière dont les contrepublics se positionnent contre les publics plus larges peut être explorée (…) en se concentrant sur la reconnaissance et l'articulation de l'exclusion à travers les normes et pratiques discursives. »342 On retrouve peu ou prou la même notion chez Warner :

340 Ibid., p. 71-72. 341 Ibid., p. 114-117. Je traduis. Emphase dans l'original. 342 Robert ASEN, « Seeking the « Counter, » in Counterpublics », Communication Theory, 2000, vol. 10, no 4. p.424 [Je traduis]

2012 80 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

« D'autres publics se démarquent (...) de tout public général ou dominant. Leurs membres ne sont pas un simple 'sous public', mais sont constitués à travers une relation conflictuelle au public dominant. (…) »343. On serait tenté de chercher un « contrepublic » dans l'espace Ecrans Mixtes. Or, la notion présuppose des luttes de pouvoir discursif. Chez Warner, mais aussi chez Asen, les contrepublics dérivent de et s'opposent au public spécifique d'un événement, mais aussi à la sphère Habermassienne. Autrement dit, le contrepublic est nécessairement « dominé » discursivement, ce que l'on retrouve chez Fraser (référencée par les deux auteurs) : « [ils sont] des arènes discursives parallèles où les membres de groupes sociaux dominés inventent et font circuler des contre-discours pour créer des interprétations oppositionnelles de leurs identités, intérêts et besoins »344.

Cette notion de subordination est gênante à trois égards : (1) ne pas se sentir incarner « le » public ne signifie pas nécessairement développer une compréhension oppositionnelle – cela présupposerait qu'il y ait une « lecture juste » ou « majoritaire » du public et de l'évènement ; (2) combien même ce serait le cas, il n'y a pas forcément de rapport de subordination (je peux développer une interprétation différente du texte sans être dominé) ; (3) on voit mal en quoi un membre du public hétérosexuel serait dominé – même de manière situationnelle – lorsqu'il développe une identité oppositionnelle.

La grande faiblesse de la notion de contrepublic s'explique en partie par l'origine intellectuelle de ses théoriciens : à mi-chemin entre études de la sphère publique, études textuelles et queer studies345, ils maintiennent (volontairement chez Warner) l'ambiguité du terme « public », fondamentalement polysémique. Le (contre)public du Festival est assimilé à et confondu avec « une » sphère (contre)publique (dans « la » sphère publique Habermassienne). Cela explique donc que Zielinski (entre autres) définisse les FFGL comme espaces discursifs « contrepublics », par rapport au (grand) public, au sein desquels existeraient des « sous » contrepublics (BDSM, etc)346.

343 Micheal Warner, Publics and Counterpublics, op. cit., p. 118. Je traduis. 344 Nancy FRASER, « Rethinking the Public Sphere: A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy », Social Text, 1 janvier 1990, no 25/26. Je traduis 345 Chez Warner, les personnes LGBT sont d'ailleurs emblématiques des contrepublics 346 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 208–228.

2012 81 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Ce qu'il manque aux (contre)publics, c'est à la fois un sens précis et un référentiel. Si le concept permet d'attirer l'attention sur la constitution des publics par le discursif, il ne permet finalement pas d'étudier les différences d'adhésion à l'espace hétérotopique.

Penser l'auto-constitution des publics : des community studies aux hétéropublics Il manque donc un concept qui permettrait de penser l'adhésion « au » public du Festival et les différences de « lecture » de l'espace discursif.

Apport des études psycho-sociologiques et des community studies Les études psycho-sociologiques et les community studies permettent d'envisager le « groupe » et l'adhésion au collectif. Ainsi, McMillan et Chavis s'intéressent au « sens de la communauté »347 (entendue ici au sens large, de collectif). L'adhésion au groupe, définie comme le sentiment d'être investi dans une tâche avec d'autres et d'appartenir à l'organisation, est pour eux fondamentale. Elle présuppose des « frontières » (le lieu cinéma) qui permettent de distinguer les 'membres' potentiels de la population générale. Celles-ci permettent une « sureté émotionnelle » et le développement d'une « intimité » entre les protagonistes (ici, l'intimité peut se lire comme en lien avec l'orientation sexuelle). Le sentiment d'appartenir au collectif est fonction de la croyance en ou de l'attente d'une forme d'acceptation du groupe, de l'investissement personnel et ce sentiment est renforcé par la présence de symboles communs (fonction de cohésion).

Parmi les éléments qui facilitent fortement l'intégration, McMillan et Chavis notent le sentiment d'être « lié » (ou opposé à d'autres groupes348) aux autres (cinéma, sexualité), l'accomplissement de besoins à travers le collectif et le lien spirituel entre les protagonistes. Les hypothèses de contact [contact hypothesis]349 et de la valeur partagée des évènements [shared valent event hypothesis]350, à la base de leur raisonnement, s'appliquent relativement bien au cadre d'un FFGL.

347 David W. MCMILLAN et David M. CHAVIS, « Sense of community: A definition and theory », Journal of community psychology, 1986, vol. 14, no 1. 348 Henri TAJFEL, « Social identity and intergroup behaviour », Social Science Information, 1 avril 1974, vol. 13, no 2. 349 De manière très schématique : plus les gens interagissent, plus il y a des chances qu'ils deviennent proches. Sur la sexualité, Gregory M. Herek et Eric K. Glunt, « Interpersonal contact and heterosexuals’ attitudes toward gay men: Results from a national survey », Journal of Sex Research, 1993, vol. 30, no 3 a montré que l'hypothèse de contact s'appliquait parfaitement : connaître des personnes LGBTQ tendrait à favoriser l'acceptation de l'homosexualité. 350 Schématiquement : plus un événement partagé entre les participants est jugé important, plus le sentiment d’appartenance à une communauté est renforcé.

2012 82 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Fig. 13 : McMillan et Chavis : théorisation du sens de la communauté351 Bien que leur modèle s'applique principalement aux « communautés », terme flou, on serait tenté de voir là une analyse de l'adhésion à l'évènement Ecrans Mixtes, c'est-à- dire de la constitution du public du Festival (et non au Festival). Cependant, s'il permet de comprendre pourquoi on se « sent » appartenir (intérêts sexuels et/ou cinématographiques partagés, frontières nettes, événement jugé important par les participants, présence de symboles, accomplissement de besoins, etc), que faire des publics qui se désolidarisent « du » public, s'estiment être « à part » ? D'autre part, ce modèle reste centré sur les communautés. Or, il serait ici intéressant de lier publics, adhésion et spectateurs (en tant que personnes regardant et constituées par une oeuvre).

Vers les hétéropublics : s'auto-exclure de l'hétérotopie. Finalement, ce qu'il manque à ces analyses, c'est l'hétérotopie foucaltienne : le croisement unique entre lieux, temporalités et identités. Ce qu'il faut penser, c'est le sentiment d'appartenance ou non au public du Festival – tous les termes sont ici importants. Comme on l'a montré précédemment, Ecrans Mixtes se distingue par une pluralité de publics et de discours qui permettent la venue de personnes différentes. Pour autant, cela ne veut pas dire que tous s'incluent dans « le » public (entité imaginée) de la même manière.

351 David W. MCMILLAN et David M. CHAVIS, « Sense of community », op. cit., p. 15.

2012 83 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

On proposera donc le terme « hétéropublic »352 - qui désigne les « publics qui se définissent comme autres » dans cet « espace autre », ceux qui se dés-identifient de l'hétérotopie et du public tels qu'ils l'imaginent. Alliant ici l'analyse de Asen et Warner aux community studies et au spectateur critique de Mayne, on fera l'hypothèse que – du fait de leur dés-identification – ceux-ci développent une lecture particulière et un usage différencié du Festival comme espace discursif. Ils se positionnent à la marge de ce qu'ils comprennent être Ecrans Mixtes.

2.2.2. Hétéropublics, (hétéro)sexualité, hétérotopie Afin de préciser la notion d'hétéropublic, il peut être bon de travailler sur la sexualité dans l'hétérotopie, en se concentrant sur le public du Festival : il va de soi qu'une personne qui n'était pas venue « pour » Ecrans Mixtes, mais qui a simplement regardé « un » film sans être consciente de l'existence d'un festival, ne peut être un hétéropublic en tant que le concept présuppose d'entrer dans l'hétérotopie (et d'en avoir conscience).

Hétéro-sexualité et hétéro-publics : se mettre à la marge Autant le préciser de suite : un hétéropublic n'est pas nécessairement hétérosexuel353 et un spectateur hétérosexuel ne fait pas nécessairement parti de l'hétéropublic354. Du fait de la polysémie de l'organisation Ecrans Mixtes, une personne non homosexuelle peut parfaitement s'intégrer dans l'espace hétérotopique, ce qui est d'ailleurs le cas de la plupart des personnes interrogées.

Hétéropublic, hétérosexualité et minoritaire La notion d'hétéropublic ne doit pas être confondue avec le concept du « minoritaire », aussi flou qu'il soit en sociologie355 .

Si on s'en tient aux trois sens du Robert356, être minoritaire, c'est au moins faire parti d'un collectif différencié (par des critères sociaux) au sein d'un groupe plus large (auquel on appartient quand même)357. Cette double appartenance ne transparait pas

352 Terme forgé dans un tout autre sens par Todd REYNOLDS, Security Exchanges: The Rise of Systematic Criminal Justice in the Gilded Age US Imagination,University of Florida, 2007 353 Parmi les non-hétérosexuels, les personnes interrogées n°1 et 13 peuvent être au moins partiellement comprises comme hétéropublics. 354 Parmi les hétérosexuels, les personnes interrogées n°6, 9, 10 (femmes) et 8 (homme) ne sont clairement pas des hétéropublics. 355 Bernard VOUTAT et René KNUESEL, « La question des minorités. Une perspective de sociologie politique », Politix, 1997, vol. 10, no 38. 356 « Le Petit Robert de la langue française », op. cit. 357 Sens II.3 : « Groupe englobé dans une collectivité plus importante », que l'on retrouve chez Gabriel Mugny, Claude Kaiser et Stamos Papastamou, « Influence minoritaire, identification et relations entre groupes: étude expérimentale autour d’une votation », Cahiers de Psychologie Sociale, 1983, vol. 19.

2012 84 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

dans l'hétéropublic : se mettre à la marge d'un public imaginé, c'est certes se différencier de la compréhension que l'on a d'un groupe, au sens large (« je ne suis pas le spectateur typique »), mais cela ne présuppose ni une identification à une minorité (type « au contraire, je suis X par rapport au groupe »), ni un critère social et/ou physique de différenciation.

Ce qu'il manque donc à l'hétéropublic pour être une minorité, c'est une conscience de groupe358 et un référentiel (ou mètre-étalon en terme deleuzien359) : la minorité est une position360 qui présuppose l'inadéquation avec le mètre-étalon d'une majorité identifiable, alors que l'hétéropublic se distingue à un moment donné d'un public imaginé et liquide. Par ailleurs, la perspective socio-psychologique insiste sur l'inclusion dans un groupe large, que l'on cherche à transformer ou à influencer 361. Autrement dit, un public minoritaire tendrait à vouloir un « autre » festival, à transformer l'espace discursif, ce qui n'est pas nécessairement le cas des hétéropublics. Un troisième élément permet de distinguer les deux notions : le minoritaire suppose l'infériorité – généralement qualitative (domination), parfois quantitative362.

En analysant le concept de « minorité », on peut voir en creux les biais que cela introduirait dans l'analyse du public hétérosexuel du Festival. Postuler que les hétérosexuels sont une minorité du public, c'est irrémédiablement poser la question de la conscience d'un groupe réifié par le sociologue. Or, les entretiens n°6, 9 et 10363 indiquent que les spectateurs hétérosexuels se sentent parfois inclus dans le public ; qu'en soi l'identité sexuelle n'est pas (toujours) déterminante du statut et de la position sociale d'un public. La notion de minorité introduirait ici un biais majeur en construisant et réifiant de facto un sous-groupe social, non pertinent au niveau empirique. De plus, dire que les personnes hétérosexuelles sont une minorité, c'est les opposer à « la » majorité, ce qui peut aller jusqu'à les considérer comme soumis dans une relation de pouvoir discursif. On voit mal comment les personnes hétérosexuelles, même de manière situationnelle, seraient dominées, dans le cadre d'un événement « minoritaire » (en tant qu'identitaire et contraire au mètre-étalon deleuzien). Ce serait finalement

358 Bernard VOUTAT et René KNUESEL, « La question des minorités. Une perspective de sociologie politique », op. cit. 359 Gilles DELEUZE, « Philosophie et minorité », Critique, février 1978, no 369. 360 Guillaume SIBERTIN-BLANC, « Deleuze et les minorités: quelle «politique»? », Cités, 2010, no 4.p.79 361 Chez Gabriel MUGNY, Claude KAISER et Stamos PAPASTAMOU, « Influence minoritaire, identification et relations entre groupes », op. Cit. 362 « Le Petit Robert de la langue française », op. Cit. Chez Deleuze, la situation est plus complexe : être non conforme à l'étalon mètre (être minoritaire) ne signifie pas pour autant avoir un devenir révolutionnaire / devenir majoritaire. De même, chez Foucault, la relation de pouvoir est autant le fait des personnes majoritaires que du minoritaire. 363 Femmes hétérosexuelles.

2012 85 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

consacrer une minorité (quantitative) dans la minorité (qualitative - homosexuelle).

Ce biais se retrouve dans les analyses en termes de spectateur critique et de contrepublic : si les auteurs présupposent que les personnes LGBTQ incarnent ces notions, y compris dans les festivals de film gay et lesbiens, c'est que ces concepts se basent précisément sur le phénomène minoritaire ; les FFGL sont perçus comme espaces alternatifs créés par et pour la minorité-communauté. Dans ce cadre, les personnes hétérosexuelles qui ne se sentent pas inclus relèveraient davantage de la majorité (elles ne seraient ni contrepublic ni spectateur critique, et dès lors auraient un comportement et une lecture « normale » et normée de l'évènement, qui correspondrait à la société de manière générale). C'est précisément là que la notion d'hétéropublic est précieuse, en se référant non pas à la société mais à l'hétérotopie même, en posant qu'il existe des « publics autres » et non des « statuts » (sexuels) qui conditionnent une lecture.

Appartenance à l'hétéropublic et hétérosexualité Revenons à McMillan et Chavis et à l'adhésion au groupe364 : leur analyse fournit des pistes intéressantes pour comprendre les liens entre hétéropublics et hétérosexualité.

A la base de leur raisonnement, la notion de frontière avait été comprise jusqu'alors comme « l'espace du cinéma ». Or, à cette délimitation physique se superpose la nature sexuée du Festival et une possible compréhension en termes d'espace privé / public. Traditionnellement, la sexualité (et surtout l'homosexualité) est intrinsèquement privée, tandis que l'espace public est hétérosexué365. Le FFGL inverse cet état de fait en tentant une réappropriation et re-signification de l'espace366, qui questionne de facto les frontières traditionnelles (homosexualité comme publique). Or, la frontière permet, pour McWilliams, la « sécurité émotionnelle » (emotional safety). Ici, il est concevable que cette modification de l'espace traditionnel questionne les schèmes hétérosexués, notamment en termes de stigma (homosexuel) et de naturalité (de l'hétérosexualité).

De même, le « sentiment d'appartenir et d'identification » semble plus difficile à atteindre pour une personne hétérosexuelle. Les codes sociaux et connexions émotionnelles ne sont pas forcément partagés. Une analyse en termes de communauté conduit donc à montrer que l'adhésion au public du Festival est plus difficile pour les

364 David W. MCMILLAN et David M. CHAVIS, « Sense of community », op. cit. 365 Phil HUBBARD, « Here, There, Everywhere », op. cit. ; G. VALENTINE, « (Hetero)sexing space: lesbian perceptions and experiences of everyday spaces », Environment and Planning D: Society and Space, 1993, vol. 11, no 4. 366 Rob KITCHIN, « Sexing the city: The sexual production of non-heterosexual space in Belfast, Manchester and San Francisco », City, 2002, vol. 6, no 2 ; Kelly MCWILLIAM, « « We re Here All Week »: Public Formation and the Brisbane Queer Film Festival », op. cit.

2012 86 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

personnes hétérosexuelles :

Fig. 14 : Sentiment d'appartenance à la communauté, vu par McMillan et Chavis et adapté aux FFGL : une intégration plus difficile pour les personnes hétérosexuelles. Cette analyse doit être comprise comme en interaction avec le Festival en tant qu'espace discursif : comme souligné précédemment, il n'y a pas de lecture « juste » d'Ecrans Mixtes, mais une pluralité de sens. Dès lors, la position individuelle du spectateur (cinéphilie – sexuelle) compte autant que la manière dont il comprend le public et le Festival (« rapport à l'hétérotopie »). Par exemple, prenons le cas d'un spectateur hétérosexuel qui comprend Ecrans Mixtes comme festival gay et lesbien de film et pour qui le public est principalement constitué de personnes LGBTQ : cette personne tendra davantage à être un hétéropublic qu'un cinéphile qui y verra un « festival de film » gay et lesbien.

Fig. 15 : Modélisation de la relation compréhension de l'hétérotopie et caractéristiques du spectateur : tenter de définir ce qui constitue l'hétéropublic. Deux cas particuliers : dés-identification et hétéropublics Comme souligné précédemment, tous les publics hétérosexuels ne sont donc pas hétéropublics, et tous les hétéropublics ne sont pas hétérosexuels. Deux situations,

2012 87 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

informées par les entretiens, permettent de compléter ce panorama de l'adhésion au Festival.

Homosexualité, dés-identification, sensibilité queer et inclusion dans le public Comme il n'existe pas une identité hétérosexuelle, l'homosexualité est fondamentalement un phénomène pluriel : les normes, valeurs et idéologies d'une personne LGBTQ sont constamment négociées et individualisées. Les anglophones parlent ici du queer et du LGBT comme termes « parapluies »367, ce qui ne doit pas nous faire oublier les différentiels de statut social368 et les glissements / luttes de pouvoir sémiotiques369. Pour Eribon, l'identité homosexuelle est en soi « irréalisable » :

« Les gays adoptent (...) [diverses] identités disponibles [qui] ont pour point commun de se trouver toujours, à un moment ou à un autre, dans une situation ou dans une autre, en porte à faux avec le monde social environnant »370. S'inspirant de la performance queer et de l'ascèse homosexuelle foucaltienne, il affirme qu'une identité homosexuelle ne peut être stable et qu'elle est soumise au nexus identité (sexuelle) – assimilation (dans la société de manière générale), tension structurante du mouvement LGBTQ371.

Le point de départ du raisonnement d'Eribon, le non-dit, illustre parfaitement notre propos : il existe, chez certaines personnes LGBTQ, un rejet de la « communauté » ou du « milieu » homosexuel (si tant est qu'ils existent). Le « milieu » est, pour ces personnes, le locus d'une homosexualité normative (en tant qu'identité), stéréotypée, position au niveau individuel qui peut aller jusqu'au rejet de la-sexualité-comme- identité (mais rarement de sa-sexualité-comme-identité). Autrement dit, tout en rejetant les mouvements gays, certaines personnes s'identifient individuellement comme LGBT, mais nient l'idée d'une identité de groupe, groupe imaginé duquel ils se désolidarisent. Deux entretiens avec des personnes homosexuelles témoignent d'un hétéropublic clair, lié au rejet de la communauté372.

367 Annamarie JAGOSE, « Queer theory », Australien Humanities Review, 1996. 368 Ruth E. FASSINGER et Julie R. ARSENEAU, « « I’d Rather Get Wet Than Be Under That Umbrella »: Differentiating the Experiences and Identities of Lesbian, Gay, Bisexual, and Transgender People. », in Handbook of counseling and psychotherapy with lesbian, gay, bisexual, and transgender clients, Washington DC, American Psychological Association, 2007, pp. 19–49. 369 Ian Barnard, « Queer race », Social Semiotics, 1999, vol. 9, no 2 ; Pour une analyse du concept appliqué à la représentation cinématographique : Antoine Damiens, « Queer Race: A poststructuralist analysis of the semiotic of representation - Contamination of meaning and (White, homosexual) queer », UC Riverside - MCS 143K Queer that kills. Pr Harris, Spring 2012. 370 Didier ERIBON, Réflexions sur la question gay, Paris, Fayard, 1999, p. 164. 371 Eve Kosofsky SEDGWICK, Epistemology of the closet, op. cit. 372 Entretien n°1 du 26/03/2012, homme homosexuel. Entretien n°13 du 16/05/2012, femme lesbienne.

2012 88 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Un moyen d'analyser ce phénomène reste la notion de stigma373. Ces personnes se détachent du stigma de l'homosexualité, qu'ils projettent sur un groupe imaginé et stéréotypé, pour mieux s'en séparer (autrement dit : « je suis homosexuel, mais pas comme eux, moi je suis normal »). On est bien loin des analyses américaines de la dés- identification comme politique identitaire liée à un statut social et racial 374. Pour Hodges :

« Il y a des 'décalages' dans la participation, quand une personne est engagée dans le " faire " et se retire pourtant d'une identification avec la pratique. Dans ces exemples, l'identification est en relation avec la pratique [et non la communauté] »375. Typiquement :

Sans prétention, je pense que ceux qui vont au Marais [note : il s'agit ici de la boîte de nuit lesbienne lyonnaise, même si le raisonnement peut s'appliquer au quartier parisien] - en majorité, parce que bon, encore une fois j’y vais des fois - mais je pense qu’ils sont moins … intelligents ... c’est pas le mot, mais ils sont d’un autre milieu. Par exemple au niveau éducation je suis sûre que c’est très différent. Les amis que j’ai s’intéressent aux mêmes choses que moi à peu près. (...). Alors que par rapport aux gens du Marais, je me sens vraiment vraiment différente. C’est peut-être aussi une question d’âge, mais j’ai l’impression d’être vraiment différente d’eux. (...)376 Dans cet entretien, la personne définit deux « types » de lesbiennes : celles du « milieu » et les « alternatives et politiques », pour finalement se positionner en dehors de cette dichotomie, comme « personne normale », dont l'identité sexuelle ne serait pas déterminante. Dans l'entretien n°1377, on observe une dés-identification similaire : la personne affirme être gay, se désolidarise du « milieu » (qu'il critique), pour ensuite affirmer qu'il est venu en tant que cinéphile, et non en tant que personne LGBT (alors même que les goûts cinématographiques relevés lors de l'entretien sont liés à l'homosexualité – New Queer Cinema). Cette position est relativement courante378 – il existe en France un certain rejet du « milieu » homosexuel. Celui ci se retrouve d'ailleurs dans 3 entretiens (sur 7) avec des personnes LGBTQ379 et la « communauté »

373 erving GOFFMAN, Stigma: Notes on the management of spoiled identity, Touchstone, 1963. 374 On est bien loin de : Jose Esteban MUNOZ, Disidentifications: Queers Of Color And The Performance Of Politics, Univ Of Minnesota Press, 1999, 248 p. (par exemple) 375 Diane Celia HODGES, « Participation as Dis-Identification With/in a Community of Practice », Mind, Culture, and Activity, octobre 1998, vol. 5, no 4. p.278-279. Je traduis. 376 Entretien n°13 – femme homosexuelle. 16/05/2012 377 Entretien n°1 – homme homosexuel. 26/03/2012 378 Cf par exemple les narratifs proposés dans : Anne LAPORTE, « Facteurs socio-culturels et présentation de soi dans différents contextes d’enquête: Analyse d’un exemple de discordance », Bulletin de Méthodologie Sociologique, 1999, vol. 63, no 1. 379 Entretien n°1 du 26/03/2012 (homme homosexuel), entretien n°12 du 15/05/2012 et 13 du 16/05/2012 (femmes homosexuelles)

2012 89 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

homosexuelle est dénotée par 5 hétérosexuels380.

Ce qui caractérise plus particulièrement les entretiens n°1 et 13, c'est une dés- identification avec sa propre identité sexuelle dans la sphère hétérotopique : dire que l'on n'est pas venu parce gay mais comme cinéphile (étrange séparation), que l'on est donc différent du reste du public (jugé trop gay). Ecrans Mixtes est ici assimilé au « milieu gay » duquel certains se détachent. Il s'agit ici d'un paradoxe : chacune de ces personnes met en avant le caractère homosexué du Festival dans l'entretien, et ce dès le début, pour ensuite le réfuter et ainsi prouver qu'ils ou elles sont « différents » et ne correspondent pas à leur idée du spectateur type (stéréotype de l'homosexuel – qui ne serait pas cinéphile). Cette dé-sexualisation est donc avant tout stratégique, en tant qu'elle présuppose un espace sexué – duquel se démarquer individuellement. On est bien ici dans l'hétéropublic.

« I'm ashamed of my heterosexuality ! »381 : Hétérosexualité queer et inclusion dans l'hétérotopie Une autre forme de dés-identification est ici intéressante : lors des entretiens, une personne se définissait alternativement comme queer et comme hétérosexuelle382 : elle manifestait une dés-identification avec ce qu'elle appelait le « milieu » hétérosexuel383.

Là encore, ce phénomène n'est pas inédit : Skeggs384 et Casey385 insistent sur la part importante de femmes hétérosexuelles dans le « milieu » gay (homme). Il s'agirait d'éviter la domination masculine et les risques sexuels :

« à l'abri de la présence constante du regard des hommes dans l'espace hétérosexué, il s'agit d'un endroit loin de l'évaluation et du jugement (…). Il s'agit d'un endroit pour être invisible, pour ne pas être forcée de participer au le marché hétérosexuel. »386 Cette prise en compte de la domination masculine387, liée à la fréquentation plus assidue de personnes gays, se retrouve aussi dans les entretiens n°2 et n°9 :

[Entretien 2] C’est horrible, je déteste [dire cela], ça fait vraiment

380 Entretiens n°2, 7 (femmes hétérosexuelles), entretiens n°3, 15 et 15b (hommes hétérosexuels) 381 Citation tirée de John WATERS, Cecil B. DeMented, 2000 ; film projeté à Ecrans Mixtes. Littéralement : « J'ai honte de mon hétérosexualité ! » 382 Parce qu'elle s'identifiait comme queer, et en raison du parti pris pour l'auto-définition, celle-ci a été exclue de l'analyse des lectures différenciées de l'espace hétérotopique par les publics hétérosexuels. 383 Entretien n°9, 04/05/2012 384 Beverley SKEGGS, « Matter out of place: visibility and sexualities in leisure spaces », Leisure Studies, janvier 1999, vol. 18, no 3. pp.222-223 385 Mark CASEY, « De-dyking Queer Space(s): Heterosexual Female Visibility in Gay and Lesbian Spaces », Sexualities, 1 novembre 2004, vol. 7, no 4.p.448 386 Beverley SKEGGS, « Matter out of place », op. cit., p. 225. Je traduis. 387 Ce qui ne signifie pas qu'il n'existe pas de domination masculine dans le milieu LGBTQ – bien au contraire – mais qu'elle s'exprime – certainement – différemment.

2012 90 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

une case nulle à chier, mais je n’ai pas d’amis hétéros. Du coup, je me rend compte que quand je vais à une soirée, ils sont gays. J’ai pas un seul ami mâle hétéro. Du coup non, ce n’est jamais gênant [d'être dans un festival gay]. (...) [s'en suit une discussion informelle, hors enregistrement, sur la manière dont le " milieu hétéro " la gêne, du fait du " marché hétérosexuel "]388 [Entretien 9] Il y a peut-être aussi le traumatisme des bars “hétéros” où les gens sont exécrables (…) Ce qui est bien c’est que justement le soit disant milieu gay et lesbien, je le trouve beaucoup plus ouvert. (...). On va pas te dire “sale hétéro” alors que dans le milieu hétéro... C’est pas vraiment le cas. (...) [avec mes amis,] je ne disais pas que j’étais queer, ni que j’étais hétéro, mais de toute façon ils voulaient que je sois hétéro. Je ne veux plus trainer avec des hétéros. Après j’ai des copines hétéros mais bon. (...) J’ai l’impression d’être [gay] au fond, je préfèrerais l’être, être avec des gays et lesbiennes qu’avec des hétéros. Alors que malheureusement, je suis attirée par les garçons. Q : ça arrive même à des gens biens (rire)… (…) Je vois par exemple mes cousines - je n’ai pas de frères et soeurs - elles sont totalement ancrées dans les codes de ce que doit être la fille hétérosexuelle. Quand je les entend dire “les poils pubiens c’est pas naturel, attention”, je suis là “ah, c’est pas naturel?!” (rires). Je me demande comment j’ai échappé à ce lavage de cerveau. Quand je parle avec mes cousines, elles sont très hétéros et n'ont pas d’amis gay et lesbiens, je me dis “mon dieu”. J’ai l’impression qu’elles sont soumises. (...) On nous a mis ces idées dans la tête. Après parfois, pour faire plaisir, je sors, et je trouve ses amis mecs hétéros très agressifs avec moi, du genre “je te baiserais bien toute la nuit” et pour eux c’est normal. (...) Je sais que je ne rentre pas dans les codes de l’hétéro de base. (…)389 Il s'agit de ne pas avoir à se conformer à une féminité soulignée, normative, à l'image de ce que doit être « la »390 femme391. De manière intéressante, ce déficit en termes de féminité soulignée conduit certaines personnes à être identifiées comme potentiellement lesbiennes392. On a parlé ici de « gays » et non de personnes LGBTQ : de manière symptomatique, les filles hétérosexuelles fréquentent moins le milieu lesbien et les lesbiennes sont davantage gênées par la présence de femmes hétérosexuelles (à l'ethos plus normatif)393.

L'entretien n°9 se démarque ici doublement : par l'intensité du rejet de la norme

388 Entretien n°2 du 06/04/2012, femme hétérosexuelle 389 Entretien n°9, femme queer hétérosexuelle. 04/05/2012 390 Christine DELPHY, Un universalisme si particulier, op. cit. ; Monique WITTIG, La pensée straight, op. cit. (entre autres) critiquent cette notion (« la » femme) comme totalisante et idéologique. 391 Élément mentionné dans les entretiens 2, 6 et 9 – 3 femmes hétérosexuelles sur les 5 de l'échantillon 392 Claudia COCKBURN et Gill CLARKE, « « Everybody’s looking at you! »: Girls negotiating the « femininity deficit » they incur in physical education », 2002, vol.25, p. 658–659. Entretien n°6 et 9 : se disent ne pas correspondre à « la » femme et être parfois identifiées comme lesbiennes. 393 Mark CASEY, « De-dyking Queer Space(s) », op. cit. Entretien n°9 du 04/05/2012, femme hétérosexuelle : « je suis homo-érotique, je fréquente moins le milieu lesbien ».

2012 91 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

féminine et par l'identification avec le « milieu » gay. On est ici au delà de la « simple » « fille à pédé » : il y a une ré-identification avec le genre et la sexualité opposés (de femme hétérosexuelle à « j’ai l’impression que je suis un mec homo à l’intérieur », étrange retour de la figure de l'inverti / l'uranien394).

Afin de s'identifier comme « queer », la personne interrogée n°9 désexualise le terme et effectue un glissement sémiotique : d'« identité sexuelle », queer devient avant tout une « culture » (le nombre de références gay et lesbiennes citées dans l'entretien est d'ailleurs impressionnant395) et une « pratique politique » (contre l'assimilation). On retrouve cette idée d'un « mode de vie » et d'une culture « queer » dans l'entretien n°5396. Cette thématique est relativement ancienne dans les mouvements gays et lesbiens et rappelle le travail sur soi prôné par Michel Foucault, notamment dans l'amitié comme mode de vie : « Être gay, c'est, je crois, non pas s'identifier aux traits psychologiques et aux masques visibles de l'homosexuel, mais chercher à définir et à développer un mode de vie »397. Il est dès lors possible d'être « queer » sans être gay, voire même d'être plus queer que les gays eux-mêmes (discussions sur la politique des Nuits Fauves398, notamment sur le SIDA, ou sur les stratégies du mouvement LGBTQ, qui feraient presque penser à Act Up Paris) :

J’aimerais bien que les gens comprennent que quand je dis que je suis queer, ce n’est pas une identité sexuelle. Je n’aime pas me définir de manière sexuelle. (…) A chaque fois que j’ouvre un livre ou que j’écoute un disque on me dit que c’est queer. J’écoute les Smith donc c’est queer, c’est gay, alors que je ne suis pas un garçon gay. J’ai l’impression d’avoir des goûts de garçon gay arty, mais je ne suis pas ça. (…) C’est ça qui est bien avec la culture queer et Ecrans Mixtes, c’est qu’au fond on s’en fiche des étiquettes. (…) Le mot queer pour moi, après je ne vais pas faire dans la théorie, mais c’est plutôt une culture, et pas forcément une identité sexuelle. (...) Depuis 11/12 ans, je regarde des John Waters, j’adore tout ce qui est queer. Je ne sais pas comment l’expliquer. Je n’ai jamais vu cela comme quelque chose de ... Comme des étiquettes que l’on met sur les gens. Par exemple, quand je t’ai connu, j’ai dit que tu étais queer, parce que ta sexualité ne m'intéresse pas, mais que je reconnais plus tes goûts culturels. 399

394 H. ELLIS, Studies in the Psychology of Sex, Fa davis, 1910, vol.6 ; M.B. DUBERMAN, M. VICINUS et G. CHAUNCEY, Hidden from history: Reclaiming the gay and lesbian past, Plume, 1990, vol.1 ; G. CHAUNCEY, « From sexual inversion to homosexuality: Medicine and the changing conceptualization of female deviance », Salmagundi, 1982, no 58/59 ; Deborah T. MEEM, Michelle GIBSON, Michelle A. GIBSON et Jonathan F. ALEXANDER, Finding out, op. cit. 395 Entretien n°9, du 04/05/2012 : du new queer cinema, à l'indie electro queer, aux riots grrrls, en passant par les féministes radicales lesbiennes et les comiques gays américains... 396 Homme homosexuel, 20aine, bénévole Middlegender et Lavoir. 16/04/2012 397 Michel FOUCAULT et W.F. NASCIMENTO, « De l’amitié comme mode de vie », Gai pied, 1981, vol. 25, pp. 8– 20. 398 Cyril COLLARD, Les Nuits fauves, op. cit. 399 Entretien n°9 du 04/05/2012

2012 92 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

On serait tenté ici de rapprocher cette désexualisation de la discussion de Stadler sur la série Queer guy for the straight eyes400 : pour lui, il y aurait une « esthétique » queer, désexualisée401, qui traverserait l'histoire culturelle et à laquelle les personnes hétérosexuelles pourraient s'identifier. Celle-ci serait dépolitisée et marchandisée402, ce qui tranche avec l'entretien n°9 : dans celui ci, le 'queer' est contre-culturel et 'alternatif'403 ; il s'oppose à l'idée de 'norme' et de 'légitimité' (ce envers quoi on peut être critique).

On pourrait aussi penser à l'analyse de Milde : pour elle, la sensibilité queer est fondamentalement un phénomène postmoderne, lié à la marchandisation. Dépolitisée et basée sur la performance – a contrario de la notion d'homosexualité (essentialiste), elle permet d'assurer la différence nécessaire au développement du champ culturel tout en consacrant et participant à la diffusion / marchandisation d'une culture dans la matrice hétérosexuelle, des rôles que remplirait ici Ecrans Mixtes :

« Peut-être que tout le monde est queer d'une certaine manière, mais tout le monde, même dans l'époque du postmodernisme (…) de la société capitaliste tardive, ne devient pas le centre de blagues homophobes, n'a pas à craindre l'oppression, l'ostracisme ou la haine pour ses préférences sexuelles. Ainsi, le "queer" est clairement dé-homosexualisé (bien que, heureusement, pas de manière " phobique ") par la théorie queer, mais cette dé- homosexualisation, paradoxalement, est en soi inhérente à ce que j'ai provisoirement appelé une " sensibilité gay ". »404 Cette dé-sexualisation est paradoxale, en tant qu'elle se base sur ce qui est généralement décrit comme une « identité » sexuelle. Ce qui rend le narratif cohérent, c'est l'utilisation du champ discursif comme « culture queer », rendue publique. Ce paradoxe est clairement présent dans l'entretien n°9 : à plusieurs reprises, on peut y voir une contradiction entre la définition d'un queer hors sexualité et le milieu homosexuel / gay libérateur (basé sur une identité sexuelle). Quoi qu'il en soit, ce glissement sémiotique permet de s'intégrer dans un public gay et lesbien et/ou dans l'hétérotopie Ecrans Mixtes.

400 Gustavus T. STADLER, « Queer guy for the straight « I » », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 2005, vol. 11, no 1. 401 Voire aussi l'argument de Robert ATKINS, « Goodbye Lesbian/Gay History, Hello Queer Sensibility », Art Journal, 1996, vol. 55, no 4. : il définit la sensibilité queer comme alternative à la politique identitaire. 402 Sur la marchandisation de la culture queer voire : Toby MILLER, « A metrosexual eye on queer guy », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 2005, vol. 11, no 1. 403 Le mot alternatif est ici particulièrement intéressant, si on le croise à l'analyse de Milde (en termes de sensibilité queer qui permet la différentiation marchandisée) ; cf Nadine Milde, « Pop Goes the Queerness, or,(Homo) Sexuality and Its Metaphors: On the Importance of Gay Sensibilities in Postmodern Culture and Theory », Amerikastudien/American Studies, 2001. 404 Ibid., p. 145. Je traduis. Emphase dans l'original.

2012 93 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

2.2.3. Stratégies de sélection et identités sexuelles : au delà des hétéropublics, la persistance des positions sexuées des publics Au delà de la notion d'hétéropublic, l'analyse statistique du public par séance permet de montrer qu'il existe bel et bien des choix sexués.

Sélection, genre et sexualité : retour sur l'approche séparatiste de la programmation Un simple coup d'oeil aux questionnaires de la première séance du Festival, La naissance des pieuvres suffit à se convaincre que les films projetés et l'endroit comptent dans la constitution des publics : avec un taux de personnes hétérosexuelles de 54.17% (67.74% des femmes, 38.46% des hommes)405, cette séance tranche avec le reste du festival406. Le rôle de la gratuité, du film et du lieu peuvent être questionnés.

Le tableau a407 permet de mesurer l'écart dans la représentativité en termes de genre et de sexualité du public d'une séance (par rapport au reste du Festival). Cette méthode permet de lisser le biais induit par les différences de taille des salles. Comme le soulignait Loist408, des critères de sélections genrés et sexués apparaissent clairement. Ils permettent l'accès (séparé) à différents types de publics.

Ainsi, la population lesbienne est systématiquement sous-représentée sur les séances qui n'incluent pas de personnage lesbien409 ; leur sélection est orientée vers les films lesbiens410. 48.94% des spectateurs qui ont assisté à au moins un des deux documentaires de la Bibliothèque Municipale du 1e étaient lesbiennes. Sur En 80 jours, elles représentaient 62.50% du public, et 80.00% des femmes. Sur Bye Bye Blondie, les lesbiennes constituent 30.61% du public (si on prend en compte les femmes non- hétérosexuelles, ce chiffre est porté à 55.09%) et 40.54% des femmes. Si on s'intéresse à la répartition des femmes non hétérosexuelles sur les différentes séances411, le constat reste le même. Au total, 64.22% des femmes homosexuelles n'ont vu que des films

405 Les hétérosexuelles femmes représentent 43.75% du public de la séance (contre 12.50% de lesbiennes). Les hétérosexuels hommes 10.42% (soit autant que les gays) 406 Hétérosexuels 36% (dont : femmes : 68.33%, hommes : 31,67%) sur l'ensemble des questionnaires récoltés. Leshétérosexuelles représentent 43.16% des femmes. Les hétérosexuels (hommes) 28.50% du genre 407 Annexes, p. xliii 408 Skadi LOIST, « A complicated queerness: LBGT Film festivals and Programming Strategies », op. cit. 409 A l'exception de La Naissance des pieuvres ; -10.69 points sur la rétrospective Waters, -15.55 sur Polyester, -16.54 sur Cruising, -8.47 points sur la soirée Soukaz, -13.10 sur Il n'y a pas de rapport sexuel, -15.92 sur les Nuits Fauves 410 Sur les deux documentaires : +27.14 points, sur En 80 jours +40.70 points, sur Bye Bye Blondie +8.81 points. 411 Tableau b, annexes, p. xliv

2012 94 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

lesbiens412. Ce choix n'est pas forcément conscient : les deux filles homosexuelles à la programmation lesbienne interrogées n'avaient pas réalisé que leur sélection de films était sexuée413.

L'écart dans la représentativité par séance du public gay est symétrique : ils sont sous-représentés dans les séances lesbiennes et sur les femmes414. La sur-représentation est plus forte pour les séances « clairement » gay415.

De manière intéressante, les populations hétérosexuelles sont mieux réparties sur l'ensemble du Festival : elles sont sous-représentées pour les films lesbiens, ce qui s'explique principalement, non pas par une baisse numérique de la fréquentation, mais davantage par la très forte présence de femmes homosexuelles (qui tend à faire diminuer leur part relative)416.

Comme chez les lesbiennes, il y a sous représentation des femmes hétérosexuelles pour les séances à films « masculins » (mettant en scène des hommes homosexuels et/ou axées sur le sexe)417. En comparaison, les hommes hétérosexuels sont équitablement répartis sur l'ensemble des séances.

Il y a bien une sélection sexuée. Cependant, quelques séances ont été plus prisées par les non-homosexuels, tous genres confondu : 43.09% du public des John Waters 34% de celui de Victor Victoria (majoritairement des femmes) était hétérosexuel.

Lieux, contenu des séances, publics hétérosexuels et accompagnateurs : stratégies sexuées des publics hétérosexuels S'interroger sur le lien entre contenu des séances et accessibilité pour les non-LGBT apparaît donc être une piste intéressante. On peut ici, par exemple, étudier les stratégies des publics en termes d'accompagnement.

412 % de femmes homosexuelles qui n'ont vu ni Bye Bye Blondie, ni en 80 jours, ni Edie et Thea / The Brandon Teena Story 413 Entretiens 12 & 13 414 Tableau a, annexes p. xliii. Naissance des pieuvres (film sur l'adolescence féminine) : -13.78 points, documentaires lesbiens : -13.56 points, en 80 jours : -17.95 points, Bye Bye Blondie : -12.98 points 415 Cruising : classique gay qui a déclenché une polémique à sa sortie +28.43 points, Soukaz : +32.47 points, les Nuits Fauves : +21.39 points 416 A l'exception de Bye Bye Blondie chez les femmes : on peut noter ici le rôle du milieu féministe, très présent à cette séance (observations anthropologiques, confirmées par les entretiens n°4 du 13/04/2012– lesbienne féministe – et n°6 du 22/04/2012 – femme hétérosexuelle étudiante en gender studies – toutes deux notent la forte présence de leurs « copines militantes ». Chez les hommes : -7.31 points. Documentaires lesbiens : femmes -5.50 points, hommes -5.02. En 80 jours : femmes : -18.35 points, hommes -8.27 417 Femmes hétérosexuelles : cruising -8.81 points, Soukaz -21.27 points, Il n'y a pas de rapport -15.51 points.

2012 95 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Stratégies d'accompagnement, contenu des séances et lieux On peut en effet faire l'hypothèse que moins un spectateur hétérosexuel vient accompagné d'amis, plus l'accès à l'espace hétérotopique (sexué) est facile. Si celle-ci ne tient pas lorsqu'on considère une séance individuelle ou une personne seule (certains films prêtent plus à une ambiance « sociale » que d'autres, certains préfèrent simplement aller au cinéma en groupe), un croisement des données en termes de lieu et de contenu des films permet de dégager des tendances.

Seul Accompagné non LGBT* LGBT** Général 26.00% 23.40% 54.20% Hétéros 27.03% 38.92% 34.05% Hétéros hommes 31.58% 40.35% 31.58% Hétéros femmes 25.81% 40.32% 36.29% LGBQ*** 25.08% 14.11% 65.20% LGBQ hommes 32.17% 15.38% 59.44% LGBQ femmes 21.99% 14.89% 79.43% Fig. 16 : accompagnateurs et publics au Festival Ecrans Mixtes lecture : 27.03% des hétérosexuels sont venus seuls. On aurait pu s'attendre à ce que les hétérosexuels viennent, de manière générale, moins seuls que les personnes LBGQ (peur d'un espace homosexué), ce qui n'est pas le cas. Les LBGQ tendent à venir entourés de leur groupe de pairs, surtout chez les femmes, ou seul (le festival est ici à la fois lieu de sociabilité et de drague). La part de personnes hétérosexuelles venues accompagnées, mais sans qu'il n'y ait de LGBT dans le groupe est assez importante et elle est symétrique entre hommes et femmes (amis proches, couples, etc).

La tableau c418 permet de saisir les stratégies d'accompagnement selon le lieu et le type de séance : plus la thématique est centrée sur l'homosexualité, moins la part d'hétérosexuels venus seuls est importante. La situation inverse (thématiques non gays) donne des résultats cohérents. De même, si l'on s'intéresse aux séances en dehors du CNP (cinéma investi par le Festival, les autres salles utilisées n'affichant pas directement la présence d'Ecrans Mixtes), les publics hétérosexuels tendent à venir plus

* c'est-à-dire accompagné d'une ou plusieurs personnes, pas de LGBTQ dans le groupe (hors personne qui a rempli le questionnaire) ** Au moins une personne LGBTQ dans le groupe (celui ayant rempli le questionnaire excepté) *** Lesbien. Bi. Gay. Queer. Pour mémoire : transgenre n'est pas une orientation sexuelle. Les personnes trans ont donc été comptabilisées soit en homme, soit en femme, soit en autre, selon leur réponse à la question 1, et selon leur orientation sexuelle (question 2). 418 Annexes, p.xlv.

2012 96 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

facilement seuls419, y compris dans le cadre des projections à thématiques LGBTQ (même si la différence est plus importante une fois les documentaires lesbiens retranchés). Dans toutes ces catégories, le nombre de questionnaires récoltés est suffisant à l'usage statistique et les mêmes critères, appliqués aux personnes LGBTQ, ne font pas varier significativement les stratégies d'accompagnement. Il y aurait donc une corrélation entre l'accompagnement des publics hétérosexuels (seuls ou non), la thématique (gay et lesbienne ou non) et le lieu (connoté Ecrans Mixtes pendant le Festival ou non) des séances, d'où l'utilisation du mot « stratégie ».

Des hétéropublics situationnels Cette stratégie ne doit pas être confondue avec l'inclusion ou non dans le public du Festival en tant que tel : ce n'est pas parce que les spectateurs hétérosexuels mettent en place des stratégies de sélection et d'accompagnement en fonction des séances qu'ils se « sentent appartenir » ou non au public, qu'ils sont ou non des hétéropublics.

Cependant, la notion d'hétéropublic peut être utilisée de manière dynamique : il peut y avoir des spectateurs qui, pour une séance particulière, ne s'incluent pas dans le public (mais qui le font sur les autres séances). On parlera ici d'hétéropublics situationnels. Aucun exemple n'a été relevé dans les entretiens sur l'édition 2012. Cependant, un témoignage sur L.A. Zombie420, film para-pornographique421 projeté l'année précédent de la « tapette incendiaire » Bruce LaBruce422 et dans lequel la pornstar gay François Sagat joue un zombie sans-abri qui ramène ses congénères à la vie en couchant avec, est ici éclairant, tant sur les hétéropublics situationnels que sur les stratégies d'accompagnement :

A part un mec hétéro qui se serait fait la soirée L.A. Zombie [je ne vois pas pourquoi des hétérosexuels se sentiraient gênés au Festival]. C'est vrai que là... Bon. En même temps, quand tu lis la programmation, tu es un peu prévenu du truc que tu vas voir, (…) tu sais que François Sagat, c’est la porn star gay du moment qui fait des trucs un peu hard, tu sais que tu n’es pas forcément obligé d’y aller si tu sais que ça peut te déranger (rires). Objectivement, je n’y serais peut-être pas allée toute seule : aller voir un mec qui

419 La situation inverse a été testée : les publics hétérosexuels sont de manière générale plus souvent accompagnés au CNP Terreaux. 420 Bruce La BRUCE, L.A. Zombie, 2010. 421 Le film existe en deux versions : hardcore et softcore. Les deux contiennent, comme dans tous les films de Bruce LaBruce, de nombreuses scènes pornographiques. Bruce LaBruce définit son travail, en s'auto- parodiant, comme de la « pornologie » dans son film d'auto-analyse: Bruce La BRUCE, Super 8 1/2, 1995. 422 Auto-description de Bruce LaBruce, notamment sur son blog. (Incidiary Fairy : je traduis) Bruce LaBruce, http://brucelabruce.blogspot.fr/, consulté le 9 juillet 2012.

2012 97 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

défonce des cadavres, ça ne m'aurait peut-être pas inspirée. C’est sur qu'une séance comme ça, c'est peut-être plus difficile. Dans un cadavre il y a pleins de trous, c’est marrant (rires). Celui là, tu n’étais pas forcément obligé d'aller le voir si tu étais un petit hétéro sympa mignon, tu pouvais te l’épargner. D'ailleurs je pense qu’il n’y en avait pas (rire). C’est la séance la plus gay que j’ai faite (rires) [en off : s'est dit s'être sentie gênée et hors du public sur cette séance]423

423 Entretien n°10, étudiante hétérosexuelle en droit de la culture, très proche de la culture queer. Bénévole Lavoir (post festival) et Middlegender (pendant le festival). A fait toute l'édition précédente, cette fois ci uniquement la séance Soukaz. 07/05/2012

2012 98 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine 3. Interprétations et usages différenciés du Festival comme production discursive : modéliser les différentes lectures et utilisations d'un « même » événement « La lecture de Thelma et Louise qui suit est une de ces lectures [" lectures aberrantes ", concept de Umberto Eco]. Elle commence avec une absence signifiante dans la couverture médiatique du film, comme quand le numéro du Time Magazine consacré à Thelma et Louise (…) avait écrit : " Pourquoi Thelma et Louise touche une corde sensible ". Nulle part dans les discussions sur la controverse issue du film n'est mentionné le lesbianisme. Et personne ne parle du baiser entre Thelma et Louise »424 Ecrans Mixtes doit donc être compris comme un espace discursif aux sens multiples, hétérotopique, dont se saisissent les publics du Festival. Ceux-ci, du fait de leurs caractéristiques socio-sexuelles, peuvent déployer différents types d'interprétations de l'évènement, qui insistent ou non sur le caractère gay et lesbien. Les publics hétérosexuels mettent en outre en place des stratégies sexuées, tant dans leur choix de séance, dans leur accompagnement que dans la présentation de leur identité sexuelle. Penser l'adhésion au public, c'est en outre chercher à délimiter la manière dont les spectateurs (notamment hétérosexuels) s'incluent ou non dans le public (imaginé) du Festival : il existe des publics à la marge de l'hétérotopie, qui ne se sentent pas inclus : des hétéropublics.

On se situe ici clairement dans la Nouvelle Théorie de l'Audience425 et dans le tournant postmoderne des cultural studies américaines426 : ce qui nous intéresse est avant tout la manière dont les publics hétérosexuels comprennent l'évènement Ecrans Mixtes, d'où l'utilisation d'entretiens ouverts. Il n'est pas dit qu'il n'y ait « qu'une » lecture (juste) de l’événement et des films proposés. Comme l'indique la citation en incipit, certains publics ont des lectures différenciées d'un même texte427. Dans cette section, on tentera de modéliser les différents narratifs autour du Festival en s'appuyant sur la relation des publics – hétéropublics hétérosexuels à la/sa sexualité dans l'espace discursif.

424 Cathy GRIGGERS, « Thelma and Louise and the Cultural Generation of the New Butch-Femme », in Film theory goes to the movies, , Routledge, 1993, p. 132. . Je traduis. 425 Aussi appelée théorie de l'audience active – le public / les spectateurs créent du sens, de manière très schématique 426 Tout en essayant d'éviter le relativisme culturel inhérent à certains travaux de cultural studies. David Morley, « Active audience theory: Pendulums and pitfalls », Journal of communication, 1993, vol. 43, no 4. 427 Cathy GRIGGERS, « Thelma and Louise and the Cultural Generation of the New Butch-Femme », op. cit.

2012 99 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine 3.1. Hétéro-publics hétérosexuels : une lecture normative d'Ecrans Mixtes ? Une première catégorie de spectateurs hétérosexuels requiert notre attention : les hétéropublics. Se mettre à la marge du public, c'est fondamentalement imaginer une vision du Festival, de laquelle se détacher. Autrement dit, c'est avoir une lecture exogène de l'espace hétérotopique. Ici, on peut s'interroger sur la cohérence de la projection d'Ecrans Mixtes par les hétéropublics, informée à des degrés divers et variés par les entretiens n° 2, 3, 7, 15 et 15b (personnes hétérosexuelles)428 et n°1, 13 (LGBTQ)429.

3.1.1. Hétéropublics hétérosexuels et sphère sexuée : de l'interprétation générale du Festival, Ecrans Mixtes comme espace gay et lesbien Il existe en effet une cohérence dans leur compréhension du Festival. Ecrans Mixtes est avant tout perçu comme événement gay et lesbien (non pas comme festival sur le genre / sur les sexualités), ce qui est résumé dans l'entretien n°15b comme :

avant tout un festival d’ouverture d’un cinéma communautaire. Une ouverture à un plus grand public. Pour moi c’était ça. Donc plus un cinéma gay et lesbien mais qui s’adressait à un public cinéphile430 et dans l’entretien n°7 comme :

Bah gay et lesbien. Si, je vois ça un petit peu quand même. (...). Et moi ce qui m’intéressait c’est que ce soit un festival sur l’homosexualité. (...) Enfin je ne sais pas ce que ça veut dire Mixtes, peut-être hétéro, homo tout ça, mais je ne sais pas ce que ça veut dire. Je n’ai pas du tout vu le truc. Vraiment. C’est plutôt des amis homos qui m’en avaient parlée mais j’ai pas … je trouve que c’est bien de l’appeler comme ça. J’imagine que ça rebuterait des gens si c’était tagué le Festival de Films Gay et Lesbiens de …431 A travers ces deux exemples, on voit bien la difficulté qu'ont les hétéropublics à définir Ecrans Mixtes autrement que comme festival gay et lesbien, tant au niveau de la ligne éditoriale (question posée dans les deux cas) qu'au niveau de la caractérisation même de l'espace discursif. L'homosexualité est perçue comme ce qui donne une cohérence à la programmation / au Festival. Malgré une brève tentative de

428 Dans l'ordre : femme 20aine, centrée sur Waters, homme 20aine, centré sur Waters, femme 40aine, hommes 20aine 429 Respectivement : homme homosexuel, femme lesbienne 430 Entretien n°15b, homme hétérosexuel, 20aine. 25/05/2012. Je souligne 431 Entretien n°7 du 23/04/2012, femme hétérosexuelle, 40aine. Je souligne.

2012 100 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

complexification dans ces deux exemples (via « mixte » ou « communautaire »), les personnes reviennent systématiquement au caractère homosexué. Dans certains cas, la notion est étendue à la « vision d'un réalisateur gay »432.

La notion de « film gay et lesbien » n'est pas problématisée : elle est prise pour acquise. Dans deux entretiens, ceux avec des personnes LGBT, la notion est questionnée (« film sur des histoires ») pour se détacher individuellement du caractère gay et lesbien, réaffirmé par la suite (« mais vraiment gay »)433. Des films tels que Victor / Victoria ou La Naissance des Pieuvres ne sont pas replacés dans leur contexte de production (Hollywood) et sont inclus dans ce « cinéma gay et lesbien » totalisant434. Le public est perçu comme constitué quasi exclusivement de personnes LGBTQ435 et la communication est « gay transparente dès qu'on la lit un peu »436.

De manière intéressante, ces hétéropublics séparent tous la nature sexuée de l'espace discursif et le Cinéma (avec une majuscule), que ce soit dans leur relation au Festival (« je suis venu pour les films »437) ou dans les publics (publics gays versus cinéphiles), comme si ces deux espaces étaient incompatibles. Il s'agit ici d'une manière de s'inclure dans le Festival, de justifier sa présence. Typiquement, l'entretien n°3438 insiste (à une dizaine de reprise) sur le caractère alternatif (là aussi, la séparation du « contre- culturel » et du caractère « queer » est assez significative) de la programmation, l'entretien n°2 sur le choix de John Waters439, l'entretien n°7 sur la « lutte contre les discriminations » qui la « touche beaucoup »440, l'entretien n°13 sur « des films sur des histoires »441. Plus globalement, ces hétéropublics manifestent une compréhension de type « festival gay et lesbien » de films. Dans le même temps, le caractère gay et lesbien dépasse, pour ses personnes, la simple ligne éditoriale, en informant la structure et la raison d'être du Festival.

432 Entretien n°15, homme hétérosexuel, 20aine. 25/05/2012 433 Les deux citations sont extraites de l'entretien n°13 du 16/05/2012, femme homosexuelle. On aurait pu citer l'entretien n°1 du 26/03/2012, cf développement sur la dé-sexualisation de l'espace hétérotopique 434 Entretien n°7 du 23/04/2012, entretien n°13 du 16/05/2012 435 Tous les entretiens sus-cités 436 Sauf entretien n°1 du 26/03/2012 avec un homme homosexuel (« je dirais que ça attire plus de cinéphiles que de gays ») et entretien n°7 du 23/04/2012, femme hétérosexuelle (sur La Naissance des Pieuvres) 437 Citation extraite des entretiens n°2 du 06/04/2012 (femme hétérosexuelle) n°3 du 12/04/2012 (homme hétérosexuel), et qu'on retrouve peu ou prou dans l'entretien n°13 du 16/05/2012. 438 Homme hétérosexuel, 20aine, 12/04/2012 439 Entretien du 06/04/2012. Elle n'a d'ailleurs pas fait attention au reste de la programmation. 440 Entretien n°7, femme hétérosexuelle, 23/04/2012 441 Entretien n°13, femme lesbienne. 16/05/2012

2012 101 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

3.1.2. Hétéropublics hétérosexuels : « festival gay et lesbien » de films, rapports à la sphère hétérotopique et à l'identité sexuelle L'accès à l'espace hétérotopique est complexe pour ces publics, en tant qu'ils comprennent le Festival comme « gay et lesbien » et s'excluent du public imaginé. Au delà des stratégies de dé-sexualisation, on note le rôle des « amis » LGBTQ ou non, qui remplissent une fonction de légitimation442. La présence dans l'espace est systématiquement justifiée (alors que la « raison » n'avait pas été demandée), que ce soit dans la variété des films proposés (alors que ces mêmes personnes ont une programmation axée sur un ou deux réalisateurs / types de films)443, par rapport à la scène culturelle fréquentée444 ou aux sous thématiques spécifiques à un ou deux films445. On note en outre une gêne constante (homosexualité = « ça »446 ou non nommée447, mouvements LGBTQ qui deviennent de la « lutte contre les discriminations »448). Il y a un refus de commenter la politique sexuelle du Festival ou les critères de programmation autrement qu'en terme de « bon goût »449.

Cela n'est pas surprenant : les hétéropublics manifestent une vision restreinte de la sexualité. Les expressions employées sont peu variées (« gay et lesbien » « homosexuel », absence du queer et des transgenres450). Il y a polarité des expressions sexuées autour de la dichotomie homo / hétéro, ce qui dénote une vision duale de la sexualité, naturalisée dans la société, et une possible absence de réflexion en termes de genre / d’études queer. Dans certains cas, on est tenté de voir, en filigrane, une vision essentialiste de la sexualité.

Lié à ce refus de commenter l'aspect sexuel, pourtant mis en avant dans les entretiens, tous évoquent « le milieu », le « communautarisme » ou les travers d'une politique minoritaire à l'excès (d'ailleurs souvent comparée aux mouvements

442 Entretien n°1 du 26/03/2012 (homme LGBT) : amis hétérosexuels, entretien n°2 du 06/04/2012 : présence récurrente du « on » et insistance sur ses amis gays et lesbiens, entretien n°3 du 12/04/2012: insistance sur les amis qui l'accompagnaient, entretien n°7 du 23/04/2012 : amis LGBTQ, entretien n°15a et 15b du 25/05/2012 : y sont allés parce que des « amis » leur ont proposé. 443 Entretien n°7, femme hétérosexuelle, 23/04/2012 444 Entretien n°3, 12/04/2012, homme hétérosexuel 445 Entretien n°15b, 25/05/2012, homme hétérosexuel 446 Entretien n°3 du 12/04/2012, homme hétérosexuel 447 Par exemple dans l'entretien n°7 du 23/04/2012, femme hétérosexuelle. « Et puis je regarde pas trop, je m’en fous un peu [de la sexualité]. Non, je ne suis pas trop là dedans franchement. Je ne vois pas trop qui … [est homosexuel ou non] Je ne suis pas là dedans. Je ne juge pas, je m’en fous complètement donc voilà. Je trouvais que c’était ... » 448 Ibid. Ou la nécessaire bonne image citée dans l'entretien 15a. 449 Tous ceux sus-cités 450 Ibid. Typiquement, dans les entretiens n°15a et 7, The Brandon Teena est perçu comme un film lesbien, et non un film transgenre.

2012 102 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

féministes451) : il y a une véritable peur du ghetto et du « trop radical », une défiance envers le politique. Pourtant, lorsque l'on demande si le Festival remplit un but et/ou une mission, les hétéropublics répondent systématiquement qu'un événement gay et lesbien est forcément guidé par la lutte contre les discriminations, la visibilité et l'inclusion dans une société. Dans l'entretien n°13452, Ecrans Mixtes est même assimilé au « milieu » gay et lesbien et est donc forcément « communautaire ». Ce même but imaginé est parfois connoté négativement. Là aussi, on observe une séparation entre cinéma et caractère LGBTQ : systématiquement, le côté gay et lesbien ne doit pas éclipser le fait qu'il s'agit de « films »453, position paradoxale s'il en est. De manière chronique, le Festival doit « donner une bonne image » de l'homosexualité, plus valorisante et effectuer un travail sur les représentations, et ce afin de « changer le monde ». A titre d'exemple :

Quand tu fais le choix de montrer des films sur ce thème c’est que tu veux promouvoir une cause et que tu veux montrer que les gays et lesbiens sont des gens comme les autres et qu’il ne faut pas avoir d’a priori etc. 454 3.1.3. Analyses des films et du festival : entre touriste et droits de l'homme Cette vision normative du Festival se traduit en outre par une relecture des films à l'aune de la ligne éditoriale perçue : Victor Victoria est un film « gay »455, Brandon Teena456 est réduit à une histoire sur des lesbiennes457. Typiquement, John Waters est perçu comme réalisateur gay458. Dans l'entretien n°15, la notion de « bonne image » est projetée sur le choix des documentaires :

Je pense que c’est un film qui peut très bien passer. C’est " ils s’aiment et ils ne veulent pas être différents des autres ". C’est pas du tout du communautarisme. Parce tu as les mêmes revendications que les personnes hétérosexuelles. Et l’autre film c’était de l’homosexualité féminine. (..) Elles étaient comme tout le monde. (…) Le film en question c’était pour montrer que tu peux avoir un

451 Entretiens 2 et 7 – femmes hétérosexuelles, entretien n°15a – homme hétérosexuel 452 Entretien n°13, femme lesbienne. 16/05/2012 453 Entretiens 1 (homme gay), 2, 7 (femmes hétérosexuelles), 15a (homme hétérosexuel) 454 Entretien 15a. 25/05/2012 455 Entretien n°7 et 13, femmes hétérosexuelles 456 Susan MUSKA et Gréta OLAFSDÓTTIR, The Brandon Teena Story, 1998. 457 Entretiens n°7 et 13, femmes hétérosexuelles. Alors qu'il s'agit davantage d'un biopic sur Brandon Teena, transgenre assassinée. 458 Entretien n°3, homme hétérosexuel, 20aine, 12/04/2012. Typiquement dans l'entretien n°7 du 23/04/2012, femme hétérosexuelle, après avoir fait remarquer que John Waters ne traitait pas d'homosexualité : « Pour moi elle est là quand même. Elle est diffuse. C’est vrai que sur Polyester j’ai retenu le truc contre les moeurs de l’Amérique pudibonde comme on dit mais l’homosexualité ça fait partie de ça. »

2012 103 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

amour entre des personnes du même sexe et là du coup ce qui était assez original, c’est que l’image des homosexuels évoque généralement quelque chose à la marge, du style "ils sont un peu originaux ils veulent quelque chose de différents". Alors que là, du coup, elles voulaient être comme les hétérosexuels. C’est à dire que du coup… c’était un image un peu moins évidente. 459 On est bien dans le festival gay et lesbien de film, où la sexualité informe toutes les dimensions de l'espace hétérotopique, de la sélection à la politique de l'évènement. Ce regard est exogène, en tant qu'il manifeste une méconnaissance relative des mouvements LGBTQ (le très problématique « Alors que là du coup elles voulaient être comme les hétérosexuels » ou la « lutte contre les discriminations » de l'entretien n°7). Le Festival sert ici à la fois de site politique signifiant (de l'homosexualité telle que perçue à travers les films / le sens commun) et de construction d'une culture (à travers le Festival, d'où la perception de films tels que Victor Victoria comme classiques de l'homosexualité460).

A travers cette brève description des narratifs des hétéropublics, on voit qu'ils se positionnent entre les compréhensions de type festival gay et lesbien de film et festival droit de l'homme / activiste (en tant que pour eux le but et la modalité sexuée est plus importante que les films dans la constitution d'Ecrans Mixtes461).

On pourrait ici penser au « regard du touriste »462, interprétation exogène du paysage-film. De manière similaire au « male gaze » de Mulvey463, le « tourist gaze » désigne une manière normative de voir, de comprendre un paysage464 en tant que représentation imaginée et qui forme réflexivement un imaginaire. En ce sens, et comme le note Urry, la notion de touriste dépasse largement le simple cadre des voyages465. Le touriste, ne connaissant pas le champ qu'il regarde, imagine et complète avec son propre savoir et obtient une vision picturale, certains diraient caricaturale, de son objet, téléologique et thématique. Dean MacCannel complexifie la notion en définissant une typologie des regards touristiques466 : le touriste aurait un regard universaliste, il

459 Entretien 15a, sur sa perception des deux documentaires Edie & Thea / Brandon Teena 460 Entretien 15b : Question : des classiques, comme Victor Victoria, ça a sa place dans un Festival tel qu'Ecrans Mixtes ? « Pour quelqu'un qui n’a pas du tout une culture cinématographique et encore moins sur les films gays et lesbiens… C’est bien. Après si c’était que des films récents ça m’embêterait pas. Parce que de toute façon je ne m’y connais pas. » (je souligne) 461 Mais pas nécessairement dans leur utilisation de l'espace hétérotopique. Ce n'est pas parce qu'un spectateur x perçoit Ecrans Mixtes comme festival gay, dans lequel les films seraient secondaires, qu'il n'est pas venu spécifiquement pour « voir des films ». 462 John URRY, The tourist gaze, Thousand Oaks, California, SAGE, 2002, 204 p. 463 Laura MULVEY, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », op. cit. 464 Urry utilise le terme de paysage au sens abstrait, d'ensembles qui donnent une cohérence de sens. On pourrait ici le rapprocher de Deleuze. 465 John URRY, The tourist gaze, op. cit., p. 2–3. 466 Dean MACCANNELL, The tourist : a new theory of the leisure class, Berkeley, University of California

2012 104 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

condamnerait le « mal » (la pauvreté / le racisme / l'homophobie) au nom de la nature humaine, tout en incorporant les « domaines naturels, sociaux, historiques et culturels dans une seule représentation »467. Son interprétation, construite socialement et exogène, devient une vision normative de la 'vérité' de l'objet observé. Il n'y a pas de regard critique : MacCannel parle « d'authenticité mise en scène »468, qui – par un jeu sémiotique – conduirait à confondre le signifiant imaginé (l'homosexualité) avec le signifié (but de l'espace hétérotopique). Le touriste valorise la proximité à l'objet tout en ne s'identifiant pas à la population devant ses yeux (« comme nous »), dans une idéologie humaniste. Un des concepts de MacCannel, le « back region knowledge » s'applique particulièrement à l'expérience du spectateur de cinéma, lorsqu'il regarde des films sur une autre culture. Pour Nichols :

« Comme le touriste, nous espérons aller plus loin que les apparences, comprendre la signification des choses (…), nous mettre en dehors (en vain) de notre statut d'outsiders et d'observateurs pour obtenir une forme plus authentique et intime d'expérience (…). Nous savons bien que nous ne pouvons que produire un savoir qui nous situera [dans l'espace social], (…) [conséquence] de notre propre construction de nous-mêmes, de nos conceptions de l'Etat, de la culture ou de la valeur esthétique. »469

Press, 1999. 467 Ibid., p. 45. Je traduis 468 Ibid., p. 91)108. 469 Bill NICHOLS, « Discovering Form, Inferring Meaning », op. cit., p. 19–20. Emphases dans l'original. Je traduis.

2012 105 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Parce qu'ils comprennent Ecrans Mixtes et les films proposés comme fondamentalement gays et lesbiens, tout en s'en détachant, les hétéropublics hétérosexuels manifestent une méconnaissance du champ, qui se traduit par des « bonnes intentions », qui les placent dans l'espace social.

Fig. 17 : Hétéropublics hétérosexuels, interprétations et usages de l'espace discursif : une modélisation 3.2. Autres publics hétérosexuels : vers des interprétations différenciées du Festival Ecrans Mixtes Les hétéropublics manifestent donc une vision de type festival gay et lesbien de film. On serait tenté de réduire les publics hétérosexuels à cette compréhension. Or, plusieurs entretiens tranchent avec cette interprétation normative de l'espace discursif.

3.2.1. Des publics hétérosexuels à pratique constructiviste ET cinéphile : lectures réflexives de l'espace discursif. Parmi les spectateurs hétérosexuels, certains se démarquent par leur pratique de la cinéphilie. Si certains hétéropublics s'estimaient « cinéphiles »470 ou intéressés par la

470 Par exemple, entretien n°7. Femme hétérosexuelle.

2012 106 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

« contre culture »471, les spectateurs n°8 et 10472 sont intéressants de par la réflexivité de leur(s) pratique(s) culturelles dans la sphère hétérotopique et leur positionnement vis-à- vis d'un espace sexué.

Positionnement dans l'espace hétérotopique et scènes fréquentées Les deux entretiens sus-cités témoignent d'une relative familiarité avec les scènes gay et lesbienne et queer. Autrement dit, la nature sexuée du Festival n'est pas une barrière en soi ; le paradigme du dualisme hétéro/homo-sexualité (sens commun) est dépassé dans les deux cas. Il y a une véritable réflexion sur la sexualité. Par exemple :

Q : Donc tu as pris la décision [d'être bénévole] assez rapidement ? Parce que j’imagine que ce n'est pas forcément évident d’être hétérosexuel dans un festival tel qu'Ecrans Mixtes… Non, cela ne m’a jamais touché. (…) Ça fait longtemps que j’ai fait mon éducation à ce niveau là. Bon, j’ai une mère homosexuelle. Au début c’était un peu dur parce que on était une grosse famille de gaulliste. Il fallait nous voir il y a quinze ans. Mais non, non, aucun problème. (...) J’ai dit oui tout de suite. (…) Il y a beaucoup d’hétérosexuels qui vont se sentir atteints dans leur virilité s’ils trainent avec beaucoup d’homosexuels. Moi même c’était le cas il y a cinq - six ans. Si on me touchait, si un homme venait me toucher, je disais tout de suite “oh là, touche moi pas!”. Bon, maintenant j’ai évolué, j’ai changé, j’ai gagné un peu [en] maturité et je le vis bien. Et maintenant ça me fait marrer, plus qu’autre chose.473 Au cour de la conversation, la pluralité des pratiques sexuelles (notamment S&M474) a été abordée, sans pour autant qu'il y ait eu de questions sur ce sujet. La personne cherchait à montrer qu'il y avait des pratiques sexuelles, au-delà de la simple dichotomie homo/hétéro. L'entretien n°10, lui, concerne une femme hétérosexuelle, bénévole à Middlegender (pendant le Festival) et au Lavoir Public (lieu culturel alternatif, qui organise des soirées 'queer').

[La personne décrit ici son rapport aux soirées queer qu'elle fréquente, la sexualité n'avait pas encore été abordée.] L'idée de faire une Middlegender qui allait amener de nouvelles personnes (...) c’était bien. C’est une bonne façon de faire coexister le public du festival et le milieu gay et lesbien qui est revendiqué. (...) Moi on m’a toujours demandé “mais t’y vas, pourtant t’es pas lesbienne, c’est pas compliqué ?” non c’est pas compliqué. (...) Si tu n’es pas lesbienne et que tu es sympa, t’es sympa, si tu es une lesbienne et une grosse conne, t’es une grosse conne. (rires) (...) Je ne me suis jamais sentie isolée, du style ça serait difficile à vivre une soirée

471 Par exemple, entretien n°3, homme hétérosexuel, 20aine. 472 Dans l'ordre : homme hétérosexuel, la vingtaine, bénévole sur le Festival, femme hétérosexuelle, la vingtaine, étudiante en droit de la culture, travaille occasionnellement dans le cinéma, bénévole Lavoir et Middlegender. 473 Entretien n°8, bénévole Ecrans Mixtes, homme hétérosexuel. 30/04/2012 474 Sado-masochiste - en off

2012 107 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

avec des pédés. Il y en a des sympas, des moins sympas et des carrément très cons. (...) Pédé, c’est pas une orientation politique. (...). Quand on rencontre quelqu’un, (…) la première question que je me pose, c’est pas “tiens est-ce qu’on va baiser ce soir”. Du coup la sexualité de la personne... (...) c’est pas la question. [puis décrit les soirées]475 Le public du Festival est opposé au « milieu gay et lesbien ». La sexualité, de manière générale, est détachée de la personne : elle devient une orientation sexuelle, plus qu'une identité normative. Dans d'autres extraits, cette personne discute du pluralisme des homo/hétérosexualités et se définit comme « hétéroflexible ». Ce dépassement du sens commun sur l'homosexualité se traduit par un pluralisme d'expressions sexuelles utilisées dans les deux entretiens : « pédé » (utilisé ici comme réappropriation de l'insulte), gay, lesbien, queer et transgenre.

Dans ces deux entretiens, les personnes évoluent dans plusieurs scènes culturelles : entre le « gay et lesbien », le « queer », le milieu «cinéphile » et « contre-culturel ». Ces approches sont systématiquement mises en tensions. Dans l'entretien n°10, il y a comparaison et hybridation entre le Sonic, le Grrrd Zero, Middlegender, le Lavoir et le Festival476. Dans celui n°8, entre les politiques de différents festivals de film, les soirées Middlegender, Ecrans Mixtes et le « milieu geek ». A la différences d'autres spectateurs477, les pratiques culturelles, inscrites dans différentes scènes, ne sont pas séparées d'Ecrans Mixtes, mais relèvent davantage d'un assemblage individuel ; elles sont emboitées les unes aux autres et chacune informe le sens de l'autre.

Si les deux personnes s'incluent clairement dans le public du Festival, elles relèvent dans certaines conditions des hétéropublics situationnels. Dans l'entretien n°8, cela arrive à deux reprises : lorsqu'il y avait une tension ressentie comme sexuelle (blagues ou drague)478 ou quand son hétérosexualité lui est signifiée comme stigma dans l'espace hétérotopique (par ceux qu'il appelle les « trop militants » ; cas d'une féministe radicale qui se serait « offusqu[ée] qu'[il] soi[t] un homme hétérosexuel qui soit membre et bénévole à Ecrans Mixtes »479). Dans l'entretien n°10, il s'agit de la séance de L.A. Zombie sus-citée : l'impression d'être la seule femme et hétérosexuelle, dans une projection fortement sexuelle et sexuée.

475 Entretien n°10, 07/05/2012 476 Sonic : péniche de « musiques actuelles » / Grrrd Zero : squat, « musiques actuelles ». La question portait sur le choix du Lavoir comme village du Festival. Les autres éléments n'avaient pas été amenés. 477 Contrairement à l'entretien n°1 du 26/03/2012, homme homosexuel, qui oppose par exemple le Sonic, le milieu cinéphile et Ecrans Mixtes 478 Entretien n°8, 30/04/2012– off, non enregistré. 479 Entretien n°8, 30/04/2012

2012 108 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Programmation, espace discursif et ligne éditoriale : une dé/construction des genres (cinématographiques et sexués) Un élément frappe dans ces deux entretiens : ces deux personnes n'utilisent jamais le mot « gay et lesbien » pour caractériser Ecrans Mixtes, mais davantage le terme « queer »480 , ou centrent leurs analyses sur la notion de marginalité. La notion de « films gay et lesbiens » est connotée négativement, comme (mauvais) films caricaturaux qui imposeraient une sexualité normative.

Q : Tu prononces beaucoup l’expression cinéma queer, tu n’as pas parlé de “cinéma gay et lesbien”, tu peux m’en dire un peu plus ? Cinéma queer ? Je pense que le cinéma queer, c’est un cinéma qui évite de caser les gens dans leur genre. Un cinéma qui en parle mais qui dit “ok, t’es homosexuel, mais en fait on s’en bat les couilles.” Ce qui importe c’est le vécu, ce qui le déchire, le touche, ce qui l’attriste, ce qui… Pour moi c’est les traiter comme des êtres humains “normaux”. Quand je vois un film d’Araki, quand je vois The Living End, je ne vois pas d’homosexuels - même si c’est un cinéma de ce milieu là - je vois une histoire d’amour tragique et géante. (…) Ecrans Mixtes, si c’était un cinéma “gay et lesbien”, ça ne m’aurait pas intéressé. Je pense que je me serais barré. Je me serais barré.481 Ce rejet du cinéma gay et lesbien et ce dépassement du genre / de la sexualité par le queer se retrouve dans l'entretien n°10 :

Si c’était pour passer les petits films de pédés qui passent sur M6 le samedi après midi, c’était pas la peine (...) On est pas dans le gnan gnan, dans la facilité. (…) C’est à la fois très très gay. Mais ils ont réussi à faire en sorte que ce ne soit pas mièvre et pas complètement trash - style on fait un truc pour vous montrer notre sexualité de dérangés et qu’on baise sans arrêt. (...). Après s’il faut montrer des histoires de gamins de 14 ans qui font un coming out à leurs parents et [dont le] papa n’est pas content et qu’à la fin ils s’aiment, ça limite un peu le truc. Et on perd tout le côté artistique. (…) [c'est] plus sur une population, (...) un peu marginale, moins définissable (...). Sur des personnes qui ont des histoires qui sont complexes parce que c’est pas forcément tout le temps simple. Au final, si je faisais un film sur mes potes, il pourrait passer, alors que mes potes ne sont pas forcément homosexuels. (...). Tomboy, c’est ça, c’est l’histoire d’une gamine qui se fait passer pour un petit mec. Objectivement, il y a plein de gamines qui se sont faites passer pour des petits mecs. Elles ne sont pas forcément toutes devenues lesbiennes. (...) J’ai plein de potes qui se sont faits passer pour des gonzesses parce qu’ils trouvaient ça marrant et ils ne sont pas forcément homos482.

480 Au début de l'entretien, le parti a été pris de parler « du Festival Ecrans Mixtes », ou « de festivals comme Ecrans Mixtes / de tels festivals » (et non de festival gay et lesbien), afin d'éviter d'orienter la compréhension des personnes interrogées. 481 Entretien n°8 du 30/04/2012, bénévole hétérosexuel Ecrans Mixtes 482 Entretien n°10. 07/05/2012

2012 109 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Le contraste avec le regard du touriste des hétéropublics – exogène et humaniste – est frappant. Ici, il n'y a pas de « bonne » intention, de films sur l'homosexualité, mais davantage une interrogation sur/de la norme. Dans les deux entretiens, le cinéma et la sexualité sont inséparables dans l'espace discursif (l'emblématique « des films (...) sur une frange de population, un peu marginale, moins définissable »).

Plus globalement, Ecrans Mixtes est traité comme un « vrai » festival de film – que ce soit au niveau des critères de sélection (mélange du « bon goût artistique » et de « calcul financer »483, tentative de définir une « politique » de sélection propre au Festival), dans la communication (peu connotée gay dans les deux entretiens, jugée très professionnelle et similaire aux autres festivals), dans le découpage de la programmation (insistance sur l'idée d'avants-premières et de rétrospectives, comparaison à d'autres festivals gay et lesbiens484, ou non485). De même, leur perception du public tranche avec celle des hétéropublics : il y aurait un public « mixte », assez indéfinissable.

Tous deux ont une consommation boulimique de l'espace discursif : ils ont été à un maximum de séances (que ce soit cette année ou lors de l'édition précédente), ont lu le catalogue et privilégient les films qu'ils n'auraient pu voir ailleurs / n'ont pas vu – quels qu'ils soient. Le Festival ne s'accompagne pas d'une « mission politique », même si tous deux notent le rôle qu'il peut jouer dans l'évolution des consciences.

Cinéma et sexualité sont liés à travers l'idée de la marge et des genres. Pour l'entretien n°8 :

Le but du festival c’est un peu d’ouvrir les spectateurs à ce cinéma là et de dire que ce cinéma là c’est aussi du vrai cinéma. C’est pas juste un divertissement, un amusement ou quelque chose de ciblé [homosexuel]. Parce que ça vise large Ecrans Mixtes, c’est pas juste l’hétérosexualité, les trans etc. C’est bien de réunir toutes ces personnes devant un écran de cinéma.(...) Le cinéma c’est un milieu alternatif, le cinéma peut toucher un vrai public. Pour moi ça va au delà des genres. Peut-être même au delà de l’idée qu’il y a des genres différents486. La notion de genre (cinématographique) est ici intéressante. Pour Kapsis, l'expression désignerait des « formes larges d'expression populaire, qui contiennent des éléments [esthétiques] prévisibles »487. Ils découleraient à la fois de l'évolution de la société (film comme miroir) et des politiques économico-culturelles des industries 483 Dans les deux entretiens. 484 Par exemple : entretien n°8 du 30/04/2012, avec Lumière, Cannes et Sundance. 485 Entretien n°10, 07/05/2012 avec Face à Face St Etienne. 486 Entretien n°8 du 30/04/2012, homme hétérosexuel. 487 Robert Kapsis, « Hollywood genres and the production of culture perspective », in The contemporary Hollywood reader, Edited by Toby Miller., London, Routledge, 2009, p. 3.

2012 110 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

(perspective proche de l'école de Francfort). Pour Berry, il s'agirait avant tout d'une « catégorie interprétative », à travers laquelle les spectateurs tissent des relations de sens488 : « [les genres] visent à permettre d'établir des relations entre des textes et des films. (…) [I]ls cadrent les attentes dans lesquelles la lecture se déroule (...) »489. La notion de genre présuppose une « formule », une récurrence d'éléments esthétiques signifiants490. Or, les deux personnes interrogées, tout en parlant de genre, nient l'existence d'une « formule » homosexuelle. Il y a dé/construction du « genre cinéma gay et lesbien ». Les entretiens, tout en parlant de « l'audace de la programmation », insistent sur le pluralisme des films projetés, eux-mêmes inscrits dans plusieurs genres, que le Festival dépasserait :

Pour moi, je n’ai jamais considéré cela comme un genre, à part entière. En fait c’est une thématique qui peut se développer à travers tous les genres, tous le cinéma. C’est pour ça que je me suis dit que le cinéma queer c’était tout le cinéma.491 En ce sens, il y a dé/construction du genre « cinéma homosexuel », pourtant consacré aujourd'hui à part entière492, et un glissement vers la notion de « canon » thématique, catégorie d'interprétation plus souple et constituée dans la médiation critiques de films - festivals - interprétation du public :

« L'expérience [d'un festival de film] change et construit les sens que nous apposons à (…) une succession de " nouveaux cinémas ", alors qu'en même temps nous constituons le public nécessaire pour consacrer ces cinémas comme entités distinctes [du reste] (…) »493 . Schématiquement, lorsqu'un festival sélectionne un film, celui-ci prend une valeur (liée à la catégorisation dans une ligne éditoriale), qui peut être reprise par le public comme catégorie interprétative (éphémère et non exclusive). Il peut y avoir consécration en tant que classique d'un cinéma x ou y sans pour autant qu'il n'y ait de genre494.

De ce fait, les films projetés sont contextualisés, à la fois au sein du Festival et dans la « culture ». Par exemple, l'analyse de John Waters dans l'entretien n°8 contextualise ses films dans la chronologie du réalisateur. Il développe ce qu'il perçoit comme les thématiques principales et nuance la notion de films homosexuels :

John Waters ne parle pas d’homosexualité, mais de tout ce qui est vile, vulgaire, dégueulasse et les sublime. (…) John Waters, c’est un

488 Sarah BERRY, « Genre », in The contemporary Hollywood reader, Edited by Toby Miller., London, Routledge, 2009, pp. 206–222. 489 Ibid., p. 220. Je traduis 490 Toby MILLER et Robert STAM, A companion to film theory, op. cit. 491 Entretien n°8, homme hétérosexuel bénévole sur le Festival. 30/04/2012 492 Michele AARON, New queer cinema, op. cit. 493 Bill NICHOLS, « Discovering Form, Inferring Meaning », op. cit. même si Nichols ne parle pas de canon... 494 Cindy HING-YUK WONG, Film festivals, op. cit., p. 100–101.

2012 111 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

criminel, il renverse toute notre civilisation et nous oblige à tout remettre en question par rapport à ce qu’on considère comme correct et non correct. Et aujourd’hui, même s’il est accepté, il a beaucoup inspiré des gens. Je pense à South Park. (…) John Waters c’est comment, sous prétexte de faire des trucs totalement cons, on analyse une société, sans avoir l’air d’y toucher. Un film comme Polyester, ça parle de la famille, de la normalité, de la civilisation américaine et donc de la nôtre, (…) et ça nous dit que la beauté n’est pas forcément là où on [la] pense. Ça se voit aussi dans son premier film, Mondo Trasho (…). Pour moi c’est un gros fist fucking, Waters, honnêtement.495 Dans les deux entretiens, les films sont contextualisés en fonction de leur date de réalisation et projection (Nuits Fauves496, Soukaz497), de leur intérêt cinématographique et de la façon par laquelle ils questionnent l'idée de norme. On est bien loin du regard du touriste.

Cette dé/construction du genre cinématographique (et un glissement vers la notion de thématique / canon) est parallèle à la dé/construction du genre et de la sexualité (et au glissement sémantique effectué vers le queer / l'idée de marginalité). Dans les deux entretiens, le contenu sexué (fond) est lié à la question de la forme (genre, éléments esthétiques) à travers l'idée d'une « démarche artistique » qui donnerait une cohérence et une valeur aux films projetés498. En ce sens, le genre cinématographique et le genre sexuel, tous deux déconstruits, seraient indissociables dans l'espace discursif Ecrans Mixtes.

Réflexivité des usages et interprétations du Festival De manière générale, on note un intérêt commun aux deux entretiens pour ce qui sort de « l'ordinaire », l’a-conventionnel, dans les films et dans la sexualité.

(…) [Ecrans Mixtes, c]’est l’idée de réussir à mélanger des films de

495 Entretien n°8 du 30/04/2012. Question : que penses-tu du choix de John Waters ? Cela te paraît-il « logique » dans un « tel » Festival ? 496 Entretien n°8 du 30/04/2012– contextualisé dans l'histoire du SIDA et l'histoire du cinéma ; donne les raisons d'une « urgence » à voir ce film en 2012. 497 Lionel SOUKAZ, Le sexe des anges, 1977 ; Lionel SOUKAZ, La marche gaie, 1980 ; Lionel SOUKAZ, Ixe, 1980. Dans les deux entretiens : contextualisation dans l'histoire des représentations et des codes de censure. 498 Entretien n°8 du 30/04/2012 : Q : Mais justement, ce n’est pas contradictoire de revendiquer cette mixité et de passer ces films trashy, voire des séances porno? R : Because it’s art, et on ne discute pas avec l’art. Tu fermes ta gueule. (...). Et Ecrans Mixtes n’a clairement pas mis en avant le côté trashos et dégueulasse de certains films, mais le côté films culture, films intéressants, films classiques et devoir de mémoire. (...) Et parce que c’est de l’art et on ne discute pas avec de l’art. Heureusement ou malheureusement. (...) Pour le public c’est une découverte. Est-ce qu’il y a beaucoup de gens qui sont sortis de la salle [sur Soukaz]? Moi j’en ai pas beaucoup vus (…) ils ne sont pas sortis, parce que mine de rien ils avaient envie de voir. Et en même temps ils ont bonne conscience parce qu’on leur présente ça sous la forme artistique, d’un truc important. Ils n’iraient pas voir ça si c’était dans un cinéma de quartier ou pas dans un festival. Le festival a servi à légitimer les films qui sont passés.

2012 112 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

pédés avec des films sur les pédés avec des films pas sur les pédés. C’est un peu un espèce de mélange de tous ces horizons là, de se dire qu’effectivement pour une fois on peut avoir une mixité et mélanger tous ces films qui ne se ressemblent pas du tout, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres (…). Les Araki c’est très drôle, en fait (...). De la même manière, les films comme Tomboy c’est des films très posés, un truc beaucoup plus réservé. Mélanger tout ça, (...) ils n’ont rien à voir les uns avec les autres. Donc c’est plus “oui, on fait des films de pédés … oui je suis pédé, je ne fais pas forcément des films de pédés, non je ne suis pas pédé, et c’est pas forcément pédé non plus. (...) Q : donc Ecrans Mixtes réclame pour toi une forme de complexité ? Oui, c’est cela. Pour moi c’est pas un festival de pédés (...) par rapport aux autres festivals de film gay et lesbiens qui sont pour le coup très très gays. Je ne leur reproche pas non plus, (...) c'est juste un constat. Et moi toute seule, je n’irai pas vraiment, ça me tenterait pas. Parce que là pour le coup c’est vraiment des films de pédés pour des pédés. Et en plus, sur vraiment les pédés qui sont eux, bien normaux, sur leur petite sexualité précise de petits pédés moyens. Donc ce n’est pas des films qui m’intéresseraient. (...). Effectivement tu fais une programmation Araki, Sciamma, truc- bidouille, c’est pas pédé, ça me plaisait.499 La notion de « bonne image » est proscrite dans les deux entretiens et/ou re- signifiée. Soukaz, dont les films sont très sexuels, est re-signifié en « bonne image » en tant qu'il s'est battu contre la censure et pour la liberté sexuelle500, alors que les films sur le mariage sont connotés négativement comme 1°) généralement mauvais cinématographiquement et 2°) voulant imiter une « norme » dénotée501.

Ce qui frappe d'autant plus, c'est la réflexivité présente dans ces deux entretiens. Les deux spectateurs ont ici une culture cinématographique réelle, et citent de nombreux films hors Festival qu'ils comparent. Ainsi, dans l'entretien n°10, la notion de « film gay » est questionnée :

Pour moi Sciamma c’est pas une réalisatrice gay, comme Despentes (…) Je ne vois pas ce que c’est un film gay. On n’a jamais dit qu’on faisait des films hétéros. (…) Les frères Larrieux ils sont pédés, quand ils font un film sur les échangistes, c’est des hétéros qu’ils filment. On ne dit pas que c’est un film gay. Eux, ils sont gays, et ils mettent des hétéros dans un cercle échangiste, et c’est un film. La question se pose comme ça502. De même, la présence des films dans un FFGL est doublement contextualisée, comme donnant un sens supplémentaire aux classiques (Victor Victoria, Cruising dans

499 Entretien n°10 du 07/05/2012 – on retrouve peu ou prou la même chose dans l'entretien n°8 du 30/04/2012. 500 Entretien n°10 du 07/05/2012 501 Entretiens n°8 du 30/04/2012 et 10 du 07/05/2012. 502 Entretien n°10. 07/05/2012

2012 113 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

l'entretien n°8) ou comme permettant une « liberté » dans l'expression sexuelle. Tous deux sont conscients du « cadrage » dans la lecture des films, relatif à la programmation dans un FFGL :

Quand tu pars pour un festival gay et lesbien et que tu es hétéro, dans ta tête tu vas voir des trucs trash, (…) parce que c’est un milieu trash. Parce que la vision du pédé, c’est jamais la vision du pédé gentil dans ton monde hétéro, c’est toujours un mec qui va dans les backrooms, qui se fait défoncer,(...) donc tu es préparé à voir des trucs trash qui vont te déranger. (...)Pour les gens avec moi à la fac, être hétéro, c'est avoir une sexualité plus normale. Alors qu’il y a des hétéros qui ont une sexualité complètement dérangée et des pédés qui ont une vie sexuelle complètement banale,(...) Je pense que c’est plus facile de passer un film de Bruce LaBruce [dans un FFGL] (...). Sinon ce serait un festival porno si c’était un truc plus hétéro. Et pas un film intéressant. Tu n’y va pas dans la même optique : tu découvres un autre truc, un autre milieu, du coup tu ne te dis pas que tu vas voir un film porno.[puis discussion sur la perception des sexualités]503 L'utilisation de l'espace discursif est varié. Il y a à la fois une volonté d'étendre sa connaissance sexuelle et cinématographique, un travail sur soi réflexif et un but de sociabilité. L'hétérotopie est ici un espace aux dimensions multiples, qui permet la réhabilitation d'une culture, et qui peut être utilisé différemment par les publics. Au delà des publics hétérosexuels, on retrouve peu ou prou cette vision d'un public intéressé par la déviance et constructiviste dans l'entretien n°11504.

503 Entretien n°10. 07/05/2012 504 avec un homme homosexuel, professeur de philosophie & cinéma, bénévole Face à Face St Etienne. 13/05/2012

2012 114 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Fig. 18 : Publics hétérosexuels déconstructivistes et cinéphiles – tentative de modélisation des usages et utilisations de l'espace discursif505. 3.2.2. Des publics hétérosexuels féministes et/ou intéressés par le genre : Ecrans Mixtes comme espace hétérotopique de réflexion Une troisième modalité de compréhension de l'espace discursif se retrouve dans les entretiens n°6 (femme hétérosexuelle, étudiante ENS, centrée sur la notion de genre)506 et n°4 (femme non hétéro, anime une émission de radio féministe)507 : Ecrans Mixtes est un espace propice à la réflexion sur le genre et les sexualités. Si un seul entretien avec une personne hétérosexuelle témoigne de ce point de vue, la présence du milieu féministe lyonnais, dans des séances telles que Bye Bye Blondie508, tend à confirmer l'existence d'un narratif féministe et/ou de personnes intéressées par la notion de « genre ».

Ecrans Mixtes comme festival sur le genre Dans ces deux entretiens, la notion de FFGL est dépassée. Ecrans Mixtes se centrerait d'abord sur le genre et les sexualités. L'entretien n°6 est ici particulièrement intéressant :

L’objectif c’était de donner à voir une autre sexualité, qu’on ne

505 Pour une raison de clarté du schéma, les relations entre les sous-blocs de différents blocs n'ont pas été représentées. 506 Entretien n°6, 22/04/2012 507 Entretien n°4, 13/04/2012 508 Observée anthropologiquement et confirmée dans les entretiens n°4 et 6.

2012 115 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

voit pas dans les séries américaines ou même dans les films français, où l’homosexualité est mise en scène de façon conventionnelle (...). J’avais l’impression que ça abolissait les frontières entre hétérosexualité, homosexualité et quelque chose d’autre, qu’on pourrait nommer ou pas. Peut-être un peu plus queer. Pour ce que j’en ai vu, j’ai trouvé ça intéressant, bien réparti et bien foutu.509 On voit bien ici comment « l'autre sexualité » est un dépassement du binarisme homo-hétéro, représenté traditionnellement dans les films, une interrogation sur la notion de « norme », que l'on retrouve dans l'entretien n°4 :

Le choix des films, c'était de choisir des films qui traitaient des thèmes gays et lesbiens. (…) Il y a une petite tendance queer. Ce qui est très sympa, parce que ça fait sortir du cloisonnement classique, vraiment. C'est ça peut-être qui fait que le Festival était plus LGBT que " gay et lesbien" 510. Ici, la personne interrogée fait la différence entre « gay et lesbien », LGBT et queer511, termes qui dénotent pour elle des politiques et identités différentes. Dans les deux entretiens, cette question du différentiel queer / gay et lesbien revient à plusieurs reprises. L'intérêt porté à Ecrans Mixtes réside fondamentalement dans ce nexus512. Pour l'entretien n°6, La naissance des pieuvres513, film sur l'adolescence, est emblématique de la programmation du Festival, en tant qu'il ne parle pas spécifiquement d'homo/d'hétérosexualité, mais davantage de la construction individuelle, en termes de genre et de sexualité.

Ce focus sur le genre et les sexualités se traduit par une attention particulière portée sur la « répartition » des films proposés, notamment (mais pas exclusivement) en termes de différentiel films lesbiens / films homosexuels. Cela n'est pas étonnant : dans l'histoire des FFGL, les mouvements féministes ont été nombreux à souligner la domination masculine [au sens de 'male privileges'] et l'absence relative des lesbiennes514. En revanche, l'approche défendue dans les entretiens n°4 et 6 contraste avec l'histoire de Frameline, dans la mesure où Ecrans Mixtes réaliserait une certaine

509 Entretien n°6 du 22/04/2012. Question : que penses-tu de la ligne éditoriale et de la programmation, de manière générale ? Comment la perçois-tu ? 510 Entretien n°4 du 13/04/2012, même question. 511 Dans les deux entretiens, on retrouve d’ailleurs une variété d'expression sexuelle importante. 512 Entretien n°4 du 13/04/2012 : les sous-thématiques sont un des critères de sélection des films. Entretien n°6 du 22/04/2012 : rôle de Despentes. 513 Céline SCIAMMA, La naissance des pieuvres, op. cit. 514 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit., p. 199–204 ; Marc SIEGEL, « Spilling out onto Castro Street », op. cit. ; Jenni OLSON, The ultimate guide to lesbian & gay film and video, New York, Serpent’s Tail, 1996 ; Joshua GAMSON, « The organizational shaping of collective identity », op. cit., p. 235 ; Skadi LOIST et Ger ZIELINSKI, « On the development of Queer Film Festivals and their media activism », op. cit. ; Skadi LOIST, « A complicated queerness: LBGT Film festivals and Programming Strategies », op. cit.

2012 116 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

« mixité » des publics et films, qui serait (1) basée sur une approche queer de la programmation, par opposition à la séparation des programmes en fonction des identités des spectateurs potentiels décrite par Loist515 et (2) au contenu varié (et non limité au différentiel gay / lesbien). Comme le souligne l'entretien n°4 :

Mixtes : il y a un peu de tout. Non, je trouve que c’est très bien trouvé. Mixité, c’est dans tous les sens : genrée, sociale, raciale aussi d’ailleurs. Mixtes. Ce nom laisse la place pour un contenu assez varié, par la suite, qu’on retrouve dans le festival.516 De manière générale, ces publics surimposent un savoir (quasi académique) sur l'espace discursif Ecrans Mixtes, et ce particulièrement quand ils analysent la politique du Festival : ils utilisent des concepts issus des gender studies pour comprendre la formation de l'espace hétérotopique. Ainsi, la mixité genrée, sociale, raciale sus-citée fait référence au paradigme de l'intersectionalité. La même personne note une « volonté d’approfondir les thématiques LBGTQ et ne pas les voir qu’en noir et blanc ou en blanc et rose »517, vocabulaire typique de la théorie queer (sensée dépasser les binarismes « noir et blanc », « bonne image - image caricaturale » ou « homo - hétéro »), des récentes critiques des queer people of color (QPOC)518 et de la théorie queer postcoloniale519. Dans l'entretien n°6, la personne questionne à plusieurs reprises la « limite » entre hétérosexualité et homosexualité et tente d'établir la « politique » d'Ecrans Mixtes à partir d'une théorie personnelle :

[Le Festival] s’inscrit plutôt sur une (...) version qui serait - après c’est peut-être aussi ma lecture du problème et la solution que j’ai trouvée - (…) qu’actuellement il y a une norme sociale dans laquelle il faut rentrer. (....) C’est que la société c'est une totalité, une réalité sociale, et que tout le monde en fait partie et donc de fait c’est pas possible d’en être exclu. [par rapport au débat sur politique assimilationniste / séparatiste]520

515 Skadi LOIST, « A complicated queerness: LBGT Film festivals and Programming Strategies », op. Cit. Comme le souligne Loist, l'approche séparatiste est celle choisie par la plupart des FFGL 516 Entretien n°4, femme lesbienne, 13/04/2012 517 Entretien n°4. 13/04/2012. Question « à votre avis, y a-t-il des buts / des missions / une politique du Festival et laquelle serait-elle ? » 518 De manière générale, la critique des QPOC s'articule dans les mouvements sociaux. Si ceux-ci organisent des conférences universitaires, basées sur la notion d'intersectionalité, le statut des QPOC est contesté au niveau académique. Pour un exemple de critiques des QPOC, voire « Decolonize your mind », Queer People of Color Conference, UC Riverside, 2011 ; Roderick A. FERGUSON, Aberrations In Black: Toward A Queer Of Color Critique, 1ère éd., Univ Of Minnesota Press, 2003, 192 p. 519 Ian BARNARD, « Queer race », op. cit. ; Jasbir K. PUAR, Terrorist assemblages, op. cit. ; Jane WARD, Respectably queer: diversity culture in LGBT activist organizations, Vanderbilt University Press, 2008, 196 p ; Jane WARD, « White Normativity: The Cultural Dimensions of Whiteness in a Racially Diverse LGBT Organization », Sociological Perspectives, août 2008, vol. 51, no 3 ; Ellen K. SCOTT, « Beyond Tokenism: The Making of Racially Diverse Feminist Organizations », Social Problems, mai 2005, vol. 52, no 2. 520 Entretien n°6 du 22/04/2012, femme hétérosexuelle. Question « Tu me parlais de la politique du Festival, en termes de sexualité... »

2012 117 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Ces deux personnes s'interrogent donc sur le Festival, tant en termes de programmation que de politique, à partir d'un savoir particulier, lié au féminisme et aux gender studies. On observe par ailleurs un relatif rejet de l'ethos gay et lesbien normatif521.

Dans cet échantillon, aucun homme hétérosexuel ne correspond au profil « lecture en termes de genre / de sexualité », ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'il n'y en avait pas parmi le public (au sens large). Parmi les hommes LGBT, l'entretien n°11522 contient certaines modalités de réflexion sur le genre et la sexualité, différentes des entretiens n°4 et 6 : il insiste davantage sur les pratiques et la liberté sexuelle, en référençant le Front d'Action Homosexuel Révolutionnaire. Ce différentiel est à mettre sur le compte des fondements différents entre mouvements féministes et mouvements gays523.

Espace hétérotopique et réflexivité Les deux personnes interrogées notent une relative fermeture de l'espace hétérotopique. Pour elles, les spectateurs seraient « déjà au courant de ces thématiques »524, en majorité mais pas uniquement LGBTQ525, ce qui est résumé dans l'entretien n°4 :

Moi je pense qu’il y avait quand même surtout [des personnes] LBGTQ. Peut-être aussi des personnes un peu queer ou branchées qui, je le soupçonne, étaient pour beaucoup hétéros. Du coup une petite mixité. (...) Parce que c’est un peu la mode [queer]. Et effectivement on ne sait pas ce que ça recoupe.526 En outre, les deux mettent l'accent sur la présence de nombreuses connaissances : « [il y avait] plein de monde que je connaissais, soit du planning [familial], soit du

521 Entretien n°6 22/04/2012 : Question : Tu parles de festival queer ou sur la sexualité, plutôt que de festival gay et lesbien … Réponse : « [gay et lesbien, c]’est un peu réducteur aussi parce que justement on en revient à cette question de limite. mais les limites ne sont pas présentes dans la programmation. Déjà, parler de gay et lesbien, c’est mettre des cases très fermées, une idée très fermée de la chose.(...) Mais oui, je me retrouve beaucoup plus dans cette programmation que dans un festival gay et lesbien, qui me concerne moins. » . 522 Entretien n°11 : homme homosexuel, professeur de cinéma et philosophie. 13/05/2012 523 Les mouvements gays seraient notamment davantage tournés vers la liberté sexuelle (homosexualité en tant que pratique sexuelle réprimée historiquement pour les hommes), là où les mouvements féministes prendraient pour point de départ la domination (le lesbianisme n'a que très rarement été interdit en tant que pratique). Jane Ward, Queer social movements, UC Riverside. 2011. 524 Entretien n°6 22/04/2012, femme hétérosexuelle, lorsque l'on aborde le public. Cette relative fermeture du public est explicité lorsqu'elle parle de la mission de « visibilité » qui ne serait pas très présente à Ecrans Mixtes : « De toute façon c’est des sujets sur lesquels c’est très difficile de drainer du monde même qui est au courant de la question mais [qui n'est] pas forcément dedans … il y a une certaine appréhension des gens » . Passages similaires dans l'entretien n°4 du 13/04/2012. 525 Dans l'entretien n°6 du 22/04/2012, ce constat peut être interrogé : les séances vues (En 80 jours et Bye Bye Blondie) sont à très forte population lesbienne. 526 Entretien n°4 du 13/04/2012. On note ici la séparation entre pratique et identité sexuelle.

2012 118 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

collectif [lesbien] (...) C’était des gens que je connaissais déjà et avec qui j’avais déjà abordé le sujet »527, les « copines féministes »528. Il y aurait une relative fermeture du public, constitué de personnes familières avec les thématiques LGBTQ :

Le public était averti : il savait ce qu’il allait voir. Il peut y avoir quelques personnes venues par hasard, qui n’avaient pas d’intérêt pour ces thématiques et qui ont eu la surprise et c’est vraiment tant mieux529. Dans le même registre, pour elles, la communication n'est pas pas « clairement » gay et lesbienne mais présente des « codes » LGBTQ qui permettent l'inclusion dans l'espace hétérotopique. Un spectateur lambda, qui ne connaîtrait pas ces scènes culturelles, pourrait ne pas percevoir le côté LBGTQ :

C’était pas un rapport à la sexualité très appuyé, et en même temps c’était la sexualité comme on la vit (…) et du coup ça tombait sous le sens. Mais ce n’était pas exagéré non plus. C’était subtil. C’était pas … Comment dire … Estampillé gay et lesbien (...)530 A la différence des hétéropublics, Ecrans Mixtes en tant que tel n'est pas « gay lesbien » : on n'attache pas à l'espace discursif une essence exogène, mais on s'intéresse davantage au Festival comme « espace (construit) où les thématiques et codes LBGTQ sont dominants », dans lequel on s'inclut.

Contrairement aux publics cinéphiles réflexifs, les sphères cinématographiques et sexuelles sont ici séparées (là où il y avait interrogation de la norme / des genres avec la figure de la 'démarche artistique'). Dans l'entretien n°4, la personne détache son interprétation (politique et sexuelle) des films de leur qualité (schématiquement : c'est un bon film et au niveau sexuel c'est intéressant531 ). Autrement dit, il y a séparation du fond et de la forme). Elle définit d'ailleurs la cinéphilie comme un critère (la sexualité en est un autre) dans son choix de film. La cinéphilie est absente de l'entretien n°6 – la personne confesse ne jamais aller au cinéma et n'être pas intéressée par les films de manière générale532.

527 Entretien n°6, femme hétérosexuelle. 22/04/2012 528 Entretien n° 4, femme lesbienne, 13/04/2012 529 Ibid 530 Entretien n°6 du 22/04/2012. On retrouve un passage similaire dans l'entretien n°4 du 13/04/2012, quand elle s'interroge sur le côté gay et lesbien de la communication. 531 Cf. par exemple entretien n°4 du 13/04/2012 , sur les Nuits Fauves : « Oui, oui, ouiiiii !!!! C’est vraiment une grande découverte. (...) J’étais vraiment bouleversée, c’était génial. C’est incroyable qu’il ne soit pas connu plus que ça. (…) Les dialogues sont très précieux, très justes, c’est … vraiment un très bon équilibre entre un grand film d’art et c’est loin d’être quelque chose d’artificiel ou un peu trop … c’est vraiment génial. (elle marque une pose). Et les thématiques. De nos jours on parle beaucoup moins du sida, donc c’est très très bien d’en reparler maintenant. Je me demande justement (...) » 532 « Le Despentes je suis allée le voir parce que c’était Despentes. (…) [En 80 jours,] c’est [un ami] aussi qui l’a choisi parce qu’en fait je n’aime pas le cinéma donc pour choisir, c’est difficile » répété plusieurs fois dans l'entretien. 22/04/2012

2012 119 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Les buts apposés au Festival sont aussi révélateurs : il s'agirait certes de montrer des films, mais surtout d' « approfondir les thématiques »533, d'immiscer une réflexion sur le genre et la sexualité534, de « poser des questions »535. Dans les deux cas, il s'agit d'un acte politique, distinct cependant des mouvements LGBTQ traditionnels (Ecrans Mixtes est jugé plus « concret »). L'entretien n°4 re-situe par ailleurs le Festival dans une fonction traditionnelle des mouvements LGBTQ et féministes : créer une « histoire » minoritaire, transmettre le savoir entre les générations536.

Les films sont interprétés individuellement, mais appartiennent tous plus ou moins à une réflexion sur la sexualité. Dans l'entretien n°4537, John Waters traite de l'hétérosexualité et de la transsexualité. En 80 jours est contextualisé comme questionnant la binarité homosexualité – hétérosexualité538. Bye Bye Blondie est critiqué pour son contenu politique dans l'entretien n°6. Les Nuits Fauves est re-situé dans le contexte SIDA539.

Enfin, on note une utilisation constante de « savoirs pratiques » issus de leur vie quotidienne. Dans l'entretien n°6, la personne compare sa présence dans l'espace sexué à l'écriture de son mémoire (en étude de genre – « mais tu n'es pas lesbienne »). L'importance d'Ecrans Mixtes est, pour elle, renforcée par la présence des Jeunes Identitaires540. On est ici davantage dans le festival activiste, qui montre des films tout en promouvant une réflexion.

Usages de la sphère hétérotopique : un festival activiste ? Ces publics féministes et/ou intéressés par le genre utilisent donc l'espace hétérotopique comme lieu de questionnement sur la sexualité. On est ici proche des groupes mixtes et non mixtes féministes : l'intérêt du Festival, au delà de la réflexion sur les thématiques LGBTQ hors de la société hétéronormée, réside dans l'idée d'une

533 Entretien n°4 du 13/04/2012 534 Entretien n°6 du 22/04/2012 535 Expression présente dans les deux entretiens 536 Entretien n°4 du 13/04/2012 : « c’est vraiment transmission de l’histoire, qui n’est jamais effacée. Parce que dans notre société actuelle, la transmission de l’histoire va toujours dans un certain sens, celui de ceux qui ont accès aux outils et au pouvoir d’information. En sachant que l’histoire LBGTQ, c’est quand même une histoire minoritaire, marginale. C’est très important, il y a beaucoup de choses à transmettre, et c’est très intéressant. » 537 Femme lesbienne, 13/04/2012 538 Entretien n°6 du 22/04/2012: « ça représentait bien justement cette absence de limite entre une hétérosexualité et une homosexualité dans le sens où finalement c’est aussi le fruit du milieu dans lequel on est, des gens qu’on rencontre, de la façon dont on grandit. C’était une femme mariée depuis un certain nombre d’années, qui avait des enfants, et elle retombait amoureuse. Je pense que ça montre qu’il y avait des sentiments dès le départ mais qu’elle n’avait même pas vus. Elle ne s’était pas posée la question.» (on est proche de l'hétérosexualité obligatoire de Rich) 539 Entretien n°4 du 13/04/2012 540 Elle fait partie du Collectif de Vigilance 69.

2012 120 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

réappropriation de la sphère publique, dans la création d'un lieu sûr (safe space) où les normes sociales sont moins fortes. Pour l'entretien n°6 :

(…) C’est des questions où au bout d’un moment on a besoin de se lâcher. Déjà, moi, j’ai l’impression d’être un porte-drapeau parfois. Alors que je suis relativement une fille qui rentre dans les clous de ce que l’on attend d’une fille de mon âge. Mais j’imagine que pour quelqu’un qui sort un peu plus des clous… (…) On a moins besoin de jouer un rôle sur sa personnalité.541 Dans le même ordre d'idée, l'insistance des deux entretiens sur la présence de leurs connaissances indique que le Festival est un espace de sociabilité, hors de la société : « Pour le public que j’ai vu, c'est des gens qu’on retrouve, un certain public militant. (…) C'était des gens déjà un peu sensibilisés aux questions. (…) En tout cas ça fait du bien de se retrouver»542. La sociabilité est facilitée par la nature (perçue) de l'espace hétérotopique, dans l'entretien n°4 :

J’ai discuté comme cela avec un garçon qui était juste à côté. C’était sympathique, parce que ce n’est pas forcément dans n’importe quelle séance que l’on peut (...) aborder quelqu’un. Bon, certes, on suppose quand même que dans le festival, on a une petite base commune. Au moins un intérêt et une ouverture vers les thématiques LBGT. Donc c’est déjà plus facile.543 On est de nouveau dans le politique : si la relative fermeture (perçue) du Festival garantit « l'espace sûr », elle permet à la fois (1) la constitution d'un groupe d'affinité temporaire, propice à la réflexion, (2) l'inclusion de personnes extérieures aux pairs et peut-être un début de réflexion et (3) de s'identifier à d'autres représentations :

Rien que pour les gens qui se posent des questions et se sentent seuls, c’est vachement important d'avoir à un moment ou à un autre, pas forcément quelqu’un à qui s’identifier, mais simplement une autre représentation que celle qui circule dans la famille ou dans le cercle familial et ... Enfin … le droit à une sexualité comme on la veut n’est jamais acquis. (…) Ça peut être important d'avoir un moment où c’est montré en plein jour (…) Après ça n’est pas forcément une mission en soi, mais ça remplit une mission. Avec ce genre d’évènement, (...) ça devient forcément un lieu de rencontre avec la population et d’échange (...). Pour quelqu’un qui se sent seul, voir qu’il y a des gens comme lui, je pense que c’est important. C’est déjà rassurant.544 C'est bien pour cela que l'on a parlé de fermeture relative du Festival : Ecrans Mixtes est prisé à la fois pour les relations intra-groupe (sociabilité) et pour son existence propre dans une société (échange, « pour quelqu'un qui se sent seul », mission

541 Entretien n°6, femme hétérosexuelle, 22/04/2012 542 Entretien n°6, 22/04/2012 sur le public du Festival. 543 Entretien n°4 du 13/04/2012 . Question : avez-vous eu des contacts avec le public ? 544 Entretien n°6, 22/04/2012.

2012 121 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

inclusive) – il s'agit d'un espace hétérotopique, politique, en tant que tel, auquel une mission de réflexion est assignée (autrement dit un festival activiste, selon les définitions de Iordanova et de Torchin545).

Fig 19. Modélisation des usages et interprétations de l'espace discursif Ecrans Mixtes chez les Femmes féministes / intéressées par la notion de genre546 3.2.3. Vers le mélange des genres : construire un modèle. On a donc trois modalités de compréhension et d'utilisation de l'espace discursif Ecrans Mixtes par des publics hétérosexuels : entre la vision normative des hétéropublics, celle réflexive des publics constructivistes cinéphiles et la réflexion sur le genre et les sexualités, le Festival est un objet fondamentalement polysémique, interprété différemment selon les publics considérés. Dans cette partie, on tentera de modéliser ces compréhensions du Festival.

Des publics homosexuels dans l'hétérotopie – questionner l'implicite du sujet Un bref retour sur les publics homosexuels semble ici nécessaire. L'implicite d'un sujet sur les publics hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes, c'est que la sexualité

545 Dina IORDANOVA, « Film Festivals and Dissent: Can Film Change the World? », op. cit. ; Leshu TORCHIN, « Networked for advocacy: Film Festivals and Activism », op. cit. 546 Comme dans toute la section, ce schéma ne s'applique qu'aux femmes : n'ayant pas eu d'homme hétérosexuel manifestant ce narratif dans les entretiens, la prudence est de rigueur.

2012 122 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

conditionne fondamentalement l'expérience dans l'espace hétérotopique. Autrement dit, il y aurait des différences fondamentales entre les interprétations et les utilisations du Festival selon l'identité sexuelle des publics. Or, l'analyse des narratifs a montré qu'il n'existait pas « une » lecture hétérosexuelle, mais une pluralité de narratifs.

Dans la méthodologie, il avait été choisi d'avoir un nombre équivalent d'entretiens entre personnes hétérosexuelles et LGBTQ. Ces derniers sont un « groupe de contrôle », qui permet de s'interroger sur les « spécificités » des hétérosexuels. On a déjà vu que le placement dans l'hétéropublic n'était pas forcément une conséquence de l'identité sexuelle, même si l'hétérosexualité favorisait un positionnement hétéropublic.

Publics homosexuels et narratifs dans l'espace hétérotopique Si l'on s'intéresse aux narratifs des publics homosexuels, le constat est similaire : la grille de lecture proposée dans cette section s'applique à la majorité des personnes LGBTQ. Ainsi, les hétéropublics LGBTQ (entretiens n°1547 et n°13548) ont une lecture, exogène, très proche de celle des hétéropublics hétérosexuels, comme souligné précédemment. Il ne s'agit pas ici de nier qu'il puisse exister des différences d'interprétation entre personnes LGBTQ et hétérosexuelles mais plutôt de voir en quoi la grille d'analyse proposée n'est pas exclusive aux hétérosexuels.

Certains entretiens avec des personnes LGBTQ sont plus difficiles à caractériser. Ainsi, l'entretien n°14549 ne peut être rangé dans aucune catégorie, mais principalement du fait d'une absence de réflexion sur sa pratique culturelle. L'entretien n°12550, avec une femme LGBTQ, est « entre » plusieurs types de compréhensions. Celle-ci manifeste par moment une compréhension de type genre et sexualités, parfois une vision exogène, et parfois une célébration de « la » culture queer. Celui n°11551 est davantage orienté vers une interprétation du type réflexif (art et sexualité liés), mais contient de nombreux éléments de réflexion sur le genre et la sexualité.

D'autre part, l'analyse des publics LGBTQ conduirait à établir d'autres types de narratifs. Dans l'entretien n°5552, il y a clairement l'idée d'une sensibilité et d'une culture « gay et lesbienne », qu'Ecrans Mixtes publiciserait, ce que l'on retrouve dans l'entretien n°9553. Ce type de lecture n'a pas été développé dans les entretiens avec les personnes hétérosexuelles. Cela ne signifie pas pour autant qu'aucun hétérosexuel public du

547 Entretien n°1, homme gay, 20aine. 26/03/2012 548 Femme lesbienne, 20aine. 16/05/2012 549 Homme queer. A toutes les questions, il répondait « je ne sais pas ». 18/05/2012 550 Femme lesbienne, 20aine, 15/05/2012 551 Homme gay, professeur en philosophie et cinéma, participe à Face à Face St Etienne. 13/05/2012 552 Homme homosexuel, bénévole Lavoir et Middlegender 16/04/2012 553 Femme, bénévole Ecrans Mixtes, s'identifie alternativement comme queer et hétérosexuelle. 04/05/2012

2012 123 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Festival n'ait tenu ce narratif (peut-être aurait-il été développé dans d'autres entretiens).

Retour sur les entretiens : Ecrans « Mixtes » - de l'intérêt de l'analyse en termes de narratifs. Au total, ce sont donc quatre types de compréhension qui ont été dégagés. En analysant les entretiens, on se rend compte qu'il s'agit davantage de pôles que de réalités séparées. Autrement dit, les personnes interrogées tendent à s'ancrer dans un narratif (ou entre plusieurs narratifs) mais n'incarnent parfaitement que rarement « une » interprétation du Festival. Ainsi, l'entretien n°9554 est orienté vers la célébration d'une culture queer, mais manifeste des éléments de réflexion sur le genre proches des spectateurs n°4 et 6. Les narratifs relevés sont des constructions arbitraires, qui visent avant tout à mieux comprendre les mécanismes de compréhension de l'espace discursif.

Si, au niveau meso, il est possible de classer les spectateurs en fonction de leur interprétation et usage de l'espace discursif, il est plus compliqué de situer un entretien (individuellement) avec précision : le narratif n'est que rarement tenu en entier par un spectateur (autrement dit, on n'a que peu toutes les caractéristiques de l'hétéropublic). Il s'agit plus de grilles d'interprétations utilisées ponctuellement que d'une réalité normative. De plus, les entretiens témoignent d'un discours à un moment précis, sur la manière dont un spectateur s'est positionné et a imaginé l'espace discursif après le Festival. La situation d'entretien induit en outre des biais : dans un face-à-face avec un inconnu, les traits ont tendance à être grossis. Il est possible de même que certains discours aient été adaptés pour « faire plaisir » à l'équipe du Festival, ou pour faire « bonne figure » (exemple : la lutte contre les discriminations prônée par les publics hétérosexuels). En outre, il est probable que d'autres types de narratifs existent.

Ces types de narratifs n'ont que peu de sens au niveau individuel : ils tentent de comprendre comment « globalement » les spectateurs saisissent l'espace discursif. Autrement dit, il ne s'agit pas de « déterminer la lecture » d'un spectateur, mais plutôt de comprendre quels ressors (variables) jouent dans les lectures.

En revanche, ce qui apparaît clairement, c'est que l'identité sexuelle du public n'est pas déterminante en tant que telle dans la compréhension et l'utilisation de l'espace discursif : comme démontré précédemment, plusieurs personnes LGBTQ manifestaient le même narratif que celui contenu dans les entretiens hétérosexuels.

554 Femme hétérosexuelle – queer – bénévole. 04/05/2012

2012 124 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Vision de la sexualité – espace discursif imaginé et compréhension du Festival : une tentative de modélisation Si l'orientation sexuelle n'est pas déterminante en soi, comment modéliser la compréhension et l'utilisation du Festival par les publics ? Autrement dit, pourquoi un spectateur x assigne-t-il un certain sens (qu'on ne pourra déterminer) à l'espace discursif (polysémique) et quelles conséquences cela a-t-il sur son utilisation du Festival ?

Vision de la/sa sexualité – espace discursif imaginé et compréhension du Festival : les variables des narratifs Deux éléments sont récurrents dans les narratifs présents dans les entretiens : un rapport à la sexualité et une interprétation de ce qu'est Ecrans Mixtes (autrement dit, un espace discursif imaginé).

Si l'identité sexuelle n'est pas déterminante, tous les entretiens témoignent d'un certain « rapport à la/sa sexualité » , c'est-à-dire d'une compréhension des sexualités (qu'elle soit binaire et issue du sens commun ou plus complexe) et de leur sexualité (compréhension de leurs pratiques et leur-s identité-s sexuelles par rapport à une norme imaginée). Celle-ci est informée par un ensemble de savoirs ou de pré-notions – issus par exemple des études sur le genre et/ou de la socialisation. Elle est en outre influencée par et influence des savoirs périphériques – notamment liés à l'engagement politique, à un capital culturel, etc. Ces savoirs sont des « grilles de lecture » en tant qu'ils permettent de comprendre le monde de manière sexuelle. Schématiquement, dans le sens commun, on identifiera l'homosexualité et l'hétérosexualité en fonction du degré de (hétéro)normativité par rapport à la pratique sexuelle ou à l'apparence sexuelle d'un individu. Dans une optique homo-centrée, il existe des codes sous-culturels, qui permettent la reconnaissance : au début du siècle, la possession de certains livres permettait de reconnaître « l'inverti » ; aujourd'hui certains mots clefs, références ou codes graphiques tendent à orienter ceux qui les connaissent vers une lecture en termes d'homosexualité – non perçue par d'autres.

L'espace discursif Ecrans Mixtes est imaginé : sur un ensemble de textes (communication, films présentés, publics aux séances), le lecteur projette une interprétation du Festival. Certains aspects de la communication sont par exemple jugés plus importants que d'autres par un spectateur x. Typiquement, l'entretien n°7555 établit qu'Ecrans Mixtes est un festival « gay et lesbien » parce que l'édito du catalogue, écrit par un adjoint à la culture, parle d'homosexualité. Or, il ne s'agit ici que d'un texte parmi d'autres ; il y a une sélection dans les textes choisis, qui permettent l'imagination de

555 Femme hétérosexuelle, 40aine. 23/04/2012

2012 125 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

l'espace discursif. La sélection de films d'Ecrans Mixtes est constituée en ligne éditoriale, c'est-à-dire en un narratif cohérent, qui caractérise la « nature » du Festival. Ainsi, l'entretien n°10556 y voit davantage un festival de film qui questionne l'idée de norme (notamment sexuée), interprétation renforcée par la présence de « salles cinématographiques légitimes » et de « films artistiques sur la sexualité ». L'entretien n°7 considère qu'il s'agit de 'films gays et lesbiens'. A cet espace sont apposés des « buts » imaginés (du Festival) – les publics hétérosexuels qui interprètent Ecrans Mixtes comme principalement gay et lesbien y voient par exemple une mission de visibilité et de lutte contre les discriminations557.

Cette relation entre la compréhension de sa/la sexualité et un espace discursif imaginé influe en outre sur la perception de l'identité sexuelle du public.

Un dernier élément de l'interprétation du Festival reste la relation entre l'espace discursif imaginé et les films individuels projetés : à savoir si la manière dont un film s'inscrit dans la cohérence du Festival. Ici jouent la ligne éditoriale (imaginée) et le savoir périphérique, notamment en termes de pratiques cinématographiques. Comme le soulignait Toby Miller, les lecteurs surimposent un savoir sur le texte, le sens des films est créé dans l'intertexte558. Pour certains, comme dans l'entretien n°15559, Ecrans Mixtes est un festival gay et lesbien, ce qui signifie que tous les films (y compris les classiques) sont gays et lesbiens (lecture téléologique). Pour d'autres, chaque film est contextualisé et discuté individuellement.

Les publics ont donc des interprétations différenciées de l'espace discursif. Il développent en outre des « usages » particuliers : il peut s'agir de « voir des films » (notamment dans le cas des hétéropublics, ce qui sert parfois de « justification »), de rencontrer du monde (sociabilité), de « réfléchir sur le genre et la sexualité », de « célébrer un mode de vie / une culture ».

Modéliser la compréhension d'Ecrans Mixtes Le schéma n°20 tente de modéliser cette relation entre la compréhension de la/sa sexualité et l'interprétation de l'espace discursif pour les spectateurs hétérosexuels. Il est simplifié : seules les principales relations apparaissent. Ce schéma peut s'adapter aux trois narratifs décrits.

556 Femme hétérosexuelle, bénévole Middlegender et Lavoir, étudiante en droit de la culture. 07/05/2012 557 Par exemple, entretien n°7 du 23/04/2012, femme hétérosexuelle 558 Toby MILLER, The well-tempered self, op. cit., p. 65. 559 Homme hétérosexuel. 25/05/2012

2012 126 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Fig. 20 : utilisation et compréhension du Festival Ecrans Mixtes comme espace discursif polysémique par les publics / hétéropublics hétérosexuels : une modélisation simplifiée Le schéma n°21 donne un tel exemple appliqué à l'entretien n°5560 – la célébration d'une culture gay et lesbienne par un homme homosexuel.

560 Homme gay, bénévole Middlegender et Lavoir, 16/04/2012

2012 127 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Fig. 21 : modélisation de la compréhension et de l'utilisation de l'espace discursif dans l'entretien n°5, homme homosexuel – bénévole Lavoir et Middlegender, « célébrer une culture queer » Le narratif tenu dans l'entretien n°5 peut donc être représenté avec le même schéma – en tant qu'il manifeste clairement une lecture d'Ecrans Mixtes basée sur une représentation de la/sa sexualité et un espace discursif imaginé. Le schéma n°20, cependant, est simplifié : on a uniquement représenté les relations principales. La figure 22 complète cette modélisation.

2012 128 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Fig 22 : utilisation et compréhension du Festival Ecrans Mixtes comme espace discursif polysémique par les publics / hétéropublics hétérosexuels : relations complémentaires Cette modélisation n'est pas nécessairement applicable à tous les spectateurs – elle se centre sur les personnes hétérosexuelles (elle n'a pas été testée avec tous les publics LGBTQ), publics du Festival (et non au : ils ne sont pas là par hasard, mais pour l'évènement – dont ils avaient connaissance) Ecrans Mixtes 2012 : il n'est pas dit que le schéma soit transférable à tous les FFGL. Ecrans Mixtes est un événement spécifique et fondamentalement polysémique. D'autres festivals ont une communication plus précise, qui tendrait, peut-être, à orienter vers une lecture « juste » de l'évènement.

D'autre part, cette modélisation prend la sexualité comme lentille sociologique. Or, il est probable qu'un focus sur la classe, le capital culturel ou les pratiques cinématographiques effectives aurait donné un résultat différent.

2012 129 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine Conclusion : tou-te-s « rebelles rebels » ? - le Festival comme espace polysémique.

« Il n'y a pas de solution simple à la question de la trivialité, plus ou moins étendue, plus ou moins légitime, des objets culturels et des savoirs que ceux-ci peuvent conduire à partager. Le parcours esquissé ici (...), voulait montrer l'hétérogénéité irréductible des processus impliqués par la culture triviale, la richesse créative de ces processus, le rôle actif qu'ils jouent, non aux marges de la culture, mais au cœur de son invention et de son appropriation sociale, l'instabilité et l'imperfection nécessaires des formes qu'ils prennent. La trivialité est en cela radicalement distincte d'un processus mécanique de diffusion ou de transmission, qui ne saurait fournir le modèle de sa compréhension. »- Yves Jeanneret561 Remise en cause de certains paradigmes des Film Festival Studies – le festival comme espace discursif polysémique Traditionnellement, les Film Festival Studies se concentrent sur la géopolitique et la programmation des festivals de film : à partir des ressources et de la production discursive de l'organisation, ces travaux tentent de délimiter l'insertion d'un événement dans un « réseau » ou un « circuit ». Ils cherchent à voir comment les différents acteurs en présence utilisent et se retrouvent dans (et non constituent et sont constitués par) l'organisation festival, à laquelle est assignée une politique et une mission. On cherchera typiquement à « définir » un événement, à le « situer » par rapport à d'autres festivals, ce qui présuppose qu'il existe une « lecture juste » de l'espace discursif. Zielinski, entre autres, compare différents Festivals de Films Gays et Lesbiens, ce qui lui permet de leur assigner des « politiques » sexuelles et cinématographiques, mais aussi de chercher les origines et les utilisations normatives, identitaires, de ces évènements562.

En se centrant sur une étude de cas, le Festival Ecrans Mixtes 2012 – Rebelle Rebel-, et sur l'utilisation et l'interprétation du Festival par une catégorie de spectateurs (hétérosexuels), ce travail vise à rompre l'analyse textuelle de l'événement : dès lors que l'on s'intéresse aux publics, il existe une polysémie de l'espace discursif. Les critères traditionnellement invoqués – le lieu, la temporalité, les discours, la programmation, peuvent être saisis de différentes manières ; ils donnent lieu à des pratiques et des

561 Yves JEANNERET, « L’affaire Sokal : comprendre la trivialité », Communication et langages, 1998, vol. 118, no 1.p.118 562 Gerald J. Z. ZIELINSKI, Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, op. cit.

2012 130 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

'expériences' culturelles spécifiques à chaque interprétation de l'espace discursif. En cela, le Festival est en soi un « être culturel » mis en trivialité563 : le sens de l'évènement – tel que souhaité par l'équipe organisatrice - est altéré dans sa circulation. Pour cette raison, ce mémoire ne s'intéresse pas « au » Festival en tant que tel, à la manière dont il a été construit et pensé, mais à sa réinterprétation par les publics. Il ne s'agit donc pas de voir pourquoi la compréhension de l'évènement par les spectateurs est différente de celle de l'association organisatrice, mais davantage de définir des modalités d'interprétation de l'espace discursif à partir d'un critère social : l'identité sexuelle.

Ce point de départ particulier – l'hétérosexualité – permet de révéler les impensés des travaux sur les Festivals de Films Gays et Lesbiens : dans toutes les études de cas, ces évènements sont réputés être créés par et pour une « communauté » (terme au combien problématique) LGBTQ. Autrement dit, ces travaux reposent sur l'hypothèse fondamentale qu'un FFGL est un événement « gay et lesbien », créé par une « association gay et lesbienne », qui projette des « films gays et lesbiens » pour un public « gay et lesbien », et qui dès lors parle à une « communauté imaginée » « gay et lesbienne », d'où des thèmes de recherche centrés sur les questions de représentativité et d'identité dans les médias. Tous ces termes sont problématiques, mais peu questionnés. Avec 36.00% - au moins – de spectateurs auto-définis comme hétérosexuels, une programmation relativement variée et une communication double (légitimité culturelle et LGBTQ), le Festival Ecrans Mixtes remet en cause ces pré-supposés et appelle une analyse plus profonde des utilisations et interprétations de l'espace discursif par le(s) public(s). « We're here, We're (not) queer ! We're not used to it !» 564 : Publics hétérosexuels et adhésion à l'espace discursif hétérotopique La notion de « communauté», dès lors, induit des biais dans la mesure où elle présuppose une appartenance à un groupe qui dépasse le simple « public ». L'hétérotopie foucaltienne permet de dépasser ce problème, en définissant Ecrans Mixtes comme espace sexué, à la fois physique (les salles de cinéma) et discursif hors de la société (hétéro-centrée). Dans celui-ci évoluent des publics du Festival (à ne pas confondre avec les publics au Festival). Ceux-ci interprètent et négocient le sens de

563 Yves JEANNERET, Penser la trivialité : Volume 1, La vie triviale des êtres culturels, Hermes Science Publications, 2008, 266 p. 564 « We're here ! We're queer ! Get used to it ! » (littéralement « nous sommes ici, nous sommes queer, habituez vous! ») est un des slogans les plus répandus dans les manifestations LGBTQ au niveau mondial, dont l'existence peut être retracée au Queer Nation.

2012 131 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

l'espace discursif : autrement dit, ils imaginent le public et la ligne éditoriale.

D'autre part, s'interroger sur les publics hétérosexuels dans un FFGL, c'est immédiatement se poser la question de l'intégration dans un espace homosexué. Ceux-ci mettent en place des stratégies identitaires (passing, coming out hétérosexuel, justification de la présence dans l'espace hétérotopique). Le lieu et le degré « d'homosexualité » de la séance jouent un rôle : plus une séance est en dehors de l'espace traditionnel d'Ecrans Mixtes (donc à l'Institut Lumière, à la Bibliothèque ou au Comoedia), plus ces spectateurs hétérosexuels viennent seuls. A l'inverse, plus le film projeté est « clairement homosexuel », plus ils sont accompagnés. L'existence de ces stratégies confirme qu'il n'est pas évident pour une personne hétérosexuelle, a fortiori pour un homme, de pénétrer dans l'espace hétérotopique.

En s'appuyant sur les travaux relatifs à la notion de communauté, le degré d'adhésion au public (imaginé) semble être une variable importante : autrement dit, les personnes (hétérosexuelles, mais pas uniquement) présentes au Festival se sentent parfois n'être pas le spectateur (typique et imaginé) du Festival. On définira des hétéropublics : des publics qui mettent en place des stratégies qui les situent hors de l'espace discursif et qui produisent un contre-discours (à l'instar des contrepublics warneriens). Être hétérosexuel ne signifie pas nécessairement s'exclure du public (imaginé). En revanche, puisque l'inclusion dans le public est fonction de la nature de l'espace discursif imaginé et du rapport à la sexualité d'un spectateur (notamment des modalités identitaires ou de dés-identification sexuelle), être hétérosexuel peut être une prédisposition à l'hétéropublic. « Tou-t-es rebelles » - Usages et interprétations différenciés du Festival : des modalités de compréhension d'Ecrans Mixtes Si l'on se concentre sur les entretiens réalisés, il paraît clair que les publics ont des lectures différentes de l'espace hétérotopique. Autrement dit, le sens et l'usage d'Ecrans Mixtes varient selon les spectateurs considérés. Trois narratifs sont prédominants. Pour les hétéropublics, Ecrans Mixtes relève du festival gay et lesbien (de film) : la communication, la programmation et les missions du Festival sont vues comme orientées vers la communauté LGBTQ. Les films projetés sont tous « gay et lesbiens », et Ecrans Mixtes participe à la « lutte contre les discriminations ». A contrario, les publics cinéphiles réflexifs ne distinguent pas sexualité et cinéma et voient dans le Festival une occasion de questionner l'idée de norme et de genre (cinématographiques et

2012 132 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

sexués). Chaque film est re-contextualisé, historiquement, artistiquement et pour sa politique sexuelle. Pour d'autres encore, le Festival se centre sur le genre et la sexualité et est propice à une interrogation féministe.

On voit bien comment ces visions introduisent des « expériences » différentes du Festival. Ces narratifs s'entendent au niveau meso : au niveau individuel, des variations existent. Ils sont davantage des « pôles » de compréhension qu'un idéal normatif. D'autre part, ceux-ci ne sont pas spécifiques aux seules personnes hétérosexuelles. Dès lors, l'identité sexuelle en tant que telle n'est pas déterminante dans la compréhension du Festival.

En revanche, tous prennent pour point de départ un rapport à la/sa sexualité et une projection d'Ecrans Mixtes comme espace discursif imaginé : l'interprétation et l'utilisation du Festival par un spectateur est davantage la conséquence d'une compréhension de la/sa sexualité et du Festival que de « son » identité sexuelle (qui influe par contre sur la compréhension de la/sa sexualité), ce qui est modélisé en figure 20.

Un des principaux apports de ce travail est dès lors de montrer que le festival est un objet polysémique. Si l'existence de lectures et d'utilisations multiples des médias - notamment via l'intertexte – avaient été pointées par la nouvelle théorie de l'audience et par le tournant postmoderne des cultural studies, la structure même du Festival est soumise à interprétation, dès lors que l'on se centre sur les publics. Il n'y a pas de « lecture juste » de l'évènement, mais des lectures et des usages différents, qui ne correspondent pas nécessairement à l'orientation du festival telle que souhaitée par le comité d'organisation. La production discursive d'Ecrans Mixtes est une ressource de laquelle les spectateurs se saisissent, dont ils négocient le sens. Il y a une pluralité de lectures, rebelles. Critiques et limites du travail de recherche Ce constat fait écho au travail de Dayan sur Sundance565. Partant de l'hypothèse qu'il était possible de restituer les scripts sociaux des différents acteurs d'un festival (incluant mais n'étant pas limités au public566) dans un narratif « cohérent » (mobilisation de différents ordres de ressource qui « créent » Sundance), il se retrouve confronté à une pluralité d'usages de l'espace discursif. En se centrant davantage sur l'interprétation d'une sous-catégorie de public et sur une analyse basée sur un critère social (la

565 Daniel DAYAN, « Looking for Sundance », op. cit. 566 Sans compter que le « public » de Sundance est divisé entre spectateurs lambda et ce que Dayan appelle les « players » (dans l'industrie cinématographique)

2012 133 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

sexualité), ce travail tentait de dépasser le relativisme auquel Dayan fait face.

La conception de la sexualité d'un membre du public, dans le cas d'Ecrans Mixtes, influe sur l'interprétation du Festival. Pour autant, le nombre de scripts sociaux est difficile à déterminer : des variantes de ces narratifs existent et il est probable que d'autres types de compréhensions auraient pu être développés. Si la forme « schéma » tend à réifier les éléments relevés, le travail de recherche ne permet pas de déterminer les interprétations du Festival. En ce sens, il est incomplet.

D'autre part, la modélisation prend pour point de départ la sexualité. Or il est fort probable que d'autres facteurs jouent un rôle. Ainsi, la pratique cinéphile effective ou le capital culturel (dans la mesure où ils peuvent induire un degré de réflexivité sur ses pratiques culturelles), tous deux listés sous la vague catégorie des savoirs périphériques, peuvent avoir un rôle dans la compréhension d'Ecrans Mixtes. De même, si le travail de recherche a déterminé que la compréhension de la/sa sexualité était un facteur (une variable), les déterminants de celle-ci restent à analyser : autrement dit, il s'agit de savoir pourquoi une personne x a-t-elle une compréhension de la/sa sexualité x'.

En outre, ce modèle n'est pas prescriptif, dans la mesure où il est difficile de prévoir quelle sera l'interprétation d'un spectateur x en fonction des variables évoquées, mais davantage descriptif – qui cherche à comprendre par quels ressorts un certain type de compréhension est mobilisé. En ce sens, on tombe ici dans un des travers du postmodernisme et des cultural studies : si on peut montrer qu'il y a multiplicité de sens, il est plus difficile de déterminer la sélection d'une interprétation.

Par ailleurs, ce travail reste une étude de cas. Ecrans Mixtes est un événement spécifique, qui se prête particulièrement bien à la lecture ouverte. Il n'est pas dit que les résultats soient transférables à d'autres festivals de film gays et lesbiens, dont on ne connaît d'ailleurs pas la composition (sexuelle) du public. La prudence méthodologique doit être ici érigée en vertu cardinale. Quelques pistes... Dans le sens commun, un mémoire répond à une question simple : il résout un problème et donne une ou des solutions. En réalité, il ne s'agit généralement que d'une contribution à un ensemble de recherches plus large, qui apporte plus de questions qu'elle ne donne de réponse.

Il paraît ainsi nécessaire de continuer à explorer le lien entre publics hétérosexuels dans un espace LGBTQ et compréhension de l'évènement. Plusieurs pistes peuvent ici

2012 134 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

être soulevées, comme l'extension du travail à d'autres festivals de film ou évènements gays et lesbiens – via la méthode comparative, que ce soit au niveau régional, national ou international567 : il s'agit alors de déterminer la ou les spécificité(s) des évènements dans les constructions de narratifs. On pourrait aussi mener d'autres entretiens : sur 7 personnes hétérosexuelles au Festival Ecrans Mixtes568, on a pu relever trois types de compréhension. Il est probable que davantage d'entretiens auraient permis de mettre à jour d'autres narratifs. L'approche intersectionnaliste paraît aussi intéressante, en ce qu'elle permet de complexifier la grille d'analyse des variables dans l'interprétation du Festival, mais aussi de délinéariser la compréhension de la/sa sexualité (il s'agit, de manière similaire aux Féministes Noires, de tenter de voir les éléments sociaux, de classe et raciaux dans la notion de sexualité). Dans la même optique, prendre un point de départ autre que l'identité sexuelle permettrait de révéler d'autres variables.

Si ce travail laisse autant de questions non résolues, c'est en partie parce qu'il touche à plusieurs éléments sous-théorisés, comme les notions de « festivals de films gay et lesbien », d'hétérosexualité(s)569, ou tels que la compréhension d'un festival de film (quel qu'il soit) par son public, autant d'éléments qui ouvrent de nouvelles pistes de recherche pour qui souhaite approfondir l'étude du nexus représentation – identités – politiques et organisations culturelles. Ce travail n'est qu'une étape dans l'élaboration d'un projet pluridisciplinaire plus vaste, qui vise à comprendre notre relation à la culture, influencée entre autres par l'identité collective, la géopolitique, l'économie politique et les normes sociales, conjuguant l'approche postmoderne à une analyse rigoureuse des formes et industries culturelles (et notamment à travers les festivals de film) :

[L'étude des médias et de la culture 3.0] doit être animée par l'identité collective et le pouvoir, par [l'étude de] la formation des sujets, par [l'étude de] leur expérience des espaces culturels et sociaux. En prenant son agenda des mouvements sociaux, mais aussi intellectuels, et ses méthodes de l'économie, de la politique, de la sociologie, de la littérature, de la loi, de la science, de la médecine, de l'anthropologie, de l'histoire et de l'art, elle se doit d'avoir une attention particulière sur le genre, la race, la classe, la sexualité dans la vie quotidienne (…). Et de ne jamais privilégier le pessimisme, l'optimise, l'audience, les propriétaires, les Etats ou le travail – mais plutôt de souligner leur imbrication.570

567 Ce qui ne donnerait probablement pas le même résultat – il n'est pas dit que ce que signifie être hétérosexuel dans un pays x soit transposable dans un pays y 568 J'exclus ici l'entretien 15b, portant sur l'année précédente, et n°9 du 04/05/2012 – femme qui se définit alternativement comme hétérosexuelle et comme queer pour se centrer sur les « hétérosexuels au sens restreint ». 569 Par là, j'entends des travaux sur l'hétérosexualité qui ne prennent pas l'homosexualité comme point de départ. 570 Toby MILLER, « Media Studies 3.0 », Television & New Media, 2009, vol. 10, no 1.p.6 [Je traduis]

2012 135 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine Bibliographie

1ÈRES ASSISES NATIONALES DU CINÈMA LESBIEN, GAY, BI ET TRANS, Actes des assises, 2007.

AARON Michele, New queer cinema: a critical reader, Piscataway, NJ, Rutgers University Press, 2004, 204 p.

ACHIN Catherine et NAUDIER Delphine, « La libération par Tupperware? », Clio, 2009, no 1, pp. 131-140.

ANDERSON Benedict, Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso, 2006, 240 p.

ARMATAGE diana, « Toronto Women & Film International 1973 », in Film Festival Yearbook I : the festival circuit, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2009, pp. 82-98.

ASEN Robert, « Seeking the « Counter, » in Counterpublics », Communication Theory, 2000, vol. 10, no 4, pp. 424-446.

ATKINS Robert, « Goodbye Lesbian/Gay History, Hello Queer Sensibility », Art Journal, 1996, vol. 55, no 4, pp. 80-86.

BAD OBJECT-CHOICES (ORGANIZATION), How do I look? : queer film and video, Seattle, Bay Press, 1991.

BARBER Lynden, « A Fistful of Festivals », Meanjin, 2008, vol. 67, no 4.

BARNARD Ian, « Queer race », Social Semiotics, 1999, vol. 9, no 2, pp. 199-212.

BARRETT Michael, BOUDREAU Charlie, CAPO Suzy, GUTWILLIG Stephen, HEIDENREICH Nanna, JOHNSON Liza, MARZI Giampaolo, OTTO Dean, ROBINSON Brian et SETZER Katharine, « Queer Film and Video Festival Forum, Take One », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 1 janvier 2005, vol. 11, no 4, pp. 579 -603.

BAUMAN Zygmunt, Liquid modernity, Hoboken, NJ, Wiley-Blackwell, 2000, 238 p.

BAZIN André, « The Festival Viewed as a Religious Order », dekalog, 1955, vol. 3, pp. 13- 19.

BENSHOFF Harry, Queer cinema : the film reader, New York, Routledge, 2004, 242 p.

BERAUD Guillaume, « Festival : Ecrans Mixtesjoue les rebelles », Lyon plus, p. 22.

BERRY Sarah, « Genre », in The contemporary Hollywood reader, Edited by Toby Miller., London, Routledge, 2009, pp. 206-222.

BLACKSHAW Tony, Key Concepts in Community Studies, Thousand Oaks, California, SAGE Publications Ltd, 2009, 233 p.

2012 136 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

BLACKSHAW Tony, Zygmunt Bauman, New York, Routledge, 2005, 200 p.

BLUM Alan, « Scenes », Public, 2001, pp. 7-36.

BOURDIEU Pierre, « La jeunesse n’est qu’un mot », in Questions de sociologie, Paris, Editions de minuit, 1984, pp. pp.143-154.

BROOKE Kaucyila, « Dividers and Doorways », Jump Cut: A review of contemporary media, décembre 1998, no 42, pp. 50-57.

BROQUA C., « L’ethnographie comme engagement: enquêter en terrain militant », Genèses, 2009, no 2, pp. 109-124.

BROQUA Christophe et EBOKO Fred, « La fabrique des identités sexuelles », Autrepart, 2009, vol. 49, no 1, pp. 3-13.

BRUCE Bruce La, L.A. Zombie, 2010.

BRUCE Bruce La, Super 8 1/2, 1995.

BURGNARD Sylvie, « Se regrouper, se rendre visibles, s’ affirmer: l’expérience des mouvements homosexuels à Genève dans les années 1970 », Genre, sexualité & société, 2010, no 3.

BUTLER Judith et KRAUS Cynthia, Trouble dans le genre: Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006, 298 p.

CALASANTI Toni et KING Neal, « Firming the floppy penis », Men and Masculinities, 2005, vol. 8, no 1, pp. 3-23.

CARUANA Stéphane, « Déshabillez-moi », Hétéroclite, février 2012, no 64.

CASEY Mark, « De-dyking Queer Space(s): Heterosexual Female Visibility in Gay and Lesbian Spaces », Sexualities, 1 novembre 2004, vol. 7, no 4, pp. 446-461.

CHAUNCEY G., « From sexual inversion to homosexuality: Medicine and the changing conceptualization of female deviance », Salmagundi, 1982, no 58/59, pp. 114-146.

CHAUNCEY George, Gay New York: the making of the gay male world, 1890-1940, New York, Basic Books, 1995, 478 p.

CHAUVIN Sebastien, « Les aventures d’une «alliance objective». Quelques moments de la relation entre mouvements homosexuels et mouvements féministes au XXe siècle », L’Homme et la société, 2005, no 4, pp. 111-130.

CLAIR Isabelle, « Le pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel », Agora débats/jeunesses, 2012, no 1, pp. 67-78.

CNC, Bilan 2011 du CNC, n°322, 2012.

2012 137 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

COCKBURN Claudia et CLARKE Gill, « « Everybody »s looking at you!’: Girls negotiating the « femininity deficit » they incur in physical education », 2002, vol.25.

COLLARD Cyril, Les Nuits fauves, G.C.T.H.V., 1992.

COLLINS Patricia Hill, Black Feminist Thought: Knowledge, Consciousness, and the Politics of Empowerment, 1ère éd., Routledge, 2008, 384 p.

CONNELL R., Gender and power: Society, the person, and sexual politics, Stanford Univ Pr, 1987.

CONNELL R.W. et CONNELL Raewyn, Masculinities, Univ of California Pr, 2005.

COOLEY Charles Horton et SCHUBERT Hans-Joachim, On self and social organization, Chicago, IL, University of Chicago Press, 1998, 284 p.

CRENSHAW Kimberle, « Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », Stanford Law Review, 1 juillet 1991, vol. 43, no 6, pp. 1241-1299.

CZACH Liz., « Film Festivals, Programming, and the Building of a National Cinema », The Moving Image, 2004, vol. 4, no 1, pp. 76-88.

D’EMILIO John, Sexual politics, sexual communities: the making of a homosexual minority in the United States, 1940-1970, Chicago, University of Chicago Press, 1998, 292 p.

DAMIENS Antoine, « Queer Race: A poststructuralist analysis of the semiotic of representation - Contamination of meaning and (White, homosexual) queer », UC Riverside - MCS 143K Queer that kills. Pr Harris, Spring 2012.

DAYAN Daniel, « Looking for Sundance: The Social Construction of a Film Festival », in Moving images, culture, and the mind, Ib Bondejerg (dir)., Luton, University of Luton, 2000, pp. 43-52.

DELEUZE Gilles, Foucault, Paris, Editions de Minuit, 2004, 144 p.

DELEUZE Gilles, « Philosophie et minorité », Critique, février 1978, no 369.

DELPHY Christine, Un universalisme si particulier: Féminisme et exception française (1980-2010), Paris, Editions Syllepse, 2010, 354 p.

DELPHY Christine et LEONARD Diana, Familiar exploitation: a new analysis of marriage in contemporary Western societies, Polity Press, 1992, 301 p.

DEROFF Marie-Laure, Homme-Femme, la part de la sexualité : une sociologie du genre et de l’hétérosexualité, Rennes, PUR, 2007, 224 p.

DESPENTES Virginie, Bye Bye Blondie, 2012.

2012 138 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

DUBERMAN M.B., VICINUS M. et CHAUNCEY G., Hidden from history: Reclaiming the gay and lesbian past, Plume, 1990, vol.1.

DUGGAN Lisa, The Twilight of Equality: Neoliberalism, Cultural Politics, and the Attack on Democracy, Boston, Beacon Press, 2004, 140 p.

DUGGAN Lisa, « The New homonormativity : the Sexual Politics of Neoliberalism », in Materializing Democracy: Toward a Revitalized Cultural Politics, Duke University Press, 2002, pp. 175-194.

EDELMAN Lee, No future: queer theory and the death drive, Durham, North Carolina, Duke University Press, 2004, 206 p.

EDWARDS Blake, Victor Victoria, 1982.

ELLIS H., Studies in the Psychology of Sex, Fa davis, 1910, vol.6.

ELSAESSER Thomas, European cinema : face to face with Hollywood, Amsterdam, Amsterdam Univ. Press, 2005, 563 p.

EPSTEIN Rob et FRIEDMAN Jeffrey, The Celluloid Closet, 1996.

ERHART Julia, « Laura Mulvey Meets Catherine Tramell Meets the She-Man: Counter- history, reclamation and incongruity in Lesbian, Gay, and Queer Film and Media Criticism », in A companion to film theory, Wiley-Blackwell, 2004, pp. 165-181.

ERIBON Didier, Réflexions sur la question gay, Paris, Fayard, 1999, 526 p.

ETHIS Emmanuel et PÉQUIGNOT Bruno, Les spectateurs du temps: pour une sociologie de la réception du cinéma, Paris, Editions L’Harmattan, 2006, 325 p.

FASSINGER Ruth E. et ARSENEAU Julie R., « « I’d Rather Get Wet Than Be Under That Umbrella »: Differentiating the Experiences and Identities of Lesbian, Gay, Bisexual, and Transgender People. », in Handbook of counseling and psychotherapy with lesbian, gay, bisexual, and transgender clients, Washington DC, American Psychological Association, 2007, pp. 19-49.

FERGUSON Roderick A., Aberrations In Black: Toward A Queer Of Color Critique, 1ère éd., Univ Of Minnesota Press, 2003, 192 p.

FERGUSON Russell et GEVER Martha, Out there: marginalization and contemporary cultures, Cambridge, MA, MIT Press, 1992, 454 p.

FOUCAULT Michel, Le corps utopique, les hétérotopies, Paris, Editions Nouvelles Lignes, 2009, 61 p.

FOUCAULT Michel, « Qu’est-ce qu’un auteur? », in Dits et Ecrits, tome 1 : 1954-1975, Gallimard, 2001.

2012 139 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité, vol.1: La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, 232 p.

FOUCAULT Michel et NASCIMENTO W.F., « De l’amitié comme mode de vie », Gai pied, 1981, vol. 25, pp. 8-20.

FRASER Nancy, « Rethinking the Public Sphere: A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy », Social Text, 1 janvier 1990, no 25/26, pp. 56-80.

FRIEDKIN William, Cruising, 1980.

G E, « Ces films qui ne passent pas ailleurs... », GREnews, avril 2011, no 140.

GABRIEL John, « What do you do when minority means you? Falling Down and the construction of ‘whiteness’ », Screen, 20 juin 1996, vol. 37, no 2, pp. 129 -151.

GAINES Jane, « White privilege and looking relations: Race and gender in feminist film theory », Cultural Critique, 1986, no 4, pp. 59-79.

GAMSON Joshua, « The organizational shaping of collective identity: The case of lesbian and gay film festivals in New York », Sociological Forum, juin 1996, vol. 11, pp. 231-261.

GARLIN Jeff, This Filthy World, 2006.

GIAMI Alain, « Cent ans d’hétérosexualité », Actes de la recherche en sciences sociales, 1999, vol. 128, pp. 38-45.

GOFFMAN erving, The presentation of self in everyday life, New York, Anchor Books, 1959, 284 p.

GOFFMAN erving, Stigma: Notes on the management of spoiled identity, Touchstone, 1963.

GRASSILLI Mariagiulia, « Human Rights Film Festivals : Global/Local networks for advocacy », in Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, pp. 31-48.

GRIGGERS Cathy, « Thelma and Louise and the Cultural Generation of the New Butch- Femme », in Film theory goes to the movies, New York City, Routledge, 1993, pp. 129- 141.

GRUNDMANN Roy, « Politics, aesthetics, sex : Queer Films and their Festivals », Cineaste, 1992, vol. 19, no 1, pp. 50-62.

HAINAUT Julie, « Réflexion et subversion », A nous lyon, mars 2012, no 157.

HALL Stuart, « Codage/Décodage », Sociologie de la communication, 1997, vol. 1, no 1, pp. 59-71.

HALL Stuart, « Cultural identity and cinematic representation », Framework, 1989, vol. 36,

2012 140 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine no 1, p. 68.

HARBORD diana, « Film Festivals - Time - Event », in Film Festival Yearbook I : the festival circuit, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2009, pp. 40-49.

HARPER Phillip Brian, « Playing in the Dark: Privacy, Public Sex, and the Erotics of the Cinema Venue », Camera Obscura, mai 1992, vol. 10, no 3:30, pp. 92 -111.

HARRIS Keith, IN THE LIFE ON THE DOWN LOW: Where’s a Black Gay Man to Go?, http://www.beyondmasculinity.com/articles/harris.php, consulté le 24 décembre 2011.

HEASLEY Robert, « Crossing the borders of gendered sexuality: queer masculinities of straight men », in Thinking Straight: The Power, the Promise, and the Paradox of Heterosexuality., New York, Routledge, 2005, pp. 109-129.

HELLIWELL Christine, « It’s Only a Penis: Rape, Feminism, and Difference », Signs, 2000, vol. 25, no 3, pp. 789-816.

HEREK Gregory M. et GLUNT Eric K., « Interpersonal contact and heterosexuals’ attitudes toward gay men: Results from a national survey », Journal of Sex Research, 1993, vol. 30, no 3, pp. 239-244.

HING-YUK WONG Cindy, Film festivals : culture, people, and power on the global screen, New Brunswick N.J., Rutgers University Press, 2011.

HOCQUENGHEM Guy, Le Désir homosexuel, Nouv. éd., Fayard, 2000, 180 p.

HODGES Diane Celia, « Participation as Dis-Identification With/in a Community of Practice », Mind, Culture, and Activity, octobre 1998, vol. 5, no 4, pp. 272-290.

HUBBARD Phil, « Here, There, Everywhere: The Ubiquitous Geographies of Heteronormativity », Geography Compass, 2008, vol. 2, no 3, pp. 640-658.

IORDANOVA diana et RHYNE Ragan, Film Festival Yearbook I : the festival circuit, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2009, 225 p.

IORDANOVA Dina, « Film Festivals and Dissent: Can Film Change the World? », in Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, pp. 13-30.

IORDANOVA Dina, Film festival Yearbook 2: Film festivals and imagined communities, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2010.

IORDANOVA Dina, « Mediating Diaspora : Film Festivals and « Imagined Communities » », in Film festival yearkbook 2: Film festivals and imagined communities, Iordanova, Dina and Cheung Ruby., St. Andrews, Scotland, St Andrews Film Studies, 2010, pp. 12-45.

IORDANOVA Dina et TORCHIN Leshu, Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, 315 p.

2012 141 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

JAGOSE Annamarie, « Queer theory », Australien Humanities Review, 1996.

JEANNERET Yves, Penser la trivialité : Volume 1, La vie triviale des êtres culturels, Hermes Science Publications, 2008, 266 p.

JEANNERET Yves, « L’affaire Sokal : comprendre la trivialité », Communication et langages, 1998, vol. 118, no 1, pp. 13-26.

JUNE Jamie, « Defining Queer: The Criteria and Selection Process for Programming Queer Film Festivals », CultureWork, 2004, vol. 8, no 2.

JUNE Jamie L., Is it queer enough? An analysis of the criteria and selection process for programming films within lesbian, gay, bisexual, transgender and queer film festivals in the United States, Mémoire de Master, University of Oregon, Oregon, USA, 2003, 40 p.

KATZ Jonathan Ned, L’invention de l’hétérosexualité, EPEL, 2001, 232 p.

KIMMEL Micheal, « Masculinity as homophobia », in Gender relations in global perspective, essential readings, Toronto, Canadian Scholars’ Press, 2007, pp. 73-82.

KITCHIN Rob, « Sexing the city: The sexual production of non-heterosexual space in Belfast, Manchester and San Francisco », City, 2002, vol. 6, no 2, pp. 205-218.

KOEHLER Robert, « Cinephilia and film festivals », in Dekalog 03: On Film Festivals, London, Wallflower Press, 2009, pp. 81-97.

L’ASSOCIATION DES FESTIVALS DE CINEMA EN RHONE-ALPES, LES FESTIVALS DE CINÉMA EN REGION RHONE-ALPES, 2007.

LABRY Manon, « Riot Grrrls américaines et réseaux féministes « underground » français », Multitudes, 2010, vol. 42, no 3, p. 60.

LAPORTE Anne, « Facteurs socio-culturels et présentation de soi dans diff’erents contextes d’enquête: Analyse d’un exemple de discordance », Bulletin de Méthodologie Sociologique, 1999, vol. 63, no 1, pp. 29-45.

LE GUERN Philippe, « Aimer l’eurovision, une faute de goût ? Une approche sociologique du fan club français de l’eurovision », Réseaux, 2007, no 2-3.

LIEBES Tamar et KATZ Elihu, The export of meaning : cross-cultural readings of Dallas, New York, Oxford University Press, 1990.

LOIST Skadi, « A complicated queerness: LBGT Film festivals and Programming Strategies », in Coming soon to a festival near you: programming film festivals, St. Andrews, Scotland, St Andrews Film Studies, 2012, pp. 157-172.

LOIST Skadi, « Precarious cultural work: about the organization of (queer) film festivals », Screen, 20 juin 2011, vol. 52, no 2, pp. 268 -273.

2012 142 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

LOIST Skadi et ZIELINSKI Ger, « On the development of Queer Film Festivals and their media activism », in Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, pp. 49-62.

LUCAL Besty, « What It Means to Be Gendered Me », Gender & Society, 1999, vol. 13, no 6, pp. 781-797.

M D, « Les rebelles se rebiffent », Télérama Sortir Lyon, mars 2012, no 3237.

MACCANNELL Dean, The tourist : a new theory of the leisure class, Berkeley, University of California Press, 1999.

MADDISON Stephen, Fags, hags, and queer sisters, Macmillan Press Basingstoke, 2000.

MARIETTE Audrey, « Pour une analyse des films de leur production à leur réception : Du « cinéma social » au cinéma comme lieu de mobilisations collectives », Politix, 2011, vol. 93, no 1, pp. 47-68.

MARTINEZ Aurélien, « La semaine arc-en-ciel », Le Petit Bulletin, Avril 2011, no 794, p. 13.

MASSON Sabine et THIERS-VIDAL Léo, « Pour un regard féministe matérialiste sur le queer. », Mouvements, 2002, vol. 20, no 2, p. 44.

MAYNARD Mary, PURVIS June et ASSOCIATION Women’s Studies Network (UK), (Hétéro)sexual politics, Taylor & Francis, 1995, 230 p.

MAYNE Judith, Cinema and Spectatorship, Routledge, 2002, 198 p.

MCGUFFEY C. Shawn et RICH B. Lindsay, « Playing in the Gender Transgression Zone », Gender & Society, 1 octobre 1999, vol. 13, no 5, pp. 608 -627.

MCMILLAN David W. et CHAVIS David M., « Sense of community: A definition and theory », Journal of community psychology, 1986, vol. 14, no 1, pp. 6-23.

MCWILLIAM Kelly, « « We re Here All Week »: Public Formation and the Brisbane Queer Film Festival », Queensland Review, 2007, vol. 14, no 2, pp. 79-91.

MEAD George H., Mind, self, and society: from the standpoint of a social behaviorist, Chicago, IL, University of Chicago Press, 1934, 440 p.

MEEM Deborah T., GIBSON Michelle, GIBSON Michelle A. et ALEXANDER Jonathan F., Finding out: an introduction to LGBT studies, Thousand Oaks, California, Sage, 2010, 484 p.

MENDÈS Rommel et PROTH Leite Bruno, « Pratiques discrètes entre hommes », Ethnologie française, 2002, vol. 89, no 1, p. 31.

METZ Christian, Le Signifiant imaginaire: psychanalyse et cinéma, Paris, Union générale d’éditions, 1977, 392 p.

2012 143 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

MILDE Nadine, « Pop Goes the Queerness, or,(Homo) Sexuality and Its Metaphors: On the Importance of Gay Sensibilities in Postmodern Culture and Theory », Amerikastudien/American Studies, 2001, pp. 135-150.

MILLER Toby, The contemporary Hollywood reader, London, Routledge, 2009, 558 p.

MILLER Toby, « Media Studies 3.0 », Television & New Media, 2009, vol. 10, no 1, pp. 5-6.

MILLER Toby, Cultural citizenship: cosmopolitanism, consumerism, and television in a neoliberal age, Temple University Press, 2007, 256 p.

MILLER Toby, « A metrosexual eye on queer guy », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 2005, vol. 11, no 1, pp. 112-117.

MILLER Toby, The well-tempered self: citizenship, culture, and the postmodern subject, Johns Hopkins University Press, 1993, 326 p.

MILLER Toby et STAM Robert, A companion to film theory, Wiley-Blackwell, 2004, 448 p.

MINEL Alexandre, « J’avais trop envie de voir Victor, Victoria sur grand écran ! », Le progrès.

MODLESKI Tania, « Femininity by design: Vertigo », in The women who knew too much: Hitchcock and feminist theory, New york, Routledge, 1989, pp. 78-100.

MORLEY David, « Active audience theory: Pendulums and pitfalls », Journal of communication, 1993, vol. 43, no 4, pp. 13-19.

MUGNY Gabriel, KAISER Claude et PAPASTAMOU Stamos, « Influence minoritaire, identification et relations entre groupes: étude expérimentale autour d’une votation », Cahiers de Psychologie Sociale, 1983, vol. 19, pp. 1-30.

MULVEY Laura, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Screen, 1975, vol. 16, no 3, pp. 6 -18.

MUNOZ Jose Esteban, Disidentifications: Queers Of Color And The Performance Of Politics, Univ Of Minnesota Press, 1999, 248 p.

MUÑOZ José Esteban, Cruising utopia: the then and there of queer futurity, New York, NYU Press, 2009, 245 p.

MUSKA Susan et OLAFSDÓTTIR Gréta, The Brandon Teena Story, 1998.

NICHOLS Bill, « Discovering Form, Inferring Meaning: New Cinemas and the Film Festival Circuit », Film Quarterly, 1 avril 1994, vol. 47, no 3, pp. 16-30.

O’SHAUGHNESSY Michael et STADLER Jane, Media & society, Oxford, UK, Oxford University Press, 2008, 548 p.

2012 144 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

OLSON Jenni, The ultimate guide to lesbian & gay film and video, New York, Serpent’s Tail, 1996.

PENNEY Renée, Desperately seeking redundancy? Queer Romantic Comedy and the Festival Audience, Mémoire de Master, The university of British Columbia, Vancouver, 2010, 158 p.

PERANSON Mark, « First you get the power, the you get the money.: two models of film festivals », in Dekalog 03: On Film Festivals, London, Wallflower Press, 2009, pp. 23-37.

PORTON Richard, « Introduction: on film festivals », in Dekalog 03: On Film Festivals, London, Wallflower Press, 2009, pp. 1-13.

PREVES Sharon E., « Beyond Pink and Blue », in The kaleidoscope of gender: prisms, patterns, and possibilities, Thousand Oaks CA, Pine Forge Press, 2007, pp. 35-40.

PUAR Jasbir K., Terrorist assemblages: homonationalism in queer times, Durham, North Carolina, Duke University Press, 2007, 372 p.

QUINTIN A., « The Film Festival Galaxy », in Dekalog 03: On Film Festivals, London, Wallflower Press, 2009, pp. 38-53.

QUIRÓS Kantuta et IMHOFF Aliocha, « Art/Cinéma/Queer », Multitudes, 2008, vol. 35, no 4, p. 164.

REYNOLDS Todd, Security Exchanges: The Rise of Systematic Criminal Justice in the Gilded Age US Imagination,University of Florida, 2007.

RHYNE Ragan, Pink dollars: gay and lesbian film festivals and the economy of visibility,New York University, Graduate School of Arts and Science, New York, 2007, 332 p.

RICH Adrienne, « Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence », Signs, 1 juillet 1980, vol. 5, no 4, pp. 631-660.

RISMAN Barbara, « Gender as a Social Structure: Theory Westling with Activism », in The kaleidoscope of gender: prisms, patterns, and possibilities, Thousand Oaks CA, Pine Forge Press, 2007, pp. 9-21.

ROBERT KAPSIS, « Hollywood genres and the production of culture perspective », in The contemporary Hollywood reader, Edited by Toby Miller., London, Routledge, 2009, pp. 3- 16.

ROTH-BETTONI Didier, « Soukaz sans oukaze », Hétéroclite, mars 2012, no 65, p. 10.

ROTH-BETTONI Didier, « Gros plan festival : John Waters, dandy trash », Hétéroclite, février 2012, no 64.

ROTH-BETTONI Didier, L’Homosexualité au cinéma, La Musardine, 2007, 747 p.

2012 145 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

ROTH-BETTONI Didier, « Plein les Vues », Hétéroclite, , no 55, p. Avril 2011.

RUBIN Gayle, « Thinking sex: notes for a radical theory of the Politics of Sexuality », in Culture, society and sexuality: a reader, Richard Guy Parker and Peter Aggleton., Londres, Psychology Press, 1999, pp. 143-179.

RUOFF Jeffrey, Coming soon to a festival near you: programming film festivals, St. Andrews, Scotland, St Andrews Film Studies, 2012, 259 p.

RUSSO Vito, The celluloid closet: homosexuality in the movies, New York, Harper & Row, 1987, 387 p.

SCHULMAN Sarah, « What is the role of gay film festivals? », in My American history : lesbian and gay life during the Reagan/Bush years, New York, Routledge, 1994.

SCIAMMA Céline, La naissance des pieuvres, 2007.

SCOTT Ellen K., « Beyond Tokenism: The Making of Racially Diverse Feminist Organizations », Social Problems, mai 2005, vol. 52, no 2, pp. 232-254.

SEARLE Samantha, « Film and video festivals; Queer politics and exhibition », Meanjin, 1996, vol. 55, no 1, pp. 47-59.

SEDGWICK Eve Kosofsky, Epistemology of the closet, Thousand Oaks, University of California Press, 2008, 282 p.

SHEPPERD Dan, COYLE Adrian et HEGARTY Peter, « Discourses of Friendship between Heterosexual Women and Gay Men: Mythical Norms and an Absence of Desire », Feminism & Psychology, 21 mai 2010, vol. 20, no 2, pp. 205-224.

SIBERTIN-BLANC Guillaume, « Deleuze et les minorités: quelle «politique»? », Cités, 2010, no 4, pp. 39-57.

SIEGEL Marc, « Spilling out onto Castro Street », Jump Cut, 1997, vol. 41, pp. 131-136.

SKEGGS Beverley, « Matter out of place: visibility and sexualities in leisure spaces », Leisure Studies, janvier 1999, vol. 18, no 3, pp. 213-232.

SLOCUM diana, « Film and/as Culture: The use of cultural discourses at two African Film Festivals », in Film Festival Yearbook I : the festival circuit, St. Andrews Scotland, St Andrews Film Studies, 2009, pp. 136-152.

SOUKAZ Lionel, La marche gaie, 1980.

SOUKAZ Lionel, Ixe, 1980.

SOUKAZ Lionel, Le sexe des anges, 1977.

SPADE Joan Z. et VALENTINE Catherine G., The kaleidoscope of gender: prisms, patterns, and

2012 146 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine possibilities, Thousand Oaks CA, Pine Forge Press, 2007, 609 p.

STADLER Gustavus T., « Queer guy for the straight « I » », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 2005, vol. 11, no 1, pp. 109-112.

STAIGER Janet, « The Handmaiden of Villainy: Methods and Problems in Studying the Historical Reception of a Film », Wide Angle, 1986, vol. 8, no 1.

STONE Amy L. et WARD Jane, « From Black people are not a homosexual act to gay is the new Black: mapping white uses of Blackness in modern gay rights campaigns in the United States », Social Identities, 2011, vol. 17, no 5, pp. 605-624.

STRAAYER Chris, « QUEER FILM AND VIDEO FESTIVAL FORUM, TAKE TWO: Critics speak out », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 1 janvier 2006, vol. 12, no 4, pp. 599-625.

STRAW Will, « Cultural scenes », Loisir et société/Society and Leisure, 2004, vol. 27, no 2, pp. 411-422.

TAILLIBERT Christel, Tribulations festivalières: les festivals de cinéma et audiovisuel en France, Paris, Editions L’Harmattan, 2009, 350 p.

TAJFEL Henri, « Social identity and intergroup behaviour », Social Science Information, 1 avril 1974, vol. 13, no 2, pp. 65-93.

THEODORE Peter S. et BASOW Susan A., « Heterosexual Masculinity and Homophobia », Journal of Homosexuality, 23 décembre 2000, vol. 40, no 2, pp. 31-48.

THOMPSON Deborah, « Calling all fag hags: from identity politics to identification politics », Social Semiotics, avril 2004, vol. 14, no 1, pp. 37-48.

THORNTON Sarah, Club Cultures: Music, Media, and Subcultural Capital, University Press of New England, 1996, 208 p.

TIN Louis-Georges, « Comment peut-on être hétérosexuel ? », Cités, 2010, vol. 44, no 4, p. 91.

TORCHIN Leshu, « Networked for advocacy: Film Festivals and Activism », in Film Festival Yearbook 4 : Film festivals and activism, St Andrews, St Andrews Film Studies, 2012, pp. 1-12.

TURAN Kenneth, Sundance to Sarajevo : Film Festivals and the world they make, University of California., Berkeley, University of California Press, 2002, 179 p.

UNWIN Elinor, KERRIGAN Finola, WAITE Kathryn et GRANT David, « Getting the picture: programme awareness amongst film festival customers », International Journal of Nonprofit and Voluntary Sector Marketing, août 2007, vol. 12, no 3, pp. 231-245.

URRY John, The tourist gaze, Thousand Oaks, California, SAGE, 2002, 204 p.

2012 147 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

VALCK Marijke DE, « Finding Audiences for Films: Festival Programming in historical Perspective », in Coming soon to a festival near you: programming film festivals, St. Andrews, Scotland, St Andrews Film Studies, 2012, pp. 25-40.

VALCK Marijke De, Film Festivals : from European Geopolitics to global cinephilia, Amsterdam, Amsterdam university press, 2007, 276 p.

VALENTINE G., « (Hetero)sexing space: lesbian perceptions and experiences of everyday spaces », Environment and Planning D: Society and Space, 1993, vol. 11, no 4, pp. 395- 413.

VALLET Romain, « Ne rien s’interdire », Hétéroclite, mars 2012, no 65, p. 11.

VALLET Romain, « Antique mais pas en toc », Hétéroclite, mars 2012, no 65.

VALLET Romain, « Double Vues », Hétéroclite, , no 55, p. Avril 2011.

VOUTAT Bernard et KNUESEL René, « La question des minorités. Une perspective de sociologie politique », Politix, 1997, vol. 10, no 38, pp. 136-149.

WARD Jane, Respectably queer: diversity culture in LGBT activist organizations, Vanderbilt University Press, 2008, 196 p.

WARD Jane, « White Normativity: The Cultural Dimensions of Whiteness in a Racially Diverse LGBT Organization », Sociological Perspectives, août 2008, vol. 51, no 3, pp. 563- 586.

WARD Jane, « Dude-Sex: White Masculinities and `Authentic’ Heterosexuality Among Dudes Who Have Sex With Dudes », Sexualities, 2008, vol. 11, no 4, pp. 414 -434.

WARD Jane, « Straight Dude Seeks Same: Mapping the Relationship Between Sexual Identities, Practices, and Cultures », in Sex Matters: The sexuality and Society Reader, Mindy Stombler et al., New York, Allyn and Bacon, 2004, pp. 31-37.

WARD Jane, « Critical approaches to heterosexuality [titre provisoire] », A paraitre.

WARNER Micheal, Publics and Counterpublics, New York, Zone Books, 2002, 314 p.

WATERS John, Cecil B. DeMented, 2000.

WATERS John, Desperate Living, N/A.

WAUGH Thomas et STRAAYER Chris, « QUEER FILM AND VIDEO FESTIVAL FORUM, TAKE THREE: Artists Speak Out », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 1 janvier 2008, vol. 14, no 1, pp. 121-122.

WILSON A., « Friedkin’s Cruising, Ghetto Politics, and Gay Sexuality », Social Text, 1981, no 4, pp. 98-109.

2012 148 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

WITTIG Monique, La pensée straight, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, 132 p.

ZIELINSKI Gerald J. Z., Furtive Steady Glances: On the Emergence and Cultural Politics of Lesbian and Gay Film Festival, Thèse de doctorat, Université McGill, Montréal, 2008, 321 p.

« La contre-culture dans les Waters », Le petit bulletin, 7 mars 2012, no 657, pp. 1-4.

« Agenda : Animations - Festival Ecrans Mixtes », Le petit bulletin, 7 mars 2012, no 657.

« Festival Ecrans Mixtes Rebelle Rebel », Topo, mars 2012, no 106, pp. 16-17.

« Edito », Topo, mars 2012, no 106, pp. 2, 16-17.

« Agenda », Topo, mars 2012, no 106.

« John Waters, Dandy du Mauvais Goût », Exit, mars 2012, no 9, pp. 88-92.

« Couverture », A nous lyon, mars 2012, no 157, p. 1.

« Ecrans Mixtes à Lyon », la dixième Muse, mars 2012, no 55.

« AGD », Hétéroclite, mars 2012, no 65, pp. 24-25.

« Ecran Festival Ecrans Mixtes », Kiblind, janvier 2012, no 39, p. XV.

« Lyon, l’autre capitale friendly. Numéro spécial. », Têtu, 2012, no 175.

« Cinéma : savoir-faire queer* », Lyon Citoyen, février 2012, no 104.

« Scène de Chasse en Bavière dans le cadre du Festival des Ecrans Mixtes », Programme du Goethe Institut Lyon, mai 2012.

« 20 ans des nuits fauves, festival Ecrans Mixtes », Rue du premier film, février 2012, no 95.

« Festival Ecrans Mixtes 2e ed. - Rebelle/Rebel », Télérama, Février 2012, no 3239.

« 20 ans des nuits fauves », Programme de l’institut Lumière, février 2012.

« Programme du ciné-club de Grenoble ».

« Programme de la cinémathèque de Grenoble ».

« Agenda », Rendez-vous, avril 2011, no 18.

« Couverture », GREnews, avril 2011, no 140.

« Agenda », Le Petit Bulletin, Avril 2011, no 794.

2012 149 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

« Decolonize your mind », UC Riverside, 2011.

« Queer Publicity: A Dossier on Lesbian and Gay Film Festivals Essays by B Ruby Rich, Eric O. Clarke, and Richard Fung, with an introduction by Patricia White », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, 1 janvier 1999, vol. 5, no 1, pp. 73 -93.

Film Festival Research | The website for the Film Festival Research Network, http://www.filmfestivalresearch.org/, consulté le 25 juillet 2012.

Le Petit Robert de la langue française, http://robert.bibliotheque-nomade.univ- lyon2.fr/pr1.asp, consulté le 22 décembre 2011.

« Whose Gay Community? Social Class, Sexual Self‐expression, and Gay Community Involvement », The Sociological Quarterly, vol. 46, no 3, pp. 437-456.

Urban Dictionary: heteroflexible, http://www.urbandictionary.com/define.php? term=heteroflexible, consulté le 24 décembre 2011.

Festival Ecrans Mixtes, http://www.festival-em.org, consulté le 7 mars 2012.

Écrans Mixtes Lyon, https://www.facebook.com/ecransmixtes.lyon.5/info, consulté le 17 juin 2012.

Lesbian and Gay Pride Lyon - Soirée Spéciale Saint Valentin, http://www.fierte.net/article.php3? id_article=374&var_recherche=Ecrans+Mixtes&var_recherche=Ecrans%20Mixtes, consulté le 26 juin 2012.

Roth-Bettoni Didier - Catalogue Adulte - Éditions Milan, http://www.editionsmilan.com/b4abd407/Didier-Roth-Bettoni.html, consulté le 13 août 2012.

HETEROCLITE : Le magazine web gay, mais pas que... à Lyon Grenoble et Saint-Etienne, http://www.heteroclite.org/index.php?/societe/dossiers/2/33319/%ABNous-n%92en- sommes-qu%92aux-pr%E9mices %BB.htm&PHPSESSID=6c2e6556942d87eb56b32f455d2b6534, consulté le 18 juin 2012.

Gay Friendly - Office du Tourisme de Lyon, http://www.lyon-france.com/Decouvrir- Lyon/Gay-Friendly, consulté le 18 juin 2012.

Un nouveau guide gay et lesbien pour Lyon - Têtu, http://www.tetu.com/actualites/media/Un-nouveau-guide-gay-et-lesbien-pour-Lyon-13239, consulté le 18 juin 2012.

Outfest : Legacy Project - 5th Anniversary!, http://www.outfest.org/legacy/anniversary/, consulté le 10 août 2012.

Lesbian and Gay Pride Lyon - Elections présidentielle et législatives 2012, http://www.fierte.net/rubrique.php3?id_rubrique=51, consulté le 13 août 2012.

2012 150 Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Egalité LGBT 2012 : les associations lesbiennes, gays, bi et trans interpellent les candidats, http://www.egalitelgbt2012.fr/, consulté le 13 août 2012.

About FilmOut, http://www.filmoutsandiego.com/2012/about-filmout, consulté le 24 juin 2012.

Outfest - Sponsor, http://www.outfest.org/sponsor.html, consulté le 24 juin 2012.

Creating Safe Space for GLBTQ Youth: A Toolkit, http://www.advocatesforyouth.org/publications/608?task=view, consulté le 1 juillet 2012.

Bruce LaBruce, http://brucelabruce.blogspot.fr/, consulté le 9 juillet 2012.

2012 151 Résumé A travers l'étude d'un « festival de film gay et lesbien », Ecrans Mixtes 2012, ce travail vise à montrer qu'il n'existe pas une « lecture juste » du festival comme organisation discursive : des publics entrent dans et imaginent l'espace hétérotopique, polysémique. Les spectateurs hétérosexuels peuvent mettre en place des stratégies identitaires afin de s'inclure dans ce qu'ils perçoivent être le public du Festival. Leur lecture, leur utilisation et leur inclusion dans le festival ne sont pas fonction de leur identité sexuelle, mais bien plus de la compréhension de la/leur sexualité et d'une projection dans l'espace discursif imaginé. Summary Through the study of straight audiences at a LGBTQ film festival – Ecrans Mixtes Lyon 2012 - this paper tries to show that there is no such thing as a « correct / just » reading of the festival-as-a-discursive-organization. Indeed, audiences enter and imagine the heterotopic space: a festival is fundamentally a polysemic event when it comes to audiences. Straight spectators may use identity strategies in order to integrate the sexed space (i.e. to be part of what they perceive as the public). Some people do not include themselves in the (general and imagined) public : they constitute an heteropublic. There is a plurality of uses and interpretations of Ecrans Mixtes. 3 narratives are recurring: Ecrans Mixtes is understood either as a humanist event against discriminations, as a (cinematographic and sexual) space that questions the very idea of gender and genre571 through aesthetic or as a feminist and queer space (critiques in terms of gender studies through media). Sexual orientation per se does not play a major role in the uses and in the readings of the festival. Rather, audiences' narratives are dependent both on one's understanding of sexuality (including his/her own) and on the (imagined) meaning one ascribes to the festival-as-a-discursive-space.

571 In French, genre designates both genre and gender UNIVERSITÉ DE LYON

UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2

INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES DE LYON Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 : ANNEXES

Des différentes utilisations et interprétations du festival-comme- hétérotopie-sexuée

DAMIENS Antoine

Mémoire de Séminaire

Sociologie des acteurs et des enjeux du champ culturel

2011 - 2012

Sous la direction de : SANIER Max

Membres du jury : - SANIER Max - CORDONNIER Sarah (Soutenu le : 31 août 2012 ) Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine Annexes Glossaire  Asexuel : qui n'éprouve aucun désir sexuel.  Cisgenre : normatif sur le genre. Genre en conformité avec le sexe (biologique), par opposition à transgenre  Dollar Rose / pink dollar : tendance à l'utilisation du pouvoir économique par les mouvements LBGTQ à des fins d'intégration et d'assimilation dans un cadre (néo)libéral.  Genderqueer : cf. queer ; ici appliqué davantage au genre qu'à la sexualité  Genre : rôles sociaux / structure sociale basés sur la dichotomie homme - femme.  Hétéroflexible : « je suis hétéro mais tout peut arriver » ; désigne des hétérosexuels qui, éventuellement, peuvent coucher avec des personnes du même genre, principalement sous l'emprise de l'alcool.  Hétéronormatif : modèle dans lequel l'hétérosexualité est l'unique possibilité sexuelle légitime, normale et/ou supérieure aux autres, dans une optique normée, naturalisée dans la société  Hétérotopie : « espace autre » discursif et physique, chez Foucault.  Homonationalisme : tendance à l'utilisation de thématiques LGBTQ à des fins géopolitiques – cf. pink washing.  Homonormalisation : désigne la tendance à la normalisation d'un « mode de vie » LGBTQ, une assimilation au modèle hétéronormatif. Généralement couplé au pink dollar  Intersexe : à la base, condition médicale dans laquelle une personne possède – à des degrés divers – des attributs des deux sexes  Pansexuel : qui est attiré par des personnes et non par des genres. Notion proche de la bisexualité.  Pink washing : Utilisation des thématiques LGBTQ pour se faire une « bonne image » ou cacher d'autres enjeux. Notamment au niveau géopolitique (typiquement utilisé pour parler d'Israël)  Sexe : à la base, critère biologique de séparation homme / femme. Pour certains, catégorisation sociale (construite) à partir de laquelle découlent des relations de pouvoir.

2012 i Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

 Tournant négatif des queer studies : sous-courant des queer studies où l'homosexualité, généralement masculine, est vue comme séparée de l'hétérosexualité. Typiquement, optique séparatiste (par opposition au queer « utopique »).  Transgenre : Qui n'est pas normatif sur le plan du genre. Implique généralement une identification qui sort du binarisme homme / femme  Trans-sexuel : Qui passe d'un genre à un autre ou à un entre-deux.  Two-spirits : Modèle spécifiques aux Indiens Américains, idée d'un troisième genre et d'une sexualité non normative.  Queer : désigne soit l'inclusion de toutes les identités non-hétérosexuelles en un vocable (queer inclusif), soit une posture idéologique déconstructiviste et politique quant à l'orientation sexuelle. Liste des sigles utilisés  BDSM : Bondage – Domination - Sadomasochisme  EM : Ecrans Mixtes  FFGL: Festival de Film Gay et Lesbien  FGL : Forum Gay et lesbien  G&L : Gay et Lesbiens  LGP : Lesbian and Gay Pride  LGB(T)(Q) : Lesbien Bi Gay (Trans) (Queer)  SM : Sadomasochisme Liste des festivals de film cités Festival cité Ville, pays Site internet Ecrans Mixtes Lyon http://www.festival-em.org/ Outfest Los Angeles, Californie http://www.outfest.org Frameline San Francisco, Californie http://www.frameline.org Face à Face St Etienne http://www.festivalfaceaface.fr Vues d'en Face Grenoble http://www.vuesdenface.com MIX NY New York, NY http://mixnyc.org/ New Fest New York, NY http://newfest.org Sundance Park City, Utah, USA http://www.sundance.org/festival/

2012 ii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Festival cité Ville, pays Site internet Pink Screens Bruxelles http://pinkscreens.org/ FilmOut San Diego http://www.filmoutsandiego.com Out on screen Vancouver http://www.outonscreen.com/ Chéries Chéris Paris http://cheries-cheris.com/ Cineffable* Paris http://www.cineffable.fr/ LGLFF Londres, UK http://www.bfi.org.uk/llgff/ Cinépride Nantes / Question de genre Lille / Confusion des Aix en Provence / genres In and Out / Des Toulouse http://www.des-images-aux- images aux mots mots.fr/ BQFF Brisbane, australie http://www.bqff.com.au/ Note : les Festivals en italique ne sont pas des festivals de film LGBT Liste des tableaux et figures • Fig 1 : Répartition des entretiens (pp. 30-31) • Fig 2. : Répartition des différentes compréhensions / théorisations des Festivals LGBT par rapport au rôle donné à la sexualité dans l'organisation discursive – de la difficulté à catégoriser les festivals LGBT et de la pluralité des interprétations possibles (p. 51) • Fig. 3 Programmation des festivals gays et lesbiens en Rhône Alpe et critères de sélection (p. 53) • Fig. 4 : Couverture dans la presse du Festival Ecrans Mixtes 2012, d'après la Revue de Presse officielle (p. 56) • Fig 5 Mention du caractère LGBTQ dans les différents articles de la Revue de Presse Ecrans Mixtes 2012 (pp. 56-57) • Fig.6 : Répartition genrée du public d'Ecrans Mixtes, en spectateurs uniques. Plusieurs réponses possibles (p. 58) • Fig.7 : Répartition sexuée du public d'Ecrans Mixtes 2012, en spectateurs uniques. Plusieurs réponses possibles. (p. 59) • Fig. 8 : Répartition en termes de genre et de sexualité du public d'Ecrans Mixtes 2012 –

* Cinéffable n'est pas exactement un FFGL – il s'agit d'un festival lesbien non mixtes

2012 iii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

spectateurs uniques, plusieurs réponses possibles (p. 59) • Fig 8bis : Répartition en termes de genre et de sexualité du public d'Ecrans Mixtes 2012 – spectateurs uniques, plusieurs réponses possibles (p. 59-60) • Figure 9 : Type de salles fréquentées par le public d'Ecrans Mixtes (plusieurs réponses possibles) (p. 61) • Figure 10 : « Vous vous rendez au cinéma …. » (un seul choix possible) (p. 61) • Figure 11 : Fréquence et type de salle fréquentée en fonction de la sexualité (p. 62) • Fig. 12 : Exemple de modélisation des différentes scènes culturelles inter-agissant avec Ecrans Mixtes. (p. 65) • Fig. 13 : McMillan et Chavis : théorisation du sens de la communauté (p. 83) • Fig. 14 : Sentiment d'appartenance à la communauté, vu par McMillan et Chavis et adapté aux FFGL : une intégration plus difficile pour les personnes hétérosexuelles. (p. 87) • Fig. 15 : Modélisation de la relation compréhension de l'hétérotopie et caractéristiques du spectateur : tenter de définir ce qui constitue l'hétéropublic. (p. 87) • Fig. 16 : accompagnateurs et publics au Festival Ecrans Mixtes (p. 96) • Fig. 17 : Hétéropublics hétérosexuels, interprétations et usages de l'espace discursif : une modélisation (p. 106) • Fig. 18 : Publics hétérosexuels réflexifs et cinéphiles – tentative de modélisation des usages et utilisations de l'espace discursif. (p. 115) • Fig 19 Modélisation des usages et interprétations de l'espace discursif Ecrans Mixtes chez les femmes féministes / intéressées par la notion de genre (p. 122) • Fig. 20 : utilisation et compréhension du Festival Ecrans Mixtes comme espace discursif polysémique par les publics / hétéropublics hétérosexuels : une modélisation simplifiée (p. 127) • Fig. 21 : modélisation de la compréhension et de l'utilisation de l'espace discursif dans l'entretien n°5, homme homosexuel – bénévole Lavoir et Middlegender, « célébrer une culture queer » (p. 128) • Fig 22 : utilisation et compréhension du Festival Ecrans Mixtes comme espace discursif polysémique par les publics / hétéropublics hétérosexuels : relations complémentaires (p. 129)

2012 iv Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

• Fig. 23 : Questionnaire distribué aux spectateurs (p. vii) • Quelques éléments relevés dans les entretiens (pp. x-xiii) • Affiches (pp. xl-xlii) • Tableau a : Ecart dans la représentativité du public en termes de genre / de sexualité par séance, par rapport à l'ensemble du Festival (p. xliii ) • Tableau b : Part d'une catégorie de public donné qui a vu au moins un film dans une catégorie de programme. (p. xliv) • Tableau c : Accompagnateurs et publics hétérosexuels au Festival Ecrans Mixtes, par type et lieu de séance (p. xlv)

2012 v Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Notes méthodologiques Il s'agira ici d'esquisser la base méthodologique du travail.

Questionnaire & traitement de l'enquête quantitative L'enquête quantitative a été distribuée sous forme papier avant chaque projection – en tant que bénévole. Les personnes l'ayant déjà rempli ont été invitées à le compléter de nouveau, leurs résultats étant groupés grâce à leur adresse e-mail (et ce afin d'éviter les doublons). Afin de faciliter la récolte, le questionnaire était présenté comme réalisé à la fois dans le cadre le Festival et pour un travail de recherche. Un tirage au sort permettait de gagner des DVDs. Les questionnaires ont ensuite été collectés et traités sous forme de tableau excel, anonymé.

Au total, 651 questionnaires ont été récoltés et traités pour 500 répondants uniques. Le taux de retour par séance varie de 1/2 à 1/7. La séance Miwa n'a pas été comptabilisée – en raison d'un taux de retour insuffisant pour un usage statistique.

Le questionnaire est répliqué en figure 23. Au niveau du traitement de données, les catégories suivantes ont été découpées :

• Question 1 : Femme – Homme – Autre (= transgenre – genderqueer – intersexe). Les « ne souhaite pas répondre » / « ne sait pas » n'ont été répertoriés dans aucune colonne. • Question 2 : Hétérosexuel – Homosexuel – Bi/Pan-sexuel/queer (remettant en cause la binarité) – Autre (= asexuel / autre). Les « ne souhaite pas répondre » / « ne sait pas » n'ont été répertoriés dans aucune colonne. • Question 3 : Trois catégories : « seul » « accompagné sans LGBTQ » « accompagné par un LGBTQ » • Question 5 : les cinémas ont été répartis ainsi : Art et essai ou assimilé (type Institut Lumière / CNP / Comoedia), Chaînes (Pathé, Gaumont, UGC), Autres et cinémas de centre ville. Les données ont été rigoureusement croisées afin de déterminer l'influence des différents facteurs. Afin de gommer le différentiel quantitatif pour chaque séance et de pouvoir réaliser des comparaisons, les chiffres ont été transcrits sous forme de pourcentages. Certaines catégories n'ont pas été retenues, du fait de leur faible présence dans l'échantillon. Par exemple, les « genres autres » ou « sexualités autres » n'étaient pas assez nombreux pour l'usage statistique.

2012 vi Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Les éléments suivants ont été testés :

1°) Répartition du public par séance, genre et sexualité

2°) Accompagnement par séance, genre et sexualité

3°) Fréquentation cinématographique (quantitative et selon le type de salle habituelle), genre & sexualité, séances vues. Les chiffres obtenus ici n'ont pas été jugés significatifs.

Les « publics hétérosexuels » ont systématiquement été opposés aux personnes « non hétérosexuelles », érigées en groupe de contrôle.

FESTIVAL ECRANS MIXTES 2012 MIEUX VOUS CONNAITRE Afin de mieux vous connaître, le Festival Ecrans Mixtes 2012 réalise une enquête. Vos réponses seront traitées de manière anonyme et seront utilisées dans le cadre d'un travail universitaire. Des DVDs sont à gagner. Merci de remplir un questionnaire par séance et par personne et de le remettre à l'entrée ou à la sortie de la salle. 1. Par quel(s) genre(s) vous identifiez vous ? (plusieurs réponses possibles)  Femme  Homme  Transgenre  genderqueer  intersexe  ne souhaite pas répondre  autre (précisez)______ ne sait pas 2. Votre orientation sexuelle est plutôt définie comme : (plusieurs réponses possibles)  hétérosexuel-le  bisexuel-le  Homosexuel-le  Queer Pansexuel-le  asexuel-le  ne souhaite pas répondre  ne sait pas  autre (précisez) ______3. Êtes vous venu-e seul-e ou accompagné-e ?  Seul-e  Accompagné-e si accompagné-e: une ou des personnes vous accompagnant s'identifie(nt)-elle(s) comme LBGTQ ? oui non 4. Quel film vous apprêtez vous à voir ? ______5. Vous vous rendez au cinéma : Plusieurs fois par semaine  moins d'une fois par semaine mais plusieurs fois par mois  moins d'une fois par mois ; Nom du cinéma que vous fréquentez le plus souvent : ______(lieu si en dehors de Lyon) 6. Adresse email : ______Les gagnants seront recontactés par mail Acceptez-vous d'être recontacté-e pour cette étude ?  oui  non Acceptez-vous d'être recontacté-e par Ecrans Mixtes ?  oui  non Vos coordonnées ne seront en aucun cas diffusées à des tiers. Merci ! Pour plus d'informations sur cette enquête, merci de contacter : [email protected]

Fig. 23 : Questionnaire distribué aux spectateurs Le mode de collecte d'information introduit nécessairement des biais : en situation de face à face, il est probable que certains publics, et notamment hétérosexuels, aient refusé de remplir un papier contenant des informations « personnelles ». De même, les

2012 vii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

publics réguliers du Festival n'ont probablement pas rempli le questionnaire à chaque séance, d'où une sous-représentation des publics réguliers.

De manière générale, le questionnaire nous renseigne davantage sur la catégorie utilisée à un moment T pour se définir que sur une réelle compréhension (complexe) de la/sa sexualité (qu'on saisit mieux à travers les entretiens). De plus, il est possible que les catégories autres que homme/femme, hétéro/homo aient été utilisées en option de replis. De manière surprenante, le nombre de personne ayant coché les cases « ne souhaite pas répondre » ou « ne sait pas » est négligeable.

Traitement des entretiens Les entretiens sont semi-directifs. Ils ont été réalisés principalement au Broc Bar – lieu choisi pour sa proximité avec le CNP Terreaux (où s'est déroulée une grande partie du festival) et parce que le profil des clients (sexualité / genre / « style de vie ») semble empiriquement relativement proche de celui du public d'Ecrans Mixtes. Ont été réalisés :

- des entretiens compréhensifs avec le bureau de l'association Ecrans Mixtes – afin d'acquérir plus d'éléments sur le contexte organisationnel et discursif de l'association. Ceux-ci ont eu lieu pendant les réunions de l'équipe bénévole et durant le Festival (bénévolat) et n'ont pas été retranscrits.

- Deux entretiens semi-directif avec les bénévoles hétérosexuels du Festival – portant principalement sur leur expérience de spectateur.

- Entretiens avec le public, selon l'échantillonnage basé sur les questionnaires. Au moins :

 3 hétérosexuels (hommes) – au moins 1 accompagné par des amis LBGTQ, au moins 1 hors rétrospective  4 hétérosexuelles (femmes) - ibid  4 non-hétérosexuels (hommes) - 1 rétrospective Waters, 1 autre  3 non-hétérosexuelles (femmes) dont une ayant principalement vu les films dits lesbiens Il est tenu compte, lors de la sélection des personnes interrogées, du nombre de films vus lors du festival de la programmation effectuée par les spectateurs. Ces entretiens sont sollicités auprès des personnes ayant accepté d'être recontactées suite à l'enquête quantitative. Là encore, des DVDs étaient à gagner. En outre, les entretiens n°1, 2 et 3 ont été effectués auprès des personnes ayant gagné un DVD via l'enquête quantitative.

2012 viii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Les entretiens avec des personnes non-hétérosexuelles sont avant tout un groupe de contrôle, qui permet de vérifier l'hypothèse d'interprétations différenciées selon l'orientation sexuelle.

Grille d'entretien La grille classique consiste en 10 items, modulés en fonction du « profil » de la personne interrogée. Ils visent à saisir l'univers discursif des publics, leurs motivations et leurs choix de programmations. En ce sens, il a été choisi d'être « souple » sur la formule d'entretien, et d'éviter une grille « monolithique » répliquée à l'identique pour chaque personne.

 1. Présentation / occupation / habitudes de cinéma / études éventuelles / proximité culture LBGT  2. Comment avez-vous connu / vous êtes vous retrouvé au Festival Ecrans Mixtes 2012 ? Comment avez-vous choisi les films que vous alliez voir?  3. Vision de la programmation / du festival. Faire parler sur : la ligne éditoriale / les choix des programmateurs. Voir si les personnes interrogées considèrent Ecrans Mixtes comme Festival Gay et Lesbien ou non.  4. Dans l'approfondissement de l'item 3 : si les personnes sont allées au Lavoir / à la soirée officielle, leur en faire parler.  5. Leur faire parler de « leur » sélection, mais aussi de la structure du festival (séance de minuit, importance d'une rétrospective, etc.).  6. Nom « Ecrans Mixtes », nom de l'édition « Rebelle Rebel », communication du Festival.  7. Importance d'un « tel » festival / mission éventuelle du festival / rapport cinéma politique.  8. Lieux du festival / pratiques culturelles / forme « festival ».  9. Contacts avec le public  10. Amener doucement le sujet de l'identité sexuelle. Pendant l'entretien, on n'utilisera jamais la formulation « festival de film gay et lesbien » (sauf si utilisée par la personne interrogée). On parlera davantage d'un « festival comme Ecrans Mixtes » ou « un tel festival » pour éviter d'orienter la compréhension de l'espace discursif. Pour les bénévoles, à l'item 2 ont été substituées les questions suivantes :

2012 ix Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

 1. Item bénévole : Entrée dans Ecrans Mixtes.  2. Item bénévole : Question de la sexualité au sein de l'équipe Ecrans Mixtes. Manière de se présenter.  3. Item bénévole : Question de la sexualité en dehors d'Ecrans Mixtes en rapport avec la situation « bénévole » (publics, amis, etc) Là encore, un entretien est un discours à un moment T et adressé à une personne. Bien qu'essayant de ne pas laisser d'exprimer une identité sexuelle (la mienne) afin de ne pas influencer les discours, ma simple présence en tant que bénévole d'Ecrans Mixtes peut avoir joué dans les réponses. Il va de soi qu'un hétérosexuel ne parle pas de sa sexualité de la même manière à une personne perçue comme LGBTQ.

De manière générale, certains discours vont « plus loin » dans l'intime que d'autres. Afin de garantir une certaine neutralité, les personnes interrogées avaient été tirées au sort parmi la base de donnée. Ici, la proximité entre les scènes culturelles que je fréquente et celles qui sont endossées par la personne interrogée est un facteur important : je connaissais certaines personnes de visu, familiarité qui permettait d'approfondir certaines thématiques. De même, si les personnes interrogées n°1, 2 et 3 se connaissaient, il ne s'agit ici que d'un hasard : elles avaient été tirées au sort sur des séances différentes.

Quelques éléments relevés dans les entretiens Les éléments présentés ci-dessous sont des prises de notes, non formatées, sur chaque entretien. Ils ne reflètent pas la « totalité » des discours tenus par chaque personne, mais reprennent les points marquants. Entretien Eléments marquants 1 – homme LGBT vocabulaire sexuel peu varié / Insistance : « cinématographiquement intéressant ». Pas de commentaire sur la politique sexuelle du festival - utilise et réfute l’expression ciné gay. Gay vu comme critère de sélection principal ; diminution stratégique côté gay ; EM comme “alternatif” mais par rapport à une scène culturelle légitime, qu’il fréquente, plus que par rapport à une sexualité. Pas de compréhension du queer. Pas de problématisation nom du festival. Insistance sur ses amis hétéros. Côté politique parce que gay, à regret. Gêne. 2 – Femme hétéro Vocabulaire sexuel peu varié. Insistance cinéphilie & variété programmation. Pas de commentaire sur la politique sexuelle du festival. De-sexualisation du caractère sexué du festival. Alternative par rapport à scène culturelle légitime qu’elle fréquente. Gène avec

2012 x Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Entretien Eléments marquants un discours militant. Public vu comme soit cinéphile soit gay. Récurrence du “on” comme processus de légitimation. Se définit comme n’ayant aucun ami hétéro et trainant dans une sphère homo- sexuée. Mission politique parce que gay. Pas de constructivisme 3 – homme hétéro EM = clairement gay. A connu via personnes LBGTQ. « Alternatif mais vraiment homosexuel ». Insistance constante sur l’alternatif comme justification. Homosexualité = “ça”. Alternatif mais pas dans la sexualité, plus // scène culturelle légitime. Dé-sexualisation de la programmation. Insistance sur sa cinéphilie. Négociation culturelle comme permettant l’accès. Public : homosexuel jeune. Hétéropublic clair. Mission politique parce que gay. Communication gay 4 : femme LGBTQ Militante féministe ; Programmation féministe : Expression sexuelles variées ; Programmation vu comme thématiques gay et lesbiennes plus qu’identités. Tendance queer. Politique sexuelle - plus une entrée sur les questions de genre /sexualité. Mixité comme fondement féministe (intersectionalité, etc). Réflexion, sans « politically correct ». Rebelle // autres festivals du types (expérience). Sexualité au sens large, queer comme entrée. Public LBGTQ dont queer et hétéros. Public averti // thématiques et cinéphile. Questionnement de la norme. Réhabilitation historique / culturelle / transmission culturelle, discours plus large sur la société. Communication pas forcément queer. Vision constructiviste 5 : homme LGBTQ bénévole Middlegender / lavoir / impliqué milieu LBGTQ. Rôle amis LBGTQ. Vocabulaire sexualité limité. Idée d’une sensibilité gay. Festival de découverte, donner une pensée, sensibilisation Vision du monde // sexualité. Mode de vie homosexuel. Re- définition sexualité comme culture et non identité. Idée de communauté. Pas de sens à la mixité. Rébellion comme métaphore de l’homosexualité. Réhabilitation d’un mode de vie / célébration d’une culture / drague. Intérêt pour « la » communauté. Public gay et « heureusement ». Être soi même. Clichés. “on”. Se construire en dehors d’une norme. Réflexion lesbophobe. Waters comme homo 6 – Femme hétéro travaille sur le genre. Donner à voir une autre sexualité, moins conventionnelle. Réflexivité et représentation. Queer. Interrogation des films au vu de cet objectif. Question du réalisme et de la représentativité. Références théoriques. Problématisation du nom EM au vu du queer. Intérêt de l’hétérotopie - dans laquelle elle s’inclut. Espace de réappropriation. Problème avec l’identité sexuelle. Vision constructiviste de la sexualité - transparent dans le festival. Intérêt pour EM // sa situation politique. Communication insistant sur le corps et la sexualité 7 – Femme hétéro Vocabulaire peu varié. Choix en fonction des réalisateurs. Pas de problématisation de la programmation. EM comme gay et lesbien.Waters comme homosexualité diffuse. Homosexualité ><

2012 xi Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Entretien Eléments marquants hétérosexualité. Mixité comme souhaitable : lutte contre les discriminations. Discrimination comme évitement d’une discussion gay et lesbien. Cinéphilie et homosexualité séparée. Public varié ou gay selon les séances. Rappelle sa cinéphilie constamment. Hésitante à dire qu’hétéro. Peur du militantisme 8 – homme hétéro Vocabulaire varié. Histoire perso & sexualité. Discussion différents bénévole EM objectifs // différents programmes. Réhabilitation et dé/construction d’un genre. Subversion des codes ciné / sexuels. Cinéma queer >< cinéma militant. N'utilise pas « gay et lesbien ». Queer - idée de dépassement sexualité ET genre. Pas d’intérêt pour le gay et lesbien traditionnels. Réflexivité // vie perso. Public varié. Problèmes // son identité sexuelle. Intérêt pour l'a-normal. Communication pas gay. Caractère pro d'EM. Allié à une vision de classe 9 – Femme hétéro passionnée culture queer - Vocabulaire varié - Définition culturelle queer bénévole EM plus qu’identité - contre culturel - Poser la question du genre - Réflexivité // thématiques. Donner à penser sur la société - Dépasser la notion d’identité - Sexualité oscar wildienne - Écho avec ses gouts- Problèmes dans sphère hétéro centrée - Inclusion dans la communauté LGBTQ - Subversion culturelle / sexuelle – Rencontres - Public G et L mais pas forcément - Intérêt de la culture queer dans la construction personnelle -Déconnexion identité / culture / sexualité – Dés-identification- Célébration d'une culture. 10 – Femme hétéro Expressions variées. Intérêt pour l’introuvable. Audace ciné ET bénévole lavoir et sexuelle d'EM : liées. Bonne image, réalisme et combat / artistique. middlegender Intérêt plastique. Questionnement caractère homosexuel de certains films. De/construction sexualité / genre. Complexité réclamée // autres festivals g et l. Alternatif et contre culture // scène légitime et norme hétérosexuelle. Réflexivité // études, amis, situation perso, culture hétéro. Pas de mention du queer, mais a-normalité réclamée. Références Tracks / films divers / grrrnd zero. Problème lors de L.A. Zombie. Différence milieu gay traditionnel. 11 – homme histoire militante révolutionnaire LBGTQ. Vocabulaire varié. “vrai” LGBTQ festival de films. Audace sexuelle ET cinématographique. Rejet / interrogation des normes sexuelles / plastiques. Côté historique. >< autres festivals LBGTQ. Idée d’une esthétique queer. Références FAHR et queer. Peur normalisation & politiques G et L traditionnelles. Nom EM comme manière de s’infiltrer et légitimité culturelle. Idée « de refus à l’intérieur même d'un cinéma qui lui même pourrait déjà se penser comme minoritaire, de creuser à l’intérieur de la marge ». Public mixte. Montrer ce qui n’est pas ailleurs. Patrimoine. Professionnalisme, transparence mais pas évidence gay et lesbien 12 – femme festival sur l’homosexualité et le genre. Réalisme // films américains

2012 xii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Entretien Eléments marquants LGBTQ (mais réalisme plus dans un sens normatif). Nom : ne pas repousser les gens. Peur du ghetto / but : public large. Réflexivité et réalisme - vs « afficher pour afficher ». EM contre « le milieu ». Public lesbien, plus cultivé que le milieu, moins voyeur. Assume / n’assume pas le milieu “la communauté”, gêne par rapport à l’hétérotopie traditionnelle mais pas EM. Interrogation sur ce qu’est être gay // stéréotype et politique, visibilité, plus que sur ce qu’être gay signifie. Pas de questionnement de la sexualité - quasi naturalisée - mais de l’identité. Réclame une certaine forme de normalité. But : montrer qu’on est normaux // milieu. 13 - ibid EM = gay. Problématisation EM pas claire (« pas forcément sur l’homosexualité, mais histoires qui concernent l’homosexualité ») MAIS films gays. Nom festival (mixtes) comme faux. Pas une vraie mixité.Public gay du milieu. Peur du ghetto. Dé-sexualisation des films mais intérêt sexuel pour les films. Pb avec EM : paranoïa (Mixte = gay). Discussion sur deux types de lesbiennes mais se met hors catégorie pour se définir hors sexualité. Relative naturalisation et compréhension lesbienne des films. Suspicion « ça ne peut pas être complètement innocent ». « Banaliser dans le bon sens du terme ». 14 – homme queer vocabulaire plus varié. Rencontrer des gens + discuter thématiques (public averti). Côté trans / genderqueer (& Waters) et genre MAIS festival LBGT (nom large - mixité rien dire). Comparaison // autres festivals plus gays. Public très G et L tout âge milieu communautaire. Faire émerger une certaine forme culturelle. Acceptation. 15a – homme hétéro documentaires lesbiens accompagné amie hétéro.Vocabulaire simple Films gays et lesbiens ou films sur les hétéros vu par les gays et lesbiens. Brandon Teena comme lesbienne. Edie et thea = normalité. Réinterprétation de la programmation au vu de la ligne éditoriale perçue (cf classiques). Despentes : idée que tout ce qui sort de l’hétérosexualité normative est homocentré. Cinéma et sexualité comme relativement séparé. Découvrir une “réalité” et une certaine normalité. Fille & justification. Hétéropublic clair. Gêne si homosexualité trop visible & revendicatives. Peur du communautarisme (& bonne image). Montrer que les G et L sont des gens comme les autres.

2012 xiii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Quelques entretiens... Les entretiens présentés ci-dessous sont représentatifs du panel.

Entretien n°8 – homme, hétérosexuel, étudiant en cinéma et bénévole sur le Festival. Profil : Cinéphile réflexif.

Q : Comment es-tu arrivé à Ecrans Mixtes?

C’est par le biais d’une copine, qui s’appelle A.572 et qui travaillait avant à Ecrans Mixtes. Je l’ai rencontrée au festival Lumière 2009 et elle m’avait juste parlé d’un festival queer, heu, homosexuel et qui allait se dérouler donc sur Lyon et elle m’avait proposé d’être bénévole. J’ai dit oui, pour moi tout est bon à prendre. Donc je suis rentré par le biais de cette dame et puis j’ai rencontré I. et donc je suis arrivé par ce biais là.

Q : Donc tu as pris la décision assez rapidement? Parce que j’imagine que ce n'est pas forcément évident d’être hétérosexuel dans un festival de film tel qu’Ecrans Mixtes

Non, cela ne m’a jamais touché. Si tu veux j’avais …. …. Ça fait longtemps que j’ai fait mon éducation à ce niveau là. Bon, j’ai une mère homosexuelle. Au début c’était un peu dur parce qu’on était une grosse famille de gaulliste. Il fallait nous voir il y a quinze ans. Mais non, non, aucun problème. … J’ai pris ma réflexion et j’ai dit oui tout de suite. J’attendais juste qu’elle m’en reparle pour confirmer cela. Voilà. J’avais juste peur que ce soit du vent. Je me suis tout de suite entendu avec I.. Ça s’est très bien passé. C’était très facile : j’ai commencé à parler de cinéma, de cinéma anglais et des réalisateurs que j’admirais. Et ça lui a plu. Le courant est passé. Il s’est dit : “tiens, un jeune de 20 ans qui connait Micheal Powell, Tony Richardson… à la base, je ne connais pas grand chose au cinéma queer en tant que tel, si tu veux. Pour moi, je n’ai jamais considéré cela comme un genre. À part entière. En fait c’est une thématique qui peut se développer à travers tous les genres, tout le cinéma. C’est pour cela que je me suis dit que le cinéma queer c'était tout le cinéma. Même s’il y a des films plus militants, mais je n’ai jamais eu vraiment beaucoup de sympathie pour les films plus militants. Voilà, ce qui m’intéressait aussi dans ce festival, c’était le fait que ce n’était pas juste le côté militant qui en ressortait, mais le côté “on n’est pas juste homosexuel” en fait. Et moi ça m’a plu et donc où est le problème ? Le premier moteur c’était l’amour du cinéma.

Q : Et donc tu as affiché clairement ton hétérosexualité? Tu as du faire une sorte de

572 Tous les prénoms cités ont été supprimés.

2012 xiv Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

coming out hétérosexuel?

Ils s’en foutaient. Même si I. a eu quelques avances en soirées, mais ça c’est pas grave, c'est I. Non, ça s’est très bien passé. C., par exemple, était très sympathique. On a tout de suite discuté. Mon hétérosexualité n’a jamais été un problème. Non, aucun soucis. Il y a beaucoup d’hétérosexuels qui vont se sentir atteints dans leur virilité s’ils trainent avec beaucoup d’homosexuels. Moi même, c'était le cas il y a cinq - six ans. Si on me touchait, si un homme venait me toucher je disais tout de suite “oh là, touche moi pas!”. Bon, maintenant j’ai évolué, j’ai changé, j’ai gagné un peu en maturité et je le vis bien. Et même maintenant ça me fait marrer, plus qu’autre chose quoi.

Q : Tu fais parti aussi de ceux qui s’occupaient un peu de la programmation. Comment se fait-elle au niveau du festival?

Par exemple comme les décisionnaires ? Je pense qu’avec I. il y a un mélange d’abord … je pense qu’avec I... Enfin pour moi I. c’est le référentiel, le décisionnaire, je pense que ... Parce que c’est quand même lui qui fait le gros de la décision. Il va prendre pour une partie des films un gros réalisateur dans la culture du cinéma queer - John Waters, Gregg Araki. J’ai hâte de voir ce qu’il trouvera l’année prochaine. I. est quelqu’un de très cinéphile. Il a ce côté où il veut aussi parfois prendre un classique. Parfois, il se dit “Ok, on va faire un classique”. L’année dernière ils ont passé La Rumeur, qui est un film très intéressant parce qu’il parle de ce sujet là. Mais en même temps, du fait de la censure à cette époque, il a dû trouver comment rendre ce sujet acceptable et en même temps... Il a réussi à faire un film homosexuel tout en respectant la charte de … mais en même temps tu sais très bien que par derrière il te fait un gros fuck. Tu comprends très bien que ces films là, ces films là, ils font un fuck au système et je pense que quelque part I. s’intéresse à ce cinéma là. Voir comment dans un cinéma qui apparemment est renfermé on arrive à subvertir des codes et voir comment d’ailleurs c’est un cinéma de la subversion et comment ils arrivaient à faire passer des idées, malgré le code de la censure, le code Hays, les contraintes morales et tout ça. Après je pense qu’il prend aussi des films comme The Cruising parce que c’est William Friedkin, parce c’est un grand réalisateur, parce qu’il y a un grand acteur qui est Al Pacino qui joue clairement un homosexuel, quelqu’un qui découvre son homosexualité mais de manière très crue et très cash. Et puis je pense que parce que le cinéma homosexuel-queer n’est pas que le cinéma qu’on trouve, qu’on peut te vendre, dans certains clans. Moi, j’appelle ça des clans, le cinéma militant. Pour moi, le cinéma queer ne veut pas toujours dire cinéma alternatif.

Q : Et donc quand on fait la programmation, on a une certaine idée du public qu’on

2012 xv Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

vise?

Je pense qu’en fait - je vais être honnête - il y a un petit calcul quelque part. I. a peut-être choisi des films qui n’ont pas forcément d’intérêt cinématographique quelque part. J’en suis persuadé. On en a déjà parlé. Parce qu’en même temps, quoi qu’il en soit, il faut que le festival marche. Cela le ferait chier de faire 300 personnes. Il ne faut pas l’oublier. Il y a une cible. Il ne faut pas être dupe de cela. Le cinéma alternatif, “alternatif”, il y a aussi une cible. C’est-à-dire que, souvent, il y a une étude de marché. Ce n’est pas si différent du cinéma “mainstream”.

Q : Et ça joue dans les deux sens ? Programmer des films qui peuvent plaire à un public “plus” militant homosexuel et ne pas programmer de films trop trash qui peuvent …

Je pense qu’I. n’a jamais été bloqué par cela. I. a toujours été très cash dans sa programmation. Araki tu aimes ou tu n’aimes pas. Moi je suis assez mitigé sur Araki, il a fait des films magnifiques comme de vrais daubes. Son dernier film, Kaboom, je ne l’ai pas supporté. Je pense qu’il y a une certaine sincérité, mais je pense qu’il ne faut pas se voiler la face, il n’y a aucune… Viser un public ciblé, c’est un côté industrie, affaires. Je pense que l’artiste, l’artisanal ne va pas sans un côté calculateur. Je pense qu’il faut être un bon calculateur pour faire des films un peu plus artistiques ou des festivals exigeants.

Q : Et notamment en comparaison des autres festivals de film, type St Etienne?

Mais même des festivals type Cannes, cela n’empêche pas qu’il y ait des chefs d’oeuvres. Même Sundance. Puis I. n'a jamais eu le côté … un peu … on fait que de l’alternatif ou ... Il est très sincère par rapport à cela, mais il ne va pas le dire haut et fort. Mais cela ne veut pas dire qu’il se fout de la gueule ou qu’il maitrise le public, parce que le public après tout peut y trouver son compte.

Q : Comment as-tu choisi les films que tu allais voir ?

La première année, je ne connaissais pas trop ... Je m’en foutais. En ce qui me concerne, j’essayais d’aller voir le plus de films possible. J’en avais rien à battre. Pour moi, tout film … je pars du principe que tout film peut m’apporter un choc. Potentiellement, j'essaye de voir tous les films possibles. Cette année c’était un peu plus compliqué parce que j’étais pris ailleurs et donc il fallait que ... J’en ai vu 4 ou 5, 3 de Waters. C’est pas beaucoup. Là non plus, je n’ai pas eu de préjugés. Là c’était plus par emploi du temps. Mais dans l’idée, plus j’en vois mieux c’est. Plus il y a de différences mieux c’est. Moi j’y vais au piff et l’année dernière j’ai découvert Jarman quand même.

2012 xvi Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

J’ai adoré ce film, Edward II.

Q : Comment décrirais-tu le festival Ecrans Mixtes ? Notamment la cohérence de la programmation, le but et la ligne éditoriale ?

Le but du festival c’est un peu d’ouvrir les spectateurs à ce cinéma là et de dire que ce cinéma là c’est aussi du vrai cinéma. C’est pas juste un divertissement, un amusement ou quelque chose de ciblé. Parce que ça vise large Ecrans Mixtes, c’est pas juste l’hétérosexualité, les trans etc. C’est bien de réunir toutes ces personnes devant un écran de cinéma. Donc oui, le cinéma c’est un milieu alternatif, le cinéma peut toucher un vrai public, pour moi ça va au delà des genres. Peut-être même au delà de l’idée qu’il y a des genres différents. Je ne sais pas si je me fais comprendre.

Q : Tu prononces beaucoup l’expression cinéma queer, tu n’as pas parlé de “cinéma gay et lesbien”, tu peux m’en dire un peu plus ?

Cinéma queer ? Je pense que le cinéma queer, c’est un cinéma qui évite de caser les gens dans leur genre. Un cinéma qui en parle mais qui dit “ok, t’es homosexuel, mais en fait on s’en bat les couilles.” Ce qui importe c’est le vécu, ce qui le déchire, le touche, ce qui l’attriste, ce qui… Pour moi c’est les traiter comme des êtres humains “normaux”. Quand je vois un film d’Araki, quand je vois The Living End, je ne vois pas d’homosexuels - même si c’est un cinéma de ce milieu là - je vois une histoire d’amour tragique et géante. Après je ne sais pas. Ma conception est encore en construction, dans le sens où je n’ai pas pu me faire un avis complet. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre.

Ecrans Mixtes, si c’était un cinéma “gay et lesbien”, ça ne m’aurait pas intéressé. Je pense que je me serais barré. Je me serai barré. Cela ne m’intéresse pas. Moi je déteste ce genre de chose. Je déteste ces hétéros gays lesbiens tout ça. Non, pour moi ce n’est pas encourageant je pense.

Q : Et donc, dans ce Festival queer, il y aurait une mission politique ?

Oui, je pense, mais peut-être inconsciemment. Je pense qu’inconsciemment il y a peut-être une mission d’éducation, même si pour moi ce n’est pas forcément le but, l’éducatif. Il y a la volonté d’habituer le public à voir des trucs différents, mais en même temps en faisant en sorte que ce soit... Qu’on leur propose quelque chose d’acceptable et source d’évocation.

En fait je pense que si Ecrans Mixtes était seulement politique … Je pense que l’idée politique d’un festival ou de quelqu’un qui réalise son film n’est pas importante parce que le film survivra à ça. Si Ecrans Mixtes se présente comme un festival

2012 xvii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

politique, ce qu’il est certainement quelque part, pour moi ce n’est pas secondaire : c’est anecdotique. Les films survivront à la conception qu’Ecrans Mixtes a de ce cinéma là et qu’on a de ce cinéma là. Cela survivra à toutes ces idées.

Q : Comment as-tu perçu le public du festival ?

Très varié. Certaines personnes du public apparemment. Il y a des gens qui venaient comme ça discrètement. La plupart, tu voyais vraiment que dans ce festival là plus que dans d’autres il y avait… tu voyais vraiment qu’ils se … “ah je suis comme ça “ et qui s’habillaient comme tel. Je me rappelle que l’année dernière je m’étais fait engueulé par une lesbienne radicale qui s’offusquait que je sois un homme hétérosexuel qui soit membre et bénévole à Ecrans Mixtes. Je pense que certaines personnes qui viennent … elles ont besoin de régler quelque chose en elles. De voir quelque chose de politique. De différent. Parce que peut-être qu’elles se reconnaissent dans ça. Et puis il y en a qui sont là pour le cinéma. Je pense qu’il y a certains spectateurs pour lesquels, finalement, le cinéma n’est pas intéressant. Honnêtement, je suis persuadé que beaucoup de personnes ne seraient pas venues si ce n’était pas un cinéma qui se disait queer. Ou alternatif. Je le pense honnêtement.

Q : Tu as eu des contacts avec le public ?

Oui, je ne me suis pas fait d'amis mais ça m’est arrivé de discuter avec des gens du public, devant le cinéma et de rencontrer des personnes tout à fait intéressantes avec lesquelles on déviait sur d’autres sujets de conversation. Bien entendu. Je me suis surtout bien entendu avec les bénévoles. Une franche camaraderie. La majorité du temps, avec le public, c’était “tickets, s’il vous plait”.

Q : Le nom du festival, tu l'interprètes comment ?

Ecrans Mixtes …. C’est le cinéma …. Lissé … On s’en fout. Ça montre bien que c’est un festival de cinéma mais il y a un côté un peu … putain... Mixte quoi. C’est …. Venez pas voir un festival gay et lesbien mais … venez voir quelque chose de mixte .. Différent … mélangé … différent et mélangé… Plutôt mélangé, ce qui m’intéresse plus. Parce que ce qui est aujourd'hui considéré comme différent ne le sera plus dans quelques années. Quelques décennies.

Je pense que ça se voit dans leur communication. La ville, le Grand Lyon. Quelque part ils ont … ils ne sont pas agressifs. Ils ne sont pas si transgressifs que ça... Quand tu vois l’affiche. La qualité du catalogue. Voilà. Et puis bon, ça ne fait plus peur aujourd’hui. Dans des milieux comme Lyon. Dans des endroits ruraux c’est peut-être plus difficile. Je pense qu’il n’y a plus de psychose autour de ce qu’il y a d’alternatif ou

2012 xviii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

de différent. Je pense que c’est devenu plus acceptable et finalement peut-être tant mieux. Cela veut dire qu’on peut enfin passer à quelque chose de différent. Et puis, c’est le cycle de la vie et de l’art. Ce qui est transgressif à un moment finit par rentrer dedans et être accepté. Peut-être même des fois - j’espère que ce ne sera pas le cas pour Ecrans Mixtes - muséifié. Dans ce cas là, ce n’est peut-être pas une bonne nouvelle.

Q : Cette volonté de jouer sur le côté institutionnel ou presque professionnel, ça va avec la lignée éditoriale, une volonté de communication ?

Même mieux. C’était déjà institutionnalisé avant dans le milieu de l’art. On s’est mis à parler de ça, à faire des films. A tel point que, parfois, cela devient une farce : on va faire un film sur l’homosexualité et dire “oh mon dieu, que c’est courageux, c’est génial”. Ce n’est pas toujours le cas. Quelque part, le sujet était déjà acceptable et dès le début il n’y avait pas de problème. Je ne pense pas que c’était une volonté d’Ecrans Mixtes. Une volonté d’être acceptable, mais c’était déjà le cas avant.

Bien sur, après ils ont joué sur la légitimité pour montrer que tout le monde peut y aller. Parce que finalement ça vise quelque chose de plus large. Si Ecrans Mixtes voulait marcher, ils n'auraient pas pu jouer sur quelque chose de trop provoc... Cela n’aurait pas été intéressant ou moins aujourd'hui. Le public était prêt. Cela venait déjà du public. Les gens étaient déjà prêts.

Q : Et le nom de cette édition, Rebelle Rebel, ça s’insère dans le cadre de ce “cinéma queer” ?

Cela me fait sourire. C’est vrai, c’est peut-être parce qu’on a du se dire “il faut peut- être que… Il faut peut-être retrouver cette verve.” D’ailleurs dans John Waters, comme dans les films de Soukaz, il y avait moyen de dire que le cinéma queer a un moment ça a aussi été un cinéma … colérique. Tu sais, de gens en colère, de gens énervés, de gens rebelles, de gens … inconscients... De mecs qui n’avaient rien à faire des bonnes manières et rentraient dedans. Pour moi John Waters c’est ça, c’est quelqu’un qui n’a rien à faire des bonnes manières. Qui n’est pas quelqu’un qui va essayer de … même si c’est quelqu’un d’accepté aujourd'hui, je pense que c’est quelqu’un qui a toujours été cash du début à la fin. Il est sincère, il est sincère et rentre dedans. C’est touchant.

Rebelle Rebel, ça rappelle que ce cinéma queer et alternatif était, fut un temps, moins aujourd'hui, mais fut un temps était vraiment un cinéma de la remise en question, de la subversion. Il y a ce besoin là de rappeler. C’est important de rappeler que ce cinéma, c'était un cinéma du “je te chie dans ta bouche de bourgeois”, contre l’esprit bourgeois et étriqué. Paradoxalement, je pense qu’il y a certaines personnes qui en

2012 xix Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

allant voir ce festival Rebelle Rebel vont en même temps trouver une légitimité en se disant qu’ils ne sont pas très normaux, qu’ils ont un élément subversif parce qu’ils vont voir un festival qui s’appelle Rebelle Rebel. Peut-être un côté sincère, aux racines de ce cinéma là. Type quand tu vois Différents des autres, film de 1920. Ils auraient dû le montrer celui là. Peut-être aussi un besoin, c’est une hypothèse, un moyen chez ceux qui font le festival et ceux qui vont voir ça de retrouver une certaine illusion subversive grâce à ce festival.

Q : Depuis tout à l’heure, tu me parles de “vieux” films. C’est important, dans un Festival tel qu’Ecrans Mixtes, de projeter ce que certains appelleraient des classiques ?

Oui, effectivement on a une histoire. Parce que la société les a soit acceptés, soit rejetés, mais leur a toujours donnés une sorte de situation particulière. Par exemple, il y a une histoire des homosexuels, l'extermination, c’est une histoire millénaire. Il y a une imagerie, une histoire. Oui je pense que... Et puis le film homosexuel, c'est aussi la transgression historiquement. Quand tu vois une actrice hollywoodienne qui se travestit en homme (Victor Victoria), c’est quand même... Après il y a plusieurs représentations de l’homosexualité. Le pédé, c’est le gros cliché du cinéma. La manière beaucoup plus complexe du cinéma classique de faire passer des idées, c’est intéressant. Il y a aussi un temps où la filière homosexuelle s’est complexifiée. Le personnage a changé, est devenu moins cliché, s’est complexifié. On a enfin oser affronter le genre. Je pense qu’Ecrans Mixtes s’insère dans ça. Avec une mission d’archivage. Mais comme tout. Il faut toujours archiver et connaitre le passé pour pouvoir avancer.

Q : Tu peux me parler un peu de la manière dont tu perçois les lieux du Festival ?

Je me rappelle que l’année dernière c’était un bar dont j’ai oublié le nom [Nota : l’Etoile Opéra]. C’était clairement un milieu gay friendly, mais là c’est de notoriété publique. Je pense que des endroits comme le Lavoir, géré par des gars de Middlegender et notamment par des bénévoles qui sont homosexuels ... Oui, il y a une volonté d’Ecrans Mixtes de prendre des lieux qui évoquaient ça. Parce que si on avait fait ça dans un endroit lambda, ça aurait fait une sorte de rupture. Ça aurait peut-être brisé la cohérence. Les lieux choisis comme le Lavoir ou le café de l’année dernière … ça va avec les thèmes du festival.

Pour les cinémas, cinémas d'art et d’essai. Forcément. Je ne pense pas que l’UGC aurait accepté cela. Je ne pense pas que le Pathé aurait accepté ça. Le cinéma Opéra, ça s’est fait facilement. Le CNP aussi. L’Institut Lumière un peu … moins facilement. Pour eux, il a fallu vraiment jouer sur le côté films classiques. Et encore. Ils n’ont pas été cools.

2012 xx Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Q : Tu peux me parler un peu des films que tu as vu cette année ?

Je me rappelle de la séance de Polyester. L’année dernière, ils avaient passé Trauma. Un gros nanar, avec Vegas In Space. C’était des hommes qui devaient s’introduire à Vegas in Space, qui est une cité de l’espace. C’est l’histoire de ces mecs qui pour rentrer dans cette ville - autorisée uniquement aux femmes - devaient se trans-sexualiser par un tour de passe-passe, de science fiction. C’est marrant parce que les femmes sont jouées par des hommes. C’est fun, rigolard, bêta.

John Waters, c'est aussi une image décomplexée du queer. Par contre, des gens comme Araki, c'est une image plus … militante, presque tragique … de la figure homosexuelle. Après des séances comme les classiques, tels que La Rumeur, c’était un peu différent. C’était plus montrer la pression sociale qui pouvait, à l’époque mais qui doit encore exister aujourd'hui, aliéner des individus. Comment la rumeur se propage et comment le poids de la rumeur et le poids d’une société peuvent écraser un type qui finit par se suicider et qui, par effet de ricochet, touche d’autres personnes.

Un film comme les Nuits Fauves, c’est un film qui n’est pas mal cinématographiquement, même si pour moi il a énormément vieilli cinématographiquement. Par contre c’est un film qui est intéressant parce que politiquement c’est vraiment le poids de “qu’est ce que c’était être homosexuel dans les années 80”. C’était la boucherie quoi. Et je pense que c’est important de montrer ça aujourd'hui au spectateur. Parce qu’être homosexuel ou avoir le sida dans les années 80. Je pense que c’est ça. Aujourd'hui on ne vit pas avec une telle épée de damoclès. En France aujourd’hui, on a les tri-thérapies.

Q : Et la rétrospective, vu que tu as vu plusieurs films de John Waters cette année, ça apporte quelque chose au Festival ?

En même temps ça me semble courant. Parce que comme dit I., c'est aussi une histoire de ce cinéma là. Et donc il était important d’insister sur comment on percevait l’homosexualité dans d’autres périodes de l’histoire du cinéma et la rétrospective parce que c’est des réalisateurs qui ont marqué l’histoire du cinéma quelque part et l’imaginaire collectif. Araki, c’est l'homosexuel, le sida. Les Nuits Fauves aussi ont marqué la conscience. Moins aujourd’hui. A mon avis un jeune d'aujourd'hui est beaucoup plus marqué par Araki que par Cyril Collard. Comment dire…. John Waters, c’est une manière .. Oui, rétrospective, c’est vraiment prendre un réalisateur et montrer un angle de vue, son point de vue sur la figure du queer et de l’alternatif et c’est fondamental parce que ces réalisateurs ont marqué le cinéma, mais aussi l’inconscient collectif et sont allés au delà des genres du cinéma. Même pour des gens qui ne

2012 xxi Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

s’intéressent pas au cinéma.

Q : Et pourquoi Waters ?

John Waters ne parle pas d’homosexualité, mais de tout ce qui est vil, vulgaire, dégueulasse et les sublime. Pour moi, c’est montrer comment une différence peut être fondamentale et comment il faut arrêter d’être complètement... John Waters, c’est un criminel : il renverse toute notre civilisation et nous oblige à tout remettre en question par rapport à ce qu’on considère comme correct et non correct. Et aujourd'hui, même s’il est accepté, il a beaucoup inspiré des gens. Je pense à South Park. Et il avait une manière … moi, John Waters, c’est comment sous prétexte de faire des trucs totalement cons on analyse une société, sans avoir l’air d’y toucher. Un film comme Polyester, ça parle de la famille, de la normalité, de la civilisation américaine et donc de la nôtre, en France, occidentale, et ça nous dit que la beauté n’est pas forcément là où on pense. Ça se voit aussi dans son premier film, Mondo Trasho (…). Lui même c’est ce qu’il disait. Que dans la ville où il habitait, c’était absurde. Ce qu’il voulait montrer, c’est le beau dans le côté pas chic. Ça change de ces films qui veulent montrer des gens formidables, dans des endroits formidables, avec des voitures formidables… pour moi c’est un gros fist fucking, Waters, honnêtement.

Q : Et les documentaires ?

Je ne les ai pas vus cette année. Je regrette. Soukaz je ne l’ai pas vu non plus, mais j’en ai entendu parlé. Lui, il a filmé la première marche de fierté. Lui, c’était quand même clairement dans le thème Rebelle Rebel. Il montrait ce côté “fuck off” du cinéma queer quoi. Donc faire une soirée pour un des réalisateurs qui aurait marqué l’histoire homosexuelle, c’est important …

Q : On avait parlé avant l’entretien de Bye Bye Blondie… Tu peux m’en dire plus ?

Pas vu non plus, entendu parlé. Je peux parler un peu de la figure de Despentes, entre agacement et sympathie. Elle, je pense que … Là aussi, je préfère ne pas trop t’en parler parce que je risque de dire des banalités ou des trucs pas forcément intéressants. Je préfère éviter ça.

Pour le coup, là, une avant-première comme Bye Bye Blondie c’est peut-être le moment le plus flagrant où on avait quelque chose du style “il faut cibler un public particulier”. Je pense qu’I. aime beaucoup Despentes, mais que quelque part c’est calculé. Je ne pense pas que Bye Bye Blondie ou que des gens comme Despentes ont marqué … Des gens comme Despentes ou Bye Bye Blondie, les avants-premières, c’est peut-être une tentative … Ce serait intéressant de voir si Ecrans Mixtes pourrait (sic)

2012 xxii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

chopper un ou une cinéaste en avant-première qui aurait marqué le genre, tu vois. Je pense pas que c’est le cas pour l’instant…

Q : Non, parce que certains festivals se centrent uniquement sur les avant- premières…

Non, mais c’est normal parce que le cinéma ce n’est pas qu’hier. C'est maintenant, c’est le mouvement, c’est demain. Donc oui c’est important d’avoir des avants premières parce que si on ne se focalise que sur hier, c’est chiant quoi. Mais c’est un choix de programmation. Je pense qu’il y a un mélange de calcul et d’envie de révéler au public ce qui pourrait être le cinéma queer de demain. Ou d'aujourd'hui. Je pense et j’espère qu’il y aura de nouveaux réalisateurs qui seront fondamentaux.

Q : Dans la même veine, il y avait En 80 jours.

Que j’ai haï profondément. C’était une avant-première, ça ?

Q : Oui.

Le problème avec ce film là c’est que pour moi c’est une sorte de roman romantique lambda, un film auteuriste que je n’ai pas trouvé touchant. Le problème, c’est que je n’ai rien ressenti devant ce film, et c’est le pire. C’est le pire. Il y a pire que mauvais, c’est moyen et ce film je l’ai trouvé moyen. Chiant. C’est-à-dire que moi un film quand je trouve ça nul au moins j’ai une passion : putain c’est de la merde. Tu vois, j’aime bien crier contre un film “c’est de la merde” ; au moins il y a quelque chose qui m’a, quelque chose que j’ai haï dans ce film, qui me fait vibrer, pas dans le bon sens du terme, mais qui au moins me … tu vois ... Là ce film là j’étais … Ouep ... Pour moi des films comme ça, il y en a des millions. Chaque année, dans les festivals européens, américains, il y en a .. C’est lambda, sans intérêt. Mais c’est mon avis. Après beaucoup de gens l’ont aimé et je ne peux pas parler pour ces gens.

Ça parlait d'une sorte de personne dont une … j'essaye de trouver une phrase qui résume. Pour moi ce film tourne autour du pot. C’est “je t'aime mais je ne peux pas le dire. Mais en fait oui, mais non. Et puis on se quitte, on se sépare.”. Je n’ai même pas senti de romantisme. C’est un film qui se voulait trop malin quelque part, qui est trop conscient de ce qu’il raconte, qui n’est pas assez sincère. Je pense que le metteur en scène n’est pas assez sincère. Tu as ce personnage, la femme, qui est assez cynique tout ça. Et moi je trouve que c’est un peu le film. Le personnage m’a fait pensé au film : un petit sourire en coin, un petit côté oui ... Mais non. Tu vois. Mais là je pense que je ne me fais pas comprendre. Pour moi tout dans ce film tourne autour du pot. C’est un film qui tourne autour du pot et c’est désespérant. C’est … désespérant. Je suis désolé mais

2012 xxiii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

la scène de fin, la réplique finale… je m’attendais à “on va boire un café”. Je m’y attendais à celle là. Là toi, en tant que spectateur, le réalisateur, il s’est dit “le public … la porte ouverte quoi”. Et là c’est malhonnête. C’est malhonnête. J'aime pas ça parce que je pense que le metteur en scène s’est cru plus malin que son sujet, ce qui est une grave faute dans le cinéma. Un metteur en scène ne devrait jamais se croire plus malin que son public et son sujet.

Q : La séance de minuit, ça s’insère dans le programme du Festival ? Parce que pour certains ….

HPG ?

Q : Oui, ou L.A. Zombie.

Oui, parce que l’art pornographique est un genre à part entière. C’est un genre cinématographique, mais qui est plus difficile à mettre. Tu ne vas pas mettre ça à six heures du soir, quoi. Je pense que c’est intéressant. Après, c’est aussi. Je n’ai pas vu L.A. Zombie mais j’ai vu HPG mais c’est pas un film sur l’homosexualité. HPG, c’est un film sur la pornographie. C’est plus un film sur la pornographie. Sur la différence, quelque part, sur un autre monde, sur quelque chose d’autre. Pour moi, ça m’a semblé important parce que c’est une manière d’entrer dans le point de vue de ce que c’était d’être réalisateur de films pornos. Mais là, je juge le film, je ne juge pas l’idée d’avoir une séance de minuit. Ce qui est intéressant, c'est que comme ça, c’est quelque chose de limite banal. C’est “on bosse”. Et même quand le mec se fait masturber, c’est limite banal. C’est parfois même limite anxiogène. C’est un point de vue démystificateur du milieu, je pense. Dans le film, le meilleur passage qui parle de cette démystification, c’est le passage où le jeune homme noir se fait manipuler par HPG, où HPG lui dit texto “mais tu verras … être dans le porno c’est baiser des gonzesses mais tout le monde veut faire ça. Et c’est pas ça, tu vois, c’est dur”. Et je pense que tu as des moments comme ça où.

Après cinéma de minuit, c’est peut-être un petit côté un peu rebelle parce que c’est un film à minuit quoi. En plus ça a bien marché quoi. Même si je n’ai que haine contre le gonzo, c’est la mort de la pornographie, la mort de tout. Après je suis un peu réactionnaire à 20 ans, quoi.

Q : Mais du coup, on n’a pas forcément dans EM une bonne image de la sexualité ?

Moi ce que j’ai entendu des autres festivals LBGT, c’est qu’ils avaient une image assez dramatique de ce qu’est le queer tout ça. Tu vois, c’est des gens, des militants qui veulent le mariage homosexuel et tout ça. Je m’en fous mais ces gens là veulent une

2012 xxiv Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

assimilation en fait.

Q : Oui, et puis c’est pas forcément ce à quoi tu te rattaches toi en tant que spectateur quoi…

Oui, c’est dommage, ils sont tristement anti-conformistes … Donner une bonne image. Pour moi, c’est quand des homosexuels veulent donner une image propre des homosexuels… c’est comme quelqu’un qui veut dire “on va donner une image propre parce que l’homme est montré sous ses mauvais jours”. C’est des hommes comme les autres les homosexuels, il faut aussi les montrer sous un jour dégueulasse. Je pense que l’image crade des homosexuels, c’est dire qu’ils sont comme tout le monde. Mais je comprends que ce soit dur : on n’aime pas se regarder dans un miroir. Peut-être que ces gens là se reconnaissent quelque part dans les névroses des personnages représentés dans ces films. On est tous névrosés quelque part. Mais je pense que c’est dur d’avoir ses propres névroses représentées et d’abord on a un sentiment, un réflexe, de dire qu’on n'est pas comme ça, qu’on veut se marier, que nous on veut la respectabilité, ceci cela. Mais si tu veux je suis contre, non pas parce que c’est homosexuel, mais parce qu’en temps normal, même quand ça concerne pas la sexualité, ça m’énerve. C’est du politiquement correct.

C’est plus politique et ils ont peur de leurs propres névroses. C’est comme quand ces gens là vont voir un film, il se reconnaissent trop, et ça leur fait mal, ça leur fait mal au coeur. On n’aime pas se voir dans sa merde. Et Ecrans Mixtes n’a pas pour but de brosser une image propre des homosexuels. C’est une réussite en ce sens là. Je ne pense pas qu’il y ait d’autres festivals en France comme ça.

Q : Mais justement, ce n’est pas contradictoire de revendiquer cette mixité et de passer ces films trashy, ou des séances pornos ?

Because it’s art, et on ne discute pas avec l’art. Tu fermes ta gueule. Et à mon avis Lyon a reçu les bons arguments pour fermer sa gueule. Lyon, à mon avis, c’est toujours une ville qui a donné des coups de pouce à des projets ambitieux comme Ecrans Mixtes. Et Ecrans Mixtes n’a clairement pas mis en avant le côté trashos et dégueulasse de certains films, mais le côté films cultures, films intéressants, films classiques et devoir de mémoire. Devoir de mémoire, c’est un fil conducteur en France. On se branle sur le devoir de mémoire en France, c’est comme la seconde guerre mondiale. On se branle pour se déculpabiliser des pêchés qu’on a commis hier. Et parce que c’est de l’art et on ne discute pas avec de l’art. Heureusement ou malheureusement. Heureusement pour Ecrans Mixtes. Ils se sont présentés comme un festival d'art. I. se présente comme défenseur du cinéma… Pour le public c’est une découverte. Est-ce qu’il y a beaucoup

2012 xxv Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

de gens qui sont sortis de la salle ? Moi j’en ai pas beaucoup vus…

Q : Quand même pendant Soukaz, il y a des gens qui étaient un peu …

Oui, mais ils ne sont pas sortis, parce que mine de rien ils avaient envie de voir. Et en même temps, ils ont bonne conscience parce qu’on leur présente ça sous la forme artistique, d’un truc important. Ils n’iraient pas voir ça si c’était dans un cinéma de quartier ou pas dans un festival. Le festival a servi à légitimer les films qui sont passés. Je pense que le festival festivalier est une belle coque.

Entretien n°4 : Femme lesbienne, anime une émission de radio féministe Q : Comment avez-vous connu Ecrans Mixtes ?

Je crois que j’ai vu une annonce, par mail. Je ne sais pas si c’était dans le cadre d’une liste de diffusion comme RAFF (?). C’est une liste féministe de la région Rhône- Alpe. Ou un mail perso par les amies. Je crois que j’en ai entendu parlé l’année dernière, mais je n’avais pas pu y aller. Cette année, c’était ma première fois.

Q : Comment avez-vous réalisé votre sélection de films ?

Déjà je me souviens avoir été assez disponible. C’est rare. Les horaires ne me posaient donc pas de problème. J’ai essayé de voir, je pense, surtout les films avec Divine. Après ce qui m’intéressait aussi, c’était les vieux films. Si j’avais à choisir entre les films qui traitaient plus des thématiques gays ou des thématiques lesbiennes, je préférais les thématiques lesbiennes. J’ai essayé d’en voir le maximum. J’en ai vus beaucoup. Je suis allée à l’avant-première de Bye Bye Blondie. Victor/Victoria - c’était génial. Les Nuits Fauves, absolument. J’ai découvert. Je n’avais jamais entendu parlé de ce film parce que je n’étais pas en France quand il est sorti. C’était une belle découverte. Je le regarderais bien encore une fois. John Waters, j’ai essayé de les voir, mais il y a un film qui m’apparaissait trop trash, donc je ne voulais pas le voir. Pink Flamingo je crois. Oui, c’est ça, et de toute façon ça ne collait pas avec mon emploi du temps. Le reste …. Female Trouble, je n’ai pas pu le voir mais j’aimais bien. Desperate Living, Polyester. Hairspray et Crybaby, je les avais déjà vus avant mais je suis allée les revoir, pour les voir sur grand écran. Ce n’est pas la même chose. Et Crybaby, je l’ai vu à sa sortie, je crois, ou quelques années de plus. Genre en 1990. Et ça m’a tellement marquée - à l’époque j’étais ado - que je voulais le revoir. Et je n’ai pas été déçue. Parce que souvent, la deuxième fois … avec 20 ans de différence, ce n’est pas la même chose. La Chasse [the Cruising], je l’ai vu, parce que c’était intéressant, et avec Al Pacino. Et puis c’était un classique, et il est super bien. Scène de chasse en Bavière je ne l’ai pas vu non plus. 80 jours je n’ai pas vu. Bye Bye Blondie, donc. Soukaz non plus. J’ai décidé de ne

2012 xxvi Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

pas aller à la soirée qui traitait du porno, même si ça m’intéresserait peut-être à l’occasion de voir ce film, mais ce n’était pas ce qui m’intéressait le plus - c’est sur. Et j’ai vu un ou deux courts métrages, j’étais un peu déçue. Ils allaient très bien avec les thématiques, mais au niveau qualité… Donc j’en ai vus quand même beaucoup. J’ai fait vraiment le maximum.

Q : Effectivement, vous en avez vus beaucoup ! (rires) Et donc, à votre avis, quelle était la ligne éditoriale – s'il y en avait une ? Je veux dire, pourquoi ces films et pas d'autres ?

Il me semble que déjà le choix des films, c’était choisir des films qui traitaient des thèmes gay et lesbiens. Après je vois qu’il y a des films qui n’étaient pas faits spécialement par des personnes LGBT. Mais ils étaient bien faits, donc je suis contente qu’ils n’étaient pas écartés. Il y a une petite tendance queer. Ce qui est très sympa, parce que ça fait sortir du cloisonnement classique, vraiment. C’est ça peut-être qui fait que le festival était plus LGBT que “gay et lesbien”. Donc ça rajeunit, un peu, l’évènement.

Je le trouve assez cohérent. Et le choix de film, et l’accueil. Parce que c’était vraiment agréable d’avoir vraiment un accueil. On retrouvait les mêmes personnes devant chaque séance et l’équipe était très accueillante. Une fois, je suis venue sans réserver aux séances qui étaient déjà complètes. Les courts-métrages avant le film étaient en train de passer et on m’a laissée quand même rentrer, j’ai beaucoup apprécié cela. J’ai beaucoup aimé la tentative de faire une animation théâtrale pendant l’un des films de John Waters. Je ne me souviens plus lequel. Ah, si, Polyester. Bon, après, je trouve que ce n’était pas très réussi. La volonté des personnes bénévoles était bien là, mais il manquait un peu peut-être d’habitudes d’improvisation pour que ce soit drôle dans la durée. Parce qu’il y a eu beaucoup d’imprévus, et ils n’ont pas forcément réussi à combler les vides, parce qu’ils n’étaient pas assez préparés. Ils étaient peut-être fatigués, aussi.

Mais c’est intéressant de varier un peu les formes : il n’y a pas que le cinéma, mais aussi une présence humaine qui fait le festival.

Q : Justement, avez-vous eu des contacts avec le public ?

Un peu, j’ai discuté comme cela avec un garçon qui était juste à côté. C’était sympathique, parce que ce n’est pas forcément dans n’importe quelle séance que l’on peut, comme cela, aborder quelqu’un. Bon, certes, on suppose quand même que dans le festival on a une petite base commune. Au moins un intérêt et une ouverture vers les thématiques LBGT. Donc c’est déjà plus facile.

2012 xxvii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Q : Qu'est-ce que le nom du Festival, Ecrans Mixtes, vous évoque ? Vous le trouvez cohérent par rapport au Festival ?

Je trouve que c’est bien trouvé : ce n’est pas quelque chose de précis qui pourrait limiter l’imaginaire des personnes qui essayent de se projeter et de voir à quoi les thématiques peuvent ressembler. Ça évoque aussi la mixité, donc l’égalité. Mais aussi une variété. Mixtes : il y a un peu de tout. Non, je trouve que c’est très bien trouvé. Mixité, c’est dans tous les sens : genrée, sociale, raciale aussi d’ailleurs. Mixtes. Ce nom laisse la place pour un contenu assez varié, par la suite, qu’on retrouve dans le festival.

Q : et le nom de l'édition, Rebelle Rebel ?

J’ai beaucoup aimé. Ça m’a fait un petit écho. Pour l’anecdote, en décembre on a fait une rencontre des émissions féministes francophones de radio et on a choisi le thème, par hasard, « rebelles au quotidien ». Ça fait plaisir de voir que ce thème ressurgit et que d’autres personnes le prennent.

Q : Cet aspect rebelle, il est présent dans le festival ?

Oui, je pense que les thématiques LBGT, et surtout traitées avec un petit angle queer, c’est pas encore dans le mainstream, donc c’est encore rebelle. Ce côté queer me fait plaisir. Après, vu tout ce qu’on met dans le mouvement queer, je prends un peu des pincettes, mais j’aime bien ce côté bon enfant.

Q : et donc la différence entre Gay & Lesbien et queer ?

C’est une question de génération je pense, d’âge.

Q : Et la communication ?

Le catalogue est super joli - c’est vrai. Très bien expliqué, facile à trouver. Vraiment super, je ne sais pas qui l’a fait, mais bravo : super professionnel. Ça donne envie de le garder, comme un petit livret. Après, je ne sais pas si j’aurais remarqué que ça se passait si je n’avais pas reçu par mail. Je n’ai pas vu beaucoup d’affiches, par exemple.

Je me pose la question de voir si c’était explicite le côté gay et lesbien. Dans le mail que j’ai reçu, c’était explicite, donc je ne me suis pas posée la question. Dans le catalogue, ça l’est moins. Mais les films parlent d’eux-mêmes. Donc ça ne me dérange pas que ce ne soit pas explicite. Et puis ça pourrait limiter le public. D’ailleurs je pense que de toute façon le public était averti - il savait ce qu’il allait voir, mais il peut y avoir quelques personnes venues par hasard, qui n’avaient pas d’intérêt pour ces thématiques et qui ont eu la surprise et c’est vraiment tant mieux. Vous en avez eues ? Ça ne m’a

2012 xxviii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

vraiment pas manqué, et si ça peut amener d’autres publics...

Q : Justement, à votre avis, qui étaient les publics ?

Moi je pense qu’il y avait quand même surtout LBGTQ. Peut-être aussi des personnes un peu queer ou branchées, qui, je le soupçonne, étaient pour beaucoup hétéros. Du coup une petite mixité. Vous avez eu beaucoup de queer ? Parce que c’est un peu la mode. Et effectivement on ne sait pas ce que ça recoupe. C’est assez évocateur, parce que je pense que les personnes qui s’intéressent au mouvement queer aiment bien jouer avec le genre, et le côté un peu déguisement etc. Mais au delà, vraiment faire le pas et évoluer dans ses pratiques sexuelles, c’est quand même du travail pour beaucoup de gens. C’est pas tout le monde qui se définit comme LBGTQ d’emblée. Il y a quand même des personnes qui arrivent à un certain point. D’ailleurs j’étais contente d’entendre Virginie Despentes, quand elle a dit : « la différence entre mon premier film - Baise Moi - et celui-là qu'est-ce qui a changé ; bah depuis je suis devenue lesbienne ». Donc ça m’a fait vraiment plaisir de montrer que, en fait, on peut changer ses pratiques sexuelles à n’importe quel moment.

Q : et donc au niveau des films projetés, c'était bien choisi ?

Oui, après c’est la question du but du festival. Si le but c’est de faire le B.A BA, grand public, il vaut mieux très bien choisir les films, avec de beaux acteurs et actrices, bien propres. Après heureusement, je pense que ce n’était pas le but : le but c’était plus d’aller encore plus loin dans ces thématiques. C’est ça qui est intéressant : approfondir la réflexion. Je suis très contente que c’était pas bonne image, politically correct. Ça fait justement réfléchir sur plein d’aspects différents et ça décloisonne, c’est ça qui est bien.

Q : Du coup, par rapport à festival queer de ?

L’année précédente, c’était pas le même nom ? (explications). Non, je ne suis pas pour numéroter comme ça. Si c’est toujours le même nom, on s’y retrouve. Et puis c’est moins joli.

Q : C'est important d'avoir un tel festival sur Lyon ?

Oui, oui. Je serai contente l’année prochaine de le retrouver. Ou dans deux ans, je ne sais pas si c’est annuel. Mais j’aimerais bien que ça soit périodique.

Q : Pourquoi ?

Justement, ça fait exister ces thématiques, ça leur donne corps et permet d’inviter des personnes qui n’ont jamais ou très peu réfléchi à ses sujets : voir ensemble des films et vivre ensemble pour pouvoir discuter. Ça change réellement le quotidien LGBT dans

2012 xxix Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

cette ville où j’habite. Ça a un côté politique, politique concrète, terre à terre, ça change réellement le quotidien.

Q : Y a-t-il un but du Festival, une mission ?

Je pense que comme tout à l’heure il y a une volonté d’approfondir les thématiques LBGTQ et ne pas les voir qu’en noir et blanc ou en blanc ou rose. C’est vraiment toutes les questions profondes qu’on peut avoir dans la vie, montrées dans cet aspect là. J’imagine aussi que c’est une volonté politique d’amener ces sujets dans l’espace public. Après je pense qu’il y a aussi un petit côté “donner une chance aux nouveaux réalisateur réalisatrices”. Les nouveaux courts métrages, on voyait qu’ils n’étaient pas très expérimentés, mais on leur donne aussi de la place. Je ne sais pas si ça va continuer l’année prochaine et si c’était déjà comme ça l’année précédente mais c’était bien de donner cette tribune aux réalisateurs qui sont déjà connus. Et là il y a moyen de discuter avec eux, de donner la parole. Donc c’est quand même précieux. Je ne sais pas s’il y a d’autres buts, mais ceux là sont visibles au premier degré.

Q : Donc ça a un côté rebelle, ce côté politique ? Je pense notamment au débat assimilationniste / différentialiste dans les mouvements LBGTQ.

Oui, clairement, le nom Ecrans Mixtes, ça évoque clairement sortir du ghetto aussi. Après je ne me suis pas posée la question, tiens. Je ne sais pas si j’ai déjà fait un autre festival avec les mêmes thématiques. Je fais surtout les festivals de films féministes, avec un petit volet du style “films faits par des lesbiennes”. Mais vu comme ça, je trouve cet angle de présentation plus important et intéressant qu’un festival pour le mariage gay ou … la marche. Pour moi, c’est vraiment précieux, le côté rebelle, et de poser les questions sur les gens et sur la sexualité, qui peuvent être entendues par tout le monde.

Q : Les lieux du Festival, ils vous évoquent quoi ?

C’est les cinémas où je vais d’habitude, donc c’est vraiment bien. Je ne sais pas si on pourrait imaginer ce festival dans un cinéma commercial et grand public. Ça pourrait être intéressant aussi, mais j’ai du mal à imaginer qu’ils l’accepteraient. Quoi que, c’est quand même des classiques que vous passez. Et puis ces salles ont besoin de soutien aussi. Et je ne pense pas que ça attirerait beaucoup plus d’autres personnes complètement en dehors de ces thématiques dans une salle ... commerciale n’est pas le mot, mais vous voyez. Ça ne changerait pas grand chose.

Q : vous avez retrouvé la « scène » gay et lesbienne ?

Je ne sais pas je ne connais pas trop la scène. Je connais plus la scène féministe.

2012 xxx Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Mais si la tranche féministe s’est déplacée. Comme ça, de bouche à oreille, il y a quelques copines qui sont militantes dans les groupes féministes et dans le milieu lesbien, apolitique. Enfin, apolitique militant, qui ont des attaches dans des associations. Et donc des militantes qui sont venues avec des copines, et ça a marché, elles sont venues.

Q : Donc il y aurait une différence entre les gays et les lesbiennes ?

Oui, il y a le féminisme. Quand t’es garçon, il n’y a pas ça. Après Despentes est surtout connue pour son film qui a fait un grand scandale. Je pense que beaucoup de gens ne l’ont pas vu. Il n’y avait pas trop de thématiques gays, à part de manière caricaturale les clubs échangistes. Et je pense que très peu de gens ont été lire ce qu’elle avait écrit à part les féministes, qui sont majoritairement des femmes, des lesbiennes, etc.

Q : Vous avez vu des John Waters... Que pensez vous du choix de ce réalisateur pour la rétrospective ?

C’est très bien. Moi je ne connaissais que Polyester et Crybaby. Je ne savais même pas qu’il avait fait autant de films. Mon côté cinéphile, je me suis régalé. Et justement, ce qui est bien, c’est que ce n’est pas gay ou lesbien, c’est plus queer ou trans et il y a très peu de thématiques trans dans le cinéma et justement ça fait réfléchir à ça, sans pour autant faire grandes eaux sur ça : c’est traité via des sujets hétéros. Divine incarne toujours des femmes, au foyer, c’est des personnages hétéros. Donc c’est cohérent et tout à fait intéressant.

Q : Et le choix des classiques ?

Oui, là pour moi, j’ai un côté cinéphile qui apprécie énormément des films … voilà, des années 70 ou même plus tôt. Et ce qui est bien, parce que justement il y a beaucoup de publics jeunes .. Mais aussi de publics âgés, ma foi. Justement, ça a bien marché dans ce sens, la mixité. Mais ça permet de voir des films qu’on trouverait pas en numérique. Donc c’est très important.

Q : Ça s’insère dans la mission du festival ?

A fond, c’est vraiment transmission de l’histoire, qui n’est jamais effacée. Parce que dans notre société actuelle, la transmission de l’histoire va toujours dans un certain sens, celui de ceux qui ont accès aux outils et au pouvoir d’information. En sachant que l’histoire LBGTQ c’est quand même une histoire minoritaire, marginale. C’est très important, il y a beaucoup de choses à transmettre, et c’est très intéressant. Ça donne une perspective. C’est ce côté politique que j’aime bien.

2012 xxxi Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Q : et la séance de minuit ?

C’est très bien. Juste que personnellement ça fait quelques années que je ne fais pas de séances tardives ou de soirées tardives mais ça permet de continuer de discuter et d’échanger. Et le côté film sur la sexualité n’est pas gênant : on ne force personne à aller voir un film. C’est plus gênant pour les personnes qui ne sont pas disponibles à minuit et qui voulaient aller les voir, pourquoi ne pas en faire des séances de 18h ?

Q : Vous avez vu les Nuits Fauves....

Oui, oui, ouiiiii !!!! C’est vraiment une grande découverte. Ça m’a vraiment donnée envie de lire ce qu’elle a écrit. J’étais vraiment bouleversée, c’était génial. C’est incroyable qu’il ne soit pas connu plus que ça. J’ai demandé autour de moi à gauche et à droite. Les personnes qui étaient ados à ce moment là en ont vaguement entendu parler, et la majorité n’a pas pu y aller. Je ne connais personne qui avait pu y aller. J’ai un copain qui avait essayé de le voir en cassette à la maison avec son copain, et sa mère est arrivée : “enculé”. Il l’a débranché. Du coup il n’a jamais pu le voir.

Il aurait le mérite d’être connu beaucoup plus largement. Surtout le point de vue, parce que je pense que c’est un grand réalisateur. C’est dommage qu’il soit parti comme ça assez tôt. Les dialogues sont très précieux, très justes, c’est … vraiment un très bon équilibre entre un grand film d’art et c’est loin d’être quelque chose d’artificiel ou un peu trop … c’est vraiment génial.

Et les thématiques. De nos jours on parle beaucoup moins du sida, donc c’est très très bien d’en reparler maintenant. Je me demande justement. Parce que je pense que je suis plus de la génération... Et ça m’évoque vraiment mon adolescence. C’est peut-être pour ça que je suis bouleversée comme ça. Et je me demande vraiment ce que ça peut évoquer pour les nouvelles générations. Est-ce que ça parle, est-ce qu’ils trouvent ça assez vieillot ? Après le sida c’est un fil rouge, mais il y a beaucoup d’autres choses dedans.

Entretien n°7 – Femme hétérosexuelle, 40aine Q : Comment avez-vous connu Ecrans Mixtes ?

J’en ai entendu parler l’an dernier. Donc forcément ... L’an dernier, j’ai connu par ... Je ne sais pas, vu que je vais beaucoup au cinéma, j’imagine que j’ai vu des affiches, des flyers, ou des trucs comme ça. Quand j’ai vu ça cette année ... Et puis par des amis, qui ont vu pas mal de films. Donc j’en ai entendu parler cette année et une amie m’a parlé d’un film que je voulais absolument voir, et que j’avais raté à l’époque - c’était La Naissance des pieuvres. Donc voilà. En voyant des flyers, par des amis. Dès que je vois

2012 xxxii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

un festival de cinéma ça m’intéresse.

Q : Comment avez-vous choisi les films que vous alliez voir ?

Je l’ai fait en fonction de mon emploi du temps. Malheureusement, c’est pas du tout … c’est en fonction, parce que j’en ai vus que deux. Ce qui n’est pas beaucoup. En tout cas, la naissance des pieuvres je voulais le voir absolument parce que je savais que j’avais vu Tomboy, que j’avais entendu parler de ce film. Parce qu’il y avait Céline Sciamma donc voilà. Je pouvais la voir. Et puis j’ai vu Polyester, parce que ça c’est ... Drôle. John Waters, forcément j’en avais entendu parler. Je crois avoir vu des films de lui il y a longtemps, enfin je crois, je n’en suis pas sure. Et puis j’en avais entendu parler. Et puis l’odorama, même si ce n’était pas comme à l’époque, c’est amusant.

Q : C’est sûr, c’est une séance qui a beaucoup marché. Le public semblait relativement content, ça faisait plaisir à voir.

Oui, oui, c’était drôle. Et j’aurais bien vu d’autres films de John Waters. Mais bon voilà, l’emploi du temps. Je n’ai pas pu, tout simplement.

Q : Vous avez regardé la programmation de manière générale ?

Oui, je l’ai même révisée pour l’entretien. Oui, mais je l’avais regardée. Je voulais retourner voir - parce que j’habite à côté de l’Institut Lumière - je voulais retourner voir Cyril Collard. Je n’ai pas pu. Ça m’avait beaucoup marquée à l’époque, comme plein de gens. J’aurais beaucoup aimé voir d’autres John Waters. Je n’ai pas pu. Donc voilà, il y en avait d’autres que je voulais voir mais je ne me souviens plus, je n’ai pas révisé hier soir. Ça et finalement je ne l’ai pas vu et il parait que ça n’est pas bien [Bye Bye Blondie]. Je ne suis pas très fan d’Emmanuelle Béart

Q : Que pensez vous de la programmation, de manière générale ?

C’est bien, c’est bien qu’il y ait une rétrospective, je pense, donc voilà. Ça permet vraiment de marquer quelqu’un donc c’est super. La cohérence, oui. Je ne l’ai .. Non, bah ça me plaisait. De toute façon, il y en avait déjà trop pour ce que je voulais aller voir. En plus ce qui est sympa c’est que ça passe dans pleins de cinémas différents.

Q : Vous la décrirez comment, cette programmation ?

Bah gay et lesbien. Bah si, je vois ça un petit peu quand même. Et puis j’ai lu un tout petit peu, bah tout simplement ça (l’édito) et ... je n’ai pas mes lunettes. Et moi ce qui m’intéressait c’est que ce soit un festival sur l’homosexualité. Enfin contre les discriminations, c’est plutôt ça. Donc ça forcément ça m’intéresse aussi. Donc oui, je la vois la cohérence. C’est pas forcément ça au départ ? Non mais si c’est pour lutter

2012 xxxiii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

contre les discriminations. Par contre ce que je trouve super, c’est que le fait que ça s’appelle Festival Ecrans Mixtes, moi je me souviens l’année dernière je n’ai pas du tout saisi … Enfin je ne sais pas ce que ça veut dire mixtes, peut-être hétéro, homo tout ça, mais je ne sais pas ce que ça veut dire. Je n’ai pas du tout vu le truc. Vraiment. C’est plutôt des amis homos qui m’en avait parlée mais j’ai pas … je trouve que c’est bien de l’appeler comme ça. J’imagine que ça rebuterait des gens si c’était tagué le Festival de Films Gay et Lesbien de …

Q : Peut-être même pas mal d’homos..

Oui, oui, dans les deux sens. Et mixtes j’aime bien. Ça attire. C’est ça, le Festival Ecrans Mixtes. Ça m’a interpelée mais j’ai pas pensé ça comme ça de tout façon.

Q : vous avez fait d'autres festivals ?

J’en fais pas mal en plus. Le festival Ibérique, le festival Anglais, au Zola. Enfin j’ai fait que deux films donc c’est dur. Céline Sciamma c’était à la Part Dieu. J’ai trouvé le public assez varié. Et puis au CNP terreaux, forcément, là il y avait le ... Groupe de théâtre je ne me souviens plus ... Oui, le Club Théâtre. Moi je trouve que c’était assez varié justement. Et puis je regarde pas trop, je m’en fous un peu. Non, je ne suis pas trop là dedans franchement. Je ne vois pas trop qui … Je ne suis pas là dedans. Je ne juge pas, je m’en fous complètement donc voilà. Je trouvais que c’était .. C’est vrai que j’ai vu deux films dont celui au CNP Terreaux donc c’était drôle, c’était vachement sympa, mais Céline Sciamma c’était vachement sérieux j’ai trouvé mais très intéressant. J’imagine qu’après... Oui, il m’a marqué. C’est une amie qui me l’avait conseillé. Je l’ai préféré même à Tomboy. Je ne sais pas si vous l’avez vu. Oui, c’était très sérieux... C'est vrai que les deux films que j’ai vus c’était le jour et la nuit, mais c’est ça qui est bien aussi. Ce n’est pas du tout la même chose, c’est bien. C’est vraiment bien. Peut-être que pour l’anglais, j’y vais depuis des années, enfin j’y vais depuis des années donc je retrouve toujours un peu les mêmes gens, ce qui est normal aussi, mais c’est différent.

Q : Vous avez eu des contacts avec le public ?

Si, on a parlé, à Polyester, mais ça crée des liens quoi. Céline donc voilà on a parlé mais comme ça pas plus que ça, mais pas forcément du festival quoi.

Q : Vous avez fréquenté un peu le village du Festival au Lavoir / au Club Théâtre ?

Non alors je n’y suis pas encore allée. Je n’ai pas encore eu le temps d’y aller. Je devais y aller pour une lecture mais qui a été annulée. J’adore cette femme et c’était annulé. Donc je n’y suis pas encore allée, mais j’irai c’est sur. Ça a l’air d’être un super lieu. Ça reste un lieu qui programme des choses assez différentes. J’ai eu le papier avec

2012 xxxiv Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

la programmation. Mois de mars, c'était ultra varié. Donc oui, intéressant. Ça attire plein de gens différents donc c’est un peu gagné.

Q : Et la soirée officielle Divine Divine, faite par Middlegender ?

Non, je n’en ai jamais faite. C’était quand ? A la suite de Polyester ? Bah on y serait bien allé, je peux vous dire, mais on ne pouvait pas. C’était bien ? C’est vraiment bien. Je pense que c’est incroyable que… oui vraiment, j’y serais allée cette année. C’est plutôt des films rapports à l’homosexualité, et il faut qu’ils gardent ça.

Q : Et le nom Ecrans Mixtes, ça vous évoque quoi ? Ça vous semble cohérent avec le Festival ?

C’est bien le nom parce que ça attire. Bah ça attire. Enfin pas particulièrement parce que justement. Je ne sais pas si au départ c’était. Peut-être qu’il y a des gens qui au départ. Enfin mixte c’est la mixité, on aimerait bien la voir partout. C’est un super mot mixité donc ça attire. Oui, oui. Je ne sais pas, d’ailleurs, il y a de tout quoi, c’est il y a tout le monde, c’est bien. Et puis moi je ne serais pas rebutée par ça [“festival de film homosexuel de Lyon”] … personnellement … mais je trouve que j’imagine malheureusement que ça rebuterait plein de gens. Et peut-être dans le milieu gay et lesbien aussi. Enfin pour avoir des amis ... [gays], il y en a qui n’aiment pas du tout les trucs justement marqués comme ça donc ... Moi je pense que c’est beaucoup mieux Ecrans Mixtes que Festival Gay et Lesbien...

Je n’ai vu que deux films et je ne connais pas forcément, je n’ai pas tout lu, je me dis qu’il y a pas mal de films qui ont rapport à l’homosexualité... Mais ... Je sais pas… Naissance des Pieuvres c’est pas … c’est tout... Donc c’est super … ça résume bien… c’est pas marqué du tout quoi. Je ne trouve pas quoi. Bah par rapport à l’âge aussi. Donc voilà après. Je ne sais pas. Polyester, il y a Divine Divine, donc c’est pour tout le monde, c’est évident, il y a une super critique de l’Amérique. D’ailleurs ça nous a marqués, parce qu’on s’est dit “ça a été fait dans les années machin” et je ne sais pas si on pourrait le refaire aujourd’hui, c’est super. C’est pas évident. Donc moi c’est pas. C’est pas du tout marqué ... Gay et Lesbien … et je sais pas quoi. Je trouve que c’est super quoi, c’est vraiment pour tout le monde.

Q : Et le nom de l'édition, Rebelle rebel ?

Moi j’adore (rire). Rebelle, bah, David Bowie, pour commercer. Rébellion. Moi ça me plait. Après ça ça peut .. Houla. Ça peut faire peur à des gens mais tant pis. Je trouve que c’est bien. Et puis féminin masculin. Non, il y a tout, c’est super, chapeau. Je ne sais pas qui a trouvé le titre, mais c’est vachement bien. C’est … pour moi, c’est aussi la

2012 xxxv Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

mixité, féminin masculin, c’est mélangé, c’est quand même contre les discriminations, enfin contre plein de choses, c’est super cool.

Q : Peut-on imaginer un festival de films comme Ecrans Mixtes qui ne soit pas rebelle ?

Je ne crois pas ... Dans ma tête pas vraiment puisqu’ils ont besoin de se rebeller encore beaucoup j’imagine quand on est... Vu ce qu’on entend et tout… je suppose qu’il faut encore faire beaucoup de choses. Et puis ça serait de la soupe. Et puis c’est un peu mélangé quoi.

Q : Et la communication, vous en avez pensé quoi ?

Le catalogue en lui même ? Il est sympathique. Moi il m’a bien plu. C’est un format bien. J’aime bien le format. Le caractère gay et lesbien est évident. Ligne éditoriale, Cyril Collard. John Waters, parce qu’il y a Divine mais bon. Si je trouve que ça parle quand même. Je suis plutôt étonnée… Je n’ai pas trop regardé ça moi. J’ai vu qu’il y avait Télérama. Bah il y a pire comme partenaire. Il y a quand même de la pub gay. Moi je sais pas. Je …

Et puis j’aimerais bien aller en boite, et qu’il y ait tout le monde. Je suis vachement là dessus. J’imagine qu’il faut revendiquer, les gays et tout ça, mais bon. La mixité c’est important. Est-ce que dans ce festival, en tant que bénévoles, il y a des hétéros et des homos ou c’est ? Bah il y a quand même trois hétéros, c’est déjà pas mal.

Q : Un festival tel qu'Ecrans Mixtes sur Lyon, c'est important pour vous ?

Oui, oui, c’est vraiment important. Du coup, moi je ne sais pas trop mais avant Ecrans Mixtes il n’y avait aucun festival gay et lesbiens, si ? Une ville comme Lyon qui est quand même une grosse ville c’est vrai que... Moi j’y pensais pas forcément mais quand on y pense on se dit que c’est vraiment étonnant qu’il n’y ait pas eu un festival avant, donc oui c'est important mais sous cette forme.

Parce que je pense que l’homosexualité n’est pas encore vraiment … il y a vraiment encore des discriminations j’imagine. Enfin moi je ne vois pas forcément. Moi j’ai des amis qui pour la plupart vont plutôt bien, ils n’ont pas de soucis, même s’ils en ont rencontrés avant. Mais bon. Et puis voilà, j’ai un fils qui a 21 ans et j’ai souvent pensé à ça parce qu’il y a eu une période je ne sais pas trop et je me disais sur le truc s’il est homo quoi la seule trouille en tant que maman c’est ohlalala pourvu qu’il ne souffre pas et qu’il n’ait pas d’emmerdes avec les gens. Donc si on pense ça c’est qu’on en est encore loin. Donc c’est important de montrer que ... Mais pas de ne montrer que ça. Mais de montrer dans des films que c’est pas facile quoi aujourd’hui.

2012 xxxvi Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Q : Donc il y aurait une mission politique au Festival ?

Un petit peu quand même. Mais je trouve que c’est bien parce que ce n’est pas que politique. Moi je la vois, je sens qu’il y a de la politique, mais ce n’est pas le truc qui va rebuter des gens, elle est bien faite. Mais oui, je vois forcément une mission politique. Elle n’est pas montrée, c’est pas brut de pomme comme ça, mais c’est bien justement. La politique ne se fait pas de la même manière. Après c’est bien qu’il y ait des associations gays qui existent, mais c’est pas la même chose. Enfin c’est peut-être un peu complémentaire. C’est bien qu’elles existent, m’enfin elles sont un peu intégristes peut-être. Intégristes entre nous.

Sur un festival comme ça, ça ne me parait pas ... Et je ne veux pas dire … enfin c’est mixte quoi, et ça, ça me parle vraiment beaucoup. (...) C’est important. Il vaut mieux faire passer des trucs via un bon film qu’avec un mauvais film, c’est évident. Là c’est plutôt bien : il y a un peu tout. C’est bien justement. Il y a un peu tout.

Q : Et les lieux du Festival, ils vous évoquent quoi ?

Et bien. Donc la bibliothèque de la Part Dieu. Je ne les connais surement pas tous mais il y avait Comoedia, Bibliothèque, CNP Terreaux et l’Institut. Bah c’est bien parce que c’est central et puis ça amène des publics différents. Bibliothèques c’était bien, c’était représentatif de ... Le Comoedia c’est bien, en plus c’est un cinéma qui marche bien. Le CNP Terreaux... Voilà quoi. L’Institut j’habite à côté ; c’est assez varié, et puis c’est des lieux que je connais bien. Après est-ce que ... C’est que dans Lyon. Vous n’en faites pas dehors, c’est très compliqué j’imagine. C’est pas mal, c’est dans plusieurs endroits c’est bien.

Q : Que pensez vous de la rétrospective ?

Oui, c’est bien. Moi moi je découvre. Ça m’a fait ... Des rétrospectives comme ça dans d’autres festivals ça m’a fait découvrir d’autres univers. Moi j’avais bien aimé Kaboom l’année dernière ... après c’est vrai que j’avais pas pu voir, j’avais beaucoup aimé et là j’étais “ah oui il a fait tout ça”. Enfin on va jamais tout voir, mais c’est intéressant. Et là John Waters c’est super. C’est bien. Ça aussi ça peut faire venir des gens et puis c’est bien. Et puis c’est une évolution dans le temps.

Q : Et donc le choix de John Waters ...

Rebelle Rebel, oui, ça parle. Je n’ai vu que Polyester mais ça m’a marquée de voir tout ce qu’il dénonce et c’est génial, c’est pas le truc politique chiant. C’est politique pas chiant et j’étais sciée oh là là de voir que ça n’a pas changé et ce qu’il a pu faire à cette époque là et je me disais que c’était pas sur qu’on puisse faire ça aujourd’hui.

2012 xxxvii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Pour moi elle (l'homosexualité) est là quand même. Elle est diffuse. C’est vrai que Polyester j’ai retenu le truc contre les moeurs de l’Amérique pudibonde comme on dit mais l’homosexualité ça fait partie de ça. Donc pour moi c’est pas. Ça traite de tout. J’ai trouvé ça super. Je ne sais pas si tous les films sont biens mais. Et puis c’était délire. C’était drôle et puis ce qui était drôle, c’est qu’on a discuté avec une dame qui elle a vu le film avec les vrais trucs avec l’odorama donc c’était mieux forcément, mais quand même on parle avec les gens, donc ça c’est super. C’est drôle, c’est étonnant moi je non c’est vraiment bien.

Q : Et les documentaires ?

Oui, moi j’adore les documentaires de toute façon donc pour moi ça fait vraiment partie du cinéma. Je ne sais pas ce qu’il y avait dans le programme. C’était des documentaires là plutôt sur l’homosexualité je crois. C’est bien qu’il y ait des documentaires. A nouveau mixité, fiction et documentaire. Et puis moi j’adore des documentaires. Et puis c’est un autre regard. (...)

Q : Les avants-premières ...

Bah moi j’en ai pas fait. Il y avait Bye Bye Blondie, c’est ça? Ça attire vachement, quand même. Je pense aux autres festivals que je fais. Souvent je vais voir des avants- premières. J’aime bien pare que souvent on a rien entendu dessus. Parce qu’on entend des critiques, on entend que ça.. Là c’est un mélange avec les classiques, c’est bien.

Q : Justement les classiques ...

On en revient toujours au même. Ecrans Mixtes c’est un mélange de tout, c’est ce que je trouve intéressant dans ce festival. C’est ce qui fait que… il y a des festivals qui sont un peu redondants chaque année, mais là le fait que ce soit un peu mélangé fait qu’on peut trouver des choses qui nous intéresse au milieu de tout ça. Voilà.

Q : Ça s’insère dans le côté politique dont vous parliez tout à l'heure ?

Oui, des classiques ça veut dire que c’est vieux. Donc en même temps ça permet de voir comment ça a évolué. Je n’ai pas pu revoir Victor Victoria, Céline Sciamma allait le présenter après. Elle l’avait choisi. Qu’est ce que j’avais aimé et je n’avais pas pu le revoir.

Q : Tout à l'heure vous me parliez de mixité, vous la retrouvez dans le festival ?

Moi je … … … Je suis hétéro, voilà, je n’ai pas fait gaffe, franchement, je n’ai pas été pointée. Je trouve que ça tue le film. Je ne veux pas chercher à voir. Honnêtement. Je m’en fous, je suis venue voir des films. Et je pense que la parité, ça gonfle. (…) Je n’ai

2012 xxxviii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

vraiment pas fait attention. (…) Moi pas du tout, non non. Surtout que je suis allée à Polyester. A Polyester, certainement, il y en a qui ont pu se sentir mal à l’aise. Non, pas forcément à Polyester ? Moi pas du tout, non non. Moi je fais pas du tout attention à tout ça. Voyez, je … C’est … Ah non. Non mais en plus je ne fais vraiment pas du tout attention quoi, non je me regarde pas tout ça. Des gens qui sont venus à ce festival et que ça rebute ? Après chacun, voilà mais ah non moi je pense que vraiment je dirais presque que la première chose c’est la cinéphilie, donc dès qu’il y a un festival de film ça m’intéresse. Après ça me fait plaisir qu’il y a quand même un festival, je ne sais pas, lié à l’homosexualité. Pour moi c’est quand même un peu revendicatif mais justement pas comme ça contre lui même donc c’est super. Alternatif aussi, donc non non c’est bien. Et après j’ai pas à montrer que j’ai une copine ou un copain, donc voilà quoi. Chacun.. Voilà. (...)

2012 xxxix Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine Affiches

Ecrans Mixtes

Affiche de l'édition 2012 d'Ecrans Mixtes : pas de référence directe au caractère LGBTQ, logos des partenaires légitimes et nom des salles mis en avant, logos des partenaires LBGT en dernier

2012 xl Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Face à Face St Etienne

Affiche Face à Face 2011 : Couleurs arc-en ciel, 3 mentions de l'homosexualité Vues d'en face Grenoble

Affiche Vues d'en Face Grenoble. Sur-présence du rose, mention de la sexualité, arc-en-ciel

2012 xli Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Pink Screens Bruxelles

Affiche Pink Screens 2011 : rose, mention de l'homosexualité, logos évocateurs, figures « classiques » homosexuelles (Klaus Nomi, etc) Chéries Chéris Paris

Affiche Chéries Chéris 2011 : mention de l'homosexualité, mise en scène d'un mariage gay, majorité de logos liés au milieu LBGTQ

2012 xlii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Principaux tableaux statistiques

Tableau a : Ecart dans la représentativité du public par séance Séance Femmes Hommes Autres Sexualité hétéro homo Bi/pan Autres hétéro homo Bi/pan Autres hétéro homo Bi/pan Autres Naissance +19.15 -9.30 5.67 -0.40 -0.98 -13.78 -1.12 -1.20 -0.40 -1.40 -2.20 1.08 Miwa -2.38 -5.13 5.67 -0.40 -5.84 14.69 -3.20 -1.20 -0.40 -1.40 -2.20 -1.00 Victor 2.27 2.08 -2.04 -0.40 -3.94 5.65 2.77 1.79 -0.40 1.49 -0.71 0.49 Victoria Edie/théa + -5.50 27.14 3.89 1.73 -5.02 -13.56 -3.20 -1.20 -0.40 0.73 -2.20 -1.00 brandon Rétro -1.37 -10.69 -4.94 -0.40 7.79 8.12 -0.17 1.83 1.62 -0.39 -1.19 0.01 Polyester -2.72 -15.55 -4.75 2.73 -2.02 16.43 -0.07 8.18 -0.40 -1.40 -2.20 2.13 Cruising -8.81 -16.54 -0.47 -0.40 4.39 28.43 -3.20 -1.20 -0.40 -1.40 -2.20 -1.00 80 jours -18.35 40.70 -4.75 -0.40 -8.27 -17.95 -0.07 1.93 5.85 1.73 0.93 -1.00 Soukaz -21.27 -8.47 -7.67 -0.40 -1.40 32.47 0.13 -1.20 -0.40 1.93 4.47 -1.00 Rapport -15.51 -3.62 -4.94 -0.40 0.72 18.22 11.95 -1.20 -0.40 4.66 0.83 -1.00 Scène -2.86 -13.10 -11.00 -0.40 1.63 6.23 5.50 -1.20 -0.40 2.95 2.15 7.70 Bye Bye -1.13 8.81 12.47 0.62 -7.32 -12.98 -1.16 -0.18 -0.40 -1.40 1.88 1.04 Nuits 0.40 -15.92 -5.12 -0.40 -1.11 21.39 1.21 0.27 -0.40 -1.40 -0.73 0.47 fauves GENERAL 24.60% 21.80% 11.00% 0.40% 11.40% 24.20% 3.20% 1.20% 0.40% 1.40% 2.20% 1.00% Tableau a : Ecart dans la représentativité du public en termes de genre / de sexualité par séance, par rapport à l'ensemble du Festival Légende : les chiffres en gras correspondent à une sur-représentation d'une catégorie du public de plus de 5 points par rapport à l'ensemble du Festival. Les chiffres soulignés correspondent à une sous-représentation d'une catégorie du public de moins de 5 points par rapport à l'ensemble du Festival. Lecture : Sur La Naissance des Pieuvres, les femmes hétérosexuelles étaient 19.15 points de pourcentage plus présentes que sur l’ensemble du festival.

2012 xliii Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Tableau b : Part d'une catégorie du public qui a vu au moins un film d'un programme x Femmes Hommes Non Femmes hétéro hommes hétéro Hétéro - Tout genre / sexualité non hétéro non hétéro hétéro - Waters – polyester inc. 13.04% 34.97% 22.19% 23.58% 38.60% 29.44% 24.80% Edie Thea / Brandon Teena 20.50% 6.99% 13.44% 10.57% 7.02% 9.44% 12.60% La Naissance des Pieuvres 8.70% 5.59% 6.88% 17.07% 8.77% 14.44% 9.60% Victor Victoria 11.18% 18.18% 14.38% 14.63% 8.77% 12.78% 13.40% En 80 Jours 15.53% 2.80% 9.06% 1.63% 1.75% 1.67% 6.40% Cruising 1.86% 6.99% 4.06% 2.44% 5.26% 3.33% 3.80% Soukaz 3.11% 12.59% 7.19% 0.81% 5.26% 2.22% 6.00% Il n'y a pas de rapport 4.35% 12.59% 7.81% 2.44% 7.02% 3.89% 6.60% Scènes de chasse 1.24% 6.29% 3.44% 4.07% 5.26% 4.44% 4.60% Bye Bye Blondie 31.68% 10.49% 20.63% 18.70% 7.02% 15.00% 19.60% Les Nuits Fauves 4.35% 25.17% 13.44% 13.82 12.28% 13.33% 13.60% Tableau b : Part d'une catégorie de public donné qui a vu au moins un film dans une catégorie de programme. Lecture : 13% des femmes non hétérosexuelles ont vu au moins un John Waters.

2012 xliv Publics et spectateurs hétérosexuels du Festival Ecrans Mixtes 2012 DAMIENS Antoine

Tableau c : Accompagnements et public hétérosexuel Seul Accompagné non LGBT LGBT Film à thématique LGBTQ Hétérosexuels 17.57% 28.38% 54.05% Hétéro - hommes 10.00% 35.00% 55.00% Hétéro - femmes 20.37% 25.93% 53.70% Hors CNP – documentaires lesbiens inclus Hétérosexuels 28.44% 28.44% 43.12% Hétéro - hommes 41.67% 25.00% 33.33% Hétéro-femme 24.71% 29.41% 45.88% Hors CNP – documentaires lesbiens exclus Hétérosexuels 32.86% 30.00% 37.14% Hétéro-hommes 56.25% 18.75% 25.00% Hétéro-femmes 25.93% 33.33% 40.74% Rappel général Hétéros 27.03% 38.92% 34.05% Hétéros hommes 31.58% 40.35% 31.58% Hétéros femmes 25.81% 40.32% 36.29% Tableau c : Accompagnateurs et publics hétérosexuels au Festival Ecrans Mixtes, par type et lieu de séance

2012 xlv