Le Francoprovençal
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Janvier 2011 Numéro 18 Langues et cité Le francoprovençal Le francoprovençal concentre plusieurs problématiques de la sociolinguistique actuelle : les enjeux de la délimitation et de l'appellation d'une aire linguistique, le rapport des langues Langues et cité Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques minoritaires aux langues offi cielles, la mise à l'épreuve de Le francoprovençal p. 2 l'impératif de diversité culturelle, l'eff et de l'intervention politique sur les langues… La littérature p. 4 Identifi é et dénommé par le monde savant au 19e siècle seulement, Étude FORA p. 5 le francoprovençal est sans doute la plus méconnue des langues historiques de l'Hexagone, largement absente de l'idée que nous Quel nom pour nous faisons du paysage linguistique de notre pays. En même une langue ? p. 6 temps, par l'intérêt nouveau qui se porte sur la pluralité des langues et sur leur importance dans la vie sociale, elle devient L'enseignement objet de réfl exion collective et d'action publique. Elle illustre ainsi scolaire p. 7 la situation des langues en France. Politique de la Au moment où la région Rhône-Alpes lance une politique de Région Rhône-Alpes p. 8 valorisation du francoprovençal, il est apparu souhaitable de faire état des travaux qui, au fi l des décennies, ont rendu possible Les régionalismes p. 9 cet heureux développement, car « toute politique se fonde sur des savoirs ». À côté de celui de Pierre Gardette, on évoquera En Vallée d'Aoste p.10 parmi les précurseurs le nom d'André Martinet, qui a appliqué sa méthode de description phonologique au parler francoprovençal d'Hauteville en Savoie. En alternance avec des livraisons sur d'autres sujets, Langues et Cité poursuit avec le présent numéro la publication de monographies sur les langues de France. 2 e francoprovençal, qui est la plus Le fait que le francoprovençal partage partie du domaine francoprovençal sont petite des trois familles gallo- des traits communs avec la langue d’oïl les témoins de cette caractéristique, car Lromanes, est parlé dans trois pays : la ou avec l’occitan a empêché pendant le z fi nal a été ajouté à partir du 16e siècle France, la Suisse et l’Italie. En France, il est longtemps d’en saisir toute l’originalité. Sa pour indiquer que le a (voyelle du féminin) utilisé dans le centre-est, depuis les monts reconnaissance comme entité particulière ou le o (voyelle du masculin) devait être du Forez à l’ouest jusqu’aux frontières de ne remonte qu’à la fi n du 19e siècle. C’est prononcé plus faiblement que la voyelle la Suisse et de l’Italie à l’est. En Suisse, en eff et à cette époque que le linguiste tonique précédente parce qu’il était l’aire francoprovençale correspond à la italien Graziadio Isaia Ascoli démontra atone. Il faut cependant préciser qu’entre Suisse romande, à l’exception du canton l’originalité des parlers de cet ensemble Roanne et Mâcon la distinction entre du Jura dont les parlers se rattachent à la auquel il donna le nom de francoprovençal. le francoprovençal et la langue d’oïl est langue d’oïl. En Italie, le francoprovençal Cette dénomination est restée malgré moins claire et la délimitation moins nette. est parlé dans la vallée d’Aoste, dans les les handicaps qu’elle présentait, le plus En eff et, dans le nord du Lyonnais, sous vallées situées au sud du massif du Grand important étant le fait de laisser penser l’infl uence conjuguée des parlers d’oïl Paradis et dans quatre communes de la que cette langue était un simple mélange voisins et du français standard, les voyelles vallée de la Cenischia (entre le mont Cenis de français et d’occitan qu’on appelait à atones fi nales (y compris le a) se sont et Suse). Pour l’Italie, il faut ajouter les deux l’époque provençal. D’autres propositions amuïes très récemment dans la plupart des communautés de Faeto et de Celle di San de dénomination ont, par la suite, été mots. Mais, comme en rencontre encore Vito dans la province de Foggia (Pouilles) avancées par les dialectologues (moyen- des traces de paroxytonisme (à la 3e où le francoprovençal fut introduit au rhodanien, français du sud-est par exemple). personne du pluriel des verbes notamment) 13e et au 14e siècles par des immigrés Il est diffi cile de savoir si arpitan, le dernier et des formes /vja/ (< VITA) et rwa (< provenant d’une zone francoprovençale substitut qu’utilisent actuellement certains ROTA) qui sont d’anciennes formes /’via/ que les spécialistes (en particulier militants, connaitra plus de longévité que et /’rua/, on peut, à la suite de Gaston Michelle Melillo) situent à la jonction des les autres (cf. l’article de James Costa). Tuaillon, considérer cette aire comme du actuels départements français de l’Ain et francoprovençal dégradé ou francisé. de l’Isère. LE FRANCOP DDL, UMR L’origine du francoprovençal remonte à Il existe de nombreux traits qui La délimitation entre le francoprovençal la conquête romaine, plus précisément individualisent le francoprovençal à l’inté- et l’occitan s’opère à partir du double à la fondation de Lugdunum en 43 avant rieur du gallo-roman. La délimitation préci- traitement du A qui caractérise le franco- J.-C. C’est en eff et à partir de cette ville qui se de cette langue se fait à partir de deux provençal et qu’ignore l’occitan. En franco- devint très vite la capitale des Gaules que critères phonétiques. Il faut cependant provençal, le A tonique ou atone a connu s’est faite la latinisation de la plus grande signaler que les isoglosses tracées à partir deux évolutions diff érentes, car derrière partie de l’aire francoprovençale, d’abord de ces critères correspondent assez bien une consonne de type palatal il a évolué avec un latin assez pur, puis avec un latin à celles de plusieurs traits phonétiques en i ou e. Ainsi l’on a deux séries de tardif et populaire lorsque, à partir de ou morphosyntaxiques importants qui désinences pour les verbes du premier Lugdunum, fut entreprise la conquête de caractérisent cette langue. groupe : par exemple, le latin PORTARE la Gaule du nord. Dès le 3e siècle, il y eut a donné porta(r) (le a tonique a pu dans une orientation de plus en plus marquée La limite entre le francoprovençal et la certains parlers évoluer en o) alors que le vers le Nord où se déplaça le centre de langue d’oïl correspond à l’isoglosse latin MANDUCARE a évolué en mengie(r) gravité de l’Empire. C’est ce qui explique qui sépare le paroxytonisme possible (-ier ayant pu devenir i ou e). La limite que le francoprovençal est plus proche qu’on observe en francoprovençal et ouest et sud correspond donc à la fi n du de la langue d’oïl (donc du français) que l’oxytonisme généralisé qui caractérise double traitement du A (l’occitan dit portar de l’occitan. Gaston Tuaillon considère la langue d’oïl (et donc le français). La et manjar). d’ailleurs le francoprovençal comme du limite septentrionale du francoprovençal proto-français n’ayant pas connu certaines correspond donc à la fi n du maintien Le francoprovençal se caractérise par une évolutions septentrionales, en particulier des voyelles atones fi nales : le latin importante fragmentation (en particulier celles qui sont nées du bilinguisme roman ROSA a donné rose (en une seule syllabe sur le plan phonétique) qui s’explique, –germanique qui dura plusieurs siècles et puisque le e fi nal ne se prononce pas) en en grande partie, par le fait que Lyon qui modifi a profondément la langue romane français, mais rosa (en deux syllabes) en en était le centre directeur a abandonné qui fi nit par s’imposer. francoprovençal. Les nombreux toponymes dès la fi n du Moyen Age sa langue pour en -az et -oz (par ex. La Clusaz, Saint- prendre celle du roi (Lyon est alors devenu Jorioz) que l’on trouve dans la majeure un centre important de diff usion du français). Comme aucune ville ne prit alors nasale remonte probablement au latin locuteurs est faible et que la transmission 3 le relais, les parlers francoprovençaux INDE ; familiale de la langue a cessé depuis ont connu des évolutions foisonnantes > la création des formes de possessif plusieurs décennies. L’enseignement ne et assez souvent autonomes, empêchant notron ou votron par analogie de mon, ton, permet pas de compenser ce handicap, le regroupement en familles dialectales son ; car il reste très limité, le ministère de comparables à celles que l’on observe > le maintien de très nombreuses formes l’Éducation nationale ne reconnaissant dans les langues gallo-romanes voisines. fortes à la 2e personne du pluriel de l’indi- pas le francoprovençal comme langue La distinction proposée par Oscar et Hans- catif présent ou de l’impératif (par ex. optionnelle au baccalauréat. Erich Keller entre un francoprovençal ventes ou vendes « vendez », sates ou du nord et un francoprovençal du sud sades « savez ») ; Le pessimisme doit cependant être n’a pas été retenue. On ne peut pas non > les formes de l’indicatif imparfait des tempéré, car actuellement de nombreuses plus considérer comme pertinentes d’un groupes II et III comportant le morphème v initiatives au niveau associatif voient le point de vue linguistique les appellations et refaites sur les formes du groupe I (par jour un peu partout afi n de remettre en de francoprovençal de l’ouest, du centre ex. venive « venait », vendave « vendait ») ; honneur et tenter de revitaliser l’héritage ou de l’est parfois utilisées, car on > Les formes verbales en -ess- (et non linguistique transmis par plus de soixante n’observe pas d’évolutions importantes en -iss-) remontant aux formes latines en générations.