EA ESPÈCES D’ARCHITECTE LE PASSE-MURAILLE LE PASSE- MURAILLE INSTALLATION / ARCHITECTS

Wallonie-Bruxelles 1 EA LE PASSE-MURAILLE SOMMAIRE 03-03 AVANT-PROPOS / Cédric Libert 04-13 PLANS VISUELS / Géraldine 14-19 DIGRESSIONS POLI- Brausch TIQUES AUTOUR DE LA TECHNIQUE DU PASSE-MURAILLE / 20-21 BIOGRAPHIES / 22-23 COLOPHON /

Ce catalogue a été édité à l’occasion Le Passe-muraille est une installation la structure urbaine, afin d’y décou- d’Espèces d’Architecte, organisé par in-situ qui, par le biais de l’outil numé- vrir des lieux insoupçonnables, liés Wallonie-Bruxelles International, rique, questionne l’espace architec- à de nouveaux déplacements et de le Ministère de la Communauté fran- turé de nos villes et la représentation nouvelles perceptions. çaise Wallonie-Bruxelles, avec le Cen- de celui-ci. L’occasion nous est donnée, tre Wallonie-Bruxelles à . Inspiré d’une nouvelle écrite par l’installation autant que par une Espèces d’Architecte présente par Marcel Aymé, dans laquelle le contribution de Géraldine Brausch, une série de manifestations culturel- protagoniste, Monsieur Dutilleul, a de réfléchir à la question de l’agen- les à Paris, de novembre 2008 à juillet l’étrange pouvoir de traverser les cement spatial, et de manière sous- 2009, liées au paysage architectural en murs, Julien de Smedt a mis au point jacente, à celle des dispositifs socio- Wallonie et à Bruxelles. une installation par laquelle le mouve- politiques auxquels l’organisation de Des expositions, une installation ment des visiteurs influence directe- l’espace participe. et des rencontres économiques, ainsi ment leur environnement immédiat. qu’un cycle consacré à l’édition et un Le Passe-muraille autorise le public à Cédric Libert autre au cinéma et à la vidéo, abor- passer au travers le tissu urbain ; en dent l’architecture par le biais de la se rapprochant du mur, on ouvre une transversalité. fenêtre par-delà l’écran, derrière le Le commissariat général d’Espè- lieu d’exposition, au travers l’espace ces d’Architecte est assuré par Cédric public alentours et dans les édifi- Libert. ces voisins, en l’occurrence le Centre Georges Pompidou. Il s’agit de pro- www.especesdarchitecte.be 2 gresser outre les limites physiques de 3 EA LE PASSE-MURAILLE PLANS VISUELS EA LE PASSE-MURAILLE PLANS VISUELS

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12 13 EA LE PASSE-MURAILLE DIGRESSIONS POLITIQUES EA LE PASSE-MURAILLE AUTOUR DE LA TECHNIQUE DU PASSE-MURAILLE

utilise maintenant souvent l’expres- ta-Clark notamment, l’une affirme la sion ‘lisser l’espace’ pour parler d’une nécessité de dénoncer, de détourner DIGRESSIONS façon d’aborder une opération dans et de se réapproprier la ville et son un espace comme s’il n’avait pas de tissu architectural. Soit qu’ils appa- frontières. […] Les zones palestinien- raissent comme neutres et pure- POLITIQUES AUTOUR nes peuvent effectivement être envi- ment techniques, soit qu’ils appa- sagées comme des espaces ‘striés’ en raissent comme relevant de l’art ceci qu’elles sont délimitées par des sculptural, l’urbanisme et l’architec- DE LA TECHNIQUE DU clôtures, des murs, des fossés, des ture sont, avant tout, parties pre- barrages routiers, etc. Or, nous vou- nantes dans l’ordre socio-économi- lons nous affranchir de l’espace strié que. Ils le sont, en un premier sens, propre à la bonne vieille méthode par leur articulation principielle aux PASSE-MURAILLE militaire classique […], pour adopter secteurs de la construction et de la une perspective lisse qui permet de promotion immobilière. Le principe se déplacer dans l’espace en traver- de propriété privée et les exigences sant toutes les frontières et tous les de productivité et de profit qui gui- obstacles. Au lieu de restreindre et dent l’industrie sont dès lors au cœur d’organiser nos forces en fonction de la production des villes et des des frontières existantes, nous vou- bâtiments. L’architecte, dont Matta- lons les traverser. » Définie par un tel Clark dénonce la prétention, ignore L’INTERPRÉTATION DE L’ESPACE La technique du « passe-muraille » est principe, la muraille délimitant l’es- ou feint d’ignorer les intérêts éco- DANS L’ART DE LA GUERRE au fond une manière d’appliquer un pace privé ne protège plus, elle est nomiques qui guident les configura- des stratagèmes du fameux traité désormais un trou béant par lequel le tions de l’espace ; il masque, y compris Dans un ouvrage saisissant consacré consacré, au IVe siècle ACN, à L’ar t de danger s’infiltre. à lui-même, son propre rôle dans la à l’architecture de et dans la guerre la guerre : « Attaquez là où il [l’ennemi] reproduction de la société capitaliste urbaine1, l’architecte Eyal Weizman ne vous attend pas ; surgissez tou- 1 L’ART SUBVERSIF DE GORDON industrielle ; il aspire, de surcroît, à nous donne à voir comment la pro- jours à l’improviste. »2 La surprise est Eyal Weizman, A travers les murs. MATTA-CLARK produire des œuvres qui s’inscriraient duction et l’interprétation de l’espace une clé de la victoire. Défoncer des L’architecture de la nouvelle guerre dans l’éternité. Les habitants/usagers, urbaine, La fabrique éditions, 2008, peuvent s’inscrire au cœur de stra- murs (à l’explosif ou à la masse) afin trad. de l’anglais I. Taudière. Les années 1960 et 1970 voient pro- quant à eux, sont définis comme des tégies guerrières. Dans une inter- de créer des galeries, voies de circu- liférer, autour du concept de trans- consommateurs, agents passifs et view accordée à Weizman, un général lation nouvelles, à travers le bâti privé 2 gression, un nombre considérable dociles, à qui toute forme de compé- de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, revient ainsi à prendre l’ennemi de Sun Tzu, L’art de la guerre, de démarches et de réflexions poli- tence créatrice est refusée. affirme que l’espace « n’est jamais court. Une « géométrie inversée » de Hachette, 2000, trad. du chinois tiques, artistiques, philosophiques Dans ce contexte, Matta-Clark, Jean Lévi. que l’interprétation que vous en fai- l’ordre urbain traditionnel est élabo- visant à saper l’ordre capitaliste et architecte devenu artiste, s’emploie tes. […] La question est précisément rée à revers de la perception et de à en transgresser les limites. Parmi à produire des œuvres délibéré- de savoir comment vous interprétez l’usage habituels de l’espace, à revers les modalités de subversion élabo- ment éphémères qui consistent soit la ruelle. L’interprétez-vous, comme des codes spatiaux intégrés et utilisés rées à cette époque par Gordon Mat- à « faire de l’architecture » avec des tout architecte et urbaniste, comme par les corps. Une interprétation nou- Gordon un lieu par lequel on peut passer, ou velle de l’espace est effectuée afin de Matta-Clark, au contraire comme un endroit par briser les repères guidant spontané- Office Baro- que, 1977 lequel il est interdit de circuler ? » ment les positionnements et les mou- © ICC Archive/ Lors de la deuxième Intifada, face à vements. On tente de mener l’ennemi MuHKA une résistance palestinienne frag- à sa perte en l’égarant, c’est-à-dire en mentée, les têtes pensantes de Tsahal organisant une configuration spatiale ont réélaboré les tactiques du combat dans laquelle ses clés de lecture quo- urbain. Il était devenu impératif de ne tidiennes de l’espace ne s’appliquent plus se mouvoir en utilisant les voies plus. Corollaires de cette tactique : les de circulation qui définissent la logi- soldats deviennent des « architectes que traditionnelle du déplacement opérationnels » et le domaine privé se urbain. Afin de ne pas être là où l’en- mue en un lieu de passage et, in fine, nemi attend et de surgir là où il n’at- en un champ de bataille. tend pas, s’élabore la « méthode qui Il n’y a plus ni frontières physi- consiste à passer à travers les murs. ques ni frontières symboliques qui Comme un ver qui ronge sa galerie vaillent. Pour le général Naveh, « se pour avancer, ressortant à certains déplacer en traversant les murs est endroits pour aussitôt disparaître. une simple solution mécanique » per- Nous progressions donc de l’inté- mettant de mettre en pratique un rieur des habitations [palestiniennes] principe élaboré, de manière pour vers l’extérieur, selon des modali- le moins inattendue, à partir des tés inattendues et à des endroits qui concepts philosophiques de Deleuze n’étaient pas prévus, arrivant par der- et Guattari. Partant de la distinction rière pour frapper l’ennemi qui nous posée par ceux-ci entre espace « strié » attendait au coin d’une rue. » et espace « lisse », « l’armée israélienne 14 15 EA LE PASSE-MURAILLE DIGRESSIONS POLITIQUES EA LE PASSE-MURAILLE AUTOUR DE LA TECHNIQUE DU PASSE-MURAILLE déchets soit à « défaire l’architecture » plus favorables, on a la chambre des domination, d’inégalité, de sur- en découpant et en déstructurant filles et la chambre des garçons. » On veillance entre homme et femme, des bâtiments abandonnés, voués à pourrait ainsi, et c’est ce que suggère entre enfant et parent, entre patron la démolition. Dans ce deuxième type encore Foucault, faire « une histoire et travailleur − doit devenir une d’intervention, l’artiste troue, perce, des espaces – qui serait en même affaire publique. La sphère privée doit tranche l’immeuble ; il use de procé- temps une histoire des pouvoirs – être, un instant au moins, désacrali- dés analogues à celui du passe-mu- depuis les grandes stratégies de la sée ; elle doit cesser d’être protégée raille pour déconstruire le bâti. D’une géopolitique jusqu’aux petites tac- parce que, précisément, elle met à part, le vernis cosmétique saute pour tiques de l’habitat, de l’architecture l’abri des relations de pouvoir. laisser apparaître la structure brute. institutionnelle, de la salle de classe C’est, dès lors, la vieille distinc- D’autre part, l’immeuble est travaillé ou de l’organisation hospitalière, en tion grecque entre sphère privée et jusqu’à ne plus pouvoir être sociale- passant par les implantations écono- sphère publique qui est minée. Aussi ment utile. C’est que l’architecture mico-politiques. »3 3 puissante fut-elle, la démocratie s’enracine dans l’« utilité sociale ». Elle Il semble que ce soit préci- Michel Foucault, « L’œil du pouvoir », athénienne reposait sur un partage y puise non seulement ses objectifs sément ce rôle de conduite et de in Dits et Ecrits, vol. III, Gallimard, net entre ce qui relève du domaine 1994. premiers mais elle l’actualise, elle la contrôle des corps, cette fonction domestique (oikos) et ce qui relève de rend possible. Or, l’« utilité sociale », d’assignation des individus à un ordre l’espace politique. Alors que le foyer structurée autour de « fonctions », est moral, social et économique par est le lieu de la reproduction biolo- fondamentalement dictée par le sys- l’agencement spatial que Matta-Clark gique où le chef de famille règne en tème de production capitaliste. Orga- dénonce. Ouvrir les murs des lieux maître sur esclaves, femme et enfants murs se fait sentir. Il ne peut cepen- Gordon niser l’espace autour du travail, des clos de la vie ordinaire, perçus spon- et où l’inégalité est naturellement dant pas être assouvi par le franchis- Matta-Clark, loisirs, du repos et de la reproduction, tanément comme « normaux » et neu- posée, l’agora est le lieu où se discu- sement d’une muraille quelconque. Office Baro- que, 1977 organiser une vie moralement et phy- tres, revient à dévoiler les hiérarchies tent les intérêts et objectifs supé- Une certaine exigence se formule : © ICC Archive/ siquement saine, organiser la circula- et les fonctions sociales. Celles-ci, rieurs – non biologiques – de la polis « l’homme qui possède des dons MuHKA tion (des corps et des marchandises) comme l’ensemble des normes socia- et où les hommes, reconnus citoyens, brillants ne peut se satisfaire long- sont des gestes éminemment politi- les de la vie quotidienne, doivent ces- participent au débat à part égale. temps de les exercer sur n’importe ques et directifs. Les coupes dans le ser d’aller de soi pour devenir l’objet Amener sur la place publique le fonc- quel objet médiocre. Passer à travers tissu architectural constituent alors d’une problématisation politique. tionnement essentiellement inégali- les murs ne saurait d’ailleurs consti- des coups de sonde qui révèlent ce Le « dedans » − les rapports de taire, et violent le cas échéant, de la tuer une fin en soi. C’est le départ que cache un bâtiment, à savoir la famille et de la production, voilà pro- d’une aventure, qui appelle une suite, Gordon manière dont un habitant est amené Matta-Clark, bablement une des plus belles tor- un développement et, en somme, une à occuper l’espace et à se conformer Office Baro- sions faites à l’héritage grec par les rétribution. Dutilleul le comprit très à un ordre imposé par l’architecte qui que, 1977 mouvements politiques du XXe siècle, bien. Il sentait en lui un besoin d’ex- lui-même ne fait que réitérer la struc- © ICC Archive/ mouvements dans lesquels Matta- pansion, un désir croissant de s’ac- MuHKA ture sociale existante. Homogène et Clark s’inscrit délibérément. complir et de se surpasser, et une neutre en apparence, l’agencement certaine nostalgie qui était quelque spatial produit pourtant des contrain- LA VENGEANCE DE MONSIEUR chose comme l’appel de derrière le tes sociales. L’architecture formate DUTILLEUL mur. Malheureusement, il lui manquait la vie quotidienne par son action de un but. »4 Après réflexion, Dutilleul 4 compartimentage et de segmenta- Monsieur Dutilleul, héros de la nou- devient un voleur notoire, jusqu’à ce Marcel Aymé, « L e passe-muraille », tion ; l’architecture distribue et définit velle de Marcel Aymé Le passe-mu- que, ayant inopinément perdu son in Le passe-muraille, Gallimard, 1943. les places des individus, leurs fonc- raille, est fonctionnaire au minis- don, il finisse figé dans une muraille. tions, leurs statuts, les relations qu’ils tère de l’Enregistrement. Il découvre entretiennent. un jour qu’il est doté d’un don aussi L’ESPACE ARCHITECTURAL … En rappelant les travaux de Phi- étrange que contrariant : il peut pas- lippe Ariès, Michel Foucault signa- ser à travers les murs. Cette faculté On le voit, la technique dite du « pas- lait lui aussi ce rôle de l’architec- devient un atout le jour où Monsieur se-muraille » est similaire du point de ture. Ainsi, à propos de la maison qui, Lécuyer, nouveau chef de section de vue mécanique dans les trois dispo- jusqu’au XVIIIe siècle, est « un espace Dutilleul, oblige celui-ci à changer sitifs évoqués. On conviendra cepen- indifférencié ». « Il y a des pièces : la formule par laquelle il commence dant aisément que ceux-ci ne par- on y dort, on y mange, on y reçoit, ses courriers depuis le début de sa tagent à peu près rien si ce n’est peu importe. Puis, petit à petit, l’es- carrière. Écœuré par autant d’arro- précisément une même « méthode ». pace se spécifie et devient fonction- gance, Monsieur Dutilleul décide de Plutôt que d’emprunter et de respec- nel. Nous en avons l’illustration avec se venger. Il prend l’habitude de pas- ter les passages traditionnels (une l’édification des cités ouvrières des ser sa tête à travers le mur mitoyen porte, un couloir, une rue), plutôt que années 1830-1870. On va fixer la famille à son bureau et à celui de son chef. de se mouvoir de la manière prescrite ouvrière ; on va lui prescrire un type Les insultes et menaces proférées par par les codes, plutôt que d’appliquer de moralité en lui assignant un espace ce fantôme ont raison de Monsieur l’interprétation conventionnelle de de vie avec une pièce qui tient lieu Lécuyer : il se retrouve interné en mai- l’espace construit, il s’agit de détour- de cuisine et de salle à manger, une son de santé. ner, de surprendre, voire de trans- chambre des parents, qui est l’endroit Malgré la réussite de cette opé- gresser, et ce à des fins diverses. Mat- de la procréation, et la chambre des ration, Monsieur Dutilleul est insatis- ta-Clark « démure les murs » afin de enfants. Quelquefois, dans les cas les 16 fait. Le besoin de passer à travers les faire voir combien ceux-ci protègent 17 EA LE PASSE-MURAILLE DIGRESSIONS POLITIQUES EA LE PASSE-MURAILLE AUTOUR DE LA TECHNIQUE DU PASSE-MURAILLE mais aussi rendent possible un ordre s’emploierait ainsi, par son action de usage, celle-ci se présente comme socio-économique. Tsahal use de la détournement, à le questionner. sans histoire, comme déconnectée technique du passe-muraille afin de de toute activité et de tout enjeu vaincre l’ennemi. Monsieur Dutilleul … ET SON DEHORS humains. Elle devient de la sorte un use de son don pour se venger. Ven- fétiche. Par un tour de passe-passe, geance étant faite, celui-ci doit néan- Outre ses effets ludiques et esthéti- cette chose illusoire se substitue au moins trouver un nouveau but à ques, une telle démarche a probable- réel. Elle n’en produit pas moins des l’usage de sa faculté. ment le mérite de réactiver des ques- effets, qui ne sont pas seulement des Passer à travers les murs n’est, tions comme celles du partage entre effets d’optique. à chaque fois, qu’une technique au le dedans et le dehors ou du partage Il y aurait à soupçonner ces service d’un objectif. La technique entre l’espace privé et l’espace public. effets et les mensonges qu’un tel féti- n’a, en elle-même, aucune espèce Cependant, et à l’aune des trois dispo- che fabrique mais il y aurait, surtout, de valeur. « Passer à travers les murs sitifs évoqués plus haut, est-il tena- à évaluer l’intensité et la puissance ne saurait constituer une fin en soi » ble jusqu’où bout de vouloir penser de l’histoire qu’un tel objet nous déclarait le narrateur du Passe-mu- un espace générique ? Est-il possi- conte. Que peut nous dire un espace raille. La méthode doit s’inscrire dans ble d’interroger un « dedans » et un construit (architectural ou urbain) mis un dispositif, dans une machine visant « dehors » qui seraient en survol, hors en apesanteur, déconnecté de l’épais- une fin, pour prendre sens. Retiré de de toute situation ? Si tel était le cas, seur du monde ? Que peut-il nous dire l’agencement dans lequel il est utilisé, nous ne pourrions distinguer la dif- du dispositif guerrier dans lequel les pris en soi, le procédé perd toute por- férence qu’il y a entre l’action et les « architectes opérationnels » de Tsahal tée. Dans cette perspective, quel sens effets d’une armée lorsqu’elle tra- s’inscrivent ? Que peut-il nous racon- donner à l’application, via un travail verse les murs des habitations privées ter des rapports de pouvoir qui enca- sur l’image, de la technique du passe- et l’action et les effets de Matta-Clark drent les ouvriers dans la révolution muraille au Centre Pompidou et à son lorsqu’il troue le bâti. Il y va bien de industrielle ? Que peut nous appren- pourtour immédiat ? Dans quel dispo- la même démarche, d’un même jeu dre un « objet » pris en lui-même ? Si sitif la méthode s’inscrit-elle et, dès de transgression des limites. Pour- l’on admet que les espaces dans les- lors, à quelle transformation et à quel tant, leurs actions s’inscrivent dans quels nous vivons ont quelque chose écart doit-elle servir ? A l’évidence, il des stratégies radicalement différen- à nous dire ; si l’on exige d’eux qu’ils n’y va ni d’un dispositif de guerre, ni tes. Or, à élever la question du partage nous racontent une histoire suffi- d’un dispositif de vengeance, ni d’un entre l’espace privé et l’espace public samment intense pour nous permet- dispositif de subversion politique. Les au rang de généralité désincarnée, on tre de penser, et même de penser agencements évoqués précédem- ne pourrait comprendre les sens et autrement, ce que nous sommes et ment éclairent donc, a priori, peu les objectifs multiples et divergents les relations que nous entretenons ; il notre objet. que ce partage et le détournement de devient impératif de leur rendre une La machine ici investie est celle ce partage peuvent porter. Il est alors épaisseur, un contenu. Ainsi, en ren- d’un « musée » et d’un « centre cultu- peu probable que la division, la limita- dant au Centre Pompidou ce qui le rel ». Néanmoins, si le dispositif muséal tion, la distribution de l’espace aient définit a priori – ses œuvres, ses fonc- semble bien être le point d’applica- en elles-mêmes, hors des stratégies tions et objectifs, son bâtiment, son tion du procédé de détournement, qui les convoquent, une signification. ancrage dans une politique culturelle force est de constater qu’il fait l’objet Par ailleurs, l’idée même d’un – et ce qui le transforme – des usa- d’un nettoyage qui, jusqu’à un cer- espace isolé et isolable ne va pas ges et des non usages –, en jonglant tain point, le vide de tout contenu. lièrement l’« espace architectu- Gordon sans soulever quelques problèmes ensuite avec les limites de ce sanc- Ses employés et usagers, ses œuvres, ral » ou même l’« espace urbain ». Un Matta-Clark, sur le plan philosophico-politique. tuaire de la culture, on donnerait la sa « vocation culturelle »5, son histoire, « espace » désigné et défini comme Office Baro- Marx a miné l’idée selon laquelle une possibilité à ce lieu de formuler un que, 1977 la politique culturelle dans laquelle il une « chose », dégagée de toute épais- © ICC Archive/ chose produite aurait une existence certain nombre de questions sur la prend naissance, n’existent que sur le seur sociale, qu’il convient de trai- MuHKA propre, autonome des dispositifs manière dont nous (nous) vivons en mode de l’absence. L’installation tend, ter pour elle-même. Dans une pos- 5 sociaux dans lesquels elle est fabri- tant qu’êtres dotés d’une culture. semble-t-il, à représenter et à interro- ture quasi métaphysique, puisqu’elle En se conformant aux prescrip- quée et utilisée. Marx, et Henri Lefeb- De la façon dont nous définissons la ger un espace en procédant d’abord tend à poser l’existence d’un espace tions du droit à l’image et du droit vre à sa suite, nous ont appris à nous culture à la manière dont nous l’insti- d’auteur, les photos prises pour à l’assèchement de ce qui pourrait lui en soi, la possibilité serait alors affir- l’élaboration de l’installation gom- méfier de la chose « en soi » : chaque tutionnalisons, de la volonté d’ouvrir donner une signification sociale spé- mée de concevoir et de penser un ment les individus et altèrent les chose produite « contient et dissi- une telle culture à tous aux exclu- cifique. Mais ce travail d’évidement « espace » indépendamment de l’his- œuvres éventuellement présentes mule, en tant que chose, des rapports sions effectives qu’elle produit, de afin de les rendre non identifiables. s’arrête en chemin, avant d’avoir toire, du contexte, de l’utilité sociale, sociaux »6, c’est-à-dire aussi des stra- nombreuses problématiques articu- 6 atteint une pure étendue ou un pur des enjeux dans lesquels il s’enra- tégies. Il convient donc d’arracher le lées autour du dedans et du dehors Henri Lefebvre, Espace et politique. contenant. Il subsiste bel et bien quel- cine. Les formes mais aussi les divi- masque des choses pour en dévoi- de la culture pourraient constituer Le droit à la ville II, Ed. Economica/ Anthropos, Paris, 2000. que chose de cet espace initial. Des sions, les partages, les interdictions, ler les conditions de production et le fil d’un autre récit. Et, bien sûr, au objets certes, mais surtout des murs, les inclusions et exclusions auxquels d’usage. La chose produite n’est pas cœur de cette histoire, il conviendrait des formes, des passages, des vides, procède nécessairement tout agen- le fait d’une instance divine : elle n’a de voir comment l’espace architectu- des recoins, des divisions, des limi- cement spatial pourraient faire l’objet pas été créée d’un coup et indépen- ral tente lui-même de répondre à ces tes, des partages entre des dedans d’une perception et d’une réflexion damment d’un contexte. Or, si on questions et comment il en formule et des dehors constituent la matière autonomes vis-à-vis du champ social. considère une chose en elle-même, de nouvelles. résiduelle. Ce reste correspond pro- Après avoir isolé un « espace » généri- abstraction faite du processus de sa bablement à ce qu’on nomme régu- que, l’installation « Le passe-muraille » 18 production et des conditions de son Géraldine Brausch 19 EA LE PASSE-MURAILLE BIOGRAPHIES EA LE PASSE-MURAILLE BIOGRAPHIES BIOGRAPHIES

GÉRALDINE BRAUSCH JULIEN DE SMEDT / JDS ARCHITECTS CÉDRIC LIBERT

Assistante au Service de philosophie Julien De Smedt est le fondateur et Diplômé en 1998 de l’Institut supé- morale et politique de l’Université directeur de JDS Architectes basé rieur d’architecture Lambert-Lombard de Liège (ULg) en Belgique, Géraldine à Copenhague, avec des bureaux à à Liège, Cédric Libert (1974) poursuit Brausch (1977) mène une thèse de Bruxelles et à Oslo. Son travail est sa formation à l’Architectural Asso- doctorat sur les liens entre l’espace reconnu en Europe et à l’étranger, et ciation à Londres, avant de rejoin- et les rapports de pouvoir à partir l’engagement de Julien pour l’explora- dre en 2001 le bureau de Zaha Hadid des thèses d’Henri Lefebvre et Michel tion de nouvelles typologies d’archi- architects en qualité de collaborateur, Foucault. Elle a dirigé, en collabora- tecture et programmes a contribué à notamment sur le Skijump d’Inns- tion avec Édouard Delruelle, la publi- relancer le débat sur l’architecture au bruck. cation de L’inventivité démocratique Danemark avec des projets tels que le Après un passage à l’atelier aujourd’hui. Le politique à l’épreuve Batiments d’habitation VM, la Maison d’architecture L’Escaut à Bruxelles, il des pratiques (éditions du Cerisier, Maritime de la Jeunesse et la Salle de fonde avec Vincent Piroux et Cécile Cuesmes, 2005) et Le droit sans la jus- Concert de Stavangerl. Né à Bruxel- Chanvillard le bureau Anorak qui rem- tice (Bruylant/LGDJ, Bruxelles-Paris, les de l’amateur d’art français Jac- porte en 2005 – en association avec les 2004). Parmi ses contributions récen- ques Léobold et l’artiste belge Claude architectes Poponcini & Lootens, DMT tes, « La laïcité à l’épreuve de ses usa- De Smedt, il a frequenté les écoles à et le paysagiste français Michel ges » s’inscrit dans un ouvrage col- Bruxelles, Paris et Los Angeles avant Desvigne – le concours pour l’amé- lectif dirigé par M. Jacquemain et N. de recevoir son diplôme de la Bartlett nagement et la construction de 400 Rosa-Rosso (Du bon usage de la laïcité, School of Architecture. Avant de fon- logements sur le site de l’ancien hôpi- Aden, Bruxelles, 2008). Elle est l’auteur der JDS Architectes, Julien a travaillé tal de Bavière à Liège. du septième volume de la collection avec OMA à et co-fondé Dans le cadre de différentes « Architexto » (Fourre-Tout éditions, l’agence d’architecture PLOT à Copen- expositions et conférences, le travail Liège, 2008) avec les architectes-ur- hague. En 2004, JDS a reçu un Lion d’or d’Anorak a été présenté en Belgique banistes A. Baumans et B. Deffet, et à la Biennale de Venise pour la Salle de (Bruxelles, Mons, Gand et Liège), aux assure le secrétariat, au sein de son Concert de . The Mountain Pays-Bas (Maastricht), en Chine (Shan- service, de la revue en ligne de phi- (logements) a reçu l’honneur de Best ghai), en France (Paris, Nice et Mar- losophie politique, Dissensus, dont Housing au cours du World Architec- seille), en Grande-Bretagne (Londres) le premier numéro a paru en janvier ture Festival en 2008. et en Italie (Milan). 2009. Simultanément à son expérience professionnelle, il mène une impor- tante activité académique, notam- ment à l’Institut supérieur d’archi- tecture de la Communauté française de Belgique La Cambre à Bruxelles et à l’Institut supérieur d’architecture Saint-Luc de Wallonie à Liège (2003- 2007), où, à côté de ses activités d’en- seignant, il développe et coordonne le Festival d’architecture, réunissant expositions et conférences interna- tionales.

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Fadila Laanan, Ministre de la Culture et de Espèces d’Architecte / Wallonie-Bruxelles, DIRECTION GÉNÉRALE EN PARTENARIAT AVEC Installation / l’Audiovisuel de la Communauté française est réalisé par Wallonie-Bruxelles Inter- Philippe Suinen, Stefan Devoldere, Wallonie-Bruxelles national, le Ministère de la Communauté Administrateur général de Wallonie-Bruxel- Rédacteur en chef de la revue belge d’archi- Julien De Smedt Architects française Wallonie-Bruxelles, avec le Centre les International tecture A+ 19 avril 2009 – 17 mai 2009 Mélanie Delvaux, Julien Medros, Didier Wallonie-Bruxelles à Paris. En partenariat Tellier, Christine Giminne, Catherine Dantan, avec l’Awex, la revue belge d’architecture Frédéric Delcor, Audrey Contesse, Centre Wallonie-Bruxelles Leen De Backer, Christine Clinckx A+, la revue française d’architecture d’a et le Secrétaire général du Ministère de la Com- Secrétaire de rédaction francophone de la (Direction : Christian Bourgoignie) magazine français Beaux Arts munauté française Wallonie-Bruxelles revue belge d’architecture A+ 127-129, rue Saint-Martin La Direction du Centre Pompidou pour avoir F-75004 Paris permis la réalisation du reportage photo- Christian Bourgoignie, Emmanuel Caille, graphique du Passe-Muraille PROGRAMME Directeur du Centre Wallonie-Bruxelles à Rédacteur en chef de la revue d’architec- Paris ture française d’a COMMISSARIAT Méthodologie du sensible Cédric Libert, architecte SOLANG exposition de l’Atelier d’architecture Pierre COORDINATION GÉNÉRALE PARIS Hebbelinck à la Galerie d’architecture, du ven- Anne Lenoir, CONCEPTION / SCÉNOGRAPHIE dredi 7 novembre au samedi 6 décembre 2008 Chef du Service culturel de Wallonie-Bruxel- Julien De Smedt Impression : IPM Printing, Bruxelles les International Wouter Dons Papier : Arctic Volume HighWhite – 115 gr L’Alibi documentaire Lucia Pola exposition de photographies au Centre Wallonie- Pascaline Van Bol, Niko Møller (photographies) Une initiative de la Cellule architecture de Bruxelles, présentée dans le cadre du Mois de la Directrice des Relations bilatérales et Benny Jepsen (programming) la Communauté française Wallonie-Bruxelles Photo à Paris et de la Saison culturelle euro- transfrontalières avec la France – Wallonie- Robert Huebser (visuals) © 2009 Wallonie-Bruxelles International / péenne en France, du vendredi 14 novembre Bruxelles International Communauté française Wallonie-Bruxelles 2008 au dimanche 1er février 2009 MONTAGE Chantal Dassonville, Alain Moors Béton et Garamond Directrice générale adjointe de l’Infras- Sylvio Meranville Rencontres éditions et architecture, à l’École tructure du Ministère de la Communauté spéciale d’architecture, jeudi 26 et vendredi 27 française Wallonie-Bruxelles ACCUEIL mars 2009 Assia Yazid Pascale Eben, Eric Meunié Le Passe-Muraille Attachée au Service culturel de Wallonie- Florence Servais installation de Julien de Smedt Architects au Bruxelles International Centre Wallonie-Bruxelles, du dimanche 19 avril CATALOGUE DE L’EXPOSITION au dimanche 17 mai 2009 Thomas Moor, Contribution : Géraldine Brausch Cellule architecture du Ministère de la Com- Relecture : Thomas Moor Lieux communs munauté française Wallonie-Bruxelles Films et vidéo au Centre Wallonie-Bruxelles, Mise en pages : École de Recherche graphi- du lundi 27 avril au jeudi 30 avril 2009 Elisabeth Dumesnil, que / ERG, Bruxelles (Floriana Da Silva, Emily Responsable des Arts plastiques et de la Delmiche, Gregory Dapra, Gauthier Dewez) Win-Win Communication, centre Wallonie-Bruxelles Rencontres architecture et économie, Crédits photographiques : Niko Møller (p.4- mardi 19 mai 2009 Ariane Skoda, 13), avec l’aimable autorisation du Centre Assistante de la Communication et des Pompidou ; Florent Dex / MuKHA (p.15-18) Dialogic Park I Expositions, Centre Wallonie-Bruxelles exposition transdisciplinaire d’architecture, de Les auteurs se sont efforcés de mentionner design, de graphisme et d’art à Bétonsalon, COMMISSARIAT GÉNÉRAL les sources des visuels présents dans le samedi 20 juin au samedi 25 juillet 2009 Cédric Libert, catalogue et de régler les droits relatifs aux Architecte PARTENAIRES MÉDIA illustrations conformément aux prescrip- www.especesdarchitecte.be tions légales. Dans le cas où certaines d’en- COMMUNICATION GRAPHIQUE tre-elles auraient échappé à leur vigilance, Renaud Huberlant, ils prient les ayants droit de les contacter de Enseignant à l’École de recherche graphique façon à régulariser la situation. à Bruxelles A+ revue belge d’architecture Contact : [email protected] Floriana Da Silva, Emily Delmiche, Gregory Espèces d’Architecte tient à remercier : Dapra, Gauthier Dewez, Étudiants d’a Marie-Dominique Simonet, Vice-Présidente et Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des Relations Internationales de la Communauté française Wallonie-Bruxelles 22 Beaux Arts magazine 23 EA ESPÈCES D’ARCHITECTE LE PASSE-MURAILLE

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