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LE CENTRE DES MUSIQUES TRADITIONNELLES RHÔNE-ALPES ET FRÉMEAUX & ASSOCIÉS PRÉSENTENT UN COFFRET DE 3 CD : PLACE DU PONT PRODUCTION FA 5394 FA 583 FA 5430 LYON RAÏ - CHAOUI STAIFI CHAÂBI - KABYLE MALOUF FA 5412 FA 5260 FA 5396 1972-1998

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ATLAS SONORE RHÔNE-ALPES N° 23 - CMTRA PLACE DU PONT PRODUCTION LES MUSIQUES POPULAIRES DU MAGHREB À LYON (1972/1998)

1/ LA CASSETTE, FER DE LANCE d’un Eldorado en pleine expansion : le marché de la DE LA DIFFUSION DES MUSIQUES musique de bars et de mariages. DU MAGHREB EN FRANCE Leur musique multiforme et fraternelle, directement en prise avec la réalité quotidienne et tout ce qu’elle char- Introduction rie de douleurs, de fascinations ou de revendications, Depuis les années 1950, les cafés de la « Place du relève d’une créativité particulière. On retrouve en effet 1 Pont » du quartier de la Guillotière, ou de la Croix- une diversité de chansons populaires à la fois algé- Rousse à Lyon, ont joué un rôle social fondamental riennes, marocaines et tunisiennes : chaâbi, raï, malouf, pour plusieurs générations de migrants et ont contribué staifi, chaoui, kabyle… Fréquenter les mêmes lieux, singulièrement à l’émergence d’une musique de l’exil. jouer ensemble pour l’enregistrement d’une cassette Ces lieux ordinaires, espaces de solidarité, de détente et et utiliser des instruments électriques (synthétiseurs, d’expression, ont permis de panser la douloureuse boîte à rythmes, guitare, basse, etc.) provoque l’inven- expérience de la séparation. A l’instar de et Mar- tion d’une musique hédoniste et sans complexe, quasi seille, villes phares de la concentration d’exilés du expérimentale. Sans aucun doute une Maghreb, Lyon fut une plate-forme pour de nombreux avant l’heure ! chanteurs et musiciens. Certains s’installèrent définiti- Ainsi, en réponse à une forte demande du public Les cafés de Lyon, DR vement dans la ville. D’autres, victimes de la célébrité consommateur de chansons du Maghreb, toute une éco- d’occasions sans cesse renouvelées de diffusion publique Rachid Staifi, Omar El Maghrebi, Amor Hafsouni, Azzi de leurs chansons véhiculées par les cassettes ou le nomie musicale se construit dans les années 80 à Lyon, (bars, galas) et privées (mariages, baptêmes, anniver- Kaddour, Mokhtar Mezhoud, Cheb Rabah El Maghnaoui, vibrant « téléphone arabe » de la communauté, conti- Paris et Marseille. La cassette est un succès. Totalement saires). Cheb Slimane, Cheb Kouider, Tazi Boukhari, Cheb nuèrent leur périple sur Paris et Marseille, en quête délaissée des médias et de l’industrie officielle, en marge Chabati, Jamal Estaïfi, Salah El Guelmi, Louiza, Rachida, des circuits de diffusion classique, elle représente un Une mosaïque de styles musicaux Chaba Nacera… A la fin des années 90, on estime à une 1. La « Place du Pont », a été rebaptisée en 1947 « Place Gabriel Péri ». Certains habitants, commerçants du quartier et beaucoup d’immigrés marché étroit mais vivace, qui surprend par sa producti- Tous les styles représentatifs de la diversité des musiques cinquantaine le nombre d’hommes et de femmes jouant qui fréquentent cet espace continuent cependant de l’appeler« Place vité, sa souplesse et la diversité de ses offres. Elle laisse populaires algériennes, marocaines et tunisiennes, sont régulièrement dans les bars, dont la moitié a enregistré du Pont », un nom donné à l’époque où le pont de la Guillotière, entrevoir aussi un riche réseau social et culturel, consti- représentés dans les productions cassettes lyonnaises : au moins une cassette. Plus des trois-quarts d’entre eux initialement en bois, commençait à cet endroit, traversait le Rhône, et chaabi, raï, malouf, staifi, chaoui, kabyle, sraoui… sont d’origine algérienne, mais on retrouve aussi des se terminait sur la presqu’île de la ville de Lyon à proximité de la place tué de lieux d’enregistrements, de maisons de produc- Bellecour. tion, d’espaces de vente des produits musicaux, et Quant aux musiciens : ils s’appellent Zaïdi El Batni, musiciens marocains et des musiciens tunisiens. Consé-

2 3 quence immédiate commerciale du raï sont retournés au pays, notamment les femmes, large- concert, sont sollicités par les producteurs lyonnais de l’exil, les musi- et des musiques ka- ment minoritaires sur le plan des productions phono­ pour faire des cassettes qui seront vendues localement. ciens, loin de chez byles, tirées hors de graphiques (Louiza ou encore Naëma Dziria, qui a Moins médiatisé, moins visible, officiant dans les cir- eux, se forgent des leurs terroirs d’ap- commencé sa carrière à Lyon). Il y a ceux qui ont été cuits informels et privés de la ville, le milieu des noms de scène à partenance et pro- expulsés. Il y a également ceux qui habitaient Lyon, mais musiques du Maghreb à Lyon apparaît ainsi, « modeste partir de leur lieu pulsées sur la scène consacraient l’essentiel de leur activité musicale à Paris, et génial » selon la formule empruntée à Daniel d’origine ou de leur internationale par ville à maints égards bien plus structurée en terme de Mermet ; c’est à dire sans prétention, poussé par l’envie genre musical de des grandes­ figures débouchés professionnels pour les musiciens. Inverse- de jouer ensemble, de s’exprimer et de vivre leurs prédilection. Ainsi comme et ment, il y a aussi les chanteurs connus d’Algérie, du aventures communes dans le rythme des bendhir et des de la région de Sétif, Idir. La compilation Maroc ou de Tunisie, qui de passage à Lyon pour un darbouka, des nappes de synthétiseurs et des sonorités on retrouve les « Place du Pont » Les portes du quartier, le pont de la Guillotière (Photo Th. Carrage/CMTRA) musiciens Nordine nous ouvre sur des Staïfi, Amar Staïfi, répertoires popu- Cheb Jamal Estaïfi, laires liés à des aires Farida Staïfia, Moha- La Place du Pont Aujourd’hui (Photo Thomas Carrage/CMTRA) culturelles fortement med Staïfi, Rabah, Rachid, Samir ou encore Abde- localisées, et sur des musiques minorées, largement louahab Staïfi.De Batna : Zaïd el Batni. Du village de mé­connues­ du public français. Chaabat El Ham, dans la région oranaise : Hocine Chabati et Cheb Chabati (dit, le jeune). De Guelmia : La Place du Pont : lieu de convergences Salah el Guelmi. De Maghnia : Rabah el Magh­naoui. Un Par scène lyonnaise, nous entendons les musiciens qui seul artiste semble porter haut et fier une identité natio- ont été édités par les producteurs-éditeurs de la Place nale et transnationale, Omar el Maghribi (le marocain), du Pont et qui, bien que sollicités partout en France mais qu’il écrit aussi El Maghrebi (le maghrebin), signi- dans les réseaux des communautés nord-africaines de fiant par ce choix, qu’il ne joue pas exclusivement un France, ont animé, nourri, enrichi la vie musicale de style régional, mais qu’il intègre dans sa musique la Lyon et de ses environs. diversité des musiques populaires du Maroc et du Il y a bien sûr, en premier lieu, les musiciens habitants Maghreb. de Lyon, ceux que l’on retrouve encore aujourd’hui aux Si la ville de Paris attire les stars de la musique abords des commer­ces ou des cafés de la Place du Pont. classi­que arabe, les musiciens des styles chaâbi et Enracinés de longue date dans l’agglomération, ces kabyles, la scène lyonnaise est davantage marquée par musiciens ont choisi Lyon. Pour certains d’entre eux, ils les productions de musiques chaoui et staifi, en raison habitent la ville depuis plus de 40 ans. Il y a également des d’une forte immigration d’hommes et de femmes des musiciens de la région Rhône-Alpes, qui venaient éditer régions de l’Est algérien, en particulier des villes de à Lyon, car les producteurs et les studios n’existaient Sétif et de Batna. Plus confidentielles et familiales, ces pas dans leur ville, ainsi retrouve-t-on dans la sélection musiques n’ont pas connu la destinée médiatique et des musiciens stéphanois ou grenoblois. Il y a ceux qui

4 5 chaudes des accordéons et des zornas. Souvent ouvriers créations, sur le plan artistique et sur le plan écono- souvent en étroite connexion avec d’autres lieux de la semaine et artistes le week-end, le niveau de profes- mique, des exilés eux-mêmes. Bon marché, colorées, production parisiens et marseillais et avec les princi- sionnalisme de ces musiciens est variable, mais ils ont elles sont enregistrées, parfois en une journée, selon les pales capitales du Maghreb. Loin de l’image conven- en commun une énergie musicale sans pareil et une codes musicaux propres de l’époque : utilisation de la tionnelle des producteurs, les hommes qui gèrent ces forte volonté d’expression. réverbe, forte présence des synthétiseurs, conditions sociétés ont des parcours de commerçants inventifs, d’enregistrements proches de la prestation « live », voyageurs et transnationaux. En plus de leur activité de La cassette : un objet démocratique de diffusion chansons et airs instrumentaux parfois précédés de producteurs, ils sont aussi souvent simultanément édi- de chansons et de poésies messages parlés et d’interjections improvisées sur le teurs et distributeurs, mais aussi organisateurs de Le travail de valorisation de cette mémoire de l’exil moment. Réalisées à moindre coût, sans intermédiaire, concerts, disquaires, musiciens à leurs heures, ou s’oriente sur la cassette, cet objet démocratique de dif- elles sont très vite rentabilisées, malgré leurs prix de vente encore vendeurs au marché aux puces… Rois des fusion de chansons et de poésies, tombé en désuétude. (25 Francs). D’une durée moyenne de 40 minutes, elles réseaux informels et des opportunités commerciales, Le medium cassette, supplanté à la fin des années 1980 comprennent en général 6 titres, de 5 à 8 minutes. Leur ces producteurs sont parfois appelés « marchands par le CD, a constitué une véritable révolution aux pochette déploie une imagerie pop, et une iconographie de rêves » par les musiciens : « On appelait ça des débuts des années 1960. Véritable symbole de la culture souvent non dénuée d’humour. Nostalgiques ou provo- commerçants de rêves. Ils misent pour rapporter musicale des années 1970 et 1980, elle a accompagné catrices, elles mettent en scène le folklore de l’immigré gros, et parfois, on mange un os ! »2. Etre producteur, l’émergence d’une pop mondiale, marquée par l’in- avec valises de retour au pays, ou encore la soif de c’est avant tout construire un réseau de relation de fluence des technologies, comme l’enregistrement mul- succès de l’artiste qu’on aspire à devenir. chanteurs et de musiciens que l’on suit, que l’on aide tipistes vers la fin des années 1960, et l’arrivée du parfois et pour lesquels on investit de l’argent. C’est synthétiseur durant les années 1970 et 1980, et a per- ensuite financer l’enregistrement d’une cassette, orien- mis une circulation plus dense et plus facile des œuvres ter parfois la sélection des titres pour les faire corres- musicales. La musique nord-africaine n’échappe pas à pondre aux goûts et aux attentes du public. C’est enfin cette révolution. L’arrivée de la cassette accompagne s’occuper du pressage et de l’écoulement des stocks. l’invention des musiques maghrébines populaires Leur réseau de distribution est dense et savamment modernes, avec l’introduction progressive du synthéti- Azzi Kadour construit : de nombreux liens sont faits avec les maga- Magasin Saxe-disque, DR seur, des boîtes à rythme et de la guitare électrique, et sins des centres des grandes villes de France ou d’Algé- leur métissage avec des instruments et des airs tradi- rie (Quartier Barbès à Paris, Belsunce à Marseille). Si l’on retrouve autour de la Place du Pont, des distri- tionnels. Parfois, comme c’est le cas pour M. Mérabet, ils buteurs de maisons d’éditions parisiennes ou marseil- vendent eux-mêmes leurs cassettes dans les marchés, laises, les trois maisons d’édition locales les plus Produits à Barbès (Paris), Belsunce (Marseille), Paul K7 Place du Pont où ils se rendent en camion itinérant, ce qui leur per- prolifiques en production cassettes ont été : Bert (Lyon) mais aussi et surtout au « bled », ces petits met d’écouler directement leurs stocks dans toute la - La société l’Etoile Verte, gérée par M. Bachar, gérant objets plastiques s’échangent et s’achètent à la fin de la Les sociétés de production, disquaires et studios région. La Place du Pont reste la plate-forme autour de franco-marocain et domiciliée au 24 rue Moncey Lyon journée de travail, dans les différentes boutiques de la A moins de 100 m de la place du Pont, des maisons laquelle toutes ces activités s’articulent. IIIe. Créée en 1985 à Lyon, la société a déménagé à Guillotière (Lyon), dans le quartier dessiné par les rues d’éditions ont produit, des années 1970 à 2000, des Paris, à la Goutte d’or en 1997. Reprise par le fils de M. Moncey, Villeroy et le cours de la Liberté, haut lieu des centaines de cassettes de musiciens marocains, algé- 2. Entretien avec Hocine Chabati (PB), le 05/01/2012, document Bachar, Nordine, elle existe aujourd’hui sous le nom de commerces orientaux à Lyon. Ces productions sont des riens et tunisiens locaux et nationaux. Ces lieux sont sonore, Fonds CMTRA/ Place du Pont Production Maghreb Musique.

6 7 - Les éditions Bouarfa et SEDICAV, sociétés gérées par dans l’aigu, il n’y avait jamais de grave. Je leur ai dit : Si les chansons abordent majoritairement les thèmes de quête d’une place acceptable dans la société française. Ouassini Bouarfa, gérant franco-algérien, domiciliées Pourquoi vous ne mettez pas une petite basse ? »3. l’exil et de la nostalgie du pays, de la famille ou de Par ce tour de force du groupe Carte de séjour, prémices au 16 rue Moncey Lyon IIIe, qui racheta ensuite les De fil en aiguille, il se met à jouer dans les mariages et l’amoureuse laissée là-bas, il arrive qu’elles parlent des textes sans concession et revendicatifs du rap, les catalogues des maisons Electro-disques, Pro­ partage avec eux de nombreux concerts. C’est également aussi, mais plus rarement, des conditions de vie dans le musiques de l’immigration se politisent, se décloison­ duction la voix en introduction de chaque cassette qui présente pays d’accueil : le travail, le chômage, la solitude, le nent et sortent de la clandestinité dans laquelle elles - Les éditions Mérabet, gérées par M. Mérabet, gérant les musiciens : « Les éditions Mérabet présentent… ». racisme, l’alcool. Comment ces musiciens ont-ils chanté étaient confinées. Elles accèdent aux médias de masse franco-algérien de la région de Sétif, aujourd’hui­ Son studio a aussi accueilli les artistes connus de Paris la France ? Comment ont-ils chanté Lyon, ses lieux, ses et au grand public. La relève d’une musique d’ici et de décédé, dont l’acti­vité se poursuit en Algérie à travers ou du Maghreb. C’est comme ça que le studio a enregis- ruelles, ses beautés et ses injustices ? Abbes Hamou, un maintenant, issue de l’exil, est en marche. son fils Slimane. Société domiciliée au 10 rue Marignan, tré et hébergé à plusieurs reprises Cheikha Remitti, musicien de la Place, cherche dans sa mémoire et dans le 3ème arrondissement. chanteuse raï de renom, ou encore la chanteuse de assène : « Jamais ! On ne chante que ce qui se passe Emprunts et réinventions Précédant les producteurs de cassettes, il existait dans hawzi et chaâbi, Naïma Dziria, qui est devenue célèbre de l’autre côté ! ». « La vie est en France, mais l’ima­ Comme toute musique populaire, ces productions les années 60 et 70 des sociétés d’édition des vinyles de par la suite en Algérie. ginaire est resté au pays… »4. Il est vrai que le senti- musicales viennent brouiller les repères habituels entre musiques orientales. Une recherche devrait se pour- ment de nostalgie s’exprime partout, de manière chants d’auteurs et musiques traditionnelles, reprises et suivre pour retrouver les producteurs et leur catalogue lancinante et obsessionnelle. Certains chanteurs cepen- créations musicales, avec au centre, une indifférence (Electro-disques, société de M. Zacaï, la Maison du 2/ LES CHANSONS : UNE MÉMOIRE DE L’EXIL dant, comme Zaïdi El Batni, Omar El Maghrebi, Amor joyeuse pour la question des droits d’auteurs, souvent Disque Oriental des frères Hassein, et JBP Records, Afsouni, poussés par le mécontentement croissant de la soigneusement éludée par nos protagonistes. studio de Jean-Baptiste Piazzano). Chants de l’exil, chants d’amour, revendications poli- jeunesse et l’exaspération causée par les inégalités, les Amor Afsouni et ses amis, dans leur françarabe, appelait tiques et chroniques du quotidien, ce patrimoine chan- discriminations sociales et les pressions xénophobes ces productions « les chansons beth ou cuisine : de la Quant aux studios qui ont accueilli les musiciens, l’un sonnier constitue de véritables témoignages de la s’ouvrent plus frontalement à l’actualité sociale et poli- chambre (beth, en arabe), tu vas à la cuisine ! »5, ce d’entre eux est fréquemment cité par les musiciens, c’est création en exil et de la situation de l’immigré. tique française. Ils annoncent et préparent le terrain au qui veut dire : « ça ne va pas très loin ! c’est vite fait » le studio 17, fondé par Jacques Castelli en 1983, et Si un grand nombre de ces chants perpétuent et réinter- groupe Carte de séjour (dont le chanteur est Rachid pour évoquer ces chansons sans variation, ni accord, implanté au 17 rue du Progrès à Villeurbanne. Ce studio prètent à leur manière les airs traditionnels, il arrive Taha), jeune groupe de la région lyonnaise qui en 1986, enregistrées rapidement dans un studio de la ville. d’enregistrement a accueilli toute la communauté des souvent que ces chanteurs endossent le rôle d’au- marquera une rupture importante avec leurs ainés de la Jacques Castelli, ingénieur du son, qui a vu passer de musiciens de Lyon et les artistes de passage de cette teurs-compositeurs. Leurs chansons témoignent d’une Place du Pont, en réinterprétant la chanson « Douce nombreux musiciens dans son lieu, le studio 17, époque, jusqu’au début des années 1990, où l’activité véritable intimité avec le vécu de l’exilé. Elles parlent de France », de . Avec la reprise et le détour- s’étonne encore aujourd’hui sur cette capacité à s’ap- s’est sérieusement ralentie. Le studio de Jacques accueil­ séparation, de déracinement, d’amour, célèbrent ou nement provocateur de ce fleuron du patrimoine musi- proprier les chansons des autres et s’interroge sur le lait tout le monde, « On se sentait un peu comme à la ironisent le mythe du retour au pays toujours présent et cal français, par leur volonté de s’exprimer en arabe, statut de ces œuvres : « Ils mettaient un couplet de maison. Les musiciens que nous aimions, qui étaient portent, parfois, une dimension politique et morale. mais également de s’ouvrir au français, le groupe Carte plus et ils disaient qu’ils avaient fait la chanson », passés avant nous, laissaient derrière eux une trace, Bluesmen du déracinement, chroniqueurs du quoti- de séjour, davantage marqué par le rock, les milieux faisant tout de suite le lien avec les premiers âges du quelque chose qui nous portait chance. Il y avait un dien, chansonniers des nouveaux chocs culturels, alternatifs et la culture de banlieue, entend bien signi- rock’n’roll où « Presley reprenait des standards du truc comme la Baraka » (Abbes Hamou). Si Jacques « pigeons-voyageurs » chargés de porter les messages fier que le retour des travailleurs immigrés au pays est blues, en signant ses compositions ».6 était sollicité en premier lieu comme ingénieur du son, d’une communauté séparée par la méditerranée ; ils un mythe et que la France devra désormais compter son rôle fut loin d’être réduit à cela. Ainsi, il lui arrive sont tout cela à la fois. pour longtemps avec une jeunesse affamée de droit, en 5. Entretien avec Amor Afsouni, (PB), le 27/01/12, document sonore, Fonds CMTRA/ Place du Pont Production souvent de pallier au manque de musiciens. On le solli- 3. Entretien avec Jacques Castelli, (PB), le 05/01/2012, document 4. Entretien avec Abbès Hamou et Cheb Kouider (PB), le 15/10/2012, 6. Entretien avec Jacques Castelli, le 05/01/2012, document sonore, cite rapidement comme bassiste. « Eux, c’était tout sonore, Fonds CMTRA/ Place du Pont Production document sonore, Fonds Place du Pont Production Fonds CMTRA/ Fonds Place du Pont Production 8 9 8 Régionalismes et métissages voix… » . « Comme on ne peut pas trouver un Les cafés de Lyon, Omar el Maghrebi, Fonds CMTRA, Maghreb à Lyon Dans les cafés, les musiciens des différentes régions Oranais qui chante bien du chaâbi, on ne peut pas d’Algérie, du Maroc et de Tunisie se côtoient, se ren- trouver d’Algérois qui chantent bien le raï »9. Il est contrent, jouent ensemble et progressivement assi- intéressant de noter que cette tension entre les tenants milent leurs répertoires respectifs. On y retrouve toutes de styles régionalistes (les puristes) et les adeptes de la les musiques du Maghreb : les musiques populaires fusion et de l’éclectisme musical, n’est pas propre aux liées à des aires culturelles localisées, les répertoires musiciens du Maghreb et se retrouve de manière récur- transrégionaux, arabo-andalou, classique arabe, sans rente, dans le monde des musiques traditionnelles. oublier le rock, la soul, la disco, les musiques de variété qui font rage à l’époque et influencent fortement ces musiciens. Amor Afsouni, originaire de la frontière 3/ LES THEMATIQUES DES CHANSONS algéro-tunisienne, chante les vertus de ces métissages nouveaux. « C’était vraiment un sacré mélange », CD1 : Exil et appartenances « Comme­ on dit chez nous, les mariages mixtes, font « L’exil partout, l’exil m’envahit » les plus beaux enfants ! »7. Amor Hafsouni situe ses propres innovations musicales dans la manière avec Dans le corpus des « cassettes Place du Pont » et plus laquelle ses amis et lui ont mélangé les musiques généralement, chez les chanteurs de cette génération, le chaoui algériennes et tunisiennes, aux sons des instru- récit de l’exil, l’expression des souffrances et des ments alors en vogue, comme la guitare électrique et les regrets, constituent la toile de fond de toute expression boîtes à rythme. Cette ode au métissage est tout de musicale et poétique. même à relativiser. Si tous les musiciens s’essayent à « Cette migration qui rend les gens si tristes/ Et qui, l’ensemble des répertoires et font de la polyvalence, de pour de bonnes ou de mauvaises raisons, nous la curiosité, de l’adaptabilité, une profession, il persiste éloigne de notre famille/ Ne conduit qu’à la souf­ des lignes de fracture entre eux. Certains musiciens france/ Et l’attente brûle en nous comme un feu » récusent cette propension à prétendre jouer tous les Mokhtar Mezhoud, Sois prudent (CD1, piste 9) styles et mettent en garde contre la possibilité d’être « Ces textes ne sont pas destinés à être compris par d’immigrés vers la culture d’accueil, le rapport sonne, expression de la fatalité même. L’exil se tutoie complètement polyvalent dans toutes les traditions la population d’origine culturelle française. Ils dramatique à l’idée de retour au pays, toujours et se convoque, on le maudit, mais on ne peut vivre musicales algériennes et maghrébines, si riches de relèvent d’une pratique d’intimité communautaire caressé, toujours reporté, l’autocritique du rêve ini­ sans lui : leurs diversités, de leurs histoires, et de leurs subtilités et sont des exutoires pour exprimer la déchirure tial du candidat à l’émigration et la certitude de « Oh Exil / Tu n’es pas mon pays / Et tu n’es pas ma cultivées. « Un chanteur sétifien­ ne peut pas chanter de l’exil, la séparation d’avec la famille et le pays mourir loin du pays natal »10 mère / Je reviens vers mes enfants / Prends patience » le raï à 100 %, il y a tou­jours quelque chose qui d’origine, l’éloi­gnement inéluctable des enfants L’exil : on l’habite, on s’y perd, il hante les corps et les Samir Staifi, El Ghorba (CD1, piste 11) manque. L’accent local, quel­que chose dans la esprits, il est littéralement partout, et en tout. Les chan- L’exil est également,d’une manière paradoxale et infi- 8. Entretien avec Cheb Lakhdar et Hocine Chabati (PB), 6/12/2012, sons sont des adresses douloureuses à l’exil en per­ niment poétique, un lieu. Un lieu maudit, mais familier, Fonds CMTRA/ Place du Pont Production à habiter psychiquement et littérairement. 7. Entretien avec Amor Hafsouni, (PB), le 27/01/12, document 9. Entretien avec Hocine Chabati (PB), le 05/01/2012, document 10. « Foutez-nous dehors ! Chants d’exil à Lyon », Jean Blanchard, sonore, Fonds CMTRA/ Place du Pont Production sonore, Fonds CMTRA/ Fonds Place du Pont Production Revue d’anthropologie L’ARA « J’habite l’exil / Mon cœur malade / Malade de soli­

10 11 tude », Salah El Annabi, Hata fi Annaba / (CD1, piste 10) bien de filles et de garçons se sentent perdus », chan- et les envolées kitsch des synthétiseurs, se cachent par- cueil et sur les discriminations dont ils sont victimes, « Ni père, ni sœur, ni oncle / Seul perdu dans l’exil », son qui va même jusqu’à remettre en cause en 1987, les fois des textes crus, sans concession, qui surprennent certaines chansons visent très directement les politiques Cheba Nacera, Ni mere, ni sœur (CD1, piste 15) prétendues valeurs intégratives de la France : obtenir la par leur puissance critique, leur rage. En effet, dès le de répression et de contrôle mises en place par les « Je suis dans l’exil / Je pleure et je crie / Exil, oh exil, nationalité française n’a rien changé ! Amor Afsouni milieu des années 70, le ton se durcit, annonçant déjà pouvoirs publics en France et qui dès 1972, ont mis en Chez toi, les miens sont absents » Samir Staifi, El ghorba (CD1, piste 6) : la virulence des chanteurs du rock alternatif des années place une immigration restrictive avec limitation des Exprimé d’une manière moins abstraite et métaphy- « J’ai laissé mon pays libre comme une étoile qui 80, et du rap des enfants des banlieues des années 90. accès sur le sol français, instauration de la carte de sique, l’exil peut prendre corps et s’exprimer à travers brille / Je me suis dirigé vers le pays des mécréants, Si ce type de compositions est largement minoritaire travail et de la carte de séjour, et les premières mesures l’amour d’une femme, restée au pays, dont on est dou- pays de la pénombre / Je le dis et je pèse mes mots : dans le corpus de chansons, certaines d’entre elles se d’expulsion et d’incitation financière de retour au pays. loureusement séparé. rien n’est important pour eux, ils n’ont pas d’inter­ démarquent singulièrement. Elles sont des charges cin- « Dans le métro ou dans le car. L’émigré est en danger. « Elle habite à Annaba, oh maman / Mon amour pour dits, leurs femmes trainent dans les rues ! » Franca y glantes contre le pays d’accueil et dénoncent sans Carte de séjour, carte de travail. Qu’est-ce-que ces elle me brûle / Aylali li ya mma / La petite m’a rendu a Franca, Zaïdi El Batni (CD 2, piste 5) détour l’ingratitude de la France, le manque de recon- contrôles en va-et-vient ? » J’en ai marre, Omar El triste / Donne moi de ses nouvelles, oh maman » Symétriquement, les attachements communautaires se naissance dont font l’objet les communautés d’immi- Maghribi (CD2, piste 1) Salah El Hannabi, Dans la ville d’Annaba(CD1, piste 10) réaffirment, douloureusement et rageusement : grés nord-africaines et les difficultés rencontrées au Zaïdi El Batni met en scène dans un sketch tragi- Mais c’est la figure de la mère qui, plus que tout autre, « Laissez-moi vous dire les raisons de mes larmes, quotidien, malgré les efforts : « On n’en peut plus de comique, deux personnes qui assistent en direct aux est convoquée pour dire la nostalgie. La chanson j’ai mal à mon kabyle » Kabyles, Smaïl (CD1, piste 14) l’exil. On en a assez d’être malmenés. Au moindre premières expulsions des immigrés du Maghreb (Dia- devient le lieu d’un dialogue avec la mère, qui parfois « Moi je suis arabe et fils d’une arabe (…) Tes ori­ problème, ils disent « les Arabes ! ». Et durcissant le logue : Les expulsions : CD1, plage 7) prend la forme d’une lettre : « Je rédige ma lettre, gines sont tes origines, Oh Youssef / Nos ancêtres ton : « Les Français nous haïssent : les vieux comme - « Ils disent que tous ces gens vont être expulsés au d’une écriture incertaine / Ne pleure pas ma chère nous l’ont dit depuis les temps anciens » Amor Haf- les jeunes. Ils n’ont aucune considération pour nous. bled ! » mère / Je remets notre chagrin à Dieu / Prends souni (CD1, piste 6) Ils nous traitent comme des chiens », Levez-vous les - « (…) Mon frère, surtout maintenant avec le Pen patience (…) Je suis dans l’exil / Ne pleure pas chère Et les chants célébrant la beauté des paysages, les hommes, Zaïdi El Batni (CD2, piste 2). « Qu’il s’agisse et Chirac, on n’a plus le droit à l’erreur. Si tu glisses, mère / Je ne te vois pas actuellement / Je retournerai charmes des femmes du pays et les identités régionales des Marocains, des Tunisiens et des Algériens. Ces tu es emporté par l’oued. » au pays lorsque je serais lassé / Prends patience » deviennent des hymnes emblématiques, nécessaires et trois-là sont méprisés ! » Franca ya Franca, Zaïdi El - « Wallah ! Aïssa, c’est la honte quand tu vois ça ! Samir Staifi, El Ghorba (CD1, piste 11) joyeuses, tel la célèbre « Batna ya Batna » (CD1, piste Batni (CD2, piste 5) Regarde, regarde, comment ils les embarquent ! » « Non maman, ne pleure pas, c’est mon destin / Le 3), chanson dédiée à la ville de Batna qui a été reprise Les chansons recensent et commentent les humiliations Des figures de la vie politique française émergent temps ne m’a pas permis d’être comme mes amis » par de nombreux chanteurs et qui réjouit encore les de tous les jours, elles font état d’un racisme émergent des chansons et sont souvent directement interpellées Omar El Maghrebi (CD1, piste 12) familles lyonnaises, originaire de l’Est algérien. dans une société française rongée par un nouveau mal, par les chanteurs : « Ras le bol du boulot et de la Avec Zaïdi El Batni ; le poids de la plainte se mue en le chômage : maison. J’en ai marre, j’en ai marre (en français). colère : « On n’en peut plus de l’exil. On en a assez d’être « Franca y’a franca. Qu’as-tu fait de ton peuple ? Tu L’émigré préfère Mitterrand à Rocard ». J’en ai marre, malmenés. Au moindre problème, ils disent : les CD2 : Chroniques politiques et sociales n’aimes les immigrés que pour leurs pelles et leurs Omar El Maghribi (CD2, piste 1). Arabes ! ». France et Algérie apparaissent alors comme « Levez-vous, levez-vous les hommes ! » pioches. Quand il y avait du travail. Tu aimais bien les « Levez-vous, levez-vous les hommes ! Ca suffit, cette deux pôles contradictoires et antagoniques, figés dans basanés. A qui tu donnais le travail ingrat. Maintenant vie ! Le chômage fait des dégâts. La France se moque une opposition manichéenne, avec comme point répulsif, Une chose est sûre, lorsqu’il s’agit d’aborder l’actualité qu’il n’y a plus de travail Tu nous dis : Fini. Terminé ! bien de nous. Le Pen a dit : Virez-les ! Marchais a dit : la France, pays de toutes les perditions et corruptions : politique et sociale, les chanteurs de la Place du Pont Rentrez dans votre pays ! Nous sommes devenus indé­ Laissez-les ! Chirac a dit : Combien on leur donne ? « Oh mes amis, invoquez Dieu et maudissez le diable n’ont pas la langue dans leur poche… Sous les rythmes sirables ». Franca ya Franca, Zaïdi El Batni (CD2, piste 5) Mais ils s’étaient mis d’accord sur notre compte » / Enfants de l’Arabie, la vie ici est traîtresse / Com­ festifs et les airs joyeux, derrière les mélismes des voix Au delà des critiques portées sur leurs conditions d’ac- Levez-vous les hommes, Zaïdi El Batni (CD2, piste 2)

12 13 La fin des dites « Trente glorieuses » et l’arrivée du chô- accueillent les musiciens et qui jouent un rôle fonda- mage en France suscitent inévitablement l’inquiétude de mental dans la vie quotidienne des premières généra- la montée du Front national « Ce que l’immigré a de la tions d’immigrés. Lyon ne possédait pas de cabarets peine, le pauvre ! Il a travaillé dans la mine et dans musicaux, ces lieux déclarés où les musiciens étaient l’usine. Aujourd’hui, il a peur de Le Pen. Un jour il payés et où le public était davantage mélangé. La vie rit, un jour il est triste ». J’en ai marre, Omar El musicale s’est développée, de manière officieuse mais Maghribi (CD2, piste 1). Dans une chanson au ton redoublée, dans ces petites échoppes qui ont été à Lyon humoristique et vengeur de Zaïdi El Batni, le chef du une sorte d’exception, par leur nombre et leur dyna- Front national apparait sous la forme d’un animal peu misme, par rapport aux autres grandes villes. flatteur : « Maintenant qu’il y a du chômage, ils nous Tout naturellement, dans la lignée des medahates et des montrent du doigt. Ils ont oublié le dur labeur que jeunes cheb du raï qui chroniquent la misère et l’alcool, nous avons enduré à l’usine et à la mine. Il y en a un ou d’un Slimane Azem, le barde kabyle ; les cafés, les qui bave sur nous. Comme le bouc qui salive et qui bars, les nuits de fêtes et de musique, deviennent un chevrote. Il devient tout rouge et il hennit comme un des sujets de prédilection des chansons. En porte-à- cheval ». Franca ya Franca, Zaïdi El Batni (CD2, piste 5) faux avec l’image pleine d’abnégation de l’ouvrier labo- En 1986, le passage à tabac de l’étudiant Malik Ous­ rieux, en rupture avec les codes et les valeurs des sekine par la police française est le crime raciste de sociétés musulmanes, les modes de vie des musiciens trop. Zaïd El Batni lui consacre une chanson édifiante, de la Place du Pont étaient insouciants et flambeurs, en qu’il enregistre dans les sirènes de police reconstituées un mot « rock’nroll » ; mélange de postures transgres- en studio et les cris de détresse des mères : « Malik sives, de charme et de glamour, de nuits blanches, de Malik, que ta mémoire soit bénie. Malik Malik, que concerts imprévus dans les cafés, de revenus au noir et ta mémoire soit bénie. Malik, tu es parti avec ton d’argent rapide, d’amitiés véritables et d’amours éphé- Lyon vu par... Les Bistrots, 1979, Robert Neumiller, inno­cence un matin. Et on t’a ramené mort à ta mères. C’est là une véritable culture underground qui a Copyright Bibliothèque municipale de Lyon famille. Malik Malik. Bien que tu aies pris la pris corps dans la ville, dont les musiciens et chanteurs nationalité fran­çaise. Fils d’un Arabe, tu es resté en sont les grands saltimbanques, « les troubadours »11 problèmes de la vie, les mirages de l’exil, chante les plai­ « Taleb, Marabout / Aide moi, rend moi service / L’Arabe. Malik Malik, que ta mémoire soit bénie » et « les fêtards »12. sirs et les excès ; elle est souvent rattrapée par les désillu- Aujour­d’hui je suis si mal / J’ai oublié mon pays, mes Malik y a Malik, Zaïdi El Batni (CD 2, piste 7) « Amène la bouteille, apporte-nous du réconfort. sions, le sentiment de culpabilité et s’exprime sous le frères et ma très chère mère (…) J’étais dans mon Guéris mon cœur, avec du whisky, du rouge, du sceau des lamentations et des regrets. Les chanteurs pays, heureux, à l’aise / Et maintenant les choses ont blanc » Je veux ma bien-aimée, Cheb Mimoum El expriment les contradictions de leur temps, s’inspirant changé / j’ai suivi mes amis / Je suis parti en exil / CD2 : Vie quotidienne ; Lyon, les bars, l’alcool, Oujdi (CD 3, piste 6). des épreuves et de leur déception : J’habite Paris / (…) Je survis. Alcool, jeux et bistrots les voitures… Si leur musique, hédoniste et sans complexe, aborde les / Les bars ont vidé mes poches / Je n’ai ni maison, ni « Guéris mon cœur, avec du whisky, « Arrose mon verre, arrose mon oncle, arrose mon 11. Entretien avec Abbes Hamou et Rabah El Maghnaoui (PB), le femmes, ni enfant/ J’erre d’hôtel en hôtel, et dans les du rouge, du blanc » verre, la misère me préoccupe. Tous les matins, je 05/11/12, document sonore, Fonds CMTRA/Place du Pont Production trouve ma poche vide ; je ne sais qui de Dieu ou de rues / Paris (…) Quand je suis saoul, j’ai peur même 12. Entretien avec Salah El Guelmi, Ali Driassa et Rachid Staifi (PB), A Lyon, à défaut de réseau de diffusion musical struc- le 27/04/2013, document sonore, Fonds CMTRA/ Place du Pont moi-même me fait souffrir… » Serre-moi un verre, de mon ombre/ Et je divulgue mes secrets à mes pires turé, ce sont les cafés communautaires maghrébins qui Production Omar El Maghrebi (CD2, plage 8) ennemis / Le sourire d’un inconnu m’inspire de la

14 15 chansons sont foncièrement joyeuses et festives, telle la minable / Tu fréquentes n’importe qui / Si tu étais chanson interprétée par Mokthar Mezhoud, « Elle est une enfant nous t’aurions pardonné… » ou dans la sortie de la salle de bain », qui consacre et célèbre la chanson Kountie Ghalia « Tout ce que tu as fait, je m’en jeune mariée : « Au crépuscule, les invités sont venus fous… » et « Apprends-moi l’Amour » d’Allamni Lagh­ / Ils nous ont apporté des cadeaux, et sont venus ram. Car en amour, les chanteurs ne sont pas en reste heureux / Elle est sortie de la salle de bain / Faites-lui pour exploiter leur expérience personnelle. Leur condi- les youyous / Sa beauté est grande et sa chambre sera tion d’hommes entre deux rives et de chanteurs admirés notre foyer » (CD3, piste 11). Les nombreuses chan- aux vies hédonistes et musicales leur ont ouvert de sons de séduction, comme « Je t’emmène, ma gazelle » nombreux cœurs. (CD3, piste 14), constituent aussi une matière privilé- Dans le domaine amoureux, encore et peut-être plus giée pour les danses et les réjouissances. qu’ailleurs, les clivages ethniques et religieux sont clai- Mais bien sûr, dans le domaine amoureux, le drame, les rement marqués et violement réaffirmés. Les chanteurs déchirements et la plainte ne sont jamais loin : « Je n’ai mettent en garde Fatima contre les « mécréants » et pas de chance / Celle que j’aime, ne m’aime pas en protègent leurs hommes des charmes éphémères de retour / Je n’ai pas de chance / J’ai tant pleuré / Si Jacqueline : « Jacqueline danse pour toi / Mais dans j’avais su que l’amour ressemblait à ça / Je ne les moments difficiles, elle t’abandonnera et te lais­ t’aurais jamais aimé (…) Celle que je n’aime pas, sera seul. Fatima ma sœur, je te conseille / Fais me suit partout / Et pour celle que j’aime, ma attention aux mécréants / Ils ne sont pas pour toi, ils bien-aimée / Je n’existe même pas (…) Delouli y a te sont interdits » Amory Afsouni, Obtenir la nationalite hbabi adrouli ya sahbi / Je me languis d’elle / Rongé n’a rien change (CD1, piste 6) d’inquiétude / Mon cœur ne connaît pas la paix » « Si je savais ce qui m’était arrivé / Je ne me serais Salah El Guelmi, Je n’ai pas de chance (CD3, piste 1) pas marié avec une roumi (femme non-musul­ Les cafés de Lyon, le Djerba, Amor Afsouni Derrière l’amour et l’amitié, se cache souvent un ami mane) qui m’a trahit / Je me marierai avec une méfiance / Celui qui me conseille et m’aide, dans cette chanson cruelle, teintée de douceur et de sournois, une femme traitresse, un complot diffus… arabe de la famille, pour me sortir de ma tristesse » m’inspire de la méfiance » Ya talab, Tazi Boukhari (CD tristesse, où musique et vie se confondent, pour dire le « Choufou choufou ! Voyez, voyez ! Nous nous faisons Tazi, Comment faire ? (CD1, Piste 13) 2, piste 9) lot commun du vécu immigré et témoigner de la mise du souci/ Pour celui que l’on a aimé / Choufou 404 Kahla (Peugeot 404 noir) du chanteur Tazi Bouk­ en place de nouveaux dispositifs d’exclusion. choufou ! Voyez, voyez ! Ils ont fait circuler des hari (CD2, piste 11), la dernière chanson du disque, a rumeurs / Ils m’ont jalousé par sa faute » Choufou connu un succès important en 1973, et est ici réinter- choufou, Omar El Maghrebi (CD3, piste 5) prétée. Il met en scène une arrestation et une garde à CD3 : Amour, amitié et trahisons Les chansons sont parfois le lieu de règlements de vue qui a eu lieu Rue Vauban (à côté de la place Gui- « Apprends-moi l’Amour » compte terribles des chanteurs avec leur compagne, les chard). S’en est suivi un jugement et une procédure chanteurs puisant alors dans leur propre vécu les d’expulsion qui a définitivement éloigné le jeune L’amour, volage ou sincère, naissant ou mature, heu- relents de leur drame. Ainsi des chansons autobiogra- homme de la France vers l’Algérie. Les rues de Lyon et reux ou malheureux, reste comme souvent, le thème phiques de Rabah El Maghnaoui, Li Dartilh : « Les gens l’histoire personnelle du chanteur sont ainsi mêlées favori et le plus universellement partagé. Certaines se rient de toi / Tu étais si précieuse et tu es devenue

16 17 4/ DES VIES EN MUSIQUE rissable sur cette période où leur raï s’épanouissait les paroles des chansons. C’est pourquoi il a arrêté de dans « les bas-fonds » de Lyon. Rabah menait « une vie jouer dans les mariages, pour continuer à jouer la Rabah El de troubadour ». « À l’époque, il se mariait le matin musique qui lui ressemble, plus introspective, plus Maghnaoui, le et il divorçait le soir… »13. Les chansons qu’il com- « adressée ». Omar reste fidèle à la musique qu’il aime, bluesman du pose sont étroitement liées aux événements de sa même si elle est devenue impopulaire aujourd’hui quotidien propre vie, ce qui confère à sa musique un caractère auprès du public de sa communauté, qui préfère à la Chanteur, accor- prenant, sincère, profondément émouvant. La référence gravité de ses textes, la légèreté des musiques à danser déoniste, joueur au blues américain, souvent convoqué pour ces chan- et des musiques d’ambiance. Deux grandes préoccupa- de synthétiseur, teurs de l’immigration, lui correspond particulière- tions traversent ses chansons : l’expression grâce à la Rabah est aussi ment. Ses chansons, directes, accablées, prosaïques, musique du sentiment de nostalgie, vécue, non comme compositeur de improvisées, sont bien celles d’un bluesman. Si dans les un poids, mais comme une forme de sensibilité particu- ses chansons. S’il mariages, il pratique les styles sétifiens, marocains et lière au monde : « La nostalgie : c’est être attentif aux a vécu essentiel- raï, lorsqu’il édite une cassette, il reste dans son style de Omar El Maghrebi, chanteur de l’exil autres, et à tout ce qu’on a fait avant », et comme lement grâce à la prédilection, le raï. Originaire du Maroc, de la région d’Agadir, Omar est vecteur de transmission : « On ne peut pas balayer le musique pendant Il a édité trois cassettes chez Mérabet.­ L’une d’elle a une arrivé en France en 1973, à Lyon, où il a travaillé chez passé d’un revers de la main. Le retour aux sources : une grande partie importance particulière pour lui, puisqu’elle a été com- Brandt. Chanteur, joueur de et de percussions, il faut que quelqu’un fasse ce rappel ! »15. de sa vie, il est posée lors d’un court séjour en prison, en 1983, alors Omar El Maghrebi est aussi auteur de ses chansons. aujourd’hui chef qu’il divorçait­ de sa femme. A la vue de cette cassette Il a édité 6 cassettes chez les producteurs de la Place Zaïdi El Batni, d’équipe dans le retrouvée dans le cadre des recherches « Place du Édition Mérabet du Pont, et plusieurs CD avec le CMTRA et le réseau chanteur nettoyage des Pont », Rabah, contre toute attente, se met à pleurer. FAMDT.14 engagé trains. Rabah est originaire du village de Maghnia, situé Tous ses titres chantent la douleur de la séparation, son Lorsqu’il évoque son rôle de musicien, Omar insiste Arrivé dans la ré- à une centaine de kilomètre sud-ouest d’Oran, proche désarroi. Kounti Ghalia (tu m’étais si chère) (CD3, piste toujours sur l’importance du texte ; le chanteur de l’exil gion stéphanoise de la frontière marocaine. Il joue un raï sensiblement 2), puis Li Dartih mssamhak (Je te pardonne), Termitte est avant tout porteur de messages, qui relient les gens en 1963, à l’âge différent du raï oranais, qu’il appelle raï aoroubi, « de fi blad ennass (Exilé, dans un pays étranger), Allamni à leur passé, à leur terre, à l’actualité sociale et à leur de 19 ans, Zaï­di la campagne », fruit d’un mélange avec les musiques laghram, Anna Mazelle Neskerie (Je me saoûle encore) propre intériorité. Le musicien joue le rôle d’un déclen- El Batni a com­ populaires maro­caines fron­talières de sa région d’ori­ et pour finir ; Almouk Tassekrie (On t’a appris à te cheur, d’un éveilleur de conscience. Il ne se reconnait mencé la musique gine. C’est à son arrivée en France en 1978, qu’il adapte saoûler). Si les paroles des chansons de cette cassette pas dans les évolutions récentes de la musique du en France, dans ce folklore­­ marocain­ originel­ ­lement joué à la zorna et sont nées de ce court séjour en prison, Rabah a impro- Maghreb, dominée par une utilisation abusive des les cafés-musi- à la gasba, aux sonorités­ de l’accordéon et synthétiseur,­ visé pendant l’enregistrement, laissant glisser par terre boîtes à rythme et par une indifférence généralisée pour caux alors pro-­ ins­truments auxquels­ il s’initie de manière autodidacte, la feuille où il avait écrit ses paroles. Ainsi viennent son 14. Éric Montbel, Richard Monségu, Marc Loopuyt . Musiciens du lifi­ ques­ de la à son arrivée­ en France. Sa vie est placée sous le sceau inspiration et ses mots, oralement, jamais fixés, rempla- Maghreb à Lyon. CMTRA, 1996. 1 disque compact, collection atlas région, avant d’être du raï ; celui de la misère, de la transgres­ ­sion et des cés par d’autres dès le lendemain. sonore contacté par M. amours malheureux.­ Celui des bars louches, de - Éric Montbel, Omar el Maghribi, Blaadi, Musiques du Maroc à Lyon, Mérabet, chez qui Modal édition, 1998, 1 disque compact, collection Plein Jeu Édition Mérabet l’alcool, de l’amitié et des nuits licencieuses. Abbes, son 13. Entretien avec Abbes Hamou et Rabah El Maghnaoui (PB), le - Jean Blanchard, « Foutez-nous dehors ! Chants d’exil à Lyon ». L’ARA, 15. Entretien avec Omar El Maghribi (PB), 2012, document sonore, ami, saxophoniste, guitariste et percussion­ ­niste est inta­ 05/11/12, document sonore, Fonds CMTRA/Place du Pont Production ethnomusicologie, mais encore, 2004, N°53, p.18-20 Fonds CMTRA/Place du Pont Production

18 19 il a enregistré plus de treize cassettes. Zaïdi El Batni, Amor Hafsouni, tunisiennes et algériennes » « On connaît la France, tout naturellement que, devenu musicien en France, aujourd’hui retraité, est auteur-interprète de ses chan- les vertus du au moins aussi bien que la Place du Pont ! », nous Salah est fréquemment sollicité par les familles juives sons : « J’écris moi-même mes chansons : soit sur métissage confie son ami Azzi Kadour. Ouvrier-cariste chez Berliet de Lyon et de Villeurbanne ayant trouvé refuge en l’immigration, sur l’amour, sur le président, sur les Amor Hafsouni est dès 1972, Amor restera dans cette entre­prise toute sa France après la décolonisation. Si Salah, comme la mariages, sur les fêtes, sur le racis­me… »16. Ses chan- le musicien le plus vie professionnelle. Il joue encore aujourd’hui en plupart des musiciens de la Place du Pont, sait jouer sons se distinguent par leurs contenus, souvent orientés prolifique de la France et en Tunisie, où il se rend régulièrement depuis toutes les musiques d’Algérie, c’est le malouf qui, sans sur l’actualité sociale et politique de la France et de Place du Pont et l’un que sa retraite lui permet de consacrer plus de temps à conteste, reste sa musique de prédilection. Musique l’Algérie. Ainsi se considère-t-il comme « un journaliste des plus populaires la musique. qu’il est par ailleurs le seul à jouer à Lyon parmi les qui écrit ». Tout ce qu’il vit, tout ce qui le révolte et ce auprès des familles musiciens de la Place du Pont, ce qui lui confère une qu’il veut dénoncer, sont matière à chansons : « Tu vis lyonnaises. Auteur de Salah El Guelmi, aura particulière, en raison de la gravité et de la dedans, tu vois ça matin et soir !! ». En introduction à plus d’une vingtaine la voix du sentiment noblesse accordé à ce genre musical, syncrétisme ori- ses chansons, il compose des petites saynètes tragiques de cassettes à Lyon, Salah El Guelmi est ginal des musiques orientales et andalouses, et des et burlesques, qui parlent de manière très crue, mais son parcours est arrivé en France en musiques populaires et savantes. avec un sens étonnant d’auto­dérision, des difficultés emblématique à 1969, d’abord dans la Le malouf, « C’est véridique ». « Ce n’est pas donné à rencontrées par les immigrés. (Noudou yaradjala/Zaïdi bien des égards. Drôme, puis en Alsace, n’importe qui le malouf. Il faut une voix. Il faut El Batni : CD2, piste 2) D’origine­ tunisienne,­ avant d’arriver à Lyon. donner l’âme… (Roh, en arabe) et tenter d’expri­ il commence à pratiquer la musique chaoui lors de son C’est à Metz que Salah mer ce que l’on ressent au plus profond. »18 Le chan- [Coup de sifflet du gendarme] arrivée en France en 1967, encouragé­ par les compa- achète sa première gui- teur est le vecteur de la résonnance forte et profonde « Eh Mohamed, tes papiers ! Tu es touriste ou immigré ? gnons des cafés qu’il commençait alors à fréquenter. tare, dont il apprend qui émane de lui. Son but ultime étant de « faire - Immigré Autant par goût personnel pour le mélange et la ren- à jouer seul, grâce à pleurer les gens ». « La chanson qui ne me donne pas - Tu as travaillé en France ? contre, que par sens de l’opportunité commerciale, il son « oreil­le musi- la chair de poule, je ne la prends pas. Si c’est triste, - Ça va faire 22 ans s’ouvre aux musiques­ algériennes et plus largement, à cale », avant de s’initier il faut que je la chante ! » Le caractère autodidacte de - Et maintenant qu’est ce que tu fais ? l’ensemble des musiques populaires du Maghreb : « Je au oud, son instrument ce musicien est une marque de fabrique et détermine - Je suis en chômage depuis six mois fais des mélanges, des mixes, entre le chaoui, le Oran Production de prédilection. Salah son rapport au monde. Ainsi en est-il éga­lement des - Et tu es encore là ! Mais il faut rentrer Mohamed ! sétifien, le tunisien, le constantinois, l’oranais et vient de Guelma, une ville proche de la frontière tuni- différents métiers qu’il a exercé dans sa vie ; chauffeur (en arabe) Ah saha ya rabi ! 22 années de travail en l’ouest algé­rien ! »17. Chanteur de charme, ses textes sienne, où le malouf a pris racine, imprègne la vie poids lourd ou encore réparateur auto­didacte d’appa- France. Six mois de chômage. Et on me dit : « Rentre parlent d’amour et sont destinés aux plaisirs de la fête quotidienne, et marque profondément ses souvenirs reils électro-ménagers, métier qu’il exerce encore dans ton pays ! ». Nous les chômeurs, comment nous et à la danse. Fortement sollicité dans les fêtes fami- d’enfant. Si le malouf est la musique classique, ara- aujourd’hui. Salah ne chante plus qu’à de rares occa- aiment-ils ? Dans un avion qui nous ramènera au liales et dans le réseau associatif, ses week-ends sont bo-andalouse du Maghreb, Salah n’a pas pourtant sions : « Dans tous les domaines, il y a un début et pays ! La police nous chasse. Chirac et Le Pen en dédiés à la musique, dans les cafés de Lyon ou en bénéficié d’un apprentissage musical formalisé, qu’il une fin », raconte-t-il. D’ailleurs ; « On ne chante rajoutent. Chirac : je suis pas venu mendier chez toi ! tournée en France selon les sollicitations du moment soit familial ou dispensé par les écoles de musique plus ! Avant, les anciens comprenaient les chansons, « On a fait le tour de France dans les années 80 avec andalouse de sa ville. Elément significatif, dans les ils vivaient vraiment les paroles ! » « A qui voulez- ces chansons, on a joué dans toutes les associations villes de Guelma et de Constantine, le malouf a bénéfi- 18. Entretien avec Salah El Guelmi, Ali Driassa et Rachid Staifi (PB), 16. Entretien avec Zaïd El Batni (PB), le 26/11/12, Fonds CMTRA/Place 17. Entretien avec Amor Hafsouni, (PB), le 27/01/12, document cié de fortes influences de la communauté juive, qui le 27/04/2013, document sonore, Fonds CMTRA/Place du Pont du Pont Production sonore, Fonds CMTRA/ Place du Pont Production était alors importante dans ces deux villes. C’est donc Production

20 21 vous chanter aujour­d’hui ? Les jeunes ne parlent duites à Lyon (500 à 1000 documents) en vue de leur Fihate les musiciens de la Place ! même plus arabe ! »19 numérisation et de leur documentation. En complément Rachid Staifi, Ali Driassa, Cheb Makhdar, Cheb Kouider, de ce coffret 3CD, une exposition aura lieu du 1er avril Amor Afsouni, Kader Bettahir, Bourouba le joueur de Regrets : 2014 au 26 juillet 2014, aux Archives Municipales de zorna, Chaba Nacera, Louiza, Hocine Chabati, Cheb Tous les musiciens ne sont malheureusement pas repré- Lyon, institution qui accompagne avec un grand intérêt Chabati, Cheb Mounir, Cheb Rabah el maghnaoui, Cheb sentés dans ce coffret, faute de place et de ressources cette initiative. Ce sera ainsi l’occasion de faire décou- Salah El Annabi, Salah El Guelmi, Mokhtar El Jemmali, disponibles. Nous aurions aimé particulièrement vrir aux Lyonnais un aspect méconnu de l’héritage Omar ElMaghribi, Cheb Mimoum el Oujdi, Jamal Estaïfi, inclure dans ce coffret les musiciens Cheb Kouider, qui musical de l’immigration nord-africaine en France et de Abbes Hamou, Azzi Kaddour, Louiza, Ali Mebdouche, Famille Mezhoud, Smaïl Benacer, Nordine Staifi, Djamel habite dans le quartier Gerland à Lyon, et le guitariste contribuer à une transmission des mémoires liées aux Staifi, Rabah Staifi, Amar Staifi, Abdelwahab Staifi, Samir Amrani, aujourd’hui décédé. Ces deux musiciens ont immigrations locales et à leurs apports dans l’univers Staifi, Tazi Boukhari, Azzi Kaddour, Abbes Turqui, Zaïdi el fait partie du mythique et fascinant El Azhard, groupe culturel de la ville. Batni, Ben le percussionniste, Achek Lounes (dit Michel qui a révolutionné le raï des années 70. Ils sont arrivés A l’heure où les musiques du monde font partie inté- musicien), Jacques Castelli (Studio 17)… dans la région lyonnaise en 1981, après avoir trouvé un grante de notre paysage musical et où le patrimoine travail dans le cuir, pour l’un, et dans le textile, chez musical du Maghreb est à l’échelle nationale, progres- A toutes les personnes qui nous ont aidé à reconstituer les Hermès pour le deuxième. Si le groupe a joué fréquem- sivement mis à jour et réapproprié par les nouvelles fils de cette histoire fragmentée, à l’aide de leurs souvenirs, ment à Lyon, nous n’avons malheureusement pas générations (Rachid Taha, ONB, Mouss et Hakim…), de leurs contacts, de leur archives personnelles ou de leur retrouvé les cassettes éditées à Lyon, qui existent pour- ces productions musicales locales constituent des réflexion et conseils : tant, selon nos informations. témoignages uniques sur le quotidien des premières Zaidi El Batni, Édition Mérabet Aimed Moussa (maghrebunion), Lahcène Messahli et Laura Nous regrettons également de n’avoir pu représenter, générations de migrants. Loin de l’image mutique, pas- Crédits : Bourdin (Association Awal), Michel Wilson, Samia Chougui, faute d’archives cassettes, la grande chanteuse kabyle sive et pleine d’abnégation des travailleurs immigrés de Directrice de la publication et recherches : Mohammed Chellali, Nacer Hamzaoui, Salah Gaoua, Chris- Louiza, qui a longtemps habité Lyon avant de repartir en la première génération, ces enregistrements témoi­ Péroline Barbet tophe Simplex (Inoxydable Record), Anna Ceccaldi Brault Algérie. Elle a notamment écrit une chanson sur la gnent, au contraire, de la grande inventivité de ces Responsable de collection : Yaël Epstein (Studio JBP), Mohand Amalloul, Kamel (Radio Pluriel), Place du Pont, que nous recherchons toujours. hommes de l’ombre, et d’une soif d’expression qui a Production : CMTRA Malika (Radio Diot), Hafid (Radio Salam), Abdelaziz El trouvé ses lieux, constitué ses propres dispositifs et Textes : Richard Monségu (introduction), Péroline Barbet Malki (Mouna Musique, rue Moncey), Boualem, Armand Bahadourian (Epicerie Bahadourian), Hafid (Bahia Les rendez-vous 2014 de Place du Pont : une réussi à satisfaire un public nombreux et passionné, Traduction : Chems Amrouche, Salah Gaoua, Nacer Hamzaoui, Brahim M’Sahel, Mourad Laangry Music), Kais Zaghdoudi (vendeur), Vasco Puddu, Nadia édition, une exposition sans assistance, ni reconnaissance officielle du pays Sebihi (Maison des passages), Association Génériques, Le CMTRA, association régionale, souhaite jouer un rôle d’accueil. Ils témoignent d’une diversité de pratiques et Assistante de recherches : Chems Amrouche Numérisation et archivage : Chems Amrouche, Damien Taillard (Phocéphone), Naima Yahi (Pangée de passeur de ce patrimoine musical à travers le projet d’expression foisonnante, et sont les témoins de métis- Network), Hafid (Bahia Edition) Place du Pont Production. Ce travail de recherche, initié sages musicaux importants, porteurs d’identités nou- Baudoin Desarbre, Alexandre Seli en septembre 2012 a commencé par l’état des lieux, et velles, encore à l’œuvre aujourd’hui. Fonds de cassettes utilisés : Richard Monségu, Christophe Simplex, Flavien Taulelle, Abbes Hamou, Un immense merci aux éditeurs M Ouassini Bouarfa, la constitution des fonds de cassettes et de 45 tours de Péroline BARBET Aimed Moussa M Bachar père et fils et Slimane Mérabet qui ont rendu ce l’ensemble des cassettes de musiques du Maghreb, pro- Exposition aux Archives municipales de Lyon Mastering : Pierrick Bacher projet possible. Et à Benjamin Vanderlick et à Richard Mon- du 1er avril au 26 juillet 2014 ségu, complices des débuts. 19. Entretien avec Salah El Guelmi, Ali Driassa et Rachid Staifi (PB), Editorialisation : Augustin Bondoux le 27/04/2013, document sonore, Fonds CMTRA/Place du Pont Licencié à Groupe Frémeaux Colombini Production © FRÉMEAUX & ASSOCIÉS 2014 Fabrication et distribution : Frémeaux & Associés

22 23 PLACE DU PONT PRODUCTION (Atlas sonore Rhône-Alpes n°23 – CMTRA) MAGHREB POPULAR MUSIC IN LYON (1972/1998) Le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes Association régionale installée dans la Ville de Villeurbanne, le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes oeuvre 1/THE CASSETTE, SPEARHEAD OF THE SPREAD (synthesizers, rhythm-boxes, guitar, bass etc.), brought depuis plus de vingt ans à la promotion des musiques traditionnelles, des musiques « du monde » et des différentes cultures de l’oralité, sur l’ensemble de ce territoire. À travers ses missions de recherche, de mise en réseau et de diffu- OF MAGHREB MUSIC IN FRANCE about the invention of a form of music that was hedo- sion, il participe à la reconnaissance des patrimoines culturels immatériels, à leur médiation auprès des publics, à nistic and without complex, quasi-experimental. There l’accompagnement de la création artistique et de la transmission. Introduction can be no doubt that this was world music before its 1 Riche de 23 numéros, la collection « Atlas sonore » présente les cultures musicales de la région Rhône-Alpes : des Ever since the Fifties, the cafés on the “Place du Pont” time! And so, in reply to the strong demand coming répertoires de tradition orale des Alpes, aux chansons en langue francoprovençale, jusqu’aux musiques migrantes des in Lyon’s La Guillotière quarter or those in Croix-Rousse from an audience wanting songs from the Maghreb, an villes de notre région. www.cmtra.org have played a fundamental social role for several gener- entire music economy was built in the Eighties in Lyon, CMTRA : 77 rue Magenta, 69100 Villeurbanne - Tél. : 04 78 70 81 75 - [email protected] ations of immigrants, singularly contributing to the Paris and Marseilles. The cassette was a success; totally emergence of a music of exile. These ordinary places, abandoned by the media and the official record-indus- spaces for solidarity, relaxation and expression, dressed try, and situated in the margins of traditional distribu- the wounds of the painful experience of separation. tion, it represented a narrow but vivacious market Following the example of Paris and Marseilles, the which surprised by its productivity, flexibility, and diver- major cities where Maghreb exiles were concentrated, sity of choice. It also allowed a glimpse of a rich, Lyon was a platform for numerous singers and musi- socio-cultural network made up of places for record- cians. Some settled permanently there; others fell victim ing, production companies, outlets selling music prod- to the fame of their songs and continued their journey ucts, and constantly-renewed opportunities for the to Paris and Marseilles, in search of an Eldorado that spread of the music both publicly (in bars and con- grew constantly: the market for music which bars and certs) and privately, at weddings, christenings and weddings represented. anniversaries. Their multiform and fraternal music — it had its finger on the pulse of everyday reality and all that it carried by A mosaic of musical styles way of grief, fascination or demands — was particu- The cassettes produced in Lyon represent the diversity larly creative, containing a wide variety of popular of popular Algerian, Moroccan and Tunisian music, songs that were at once Algerian, Moroccan and Tuni- played in styles like chaabi, rai, malouf, staifi, Shawia, sian, played in the chaabi, rai, malouf, staifi, Shawia or Kabyle, sraoui or Sahrawi, etc. As for the musicians, Kabyle styles… Gathering in the same places, playing there were Zaïdi El Batni, Rachid Staïfi, Omar El together to record cassettes, using electric instruments Maghrebi, Amor Hafsouni, Azzi Kaddour, Mokhtar 1. The “Place du Pont” was rechristened “Place Gabriel Péri” in 1947. Mezhoud, Cheb Rabah El Maghnaoui, Cheb Slimane, Some of the inhabitants, however, together with shopkeepers and Cheb Kouider, Tazi Boukhari, Cheb Chabati, Jamal many immigrants who have their haunts there, continue to refer to it Estaïfi, Salah El Guelmi, Louiza, Rachida, and Chaba as the “Place du Pont”, the name given to it in when the Pont de la Guillotière was constructed to bridge the Rhone, with its other end on Nacera... At the end of the Nineties it was estimated that the peninsula of the city close to Place Bellecour. around fifty men and women were playing regularly in

24 25 Lyon’s bars, and that at least half of them had already The “Place du Pont”: a place of convergence musical works. The music of North Africa was no excep- While the Place du Pont was also home to distributors recorded at least one cassette. As an immediate conse- By “the Lyon scene” we mean the musicians whose work tion. The arrival of the music cassette accompanied the representing the publishing-houses in Paris or Mar- quence of their exile, the musicians, far from home, was issued by producer-publishers located at the Place invention of modern Maghreb popular music forms with seilles, the three most important local publishers gave themselves stage-names based on places of origin du Pont, and who — even though they were solicited the progressive introduction of the synthesizer, rhythm- involved in cassette production were: or preferred music styles. From the Sétif region, for everywhere in France’s North-African communities — boxes and electric guitars, and the cross-breeding of - The company L’Etoile Verte, managed by M. Bachar, a example, one could find the musicians Nordine Staïfi, nourished, gave life to and enriched the musical life of these with traditional instruments and songs. Franco-Moroccan living at N°24 rue Moncey, 69003 Amar Staïfi, Cheb Jamal Estaïfi, Farida Staïfia, Mohamed Lyon and its region. Less present in the media and so These productions are the creations, both artistically Lyon. Created in 1985 in Lyon, the company moved to Staïfi, and also Rabah, Rachid, Samir or Abdelouahab more invisible, officiating in the city’s private and infor- and economically, of the exiles themselves. Inexpensive Paris in 1997, to premises in the Goutte d’Or quarter. Staïfi. Zaïd el Batni came from Batna, and from the vil- mal circuits, the milieu inhabited by the music of the and colourful, they were recorded, sometimes in a sin- The business was taken up by M. Bachar’s son Nordine, lage of Chaabat El Ham near Oran there were Hocine Maghreb in Lyon appeared modest and fantastic, to gle day, according to the musical codes proper to the and its name today is Maghreb Musique. Chabati and Cheb Chabati (called “the youngster”). use the term coined by Daniel Mermet; in other words, period: use of reverb’, a strong synthesizer presence, - The publishers Editions Bouarfa and SEDICAV, compa- Salah el Guelmi was from Guelmia, and Rabah el a milieu without pretention, whose musicians were recording conditions close to those of a “live” perfor- nies managed by Ouassini Bouarfa, a Franco-Algerian Maghnaoui from Maghnia. Only one artist seems to have motivated by the desire to play together and express and mance, and with songs and instrumentals sometimes living at 16 rue Moncey, 69003 Lyon; they later pur- proudly carried a national and transnational identity, live their mutual adventures to the rhythms of bendirs preceded by spoken messages and interjections impro- chased the catalogues of the firms Electro-disques and Omar el Maghribi (“the Moroccan”), but he also styled and doumbek drums, accompanied by layers of sound vised while recording. Produced as cheaply as possible, Oran Production. himself El Maghrebi (“the Maghribi”), taking that from synthesizers and the warm timbres of accordions with no intermediaries, they were rapidly profitable - The publishers Editions Mérabet, managed by M. choice to mean that he did not play exclusively in a and zurnas. The musicians varied in professionalism despite their selling-price (some 25 Francs). Lasting an Mérabet, a Franco-Algerian from the Sétif region, today regional style, but that his music integrated the diversity — they were often labourers during the week and art- average of 40 minutes, they generally included 6 titles deceased; the firm’s activities continue today in of the popular music both in and throughout ists only at weekends — but they had in common a lasting between 5 and 8 minutes. The inserted jacket under M. Mérabet’s son Slimane. The company was the Maghreb. musical energy that was unrivalled and shared the same, used pop imagery and its iconography was often not registered with the address 10 rue Marignan in Lyon’s While the capital attracted the stars of Arab classical strong desire for expression. without humour. Nostalgic or provocative, these sleeves 3rd Arrondissement. music and musicians playing in chaabi and Kabyle styles, staged the imagery of the immigrant: the return home with Marseilles featuring the stars of rai, the scene in The cassette: a democratic object for the spread carrying a suitcase, or the budding artist thirsting for As for the studios, one of them frequently mentioned by Lyon was marked more by chaoui and staifi productions of songs and poems success. musicians was Studio 17, founded by Jacques Castelli due to the high number of male and female immigrants Preserving the values of these memories in exile was in 1983 and based at 17 rue du Progrès in Villeur- from eastern Algeria, and the cities of Sétif and Batna in achieved by means of the music cassette, that democratic Production companies, banne. This recording-studio welcomed the entire particular. More confidential and family-oriented, the object (now obsolete) which diffused songs and poems. record-dealers and studios musicians’ community in Lyon at the time, including music from the latter regions didn’t meet with the same The cassette medium, supplanted at the end of the Eighties Far from the conventional producers’ image, the man- visiting artists, up until the beginning of the Nineties, commercial or marketing destinies as rai or Kabyle by the CD, constituted a genuine revolution when it was agers of these firms had the backgrounds of inventive when its activity slowed considerably. Jacques’ studio music, which were propelled onto the international introduced in the early Sixties; as a genuine symbol for shopkeepers who travelled transnationally. In addition gave a welcome to everyone. If he was solicited above scene by such great figures as Khaled and Idir. The music culture in the Seventies and Eighties, the cassette to their production-activities they were often at the same all as a sound-engineer, his role was in fact much “Place du Pont” compilation opens our ears to popular accompanied the emergence of a pop that was global. time publishers and distributors, concert organizers, greater, and he would often make up for the absence of repertoire with links to highly-concentrated cultural Marked by new technologies — multi-track recordings record-dealers, occasional musicians or even people a musician; he became a sought-after bass-player, play- localities and minorities little-known to the French in the late 60s, synthesizers in the 70s and 80s — the with stands at the flea-market… ing with musicians at weddings and numerous con- public. cassette permitted an easier, more dense circulation of certs. He also provided the voice on each cassette

26 27 which introduced the musicians: “Les éditions Méra­ and the exasperation caused by inequality, social dis- bet present…” His studios also welcomed well-known crimination and xenophobic pressures, tackled French artists coming from Paris or the Maghreb, which is how society and politics in a more frontal manner. These the studio came to record (and sometimes provide a singers foreshadowed and prepared the ground for the roof for) Cheikha Remitti, a renowned rai singer, or the “Carte de Séjour” group from Lyon (with singer Rachid Hawzi and Chaabi singer Naïma Dziria, who later Taha), which in 1986 clearly broke with the tradition of became famous in Algeria. its elders on the Place du Pont by revisiting the Charles Trenet song, “Douce France”.

2/ THE SONGS: A RECORD OF EXILE Regionalism and crossbred mixtures In the cafés, musicians from different regions in Algeria, Songs of exile, songs of love, political demands and Morocco and Tunisia found themselves alongside each everyday chronicles… the contents of this song-book other in gatherings or playing together, and gradually legacy are genuine testimony to creation in exile and the they assimilated their respective repertoires. All the situation of immigrants. music styles of the Maghreb could be found there: pop- While a great number of these songs perpetuate and ular music tied to cultural localities, trans-regional, re-interpret traditional airs in their own way, it often Arab/Andalusian or classical Arab repertoires, not to happened that these singers also had roles as song- mention rock, soul, disco, popular hits of the time… writer/composers. Their songs are evidence of a verita- they all had a strong influence on these musicians. Amor ble intimacy with the exile’s real-life experience. They Hafsouni situates his own musical innovations in the talk of separation, uprooting and love, celebrate or manner in which his friends and he mixed the chaoui Lyon vu par… Les Bistrots, 1979, Robert Neumiller, speak ironically of the omnipresent “return home” music of Algeria and Tunisia with the timbres of instru- Copyright Bibliothèque municipale de Lyon myth, and sometimes bear a political or moral dimen- ments then in vogue, like electric guitars and rhythm (purists) and the adepts of fusion and musical eclecti- this generation, tales of exile, expressions of suffering sion. Bluesmen torn from their roots, town-criers, boxes. That ode to the merits of mixing music genres cism was not confined to Maghreb musicians alone, and regrets constitute the canvas for all musical and chansonniers satirizing new cultural shocks, “hom- has to be put into perspective, even so. While all the as it is recurrent in the world of traditional music in poetical expression. ing-pigeons” entrusted with messages from those cut off musicians tried their hands at every repertoire available general. “This migration which makes people so sad / and by the Mediterranean: they were all of these at once. to them, turning their versatility, curiosity and adaptabil- which, for good or bad reasons, distances us from If the themes of exile, nostalgia for home, family, or a ity into a genuine profession, there were still fractures our family / Leads only to suffering / and expectation lover left behind, are in the majority in these songs, it present in the links between them. Some musicians 3/ THE SONG THEMES burns inside us like a fire.” (Mokhtar Mezhoud, “Sois also happens, but more rarely, that they deal with living challenged this propensity for claiming to be able to play prudent”, CD1, track 9). conditions in the host-country: work, unemployment, in all styles, and warned against the ability to be totally CD1: Exile and the sense of belonging solitude, racism, alcohol, etc. It’s true that the sentiment versatile whatever the Maghreb music tradition, despite “Exile everywhere; exile invades me.” Exile is also, in a paradoxical and infinitely poetic man- of nostalgia finds its expression everywhere, and also in the riches to be found in the latter’s diversity, history and ner, a place. A place that is cursed, but familiar, and to a haunting, obsessive manner. Some singers, however, cultivated subtleties. It is interesting to note that this In the body of work represented by the “Place du be lived in mentally and literally. urged on by the growing dissatisfaction of young people tension between the supporters of regionalist styles Pont cassettes”, and more generally amongst singers of “I live in exile / my heart ill / sick with solitude,”

28 29 (Salah El Annabi, Hata fi Annaba/ In the town of Annaba never hold their tongues… The festive rhythms and CD2: Everyday life; Lyon, bars, alcohol, cars… “404 Kahla” (a black Peugeot 404) by singer Tazi (CD1, track 10) merry music, the melodious voices and the flights of “Heal my heart with whisky, Boukhari (CD2, track 11), the set’s final song, was a kitsch synthesizers can hide texts, sometimes raw and and red and white wine.” major success in 1973 and this is a re-recording of it. Expressed in a less abstract and metaphysical manner, without concession, which are surprising in their criti- It tells the story of an arrest which took place on the exile can take form and be expressed through the love cal power, their rage. In Lyon, which lacked a structured music-distribution rue Vauban (next to Place Guichard), which was fol- of a woman left behind at home, and the separation While this type of composition forms only a minority in network, the cafés of the Maghribi community, where lowed by custody, sentencing, and an expulsion proce- from her is painful: the body of these works, some of them stand out singu- musicians were given a welcome, played a fundamental dure which definitively distanced the young man from “She lives in Annaba, oh mama / my love for her larly: they contain stinging accusations brought against role in the everyday lives of first-generation immigrants. France in sending him to Algeria. And so the streets of burns me / Aylali li ya mma / The little girl has made their adoptive country, directly denouncing France’s Lyon had no music cabarets, places registered as such Lyon and the personal story of the singer come to be me sad / Give me news of her, oh mama.” (Salah El ingratitude, the lack of recognition given to North-Afri- where musicians were paid and where the public was mingled in this cruel song tinged with mildness and Annabi, In the town of Annaba (CD1, track 10) can immigrant communities, and the everyday problems more mixed. Musical life evolved, unofficially but with sadness, a song where music and life melt into one they encounter despite their efforts. The songs take an redoubled efforts, in the little échoppes or boutiques another to speak of the common fate of the immi- But it is the maternal figure which, more than any other, inventory of everyday humiliations, with comments that which, thanks to their numbers and dynamism, formed grant-experience, and to testify to the introduction of is summoned to speak of nostalgia. The song becomes reveal an emergent racism in a French society gnawed a kind of exception in Lyon in comparison with other new methods of exclusion. the place for a dialogue with the mother, and sometimes away by a new ailment: unemployment. Beyond criticism large cities. takes the form of a letter. of the conditions under which immigrants were received Out of phase with the image of the hard-working “No, mama, don’t cry, this is my destiny / Time hasn’t and the discrimination to which they fell victim, certain labourer, and breaking with the codes and values of CD3: Love, friendship and betrayals allowed me to be like my friends.” (Omar El Maghrebi songs directly target repressive policies and controls set Muslim society, the musicians from the Place du Pont “Teach me how to love” (CD1, track 12) up by French authorities which led to immigration-re- enjoyed a way of life that was as carefree as that of a strictions as early as 1972, limiting access to French big-time gambler, i.e. they were rock ’n’ roll: a mixture Love, fickle or sincere, new-born or mature, happy or With Zaidi El Batni, the weight of the lament is trans- territory, introducing work-permits and temporary-res- of defiant posing, charm, glamour, sleepless nights, wretched, remains (as often) the preferred, most uni- formed into anger: “We cannot endure exile any more. idence cards, the first expulsion-measures, and financial concerts improvised in bars, (fast) money changing versally-shared theme. Many songs of seduction also We have had enough of being badly treated. At the incentives for immigrants willing to return home. hands under counters, genuine friendships and ephem- constitute privileged material for dancing and rejoicing. slightest problem they say, “The !” France and “In the Metro or on the bus / the immigrant is in eral loves. An authentic underground culture took shape But of course, where Love is concerned, tragedy, rifts Algeria then appear as two contradictory, antagonistic danger / Resident’s card, work-permit / what are in the city. and heartbreak are never far away; love and friendship poles, set in Manichaean opposition with France as these controls which come and go?” (“J’en ai marre”, “Bring a bottle, bring us some comfort / heal my heart often conceal a sly friend, a treacherous woman or its point of repulsion, the country of all perdition and Omar El Maghribi (CD2, track 1) with whisky, and red and white wine.” (“Je veux ma confused plotters… corruption. The end of the so-called “glorious Thirties”, together bien-aimée”, Cheb Mimoum El Oujdi (CD 3, track 6). The songs are sometimes places where terrible accounts with the arrival of unemployment in France, inevitably Their music was hedonistic and without complex, tack- are settled between singers and their partners, with the caused concern over the rise of the National Front. In ling the problems of life and the mirages of exile, and singers then drawing the foul atmosphere of their drama CD2: Political and social chronicles 1986 the student Malik Oussekine was beaten up by singing of pleasures and excess, but it was often over- from their own experiences in life. Their condition — “Stand up, stand up, men!” French police, and it came as one racist crime too many: taken by disillusionment and feelings of guilt, expressing men between two shores, admired singers whose lives Zaïd El Batni devoted an edifying song to it, recording it itself in words sealed by lamentation and regret. The contain hedonism and music — opened up numerous If one thing is certain when the Place du Pont singers with police sirens re-created in the studio over cries of singers expressed the contradictions of their times, tak- hearts to them. tackle current political and social events, it’s that they distress from immigrant mothers (CD 2, track 7). ing inspiration from their trials and disappointments. On the question of love, again, and perhaps here more

30 31 than elsewhere, ethnic and religious rifts are clearly their pasts, their native soil, contemporary society and marked and violently restated. The singers warn Fatima their own inner natures. against “miscreants” and protect their men from the ephemeral charms of “Jacqueline”. Zaïdi El Batni, the militant singer Zaïdi El Batni was 19 years of age when he arrived in the region of Saint Etienne in 1963, and he began as a 4/ LIVES IN MUSIC musician in France, playing in the numerous music- cafés of the region before being contacted by M. Méra- Rabah El Maghnaoui, the everyday bluesman bet, for whom he recorded more than thirteen cassettes. Singer, accordionist, synthesizer-player… Rabah is also Today retired, Zaidi El Batni is the songwriter-performer the composer of his songs. If for most of his life he of his songs, which stand out from others by their con- earned his living essentially from music, today he’s a tent, often turned towards current political and social team-leader cleaning trains. His whole life has been affairs in France and Algeria. He considers himself, under the sign of Rai; the sign of misery, transgression “a journalist who writes.” and misfortunes in love. The sign of shady bars, alcohol, friendship, and nights of lewdness. The songs he com- (A gendarme’s whistle blows) poses are closely tied to events in his own life, which - Hey, Mohamed, let’s see your ID! Tourist or immi­ confers on his music an absorbing, sincere, deeply grant? moving character. The reference to American blues, - Immigrant. often evoked when speaking of immigrant singers, is a - Have you been working in France? particularly suitable one where Rabah is concerned; his - Almost twenty-two years... songs, direct, overwhelmed, prosaic (and improvised) - And what are you doing now? are indeed the songs of a bluesman. Mérabet has - I’ve been unemployed for six months. released three of his cassettes. - And you’re still here? You’d better go home, Mohamed! Omar El Maghrebi, the singer of exile Originally from the region of Agadir in Morocco, Omar Amor Hafsouni, the virtues of mixed origins first came to France in 1973, where he worked at the Amor Hafsouni is the most prolific musician from the Brandt factory in Lyon. A singer, oud-player and percus- Place du Pont and one of the most popular amongst sionist, Omar El Maghrebi also writes his own songs. families. Having released more than twenty cassettes in Producers on the Place du Pont have released six of his Lyon, his career is in many ways emblematic. Born in cassettes. Tunisia, he began as a chaoui musician when he arrived When he refers to his role as a musician, Omar always in France in 1973, encouraged by companions he met insists on the importance of the text; the singer of exile in the cafés he visited. His personal taste for mixed is above all a bearer of messages linking people with genres and encounters, combined with an equal feel for

32 33 a commercial opportunity, led him first towards Algerian genre, an original syncretism of music-forms that is Rendez-vous in 2014, Place du Pont: one release, legacy of the Maghreb can be seen on a national scale, music and then more generally to the genres found oriental and Andalusian, popular and classical. one exhibition gradually brought up to date and appropriated again by across the entire Maghreb. A crooner of charm, his texts The self-taught nature of this musician is his trademark, new generations — Rachid Taha, ONB, Mouss et Hakim speak of love and are aimed at festive pleasures and and it determines his relationship to the world. The CMTRA, the regional association, wishes to play a role et al —, these local music productions constitute dancing. Right from the beginning he worked at Berliet same goes for the different trades he has learned over in handing down this musical legacy by means of the unique testimony to the day-to-day lives of first-genera- driving a fork-lift, and Amor would remain with that the years, whether driving a heavy-goods vehicle or as a project “Place du Pont Production”. This work of tion immigrants. Far from the mute images, passive and company for the whole of his professional life. Today he self-taught repairer of electrical appliances, a trade he research which began in September 2012 began with filled with abnegation, of workers from that generation, still plays in France and Tunisia, where he regularly still practises today. He no longer sings except on rare the inventory and constitution of a collection of cassettes these recordings, on the contrary, provide evidence of returns now that his retirement allows him to devote occasions. and 45rpm records of the entire Lyon production of the great inventiveness of these men in the shadows, and more of his time to music. music from the Maghreb — between 500 and 1000 of a thirst for expression which found its own spaces, items — with the aim of digitalizing and documenting developed its own mechanisms, and succeeded in satis- Salah El Guelmi, the voice of sentiment them. As a complement to this 3CD set, an exhibition fying countless numbers of passionate enthusiasts, doing Salah El Guelmi first came to France in 1969, staying in Regrets: will open (from April 2014 to July 2014) at the Munic- so with neither assistance nor official recognition from the Drôme and Alsace regions before settling in Lyon. Unfortunately, not all the musicians are represented in ipal Archives in Lyon, an institution which has accompa- their country of refuge. They show a teeming diversity of Salah bought his first guitar in Metz, and taught himself this set due to lack of room and available resources. We nied this initiative with great interest since its inception. practises and expressions, and bear witness to major to play it thanks to his “musical ear” before taking up would have particularly liked to include here the musi- The exhibition will provide visitors and the people of musical mixes that are still at work today. the oud, which is his preferred instrument. Salah was cians Cheb Kouider, who lives in the Gerland quarter in Lyon with the chance to discover a little-known aspect born in Guelma, a town close to the Tunisian border Lyon, and the guitarist Amrani, who is no longer with us. of the musical legacy brought to France by North-African Péroline BARBET where malouf (Arab-Andalusian music) took root, These two musicians belonged to the fascinating, leg- immigrants, and will help to further their collective Adapted into English by Martin DAVIES impregnating everyday life and deeply marking his endary group El Azhard, which revolutionized Rai in the memory and the contributions they made to the culture childhood memories. While malouf is the classical Seventies. They came to Lyon in 1981 after finding work of the city. Arab-Andalusian music of the Maghreb, Salah had no in the leather industry, for the former, and in textiles In times when World Music has come to form an inte- formal musical training, however. A significant element (Hermès) for the latter. Although the group played fre- gral part of our musical landscape, and when the music © FRÉMEAUX & ASSOCIÉS of malouf in Guelma and Constantine derives from the quently in Lyon, we have unfortunately been unable to strong influences of the Jewish communities, which unearth the cassettes which they released in Lyon, were then very large in both towns. So it was only natu- although they indeed exist according to our information. ral that Salah, once he became a musician in France, We also regret not being able to represent the great would be solicited by Jewish families in Lyon and Vil- Kabyle singer Louiza — again, there are no cassettes to leurbanne who found refuge there after Algeria was be found in the archives —, a singer who lived in Lyon decolonized. Like most musicians from the Place du for years before she returned to Algeria. Amongst other Pont, Salah can play all the Algerian music-genres, but songs, she wrote one about the Place du Pont, and we malouf unarguably remains his favourite. Incidentally, are still searching for it. he is the only musician to play malouf among his peers from the Place du Pont, which gives him a special aura due to the seriousness and nobility granted to this music

34 35 CD1 : Exil et appartenances

01 : Yama Lala Essahb Elgadar n’a rien changé) 12 : Hada Mektoubi (Maman l’amitié est traitre) Amor HAFSOUNI, 1987, (C’est mon destin) Mokhtar MEZHOUD, 1986, Edition Bachar Omar EL MAGHREBI, 1998, Edition Merabet Mogador Rhône 07 : Dialogue : Les expulsions 02 : Matsalounich Zaïdi EL BATNI, 1982, 13 : Comment faire ? (Ne me demandez rien) Edition Merabet Tazi BOUKHARI et Aouicha, 1972, Salah EL GUELMIA, 1994, Electrodisques/ JBP Records Oran production 08 : Malina Man Elghrba (Fatigués de l’exil) 14 : Thaqvailith 03 : Batna ya Batna Zaïdi EL BATNI, 1982, (Kabyles) (Batna, Oh Batna) Edition Merabet SMAIL, 1993, Samir STAIFI, Production A.S.O.S. Malades Etoile Verte 09 : Salamat Mokhtar MEZHOUD, 1997, 15 : La ma la khayti 04 : Gatli R’wah Oran production (Ni mère, ni sœur) (Elle m’a dit vient) Cheba NACERA, 1991, Amor HAFSOUNI, Edition Etoile Verte 10 : Hata fi Annaba Edition Etoile Verte (Dans la ville d’Annaba) Salah EL ANNABI, 1996, 16 : L’Algérie 05 : Dialogue : A quoi sert la Top Music (Mon pays me manque) nationalité française ? Amar STAIFI, 1998, Amor HAFSOUNI, 1987, Edition Etoile Verte 11 : El Ghorba Edition Bachar (L’exil) Samir STAIFI, 06 : Mabedelchi el djenessia Edition Etoile Verte (Obtenir la nationalité Amor Afsouni et ses amis, Fonds privé 36 37 CD2 : CD3 Chroniques politiques et sociales Amour, amitié et trahisons Vie quotidienne 01 : Ma andiche zhaar 06 : Anabghit hbibi 11 : Kharjet mel hamam 01 : J’en ai marre 06 : Sid l’hakem 10 : Moul el mercedes (Je n’ai pas de chance) (Je veux ma bien-aimée) (Elle est sortie de la salle de bain) Omar EL MAGHREBI, 1987, (Mr le juge) Zaidi EL BATNI, 1991, Salah EL GUELMIA, 1994, Cheb MIMOUN EL OUJDI, 1994, Mokhtar MEZHOUD, 1994, Edition Bouarfa Omar El MAGHREBI, 1996, Edition Mérabet Oran production Edition Etoile Verte Edition Etoile Verte Edition Merabet

02 : Noudou Yaradjala 11 : 404 Kahla 02 : Kountie Ghalia 07 : Rouf aliya 12 : Ana britah avocat (Levez vous les hommes !) 07 : Malik y a Malik (404 Noir) (Tu m’étais si chère) (Aie pitié de moi) (Je veux un avocat !) Zaidi EL BATNI, 1978, (Malik Oh Malik) Tazi BOUKHARI, Rabah EL MAGHNAOUI, 1985, Amor HAFSOUNI, 1995, Chaba NACERA, 1991, Edition Merabet Zaidi EL BATNI, 1982, Autoproduit Edition Merabet Oran Production Edition Etoile verte Edition Merabet

03 : Yadalaliya 03 : Hayd yedik aaliya 08 : Ya Lekbida 13 : Ma andi dala Amor HAFSOUNI, 08 : Skini belkess (Ne me touche pas) (Mon cœur) (On nous envie notre amour) Edition Merabet (Serre moi un verre) Salah EL GUELMIA, 1994, Rachid STAïFI, 1995, Jamal ESTAIFI, 1993, Omar EL MAGHREBI, 1987, Oran production Edition Etoile Verte Edition Mérabet Edition Bouarfa 04 : Arouah lil CHABATI (le jeune), 04 : Aïnik kouaouni 09 : Ami radjel 14 : Nedik Nedik Distribution Top Music 09 : Ya Taleb? (Tes yeux m’ont brûlé) (Pourquoi m’as-tu trahi?) (Je t’enmène, ma gazelle) Tazi BOUKHARI,1972, Cheb Hocine CHABATI Mokhtar MEZHOUD, 1997, Amar STAIFI, 1998, Electrodisques/ JBP Records et Groupe EL AZHAR, 1978 Oran production Edition Etoile Verte 05 : Franca Y afranca (France, Oh France !) ZaidI EL BATNI, 1986, 05 : Choufou-Choufou 10 : Amayna alik anti Edition Merabet (Regarde !) (Comment as-tu pu me faire ça ?) Omar EL MAGHREBI, 1998, Rabah EL MAGHNAOUI, 1990, Rhône Mogador Edition Merabet

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