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Dossier

Cannabiculture et feux de forêts dans la province de : Analyse cartographique et statistique

El Houcine Lakhouaja *; Ali Faleh ** Jamal Chaaouan ***

* Département de Géographie, Laboratoire LCIAT, FLSHBM de Casa ** Département de Géographie, Laboratoire LEGAC, FLSHS de Fes Sais *** Département de Géographie, Laboratoire D2EPD, FP de Taza

Résumé

La province de Chefchaouen perd annuellement des superficies forestières frappantes soit d’une manière directe par le biais des défrichements, les coupes et les incendies ou d’une manière indirecte via la surexploitation et le surpâturage causé par la pression anthropique en expansion. Certaines actions s’intègrent dans une pratique locale liée aux contraintes socio-économiques à usage domestique, d’autres pratiques agissent plus dans le sens d’une dégradation plus accentuée de la forêt comme les défrichements anarchiques du domaine forestier et la mise à feu, destinés essentiellement à la culture du Cannabis et son extension. Dans cet article, on abordera quelques aspects du milieu anthropique spécifiques de la province de Chefchaouen afin d’appréhender les liens entre les surfaces brulées et celles cultivées en cannabis en prenant en considération les surface forestières.

Mots clés : Incendie de forêts, Cannabiculture, province de Chefchaouen

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Abstract:

The annually loses forest areas that strike either directly through clearing, cutting and fires or indirectly through overexploitation and overgrazing caused by expanding human pressure.

Some actions are part of a local practice related to the socio- economic constraints for domestic use, other practices act more in the direction of a more accentuated deterioration of the forest like the anarchic clearings of the forest domain and the firing, intended primarily for the cultivation of Cannabis and its extension.

In this article, we will address some aspects of the specific anthropogenic environment of the Chefchaouen province in order to understand the links between burnt surfaces and those cultivated with cannabis by taking into account the forest area.

Keywords: Forest fire, Cannabis growing, Chefchaouen province

INTRODUCTION

L’apparition, l’intensité et la fréquence des incendies de forêts sont étroitement liées aux conditions du milieu engendré par la situation géographique (MANCHE Y., 2000 ; CEMAGREF, 2009). Le climat de la province de Chefchaouen de type méditerranéen, sa topographie très accidentée et son couvert végétal dense et varié, contribuent à la création de situations favorables au déclenchement des incendies en forêts.

Ces conditions physiques exceptionnelles de la province de Chefchaouen, n’arrivent pas à expliquer le fléau croissant des incendies de forêts dans cette zone, d’où une bonne connaissance de la composante humaine et leur répercussion socio-économique s’avère nécessaire. La composante humaine et sa bonne maîtrise reste donc une étape indispensable pour d’un côté, évaluer le facteur anthropique le plus déterminant pour cette thématique et de l’autre côté, saisir ses mécanismes

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ainsi que ses interférences avec l’espace qu’il utilise. Dans une autre vision, son potentiel en infrastructures et équipements constitue pour la province de Chefchaouen, à l’instar de toutes les régions, pour la province de Chefchaouen, le principal indicateur de structurer un développement durable pour la population d’une part et d’autre part une moyenne pour conserver et assurer une bonne gestion des ressources naturelles. Cependant, si certaines actions s’intègrent dans une pratique locale liée aux contraintes socio-économiques à usage domestique, d’autres pratiques agissent plus dans le sens d’une dégradation plus accentuée de la forêt comme les défrichements anarchiques du domaine forestier, destinés essentiellement à la culture du Cannabis et son extension. De ce fait, il paraît que l’homme est impliqué directement dans le processus des incendies de forêts mettant ainsi la forêt en péril. Dans cet article, on abordera quelques aspects du milieu anthropique spécifiques de la province de Chefchaouen afin d’appréhender leur impact sur le risque d’incendie de forêts.

I. PRESENTATION DE LA ZONE D’ETUDE

Les incendies représentent la menace naturelle la plus importante qui pèse lourdement sur les forêts marocaines. En effet, de l'analyse du bilan des incendies survenus depuis les années 1960 jusqu’à 2010, il ressort que la superficie totale endommagée est de 143 783 ha, avec une moyenne de 252 incendies par an pour une surface moyenne annuelle de 3059 ha, donc l’impact des feux est particulièrement sévère sur les forêts Marocaines. La perte économique en produits de forêts est estimée à 18 millions de DH par an (MCEF, 2002), sans compter les coûts engendrés par la mobilisation des moyens et du personnel pour la lutte contre ces incendies. Par ailleurs, l’impact sur les sols, la biodiversité, et la diversité paysagère est beaucoup plus considérable et sans prix. L’intensité des incendies diffère d’une région à une autre, la région du Maroc où ce phénomène prend son ampleur et où on enregistre le plus

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important nombre de départs de feux, est celle du Rif en général et celle de la province de Chefchaouen en particulier (HCEFLCD, 2010).

1. Situation géographique de la province de Chefchaouen

La province de Chefchaouen (Carte n°1), située au Nord-Ouest du Maroc (entre les Longitudes: 480 000/600 000 Nord et les Latitudes: 450 000/530 000 Ouest) sur la chaîne montagneuse rifaine, d'une structure géologique relativement récente, formée de couches siliceuses et calcaires très accidentées avec des sommets dépassant parfois 2000 m (Jbel Lakraa 2.159 m et Jbel Tissouka 2.122 m à ainsi que Jbel Tizirane 2.106 à ) et compte pour superficie 4 350 km2 (MAURER G., 1968).

Elle est limitée au Nord par la Méditerranée sur une longueur de 120 Km, au Sud par les provinces d’Ouezzane, Taounate et Sidi Kacem, à l'Est par la province d' et à l'Ouest par les provinces de Tétouan et

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Larache. C’est une province qui relève de la région de Tanger-Tétouan créée par le Dahir portant loi n° 1-75-688 du 11 Rabia II 1395 (23 Avril 1975). L’organisation administrative de cette province est essentiellement à dominante rurale ; elle comprend une municipalité, quatre cercles (BabBerred, Bab Taza, Bouahmed et Mokrisset) et 33 communes rurales. Les communes littorales au nombre de six, correspondent à , Stehat, BniBouzra, , BniSmih et M’tioua (Découpage communal, 2009).

2. Conditions physiques très particulières La province de Chefchaouen se caractérise par un relief très accidenté à diverses expositions. Le climat est de type méditerranéen et se caractérise par des précipitations moyennes assez importantes, variant entre 900 mm et 2000 mm sur les expositions atlantiques et entre 300 mm et 500 mm sur les autres expositions (DPEFLCD, 2010). En effet, le combustible végétal dans la province de Chefchaouen est représenté par toutes les espèces rencontrées dans les différents étages bioclimatiques marocains à l’exception de l’arganier et du Genévrier Thurifère (A. BENABID, 2000). Les plantations artificielles, couvrant une superficie de 28.450,00 ha, sont constituées principalement par des essences résineuses à base des pins qui sont caractérisés par leur forte inflammabilité (DPEFLCD, 2010).

3. Environnement social déterminant La population rurale présente dans cette province, plus de 90 % de la population totale en marquant le taux le plus élevé au Maroc (plus de 129 Ha/km2) (HCP, 2014), ce qui amplifie la pression anthropique sur la forêt et engendre une surexploitation des espaces forestières. En revanche, la propagation de la culture du Cannabis dans la région et l’utilisation du feucomme pratique pour le nettoiement et le défrichement des terres en plein forêts, ont causé une augmentation du risque d’incendie de forêts dans les dernières décennies (DPEFLCD, 2010).

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4. Bilan des incendies dans la province de Chefchaouen (1981 à 2011) Les incendies de forêt constituent un problème de grande envergure pour la province de Chefchaouen, ce sont le premier facteur de dégradation des forêts dans cette province (RABHI A., 2001), à titre d’exemple : on enregistre 25 % du nombre total des incendies au niveau national dans cette province (MCEF, 2001). La figure ci-dessous représente l’évolution du nombre d’incendies et de la superficie incendiée de forêts depuis 1981 à 2011 dans cette zone.

L'analyse de la figure ci-dessus fait ressortir une grande variation interannuelle et spatiale de ce phénomène ce qui nécessite une étude approfondie à l’échelle de cette province afin de mieux comprendre les paramètres régissant ce fléau.

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II. LA CANNABICULTURE : CULTURE DOMINANTE DE LA PROVINCE DE CHEFCHAOUEN

Sur l’ensemble du territoire rural de la province de Chefchaouen, l’agriculture représente la principale source de revenu des ménages. Mais elle reste une agriculture de subsistance étant donné la faiblesse de ses rendements et le faible degré de commercialisation des produits agricoles, grâce à la structure des parcelles dont la majorité sont des terrains en pente. Cette caractéristique des parcelles est une contrainte à la mécanisation et demeure un facteur favorable à l’érosion et donc à la dégradation des sols, de leur fertilité et de leur rendement. La Surface Agricole Utile (SAU) de la province est de l’ordre de 162 000 ha qui représente presque 47 % du territoire de la province (Carte d’occupation du sol) ce qui est très élevé pour une région montagneuse. La démographie croissante plus le relief accidenté, qui n’offre qu’une faible proportion de plaines et de pentes faibles (20%) soit environ 90.000 ha, la couverture de végétation forestière représentant 175.000 ha, une superficie de parcours inculte de l’ordre de 80.000 ha, ainsi que le développement de la culture du Cannabis, engendrant de surcroît une surexploitation des ressources naturelles et une exploitation intensive des terres (DPA, 2008). Dans cette province, deux types d’agricultures coexistent : l’agriculture en Bour et celle en Irrigué dont les parcelles en irrigué sont un peu mieux soignées que celles du bour. Cependant, l’étroitesse des champs de culture ne permet pas de réelles améliorations. Exception faite pour la culture de Cannabis, laquelle bénéficie de tous les soins. En effet, l’itinéraire technique de cette culture nécessite un apport important en engrais chimiques (DPA, 2010). Il n’est pas facile de fournir une image actualisée de la situation réelle de l’agriculture dans la province, car : - La culture du cannabis, qui semble représenter près de 40% de la SAU, ne figure dans aucune statistique officielle (DPA, 2010),

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- La notion de SAU est-elle même peu adaptée où les cultures s’étendent souvent dans des conditions hors normes de pente et de qualité du sol, et où le défrichement des couvertures forestières est encore largement pratiqué : ainsi la monographie annonçait 112.876 ha en 1995/96 ; par contre le total des SAU des monographies des citésarrive à 193.895 ha et certaines données de la DPA varient de 151.000 ha (1998/99) à 183.000ha en 2001/02.

1. La Cannabiculture au Rif

La culture du cannabis dans le Rif existe depuis la fin du XVIIIème siècle. Mais, jusque sous le protectorat espagnol, la production était surtout destinée à l’autoconsommation et était bien inférieure à aujourd’hui. Vers le milieu des années 70, les européens ont introduit les méthodes de transformation du Cannabis en résine, rendant la production beaucoup plus rentable (P. A. CHOUVY, 2008). Dès lors, le Cannabis a connu une expansion progressive, dans le temps et dans l’espace. Cette extension s’est souvent faite au détriment de la forêt, contribuant ainsi à l’érosion des sols et à la disparition des forêts soit d’une manière directe via les défrichements ou indirecte en provoquant des incendies de forêts par des anonymes. Actuellement, la Cannabiculture est présente sur tout le territoire de la province de Chefchaouen sans exception, et représente plus de 60% de la production agricole en touchant plus de 40.000 ménages (ONUDC, 2005). Elle fait donc partie intégrante de l’agriculture et de la vie quotidienne de la population rurale. Une réalité qu’il faut affronter et non pas occulter, c’est que presque la quasi-totalité des paysans de la province cultivent le Cannabis (90 %) (ONUDC, 2005). On peut confirmer suivant les déclarations des différents acteurs locaux, qu’il y un accroissement des surfaces cultivées dans la dernière décennie, en revanche les superficies précises de la Cannabiculture dans la province de Chefchaouen restent inconnues. En conséquence, l’Etat marocain a jugé utile de faire un diagnostic pour remédier à cette situation, c’est dans ce cadre qu’a été signé un accord de coopération avec l’ONUDC

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en février 2003 pour réaliser la première enquête sur la Cannabiculture dans le Rif (ONUDC, 2003).

2. Évolution de la surface du Cannabis dans la province de Chefchaouen

Une analyse d’images satellites SPOT multi dates effectuée par l’ONUDCdans le cadred’unecoopération bilatérale avec plusieurs organismes nationaux, a permis de faire une cartographie exhaustive de la superficie de la Cannabiculture dans la province de Chefchaouen pour les années 2003, 2004 et 2005, en représentant en 2005 environ 44 % des SAU de cette province (ONUDC, 2005).

D’après le rapport de l’ONUDC (2005), c’est dans la province de Chefchaouen que la réduction de la culture du Cannabis a été la plus importante, soit une diminution de – 46%, à travers une chute des surfaces cultivées en passant de 75.195 ha en 2004 à 40.529 ha en 2005. Cette diminution est due à des facteurs ayant un impact direct à savoir la sécheresse et les campagnes d'éradication et d’autres indirects comme les programmes de sensibilisation à l’abandon de la Cannabiculture du fait de

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son caractère illicite. Par contre la province de Chefchaouen reste la province qui cultive le plus le Cannabis dans le Maroc en représentant à elle seule 56 % de toutes les cultures en 2005 au niveau national.

3. Revenus des fermiers de la Cannabiculture

En 2005, la DPA et l’ONG Targa ont organisé une enquête sociologique de terrain pour analyser les revenus des producteurs du Cannabis. A partir des interviews d’un échantillon d’exploitants agricoles, ils ont estimé le prix moyen du Cannabis brut à 50 Dh/kg et celui de la résine de Cannabis à 4000 Dh/kg. Cela représente une forte augmentation par rapport aux prix enregistrés en 2004 suite à la réduction de l’offre de Cannabis pendant cette année.

Donc les revenus tirés de la culture du Cannabis par les paysans de cette province, ont été estimés à environ 3,5 milliards de Dh par cette ONG. Cette valeur reflète un revenu brut d’environ 4000 Dh par personne, qui représente plus de 60 % du revenu des agriculteurs selon la figure ci-dessus. Il en découle que la culture de Cannabis génère un revenu insubstituable pour les paysans ce qui explique leur forte contestation malgré les grands problèmes causés aux paysans par le caractère illicite de cette culture.

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4. Éradication

Les opérations d’éradication sont conduites par le biais du ministère de l’intérieur, ces opérations qui font partie de la stratégie globale de l’Etat, visent l’élimination progressive de la Cannabiculture. Cette stratégie combine plusieurs actions et programmes de développement alternatif. Les actions d’éradication menée par le ministère de l’intérieur et ses partenaires (forces auxiliaires, gendarmerie royale, eaux et forêts….) ont été menées en priorité en rapportant un bilan d’éradication de 150 ha en 2005. Ces opérations ont été accompagnées par un programme de développement alternatif visant 12 communes (MI, 2010).

L’analyse des images satellites a fait ressortir que plus de 3500 ha de forêt ont été brûlés en 2004, principalement en bordure des zones caractérisées par la concentration de la Cannabiculture dans la province de Chefchaouen (ONUDC, 2005). En outre, d’après les entretiens effectués avec les forestiers de Chefchaouen et en l’absence de données chiffrées et spatialisées sur les zones forestières et préforestières accueillant ces cultures, nous avons détecté une concordance entre les compagnies d’éradication et le nombre d’incendie détecté. Cela est expliqué par le fait que les paysans ont été déçus après l’éradication de leurs champs de culture qui présentent un coût de revient très élevé et par la suite la mise du feu dans la forêt comme acte de vengeance contre l’Etat.

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5. Effets socio-économiques de la Cannabiculture sur les terroirs villageois

Selon les enquêtes menées par les différents acteurs, avec la population locale et selon tous les rapports (autorités locales, forestiers….), la conséquence majeure de la Cannabiculture, c’est qu’elle est devenue une culture de rente et d’évolution de plus en plus vers un phénomène de monoculture très dangereux pour l’écosystème. Donc, dans ce type d'économie rurale focalisée sur la Cannabiculture, presque tout ce qui est nécessaire à la vie de la famille doit être acheté de l'extérieur. En effet, la Cannabiculture, incite d’un côté à la conquête agraire par le biais de défrichement, constituant ainsi une menace pour l’avenir de la subéraie de montagne. D’un autre côté, elle supplante l’élevage et allège indirectement la charge animale sur la forêt. De même, elle procure des revenus relativement intéressants aux paysans, qui leur permettent d’accéder à un niveau de vie meilleur, et ainsi utiliser des substituts du bois. D’après tout ce qui précède, il ressort qu’une relation dialectique se tisse entre l’extension de Cannabiculture et l’importance des défrichements et des incendies de forêts, ce qui génère une panoplie de points de réflexion autour des conflits fonciers, de la perpétuité des ressources forestières et des perspectives d’évolution des systèmes de production. L’importance des revenus procurés par la Cannabiculture a bouleversé tout le contexte social et économique au sein des douars, donc la dimension d’un tel problème qui n’est autre que celui d’un développement rural, dépasse de loin la compétence des acteurs locaux et nécessite l’intervention multisectorielle pour une solution juste et définitive permettant de créer des conditions favorables aux populations de ce milieu ingrat. Bref, une volonté politique s’impose avec acuité pour sauver les forêts de cette province. Néanmoins, cette zone ne bénéfice pas des capitaux issus de la vente du Cannabis, en plus de l’absence d’initiatives économiques entreprenantes (ONUDC, 2004).

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III. LA CANNABICULTURE : FACTEUR DE DEPART DE FEUX DE FORETS

Afin d’appréhender le risque lié aux incendies de forêts comme objectif ambitieux, il est essentiel de réaliser une étude diachronique via les données historiques contenues dans une base de données alphanumérique recueillie auparavant.

L’analyse des incendies déclenchés dans les forêts de la province de Chefchaouen sur quinze années (de 1997 à 2011), nous a permis de dresser un premier bilan sur les zones prioritaires, d’apprécier la sensibilité d’unecommunefaceauxincendies de forêts.En revanche, les cartes de surfaces cultivées par le cannabis des années 2003 et 2005, ont permis de pondérer la relation établie entre les communes les plus menacées par les feux de forêts, leurs superficies cultivées en cannabis et la surface boisée.

1. Taux de boisement par commune

Les superficies du domaine forestier sont extraites à partir de la couche de l’IFN en regroupant tous les peuplements. La carte, ci-dessous, montre de fortes disparités des superficies forestières entre les communes de la province de Chefchaouen. Au Nord, la commune rurale de , détient la portion de forêts la plus étendue dans la zone avec 4302 ha, puis les communes de Bniselmane avec 3790 ha de forêts, avec 3751 ha, avec 3751 ha, Babtaza avec 3741 ha.

Presque la totalité des communes rurales de la province de Chefchaouen, présentent des espaces boisés avec des superficies considérables par ordre d’importance, ce qui donne à la zone une vocation forestière par excellence (A. FALEH et H. LAKHOUAJA, 2013).

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Carte n°2 : Superficie forestière de la province de Chefchaouen par commune

2. Superficies brulées par commune

Sur ces quinze années, on constate que les feux ne touchent pas avec la même ampleur toute la province. Une estimation rapide révèle que parmi les communes ayant perdu les plus grandes superficies de leurs forêts sont: - La commune de Bni Selmane où les feux ont parcouru plus de 4400 ha pendant cette période, un seul incendie de 1999 parcouru lui seul plus de 4000 ha, ce qui a révélé cette situation extrême. - À part le premier cas qui nous semble isolé, les deux communes d’Oued melha et Talambot prennent la relève en termes de superficies avec successivement 680 ha et 615 ha.

Cette dispersion en termes de superficies cumulées incendiées entre les communes, est due à plusieurs facteurs à savoir : la surface est faible

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lorsque l’intervention est rapide, l’accessibilité est facile suite à l’amélioration des conditions d’accès et l’utilisation de moyens plus efficaces, à l’exception des cas de sécheresse et de jour venté. En effet, la mise en relation des départs de feu et les superficies brûlées dans chaque commune, fait ressortir plusieurs contradictions. Néanmoins, les communes qui enregistrent les superficies incendiées les plus élevées, ont connu de faibles départs de feux. La superficie cumulée parcouru est donc pasforcément proportionnelle au nombre de départs de feux, cette situation est due seulement à de grands incendies qui ont marqué l’histoire de cette province (Bniselmane 4000 ha en 1999, Izarène 4500 ha en 2004 …). À partir de cette carte et de nos propres observations, il serait intéressant d'étudier ce même territoire à petite échelle, en permettant une analyse en profondeur de tous les paramètres importants qui influencent le déclenchement et la propagation d'un feu de forêt de grande envergure. Des données plus détaillées sur l'état des combustibles forestiers et sur les conditions climatiques demeurent essentielles pour qualifier les zones par degré de risque selon les modèles préalablement déterminés (A. FALEH et H. LAKHOUAJA, 2013).

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Source: HCEFLCD Réalisation:H/LAKHOUAJA Carte n° 3: Superficie cumulée des feux par commune (1997-2011) dans la province De Chefchaouen 3. Superficies de Cannabiculture par commune

D’après les résultats de l’enquête sur la productionde cannabis au Maroc conduite en partenariat entre le Gouvernement Marocain et l’ONUDC, nous avons extrait deux cartes représentant les tranches de superficies cultivées en cannabis par commune dans la province de Chefchaouen.

L’analyse de ces deux cartes montre que le nombre de communes rurales qui cultivent plus de 3000 ha de cannabis est passé de 7 communes rurales en 2003 à seulement deux communes en 2005. Par contre le nombre de départ de feu en forêts et les superficies incendiées ont régressé durant cette période, cette situation occulte nous a amené à chercher des explications. À cet effet, après des enquêtes menées chez les forestiers, le secret demeure que les compagnies d’éradication de cannabis ayant

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commencé pendant cette période, repoussent les paysans à mettre le feu en forêts comme actes de vengeance.

Source: ONUDC, 2005 Réalisation:H/LAKHOUAJA

Carte n°4:Superficies de cannabis de 2003 et 2005 dans la province de Chefchaouen

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La Cannabiculture reflétant une autre manière d’influence abusive sur le milieu naturel, a donné un autre argument plus spécifique à la province de Chefchaouen, sur lequel on doit s’appuyer pour mieux comprendre le risque d’incendie de forêts dans cette zone.

4. Analyse statistique

Depuis le début de cette recherche, nous avons contacté tous les acteurs pouvant répondre à nos questions, surtout lorsqu’il s’agit d’un facteur secret comme celui de la Cannabiculture dont aucune étude officielle n’a été menée au Maroc du fait de sa sensibilité, à l’exception de celle réalisée par l’ONUCD en 2003 et 2005. Le tableau ci-dessous met en concordance la superficie cultivée en cannabis (2003 et 2005) et le nombre de feux déclenchés en forêts des années précédentes, dans la province de Chefchaouen, en partant de l’hypothèse que la seule motivation des agriculteurs du Cannabis, est de gagner plus d’espace pour leur culture et que la préparation de la terre nécessite une période d’une année pour sa mise en culture. Après l’analyse du tableau, nous constatons que les communes qui cultivent de petites superficies en Cannabis, ont connu le moins de feux pendant ces deux années, en revanche les communes cultivant une grande superficie en Cannabis (Bab Taza et Bab Barred) ont connu un nombre d’incendies important. Ce graphique fait aussi apparaitre une corrélation proportionnelle de plus de 50% entre ces deux paramètres. En effet, ce constat montre clairement qu’il y a une étroite relation entre les superficies de la Cannabiculture et le nombre d’incendies déclenchés dans les forêts de cette province, bien qu’elle soit concrètement difficile de la prouver et de la paramétrer avec nos modestes moyens. L’analyse statistique des données recueillies sur les incendies pour une période de 15 ans (entre 1997 et 2011), nous a permis de construire certaines relations pertinentes dans le choix des facteurs intégrés dans le déclenchement et la propagation des incendies de forêts de cette province.

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Tableau n°1 : Relation entre le nombre de feux (2002 et 2004) et la superficie du Cannabis (2003 et 2005) dans la Province de Chefchaouen

Source: HCEFLCD, ONUCD

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CONCLUSION

Presque toutes les conditions physiques des milieux de la province de Chefchaouen, sont censées être comme facteurs favorables pour le déclenchement et la propagation des incendies de forêts, spécialement le facteur anthropique. La connaissancede ce facteur nous a aidés à mieux comprendre l’enjeu particulier de cette zone marqué par la cannabiculture, en donnant une explication des raisons pour lesquelles la province de Chefchaouen est la plus touchée par les feux d’été détruisant des hectares chaque année, souffrant d’une gestion peu prudente. L’examen de la dynamique démographique et socio-économique au niveau de cette province révèle aussi, une tendance à une concentration spatiale en milieu rural. Cette dernière va engendrer par la suite, une aggravation des déséquilibres entre la forêt et les usagers qui ont provoqué à leur tour un accroissement des phénomènes de déforestations et des incendies de forêts. Cette situation trouve sa source dans la dépendance du système productif de la majorité des paysans à la Cannabiculture et la faiblesse des infrastructures de cette province. Dans cette optique, et considérant que les superficies cultivées en Cannabis et leur répartition spatiale sont en étroite relation avec les superficies forestières incendiées. La mise en œuvre d’une politique de développement locale intégrée peut, en plus de jeter les bases d’un développement durable, arriver même à atténuer l’ampleur du risque d’incendie de forêts dans la province de Chefchaouen.

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