10 28 40 sommaire

polis

8 relations internationales. Recentrer la diplomatie malgache en Afrique 10 laïcité de l’État. La croix et la bananière 14 Fela Mijoro Razafinjato. Toujours debout actuel 16 île Maurice. La population comme socle 40 citoyenneté et culture. Chanter rime industrialisation. L’échec de l’Afrique ? 18 avec s’engager 42 les citoyens de demain. Les défis du système éducatif malgache focus 44 blog. Pays cherche cours de culture générale 45 à la page. 22 banque de développement. Un avenir encore incertain 26 forum industriel. Un challenge pour la relance de l’industrie 28 consolidation de la Paix. La paix, un préalable au développement 32 énergie. La Jirama broie du noir

4 | LA JIRAMA BROIE DU NOIR 32 prélude

ahina Randriarimanana a rem- « positifs » existants dans la société sont peu nom- porté le prix Anzisha Prize pri- breux. Si bien que l’on caresse l’espoir d’intégrer Chantiers mant les jeunes entrepreneurs un certain ministère sis à Antaninarenina, parce du continent africain. C’est une que son voisin qui y travaille a acquis en quelques battus bonne nouvelle dans le marasme mois un gros 4x4 ; l’on se met à rêver de devenir sociétal actuel. Malgré les fes- conseiller d’un ministre pour multiplier les passe- tivités annoncées pour la récep- droits qui font gagner des millions ; ou encore, tion de deux sommets internationaux, censés l’on pense à faire de la politique pour en obtenir Têtre une célébration de la beauté de , ultérieurement les prébendes juteuses au détriment l’ambiance est plutôt morose. L’atmosphère est d’une quelconque idéologie. plombée par les délestages, l’inflation galopante, Même si les voies de l’entrepreneuriat sont impé- l’insécurité, les répressions habituelles des forces nétrables, le lauréat du prix Anzisha a démon- de l’ordre… Le couronnement du jeune Tahina tré que c’est un chemin à suivre. C’est souvent Randriarimanana est assurément une bouffée d’air un gros chantier professionnel et personnel, on frais dans ce bourbier d’actualités maussades. y laisse des plumes, mais il faut suer sang et eau C’est une lumière dans l’obscurité – nourrie par pour sortir des sentiers battus. Que l’on appelle Andriamanambe Raoto les soubresauts de la Jirama (lisez notre grand cela de l’entrepreneuriat – modèle réfuté par une dossier) – qui ankylose le pays. L’histoire de tribune publiée dans le journal Le Monde – du Tahina ressemble à ces « comptes » de fée qui par- dévouement ou simplement de la volonté de s’en sèment ponctuellement le monde des affaires local. sortir, ce désir d’aller de l’avant est une énergie C’est surtout une saine émulation pour la jeunesse formidable qu’il faut entretenir, ensemble, pour malgache qui est plus habituée aux succès liés à que les Tahina soient nombreux dans les années l’enrichissement rapide et durable. Les modèles à venir. P

novembre - décembre 2016 | 5 contributeurs POLIs Tantely RAKOTOMALALA Spécialiste en communication stratégique, elle a débuté sa carrière dans le marketing et publi- cité en 2007 et enchaîné différents postes en communication institutionnelle et gestion de crise. Très attachée à la création de valeur par l’innovation et à l’initiative entrepreneuriale, elle crée l’agence Becom en 2013 et accom- pagne plusieurs entreprises et institutions dans l’optimisation de leurs communications commerciale, institutionnelle et politique.

Mihanta RAMANANTSOA Mandaniarivo Rabekoto Docteur en Pharmacie diplômée en Stagiaire au sein du Programme des Nations Phytothérapie et Aromathérapie, Mihanta unies pour le développement (Pnud), Ramanantsoa a un parcours atypique totale- Mandaniarivo Rabekoto a pu approcher de très ment assumé. Diplômée de la 12e promotion près les problématiques liées à la consolida- du Centre d’études diplomatiques et straté- tion de la paix à Madagascar. Dans ce numéro giques (CEDS), elle prépare un Master of Art in de Politikà, elle nous livre un chronique sur Diplomacy avec un mémoire sur le thème Vers les rôles que devraient jouer les jeunes dans un recentrage de la diplomatie malgache en la construction d’une paix durable et dans le Afrique. Elle en développe les prémices dans développement du pays. ce numéro.

Masimba Tafirenyika Rédacteur en chef du magazine de réfé- rence africain Afrique Renouveau, Masimba Tafirenyika travaille aujourd’hui au siège des Nations unies, à New-York. Il y a écumé les ser- vices liés à la communication depuis près de 20 ans. Il est diplômé de la Columbia University - School of International and Public Affairs ainsi que de l’Université de Zimbabwe.

Elodie TROJANOWSKI Catmouse James Titulaire d’un master en journalisme obtenu De son vrai nom Dinah Rajemison, Catmouse à l’université Louvain-La-Neuve, Elodie James est une illustratrice. Elle a suivi un cur- Trojanowski est également diplômée en sus en Marketing et Stratégie avant de s’inté- Finances de l’École de management de resser à la communication visuelle. Graphiste Strasbourg. Dans ce numéro de Politikà, elle storyboarder pour une agence de communi- s’est intéressée particulièrement au rôle de cation, elle a décidé de voler de ses propres levier de développement que devrait jouer le ailes en tant que freelance par la suite, tout en private equity (capital-investissement) dans le continuant ses projets personnels. Elle a réa- secteur privé malgache. L’auteur de l’article a lisé diverses illustrations pour des magazines passé quelques mois dans la Grande île. comme Politikà.

6 | · brèves

FDJ POLIs VERBATIM Une justice véritable implique avant tout la crédibilité de l’appareil judiciaire. Olivier Mahafaly ‘‘ Premier ministre

ADP Comesa Une nouvelle cuvée de journalistes a grossi les De nouveaux Un sommet rangs des professionnels académiciens des à enjeux des médias formés Le 19e sommet du Marché commun par la FES à travers le partis de l’Afrique orientale et australe programme Formation 6 jeunes, femmes et hommes de (Comesa) a eu lieu dans la capitale de Jeunes Journalistes 25 à 38 ans, issus de 15 partis malgache. Robert Mugabe, le plus (FDJ). Les 14 participants politiques de différentes tendances, vieux chef d’État africain en exercice ont officiellement terminé ont terminé leur formation au ainsi que son homologue zambien, leur formation le 8 sein du programme Académie des Edgar Chagwa Lungu, ont répondu à septembre. Le premier Partis de la Friedrich-Ebert-Stiftung l’appel. Malgré quelques anicroches prix d’investigation sur (FES) cette année. L’élaboration de organisationnelles, aucun couac « La mauvaise gestion projets de société, de programmes majeur n’est à signaler. Le thème des recettes des marchés ainsi que de politiques publiques Mieux gérer les deniers de L’industrialisation inclusive et publics dans la commune ont été les piliers de cette Soutenir les efforts du durable a été à l’honneur. Pour urbaine de Mahajanga » formation. Les académiciens gouvernement de Madagascar le Président malgache, l’objectif a été décerné à Judith ambitionnent également de rompre pour mieux générer et gérer commun est de bâtir une Afrique Rachèle Rakotovao, avec les anciennes pratiques de les recettes fiscales, fournir intégrée, prospère et pacifique. journaliste de la RTA gouvernance. des services publics de Il a plaidé pour une intégration Mahajanga. Elle est a bonne qualité au niveau des régionale harmonieuse. bénéficié d’un stage d’une vie de parti collectivités locales et dans semaine à Radio Plus de le secteur de l’éducation. Tels Maurice. Les journalistes Hajo sont les objectifs ambitieux exerçant dans toutes les Andrianainarivelo du Projet d’appui pour la régions de Madagascar performance du secteur peuvent se porter s’oppose public (PAPSP) mené par le candidat(e)s. Le contenu Le parti Malagasy Miara-Miainga gouvernement malgache et des sessions de la FDJ, (MMM) de Hajo Andrianainarivelo financé par la Banque mondiale. axé autour de quatre se positionne en tant qu’opposition. L’État vise à mieux remplir sa thématiques, est défini C’est ce qui est ressorti du congrès mission auprès des citoyens et en fonction du contexte du parti. Le MMM possède dans ses fournir des services publics de national et international. rangs 14 députés. meilleure qualité.

un regard sur

Si le divorce est (...) consommé Pour se développer, le pays a besoin de (…) L’école publique et l’État Malgache entre Marc Ravalomanana et Hery partis forts ayant une vision collective sont laïcs. (…) Les vociférations bibliques Rajaonarimampianina, il faudrait que (...) le pour rehausser le niveau de démocratie. des sectes (…) n’y ont pas leurs places. ministre Roland Ravatomanga démissionne. Tanora Mitraka | 17 septembre Marc Ravalomanana | 15 octobre Paul Bert «Rossy» Rahasimanana | 21 octobre

novembre - décembre 2016 | 7 Polis · agora

relations internationales Recentrer la diplomatie malgache en Afrique

Mihanta Ramanantsoa L’organisation du sommet du Présidence de la République de Madagascar Comesa les 18 et 19 octobre, à est un message fort de revendication de l’appartenance de Madagascar au continent africain.

8 | ourtant, il n’y a pas si canal de Mozambique, au croise- longtemps que cela, ment des grandes routes maritimes Même si des voix lors de la crise de dans l’océan Indien qui fait notre discordantes s’élèvent pour 2009, le pays bruissait ADN. Quand la Chine s’engage tenter de définir l’essor qu’il de l’incompréhension pour 60 milliards de dollars lors connait actuellement (voir Pdes Malgaches à voir le chef de du dernier Forum de coopération l’article de Rick Rowden, la médiation internationale de la Chine Afrique (Focac) de 2015, L’Afrique ne s’est jamais Communauté de développement de le Japon pour 30 milliards de dol- vraiment développée dans l’Afrique australe (SADC) Joaquim lars lors de la Conférence de Tokyo Politikà 1), le Continent noir Chissano peser de tout son poids est au centre d’une bataille pour faire adopter la feuille de route diplomatique et économique afin d’aller aux élections. [...] décider à l’échelle mondiale. Malgré de ce que les multiples entraves dont NOUS SOMMES MEMBRES elle est victime, l’Afrique, de la SADC, de l’Union Africaine nous voulons de par ses richesses et son (UA) et des Nations unies. Or, potentiel humain, dispose de les mécanismes de résolution de devenir, multiples atouts susceptibles conflits au niveau de ces trois enti- défendre nos de lui permettre un sursaut tés font que, s’il y a une menace inégalé. Pour l’instant, elle est considérée comme étant de conflit dans un État membre, intérêts, là est un réservoir inégalé de matières premières pour le c’est l’organisation régionale la plus reste du monde. Les pays en phase de développement proche qui intervient en tant qu’en- la question. comme l’Inde ou la Chine qui veulent y sécuriser leur tité médiatrice selon le « principe approvisionnement. de subsidiarité ». Le comprendre pour le développement en Afrique L’une des manifestations les plus emblématiques de et l’expliquer auraient contribué à (Ticad), en août 2016, et l’Inde pour ce regain d’intérêt est l’offensive de l’Inde. Élu en mai faciliter l’appropriation du proces- 10 milliards de dollars lors du som- 2014, l’ambitieux Premier ministre Narendra Modi a sus par la population. Il est temps met Inde-Afrique en 2015, c’est en lancé diverses initiatives vers le Continent noir comme de remettre la diplomatie à la place grande partie dans le cadre d’une le sommet Inde-Afrique. À de multiples occasions, la qu’elle est vraiment, un outil de vision stratégique d’approvisionne- diplomatie indienne a mis le paquet. Ce, afin de servir les puissance pour accroître notre ment en matières premières indis- intérêts du secteur privé qui a un appétit énorme aussi influence dans le monde. En son pensables à leur développement. bien en matières premières qu’en hydrocarbures. Enfin, temps, Blaise Rabetafika, repré- Dans la sécurisation du transport de le marché intérieur africain est également très convoité. sentant permanent de Madagascar ces ressources, Madagascar a une Aussi bien les entreprises indiennes que chinoises auprès des Nations unies de 1969 carte à faire valoir au sein des grou- l’érigent en priorité. à 1992, avait présidé avec brio le pements africains à cause de son

quand le monde monde quand le séduit l’Afrique ------R.A. Conseil de sécurité en 1985 et avait positionnement géostratégique. fait rayonner la Grande île dans le monde. NOTRE SOURCE DE richesse devrait prioritairement venir de la LA DIPLOMATIE EST une décli- mer. Avant de nous focaliser sur la tie, il n’y a pas d’amitié, il n’y a que mières financé par un pourcentage naison de la politique générale de question épineuse des Îles éparses, des intérêts. Le réservoir de crois- des recettes de leurs exportations, l’état : décider de ce que nous vou- il faudrait déjà régler le problème sance du monde et son futur grenier qui sera créateur de richesses pour lons devenir, défendre nos intérêts, de chevauchement de Zone éco- alimentaire est le continent africain les États. Qui avait milité pour la là est la question. Le mouvement nomique exclusive (ZEE) – vitale (nous avons 15 millions d’hectares création de ce fonds en son temps ? part donc de nous-même par la prise pour notre économie – avec le de terres cultivables). Le président Didier Ratsiraka. de conscience de notre identité et Mozambique, la Tanzanie et les Madagascar a rendez-vous avec de nos besoins, et non l’inverse, Comores, donc négocier avec ces EN TANT QU’ÎLIENS et atta- l’histoire. Allons-nous, encore une en subissant la loi des bailleurs pays qui appartiennent tous au chés par nature à notre identité, fois, nous mettre à contre-cycle de fonds et des prédateurs de nos Comesa et à l’Union Africaine. En nous pouvons impulser l’édification de la marche du monde et rater ressources naturelles. Avec nos tant qu’île, nous avons besoin de d’une conscience africaine, à la fois ce recentrage vers l’Afrique ? Je 5 000 km de côtes, il est temps l’intégration régionale pour faire pour une véritable indépendance et reprendrai, pour conclure, les mots d’affirmer une réalité incontour- porter notre voix car seul, nous ne pour un développement Sud-Sud. du grand Nelson Mandela sur la nable : nous sommes une île. signifions rien. D’ailleurs, le Japon Cela passe par un financement vision d’un pays et le concept du Si c’est à la fois notre chance et et l’Inde ont totalement intégré le accru des institutions africaines par mot agir : « agir pour soi, c’est de notre point faible, c’est ce posi- poids du continent africain pour les États africains. Par exemple, l’intérêt; agir pour demain, c’est tionnement géostratégique à peser aux Nations unies et surtout la création d’un Fonds de stabili- de la politique et agir pour l’avenir, 400 km des côtes africaines dans le au Conseil de Sécurité. En diploma- sation des cours de matières pre- c’est du nationalisme ». P

novembre - décembre 2016 | 9 Polis · perspective

Le couple Rajaonarimampianina au 22e Synode de l’Église Luthérienne à Antsirabe, en septembre © Présidence de la République Madagascar

10 | laïcité de l’État La croix et la bananière

Les relations entre, d’un côté, la politique et l’Église et, de l’autre l’Église et l’État à Madagascar, sont si singulières que les frontières entre les trois parties deviennent quelquefois floues. Reportage.

Alain Iloniaina

a déclaration de Mahamasina est- entre la politique et l’Église, ne datent pas d’au- II et du Premier ministre en elle annonciatrice d’une ère nouvelle jourd’hui. Mais la pratique née au début des 1869. « Des tentatives de formation de partis dans les relations entre la politique années 2000 fait entrer les relations entre les politiques ayant un lien avec la religion avaient et l’Église, au sens large du terme ? deux parties dans une autre dimension. Le slogan eu lieu dans les années 70, mais elles avaient « L’Église et l’État sont dans l’obliga- du candidat à la présidentielle de 2001, Marc échoué faute de mobilisation », soutient Jeannot Ltion de travailler ensemble. Mais je m’adresse Ravalomanana, « Minoa fotsiny ihany » (« Ne Rasoloarison, historien. Mais le contexte socio- aux tenants du pouvoir, à tous les politiciens crains pas, crois seulement » - Marc 5-36), sym- économique de ces dernières décennies constitue en disant ceci : prenez garde à ne pas faire bolise cette période de justice et de rectitude. Les un terreau favorable à l’instrumentalisation de la de l’Église un instrument politique », tonne le réunions officielles, parfois ponctuées de prière – religion par les politiques. « Les gens sont tel- pasteur Irako Ammi Andriamahazosoa, nouveau dans un État censé être laïc – traduit cette dérive, lement pauvres qu’ils cherchent un moyen pour président de l’Église reformée de Madagascar à l’image de ces prières interconfessionnelles qui s’accrocher à la vie. Ils trouvent un refuge dans (FJKM), le 25 septembre au Palais des sports et ont lieu à chaque célébration de la fête nationale la religion, devenue leur caution morale », ana- de la culture. à Iavoloha. Il fut un temps où la course effrénée lyse-t-il. Le ratissage politique dans le milieu des hommes politiques, détenteurs ou pas du pou- religieux s’explique par une velléité de mettre la LA DÉCLARATION DU PRÉSIDENT de la voir politique, pour occuper des fonctions au sein main sur un réservoir d’électeurs. « Les fidèles FJKM pourrait être perçue comme annonciatrice des structures des Églises, est devenue monnaie sont considérés comme une majorité et il est d’un nouveau cycle dans les relations entre la courante. Parfois, les élections des membres des relativement facile de les convaincre », remarque politique et l’Église, du moins dans l’intention. instances dirigeantes des Églises deviennent le l’historien. Et ce, même s’ils ne représentent que Prise de conscience ou effet d’annonce, l’al- théâtre d’âpres combats entre rivaux politiques. la moitié des Malgaches. Le pasteur Emmanuel locution enfonce une porte ouverte concernant Djacoba Tehindrazanarivelo va beaucoup plus le rapport entre les deux parties, allant jusqu’à L’INSTRUMENTALISATION de la religion loin pour évoquer la culture électorale des fidèles impacter les affaires nationales – voire celles de en tant que moyen politique existe toujours. Le de l’Église réformée. « La participation sociale, l’État – ces dernières décennies. Les relations, motif politique n’est pas étranger à la conver- économique et sociale fait partie d’une tradi- débouchant parfois sur une ingérence mutuelle sion au christianisme de la reine Ranavalona tion chez elle. Tout le monde tente de séduire la

novembre - décembre 2016 | 11 Polis · perspective

FJKM, non pas parce que ses fidèles sont les plus Avec ses méthodes nombreux, mais grâce à leur habitude électorale peu catholiques, interne », explique le théologien. Marc Ravalomanana a su séduire l’électo- HISTORIQUEMENT, Marie Michel Robivelo, rat chrétien enseignant en science politique, évoque l’utili- sation par les hommes d’Église de leur charisme dans leur carrière politique. Emmanuel Djacoba Tehindrazanarivelo, relativise pourtant l’ins- trumentalisation de la religion par les hommes politiques, qu’il considère comme une pratique courante dans le monde. « Tout le monde tente d’utiliser tous les moyens, y compris l’Église », pour la conquête du pouvoir ou pour s’y maintenir. Il note que l’ancien président Marc Ravalomanana n’a pas été le seul à tenter de séduire les fidèles mais « il a trouvé le bon filon ». Il décrit le « génie » du fondateur du Tiako i Madagasikara (TIM) qui a « compris l’imaginaire des fidèles et qui a su sur quel bouton s’appuyer » afin de s’assurer de leur appui politique, par le biais de la parole de Dieu. La stratégie du messianisme politique fait

des émules. « Des hommes politiques ont conclu © Alain Iloniaina

que l’utilisation des arguments religieux permet de lorgner les fidèles, qui les suivent ensuite à la laïcité à l’orée du monde l’aveuglette », soutient Jeannot Rasoloarison. Le pasteur Emmanuel Djacoba Tehindrazanarivelo La laïcité est la séparation de l’État l’instar de la Jordanie. Enfin, certains apporte un éclairage concernant les critiques d’in- et de l’Église. Elle est fondée sur les tendent vers une certaine laïcité, davan- fantilisation des fidèles derrière l’instrumentalisa- principes de la neutralité de l’État, de la tage présente dans les textes que dans tion politique de la religion. « La foule ne pense liberté de conscience et du pluralisme. les pratiques. pas. Le génie des meneurs est qu’ils comprennent Derrière cette définition classique se Dans la Constitution de la Quatrième immédiatement le besoin de la masse. La foule les décline toute une variété de pratiques République malgache, la laïcité « repose suit immédiatement à partir d’une ou deux idées concernant les relations entre l’État sur le principe de la séparation des majeures, avance le théologien. Il ne s’agit pas et l’Église, au sens large du terme. Le affaires de l’État et des institutions d’une situation normale mais plutôt d’une suite modèle français instaure une séparation religieuses et de leurs représentants ». logique dans l’histoire entre l’Église et l’État ». stricte entre les deux. La laïcité à la Non-immixtion réciproque de l’État et Ce pragmatisme contraste avec l’explication française diffère de celle des États-Unis des institutions religieuses dans leurs « rationnelle » des intellectuels des événements. là où « les hommes politiques font cou- domaines respectifs, principe de non- « Ces derniers n’arrivent pas à convaincre la ramment référence à leurs convictions cumul de mandat politique et religieux, masse. Ils se trouvent dans une logique d’explica- religieuses, sans qu’il y ait pour autant en font partie. Pour la journaliste tion rationnelle sans chercher le point de déclic, immixtion des Églises dans la conduite Lova-Rabary Rakotondravony, l’« Église d’où la distance avec la masse », expose le théo- des affaires publiques », selon le Sefafi. joue un rôle primordial, non seulement logien. D’où l’incompréhension entre la foule et L’Observatoire note des modèles dans le développement de Madagascar, les intellectuels. « concordataires » comme en Allemagne mais aussi dans sa démocratisation. Par ou dans les pays scandinaves. Pour les valeurs qu’elle véhicule, mais aussi LA CONFUSION ENTRE la politique ces derniers, les relations entre l’État par ses interpellations (et) contribue à et la religion pose pourtant la problématique de et l’Église sont fondées sur un « par- l’instauration de la démocratie. (Elle) la laïcité de l’État – prévue par la Constitution tenariat d’intensité variable ». Dans doit pouvoir ainsi continuer à jouer un – « qui interdit l’ingérence du pouvoir politique les sociétés se réclamant de l’islam se rôle de balise (…) Mais pour la réussite dans les affaires de l’Église et vice-versa », selon trouvent des États totalement inféodés de cette entreprise, il est plus qu’urgent Marie Michel Robivelo. Or dans la pratique, « le aux lois de l’Islam, comme en Arabie qu’elle mette un frein à toute velléité de système de relations entre les Églises et l’État Saoudite. D’autres instrumentalisent l’engager sur la voie partisane ». à Madagascar est de plus en plus caractérisé l’Islam au service de leurs politiques, à ------I.A. par une ingérence mutuelle dans les affaires des unes et de l’autre », soutient l’Observatoire de

12 | Paul RABARY Ministre de l’Éducation nationale et sociologue La laïcité n’est pas une donnée factuelle qui se décrète

Comment expliquer les relations intimes Comment Madagascar, censé être laïc, Églises et la religion de l’influence et/ou de entre la politique et la religion dans la peut-il s’adapter ou changer face à cette l’emprise de l’État. Dans les pays occiden- société malgache ? ‘‘ relation historique entre la politique et taux comme le Royaume-Uni et les pays C’est le fruit de la relation historique la religion pour qu’il y ait harmonie et nordiques, la réalité est toute autre sans de la religion et du pouvoir politique développement ? que cela remette en cause les valeurs et à Madagascar. Et pas que la religion À partir de ce fait, quel genre d’adaptation les pratiques démocratiques de ces pays ni chrétienne, qui n’a été introduite dans le ou de changement voulons-nous ? Et par même leur développement économique. La pays que vers 1820. Depuis la royauté, le rapport à quoi ? Peut-être par rapport aux laïcité n’est pas une donnée factuelle qui pouvoir temporel ne peut être dissocié du valeurs de la République. Mais est-ce que se décrète. Elle est le produit de la relation pouvoir spirituel. Ranavalona II a instauré nous avons suffisamment compris et cerné et du rapport constant et historique entre le christianisme comme une religion ce qu’est la République ? Je constate que l’Église et l’État. L’analyse de la laïcité d’État. L’imaginaire collectif de la société la conception de la laïcité est variable d’un devrait se faire en dehors de tout jugement malgache s’est nourri de la sacralité du pays à l’autre. En par la laïcité, on de valeur. Mais au-delà de la laïcité, le pouvoir et principalement du pouvoir poli- vise surtout à protéger l’État de l’influence développement de toute société se trouve tique. Le Fanjakana mais aussi la FFKM et/ou de l’emprise de l’Église. Par contre, handicapé et compromis si les fondements sont perçus comme des ray aman-dreny. aux États-Unis la laïcité vise à protéger les culturel et cultuel sont dissociés.

Alain Iloniaina | Retrouvez l’integralité de l’interview sur www.politika.mg

la vie publique (Sefafi). Marie Michel Robivelo de liberté soient violés en faveur des groupes L’HOMME D’ÉGLISE SUGGÈRE un débat estime qu’il « existe une conception chez les poli- religieux proches du pouvoir est grand (« Église pour trouver la solution idoine afin de définir la ticiens selon laquelle ceux qui contrôlent les et État dans le nouveau contexte de la démocra- manière d’appliquer la laïcité de l’État si spécifique structures religieuses peuvent contrôler les struc- tisation : le cas de Madagascar », octobre 2013.) dans la Grande île. « On ne va pas faire les rela- tures étatiques ». À qui profite la confusion entre Le Sefafi avait interpellé le favoritisme du régime tions entre les deux parties un obstacle au dévelop- la politique et la religion ? « Chacun en tire parti au profit de la FKJM dont le chef de l’État pement. Il faut clarifier le rôle et la responsabilité (détenteurs du pouvoir politique et Église). Les avait été son vice-président en 2004. La partia- de chacun, plaide l’enseignant. C’est le rôle des détenteurs du pouvoir politique appréhendent lité du régime face aux différentes confessions intellectuels. Mais est-ce qu’ils endossent ce cos- parfois l’Église, au sens large du terme, soupçon- avait provoqué une « tension latente entre les tume ? Y-a-t-il encore de la place pour eux dans née d’être un facteur déstabilisateur du régime, fidèles », juge Marie Michel Robivelo. D’ailleurs, le contexte et la culture actuelle ? ». Le théologien parfois ils la considèrent comme une alliée. Ils l’ambiance délétère au sein de la Confédération milite pour une laïcité qui n’est ni une exclusion agissent ainsi en fonction de la situation afin de des Églises chrétiennes (FFKM) fait partie des ni une inclusion mais un pluralisme. Le Sefafi faire pencher le rapport des forces en leur faveur. explications de l’échec de sa médiation dans la admet le rôle d’ultime rempart en cas de crise des Mais de son côté, l’Église trouve quelquefois crise politique de 2009. Le pasteur Emmanuel chefs d’Église, ainsi que la complémentarité entre dans le gouvernement un moyen de subvenir à Djacoba Tehindrazanarivelo pense pourtant l’action de l’État et celle des Églises, notamment ses besoins matériels, d’assurer sa consolidation qu’une séparation stricte entre l’État et l’Église, en matière d’éducation et de santé. Il insiste sur la ou son extension », argue l’enseignant. une laïcité à la française, est impossible si l’on non-immixtion de l’une ou de l’autre partie dans le tient compte de la dynamique de la société et de rôle respectif de chacun. Concrètement, l’Observa- LES RELATIONS ÉTROITES entre l’état et la culture malgache. Le théologien argumente toire penche pour la renonciation des grands com- l’église ne sont pas sans danger. La journa- que l’« État moderne et l’Église à Madagascar mis de l’État aux fonctions de direction dans les liste Lova Rabary-Rakotondravony relate que sont historiquement entrelacés. D’ailleurs, Églises et celle des dignitaires des Églises doivent l’« association d’une religion à l’État et à l’exer- l’embryon du premier est né du second ». Marie renoncer aux responsabilités publiques. Il n’est pas cice du pouvoir peut entraîner une inégalité de Michel Robivelo partage l’impossibilité de la dis- contre un partenariat entre les deux parties mais traitement de toutes les croyances existant au sociation dans la mesure où « notre Constitution exige une procédure claire définie à l’avance. Il sein d’un pays. Si l’État et l’Église ne sont pas affirme même la croyance du peuple malgache en propose enfin un mécanisme pour une interpella- séparés, le risque que les principes d’égalité et Andriamanitra Andriananahary ». tion mutuelle entre les deux parties. P

novembre - décembre 2016 | 13 Polis · carnet

Fela Mijoro Razafinjato, toujours debout YLTPienne, femme active, citoyenne engagée… Fela Mijoro Razafinjato est sur tous les fronts en ce qui concerne les personnes en situation de handicap. Portrait.

Andriamanambe Raoto Felana Rajaonarivelo

ela Mijoro Razafinjato, c’est d’abord des établissements catholiques les plus presti- de la Suisse, il m’a accordé sa confiance pour un caractère forgé à l’acier trempé et gieux de la Grande île. Le Frère directeur refuse devenir son assistante malgré la réticence de ses une joie de vivre contagieuse. Malgré la candidature de Fela prétextant le faible niveau collègues face à mon handicap ». Durant cette les épreuves de la vie, elle n’a jamais de son collège et surtout les infrastructures période, elle prend de plus en plus de respon- renoncé à sourire. de l’établissement inadaptées à son handicap. sabilité en faveur des personnes en situation de F « J’avais assisté au bras de fer entre ma mère handicap. Le véritable virage sera sa participation Bataille et le Frère directeur qui était totalement contre à un séminaire pour les femmes dans cette situa- En 1976, une épidémie de poliomyélite fait rage et éprouvait presque de l’aversion pour moi. tion à Washington en 1995. À partir de là, elle à Madagascar. La petite Fela – la dernière d’une C’était une situation humiliante ». Menaçant de sera entièrement engagée à cette cause. La créa- fratrie de huit enfants – contracte la maladie. Le porter plainte contre l’établissement, la mère tion du centre Sembana Mijoro sera la traduction diagnostic est sans appel : elle sera handicapée obtient que sa fille passe le concours d’entrée. concrète de cet engagement. Le rêve de cette le restant de sa vie. Ce qui est inconcevable Inconsciemment, après la rencontre houleuse, la femme qui caresse un jour l’espoir de devenir pour la mère, infirmière. Après avoir épuisé tous jeune fille lâche, en larmes : « Je vais m’investir députée ou sénatrice ? « Bâtir un centre Sembana les recours médicaux et religieux, elle accepte dans la cause des personnes en situation de Mijoro dans 15 régions de Madagascar ». Un finalement la situation. Au lieu de sombrer dans handicap plus tard, quand je serai grande ». Au défi à la portée de cette femme habituée aux la dépression, la femme se battra aux côtés de collège, son cursus était entièrement en malgache combats. P sa fille. « Elle était pleinement investie. Elle m’a contrairement à celui de l’ESCA. Fela doit donc inscrite dans un établissement privé pour que je redoubler d’effort. Elle est admise avec la deu- puisse vivre et avoir une enfance normale », se xième note sur une cinquantaine de concourants. en 5 dates souvient-elle. Les débuts de Fela dans l’éduca- « J’étais très fière et ma mère aussi. C’était un tion résumeront le reste de sa vie : une bataille combat que nous avions remporté ». Mais son 1987 | entrée à l’l’École Sacré-Cœur permanente contre le monde d’abord, puis contre entrée au lycée, section G2, sera le désenchan- Antanimena son handicap. « Les premiers jours d’école, je me tement. Une fois de plus, elle est rejetée par ses suis retrouvée toute seule. Imaginez une petite pairs. « Certains craignent que je leur trans- 1992 | sortie de promotion fille isolée et dont les autres se moquent ». Malgré mette mon handicap ». Cette méconnaissance est à l’Institut supérieur de la les épreuves, elle persévère et s’attèle à appliquer encore une réalité, jusqu’à maintenant. communication, des affaires et du les mantras de sa mère : « Sois la première, sois management souriante et soigne ton image. Tu verras que tu Épreuve seras acceptée ». Un précepte que Fela appli- « J’étais seule pendant un long mois. Personne 1995 | premier voyage aux quera à la lettre. Lors des premiers examens, n’a voulu m’adresser la parole, même ma voi- États-Unis pour assiter à un elle obtient d’excellentes notes et le respect des sine ». Mais comme à chaque fois, l’étude sera séminaire pour les personnes en écoliers qui la considéreront dorénavant comme sa planche de salut. Au premier test, elle obtient situation de handicap une des leurs. la meilleure note. Comme lors de ses années de primaire, son intelligence finit par rompre les bar- 1998 et 1999 | mariage et naissance Infrastructures rières avec ses compagnons de classe. Le bac en de son premier enfant Le BEPC passé avec brio, en 1987 Fela doit poche – avec la mention Bien – Fela intègre l’IS- de nouveau affronter une épreuve : entrer dans CAM. Cette fois-ci, l’aventure se passera sans 2003 | Inauguration du centre le monde de l’adolescence. Sa mère qui veut le aucun accro. Major de sa filière, elle sera lan- Sembana Mijoro meilleur pour sa fille, envisage de l’inscrire à cée dans le grand bain du monde professionnel l’École Sacré-Cœur Antanimena (ESCA), l’un par Jaona Ranaivoson. « Fraîchement débarqué

14 | © Felana Rajaonarivelo / Fireflies - Women Exhibition Project , American Center, Mars 2016.

novembre - décembre 2016 | 15 Polis · valeurs île Maurice La population comme socle Comment un pays quasiment condamné par les instances internationales au sortir de son indépendance a su se transcender et devenir un tigre ? Par ses hommes et par des décisions sages.

Karina Zarazafy

ctuellement à sa 48e année d’indé- création d’emplois décents. L’Exécutif mauricien pendance, Maurice figure parmi les met en effet la création d’emplois parmi les pays les plus riches de la région priorités affichées ». Pour ce faire, l’État mauri- Afrique subsaharienne. L’île est cien a instauré un système de redistribution des classée première en termes de richesses bénéfique pour tous. Toutes les res- Acompétitivité en 2015-2016 par le Forum écono- sources générées par la croissance économique mique mondial. enregistrée par le pays sont réparties grâce à un généreux système d’assistance sociale sous LE CITOYEN MAURICIEN est 25 fois plus les bons auspices de l’État providence. Ce qui riche que son homologue malgache de classe explique le fait qu’aussi bien la santé, l’éducation moyenne. « En 1982, le Produit national brut que le transport public pour les étudiants, les per- (PNB) par habitant de l’île Maurice était de sonnels de santé et les personnes âgées, y soient 200 dollars, la plaçant parmi les pays les plus gratuits. Du fait d’un bon système éducatif, les endettés de l’Afrique. Mais au bout de 13 années, citoyens mauriciens sont dans la mesure d’exiger soit en 1995, elle a atteint les 6 000 dollars. de l’État qu’il assure le bien-être de tous. Ce, en Actuellement, les mauriciens sont pratiquement leur offrant la possibilité de satisfaire les besoins à 10 000 dollars par habitant », explique Nando essentiels comme l’alimentation, le logement, le Bodha, ministre mauricien des Infrastructures santé, l’accès égal au travail, la sécurité, l’édu- publiques. Ce qui n’est guère le fruit du hasard. cation, les droits de l’homme, la culture et le Si le pays a pu atteindre ce résultat, et se posi- patrimoine, etc. tionner parmi les économies les plus compétitives d’Afrique, c’est grâce à la diversification de son L’ÎLE MAURICE ALLOUE près de 60% de économie et au fait qu’il y eut « une alternance ses recettes au social. Pendant que Madagascar, démocratique dynamique avec une machine avec ses 56 années d’indépendance et ses innom- de développement qui continue », souligne le brables ressources, alloue 60% de ses recettes ministre. Ce miracle économique mauricien a aux quelque 162 000 fonctionnaires de l’admi- également pu s’achever grâce à une ouverture nistration publique, qui ne constituent même pas du pays au monde et à la valorisation du facteur 1% de sa population. « Le développement durable humain, ainsi qu’au respect de la séparation des doit être à la fois économiquement efficace, socia- pouvoirs. lement équitable et écologiquement tolérable. Le social doit être un objectif, l’économie un moyen SOODESH SATKAM CALICHURN, ministre et l’environnement une condition. Jusqu’à présent, du Travail, des Relations Industrielles, de l’Em- je pense que Maurice a réussi à maintenir cet ploi et de la Formation, lors de son passage équilibre. Mais on a encore des efforts à faire », à Madagascar en juillet – à l’initiative de la avait reconnu le ministre du Travail mauricien. Si Friedrich-Ebert-Stiftung – avait souligné que l’île Maurice doit faire des efforts, Madagascar « tous les efforts que le gouvernement de Maurice doit réellement s’appliquer. C’est une question met en place actuellement ont pour unique but de bon sens. Il suffira d’une étincelle pour que la

© Mauritius Tourism Promotion Authority de créer la richesse qui doit s’accompagner de Grande île s’envole, comme Maurice. P

16 | les 4 piliers du développement

Le système L’industrie politique et les finances La République mauricienne suit L’économie mauricienne était un régime parlementaire. Le chef basée jusqu’au début des années de l’État n’y a pas de réel pouvoir 70 sur la monoculture sucrière. exécutif. Les manettes sont entre Mais à partir des années 80, le les mains du Parlement. Le Premier pays a commencé à diversifier ses ministre préside la destinée de l’île. activités économiques. Le pouvoir Ce régime a permis à l’île Maurice en place à l’époque a adopté une d’avoir une meilleure représentativité stratégie d’industrialisation et a de la volonté du peuple en termes doté le pays des technologies et des de politiques publiques. Le pays infrastructures nécessaires pouvant affiche également une nette développer les autres secteurs. Outre séparation des pouvoirs et s’est doté la filière sucre, les secteurs les plus d’institutions indépendantes, garantes porteurs sont désormais le textile, du respect de cette séparation : à le tourisme et les finances. L’île l’exemple du bureau de l’Electoral Maurice ne cesse de promouvoir les Commissioner office garant de la investissements aussi bien nationaux transparence des élections – qui agit qu’étrangers. La diversification indépendamment du pouvoir en s’étend de plus en plus jusqu’aux place – , de la direction des poursuites niveaux régional et international. publiques, d’un bureau indépendant Actuellement, le secteur industriel de lutte contre la corruption, contribue à près du quart du PIB du aussi bien fonctionnellement que pays, contre près de deux-tiers pour budgétairement, et d’autres structures. les services.

L’État providence La démocratie L’État mauricien a misé sur sa La démocratie mauricienne se reflète population pour se développer. dans la considération, la prise en Dans les années 80, il a adopté une compte, de chaque communauté stratégie qui puisse augmenter et de chaque couche sociale, dans la productivité des Mauriciens. les processus de prise de décisions. L’Administration s’est muée en État Tous ceux qui sont au pouvoir sont providence. Elle est intervenue dans élus. Le système politique se base la production et la distribution des sur le principe électif. Mais du fait biens et services pour assurer un de la multiculturalité de l’île, le certain égalitarisme. Par exemple, la « best loser system » – un principe détaxation des électroménagers pour de « nominations correctives » – a pouvoir augmenter la productivité été instauré. Ce, afin d’assurer des femmes a été décidée. L’État un équilibre de la représentation a également osé s’opposer à la parlementaire des différentes Banque mondiale sur la question communautés ethniques au cas de la subvention de la santé et de où cela n’a pas pu être fait par les l’éducation. Une décision qui, au lieu résultats des urnes. Ce système de sanctionner l’économie, a permis politique combiné au libre accès à l’île de réaliser le « premier miracle à l’éducation de tous les citoyens mauricien » et d’atteindre le niveau ont permis au pays de préserver la actuel de développement. stabilité politique et la sécurité.

novembre - décembre 2016 | 17 Polis · valeurs

industrialisation L’échec de l’Afrique ? Jamais les appels en faveur de l’industrialisation de l’Afrique ne se sont faits aussi pressants qu’aujourd’hui. C’est sans nul doute le sujet le plus débattu du continent. Pourquoi aucune initiative n’est jusqu’alors parvenue à faire bouger les lignes de cet indicateur important du développement ?

Masimba Tafirenyika

econnue pour créer de la prospérité, des emplois et une aug- mentation des revenus, l’industrialisation est une promesse de campagne qui s’étend à tout le continent africain. Pourtant, l’Afrique est aujourd’hui moins industrialisée qu’elle ne l’était il y a 40 ans. La contribution du secteur manufacturier à la crois- Rsance du PIB a en fait reculé, passant de 12% en 1980 à 11% en 2013, et stagne depuis, selon la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA).

LE GROUPE DE RECHERCHE BRITANNIQUE The Economist Intelligence Unit, estime que l’Afrique représentait plus de 3% de l’indus- trie manufacturière mondiale dans les années 1970. Depuis, ce pourcentage a diminué de moitié et cette tendance risque de se poursuivre tout au long de la décennie. Les prix élevés des matières premières dus à l’appétit appa- remment insatiable de la Chine pour les ressources naturelles, ont alimenté une croissance économique rapide en Afrique depuis les années 1990. Nombreux sont ceux qui croyaient que cet élan allait relancer une industrie manufacturière sur le déclin. Pourtant, au grand dam des analystes, ce n’est pas ce qui se produisit. Au lieu de capitaliser sur cette croissance pour stimuler ou bâtir leurs industries, les pays africains, à quelques exceptions près, ont dilapidé leurs revenus dans des dépenses improductives. C’est ainsi que le Ghana et la Zambie ont résolu leurs problèmes à court terme, notamment en augmentant le salaire des fonctionnaires. La chute des prix des matières premières et le ralentissement de la croissance économique chinoise ont levé le voile sur le mythe de « l’essor de l’Afrique ». Le Fonds monétaire international (FMI) estime que la croissance devrait tomber sous les 4% en 2016, « et nombreux sont ceux qui redoutent la répétition du

18 | cercle vicieux d’explosion des prix des matières premières puis de réces- fragilité des infrastructures – manque d’électricité, routes endommagées, sion », a mis en garde The Economist. ports saturés – qui augmente les frais de transport des matières premières et l’approvisionnement en produits finis. Mais The Economist reconnaît que S’INDUSTRIALISER OU PÉRICLITER. Si les dirigeants africains « la démographie favorable de l’Afrique, son urbanisation croissante et ses avaient suivi les recommandations des experts et tiré profit du boom des vastes ressources agricoles soulignent le potentiel industriel de la région ». matières premières pour stimuler les entreprises, les résultats auraient pu être différents. Quelles sont les options qui s’offriront dès lors à l’Afrique LE BON, LA BRUTE ET L’INTELLIGENT. De nombreux experts ont dans les prochaines années ? C’est la question sur laquelle les décideurs encouragé l’Afrique à se tourner vers un protectionnisme taxé de subtil politiques et les experts économiques se sont penchés à Addis-Abeba, en ou de ciblé – c’est-à-dire imposer des barrières tarifaires temporaires afin Éthiopie, lors de la publication par la CEA de L’Écologisation de l’indus- de protéger les industries naissantes des effets néfastes des importations. trialisation de l’Afrique : rapport économique sur l’Afrique, 2016. Leur Dans son livre Mauvais samaritains : le mythe du libre-échange et l’histoire conclusion est unanime : la seule option viable est l’industrialisation. Au secrète du capitalisme, M. Chang, que le Financial Times décrit comme « le cours des discussions, les experts ont convenu que l’une des principales détracteur sans doute le plus efficace de la mondialisation », affirme que causes de la faible industrialisation de l’Afrique réside dans l’incapacité « les pays riches ont traditionnellement misé sur le protectionnisme pour des dirigeants à mettre en œuvre des politiques économiques audacieuses dominer économiquement ». Publishers Weekly affirme quant à lui que les de peur de s’aliéner les donateurs. La plus forte critique de cette carence pays riches « prônent le libre-échange et un marché concurrentiel auprès politique ne provenait pas du débat à Addis-Abeba, mais du quotidien bri- des pays pauvres afin de capturer une plus grande part de marché etde tannique, The Financial Times : « L’Afrique est sur le point de passer à côté préempter l’émergence d’éventuels concurrents ». Ce sont ces pays que d’une opportunité car ses dirigeants – et ceux qui suivent les évolutions M. Chang qualifie de « mauvais Samaritains ». M. Moghalu fait partie des depuis Londres, ou Washington – sont obnubilés à tort par les varia- nombreux décideurs politiques africains qui soutiennent le protectionnisme tions du PIB et les flux de capitaux étrangers investis pour la plupart dans temporaire. Il considère qu’il est non seulement nécessaire mais qu’il peut les industries d’extraction des ressources et dans les centres commerciaux », également être réalisé dans le respect des règles de l’Organisation mondiale a affirmé Kingsley Moghalu, ancien vice-gouverneur de la Banque centrale du commerce (OMC). La CEA partage cet avis et soutient que les pays du Nigéria. Dans une tribune extrêmement bien argumentée, il implore d’Afrique peuvent poursuivre en toute légitimité une politique de protec- les pays africains de « rejeter l’idée préconçue selon laquelle ils pourront tionnisme avisé à l’instar des pays d’Occident. « Tous les pays industriels rattraper l’Occident en devenant des sociétés post-industrielles sans avoir ont commencé par un certain protectionnisme » affirme Carlos Lopes, le d’abord été des sociétés industrialisées ». Ha-Joon Chang, économiste à Secrétaire exécutif de la CEA, avant d’ajouter : « Nous ne pouvons tou- l’université de Cambridge et co-auteur du rapport récemment publié par la tefois plus faire du protectionnisme aveugle, nous sommes tenus par des CEA, Politique industrielle transformatrice pour l’Afrique, partage cette négociations commerciales au niveau mondial. Si nous devons élaborer les opinion. Il appelle à une « politique imaginative » – de la créativité dans règles pour l’Afrique, il nous faut un protectionnisme intelligent ». Comme l’élaboration des politiques - et presse les décisionnaires de ne pas se limi- pour bien prouver que les États riches pratiquent effectivement le protec- ter à une politique théorique. « Les pays africains ont besoin de se faire tionnisme, l’Organisation mondiale du commerce a publié en juin 2016 une confiance pour développer des politiques alternatives et s’y tenir», a-t-il étude qui montre la progression rapide du protectionnisme ou des restric- annoncé à Addis-Abeba. tions au libre-échange par les pays du G20. Entre la mi-octobre 2015 et la mi-mai 2016, explique le rapport, les économies du G20 ont mis en place UNE MAIN FERME SUR LE VOLANT. Le développement des indus- 145 mesures restrictives en adoptant en moyenne 21 nouvelles mesures par tries en Asie est un cas d’école : les politiques publiques de développement mois, « ce qui constitue une augmentation considérable par rapport à la ont permis aux économies de la région de sortir de la pauvreté à la fin du période couverte par le précédent rapport où ces mesures se chiffraient en 20e siècle – reconnaît clairement M. Moghalu. Il insiste sur le fait que « les moyenne à 17 par mois ». gouvernements doivent montrer le chemin fermement, en adoptant une poli- tique volontariste qui crée un environnement favorable à la croissance et SUIVEZ LE GUIDE ! L’Éthiopie, le Rwanda et, dans une moindre mesure, l’emploi ». L’ancien vice-gouverneur de la Banque centrale s’empresse de la Tanzanie ont démontré leur faculté à se frayer un chemin vers l’indus- préciser : « Ce n’est pas un argument qui plaide en faveur d’une approche trialisation : ils ont tous adopté des politiques industrielles qui favorisent étatiste et autoritaire qui étoufferait la productivité et entraverait la concur- leurs propres industries manufacturières. En plus de ce que les experts rence ». Faisant référence à une des leçons de la crise financière de 2008, M. appellent « le modèle d’État développementiste », dans lequel le gouverne- Moghalu insiste : « Les marchés doivent être au service de la société et non ment contrôle, dirige et régule l’économie, ces pays ont adopté des poli- l’inverse ». Selon lui, l’Éthiopie et le Rwanda sont des exemples notables tiques favorables aux investisseurs. Plus important encore, ils ont démontré d’une industrialisation réussie. Adeyemi Dipeolu, conseiller économique leur engagement et pris le contrôle de ces politiques. Depuis 2006, le secteur du vice-président du Nigéria Yemi Osibanjo, partage ce point de vue. Il a manufacturier de l’Éthiopie a augmenté en moyenne chaque année de plus affirmé à Addis-Abeba que les décideurs politiques africains sont « réticents de 10%. L’Éthiopie montre l’exemple. Le pays est la preuve que l’indus- à élaborer des politiques innovantes par peur des diktats et des condi- trialisation peut se produire en Afrique. Le continent a besoin d’engagement tions imposées par l’Occident ». The Economist voit pourtant les choses politique et d’audace pour mettre en œuvre les politiques adéquates malgré différemment. Dans son analyse de l’échec de la politique industrielle de toutes les oppositions. « Pour que le capitalisme fonctionne en Afrique, l’Afrique, il constate que si la désindustrialisation intervient souvent dans comme il a pu fonctionner en Chine et en Asie de l’Est, les décideurs publics les pays riches, « beaucoup de pays africains se désindustrialisent alors doivent sortir des sentiers battus et cesser de se conformer à l’orthodoxie », même qu’ils sont pauvres... en partie parce que la technologie réduit la conclut M. Moghalu. P demande de travailleurs peu qualifiés ». L’autre raison de cet échec est la Article initialement paru dans la Revue Afrique Renouveau

novembre - décembre 2016 | 19 Polis · bloc-note

Sommes-nous FOCUs des citoyens modèles ?

vant de ré- Pourra-t-on accéder à l’exemplarité (tout le monde pondre à la doit aspirer à revendiquer ce droit fondamental) si question, aucune personne ne s’intéresse à la vie publique permettez- et à la vie politique ? Où ira ce pays si chacun se moi d’abord résigne à satisfaire ses besoins alimentaires quo- deA définir brièvement ce tidiens ? Être un citoyen modèle, c’est au moins qu’on entend par citoyen et interpeller l’État sur des choses très simples inhé- ce qu’on entend par modèle. rentes à la vie de la nation pour ne citer que la Le citoyen est une personne qui lutte pour la gratuité des soins dans les hôpitaux est en connaissance de ses droits publics, celle pour la liberté d’expression, la sécu- et devoirs envers la nation (chacun est rité et la salubrité urbaines. Peut-être que l’État redevable envers la nation et vice-versa). Être doit axer sa politique sur les sensibilisations de modèle, c’est le fait d’appliquer consciencieuse- masse en matière de civisme et de citoyenneté. ment et à la lettre les règles établies par Sera-t-on un politicien modèle si, à chaque la société (sinon ce sera la porte ou- fois que l’on est mécontent, l’on exige verte aux sanctions). Je voudrais le départ du Président en exer- vous laisser le soin d’essayer cice et que l’on n’attend pas les de répondre à la question en élections prévues pour cela ? Tsiory Randrianarivony est orientant vos réflexions sur Est-on un politicien modèle si économiste de formation avant Il faudrait fixer quelques questions. on est le premier à bafouer de s’orienter vers la diplomatie en Est-on un citoyen modèle les constitutions et les lois ? écumant le service protocole du une bonne fois si on ne connaît pas, par Le mieux, ce serait peut-être ministère des Affaires étrangères avance, les devoirs envers d’amender les lois sur les (MAE) et en prenant part à de pour toute les la nation et faire en sorte élections pour que celles-ci nombreux formations et colloques. de les appliquer ? Je veux règles de jeu ne soient plus en faveur des Tsiory Randrianarivony est bien admettre qu’il y ait en- dirigeants. Il faudrait fixer une actuellement le chef du service core beaucoup d’analphabètes démocratiques. bonne fois pour toutes les règles d’Appui aux investissements et de personnes défavorisées trop de jeu démocratiques. Ce serait directs étrangers et à la promotion occupées à leur train-train quotidien, une mesure bienvenue. du tourisme au MAE, chargé de mais comment se fait-il par exemple que le Pour conclure, critiquer ne veut pas toujours mission du service des relations Malgache n’enlève pas son chapeau et ne s’immo- forcément signifier vouloir renverser le régime. extérieures au sein de la commune bilise pas pendant l’hymne national ? Comment Défendre le pouvoir ne veut pas non plus dire urbaine d’Antananarivo. expliquer le marchand illégal qui fait une grève vendre son âme pour le diable. Être politicien YLTP 2010. à chaque mesure d’assainissement initiée dans signifie servir le peuple. Autrement dit, il faut cri- la capitale ? Comment justifier ces piétons qui tiquer pour construire et défendre pour consolider. traversent la rue en dehors des passages cloutés ? J’espère qu’un jour, tous les politiciens sauront Sans parler de ces politiciens – par accident ou faire la part des choses pour que nos richesses de carrière – censés être les modèles, qui sont ne soient pas toujours l’objet de conflits géopo- les premiers à faire la Une des journaux dans la litiques et que nos dirigeants ne soient plus les rubrique fait divers ? « marionnettes » des bailleurs de fonds. P

L’opinion exprimée est individuelle et n’engage que son auteur

20 | · brèves

gouvernance FOCUsMadagascar au 33e rang L’indice Mo Ibrahim de la gouver- nance africaine met Madagascar à la 33e place sur 54 pays. Ce classement le situe « légèrement en-dessous de la moyenne africaine », comme le note le document de la fondation du milliardaire anglo-soudanais. Pis pour Madagascar, avec la Lybie, c’est le seul pays qui a enregistré un fort déclin en termes de gouver- nance. Ce, alors que la Grande île ne connait pas de guerre comme c’est le cas dans ce pays.

haut débit L’Afrique subsaharienne lentement Le rapport 2016 de la Commission des Nations unies sur le haut débit au service du développement durable démontre qu’en moyenne, seul 3% de la population des pays de l’Afrique subsaharienne utilisent internet. Ce qui ne permet pas à la région de rattraper son retard sur le reste du monde. À Madagascar, le taux de pénétration d’internet ne dépasse pas les 5% malgré un développement exponentiel des infrastruc- tures liées à ce domaine.

importation Doing Business Des 2017, Madagascar rebondit ajournements « Depuis deux ans, Madagascar enregistre L’Afrique importe pour le une progression dans 83% de ses denrées développement le classement du Malgré le fait que la majorité Sur les 800 milliards d’euros Doing Business. Le de la population des pays de marchandises importées Conférence des bailleurs, gouvernement a adopté africains travaille dans le secteur chaque année par l’Afrique, près rendez-vous en décembre des réformes », affirme agricole, le continent affiche de 60% sont payées comptant. Madagascar aurait besoin de 10 à 20 Coralie Gevers, le Country encore le besoin d’importer Si un délai de paiement de milliards de dollars dans les années à Manager de la Banque 83% de sa nourriture. Tel est le 30 jours était accordé sur ces venir. La Conférence des bailleurs et mondiale dans le pays. cas de Madagascar où 75% de transactions, cela libèrerait 40 des investisseurs (CBI) consistera ainsi C’est ainsi que le score de la population active travaille milliards d’euros de besoin de à négocier pour l’obtention de l’appui la distance de frontière dans l’agriculture. La Grande île fonds, l’équivalent du PIB de la des partenaires en faveur de cette de Madagascar s’est importe encore une grande partie Tanzanie, ou encore 1,6% du PIB initiative. Elle se tiendra en décembre amélioré : de 42,22 en de ses denrées alimentaires. africain. au siège de l’Unesco à Paris. 2016 à 45,10 en 2017.

chiffres

des enfants l’Italie est le deuxième malgaches souffrent marché émetteur 7 le volume d’or saisi à de la malnutrition e en touristes pour Ivato le 29 septembre 47 chronique Madagascar 24, kg % 2 novembre - décembre 2016 | 21 Focus · ekonomia

banque de développement Un avenir encore incertain Pour être compétitif et se développer, le secteur productif malgache doit innover. Mais les appuis nécessaires – notamment financiers – ne sont pas disponibles. Un vrai problème de fond (s).

’accès au crédit dans les nomie, celui de l’Industrie et les seurs. Le marché financier n’octroie Hilda Hasinjo banques commerciales professionnels des banques. La pas encore de prêts à long terme. est difficile et coûteux question d’une banque de déve- C’est pourtant ce qui est néces- tandis qu’une banque de loppement a été soulevée lors des saire pour démarrer l’économie », développement, considé- discussions. Les acteurs du secteur soutient Mamy Ratolojanahary, Lrée comme une planche de salut économique ont pris conscience que directeur général au ministère de économique, reste hypothétique. la Grande île n’a pas le soutien l’Économie et de la planification. financier nécessaire pour enclencher Ce constat est partagé par les indus- AU MOIS DE JUIN, un atelier sur pour le « vrai » développement. Pour triels depuis des années. Ils n’ont le système bancaire à Madagascar cause, « le système financier, dans cessé de se plaindre du manque de s’est tenu et a vu la participation, son ensemble, n’accorde pas encore volonté étatique à faire avancer les entre autres, du ministère de l’Éco- une totale confiance aux investis- choses. « Nous ne pouvons tenir les

22 | les alternatives : banques comme seules responsables Nous ne sommes même pas encore volonté d’avancer dans ce sens, les les fonds de garantie de notre difficulté à obtenir des en mesure de dire quel organisme industriels malgaches ont soumis « Pour avoir un crédit à moindre prêts. L’État non plus n’a pas fait le pourra supporter cette structure. » leur proposition pour la création taux d’intérêts, il existe des nécessaire pour que cela se fasse », d’un Fonds national pour le déve- alternatives comme la souscription explique Fredy Rajaonera, directeur DANS SON FOND ou dans sa loppement de l’industrie (FNDI) à des mécanismes de fonds de général de la Chocolaterie Robert et forme, rien n’est encore sûr. « Il qui devrait être géré par l’Agence garantie malgache, comme la Président en exercice du Syndicat n’y a que les banques qui pour- nationale pour le développement de Solidis garantie ou la garantie de des industries de Madagascar (Sim). raient gérer une telle structure. l’industrie (ANDI). Cette proposi- la Banque mondiale », suggère Une déclaration qui trouve un écho Tout au plus, l’État en serait tion est incluse dans la politique Rachid Mouthajy, président de auprès des professionnels des ins- actionnaire et aura un droit de industrielle. Mais pour le moment, l’APB. Le système de garantie titutions bancaires. « La banque regard. On sait d’ailleurs que du côté de l’Administration, c’est supporte les risques avec la ne peut supporter à elle seule le ses caisses ne lui permettent pas silence radio. L’on ne sait donc banque en cas d’insolvabilité. développement du pays. Toute une encore de faire autant d’investis- pas exactement quand sera mise Pour les institutions bancaires, le structure devrait être mise en place sements. Par exemple, les devises en place cette institution. Et à taux est donc allégé mais pour au cœur du système économique issues des produits de rente pour- entendre les avis approximatifs sur les entreprises malgaches, il est malgache, comme ce qui se fait ront y être versées », précise notre le sujet, nous ne sommes pas sûrs encore assez ardu d’y avoir recours. dans le monde », prévient Rachid interlocuteur. La seule certitude que la formule utilisée répondrait Mouthajy, président de l’Associa- est que les consultations ont com- vraiment aux critères d’une banque tion des professionnels des banques mencé. Pour signifier leur bonne de développement. P qui regroupe tous les acteurs du sec- teur à Madagascar.

« MAIS IL EST CLAIR QUE pour que le tissu industriel soit fort, il nous faut investir dans l’innovation. Kreditanstalt für Wiederaufbau, Ce que le système banquier actuel- lement ne nous permet pas de faire. bras financier de l’économie allemande Les taux appliqués sont beaucoup trop importants pour nous », nuance une gestion saine des fonds et une politique Fredy Rajaonera. Une banque de d’ouverture envers ceux qui sont délaissés par développement facilitera l’octroi de les autres institutions bancaires. La banque fonds. C’est un système financier publique d’investissement allemande accorde qui devrait canaliser les épargnes en des crédits aux étudiants sans le sou, aux investissement. Dans les pays déve- créateurs d’entreprise, aux PME ambitieuses, loppés, à l’instar de l’Allemagne, à tous ceux que les autres banques rechignent elle leur a permis de redécoller à financer. Malgré la crise économique qui a après la deuxième Guerre mondiale. secoué l’Europe aux alentours de 2008, elle La Kreditanstalt für Wiederaufbau est devenue un des établissements de crédit (KfW) est l’organisme allemand les plus importants et les plus rentables du d’appui qui accompagne la créa- pays. Depuis plus de 50 ans, la KfW soutient tion d’entreprises que cela soit le gouvernement fédéral afin de lui permettre des petites, des moyennes ou des de réaliser ses objectifs en matière de grandes structures. Il est également politique de développement et de coopération en charge de la coopération avec Créée en 1948 à l’origine pour financer la internationale. les pays en développement comme reconstruction de l’économie allemande après Depuis quelques années, l’Afrique profite des Madagascar. Mais pour avoir une la seconde Guerre mondiale – en attribuant apports de cette banque de développement structure aussi puissante que la KfW, des crédits de moyen et long termes aux allemande qui appuie les petites et moyennes il faut bien commencer par s’armer entreprises – la Kreditanstalt für Wiederaufbau entreprises ainsi que les investissements dans d’une grande volonté de le mettre (KfW) a glissé peu à peu vers des rôles de les infrastructures de l’eau, des transports et en place. « Tout est en phase de facilitateur de développement : la réalisation de l’énergie, dans l’agriculture et le secteur réflexion. Nous n’avons pas encore de commandes publiques, le financement des financier. La KfW est intimement perçue d’ébauche claire sur la struc- exportations et la coopération en faveur du comme étant l’un des acteurs du miracle ture, note Mamy Ratolojanahary. développement. La KfW appartient à 80 % à économique allemand. Si la Grande île veut Il est clair que l’État, comme les l’État fédéral et à 20 % aux Länder. réussir son pari du développement, elle doit entreprises et les particuliers, ont Au fil des années, la KfW s’est attiré les passer par la création d’une telle structure. besoin d’une telle structure. Pour bonnes grâces de l’opinion publique à travers ------R.A. l’instant, les études sont en cours.

novembre - décembre 2016 | 23 Focus · ekonomia

Rachid Mouthajy « Nous ne pouvons pas faire plus que ce que la législation nous autorise à faire » Le président de l’Association professionnelle des banques (APB) défend la ligne de conduite des institutions bancaires dans le secteur du développement.

Hilda Hasinjo Gino Ramiadamahefa

politikà_Pour beaucoup, les banques une entreprise qui n’a pas d’état financier et qui supporte les risques avec la banque en cas commerciales ne soutiennent pas n’a pas effectué des bilans dans les normes en d’insolvabilité. Pour les institutions bancaires, le assez le développement économique vigueur à Madagascar. D’ailleurs, la Banque taux est donc allégé. du pays… centrale exige des banques de lui remonter les rachid mouthajy_Nous entendons cette bilans à travers la centrale des bilans. N’y-a-t-il donc pas d’autres so- remarque de la part des associations et certains lutions pour encourager le groupements des opérateurs économiques. Les taux d’intérêts appliqués loca- développement économique via les Mais savez-vous que le ratio crédit-dépôt des lement sont très élevés, ce qui ne banques commerciales ? banques en 2015 est de 75% ? 75% des dépôts permet pas d’aider les opérateurs. L’APB a approché les autorités et les collectés par les banques sont réinjectés dans le Qu’avez-vous à répondre ? groupements des opérateurs pour proposer deux circuit pour le développement économique du Ils se situent entre 12 et 18%. Il faut savoir nouvelles formules innovantes : le crédit-bail et pays en appuyant les entreprises en crédits. Ce que le taux d’intérêt critiqué correspond l’affacturage, un système de gestion de créances. coefficient est en perpétuelle progression car il en général, à une moyenne de tous les Si une entreprise a des factures envers un ces était de 60% en 2011. Sur les 5 000 milliards établissements financiers existants. Aussi bien clients, la banque intervient pour avancer les d’ariary de dépôts bancaires, 3 500 milliards les microfinances, les banques que les autres fonds et soulager sa trésorerie. En contrepartie, ont été transformés en crédit pour financer les institutions financières. Dans le calcul de ce les recettes de l’entreprise lui sont reversées au entreprises, tandis que 850 milliards ont été taux rentrent en compte plusieurs facteurs fur et à mesure qu’elles rentrent. Le crédit- investis pour financer l’État en bons du Trésor. comme l’inflation – qui est de 7,5% dans la bail consiste à payer en totalité l’acquisition Nous ne pouvons pas faire plus que ce que Grande île – le coût du risque, les frais de d’un matériel si une entreprise ne peut pas permettent de faire les dépôts de nos clients et gestion des crédits et le coût de récupération s’en acquitter d’un seul trait. Par la suite, il la législation actuelle, soyons clair là-dessus. Par de sureté qui se révèlent très compliqués, appartient à celle-ci de verser mensuellement exemple, nous ne pouvons pas financer l’informel notamment par des problèmes de justice face une certaine somme à la banque sous forme de car nous sommes soumis à un ratio réglementaire à certains clients de mauvaise foi. Pour avoir loyers. C’est comme le système de la location- de risques et notre activité est très fortement un crédit à moindre taux d’intérêts, il existe vente. Nous avons proposé ces alternatives réglementée et encadrée par nos autorités des alternatives comme la souscription à des car nous sommes conscients que pour être de tutelle : la Banque centrale à travers la mécanismes de fonds de garantie malgache compétitives, il faut que les entreprises puissent Commission de supervision bancaire et financière comme la Solidis garantie ou la garantie de renouveler leurs outils de production. P (CSBF). Il n’est pas envisageable de financer la Banque mondiale. Le système de garantie Retrouvez l’integralité de l’interview sur www.politika.mg

24 | · regard

Dynamiser l’économie malgache à travers le private equity

n 2015, sur les diversification de son économie dans un contexte 4 477,7 milliards de protection du marché local et des industries ariary (1,27 mil- naissantes. Ha-Joon Chang, spécialiste de l’écono- liard euros) de mie de développement, a bien expliqué ces enjeux dépenses éta- dans son ouvrage Bad Samaritans : The Myth of Etiques totales estimées à Free Trade and the Secret History of Capitalism. Madagascar, 66% ont été En cela, les IDE peuvent être une alternative in- financées par les recettes telligente à l’assistanat et permettre de réduire les fiscales. Le reste a été majo- dépendances tout en assurant le développement ritairement pris en charge par et le renforcement d’industries locales les rendant les bailleurs de fonds. Ceux-ci plus compétitives. Le capital-investissement ou fonctionnent selon le leitmotiv private equity (PE) est un sous-ensemble de ces de non-ingérence dans les affaires IDE. Ces mouvements de capitaux sont réalisés nationales. Si ces organismes d’aides en vue de créer, de développer, de maintenir une économiques mondiales se disent en dehors des filiale à l’étranger ou d’exercer le contrôle (ou décisions étatiques, ils n’en restent pas pour une influence significative) sur la gestion le moins en attente de résultats. Les d’une entreprise étrangère. Ils dyna- En mission dans la Grande île Investissements directs étrangers Les IDE misent le secteur privé en assurant pour une entreprise française en (IDE) représentent une alter- représentent la création de bases solides tant que responsable de région native incontournable à cette une alternative dans les sociétés (souvent océan Indien, Elodie Trojanowski politique d’assistanat sans investissements inférieurs à est titulaire d’un master en lesquels le développement incontournable 10 ans), en créant de l’emploi journalisme obtenu à l’Université de Madagascar ne peut être à cette politique et en boostant l’innovation. Louvain-La-Neuve. Elle est envisagé. d’assistanat Les transactions de ce type également diplômée de l’École L’accord du Fonds monétaire existent à Madagascar, de Management de Strasbourg international (FMI) à l’octroi sans lesquels le mais restent encore peu en Finances. Passionnée par les de prêt au titre de la Facilité développement de nombreuses. Citons à titre questions liées au développement élargie de crédit (FEC) – et les Madagascar ne peut d’exemple Investisseurs et économique, elle collabore longues négociations qui l’ont être envisagé. Partenaires, un fonds d’impact ponctuellement avec des médias précédé – montrent bien que les français qui a participé au déve- issus de la presse écrite malgache conditions d’éligibilité à l’aide finan- loppement financier et a assisté sept sur des sujets d’économie. cière internationale sont lourdes du fait que les entreprises malgaches dans les secteurs de organismes mondiaux ont des comptes à rendre à l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la micro- leurs propres bailleurs. L’argent est donc débloqué finance notamment. L’objectif de plus-value de contre des réformes généralement calquées sur un ces investisseurs financiers a permis de créer des modèle économique global. Non adaptées, elles emplois et de prodiguer des connaissances mana- s’avèrent souvent inefficaces. En outre – étant don- gériales et gestionnaires aux acteurs nationaux. née la situation politique relativement instable des Néanmoins, les climats économique et politique zones économiquement fragiles – la dépendance malgaches actuels ne s’avèrent pas attractifs. En financière de Madagascar vis-à-vis des bailleurs effet, selon le classementDoing Business sur la de fonds peut s’avérer nocive. Ainsi, les exemples réglementation des affaires et son application de désertion des institutions mondiales lors de effective, Madagascar est classé 164e pays sur 189 crises gouvernementales sont légion créant un en 2016. L’accès à l’électricité (avant dernier pays climat de volatilité important. Pour qu’un pays du classement) et la possibilité d’obtention de émergent puisse se faire une place sur la scène in- prêts (167e sur 189) freinent encore trop largement ternationale, son développement doit passer par la l’attractivité de la Grande île. P

L’opinion exprimée est individuelle et n’engage que son auteur

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forum industriel Un challenge pour la relance de l’industrie

La concrétisation de la volonté du Président de développer le secteur industriel est attendue dans les prochains mois, à travers la mise en route effective de plusieurs chantiers allant dans ce sens.

e président Hery orientale et australe (Comesa) le 20 Alain Iloniaina Rajaonarimpianina dresse octobre. Pour l’instant, la part de les grandes lignes de la l’industrie dans le PIB oscille entre relance de l’industrie. 14 et 16%. FES « L’objectif du gouverne- Lment malgache à moyen terme est LE CHEF DE L’ÉTAT LISTE des ainsi de transformer la structure secteurs prioritaires pour atteindre économique du pays et d’augmen- cet objectif. « L’industrialisation à ter significativement le poids de Madagascar s’articulera essentiel- l’industrie dans le PIB national à lement autour de l’agro-industrie, plus de 25% à l’horizon 2025 », et la promotion d’une industrie soutient-il lors du Sommet des structurante, la transformation chefs d’État et du gouvernement des ressources minières, le tex- du Marché commun de l’Afrique tile et l’habillement, ainsi que les

26 | nouvelles technologies de l’infor- fin de la session budgétaire. Dans auprès des partenaires techniques et mation et des télécommunications, le cas contraire, il faudra attendre financiers d’augmenter le taux de [...] énumère-t-il avant de préciser que celle de mai 2017, à un an et demi pression fiscale, et la grogne des les autres secteurs générateurs des prochaines élections, là où le industriels. L’amélioration du cli- le climat des d’emplois ne nécessitant aucune risque de surenchères ou du désin- mat des affaires revient toujours spécialisation accrue et pour les- térêt des parlementaires n’est pas à comme étant l’une des clés pour affaires, l’accès quelles le pays dispose d’une main- écarter. Or, le texte sur l’industrie toutes les branches d’activités, au financement, d’œuvre locale compétitive en terme « nécessite un consensus national, même si les autorités se targuent de coût et de dextérité, feront l’objet réclame Hyacinthe Befeno. Il s’agit d’avoir pu améliorer le milieu des l’énergie [...], d’une priorisation ». Le bouclage de d’une stratégie, qui, espérons-le, ne affaires au niveau du l’Economic l’avant-projet de texte portant loi fera pas l’objet de marchandage Development Board of Madagascar autant de sur le développement de l’industrie politique sinon on va faire du yoyo (EDBM), l’organisme de facilita- faiblesses [...] à Madagascar (LDIM) constitue un jusqu’en 2018 ». Techniquement, tion et de promotion de l’investis- premier pas pour jauger la volonté Raymond Razafindrakoto, ancien sement. L’élaboration du projet de nécessitant des gouvernementale pour l’indus- économiste du Programme des Loi de finances 2017 devrait fournir trialisation du pays. Le texte est Nations unies pour le développe- quelques indices sur la cohérence solutions encore « au stade de concertation ment (Pnud) prône la « nécessité des actions gouvernementales. P finale », précise Hyacinthe Befeno, d’une vision globale (…) un choix membre du Collège des conseil- de société. Les acteurs doivent lers économiques du président de convenir sur le type de société à la République. La mouture devrait, développer ». La performance de l’industrie malgache reste encore entre autres, traiter l’accès au finan- faible et celle-ci ne pèse pas lourd dans l’économie e cement et les mesures incitatives. EN ATTENDANT la finalisation nationale. Madagascar occupe la 116 place sur les 133 Un challenge pays classés, en termes de compétitivité industrielle, Le conseiller du président de la de l’avant-projet de loi, la volonté République évoque également « le du gouvernement devrait être per- selon le rapport Competitive Industrial Performance financement industriel par le biais ceptible dans la pose des jalons (2010) publié par l’Organisation des Nations unies pour de la création du Fonds national vers la promotion de l’industrie. Les le développement industriel (Onudi) en 2012, repris par de développement de l’industrie échanges et les partages des par- le Plan national de développement (PND). Concernant la (FNDI) ou encore le package fis- ties concernées au cours du Forum capacité de production et d’exportation manufacturière, pour la relance de l’industrie la valeur ajoutée per capita est de 28,4 alors qu’à titre cal ». Il a rappelé que le gouver- sur le développement industriel nement affiche toujours l’ambition du 23 septembre, organisé par la de comparaison, le Japon occupe la première place avec de faire de l’industrie le moteur du Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) per- un score de 7993,9. L’exportation industrielle per capita développement, si l’on se réfère au mettent de recueillir les espoirs, les de Madagascar est de 31,8, contre 5521,0 pour le pays du Plan national de développement appréhensions, les aspirations ainsi Soleil-Levant. (PND). Dans ce document straté- que les propositions des parties « La structure sectorielle de l’économie reste figée et gique, l’objectif fixé est d’augmen- concernées. En substance, le climat ne connaît pratiquement pas d’évolution positive », ter à 25% sa part au PIB, soit au des affaires, l’accès au finance- résume le PND. « On est bloqué au stade d’une économie niveau de celle de l’Afrique subsa- ment, l’énergie reviennent toujours agraire qui, plus est, de subsistance », assure Donat harienne. en première ligne comme autant de Andriamahefaparany, économiste, l’un des consultants faiblesses pointées du doigt, néces- chargés de l’élaboration du document de la politique À L’INSTAR DE Christian sitant des solutions, en parallèle au industrielle de Madagascar (DPIM). Madagascar dispose Rajaosafara, vice-président projet de texte. Pas plus tard qu’en d’un tissu industriel faiblement développé au regard du Syndicat des industries de septembre, le patronat a encore de l’importance des potentialités de transformation des Madagascar (Sim), les industriels tapé du poing sur la table concer- produits locaux d’où faiblesse des valeurs ajoutées et du fondent beaucoup d’espoirs sur ce nant l’assainissement du secteur. niveau d’exportation. Christian Rajaosafara, vice-président texte. Pour l’instant, il admet ne pas Il a exigé des mesures pour faire du Syndicat des industries de Madagascar (Sim), parle connaître les détails des mesures face, entre autres, à la « concur- d’un environnement économique peu favorable, des prises dans le document final rence déloyale, apparaissant sous ressources humaines peu compétentes ou encore de avant sa soumission au gouverne- diverses formes (…), une gangrène produits pas suffisamment compétitifs par rapport aux ment. Mais il espère, si possible, qui nuit à la compétitivité des indus- produits importés, ce qui engendre une concurrence l’examen du projet de loi durant tries locales et provoque une mort déloyale. Et la liste est longue. Le paradoxe entre cette l’actuelle session parlementaire afin lente du secteur industriel », et pour faiblesse du secteur et les potentialités conduit les parties d’avancer plus vite dans le proces- établir une « équité fiscale », dans concernées à entamer un processus en vue de corriger sus. Il reste à savoir si les autori- un communiqué émanant des dif- la tendance. « Il est temps de moderniser notre économie. Il faut adopter une politique développementiste », plaide

tés arrivent à boucler et présenter férents groupements économiques. industrie, un secteur mal en point au Parlement l’avant-projet de loi L’État doit gérer le dossier sensible Donat Andriamahefaparany. avant le 18 décembre, date de la de la fiscalité, entre la promesse

novembre - décembre 2016 | 27 Focus · impact

28 | consolidation de la Paix La paix, un préalable au développement

Consolider la paix dans un pays qui n’a pas connu de conflits armés mais qui est en proie aux crises ponctuelles, tel est le défi actuel de la Grande île.

Karina Zarazafy Raj Hassanaly/PNUD

adagascar n’a jamais connu de moyens de subsistance est, ni plus ni moins, que rurales et urbaines ». Le niveau de l’extrême guerre. Cependant, depuis son l’une des plus grandes sources de tension dans le pauvreté, l’accès limité aux ressources et l’insé- accession à son indépendance, foyer, dans la société et dans la nation. À cause curité alimentaire, l’absence de décentralisation, en 1960, le pays a été confronté de ce climat tendu, recouvrer la paix et éradiquer la corruption, la faiblesse des mécanismes de à des crises cycliques. Elles ont les facteurs qui ont contribué aux précédentes gouvernance, de contrôle et de redevabilité de Msystématiquement mené à l’éviction du pouvoir crises sont prioritaires. « Les causes profondes l’État et les défaillances de l’État de droit ont été en place et ont conduit les Malgaches à vivre des conflits à Madagascar sont (…) les lignes de pointés du doigt. Un autre niveau de sources de dans un environnement social, politique et éco- fractures sociétales, (…) de nature historique et tensions identifié dans ces analyses est le senti- nomique considérablement dégradé. propre à la trajectoire du pays, et sur lesquelles ment de marginalisation des populations du Sud, viennent se greffer les facteurs structurels, affec- dans une situation d’enclavement. Mais aussi le « NOUS VIVONS DANS UN CLIMAT de tant la consolidation de la paix » stipule le docu- manque de confiance dans les autorités étatiques, conflit latent » note Tafita Razafimanantsoa, ment de Plan de priorités pour la consolidation à tous les échelons. Notamment, du fait d’une Directeur général des Programmes et Ressources de la paix (PPCP). perception, par la population, d’une corruption auprès du ministère de la Justice. Ce qui a été généralisée. appuyé par Francine Kidja, Directeur général de UNE DES FRACTURES IDENTIFIÉES la Promotion de la Femme auprès du ministère par les documents Peace and Conflict Analysis CES SOURCES DE CONFLITS sont ancrées de la Population, de la Protection sociale et de la (2010) et Conflict-related Development Analysis profondément dans la société malgache, qui Promotion de la femme, et Josiane Robiarivony, (2013), est « la tradition orale des populations a une énorme difficulté à s’en défaire. C’est Présidente du réseau des femmes malgaches arti- rurales versus l’utilisation de l’écrit par l’État », pourquoi le Système des Nations unies (SNU) sanes de la paix. Pour elles, « la paix commence lequel se démarque par une « cassure entre une a décidé de donner suite à la demande d’éligi- dans le foyer ». Et quand les ménages se heurtent oligarchie politico-affairiste détentrice du pou- bilité au FCP que le Président de la République, à des crises de l’ampleur de 2009, ils ont du mal voir, et les masses populaires ». Une autre étant la , a formulée lors de à se relever et à retrouver la stabilité et la paix. fracture « du centre versus périphérie » en faisant l’Assemblée générale de l’ONU en septembre Le premier signe de l’absence de paix dans le référence à l’absence de décentralisation effec- 2014, et qui a été officialisée par une demande pays est la précarité dans laquelle vit la majo- tive aussi bien budgétaire qu’institutionnelle. Une écrite en février 2015. D’après Oana Mihai, rité de la population. La recherche constante de troisième porte sur « la disparité entre les sphères Coordonnatrice du Secrétariat technique du

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Fonds pour la consolidation de la paix (FCP), tenu de toutes ces études, trois axes prioritaires travers un appui aux institutions de redevabilité ce sont surtout « les élections présidentielles ont été identifiés : la bonne gouvernance, le sou- et de lutte contre la corruption, ainsi qu’à la estimées comme crédibles et justes, le retour à tien à la Réforme du secteur de la sécurité (RSS) création d’espaces de dialogue entre citoyens et l’ordre institutionnel et politique dont bénéficiait et l’appui holistique à la stabilisation dans le Sud élus, et l’accès à l’information. L’ARSSAM a le pays, et surtout l’engagement politique au du pays. À chaque axe correspond à un budget pour objectif de se doter de forces de défense, de plus haut niveau » qui ont été les critères décisifs défini. La mise en œuvre de ce programme du sécurité et de justice professionnelles, capables de l’éligibilité de la Grande île au FCP. Selon FCP est assurée par un Comité de pilotage co- de répondre, de manière efficace, aux attentes de Olivier Sublard, spécialiste en consolidation de présidé par Herilanto Raveloharison, ministre de la population en matière de sécurité. Pour ce qui la paix au niveau du Programme des Nations l’Économie et du Plan et Violette Kakyomya, est de l’appui holistique dans le Sud, une étude unies pour le développement (PNUD), la conso- Coordonnateur résident du SNU durant la période anthropologique sur les causes structurelles de lidation de la paix est « un long processus qui 2016 - 2018. Une enveloppe de 11,5 millions de l’insécurité, la pauvreté et la situation prévalant prend au moins une vingtaine d’années ». Cette dollars est allouée par le Fonds. 1,5 million pour dans le sud va être menée. L’IDIRC est sous la année, l’AG et le Conseil de Sécurité des Nations le Secrétariat technique, 2 millions pour la bonne tutelle nationale du ministère de la Justice et du unies ont réaffirmé que « la consolidation de la gouvernance, 3 millions pour la RSS et 5 mil- ministère de la Communication et des Relations paix devait être ancrée dans toutes les phases et lions pour l’appui holistique dans le Grand sud. avec les Institutions (MCRI). Tandis que la RSS actions que l’ONU mène dans un pays ». Raison Deux documents de projet ont déjà été signés en est exécutée, jusqu’à maintenant, sous le pilo- pour laquelle le PNUD accompagne Madagascar août dernier : le projet Institutions démocratiques tage du Comité Technique pour l’Organisation dans le processus, « lequel ne se cantonne plus à intègres, représentatives et crédibles (IDIRC) du séminaire national sur la RSS (CTO-RSS), un rôle de transition. La paix signifie prévenir le et l’Appui à la réforme du secteur sécurité à piloté par la Primature. Elle consiste en un chan- conflit, éviter le retour à une situation de conflit Madagascar (ARSSAM). gement de paradigme. En ce sens que « les forces et soutenir les pays à se relever effectivement » armées doivent plus se tourner vers les citoyens note Oana Mihai. Pour Madagascar, cela passe L’IDIRC ASPIRE À renforcer la confiance et doivent être mieux réparties sur tout le terri- par la réconciliation nationale et la RSS. Compte des citoyens envers les institutions publiques à toire » fait remarquer Olivier Sublard.

LA LETTRE DE POLITIQUE GÉNÉRALE de la RSS (LPG-RSS) qui a été élaborée et entérinée en janvier de cette année en Conseil un fonds des ministres. 8 piliers ont été identifiés pour pour consolider la paix cette réforme. À savoir l’armée (terre-air-mer), la police nationale, la gendarmerie nationale, la Créé en 2006, suite à une résolution structure d’appui sera mise en place justice, l’administration du territoire incluant les de l’AG et du Conseil de sécurité des dans le bureau de l’officiel Onusien douanes, les gardes forestiers et les autres forces Nations unies, le Fonds pour la conso- sénior. Un comité de pilotage conjoint, paramilitaires, les services de renseignements, le lidation de la paix (FCP) contribue aux gouvernement-ONU, est créé et une parlement et les acteurs non-étatiques. La LPG- soutiens de l’ONU aux pays émergeant analyse des tensions et des causes pro- RSS LPG-RSS « a pour aspiration de mettre en des conflits. Auparavant limité au fondes des conflits est élaborée. place un processus qui va permettre à moyen maintien de la paix et à l’humanitaire, Par la suite, l’identification des et long terme de s’attaquer aux causes réelles le FCP fait dorénavant partie – avec le priorités, pour dresser rapidement, de l’instabilité politique, de la marginalisation Bureau de soutien à la consolidation ces causes est initiée. L’analyse est de certaines régions fragilisées par l’insécurité de la paix et la Commission pour la traduite dans un Plan prioritaire pour la ainsi que des effets de la répartition non équi- consolidation de la paix – des trois consolidation de la paix que le comité table des richesses naturelles à Madagascar » mécanismes des Nations unies pour de pilotage soumet au Bureau pour souligne Amina Ahmed, Secrétaire exécutive du venir en aide aux pays en sortie de l’appui à la consolidation de la paix à CTO-RSS. Elle trace les lignes directrices des crise. Le concept de consolidation de New-York. Une enveloppe budgétaire actions à mener pour atteindre ces objectifs de la paix a évolué allant du simple rôle est identifiée et des projets seront « responsabilité, d’intégrité et d’efficacité » de la de transition à la prévention de conflit sélectionnés pour en bénéficier. Le FCP sécurité. Pour l’heure, seule la politique a été et au soutien aux pays pour qu’ils étant un Fonds du SG de l’ONU, seules élaborée. Néanmoins, « les plans stratégiques et puissent se relever effectivement. les agences de l’ONU reçoivent les opérationnels sont en cours de finalisation en vue Le FCP se distingue par son ambition financements avec une indispensable d’un entérinement en Conseil des Ministres avant d’adresser les causes profondes des collaboration avec le gouvernement la mise en œuvre effective », si l’on en croit le tensions et des conflits, structurelles ou du pays bénéficiaire. Des pays comme CTO-RSS. Dans tous les cas, la paix durable ne contextuelles, afin de casser leur cycle. le Tchad, la Libye, la Somalie, les peut être une réalité qu’avec la participation com- Il soutient actuellement 200 projets Comores… ont reçu ce soutien financier plète de tous, dont les femmes. « La consolida- dans 27 pays et fonctionne de manière qui entre dans la consolidation de la tion de la paix se fait à travers la promotion et la décentralisée. Si le Secrétaire général paix. protection des droits », soutient Francine Kidja. de l’ONU déclare un pays éligible, une ------K.Z. Mais globalement, « l’éducation à la paix doit partir du foyer » conclut Josiane Robiarivony. P

30 | Mettons en place une réparation sociale

‘‘Anaclet Imbiki, le membre du Comité d’experts pour la rédaction des textes sur la réconciliation nationale et Président national de Mamimad nous offre son point de vue sur les questions sur la paix.

qui constitue une bombe à retardement. ne doit plus admettre que les gens qui La survivance de l’esclavage leur est très ont pu acquérir leurs avoirs de façon © Nirilanto Ramanamisata douloureuse. Beaucoup de personnes ont malhonnête puissent avoir le pouvoir. Il politikà_Selon vous, quelles sont été favorisées dans le passé et ont obtenu faudrait qu’ils soient jugés ou du moins, les réelles sources de conflits richesses et avoirs par la mauvaise qu’ils acceptent de restituer ce qu’ils ont à Madagascar ? gouvernance. Elles ont le pouvoir, le acquis de cette manière. Il faut également anaclet imbiki_Le vrai problème savoir et les avoirs. Or, actuellement, on réconcilier la classe politique – à savoir réside dans cette sorte de pudeur, ne peut accéder au pouvoir sans avoirs. les dirigeants puis leurs entourages – et voire d’hypocrisie politique. Ce qui Et les gens n’ont plus confiance en ces une amnistie car il y avait la justice nous empêche de faire face à la vérité. opérateurs économiques et ces dirigeants des vainqueurs. Les tribunaux ne Les conflits à Madagascar ont une qui ont favorisé ces spoliations. condamnaient alors que les vaincus. source historique, sociale, politique et économique. En effet, nous avons Que devrait-on faire pour remé- Cette question d’amnistie divise gardé les séquelles de notre histoire, dier à ces conflits hérités du la société malgache systémati- des problèmes que nous n’avons pas su passé et obtenir une vraie ré- quement… régler à temps et qui se transmettent conciliation nationale ? Qui dit amnistie ne dit pas impunité. de génération en génération. Les Il faut oublier ce passé et reconnaître Elle doit être accompagnée de séquelles des conflits inter-royaumes la vérité. Il faudrait mettre en place réparations collective et traditionnelle. sont réveillées à chaque fois que le pays une réparation sociale et régler les La réconciliation politique devrait traverse une crise comme celles laissées exclusions et marginalisations. Ce également se faire par la reconstitution par la colonisation Merina sur les autres qui pourrait prendre la forme d’une de carrières. Il faut éviter la répétition de royaumes, et par la colonisation française. discrimination positive. C’est-à-dire ces crises et cela exige la refondation de La conquête qui se faisait avec beaucoup trouver des moyens efficaces pour la république qui consiste en une mise en de violences, de pressions et de morts donner une vie descente aux anciens adéquation de la loi et de la Constitution d’hommes a engendré un sentiment esclaves par le biais de l’éducation, des à la réalité du pays. Ce qui suppose une de velléité de vengeance. Madagascar formations professionnelles, de dotation élection constitutionnelle. Il faut aussi connait également un problème lié à de terres…Une mesure qui concerne une refondation de la nation laquelle l’esclavage dont les effets se perpétuent également les anciennes ethnies qui ont consiste à éliminer la distorsion entre les jusqu’à nos jours. Notamment, dans la été spoliées. Il faut régler les problèmes prescrits normatifs. C’est-à-dire entre ce région Merina où la population noire de discrimination interethnique qui ont qu’avaient dit la Constitution et la loi, et – dont l’effectif excédait déjà celui des toujours provoqué beaucoup de violence. les pratiques politiques. Cela ne se fait blancs – des andriana et des hova en pas du jour au lendemain. Mais il faut 1860 et 1895, sont des butins ramenés Quid du chapitre économique ? se lancer. On ne pourra pas trouver de des côtes et qui vivent en Imerina. Ce Pour la réconciliation économique, on solutions si on n’avance pas. ------K.Z.

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énergie La Jirama broie du noir

Une crise énergétique qui dure, un État qui doit constamment combler le vide, mauvaise gouvernance... Analyse d’un secteur en faillite symbolisé par la Jirama.

32 | es habitants du quartier d’Ankazoto- kana s’affairent à préparer le diner Hilda Hasinjo et Andriamanambe Raoto lorsque, tout d’un coup, un « oh ! » de surprise et de colère se fait entendre. Tout le quartier est privé d’électricité. Nirilanto Ramanamisata Et quelques personnes sortent de leurs maisons ou regardent par la fenêtre pour guetter quels autres lieux sont tou- chés. Au loin, on voit qu’ Ankatso, Ambanidia, une partie d’Analakely et d’Anjanahary sont aussi dans le noir le plus total. Une triste habitude...

ENTRE LES USAGERS ET LA JIRAMA (la Compagnie nationale d’eau et d’électricité de Madagascar) le courant ne passe plus depuis bien longtemps. La compagnie est devenue une dis- pendieuse usine à gaz, un tonneau des Danaïdes avalant les deniers publics à un rythme effréné. Les subventions que l’État lui alloue, corsettent

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l’économie malgache. « Les difficultés opération- bénéficient d’un raccordement au réseau national. nelles et financières, liées à des problèmes de « Nous ne pouvons pas tout faire en un claque- gouvernance, freinent la croissance économique ment de doigts, même si tout le monde voudrait et perturbent l’exécution du budget », avait sti- que cela soit ainsi. Les dirigeants qui se sont pulé l’administrateur pour Madagascar du Fonds succédé, n’ont jamais établi de vision sur le long monétaire international (FMI) dans un rapport de terme. Ils n’ont jamais vraiment investi dans mission, en août. La population doit endurer ces des infrastructures durables. Nous en payons le calvaires énergétiques. Les seules explications prix maintenant », regrette Mohamed Rachidy, qui lui sont fournies, sont soit l’insuffisance du conseiller spécial du président de la République niveau de l’eau qui irrigue les barrages hydrau- et président du Conseil d’administration (PCA) liques d’Andekaleka ou de Tsiazompaniry, soit de la Jirama. Bénéficiaire de près de 200 millions les pénuries de carburant, alors que la facture de dollars au départ de Lahmeyer International pétrolière de la société ne cesse de grimper. Il en 2009, comment cette compagnie a-t-elle y a toujours des excuses, mais les problèmes de périclité à ce point, en moins d’une décen- nie ? Certes, le chiffre d’affaires est passé de 146 millions (2013) à 155 millions de dollars (2015), concomitamment les charges d’exploita- tion ont bondi de 185 millions à 204 millions de dollars. L’État doit jouer systématiquement les pompiers de service alors que le faible niveau Si tous les ministères des tarifs ne permet pas de mobiliser les capi- taux. « Les subventions allouées sont énormes daignaient au moins et dépassent même le budget de fonctionnement de certains ministères », analyse Andriampeno payer leur facture Ramiliarison, membre du Cercle de réflexions des économistes de Madagascar (Crem). Les sub- d’électricité, cela sides accordés à la société d’État ne sont plus envisageables au risque de mettre en péril le aiderait la compagnie programme de la Facilité élargie de crédits (FEC) obtenue auprès du FMI. La demande de rallonge de 40 milliards d’ariary en octobre – en sus à se passer d’une des 300 milliards d’ariary inscrits initialement dans le budget 2016 – a fait sortir de ses gonds grande partie de ses Patrick Imam, le représentant résident du Fonds. « Le déficit en énergie nous coûte des points de subventions. croissance chaque année », souffle Andriampeno Ramiliarison.

LE SECTEUR PRIVÉ SOUFFRE égale- ment de la carence chronique en électricité. La Jirama n’est plus en mesure de répondre à la des réformes fond sont rarement soulevés. Depuis la campagne demande de nouveaux branchements, estimée à en pagaille présidentielle de Hery Rajaonarimampianina, de 26 000 clients, en attente depuis 2014. Dans Les plans de réformes du secteur l’eau a coulé sous les ponts, mais rien n’a fon- le Doing Business 2017, Madagascar est classé énergie sont légion. L’on ne damentalement changé. En janvier 2014, il avait avant-dernier sur 186 pays, dans le registre du recense pas moins de neuf déclaré urbi et orbi, devant un parterre de jour- « raccordement à l’électricité ». Cette défaillance programmes concernant la Jirama nalistes, qu’en trois mois il allait résoudre le freine les ardeurs des investisseurs. En effet, comme la mise en œuvre du problème du délestage en brandissant fièrement pour une grosse unité industrielle comme la Star, Plan d’amélioration de la gestion, trois doigts. En trois ans, c’est une autre trinité l’énergie représente 20 milliards d’ariary, soit l’adoption du nouvel organigramme qui foudroie les clients de la Jirama : le délestage, 5% du chiffre d’affaires hors taxes et près de et sa mise en place, la signature la mauvaise qualité des services et la hausse des 13% du prix de revient industriel. Le Réseau d’un contrat plan entre l’État et factures. interconnecté d’Antananarivo (RIA) – où se la Jirama, la constitution d’un concentre le principal tissu économique du pays stock de sécurité garantissant le DU CÔTÉ DE LA PRÉSIDENCE, l’on tente – est particulièrement sous tension. Il recense fonctionnement pendant 15 jours d’expliquer les raisons de cette déclaration les deux grandes zones industrielles du pays, en 2017 pour garantir la qualité des enflammée qui sonne aujourd’hui comme iro- Antananarivo et Antsirabe. Dans le Document services… nique pour les quelque 15% de Malgaches qui de politique industrielle de Madagascar (2014),

34 | à faire sombrer le pays. Avec le Président de la République, nous interviendrons pour déceler les problèmes ». Tout comme ce discours, un projet de décret de lutte contre la fraude de l’électricité – dans les petits papiers de l’Exécutif – demeure sans suite.

À CES DÉRIVES S’AJOUTENT les impayés de l’Administration, qui – selon des sources informées – s’établiraient à près de 160 milliards d’ariary en 2015. Le taux de recouvrement est à peine de 40%. Pis, 37% de l’énergie produite n’est pas facturée. Depuis le début de l’année, les ministères et les établissements publics mal- gaches doivent déjà près de 15 milliards d’ariary à la société nationale. « À l’époque de Lahmeyer International, les dirigeants de la Jirama n’avaient pas de scrupule à couper l’électricité Mireille Ramilisoa Ratoaveloson et Olivier revêtir ses habits de héros en exigeant que les des mauvais payeurs dans les ministères sans Donat Andriamahefaparany expliquent que « les auteurs des méfaits soient identifiés et présentés que cela n’offusque personne. Aujourd’hui, il tarifs des heures de pointe sont trop élevés et non au public. Les agents de la Jirama, accompagnés est quasiment impossible de le faire sans pro- adaptés aux industriels qui sont censés faire tour- par ceux du Bureau indépendant anti-corruption voquer des remous », explique une source qui ner leur usine 24h/24h et 7 jours sur 7 jours ». (Bianco), s’étaient attelés pour débusquer les frau- veut garder l’anonymat. Lors de la grève de deurs. Grande fut la surprise en découvrant que l’intersyndicale de la compagnie en 2015, les LES MAUX DE LA JIRAMA ont des origines des boutiques ayant pignon sur rue, des centres employés avaient prévu de priver d’électricité diverses. Les réponses sont multiples et les enjeux commerciaux ou encore des unités industrielles les ministères des Finances et du budget, de se dessinent sur plusieurs tableaux. Sur le volet bien établies étaient en infraction. La liste a été l’Énergie, des Hydrocarbures, celui de l’Eau, de technique, les pertes sont abyssales. Celles liées remise au Premier ministre, mais il ne fit rien. l’assainissement et de l’hygiène. Ce qui donne au transport de l’électricité atteignent 25%, si le L’initiative est restée lettre morte. Il faut dire que déjà un aperçu de la liste de ces mauvais payeurs seuil international toléré est de 15%. Par ailleurs, la plupart des établissements concernés avaient alors qu’au moindre retard de paiement de leur les pertes dites « non techniques » – généralement des connexions avec des personnes haut placées, facture, les abonnés voient leur courant coupé dues aux vols de courant – tournent autour de comme ce centre commercial flambant neuf qui dans la foulée. Certains fournisseurs d’énergie 15% de l’énergie produite. Même le grand argen- a bénéficié d’électricité gratuite pendant trois devront s’acquitter de plusieurs milliards d’ariary tier de l’État, Gervais Rakotoarimanana, en a mois. La publication de la fameuse liste aurait pu de pénalités, mais comme ils entretiennent des perdu son latin. « Des pertes inexpliquées coûtent dissuader les futurs fraudeurs de passer à l’action. relations « cordiales » en haut lieu, ils usent et 20 milliards d’ariary chaque mois », révéla-t-il Le même inventaire est actuellement entre les abusent de leur pouvoir pour dissuader la Jirama en début octobre. Pourtant, l’opération de ratis- mains du Premier ministre Olivier Mahafaly. À de réclamer ses dus. Si tous les ministères dai- sage menée en 2015 avait permis de mettre le Ambositra, le 18 septembre, le numéro Un du gnaient au moins payer leur facture d’électricité, grappin sur des voleurs de courant. À l’époque, gouvernement avait tonné : « Nous allons bientôt cela aiderait la compagnie à se passer d’une le Premier ministre Jean Ravelonarivo voulut publier la liste de ces personnes qui contribuent grande partie de ces subventions. Actuellement,

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énergies renouvelables, la Jirama connaît une situation financière chro- niquement déficitaire à cause des prix de vente potentiel peu valorisé de l’électricité qui sont très en deçà des coûts Selon Mohamed Rachidy, PCA de la de production, et de l’insuffisance des revenus Jirama, ce qu’il faut actuellement au collectés. L’Exécutif avait autorisé une hausse pays, c’est un projet structurant en tarifaire de 10% en juin et de 5% en août, mais ce qui concerne l’énergie. Dans cette cette tendance haussière ne suffira pas à équili- optique, les énergies renouvelables sont brer la situation financière et ne satisfait guère les crédibles alternatives qui s’offrent les bailleurs de fonds alors que la population est au pays. Mais pour cela, il faut s’armer déjà exsangue. de patience. Leur installation peut durer quatre à cinq ans. « La transition Quant au potentiel hydraulique, il est CES DYSFONCTIONNEMENTS alimentent énergétique est en marche. Nous avons estimé à 7 800 MW. Seule 2,5% de cette la « nébuleuse Jirama », comme le définit un déjà une bonne dizaine de projets dans ressource est exploitée. La construction employé de la société. Un système autour duquel l’hydraulique », explique-t-il. L’utilisation de la centrale hydroélectrique gravitent de nombreuses personnes allant de à temps partiel d’une centrale solaire d’Andekaleka, en 1982, a été le dernier simples agents, en passant par des opérateurs de permettrait à la Jirama de faire une grand investissement de la Jirama en toute nationalité, aux gros bonnets du régime. économie de 30 à 50% de gas-oil. termes de barrage. Le lancement des « Cette galaxie vit aux dépens de la société. Globalement, le potentiel en énergie travaux du site de Sahofika devrait Elle s’enrichit sur son dos et n’est pas prête à solaire est énorme. relancer les projets hydroélectriques. lâcher le morceau », glisse une source très bien Selon les différentes études réalisées « Ce projet financé par la Banque mon- informée au cœur de la société. Les chiffres mis auparavant, Madagascar dispose d’une diale permettra de produire jusqu’à trois en jeu donnent le tournis. L’un des exemples énergie incidente de l’ordre de fois l’énergie disponible à Antananarivo les plus emblématiques est la gestion complète- 2 000 kWh/m²/an. Presque toutes les actuellement », conclut Mohamed ment opaque des locations de groupes électro- régions du pays ont plus de Rachidy. gènes. Alors que le pays dispose d’un important 2 800 heures d’ensoleillement annuel. ------R.A. potentiel hydroélectrique (7 800 MW dont seuls 127 MW sont utilisés), solaire et éolien, la pro- duction d’électricité est assurée à 75% par un parc pour l’installation par kW paraît moins cher, quelles se terrent des personnalités économiques thermique de groupes électrogènes qui représen- mais son exploitation devient avec le temps très ou même politiques. Pour pouvoir bénéficier de tent des marchés juteux pour les fournisseurs. cher sans oublier la pollution générée. Quand la FEC, la partie malgache avait promis qu’« en Le recours à ces générateurs « off-grid », à base la capitale souffrait de délestages intenses, les attendant l’achèvement du plan d’investissement, de fioul et de diesel, génère un gouffre finan- pouvoirs publics ont dû mettre en place des le conseil d’administration de la Jirama a décidé cier important. La fluctuation du prix du baril à générateurs fonctionnant aux énergies fossiles. de supprimer les procédures de gré-à-gré pour l’international ne joue pas non plus en faveur de Les contrats ont été le plus souvent adjugés la fourniture d’énergie ». Une promesse en l’air, la société. « Il est spécifié dans notre contrat avec à des noms bien connus sur la scène écono- au vu des transactions opaques qui ont encore les opérateurs pétroliers que si le prix à l’inter- mique locale. « La plupart de ces générateurs cours. Certains contrats de location comportent national augmente, nous devons payer le surplus. sont d’occasion. Certains ont été hors d’usage, une ligne qui interpelle forcément : « la Jirama La dernière convention a été signée au moment mais ranimés par des agents de la Jirama sous n’a pas le droit d’acheter le groupe », peut-on où le prix du baril à l’international était encore la pression de leur hiérarchie qui a été grasse- lire sur un document que l’on a pu se procurer. à 33 dollars. Mais dernièrement, il a augmenté à ment rémunérée par les propriétaires/loueurs », D’autres dispositions assignent la majeure partie 53 dollars. Nous avons dû nous acquitter de cette comme nous le décrit notre source. L’analyse des risques et des responsabilités à la Jirama différence », déplore Mohamed Rachidy. Gervais est sans équivoque : durant la durée totale de et le fournisseur ne fait qu’établir la facture Rakotoarimanana regrette : « Pour les carburants, location, qui est renouvelable indéfiniment, les et l’encaisser mensuellement. Pour faire simple, malgré l’achat en grande quantité et les appels coûts de location pourraient payer des groupes c’est comme si le fournisseur mettait en location d’offres exigés, la Jirama paie le gas-oil plus neufs de même puissance. Aussi incroyable que une voiture. La Jirama doit prendre en charge le cher que les prix à la pompe des stations-ser- cela puisse paraitre, ces marchés sont attribués carburant, l’entretien, payer l’assurance, rému- vice ». Pour cette année, le parc thermique pèsera dans le cadre d’appels d’offres restreints. Ce, nérer le chauffeur, etc. À la fin du mois, le à hauteur de 636 milliards d’ariary dans le budget afin de pouvoir les confiner et les contenir à des prestataire n’aurait qu’à toucher le chèque. Le de l’État, selon un rapport de la BAD que nous entreprises « habituées » à décrocher ce type de scénario idéal pour la compagnie nationale serait avons pu consulter. transaction. Leur liste est disponible sur le site la vente-location ou vente à crédit pour qu’à la de la compagnie, mais il faut creuser un peu fin du contrat, les groupes lui reviennent. Mais LE RECOURS AUX GÉNÉRATEURS induit pour découvrir ceux qui se cachent réellement les intérêts en jeu sont énormes pour que ce un effort financier lourd pour l’État, mais arrange derrière ces sociétés, au nom parfois obscur, choix se fasse dans les prochaines années. Dans bien la situation des fournisseurs qui s’enri- qui côtoient les plus connus. Ainsi, Casielec, le cadre de ces histoires de trafic, de malversation chissent. L’énergie thermique est facile à mettre Sermad, Power and Water… trônent aux côtes de ou de corruption, plus d’une quarantaine d’agents en place et est plus à même de répondre à des Symbion Power ou d’Enelec. Certaines d’entre de la Jirama avaient déjà été traduits devant la besoins précis. Certes, le coût d’investissement elles ne sont que des sociétés écran derrière les- Chaîne pénale anti-corruption, ils ont toujours

36 | des vues

réussi à passer entre les mailles du filet malgré par le privé ». Pour éviter cette solution extrême, & des opinions des dossiers solides et bien ficelés. Il faut dire un aggiornamento en profondeur – non plus des que le réseau est très bien structuré et que per- actions superficielles – doit être mené. L’Exécutif Que pensez-vous sonne n’a intérêt à ce que la pyramide s’effondre. ambitionne de « faire de la Jirama une compagnie Ce jour-là, un grand cataclysme bouleversera le viable sur le plan opérationnel, capable d’auto- des déboires système. Malgré les multiples relances, Nestor financer ses opérations, y compris les dépenses Razafindroriaka, Directeur général de la Jirama, de maintenance d’ici 2020. La stratégie visant à actuels et Guy Andriambololo-Nivo, conseiller technique améliorer la situation financière de la compagnie du Président en charge de l’assistance technique est centrée sur l’accroissement des recettes et la de la Jirama ? dans le domaine de l’énergie, n’ont pas voulu réduction des coûts ». Les réformes du secteur Fredy RAJAONERA, Président du accorder d’interview pour commenter cette situa- initiées au début de l’année 1999, en vue de son Syndicat des industries de Madagascar tion. redressement et de son développement, n’ont pas (Sim) porté leurs fruits car les différents textes adoptés Les délestages et le déficit de la trésorerie POURTANT, CES COLLUSIONS plombent la à cet effet sont insuffisamment appliqués. de la Jirama sont autant de charges qui Jirama et Madagascar tout entier. Les autorités C’est surtout un volontarisme politique qui fait alourdissent le décollage économique promettent quelques solutions (voir encadré) car défaut jusqu’au plus haut sommet de l’État car du pays. La mauvaise qualité de le déficit bride l’économie malgache. Hyacinthe la Jirama navigue à vue depuis quelques années. l’approvisionnement en énergie ne fait que Befeno, membre du Collège des conseillers éco- Elle déplace son énorme masse à l’aveuglette bloquer son développement. Le problème nomiques du Président annonce la mise sur le dans le noir, à l’image du service qu’elle fournit. dure depuis des années, mais les dirigeants marché de 13 centrales hydroélectriques « qui Le président de la République a l’interrupteur n’arrivent pas à trouver les solutions fourniront près de 1 000 MWA, soit le double de entre les mains, à lui de l’appuyer pour que cette idoines jusqu’à maintenant. Les entraves la consommation actuelle, dans les deux, trois ou vaste mascarade cesse. Il s’agit aussi d’encoura- au développement industriel sont réelles. cinq ans à venir ». Mais il serait déjà peut être ger et de vulgariser les initiatives en faveur de L’énergie ou son déficit, ne doivent pas trop tard. « Seule la privatisation sauvera cette l’énergie renouvelable pour que la Jirama et la devenir un obstacle trop encombrant. Un compagnie. Contrairement à ce que l’on entend, Grande île cessent de broyer du noir. P développement industriel sans énergie est le processus ne fera pas forcément grimper les inconcevable. H.H. prix. A contrario des services publics, le secteur Note des éditeurs : Les données des contrats sont disponibles privé saura dompter les coûts de production, sur www.jirama.mg/templates/docs/Cout_d_achat_06_2016.pdf Martin HOFMANN, chargé de et la liste des opérateurs privés sur www.jirama.mg/templates/ tempère Andriampeno Ramiliarison. D’ailleurs, programme de GIZ docs/Liste_Operateurs_1erSemestre2016.pdf. 85% de la population n’ont toujours pas plus de 50% de la production est déjà assurée L’enquête a été réalisée de janvier à mi-septembre. accès à l’électricité. Les entreprises qui en bénéficient, doivent affronter les délestages fréquents d’où leur insatisfaction. L’instabilité dans le secteur empêche pour aller plus loin les investissements et le développement socioéconomique du pays. La situation + actuelle est compliquée. En même temps, le secteur de l’énergie est très complexe aussi. À lire Pour améliorer la situation énergétique, • Diagnostic du secteur énergie à Madagascar plusieurs étapes sont nécessaires. Ces par WWF Madagascar dernières années, le gouvernement • Énergies durables pour tous les ménages, les collectivités et les entreprises malgache a entrepris beaucoup d’efforts en par Amédée Mamy Tiana Randrianarisoa, téléchargeable sur www.fes-madagascar.org vue d’améliorer le secteur. Des réformes ont • Étude sur l’énergie à Madagascar été lancées et l’intégration du secteur privé par Dr Amélie Voninirina et Saminirina Andriambelosoa (Créam et Sonapar) a été renforcée. Beaucoup d’appels à projet sont en cours et des investissements privés, qu’ils soient nationaux ou internationaux, ont été mobilisés. Nous sommes sur la À voir bonne voie. Cependant, cela demandera • Barefoot college – « enfants du soleil » sur YouTube beaucoup de temps jusqu’à ce que les principaux clients voient des impacts concrets. La Nouvelle politique énergétique (NPE) a été adoptée vers fin 2015. Ce sera le plan à suivre pour Madagascar. Nous sommes dans la phase de mise en œuvre de À consulter cette politique. R.A. • L’accès à l’électricité : donnees.banquemondiale.org/indicateur/EG.ELC.ACCS.ZS Retrouvez l’integralité de l’interview sur www.politika.mg

novembre - décembre 2016 | 37 Focus · motus

L’intégration régionale est-elle pour l’instant nécessaire à Madagascar ?

Vincent RAKOTOARISON, membre du Forum des Idées de Gauche à Madagascar Il n’est plus question de remettre en cause le fait que Madagascar a adhéré aux organisations régionales. Néanmoins, cela n’ôte pas le fait que nous ne nous sommes pas préparés économiquement et industriellement à les intégrer. Dans cette optique, le gouvernement doit rétablir une vision bien précise dont le contenu, les principes et les priorités sont clairement énoncés dans les politiques sectorielles adaptées. L’intégration régionale constitue un phénomène en marche. Par conséquent, Madagascar ne devrait plus se contenter uniquement de « consommer » mais il doit aussi préparer les infrastructures nécessaires à la production pour qu’il puisse avoir sa place dans la SADC, le Comesa ou les autres organisations. Pourtant, les réalités économiques actuelles à Madagascar soulèvent la question de savoir si le pays a bien fait de prioriser l’accueil de ces divers sommets même si ce sont des opportunités qu’il faut saisir.

Freddie MAHAZOASY, vice-président de l’Assemblée nationale Chaque numéro pour la province d’Antsiranana La tendance à l’international est celle de la multiplication des accords ‘‘ d’intégration. C’est un fait et une situation bien établie. Cependant, il est de Politikà est nécessaire d’ouvrir ses frontières de manière intelligente et de bien négocier une occasion pour les dialogues dans le cadre de ces derniers. J’estime qu’il faut renforcer les discussions autour des les citoyens de se secteurs sensibles qui doivent être « protégés ». Mais se pose alors la question de la compétitivité de la partie malgache : est-ce le cas ? C’est sur cette notion fondamentale qu’il est primordial de prononcer sur mettre l’accent. Les industries locales doivent être compétitives, le débat n’est plus sur l’opportunité ou non d’avoir intégré ces organisations régionales. Dans cette dynamique, il est impératif que le un sujet mouvement des flux financiers soit facilité. L’argent est le nerf de la guerre, les contrôles doivent être rapides. Ce sont autant d’éléments à considérer pour que la Grande île soit performante.

Pr. Herinjatovo RAMIARISON, économiste Dès que l’on évoque la question d’ouverture de marché, l’aspect de la concurrence entre en compte. La loi du marché est implacable, les plus forts dominent souvent. En bout de chaîne, cela peut nuire à des industries non concurrentielles. Pour pouvoir satisfaire les demandes, suite à l’extension des zones d’échanges, il importe d’asseoir une forte capacité de production. Personnellement, je crois que l’on devrait voir l’aspect « dynamique » de tous les accords que nous avons ratifiés. Nous devons avoir des mesures techniques adéquates pour maintenir de manière constante le développement industriel. Pour Madagascar, le climat des affaires ne permet pas aux entreprises de se développer et d’avoir une bonne capacité de production. Le contexte socioéconomique fait que le pays n’est pas encore suffisamment armé pour jouer pleinement dans le jeu de la libéralisation requis par ces accords régissant les marchés régionaux.

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38 | · anagramme

L’intégration régionale est-elle pour Les , acteurs l’instant nécessaire à Madagascar ? jeunes de la consolidation de la paix

a consolidation problème actuel est que les aînés n’accordent pas de la paix est cette indépendance et cette confiance aux jeunes, une expression trop souvent perçus comme étant des « trouble- encore méconnue fêtes ». Un grand moyen de les encourager à des Malgaches. s’engager dans la consolidation de la paix et la C’estL un processus politique lutte contre l’insécurité serait de reconnaître leur qui consiste à prévenir les place dans la société et de les responsabiliser. La conflits et à favoriser la restau- promotion et la vulgarisation de la culture de la ration de la paix après une guerre paix sont nécessaires à ce processus. ou un conflit armé. Par extension, elle Les aînés doivent donc apprendre à accorder un tend à prévenir les crises et est rendue rôle aux jeunes au sein de la société en encoura- possible, entre autres, par l’implication de tous geant les initiatives et actions qu’ils entreprennent, les acteurs. Les femmes et les jeunes sont tout en les incluant dans les processus Mandaniarivo Rabekoto est généralement les plus vulnérables et de prise de décision. Comment cela étudiante en Master I en relations les principales victimes lors des pourrait-il se faire ? Un premier pas internationales et sciences conflits. La consolidation de la dans la responsabilisation serait politiques au sein de l’École des paix vise expressément à les Les femmes et de les mettre à la tête d’un hautes études internationales et intégrer dans le processus les jeunes sont réseau destiné à lutter contre politiques. Passionnée par les d’instauration de la paix la violence. Les composantes voyages – d’où le choix de faire des afin d’en garantir la durabi- généralement les seraient des jeunes issus de études en relations internationales lité. Le contexte malgache plus vulnérables différents horizons afin de – et l’histoire, elle a été stagiaire est particulier. On pour- sensibiliser leur pair par rap- au seindu Programme des Nations rait s’interroger sur l’utilité et les principales port à leur engagement dans unies pour le développement de sensibiliser les jeunes et victimes lors des la consolidation de la paix. (Pnud) à Madagascar. Elle a les femmes malgaches sur la conflits. Il est nécessaire d’encourager intégré l’équipe de la consolidation consolidation de la paix puisqu’à les échanges entre les forces de de la paix, ce qui lui a permis première vue, Madagascar n’est pas l’ordre, les autorités et les jeunes afin d’appréhender les enjeux liés à ce un pays en guerre ou en situation de d’avoir le point de vue de chacun sur des thème. post-conflit. La Grande île fait face à des conflits problématiques du quotidien. En outre, je pense latents qui présentent des risques d’embrasement : qu’il est important d’inciter les jeunes à briser comme le problème des dahalo ou celui de l’insé- l’omerta sur les différents éléments ou personnes curité en zone urbaine. perturbateurs dans leur entourage. C’est un pre- L’un des éléments de notre culture est marqué mier pas vers une prise de responsabilité et dans par l’exclusion des jeunes du processus de prise la lutte contre l’insécurité et l’instabilité. de décision. Ceci est un handicap qui nuit au La consolidation de la paix ne nécessite pas d’être développement. Selon moi, les aînés ne seront en situation de guerre ou de post conflit. La paix pas là éternellement et devront un jour passer le est la base de toute chose. On ne peut dévelop- flambeau aux jeunes. En les mettant de côté, en les per un pays sans paix. Sans paix, il n’y a pas de ménageant ainsi, cela ne les aide guère à grandir, stabilité et sans stabilité, nous ne pourrons nous ni ne leur donne le sens de la responsabilité. Le développer. P

L’opinion exprimée est individuelle et n’engage que son auteur

novembre - décembre 2016 | 39 Actuel · culture

citoyenneté et culture Chanter rime avec s’engager

Vecteur d’idées et moyen privilégié d’exprimer un engagement, la chanson veut être un déclencheur de changement dans la société. Tour d’horizon en musique.

Andriamanambe Raoto ow many roads sie et la littérature pour faire de la notamment les chanteurs, ont cet must a man walk musique un médium à part entière. avantage de pouvoir traduire leur down/Before you réflexion en actions », nous par- « can call him a EN AOÛT 1963, lors de la marche tage Sariaka Rabearivony, média- man… ». À l’image de Washington, où King prononce trice culturelle. De tout temps, la Hde l’homme qu’il décrit dans cet son célèbre discours I have a dream, chanson a accompagné les révolu- opus emblématique, Bob Dylan en a Bob Dylan interprète Blowin’ in the tions et vice-versa. En France, au fait du chemin avant d’être couronné wind, la première chanson de révolte 18e siècle, la chanson révolution- Prix Nobel de Littérature 2016. C’est moderne à être diffusée à une échelle naire et la chanson de lutte sont une grande première pour un musi- planétaire. « S’engager relève d’une marquées idéologiquement, que cien qui est le dépositaire patenté question épineuse. Foncièrement cela soit dans leur contenu dénoté de la musique populaire. Bob Dylan tous les Hommes doivent avoir une (L’Internationale) ou dans leur a fracturé les limites entre la poé- conscience citoyenne. Les artistes, contenu connoté (Le temps des

40 | Cerises). Même les kalon’ny fahiny endiguer la dépolitisation, – genre musical malgache propre à l’Imerina – étaient des vecteurs de en chanson communication, donc de résistance, en moins et ont une méfiance croissante durant la colonisation. « Derrière La musique serait-elle le remède pour arrêter envers les discours des gouvernants. La leurs histoires d’amour, qualifiées la dépolitisation inexorable des jeunes ? chanson, quelle que soit sa forme, est un outil de platoniques, sommeillaient des « Consciemment ou inconsciemment, l’on puissant susceptible de transmettre l’espoir messages nationalistes profonds », écoute toujours de la musique. On y est à la jeunesse par rapport aux verbes des décrit notre interlocutrice. « Les exposé en permanence », soutient Sariaka hommes politiques qui se drapent de morale artistes ont un pouvoir. Ils peuvent Rabearivony. Doubl’Enn, avance même que ou qui revêtent un ton inadéquat. changer le monde », avance Patrick « certaines œuvres font et défont des régimes ». Johannès, alias Doubl’Enn, figure La chanson possède un sacré pouvoir ------R.A. tutélaire du rap malgache. subversif, certains artistes sont des leaders d’opinion incontestables. Ainsi, le magazine À PARTIR DES ANNÉES 60, Times place Bruce Springsteen parmi les les idées politiques des auteurs leaders d’opinion les plus influents aux États- commencent à se refléter dans Unis. Sur le continent africain, Tiken Jah les chansons. Les porte-drapeaux Fakoly (Côte d’Ivoire) et Lapiro de Mbanga sont Bob Dylan, Joan Baez, John (Cameroun) ont – ou ont eu – une incidence Lennon, Bruce Springsteen, Jean notable dans leur société. Ferrat, Georges Brassens ou encore Au Sénégal, le collectif « Y’en a marre », un Léo Ferré. Suivre les traces de groupe de jeunes rappeurs, a été le fer de ces géants de la musique engagée lance de la contestation anti-Wade qui a impose de faire des choix de car- débouché sur la non-élection de l’octogénaire rière. « Il y a l’artiste citoyen et en 2012. « Au lieu de tout casser dans des l’artiste professionnel, compare émeutes, servez-vous du vote comme d’une Sariaka Rabearivony. Le citoyen arme et mobilisez-vous, au quotidien. Comme adopte des parti pris sur des théma- des citoyens que vous êtes », avait exhorté tiques sociétales, le professionnel vit le rappeur Keyti Melakh, un des membres de son métier, à travers les tournées du mouvement, lors du Forum des Idées par exemple ». Les deux sont rare- de Gauche à Antsirabe en avril. Ce réveil ment compatibles car l’engagement citoyen, à travers l’art, est un bel exemple de est confiné dans des espaces res- « politisation » des jeunes qui votent de moins treints. « La scène underground est riche, mais les artistes y évoluent en vase clos. Ils ne s’adressent qu’à des initiés, ce qui limite forcément seur d’idées. « Le groupe Ny Andry 1972. Dama, aime à rappeler qu’« il les échos de leur message », regrette apprend aux leaders Zwam (jeunes n’y aurait pas eu de Mahaleo sans les chansons Sariaka Rabearivony. Néanmoins, déshérités issus des bas quartiers) 1972 ». Les graines de la conscience Doubl’Enn estime que « le pro- à penser et à se débarrasser de politique semées à l’époque por- à texte font recette blème réside dans le déficit de com- l’idéologie western à acquérir une teront leur fruit même des années Les chanteurs de « vazo miteny » munication. Ces artistes n’ont pas conscience politique », note Jean après. Alors, que reste-il de cette – chansons à texte – ont quelque forcément les moyens de faire des Roland Randriamaro dans l’ouvrage période glorieuse ? « Le mouvement peu repris les flambeaux des matraquages de leurs œuvres ». La L’esclavage à Madagascar, Aspects de 1972 était les prémices d’une artistes engagés. Dans le sillage de diffusion (abusive) de clips dans historiques et résurgences contem- plus grande révolution avant qu’il Mahaleo, Rastefa a proposé un mix les médias, moyennant rétribution poraines (1996). Des poésies poi- n’explose au vol », glisse Sariaka entre folk et horija betsileo avec financière, est devenue le moyen gnantes comme « Akata an-tanàna » Rabearivony. Si dans les années 70, des textes incisifs qui parlaient pour les artistes de devenir célèbres. (guérilla urbaine) d’Ondatindroy ou les concerts vakisaova étaient orga- de la vie quotidienne. D’autres Si bien que si on n’en a pas la encore le chef d’œuvre de la musique nisés pour recueillir des fonds et artistes, comme Samoela – qui a capacité, il est difficile de se frayer prolétarienne « Ampitapitao » – pour conscientiser, les formes d’en- su transformer ce genre musical un chemin. signée par Tsilavina Ralaindimby, gagement ont aujourd’hui changé. en succès commercial – Ifanihy ou Bory et Dadafara – marqueront de L’on milite actuellement plus sur Princio pour le plus récent se sont DURANT LE MOUVEMENT leur sceau cette période fascinante l’humanitaire et sur l’environne- engouffrés dans la brèche laissée estudiantin de 1972, l’art, notam- de l’histoire contemporaine mal- ment (Théo Rakotovao, Rajery…), entrouverte depuis les années 70. ment la poésie et la chanson, a gache. Mahaleo, un groupe devenu le volet politique est quelque peu joué un très grand rôle de cataly- légendaire, est la tête de pont de délaissé. Une vraie fausse note ? P

novembre - décembre 2016 | 41 Actuel · société

les citoyens de demain Les défis du Les plus jeunes d’aujourd’hui système seront nos forces vives de demain. Ils étaient au nombre éducatif de 12,761 millions à être en âge scolaire en 2015, soit plus de la malgache moitié de la population.

Tantely Rakotomalala Catmouse James ’éducation doit être cet produire des progrès plus impor- outil qui offre aux enfants tants. Parmi les causes, l’on pour- et adultes la possibilité de rait citer le contexte sociopolitique, devenir participants actifs la faible performance de l’État en de la transformation des matière de prélèvement des recettes Lsociétés dans lesquelles ils vivent. ou encore la perception négative Pourtant, la scolarisation dans notre de l’école par les parents et les pays reste un défi majeur avec une enfants. Même si les effectifs d’en- proportion de la population vivant fants scolarisés à tous les niveaux au-dessous de 1,9 dollars par jour de l’enseignement ont connu une dépassant les 80%. large augmentation, l’achèvement du niveau primaire demeure un défi MALGRÉ UNE CONVICTION avec un taux d’accès en CM2 de partagée par tous les acteurs près de 69% uniquement en 2014, nationaux sur l’importance de résultant des abandons fréquents l’éducation, les élèves mal- des cours. À ce stade, notre pays gaches demeurent confrontés reste encore loin de l’objectif d’une à un système loin de satisfaire scolarisation primaire universelle. les besoins réels d’éducation et de formation. Le Rapport d’état QUANT AU BUDGET ALLOUÉ du système éducatif malgache par le gouvernement, hormis la (Resen) publié en février 2016 baisse significative des dépenses analyse le secteur éducatif d’investissement, le paiement des dans sa dynamique tempo- salaires accapare une grande par- relle et dans une perspective tie des dépenses courantes, lais- de comparaison internatio- sant peu de marges de manœuvre nale. Plusieurs paramètres à celles indispensables à la qualité font que le système actuel des services en milieu scolaire. Les peine à rémunérations des employés fonc- tionnaires et non fonctionnaires représentent 84,2% de l’ensemble des dépenses courantes des trois ministères en charge de l’éducation, en 2014. Il est vrai que le nombre d’enseignants non fonctionnaires (FRAM subventionnés et non sub- ventionnés) a connu une expansion rapide afin de combler l’insuffisance des instituteurs et faire face à l’aug- mentation des effectifs des élèves et au départ à la retraite des fonc-

42 | tionnaires en poste. Mais si cette LES MÉNAGES contribuent de viennent à la 2e année. Les aban- mesure pallie un manque en quan- façon significative à l’effort natio- dons demeurent fréquents et sont tité, la qualité aura encore un long nal d’éducation, au-delà du finan- accentués au fur et à mesure que périple devant elle. Une enquête sur cement étatique. On estime qu’en les étudiants passent d’un niveau la qualité des prestations de ser- 2012, ils ont consacré jusqu’à à l’autre. Le déficit d’orientation le taux d’absence vices d’éducation (Service Delivery 386 milliards d’ariary au finance- et le manque de diversification des Indicators) menée à Madagascar ment des dépenses scolaires glo- filières de formation professionnelle des enseignants en 2015, fait état d’une situation bales dont 54% au profit des élèves – en totale inadéquation aux muta- [...] se traduit alarmante. En effet, nonobstant la du primaire (malgré la gratuité tions économiques du pays et aux question sur la compétence des de ce niveau d’enseignement) et besoins réels du marché de travail par une perte enseignants, leur taux d’absence 25% allouées aux collégiens. Au – sont à déplorer. Pour l’heure, les annuelle reste élevé dans le secteur public total, pour l’ensemble des niveaux produits de notre système éducatif de 52 jours et se traduit par une perte journa- d’enseignement, les familles sup- ne cessent de rencontrer des diffi- lière de 40 minutes d’enseignement portent 40% des dépenses cou- cultés croissantes d’insertion dans d’enseignement pour les élèves, soit une perte de rantes nationales d’éducation. la vie active. Hormis l’éducation, pour les élèves 52 jours dans l’année scolaire, Comparée aux pays africains, cette que pourraient espérer les enfants [...] représentant presque le tiers des proportion est légèrement infé- d’aujourd’hui pour disposer des horaires annuels. La scolarité en rieure à 0,97 fois de la moyenne. meilleurs bagages pour la vie ? En elle-même représente déjà une dure Quant aux études supérieures, seuls passant par une meilleure formation épreuve physique et psychologique 20 étudiants sur 100 inscrits en 1ère des professeurs, un vrai dévelop- pour les enfants qui, souvent en année obtiennent le diplôme pré- pement du « potentiel citoyen » des situation de malnutrition, avalent paré. L’accès en 1ère année reste jeunes et une forte sensibilisation pour certains plus de 30 minutes de particulièrement sélectif dans des communautés, l’éducation sera trajets par jour entre leurs domiciles les universités publiques où sur le centre névralgique de toute stra- et les établissements. 100 étudiants, seulement 56 par- tégie de construction de l’avenir. P

Andry Ravololonjatovo Directeur du système d’information du ministre de la Culture, de la Promotion de l’Artisanat et de la sauvegarde du Patrimoine Nous sommes en train de former une génération de suiveurs

Quel regard portez-vous sur le système culier, je ne pense pas que certaines filières rimer avec action. Nous en apercevons déjà éducatif actuel ? puissent réellement préparer les étudiants à les germes avec le développement quali- L’éducation est la base de la société.‘‘ C’est devenir des actifs efficients ou des entrepre- tatif et quantitatif des start-ups qui sont une brique fondamentale dans la « construc- neurs inventifs. Il ne s’agit pas d’une critique des incubateurs de créations ou les lieux tion » du citoyen. Elle permet également la gratuite mais j’estime que des programmes d’apprentissage comme le Coder Dojo. Le transmission de valeurs et, intrinsèquement, d’enseignement adaptés peuvent être propo- programme scolaire est à mettre à jour pour de dissocier le « bien » et le « mal ». Elle est sés : par exemple ceux qui se basent sur les qu’il soit plus pragmatique, plus réaliste et l’assise de l’édification de l’Homme. talents des Malgaches. Nous sommes habiles centré sur les besoins impérieux du marché, en ce qui concerne les travaux manuels, il tout en façonnant l’Homme. Certains pays, La politique malgache dans ce domaine faut donc promouvoir les filières y afférentes comme les Philippines, ont décidé de mettre est-elle efficace ? comme l’artisanat ou la vannerie. Le constat en route un cursus complètement centré sur Elle n’est pas très efficace, soyons honnête. est simple : si l’on ne s’en tient qu’à ce sys- l’aptitude technique. Le pays produit actuel- Ce qu’on propose aux élèves et aux étudiants tème, nous ne formerons qu’une génération lement des techniciens qui œuvrent dans est loin d’être en adéquation avec la réalité et de suiveurs. les quatre coins du monde. C’est un choix les mutations profondes qui sont en train de à faire. Madagascar ne doit pas rester en s’opérer. Les curricula actuels sont bien trop Que suggérez-vous ? marge de la marche du monde. généralistes à bien des égards. En ce qui Il faut impérativement préparer une gé- concerne l’enseignement supérieur en parti- nération prête à l’action. Éducation doit Andriamanambe Raoto

novembre - décembre 2016 | 43 Actuel · blog

Pays cherche cours de culture générale

e hasard de la Quand des victimes d’un vol de zébus – consé- vie, mais aussi quence d’une culture figée depuis des siècles et surtout les –l’élevage contemplatif, crient à la vendetta col- circonvolutions lective, c’est la culture de la justice qui quitte d’une carrière le prétoire pour retourner à l’âge des cavernes... Lprofessionnelle sans autres Quand on vandalise un poteau électrique, un pan- ambitions que celles de se neau de signalisation ou une poubelle publique, faire plaisir, ont amené l’au- c’est que, quelque part, des gens ne sont pas pas- teur de ces lignes à Antsirabe, sés par la case culture citoyenne... Quand des en 2007, pour diriger la filière policiers tabassent un présumé coupable et que de formation en Communication personne ne réagit, c’est que la culture des droits et Journalisme d’une Université de l’Homme n’est pas encore ancrée dans les catholique. Première décision , supprimer mœurs. Et pas seulement. Ailleurs, on pointe de une matière qui sonne comme une intruse doigt les vêtements de fourrure et le foie au milieu d’autres plus pointues : la gras au nom du droit des animaux « culture générale ». alors que dans les aires protégées Comment peut-on enseigner à malgaches, on continue à tuer un individu ce qui va rester des espèces protégées. À 17 ans, Randy Donny quand il aura tout oublié ? La pauvreté n’explique pas commençait à publier des articles Comment peut-on Une culture générale ne tout. D’autant plus que le fi- dans différents quotidiens s’acquièrt pas en 20 heures nancement des Organisations malgaches parallèlement à des enseigner à un de cours magistraux ponc- non gouvernementales études d’histoire et géographie tués de QCM. Ne demandez (ONG) s’avère être un ton- à l’Ecole normale supérieure. En individu ce qui surtout pas ce que signifient neau des Danaïdes. Tout le 1996, il intègre la rédaction du ces acronymes. Cela doit déjà va rester quand il monde cherche un emploi au quotidien L’Express de Madagascar faire partie de votre culture gé- lieu d’en créer par manque de puis rejoint Les Nouvelles en 2004. nérale de Francophone. Comme aura tout oublié ? culture entrepreneuriale. On vote, Il en deviendra le rédacteur en ce sont les individus qui forment non pas pour une idée, mais contre chef avant de quitter le journal en un groupe social, de la culture générale quelqu’un parce que c’est ce qui reste 2007. Randy Donny siège au sein de chacun dépend donc le niveau général de de notre culture démocratique. Si les médias du Haut conseil pour la défense de culture d’une société, d’une Nation. ne servent plus que comme des instruments pour la démocratie et de l’état de droit Ainsi, l’on se demande si l’un des freins au régler des comptes, au niveau politique aussi bien (HCDDED). développement de Madagascar ne relève pas fina- qu’au niveau personnel, et qu’une uniformisation lement de la culture que l’Unesco (l’Organisation mettant l’accent au sensationnalisme et à la vio- des Nations unies pour l’éducation, la science lence se banalise, c’est que, généralement, il y a et la culture) désigne comme étant « l’ensemble un problème de cultures. Le niveau culturel d’une des traits distinctifs, spirituels et matériels, intel- société, tout comme la culture générale d’un in- lectuels et affectifs qui caractérisent un groupe dividu, ne saurait être élevée à coups de cours social ». Si l’on ne prend pas garde, avec une popu- accélérés. Des efforts conscients et durables sont lation où une personne sur deux est analphabète, nécessaires afin qu’il puisse relever les nouveaux une fuite en arrière n’est pas à écarter. défis du monde moderne. P

L’opinion exprimée est individuelle et n’engage que son auteur

44 | · à la page TOPS Énergies durables pour tous les ménages, les collectivités et les entreprises & FLOPS En plein marasme énergétique local, l’énergie renouvelable est pré- sentée comme étant la planche de salut. Ce Policy paper effectue · Madagascar a été choisi un panorama complet sur les potentiels en ressources d’énergies comme « pays focus » suite à la renouvelables à Madagascar : le solaire/photovoltaïque, l’énergie réunion du panel de haut niveau hydraulique, la biomasse (bioénergies) et l’énergie éolienne. Cet inventaire exhaustif s’accompagne de données techniques intéres- de l’Alliance des dirigeants santes et éclairantes sur les réalités énergétiques locales. africains pour la nutrition qui Dans ce Policy paper, l’auteur met notamment en avant que la s’est tenue au siège de la Banque capacité de régénération, avec ou sans intervention humaine, africaine de développement des sources d’énergie renouvelable est largement supérieure à sa (BAD) à Abidjan en Côte consommation. Cette source d’énergie n’est pas néfaste au dévelop- d’Ivoire. pement et peut être accessible économiquement et socialement à toutes les catégories d’acteurs. La publication s’intéresse également · À 22 ans, Tahina aux initiatives existantes. Randriarimanana est lauréat Téléchargeable sur le site www.fes-madagascar.org du concours Anzisha Prize, prix africain récompensant les jeunes entrepreneurs du continent. Il a remporté 32 500 dollars.

Le baromètre des médias africains · Il n’y a pas eu de couacs – Madagascar 2016 majeurs durant le sommet du La cuvée 2016 du baromètre des médias africains confirme la Comesa qui s’est déroulé dans la nécessité de revisiter l’encadrement juridique des métiers de la Grande île. presse et des libertés d’expression et d’information. La mise en place de l’organe d’autorégulation – comme les cadres législatifs le prévoit – contribuerait à garantir les valeurs fondamentales telles la liberté, l’indépendance, la transparence et le professionnalisme. Pour établir ce baromètre 12 panélistes issus des médias et de la Les actes de société civile ont planché sur diverses thématiques sociétales liées · vindictes à l’exercice de la presse à Madagascar et sur des critères préétablis. populaires se sont multipliés de Le document permet de noter les points d’achoppement sur lequel manière dramatique. Cela trahit bute le monde de la presse malgache. Et ils sont encore nombreux. du manque de confiance accordé Téléchargeable sur le site www.fes-madagascar.org par la population à l’institution judiciaire. Le gouvernement s’est dédouané en mettant les autorités traditionnelles devant L’ombrelle écarlate leurs responsabilités. Un chef d’œuvre à (re)découvrir. Écrite en 1992, cette docu-fiction sur la vie de Ranavalona Ière est déroutante sur tous les tableaux. · Les Forces de l’ordre ont Elle relate, avec minutie et passion, l’accession au trône de cette réprimé violemment les épouse de Radama Ier. Qualifiée de Caligula malgache pour son manifestants à Soamahamanina. penchant marqué pour l’épreuve du tanguin et pour les assassinats, Une partie des habitants de cette Rabodonandrianampoinimerina est pourtant profondément éprise petite localité des Hautes terres de son pays et le défendra ardemment. rejette ce projet d’exploitation À la lecture du roman, nous comprendrons les raisons de cette aurifère par des Chinois. aversion pour les étrangers. Jean Decampe nous offre une plongée fascinante dans le Madagascar du 19e siècle. Une période sombre, La campagne de où sorcelleries et manigances règnent en maître dans un pays en · vaccination plein trouble. Une lecture obligatoire et passionnante. anti-rougeole n’est pas très bien de Jean Decampe, Éditions Tsipika accueillie en milieu rural. Cette Disponible à la librairie Tsipika maladie entraîne chaque année près de 100 000 décès.

novembre - décembre 2016 | 45 Nota bene

Relever le défi de l’industrialisation

DIRECTEUR DE PUBLICATION Marcus SCHNEIDER

DIRECTEUR DE PUBLICATION ADJOINT Jean Aimé RAVELOSON

COMITÉ DE LECTURE Dominique RAKOTOMALALA Hanta ANDRIANASY Jean Aimé RAVELOSON ’industrialisa- moyen et à long terme. Pour Marcus SCHNEIDER tion inclusive et ceux qui cherchent rapide- DIRECTEUR GÉNÉRAL FONDATEUR durable » était le ment à gagner de l’argent, Tanteliarimiza RAKOTOMALALA thème du dernier l’industrie n’est pas intéres- sommet du Comesa sante. Ils investissent plutôt DIRECTEUR DE CRÉATION Lqui s’est tenu à Madagascar. Ceci dans des affaires à court terme Toky RAJAONA montre une fois de plus que l’indus- comme le négoce ou l’importation. RÉDACTEUR EN CHEF trialisation est sortie de la tour d’ivoire Ce n’est pas ainsi qu’un pays progresse Andriamanambe RAOTO des universités du continent et qu’elle est com- économiquement. La visite d’un supermarché prise comme une nécessité au plus haut niveau des à Madagascar plaide pour l’industrialisation. En DIRECTEUR ARTISTIQUE Nirilanto RAMANAMISATA dirigeants africains. Aussi positif que cela puisse voyant que plus de 90% des produits non-agricoles

paraître, on constate quand même un certain déca- sont importés, on constate un problème. DIRECTEUR ARTISTIQUE JUNIOR lage entre cette volonté affichée, les beaux discours Un pays qui ne produit pas ne sera jamais riche et Gino RAMIADAMAHEFA y afférents et la réalité sur le terrain. aura toujours une population sous le joug du chô- Dans une solidarité remarquable, les groupe- mage. Une nation qui ne produit pas ne développe ATTACHÉ DE PRODUCTION Anjasoa RANDRIANASOLO ments patronaux ont publié un communiqué il pas les talents et l’ardeur de sa population. Alors, Miangaly ANDRIANALY y a quelques semaines dans les grands journaux si la nécessité de l’industrialisation est comprise, du pays. Ils pointent du doigt les problèmes per- il faut pousser la politique à agir. Le communiqué ÉQUIPE PERMANENTE sistants. Il est difficile de parler d’une économie des groupements patronaux est louable mais in- Alain ILONIAINA Hilda HASINJO capitaliste de marché à Madagascar si les règles suffisant. Le ministère chargé de l’Industrie œuvre Karina ZARAZAFY ne sont pas respectées. La concurrence déloyale continuellement pour l’industrialisation mais il ne règne là où « certains » sont plus égaux devant la reste qu’un petit rouage au sein d’un gouverne- CONTRIBUTEURS loi et l’administration que d’autres. Ces « certains » ment ayant plusieurs priorités et qui travaille dans Catmouse JAMES semblent souvent disposer de relations politiques. le cadre d’une situation marquée par une instabi- Elodie Trojanowski Mandaniarivo Rabekoto Des observateurs évoquent que la politique est lité chronique. Masimba Tafirenyika devenue un business à Madagascar. A contrario, La politique à Madagascar discute rarement de Mihanta Ramanantsoa le business se politise. L’alliance malsaine entre questions politiques. Le plus souvent, les agis- Randy Donny les pouvoirs politique et économique entrave le sements politiques portent autour d’alliances ou Tantely Rakotomalala Tsiory Randrianarivony développement. Les critères politiques ne sont de mésalliances, de personnalités, de postes, de

pas les mêmes que ceux du marché. Ainsi, il est remaniements... Si le pays veut réussir son in- SECRÉTARIAT DE RÉDACTION compréhensible qu’un sous-investissement massif dustrialisation, il faut aussi qu’il sorte de cette Pela RAVALITERA perdure à Madagascar, où tout est à refaire et « politique politicienne » dénuée de sens et de à rétablir. Tout en gardant la conscience tran- contenu. L’industrialisation « inclusive et durable » PHOTOS Alain Iloniaina quille, qui pourrait conseiller aux investisseurs est une thématique trop importante pour la laisser Felana Rajaonarivelo malgaches et étrangers d’investir des millions au seul gouvernement. Il faudrait qu’elle devienne FES d’ariary aussi longtemps que ce climat persiste ? une priorité nationale qui rassemble autour d’elle Gino RAMIADAMAHEFA Pour être honnête, il faudrait leur conseiller de une alliance large incluant les groupements Mauritius Tourism Promotion Authority Nirilanto RAMANAMISATA chercher d’abord un soutien politique, au plus patronaux, les syndicats de travailleurs, les orga- Présidence de la République de Madagascar haut niveau, même cela est risqué en tenant en nisations paysannes et la société civile. Pour une Raj Hassanaly/PNUD compte l’instabilité chronique. fois, les partis politiques devraient penser à l’ave- Toky RAJAONA Il n’est donc point surprenant que l’industriali- nir du pays au lieu de la prochaine élection. Ce sation tarde à se réaliser. Les investissements n’est qu’en mobilisant un effort collectif sortant de [email protected] industriels sont nécessairement de très grands l’attentisme et du « mora mora » habituels que le placements. Certes, ils sont plus durables que pays réussira son pari d’industrialisation. P d’autres mais leur rentabilité n’aura lieu qu`à Marcus SCHNEIDER Politikà est une publication de

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