La Révolution française

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En rupture avec le temps long, la Révolution occupe une séquence relativement courte, mais fondamentale, de 1789 à 1799. Dans cette étude, le risque est de se noyer dans lʼévénementiel ou de polariser le cours sur les moments, courts, intenses, souvent dramatiques, qui ont fait débat ou parfois polémique. Lʼenjeu est donc, sans négliger lʼévénement et les acteurs, avec leurs enthousiasmes, leurs engagements, sans négliger non plus le poids des rumeurs et des peurs, de dégager de grands axes qui nous permettent de comprendre dans quelle mesure ce passé, tout à la fois ancien et récent, habite toujours notre imaginaire en tant quʼindividus et en tant que nation, ou, si lʼon préfère en tant que communauté nationale. Retrouver dans ce passé ce qui, de façon sous-jacente, fait encore débat aujourdʼhui, un débat qui peut être clivant : égalité/liberté (ou liberté/égalité); démocratie représentative/ démocratie directe; libéralisme économique/contrôle de lʼéconomie; conception de la nation..... Une période au cours de laquelle sʼaffirmèrent les valeurs dans lesquelles nous aimons, sauf exception, à nous reconnaître, tout en mettant parfois derrière les mots des réalités différentes. Mais cette période de référence construite autour de certaines images du roman national fut aussi un temps de drames, vécus souvent contradictoirement par les acteurs. Mais lʼhistoire nʼest pas un tribunal et expliquer ne signifie pas approuver, sauf mauvaise foi ou incompréhension de ce quʼest précisément lʼhistoire. Notre but est de comprendre la complexité dʼune époque même si chacun peut, à deux siècles de distance, sʼinstaller dans le confort du fauteuil du juge. Enfin, la Révolution ne fut pas un simple événement franco-français puisque toute lʼEurope fut entraînée dans ce qui devint ce processus. Révolution et Contre-Révolution, tant au niveau national quʼeuropéen constitueront donc deux grandes facettes dʼun même sujet.

Nous aborderons trois grandes parties après un bref rappel de ce que fut lʼAncien régime. Il sʼagira essentiellement de rappeler les pricipaux aspects du cours dispensé au second semestre 2014-2015.

Première partie : Régénération ou Révolution (1789-1792). Deuxième partie : La Révolution et lʼEurope (1793-1794). Troisième partie : La Révolution confisquée (1795-1799).

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LʼAncien régime : les facteurs de désagrégation

-Le titre choisi peut-être trompeur car les facteurs de désagrégation ne se manifestent quʼau XVIIIe alors que lʼAncien régime, au sens large, relève du temps long. Conçu comme un système il englobe les individus et les enserre dans des ordres considérés comme des éléments immuables dʼune société voulue pas Dieu. LʼAncien régime est une longue construction qui débute au Moyen Age. Cʼest lʼoption que nous avons choisie pour bâtir notre cours en 2014-2015. Durablement, jusquʼau XVIIIe siècle, ce système nʼest pas contesté dans son essence -Ce titre qui prend en compte les facteurs de désagrégation fait donc référence à une contestation récente. Celle-ci ne vise pas bien entendu à pousser les feux dʼune révolution que personne, au-delà de propos de circonstance, ne perçoit. Les philosophes porteurs des idées nouvelles veulent des réformes, veulent desserrer lʼétau dʼune «pensée unique». Les Insurgents américains sont admirés mais ils ne servent guère dʼexemple même si certaines de leurs idées tranversent lʼAtlantique et les philosophes les plus audacieux nʼaspirent quʼà une monarchie constitutionnelle à lʼanglaise La Révolution est un processus dont les acteurs initiaux ne devinent pas le cheminement, entraînés ensuite dans le chaos des événements. 3 I-Le territoire et le roi 1-Du territoire à lʼEtat -Le territoire, le domaine et le royaume

La construction du royaume est progressive, par lʼagrandissement du domaine royal (ce qui appartient en propre au roi). Le monarque rassemble par une politique matrimoniale avisée, par la guerre, en sʼappuyant sur le droit féodal et en mettant fin au système des apanages. Grâce au système féodo- vassalique, le roi est le suzerain suprême. Il affirme son autonomie tant à lʼégard du pape que de lʼempereur. La supposée «loi salique» permet une transmission héréditaire par lʼaîné des mâles. 4

En échange dʼun fief qui lʼenserre dans un tissu dʼobligations, le vassal rend hommage à son suzerain. Grâce au système féodo- vassalique, le roi qui se trouve au sommet de la pyramide est le suzerain suprême.

-Parallèlement, avec un décalage chronologique, la monarchie se dote dʼun Etat Le roi concentre tous les pouvoirs : législateur unique, justicier suprême, maître de la paix et de guerre Mais la cour féodale du Moyen Age devient un Etat centralisé dans lequel le roi doit déléguer ses pouvoirs. Aux chevauchées des maîtres des requêtes de lʼHôtel (Hôtel du roi) succèdent des structures fixes : baillis et sénéchaux, et intendants. De ce point de vue, le système louis- quatorzien est une sorte de modèle.

2-Lʼusage de la sacralité -La confusion précoce entre le baptême et le sacre

Lorsque Clovis entreprend la conquête de la Gaule très romanisée et déjà largement catholique, il suit les conseils de Remi, évêque de Reims. Indépendamment de la légende de Tolbiac ( Dieu lui donne la victoire contre sa promesse de conversion), son baptême, le jour de Noêl 496, lui vaut lʼadhésion des populations gallo-romaines soumises et facilite leur fusion avec les vainqueurs. Les Francs se convertissent avec Clovis, posant déjà les bases de lʼunité de croyance. Mais il serait érroné de voir là lʼorigine de la France. Celle-ci nʼémergera que sur les ruines de lʼEmpire de Charlemagne, autour des Robertiens (Hugues Capet, 987).

5 Selon Hincmar, archevêque de Reims (vers 802-882), un ange, sous la forme d'une colombe, aurait apporté la sainte ampoule à Remi, à Reims, pour oindre le front de Clovis lors de son baptême. Par là même, Hincmar accrédite l'idée que « Dieu seul fait le roi, avec l'aide visible de l'office sacerdotal. » Le premier roi à avoir été sacré à Reims fut Louis le Pieux en 816, empereur dʼOccident à la mort de son père Charlemagne. Dès lors, baptême et onction du sacre sont confondus, mais cʼest le sacre qui fait le roi.

Au Moyen Age, le roi bénéficie de pouvoirs miraculeux quʼil tient de Dieu : il guérit les écrouelles (le roi te touche, Dieu te guérit).

Sous Louis XIV, Bossuet théorise les pouvoirs du roi dans le cadre de la monarchie absolue de droit divin qui suppose lʼunité de croyance et la sacralité du corps du roi (crime de lèse-majesté).

-Lʼunité de croyance La culture chrétienne joue un rôle structurant et lʼunité de croyance sʼimpose autour de lʼEglise catholique. Les Juifs déicides sont ainsi exclus comme lʼexemplum dit du miracle de lʼhostie en fait foi dès le XIIIe siècle.

Cet exemplum est connu dans toute lʼEurope chrétienne (un des six éléments de la prédelle du retable réalisé par Paolo Ucello à Urbino au XVe siècle). Les 6 Juifs qui ont profané lʼhostie sont suppliciés. Lors du serment du sacre, le roi de France, la France étant la «fille aînée de lʼEglise», jure de maintenir lʼunité de croyance et «dʼexterminer» (de réprimer) les hérétiques. Henri de Navarre doit se convertir au cathocisme pour être sacré mais, lors du serment, il «oublie» la partie qui concerne les hérétiques, cʼest-à-dire les protestants. Lʼédit de Nantes de 1598 est une concession politique qui permet provisoirement la pacification.

Louis XIII, en 1638, voue son royaume à la Vierge comme lʼexprime ce tableau réalisé par Philippe de Champaigne selon les instructions très précises du roi.

En 1685, en révoquant lʼédit de Nantes, Louis XIV en revient à la logique de la monarchie, lʼunité de croyance.

Ce qui nʼempêche pas le souverain dʼutiliser à son profit lʼesprit gallican du clergé.

-La sacralité du corps du roi Indépendamment de la thèse des deux corps du roi, le corps mystique qui ne meurt jamais (le roi est mort, vive le roi) et de son corps physique, la personne des rois est sacrée. Lui porter atteinte est un crime de lèse- majesté. Mais, jusquʼau règne de Henri IV, le roi demeure le roi chevalier qui porte son corps dans la bataille, comme François Ier à Marignan (1515) ou à Pavie (1525). Mais cʼest surtout à Bouvines (1214) que cette symbolique

7 sʼest imposée. Le corps du roi est charnellement dans la bataille, avec ses chevaliers et les milices urbaines des communes. Autour du roi se forme la nation qui constitue un ensemble organique. La nation est ainsi la rencontre entre les corps constitués (chevalerie et milices urbaines) et corps du roi porteur de la sacralité.

Le moine ligueur Jacques Clément commet un crime de lèse-majesté en assassinant Henri III en 1589. Il est Phillipe Auguste avec sa bannière fleurdelisé et écartelé. lʼoriflamme de Saint-Denis va être jeté à terre mais il Comme Ravaillac, assassinant Henri IV en 1610 ou est sauvé par «ses hommes», chevaliers et piétons encore Damiens donnant un simple coup de canif à des communes. La symbolique du roi et de la nation Louis XV en 1757. est ici à lʼœuvre

II-Les facteurs de désagrégation 1-Lʼimpact du nouvel environnement culturel -La raison et la passion Les philosophes, cʼest-à-dire les penseurs du XVIIIe siècle, se fondent sur la raison qui sʼoppose aux arguments dʼautorité qui caractérisent la 8 monarchie absolue. La raison est le moteur du progrès : pour eux, le genre humain est perfectible et la science est le moyen du bonheur. Au fanatisme, celui en particulier de la religion, ils opposent le rationalisme et la tolérance, au mercantilisme qui corsette lʼéconomie, ils opposent la liberté (le libéralisme des physiocrates). Le XVIIIe siècle se sépare de la culture classique du XVIIe et de tout ce qui pourrait apparaître comme un ordre immuable (jardin à la française, règle des trois unités...). La raison et la sensibilité ne sʼopposent pas mais se conjuguent en lʼhomme réconcilié avec la nature. Ainsi sʼexprime une sensibilité préromantique qui réhabilité les passions. -La trilogie des Lumières

Montesquieu et la séparation des pouvoirs. : Charles de Secondat, baron de la Brède : 1689-1755 Dʼune famille noble fortunée, il fait des études de droit et devient magistart, conseiller au de Guyenne. En 1726, il vend sa charge et vit des revenus de son domaine et de la dot de sa femme En 1721, il publie les Lettres persanes. Cette satire a n o n y m e d e l a monarchie a b s o l u e r e m p o r t e u n v i f succès.

L e s Lettres persanes sont publiées à Amsterdam (lʼindication de Cologne est un leurre). Interdites dès 1722, elles connaissent pourtant de nombreuses autres éditions. Cʼest cependant Lʼesprit des lois, publié en 1748, qui est son chef- dʼœuvre. Les sociétés doivent obéir non à des lois-commandement, respectées parce quʼelles ordonnent, mais à des lois qui découlent de la nature des choses. Parmi les trois systèmes politiques quʼil analyse -despotisme, république et monarchie-, son choix se porte sur la monarchie. La monarchie repose sur le sens de lʼhonneur et lʼattachement aux rangs, à la réputation et reconnaît les privilèges. Mais elle doit garantir la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) alors que dans la monarchie absolue de droit divin, le roi les concentre tous en sa personne. Pour Montesquieu, les parlements doivent être les garants de la liberté en permettant la séparation des pouvoirs. Ils doivent exercer le pouvoir judiciaire mais disposer aussi dʼun regard sur les lois par leur droit de remontrances. 9 Mais les parlements, cours de justice, sont constitués de privilégiés et non de représentants. Montesquieu se coule dans le moule existant mais apparaît cependant comme le père du libéralisme politique dans une monarchie tempérée par le rôle de lʼaristocratie. : le combat pour la liberté de conscience François-Marie Arouet : 1694-1778

Fils indocile dʼun homme de loi, il est élève des jésuites à Louis-le- Grand et fréquente dès 16 ans les libertins du Temple. En 1717, il est embastillé pour quelques épigrammes contre le régent puis à nouveau en 1726 à la suite du tapage quʼil fait après la bastonnade que lui administrent les laquais du chevalier de Rohan. Invité à se faire oublier en Angleterre qui devient le modèle politique de ses vœux, il revient dès 1728. Il développe cette idée en 1734 avec les Lettres philosophiques et vante un régime libéral, tolérant et commerçant. Cette œuvre considérée comme son premier chef dʼœ u v r e e s t c o n d a m n é e e t b r u l é e symboliquement par le bourreau. Il alterne les fonctions officielles, comme historiographe du roi, avec les périodes de disgrâce qui lʼécartent de . Lorsque meurt Mme du Chatelet, son amie de cœur qui lui a offert un abri à Cirey, en Lorraine, il accepte, en 1750, lʼinvitation de Frédéric II à Berlin. Jusquʼà ce que les scandales quʼil soulève le contraignent à partir en 1753.

Il sʼinstalle dʼabord à Genève puis à Ferney, dans le royaume mais à proximité dʼune frontière protectrice et des éditeurs de Genève. il connaît sa période la plus productive. Après le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, il ferraille avec Rousseau sur la providence et lʼexistence du mal malgré Dieu. Dans la proximité de Genève où les pasteurs condamnent le théâtre, il sʼoppose encore à Rousseau qui prend leur parti. Il écrit 50 pièces de théâtre, dont 30 tragédies qui abordent le thème de la fatalité, du heurt des religions, du fanatisme et laisse un conte philosophique, Candide, dans lequel il raille lʼoptimisme de Leibnitz. Cette période correspond à ses combats demeurés emblématiques : Il mène une guerre ouverte contre lʼintolérance résumée par la formule : «Ecrasez lʼinfâme», lʼinfâme étant lʼintolérance et le fanatisme dʼoù quʼils viennent. il défend le protestant Jean Calas, roué à Toulouse en 1762 et victime du fanatisme catholique. Il obtient en 1765 sa réhabilitation et celle de sa famille. Il publie en 1763 le Traité sur la tolérance puis le Dictionnaire philosophique portatif. Il défend aussi les Sirven, le chevalier de la Barre et Lally Tollendal.

En février 1778, déjà atteint dʼun cancer de la prostate, il va à Paris pour assister à sa dernière tragédie, Irène, qui est pour lui une véritable apothéose. Mais lorsquʼil meurt le 30 mai, le curé de la paroisse lui refuse une sépulture chrétienne. Son corps embaumé est alors conduit clandestinement à lʼabbaye de Séllières, dont son neveu Migot est lʼabbé commendataire. Le 11 juillet 1791, ses cendres sont solennellement transférées au Panthéon.

10 Jean Huber : Le dîner des philosophes. 11 A Ferney, tous les philosophes (sans Rousseau) sont fictivement rassemblés autour de Voltaire. Rousseau : Jean-Jacques, 1712-1778

Orphelin de mère à sa naissance, son père, dʼorigine française, est installé à Genève où il exerce le métier dʼhorloger. Il doit cependant fuir à la suite dʼune rixe. Jean-Jacques est alors élevé fermement par un oncle pasteur mais, en 1728, il quitte à son tour Genève. Recueilli par Mme de Warrens à Chambéry, il abjure le protestantisme, devient catholique. Il mène ensuite une vie vagabonde et exerce des métiers divers. Il revient à Chambéry, vit avec Mme de Warrens qui finit par lui préférer son intendant. Il mène à nouveau une vie errante, lit beaucoup, sʼintéresse à la musique, invente une nouvelle méthode de transcription musicale. Précepteur à Lyon, secrétaire à Paris puis à Venise, il se brouille avec lʼambassadeur qui lʼemploie. A Saint-Quentin, il sʼunit avec une servante dʼauberge, Marie-Thérèse Leñvasseur dont il a cinq enfants dont il ne sʼoccupe pas et que probablement il abandonne aux Enfants trouvés. Il noue quelques amitiés avec Diderot, Mme dʼEpinay. En 1750, sur les conseils de Diderot, il concourt à lʼAcadémie de Dijon : «Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les moeurs». Contre toute attente, il répond non mais remporte le prix et un succès de scandale. En 1753, il écrit un opéra qui est bien accueilli : Le devin du village. Puis vient le temps des œuvres majeures : En 1755, il répond à une nouvelle question de lʼacadémie de Dijon avec Discours sur lʼorigine de lʼinégalité. En 1758, il polémique avec dʼAlembert qui, dans lʼEncyclopédie, critique les pasteurs de Genève qui refusent le théâtre, accusé de pervertir les mœurs. A ce moment-là, il est revenu au protestantisme (calviniste).

Il se brouille régulièrement avec ceux qui lʼaccueillent, Mme dʼEpinay, David Hume, et erre de château en château. Jusquʼà ce que le maquis de Girardin lui offre un asile dans le parc dʼErmenonville où il meurt le 10 juillet 1778.

Outre les ouvrages cités, il écrit des Confessions, Rousseau juge Jean-Jacques, Les rêveries du promeneur solitaire....

Parmi ses diverses œuvres, cʼest sans doute le Contrat social qui est appelé à jouer un rôle historique majeur.

12 2-La diffusion de lʼesprit des Lumières -Un nouveau paradigme : une nouvelle vision du monde

Le système Ptolémée : la terre au centre de Lʼhéliocentrisme : la révolution copernicienne. lʼunivers. Antiquité et Moyen Age. XVIe siècle

A partir de lʼidée du libraire-imprimeur Le Breton, Diderot et lʼAlembert, malgré dʼinnombrables obstacles, Isaac dont la censure royale et lʼhostilité du Newton parlement et de lʼEgise, rédigent le élabore la Dictionnaire raisonné des arts, des théorie de la sciences et des métiers , gravitation lʼEncyclopédie. universelle. Elle est Le but : faire le tour des diffusée en connaissances, «tout examiner, sans France exception et sans ménagement». grâce à Un immense succès : un travail de Maupertuis 20 ans, de très nombreux et à Voltaire. contributeurs, 17 volumes et 10 volumes des planches. La protection de Malesherbes, de la marquise de Pompadour.

-La diffusion des Lumières Les Académies et les salons sont les lieux de la sociabilité au cours du XVIIIe siècle. Là se retrouvent, bourgeois, nobles «éclairés» et visiteurs de marque souvent munis de lettres de recommandation. Il sʼagit de déployer un savoir-faire mondain, de se mettre en valeur par la fulgurance de son esprit tout en demeurant «aimable».

13 Si trop de passion emporte lʼasistance, lʼhôtesse -car les salons sont tenus par des femmes- reprend la parole et oriente la discussion vers un autre sujet. Les salons ne font pas les carrières académiques ni les positions dans la «république des lettres» mais ils font et défont les réputations. Mais surtout, ils contribuent à répandre lʼesprit du temps représenté par lʼEncyclopédie. Les cafés, comme le Procope, et le théâtre, où lʼon donne par exemple Le mariage de Figaro de Beaumarchais, sont des lieux plus populaires qui assurent la même fonction. Une véritable opinion publique existe à la veille de la Révolution et les idées dominantes des philosophes se répandent en Europe.

Le salon de Mme Geoffrin, épouse du directeur de la manufacture de glaces de Saint-Gobain par Lemonnier. La brillante assistance est dominée par le buste de Voltaire.

3-La crise de la monarchie -Lʼéchec de Turgot au contrôle général

14 La tentative réformatrice de Turgot : 1774-1776

Turgot, à titre dʼintendant, a réalisé des réformes dans la généralité du Limousin. Il est appelé par Louis XVI dès le début de son règne au contrôle général. «Point de banqueroute, point dʼaugmentation des impôts, point dʼemprunts», affirme Turgot, grâce à des économies et à un meilleur rendement fiscal conséquence de lʼenrichissement général attendu. La subvention territoriale sera le seul impôt, payable par tous les propriétaires : ce serait la fin des privilèges fiscaux. La fin des entraves économiques, la suppression des corvées et des corporations favoriseront la libre circulation, en particulier des grains (blé).

Mais les réformes échouent. Turgot ne parvient pas à maîtriser les dépenses de la cour car Louis XVI cède toujours aux demandes. La libre circulation des grains se heurte à de nombreux obstacles : La libre circulation devait favoriser la production mais lʼusage ancien était de faire des stocks de sécurité dans chaque province afin dʼéviter la disette car la monarchie pouvait, si nécessaire, procéder à des distributions. Lʼannée 1755 se caractérise par une disette qui favorise les spéculations dʼ aristocrates (le prince de Conti) et de gros fermiers. Des émeutes ont lieu afin dʼempêcher cette libre circulation. Cʼest la «guerre des farines». Turgot supprime la corvée royale sur les routes et la remplace par la subvention territoriale. Il abolit les corporations et supprime les entraves au marché du travail.

Louis XVI le soutient dʼabord mais finit par le renvoyer le 13 mai 1776.

-Lʼopposition acharnée des parlements Les parlements sont des cours dʼappel constituées de magistrats, tous privilégiés. Ils sʼopposent à toute tentative de réforme qui menacerait ces privilèges et prétendent, par leur droit de remontrance, se poser en représentants du peuple. (Quʼest-de que le peuple?). Ils se veulent les «pères de la patrie». Louis XV, puis Louis XVI imposent parfois leur volonté par des lits de justice. En 1771, Louis XV charge le chanceleir Maupéou de supprimer les parlements et de les remplacer par des Conseils supérieurs de justice où les magistrats, nommés par le roi, ne seraient plus propriétaires de leurs charges. Mais devant leur résistance acharnée, Louis XVI, à peine monté sur le trône, les rétablit. Dès lors, leur opposition à toute réforme qui les

15 affecterait, et surtout à tout impôt payable par tous les propriétaires est constante. Calonne, contrôleur général, ne peut faire accepter la subvention territoriale, Loménie de Brienne sʼy efforce vainement à son tour car la révolte parlementaire devient générale.

Mais : Lorsque la troupe doit disperser le parlement de Grenoble, la population fait pleuvoir sur elle une pluie de tuiles : cʼest «la journée des tuiles», le 14 juin 1788. Les trois ordres du Dauphiné se réunissent dans le château de Vizille le 27 juin 1788 et demandent la réunion des Etats généraux qui ont seuls «la

force nécessaire pour lutter contre le despotisme des ministres et mettre un terme aux dégradation des finances.»

16 Or, lorsque Brienne cède et accepte de réunir les Etats généraux à Versailles le 1er mai 1789, ce sont les privilégiés qui clament leur victoire. Le parlement de Paris adopte alors un arrêt qui demande que la réunion se tienne dans la forme traditionnelle, chaque ordre disposant dʼune voix. Toute réforme qui mettrait fin aux privilèges et toute réforme fiscale alors que les caisses de lʼEtat sont vides deviennent impossible. Les nouvelles charges ne pèseront que sur le Tiers état, le «peuple». Les «pères de la patrie», prétendant représenter «le peuple», ont dʼabord pour objectif de défendre leurs privilèges en faisant reposer les charges sur le Tiers état..

4-Conflits entre les ordres, conflits de classes -Le ressentiment du clergé paroissial à lʼégard du haut clergé

-La décadence de la noblesse, lʼascension de la bourgeoisie

17 18 Ces facteurs de désagrégation de lʼAncien régime, un système que ses partisans considèrent comme immuable, caractérisent un pays où la population a connu une forte progression démographique. Le seuil des 20 M. dʼhabitants nʼavait pas été dépassé en plus de trois siècles : 20 M. en 1348 à la veille de la Grande peste mais aussi 20 M. à la fin du règne de Louis XIV. En 1789, La France compte autour de 28 M. dʼhabitants. La population a augmenté grâce à la hausse de la production agicole et à la fin des famines. Cela a favorisé la progression de la rente foncière mais aussi une forte hausse des prix qui rend particulièrement vulnérables les brassiers et manouvriers et le petit peuple des villes. La société dʼordres, avec en particulier les privilèges et les droits seigneuriaux dont bénéficie la noblesse devient de plus en plus insupportable.

19 PREMIERE PARTIE

Régénération ou Révolution

Le piège des mots La façon même de formuler le sujet dʼétude induit la logique du cheminement. «Fin de lʼAncien Régime», «la France à la veille de la Révolution» ou «les origines de la Révolution française» supposent lʼétude des causes dʼun phénomène inéluctable. Si des «failles», des facteurs de désagrégation de lʼAncien régime sont perceptibles, rien ne permet de penser que la Révolution était inévitable. Processus historique, elle est une succession de ruptures, le résultat dʼune série dʼinterventions dʼhommes qui certes font lʼhistoire mais sans savoir, sauf par une sorte dʼa priori magique, lʼhistoire quʼils font. En même temps se pose la question des débuts de la Révolution. Traditionnelllement, il sʼagit de la réunion des états généraux convoqués pour le 1er mai 1789. Or, la révolte des parlements lui ouvre la voie mais lorsque Calonne cède à leur opposition et accepte la réunion des états généraux, seuls ceux- ci sont légitimes pour trouver une solution au problème financier. Il sʼagit dʼéviter la banqueroute. La survie de la monarchie apparaît liée aux emprunts et donc à la confiance dans lʼEtat. La question est à présent de définir leur forme. Or, le départ de chaque ministre, aussi bien Calonne que Brienne, avant le retour de Necker, donne lieu à des réjouissances publiques qui dégénèrent en émeutes suivies de dures répressions. Et l o r s q u e l e g a r d e d e s S c e a u x Lamoignon est à son tour renvoyé par Louis XVI le 17 septembre 1788, un avocat «patriote» lʼaccuse de crime de «lèse-nation» qui prend le relais de celui de «lèse-majesté», comme si déjà la sacralité passait du roi à la nation. Pourtant, les contemporains ne vivent pas une rupture en 1789, mais plutôt la continuité dʼun mécontentement généralisé. Ainsi, a posteriori, lorsque la Constituante veut affirmer la nécessité de lʼunion des Français autour de la Constitution, une amnistie couvre tous les actes violents commis depuis le 1er mai 1788 (et non 1789).

Le 29 août 1788, après le renvoi de Brienne, les manifestations de joie se transforment en émeutes. Cette gravure de Girardet représente lʼincendie du corps de garde sur le Pont-Neuf, le 29 août 1788.

20 I-1789,«lʼannée sans pareille»

1-Lʼélection des députés et la rédaction des cahiers de doléances Necker laisse les clubs sʼouvrir et accepte une véritable liberté de la presse. Les cafés deviennent des lieux de contestation où se discutent les innombrables pamphlets et les enjeux du moment. Lʼopinion publique se partage entre «patriotes» et «aristocrates». Lʼidée se répand que le «pays réel» sʼoppose à une poignée de privilégiés. Le retentissement du pamphlet de lʼabbé Sièyes, Mémoire sur les états généraux, leurs droits et la manière de les convoquer, un abbé proche des «patriotes» et du duc dʼOrléans, est immense. Il dénonce la noblesse quʼil propose de renvoyer «dans les fôrets de Franconie» et reprend la vieille querelle entre le sang «franc», celui des nobles, différent de celui des roturiers, des «Celtes». Lʼon utilise les concepts de «peuple», de «nation», de «patrie», sans jamais les définir jusquʼà ce que les oppositions les cristallisent dans leur usage. Aux Etats de Bretagne, les oppositions sont violentes entre nobles et représentants du tiers. Des émeutes frumentaires éclatent dans de nombreuses provinces car une terrible tempête a dévasté tout le royaume le 13 juillet 1788, affectant la récolte de blé. Face à la hausse des prix, le petit peuple urbain, gagne- deniers, compagnons et artisans, procède lui-même à la taxation. A Paris, les 27 et 28 avril 1789 a lieu lʼémeute Réveillon.

Lʼémeute Réveillon Les 27 et 28 avril 1789, à Paris, une formidable émeute se produit contre les manufacturiers Henriot et Réveillon. Dans le contexte de crise sociale qui affecte le royaume, Réveillon, fabricant de papiers peints au sommet de son art et de sa réussite sociale aurait annoncé la possibilté de réduire les salaires de ses ouvriers. Les gardes-françaises dépêchées sur place reçoivent une pluie de tuiles et ouvrent le feu. Les affrontements font 150 morts, peut-être davantage, essentiellement des ouvriers.

La manufacture et la demeure de Réveillon nʼen sont pas moins totalement pillées.Face aux 21 manifestants, le roi ne dispose plus que des soldats de ligne, lʼopinion se rangeant derrière de nouvelles autorités émergentes. -Lʼélection des députés aux Etats généraux

Necker, malgré le parlement de Paris, concède le doublement du tiers, ardemment réclamé par les «patriotes» et Louis XVI signe le règlement qui prévoit lʼélection et la rédaction des cahiers de doléances, une forme traditionnelle dʼexpression à lʼintention du roi. La première séance inaugurale des états généraux doit se dérouler à Versailles le 4 mai 1789. Dans les baillages et les sénéchaussées, les élections ont lieu avec lenteur et dans le calme. Elles sont plus tardives en Bigorre.

Les lettres de convocation et le règlement électoral ici en annexe furent en fait publiés le 24 janvier 1789. Ces textes sont lus au prône dans toutes les églises. «Sa majesté désire que des extrémités de son royaume et des habitations les moins connues, chacun fut assuré de faire parvenir jusquʼà elle ses vœux et ses réclamations.»

-La rédaction des cahiers de doléances Chaque assemblée rédige un cahier de doléances, le tiers état, dans chaque communauté villageoise, le clergé et la noblesse dans chaque circonscription (sénéchaussée ou baillage), soit 60 000 pour tout le royaume.

La Bigorre est représentée par quatre députés.

Le tiers état par deux avocats : Bertrand Barère et Dupont. Le clergé, par le curé Rivière, de Vic-en Bigorre, élu contre lʼévèque. La noblesse par le baron de 22 Gonès. Nous tous habitants de la paroisse de Lanvern âgés de 25 ans et au-dessus, puisque le roi notre sire et souverain seigneur veut bien se prêter à écouter favorablement nos observations et doléances, lui demandons :

1- La suppression du droit de franc-fief, ce droit si avilissant et si onéreux pour la majeure partie de la nation, et dont dʼailleurs la cause originelle ne subsiste plus ; cet impôt si odieux par sa nature et devenu insupportable par les extensions qui lui ont été données depuis quelques années. Commentaire : Franc-fief = droit que le détenteur roturier de biens nobles devait payer au noble qui possédait auparavant la terre. En principe, ce droit était dû tous les 20 ans. Sorte de rachat de biens féodaux. Le Cahier de doléances de la paroisse de Guengat précise : «Que le franc-fief, établi lorsque la noblesse seule faisait le service des armes [lʼost médiéval], soit aboli aujourdʼhui que les armées ne sont composées que du Tiers Etat».

23 Le contenu des cahiers de doléances

La convocation des états généraux provoque des effusions dʼamour, dʼenthousiasme et de loyalisme à lʼégard du roi. Mais ces effusions montrent aussi lʼambiguïté initiale qui résulte de lʼexistence dʼun pouvoir absolu et de lʼattente des Français.

«Nous sentons Sire, et plus vivement que nous ne pouvons le témoigner, toute lʼétendue du bien qui va se répandre dans toute les parties de ce royaume; nous sentons tout le courage quʼil a fallu à un prince né sur le trône, élevé dans lʼattrait du pouvoir absolu, continuellement imbu depuis lʼinstant de sa naissance des maximes de lʼautorité arbitraire, pour former la généreuse résolution de rendre à son peuple lʼexercice de tous ses droits». Les trois ordres de Langres.

Mais les cahiers du tiers, unanimement, rejettent les droits seigneuriaux, ce «reste de la barbarie féodale». Ils dénoncent les lenteurs de la justice et sa partialité («On toujours sûr de perdre en gagnant son procès). Ils accusent le fisc dʼêtre le seul et véritable tyran, sʼélèvent contre la Ferme générale et, plus nettement encore, contre la gabelle. La critique du clergé est également acerbe, les moines, cʼest-à-dire le clergé régulier, étant qualifiés de «pieux fainéants». La levée de la dîme est aussi critiquée car les fidèles payent pour les baptêmes, les mariages et les enterrements. De plus, elle est détournée par le haut clergé, parfois même par des bourgeois. Des cahiers demandent sa diminution, dʼautres son abolition.

Les cahiers du clergé sʼinquiètent de la «dépravation des mœurs avec le succès du théâtre et la fréquentation des cafés, la pratique du jeu et lʼabsorption dʼalcool. Il sʼinquiète du dépérissement de la foi qui met en danger lʼunité de croyance. En Alsace, il demande pourquoi il y a autant de juifs.

Les cahiers de la noblesse demandent le maintien des privilèges et insiste sur quelques aspects mineurs comme les conditions dʼentrée aux états provinciaux

En Bigorre, le cahier du tiers sʼélève contre les milices, le haras royal et la corvée sur les routes.

24 2-La révolution par le droit : vers la monarchie constitutionnelle -Les Etats généraux se proclament Assemblée nationale constituante

Convoqués pour le 1er mai à Versailles, les états généraux sont reçus par le roi le 2 mai avec un cérémonial qui respecte la hiérarchie des ordres. Tandis que les députés du clergé sont reçus à huis clos dans lʼintimité de ses appartements privés, ceux de la noblesse les portes ouvertes, il se fait présenter ceux du tiers dans sa chambre à coucher, immobile devant son lit dʼapparat. Ils défilent en rangs serrés, en un morne cortège. «Un troupeau de moutons, commente Bertrand Barère, forcé de précipiter sa course par les aboiements des chiens qui le pressent et lʼaffolent.» Au-delà de la métaphore pastorale, les vêtements des nobles, avec parements dʼor, manteau de soie et chapeau à plumes retroussées contrastent avec ceux du tiers, totalement noirs à lʼexception de la cravate de batiste.

Mais cʼest le 5 mai que le tiers exprime sa déception après le discours de Necker. (Voir ci-dessus un extrait de la lettre dʼun député du tiers état. Archives du Puy-de-Dôme). Une période dʼincertitudes commence alors au moment de la vérification des pouvoirs des députés élus. Faut-il procéder par ordre, ce qui suppose ensuite un vote des états généraux par ordres, conformément à la tradition et aux vœux des deux ordres privilégiés? Dans ce cas, les privilégiés peuvent bloquer toute tentative de réforme. Ou faut-il vérifier les pouvoirs en commun, ce qui suppose un vote par tête : dès lors, tout devient possible car le tiers état fait jeu égal en nombre avec les députés des ordres privélégiés. La situation ne se débloque en fait que le 17 juin car le tiers état, lassé de lʼopposition des privilégiés, se déclare Assemblée nationale et sʼattribue le droit de consentir lʼimpôt. Le 19, le clergé, par 149 voix contre 137, décide que la vérification des pouvoirs se fera en commun, isolant ainsi la noblesse qui reste attachée à la forme traditionnelle. Le 20 juin, trouvant leur salle fermée par la volonté royale, le tiers se transporte dans la salle proche du Jeu de Paume. Sous la présidence de Bailly et dans un grand enthousiasme, tous les députés sauf un, sʼengagent «à ne jamais se séparer et à se rassembler partout où les circonstances lʼexigeraient jusquʼà ce que la Constitution fût établie et affermie sur des fondements solides.» Le 22, le clergé, ainsi que deux nobles du Dauphiné se joignent au tiers. 25 -La symbolique du serment du Jeu de Paume

Esquisse à la plume et encre brune (lavis) : 66 cm sur 101,2

La scène prend place dans la salle du Jeu de Paume dont David dessina l’architecture in situ. Dans la composition d’ensemble de ce grand et magnifique dessin exposé au Salon de 1791, les députés sont regroupés au-delà d’une ligne fictive comme sur la scène d’un théâtre, laissant ainsi au public l’illusion d’appartenir à l’autre moitié (invisible) des spectateurs de la scène. Cette théâtralité est encore relevée par la gestuelle des députés prêtant serment.

Sur la toile inachevée, tout concourt encore à l’idéalisation de la scène à laquelle David n’assista pas, mais qu’il souhaita hisser au rang d’acte universel. Tous les regards convergent vers Bailly, maire de Paris, ébauché sur la toile au crayon blanc, comme l’ensemble des figures encore nues. C’est Bailly, doyen du tiers état, qui répond au marquis de Dreux-Brézé, émissaire du roi : «Je crois que la nation assemblée ne peut pas recevoir d’ordres.»

David souhaite ici fonder une nouvelle peinture à l’image de la nouvelle France révolutionnaire : le serment, symbole de l’engagement de la nation dans son unité indestructible, sera au cœur de tous les grands engagements de la Révolution. C’est l’idée de la fête unificatrice (comme celle de la Fédération) qui préside donc à l’exécution de ce chef-d’œuvre dont la destination, voulue par la Constituante, était la salle des séances de l’Assemblée. Le destin du Serment du Jeu de Paume est à l’image du mouvement révolutionnaire : la souscription lancée par les pour financer sa réalisation n’aboutit point. La Constituante décida de financer l’œuvre de David aux frais du « Trésor Public », mais l’engagement progressif de l’artiste dans la Révolution et le fossé qui se creusa au sein même de la Révolution rendit caduque cette divinisation de l’unité nationale, et la toile ne fut jamais achevée.

Une huile sur toile (65 cm sur 88,7) se trouve aujourd’hui au Musée Carnavalet. Elle reproduit sans doute une gravure de mêmes dimensions.

26 Le tableau du Musée Carnavalet (65 cm sur 88,7)

Musée national du château de Versailles, 400 cm sur 660 (ici 400 sur 600). La toile est demeurée inachevée. David a aussi laissé de très nombreux croquis praparatoires.

27 -Le roi cède Lʼéchec au roi ... et à la noblesse

Lors de la séance royale du 23 juin, Louis XVI ordonne aux trois ordres de siéger séparément, casse les délibérations du tiers mais consent à lʼégalité fiscale. Puis, il termine par une menace : «Si vous mʼabandonniez dans une si belle entreprise, seul, je ferai le bien de mes peuples. Je vous ordonne de vous séparer tout de suite et de vous rendre demain matin dans les salles affectées à votre ordre pour y reprendre vos délibérations.» Le tiers demeure immobile alors que le clergé et la noblesse obéissent.

Cʼest alors que Mirabeau, orateur brillant prend la parole : «Quelle est cette insultante dictature? L'appareil des armes, la violation du temple national, pour vous commander d'être heureux? Qui vous fait ce commandement? Votre mandataire! Qui vous donne des lois impérieuses? Votre mandataire! Lui qui doit les recevoir de nous, Messieurs, qui sommes vêtus d'un sacerdoce politique et inviolable, de nous enfin de qui vingt cinq millions d'hommes attendent un bonheur certain, parce qu'il doit être consenti, donné et reçu par tous. Mais la liberté de vos délibérations est enchaînée... Je vous demande qu'en vous couvrant de votre dignité, de votre puissance législative, vous vous enfermiez dans la religion de votre serment : il ne nous permet de nous séparer qu'après avoir fait la Constitution». Comme une ovation salue cette déclaration, le maître des cérémonies, le marquis de Dreux- Brézé, entre dans la salle et s'exclame, péremptoire : «Monsieur, avez vous entendu l'ordre du roi?» Mirabeau se lève et, toisant Dreux Brézé, lance avec panache : «Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu'on a suggérées au roi, et vous, Monsieur, qui ne saurait être son organe auprès de l'Assemblée Nationale, vous qui n'avez ici ni place, ni voix, ni droit de parler, vous n'êtes pas fait pour nous rappeler son discours... Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté de la Nation et que nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes!» 28 La révolution juridique triomphe

Louis XVI cède et ordonne la réunion des trois ordres : il nʼy a plus dʼétats généraux et lʼautorité du roi est passée sous le contrôle des représentants de la nation. Le 7 juillet, lʼAssemblée crée un Comité de constitution et le 9, elle se proclame Assemblée nationale constituante. Très clairement, la France sʼachemine alors vers une monarchie constitutionnelle. En droit, la révolution lʼa emporté. A condition que le roi et la noblesse acceptent le fait accompli.

Tout ce processus pourrait sembler anodin et limité au cercle étroit des Etats généraux. En fait, le serment du 20 est une vraie rupture, consciente : le serment était dû au roi, il est le geste constitutif qui unit la nation à son chef. Il inaugure ici un lien entre les députés, représentants de la nation, hors du roi et même contre lui. Jusquʼau 23 juin, le roi se réclame de «lʼancienne Constitution», celle qui reconnaît les ordres. Elle devient la «charte» de la contre-révolution qui oppose «patriotes» et «aristocrates». Le clergé, constitué partiquement à moitié de membres du clergé paroissial, sʼest rallié au tiers à une petite majorité. Le 24, lʼordre de la noblesse se rompt à son tour : la minorité libérale se rallie à lʼAssemblée au prix dʼaffrontements verbaux tellement violents que certains députés portent la main à lʼépée. Pendant ce temps, dans le pays, les «électeurs» qui ont désigné les députés aux états généraux se réunissent illégalement et interviennent publiquement pour approuver lʼAssemblée. La nation se reconnaît dans lʼAssemblée. Mais déjà, au nom du tiers ou au nom du roi, des groupes rejettent les impôts, les redevances ou les droits jugés insupportables et provoquent des vagues de révoltes. La nation entre dans un nouveau système de pensée.

3-La révolte des villes -A Paris, la «prise» de la Bastille

Cette effervescence renforce lʼAssemblée mais Louis XVI rassemble des troupes sur le Champ de Mars et autour de Paris. Le 8 juillet, Mirabeau demande leur éloignement car les députés craignent que le roi ne disperse ainsi lʼAssemblée. Le 11, la réponse royale vient avec le renvoi de Necker, devenu extrêmement populaire. Le baron de Breteuil est nommé contrôleur général, le maréchal de Broglie étant à La Guerre.

Le 12 juillet, au Palais Royal Le renvoi de Necker apparaît à tous comme une catastrophe : aux rentiers et financiers qui craignent une banqueroute, aux députés qui redoutent lʼusage de la force. Les cavaliers du prince de Lambesc chargent dans les jardins des Tuileries des manifestants qui promènent les bustes de Necker et du duc dʼOrléans. Au Palais Royal, harangue la foule et redoute «une Saint-Barthélémy de patriotes». 29 Le 13, des bandes brûlent les octrois et les bâtiments du guet. La prise de la Bastille, par Jean-Baptiste Lallemand, 1790, Musée Carnavalet.

Le récit, par un historien, de la «prise» de la Bastille

Le 11 juillet, Louis XVI a donc renvoyé son contrôleur général des finances, , un banquier très populaire.

Le 13 juillet, à Paris, la rumeur se répand que les troupes royales vont entrer en force dans la capitale pour mettre les députés aux arrêts. De fait, des corps de troupes sont rassemblés au Champ de Mars et aux portes de Paris. Un comité permanent, la «municipalité insurrectionnelle», est formé pour faire face à la menace. Elle se substitue à la vieille municipalité royale.

30 31 Jean-Clément Martin, Nouvelle histoire de la Révolution française, Perrin, 2012.

Un témoignage

Le roi et Paris

Le roi décide de rester à Versailles et de ne pas rejoindre une ville de garnison comme cela lui est proposé. Indécis, il veut éviter lʼépreuve de force et la guerre civile. Sur son ordre les troupes rétrogradent. Le 17 juillet, il se rend à Paris où Bailly le reçoit, portant avec ostentention lʼhabit noir des députés du tiers. Le 14, Bailly est devenu par acclamation le maire de Paris où il préside le conseil de la commune formé par les «électeurs» des districts. Le roi le reconnaît en recevant de lui les clés de la ville et la cocarde tricolore des «patriotes». Louis XVI, à ce moment-là, reconquiert sa popularité : la monarchie est régénérée et tous les espoirs sont permis. Il ne sʼagit pas de révolution, ni dʼun processus maîtrisén mais les conséquences, elles, sont révolutionnaires.

Lʼordre est dès lors assuré par une milice bourgeoise, la garde nationale commandée par La Fayette.

32 Lʼarrivée de Louis XVI à Paris, le 17 juillet 1789.

Bertrand Barère qui fait partie de la délégation des 36 députés de lʼAssemblée constituante qui accompagne le roi a laissé un tableau saisisant.

«Nous eûmes bien de la peine à comprimer dans certains quartiers, avant lʼarrivée à lʼHôtel de Ville, lʼindignation des citoyens exaspérés par les motifs graves de lʼinsurrection. Arrivé à lʼHôtel de Ville, le roi y fut reçu avec une sévérité solennelle : un peuple irrité et menaçant nʼest ni courtisan ni flatteur. M. de Lafayette reçut ensuite le serment des gardes françaises qui avaient aidé à prendre la Bastille, de toutes les troupes de la capitale jurant fidélité à la nation, au roi, à la ville de Paris, qui était à la tête de la révolution. Cʼétait une révolution complète et toute nationale.» Bertrand Barère, Mémoires.

On remarque aussi lʼhabit du tiers porté par Bailly en présentant les clés au roi.

Les députés, «précédés des gardes- françaises, des Suisses, des officiers de la milice citoyenne, des députés des électeurs, sʼavançaient par la rue Saint-Honoré au son des trompettes... Tous les bras étaient tendus vers eux, les coeurs sʼélançaient... de toutes les fenêtres les bénédictions, les fleurs pleuvaient, et les larmes...» 33 Michelet, Histoire de la Révolution française. -Dans de nombreuses villes Les notables de lʼAncien régime sont remplacés, selon des processus divers, par des «patriotes». Des gardes nationales sont créées, à lʼimage de celle de Paris. Le pouvoir royal sʼévanouit, les intendants abandonnent leurs postes, les impôts, ceux de lʼAncien régime, sont suspendus. La légitimité du pouvoir ne réside plus que dans lʼAssemblée.

4-La Grande Peur et ses conséquences -La Grande Peur

«Vécue»par les contemporains

Par lʼimage :

Par les textes: « Terreur panique : Le dernier du mois de juillet 1789 jour de vendredi à dix heures du soir, il y eut dans la paroisse grande alerte occasionnée par la peur des Anglois avec lesquels nous étions en paix, et quʼon disoit être au nombre de dix mille hommes, tantôt au bois du Feuga, tantôt à St-Pastou, à Clairac, à Lacépède et ailleurs. On sonnoit le tocsin de toutes parts depuis huit heures du soir. Les gens sages nʼen crurent rien, et on ne sonna icy quʼau jour lʼalarme fut grande jusquʼà onze heures avant midi. Sur lʼenvoy consécutif de trois émissaires de Lacépède qui demandoient du secours pour Clairac menacé - disoient-ils - par dix mille brigands, les nôtres y furent, armés de fusils, de faux et de broches. Arrivés à Lacépède ils apprirent que tous les bruits étaient sans fondement. Lʼalarme sʼétoit répandue progressivement. à Bordeaux pendant la nuit de mercredi à jeudi, à Condom le vendredi à midi. À Agen le jeudi soir à 9 heures on sonna le tocsin dans toute la ville où sʼétaient rendus de toutes parts quinze mille hommes en armes. Tout fut calme à Agen vers une heure après minuit. En 1690, même alarme dans lʼAgenois le 20 aout jour de dimanche sous la dénomination de peur des Huguenots. » 34 Récit du curé de Prayssas en Agenais, Barsalou.

«La ville dʼAgen a vécu dans lʼalarme toute la nuit de jeudi, par crainte dʼune invasion de brigands qui ensuite se sont répandus dans la vallée de la Garonne». Le château de Fumel a brûlé, provoquant «une frayeur panique». Du côté de Montauban, «il y avait quelque ville pillée alors que Condom et Saint-Clar ont pris les armes pendant que Lectoure et Fleurance sont restées dans la plus grande sévérité.» Lettre de lʼintendant dʼAuch à son subdélégué de Tarbes.

Lettre adressée par le prévot de la gendarmerie du Soissonnais à lʼintendant de Soissons, 28 juillet 1789.

35 Son ampleur

36

Lʼanalyse de Michelet

«Après une mauvaise année, venait une année mauvaise; le peu de blé qui avait levé autour de Paris fut foulé, gâté, mangé par la cavalerie nombreuse quʼon avait rassemblée. Et même sans cavaliers, le blé sʼen allait. On voyait ou on croyait voir des bandes armées qui venaient la nuit couper le blé vert. Foulon, tout mort quʼil était, semblait revenir exprès pour faire à la lettre ce quʼil avait dit : Faucher la France. Faucher le blé vert, le détruire, la seconde année de famine, cʼétait aussi faucher les hommes. La terreur allait sʼétendant; les courriers, répétant ces bruits, la portaient chaque jour dʼun du royaume à lʼautre. Ils nʼavaient pas vu les brigands mais dʼautres les avaient vu; ils étaient ici et là, ils étaient en route, nombreux, armés jusquʼaux dents; ils arriveraient la nuit probablement, ou demain sans faute. En plein jour, à tel endroit, ils avaient coupé les blés; cʼest ce que la municipalité de Soissons écrivait éperdue à lʼAssemblée, en demandant du secours; toute une armée de brigands marchait sur cette ville. On chercha; ils avaient disparu dans les fumées du soir ou les fumées du matin.» , Histoire de la Révolution française.

Entre juillet et août 1789, plusieurs émeutes éclatent en province. Le bruit court que des brigands, payés par les nobles, ont été chargés de couper le blé encore vert afin de provoquer une famine. Dans lʼEst de la France, lʼon dit que le comte dʼArtois est de retour à la tête dʼune imposante armée. Dʼautres affirment que la reine a fomenté un complot, prévoyant de faire sauter les états généraux sur une mine et de massacrer tout Paris.

Ces rumeurs provoquent un mouvement de panique, qui se répand partout en France. Effrayés, les paysans sʼassemblent puis sʼarment. Ils se rendent alors chez leurs seigneurs respectifs, sʼemparant les titres seigneuriaux qui garantissaient les privilèges des nobles. Ils brûlent alors ces documents quʼils se font remettre. Si les seigneurs tentent de résister, leurs châteaux sont incendiés et pillés.

La Grande Peur sʼest transformée en une formidable jacquerie dirigée contre les droits seigneurieux considérés comme illégitimes.

-La nuit du 4 août Face à cette révolte généralisée, les membres de l’Assemblée constituante décident alors d’abolir les privilèges, les droits seigneuriaux, la vénalité des charges et le servage qui restait encore à l’état de survivance.

37 Au cours de la nuit du 4 août, lʼAssemblée constituante, inquiète, puis versant dans un enthousiasme collectif, décide, sur la proposition de députés de la noblesse - Noailles et Aiguillon - dʼabolir les droits seigneuriaux et les privilèges.

«Vous ne ramènerez, Messieurs, le calme dans la France agitée que quand vous aurez promis au peuple que vous allez convertir en prestations en argent, rachetables à volonté, tous les droits féodaux quelconques; que les lois que vous allez promulguer anéantiront jusquʼaux moindres traces dont il se plaint justement. Dites-lui que vous reconnaissez lʼinjustice de ces droits, acquis dans des temps dʼignorance et de ténèbres. Dans le bien de la paix, hâtez-vous de donner ces promesses à la France; un cri général se fait entendre, vous nʼavez pas un moment à perdre, un jour de délai occasionne de nouveaux embrasements; la chute des empires est annoncée avec moins de fracas. Ne voulez-vous donner des lois quʼà la France dévastée?» Le Guen de Kerangall, député breton du tiers.

Les députés, au cours des jours qui suivent, se rendent compte quʼils ont montré un peu trop dʼempressement lors de la nuit du 4 août en abolissant les droits seigneuriaux. Des discussions ont lieu jusquʼen mars 1790, date à laquelle les députés nuancent leur jugement : dʼune part, les propriétaires de charges seront indemnisés; dʼautre part, si les droits personnels comme les corvées, le servage et la dîme sont effectivement supprimés, les droits réels portant sur la location de la terre comme le cens et le champart restent en vigueur. Ces droits, considérés comme «réels», représentant la location de la terre pourront toutefois être rachetés. La plupart des membres de lʼAssemblée, quʼils soient nobles ou roturiers, sont des propriétaires38 terriens, bénéficiaires de ces droits. Malgré ses ambiguïtés, la nuit du 4 août, en abolissant les privilèges, met fin à la société dʼAncien régime. 39 5-Les journées dʼOctobre -La montée des difficultés

Malgré la destruction de lʼAncien régime, les difficultés sʼaccumulent : les impôts ne rentrent pas et lʼemprunt de 20 M. de livres lancé par Necker est un échec; le roi entre dans une résistance passive et refuse de sanctionner les décrets dʼaoût; les «monarchiens» ou «anglomanes» veulent une constitution qui préserve les pouvoirs du roi; à Paris lʼopinion est en alerte. Quant à la popularité de Necker, elle est totalement ruinée. Et la crise de subsistances sʼannonce, périlleuse.

Aujourdʼhui (mercredi 16 septembre), les horreurs de la disette se sont fait sentir de nouveau, les boutiques des boulangers sont assiégées, le peuple manque de pain; et cʼest après la plus riche récolte, au sein même de lʼabondance, que nous sommes à la veille de mourir de faim. Peut-on douter que nous ne soyons environnés de traîtres qui cherchent à consommer notre ruine? Serait-ce à la rage des ennemis publics, à la cupidité des monopoleurs, à lʼimpéritie des administrateurs que nous devons cette calamité? Marat, LʼAmi du peuple, N° 2.

A partir de 1789, la liberté dʼexpression est totale et favorise une extraordinaire profusion de titres de presse qui entrent en concurrence les uns avec les autres. Ils sont vendus à la criée et représenent toute la gamme des opinions.

LʼAmi du peuple, de Marat, nʼest quʼun titre parmi les autres.

40 -De Versailles à Paris

Favorisés par la liberté de la presse, pamphlets et articles radicaux se multiplient pendant que Louis XVI rassemble à nouveau des troupes. Le 1er octobre, à l'Opéra royal de Versailles, un banquet est offert au régiment des Flandres nouvellement arrivé. L'apprenant, les Parisiens pauvres qui manquent de pain s'en irritent dʼautant plus que la cocarde tricolore aurait été foulée aux pieds. Inquiète devant la hausse du prix du pain, une foule nombreuse se réunit le dimanche 4 octobre dans les jardins du Palais-Royal. Puis, le lendemain, un cortège de 7.000 ou 8.000 femmes du quartier des Halles, sous la direction de lʼhuissier Maillard, un des «vainqueurs de La Bastille», part en direction de Versailles. On crie : «À Versailles !» ou encore «Du pain !». À la mi-journée, le cortège arrive devant les grilles du palais cependant qu'un second cortège quitte à son tour la capitale. L'Assemblée est envahie et une délégation de femmes est conduite auprès du roi qui promet de ravitailler Paris. La Fayette, informé des événements, arrive en fin de soirée à la tête de la garde nationale. Le 6 octobre, des échauffourées éclatent et La Fayette persuade le couple royal de se montrer avec lui au balcon de la cour de marbre pour apaiser les émeutiers. À l'apparition de Louis XVI, les femmes crient : «Vive le Roi !» puis : «À Paris !». La famille royale (le boulanger, la bouangère et le petit mitron) est raménée à Paris, aux Tuileries, suivie par l’Assemblée. Tous sont dès lors directement soumis aux aléas du Les manifestants dans les appartements royaux. processus révolutionnaire.

41 Les femmes des Halles en marche vers Versailles.

Les échauffourées devant les grilles du château : la mort dʼun garde français provoque la colère des manifestants qui pénêtrent jusque dans les appartements privés de la reine. Les sources nʼévoquent jamais lʼusage du canon mais des garde du corps du château sont tués et leurs têtes promenées au bout dʼune pique.

Le retour à Paris le 6 octobre. La foule triomphante, encadrée par la garde nationale de La Fayette, ramène la famille royale et lʼAssemblée.

42 La violence : héritage et pulsions

Jean-Clément Martin, Nouvelle histoire de la Révolution française, pp. 166, 167

43 6-Premier bilan

1-Les Etats généraux constitués des trois ordres sont devenus une Assemblée nationale constituante. Son but est donc de transformer la monarchie absolue en monarchie constitutionnelle. La légitimité du pouvoir ne reposera plus sur le roi mais sur la nation qui, à travers ses députés, élabore une constitution, cʼest-à-dire un contrat social. Le souverain nʼest plus le roi mais la nation. La gravure ci-jointe est idéalisée car elle fait lʼimpasse sur les tensions au sein même de lʼAssemblée et, de plus, les ordres ont cessé dʼexister. Elle se veut cependant symbolique dʼune aspiration réelle à lʼunité.

2-La nuit de 4 août, malgré les reculs ultérieurs de lʼAssemblée, met fin à lʼAncien régime, consubstantiel de la monarchie absolue, caractérisée par les trois ordres et les privilèges. La Déclaration des Droits de lʼHomme et du Citoyen du 26 août 1789 confirme la mort de lʼAncien régime

3-A lʼissue des journées dʼOctobre, la famille royale et lʼAssemblée nationale constituante sont à Paris. Elles peuvent dès lors être lʼobjet de la pression des Parisiens. Cela devient un élément essentiel dans le processus révolutionnaire.

4-Le roi qui avait refusé jusquʼà ces journées dʼOctobre dʼapprouver les décrets dʼaoût et la Déclaration du 26 est contraint de le faire

5-Malgré tous les aléas, lʼAssemblée, avec constance, sʼattelle aux grandes réformes qui doivent régénérer le royaume et à la rédaction de la Constitution.

6-La popularité de Louis XVI, à défaut de celle de Marie-Antoinette, est encore largement intacte. Mais une inconnue majeure demeure : le roi a-t-il accepté ce processus qui conduit à la «régénération» du royaume mais qui met fin à son pouvoir absolu. Accepte-t-il le cadre dʼune monarchie constitutionnelle?

44 II-La question du pouvoir et de la légitimité 1-Diriger la Révolution -La quête de lʼunité Déclarer les droits : 26 août 1789

45

A partir du 10 octobre 1789, «Louis, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle des Français, roi des Français», roi certes héréditaire, est subordonné à la Constitution qui doit être faite. Cependant, jusquʼau 14 juillet 1790, il évite de prêter serment.

Le préambule : Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. En conséquence, l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen.

Les articles :

1-Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. 2- Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.

3- Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

4-La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

5-La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

6-La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. 46 7-Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.

8-La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

9-Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

10-Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.

11-La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

12-La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

13-Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

14-Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

15-La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

16-Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

17-La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

47 Les fédérations et la grande fédération

Le 13 juin 1790, plus de 75 000 personnes convergent à Strasbourg, en bordure du Rhin, sur le Champ de la Confédération, appellation nouvelle adoptée à l'occasion du dernier rassemblement d'une série de fédérations régionales. Ces manifestations destinées à l'origine à soutenir les bataillons locaux de la Garde nationale au cours de l'été 1789 ont attiré dès l'année suivante des dizaines, voire des centaines de milliers de participants dans tout le pays. Ceux qui s'y pressent viennent d'abord y affirmer un engagement révolutionnaire commun, mais, à en croire les témoignages, on s'y rend aussi pour faire l'expérience de la ferveur émotionnelle qui accompagne les cérémonies. De ce point de vue, la fédération de Strasbourg tient ses promesses. La musique d'ouverture et les salves de canons provoquent chez les participants une « explosion du sentiment » ; à l'issue d'une messe en l'honneur de lʼÊtre Suprême se déroule la prestation de serment.

Serment fédératif prononcé à Grenoble : 11 avril 1790.

Serment fédératif du Dauphiné : 29 novembre 1789.

48

Le rassemblement des délégations des gardes nationales à Lyon, le 30 mai 1790, a un écho dans tout le pays. Une montagne artificielle, un temple de la Concorde et une statue de la Liberté expérimentent les mises en scène à venir.

Cette montagne est reproduite en noir et blanc, dans une gravure plus sommaire et bon marché à large diffusion.

49

Le serment est prêté avec, selon les lieux, quelques variantes dans la formulation : «Nous, soldats citoyens, réunis fraternellement pour le bien de la chose publique, jurons à la face du ciel, sur nos coeurs et sur nos armes consacrés à la défense de lʼEtat de rester à jamais unis afin de soutenir lʼAssemblée nationale.»

La pression des départements est telle que le roi et lʼAssemblée doivent se résoudre à organiser à Paris une fédération nationale le 14 juillet 1790. Ils craignent, tant «monarchiens» favorables au roi, que députés «patriotes», les désordres qui pourraient accompagner un afflux massif de délégués des fédérations. Aussi, la décision dʼaménager le Champ de Mars afin de les recevoir le 14 juillet nʼest-elle prise que tardivement. Les Parisiens, dans toutes leurs composantes, saisis à leur tour par cet enthousiasme venu des départements, sʼengagent dans dʼimmenses travaux de terrassement. Il faut aménager une prairie plate en un amphithéâtre capable de recevoir 400 000 personnes, les 100 000 délégués des gardes nationales du pays compris. La Fayette se fait (très provisoirement) terrassier et le roi lui-même vient donner publiquement quelque coups de pioche.

50 La fête de la Fédération

Selon Michelet : «Ce fut un étonnant spectacle. De jour, de nuit, des hommes de toutes classes, de tous âges, jusquʼà des enfants, tous, citoyens, soldats, abbés, moines, acteurs, sœurs de Charité, belles dames, dames de la halle, tous maniaient la pioche, roulaient la brouette ou menaient le tombereau. Des enfants allaient devant, portant des lumières; des orchestres ambulants animaient les travailleurs; eux-mêmes en nivelant la terre, chantaient ce chant niveleur : Ah! ça ira! ça ira! Celui qui sʼélève, on lʼabaissera! Le chant, lʼœuvre et les ouvriers, cʼétait une seule et même chose, lʼégalité en action. Les plus riches et les plus pauvres, tous unis dans le travail. Les pauvres pourtant, il faut le dire, donnaient davantage. Cʼétait après leur journée, une lourde journée de juillet, que le porteur dʼeau, le charpentier, le maçon du pont Louis-XVI, que lʼon construisait alors, allaient piocher au Champ- de-Mars. A ce moment de la moisson, les laboureurs ne se dispensèrent point de venir. Ces hommes lassés, épuisés, venaient, pour délassement, travailler encore aux lumières. Ce travail, véritablement immense, qui dʼune plaine fit une vallée entre deux collines, fut accompli, qui le croirait? en une semaine! Commencé précisément au 7 juillet, il finit avant le 14. La chose fut menée dʼun grand cœur, comme une bataille sacrée. Lʼautorité espérait, par sa lenteur calculée, entraver, empêcher la fête de lʼunion; elle devenait impossible. Mais la France voulut et cela fut fait. Ils arrivaient, ces hôtes désirés. Ils remplissaient déjà Paris. Les aubergistes et maîtres dʼhôtels réduisirent eux-mêmes et fixèrent le prix modique quʼils recevraient de cette foule dʼétrangers. On ne les laissa pas, pour la plupart, aller à lʼauberge. Les Parisiens, logés, comme on sait, fort à lʼétroit, se serrèrent, et trouvèrent le moyen de recevoir les fédérés.» Histoire de la Révoution française.

Selon Jaurès : «Les prolétaires mêmes qui ne votaient pas travaillèrent dʼun cœur joyeux à lʼaménagement du Champ-de-Mars : il y avait le côté blanc et le côté noir, les charbonniers tout noircis de charbon, les forts des Halles tout blanchis de farine, et des noirs aux blancs, il y avait une rivalité gaie, à qui remuerait le plus de terre en lʼhonneur de la Révolution. Le roi vint un moment piocher lui-même, et sous la parade mensongère de cette égalité le peuple en sa naïveté mettait un sens profond, je ne sais quel pressentiment de lʼégalité vraie. Quand les ouvriers nivelaient le sol ou le haussaient en un sublime amphithéâtre, assez vaste pour tous les délégués dʼun grand pays, ils chantaient sur lʼair du Ça ira, un couplet révolutionnaire où lʼEvangile était détourné de son sens vers lʼégalité sociale : celui qui sʼélève on lʼabaissera; celui qui sʼabaisse, on lʼélèvera. Illusion des travailleurs révolutionnaires : nivellement de la terre et des conditions.» Histoire socialiste de la Révolution française, éditions sociales, 1968, T. 1, p. 829.

51 La pluie qui est tombée drue et sans discontinuer pendant toute la journée nʼaltère pas lʼenthousiasme des participants. Au moment du serment, un rayon de soleil perce les nuées comme le représente Charles Thévenin sur son tableau. Ce moment exceptionnel rassemble environ 350 000 personnes.

52 La Fayette, commandant les gardes nationales de Paris arrive sur un cheval blanc

Sur lʼautel de la patrie, Talleyrand, lʼévêque dʼAutun que lʼon sait athée, vient de célébrer une messe entouré de deux cents officiants. Ici,à ses côtés, La Fayette prononce le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi.

53 Devant La Fayette descendu de son cheval blanc, entre les députés de lʼAssemblée nationale constituante dont on reconnaît ici, par convention, le vêtement noir et la cravate blanche de batiste, Louis XVI prête serment, à la nation et à la constitution en voie dʼélaboration. Ce serment du roi est un fait majeur car il reconnaît ainsi la prééminence de la loi et de la Constitution alors que jusquʼà lors, cʼétait le roi qui recevait le serment de ses sujets avec la pyramide héritée de la période féodale. Mais ce serment, prêté pour la première fois, lʼest avec désinvolture. Michelet lʼévoque. Il sʼenthousiasme dʼabord de lʼallégresse générale en dépit de la pluie : « Ah! de quel cœur il jure, ce peuple. Ah! comme il est crédule encore!... Pourquoi donc le roi ne lui donne-t-il pas ce bonheur de le voir jurer à lʼautel? Pourquoi jure-t-il à couvert, à lʼombre, à demi-caché? Sire, de grâce, levez haut la main, que tout le monde la voie! Et vous, madame, ce peuple enfant, si confiant, si aveugle, qui tout à lʼheure dansait avec tant dʼinsouciance, entre son triste passé et son formidable avenir, ne vous fait-il pas pitié?... Pourquoi dans vos beaux yeux bleus cette douteuse lueur? (...) Dans ces masses confuses avez-vous cru voir de loin les armées de Léopold?»

Et de fait, nous savons que Louis XVI nʼa pas accepté la limitation de son pouvoir prévue par la constitution. Dès le 7 octobre 1789, il avait fait savoir à Charles IV, le roi dʼEspagne puisque les Bourbon sont liés par le pacte famille, et par son intermédiaire à tous les souverains dʼEurope, que «tous les actes, contraires à lʼautorité royale (...) lui ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet (1789)».

La fête dite de la Fédération nʼest devient pas moins dans le roman national construit sous la Troisième République un symbole dʼunion entre les Français dans le cadre dʼune nation voulue par elle- même. 54

La joie de lʼunité se prolonge

Le 15 juillet

Louis XVI, héritier de Henri IV.

Dès le 15 juillet 1789, La Bastille devient le symbole de lʼarbitraire royal abattu. Même si un entrepreneur en bâtiments achète la forteresse pour y récupérer les pierres, ce sont les Parisiens qui, par un mouvement collectif, semblable à celui qui permet les travaux sur le Champ de Mars, ont Le 18 juillet détruit la forteresse médiévale après le 14 juillet 1789.

Sur lʼespace ainsi dégagé, aménagé et illuminé se tient un grand bal le 18 juillet. Les Parisiens55 veulent ainsi croire à lʼunité retrouvée entre le roi et la nation. 56

Le bal de la Bastille : «Ici lʼon danse». Gravure de Lecoeur. Mais des tensions au sein de lʼAssemblée, dans lʼarmée et dans le pays

Lors de la discussion de la Constitution, «monarchiens ou anglomanes» et «patriotes» sʼopposent à propos du véto du roi. Le Comité nommé pour faire les travaux préparatoires propose un véto absolu qui conforte le pouvoir roi, capable de sʼopposer à toute législation quʼil désapprouverait. Massivement, cette proposition est rejetée par lʼAssemblée qui cherche alors un compromis. Le roi aura un véto suspensif de deux législatures, chaque législature ayant une durée de deux ans. Le roi peut ainsi bloquer pendant quatre ans tout projet législatif. Les députés favorables au véto se rangent à la droite du président de lʼAssemblée, cʼest le «côté droit», les députés hostiles au véto se rangent à gauche, cʼest le «côté gauche». Une distinction qui sera retenue.

L o r s q u e lʼAssemblée refuse de r e c o n n a î t r e l e catholicisme comme religion dʼEtat, des troubles opposent les c a t h o l i q u e s «monarchiens» aux protestants «patriotes» le 10 mai 1790 à Montauban et à Nîmes le 13 juin 1790. Cela p r é fi g u r e u n e d e s f o r m e s d u c o n fl i t religieux.

En juillet 1790, de vagues rumeurs sur lʼinvasion de troupes a u t r i c h i e n n e s d é c l e n c h e n t d e s «émotions populaires» e n T h i é r a c h e , e n C h a m p a g n e e t e n L o r r a i n e . U n e intervention que souhaite le comte dʼArtois, frère du roi émigré après le 14 juillet 1789.

Au sein de lʼarmée, où quelques nobles officiers ont commencé à émigrer, le clivage sʼaccentue. La solution dʼune armée nationale est rejetée par lʼAssemblée. Avec cette proposition du député Dubois-Crancé et lʼétablissement de la conscription, lʼarmée aurait échappé à lʼautorité du roi. Les mutineries se multiplient dans les villes da garnison et dans les ports. Or, des troubles majeurs éclatent à Nancy où le commandement entend, fait nouveau, contrôler la caisse régimentaire des soldats. Ils se révoltent, en particulier le régiment suisse de Châteauvieux, mais la répression, menée par le marquis de Bouillé qui commande à Metz, sʼabat durement sur eux : 33 soldats exécutés et 41 envoyés aux galères. La Fayette soutient Bouillé, son cousin, encourageant ainsi les «monarchiens», mais lʼimmense popularité dont il a joui après la fête de la Fédération est ruinée. 57 La répression de la mutinerie de Nancy déploie encore les supplices de lʼAncien régime.

-Lʼillusion de lʼunité

La Constitution de 1791

58

Bien quʼelle prévoit la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif (cf Montesquieu), la Constitution introduit un droit de véto qui permet au roi de bloquer pour une période de quatre ans un processus législatif qui lui déplaît. De ce point de vue, le législatif est soumis à lʼexécutif. Mais la Constituante prévoit aussi un système électoral qui écarte du droit de vote les couches populaires et les pauvres, les citoyens dits «passifs».

1-Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

3- Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

6-La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Ignorant ces principes, l’Assemblée qui exclut les citoyens dits «passifs» établit un suffrage qui s’exerce à deux degrés : dans les assemblées primaires avec les citoyens dits «actifs»; dans les assemblées formées des électeurs. Si le privilège de la naissance a été aboli, le nouveau critère est la fortune. Le droit de vote est réservé aux plus riches, c’est-à-dire 50 000 électeurs dans un pays qui compte une population d’environ 28 M. d’habitants. Le principe d’égalité est bafoué sous prétexte des distinctions sociales.

En réalité la Constitution de 1791 conserve au roi une possibilité de blocage mais consacre surtout le pouvoir de la bourgeoisie. Elle écarte les partisans de l’Ancien régime et les catégories populaires les plus pauvres.

N° 1- Citoyen actif : Ta noblesse est donc dans ton habit. N° 3- Vois-tu que je suis noble. N° 4- Je suis sous le rideau et je réponds de tout. N° 2- Citoyen passif. Prenez garde que ma patience ne m'échappe.

Estampe, non identifiée. Source : gallica, BNF.

59 Le libéralisme économique

La Déclaration du 26 août 1789 ne fait nulle allusion à lʼéconomie. Pour lʼAssemblée, la liberté économique va de soi. La bourgeoisie constituante issue essentiellement des rangs du tiers état se reconnaît dans la tentative réformatrice de Turgot qui abolit les corporations (on sait que son successeur les rétablit) et institua la libre circulation des grains. Ils sont favorables aux idées des physiocrates, résumées sommairement dans lʼadage : «Laisser faire, laisser passer». Les classes populaires sont quant à elles attachées au système ancien de réglementation qui leur garantit des conditions dʼexistence minimum. Ce libéralisme économique fondé sur la propriété, «droit inviolable et sacré», se heurte aussi aux droits collectifs traditionnels et aux pratiques communautaires.

La loi dʼAllarde, des 2 et 17 mars 1791, supprime les corporations, renouant avec la politique réformatrice de Turgot. Elle est complétée, le 14 juin 1791, par la loi Le Chapelier qui interdit toute association, tant des ouvriers que des maîtres ou des manufacturiers et des «industriels».

En interdisant aux ouvriers et maîtres dʼune même profession de nommer des présidents, secrétaires ou syndics, et de «prendre des arrêtés ou délibérations sur leurs prétendus intérêts communs», elle interdit coalition, grève, compagnonnages et et sociétés dʼentraide mutuelle. Toute action concertée sur les prix et les salaires est interdite. Cʼest le triomphe du libéralisme intégral qui estime que ouvriers, compagnons et maîtres sont des individus égaux sur le marché du travail. En fait, les premiers sont à la discrétion des maîtres avec cette mise en œuvre dʼu n individualisme social abstrait. Lʼon sait que la coalition et la grève ouvrière seront interdites jusquʼen 1864 et que les syndicats ne seront autorisés quʼen 1884.

60 2-Régénérer le pays-Les principes et leur application -Emancipation, fraternité, unité

«Honorer lʼindigent»

Malgré la peur traditionnelle, en particulier dans les campagnes, à lʼégard des vagabonds et des mendiants, la Constituante entend lʼappel de lʼabbé Grégoire - simple curé en réalité dʼEmberménil, en Lorraine. Le 22 octobre 1789, il invite lʼAssemblée à prendre en compte la détresse des indigents. Mais le devoir dʼassistance nʼémerge que le 21 janvier 1790 et débouche sur la création du Comité de mendicité présidé par le duc de La Rochefoucault-Liancourt, un aristocrate éclairé. Une vaste enquête conduite dans 50 départements recense deux millions de pauvres, soit près du double pour lʼensemble du royaume. Le Comité adopte une position sans ambiguïté : «le devoir de la société est de chercher à prévenir la misère, de la secourir, dʼoffrir du travail à ceux auxquels il est nécessaire pour vivre, de les y forcer sʼils refusent, enfin dʼassister les sans-travail, ceux à qui lʼâge et les infirmités ôtent tout moyen de sʼy livrer. Tel est le sens qui est donné à cet axiome incontestable que la mendicité nʼest un délit que pour celui qui la préfère au travail.» Les débats au sein de lʼAssemblée évoluent du droit à la subsistance au droit au travail et enfin à lʼobligation du travail, un travail qui, dans lʼesprit des constituants, est rendu possible pour tous les valides grâce à la loi dʼAllarde, le premier volet du libéralisme économique. Mais, dans cette première étape, la Révolution a dʼabord détruit les structures charitables, celles de lʼEglise et de ses hôpitaux financés souvent par des rentes de type féodal et donc supprimées. Et les nouveaux impôts ne sont pas encore en place. La Constituante doit ouvrir des chantiers publics et les communes prendre en compte ceux que «la misère force à être vagabond» et donc à mendier.

Ce sera loi du 19 mars 1793 qui instituera les secours publics, créant la première mouture de «lʼEtat-providence». 61

Lʼémancipation des protestants et des juifs

Lʼédit de tolérance sʼétait contenté dʼaccorder un état civil légal aux protestants qui demeuraient écartés des charges de lʼEtat. Cependant, le problème est résolu avec lʼarticle 10 de la Déclaration en dépit de lʼopposition dʼune partie du clergé dont le cahier de doléances avait réclamé lʼunité de croyance :

«Nul ne doit être inquiété Ce détail du Serment du Jeu de Paume de David, représente la pour ses opinions, même réconciliation de lʼabbé Grégoire religieuses, pourvu que avec dom Gerle, et le pasteur leur manifestation ne Jean-Paul Rabaut de Saint- trouble pas l'ordre public Étienne. établi par la Loi.»

Pour la première fois depuis 1562, un culte protestant est célébré à Paris le 22 mai 1791.

Lʼémancipation des juifs se fait en deux étapes. Celle des juifs portugais, espagnols et avignonais, bien intégrés dans la société, fut facilement acquise au sein de lʼAssemblée par lʼattribution des droits de citoyen. En revanche, les juifs de lʼEst, juifs dits «allemands», traditionalistes, se heurte à une hostilité de proximité.

Le 27 septembre 1791 cependant, quelques jours avant la dissolution de l'Assemblée nationale, Adrien Duport, membre du Club des Jacobins, monte de façon impromptue à la tribune et déclare : «Je crois que la liberté de culte ne permet aucune distinction dans les droits politiques des citoyens en raison de leur croyance. La question de l'existence politique [des Juifs] a été ajournée. Cependant, les Turcs, les musulmans, les hommes de toutes les sectes, sont admis à jouir en France des droits politiques. Je demande que lʼajournement soit révoqué et quʼen conséquence il soit décrété que les Juifs jouiront en France des droits de citoyen actif.» Cette proposition est acceptée. LʼAssemblée adopte la loi le lendemain et se sépare deux jours plus tard. Le 13 novembre, Louis XVI ratifie la loi déclarant les juifs citoyens français.

62 En Alsace, une forme de l’antisémitisme :

«Quittez un vil trafic, renoncez à l'usure, aux arts et aux métiers, joignez l'agriculture.»

Stellt Wucher und Betrug, und schnödess Scharchern ein, handwerch, Kunst Acherbau, mus ewer Nahrung sein.

Les projets «dʼéducation nationale» Dès janvier 1790, lʼAssemblée se lance dans une politique systématique de traduction des décrets et des lois en langues vernaculaires : breton, basque, alsacien, flamand, occitan mais aussi dialectes et patois. Les patriotes «bilingues», dont de nombreux curés, sont sollicités pour cette tâche. Il ne sʼagit alors nullement dʼimposer une langue française unique mais de faire lʼunion par les langues afin de remplacer ainsi lʼunité précédente qui était incarnée par le corps du roi. Les projets «dʼéducation nationale» se multiplient, dont ceux de Talleyrand, de Mirabeau ou de Condorcet, afin de développer lʼamour de la patrie. Des livrets éducatifs seraient destinés au peuple. Mais dans lʼimmédiat, ces projets demeurent63 liés à la bonne volonté des autorités locales. -Les grandes réformes administratives

La création des départements

Le 15 janvier 1790, l ' A s s e m b l é e constituante établit la carte des départements français et fixe leur nombre à 83. Cette nouvelle division du territoire organise une réelle décentralisation administrative. Les députés veulent mettre fi n à l a c o n f u s i o n administrative héritée d ' u n m i l l é n a i r e d'histoire.

Malgré les tentatives de réformes de la monarchie, les limites des pays dʼétats et des pays dʼélection, des généralités, des ressorts des parlements, des gouvernements miltaires et des dioèces se chevauchent sans aucune cohérence.

Les députés qui veulent mettre fin à cette confusion administrative héritée envisagent d'abord de créer des circonscriptions géométriques, à l'image des États nord-américains.

64 Le damier du projet Thouret

Mirabeau s'y oppose avec véhémence : «Je demande une division qui ne paraisse pas, en quelque sorte, une trop grande nouveauté; qui, si j'ose le dire, permette de composer avec les préjugés et même avec les erreurs, qui soit également désirée par toutes les provinces et fondée sur des rapports déjà connus.»

Les nouvelles divisions sont baptisées «départements», d'un vieux mot français qui appartient au vocabulaire administratif depuis le roi François 1er. Leurs limites respectent les anciennes provinces. C'est ainsi que la Bretagne et la Normandie sont divisées en cinq départements chacune. Leur taille est telle que chaque citoyen puisse accéder à son chef- lieu en une journée de cheval au maximum (cette image traduit le principe de proximité comme nous dirions aujourd'hui, à une époque où tout va plus vite).

65 Les 83 départements

Sans en avoir conscience, les députés recréent de la sorte les anciens pays... de la Gaule d'avant les Romains. De nombreux chefs-lieux rappellent en effet les tribus gauloises locales. Amiens évoque les Ambiens, Beauvais les Bellovaques, Cahors les Cadurques, Nantes les Namnètes, Paris les Parisii, Poitiers les Pictones, Reims les Rèmes, Soissons les Suessiones,Tarbes les Tarbelles, Vannes les Vénètes... Des pétitions, des délégations auprès de lʼAssemblée ont contribué à maintenir bien des limites naturelles et des solidarités économiques ou culturelles. La Bretagne, la Provence, le Dauphiné demeurent bien identifiables sur la carte malgré leur division en départements.

Chaque département est lui-même divisée en districts, cantons et communes, ces dernières sont les héritières des paroissses dʼAncien régime 66 Le cas des Hautes-Pyrénées

On constate que les Hautes-Pyrénées, un petit département, sont constituées par lʼadjonction à la Bigorre historique de «pays» voisins qui traduisent bien lʼembrouillamini administratif de lʼAncien régime. 67

Bertrand Barère, député du tiers état aux Etats généraux qui deviennent Assemblée nationale constituante, présente aux notables tarbais la carte du département des Hautes-Pyrénées. Cette scène est fictive. Elle constitue une des peinturales de la sale des fêtes de lʼHôtel de Ville de Tarbes.

68 La réforme de la justice

Cette réforme est effectuée dans le même esprit que la réforme administrative. Les innombrables juridictions spécialisées et relevant dʼentités diffrentes - roi, Eglise, seigneurs, villes - sont abolies et remplacées par une nouvelle hiérarchie de tribunaux, émanés de la souveraineté nationale et semblables pour tous.

Très durablement cependant avait prévalu lʼimage dʼune justice royale destinée à rassurer les bons sujets. La légende de cette gravure a été perdue, mais on reconnaît clairement les fourches patibulaires au centre de la composition, la foule des bons sujets se réjouissant du triomphe de la justice, et la figure menaçante de la « Mégère », lʼune des Erinyes de la mythologie grecque dont la fonction était de punir les coupables et de protéger lʼordre social. Allégorie du roi justicier, lʼestampe exprime lʼaction judiciaire du souverain par la répression à laquelle aucun criminel ne peut échapper. Nous sommes ici loin du prince juge recevant les plaideurs sous le chêne de Vincennes, que le XIXe siècle a imposé à lʼimaginaire du roi de justice.

La nouvelle organisation judiciaire tend à sauvegarder la liberté individuelle et offre donc des garanties au bénéfice de lʼaccusé. Il doit comparaître dans les 24 heures qui suivent son arrestation, il bénéficie de lʼassistance dʼun avocat et les jugements sont publics. Le principe de la souveraineté nationale entraîne lʼélection des juges parmi les gradués en droit et lʼinstitution dʼun jury. Et la vénalité disparaît. Les citoyens - le jury - sont appelés à trancher le point de fait et les juges se prononcent sur le point de droit.

Dans chaque canton, un juge de paix élu doit chercher une solution de conciliation entre les deux parties opposés.

Pour la justice criminelle, un tribunal criminel est créé dans chaque département. La procédure se fait en deux phases : lʼaccusé est dʼabord soumis à un jury dʼaccusation qui dit sʼil y a matière à poursuite. Dans lʼaffirmative, un autre jury, jury de jugement, tranche sur le point de fait avant que le juge (élu) ne se prononce sur le point de droit (la sentence). 69 Un tribunal de cassation est constitué au niveau national avec un haut juge élu dans chaque département. La réforme fiscale

Le rejet des impôts dʼAncien régime avait rassemblé le tiers état contre les ordres privilégés.

L a C o n s t i t u a n t e applique le principe dʼégalité devant lʼimpôt devenu contribution. Elle est rationalisée a v e c r é p a r t i t i o n identique dans tout le p a y s , e l l e e s t proportionnelle aux ressources, personnelle et annuelle.

Le nouveau système comprend trois grands impôts directs : -la contribution foncière est fonction du revenu de la terre -la contribution mobilière porte sur le revenu qui découle du loyer ou la valeur locative -la patente est payée en fontion des revenus du commerce et de lʼindustrie. Ces contributions sont adoptées en 1790 et 1791 mais en lʼabsence dʼun cadastre et dʼune administration fiscale centrale, la répartition des diverses contributions est laissée aux communes, vite dépassées par lʼampleur de ce travail. Dʼautant quʼen lʼabsence de cadastre, elles sont contraintes de se référer aux recensements et impôts dʼAncien régime, socialement injustes. De plus, en attendant que le nouveau système puisse être appliqué, les anciens impôts appelés à disparaître ne rentrent plus au moment ou les charges de lʼEtat sont particulièrement lourdes : remboursement des charges vénales supprimées, remboursement des emprunts du clergé dont les biens sont devenus nationaux, pensions des ecclésiastiques et entretien du culte. LʼEtat vit au jour le jour. La contribution patriotique du quart du revenu établie le 6 octobre 1789 est insuffisante et les emprunts lancés par Necker ont échoué. Les caisses sont vides et cela impose à lʼAssemblée deux mesures aux conséquences immenses : -la vente des biens du clergé 70 -la création dʼun papier-monnaie : les assignats. La question religieuse

Cʼest la question financière, lʼEtat étant incapable de faire face aux dépenses qui lui incombent, qui entraîne la question religieuse. Le 10 octobre 1789, Talleyrand, évêque dʼAutun, élu député du clergé aux Etats généraux, propose de «mettre les biens du clergé à la disposition de la nation». La proposition est acceptée car les biens du clergé ne sont justifiés que par ses missions sociales : la charité, lʼenseignement et la tenue des registres paroissiaux. De plus, selon les canons théologiques, ces biens ne lui appartiennent pas en propre mais lui ont été légués par Dieu en gérance pour sʼacquitter de ces missions. Or, ces missions, bien que certaines lois soient encore en chantier, incombent, ou doivent incomber à lʼEtat.

Les ordres monastiques, cʼest-à-dire le clergé régulier, sont supprimés le 13 février 1790 sans quʼils trouvent de réels défenseurs car ils étaient tombés dans une profonde décadence. 71

Le clergé séculier, cʼest-à-dire le clergé paroissial, curés et vicaires, doit être pris en charge par lʼEtat puisque le clergé ne dispose plus de ses richesses anciennes et que la dîme est supprimée. Les prêtres deviennent donc des salariés de lʼEtat. Le clergé est alors réorganisé dans le nouveau cadre départemental avec la création dʼun évéché par département. Curés et évêques sont élus comme les autres fonctionnaires : les évêques par lʼassemblée électorale du département; les curés par celle du district. Les nouveaux élus seront institués par leurs supérieurs ecclésiastiques, les évêques par le métropolitain et non par le pape. Avec cette réforme qui sʼappuie sur un gallicanisme traditionnel, lʼEglise de France devient une Eglise nationale. Dans cette logique, déjà appliquée sous lʼAncien régime, les curés lisent au prône et commentent les décrets de lʼAssemblée. Lʼensemble de cette réforme est structurée par la Constitution civile du clergé adoptée le 12 juillet 1790, deux jours avant la Fête de la Fédération. En novembre 1790, un serment dʼadhésion à cette Constitution civile du clergé est demandé aux prêtres dans la logique des multiples serments prêtés depuis le printemps 1790. Mais le pape, Pie VI, garde la primauté sur lʼEglise de France et la Constituante lui abandonne le droit «de baptiser la Constitution civile». Erreur dʼun point de vue politique car le pape a déjà condamné, pour impie, la Déclaration des Droits de lʼHomme et du Citoyen. Or, malgré des négociations engagées par la Constituante, Pie VI se tait et son silence entraîne la division du clergé dont les membres se déterminent individuellement.

A lʼexception de sept dʼentre eux, les évêques refusent le serment alors le clergé paroissial le prête à une légère majorité, mais avec de très forte disparité régionales.

72 Le cas des Hautes-Pyrénées

Nombre et taux de prêtres assermentés

Le rôle des Doctrinaires

José Cubero, La Révolution en Bigorre, Privat, 1989, p.53.

Le collège des Doctrinaires est aujourdʼhui le lycée Théophile-Gautier. Dans la bibliothèque se trouvaient des ouvrages de Voltaire, Rousseau, Montesquieu, imprimés hors du royaume et introduits clandestinement. Ils incitaient lʼindividu à se déterminer en conscience alors que leurs concurrents, les Jésuites, ultramontains, avaient insisté sur lʼautorité du pape, chef de lʼEglise universelle. En France et dans dʼautres pays catholiques (Espagne, Portugal), les Jésuites furent expulsés (en 1764 en France) à la suite de la suppression de lʼordre en 1763 par le pape Clément XIV pour des raisons politiques. La formation reçue est donc un élément qui explique chez les prêtres formés dans des optiques differentes les fortes distorsions lors du serment.

73 Les conséquences du serment

«Comment faire prêter le serment cosntitutionnels au clergé réfractaire», gouache, BNF.

La division du clergé et des fidèles Si lʼincredulité, le déisme, lʼagnoticisme, voire lʼathéisme étaient professés par les élites sociales, parfois même par des membres du clergé - Talleyrand, évêque dʼAutun, le cardinal de Bernis... -, les masses populaires restaient attachées au catholicisme. Elles vont dès lors se diviser et suivre soit le clergé jureur, soit le clergé réfractaire qui refuse le serment.

Ces oppositions se manifestent à travers une vieille tradition celle des caricatures. Plus accessibles que les libelles ou les pamphlets écrits, elles font surgir (ou ressurgir) une forme dʼanti cléricalisme.

La nationalisation des biens du clergé suscite aussi de nombreuses réactions ironiques, voire acerbes. La 74 caricature joue avec lʼimage des gros et des maigres. La mise en place dʼun clergé constitutionnel

Le serment dʼun prêtre.

Lʼabbé Grégoire, élu évêque constitutionnel de Bois en 1791.

75 Biens de lʼEglise, biens nationaux et question financière

Si lʼEtat dispose à présent des biens de lʼEglise devenus nationaux, sa richesse nʼest que potentielle. Le 19 décembre 1789, lʼAssemblée décide de mettre en vente pour 400 M. de biens nationaux représentés par une somme équivalente dʼassignats. Lʼassignat est à ce moment un bon portant un intérêt de 5%, remboursable en biens nationaux. Il nʼexiste alors que de grosses coupures de 1000 livres. A mesure de leur rentrée à la suite de ventes de biens nationaux (les assignats détenus par les particuliers devaient servir de moyens de p a i e m e n t ) , l e s assignats devaient être détruits. Mais ils sont l o n g s à p l a c e r , aggravant le déficit de lʼEtat.

LʼAssemblée est ainsi amenée à émettre de nouvelles coupures, dʼune valeur inférieure, transformant lʼassignat bon du trésor en assignat-papier monnaie. Il devient un billet de banque et permet une émission de 1200 M., garantie sur la valeur des biens nationaux mis en vente. Mais avec les émissions successives, la dépréciation est rapide : en mai 1791, une billet de 100 livres nʼen valait plus que 73 sur le marché de Londres.

Un faux assignat.

76

LʼEtat commence donc à vendre les terres de lʼEglise par blocs, aux enchères et au chef- lieu de district. Un moyen rapide et donc favorable aux recettes fiscales mais un moyen favorable aux achats des bourgeois qui agrandissent leurs propriétés. Les paysans, sauf lorsquʼils savent se regrouper, sont écartés de ces enchères. Dans le Nord, ils découragent les enchérisseurs par des pressions diverses.

77 Lʼœuvre de la Constituante et donc immense, elle concerne tous les domaines : politique, administratif, religieux, économique. La France est «régénérée» et les fondements dʼune société nouvelle sont posés. Fils de lʼEncyclopédie et de la raison, les constituants ont édifié une construction logique, claire, uniforme, mettant en avant le prinicipe de la liberté, au détriment cependant de lʼégalité, écartant les citoyens dits «passifs» des droits de citoyens au profit de 50 000 électeurs.

Ils instituent la liberté économique - le libéralisme économique - mais heurtent aussi bien la masse du petit peuple urbain, la paysannerie et les maîtres des anciennes corporations. Tous ceux-ci sont favorables au contrôle de lʼéconomie qui garantit des conditions dʼexistence minimum, aux contraintes communautaires paysannes et à la réglementation de la concurrence.

Ajoutons à cela que la question religieuse est également grosse de clivages, divisant le clergé entre jureurs et réfractaires.

Mais pour lʼheure, la formule «La Nation, le Roi, la Loi» semble balayer toutes les inquiétudes possibles. Lʼidée de nation, telle quʼelle est vécue, perçue, commence son évolution. La France est toujours un ensemble de «nations» et de «peuples» - les pluriels supposant ici une vision étroite - au sens traditionnel, lâchement reliés les uns aux autres, dans la diversité des langues, des usages et des cultures. Mais la nation - notons avec force le singulier - devient un corps symbolique, légitimée par les serments et incarnée par les représentants de tous ordres élus dans les assemblées et dans le pays : députés de lʼAssemblée nationale, des assemblées départementales, de districts, des assemblées primaires, des assemblées dʼélecteurs, des gardes nationales et de la multitude de clubs qui se sont constitués en un tissu serré.

78 DEUXIEME PARTIE La Révolution et lʼEurope

Malgré lʼaspiration à lʼunité et lʼespoir dʼune régénération du royaume porté par les fédérations et, en particulier, par la fête du 14 juillet 1790, Louis XVI pratique le double jeu. Dès le 7 octobre 1789, il fait savoir au roi dʼEspagne Charles IV, et par son intermédiaire à tous les souverains dʼEurope, que «tous les actes contraires à lʼautorité royale (...) lui ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet» précédent. Pour lʼinstant impuissant, il va sʼaboucher avec Mirabeau qui agit ainsi tant par conviction politique que par intérêt, payé sur la cassette royale en échange dʼavis politiques. Quant à lʼAssemblée, profondément divisée, avec une tendance aristocratique hostile à toute concession qui amoindrirait le pouvoir du roi, elle tente de reconstituer une unité qui, malgré lʼenthousiasme populaire, nʼest que de façade comme lʼattitude désinvolte de Talleyrand et de La Fayette le révèle aux observateurs attentifs.

Si la tentative de fuite du roi et de sa famille en juin 1791 révèle le fossé qui sʼest alors creusé entre Louis XVI et le peuple, le compromis politique semble encore possible grâce à la Constitution de 1791 qui établit une monarchie constitutionnelle. En Europe, la force dʼexpansion des principes de 1789 menace le pouvoir absolu des monarques. Les étrangers, «pélerins de la liberté», affluent à Paris, se mêlent aux clubs, participent aux débats et répandent les Lumières, en particulier en Angleterre et en Allemagne. Dans le Palatinat, les paysans refusent de payer les taxes seigneuriales, ils se soulèvent en Saxe et la bourgeoisie de Hambourg fête le 14 juillet 1790, arborant des rubans tricolores.

Le poète Klopstock donne lecture de son ode, Eux et pas nous : «Aurais-je mille voix, ô Liberté des Gaules Je ne pourrais point te chanter Mes accents resteraient trop faibles, ô Divine!»

La montée des tensions entre une Europe monarchique et souvent absolutiste et la France débouche au printemps 1792 sur une guerre aux facettes multiples. Chaque camp, poussé par des intérêts occultés la souhaite à lʼexception dʼune infime minorité dont Robespierre, alors peu connu, traduit la position. Et cʼest la guerre, voulue donc aussi par Louis XVI qui provoquera la chute de la monarchie et la proclamation de la République.

79 «Vive le roi, vive la nation», gravure hollandaise coloriée. Anonyme. 80 I-Louis XVI, la Constituante et lʼEurope 1-La naissance dʼun nouveau droit international -La déclaration de paix au monde

Article premier. — Le droit de la paix et de la guerre appartient à la nation. — La guerre ne pourra être décidée que par un décret du Corps législatif, qui sera rendu sur la proposition formelle et nécessaire du Roi, et ensuite La déclaration de paix sanctionné par Sa Majesté. au monde est le résultat Art. 2. — Le soin de veiller à la sûreté extérieure du royaume, de maintenir ses droits et ses possessions, est délégué au Roi par la Constitution de inattendu dʼun compromis qui a l'État ; ainsi, lui seul peut entretenir des relations politiques au dehors, opposé les partisans dʼun pouvoir conduire les négociations, en choisir les agents, faire les préparatifs de royal renforcé et les guerre proportionnés à ceux des États voisins, distribuer les forces de constitutionnels. terre et de mer, ainsi qu'il le jugera convenable, et en régler la direction en Le texte adopté par cas de guerre. lʼAssemblée constituante laisse le Art. 3. — Dans le cas d'hostilités imminentes ou commencées, d'un allié à soutenir, d'un droit à conserver par la force des armes, le pouvoir exécutif soin au roi de déclarer sera tenu d'en donner, sans aucun délai, la notification au Corps législatif, éventuellement la guerre mais d'en faire connaître les causes et les motifs ; et si le Corps législatif est en attribue la décision effective à la vacance, il se rassemblera sur-le-champ. nation à travers ses Art. 4. — Sur cette notification, si le Corps législatif juge que les hostilités représentants. Le roi garde commencées sont une agression coupable de la part des ministres ou de cependant de larges pouvoirs quelque autre agent du pouvoir exécutif, l'auteur de cette agression sera poursuivi comme criminel de lèse-nation ; l'Assemblée nationale puisquʼil reçoit, par délégation, déclarant à cet effet que la nation française renonce à entreprendre «le soin de veiller à la sûreté aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et qu'elle extérieure du royaume». n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. Art. 5. — Sur la même notification, si le Corps législatif décide que la guerre ne doit pas être faite, le pouvoir exécutif sera tenu de prendre sur-le-champ des mesures pour faire cesser ou prévenir toutes hostilités, les ministres demeurant responsables des délais. Art. 6. — Toute déclaration de guerre sera faite en ces termes : De la part du Roi des Français, au nom de la nation. Art. 7. — Pendant tout le cours de la guerre, le Corps législatif pourra requérir le pouvoir exécutif de négocier la paix, et le pouvoir exécutif sera tenu de déférer à cette réquisition. Art. 8. — À l'instant où la guerre cessera, le Corps législatif fixera le délai dans lequel les troupes levées au-dessus du pied de paix seront congédiées, et l'armée réduite à son état permanent. La solde desdites troupes ne sera continuée que jusqu'à la même époque, après laquelle, si les troupes excédant le pied de paix restaient rassemblées, le ministre sera responsable et poursuivi comme criminel de lèse- nation. Art. 9. — Il appartient au Roi d'arrêter et signer avec les puissances étrangères tous les traités de paix, d'alliance et de commerce, et autres conventions qu'il jugera nécessaires au bien de l'État ; mais lesdits traités et conventions n'auront d'effet Cependant, cʼest la qu'autant qu'ils auront été ratifiés par le Corps législatif. déclaration solennelle de nʼentreprendre aucune guerre de Décret du 22 mai 1790, concernant le droit de faire la paix et la conquête qui crée un véritable guerre. choc culturel et enthousiasme les élites éclairées dʼEurope. 81 -Les aspirations des peuples et la politique extérieure

Lʼaffaire des princes possessionnés dʼAlsace

Des princes allemands avaient conservé des fiefs enclavés dans le royaume de France, notamment après les annexions de l'Alsace (traités de Westphalie de 1648 et de 1679) et de la Lorraine (1766). Les traités stipulaient que ces possessions ne dépendaient pas du droit français mais de celui du Saint-Empire romain germanique. Lors de lʼabolition des droits seigneuriaux, les princes sʼestiment lésés dans leurs droits et protestent auprès de la Diète germanique. Dès lors, deux principes dʼopposent : dʼune part les principes du droit privé allemand qui reconnaît les propriétés des princes; dʼautre part la volonté dʼappartenance à la nation qui, dès lors, accorde à tous les mêmes droits. En novembre 1790, lʼAssemblée déclare, dans la logique de paix au monde, que les Alsaciens sont Français non par droit de conquête, mais par leur propre volonté comme ils lʼont exprimé par leur participation à la Fédération du 14 juillet 1790.

Il nʼy a entre vous et vos frères dʼAlsace dʼautre titre légitime dʼunion que le pacte social formé lʼannée dernière entre tous les Français anciens et modernes dans cette Assemblée même. (...) La seule question est de savoir «si cʼest à des parchemins diplomatiques que le peuple alsacien doit lʼavantage dʼêtre français... Quʼimportent au peuple dʼAlsace, quʼimportent au peuple français les conventions qui, dans les temps du despotisme, ont eu pour objet dʼunir le premier au second? Le peuple alsacien sʼest uni au peuple français, parce quʼil lʼa voulu; cʼest donc sa volonté seule et non pas le traité de Munster qui a légitimé lʼunion.»

Merlin de Douai

LʼAssemblée applique les principes de 1789 à tous les territoires qui se trouvent dans le royaume tout en offrant une indemnité aux princes allemands. Mais ceux- ci refusent, poussés secrètement par Louis XVI. Cette affaire devient donc un sujet de tensions entre la France et lʼEmpire. 82 Avignon et le Comtat Venaissin

Lʼaffaire dʼAvignon contribue à dresser le pape contre la France. Avignon et le Comtat Venaissin, possession de lʼEglise, administrés par un légat, se soulèvent contre lʼautorité papale et rejettent lʼAncien régime. Puis, malgré de très fortes tensions entre «papistes» et «patriotes» favorisées par la circulation de rumeurs, la population dʼAvignon demande le rattachement à la France sous forme de pétition.

La Constituante se saisit de lʼaffaire le 24 août mais, prudente, elle la laisse traîner car elle veut éviter une rupture avec le pape. Mais lorsque Pie VI condamne la Constitution civile du clergé, la Constituante décide dʼoccuper Avignon et le Comtat Venaissin et de consulter la population. A une forte majorité, celle-ci se prononce pour le rattachement le 14 septembre 1791.

Electeurs : 152 919 Pour la réunion : 101 046 Pour le pape : 30 667 Sʼétaient prononcés antérieurement pour le rattachement : 15 000.

Cʼest donc la naissance dʼun nouveau droit international fondé sur le droit des peuples à disposer dʼeux mêmes. Il bouleverse les pratiques de lʼAncien régime qui reposent sur lʼutilsation de la force, essentiellement la guerre. Les monarques vainqueurs annexaient les territoires sans se soucier des vœux des populations.

Monument à Avignon commémorant le centenaire du rattachement. 1891. 83 -LʼAssemblée veut éviter un conlit avec lʼEurope

Les hésitations de la contre-révolution

LʼAssemblée sʼest donc efforcée dʼéviter des conflits avec les puissances européennes car, estime-t-elle, elle ferait le jeu de la Cour en renforçant les pouvoirs du roi. Elle propose des indemnités aux princes allemands et ménage dʼabord le pouvoir du pape. Pourtant, si la rupture nʼest pas de son fait, elle doit bien respecter les principes quʼelle a elle-même établis : principe de lʼégalité en droit des habitants du royaume régénéré et droit des peuples à disposer dʼeux-mêmes qui rejette toute conquête. Cette politique de paix est favorisée en fait par les grandes puissances monarchiques , accaparées alors par la perspective du partage de la Pologne. Lʼempereur dʼAutriche Léopold comprend que la Prusse de Frédéric-Guillaume et la Russie de Catherine traiteraient le partage à leur profit en le détournant vers la France. Il préfère alors sʼabstenir. En fait, ce sont dʼabord les émigrés, opposants précoces à la Révolution, qui jouent le rôle de boutefeux et qui se préparent ouvertement à la guerre. Autour du comte dʼArtois et du prince de Condé, émigrés dès le 14 juillet 1789, ils forment des armées aux frontières, en particulier à Coblence autour des comtes dʼArtois et de Provence. Troupe disparate et réduite commandée par Condé, les hommes qui la constituent rêvent de partir en croisade contre les aristocrates qui ont «trahi» et contre les «patriotes». Ils sont toujours empreints dʼune mentalité médiévale et animés par la morgue sociale. Les journaux royalistes ne cachent pas quʼils visent au rétablissement de la monarchie dʼavant 1789. Simples trublions, ils sont impuissants sans lʼaide des puissances monarchiques qui, pour lʼheure, ne songent pas à sʼengager dans un conflit.

C a r i c a t u r e qui dénonce lʼarmée des p r i n c e s à Coblence.

Bien que le danger soit peu menaçant, le phénomène de lʼémigration, les arrières pensées de la Cour, les discussions entre puissances monarchistes entretiennent lʼidée dʼun complot autrichien puisque Léopold est le frère de Marie-Antoinette. 84 2-La fuite du roi -Varennes

Le récit dʼun historien

85 Le maître de poste, Jean-Baptiste Drouet reconnaît sans doute Louis XVI grâce à son profil devenu familier tant par la monnaie frappée que par les assignats. Mais les pièces, valeur déjà refuge par rapport aux assignats, nʼétaient guère échangées mais plutôt thésaurisées.

86 Jean-Clément Martin, Nouvelle histoire de la Révolution française, 87 ancien directeur de lʼInstitut dʼhistoire de la Révolution française. 88 -Des conséquences immenses sur le cours de la Révolution

Lʼenlèvement du roi : une fiction

La famille des Cochons ramenée dans l’étable.

Cette caricature qui représente le retour de la famille royale à Paris montre le mépris dans lequel est tombé le roi pourtant si respecté à peine un an avant.

Dans sa «déclaration à tous les Français» écrite lors de sa fuite, Louis XVI nʼa laissé aucun doute sur ses intentions : il entend rejoindre lʼarmée de Bouillé à Nancy, puis, de là, lʼarmée autrichienne des Pays-Bas pour ensuite revenir à Paris, chasser lʼAssemblée et les clubs et rétablir son pouvoir absolu. LʼAssemblée suspend le roi et le droit de véto mais elle entend conserver la Constitution, et donc la monarchie constitutionnelle. «La Constitution, voilà notre guide; lʼAssemblée nationale, voilà notre point de ralliement», estime Barnave. LʼAssemblée invente alors la fiction, à laquelle personne ne croit à Paris, selon laquelle le roi aurait été enlevé! Et Barnave de conclure : «Allons nous terminer la Révolution, allons-nous la recommencer?... Un pas de plus serait un acte funeste et coupable, un pas de plus dans la ligne de la liberté serait la destruction de la royauté, dans la ligne de lʼégalité la destruction de la propriété.» Donc le roi doit avoir été enlevé. Puisquʼil est La duplicité de Louis XVI, Janus moderne. ainsi une victime, il peut reprendre sa fonction constitutionnelle et son droit de véto. Mais si le roi sʼest enfui, il est coupable dʼavoir trahi la nation, il ne peut guère assumer sa fonction de roi constitutionnel. Dès lors, la Révolution continue. Lorsque la Constituante se sépare en septembre 1791, le roi a été rétabli dans toutes ses prérogatives. 89 La fusillade du Champ de Mars

Contrairement aux craintes de l’Assemblée constituante, la fuite du roi ne provoque pas un chaos. Les administrations et les pouvoirs locaux fonctionnent sans le roi, comme si les Français pouvaient vivre sans la monarchie. Or, dès que la fuite du roi est connue, le club des Cordeliers demande aux députés de proclamer la déchéance du monarque et l'avènement de la République. Mais les députés s'y refusent et le lendemain, le roi ayant été arrêté et ramené à Paris, ils inventent la fiction de son enlèvement. C'est contre son gré qu'il se serait enfui et sa déchéance n'aurait donc pas lieu d'être...

Le club des Cordeliers refuse un tel arrangement et rédige une deuxième pétition en faveur de la République. Le texte est mis au point par Brissot et soutenu par Danton et Marat. Les pétitionnaires réclament «un nouveau pouvoir constituant» pour «procéder d'une manière vraiment nationale au jugement du coupable et surtout au remplacement et à l'organisation d'un nouveau pouvoir exécutif».

Une délégation dépose le texte le 17 juillet 1791 sur l'autel de la patrie du Champ-de- Mars, à l'endroit où eut lieu la Fête de la Fédération, afin de le faire signer par les Parisiens. Les députés de l'Assemblée craignent que la Révolution ne sombre dans l'anarchie et que la déchéance de Louis XVI n'entraîne la France dans une guerre contre les autres monarchies européennes.

Prétextant du désordre, ils o r d o n n e n t a u maire de Paris, l'astronome Bailly, de proclamer la loi martiale. Le maire, r é v o l u t i o n n a i r e m o d é r é e t populaire, élu à la m a i r i e l e surlendemain de l a p r i s e d e l a Bastille fait alors appel à la garde nationale et lui o r d o n n e d e

disperser la foule du Champ-de- Mars. Commandée par La Fayette en personne, elle pénètre sur le Champ-de-Mars où elle est accueillie à coup de pierres. Elle fait feu sans sommation sur les pétitionnaires. On compte plusieurs dizaines de morts. De nombreuses arrestations viennent compléter la répression. Le club des Cordeliers est fermé. Danton et Marat se réfugient quelque temps en Angleterre. 90 La fracture au sein du parti patriote

Les salves de la garde nationale provoquent une scission au sein du parti patriote avec deux groupes opposés. Le clivage passe en fait au sein du club des Jacobins où de nombreux militants, y compris Robespierre, jugent inopportun ou prématuré d'abolir la monarchie. Le groupe des Constitutionnels qui approuve la répression avec La Fayette, Barnave, Lameth et Barère, décide de quitter le club et d’en fonder un autre au couvent des Feuillants

Un cocher feuillant tente dʼempêcher la voiture sortie du Manège constitutionnel dʼaller se précipiter vers lʼâbime. La Constitution est représentée par cette jeune fille que son père nourrit de purée dʼassignats. Mais les valets des Jacobins fouettent les chevaux pour leur faire prendre le mors aux dents.

Le roi rétabli dans ses fonctions, les Constitutionnels qui craignent l’émergence politique des catégories populaires renforcent l’aspect censitaire de la Constitution, exigeant des électeurs qu’ils soient propriétaires ou locataires d’un bien d’une valeur égale, selon les cas, à 150, 200 ou 400 journées de travail. Quant à la garde nationale réorganisée, elle n’est accessible qu’aux citoyens actifs : elle devient, pendant la plus grande partie du XIXe siècle, la bourgeoisie en armes. Un homme comme Barère, député en vue des Hautes-Pyrénées, favorable à la représentation nationale, c’est-à-dire à la volonté nationale telle que l’exprime l’Assemblée, hostile à un renforcement de l’aspect censitaire de la Constitution, finit par l’accepter mais revient au club des Jacobins car il estime aussi que la rupture avec le peuple de Paris est une impossibilité politique.

91 -La conscience du danger extérieur

La déclaration de Pillnitz : 27 août 1791

Observateurs narquois et secrètement ravis des embarras de Louis XVI, l'empereur Léopold II et le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II, finissent par s'inquiéter de l'«anarchie» qui règne en France et menace, par la contagion de l'exemple, de s'étendre à toute l'Europe. Contre une Assemblée qui prétend exercer partout des droits, ils veulent rappeler les leurs, défendre ceux des princes possessionnés d'Alsace et inciter tous les gouvernements «à faire cause commune afin de préserver la paix publique, la tranquillité des États, l'inviolabilité des possessions et la foi des traités». De plus, les émigrés français, furieux de lʼéchec de Varennes, multiplient leurs interventions. Le général Bouillé qui devait protéger la famille royale propose un plan dʼinvasion de la France. Le comte dʼArtois se démène avec le soutien de lʼex-ministre Calonne et dʼautres personnalités dʼAncien régime. Lorsque Frédéric-Guillaume et Léopold se rencontrent en Saxe, à Pillnitz du 24 au 27 août, ils entendent adopter une position, la plus dure possible contre la révolution, mais qui ne les engage pas réellement. Léopold II, malgré sa répugnance personnelle, esquisse donc un rapprochement avec la Prusse mais les autres gouvernements sollicités déclinent cet honneur : plus désireuse d'encourager les désordres de France dont elle espère tirer parti plutôt que de les réprimer, l'Angleterre demeure dans l'expectative ; l'Espagne, en proie à de perpétuelles difficultés financières n'a pas les moyens de sa politique ; la Russie, mal persuadée d'un danger qui couve à mille lieues de Pétersbourg, se contente de promesses vagues. Alors l'empereur et le roi décident d'agir seuls. Un esprit de croisade agite Frédéric-Guillaume II ; plus sceptique, Léopold II préférerait laisser le temps faire son œuvre. Lorsqu'une lettre de sa sœur Marie-Antoinette lui apprend que Louis XVI accepte finalement la Constitution, il saisit ce prétexte pour renoncer à toute intervention armée dans les affaires françaises. Le 27 août 1791, avec le roi de Prusse, il nʼen signe pas moins la déclaration de Pillnitz qui menace la France.

La déclaration Les deux souverains à Pillnitz en compagnie «Sa Majesté l'empereur et Sa Majesté le roi de du chancelier autrichien. Prusse, ayant entendu les désirs et les représentations de Monsieur le comte d', déclarent conjointement qu'elles regardent la situation où se trouve actuellement Sa Majesté le roi de France comme un objet d'un intérêt commun à tous les souverains de l'Europe. Elles espèrent que cet intérêt ne peut manquer d'être reconnu par les puissances dont le secours est réclamé, et qu'en conséquence elles ne refuseront pas, conjointement avec leurs dites Majestés, les moyens les plus efficaces relativement à leurs forces, pour mettre le roi de France en état d'affermir, dans la plus parfaite liberté, les bases d'un gouvernement monarchique également convenable aux droits des souverains et au bien-être des Français. Alors, et dans ce cas, leurs dites Majestés sont décidées à agir promptement et d'un commun accord, avec les forces nécessaires pour obtenir le but proposé et commun.

Une ingérence qui apparaît comme insupportable et surexite le sentiment national français.

92

Le 30 septembre, lʼAssemblée constituante se sépare aux cris de «Vive le roi! Vive la nation». Du 29 août au 5 septembre, dans lʼémotion suscitée par la déclaration de Pillnitz, les électeurs ont désigné les 745 députés qui vont former lʼAssemblée législative. Tous des hommes nouveaux et inconnus car les constituants, à la demande de Robespierre, se sont eux-mêmes déclarés inéligibles.

Mais, en lʼespace de quelques mois, depuis juin 1791, les mentalités, les comportements ont changé. Avant de restituer au roi toutes ses fonctions au nom de la Constitution, lʼAssemblée a assuré une sorte dʼinterrègne, cumulant pouvoirs législatif et exécutif, envoyant des commissaires dans tout le royaume. Mais en même temps, la crainte et la peur des puissances étrangères prêtes à mener la guerre ont renforcé le contrôle aux frontières, favorisé la levée de milices et la surveillance des contre-révolutionnaires connus. Correspondance, lettres et pétitions circulent entre les clubs et sont envoyées à lʼAssemblée.

Lʼidée républicaine elle-même est mieux acceptée : les Jacobins, imprégnés des idées de Rousseau pensaient quʼelle ne pouvait pas convenir aux grands Etats, incapables dʼêtre gouvernés par une démocratie directe. Or, sous lʼinfluence de la République américaine, république devient synonyme dʼun régime de citoyens vertueux, éduqués et solidaires. Lʼidée de république est identifiée à la défense de la nation (menacée par les cours étrangères) par des citoyens égaux quel que soit leur statut. Dans cet environnement familier constitué par leur cadre de vie et les relations de proximité, ils pratiquent une sorte de démocratie directe avec le sentiment de représenter le «souverain». Des hommes aussi divers que Marat ou Condorcet recherchent une démocratie aussi directe que possible. Ils ne se retrouvent pas dans la démarche des Jacobins appuyés sur leur réseau de clubs.

Au cours du mois de juillet 1791, avec une liberté de la presse la plus large quʼil soit - la presse contre-révolutionnaire est particulièrement active et populaire -, toutes les positions, toutes les sensibilités se cristallisent.

93 II-La marche à la guerre 1-Les premiers pas de la Législative -Lʼéventail des sensibilités politiques

Les premiers aspects de la vie politique Lors de la discussion sur le droit de véto, les constituants sʼétaient rangés de part et dʼautre du président de lʼAssemblée, sur le côté gauche ou sur le côté droit. A la Législative ce clivage subsiste et se complexifie dans un rapport de forces mouvant. Les Feuillants, avec 264 députés forment le côté droit. Adversaires de lʼAncien régime, ils sont partisans dʼune monarchie limitée avec un pouvoir exécutif, celui du roi, capable de contenir le peuple. Ils prennent leur inspiration auprès dʼun triumvirat qui ne siège pas - Barnave, Du Port et Lameth - mais qui a lʼoreille de la Cour ou de La Fayette, froissé dʼêtre ainsi supplanté. Le côté gauche comprend 136 députés. Il est guidé par deux députés de Paris, le journaliste Brissot et le philosophe Condorcet, éditeur des œuvres de Voltaire. Il possède de brillants orateurs : Vergniaud, Gensonné, Guadet... Qualifié de brissotin, ce groupe devient celui des sous la plume de Lamartine. Membres de la petite bourgeoisie, ils sont en relation avec la bourgeoisie dʼaffaires des ports tels que Bordeaux, Nantes et Marseille. Ils sont favorables à une démocratie politique plus marquée. Dans ce que lʼon pourrait qualifier improprement dʼextrême-gauche, quelques députés sont favorables au La salle du Manège où siège lʼAssemblée législative au suffrage universel comme Lindet, palais des Tuileries. Couthon et Carnot. Enfin le centre, 345 députés, est formé dʼ «indépendants» ou «constitutionnels», attachés sincèrement à la Révolution, mais sans idées et sans personnalités marquantes. Mais la vie politique se fait aussi dans les salons et les clubs. Le salon de Mme de Staël, le fille de Necker, devient le foyer des fayettiste et celui de Mme Roland, celui des Girondins. Les clubs, avec un recrutement où sʼaffirment des dominantes sociales, groupent les partisans (les militants) de chaque tendance : bourgeoisie modérée aux Feuillants; petite bourgeoisie artisanale et boutiquière des maîtres des anciennes corparations aux Jacobins où ils écoutent les discours souvent rivaux de Robespierre et de Vergniaud; éléments plus populaires aux Cordeliers où Danton est leur orateur préféré. Les 48 sections de sans-culottes à peine formées permettent aux citoyens «actifs», puis aussi aux citoyens «passifs» qui y entrent en masse à partir de juillet 1792, 94 de suivre la vie politique. Portraits : notices établies par Jacques Godechot

95 -La montée des conflits

Les enjeux sous-jacents

Au cours de lʼhiver 1791-1792 et du printemps suivant les difficultés léguées par la Constituante sʼaggravent. Les classes populaires, confrontées à la dévaluation de lʼassignat et à la hausse des prix supportent de plus en plus m a l l e l i b é r a l i s m e économique. En janvier 1792, la foule contraint les épiciers à baisser leurs prix. A E t a m p e s , l e m a i r e Simoneau, un riche tanneur, refuse la taxation : il est massacré le 3 mars 1792. Dans les campagnes des émeutes se produisent contre le rachat des droits Cérémonie seigneuriaux, supprimés à Etampes mais ... payables jusquʼà leur à la rachat! mémoire Le clergé réfractaire et de les fidèles qui leur sont Simoneau, acquis basculent dans la le 3 juin contre-révolution, soutenus 1792. par le roi. Des troubles ont lieu en Vendée, en Lozère, à Avignon.

Le roi fait échouer la candidature de La Fayette à la mairie de Paris (Bailly a démissionné) au bénéfice du Pétion. Louis XVI mène la politique dite «du pire». Les brissotins (girondins) font voter des décrets contre les prêtres réfractaires et les émigrés. Mais le roi y oppose son véto.

Le but de Louis XVI : par la politique du pire provoquer une intervention des monarchies étangères. «Dans lʼexcès du mal, nous pourons tirer parti plus tôt quʼon ne pense de tout ceci» Marie-Antoinette, 25 novembre 1791

Lʼenjeu pour les brissotins : prévenir toute scisssion entre la bourgeoisie révolutionnaire et les classes populaires. «La bourgeoisie et le peuple réunis ont fait la Révolution; leur réunion seule peut la conserver» Buzot, 6 février 1792 Mais comment sceller cette alliance? La Législative, hétière de la Constituante, peut-elle accepter la taxation contraire à lʼesprit du libéralisme économique. Cʼest la première revendication des plus démunis au nom dʼun droit à lʼexistence. 96 2-Le débat sur la guerre -La guerre ou la paix

Les partisans de la guerre sont majoritaires

Les brissotins et la Cour, pour des raisons opposées, sont favorables à la guerre. Une faible minorité, qui sʼexprime aux Jacobins par lʼintermédiaire de Robespierre, est favorable à la paix.

La Cour veut la guerre car elle espère une «Au lieu dʼune guerre civile, ce sera une guerre défaite qui permettra au roi de reprendre son politique, et les choses en seront bien meilleures; pouvoir. Louis XVI envoie un ultimatum à lʼélecteur lʼétat physique et moral de la France fait quʼil lui de Trèves afin quʼil disperse les rassemblements est impossible de soutenir une demi-campagne» dʼémigrés sur ses terres. Sinon, il le considèrera Louis XVI à son agent le baron de Breteuil comme un ennemi de la France. Il espère ainsi provoquer un incident dʼoù surgira le conflit. «Les imbéciles! Ils ne voient pas que cʼest nous servir!» Marie-Antoinette, le 14 décembre 1791

Les girondins et La Fayette veulent la guerre. Les girondins veulent ainsi, en entraînant le peuple, consolider la Révolution. Ils veulent aussi lʼexporter : «Guerre aux châteaux, paix aux chaumières».

«Un peuple qui a conquis sa liberté après 10 siècles dʼesclavage a besoin de la guerre : il faut la guerre pour la consolider (la liberté)» Brissot aux Jacobins, 16 décembre 1791

«Il est donc enfin arrivé le moment ou la France doit déployer aux yeux de lʼEurope le caractère dʼune nation libre et maintenir sa liberté (...) La guerre est actuellement un bienfait national : et la seule calamité quʼil y ait à redouter, cʼest de nʼavoir pas la guerre... Cʼest lʼintérêt de la nation qui conseille la guerre.» Brissot, 29 décembre 1791

«Le temps est venu dʼune nouvelle croisade, cʼest une croisade de la liberté universelle.» Brissot, 31 décembre 1791

«Il va sʼagir dʼune lutte entre le patriciat et lʼégalité, dʼengager les peuples contre les rois.» Isnard

97 La Fayette veut la guerre par ambition personnelle, afin dʼy jouer un rôle majeur Lʼisolement des partisans de la paix

Robespierre, favorable à la paix, est de plus en plus isolé aux Jacobins. Il soupçonne la Cour de duplicité et constate que les émigrés et La Fayette sont favorables à la guerre. Au début, il est soutenu par Danton mais le courant favorable à la guerre emporte tout.

Dicours aux Jacobins, 18 décembre 1791

«La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête dʼun politique est de croire quʼil suffise à un peuple dʼentrer à main armée chez un peuple étranger pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne nʼaime les missionnaires armés; et le premier conseil que donne et la nature et la prudence, cʼest de les repousser comme des ennemis. Avant que les effets de notre Révolution se fassent sentir chez les nations étrangères, il faut que quʼelle soit consolidée. Discours aux Jacobins, 2 janvier 1792.

Maximilien de Robespierre est l'aîné d'une fratrie de cinq enfants. Il perd sa mère à l'âge de six ans. Son père abandonne le foyer et dès lors, Maximilien est pris en charge par son grand-père maternel. Après d'excellentes études au collège d' puis au collège Louis-le- Grand de Paris, licencié en droit, il devient avocat et s'inscrit en 1781 au Conseil provincial d'Artois, occupant même un temps la charge de juge au tribunal épiscopal. Élu député du tiers état aux États généraux de 1789, il devient bientôt l'une des principales figures des «démocrates» à l'Assemblée constituante, rejetant la peine de mort, défendant l'abolition de l'esclavage. Il réclame le droit de vote des gens de couleur, des juifs ou des comédiens, ainsi que le suffrage universel, l'égalité des droits et sʼoppose au marc d'argent. Il se prononce pour une réglementation sévère de la Bourse. Son intransigeance lui vaut bientôt d'être surnommé « l'Incorruptible ». Membre du club des Jacobins dès sa création, il en est le plus illustre membre et l'une des figures de proue. Après la scission des Feuillants, il contribue à la réorganisation des Jacobins et leur permet grandement de conserver le soutien de la plupart des sociétés affiliées de province. Adversaire de la guerre, il s'oppose à La Fayette.

98 -La déclaration de guerre : 20 avril 1792

La guerre au roi de Bohême et de Hongrie

Lʼélecteur de Trèves effrayé par lʼultimatum français disperse les rassemblements dʼémigrés et supprime ainsi le prétexte possible dʼune guerre. LʼAssemblée invite alors le roi à demander à lʼempereur, son beau-frère, «sʼil renonçait à tout traité, toute convention dirigés contre la souverainété, lʼindépendance et la sûreté de la nation». Cʼétait exiger un désaveu formel de Pillnitz. De plus, Léopold II meurt brutalement le 1er mars 1792 alors que son sucesseur est prêt à lʼaffrontement au moment ou les intrigues de Dumouriez permettent aux girondins accéder au ministère. En réalité, Dumouriez qui a adhéré à la Révolution, suit le même objectif que La Fayette, aussi ambitieux que lui : en concurrence, tous deux veulent une guerre courte afin de ramener lʼarmée victorieuse à Paris et restaurer le pouvoir monarchique. François II qui a succédé à Léopold ne répond pas à lʼultimatum. Le 20 avril, Louis XVI se Louis XVI à lʼAssemblée, dans la salle du rend à lʼAssemblée et propose de déclarer la Manège, propose la déclaration de guerre le guerre au «roi de Bohême et de Hongrie», cʼest-à- 20 avril 1792. dire à lʼAutriche seule et non à lʼEmpire. Seuls 10 députés votent contre. Mais la guerre ne se déroule pas comme les uns et les autres lʼont prévue.

LʼEurope en 1790. La Pologne subira deux partages. En 1793 au profit de la Prusse et de la Russie, 99 puis en 1795 au profit de ces deux monarchies et de lʼAutriche. La cristallisation de la radicalité

le 3 juin 1792 est un moment symbolique. Les sans-culottes oraganisent une grande fête pour accueillir les soldats suisses du régiment de Châteauvieux qui, réhabilités, sortent du bagne, coiffés du bonnet phrygien de plus en plus à la mode dans les milieux populaires. En même temps, lʼAssemblée organise une grande cérémonie qui se veut la «fête de la loi». Lʼécharpe du maire dʼEtampes, Simoneau, e s t a c c r o c h é e a u Panthéon. Deux façons de se situer par rapport à la loi. Plus largement, cʼest lʼopposition entre ceux qui veulent le respect de la libre circulation des g r a i n s e t c e u x q u i veulent la taxation.

Sur le même r e g i s t r e , a p r è s lʼa s s a s s i n a t ( l e massacre) du général Dillon par ses soldats, C a r n o t , m a l g r é lʼindiscutable impéritie du général veut le respect d e l a c h a î n e d e commandement pendant que Robestierre absout les meurtriers.

Or, lʼintervention des sans-culottes, des membres des clubs, des sociétés fraternelles, des districts est de plus en plus forte par lʼintermédiaire des pétitions que lʼon va déposer en masse et armés devant lʼAssemblée. Pour faire pièce, lʼAssemblée décide de convoquer des hommes détachés des gardes nationales des départements, sorte de protection contre les débordements populaires parisiens. La Cour, mais aussi La Fayette et les Feuillants sont hostiles à la venue de ces fédérés qui affaiblissent leur position alors que les Jacobins redoutent leur utilisation comme une sorte de Garde prétorienne de lʼAssemblée. Parmi ces fédérés, les Bretons sont restés célèbres. Ils sont respectueux de lʼAssemblée et de la Constitution et émus de la situation de la France aux frontières. Ils partent malgré les réticences des administrateurs du département. A Paris, ils sont choqués par la duplicité du roi et lʼhostilité marquée des royalistes qui mènent contre eux des campagnes de presse. Les sans- culottes sont les seuls à les accueillir fraternellement.

Or, le 19 juin, le bataillon de la section de Saint-André-des-Arts plante un arbre de la Liberté devant lʼAssemblée au son du tambour : menace ou approbation. Le 20, une manifestation avec hommes, femmes et enfants du faubourg Saint-Antoine, sous la conduite du brasseur Santerre, défile, arborant armes et drapeaux. Les autorités, dont Pétion le maire de Paris, laissent faire sauf à apparaître comme partisans de Lafayette ou du roi. Puis, à partir du Manège, ce sont les Tuileries qui sont envahies. 100

Les manifestants veulent obtenir le retrait du véto exercé par le roi contre plusieurs décrets de lʼAssemblée : elle a décrété la création dʼun camp de 20 000 fédérés à Paris; elle a décidé lʼarrestation ou la déportation des prêtres réfractaires si 20 citoyens actifs en font la demande; elle a enjoint aux émigrés de revenir en France. Le roi est entouré, la reine conspuée. Le roi accepte de se couvrir du bonnet phrygien et de boire à la santé du peuple, mais il maintient son véto.

Malgré la constance du roi, le «peuple souverain» a montré sa puissance. Dans le fil des événements, il ne

sʼagit donc pas de chercher une mécanique ou une fatalité implacable qui mènerait inéluctablement à une fin déjà prévue. En fait, une série de causes ont joué et les

élites sont apparues incapables de faire face aux revendications et aux contestations nées au fil des événements. Elles se bornent à subir ou à suivre. Le mouvement est tellement profond que, indépendamment de la question des subsistances, les femmes participent à ces manifestations et que les citoyens «passifs», malgré La Fayette, entrent dans les gardes nationales. Barnave se retire alors de la vie politique.

101

3-Guerre et guerre civile -La patrie en danger

La guerre sur tous les fronts

Lʼarmée française, héritage de lʼAncien régime, est mal commandée: le maréchal de Rochambeau est vieilli et nʼa pas confiance en ses troupes; le maréchal Luckner, un Allemand au service de la France, est incapable; le général La Fayette est un politicien ambitieux. Les premières offensives vers les Pays-Bas autrichiens sont un désastre et la Fayette est prêt à marcher sur Paris pour disperser les Jacobins. Début juillet, les Prussiens commandés par Brunswicck entrent en ligne, suivis par les émigrés commandés par Condé.

Le 11 juillet 1792, sur proposition de Brissot, la Législative proclame la patrie en danger : «Des troupes nombreuses sʼavancent vers nos frontières; tous ceux qui ont horreur de la liberté sʼarment contre notre Constitution! Citoyens! La Patrie est en danger.» Les journaux royalistes, ouvertement contre- révolutionnaires se déchaînent, en particulier contre les «invêtus salariés», «vile race» incapables dʼopinions politiques. Le Midi sʼembrase, les contre-révolutionnaires préparent une action combinée avec les princes et les Anglais. Mais, nettement plus nombreux, les patriotes accourent.

Le roi qui a refusé la création dʼun camp de fédérés à Compiègne sanctionne la déclaration de la patrie en danger. Malgré lʼinterdiction royale, les fédérés affluent vers Paris : parmi eux, les Bretons, les Marseillais...

La chasse aux contre-révolutionnaires symbolisés par les «aristos» et les réfractaires.

Le 26 avril, Rouget de Lisle, un officier du génie, chante pour la première fois Le chant de guerre de lʼArmée du Rhin devant le mairie de Strasbourg Dietrich. Ce chant va immédiatement se répandre et les fédérés marseillais arriverons à Paris en le chantant. 102 Gravure de la musique et des paroles de , par William Holland, à Londres, I0 novembre 1792. On note l'allure "Ancien régime" et britannique de ces militaires, bien peu conformes à l'image qu'on se fait des premiers fédérés à avoir chanté La Marseillaise. Bien entendu le graveur103 anglais a donné à ses personnages l'allure des militaires qu'il connaissait, avec néanmoins un uniforme bleu à la française, qui semble bien coquet. Le choc du manisfeste de Brunswick

Le 3 août, les Français prennent connaissance dʼune déclaration signée le 25 juillet par le duc de Brunswick et reçue par le roi le 28. Louis XVI avait souhaité que les souverains «parlent fortement». Cette déclaration, rédigée par un émigré se distingue par sa violence et sa maladresse, par son incompréhension de la situation politique. Le but du manifeste est de provoquer une peur panique qui anihilerait tout esprit de révolte ou de résistance chez les Parisiens. Or, lʼeffet est tout à fait inverse! Le manifeste est la preuve de la duplicité du roi, voire de sa trahison. Dès le 9 août, trente sections de sans-culottes sur 48 forment une Commune insurrectionnelle dotée des pleins pouvoirs au nom du «salut public».

Extraits du manifeste «Sa Majesté lʼEmpereur et Sa Majesté le roi de Prusse appellent et invitent à retourner sans délai aux voies de la raison et de la justice, de lʼordre et de la paix. Cʼest dans ces vues que moi, soussigné général commandant en chef des deux armées déclare : Que les généraux, officiers, bas-officiers et soldats des troupes de la ligne française sont tous sommés de revenir à leur ancienne fidélité et de se soumettre sur le champ au roi leur légitime souverain. Que la ville de Paris et tous ses habitants sans distinction seront tenus de se soumettre sur le champ et sans délai au roi, de mettre ce prince en pleine et entière liberté et de lui assurer, ainsi quʼà toutes les personne royales, lʼinviolabilité et le respect auxquels le droit de la nature et des gens obligent les sujets envers les souverains ; leurs Majestés impériale et royale rendant personnellement responsables de tous les évènements, sur leur tête, pour être jugés militairement sans espoir de pardon, tous les membres de lʼAssemblée Nationale, du département, du district, de la municipalité et de la garde nationale de Paris, les juges de paix et tous autres quʼil appartiendra, sur leur foi et parole dʼempereur et de roi. Que si le château des Tuileries est forcé ou insulté, que sʼil est fait la moindre violence, le moindre outrage à Leurs Majestés, le roi, la reine et la famille royale, sʼil nʼest pas pourvu immédiatement à leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, elles (lʼempereur et le roi de Prusse) en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale, et les révoltés coupables dʼattentats aux supplices quʼils auront mérités. »

Franc-maçon, aristocrate prussien et éclairé malgré les ardeurs combattantes du roi de Prusse, Brunswick aurait probablement usé de plus de finesse dans la rédaction de «son» manifeste. 104 -Le 10 août

Lʼinsurrection populaire abat la monarchie

Le mouvement populaire, 47 sections de sans culottes sur 48, demande la déchéance du roi pour le 9 août, dernier délai. Lʼidée de la déchéance a considérablement progressé depuis la fuite du roi. Lʼhistorien Albert Soboul estime que le mouvement fut dirigé par Robespierre mais les «élites», voire les Jacobins, sont de plus en plus dépassés par son impétuosité et son autonomie de plus en plus marquée.

Comme le 9 août au soir lʼAssemblée nʼa rien décidé, les faubourgs se soulèvent le 10.

Les forces en présence : Le roi : 4000 hommes dans les Tuileries (soldats suisses, gardes nationales plus ou moins sûres, nobles contre- révolutionnaires; des renforts dans plusieurs points de Paris (sans doute 4000 hommes)

La Commune insurrectionnelle : fédérés, gardes nationaux et volontaires, soit environ 20 000 hommes au plus fort de la bataille mais mal armés. Mais une partie des gardes nationales dans les Tuileries fait défection. Lʼassaut mené par les sans-culottes armés par le pillage des armureries est stoppé par les Suisses. Les fédérés interviennent alors, mettant en œuvre lʼartillerie. Louis XVI qui sʼest réfugié auprès de lʼAssembéle signe un billet ordonnant à ses partisans de cesser le combat.

105 Prise du palais des Tuileries Jean Duplessis-Bertaux (1747-1819) Château de Versailles, 1793

La Prise des Tuileries Henri-Paul Motte, Bibliothèque nationale de France.

106 La confusion dʼun pouvoir tricéphale

L'Assemblée législative, enhardie par le succès de l'insurrection, prononce la «suspension» du roi. Elle convoque par ailleurs une Convention nationale en vue de prendre toutes mesures «pour assurer la souveraineté du peuple et le règne de la liberté et de l'égalité». En vue des élections des députés à la Convention, elle abolit les distinctions entre citoyens actifs et citoyens passifs et instaure pour la première fois le suffrage universel (masculin). Mais en attendant lʼélection de la Convention, trois pouvoirs se carambolent. LʼAssemblée, élue selon les principes qui ont triomphé en 1791, détentrice de la souverainété nationale; la Commune insurrectionnelle, issue du mouvemnt sans-culotte et soutenue par les Jacobins, favorable à la démocratie directe; le Conseil exécutif, dirigé par Danton qui apparaît comme le grand homme du moment, sorte de garantie aussi bien pour lʼAssemblée que pour la Commune.

Ce turbulent Champenois, fils d'un procureur au bailliage d'Arcis-sur-Aube (mort dès 1762), fait de bonnes études à Troyes, chez les Oratoriens, puis à Paris, et obtient son diplôme de droit à Reims. En 1785, il s'installe à Paris, avec l'intention de devenir avocat ; engagé chez un procureur, il peut, grâce à la dot de sa femme, Gabrielle Charpentier, acheter une charge d'avocat au Conseil du roi (1787). Il établit son cabinet rue des Cordeliers. Sa réputation ne tarde pas à s'affirmer, mais il est surtout intéressé par la politique : il sent venir la Révolution. Paris ayant été divisé en soixante districts, Danton, électeur primaire pour les États généraux, reçoit la présidence du district de l'église des Cordeliers (1789), où il fréquente Camille Desmoulins et Marat. Il ne semble pas payer de sa personne lors de la prise de la Bastille, mais peu à peu son influence grandit. Danton est le principal fondateur, en avril 1790, de la Société des amis des Droits de l'Homme et du Citoyen qui, par la suite, poussa sans cesse aux mesures extrêmes. Il mène campagne contre La Fayette et Bailly et déploie une grande activité, plaidant pour la liberté de la presse, pour la liberté d'association, s'occupant des problèmes de la subsistance de la capitale. Membre de la Commune (janvier 1790), puis membre du directoire du département de Paris (janvier 1791), il est, à cette époque, encore royaliste. Peut-être travaille-t-il pour le duc d'Orléans. On racontera d'autre part que la Cour, espérant provoquer des dissensions parmi ses adversaires, le paie. Lors de la fuite du roi à Varennes (20 juin), ses opinions politiques se précisent : il demande la déchéance du roi et la proclamation de la république. Mais la famille royale ayant été ramenée à Paris, la Constituante invente la fiction de l'enlèvement du souverain : un groupe de républicains, venus surtout du club des Cordeliers (fondé l'année précédente par Danton) va porter au Champ-de-Mars une pétition réclamant l'organisation d'un nouveau pouvoir exécutif. Un incident provoque alors la fusillade du Champ-de-Mars (17 juillet) ; plusieurs manifestants sont abattus. Les responsables, comme Danton et Marat, doivent se cacher. Après un séjour en Angleterre, Danton regagne Paris, où il est amnistié en septembre et élu, avec l'aide de la Cour, qui pratique alors la politique du pire, substitut du procureur de la Commune (8 décembre). Il fréquente le club des Jacobins. S'il ne participe pas à la journée du 20 juin 1792, il travaille, la veille du 10 août, à la préparation de l'assaut contre les Tuileries. Sur ce point précis de la chute de la monarchie, l'importance de son rôle a été beaucoup discuté. On sait cependant qu'il trinque avec les Marseillais et les pousse à l'action. Dans la nuit, il est appelé à l'Hôtel de Ville et y donne ses directives. Il se vantera plus tard, devant le Tribunal révolutionnaire, d'avoir fait arrêter Mandat, le commandant de la garde nationale chargé de la défense des Tuileries. Jusqu'au soir, il demeure à son poste. Il y apprend la chute des Tuileries et les décrets de l'Assemblée : suspension du souverain, arrestation de la famille royale, convocation d'une Convention nationale. Il est nommé ministre de la Justice dans le Conseil exécutif provisoire, lequel constitue alors le véritable gouvernement de la France. 107 Dʼaprès lʼEncyclopédie Larousse -Les massacres de Septembre

Le déroulement des massacres

Le 2 septembre au matin, la nouvelle arrive à Paris que Verdun, la dernière forteresse avant la capitale est tombée. Le commandant Beaurepaire qui la commandait est mort : suicide, trahison...? Aussitôt on tire le canon dʼalarme, le tocsin sonne, on bat la générale, on ferme les barrières, on convoque tous les hommes au Champ de Mars. Au Conseil exécutif, Danton, lʼhomme fort du moment, prône «de lʼaudace, toujours de lʼaudace et la patrie est sauvée».

Dans lʼaprès-midi, des prêtres réfractaires que lʼon conduit à la prison de lʼAbbaye sont mis à mort par leurs gardiens. Les massacres commencent, ils vont durer 4 jours. 108 Pendant 4 jours, les massacreurs, 200 personnes environ, sous la conduite de lʼhuissier Maillard, vont mettre à mort, parfois après un simulacre de jugement, dans des conditions souvent atroces, avec mutilations et exhibition des cadavres, autour de 1300 personnes à Paris et 150 dans le reste de la France : des prêtres réfractaires, des royalistes mais aussi des droits communs. Parmi les victimes, la plus connue est la princesse de Lamballe, amie de la reine. Pendant ces 4 jours, toutes les tentatives de membres de lʼAssemblée afin dʼy mettre fin échouent. Mais le 7 septembre, le spectacle des charrettes transportant les cadavres, la vue des corps dénudés et mutilés provoquent une réaction de rejet. Les massacres cessent. Les Girondins, avec Brissot et Condorcet sont particulièrement critiques alors que Robespierre les justifie : «Vous vouliez la révolution sans la révolution».

109 Les massacres de Septembre posent clairement le problème, plus que de la violence, celui des tueries collectives. La violence, sous des formes diverses, a constamment acompagné lʼhistoire des sociétés avec les guerres, les émeutes, les massacres perpétrés par des révoltés ou au nom de lʼautorité... Lors de la prise des Tuileries le 10 août, les assaillants, dans la furreur des combats qui venaient à peine de cesser par le billet du roi massacrent de nombreux soldats suisses et des nobles qui se sont mis au service du roi. En Septembre, les rumeurs, les bruits les plus invérifiables, parfois fabriqués de façon intéressée, joue un rôle certain. La lettre de Couthon, favorable à Robespierre, fait allusion à une conspiration des prisons totalement fantasmée. Si les prisonniers sont favorables au roi, ils sont dans lʼincapacité de se livrer à cette «Saint- Barthélémy de patriotes». Robespierre lui-même profite de cette situation pour accuser la Gironde de soutenir Brunswick en lui proposant le trône!!!!! Ces tueries collectives peuvent être relevées dans lʼhistoire comme précisément la Saint-Barthélemy, ou en Espagne celles qui interviennent en 1808-1809 à la suite de lʼintervention française. Parfois souhaitées par les autorités comme la Saint-Barthélémy, ou plus récemment celle des Arméniens en Turquie ou celle des Tutsies au Rwanda, elles peuvent aussi échapper à tout contrôle, la foule sʼinstituant non justicière, mais assassine. En Septembre, les autorités se révèlent impuissantes mais les massacreurs se donnent lʼillusion, par un simulacre de justice, dʼexercer une pseudo justice populaire.

⬅Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution 110 française, Editions sociales, T. 3, 1970. -Valmy : 20 septembre 1792

Valmy : «de ce jour, de ce lieu...»

Lors de la déclaration de guerre le 20 avril 1792, l’armée française compte 133 000 hommes, artilleurs non compris. En son sein coexistent l’ancienne armée royale – les « culs blancs » – et la garde nationale renforcée par l’arrivée de sans-culottes volontaires – les « bluets » –, qui ne sont pas amalgamés à l’armée régulière. Le commandement est désorganisé par l’émigration de nombreux cadres issus de la noblesse : 3 864 officiers n’ont pas pu être remplacés. Le 18 août 1792, une armée de 150 000 Prussiens et Autrichiens placés sous le commandement du duc de Brunswick entre en France, et le début des opérations militaires se révèle rapidement catastrophique : l’ennemi prend Longwy le 20 août, Verdun le 29, et s’ouvre ainsi la route de Paris. Les troupes de Dumouriez, accourues de Sedan, et celles de Kellermann, venues de Metz, opèrent leur jonction à Sainte-Menehould, en Champagne, le 19 septembre 1792. Les Français ont alors la supérioriré numérique : 50 000 hommes contre 34 000 lorsque la bataille s’engage le 20 à fronts renversés. Moins une bataille qu’une simple cannonade à laquelle les troupes françaises résistent. Kellerman, brandissant son chapeau au bout d’une épée crie «Vive la nation». Les troupes, de bataillon en bataillon, reprennent le mot d’ordre de la Révolution. Brunswick n’ose pas donner l’assaut et le lendemain, après des tractations avec Dumouriez, il se replie. Connivence entre les deux hommes, deux franc-maçons? Epuisement des Prussiens frappés par la dysenterie? Cette victoire sauve la Révolution.

Avant que ne se construise le roman national, avec en particulier une peinture de guerre qui réponde aux canons classiques, de nombreuses caricatures utilisent lʼironie de type scatologique. On voit ici les Prussiens, frapper par la dysenterie, ou la peur, quitter le champ de bataille. 111 La bataille de Valmy, Horace Vernet, National Galery, Londres, 1826. 175 sur 287 cm.

Le Duc de Chartres à Valmy, 1792, Éloi Firmin Féron, 1848, Ministère de la Défense (France). Un tableau statique qui nʼ a pas la qualité de celui dʼHorace Vernet

Le duc de Chartres (futur roi Louis- Philippe Ier) et son frère, le duc de Montpensier, rendent compte de la bataille de Valmy au maréchal de Rochambeau, prés du moulin de Saint- Sauve (20 septembre 1792).

«De ce lieu et de ce jour, date une nouvelle époque de lʼhistoire du monde, et vous pourrez dire: Jʼy étais.» Goëthe, présent à Valmy. 112

Avec la guerre et la menace étrangère, le cours de la Révolution sʼest accéléré. La mobilisation pour repousser lʼinvasion a plusieurs conséquences majeures : -Les citoyens passifs deviennent des acteurs politiques. Ils adhèrent aux gardes nationales et en transforment la nature. -Les paysans ne paieront ni ne rachèteront les droits seigneuriaux et les biens nationaux sont vendus en petites parcelles. La paysannerie devient ainsi largement propriétaire. -Le mouvement sans-culotte conquiert une autonomie par rapport à lʼAssemblée et aux élites. Il diverge avec elles sur plusieurs points : il réclame la taxation contre la libre circulation des grains il aspire à la démocratie directe bien quʼune partie du peuple ne puisse se réclamer du peuple tout entier il impose à lʼAssemblée la suspension du roi contre lequel il sʼest insurgé le 10 août. -Les autorités constituées, lʼAssemblée, la Commune insurrectionnelle et le Conseil exécutif, se sont révélés incapables de juguler les massacres de Septembre. Des révolutionnaires souhaitent que des hommes dʼordre exercent le pouvoir. -Ces événements font surgir une contre-révolution constituée et formée des prêtres réfractaires et des nobles demeurés royalistes.

Mais jusquʼà Valmy, la France demeure sous la menace de lʼinvasion qui, en étant victorieuse, peut rétablir le roi dans tous ses pouvoirs. La victoire de Valmy sauve la Révolution le jour même ou la Législative cède la place à une Convention.

La tentative de monarchie constitutionnelle, que le roi nʼa jamais acceptée, a échoué dans un enchaînement imprévisible des faits.

Contrairement à lʼaffirmation de Clémenceau formulee en 1891 dans un contexte particulier, la Révolution nʼest pas un bloc.

113 114 TROISIEME PARTIE

La seconde Révolution

115 I-Le pouvoir et le contrôle de lʼEtat 1-Les premiers actes de la Convention -Lʼélection des Conventionnels

Un contexte mouvant et angoissant

Dès les 11 et 12 août 1792, la Législative a convoqué les assemblées primaires afin de procéder à lʼélection dʼune nouvelle assemblée.

Art. 1 - Les assemblées primaires nommeront le même nombre d'électeurs qu'elles ont nommé dans les dernières élections. Art. 2 - La distinction des Français entre citoyens actifs et non actifs sera supprimée, et, pour y être admis, il suffira d'être Français, âgé de vingt et ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu et du produit de son travail, et n'étant pas en état de domesticité. Quant à ceux qui, réunissant les conditions d'activité, étaient appelés par la loi à prêter le serment civique, ils devront, pour être admis, justifier de la prestation de ce serment. Art. 3 - Les conditions d'éligibilité exigées pour les électeurs ou les représentants n'étant point applicables à une convention nationale, il suffira, pour être éligible comme député ou comme électeur, d'être âgé de vingt-cinq ans, et de réunir les conditions exigées par l'article précédent. Art. 4 - Chaque département nommera le nombre de députés et de suppléants qu'il a nommé pour la législature actuelle. Art. 5 - Les élections se feront suivant le même mode que pour les assemblées législatives. Art. 6 - Les assemblées primaires sont invitées à revêtir leurs représentants d'une confiance illimitée. (...)

La distinction entre citoyens actifs et passifs disparaît. Il sʼagit de la première forme de suffrage universel masculin. La nouvelle assemblée, une Convention selon le vocabulaire utilisé par les Insurgents, est une constituante. Elle représente le peuple souverain débarassé de cet autre souverain quʼétait le roi. Mais le contexte de septembre est angoissant. Aprés les massacres et avec la menace dʼinvasion étrangère, de nombreuses autorités locales prennent des mesures de sûreté. Les ennemis de lʼintérieur, demeurés favorables à la monarchie sont particulièrement visés : les émigrés et les prêtres réfractaires. Aussi, la participation électorale est-elle faible. Selon Roger Dupuy, elle passe de 10,2 % à 11,9 % pour un nombre de citoyens concernés qui a doublé. Même si l'impact du passage au suffrage universel masculin est très réduit, l'accroissement, note-t-il, est particulièrement sensible en milieu urbain, alors que, dans les zones rurales, l'abstention se maintient. Dans certains départements, le taux est plus élevé comme le Gard (22 %), le Loir-et-Cher (26 %) ou l'Yonne (25 %). Mais, de façon plus globale, Michel Vovelle constate une « chute continue et très sensible » de la participation dans les élections depuis 1789 «même si les scrutins locaux mobilisent plus». Ici aussi, les villes, en particulier les principales, résistent mieux face à la montée de l'abstention, tandis que le vote rural, supérieur au vote urbain en 1790 et 1791, s'affaisse.

Les Conventionnels élus ont été convoqués à Paris pour le 20 septembre. Ils sont tous issus de cette bourgeoisie éclairée, adepte des Lumières, qui a accepté la Révolution. Malgré lʼopposition traditionnelle entre Girondins et Montagnards arbitrée par la Plaine, les partis nʼont pas dʼexistence réelle et les majorités sont fluctuantes. Ni les uns, ni les autres ne veulent la dictature ou la démocratie directe. Leur opposition relève de la liaison entre lʼéconomique et le politique. Les Girondins, des libéraux, tiennent à lʼautonomie des deux domaines alors que les Montagnards exigent que le politique intervienne dans lʼéconomique. Les Girondins sont pour la liberté des grains et sʼopposent aux «taxateurs», les Montagnards veulent une réglementation de lʼéconomie. Paris a élu des députés montagnards dont Danton et Marat, les orateurs de la Gironde viennent des départements.

116 La proclamation de la République

Siégeant dès le 21 septembre, la Convention est unanime pour abolir la royauté et, le lendemain, décide de dater tous les actes publics de lʼan Ier de la République. Le 25, encore unanime et après un long débat, elle adopte la célèbre formule : «La République française est une et indivisible». Le 16 décembre, allant toujours dans cette voie, elle prévoit la peine de mort contre quiconque tenterait «de rompre lʼunité de la République française ou dʼen détacher des parties intégrantes pour les unir à un territoire étranger.»

Cette idée sous-jacente de nation organisée démocratiquement sur un vaste territoire va à lʼencontre des conceptions de Rousseau, citoyen genevois. Ce dernier ne conçoit la démocratie, démocratie directe, que sur un territoire réduit. Pourtant, Jean-Jacques plutôt que Voltaire est la référence habituelle des Conventionnels. Son portrait est ici entouré des symboles de la Révolution qui deviennent ceux de la République 117 -Les prémisses de la lutte entre Girondins et Montagnards

Les succès militaires renforcent les Girondins

Les Girondins, partisans de la guerre révolutionnaire, ont vu leur pouvoir apparemment consolidé après Valmy. Cependant, le 10 août 1792, les élections et la permanence de la menace ennemie ont favorisé les initiatives des autorités locales qui soutiennent lʼeffort militaire par lʼorganisation des réquisitions. Dumouriez, par la victoire de Jemmapes le 6 novembre 1792 entre en Belgique mais la guerre, de défensive, devient une guerre de conquête. Dans lʼenthousiasme, des jeunes gens sʼengagent en masse, privant fermes et ateliers de leurs bras. Des gardes nationales rejoignent la frontière.

Les valeurs de la République et la promesse de fraternité : la fraternité ou la mort.

La garde nationale part pour lʼarmée en septembre 1792, peinture de Léon Cogniet, 1836, Versailles, musée du château de Trianon.

Les troupes françaises sont accueilies triomphalement à Bruxelles et à Mons, elles occupent Mayence, la Savoie. Le 19 novembre 1792, la Convention déclare que «la France accorde fraternité et secours à tous les peuples» et, le 27 novembre, accepte la réunion à la France de tous ceux qui en exprimeront le désir. La Savoie devient le département du Mont- Blanc. 118 Entrée de lʼarmée française à Mons, peinture de Bellangé, musée de Versailles. Scène de fraternisation entre civils et soldats.

En Rhénanie, comme une riche iconographie en témoigne, les troupes françaises sont chaleureusement acceuillies par les sociétés de patriotes. Cette représentation, transmise à partir de lʼAlsace, est incluse dans le calendrier de Göttingen. Mais elle a parfois suscité le commentaire suivant : «un arbre sans racines, un bonnet sans tête.»

119 120 Les luttes internes affaiblissent les Girondins

Les Girondins tentent dʼaffaiblir les Montagnards en attaquant leurs leaders. Ils se font de Danton un ennemi redoutable en le contraignant, en tant que ministre de la Justice, à rendre des comptes et en le poursuivant pour des dépenses illégales et injustifiées. Ils le remplacent par le Girondin Garat. Puis ils accusent Marat, extrêmement populaire auprès des sans- culottes, et Robespierre, de vouloir établir une dictature.

Robespierre et son chien Brount avec Danton et Marat. Scène improbable représentée par Alfred Loudet en 1882.

Dans ces affrontements, Marat se présente comme un héros malheureux de la Révolution et Robespierre apparaît comme le leader de la Montagne, en défenseur du patriotisme et en justifiant les massacres de Septembre. Une alliance de fait se noue entre les Montagnards, la Commune de Paris et les sans-culottes dont la pression est de plus en plus forte sur la Convention. Mais pour lʼheure, la Plaine qui nʼa pas encore basculé dʼun côté ou de lʼautre permet aux Girondins de conserver la direction de lʼEtat malgré les initiatives nombreuses et contradictoires des diverses autorités, légales ou de fait. Dans ce contexte, la découverte de lʼarmoire de fer le 20 novembre 1792 dans un mur du château des Tuileries est un vrai tournant. Alors quʼune commission devaient assister à lʼouverture du placard secret du roi pour vérifier la teneur des accusations de trahison portée contre lui, Roland, le ministre de lʼIntérieur girondin, y procède seul. A-t-il, sans témoins, trié des dossiers ou détourné certaines pièces qui auraient porté préjudice à ses amis, voire à Danton? Lʼautorité des Girondins sʼérode au sein de la Convention.

121 -Le procès du roi

Le déroulement du procès

Lors de lʼouverture de lʼarmoire de fer, le cadavre de Mirabeau apparaît, tenant une bourse dans une main et la couronne dans lʼautre main. Après ces révélations, ses cendres sont rapidement enlevées du Panthéon.

Le 7 novembre 1792, le député de Toulouse, Mailhe, juriste et avocat, présente un rapport qui conclut que le roi peut être jugé par la Convention. Le débat sʼouvre sur ce rapport mais cʼest la découverte de lʼarmoire de fer qui rend le procès inévitable. Les preuves de la trahison de Louis XVI sont là. Le procès commence le 11 décembre devant la Convention instituée en tribunal. Le roi, en acceptant de comparaître, reconnaît ainsi la légitimité de ses juges. Au cours du débat qui a précédé, les positions des uns et des autres se sont clarifiées. Les Girondins veulent le respect des formes et la Convention accepte que le roi dispose dʼun avocat : en fait trois avocats, Malesherbes, Tronchet et de Sèze. Avec ses avocats, il plaide son inviolabilité juridique reconnue par la constitution de 1791 et donc son innocence. Mais la majorité des Conventionnels estiment quʼaprès le 10 août, la constitution de 1791 nʼa plus de base acceptable alors que Saint-Just, suivi par Robespierre, considèrent que le roi, par ses trahisons, sʼest mis «hors de la loi commune de lʼhumanité» et que sa mise à mort ne nécessite pas de procès.

La majorité suit les Girondins et se prononce pour un procès dans le respect des formes légales.

122 Louis XVI comparaît devant la Convention présidée par Barère. On notera la présence de spectateurs (membres des sections de sans-culottes dans les tribunes). Louis XVI lit ici un texte.

Le procès doit débuter le 11 décembre 1792 par la lecture de l'acte d'accusation rédigé par Lindet, une sorte d'historique qui insiste sur le refus de Louis XVI d'accepter la monarchie constitutionnelle et sur son espoir de reprendre son pouvoir à la faveur d'une défaite de la France. Ce jour-là, Barère préside la Convention - il s'agit de présidences tournantes de 15 jours - et Mailhe assure le secrétariat de séance. Or, dans l'exercice de sa fonction de président, Barère parvient à imposer à l'Assemblée l'attitude solennelle qui donne une certaine dignité à ce moment de tragédie dont les rôles sont déjà distribués. « Le président. - J'avertis l'assemblée que Louis est à la porte des Feuillants... Représentants, vous allez exercer le droit de justice nationale; vous répondrez à tous les citoyens de la République de la conduite ferme et sage que vous allez tenir dans cette occasion importante. L'Europe vous observe. L'histoire recueille vos pensées, vos actions. L'incorruptible postérité vous jugera avec une sévérité inflexible. Que votre attitude soit conforme aux nouvelles fonctions que vous allez remplir. L'impassibilité et le silence le plus profond conviennent à des juges. La dignité de votre séance doit répondre à la majesté du peuple français. Il va donner par votre organe une grande leçon aux rois, et un exemple utile à l'affranchissement des nations. Citoyens des tribunes, vous êtes associés à la gloire et à la liberté de la nation dont vous faites partie. Vous savez que la justice ne préside qu'aux délibérations tranquilles. La Convention nationale se repose sur votre entier dévouement à la patrie, et sur votre respect pour la représentation du peuple. Les citoyens de Paris ne laisseront pas échapper cette nouvelle occasion de montrer le patriotisme et l'esprit public dont ils sont animés. Ils n'ont qu'à se souvenir du silence terrible qui accompagna Louis ramené de Varennes, silence précurseur du jugement des rois par les nations. Le commandant-général.- J'ai l'honneur de vous prévenir que j'ai mis à exécution votre décret. Louis Capet attend vos ordres. » Le roi déchu entre à la barre. Le maire, deux officiers municipaux, et les généraux Santerre123 et Wittenkof entrent avec lui. La garde demeure à l'extérieur de la salle. Un profond silence règne dans l'assemblée. « Le président. - Louis, la nation française vous accuse. L'assemblée nationale a décrété, le 3 décembre, que vous seriez jugé par elle; le 6 décembre elle a décrété que vous seriez conduit à sa barre. On va vous lire l'acte énonciatif des délits qui vous sont imputés. Vous pouvez vous asseoir. » Le roi s'assied et écoute la longue lecture de l'acte d'accusation faite par un des secrétaires. Puis Barère, reprenant chaque article de l'accusation l'interpelle et lui demande de répondre aux diverses charges qui pèsent sur lui.

Bien que le roi se comporte avec une certaine dignité, le spectacle de ses dénégations et de ses mensonges a un effet désastreux. Il ne se souvient plus d'événements majeurs dans lesquels il a joué un rôle, il ignore d'existence du placard secret, il n'en reconnaît ni les documents, ni sa propre écriture... A peine est-il sorti que les tribunes qui se sont contenues explosent. Un vacarme est tel que Barère qui ne peut en venir à bout se couvre et lève la séance. (…) Le 13 décembre, la durée de sa présidence accomplie, Barère doit céder son fauteuil, sans doute à regret, à son collègue Fermont. Mais celui-ci pèse peu et ne parvient pas à contrôler les tribunes qui, par leurs vivats, soutiennent les Montagnards ou s'en prennent aux Girondins. Barère est alors invité à reprendre la présidence de l'Assemblée. Le 26 décembre, le roi comparaît une seconde fois à la barre, assisté de son avocat, de Sèze, qui lit sa plaidoirie. Une argumentation habile en droit mais inopérante car de Sèze estime que le monarque sur son trône bénéficiait de son inviolabilité mais que, dès sa destitution, le citoyen ne pouvait être accusé de quelque délit puisqu'il se trouvait dès lors dans la prison du Temple. Le roi prend ensuite brièvement la parole, affirmant que sa conscience «ne lui reproche rien». Il ne reconnaît toujours pas les clés que Barère lui présente, celles de son placard secret qui contenait toute sa correspondance compromettante. Quant à la question de l'inviolabilité, elle n'a plus de raison d'être pour les Conventionnels, la culpabilité de l'accusé ne faisant pas de doute. En fait, le débat s'oriente vers la possibilité, souhaitée par les Girondins, de consulter le pays à travers les assemblées électorales primaires. «Les Montagnards, pour juge, voulaient la Convention, les Girondins, la nation» écrit Michelet. Or, la Montagne qui ne peut avouer qu'elle redoute une sanction populaire qui la contrarierait accuse la Gironde de vouloir ainsi sauver le roi, la taxant, faussement, d'aristocratisme. Plus justement, elle s'inquiète que chaque commune ne devienne «une arène de disputes». Mais, ni Robespierre, ni Vergniaud ne parviennent à faire pencher la balance, la Plaine demeurant l'élément le plus nombreux.

Le 4 janvier 1793, Barère qui préside toujours l'Assemblée rassemble, dans un discours de trois heures, tous les arguments échangés et se prononce contre l'appel au peuple. Par lui, c'est la Plaine qui s'exprime dans cette intervention remarquablement construite mais souvent critiquée, y compris par les historiens à l'aune de leurs préférences idéologiques. Barère a senti que la Gironde s'engage dans une impasse qui risque d'approfondir les divisions du pays. Face à la Plaine qui hésite, il fixe le but et trace la voie. Un discours déterminant qui marque le moment où la majorité de la Convention, convaincue qu'elle représente légitimement la nation, adhère aux conclusions des Montagnards.

Lorsque le débat reprend le 7 janvier 1793, l'impact du discours de Barère est tel que la Gironde propose la clôture du débat. Puisque, sur le sujet, «on a dit (...) tout ce qu'il est possible de dire», la Convention, à l'unanimité, met fin à la discussion et décide l'impression de tous les discours des conventionnels relatifs au procès. L'on sait qu'après la reprise des travaux le 14 janvier, elle se prononce à l'unanimité moins quelques abstentions pour la culpabilité, rejette l'appel au peuple par 426 voix contre 278 et, par un dernier vote par appel nominal à partir du 16 janvier, vote la peine de mort par 387 voix contre 334, le sursis étant écarté par 380 voix contre 310.

José Cubero, Bertrand Barère, le «médiateur de la Révolution, éditions Gascogne

124 Lʼexécution du roi

Ces chiffres vont vite faire naître une légende, celle dʼun roi condamné par une seule voix dʼécart, grâce à un calcul pour le moins contestable. En effet, sur les 387 partisans du régicide, 26 ont demandé une discussion sur le fait de savoir sʼil convenait ou non de différer lʼexécution, mais tout en précisant que leur choix était indépendant de ce vœu. Il suffisait alors aux royalistes de les décompter des 387, puis de faire lʼaddition suivante : 26 + 46 + 288 = 360 voix refusant la mort immédiate de lʼaccusé… contre 361 ! Arithmétique toute politique que celle-ci et qui ne peut évidemment sauver Louis XVI. » (BIARD Michel, BOURDIN Philippe, MARZAGALLI Silvia, Révolution, Consulat, Empire, 1789-1815, Paris, Belin, 2010, p. 104). 125 L Le témoignage de Charles-Henri Sanson a été publié le 21 février 1793 dans le Thermomètre du jour pour mettre fin à diverses rumeurs concernant les derniers instants de Louis XVI. Lʼorthographe de la lettre a été respectée.

Le témoignage de Charles-Henri Sanson a été publié le 21 février 1793 dans le Thermomètre du jour pour mettre fin à diverses rumeurs concernant les derniers instants de Louis XVI. Lʼorthographe de la lettre a été respectée.

« Paris, ce 20 février 1793, lʼan II de la République française. Citoyen, Un voyage dʼun instant a été la cause que je nʼaie pas eut lʼhonneur de répondre à lʼinvitation que vous me faite dans votre journal au sujet de Louis Capet. Voici, suivant ma promesse, lʼexacte véritée de ce qui cʼest passé. Descendant de la voiture pour lʼexécution, on lui a dit quʼil faloit oter son habit ; il fit quelques difficultées, en disant quʼon pouvoit lʼexécuter comme il étoit. Sur la représentation que la chose étoit impossible, il a lui-même aidé à oter son habit. Il fit encore la même difficultée lorsquil cest agit de lui lier les mains, quʼil donna lui-même lorsque la personne qui lʼaccompagnoit lui eut dit que cʼétoit un dernier sacrifice. Alors il sʼinforma sy les tembours batteroit toujour : il lui fut répondu que lʼon nʼen savoit rien. Et cʼétoit la véritée. Il monta lʼechaffaud et voulu foncer sur le devant comme voulant parler. Mais on lui représenta que la chose étoit impossible encore. Il se laissa alors conduire à lʼendroit où on lʼattachât, et où il sʼest écrié très haut : Peuple, je meurs innocent. Ensuitte, se retournant ver nous, il nous dit : Messieur, je suis innocent de ce dont on mʼinculpe. Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français. Voilà, citoyen, ses dernières et ses véritables paroles. Lʼespèce de petit débat qui se fit au pied de lʼechaffaud roulloit sur ce quʼil ne croyoit pas nécessaire quʼil otat son habit et quʼon lui liât les mains. Il fit aussi la proposition de se couper lui-même les cheveux. Et pour rendre hommage à la véritée, il a soutenu tout cela avec un sang froid et une fermette qui nous a touts étonnés. Je reste très convaincu quʼil avoit puisé cette fermetée dans les principes de la religion dont personne plus que lui ne paraissoit pénétrée ny persuadé. Vous pouvez être assuré, citoyen, que voila la véritée dans son plus grand jour. Jʼay lʼhonneur dʼestre, citoyen, Votre concitoyen.

Sanson »

Le 21 janvier 1793, le roi est guillotiné, à 11 heures, place de la Révolution - ancienne place Louis XV devenue aujourd'hui . La mort du roi atteint le prestige traditionnel de la royauté et la nature religieuse de son pouvoir. Elle dresse contre la France toute l'Europe monarchique. «Nous voilà lancés, écrit Lebas, député du Pas-de-Calais, le 20 janvier, les chemins sont rompus derrière nous, il faut aller de l'avant, bon gré, mal gré, et c'est à présent surtout qu'on peut dire : vivre libre ou mourir.»

126 2-Lʼimpact de la guerre -Les ambiguïtés de la guerre extérieure

La mutation de la guerre

La mort du roi a coincidé avec la mutation de la guerre. Les armées républicaines sont entrées victorieusement en Belgique mais aussi en Savoie et Nice, puis à Mayence et dans lʼévêche de Bâle, acclamées par les minorités de patriotes. Cet accueil est utilisé pour annexer la Belgique, après une ratification ville par ville, et les autres territoires. Lʼévêché de Bâle devient le département du Mont-Terrible. Le 1er février 1793, sur proposition de Brissot, la Convention déclare la guerre à lʼAngleterre et à la Hollande, puis à lʼEspagne, au Portugal et aux Etats italiens. Elle provoque ainsi la formation dʼune première coalition et le rapprochement entre George III et Catherine II. Toutes les puissances, sauf la Suisse et les pays scandinaves, sont en guerre contre la France. Rapidement, la proclamation du 19 novembre 1792 qui effraie les souverains européens déçoit les patriotes car les troupes françaises sont dʼabord soucieuses dʼoccuper un territoire et dʼimposer des contraintes contraires à lʼidéal proclamé. Dans le Mont-Terrible, elles «oublient» de respecter les pratiques religieuses comme cela avait été promis. De plus, les succès ne sont pas exploités et Custine, entrant dans le Palatinat, ne disperse pas les émigrés de Coblence. Les difficultés sʼaggravent car les volontaires qui sʼétaient engagés pour une campagne commencent à partir et les effectifs fondent. La Convention, sous lʼimpulsion de Dubois-Crancé, décide de pratiquer «lʼamalgame» en fusionnant volontaires (faïences bleus) et soldats des ligne (culs blancs) pour former des «demi-brigades». Lʼarmée devient lʼincarnation de lʼEtat (ou de la nation). En même temps, une levée de 300 000 hommes est décidée, chaque assemblée communale désignant par élection ou tirage au sort les hommes concernés, des célibataires ou des veufs sans enfant de 18 à 40 ans. Une pratique qui, semblable à celle de la levée des milices sous lʼAncien régime, ne donne que 100 000 hommes au cours de lʼété 1793 car des révoltes éclatent. Celle de la Vendée prendra de lʼampleur. La Convention apprend que Dumouriez a été tourné par les Autrichiens puis battu à Neerwinden le 16 mars 1793, puis à Louvain le 21. Toute la Belgique est perdue et le territoire national à nouveau menacé. Or, quelques jours plus tard, Dumouriez entame des pourparlers avec les Autrichiens et envisage de disperser la Convention. Sa tentatice de coup dʼEtat échoue et il trahit, passant aux Autrichiens le 5 avril en leur livrant le ministre girondin de la Guerre Beurnonville et les députés qui lʼaccompagnaient.

Né à Cambrai en 1739, fils d'un commissaire des guerres, Dumouriez fait ses premières armes dans la guerre de Sept Ans ; plus doué pour l'intrigue que pour l'héroïsme, il est vite chargé de diverses missions diplomatiques. Maréchal de camp en 1788, il lie partie avec les Jacobins et se trouve, en 1792, ministre des Relations extérieures puis de la Guerre. Contraint de démissionner, il prend le commandement de lʼarmée du Nord après la désertion de Lafayette. Par ses audacieuses manœuvres, il est sans conteste le principal vainqueur de Valmy. Sa victoire de Jemappes livre la Belgique à la République ; il rêve alors de se constituer une sorte de proconsulat dans les Pays- Bas pour, de là, dicter ses volontés à Paris. Il envahit la Hollande, mais est pris de flanc et vaincu à Neerwinden (18 mars 1793) ; il s'abouche alors avec les Autrichiens, essuie le feu de ses propres troupes qu'il veut entraîner à marcher contre la Convention, et passe dans les rangs de l'ennemi avec son état-major. Moins connue, la seconde 127 partie de la vie de Dumouriez reste fertile en intrigues .... Il meurt en 1823. Dumouriez fait arrêter Beurnonville, le ministre girondin de la Guerre et les envoyés de la Convention avant de les livrer aux Autrichiens.

Dumouriez, précédé de la renommée (!), passe aux Autrichiens en enjambant les cadavres des soldats français tués au combat. 128 Vers un partage des dépouilles?

Une conférence organisée à Anvers le 6 avril 1793 réunit les ministres des gouvernements européens.

Lord Auckland déclare au nom de lʼAngleterre quʼil «faut réduire la France à un véritable néant politique». LʼAutrichien Mercy-Argenteau souhaite «écraser la France par la terreur en exterminant une grande portion de la partie active et la presque totalité de la partie dirigeante de la nation.»

Puis le ministre autrichien Thugut envisage un partage des dépouilles : à lʼAngleterre : Dunkerque et les colonies à lʼAutriche : la Flandre et lʼArtois à la Prusse, lʼAlsace et la Lorraine. Dʼautres variantes sont envisagées en incluant lʼEspagne et la Bavière.

Cette carte représente lʼEurope en 1780 or, entre 1793 et 1795, la Pologne subit deux partages entre ses voisins. Lors du partage de 1793, elle est dépecée entre la Russie et la Prusse, lʼAutriche étant retenue par la guerre contre la France. En 1795, lors du troisième partage, lʼautriche reçoit «sa» part avec la Galicie. On remarque aussi que lʼAutriche dispose des Pays-Bas autrichiens -la Belgique- sur la frontière française du Nord et que la Prusse nʼa pas une continuité territoriale. 129 -La Vendée, des Vendées...

Lʼémergence de menaces intérieures

Au moment ou la Convention apprend la défaite de Neerwinden, une armée envoyée depuis La Rochelle est défaite le 19 mars 1793 par les «brigands» de Vendée. Elle était commandée par un général qui avait servi sous les ordres de Dumouriez. Cʼest la stupéfaction. Toute la France est mobilisée et des troupes sont détachées dans tout le pays contre la Vendée. Mais ces unités, divisées par les rivalités, affaiblis par la médiocrité du commandement, le manque de discipline et le goût du pillage et du viol sont à leur tour battues. Lʼexception est constituée par les troupes mieux commandées et disciplinées proches des Girondins.

Depuis 1792, des rapports avaient signalé des processions clandestines et les activités contre-révolutionnaires des réfractaires. Mais, en mars 1793, la levée des 300 000 hommes met le feu aux poudres. Le 11 mars, une foule venue des campagnes sʼempare de Machecoul et massacre les partriotes. Mais le «peuple» qui se soulève peut-il être contre-révolutionnaire? Il est dʼabord «égaré» avant de devenir «fanatique». La Vendée reste une énigme car les paysans soulevés de Bretagne, dʼAlsace ou du Massif Central sont rapidement réprimés. Les Vendéens, ces ruraux mal armés, prennent des villes républicaines comme Saumur, Angers et Fontenay-le- Comte.

Lʼévolution de la guerre condamne les Girondins. Bouchotte qui remplace Beurnonville au ministère de la Guerre sʼentoure de sans-culottes. Il est soutenu par la Commune et les sections qui envoient des volontaires : 12 000 partent de Paris pour la Vendée le 1er mai et concurrencent les volontaires girondins.

La guerre (les guerres) de Vendée sera abordée de façon globale comme thème

Le Massacre de Machecoul, peinture de François Flameng, 1884. 130 Interwiev de Jean-Clément Martin par le Courrier du pays de Retz

Quel est le climat social et politique au début de lʼannée 1793 dans le district de Machecoul ? Il y a des populations qui sont globalement favorables à la Révolution et dʼautres qui y sont opposées. Mais ce ne sont pas deux populations très différentes. Urbaines ou plus rurales, elles sont toutes les deux catholiques. La rupture nʼest pas flagrante. Des paysans manifestent violemment leur attachement aux prêtres réfractaires, qui nʼacceptent pas la constitution civile du clergé. La mise en place des administrations dans les communes, qui sont soumises au district de Machecoul, entraîne des rivalités. À St-Lumine de Coutais, il y a la tradition païenne et moyenâgeuse du Cheval Mallet totalement intégrée dans les fêtes religieuses. Les gens du district vont sʼopposer à cela. Il sʼest produit des éloignements progressifs entre des gens qui prennent partie pour les réformes de la Révolution et dʼautres qui se considèrent comme des victimes.

Quelles sont les raisons à lʼorigine de ces massacres à Machecoul à partir du 11 mars 1793 ? Février 1793, on rentre dans des oppositions flagrantes car on demande aux jeunes gens dʼaller défendre les frontières, alors que les gardes nationaux dans les districts ne vont pas y aller. Cʼest cette levée des 300.000 hommes en France pour les campagnes militaires qui provoque ce massacre. Ce qui se passe dans le Sud Loire nʼest pas spécifique. Les gens des campagnes autour de Machecoul ne sont pas plus violents que les gens en Alsace, en Bretagne, en Puy de Dôme. Il y a les mêmes révoltes, pour les mêmes raisons, ailleurs. Et les mêmes formes… Quand les paysans se soulèvent à cette époque, cʼest avec leur fourche, leur faux, ce quʼils ont sous la main. Ceux qui sont en face se soumettent ou reçoivent un coup de fourche. Cʼest assez ordinaire… On est dans une révolte paysanne. Je nʼen démords pas.

Pourquoi cet événement va-t-il avoir un écho au niveau national ? La différence, cʼest quʼon est rentré dans une lecture politique des événements. Quand on est opposé à ce qui est mis en place, on est contre-révolutionnaire. Objectivement, des gens se retrouvent dans la contre-Révolution sans forcément lʼavoir voulu et ils vont se retrouver du côté des nobles qui se soulèvent, du côté des curés qui refusent lʼéglise constitutionnelle et du côté de ceux qui sont opposés à la Convention. Et là, cela va mal se passer. Ce qui est sûr, ce sont ces 160 morts et on est rentré dans la Guerre de Vendée, plus seulement dans une insurrection.

On parle de massacre, le degré de violence a-t-il été supérieur à dʼautres soulèvements ? Ma position, cʼest non, même si 160 personnes tuées, ce nʼest pas rien ! Les insurgés finissent par tuer des patriotes sur plus dʼun mois. On est quand même dans une insurrection politique, liée aux premiers chefs vendéens qui sont là à partir du 14 mars. Les deux premiers jours, cʼest un peu anarchique et il y a des morts. Après, les gens sont emprisonnés. Ensuite, il y aura de nouveau des morts avec des exécutions. Petit à petit, les prisonniers sont jugés, attachés “en chapelet” et fusillés en groupes.Quand on tue des gens en les exécutant sauvagement, il sʼagit dʼun massacre. Mais par rapport à ce que font les Colonnes infernales plus tard, cʼest sans commune mesure.

Quʼest-ce qui a fait la renommée exceptionnelle de ces événements jusquʼà aujourdʼhui ? Lʼarrivée des premiers réfugiés de Machecoul à Nantes est importante. Ils jouent un grand rôle. Les nouvelles de Machecoul touchent Paris très rapidement. On raconte des choses fausses en évoquant 400 morts, 800 morts… Les journaux nationaux font en faire état et les historiens vont ensuite les reprendre. Lʼécrivain Michelet, en 1852, reprend les journaux sans vérifier et va faire des descriptions effrayantes de Machecoul. Jaurès, dans lʼhistoire socialiste, va refaire à nouveau la même chose. Machecoul devient lʼemblème de la sauvagerie vendéenne

Jean-Clément Martin est professeur émérité de lʼuniversité de ParisI-Panthéon-Sorbonne. Il a dirigé lʼInstitut dʼhistoire de la Révolution française. 131

3-La chute de la Gironde -Les Girondins fragilisés

Lʼaccumulation des difficultés

Avec lʼévolution de la guerre, la trahison de Dumouriez, la menace étrangère, les Girondins sont accusés de modérantisme. A Paris, des émeutes populaires se succèdent en février et mars : les magasins de savon et de sucre sont pillés. La mauvaise récolte de 1792 provoque la disette et une crise de vie chère. Les sections de sans-culottes, influencées par les «Enragés» comme prennent des positions hostiles à la Convention et même à la Commune. Si Robespierre veut y voir un complot contre-révolutionnaire, un comité créé aux Jacobins envisage de purger la Convention des Girondins, rendus responsables de toutes ces difficultés. Les décisions de la Convention ballotée au gré des événements sont fluctuantes. Les autorités locales pourchassent les contre-révolutionnaires -émigrés et prêtres réfractaires-, prennent en charge les réquisitions en faveur de lʼarmée et acquièrent une grande autonomie pendant que lʼEtat semble se déliter. A Paris, un Comité dit de lʼEvêché, formé de leaders sans- culottes et cordeliers, apparaît au grand jour le 1er avril 1793. Jusque là, il a exercé une pression continue sur lʼensemble des députés. Le 5 avril, lorsque le passage de Dumouriez à lʼennemi est connu, les Jacobins exigent de la Convention la destitution des «appelants» - les Girondins - et le 19 mai, Varlet et Hébert évoquent lʼidée de les «septembriser».

Avec la guerre et la peur de la contre- révolution, la Convention adopte des mesures dʼexception voulues par le mouvemnt populaire mais rejetées par les Girondins. Après les défaites de Belgique, plusieurs sections réclament un tribunal dʼexception. Danton approuve : «Soyons terribles pour dispenser le peuple de lʼêtre», affirme-t-il pour éviter de nouveaux massacres comme ceux de Septembre. Le 10 mars, ce tribunal qui deviendra le Tribunal révolutionnaire voit le jour en dépit des Girondins qui craignent une dictature. Les comités de surveillance se développent après Neerwinden. Un Comité de salut public, nommé par la Convention, voit le jour les 5 et 6 avril 1793. Danton, montagnard, et Barère, de la Plaine, qui vient de rejoindre la Montagne, y jouent les premiers rôles. Des représentants du peuple, des Conventionnels pour la plupart montagnards sont envoyés aux armés.

Les sans-culottes interfèrent dans le jeu politique et fragilisent la Convention et la direction de lʼEtat. Lʼidentité sectionnaire est tellement forte que certaines sections repoussent les décisions de la Convention et même de la Commune. Les Montagnards font provisoirement alliance avec eux et prennent ainsi la direction de lʼEtat. 132

Hébert, né à Alençon, fils dʼun joailler fait des études chez les jésuites. En 1790, il commence à publier Le Père Duchesne dans la langue populaire. Il obtient ainsi un grand succès. Après Varennes il réclame la République et après le 10 août participe à la Commune insurrectionnelle. De septembre à juin, il attaque avec une grande violence les Girondins. Mais contrairement aux «Enragés» dont il nʼest pas, il nʼexpose aucun programme social. Le père Duchesne se contente de manifester une grande joie ou une grande colère au fil des événements.

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-Lʼarrestation et la mort des Girondins

La chute des Girondins

Dès lors, tout est prêt pour le drame qui se joue les 31 mai et 2 juin 1793. Le 25 mai, le Girondin Isnard se lance dans une diatribe insensée contre Paris : «Si par ces insurrections toujours renaissantes il arrivait qu'on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare au nom de la France entière, Paris serait anéanti; bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé.» Une charge qui rappelle malencontreusement le manifeste de Brunswick. Le lendemain, Robespierre appelle le peuple de Paris à l'insurrection. Elle a lieu le 31 mai : le tocsin sonne, le canon d'alarme tonne, la générale bat dans toutes les sections de sans-culottes. Puis, les délégations se présentent à la barre de la Convention, exigeant une série de mesures révolutionnaires et l'exclusion des Girondins. Mais la Convention résiste et l'insurrection se limite à une démonstration de force qui échoue. Elle reprend le 2 juin sous la direction d'un Comité insurrectionnel qui fait entourer l'Assemblée par les 80 000 hommes -le chiffre est sans doute excessif- de la garde nationale appuyés par 48 pièces de canon sous le commandement de Hanriot. Une députation demande l'arrestation immédiate des chefs de la Gironde.

Dans ses Mémoires rétrospectifs que l'on pourrait soupçonner de complaisance, Barère se donne un rôle quelque peu héroïque dans la logique de ses prises de positions antérieures. Une attitude qui, malgré la confusion de l'événement, est confirmée par Le Moniteur.

Dans tableau de Tassaert, les personnages sont traités avec un parti-pris dʼacadémisme néo-classique. Leur attitude est noble et ils tiennent des drapeaux où lʼon peut lire : «Unité, Indivisibilité, Egalité, Fraternité». Face à insurrection, les Conventionnels, des Girondins qui entourent le président Hérault de Séchelles, manifestent une fermeté134 «romaine». Seul Marat, au premier plan à gauche, semble faire des comptes macabres. « Dans cette séance, écrit Barère, les députés paraissaient médusés, leurs langues étaient paralysées. Tout le parti du côté gauche était dans le secret. Le Comité de salut public seul ne savait où l'on voulait nous conduire. Dans ce doute, je monte à la tribune, bien résolu à périr ou à faire punir le commandant Hanriot, qui appuyait de la force armée une telle violation des droits de la représentation. Je m'élève contre cette violation publique, j'engage l'Assemblée à sortir et à aller se placer au-devant de cette artillerie sacrilège conduite par des scélérats. » Barère, «presque toujours élevé au dessus de son propre courage» lorsque la dignité et l'intégrité de la Convention sont menacés, selon Jean Jaurès, s'indigne effectivement avec véhémence comme Le Moniteur en fait foi : « Ce n'est pas à des esclaves à faire la loi : la France désavouerait celles émanées d'une assemblée asservie. Comment ces lois seraient- elles respectées si vous ne les faites qu'entourés de baïonnettes? Nous sommes en danger car des tyrans nouveaux veillent sur nous; leur consigne nous entoure; cette tyrannie est dans le Conseil révolutionnaire de la Commune; et le Conseil général, s'il ne prend de promptes mesures pour prévenir ces violences, mériterait de graves reproches. Il se trouve en son sein des membres, du moral de qui je ne voudrais pas répondre. » Puis affirmant que ce mouvement insurrectionnel est fomenté par l'étranger en guerre contre la France, il conclut : « Peuple, on vous trahit .» L'Assemblée qu'il incite à quitter sa salle s'émeut, s'indigne, elle veut sortir. « Alors, poursuit Barère dans ses Mémoires, Robespierre monte à la tribune et me dit à voix basse : "Que faites-vous là? vous faites un beau gâchis!" (en italique dans le texte). Cette expression me dévoile la part que cet hypocrite prenait à tout cela, sans oser se montrer. "Eh bien! lui dis-je tout haut, le gâchis n'est point à la tribune, il est au Carrousel; il est là." J'indiquais la place où étaient nos assassins; et reprenant la parole, je tachai d'exciter de nouveau la Convention à aller, par sa courageuse présence, neutraliser elle-même les efforts des factieux et les accuser en face. C'est alors que je tins le propos qui me fut si souvent reproché : "Je demande la punition exemplaire et instantanée de ce soldat insolent qui ose outrager et violer la représentation nationale." Malheureusement, Hérault de Séchelles, dénué de caractère et obéissant à l'influence de Danton, était président à cette époque [il remplace en fait Mallarmé qui est épuisé]. Il est cependant forcé de sortir et de se mettre à la tête des députés qui se précipitent pour affronter au Carrousel les batteries des canons de la Commune. Notre présence arrête le bras des canonniers qui avaient la mèche allumée. (…) Les députés allèrent en masse vers les différentes grilles ou issues; ils les trouvèrent garnies de troupes de Hanriot, ayant défense de laisser sortir personne. Marat était triomphant et souriait comme le tigre qui va tomber sur sa proie. Il força par ses cris les députés à rentrer dans la salle; et dès lors la liberté publique fut perdue.» Un récit qui, au- delà de points de détail et des appréciations portées sur Danton et Robespierre dont il veut se détacher, relate des faits par ailleurs corroborés. De retour dans sa salle, l'Assemblée, sur proposition de Couthon, un proche de Robespierre, demande que les députés dénoncés et deux ministres, soient mis en état d'arrestation chez eux. Il est acclamé et le décret est immédiatement voté. Aussitôt, le Département de Paris remercie la Convention d'un vote qui, estime-t-il, sauve la patrie et s'offre à constituer des otages en son sein qui répondront de la sécurité des députés arrêtés.

Le mouvement populaire parisien et les Montagnards contraignent la Plaine à écarter la Gironde qui fait obstacle aux mesures d'exception. De fait, la Plaine accepte une violation de l'indépendance de la Convention mais, face à la menace mortelle où se trouve la République au début de l'été 1793, elle n'en juge pas moins les mesures d'exception indispensables. Accusés de «liberticide» dans lʼacte dʼaccusation dressé le 3 octobre 1793, lʼinstruction menée contre eux dénature leurs positions. Puis, le 31 octobre, sur proposition de Hébert, le procès est abrégé. Les Girondins sont envoyés à la , suivis de Bailly et de Barnave. 135

La mort des Girondins

Le dernier repas des Girondins, tableau de Henri Philippoteaux (carte postale)

Paris le 31 octobre 1793

"Allons enfants de la patrie!" : les premiers accents de la Marseillaise on résonné sous les arcades de la au moment où les cinq charrettes conduisant les prisonniers à l'échafaud en sortaient. Dans un dernier sursaut, les Girondins ont voulu proclamer leur patriotisme. Ce chant repris pendant tout le trajet a impressionné la foule massée près de la guillotine. Mais ce fut le seul instant d'émotion. Car les exécutions d'aujourd'hui n'ont provoqué aucune agitation, aucune pleur. Les Girondins sont morts dans l'indifférence, après un procès peu respectueux de la procédure et qui n'a duré qu'une semaine. En fait, on avait hâte d'en finir. Depuis l'arrestation des vingt et un accusés, l'instruction avait été retardée, peut-être par manque de preuves ou parce que la Convention craignait d'aviver des plaies mal refermées. Mais, dès l'ouverture du procès devant le Tribunal révolutionnaire, tout le monde savait que la sentence serait la mort. Il ne pouvait en être autrement car l'exécution des Girondins était la conclusion logique de toute l'action de la Convention depuis juin. Les laisser en vie aurait été reconnaître qu'on s'était trompé. Du reste, il n'y avait pas d'avocat pour défendre les prévenus. Et Fouquier-Tinville avait retenu contre eux les chefs d'accusation les plus divers. Il leur reprochait d'avoir été les complices du duc d'Orléans, de la Fayette et de Dumouriez, ou bien d'avoir déclaré la guerre aux rois de toute l'Europe. Les deux hommes de la Commune, Hébert et Chaumette, jouaient le rôle d'accusateurs sous l'égide du président du Tribunal, Herman, un ami de Robespierre. Mais la procédure paraissait encore trop longue, et les débats menaçaient de s'éterniser. Fouquier-Tinville a demandé le vote d'un décret pour accélérer le jugement. Et avant-hier, la Convention a décrété que le jury pouvait d'ores et déjà rendre son verdict. Celui-ci est tombé hier: tous étaient condamnés à mort. Certains se sont mis à sangloter, d'autres au contraire sont restés impassibles, comme Vergniaud. Quant à Valazé, il n'a pu en supporter davantage : il s'est poignardé dans la salle d'audience.» 136 Parmi dʼautres :

Manon Roland, née Jeanne Marie Philipon, plus connue sous le nom de Madame Roland, naquit le 17 mars 1754 et mourut guillotinée le 8 novembre 1793 à Paris. Elle fut une des figures de la Révolution française. Elle joua un rôle majeur au sein du parti girondin, et poussa son mari, Jean-Marie Roland de La Platière, au premier plan de la vie politique de 1791 à 1793. En décembre 1791, Manon et son mari s'installent à Paris à lʼHôtel Britannique. Enthousiasmée par le mouvement qui se développe, elle se jette avec passion dans lʼarène politique. Son salon devient le rendez-vous de nombreux hommes politiques influents, Brissot, Pétion, Robespierre et dʼautres élites du mouvement populaire dont notamment Buzot. Elle se retrouve alors au centre des débats politiques et préside un groupe des plus talentueux leaders de la Révolution. Grâce à ses relations au sein du parti girondin, Roland devint ministre de lʼIntérieur le 23 mars 1792. Dès lors, dans lʼhôtel ministériel, Manon devient lʼégérie du parti girondin. Barbaroux, Brissot, Louvet, Pétion, et aussi Buzot auquel la lie une passion partagée, assistent aux dîners quʼelle offre deux fois par semaine. Manon, cependant, reste fidèle à Roland, ce «vénérable vieillard» quʼelle «aime comme un père». Aux côtés de son mari, elle joue, au ministère de lʼIntérieur un rôle essentiel, rédigeant notamment la lettre dans laquelle Roland demande au roi de revenir sur son veto, lettre qui provoque son renvoi le 13 juin 1792. Lorsque son mari retrouve son portefeuille après le 10 août 1792, Manon dirige plus que jamais ses bureaux. Après les Massacres de Septembre qui la révoltent, elle voua à Danton une haine chaque jour plus féroce. Aussi entière et acharnée dans ses haines que dans ses affections, lʼégérie des Girondins attaque Danton de plus en plus violemment par la voix de Buzot. Lassé des attaques, Roland démissionne le 23 janvier 1793. Son épouse et lui sʼéloignent alors du pouvoir, sans renoncer à jouer dans l'ombre, un rôle politique. Le 31 mai 1793, lors de lʼarrestation des Girondins, elle ne fuit pas et se laisse arrêter le 1er juin 1793. Détachée de la vie, libérée de la présence de son mari, elle ressent son arrestation comme un soulagement et lʼécrit à Buzot dans une de ces pages de la correspondance passionnée et déchirante quʼils échangent alors : « Je chéris ces fers où il mʼest libre de tʼaimer sans partage ». Relâchée pendant une heure, elle est de nouveau arrêtée. C'est à la Conciergerie qu'elle écrit son Appel à lʼimpartiale postérité, ses Mémoires destinés à sa fille. Elle est jugée le 8 novembre 1793. Toute vêtue de blanc, elle se présente devant le Tribunal révolutionnaire. Le procès se déroule entre 9 h et 14 h 30. Sa sentence est mise à exécution le soir même. Manon monte, avec une grande sérénité, dans la charrette qui la conduit vers le lieu du supplice, la place de la Révolution. Passant devant la statue de plâtre dédiée à la Liberté (installée afin de commémorer la journée du 10 août 1792), elle se serait exclamée, peu avant que ne tombe le couperet de la guillotine : « Ô Liberté, que de crimes137 on commet en ton nom ! »

Condorcet

Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, , né le 1 7 septembre 1743 à Ribemont et mort le 29 mars 1794 à Bourg-la-Reine, est un philosophe, mathématicien et homme politique français, représentant des Lumières. Il est célèbre pour ses travaux pionniers sur la statistique e t l e s probabilités, son analyse des différents modes de scrutin possibles et le « paradoxe de Condorcet » ainsi que par son action politique, tant avant la Révolution que sous celle-ci. Siégeant parmi les Girondins, il propose des réformes du s y s t è m e éducatif ainsi que du droit pénal. Lorsque les Girondins perdent le contrôle de lʼAssemblée en faveur des Montagnards, Marie-Jean Hérault de Séchelles propose une nouvelle constitution, très différente de celle de Condorcet. Celui-ci la critique, ce qui le f a i t c o n d a m n e r p o u r trahison. Le 8 juillet 1793, sur proposition du conventionnel montagnard François Chabot, la Convention vote un décret d'arrestation contre lui. Il est décrété d'accusation le 3 octobre.

Averti par Cabanis du décret d'arrestation à son encontre, Condorcet est contraint de se cacher et trouve refuge pendant neuf mois dans la demeure de Mme Vernet, rue Servandoni, à Paris. Il en profite pour écrire lʼun de ses ouvrages les plus appréciés par la postérité, Esquisse dʼun tableau historique des progrès de lʼesprit humain qui fut publié après sa mort, en 1795. Le 25 mars 1794, il quitte sa cachette, convaincu de ne plus y être en sécurité et d'être un trop grand danger pour Madame Vernet, sa généreuse hôtesse. Il tente de fuir Paris. Il est arrêté à Clamart deux jours plus tard, et mis en prison à Bourg-Égalité (Bourg-la-Reine). On le retrouve mort deux jours plus tard, dans sa cellule. Les circonstances de sa mort restent énigmatiques (suicide par un poison issu d'une bague qu'il portait, meurtre ou accident vasculaire cérébral, attaque dont il avait été victime deux ans auparavant).

138 II-La guerre et la nation : juin 1793-juillet 1794 1-Gouverner la guerre -Lʼété 1793

Lʼété 1793

139 «Lʼunité ou la mort»

Ces mots renvoient à une réalité vécue, celle de la guerre, guerre tout à la fois extérieure et guerre intérieure. Les armées étrangères avancent lentement, sans véritable détermination, sous-estimant constamment la capacité des Français à leur résister. Si le siège de Dunkerque est un échec pour les coalisés, Anglais et Espagnols prennent pied sur le territoire national en septembre 1793. La guerre de Vendée a pris de lʼampleur mais, malgré leur supériorité numérique, les Vendéens ne peuvent pas prendre lʼavantage à cause de leurs divisitions : Nantes demeure républicaine, empêchant les Anglais dʼutiliser le port. Et la blessure mortelle du généralisssime Cathelineau le 13 juillet aggrave leur échec. Dans dʼautres départements, des révoltes aux caractères variés -fédéralistes favorables aux Girondins, royalistes et chouans- menacent la Convention. A Paris, les Conventionnels adoptent une position de compromis : ils veulent garder leur unité et échapper à une victoire complète des sans-culottes. Ils parviennent, avec la Constitution de 1793, à rassembler autour dʼeux la nation révolutionnaire. Ecrite par Hérault de Séchelles et Saint-Just, avec lʼaide de Barère, elle est passée à la postérité par lʼacceptation du droit à lʼinsurrection du peuple. Ecrite dans un langage religieux, elle est présentée comme les Tables de la Loi, déposées dans lʼArche sacrée (un coffret en bois du Liban), elle est éditée à un million dʼexemplaires, traduite en flamand, en alsacien et lue dans les langues locales du Sud-Ouest. Deux millions de personnes participent au référendum, chiffre honorable dans le contexte, et 99% approuvent le texte, 20 à 30% dʼentre eux proposant des vœux. La Constitution est adoptée au cours de fêtes qui traduisent lʼinventivité des administrateurs locaux. Le mouvement de contestation sʼeffondre.

Seules trois villes -Marseille et Lyon-, outre la Vendée, basculent dans la dissidence 140 armée. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793 précède la Constitution

Le peuple français, convaincu que l'oubli et le mépris des droits naturels de l'homme, sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d'exposer dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer, avilir par la tyrannie ; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur ; le magistrat la règle de ses devoirs ; le législateur l'objet de sa mission. - En conséquence, il proclame, en présence de l'Etre suprême, la déclaration suivante des droits de l'homme et du citoyen. Article 1. - Le but de la société est le bonheur commun. - Le gouvernement est institué pour garantir à l'homme la puissance de ses droits naturels et imprescriptibles. Article 2. - Ces droits sont l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. Article 3. - Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi. Article 4. - La loi est l'expression libre et solennelle de la volonté générale ; elle est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ; elle ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la société ; elle ne peut défendre que ce qui lui est nuisible. Article 5. - Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics. Les peuples libres ne connaissent d'autres motifs de préférence, dans leurs élections, que les vertus et les talents. Article 6. - La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui : elle a pour principe la nature ; pour règle la justice ; pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu'il te soit fait. Article 7. - Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s'assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits. - La nécessité d'énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme. Article 8. - La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. Article 9. - La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l'oppression de ceux qui gouvernent. Article 10. - Nul ne doit être accusé, arrêté ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Tout citoyen, appelé ou saisi par l'autorité de la loi, doit obéir à l'instant ; il se rend coupable par la résistance. Article 11. - Tout acte exercé contre un homme hors des cas et sans les formes que la loi détermine, est arbitraire et tyrannique ; celui contre lequel on voudrait l'exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force. Article 12. - Ceux qui solliciteraient, expédieraient, signeraient, exécuteraient ou feraient exécuter des actes arbitraires, seraient coupables, et doivent être punis. Article 13. - Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. Article 14. - Nul ne doit être jugé et puni qu'après avoir été entendu ou légalement appelé, et qu'en vertu d'une loi promulguée antérieurement au délit. La loi qui punirait les délits commis avant qu'elle existât serait une tyrannie ; l'effet rétroactif donné à la loi serait un crime. 141 . Article 15. - La loi ne doit décerner que des peines strictement et évidemment nécessaires : les peines doivent être proportionnées au délit et utiles à la société. Article 16. - Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. Article 17. - Nul genre de travail, de culture, de commerce, ne peut être interdit à l'industrie des citoyens. Article 18. - Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre, ni être vendu ; sa personne n'est pas une propriété aliénable. La loi ne reconnaît point de domesticité ; il ne peut exister qu'un engagement de soins et de reconnaissance, entre l'homme qui travaille et celui qui l'emploie. Article 19. - Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement, si ce n'est lorsque la nécessité publique légalement constatée l'exige, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. Article 20. - Nulle contribution ne peut être établie que pour l'utilité générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à l'établissement des contributions, d'en surveiller l'emploi, et de s'en faire rendre compte. Article 21. - Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler. Article 22. - L'instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l'instruction à la portée de tous les citoyens. Article 23. - La garantie sociale consiste dans l'action de tous, pour assurer à chacun la jouissance et la conservation de ses droits ; cette garantie repose sur la souveraineté nationale. Article 24. - Elle ne peut exister, si les limites des fonctions publiques ne sont pas clairement déterminées par la loi, et si la responsabilité de tous les fonctionnaires n'est pas assurée.

Article 25. - La souveraineté réside dans le peuple ; elle est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable. Article 26. - Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier ; mais chaque section du souverain assemblée doit jouir du droit d'exprimer sa volonté avec une entière liberté. Article 27. - Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l'instant mis à mort par les hommes libres. Article 28. - Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. Article 29. - Chaque citoyen a un droit égal de concourir à la formation de la loi et à la nomination de ses mandataires ou de ses agents. Article 30. - Les fonctions publiques sont essentiellement temporaires ; elles ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs. Article 3 1. - Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais être impunis. Nul n'a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens. Article 32. - Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l'autorité publique ne peut, en aucun cas, être interdit, suspendu ni limité. Article 33. - La résistance à l'oppression est la conséquence des autres Droits de l'homme. Article 34. - Il y a oppression contre le corps social lorsqu'un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé. Article 35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. 142 Acte constitutionnel Article 4. - Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. Article 5. - L'exercice des Droits de citoyen se perd - Par la naturalisation en pays étranger - Par l'acceptation de fonctions ou faveurs émanées d'un gouvernement non populaire ; - Par la condamnation à des peines infamantes ou afflictives, jusqu'à réhabilitation. Article 6. - L'exercice des Droits de citoyen est suspendu - Par l'état d'accusation ; - Par un jugement de contumace, tant que le jugement n'est pas anéanti. De la garantie des Droits Article 122. - La Constitution garantit à tous les Français l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété, la dette publique, le libre exercice des cultes, une instruction commune, des secours publics, la liberté indéfinie de la presse, le droit de pétition, le droit de se réunir en sociétés populaires, la jouissance de tous les Droits de l'homme.

Article 123. - La République française honore la loyauté, le courage, la vieillesse, la piété filiale, le malheur. Elle remet le dépôt de sa Constitution sous la garde de toutes les vertus.

Article 124. - La déclaration des Droits et l'acte constitutionnel sont gravés sur des tables au sein du Corps législatif et dans les places publiques.

Pour le texte complet voir : Google : Constitution du 24 juin 1793, Conseil constitutionnel.

Une des innombrables fêtes qui, localement, rendent hommage à la République. 143 Sans-culottes, Enragés, Montagnards

Au-delà de lʼadhésion à la République et à la constitution de 1793, les sections parisiennes (de sans-culottes) sont particulièrement divisées, certaines ayant même pris contact avec les fédéralistes normands. Lʼarmée révolutionnaire qui devait être créée pour ravitailler Paris ne voit pas le jour car 27 sections sur 48 sʼy opposent. Le 1er juillet 1793, Hanriot, le candidat au commandement de la garde nationale parisienne est battu par Raffet (9 078 suffrages contre 6095). Par ailleurs, la hausse des prix provoque des troubles exploités par les Enragés, Roux et Varlet qui réclament la taxation générale et une loi contre les accapareurs. Cʼest Hébert qui refuse au nom de la Commune, affirmant que le ravitaillement est assuré par la Convention et quʼil ne faut pas porter atteinte à la propriété. Au même moment, la Convention proclame son attachement à la propriété et au libéralisme économique. Mais un texte reconnaît en même temps le droit à lʼinsurrection alors que la loi martiale est supprimée.

Lʼassassinat de Marat, le 13 juillet 1793 par suscite une véritable compétition entre ceux qui voient en lui une icône révolutionnaire. Une succession dont Hébert, avec son Père Duchesne sort vainqueur. Cependant, la Convention est parvenue à juguler le mouvement sans-culotte et Robespierre renforce sa position en entrant au Comité de salut public le 27 juillet, Comité que Danton a quitté 15 jours plus tôt.

Jean-Paul Marat est lʼune des figures emblématiques de la Révolution dont il incarne lʼ « extrême gauche ». Sa célèbre phrase «rien de superflu ne saurait appartenir légitimement, tandis que dʼautres manquent du nécessaire» traduit le fond de sa pensée sociale. Dès 1789, Marat élabora un projet de monarchie constitutionnelle. Mais cʼest surtout son activité journalistique qui le rendit célèbre : sous le nom de « lʼami du peuple » (titre du journal qui succéda au Publiciste parisien, puis surnom personnel de Marat), il mena son combat politique contre le roi puis contre les Girondins. Accusé par ces derniers de visées dictatoriales le 14 avril 1793, triomphalement acquitté par le tribunal révolutionnaire le 24 avril, Marat reprit son siège à lʼAssemblée nationale. Le 13 juillet 1793, alors quʼil prenait un bain pour soigner son eczéma, il fut assassiné par Charlotte Corday, lointaine descendante du poète Corneille, liée au milieu des Girondins. 144 Auteurs : Robert Fohr et Pascal Torrès. L'œuvre de Baudry : 1860

Cet Assassinat de Marat m o n t r e u n e C o r d a y effarouchée comme une jeune Vierge, rêveuse peut- être. Regrette-t-elle son geste ? Baudry fixe au mur où elle s'appuie une carte de la France. Que signifie-t-elle? Peint en 1860, en plein Second Empire, ce tableau cherche surtout à ne vexer personne. On peut y voir Charlotte Corday comme le symbole de la France victime de la Terreur (d'où la carte), ou comme une pauvre écervelée irresponsable. Mais ce tableau est surtout un hommage de Baudry à David : car il s'agit bien de la même scène, dans un décor identique, avec les mêmes meubles (la petite caisse servant de table, la planche sur la baignoire recouverte d'un drap vert) mais vue sous un autre angle. Seul le couteau n'est pas le même. Et sur ce point Baudry a raison : le rapport de police parle d'un manche en ébène et non en ivoire.

L'auteur Né à La Roche-sur-Yon en 1828 dans une famille modeste (son père est savetier), Paul Baudry obtient une bourse pour étudier aux Beaux-Arts de Paris en 1844. Il obtient en 1850 le prix de Rome à son cinquième essai, ex-aequo avec Bouguereau. Il n'y aurait pas grand-chose à dire sur cet artiste néoclassique, amoureux de Raphaël, de Michel-Ange et de la peinture italienne de la Renaissance, s'il n'était devenu l'un des plus farouches adversaires de Manet puis de l'Impressionnisme. Son honnête carrière académique et l'amitié que lui portait Napoléon III auraient dû lui suffire. Emile Zola en fit un temps sa tête de Turc, mais cela ne doit pas faire oublier qu'il fut célébré à son époque. On voulut même remplacer les originaux de Michel Ange et de Raphaël par ses copies, jugées excellentes, de peur qu'ils soient détruits par le feu à gaz - argument qui précipita l'installation de la lumière électrique là où se trouvaient les œuvres. Le tableau se trouve au musée des Beaux Arts de Nantes.

Charlotet Corday qui dispose dʼun défenseur devant le Tribunal révolutionnaire est condamnée à mort et exécutée le 17 juillet 1793, vêtue de la chemise rouge des parricides. 145

-Diriger la Révolution

Lʼimpact imprévu de la fête du 10 août 1793

Dans le pays, ce sont des centaines de milliers de soldats, de membres des clubs (600 à 800 couvrent le pays), dʼadministrateurs divers qui font vivre la Révolution. Ils incarnent, bien que dans la confusion, la souveraineté. Leurs délégués qui devaient consacrer lʼacceptation de la Constitution lors de la fête du 10 août en font un moment déterminant. Les 7000 délégués qui arrivent à Paris obligent à modifier le projet conçu par David. Initialement, une modeste délégation devait aller sʼabreuver aux côtés des Conventionnels aux seins de la statue-fontaine de la Nature (une vision qui réduit la femme à lʼétat de mère nourricière et qui la dépolitise). Les 7000 obtiennent de défiler en corps et écrasent par leur nombre les Conventionnels. Certains sont ouvertement Girondins, dʼautres reprennent les réclamations des sans-culottes. Ils relancent le débât sur la taxation des prix, acceptée, confirmée... puis oubliée. Un envoyé, celui de Châlons-sur- Saône, demande que lʼon mette «la terreur à lʼordre du jour».

146 La Convention est contrainte de donner des gages. Elle adopte une loi punissant le crime «dʼaccaparement» pour éviter le maximum général mais cette loi ouvre la voie aux contrôles et aux dénonciations. Elle supprime définitivement le rachat théorique des droits seigneuriaux et autorise, aspect très discuté, le partage des biens communaux. Dʼautres délégués souhaitent que lʼon applique la Constitution en procédant au renouvellemnt de la Convention. Chaque détenteur dʼune parcelle de pouvoir sʼestime en droit de parler au nom du peuple souverain à lʼimage de ce représentant dʼune section de Paris qui déclare devant lʼassemblée de la Commune : «Nous ne venons pas vous inviter à délibérer en aucune manière sur la volonté du peuple, nous apportons les ordres de nos commettants, il ne vous reste quà obéir.» Dans ce contexte, Hébert en profite pour demander des mesures exceptionnelles contre les «nouveaux brissotins», cʼest-à-dire les amis de Danton.

Sur la place de la Révolution (aujourdʼhui place de la Concorde), un hommage est rendu à la statue de la Liberté placée sur le socle de celle de Louis XV mise à bas. Dans le bûcher, les «dépouilles» de la monarchie et147 les «hochets» de la noblesse sont la proie des flammes. Une volonté dʼannoncer une ère nouvelle qui annonce la vague de destruction des emblèmes rappelant lʼAncien régime. Dans un tel contexte, alors que la fête commence le 1er août, Barère, porte-parole du Comité de salut public, fait ce jour-là un grand discours consacré à la défense nationale. Insistant sur le risque majeur que représente lʼinsurrection à lʼOuest, il demande la destruction des «brigands», cʼest-à-dire des Vendéens insurgés, il propose de mettre Marie-Antoinette en accusation et de détruire les mausolées de Saint-Denis «pour célébrer le 10 août».

La proposition décidant du sort des tombeaux et des corps royaux de Saint-Denis est faite par Barère. Elle est doptée par le Comité de salut public, par le décret du 1er août 1793 : « Les tombeaux et mausolées des ci- devant rois, élevés dans l'église de Saint-Denis, dans les temples et autres lieux, dans toute l'étendue de la République, seront détruits le 10 août prochain ». Une décision inappliquée jusqu'au mois d'octobre puisqu'un conventionnel, Joseph Lequinio, dénonce son inapplication le 7 septembre 1793. Si l'exhumation des corps a été retardée, du 6 au 10 août, les monuments funéraires (les 51 sépultures, les statues, gisants, colonnes, autels, vitraux, etc.) sont sélectivement démontés à la demande de la commission des Beaux Arts qui les fait transférer au Musée des monuments français. Cette sélection est pratiquée sous la houlette de Dom Poirier, nommé commissaire chargé d'assister à l'exhumation. Ce bénédictin de la congrégation de Saint-Maur est adjoint à la Commission conservatrice des Monuments et archiviste à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés puis à l'abbaye Saint-Denis. Les tombeaux sont en fait plus profanés que détruits. Les restes des rois, reines et princes sont jetés dans deux fossses communes où ils seront récupérés lors de la Restauration.

La destruction des tombeaux aura lieu, partielle, entre le 6 et le 10 août, puis le 12 octobre. Marie-Antoinette est exécutée le 25. Mais pour lʼinstant, le but de cette politique est de contrôler les demandes des délégués sensibles aux arguments des sans-culottes et des Enragés. Cette politique réussit car les envoyés acceptent de repartir le 25 août. Dès lors, la Convention et le pouvoir montaganrd se sont imposés. Ils ont réussi à rassembler les cadres républicains autour de la Constitution. Ils lʼont emporté au prix dʼune négociation informelle, négociant avec une demande portée par la «démocratie directe» issue des assemblées primaires du pays.

Les Conventionnels, prisonniers des demandes exprimées par un corps social qui se cosntituent par ses revendications, entendent certes résister aux excès dʼindividus et de groupes parlant au nom du «peuple» mais sont aussi amenés à faire des concessions.

148 LʼArmée du peuple les soldats de lʼAn II

Le 23 août 1793, avant le départ des 7000 envoyés, la Convention décrète la levée en masse. Pour les sans-culottes, il sʼagit de déployer les forces vives du «peuple», révolutionnaire par définition. Pour les Montagnards, il sʼagit dʼencadrer, de diriger, de discipliner lʼenthousiasme, dʼamener le «peuple» à la «vertu». Pour les sans-culottes, il sʼagit de mener la guerre contre tous les ennemis de la Révolution, parmi lesquels se trouvent «les riches», la nation se constituant par la communion des «égaux». Pour les Montagnards, lʼarmée doit être hiérarchisée et disciplinée sans empêcher les liens fraternels entre soldats et officiers même si cette unité peut reposer sur lʼacceptation du pillage et des exactions, communes par ailleurs à la pratique de la guerre.

Barère, dans un grand discours, adopte le langage des sans- culottes afin de conserver la maîtrise du mouvement.

Extrait : «Dès ce moment jusquʼà celui où les ennemis autont été chassés du territoire de la République, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées. Les jeunes gens iront au combat; les hommes mariés forgeront les armes et transporteront les subsistances; les femmes feront des tentes, des habits et serviront dans les hôpitaux; les enfants mettront du vieux linge en charpie; les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et lʼunité de la République.»

Bertrand Barère par Laneuville (1794), Kunsthalle de Brême. Une copie, avec Barère en gilet bleu, se trouve à la préfecture des Hautes- Pyrénées.

Cʼest donc tout le pays qui est mobilisé, conformément aux vœux des sans-culottes mais sous la direction de la Convention. La levée en masse fournit 300 000 hommes supplémentaires et sʼaccompagne de la fabrication extraordinaire dʼarmes. Si cela permet de résister à lʼEurope, les succès viennent sans doute dʼabord du rôle des représentants en misssion, de la surveillance des généraux et de lʼenthousiasme des soldats.

Le 24 août, afin de rassurer les entrepreneurs privés considérés comme plus aptes pour produire en quantité des armes de qualité, la Convention ouvre le «Grand Livre de la dette publique». Les créanciers de lʼEtat recevront une rente qui permettra de rembourser le capital quʼils auront investi. Ils se lient ainsi durablement à la Révolution. 149 Soldats de lʼAn II Extrait : Victor Hugo, Les Châtiments

Ô soldats de l'an deux ! ô guerres ! épopées ! Contre toute l'Europe avec ses capitaines, Contre les rois tirant ensemble leurs épées, Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines, Prussiens, Autrichiens, Avec ses cavaliers, Contre toutes les Tyrs et toutes les Sodomes, Tout entière debout comme une hydre vivante, Contre le czar du nord, contre ce chasseur d'hommes Ils chantaient, ils allaient, l'âme sans épouvante Suivi de tous ses chiens, Et les pieds sans souliers !

Soldats de lʼAn II dʼaprès Raffet. En haut : «Il est défendu de fumer mais vous pouvez vous asseoir. En bas : «Lʼennemi est foudroyé! Les peuples affranchis du joug qui les opprime! Le drapeau tricolore couvre de ses plis généreux les capitales conquises par vous! Et vous vous plaignez quand il nʼest pas un mortel qui ne vous porte envie!»

150 Dans tout le pays, des ateliers et des arsenaux sont créés pour produire de la poudre et des balles. Pour produire des balles, forger des fusils, livrer des canons, tous les métaux sont recherchés. Les statues et les cloches des églises sont descendues, à lʼexception de lʼune dʼentre elles. Le plomb des cercueils de la basilique de Saint-Denis est récupéré.

La récolte révolutionnaire du salpêtre

J. Cubero, La Révoltion en Bigorre, Privat, 1989.

151 Approvisionner lʼarmée des Pyrénées

J. Cubero, op. cit. 152 -Encadrer la violence dans un Etat éclaté

Violence, discipline et commandement

Dans son discours sur la Vendée, Barère décrète la nécessité de détruire les «brigands», sous réserve de protéger les femmes, les enfants et les vieillards. Mais il ne donne aucune définition des Vendéens. Cependant, la pratique des troupes est incontrôlable (lʼexemple du Palatinat en 1688 est toujours dans les mémoires). Il prévoit aussi lʼarrêt possible de la répression en ouvrant la possibilité dʼaccusation contre ceux qui auront outrepassé des ordres flous. Or, les exactions sont nombreuses, aggravées parfois par le radicalité, ou le laxisme, de représentants en mission. De plus, tant les tueries que les discours sur la nation régénérée par le sang des tyrans émoussent la sensibilité. Les nouvelles recrues sont souvent travaillées par la propagande sans-culotte qui réclame aussi lʼépuration de lʼarmée au profit, en Vendée, de généraux nommés par Bouchotte. La Convention et le Comité de salut public lâchent alors Houchard qui, général sorti du rang, remporte une difficile victoire à Hoodschote le 8 septembre 1792 face aux Anglais et aux Hanovriens, ces derniers relevant de la couronne britannique.

La résistance avait été si opiniâtre, que Houchard désespérant de la victoire refusa à Jourdan l'autorisation d'assaillir les redoutes de lʼadversaire avec un corps de 10 000 hommes qu'il pouvait rassembler en un instant. Jourdan, voyant ses tirailleurs se retirer en désordre et sentant la nécessité de porter un coup décisif, sollicita et obtint du représentant Delbrel la permission que le général en chef lui refusait. Alors, formant une colonne de trois bataillons qu'il conservait encore auprès de lui, il s'avança vers les formidables batteries. Son exemple et celui du conventionnel Pierre Delbrel, qui voulut partager sa gloire et ses dangers, La victoire de Hoondschote révèle le rôle majeur des électrisèrent les généraux et les soldats et représentants en mission et la possibilité de passer les troupes réunis sur ce point. Blessé à outre aux ordres de commandant en chef. Les cinquante pas des redoutes, Jourdan n'en armées de la République dépendent directement de continua pas moins d'avancer au pas de la Convention à travers son représentant en charge. Des soldats chantaient avec gaieté le refrain vulgaire de La Carmagnole, qu'un mission. vieux grenadier Mais Houchard vainqueur de façon inespérée français, Georges, nʼexploite pas cette victoire. Il laisse ses soldats dont le bras venait épuisés se reposer. Arrêté, il est traduit devant le d'être mutilé, faisait tribunal révolutionnaire et exécuté le 25 novembre retentir d'une voix 1792. Le général Custine, détesté pour son de tonnerre alors arrogance, son indépendance et son souci de la même que d'autres displine est aussi exécuté le 28 à la suite de entonnaient L a défaites. En Vendée, le général Biron est victime de Marseillaise. lʼhostilité de Ronsin et de Bouchotte. Il est exécuté le 31 décembre. La Convention et le Comité de salut Source :Wikipédia public tirent profit de cette radicalisation une fois le mouvement sans-culotte mis au pas. Le général Jourdan

153 Terreurs ou «Terreur»

Constamment, la demande des sans-culottes est utilisée mais émoussée. Par exemple, parmi les mesures les plus connues : 1-La Convention ignore les demandes répétées de démembrement des grandes fermes car les députés ne veulent pas entrer dans une politique de redistribution des biens. Par une sorte de compensation, ils votent le maximum général le 29 septembre 1793. 2-La Convention vote le 17 septembre la loi dite «des suspects» mais elle prévoit des garde-fous contre les proclamations des sections et encadre les poursuites. Les prêtres réfractaires et les fonctionnaires réintégrés ne peuvent plus être poursuivis. Mais concession faite aux sans-culottes, chaque citoyen doit posséder un certificat de civisme. Son absence désigne le suspect et permet donc aux comités de surveillance dʼexercer des contrôles. Mais, selon la loi, seuls les nobles «qui nʼont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution» sont suspects.

La présentation des certificats de civisme devant les comités de surveillance.

154 La Terreur est-elle «à lʼordre du jour»? En fait, elle nʼa pas été inscrite à lʼordre du jour de la Convention, un ordre du jour très contrôlé. Elle est lancé le 1er août par les militants sans- culottes et les envoyés des assemblées primaires. Aucun système politique de gouvernement nʼest fondé sur la terreur mais un grand nombre de représentants en mission combinent des déclarations redoutables contre les ennemis de la Révolution tout en limitant les exigences. De nombreuses communautés rurales, très indépendantes, rejettent le fédéralisme -allié ou pas au royalistes- et le sans-culottisme. Seules les régions de «guerre civile» connaissent les déchaînements incontrôlés de répression dans les phases les plus aiguës des combats. A lʼexception sans doute des «colonnes infernales» du général Turreau qui perpètrent leurs exactions sans instructions précises et alors que la révolte vendéenne est déjà vaincue. Ni la Convention, ni le Comité de salut public nʼinventent un système qui aurait ensuite inspiré soit un génocide vendéen, soit la dictature des bolcheviks. Cʼest la faiblese des pouvoirs centraux, provoquée par les concurrences politiques, qui explique ces réponses disparates. Qui plus est, lorsquʼun congrés des sociétés populaires est organisé à Valence à lʼinitiative des hébertistes et réclame lʼapplication de la Constitution de 1793, Robespierre, membre du Comité de salut public sʼy oppose. Il entend au contraire maintenir le gouvernement révolutionnaire jusquʼà la paix et empêcher ainsi que les divers comités, les diverses sociétés populaires établissent par leurs liaisons et leurs initiatives localisées une légitimité concurrente de celle de la Convention. Le 10 octobre, la Convention déclare officiellement le gouvernement révolutionnaire jusquʼà la paix. Mais la pression des sans-culottes demeure et cʼest donc ce gouvernement qui, en octobre, fait juger les Girondins -Robespierre réussit à maintenir 75 autres Girondins «appelants» sous simple arrestation-, Marie-Antoinette, , Manon Roland, le duc dʼOrléans et Bailly. Tous vont à lʼéchafaud. Dans la lecture de tous ces événements, il faut donc introduire les réalités de la surenchère, voire la nécessité de la surenchère pour acquérir une légitimité.

Le gouvernement révolutionnaire de lʼAn II

Pendant un an (juill. 1793-juill. 1794), la France a été soumise à la dictature des Montagnards. Cette période est connue sous le nom de gouvernement révolutionnaire. Élue pour élaborer une nouvelle constitution, la Convention en diffère l'application jusqu'au redressement de la situation extérieure. « Dans les circonstances où se trouve la République, la constitution ne peut être établie ; on l'immolerait par elle-même. Elle deviendrait la garantie des attentats contre la liberté, parce qu'elle manquerait de la violence nécessaire pour les réprimer », déclare Saint-Just. Le décret du 10 octobre 1793 décide : «Le gouvernement sera révolutionnaire jusqu'à la paix.» La loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) organise le gouvernement révolutionnaire formé d'institutions apparues de façon souvent empirique. Le gouvernement révolutionnaire comprend : la Convention, «centre unique de l'impulsion du gouvernement», votant les décrets et nommant les membres des comités ; le Comité de salut public, exerçant le pouvoir exécutif, dirigeant la guerre et la diplomatie, nommant les fonctionnaires et ayant l'initiative des lois ; le Comité de sûreté générale chargé de la police ; le Comité des finances ; les représentants en mission, conventionnels mandatés par le Comité de salut public pour assurer la liaison avec les autorités locales (notamment les agents nationaux) ; les comités de surveillance constitués dans chaque commune pour délivrer les certificats de civisme et rechercher les suspects ; les sociétés populaires enfin pour diriger l'opinion. Après la chute de Robespierre en juillet 1794, les institutions du gouvernement révolutionnaire restent en place, mais la Convention reprend une prépondérance perdue au profit du Comité de salut public. Le gouvernement révolutionnaire, qui avait sauvé la France des périls intérieurs et extérieurs en l'an II, disparaît dès que la Constitution de l'an III entre en vigueur.

Jean Tulard Encyclopædia Universalis [en ligne], : http://www.universalis.fr/encyclopedie/gouvernement- revolutionnaire-de-l-an-ii/155 2-La nation révolutionnée : décembre 1793-juillet 1794 -Le triomphe de la Montagne

Minerve et Hercule chassent tous les tyrans et ouvrent la voie au char où se trouvent,156 côte à côte, lʼégalité et la liberté. Sur fond de symboles, un soleil radieux se lève. La centralité révolutionnaire

La théorie du gouvernement révolutionnaire par Robespierre : 5 Nivôse an II (25 Décembre 1793).

« La théorie du gouvernement révolutionnaire est aussi neuve que la révolution qui lʼa amenée... Il faut lʼexpliquer à tous, pour rallier au moins les bons citoyens aux principes de lʼintérêt public.

La fonction du gouvernement est de diriger les forces morales et physiques de la Nation, vers le but de son institution.

Le but du gouvernement est de diriger les forces morales et physiques de la Nation, vers le but de son institution. Le but du gouvernement constitutionnel e s t d e c o n s e r v e r l a R é p u b l i q u e ; c e l u i d u gouvernement révolutionnaire est de la fonder.

La révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis : la constitution est le régime de la liberté victorieuse et paisible.

L e g o u v e r n e m e n t révolutionnaire a besoin dʼune activité extraordinaire, précisément parce quʼil est en guerre. Il est soumis à des règles moins uniformes et moins rigoureuses parce que les circonstances où il se trouve sont orageuses et mobiles, et surtout parce quʼil est forcé à déployer sans cesse des ressources nouvelles et rapides pour des dangers nouveaux…

Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du Peuple que la mort[… ]

Si le gouvernement révolutionnaire doit être plus actif dans sa marche et plus libre dans ses mouvements que le gouvernement ordinaire, en est-il moins juste et moins légitime ? Non ; il est appuyé sur la plus sainte de toutes les lois : le salut du Peuple, sur le plus irréfragable de tous les titres : la nécessité. Il a aussi ses règles, toutes puisées dans la justice et dans lʼordre public. Il nʼa rien de commun avec lʼanarchie ni avec le désordre ; son but, au contraire, est de les réprimer, pour amener et pour affermir le règne des lois ; il nʼa rien de commun avec lʼarbitraire. Ce ne sont point les passions particulières qui doivent le diriger, mais lʼintérêt public[… ] 157 Il doit voguer entre deux écueils la faiblesse et la témérité, le modérantisme et lʼexcès ; le modérantisme, qui est à la modération ce que lʼimpuissance est à la chasteté, et lʼexcès qui ressemble à lʼénergie comme hydropisie à la santé[… ] Les deux extrêmes aboutissent au même point. Que lʼon soit en deçà du but, le but est également manqué[…]

La fondation de la République Française nʼest point un jeu dʼenfants : elle ne peut être lʼouvrage du caprice ou de lʼinsouciance, ni le résultat fortuit de toutes les prétentions particulières et de tous les éléments révolutionnaires[…]

Il faut que lʼautorité de la Convention nationale soit respectée de toute lʼEurope[…]

Les étrangers ont paru quelque temps les arbitres de la tranquillité publique. Lʼargent circulait ou disparaissait à leur gré. Quand ils voulaient, le Peuple trouvait du pain ; quand ils voulaient, le Peuple en était privé ; des attroupements aux portes de boulangers se formaient et se dissipaient à leur signal[…]

Le Comité a remarqué que la loi nʼest point assez prompte pour punir les grands coupables. Des étrangers, agents des rois coalisés, des généraux teints du sang des Français dʼanciens complices de Dumouriez, de Custine et de Lamarlière sont, depuis longtemps en état dʼarrestation, et ne sont point jugés. Les conspirateurs sont nombreux, ils semblent se multiplier. La punition de cent coupables obscurs est moins utile à la liberté que le supplice dʼun chef de conspiration[…]

Nous vous proposerons, dès ce moment de faire hâter le jugement des étrangers et des généraux prévenus de conspiration avec les tyrans qui nous font la guerre.

Ce nʼest point assez dʼépouvanter les ennemis de la patrie ; il faut secourir ses défenseurs : nous sollicitons donc de votre justice quelques dispositions en faveur des soldats qui combattent et qui souffrent pour la liberté.

Lʼarmée Française nʼest pas seulement lʼeffroi des tyrans, elle est la gloire de la Nation et de lʼhumanité[... ] » Le Moniteur universel, n°97, p. 390

Ce repport est fréquemment interrompu par de vifs applaudissements. Unanimement accepté, la Convention décide son impression et son envoi aux départements et aux armées.

Ce discours clôture le processus enclenché le 10 octobre qui suspendait la Constitution «jusquʼà la paix». Par cette centralité, la Convention qui adopte les lois les fait appliquer par les districts et les municipalités, sans intermédiaires, sans délai ni discussion. Le pays entre ainsi dans lʼétat de siège. Sʼagit-il dʼune dictature? La suspension de la Constitution donne au législateur un pouvoir exorbitant. Il peut se passer de lʼapprobation du peuple puisque les élections sont suspendues. Mais il ne sʼagit pas dʼune construction prévue, assimilable, comme parfois le pas a été franchi, à des dictatures totalitaires modernes. Il sʼagit de la suite des luttes politiques entre les différents courants de la Convention et des divers groupes de sans-culottes. Aucune unité nʼest repérable, tant du point de vue politique quʼidéologique au sein de la Convention qui sʼengage dans cette voie pour des raisons tactiques. Cʼest une réponse factuelle aux dangers provoqués par les 158 divisions internes et les périls militaires aux frontières et à lʼintérieur. Une dictature de salut public

Cette notion ne correspond pas à la réduction dʼune dictature exercée par le Comité de salut public. En son sein, Billaud-Varenne et Collot dʼHerbois sont proches (ou lʼétaient) des sans-culottes, Robespierre, déiste, a un position spiritualiste, Saint-Just verse dans lʼutopie autoritaire en faisant de Sparte sa référence, Carnot est un patriote sourcilleux et tant Barère que Merlin sont pragmatiques. Mais tous veulent un gouvernement révolutionnaire fondé sur la «vertu» et la loi. Cela repose sur un consensus avec les autres comités, dont celui de sûreté générale (police politique), avec la Convention et avec les administrateurs dʼun certain rang mais en excluant les militants investis dans des institutions parallèles. Les décrets et les lois de la Convention sont traduits «en différents idiomes encore usités en France» et dans les langues étrangères. Les échanges avec les représentants en mision et les administrations locales sont continus.

Bertrand Barère, député des Hautes-Pyrénées

La composition du CSP de septembre 1793 à Juillet 1794

Jacques Billaud-Varenne, député de Paris Robert Lindet, député de lʼEure , député du Pas-de-Calais Pierre-Louis Prieur de la Marne, député de la Marne Jean-Marie Collot d'Herbois, député de Paris Claude-Antoine Prieur de la Côte-dʼOr, député de la Côte-d'Or , député du Puy-de-Dôme , député de Paris Jean-Marie Hérault de Séchelles, député de Seine- André Jeanbon Saint André, député du Lot et-Oise. Guillotiné en avril 1794.

Cette configuration va résister aux crises ultérieures. Face à la Convention, les 159 hébertistes, mais aussi Robespierre et ses partisans, seront balayés. Les conventionnels ont donc le seul pouvoir légitime et lʼusage de la violence autorisée tout en refusant de faire de la terreur un système de gouvernement. -Les procès «politiques» et lʼélimination des «factions»

Lʼabsence de politique

A partir du 5 décembre, Camille Desmoulins publie le Vieux Cordelier qui représente la voix des «Indulgents». Il attaque les révolutionnaires avancés, responsables à ses yeux de la poursuite de la guerre de Vendée. Il oppose les «vieux» patriotes de 1789 à ceux de 1792 et de 1793 qui sont se éduqués dans la pratique de lʼinsurrection. Danton et ses amis se rallient à cette position. Les oppositions se font jour au sein même du Comité de salut public sur le degré de répression à utiliser contre Lyon qui sʼétait insurgée et contre la Vendée où des républicains protestent contre les exactions des colonnes infernales dont ils sont aussi victimes. Carrier, décrit comme un «proconsul» qui ignore les instructions de la Convention est rappelé à Paris. Prisonniers de leurs contradictions, certains sont des «terroristes réticents» comme Barère que lʼhistoriographie étasunienne désigne comme «reluctant terrorists». La réduction de cette période au «système de la terreur» ignore la complexité historique réduite alors à des formules qui nʼexpliquent rien. Les affrontements qui vont avoir lieu au printemps 1794 éliminent les dantonistes puis les hébertistes, tous accusés à des titres divers dʼêtre des agents de Pitt, de lʼétranger, de la contre-révolution ou des hommes corrompus. Il sʼagit donc de les exclure du cercle vertueux des citoyens. Il ne saurait donc y avoir de voix discordante au sein de ce groupe, ceux qui sʼen écartent sont des «fripons». Tout désaccord est donc impossible et nie tout attitude politique, dans la mesure où la politique permettrait, au sein même du camp républicain, lʼexpression de ces désaccords. De plus, la crainte de la trahison renforce la xénophobie, et plus particulièrement lʼanglophobie. Lʼétranger devient une catégorie poltique porteuse de tous les dangers et avec laquelle tout compromis devient impossible comme les Indulgents le préconisent. Ce nʼest donc pas le débat, avec des arguments rationnels qui tranchent les conflits internes, mais les sentences du Tribunal révolutionnaire dont les débats occultent le fond des problèmes.

Une séance du Tribunal révolutionnaire.

160 Lʼélimination des hébertistes et des Indulgents

Le 26 février, puis le 3 mars 1794, Saint-Just présente deux rapports qui dénoncent symétriquement les Indulgents et les hébertistes. Le 26 février, il conclut en demandant au Comité de sûreté générale de libérer les patriotes détenus et le 3 mars que lʼon reconnaisse les propriétés des patriotes et que lʼon mette sous séquestre les biens des ennemis de la liberté. Ces biens, estime-t-il le 3 mars, doivent être distribués par les communes aux patriotes indigents.

Né le 25 août 1767 à Decize, mort le 27 juillet 1794 à Paris, Louis Antoine Saint-Just est le fils dʼun cultivateur quinquagénaire qui fut chevalier de Saint-Louis en récompense de ses services dans lʼarmée. Après des études chez les oratoriens de Soissons, cʼest à Reims quʼil fera son droit. Sa haine de lʼAncien régime vient probablement de la lettre de cachet quʼaurait fait lancée contre lui sa mère après quʼil lui eut dérobé quelques bijoux et objets précieux .En 1789, il publie Organt, un poème satirique inspiré par les œuvres de Machiavel, de Rousseau et de Montesquieu, qui condamne la monarchie et lʼaristocratie.

En 1789, après un séjour à Paris où il a assisté aux débuts de la Révolution, il quitte la capitale pour Blérancourt, en Picardie, où sa famille sʼétait installée en 1777. Il sʼy taille bientôt la réputation dʼun révolutionnaire exalté : il est lieutenant-colonel de la garde nationale en juillet 1789, participe à la fête de la Fédération lʼannée suivante, escorte la voiture du roi Louis XVI au retour de Varennes, et se lie avec Robespierre

Elu en septembre 1791 à lʼAssemblée législative, il ne peut y siéger en raison de sa jeunesse. Un an plus tard, élu député de lʼAisne à la Convention, Saint-Just rallie la Montagne, aux côtés de Robespierre, de Danton, de Marat et de Desmoulins. À la Convention, Saint-Just devient lʼun des principaux orateurs de la Montagne dès le procès de Louis XVI. Il joue un rôle important dans la rédaction de la Constitution de 1793 et dans la lutte qui oppose les Montagnards aux Girondins. Entré au Comité de salut public, il devient lʼun des porte-parole de ses collègues devant la Convention.

Du 16 octobre 1793 au 4 janvier 1794, Saint-Just est à lʼarmée du Rhin. Il y rétablit la discipline, nomme un nouveau commandant en chef, refuse toute négociation avec lʼAutriche, prend Bitche et délivre Landau. Il repart en mission le 28 avril pour y dégager la frontière menacée. Saint-Just bouscule les plans des généraux et sʼimpose aux soldats par son courage. La seule stratégie quʼil connaisse est lʼoffensive. Les Autrichiens sont battus à Courtrai et écrasés à Fleurus. Mis dans lʼimpossibilité, le 9 Thermidor, de lire le discours quʼil avait préparé (« Je ne suis dʼaucune faction : je les combattrai toutes... » Il nʼira guère plus loin), il assiste impassible à lʼoffensive des Conventionnels de la Montagne et de la Plaine contre Robespierre. Son indéfectible attachement à Robespierre va le conduire à lʼéchafaud. Lassée des débordements de la Terreur, la Convention ordonne lʼarrestation des deux hommes. Ils sont exécutés le 27 juillet 1794.

Ses rapports ont été accompagnés de phrases qui ont été popularisés ensuite dans le monde entier : «les malheureux sont les puissances de la terre»; «le bonheur est une idée neuve en Europe». La mesure redistributive énoncée par Saint-Just a laissé les spécialistes dans lʼexpectative au-delà de leurs propres clivages idéologiques. 161

Sʼagit-il dʼune mesure redistributive sincère ou dʼune manœuvre tactique pour ôter aux hébertistes lʼappui des sans-culottes. Lʼabsence de mise en place des commissions chargées de la redistribution plaide généralement dans ce dernier sens. Dʼautant que le maximum général institué à des fins sociales à la demande des sans-culottes est supprimé et remplacé par un contrôle adouci. Les hébertistes tentent de réagir. Le 2 mars, ils intiment lʼordre à la Convention de joindre les Girondins toujours emprisonnés aux Indulgents et voilent symboliquement la Déclaration des droits de lʼhomme des Cordeliers en attendant que le peuple ait retrouvé ses droits. Mais les sections ne se soulèvent pas et, en restant fidèles à la Convention, scellent le sort des hébertistes. Le 13 mars, Saint-Just les dénonce comme «factions de lʼétranger». Dans la nuit, les hébertistes sont arrêtés, accusés devant le Tribunal révolutionnaire de diverses corruptions (Hébert a fait rapidement fortune), de menées contre-révolutionnaires et de despotisme. Ils sont exécutés le 24 mars. Les hébertistes apparaissent donc comme de «faux» révolutionnaires démasqués par les Comités (CSP et CSG). Ceux-ci nʼont donc pas éliminé des opposants éventuels porteurs dʼune légitimité, ils ont démasqué des traîtres et des corrompus.

Puis, dès le 30 mars, Danton et Desmoulins, avec dʼautres, sont arrêtés. Ils sont amalgamés avec des corrompus de la liquidation de la Compagnie des Indes et de supposés «agents de lʼétranger». Jugés sommairement et surtout rapidement, Danton étant mis hors débats, ils sont

exécutés le 5 avril. Ils sont suivis par une autre «fournée» le 13 (les veuves de Desmoulins et dʼHébert, Gobel, lʼévêque constitutionnel de Paris...) Lʼopinion sort désemparée mais la 162 Convention et les Comités (CSP et CSG) nʼont plus de rivaux. -Thermidor : la chute des robespierristes

«La guerre de la liberté»

Après avril 1794, les concurrences institutionnelles disparaissent à Paris, sʼestompent dans les départements. Turreau est éloigné, nommé gouverneur de Belle-Ile. La moitié des représentants en mission sont rappelés (Barras, Fréron, Tallien, Fouché) et, à la mi-juin, une amnistie est proposée aux Vendéens soulevés mais considérés comme des «égarés». La Contre-Révolution nʼest plus un danger, permettant de dégager des troupes pour les frontières. Lʼeffort de guerre permet dʼaligner près de 700 000 hommes et forge lʼunité du pays. Souvent, le soldat est encore mal nourri, mal armé, mal chaussé mais mieux encadré par une discipline qui combine cohésion et rapidité. Les hommes sont employés sans ménagement et les pertes sont importantes, tués au combat ou morts des suites de leurs blessures. La stratégie repose sur lʼemploi de colonnes profondes, sur lʼesprit offensif et sur lʼenthousiasme. Carnot, membre du CSP chargé des affaires militaires sʼadresse aux généraux : «Soyez attaquants, sans cesse attaquants». Mais le sort de la Révolution demeure lié à la fortune des armes. La guerre détermine lʼavenir. Tous ces efforts voient leur aboutissement avec la victoire décisive de Fleurus, le 26 juin 1794.

La bataille de Fleurus, par Jean Baptiste Mauzaisse, 1837. Le général Jourdan remporte la victoire sur lʼarmée autrichienne. Fleurus se trouve à proximité de Charleroi qui vient de passer aux mains des Français. On remarque, devant Jourdan, sur un cheval alezan, le représentant en mission Saint-Just, membre du CSP. Il joue lui aussi un rôle déterminant dans la victoire. Le lendemain, les Autrichiens quittent la Belgique et se replient en Allemagne. 163 Cette bataille voit la première utilisation militaire d'un ballon d'observation dans l'histoire de l'aérostation. Le capitaine de la compagnie d'aérostiers, Coutelle, et un officier peuvent ainsi observer le dispositif des coalisés. La présence de ce ballon espion affecte le moral des coalisés. Caractéristiques du ballon "L'Entreprenant" : volume parfaitement sphérique d'un diamètre de 27 pieds (environ 9 mètres) ; d'une capacité de 523 m³, il est gonflé à l'hydrogène (H²); l'imperméabilisation de l'enveloppe a été réalisée par Jean- Marie-Joseph Coutelle et Nicolas- Jacques Conté (inventeur du crayon); ainsi, "L'Entreprenant" restera deux mois entiers plein de gaz à l'armée de Sambre-et-Meuse; le ballon peut élever une nacelle occupée par deux hommes et atteindre l'altitude de 500 mètres, mais en pratique, il suffit qu'il atteigne 250 à 400 mètres pour être opérationnel. Pour que les observations soient transmises rapidement on utilisait des pavillons du code de signalisation maritime, ou bien des feuilles de papier annotées transmises au sol dans un petit sac en cuir glissant le long d'un câble.

Lieu d'observation de la bataille de Fleurus : L e ballon captif « L'Entreprenant » s'est élevé à Jumet, sur le p l a t e a u o c c u p é actuellement par le dépôt du TEC Charleroi et l'extrémité ouest de la piste de l'aéroport de Gosselies. C'est là aussi que se trouvait l'état- major du général français Jourdan e t l e s représentants du Peuple Guyton de Morveau, Gillet et Saint-Just, «sur le plateau du moulin de Jumey...» construit à l'altitude de 180 mètres. Source : Wikipédia 164

Lʼénergie de Saint-Just représentant en mission à Strasbourg en octobre-décembre 1793 : quelques exemples. Le 31 octobre 1793 : «Les représentants ... voulant en même temps soulager le peuple et lʼarmée, arrêtent ce qui suit : il sera levé un emprunt de neuf millions sur les citoyens de Strasbourg, dont la liste est ci-jointe. Les contributions seront fournies dans les vingt-quatre heures. Deux millions seront prélévés sur cette contribution pour être employés au besoin des patriotes indigents. Un million sera employé à fortifier la place. Six millions seront versés dans les caisses de lʼarmée». 15 novembre 1793 : «Les représentants.... arrêtent : dix mille hommes sont nu-pieds dans lʼarmée; il faut que vous déchaussiez tous les aristocrates de Strasbourg et que, demain à dix heures du matin, les dix mille paires de souliers soient mises en marche pour le quartier général.» Ces mesures ont été strictement appliquées, sans mesures sanglantes. Avant Fleurus, il fait fusiller les déserteurs, casse les officiers incapables, stimule les hésitants.

Après les angoisses de 1793 provoquées par les soulèvements contre-révolutionnaires et les attaques des coalisées, la victoire de Fleurus est décisive. Les armées françaises passent partout à lʼoffensive et transforment la nature de la guerre qui devient une guerre de conquête. La Révolution, en reniant ses propres principes, énonce alors la théorie des «frontières naturelles». Pourtant, la guerre réalise lʼunion entre la nation et lʼarmée. Tout un mode de fonctionnement dépend de la poursuite de la guerre : commandes de lʼarmée, multiplication165 des ateliers et des arsenaux, émission continue dʼassignats qui financent la guerre mais qui permettent à la paysannerie de continuer ses achats de biens nationaux, carrières dans lʼarmée qui devient un véritable instrument de promotion.... Barère construit le roman national

L'épisode du Vengeur, magnifié, c'est-à-dire remanié, transformé, transfiguré, symbolise cette volonté de résistance. Le dimanche 1er juin 1794, une escadre française qui protège un convoi de navires chargés de blé dʼAmérique se heurte à une flotte anglaise au large de Brest. L'arrivée du convoi est vitale afin d'endiguer les menaces de disette. L'escadre française subit de graves dommages et perd le Vengeur, mais le convoi de blé n'en réussit pas moins à gagner la rade de Brest. Malgré tout une victoire puisque l'essentiel est atteint. Les premiers rapports dépêchés à la Convention font état de la perte du Vengeur qui aurait coulé avec tout son équipage au cri de « Vive la Patrie, vive la République !». Barère s'en empare aussitôt et prononce un de ses rapports -une carmagnole- les plus fameux.

«Une sorte de philosophie guerrière saisit tout l'équipage; les vaisseaux du tyran anglais cernaient le vaisseau de la République et voulait que l'équipage se rendît. Une foule de pièces tonnent sur le Vengeur, des mâts rompus, des voiles déchirées, des membrures de ce vaisseau couvrent la mer. Tant de courage, tant d'efforts surnaturels vont-ils devenir inutiles? Misérables esclaves de Pitt et de Georges, est-ce que vous pensez que des Français républicains se remettront entre vos mains perfides et transigeront avec des ennemis tels que vous? Non, ne l'espérez pas; la République les contemple et ils sauront mourir pour elle. Le vaisseau, percé de coups, sʼentrouvrant de toutes parts et cerné de tigres et de léopards anglais, un équipage composé de blessés et de mourants luttant contre les flots et les canons. (...) Tout à coup, le tumulte du combat, lʼeffroi du danger, les cris de douleur des blessés cessent. Tous montent ou sont transportés sur le pont ; toutes les flammes, tous les pavillons sont arborés ; le pavillon principal est cloué. Les cris de : « Vive la liberté ! Vive la France ! Vive la République !» se font entendre de tous côtés. Cʼest le spectacle touchant et animé dʼune fête civique plutôt que le moment terrible dʼun naufrage. Un instant ils ont dû délibérer sur leur sort. Mais non, ils ne délibèrent pas, ils disparaissent ! »

En réalité, après avoir m e n é c o m b a t , l e Vengeur, désemparé, a amené ses couleurs et descendu les chaloupes à la mer pour évacuer c e q u ' i l r e s t e d e lʼéquipage, les Anglais envoyant à leur tour l e u r s c a n o t s d e sauvetage. Précisons q u e , s u r l e s 7 2 5 hommes que comptait le navire, 250 ont été tués a u c o m b a t e t 2 7 5 s e c o u r u s p a r l e s Anglais. Il n'empêche, la carmagnole de Barère relève déjà, anticipant sur l'influence des bulletins de la Grande Armée de Napoléon, de la culture de guerre qui sera mobilisée dans les conflits à venir. Elle exalte ici la résistance à outrance traduite abruptement par «La liberté ou la mort». Aujourd'hui encore, le souvenir de cet épisode glorifié par Barère est perpétué à Paris par un bas-relief du Vengeur sur la place de la République et par le nom du capitaine commandant le vaisseau, Renaudin, gravé sur lʼArc de Triomphe. 166 Bara (Barra), le petit tambour de la République La guerre de Vendée, sur laquelle nous reviendrons, favorise l'héroïsation des enfants, à travers la igure de Joseph Bara ‐ ou Barra ‐, le petit tambour de la République dont on fait parfois un hussard. Le 28 décembre 1793, Robespierre évoque «ce jeune homme (qui), âgé de treize ans, a fait des prodiges de valeur dans la Vendée. Entouré de brigands qui, d’un côté, lui présentaient la mort, et de l’autre lui demandaient de crier "Vive le roi !" il est mort en criant "Vive la République !"» Si les circonstances de sa mort sont controversées selon que l'on se réfère aux sources et aux traditions républicaines ou royalistes, Bara, un domestique du général Desmarres, trop jeune pour combattre, est bien tué lors des guerres de Vendée. Il devient ainsi l'un des « martyrs de la Liberté » dont Barère s'empare. Il demande que la gravure qui doit représenter «l'action héroïque et la piété iliale de Joseph Bara» soit faite «aux frais de la République et envoyée par la Convention nationale dans toutes les écoles primaires». Son image, réalisée par David, crée un véritable culte civique. Enfant de treize ans, «il nourrissait sa mère et mourut pour la Patrie, s'exclame Barère. C'est cette vertu qui doit présenter son exemple à tous les enfants de la République, c'est son image tracée par les Peinture de David pinceaux du célèbre David que vous devez exposer dans toutes les écoles primaires. »

Sculpture de David dʼAngers

La Troisième République en fait un modèle d’inspiration pour les artistes et un thème civique pour les écoliers. Les tableaux subliment la légende, le représentent en petit tambour comme Charles Moreau‐Vauthier en 1880, ou en hussard comme Jean‐Joseph Weerts en 1882, succombant sous les coups des Vendéens. Une image qui demeure présente dans les manuels scolaires du primaire en usage encore au début des années 1950.

167 Tableau de Jean-Joseph Weerts, 1882

168 La déchristianisation, la Raison, lʼEtre suprême

Les origines de la déchristianisation sont à rechercher dans le basculement des prêtres réfractaires dans la Contre-Révolution et dans certains traits de la mentalité sans-culotte, le terme désignant plus une attitude quʼune appartenance sociale. Puis les prétres constitutionnels eux-mêmes sont suspectés de demeurer monarchistes après le 10 août et lorsque apparaissent les premiers «martyrs de la liberté» -Lepeletier, Chalier et surtout Marat- , leur culte favorise des cérémonies purement civiques. Avec la guerre, la collecte des métaux précieux et du bronze des cloches pour fondre des canons provoque des incidents plus ou moins graves. Les saints sont chassés du calendrier révolutionnaire avec un découpage du temps laïcisé mais la liberté du culte est maintenue.

Comment faire prêter le serment constitutionnel au clergé réfractaire. Gouache. Collection Liesville, B.N.F., Paris.

La déchristinianisation sʼaffirme dʼabord dans les départements, à lʼinitiative de quelques représentants en mission comme Fouché qui inaugure le buste de Brutus dans la cathédrale de Nevers et qui fait inscrire au-dessus des cimetières : «La mort est un sommeil éternel». Mais la vague déchristianistrice commence le 30 ocobre 1793 lorsque la commune de Ris, près de Corbeil, annonce à la barre de la Convention quʼelle fait de Brutus son patron au lieu de Saint-Blaise. Puis, une délégation de Mennecy, dans le même district, annonce quʼelle renonce au culte catholique et inaugure à la barre de la Convention une procession antireligieuse. Dès lors, le mouvement se répand jusquʼau printemps 1794.

169 A Paris, une fête de la Liberté est organisée dans la cathédrale notre-Dame mais le 23 novembre1793, la Commune décide la fermeture des églises. Rapidement, le culte de la Raison sʼimpose, associé à celui des «martyrs de la Liberté».

La vague déchristianisatrice parvient dans les Hautes-Pyrénées et à Tarbes. Elle est ici impulsée par les deux représentants en mission présents : Monestier-du-Puy-de-Dôme, un ancien prêtre, et Féraud de la vallée dʼAure.

JR Cubero, La Révolution en Bigorre. Lourdes, la Bigorre, la Révolution, 170Privat, 1989. Le culte de lʼEtre suprême

JR C, op. cit.

Le mouvement de déchristianisation est donc extérieur à la Convention et Robespierre a toujours manifesté son opposition car il a pour conséquence dʼéloigner de la Révolution les républicains modérés. Il estime que «celui qui veut lʼen empêcher est aussi fanatique que celui qui dit la messe. La Convention ne permettra pas que lʼon persécute les ministres paisibles du culte, mais elle les punira avec sévérité toutes les fois quʼils oseront se prévaloir de leur fonctions pour tromper les citoyens et armer les préjugés ou le royalisme contre la République». Danton sʼemporte contre les manifestations antireligieuses et demande «que lʼon pose la barrière». La Convention, le 6 décembre 1793 rappelle par un décret solennel le principe de la liberté des cultes mais Barère obtient quʼon ne porte aucune atteinte aux décisions des représentants en mission qui, dans certains départements, ont déjà fait fermer les églises. Le 7 mai 1794, Robespierre présente un rapport sur lʼorganisation des fêtes décadaires. Il leur donne pour but de développer le civisme et la morale républicaine fondée sur la vertu. «Incorruptible», il caresse l'idéal rousseauiste d'une société vertueuse, démocratique et égalitaire. Déiste, il fait voter un décret qui déclare : «Le peuple français reconnaît lʼexistence de lʼEtre suprême et lʼimmortalité de lʼâme.» Quatre grandes fêtes décadaires sont instituées, à la gloire des grandes journées de la Révolution : le 14 juillet 1789, le 10 août 1792, le 21 janvier 1793 et le 31 mai 1793. La fête de lʼEtre suprême et de la Nature, prévue pour le 8 juin, inaugurera le cycle. Ce jour-là, Robespierre doit présider la Convention puisque171 les présidences y sont tournantes et David est chargé de prévoir le cérémonial de la fête. La fête de lʼEtre suprême

Ce marquage à la peinture a été mis au jour lors dʼune restauration. Cathédrale de Clermont-Ferrand.

Célébrée dans toute la France le 8 juin 1794 (20 prairial an II), La fête de l'Être suprême connait un grand succès et a longtemps laissé des traces visibles. Les régions les plus concernées ont été le bassin parisien, la Normandie, le Nord, la région lyonnaise, le Languedoc, la Provence, l'Aquitaine et la Bourgogne. A Paris, les participants se rassemblent autour du bassin rond à l'extrémité est du jardin des Tuileries. Sur ce bassin, une pyramide représente un monstre, l'Athéisme entouré de l'Ambition, l'Égoïsme et la fausse Simplicité. Robespierre a revêtu un habit bleu céleste serré d'une écharpe tricolore. Il tient un bouquet de fleurs et d'épis à la main. La foule immense, venue communier aussi à ce grand spectacle, est ordonnancée par David. Robespierre met le feu à cet ensemble qui démasque une fois brûlé une statue de la Sagesse. Puis Robespierre précède les députés de la Convention, dont il est le président dans un cortège jusqu'au Champ-de-Mars. L'hymne à l'Être suprême, écrit par le poète révolutionnaire Théodore Desorgues, est chanté par la foule sur une musique de Gossec. Marcellin le célèbre chanteur des rues de Paris participe à la fête. Girbal, un employé dʼune section de sans-culottes note sur son journal : «Je ne crois pas que lʼhistoire offre lʼexemple dʼune pareille journée. Elle était sublime au physique comme au moral». Et Mallet du Pan, un contre-révolutionnaire renchérit : «On crut véritablment que Robespierre allait fermer lʼabîme.» Mais, dans son accoutrement, Robespierre apparaît ridicule à nombre de conventionnels qui, pendant la cérémonie, se moquent et bavardent. Malgré l'impression profonde produite par cette fête, le culte de l'Être suprême ne crée pas d'unité morale entre les révolutionnaires dont certains prônent lʼathéisme. Peu après son instauration, la fête de lʼEtre suprême est un des aspects de la crise qui se développe au sein du gouvernement révolutionnaire et provoque lʼélimination de Robespierre et des robespiéristes. 172 La procession quitte le Jardin national aux Tuileries. La statue de la Sagesse est apparue après lʼautodafé de la statue de lʼAthéisme. La procession se dirige ensuite vers le Champ de Mars. Là, une statue de la Liberté domine la scène avec un arbre de la Liberté coiffé dʼun bonnet phrygien.

173 174 Lʼisolement de Robespierre

Comme les positions fondées sur des stratégies opposées disparaissent avec lʼélimination des «factions», les rivalités deviennent personnelles, y compris au sein du CSP. Billaud-Varenne et Collot dʼHerbois ont soutenu les sans-culottes plus ou moins clairement, Couthon, très proche de Robespierre, le soutient systématiquement, Barère est le porte-parole du CSP devant la Convention, Carnot et Saint-Just sʼopposent sur la conduite de la guerre, les autres se cantonnent dans une fonction technique. Relevons cependant que Saint-Just et Barère nʼont pas de position figée. Le 22 mai, puis le 23, deux attentats fort mal préparés visent Robespierre. Dès lors, une lutte sourde incite ses opposants à proposer la création dʼune sorte de garde prétorienne pour assurer sa sécurité. Ce que Robespierre refuse mais qui permet à ses adversaires de créer la suspicion et de lʼaccuser dʼêtre un «dictateur» voire un «tyran». Le 15 juin, Vadier présente à la Convention un rapport sur une prétendue « nouvelle conspiration » -l'affaire Catherine Théot-, montée de toutes pièces par le Comité de sûreté générale, et obtient le renvoi de la prophétesse et de dom Gerle devant le Tribunal révolutionnaire. À travers cette «conspiration imaginaire», il vise Robespierre et le «culte de l'Être suprême». Le 27 juin, Robespierre réclame la révocation de Fouquier-Tinville, acusateur public du Tribunal révolutionnaire, trop lié à ses yeux au Comité de sûreté générale. Mais le lendemain, lors de la séance du Comité, réunissant Barère, Billaud-Varenne, Carnot, Collot- d'Herbois, Lindet, Robespierre et Saint-Just (arrivé à Paris dans la soirée), cette demande est refusée. Les disputes entre ces hommes, accablés de travail et épuisés, sont telles que Robespierre, traité de «dictateur», quitte le Comité le 27 juin. Un retrait qui demeure aujourdʼhui encore une énigme. Il ne reviendra que le 23 juillet mais continue à parler au club des Jacobins. Malgré ce retour qui prend lʼaspect dʼune réconciliation, Robespierre dévoile devant la Convention les attaques quʼil a subies et propose de modifier la composition des Comités de salut public et de sûreté générale, et de subordonner le second au premier. Nous sommes alors le 8 thermidor (26 juillet 1794).

Il fait lʼunion de tous ses opposants : des dantonistes comme Bourdon de l'Oise; des représentants en mission «terroristes» rappelés à Paris comme Fouché et Barras pour rendre des comptes. Plus que dʼun esprit de revanche, ils sont animés par la peur car des rapports remis à Robespierre les accable. Dʼautres conventionnels, mais parfois aussi les mêmes comme Fouché nʼont pas accepté la fête de lʼEtre suprême et lʼorientation déiste de la République. Les rivalités institutionnelles jouent aussi : le Comité de sûreté générale qui reproche au CSP la création dʼun Bureau de police générale. Mais surtout sans doute, la loi de Prairial du 10 juin qui, par sa volonté de contrôle des tribunaux dʼexception en province, provoque la multiplication des «charrettes» à Paris, symbolise la Grande Terreur et provoque la «nausée de lʼéchafaud». Mais comment appliquer la terrible de loi Prairial du 10 juin alors que les armées de la République sont victorieuses à Fleurus le 26 juin. La politique de salut public menée pour sauver la République en sʼappuyant sur le système dit de la Terreur a donc réussi. Elle a triomphé des soulèvements intérieurs et a permi la victoire. Mais la «Terreur», moyen de la victoire peut-elle se maintenir et se renforcer dans la victoire.

Depuis la création du Tribunal révolutionnaire en mars 1793, près de 17 000 personnes furent guillotinées en France (16 594 identifiées), dont environ 2 500 à Paris : 1251 personnes de mars 1793 au 10 juin 1794; 1376 jusquʼau 26 juillet. Précisons que près de 20% des personnes qui comparaissent sont acquitées. Bien entendu, il sʼagit de chiffres qui ne concernent que les sentences des tribunaux révolutionnaires de Paris et de province. Ils ne prennent en compte ni les exécutions sommaires, ni les pertes des «guerres civiles», ni celles des diverses répressions ( Nantes, Lyon, Marseille...). 175 Thermidor.

Après son retour, Robespierre parle à la Convention pendant deux heures le 8 thermidor (26 juillet 1794). Il critique toutes les décisions prises par le CSP en son absence. La tension est très forte et annonce lʼaffrontement car Robespierre insiste sur son acceptation de la mort et attaque les «hommes pervers» et les «fripons», se contentant de dénoncer Cambon qui entend faire financer le déficit par les pays conquis. Il refuse de nommer les «ennemis du peuple» et crée lʼinquiétude au sein de la Convention. Le lendemain, le 27 juillet 1794 ou 9 Thermidor, Tallien et Billaud-Varenne empêchent Saint-Just de parler car il sʼest rallié à Robespierre. Puis, cʼest ce dernier qui ne peut parler. Aux cris de «A bas le tyran», Robespierre et et ses plus proches partisans (Couthon, Lebas, Saint-Just et Augustin Robespierre) sont arrêtés. Ils sont libérés sur ordre de la Commune avec lʼappui de quelques sections de sans-culottes, mais la confusion règne. A minuit, la Commune mise hors la loi par la Convention perd tous ses soutiens et à 2 heures, le 10 thermidor, les hommes de la Convention investissent lʼHôtel de Ville.

Blessé dʼun coup de psitolet à la mâchoire, mis hors la loi, Robespierre est condamné avec ses p a r t i s a n s a p r è s u n e procédure abrégée et guillotiné avec 21 de ses partisans. Dans les jours q u i s u i v e n t , 8 7 robespierristes sont é g a l e m e n t j u g é s e t exécutés.

Arrestation de Robespierre, Gravure de Harriet.

Le matin du 10 thermidor, tableau de Lucien- Etienne Mélingue, 176 1877. 177 Qui fut Robespierre?

Nous avons découvert Robespierre, progressivement, dans le déroulement des événements révolutionnaires. Mais, dans la crise de lʼété 1794, et surtout après son exécution, une légende noire prend forme. Le défi est dʼapprocher, au plus juste, la personne de Robespierre. Il sʼagit donc : 1-De rappeler lʼitinéraire personnel de Robespierre de 1789 à 1794 2-Dʼexaminer la construction de lʼimage de Robespierre et de la confronter aux faits.

Fils d'un avocat d'Arras, qui appartient à la petite noblesse de robe, il a perdu très tôt ses parents et a été élevé par son grand-père maternel, un brasseur d'Arras, prospère et pieux. Garçon solitaire au sourire rare, il effectue des études au collège des Oratoriens d'Arras et au collège Louis-le-Grand, à Paris. Parmi ses condisciples du lycée parisien figure Camille Desmoulins. Élève brillant, Robespierre est choisi pour prononcer un éloge du roi Louis XVI, un jour où celui-ci passe devant le collège.

Après ses études, il devient avocat comme l'était son père. Il vivote à Arras avec sa soeur Charlotte. Séduit par les écrits sentimentaux de Rousseau, introverti, studieux, il ne fréquente pas de femme et n'a guère d'amis. Il n'en est pas moins élégant jusqu'à la manie.

Au tribunal de l'Église où il plaide, il se signale par la défense du paratonnerre de mais quelques maladresses affectent le déroulement de sa carrière. C'est alors que surviennent les élections aux Etats généraux, en 1789. Sa vie bascule.

Élu député du tiers état d'Arras, Robespierre se montre discret à l'Assemblée mais assidu à un café de Versailles fréquenté par des députés bretons et auquel on donnera le nom de club breton. À l'automne 1789, le roi et l'Assemblée se transportent à Paris. Le club breton s'installe dans le couvent désaffecté des Jacobins (c'est aujourd'hui un immeuble commercial au milieu de la place du marché Saint-Honoré). Robespierre prend pension dans une modeste chambre chez le menuisier Duplay, rue Saint-Honoré, se vouant tout entier à la Révolution.Tandis qu'à la tribune de l'Assemblée, il suscite des ricanements avec sa voix éraillée et son emphase, il va donner toute sa mesure au club des Jacobins dont il devient le président le 31 mars 1790. Ce haut lieu de la Révolutionnaire est fréquenté par les députés comme par les artisans de la ville, les «sans-culottes», qui sont séduits par les discours bien préparés de Robespierre.

Son flair politique lui permet de suivre le courant révolutionnaire et d'exprimer les passions populaires tout en évitant de s'égarer dans les extrêmes. Son détachement des plaisirs terrestres refroidit les opposants et lui vaut le qualificatif d'«incorruptible défenseur du peuple».

178 Le rousseauisme de Robespierre se retrouve dans son idéalisme et par exemple son engagement contre la peine de mort : «Je viens prier non les dieux, mais les législateurs, qui doivent être les organes et les interprètes des lois éternelles que la Divinité a dictées aux hommes, d'effacer du code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques, et que repoussent leurs mœurs et leur constitution nouvelle.

Je veux leur prouver, 1° que la peine de mort est essentiellement injuste ; 2° qu'elle n'est pas la plus réprimante des peines, et qu'elle multiplie les crimes beaucoup plus qu'elle ne les prévient... » (discours du 30 mai 1791 devant l'Assemblée Constituante).

Absent de la plupart des journées révolutionnaires, il les théorise à merveille. Avant que l'Assemblée constituante ne se sépare, il suggère à ses collègues députés qu'il soit interdit à tous de se représenter dans la nouvelle Assemblée législative. Cette suggestion lui est inspirée par la méfiance que suscite en lui l'Assemblée issue des Etats généraux où dominent aristocrates et ecclésiastiques. La Législative est constituée par des hommes nouveaux.

Après la chute de la monarchie, Robespierre est à nouveau élu député et entre à la Convention le 20 septembre 1792. Il se hisse d'emblée parmi les chefs de file de la Montagne et se signale par son intervention du 3 décembre 1792 à la tribune de l'Assemblée avant le procès de Louis XVI. Il sʼoppose à la Gironde dont les chefs sont arrêtés puis éliminés avec le coup de force des sans-culottes les 31 mai et 2 juin1793.

L'«Incorruptible» va personnifier la Révolution à partir de son entrée le 27 juillet 1793 au Comité de salut public. Dans un célèbre discours du 5 février 1794, il en appelle à une terreur légitimée par la vertu : pour sauver la Révolution menacée de l'intérieur comme de l'extérieur.

Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur nʼest autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier, quʼune conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressants besoins de la patrie. On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme ? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis ; il a raison, comme despote : domptez par la terreur les ennemis de la liberté ; et vous aurez raison comme fondateurs de la République. Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. La force nʼest-elle faite que pour protéger le crime ? Et nʼest-ce pas pour frapper les têtes orgueilleuses que la foudre est destinée.

Hébertistes et «Indulgents» éliminés, la voix de Robespierre est la plus écoutée tant à la Convention quʼau Comité de salut public. Il sʼefforce de rassembler autour du culte de l'Être suprême.

Gagnés par la lassitude et la peur, rassurés par les victoires des armées françaises sur tous les front, les députés de la Convention finissent par s'insurger et décrètent l'arrestation de Robespierre et de ses proches le 9 thermidor An II (27 juillet 1794). L'«Incorruptible» est guillotiné le lendemain.

Mais, de son vivant, la construction dʼune «légende noire» est à lʼœuvre et sʼaffirme dans les mois qui suivent Thermidor. Elle sera appelée à jouer un rôle politique dans la période qui suit. 179 180 Avec l

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