1940, Il Y a Six Vols Par Semaine Dans Chaque Sens Entre Londres Et Alger, Assurés Par Air France (Dewoitine 338) Et La BOAC (De Havilland Flamingo)
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Mai 1941 5 – L’Orient compliqué Odeur de pétrole en Irak, odeur de poudre en Iran 1 er mai L’affaire d’Irak Front sud, 10h30 – Slim peut annoncer par radio que ses hommes se sont rendus maîtres de Kut. 11h00 – « 1916 is avenged » câble Quinan à Londres. Devant les Indiens, la 4e Division irakienne se replie en désordre sur tous les axes de communication, abandonnant ses armes lourdes sur les bas-côtés. Si certains ont pris des camions, des voitures particulières, voire des vélos, d’autres ont recours à des charrettes tirées par des mulets, voire à des bourricots, logeant les paquetages dans les couffins, s’ils ne les ont pas jetés. La RAF se contente de mitrailler les routes au petit bonheur, par acquit de conscience ou presque. Plus sérieusement, elle bombarde le PC irakien installé à la hâte sur le site de Ctésiphon où, jadis, les légions de Trajan et de Septime Sévère livrèrent de furieuses batailles. ……… Bagdad, 15h00 – Alors qu’une délégation de la communauté juive sort d’une entrevue avec le régent, elle est prise à partie par des groupes mêlant civils et militaires irakiens1. L’émeute dégénère rapidement en pogrom dans toute la ville. De nombreux Juifs sont tués ou blessés, leurs magasins et maisons pillés ; une synagogue est incendiée, les objets du culte détruits à la façon des nazis. La police n’intervient pas, certains de ses membres participent même aux exactions. Dans l’après-midi, les officiers britanniques de la 4e Brigade de Cavalerie pressent puis supplient le major-général Clark et Sir Kinahan Cornwallis d’intervenir. Mais Cornwallis rejette ces demandes, indiquant ne pas vouloir interférer dans les affaires intérieures irakiennes (!), ni risquer les troupes de Sa Majesté (le gros de la Habforce est d’ailleurs encore du côté de Fallujah) dans un combat de rues pour une affaire ne menaçant pas directement les intérêts de l’Empire. Plus prosaïquement, il s’agit peut-être de laisser la tension grimper entre les communautés pour mieux imposer l’ordre par la suite. Les consignes de Londres stipulent pourtant de rétablir au plus vite le calme dans le pays2. 2 mai L’affaire d’Irak Les historiens anglo-saxons, demeurés plus attachés que leurs collègues du Continent aux charmes et poisons de l’événementiel, débattent encore du moment précis de la fin de la crise irakienne : se termine-t-elle à la minute où le DH Dragon de l’Iraqi Air Force décolle de Rasheed Air Base pour emmener en Turquie Rachid Ali al-Gaylani et le grand mufti – soit le 30 avril 1941, à 06h45 ? Ou faut-il retenir, dans une vision conventionnelle, le moment où les officiels irakiens ont réclamé une trêve sur Washash Bridge, toujours le 30 avril mais un peu plus tard ? Doit-on suivre Lord Lothian qui, dans son Middle-East in Turmoil, 1938 - 19483, 1 Ces derniers ont abandonné leur uniforme, mais souvent conservé leurs bottes, ce qui les identifie à coup sûr. 2 Les archives britanniques concernant cet épisode sont classifiées jusqu’en 2017. 3 Le titre complet du livre, malheureusement non encore traduit en français, est Middle-East in Turmoil, 1938- 1948: a Study in British Mismanagement. Lord Lothian KCVO (1922-2004), officier des Scots Guards puis politicien et diplomate, fut l’auteur d’essais remarqués, dont une biographie parfaitement hétérodoxe de Montgomery. devenu un classique de l’historiographie d’outre-Manche, considère, lui, que les événements ne trouvent leur véritable conclusion que le 5 mai, avec la capture près de la frontière irako- iranienne des derniers militaires allemands en fuite ? Enfin, l’école française pense avoir des raisons de juger que l’affaire d’Irak n’est soldée que le 6, date d’une lettre personnelle de Winston Churchill à Paul Reynaud en vue, écrit le Premier ministre de Sa Majesté, « du règlement de questions irritantes pour nos deux pays ». Sans prétendre trancher ici cette querelle, il est sûr qu’après le 30, les quelques combats cités par l’Histoire ne peuvent être qualifiés, tout au plus, que d’escarmouches. ……… Bagdad – Par contre, l’histoire officielle britannique jette un voile pudique sur les violences antisémites qui se poursuivent à Bagdad et dans quelques autres localités, même si de nombreux musulmans n’hésitent pas à cacher et soigner des Juifs. Il apparaît que ces persécutions étaient prévisibles, sinon préméditées. Les maisons des Juifs avaient été marquées depuis quelques jours d’une main rouge peinte par les jeunes du mouvement de jeunesse Al-Futuwwa (inspiré des Jeunesses Hitlériennes, Al-Futuwwa compte plusieurs milliers de membres). Les derniers prêches du grand mufti, accusant les Juifs d’avoir renseigné les forces britanniques, ont suffi à déclencher la haine de la population et surtout des trop nombreux soldats irakiens réfugiés dans la ville. Vers 15h30, avec l’arrivée des premiers éléments de la 10e Division Indienne, l’ordre est enfin donné de sécuriser la capitale irakienne. Pénétrant immédiatement dans la ville, les soldats britanniques, frustrés d’avoir dû se contenter jusqu’à présent d’observer les violences sans pouvoir réagir, n’hésitent pas à ouvrir le feu sur tous ceux qui tentent de s’opposer à eux. À 17h, le couvre-feu est annoncé à la radio et par haut-parleur ; des dizaines de contrevenants seront abattus sans sommation. Dans la nuit, le calme revient peu à peu. Cet épisode tragique, qui sera dénommé Farhoud (« dépossession violente ») dans la mémoire collective juive, fait officiellement environ 200 morts et un millier de blessés, mais en réalité probablement plus du double. C’est le début de la disparition de la communauté juive d’Irak, vieille de plus de 2 500 ans. Dans les années qui suivront, la majorité s’exilera – de gré ou de force. ……… Front du sud – Les 20e et 21e Brigades Indiennes poursuivent leur progression vers le nord. Il n’y a plus trace de la 4e Division irakienne, comme volatilisée. Tout juste si quelques irréductibles, conduits par un colonel ombrageux, se feront encore tuer avec courage à Ctésiphon. ……… Front “français” (nord), 06h30 – Larminat, sans daigner donner d’explications, annule à la dernière minute ou presque la poussée prévue en direction de Daquq. Officiellement, l’offensive est seulement reportée au lendemain. Plus tard dans la journée, Larminat laissera entendre aux chefs de ses trois GT que la révision des avions de la FAML prend plus de temps que Stehlin ne l’avait espéré et qu’il attend de pouvoir bénéficier d’un appui aérien. En réalité, Massiet, sur les instructions d’Alger, a ordonné à son subordonné de se limiter désormais à des activités de patrouille et de laisser les Britanniques – s’ils le souhaitent autant qu’ils le disent – se colleter avec la 2e Division irakienne. Pour sa part, Stehlin, de plus en plus inquiet de la fatigue de ses hommes et de l’usure de ses matériels, n’est pas mécontent de limiter l’action tactique de son escadre à quelques vols de reconnaissance pour la forme, outre une veille de chasse minimale confiée à une section de deux Morane 406. 12h15 – La Légion sait prendre soin de ses soldats : en témoigne éloquemment l’arrivée à Mossoul du BMC de Palmyre. Les douze pensionnaires de Mme Dublanc, née Korkiewicz, ont rejoint l’Irak en six jours par la route, à bord de deux autocars Isobloc transformés par un garagiste de Damas en maisons de passe roulantes4. Mme Dublanc, surnommée par antiphrase la Grosse Wanda en raison d’une maigreur pathologique, a pris part à sa manière – « à l’horizontale » dit-elle avec le sourire – à la conquête du Maroc, puis à la guerre du Rif, avant d’accéder, à la satisfaction générale, à un poste de responsabilité5. La venue de son établissement va contraindre les commandants de Serrien-Jussé et de Kühlbach à établir un tour de service par CPLE et à organiser une navette par camions, sans oublier de mettre en place un poste prophylactique. ……… Londres, 19h00 – Le journal parlé de la BBC annonce la fin des hostilités en Irak. Cette nouvelle a d’abord été diffusée par Reuters, qui a battu de deux minutes Havas Libre et Associated Press. Dans les pubs de la capitale de l’Empire – et ailleurs – l’ale et le stout couleront à flots ce soir. Ce n’est pas tous les jours qu’on enlève une capitale ennemie ! ……… Bagdad, 19h30 – Arrivant d’Habbaniyah où il a été amené par un Audax de la RAF, le lieutenant-général Quinan fait son entrée dans la ville en cabriolet Rolls-Royce sans capote, escorté d’une douzaine de motocyclistes. 20h30 – Suivant les instructions de Wavell (qui n’a pas, sur ce point précis, demandé l’avis de Whitehall), Quinan se proclame gouverneur de l’Irak au micro de l’Iraqi Broadcasting Corporation. L’émission est captée par les stations de Damas et de Beyrouth qui la résument à l’attention de Massiet et Larminat, comme du haut-commissaire Puaux. Alger est informé peu après 22h30. 22h00 – La famille royale irakienne est de retour à Bagdad. Le régent espère ainsi contribuer à ramener le calme dans la capitale. 3 mai L’affaire d’Irak Bagdad – Le calme règne à nouveau dans la ville, où le lieutenant-général Quinan entend au plus vite déployer une garnison de nature à dissuader les nationalistes de s’opposer au retour du British Rule. Montées du sud ou venues de l’ouest, les troupes britanniques patrouillent dans les rues et tiennent les carrefours. Elles aménagent déjà leurs cantonnements comme si elles devaient ne jamais plus quitter l’Irak. Les Irakiens pourront rapidement distinguer qui gouverne vraiment leur pays et à qui Londres concède le droit de paraître – et encore – l’administrer.