Manoel De Oliveira
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Manoel de Oliveira Ce numéro a été publié avec le concours de l’Institut Camões/Lisbonne et Paris et de la Fondation Calouste Gulbenkian, Paris. Remerciements à Jacques Parsi. L’art du cinéma L’art du cinéma n°-21/22/23 objectifs automne 1998 L’art du cinéma s’est constitué en 1993 autour de la conviction que la situation actuelle du cinéma (où dominent les académismes et l’opinion reçue que le cinéma doit refléter la réalité) rend nécessaire un accompa- gnement théorique rigoureux des rares manifestations contemporaines du cinéma comme art. Nous entendons par art une forme de pensée autonome et singulière, – une pensée qui agit par les émotions : ce sont les émotions qui produisent SOMMAIRE des idées. Ce qui veut dire que les idées ne préexistent jamais aux films. Ce ne sont pas, par exemple, des idées philosophiques ou politiques, etc., qui seraient incarnées ou illustrées dans les films. Les idées que les films produisent par les émotions, ce sont des idées que seules ces émotions- là peuvent susciter, et ces émotions, seul le cinéma peut les susciter : ce sont ces idées-cinéma que nous essayons de saisir et de décrire à travers Introduction ..................................... ......................... 5 les opérations spécifiques qui les produisent. Le repérage de ces opérations nous amène à repenser l’histoire du Filmographie commentée ......................................... 9 cinéma en dehors de tout historicisme (notamment en dehors de tout découpage chronologique ou national). Nous parlons essentiellement de Douro, travail fluvial 9 films plutôt que d'auteurs ou de mouvements, parce qu'il n'y a pas d'art Houille blanche / Statues de Lisbonne 13 en dehors des œuvres, et que les œuvres se suffisent à elles-mêmes. Le Portugal fait déjà des automobiles / Chaque numéro de la revue (qui paraît cinq fois par an) est organisé autour Miramar… / Famalicão 14 d'un thème (cf. le sommaire des anciens numéros), point d'unité à notre tra- Aniki-Bóbó 15 vail qui nous sert d'outil commun de réflexion pour aborder les films. Le peintre et la ville 22 Le cœur 28 Le pain 29 L’art du cinéma – publication de Cinéma Art Nouveau, association loi de 1901 11, Les peintures de mon frère Júlio 31 passage St-Pierre Amelot 75011 Paris Acte du printemps 32 Directeur de publication : Denis Lévy La chasse 34 Comité de rédaction : Élisabeth Boyer, Emmanuel Dreux, Annick Fiolet, Denis Lévy, Dimitra Panopoulos. Vila Verdinho 41 Collaborateurs permanents : Alain Badiou, Slim Ben Cheikh, Frédéric Favre, Daniel Le passé et le présent 42 Fischer, Charles Foulon, Aurélia Georges, Kim McKirdy. Benilde ou la vierge mère 44 Mise en page : Denis Chevalier Amour de perdition 51 On peut consulter, entre autres informations utiles sur le cinéma, le texte des anciens Francisca 54 numéros de L’art du cinéma sur Internet : www. imaginet. fr/secav. Lisbonne culturelle 63 Revue publiée avec le concours du Centre National du Livre. La visite/Mémoires et confessions 64 Impression : Rafal – 67, bd Henri Barbusse – 78-210-st Cyr-l’École N°ISSN : 1262-0424 Nice… à propos de Jean Vigo 65 Introduction Réflexion de Manuel Casimiro – à propos du drapeau national 66 Le soulier de satin 69 Manoel de Oliveira et le cinéma portugais Mon cas 76 Symposium international… 93 Les canibales 94 Il y a eu, dans les années 70 et 80, une constellation singulière de Non ou la vaine gloire de commander 108 films, identifiée avec pertinence par Jacques Lemière1, sous la simple La Divine Comédie 119 dénomination de “cinéma portugais”, comme le résultat d’une triple volonté : invention artistique, résistance à la normalisation industrielle, Le jour du désespoir 123 et interrogation sur la question nationale portugaise. Val Abraham 129 Dans cette configuration portugaise de la modernité cinématogra- La cassette 138 phique, l’invention se pratique sous les formes (qui s’avèrent multiples) Le couvent 144 d’une impurification du romanesque par le théâtral et le poétique. C’est Party 145 une caractéristique essentielle, même si ce n’est pas la seule. Voyage au début du monde 159 Comme pour ses contemporains européens (Straub, Syberberg, Inquiétude 162 Godard…), sa modernité est soustractive : il s’agit de soustraire les films à tout système – industriel, de représentation, d’identification… Elle est contemporaine de la révolution du 25 avril, qui libéra de nombreux cinéastes de la censure politique et économique du régime Projets publiés, pièce de théâtre ...... ..................... 170 salazariste. Enfin, ces films (dont les auteurs ont nom Paulo Rocha, João Botelho, Acteur, collaborations ........................................... 171 João César Monteiro, Antonio Reis et Margarida Cordeiro…) se situent tous dans la postérité de ceux de Manoel de Oliveira, au sens où ils sem- blent poser le cinéma inventé par Oliveira comme une borne en deçà de Bibliographie ........................................................ 172 laquelle il ne saurait être question de revenir : ils prennent nécessairement position par rapport à ce cinéma. L’œuvre de Manoel de Oliveira est donc l’événement fondateur de ce grand moment du cinéma portugais, – elle Émissions de radio ................................................ 183 en est aussi, à l’heure actuelle, un des ultimes bastions de résistance. Mais cette œuvre ne vaut pas seulement par sa postérité, qui du reste n’aurait pas lieu d’être sans sa puissante vitalité artistique, dont la faculté de renouvellement permanent est étonnante. C’est cette extrême diversité que nous avons choisi de souligner en adoptant pour cette étude la forme d’une filmographie commentée, qui Filmographie établie par Jacques Parsi privilégie moins la continuité que les étapes d’une trajectoire, moins ce Bibliographie établie par Pierre Da Silva et Slim Ben Cheikh qui se répète que ce qui varie. Nous ne prétendons pas tracer le portrait d’une personnalité (encore que l’homme nous soit très cher), mais le profil Commentaires rédigés par Alain Badiou, Slim Ben Cheikh, d’une œuvre. Nous avons donc préféré parler de chaque film2 dans sa Elisabeth Boyer, Ludovic Colin, Pierre Da Silva, Emmanuel singularité, sous un angle précis et limité, plutôt que de généraliser sur Dreux, Frédéric Favre, Annick Fiolet, Daniel Fischer, Aurélia l’ensemble selon la thématique ou le style, – ce qui s’est déjà fait par Georges, Denis Lévy, Jacques Parsi. ailleurs.3 4 L’art du cinéma n°21/22/23 – Manoel de Oliveira 5 Les tentatives de périodisation de l’œuvre ont été diverses. On La troisième période, qui s’ouvre avec Non ou la vaine gloire de s’accorde en général pour reconnaître, dans la période qui va de Douro commander (1990) et qui est toujours en cours, est moins facile à nommer. (1931) à Acte du printemps (1963), la prédominance du souci docu- Elle se caractérise par une invention libre et variée, où les acquis des mentaire et de son corollaire, le montage ; il faut préciser qu’il s’agit périodes antérieures sont redisposés, mais conservés. Ainsi, la théâtralité, surtout du montage de la réalité et de la fiction, ou de la construction si elle est moins frontalement visible, est toujours inscrite, au moins d’un effet de réel (montage doit donc être entendu au sens large). Quant en filigrane, dans les films : Inquiétude est sur ce point exemplaire, le au documentaire comme genre, on sait aussi que c’est souvent le refuge théâtre ne s’y révélant qu’après coup, quand le rideau tombe. De même, des cinéastes hors système. Du reste, à l’exception des courts métrages demeure l’interrogation sur le Portugal et sur l’être portugais au-delà du de commande des années 30 (que le cinéaste ne reconnaît guère pour romantisme, comme en témoignent fortement Non ou Le jour du désespoir, siens), aucun “documentaire” de Manoel de Oliveira n’est entièrement mais elle prend parfois des détours inattendus : Dostoïevsky (La divine exempt de fiction, et mis à part Le pain et Lisbonne culturelle, aucun n’a comédie), Flaubert (Val Abraham) ou Gœthe (Le couvent) ; et Voyage au de propos véritablement didactique. Disons que plus largement, c’est début du monde dit ce détour lui-même. une période où le cinéaste fait le tour des possibilités de la prise directe, En opposition, en revanche, à la période précédente, marquée par le du prélèvement sur la réalité, et notamment de ses possibilités poétiques. décor artificiel du studio et de la scène, les films de la période actuelle, (De ce point de vue, ses films s’apparentent aux recherches contempo- souvent en décors naturels, manifestent le retour en force des paysages, raines sur le montage poétique documentaire de Vertov ou de Ruttmann.) qui assignent plus concrètement le pays, même quand ils sont traités La chasse, qui inverse le rapport entre fiction et documentaire, peut être comme une scène de théâtre (La cassette). De même, ces films sont plus vu comme l’aboutissement de cette recherche. directement contemporains de leur époque, que ce soit par la situation présentée ou par l’abord frontal des questions. La seconde période, dont le début est aisément repérable par le silence Or, en même temps qu’ils deviennent plus concrets, plus proches des de six ans qui le précède dans la filmographie de Manoel de Oliveira, est choses, les films de Manoel de Oliveira réussissent à être tout aussi abs- classiquement mise sous le signe des “amours frustrées” (pour reprendre traits que les précédents, aussi détachés des objets, des représentations, les termes du cinéaste lui-même). S’il est vrai que depuis Le passé et le du sens. C’est dire que son cinéma, plus que jamais, est un cinéma poé- présent (1971) et jusqu’au Soulier de satin (1985), voire Les cannibales tique, dans toute la diversité qui le caractérise : chaque nouveau film est (1988), le thème est récurrent, du point de vue de ses principes formels, une surprise, en même temps qu’un enchantement profond.