La République en ballottage

L es l ie u x de l ’été L e T ibe t À LA RECHERCHE DU S hâNGRILA PERDU AOÛT 1996, 5000 L.L. N o 9. ao û t 1996

So m m a i r e VOICE OF AMERIKA: LE BIBI SHOW 26 D E VISU : À LA RECHERCHE DU SHAN- GRILA PERDU 28 SHOW-OFF OU SHOW-BIZ 48 EXTRÊMES: TERRE EN Ont contribué SU RSIS RANCIS à ce n um éro 52 F LA RÉPUBLIQUE EN BALLOTAGE 5-24 Hanane Abboud, Ziad BACON: LA DERNIÈRE N. Abdelnour, Paul LE PARLEMENT DE 92: ŒUVRES COM- Achkar, Jamal Asmar, TENTATION DU CORPS Médéa Azouri, Chris- PLETES SIMON KARAM: POUR tophe Ayad, Nabih Badawi, Nadine Che- 60 SÉLIM BARAKAT, L’UNITÉ DES OPPOSITIONS 16 hadé, Mona Daoud, UE FAUT IL EN ATTENDRE SSAM Sophie Dick, Jabbour LE KU RDE ET LA Q - : I Douayhi, Anthony N AAMAN, MICHEL SAMAH A, BOU- Karam, Simon Karam, BALEINE 67 BONNES Houda Kassatly, TROS H ARB ENJEUX ET SURPRISES: Mazen Kerbaj, Charif Majdalani, Farouk FEU ILLES: LA CAVE MONT-LIBAN, BEYROU TH , NORD Mardam-Bey, Marie Matar, Nada Moghay- DU H O LID AY 68 zel Nasr, Nada Nas- LES LIEUX DE L’ÉTÉ sar Chaoul, Reina 34-46 Sarkis, Farès Sassine, H UGO PRATT: VENISE Michèle Standjovski, BROUMMANA: ETDIREQUEC’ÉTAIT Jade Tabet, Joëlle N ’EST PAS EN ITALIE Touma, Michael LA VILLE DE MON PREMIER AMOU R Young 76 SAVEURS: D E LA D ERNIER TANGO À SOFAR D HOUR- FIGU E 84 CARTE CHOUEIR: N OUS N’IRONSPLUSAU

L’O RIENT-EXPRESS, BOIS KESROU AN: L’AU TARCIE IMM. MEDIA C ENTRE, POSTALE: PARIS LIBÉRÉ ACCAOUI, TRANQU ILLE LE JARD IN D ’EHDEN B.P. ACHRAFIEH 166495 86  LE COIN DES TÉL.: (961-1) 201942 Q ARAOU N: LA MAGIE DU LAC FAX: (961-1) 217093 BU LLES: BRAINSTOR- MING 92  PSYCH OW: LE BON, LA BRU TE ET LE TRU AND 94

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L’O RIENT-EXPRESS, MAGAZINE MENSUEL DE L’O RIENT-LE JOUR, EST ÉDITÉ PAR LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE DE PRESSE ET D’ÉDITION, S.A.L. Rédacteur en chef Rédaction Direction artistique Photos Photogravure Samir Kassir Carmen Abou-Jaoudé Émile Menhem Victor Fernainé Vartan Directeur Omar Boustany Maquette Houda Kassatly Impression Camille Menassa Coordination Secrétaire de rédaction Chantal Rayes Edouard Chaptini AFP Joseph Raïdy Tamima Dahdah Caroline Donati Publicité Pressmedia Tamam S.A.L.

L’ORIEN T-EXPRESS 3 a o û t 1996 Législatives 96

Cette année, le mois d ’août est encore plus chaud. Chaleur des batailles électo­ rales dont on avait oublié le goût. Chaleur des enjeux surtout que ne refroidit aucunement le verrouillage politique du Parlement à venir. Car, entre les loya­ listes qui s’inventent tous les jours des lignes de clivage, les opposants qui prô­ nent une participation combative et ceux qui ont choisi, une nouvelle fois, le boy­ cott, c’est l’avenir de la République qui est en ballottage. Première instance à statuer, le Conseil constitutionnel appelé à rendre une décision historique pour l’avenir de l’État de droit. Mais, quelle que soit sa décision, c’est à l’ensemble des citoyens qu’il reviendra en définitive de trancher.

L'ORI ENT-EXPR.ESS 5 AOÛT 1996 a 1 E » r i o Sa mir Ka ssir

e ministre de l’Intérieur Cette opposition n’a pas été L EN GUERRE contre une élue com m e telle, elle s’est association civile qui milite constituée progressivement pour la transparence du processus électoral, s’il fallait l’inventer, on n ’aurait pas su trouver m eilleur Voilà au moins un enjeu clair: symbole de la légèreté de l’engagement la présence au Parlement d’une démocratique des gouvernants. Il est vrai qu’ils n’en sont plus à mettre des masques et que, s’agissant minorité qui se pense désormais d’élections, la transparence n’est pas leur premier comme une opposition souci. Transparence? C’est quoi ça? Parlez-leur dans le combat parlementaire, dans la recherche d’arrangem ents en coulisses, de m anipulation de d’alliances. Et c’est seulement au terme de la candidatures, d’abus de pouvoir, de découpage sur législature que l’action cumulée des députés mesure et de prêt-à-voter, ça, ils savent faire. Et ne opposants, chacun avec son individualité, en vient à s’en cachent pas. Voilà la transparence made in définir une option réformiste plus cohésive, : l’opinion publique, le droit des gens, la maintenant proposée aux électeurs. Bien sûr, cette liberté de choix, je m ’en fous et je le m ontre. option aurait été m ieux perçue si les élections Difficile dans ces conditions de garder intactes ses avaient lieu dans d’autres conditions, s’il y avait eu convictions démocratiques et de continuer à croire assez de temps entre l’adoption de la loi électorale et aux vertus des batailles électorales. Et pourtant, il le les dates du scrutin pour forger des alliances à faut. N on pour cultiver l’illusion d’un changem ent l’échelle nationale, si le découpage imposé n’avait immédiat. M ais, parce qu’il faut bien poser une pas été expressément pensé pour favoriser dans prem ière pierre quand on veut construire. chaque circonscription les piliers du système. Mais La deuxième pierre, plus exactement. Car, quoi on ne choisit pas toujours ses armes. qu’en disent les sceptiques, la première pierre a été Voilà donc au moins, dans ces élections si floues, un posée dans le Parlement de 1992, si mal élu qu’il ait enjeu clair: assurer la présence au Parlement d’une été, par cette minorité de députés qui, à un moment m inorité qui se pense désorm ais com m e une ou à un autre, ont su dire non. Non à l’amendement opposition et agit comme telle. Oh! il est bien sur mesure de la Constitution, non aux dérives modeste. Et bien moins grisant que les fantasmes de liberticides du gouvernem ent, non à une loi «libération» dont se gobergent d’éternels Don électorale en forme de patchwork. Q u’ils n’aient pas Q uichotte de la politique. Il faut dire aussi que toujours eu gain de cause n’entam e pas leur crédit. l’objectif à atteindre serait moins m odeste et, en tout C ’est ce que m ontre d ’ailleurs le ralliem ent à cette cas, plus facilement réalisable si cette autre démarche de nombreuses personnalités qui ont tiré opposition n ’avait pas pris le parti d ’une politique les leçons de l’erreur de 1992. À l’inverse, il est adolescente. Mais, comme s’il ne suffisait pas de se piquant de voir com m ent les opposants au système battre contre un pouvoir protégé par sa situation détournent l’action de cette m inorité parlem entaire. d’exception, il faut aussi se garder des attaques par Au lieu d’appeler à la récompenser, ils cherchent derrière. Si l’opposition de «l’extérieur» avait choisi argument dans ses échecs ponctuels pour la un boycott sélectif, en prônant l’abstention là où ne pénaliser. Ce qui ne les empêche pas, mais ils n ’en s’offre aucun choix réel mais en recommandant la sont plus à une contradiction près, de se féliciter de participation là où il est possible de défaire des la saisine du Conseil constitutionnel par ces députés symboles du pouvoir, là on aurait pu comprendre et qu’ils feignent de mépriser. même approuver. D’ailleurs les électeurs, eux, vont le pratiquer spontanément, ce boycott sélectif. D ans le faux procès qui est fait à l’opposition parlementaire, une donnée majeure est oubliée. D ans le débat sur le boycott ou la participation,

L’ORIENT-EXPRESS ^ AOUT 1996 quelque chose sonne faux. Trop d’emphase! Trop de Taëf. M ais cette conviction pourra-t-elle durer belles phrases! Trop de noirceur aussi. Car, si les éternellement chez les musulmans si les chrétiens, choses étaient aussi noires que le prétendent les eux, choisissent de déserter le Liban réel pour se chevaliers du boycott, pourraient-ils eux-mêmes réfugier dans la nostalgie amère d’un Liban s’exprimer avec autant de virulence? A moins qu’il imaginé? faille y voir autre chose, c’est-à-dire une connivence, Certes, tout le monde dans ce pays ne pense pas il n’y a pas d’autre mot, entre le pouvoir et ceux qui l’appartenance nationale en termes de dichotomie se disent ses adversaires les plus résolus. Bah! cela religieuse. Et c’est tant m ieux, car il n’est pas d ’autre montre après tout que même les «purs» savent, voie pour construire un avenir commun à tous les quand ils le veulent, faire des com prom issions. citoyens. M ais si l’on veut y arriver un jour, et pas L’essentiel, n ’est-ce pas, c’est que les «traîtres» trop tard, il faut dès m aintenant travailler sur ce qui paient le crime de lèse-majesté. On connaît des est com m un, et rien autant que les élections ne m otivations plus honorables. M ais, dans cette permet la construction de ces réseaux attitude, il y a plus grave qu’un opportunism e transcom m unautaires sans lesquels il n’est pas de ponctuel: il y a que les adversaires du système, si salut. C ’est là une raison de plus, et peut-être la plus véhéments qu’ils puissent paraître, finissent par y im portante, pour ne pas déserter l’espace public au adhérer quand ils acceptent que rien ne soit fait pour moment de l’échéance. Il sera toujours temps ensuite l’am ender. Tout ou rien, telle est de songer à la présence syrienne. la devise. Comme si le «tout» Les adversaires du était encore possible! O n peut néanmoins en parler Soyons clairs: ce ne sont pas les système, si véhéments DÉJÀ, DE CETTE FAMEUSE données internationales et qu’ils paraissent, finissent «présence». Pour dire deux régionales, ce n’est pas la choses. Premièrement que, si le puissance de la Syrie, ce ne sont par y adhérer quand ils pouvoir syrien cherchait à tout pas les armes qui rendent ce acceptent que rien ne soit prix à «dissoudre» l’identité «tout» im possible. C ’est fait pour l’amender libanaise, selon la formule l’identité même des tenants du favorite des tenants du boycott, tout ou rien. M ême s’ils n’étaient pas ces politiciens il aurait pu trouver des moyens autrement expéditifs faillis ou démissionnaires, ils ne pourraient pas et ce n’est pas l’Occident qui l’en aurait empêché. utilement conduire la lutte pour le changement. Deuxièmement que le terme d’«occupation» paraît Soyons encore plus clairs: l’heure où un front un peu court pour caractériser ce réseau complexe chrétien pouvait prétendre résumer à lui tout seul le d’intérêts et de liens, pas toujours nets, qui Liban - ou le revendiquer pour lui seul - est passée. configurent aujourd’hui les relations libano- La prétention d’un certain milieu chrétien à se poser syriennes. Il ne s’agit pas ici de laver la Syrie d’une comme le défenseur exclusif de la souveraineté et de tache ou de défendre ses «réalisations» libanaises, l’indépendance a toujours été inconvenante, en plus mais tout sim plem ent de rappeler que la focalisation d ’être périlleuse. Elle est aujourd’hui totalem ent sur les notions d’«occupation» et de «libération» improductive. Et reste tout aussi dangereuse. empêche de comprendre la situation d’aujourd’hui et, par conséquent, de trouver la voie adéquate pour Q u’on s’en lamente ou qu’on s’en félicite, il faut réaliser un vrai changement et parvenir à une bien finir par l’admettre: le Liban a changé et cela indépendance concrète. n ’a rien à voir avec la présence syrienne. Que les Cette voie, elle passe plus sûrement par la chrétiens aient été à l’origine de cet Etat, qu’ils aient constitution d’un État de droit, que ne veulent ni les longtemps représenté le noyau du pays, nul ne songe gens au pouvoir ni leurs associés/protecteurs, que parm i les m usulm ans à le contester, et c’est d’ailleurs par une fuite en avant. En dehors des institutions. Et l’une des significations profondes de l’accord de des réalités.

LORIENT-EXPRESS y AOÛT 1996 * • Le Parlement de 92: œuvres complètes

FARÈS SASSINE I LA LÉGISLATIVE 1992-1996 M’ÉTAIT députés), marque un taux record de renou n’aura pas d’ailleurs été étranger à «l’édu SCONTÉE... ou plutôt si elle pouvait vellement de ses membres (82,8%) et cation» du président du Conseil. Face à m’être relatée, à la manière des mytho accueille pour la première fois, ou pour la l’Assemblée impossible à dissoudre, il y a le logues, en une réponse (ou un ensemble de première fois en aussi vaste représentation, gouvernement impossible à répudier. Mais réponses) à une seule question, celle-ci mouvements intégristes musulmans et par l’entente, franche ou directe, n’est pas de pourrait être formulée comme suit: dans tis tenus jusque-là à l’écart de la légalité rigueur. un régime parlementaire (constitution libanaise (PPS, Baas...). L’accord d'entente Accusés dans leur représentativité et face à dixit), que peut faire une Assemblée quand nationale de 1989 a confié à la nouvelle un gouvernement qu’ils ne pouvaient ni lui est retiré le droit de poser la question de législature certaines tâches (celle de former choisir ni répudier, les députés de la nou confiance au gouvernement? un comité national chargé de mettre en velle législature, pour asseoir la légitimité Qui lui a retiré ce droit? Qui vous savez! voie la déconfessionnalisation politique du de leur Assemblée et pour séduire un élec Mais vous avez de bonnes raisons de l’ap régime, entre autres) et a requis d’elle de torat capable de les perpétuer dans la peler les «nécessités régionales», cela ne mettre au jour, en collaboration avec le classe dirigeante, voulurent donner de la compromet pas et fait propre et profond. gouvernement, les réformes décidées: for place de l’Étoile l’image d’une «ruche». Le Mais alors, en veut-on à cette Assemblée? mation d’un Conseil constitutionnel et mot eut son heure de gloire et les télévi Ces «nécessités» s’acharnent-elles à la d’un Conseil économique et social, décen seurs renvoyaient aux spectateurs, les soirs dépouiller de ses fonctions? Pas du tout. Le tralisation administrative, réformes de de jours non fériés, des images d’arrivées, Parlement, foyer central du régime poli l’éducation et de l’information... De plus de départs, de poignées de mains et de tique libanais, hier encore ultime rempart (et surtout!), les gouvernements Hariri qui séances laborieuses. Les commissions contre l’extérieur au cru de Michel Chiha, allaient avoir «sa» confiance et prendre en auraient tenu, au dire du président Berry, est le moyen éprouvé d’avoir le gouverne charge la reconstruction du pays, après 726 réunions durant les trois premières ment et même l’ensemble de l’exécutif, pré tant d’années de guerre ravageuse, bénéfi années de la vie de l’Assemblée et le député sident de la République compris, à sa cièrent, essentiellement par le moyen de Merhej se faisait fort d’affirmer que la merci pour le cas où d’omniprésentes dettes extérieures, de capitaux aux mon commission des Finances a tenu 32 lignes rouges seraient transgressées... ou tants énormes aux flux desquels nul ne réunions échelonnées sur trois mois pour risqueraient de l’être. Mais reprenons le pouvait rester indifférent. étudier, dans ses infimes détails, le budget récit à la source. Deux notes complémentaires sont impor de l’année 1996. Durant l’été 1992, une Assemblée a été tantes pour comprendre la suite. Première Les travaux préliminaires ne sont pas les élue dans des circonstances si suspectes que ment: le gouvernement et l’Assemblée ne seuls à parler en faveur de l’Assemblée. Le d’aucuns ont crié au «putsch électoral». sont pas relayés, comme dans tous les nombre des séances plénières (45 séances Dans le contexte d’une massive présence régimes parlementaires, par une majorité de législation et 6 séances de débats géné armée non libanaise, les votants ont été soutenant le gouvernement, ou plutôt, la raux durant les trois premières années) et moins nombreux qu’à l’ordinaire (30%) confiance massive dont bénéficie le pre le nombre des lois (269 pour la même mais plus que ne l’admettent les boycot- mier gouvernement Hariri (104 voix pour, période) plaident aussi sa cause. Désor teurs (13%). Le déroulement du scrutin, le 12 décembre 1992) et celle, bien mais, les budgets sont votés dans les surtout à Baalbeck et au Sud, s’est fait dans moindre et comme traînant des pieds, formes et les délais prévus. De «grandes» la liesse (ou la terreur, c’est selon) d’une accordée au second (76 voix pour, le 6 juin absence de légalité. Enfin et surtout, si les 1995) sont là pour attester que la majorité chrétiens n’eurent pas le monopole du boy appartient à un troisième baron, véritable cott, ils s’estimèrent, plus que d’autres, non maître du jeu. Il s’ensuit que le gouverne représentés dans le nouveau Parlement ment et le Parlement seront longtemps per (6,52% de participants à Jbeil, 14,89% au çus comme deux institutions dissociées, Metn...). totalement indépendantes l’une de l’autre, Or cette Assemblée née d’un ventre adulté voire antagonistes. On verra les hommes rin (l’histoire libanaise en a connu d’autres, politiques prendre parti pour l’une ou diront ses partisans) affirmait des traits l’autre instance, les uns parlant de «régime propres et ne tombait pas au milieu de d’Assemblée» et les autres de «dictature du vaches maigres, encore que parfois folles. gouvernement». Deuxièmement: la péren Elue sur les bases de l’accord de Taëf nité du gouvernement Hariri ou plutôt de (article 24 de la nouvelle Constitution: Hariri comme système de gouvernement parité de la représentation des chrétiens et ne s’imposera comme option «régionale» des musulmans), la nouvelle Assemblée, la irremplaçable qu’après maintes «retraite», plus nombreuse de l’histoire libanaise (128 démission et mise au pas. Le Parlement

L'ORIENT-EXPRESS g AOÛT 1996 lois ont été promulguées: celles concernant le Conseil constitutionnel, le Conseil éco Pour sortir les sortants,... ou les récompenser nomique et social, l’audiovisuel, l’émission Voici la liste des députés élus en 1992. Pour Hamadé, Walid Joumblatt, Alaeddine Terro par satellite... Le président Berry peut quoi faire? Parce que, parmi ces noms, il en est Jbeil s’écrier du haut de sa tribune le 17 octobre peut-être que vous ne découvrez qu’aujour- M ahmoud Awad, Maha Khoury-Assaad, 1995: «L’actuelle Assemblée que j’ai l’hon d’hui, tant leurs détenteurs ont été discrets Michel Khoury neur de présider offre un modèle pour durant ces quatre années. Alors, si vous êtes M etn électeur là où ils se représentent, ou si vous Riad Abou-Fadel, Ghassan Achkar, Auguste l’institution législative au Liban quant à avez des amis dans cette situation, faites tout Bakhos, Chahé Barsoumian, Michel M urr, l’effort, au travail, au don de soi et à la pré pour qu’ils ne soient pas réélus. Idem pour Habib Hakim, Nassib Lahoud, Michel sence.» Le député Naaman avait bien dit: ceux dont vous estimez, en relisant leurs noms, Samaha «C’est la plus productive des Assemblées.» qu’ils ne méritent pas d’être vos représentants. Kesrouan En revanche, si vous refaites bien vos comptes, Farès Boueiz, M ansour al-Bone, Elias al-Kha- Mettons le stakhanovisme à part: il rap vous trouverez une poignée de parlementaires zen, Rochaid al-Khazen, Camille Ziadé pelle les occupations de Marthe! Ne cher qui ont sauvé l’honneur de l’Assemblée de chons pas à démêler l’apport des parle 1992 - et celui des citoyens du même coup - et Sud qui méritent que vous fassiez tout pour qu’ils Bint-Jbeil mentaires de celui des deux ne soient pas emportés par la médiocrité ou Hassan Alawieh, Abdallah al-Amme, Ayoub gouvernements. Ne jouons pas à juger à l’abandon. Hmayed leur vraie valeur les lois votées. Reconnais Jezzine sons que les députés ont soutenu certaines Beyrouth Samir Azar, Sleiman Kanaan, Nadim Salem Asmar Asmar, Khatchig Babikian, Mohamed Marjeyoun catégories professionnelles contre une poli Berjaoui, M ohamed Youssef Beydoun, Noni- Saïd al-Assaad, A nouar al-Khalil, Assaad Har- tique gouvernementale qui n’était rigou jian Demerdjian, Yéghia Djerjian, Sélim Hoss, dan, Habib Sadek, Ahmad Soueid reuse qu’à leur égard et qu’ils ont voulu Oussama Fakhoury, Agop Tchoukhaderian, N abatieh Mohamed Kabbani, Souren Khanamirian, Imad Jaber, M ohamed Raad, Abdel-Latif Zein faire bénéficier toutes les régions libanaises Ghassan M atar, Béchara Merhej, Joseph Saïda (avec des réussites inégales) des projets Moghayzel, remplacé par Nasri M aalouf en Bahia Hariri, M oustafa Saad publics. juin 1995, Issam Naaman, Zouheir Obeidi, Tyr Si le Parlement a vu son image se détério Rachid Solh, Adnan Traboulsi, Najah Wakim Ahmad Ajami, Mohamed Abdel-Hamid Bey­ doun, Ali al-Khalil, Mohamed Fneich rer, c’est principalement en raison de la Békaa Zabrani distance grandissante entre les discours de Baalbeck-Hermel Nabih Berry, Michel Moussa, Ali Osseiran ses ténors et leur comportement. Acte I: le Ibrahim Bayan, Yehia Chamas (en détention), Président Berry affirme, à l’aube de l’année Mounir Houjairi, Hussein Husseini, Rabiha Nord Keyrouz, Séoud Roufaël, Ibrahim Sayed, Ali Akkar 1995, que celle-ci sera essentiellement Taha, Khodr Tlaiss, M oham ed Yaghi Abdel-Rahman Abdel-Rahman, Wajih Baa- consacrée à trois dossiers: l’enrichissement Békaa-Ouest rini, Mikhaël Daher, Talal M erhabi, Hassan illicite, le comité national pour la déconfes Mahmoud Abou-Hamdan, Fayçal Daoud, Elie Ezzeddine, Abdallah Racy (remplacé par Ferzli, Robert Ghanem, Sami Khatib, Abdel- Karim Racy, en février 1994), Riad Sarraf sionnalisation politique et la loi sur les Rahim M rad Batroun associations et les partis. Aucun de ces dos Zahlé Sayed Akl, Manuel Younès siers n’est entamé. Acte II: après des mois Mohsen Dalloul, Nicolas Fattouche, Khalil Bécharré de rodomontades à propos de la proroga Hraoui, Georges Kassarji, Youssef Maalouf, Kabalan Issa al-Khoury, Habib Keyrouz Mohamed Mayta, Elias Skaff Denniyé tion du mandat du président Hraoui, l’af Saleh Kheir, Assaad Harmouch, Mahmoud firmation, «le Parlement est maître de ses Mont-Liban Tebbo décisions» devient d’une ironie accablante Aley Koura et est balayée par une déclaration du prési Marwan Abou-Fadel, Talal Arslan, Akram Fayez Ghosn, Farid M akari, Sélim Saadé Chehayeb, Fouad Saad, Pierre Hélou Tripoli dent Assad à un journal égyptien Baabda Ali Eid, Sélim Habib, Amine Hafez, Mohamed (9/10/95). Acte III: janvier 1996. Le bud Ali Ammar, Ayman Choukeir, Jean Ghanem, Kabbara, Omar Karamé, Omar Meskaoui, get de l’année en cours est l’objet de viru Elias Hobeika, Antoine Khalil, Bassem Sabeh Jean Obeid, Fathi Yakan Chouf Zgborta lentes attaques menées par la majorité des Khalil Abdel-Nour, Samir Aoun, Nabil Bous- Estephan Doueihy, Sleiman Frangié, Nayla députés. Il est voté quasiment tel quel par tany, Georges Dib, Zaher Khatib, Marwan Moawad ceux-là même qui l’ont mis à nu. Acte IV: la loi électorale ne sera juste, équitable, équilibrée que tant qu’elle n’aura pas été la Constitution et à la loi furent passées sous proposée et votée. silence. Les organes de contrôle administra Dans quelle mesure la défunte Assemblée a- tif ne furent pas vraiment réactivés ni soute t-elle contribué à la souveraineté du pays et nus. La troïka présidentielle a pu court-cir- à l’établissement de l’État de droit? Poser la cuiter toutes les institutions. question, c’est déjà n’être plus amical. Ni la Est-il judicieux de vouloir dresser le bilan «diplomatie parlementaire» du président d’une législature prise dans sa totalité? Berry de Brasilia à Abidjan en passant par Peut-on mettre tous les parlementaires Cana, ni les activités extraparlementaires dans le même sac? Les «éditoriaux du (journée du 14 mars organisée pour la libé lundi» du bloc Hoss, certaines mises au ration du Sud) ne peuvent faire oublier la point du Président Husseini... ne figurent- totale soumission (voire l’enchère dans cette ils pas parmi les meilleures incriminations direction) aux «impératifs régionaux». du système? Que dire aussi du courage de Quant à l’État de droit, le Parlement a certes certains députés refusant tel vote ou pré défendu ses prérogatives et mis quelques sentant une requête au Conseil constitu barrières au torrent Hariri. Le Conseil tionnel? Si le rôle d’un Parlement est aussi constitutionnel demeure à cet égard la d’éduquer le peuple, quelques parlemen grande réalisation. Mais bien des entorses à taires n’ont pas failli... à quelques tâches.

L'ORIENT-EXPRESS C ) AOUT 19% V À Au-delà des élections, pour Vunité des oppositions

ACE aux dilemmes que leur posent ciels» que «locaux» importants. En Sultan Pacha. L’insurrection dura deux ces élections régentées par Damas, face, l’opposition arrivait à peine à se ans, gagna toutes les villes importantes les Libanais ont des leçons à tirer de mettre debout. Le roi Faysal et son du pays et ne fut matée que par les Fquelques séquences de l’histoire entourage direct avaient quitté le pays moyens militaires. À Damas, le quartier moderne du Machrek. après Maysaloun et l’occupation de du Midan fut détruit à l’arme lourde et Sept ans après l’occupation militaire de Damas. Quelques mois plus tard, les la révolte noyée dans le sang. la Syrie par l’armée du général Gou autorités françaises avaient arrêté puis LTne seconde fois, il fallait légitimer le raud, et quelque vingt mois après l’écra exilé le très populaire docteur Abdel- fait accompli. Paris envoya un nouveau sement de l’insurrection populaire qui Rahman Shahbandar, animateur de la haut-commissaire, Henri Ponsot, qui avait éclaté dans la montagne druze Société de la Main de fer (et ami des organisa les élections de 1927. Affaiblie pour se propager jusqu’à Damas, les Américains). Les milieux d’opposition par la défaite de l’insurrection, l’opposi hommes politiques nationalistes syriens des grandes villes de l’intérieur commu tion pouvait difficilement faire face. ne purent riposter qu’en serrant les niquaient mal entre eux et manquaient Maints congrès tenus au Caire et à coudes. Pour faire face, il fallait s’unir. d’une plate-forme politique commune. Amman n’avaient pas réussi à Ainsi naquit, autour d’un slogan Mais il fallait tenir tête et une seule arme construire l’unité nécessaire. Encore une modeste, la «coopération honorable», et était disponible: le boycottage des élec fois l’appel au boycott était la seule à travers mille petites divisions mes tions. Le mot d’ordre fut largement suivi plate-forme possible. Cependant, le quines, l’une des formations politiques (sauf en pays alaouite) et contribua lar découragement suivant la défaite, les les plus prestigieuses du Machrek gement à délégitimer les autorités issues divisions entre les leaders de «l’inté moderne: al-Kutla al-wataniyya, le Bloc des élections. rieur» et ceux de «l’extérieur», le national. Se rendant compte que le faible soutien manque de réalisme d’un Shahbandar Avant que les pères fondateurs n’arri populaire des élus du Conseil représen rendu amer par les longues années vent à se mettre d’accord après maintes tatif ne pouvait servir d’assise suffisante d’exil, le manque de coordination entre réunions clandestines dans les petits vil au régime, les autorités du Mandat déni les diverses composantes du mouvement lages du mont Liban, puis un peu plus chèrent un grand capitaliste damascène nationaliste, allaient diminuer l’impact ouvertes à Damas, le Mandat avait et le firent élire à la présidence. Taj al- des abstentionnistes et faciliter l’avène imposé deux faits accomplis, qu’il avait Din al-Husni ou cheikh Taj ainsi qu’il ment des amis du Mandat, Cheikh Taj à ensuite légitimés à travers deux élec fut connu à Damas était un homme leur tête. tions. trapu, de forte corpulence, avide de Ce fut dans ce climat de tbbat généra pouvoir et d’argent, et n’ayant aucune lisé, alors que tout avait été tenté en vain Celles de 1922, organisées par Robert inhibition quant aux exigences du haut- et que le Mandat, ressenti comme une de Caix, eurent pour but d’officialiser le commissanat. Il eut un moment de occupation, paraissait éternel, que le morcellement du territoire syrien en popularité et servit longtemps les inté peuple syrien et ses chefs surent trouver quatre mini-États. Il fallut pour cela rêts de Paris avant de devenir, vers la fin la «réponse historique» qui devait sou élire un «Conseil représentatif». Mon du Mandat, l’homme le plus haï de tenir leur combat pour l’indépendance sieur de Caix et ses collaborateurs ne Syrie, injurié dans les rues et hué dans nationale: al-Kutla al-wataniyya. lésinèrent pas sur les moyens: décou les mosquées... Historique, le Bloc national le fut par le page de circonscriptions favorisant les Entre 1922 et 1925 l’opposition natio fait que derrière une flexibilité tactique milieux ruraux enclins à la coopération naliste réussit à priver les «gens du pou remarquable se profilait une entente - essentiellement les minorités alaouite voir» de toute légitimité populaire, ce profonde sur le but national à atteindre: et druze - au détriment des grandes qui empêcha le «régime» de fonctionner la fin du Mandat et l’indépendance agglomérations citadines sunnites ; élec correctement. Elle tenait la rue par le nationale. tions à deux tours facilitant la manipu biais de ses qabaday-s, et une nuée de Parce que l’objectif final ne faisait pas lation de quelques poignées d’élus jeunes leaders gagnaient leur crédibilité l’ombre d’un doute, les «pères fonda locaux, issus de toutes petites circons à travers l’exercice quotidien du «métier teurs» de la Kutla purent donner le coup criptions taillées dans les grandes agglo d’opposition». d’envoi de leur activité politique en mérations urbaines, telles que Damas, Ce climat de tension politique allait brandissant un slogan extrêmement Alep, Hama et Homs ; intervention s’embraser quand une erreur d’appré mesuré, «la coopération honorable», en massive du Deuxième bureau et autres ciation de l’officier français qui gouver réponse à une ouverture du nouveau services du haut-commissariat dans la nait à Kuneïtra dans la montagne druze haut-commissaire Henri Ponsot, qui formation des listes électorales ; déploie provoqua le clan Atrach qui prit les voulait donner un nouveau souffle au ment de moyens financiers tant «offi armes, sous l’étendard du légendaire système après les élections.

L'ORIENT-EXPRESS J Q AOÛT 1996 La fin

PAR SIMON KARAM et les moyens ZIAD N. ABDELNOUR

u ’il r est e d if f ic il e aujourd’hui conduite claire qui serait commune à d’adhérer à la politique du pouvoir ceux qui se réclament de cette opposition actuel, grevée de trop d’abus et de dépende l’intérieur, cette fragmentation la prive À partir de ce départ modeste et à tra dances, on ne le sait que trop. Pourde la puissance de la force de conviction vers un long combat ponctué par les Qautant, il n’est pas plus aisé de se retrou nécessaire pour déplacer les citoyens vers élections de 1932 et surtout celles, ver dans une opposition qui n’a pas su les urnes. Du coup, l’électorat opposant victorieuses, de 1936, la Kutla devait comment au juste elle devait s’opposer. risque de se disperser en s’orientant vers conduire la Syrie moderne à l’ère de Et cela s’applique aux deux oppositions, des choix plus étroits combinant des cal l’indépendance. l’institutionnelle aussi bien que celle du culs de type personnel ou de régions. Et, À bon entendeur... salut? boycott. par-delà l’échéance électorale propre N’ayant pas réussi à se structurer en une ment dite, la désorganisation actuelle de De plus en plus, la présence depuis force politique qui s’articulerait autour l’opposition soulève des doutes sérieux vingt ans d’un corps expéditionnaire d’un minimum de principes d’organisa quant à sa capacité à gagner les batailles syrien, et l’ingérence accentuée de tion, l’opposition institutionnelle s’af de l’avenir. Damas dans les affaires libanaises, fiche plutôt sous les traits d’une nébu Le bilan de la législature ne dissipe pas reproduisent le climat politique du leuse de politiques qui ne se retrouvent cette impression dans la mesure où plu Mandat français en Syrie. Mieux, il ne que conjoncturellement sous son label sieurs des membres de l’opposition insti serait pas hasardeux d’imaginer que pour se donner une identité ponctuelle. c’est de leur expérience nationale du Le phénomène est d’autant plus accentué début du siècle que les dirigeants que cette opposition, faute de regrouper syriens s’inspirent, en inversant les des formations partisanes structurées, rôles bien entendu! réunit des hommes politiques qui ont Sans doute la situation libanaise est- chacun construit sa carrière autour d’al elle plus complexe du fait de la proxi liances et de choix souvent contradic mité des deux pays et du facteur israé toires. Il en résulte rarement une image de lien, présent lui aussi dans le jeu cohérence qui puisse aider la décision de libanais, encore qu’il soit de plus en l’électeur. plus évident que même la présence Parfois, ce dernier se retrouve même face «ennemie» est devenue nécessaire à la à des notabilités qui, à quelques semaines survie du système. Il n’en demeure pas des élections, ne savent pas encore pour moins que les Libanais, musulmans et la plupart si elles vont se présenter sur la chrétiens, devront apporter une liste dite de l’opposition ou sur celle du «réponse historique» à un problème pouvoir. Il peut aussi se retrouver devant devenu unique, bien que de dimen une liste du pouvoir qui comprend des sions multiples. personnalités se réclamant de l’opposi Au-delà de la mascarade, les élections tion. Malgré tout on a du mal à imaginer qui se tiendront au cours de l’été ce qui a pu unir un Henri Sfeir à un Farès auront le mérite de démontrer à l’op Boueiz et en quoi une telle union peut position que le «boycott» ainsi que la rappeler à l’électeur des combats com participation selon les règles du pou muns en faveur du «Liban libre». voir, ne constituent pas, même pris Si les opposants ont eux-mêmes un grand ensemble, une réponse suffisante. mal à définir leur propre identité poli Au-delà donc, il faudra trouver une tique, a fortiori comment les électeurs tutionnelle ont été des piliers de la IIe entente profonde entre les diverses pourront-ils y voir plus clair à leur tour? République et qu’ils ont par ailleurs par composantes de l’opposition. Cela ne En l’absence d’une opposition structurée, ticipé aux élections de 1992 sans réussir à sera pas facile a priori, mais la mai on n’a finalement qu’un ensemble de per constituer un rempart efficace aux greur des résultats obtenus tant par sonnalités opposantes dont certaines ont dérives du pouvoir, comme on l’a vu lors les «boycotteurs» que par les «partici toutes les chances de devenir progressive de la prorogation du mandat présidentiel pants», devrait aider à jeter les ment des piliers du pouvoir. Le brouillage ou lors du vote de la dernière loi électo ponts... des cartes qui en résulte n’aide en rien rale ou encore dans le dossier des natura En quête de cette entente profonde l’électeur qui se trouve privé, de ce fait, lisations. Cet ensemble de facteurs ne qui, une fois trouvée, arrachera l’ini de la possibilité d'exprimer clairement contribue pas à valider l’idée que les son choix. Mais il dessert surtout l’oppo «choses» pourraient changer de l’inté tiative politique au profit de l’opposi sition institutionnelle elle-même. rieur. Cela est d’autant plus désolant que tion. Reflétant l’absence d’une ligne de cette opposition a la capacité de réunir en

L’ORIENT-EXPRESS 1 1 AOUT 1996 sien. Car cette opposition, il faut se le qui pourrait en découler. Le mobile du rappeler, est déjà passée aux commandes. boycott se comprend alors par la possibi té Elle a eu des armes en main, des atouts à lité de s’emparer de ce refus populaire, de exploiter et des choix à faire. Mais elle a l’anesthésier en quelque sorte pour le largement failli dans la réalisation de ses ranimer en temps voulu, sur le terrain. son sein des personnalités de confessions objectifs. Et son échec aux commandes a Mais, à cet égard, il devient urgent pour différentes, une diversité qui pourrait lui précédé son échec dans l’opposition. Il cette opposition de dire à ses partisans donner l’envergure d’une opposition n’est pas question ici de résultats mais comment elle espère concrètement militer nationale. Et qu’elle peut par ailleurs se plus simplement de moyens. Or l’opposi pour un changement du régime. Pense-t- positionner comme une force en compo tion de l’extérieur a failli dans la elle se mobiliser d’une manière assez sition, capable donc d’accueillir l’entrée recherche de moyens capables d’optimi importante pour parvenir à amener le des jeunes en politique. ser l’efficacité de sa lutte. pouvoir à modifier ses positions et à créer Ces réserves étant émises, il reste toute Cela ne rend pas pour autant sa méthode les conditions favorables à une participa fois difficile pour un esprit opposant totalement caduque. Pour cette opposi tion aux structures de l’Etat. Auquel cas d’accepter de laisser la scène politique se tion-là, ce dont il s’agit par le boycott, l’opposition reconnaîtrait implicitement vider des guerrilleros parlementaires qui, c’est de montrer qu’au Liban actuelle que la réforme de l’Etat devra à terme se faire de l’intérieur des institutions. C’est- à-dire par le biais des... élections législa tives. Le tout étant évidemment de fixer à quelle échéance les conditions seront le plus favorables possible. Tout cela suppose cependant qu’il y ait un après-boycott qui ne soit pas syno nyme de démission politique mais bien au contraire d’action structurée. Or là réside la principale inconnue. L’opposition saura-t-elle se structurer en un vaste mouvement démocratique et moderne ou restera-t-elle le perchoir exclusif de quelques leaders du moment? Saura-t-elle aussi, à l’exemple de la CGTL, défier le pouvoir pour faire avancer ses idées ou se contentera-t-elle de déclarations de prin cipe? Cela reste à voir même si les précé dents ne favorisent pas réellement l’opti misme.

A lors, quel l e mét hode prévaudra-t- elle? Dans l’état actuel des choses, tout semble indiquer que l’opposition institu tionnelle aura une représentation assez à défaut de constituer un pôle de pouvoir ment il n’y a pas de liberté de choix pos minoritaire dans la nouvelle Chambre, ce certain, peuvent mener des actions poli sible, notamment par rapport aux qui ne l’empêchera pas pour autant de tiques réduites mais utiles. Le recours en grandes questions de souveraineté et d’in mener l’opposition parlementaire qu’elle invalidation de la loi électorale devant le dépendance et à la constitution d’une s’est fixée. De l’autre côté, l’opposition Conseil constitutionnel en est un bon réelle force d’alternance politique. Et du boycott gardera vraisemblablement exemple. Et c’est bien à travers ce type qu’il est par conséquent illusoire de croire une bonne partie de ses partisans qui d’actions que peuvent se révéler les diffé qu’il peut se constituer une force parle refuseront une fois de plus de se diriger rences d’évaluation entre les deux mentaire capable de défier les services de vers les urnes. Mais cette situation n’est méthodes proposées par les deux opposi renseignements locaux et amis, de résister peut-être pas aussi noire pour l’opposi tions. Car, à ce jour, le point central de aux pressions diverses pour imposer le tion qu’elle peut le paraître. Au contraire, leurs divergences, du moins celles qu’ils projet d’un Liban débarrassé de toute elle peut lui offrir une plus grande palette affichent, réside bien dans une question hégémonie. De la sorte, l’opposition de choix politiques pour exprimer plus de méthode. reconnaît clairement que le pouvoir tard une opposition au pouvoir. actuel n’a pas d’obstacles réels pour La condition pour cela, c’est évidemment D e mét hode, l ’opposition dit e de l ’ex­ mener à terme les différents volets de sa que l’absence de vision stratégique n’en t é r ie ur en aurait bien besoin. Il est diffi politique mais qu’il manque par contre la traîne pas ces deux oppositions à s’af cile, en effet, d’oublier qu’elle en a large légitimité démocratique qui conforterait fronter sur le terrain des discours vindi ment manqué pendant les quatre années son assise politique. Et c’est précisément catifs qui, à défaut de pouvoir influer sur où elle s’est constituée en un front du cette dernière carte que cette opposition l’électorat opposant, le mèneront obliga refus intransigeant. Pourtant, là résidait refuse de céder. toirement vers le défaitisme et l’absten son défi majeur. Un défi ô combien fon À travers cette attitude politique, il faut tion. damental pour effacer - ou tenter d’effa surtout voir un refus des règles établies Z. A. cer - le patrimoine de l’échec qui est le par le pouvoir et le rejet de la légitimité

L'ORIENT-EXPRESS ^ 2 A° Ù T 1996 Au pied de la lettre

Services services u ’el l e est belle l ’idé e d ’un État de d r o it . Elle est désirée, convoitée, voulue ardemment par des citoyens assez éveillés pour ou l'esprit de famille Qsavoir que, même dans le pire des cas, il existe toujours une alternative pour lui redonner vie. Alors, parmi NE VIE AU SERVICE DES AUTRES? Toute Évidemment, après toutes ces années de les élus du peuple il s’en trouve Ula question est là. Si la res publica guerre, l’État-providence est souvent défi quelques-uns pour tenter patiem exige assurément, entre autres sacrifices,cient. Les citoyens, quelque peu débousso ment, le texte de la Constitution sous mandat électif oblige, une écoute perma lés, n’ont d’autre alternative pour pallier un bras, les pavés juridiques sous nente et une oreille toujours bienveillante les carences normalement prises en charge l’autre, de faire écho à la vox docti aux doléances du citoyen ordinaire, cette par l’État, que de se tourner vers «leur» en énumérant avec minutie les do mission hautement altruiste ne constitue député. Mais la frontière entre service and d o n ’t de la démocratie. Debout à normalement pas l’unique horizon d’une public et service privé est plus qu’incer la tribune, l’air tantôt suppliant, tan vocation politique. Le problème, et il est taine, en particulier dans une société qui a tôt menaçant, notre pointilleux pro de taille, c’est que dans la toujours jeune et une propension certaine au clientélisme, et fesseur s’investit totalement dans son dynamique République libanaise, c’est l’on a vite fait de franchir le pas et d’avoir rôle de législateur et s’en prend aux Clochemerle un peu tous les jours et que le affaire à des sollicitations qui n’ont plus mesures de l’exécutif dont les parlementaire dans la norme préfère inves, rien à voir avec celles que pourrait recevoir membres, quand ils daignent se pré tir son temps et son énergie dans les sables un député qui tenterait avec bonne volonté senter aux débats, sont assis en rang mouvants des khadamat. Une activité par de suppléer aux absences manifestes de d’oignons comme dans un box d’ac fois frénétique qui rogne sur le travail par l’administration. cusés. Là, le député-conscience énu lementaire: certains s’y consacrent exclusi De wasta en wasta, on dérape rapidement, mère la liste, souvent longue, des vement en transformant leur bureau en et le légalement correct paraît bien vite entorses faites à la démocratie. En office de requêtes de la circonscription. obsolète, désuet pour ne pas dire totale l’écoutant lors des séances publiques, Mais le contact avec le pays réel est main ment absurde, inconcevable, ridiculement le Libanais écarquille les yeux. Quoi! tenu dans des proportions plus ou moins surréaliste... Qui donc au Liban est assez Il y a (encore) des responsables qui envahissantes, tout dépend du profil du naïf pour croire que les lois sont à prendre évoluent hors du carcan politique député concerné. au pied de la lettre et respectées? Personne, habituel? L’échange fonctionne dans les deux sens, les Libanais sont bien trop débrouillards et Du côté des ministres, les réactions et le député n’est pas le seul, loin de là, à aguerris pour ça! Et le député-providence sont mitigées. Certains écoutent porter la responsabilité de ce comporte est bien commode dans ce qu’il propose d’une oreille distraite en pensant au ment: les gens y trouvent leur compte, ils comme prestations diverses et dans son contrat qu’ils ont signé le matin. en usent et en abusent... Le défilé peut être rôle de pivot du système D à la libanaise. D’autres prennent un air songeur qui incessant: problèmes de carrière, pro La palette de services qu’il est en mesure laisse deviner une admiration latente, blèmes d’argent, problèmes de santé, pro d’assurer est très riche et les gens ne man pendant que quelques-uns arborent blèmes de transport, problèmes de... quent pas d’imagination pour l’élargir une expression narquoise du genre couples, problèmes d’université, pro tous les jours. «cause toujours mon pote». Et il blèmes d’animosité (parfois sanglants, Cette pratique quasi-rituelle des khadamat cause notre ami, encore et toujours, ceux-là! si les bambins aiment bien jouer apparaît dès lors comme une véritable ins absolument insensible aux exigences du Kalach), problèmes de port d’armes titution nationale, un rouage essentiel du de la realpolitik. Il faudrait ceci, il justement, problèmes d’électricité, de télé système tel qu’il fonctionne actuellement faudrait cela, dit-il, d’une voix qui phone, de mariage, de familles, de prison, sans que cela indispose quiconque. Surtout vous assure qu’à l’aide de ses problèmes, problèmes, problèmes... aïe, pas les électeurs qui voient là l’occasion de conseils, demain sera la veille. Le aïe, aïe, parfois ça coince aux entournures prouver leur astuce et d’éprouver leur Libanais, planté devant son télévi entre le baptême du petit dernier Abou capital relationnel. Le vice de structure, seur se met à rêver de jours meilleurs Chose et la promotion administrative du tout pernicieux qu’il soit, est bel et bien et de lendemains qui chantent. fils Abi Troue. Tout un programme! et greffé à la pratique politique libanaise. Autant de gagné pour la liberté d’ex corsé avec ça! Le genre de sacerdoce qui Érigé en folklore, il se perpétue de généra pression, l’équité dans la distribution vous engloutit un homme: faut avoir les tion en génération sans pudeur aucune. Il des cahiers de charges, la santé et nerfs bétonnés, l’oreille compatissante, le est ainsi de notoriété publique que chaque l’éducation pour tous... De beaux sourire rassurant, l’estomac solide, l’entre parlementaire du pays, même ceux qui principes qui, pour être appliqués, gent suave, l’autorité tranquille, l’œil n’affectionnent pas du tout ce type de rela exigent parfois autre chose que des paternel, le flegme presque britannique tions, a dans son entourage une personne paroles vertueuses, quand les agrémenté d’un zeste d’exubérance orien voire un staff spécialisé chargé de gérer embûches inévitables de la pratique tale (mais pas trop, juste ce qu’il faut pour cette économie de services. Y a pas de mal politique demandent à être saisies à ne pas passer pour un pisse-froid), un à rendre service après tout! Et puis ça paie bras-le-corps. soupçon de candeur sérieuse aussi, pour en temps d’élections. Un pour tous, tous éviter le côté requin cynique, et... une pour un! t a mima dahdah patience in-fi-nie. OMAR BOUSTANY

L’ORIENT-EXPRESS 13 AOÛT 1996 G ueule DE DOI S Il est de bon ton de s’en offusquer. Et c’est vrai que cette profusion de messieurs en costume cra vate, ça lasse très vite. Mais, quand on y pense, comment l’éviter? Avec le type de scrutin en vigueur au Liban (et là ce n’est pas la faute de la loi récemment votée), l’électeur n’a pas beaucoup d’autres moyens de faire connaissance avec les candidats. Alors, la solution ne serait-elle pas, pour l’esthétique comme la représentativité, le scrutin de liste proportionnel?

PHOTOS VICTOR FERNAINÉ

L'ORIENT-EXPRESS ^ 4 AOÛT 1996 jti il iiiilmit

L’ORIENT-EXPRESS AOUT 1996 Que faut-il en attendre? Issam Naaman: S’opposer au régime confessionnel Que peut-on attendre du Parlement de tout comme le succès. Les positions qu’il Le Bloc du salut et du changement auquel 1996? défend et les propositions qu’il avance vous appartenez a souvent critiqué le On ne peut pas prévoir dès à présent les peuvent recevoir l’approbation de la gouvernement. Etes-vous un opposant ou signes distinctifs du Parlement de 1996 et majorité ou bien essuyer un refus. Il faut un loyaliste? ce qui le démarquera de l’Assemblée élue dire que le Parlement au Liban ne repose Nous représentons une opposition en 1992. Il faudra attendre de voir pas sur un système de partis comme c’est le constructive. Nous soutenons le comment se déroulera le processus cas en Grande-Bretagne ou en France. gouvernement quand il a raison et nous le électoral lui-même. Et, bien entendu, les Dans ces pays, la majorité est d’une couleur mettons en garde quand il a tort. Nous poids respectifs des différents blocs. et la minorité d’une autre, alors qu’au nous opposons à lui sans hésiter quand il a Liban la majorité est formée de plusieurs profondément tort. Ce fut notre attitude Vous êtes l’un des parlementaires les plus groupes politiques. Idem pour la minorité. tout au long de la législature. Mais cela n’a actifs et les plus assidus du Parlement de Étant donné cette situation, je ne suis pas pas empêché quelques membres du bloc, 1992. Vous avez présenté de nombreux déçu quand je ne suis pas entendu, même si dont moi-même, de s’opposer plus amendements et même des projets de loi. j’ai beaucoup d’espoir quand je suis généralement au régime confessionnel Tous n’ont pas été pris en considération. approuvé. En fait, ce qui déçoit actuel. Il est impossible d’y adhérer. Etes-vous l’un des plus déçus? profondément, ce n’est pas cela, c’est la Le principe de base de la démocratie majorité des membres de la classe politique Croyez-vous qu’il y ait une place pour une parlementaire, c’est qu’il y a une majorité au pouvoir. Dans ce pays, les responsables opposition sous ce régime-là? Les limites et une minorité. Un député ne peut pas ne sont pas au niveau des citoyens. Ou entre l’opposition et le loyalisme peuvent- oublier cela. Il est donc préparé plutôt disons qu’ils ne sont pas au niveau elles être claires? psychologiquement à accepter la défaite des défis qu’ils doivent affronter. L’opposition peut accomplir son devoir

Michel Samaha: Renouer avec la jeunesse dans quatre cazas, ceux du Metn-Nord, de la personnalité. J’entends représenter une Baabda, du Kesrouan et de Jbeil. Dans ce culture libanaise démocratique qui se contexte, le Parlement de 1996 peut faire distingue de la culture politique qui gère le émerger une nouvelle classe politique en pays avec seulement des apparences de renouant avec la jeunesse. Cela se fera démocratie. grâce à certains courants de renouveau, notamment la liste du Metn-Nord qui Pour beaucoup, votre bilan en tant que prend en considération les intérêts des ministre est mitigé. Quelle trace pensez- jeunes, avec une nouvelle mentalité qui vous avoir laissée au ministère de n’est ni traditionnelle ni conventionnelle. l’Information? La loi sur l’audiovisuel, telle qu’elle a été On a du mal à vous définir. Etes-vous un adoptée, a dégagé le plus grand espace de Que peut-on attendre du nouveau opposant ou un loyaliste? Et par rapport à liberté possible, en regard du contexte qui Parlement? En quoi sera-t-il différent de qui? a entouré le débat autour de ce texte au celui de 1992? Depuis trois ans, j’ai fait des choix qui gouvernement et au Parlement. Il y avait Le Parlement de 1996 sera un Parlement m’ont mis en position d’opposant: la deux projets sur l’audiovisuel totalement de transition entre l’Assemblée issue des liberté d’expression et de pensée, différents. Et c’est là que les deux cultures élections de 1992 avec le fort taux de l’application de la Constitution et le politiques se sont confrontées. boycottage qui les a marquées - une respect des institutions. J’ai tout le temps Les relations entre les médias audiovisuels Assemblée qui, il faut le dire, porte les été opposé à la troïka. Les institutions ne et l’État se sont normalisées. Avant, séquelles de la guerre - et un Parlement doivent pas être hypothéquées par la c’étaient des ennemis; il n’y avait pas de qui serait plus représentatif de la société troïka. Ni par les chefs régionaux au dialogue. On est passé d’une attitude civile. Le Parlement de 1996, c’est bien niveau des ministères, des mohafazats et négative à une attitude positive avec la sûr, la continuité de l’esprit du Parlement des cazas. L’État ne doit pas être un État signature d’une charte. de 1992, mais avec des possibilités de policier. Il ne saurait être personnalisé par Un bilan mitigé? Que dire de cette percées vers une nouvelle approche de le gouvernement. Je suis pour un État de confrontation, tout au long de ma l’avenir du Liban. C’est aussi, un droit. Je ne suis pas contre le régime mais présence au gouvernement, sur la renouvellement de la classe politique avec je veux l’application de la Constitution. Je conception de la liberté et des moyens des idées plus claires sur les grands choix me suis opposé à une culture politique qui d’exercer cette liberté! Une confrontation qui s’offrent aux Libanais. Il reste qu’on prétend gérer le système à travers la avec une culture politique qui a hérité de la ne peut parler de nouvelles tendances que mainmise sur les institutions et le culte de guerre l’autoritarisme des milices.

L’ORIENT-EXPRESS 16 AOÛT 1996 : Changer les habitudes

Que faut-il, à votre avis, attendre du internationale d’appuyer la tenue des nouveau Parlement? élections à n’importe quel prix, n’ont Tout. Si le nouveau Parlement n’a pas pas été évaluées correctement. Malgré la possibilité de tout chambarder et de cette erreur que je reconnais, je changer les habitudes qu’on nous a maintiens que l’abstention aurait pu imposées pendant quatre ans, le pays être une réussite si l’opposition avait même si ses chances de réussite sont encourra le danger de perdre son été en mesure d’établir un plan de lutte limitées dans un système fondé sur le identité nationale et démocratique. A contre le pouvoir et les institutions confessionnalisme, cause d’inégalité et de ce moment, ça ne m’étonnerait pas de fragmentation. En fait, il est impossible de voir disparaître les principes sur parvenir à un régime responsable et à une lesquels est bâti l’édifice démocratique opposition efficace si des changements qui distingue le Liban de tous les pays radicaux ne sont pas apportés au système qui l’entourent, et de voir par la suite confessionnel corrompu. Tant qu’un les libertés publiques disparaître pour système de partis n’est pas instauré, il sera en arriver à un système de triumvirat difficile de tracer une ligne entre voué à l'échec, du fait qu’il est l’opposition et le loyalisme. En l’absence condamné à avoir toujours besoin de programmes politiques clairs et d’être assisté pour pouvoir gouverner. alternatifs, les positions des opposants et des loyalistes continueront à se Vous êtes un ancien opposant mais chevaucher. aujourd’hui vous vous présentez avec, dit-on, l’appui du président Hraoui. Enfin, ce que j’ai fait de plus important en Est-ce vrai? tant que ministre-député c’est d’avoir Ma relation avec le président Hraoui initié des thèmes qui sont devenus publics. se situe sur un plan personnel, et cela ne va pas au-delà. Je ne revendique Croyez-vous qu’il y ait une place pour aucun appui de sa part surtout que, de l’opposition sous ce régime? Les limites par sa fonction, le président de la entre loyalisme et opposition peuvent-elles République se doit de rester à être claires? équidistance de tous les candidats. Il y a des opposants, c’est clair. S’ils n’ont Cela, bien entendu, est confirmé par pas pu changer les choses, c’est finalement les rumeurs distillées dans la presse, constitutionnelles du pays après les parce qu’ils sont peu nombreux. Dans la qui font état d’un veto régional à ma élections. Constitution, il y a une place pour candidature et qui démentent donc l’opposition mais le régime issu de la l’hypothèse d’un appui politique du Si vous êtes élu, serez-vous un guerre et d’une certaine conjoncture locale président Hraoui. opposant? A qui et à quoi? et régionale la rend inefficace. Il reste que Oui, certainement. Je suis démocrate, l’opposition fait son chemin. Vous avez déclaré que l’abstention de et j’exprimerai mon opposition dans Il n’y a pas de limites entre le loyalisme et 1992 a été un échec. N ’a-t-elle pas été, un Parlement démocratique. Je serai l’opposition parce qu’on n’est pas dans un au contraire, une erreur également opposant au gouvernement pays où les choses sont bien tranchées d’appréciation? et aux dérogations à l’accord d’entente comme en France. Au Liban, il y a des L’abstention de 1992 n’a pas été un nationale de Taëf, au système de la oppositions, et non pas une opposition. Il échec en elle-même. L’échec a été dans troïka au pouvoir qui a engendré un y a des opposants mais pas un projet ou le fait qu’on n’a pas exploité de tricéphalisme anticonstitutionnel car il un programme commun. Cela est dû au manière adéquate l’abstention. La se substitue aux institutions: les projets manque d’une véritable action politique prise de position des abstentionnistes sur lesquels le chef de l’Etat et les dans le pays. Ceux qui ont boycotté les s’est éteinte le soir des élections, elle présidents du Conseil et de la Chamlire élections n’ont pas présenté un projet n’a pas été un jalon pour l’application se mettent d’accord sont soumis au d’action politique, il n’y a pas eu de d’un plan d’opposition qui unisse les gouvernement et au Parlement, alors continuité. Il faut se rappeler aussi que les différents opposants. Ceci ne veut pas que ceux sur lesquels ils ne s’accordent élections de 1992 étaient trop proches de non plus dire qu’il n’y a pas eu d’erreur pas n’ont aucune chance. Tout le la guerre. Il nous a fallu quatre années de d’appréciation. Pour ma part, j’avais système est à réviser. L’exécutif n’est stabilité militaire et politique pour que la misé sur l’annulation des élections vu plus contrôlé par le législatif, c’est une vie politique émerge. En ce sens, le le taux d’abstention des citoyens et le troïka qui prend les décisions sans Parlement de 1996 est une étape sur le refus des partis politiques et des aucune censure, sans aucun contrôle chemin de la reprise de l’activité politique leaders communautaires d’y participer. qui lui impose d’assumer ses au Liban. C’est là que l’erreur a peut-être eu lieu. responsabilité. La réaction du pouvoir et la volonté T. D.

L'ORIENT-EXPRESS 17 AOUT 19% *-1 Enjeux et surprises Sans surprises, ces élections, comme le prétendent les Il n’est pas jusqu’au Sud, bien cadenassé pourtant, en boycotteurs? Allons donc! Il faut être décidément de ses deux mohafazats recollés, par Nabih Berri, où des mauvaise foi pour ne pas voir que des batailles parfois surprises sont possibles, avec la candidature du défi très dures vont se dérouler à partir du 18 août, et pas qu’incarne Habib Sadek. Nous y reviendrons dans notre seulement dans le Mont-Liban. Certes, tout ne sera pas prochain numéro, puisque les élections se dérouleront parfait, ni toujours très clair, et dans certaines cir dans le Sud le 8 septembre et dans la Békaa le 15 sep conscriptions les jeux sont déjà faits. Mais c’est loin tembre. En attendant, il est loisible de contester que si, d’être le cas partout. Si, dans la Békaa, l’échéance ne la configuration générale du Parlement n’est pas appe suscite guère de passions - à moitis qu’on appartienne lée à changer radicalement, dans la plupart des cir au - et si, dans le Chouf Walid Joumblatt ne conscriptions, une possibilité de choix existe pour les devrait pas connaître de contestation, partout ailleur, électeurs qui voudraient infliger une sanction à tel ou on trouve des enjeux, grands ou petits, qu’il sera tel symbole du système et, par là, imposer au pouvoir important de suivre pour anticiper les grandes ten une minorité agissante de députés opposants. dances de la politique libanaise dans les années à venir. S. K. Mont-Liban (18 août) Aley Baabda L e c h o ix du caza comme Jusqu’à il y a quelques semaines, la cir C’est probablement ici que le mot circonscription électorale dans le conscription de Aley semblait privée d’ordre du boycott a le plus gravement Mont-Liban fait évidemment qu’il s’y d’une réelle bataille électorale. Mais les gommé les enjeux proprement électo livre six batailles au lieu d’une seule. exigences de Walid Joumblatt désireux raux. L’opposition de l’extérieur semble Disons plus exactement que la palette de former lui-même la liste de coalition en effet avoir décidé d’y faire un des enjeux dans le Mont-Liban va d’un en ne laissant qu’une place symbolique à exemple, en pénalisant par tous les scrutin sans surprise (au Chouf) à un Talal Arslan ont fait éclater le modus moyens Pierre Daccache qui était, il y a choc frontal (au Metn), en passant par vivendi. On devrait donc avoir deux peu, l’un de ses hérauts les plus élo des situations traditionnelles listes rivales, l’une dirigée par Talal Ars quents. Et de fait, l’appel au boycott est (Joumblatt/Arslan à Aley) et d’autres lan et comprenant les trois députés chré d’autant plus dévastateur que la circons plus locales. Dans l’hypothèse où l’on tiens sortants, Pierre Hélou, Fouad al- cription est hété reviendrait au mohafazat par suite d’une Saad et Marwan Abou-Fadel, et l’autre rogène du point 6 députés invalidation de la loi, on retrouverait inspirée par Walid Joumblatt et conduite de vue sociolo- 3 sièges pour les maronites naturellement une configuration par le député Akram Chehayeh. La gique et confes- 2 sièges pour les chiites totalement différente, avec la possibilité confrontation ne serait cependant pas sionnel. En effet 1 siège pour les druzes d’une confrontation tranchée entre totale, puisque chaque liste laisserait une si le boycott loyalistes et opposants. place druze vacante. Mais une candida réussit à neutraliser le vote chrétien, ture de Fayçal Arslan, le demi-frère aîné d’autres forces, elles, sont présentes qui de Talal, pourrait brouiller les cartes. peuvent en profiter, et notamment le La grande inconnue reste évidemment la Hezbollah ainsi que la liste que dirige participation des électeurs chrétiens, en Elie Hobeika. Mais on ne saurait exclure particulier ceux originaires des villages un retour de bâton au profit du docteur détruits ou désertés. Daccache et de sa liste qui compte des 5 députés Un taux de partici noms assez séduisants pour l’électorat 2 sièges pour les druzes pation un peu élevé chrétien, comme l’ancien député Mah 2 sièges pour les maronites profiterait naturelle moud Ammar et Salah Honein, le fils 1 siège pour les grecs-orthodoxes ment aux députés d’Edouard Honein. chrétiens sortants, principalement Pierre Hélou, qui ne taisent plus depuis plusieurs mois leurs critiques contre les lenteurs du processus de retour des déplacés que régente Walid Joumblatt.

L'ORIENT-EXPRESS j ^ g AOUT 1996 Jbeil KesrouanLes rivalités locales ont ici pris le pas sur La circonscription a été en 1992 la championne absolue du boycott. On se rappelle les enjeux nationaux. Même si d’aucuns encore les 41 voix obtenues par Maha Khoury-Assaad. Mais cette dernière se fait un voient dans la bataille du Kesrouan la point d’honneur de laver cette tache en essayant de rassembler cette fois-ci un nombre translation d’une épreuve de force feutrée conséquent de suffrages. Cela ne devrait pas être difficile, même si elle est loin d’être entre le président de la République et le assurée de sa réélection. Le mot d’ordre du boycott sera très probablement battu en chef du gouvernement, aucune diver brèche, sans doute au prix d’une dispersion des voix. Les candidats sont, en effet, gence de fond ne semble, en effet, oppo légion et trois ou quatre listes sérieuses s’opposent qui peuvent compter chacune sur ser les chefs des deux listes rivales; le des allégeances familiales ou régionales qui neutraliseront le député Rochaid al-Khazen n’est pas boycott. La candidature de Nouhad Souaid, adversaire tradi 3 députés moins loyaliste que Farès Boueiz, tionnelle de Raymond Eddé, est d’ailleurs en soi le gage d’une 2 sièges pour les maromti ministre des Affaires étrangères et gendre participation substantielle dans un caza où le clivage un tanti 1 siège pour les chiites du chef de l’État. net anachronique entre Destour et Bloc national reste vivace. Sur le papier, la liste du premier paraît Cette «menace» destourienne a été d’évidence le facteur déter plus solide. Non seulement Boueiz minant dans la décision de Jean Hawat de se démarquer du Bloc national en se por semble focaliser sur sa personne un cer tant candidat. tain nombre d’inimitiés mais la liste Outre la liste de Nouhad Souaid qui regroupe Nazem Khoury, fils de l’ancien député concurrente bénéficie de la présence de Chahid Khoury et Abbas Hachem, et celle de Jean Hawat, allié à Boutros Hachem et deux députés qui se consacrent presque au député sortant Mahmoud Aouad, on a celle, jugée forte, de François Bassil, PDG exclusivement aux «services»: Khazen de la Byblos Bank et président de l’Association des banques, Fadi Rouhana-Sacre, lui-même et Mansour al-Bone, tandis que neveu de l’ancien député Émile Rouhana-Sacre disparu il y a quelques semaines, et le ralliement de Camille Ziadé lui donne Hassan Berro. Il faut y ajouter les listes que cherchent à former les députés sortants la caution du réformisme. En fait, le Michel Khoury et Maha Khoury-Assad, respectivement avec Rabih Karam et Jad résultat qu’obtiendra Nehmé, candidat des Kataëb. Et l’inventaire n’est pas clos. 5 députés ce dernier est le seul tous maronites élément qui puisse être mis en rapport avec un enjeu national. Après avoir passé trois années dans le rôle du parlementaire consciencieux - il est membre du bureau de l’Assemblée -, Ziadé s’est imposé durant la dernière année de la législature Metn-NordC’est incontestablement la circonscription la plus chaude de ces législatives et le théâtre comme l’une des figures de proue de l’op d’une bataille électorale bien tranchée, peut-être la seule de cette envergure, avec le position réformiste en étant l’un des dix duel qui oppose la liste du ministre de l'Intérieur, Michel Murr, à celle que conduisent députés à rejeter la prorogation du man Nassib Lahoud et Albert Moukheiber. Dans ce duel, Murr a des atouts sérieux, même dat présidentiel puis en votant contre la si le capital de sympathie dont il dispose auprès du public semble proche de zéro. Avec loi électorale. D’où le veto que le chef de le vote arménien, que l’alliance avec le Tachnag l’État aurait opposé à sa présence sur la devrait lui assurer, et celui des naturalisés, sans par 8 députés liste de son gendre. D’où sans doute aussi ler des fonctionnaires qui sont électeurs dans le 4 sièges pour les maronites l’intérêt qu’ont trouvé Rochaid al-Kha Metn, le ministre de l’Intérieur part avec une lon 2 sièges pour les grecs-orthodoxes zen et Mansour al-Bone à ce ralliement gueur d’avance. À cela s’ajoutent les dividendes des 1 siège pour les grecs-catholiques pour séduire la fibre opposante des élites innombrables «services» que le candidat-ministre 1 siège pour les armémens-orthodoxi du Kesrouan. fait rendre par un appareil d’État bien tenu en main. Pour contrer cette redoutable machine électorale, opérationnelle depuis des mois, la liste concurrente compte naturellement sur des réseaux d’alliances familiales traditionnelles, et surtout sur la mobilisation de l’électo rat. En la matière, il n’y a pas de secret, c’est l’arithmétique qui décidera. Plus la par ticipation sera élevée, plus les chances de battre la liste Murr seront grandes. C’est dire l’enjeu de l’autre bataille du Metn, celle de la participation. Car si l’entente entre celui ChoufLe retour des déplacés étant très large qui s’est imposé comme le chef de file de l’opposition réformiste et le virulent et tou ment inachevé, une forte abstention des jours vert contempteur des vices de la IIe République a de quoi séduire un électorat électeurs chrétiens est à prévoir. Walid mécontent, le travail de sape des tenants du boycott et les attaques contre le docteur Joumblatt reste donc en position de Moukheiber, hier pourtant porté aux nues, peuvent bloquer cet élan. Pourtant, l’équa contrôler la circonscription où aucune tion est nette dans le Metn: ne pas voter, c’est en fait voter Murr. bataille électorale n’est attendue. La liste partielle que tente de former Zaher al- Khatib avec Nagi Boustany ne semble 8 députés pas en mesure de s’op 3 sièges pour les maronites poser au ministre des 2 sièges pour les druzes Déplacés, sauf en ce 2 sièges pour les sunnites qui concerne le siège 1 siège pour les grecs-catholiques de Khatib lui-même.

L'ORIENT-EXPRESS 19 AOÛT 19% Beyrouth (1er septembre) Mohafazat? Caza? À Beyrouth, la question ne se posait pas. Le Arrive cependant l’opération «Raisins de la colère». La diploma retour à la division de la capitale en trois circonscriptions n’a tie médiatique de Hariri le regonfle. Dans un premier temps, ce jamais été envisagé au cours du débat sur la loi électorale. Mais regain de popularité permet à sa machine électorale, laissée en comme s’il fallait absolument qu’il n’y ait pas de clarté dans ces veilleuse, de casser du Najah Wakim dans la rue sunnite. Non élections, le suspense savamment entretenu autour de la candida sans quelques résultats, semble-t-il. Suffisamment en tout cas pour ture possible du chef du gouvernement a laissé la bataille électo que le projet de candidature soit relancé. Les portraits de Hariri rale de Beyrouth dans l’imprécision le plus longtemps possible, commencent à fleurir un peu partout et, dans la deuxième moitié brouillant les enjeux comme les alliances. de juillet, l’hypothèse de la candidature Hariri devient le pain quo- Au départ, la candidature de allait de soi et les paris ditien des analyses électorales de la presse. Plus un jour ne passe allaient bon train sur la nature des alliances que le président du sans que la question soit débattue si bien qu’on en vient à se Conseil serait amené à former. Non point pour être élu, certes, demander si ce suspense un peu artificiel n’est pas une arme tac mais pour s’y tailler une tique qui permettrait au Premier ministre candidat de rester au- 19 députés z a ‘ama. L’enjeu n’était pas dessus des trivialités d’une lutte électorale tout en semant le doute 6 sièges pour les sunnites mince, comme l’avait montré chez ses adversaires et alliés potentiels. 3 sièges pour les arméniens orthodoxes le précédent de Riad al-Solh. Premier résultat de cette imprécision: le trouble jeté dans le camp 2 sièges pour les grecs-orthodoxes Et de fait, une question était Hoss dont certains alliés commencent à parler d’une «complé 2 sièges pour les chiites sur toutes les lèvres: la capi mentarité» des listes. Il faut dire que sur la liste que prépare l’an 1 siège pour les grecs-catholiques tale, qui s’était refusée au père cien Premier ministre, certains candidats sont considérés comme 1 siège pour les maronites de l’Indépendance, se laisse crypto-haririens, comme Mohamed Kabbani, Béchara Merhej ou 1 siège pour les protestants rait-elle séduire par cet autre Mohamed Youssef Beydoun. Deuxième conséquence: Tammam 1 siège pour les druzes fils de Saïda? Celui-ci pouvait Salam, allié naturel mais quelque peu récalcitrant du Premier 1 siège pour les arméniens-catholiques compter, il est vrai, sur une ministre, est incité à revoir ses calculs à la baisse. Troisième consé 1 siège pour les minorités puissante machine électorale, quence: l’opposition d’un Najah Wakim se voit privée provisoire mise en branle depuis des ment d’adversaire. Tant que Hariri n’est pas candidat, la liste que mois. le député de Beyrouth est en train de former avec Assem Salam, Mais voilà que des signes, et bientôt des sondages secrets, révèlent président de l’Ordre des ingénieurs et fer de lance de l’opposition la fragilité de la position de Hariri dans l’électorat, y compris dans à SOLIDERE, ne peut montrer toute l’étendue de sa différence. le Beyrouth sunnite. D’après ces sondages, le chef du gouverne Dans tout cela, la bataille porte essentiellement sur l’ancien ment n’arriverait qu’en troisième position, en termes de voix, Beyrouth-Ouest. Le vote chrétien, s’il est sollicité, ne se voit pas après Sélim Hoss et, horresco referens, Najah Wakim. Pour com proposer de grandes figures de ce que l’on appelle l’Est politique. penser, Hariri a besoin d’alliés. Or Hoss rejette l’idée d’une liste Fouad Boutros, sollicité par Hariri, aurait finalement choisi de ne de coalition. Du coup, on remballe le projet de candidature. pas se présenter. Nord (25 août) S’il est une circonscription qui montre qu’une bataille électorale bien même Meskaoui ne cesse de faire des allers-retours entre est possible malgré les grandes contraintes, syriennes ou autres, l’une et l’autre liste. qui pèsent sur la vie politique, c’est bien le Nord. En effet, les Il faut dire que l’expression de ces particularismes locaux est grandes manœuvres qui ont présidé à la for quelque peu brouillée par les interférences mation des listes révèlent que, sous l’om 28 députés beyrouthines et damascènes. En l’occurrence, brelle syrienne, il y a encore assez de place Akkar le chef du gouvernement, malgré son conten pour bien des rivalités qui reflètent les parti 3 sièges pour les sunnites tieux avec Frangié et Karamé, souhaitait cularismes locaux et prolongent aussi des 2 sièges pour les grecs-orthodoxes apparemment une liste de coalition. D’où des enjeux qui se font jour à l’échelle nationale. 1 siège pour les maronites négociations sur les haririens du Nord, en Dans la rubrique des particularismes, il y a 1 siège pour les alaouites particulier Farid Makari et Omar Meskaoui. tout d’abord l’alliance apparemment indéfec Batroun Le cas du premier fut vite expédié, mais l’ins tible entre Omar Karamé et Sleiman Frangié. 2 sièges pour les maronites cription du second provoqua bien des grince C’est elle qui structure la «première» liste, Bécbarré ments de dents, y compris ceux de l’intéressé. même si un troisième larron y a fait une 2 sièges pour les maronites Du coup, Hariri aurait remis en question la apparition sonnante et trébuchante en la per Denmyé présence sur la liste de Makari, ce qui ne sonne du milliardaire du Akkar, Issam Farès, 3 sièges pour les sunnites devrait pas vraiment fâcher Frangié. qui, après avoir menacé un moment Karim Koura Entre-temps, Ahmad Karamé, lui, est revenu Racy, a dû accepter l’éviction de Riad Sarraf. 3 sièges pour les grecs-orthodoxes sur scène et la deuxième liste a été remise à Mais il y a aussi, à Tripoli, un sentiment Tripoli flot, bien que toujours non proclamée. En anti-Karamé récurrent qui s’incarne 5 sièges pour les sunnites particulier, l’intégration de Mikhaël Daher et d’ailleurs dans la personne d’un autre 1 siège pour les grecs-orthodoxes Boutros Harb pose problème. Le premier Karamé, Ahmad, cousin du premier, en 1 siège pour les maronites hérisse le président de la République qui ne même temps que dans celle de Omar Mes- 1 siège pour les alaouites lui pardonne toujours pas son opposition à kaoui, le ministre des Transports. Et c’est Zghorta la prorogation et entend le lui faire payer. précisément ce sentiment qui sous-tend la 3 sièges pour les maronites Quant au second, il exaspère Frangié. Et formation de la «deuxième» liste, quand alors? direz-vous, ce n’est pas sa liste. Eh!

L'ORIENT-EXPRESS 2 Q AOUT 1996 tité ou sa fiche d’état-civil au centre qui lui est désigné et vérifie que son nom existe bien sur la liste électorale. S’il ne s’y trouve pas, Vote mode d'emploi voir plus haut. Qui est électeur? montrant qu’il n’est pas privé de ses droits - Le responsable du bureau de vote donne à Les électeurs sont les détenteurs de la natio civiques. Si ces conditions sont remplies, la l’électeur une enveloppe et les listes des can nalité libanaise âgés de plus de 21 ans à la commission est tenue de lui fournir un certi didats. date du 20 janvier 1996. Ne peuvent évi ficat attestant qu’il est apte à élire, certificat - La loi exige que l’électeur se retire dans demment voter ceux qui ont été privés de qu’il doit produire avec sa pièce d’identité l’isoloir pour choisir ses candidats. Il y trou leurs droits civiques et politiques par déci devant le chef du bureau de vote où il aurait vera en général des bulletins préalablement sion de justice. dû être inscrit. imprimés par les différentes listes en pré À ces conditions générales s’ajoutent deux sence. Attention! parfois, un candidat qui conditions «techniques». La première est Où voter? n’est pas membre d’une liste fait imprimer d’avoir une carte d’identité valide d’avant Dans le lieu de résidence mentionné sur la un bulletin quasi-identique à celui de la liste 1975 ou une fiche d’état-civil valide émise carte d’identité ou la fiche d’état-civil donc qu’il veut «parasiter» en mettant son nom à après le 1er janvier 1992. La seconde est pas forcément dans le lieu de résidence la place de celui d’un autre candidat. d’avoir son nom sur la liste électorale de sa actuel. Pour connaître son bureau de vote, il - De toute façon, l’électeur a le droit de circonscription, ce qui, en principe, doit se faut consulter les listes publiées quelques refaire la liste, de réécrire (lisiblement et sans faire automatiquement, ainsi qu’on peut - et jours avant les élections par le ministère de fautes d’orthographe, se conformer pour qu’on doit - le vérifier chez le moukhtar. l’Intérieur. Dans les villes, il y a des centres cela à la liste des candidats fournie par le Cette année, le délai pour l’inscription de de vote (en général les écoles publiques) qui bureau) les noms des candidats sur un ceux dont le nom avait été omis était com regroupent plusieurs bureaux. papier séparé. Il peut barrer des noms pour pris entre le 25 mars et le 25 avril. Mais, en ajouter d’autres en respectant l’équilibre même si le citoyen a laissé passer le délai, il Comment faire? confessionnel des listes. S’il ne le fait pas, garde la possibilité de réparer l’oubli et cela, - Les bureaux de vote sont ouverts aux élec c’est le premier mentionné sur la liste qui est le jour même des élections. Il doit alors se teurs de 7 à 17 heures. Le bureau est dirigé compté. Autrement dit, si l’électeur choisit rendre au bureau du caïmacam où siège la par un fonctionnaire. Les délégués des diffé en même temps Monsieur X et Monsieur Y, commission des listes électorales, muni de sa rents candidats ont le droit de s’y trouver en tous deux de la même confession, alors que carte d’identité ou de sa fiche d’état-civil permanence pour surveiller de bout en bout le découpage électoral n’octroie qu’un siège (dans les conditions de validité précitées) la procédure de vote. à cette communauté, c’est Monsieur X qui ainsi que d’un extrait de casier judiciaire - L’électeur se présente avec sa carte d'iden- bénéficiera seul de son suffrage. - L’ajout d’un titre académique ou honori fique (Maître, Docteur, Bey...) amène l’an nulation du nom porté sur le bulletin. - Une fois son choix fait et le bulletin mis dans une enveloppe qu’il ne faut pas oublier T1MELESS de cacheter, l’électeur place l’enveloppe dans l’urne et signe sur le registre devant son non, ce n’est pourtant pas aussi simple. INVESTMENT nom. Le responsable du bureau de vote Cette confusion fait en tout cas un heu tamponne la carte d’identité ou la fiche reux, Samir Frangié qui a formé une liste d’état-civil à la date du jour. (incomplète) de la «troisième voie» et IN qui a de solides chances de jouer les out Bulletins blancs et autres siders. Celui qui fut le «Bey rouge» n’ef - Les bulletins blancs sont considérés fraie plus à Zghorta, ni même à RELIABILITY comme nuis. Bécharré, tout en conservant une aura - Les bulletins annulés sont ceux qui pré certaine dans l’électorat musulman à la sentent des anomalies. fois du fait de son passé de gauche et du WÊ - L’électeur a le droit de se plaindre chez le souvenir de son père, Hamid Frangié. caïmacam de toute anomalie observée dans Malgré ses liens, il est vrai distendus, le bureau de vote. avec Hariri, il a juste l’avantage d’appa à raître à l’écart des manœuvres de palais. ELEFUNKEN Cas spéciaux Face à deux listes liées chacune à sa - Les électeurs de la bande frontalière occu manière au système, la sienne présente TECHNOLOGY pée par Israël doivent pouvoir élire leurs l’attrait de l’innovation, avec des person candidats dans des bureaux de vote instal nalités à la fois neuves et bien enracinées \N arra. lés hors de la région occupée. En 1992, comme Nawaf Kabbara, un des c’était à Saïda. Mais, cette année, il est ques emblèmes du mouvement associatif, par tion d’ouvrir des bureaux à cet effet à Bey ailleurs fils d’un ancien député, Moha routh. med Jisr, petit-fils d’un autre Mohamed - Les électeurs des villages détruits dans le Jisr, celui qui fut candidat à la présidence Chouf devront pouvoir voter dans les vil en 1932, ou Rachid Jamali, président de lages voisins. Ils pourront vérifier les listes la Ligue culturelle, un des bastions de t qui seront publiées à cet effet par le minis l’anti-karamisme à Tripoli. tère de l’Intérieur.

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Une troisième voie. • •

n appelant à la participation, avec coopération et de coordination.(...) affronter deux dérives également dange­ Ed’autres, nous n’étions pas dupes un Quant à la deuxième condition, elle reuses: seul instant des vices de la loi électorale, requiert que les opposants participent à - celle qui consiste à se retirer du combat, ni de l’indifférence de l’État face aux la bataille électorale sur des listes indé­ à boycotter la bataille et à accuser de tra­ revendications de l’opposition: forma pendantes qui défendent les grands lignes hison ceux qui y participent (les antécé­ tion d’un gouvernement dont les de ce programme au lieu de mendier une dents de ceux qui brandissent ces accusa­ membres ne soient pas candidats, adop place sur une liste loyaliste pour revêtir tions ne leur permettent pas au tion de la carte électorale, fixation d’un de nouveau les habits de l’opposition si demeurant de donner des leçons...), plafond pour les dépenses... ses portes se referment devant eux. - celle qui consiste à passer du boycott à Nous n’ignorions pas non plus le plafond Une troisième condition consiste à com­ une participation à plat ventre, avide politique mis à la bataille électorale, ni prendre la participation comme un com­ d’une chaise ou d’un rôle tel l’affamé les limites de l’impact qu’aura la partici­ bat de tous les jours, un combat ouvert et après des années de «privation»... pation, ni la grande «compétence» dont populaire qui cherche à accumuler les De la sorte, le clivage ne sera plus entre le font preuve certains services en matière points, un combat qui amène à discuter participant et le boycotteur, mais entre de fraude, ni la possibilité que l’État les thèses du pouvoir et ses pratiques, et un participant-opposant qui œuvre à la exploite les participants pour légitimer appelle une pédagogie des citoyens qui réforme de l’intérieur, un participant qui une opération électorale dont les défauts doivent être informés sur leurs droits et ne cherche que sa part des gains et un sont nombreux, ni le poids décisif qu’a stimulés dans leur sens de la résistance boycotteur qui prétend renverser la situa­ une instance non libanaise dans la for­ démocratique pour dénoncer fraudes, tion du jour au lendemain. mation des listes et dans la victoire avant pressions ou pots-de-vin. (...) même le scrutin, de ceux qui auraient été La participation qui se fonderait sur ces nommés «députés». critères représente la juste voie pour Georges Nassif, al-Nahar, 29 juillet Au contraire. C’est parce que nous sommes conscients de ces vices et de ces risques que nous avons insisté sur la par­ ticipation, seul moyen d’empêcher que cette dégradation n’entraîne tout le pays à la noyade, avec ce qui lui reste de sou­ veraineté, de liberté et de prospérité. Mais, à notre sens, la participation requiert des conditions sans lesquelles Faux témoins elle perdrait sa finalité pour devenir un (...) Oui, c ’est ainsi qu’ils veulent que et que la loi vient appuyer cette falsifica­ ralliement sans conditions au pouvoir. nous soyons dans le prochain Parlement: tion pour que la majorité soit une majo­ La première de ces conditions étant que de faux témoins. On s’oppose, on crie, les rité préfabriquée, artificielle et program­ la participation doit se référer à un pro­ voix s’élèvent et puis, comme d’habitude, mée, n’ayant aucun lien avec l’opinion de gramme qui doit inclure: les projets sont soumis au vote, on va jus­ la majorité populaire, à ce moment-là il a. le refus d’une application déformée, qu’à proposer de rayer l’intervention du n’est pas permis d’accepter de rentrer partielle et sélective de l’accord de Taëf et procès-verbal et les projets sont adoptés à dans ce jeu pour couvrir ceux qui ont la réhabilitation de cet accord en tant que la majorité, selon les «principes démocra­ voulu et qui veulent défigurer l’image du pacte national liant les Libanais entre tiques» et avec la couverture de «l’oppo­ Liban et l’opinion du peuple. eux, et susceptible d’évoluer à l’avenir, sition» qui, en participant aux élections, Disons-le franchement: si, un jour, un b. l’exigence d’un État de droit (renforce­ aura approuvé ce jeu. projet visant à faire disparaître le Liban et ment de l’indépendance de la magistra­ Et si vous essayez de vous adresser à quel­ son identité est proposé et que l’opposi­ ture, équilibre entre le législatif et l’exé­ qu’un pour dénoncer cette pratique, on tion, après avoir participé aux élections et cutif, garantie des libertés, fin des abus vous répond que ce sont les règles du «jeu donné la couverture légale et populaire à de pouvoir), démocratique» auquel vous avez parti­ ce Parlement boiteux, réagit avec férocité c. le réajustement de la politique écono­ cipé et donné la couverture requise. et demande le renvoi de ce projet, tandis mique et le lancement d’une guerre Pareille logique serait acceptable si la qu’un autre député demande de rayer les contre la corruption, représentativité était correcte et si la loi interventions des opposants sous prétexte d. la remise en question de la politique électorale était juste, de sorte que le Par­ qu’elles nuisent à l’image de l’Assemblée, sociale, lement serait conforme à la volonté du que fera alors l’opposition parlementaire e. la correction du déséquilibre qui pré­ peuple... C’est dans ce cas, et dans ce cas quand le projet sera mis au vote et vaut dans les relations libano-syriennes seulement, que l’on peut accepter le jeu «adopté à la majorité»? À qui se plain­ qui doivent être reformulées sur des bases démocratique fondé sur le principe de dra-t-elle? Ira-t-elle pleurer devant les garantissant l’indépendance et la souve­ majorité. portes des ambassades occidentales? Ou raineté des deux États, dans un cadre de Mais quand la représentativité est falsifiée bien appellera-t-elle à des manifestations?

L’ORIENT-EXPRESS O O AOUT 1996 Une culture d'opposition Cherchez la femme

D errière chaque grand homme, cela une opposition qui ne possède pas L’o ppo sit io n parisienne» ne possède il y a une femme» a dit quelqu’un. une culture d’opposition. ^ pas une culture d’opposition. Après Oui mais que fait-elle et surtout que fait- Cette opposition vit un état psycholo­ avoir signalé ses observations sur la poli­ elle derrière? Elle s’active, diront gique qui lui fait penser que le pouvoir lui tique du pouvoir, elle saute très vite au quelques-uns. Elle se terre répondront a été volé et qu’elle voudrait le récupérer boycott. Il est donc impossible pour qui­ d’autres. Elle s’agite, s’avance, se cache, en entier, et tout de suite. Elle refuse de conque lit avec attention ses thèses de s’abrite. Elle profite, manigance, s’opposer à ce pouvoir-là en particulier trouver un plaidoyer sérieux qui puisse intrigue... profite. Elle se prélasse, se parce qu’elle se sentirait diminuée, même convaincre de la pertinence de l’absten­ délasse, l’enlace. Elle... Elles... Quoi­ si le pouvoir, lui, n’en serait pas nécessai­ tion. qu’elle fasse - ou ne fasse pas - de toute rement conforté. Et elle préfère boycotter (...) manière, chez nous elle est vraiment der­ en proclamant son intention de former Pour l’essentiel, le prétexte de l’appel au rière, loin derrière. Et d’ailleurs pas seu­ un contre-Parlement et un sbadow Cabi­ boycott est que le pouvoir n’a pas pris en lement derrière le «grand» homme. net. Pour elle, le terme d’«opposition de considération l’opinion des opposants ni Grand, moyen ou petit, l’homme, de l’extérieur» qui lui est appliqué équivaut leurs remarques. Autrement dit, l’essence toute façon, est devant. à une insulte, parce qu’elle préfère se de cette protestation tient à ce que l’op­ En cette période de fièvre (elle commence penser comme un «gouvernement en position n’a pas sa part dans le pouvoir à monter... enfin!) électorale, on aurait exil». exécutif, voire qu’elle ne l’accapare pas. souhaité en voir quelques-unes quand Elle s’imagine être un «gouvernement en (...) même. Qui ne soient ni la fille, ni la exil» parce que cela colle plus à sa men­ L’argument utilisé pour ne pas mener la sœur, ni la femme, ni la veuve de quel­ talité qui ne fait pas place à l’idée d’op­ bataille de la transformation en minorité qu’un. Une candidate quoi, une vraie. position. parlementaire opposante est que le trio Pas forcément éligible. Quand si peu de parisien (plus Raymond Eddé) n’est pas (...) candidats le sont, on ne va quand même une majorité au pouvoir. Pas de maillon pas exiger que la candidate le soit. Joseph Samaha, al-Safir, 18 juillet intermédiaire, c’est tout ou rien. C’est Nous sommes un pays «moderne» (pas comme les autres alentour), une société «civilisée» (au moins trilingue), un peuple dynamique (quelle énergie ces Libanais, voyez comme ils reconstruisent - avec la même énergie ils détruisent d’ailleurs). Chez nous les femmes sont libérées (il n’y a qu’à voir tous ces tri­ angles qui se baladent sur les plages entre seins et jambes), les hommes, compré­ hensifs (chérie, tu as ton cellulaire et ton chauffeur, ciao, à ce soir, je ne sais pas à Personne ne le sait, mais la réponse sera quelle heure je rentre). Alors pourquoi? que dans le cadre du «jeu démocratique» Pourquoi aucune femme dans ces talk- c’est la volonté de la majorité qui a voté shows qui se multiplient et se prolon­ en faveur de ce projet et que vous n’avez gent? Pourquoi aucun portrait de femme qu’à acquiescer!!! ne contribue à la décoration de Beyrouth Oui, ce jour-là, nous serons contraints en cet été de tous les styles: moustachu, d’acquiescer. Mais je vous demande, vous barbu, jeune-clean, vieux-beau, souriant qui appelez à la participation pour rentrer à l’avenir, fort de la tradition? Pourquoi dans le jeu et pratiquer l’opposition de aucune femme ne participe à rien? l’intérieur, je vous demande si, malgré Ah! Ça y est. C’est ça. Ça ne peut être votre opposition, un projet d’union ou de que ça. Elles boycottent. Fallait le dire. quasi-union avec la Syrie ou avec un tout Et pourquoi ne le disent-elles pas? autre pays est voté par la majorité, Ça a l’air drôle, comme ça. Mais ça n’est croyez-vous que la majorité du peuple pas drôle du tout. Eh bien, continuons à sera effectivement pour l’union, et en ne voir dans notre pays qu’un vaste Club phase avec l’opinion de la majorité parle­ Med à réaménager, dans notre société mentaire? que des communautés à faire tout juste Cette loi (électorale) a été confectionnée à coexister, dans notre patriotisme que de la mesure de ceux qui l’ont confection­ l’artisanat à moderniser et dans nos élec­ née... Et ceux qui l’ont confectionnée ne tions que des promoteurs à gaver, eh confectionnent pas aux mesures du bien donc, mes chères compatriotes Liban! (comment faire pour écrire compatriote au féminin?), continuons donc, en ce bel (...) été, à nous faire... bronzer! MONA DAOUD Gebran Tuéni, Nahar al-Chabab, 16-22 juillet

LORIENT-EXPRESS Q Q AOUT 19% Une autre form e de participation

Publi-élection ERAIT-ON EN TRAIN DE DÉCOUVRIR peaufinant son image (et son look), LE MARKETING POLITIQUE? On en lui dispensant des conseils a loi libanaise ne prohibant pas la S publicité politique dans la presse pourrait le croire. L’agence de techniques pour l’élaboration de ses Lécrite, ce sont surtout les journaux qui publicité MAC (Me diterr anneau discours, en lui proposant des profitent de la saison électorale. Plus Advertising Co. ) vient en effet de slogans. Bref, du sur-mesure. MECC «classe» et surtout plus clean que lancer, une première au Liban, une met aussi à la diposition du client l’affichage sur les murs et pylônes boîte de conseil en communication son département de recherche et de électriques, les pages des quotidiens politique, Management of Electoral documentation. En fait, il ne s’agit s’offrent «généreusement» aux candidats Campaigns Center, pour répondre, pas d’un package-deal. Le candidat plus fortunés. semble-t-il à une certaine demande. peut choisir «à la carte» dans la Supports publicitaires par excellence, les Jean Rebeiz, le directeur, affirme en palette des services offerts par la quotidiens ouvrent donc leurs pages aux effet avoir «trié» ses seize candidats- société. Des services qui coûtent cher candidats désireux de se faire connaître clients (politiquement corrects?) puisque l’image à elle seule est des électeurs par la publication de leurs parmi plus d’une centaine. Autre facturée sept à huit mille dollars. photos et/ou, pourquoi pas après tout?, règle de la maison: ne jamais Candidats non-dollarisés (y en a-t- de leur programme électoral, en quelques accepter deux concurrents d'une îl?) s’abstenir. lignes ou sur plusieurs colonnes sous même circonscription. La campagne terminée - et le forme de pubh-information. Pour éviter Dix-huit permanents secondés par «produit» lancé - la mission de que le lecteur ne fasse une confusion des professionnels de la MECC ne s’arrête pas entre l’information objective ou communication (parmi lesquels des nécessairement. Le candidat (le «normale» et l’information publicitaire, journalistes et des universitaires), député?) pourrait alors être la prose électorale doit se distinguer du «accompagné» dans sa vie politique, reste du journal. Celle-ci est souvent s’emploient à apprendre au candidat s’il a réussi à en avoir une. Avis aux insérée dans un encadré et le mot (en a-t-il vraiment besoin, depuis le «communiqué» (bayârt) doit temps?) comment se «vendre» à son amateurs, MECC, comme son nom obligatoirement et lisiblement figurer à la marché-cible, le peuple: en l’indique, ne finira pas avec les fin du texte. Les mots déplacés, insultes et autres expressions douteuses n’y ont pas leur place. Le Nahar est naturellement le quotidien Le flou de la télé le plus sollicité de la presse libanaise. Il affiche ainsi les plus hauts tarifs qui ie n que le C onseil des m in is t r e s ait connaissance avec un candidat à travers varient selon l’espace occupé par le interdit aux médias audiovisuels de reportages et interviews. Parlement communiqué. Jusqu’à trois fois plus Bfaire de la publicité électorale, les 2000, présenté par Elie Nakouzi et chère qu’une publicité normale, la chaînes de télévision ne se sont pas largement inspiré de l’ancienne émission publicité électorale est par ces temps privées de produire des émissions de Télé-Liban, Parlement 96, de Samar moroses, une manne occasionnelle mais «politiques». Un certain nombre de Hajj, reçoit autour d’une table quatre non négligeable pour la presse «privilégiés» continuent de bénéficier de candidats d’une même circonscription indépendante. Les candidats négocient ce formidable instrument qu’est la qui répondent aux questions de directement avec le journal sans passer télévision. Ainsi pour accompagner les journalistes de la presse écrite. Télé par la régie publicitaire ou par des élections, certaines chaînes ont Liban diffuse dans son bulletin agences de pub, ces intermédiaires maintenu leurs programmes politiques d’information Mourachaboun des obligés qui normalement touchent des habituels, d’autres ont conçu de interviews de candidats aux élections. commissions importantes (jusqu’à 50% nouvelles émissions comme la MTV Partout, on affirme que la sélection est des recettes). L’insertion minimale (15cm avec Yom ma‘ mourachah (Une journée rigoureuse et représentative de toutes les x 2 colonnes) coûte au candidat 1500 avec un candidat) préparée et présentée régions et tendances électorales. Mais dollars et la maximale (une page entière) rares sont les candidats de listes lui coûte 15 000 dollars. par Claude Hindi où l’on fait Peu sollicité parce qu’il touche moins la masse L’Orient-Le Jour affiche pourtant les mêmes tarifs. Au Safir, la page est à Errata 13 000 dollars. Al-Anwar la facture de son côté 10 000 dollars. Mais ce Rida al-Solh avait appelé son fils Riad. Un coup de soleil nous a fait attribuer au père le nom quotidien permet aussi à un candidat, du fils. pour un montant relativement modeste Tout schizophrène qu’il ait été, Fernando Pessoa, qui a usé de nombreux hétéronymes, n’avait (300 dollars), de faire publier une petite cependant aucun Mhétéronyme. information ou un court communiqué. Il Tarzan, c’était Johnny Weismuller. fait aussi de «la publicité indirecte» et Ella a chanté Johnny B. Goode et Mack the Knife. ne cache pas qu’il réalise des interviews Qu’ils nous le pardonnent tous, ainsi que nos lecteurs. L’été beyrouthin, lui, ne pardonne pas. payantes (même tarif que la publicité A suivre?

L'ORIENT-EXPRESS 2 4 AOU T 1996 ersion vfrançaise Le Bi bi Show

N GAGNANT LES ÉLECTIONS ISRAÉ- semaines plus tard, Netanyahu n’ajoute libre entreprise, véritable cheval de ELIENNES, Benjamin Netanyahu a dû pas grand chose devant Bill Clinton. Au bataille de la droite américaine. Pour avoir un (très bref) élan de tendresse pour contraire, il change les bases du débat. Melinda Liu et Bill Turque de N ewsweek David Lévy. Après tout, c’était l’incapa- Devant le Congrès à majorité républi- (22 juillet 1996), en prônant la dérégle- cité du ministre des Affaires étrangères de caine il dénonce les régimes iranien et ira- mentation de l’économie israélienne, Yitzhak Shamir à parler l’anglais qui qien, particulièrement impopulaires en Netanyahu a pu «se présenter comme un avait permis à Netanyahu, alors ambassa- Amérique, et martèle que Jérusalem ne fidèle disciple de la pensée américaine». Il deur à l’ONU, de devenir le principal sera jamais divisé par un nouveau «mur a surtout insisté sur le désir d’Israël de porte-parole israélien pendant la guerre de Berlin». La réaction exagérément cha- réduire sa dépendance par rapport à du Golfe en 1991. C’est en bonne partie leureuse des parlementaires, qui n’est pas l’aide américaine, estimée à trois milliards grâce à sa capacité à savamment commu- étonnante en cette année électorale, a de dollars par an. Mais, comme l’indi- niquer en anglais que «Bibi» Netanyahu montré que Netanyahu avait bien su quent Liu et Turque, «Netanyahu n’est allait devenir le numéro un du Likoud, choisir ses symboles. pas le premier leader du Likoud à faire de puis Premier ministre. Pour Steven Erlanger, écrivant dans le telles promesses». Pourtant, la vigueur Pendant sa récente visite aux États-Unis N ew York Times (International Herald avec laquelle la résolution a été applaudie en juillet, Netanyahu a non seulement Tribune, 12 juillet 1996), Netanyahu par les membres du Congrès – comme visait deux publics dans son discours, pour dire que l’ami était devenu légère- l’américain et l’israélien. D’après lui ment encombrant – a dû quelque peu cependant, le Premier ministre n’aurait relativiser l’euphorie du Premier ministre pas réussi à changer l’attitude des plus israélien. importants médias américains qui sont L’influence américaine sur Netanyahu restés sceptiques quant aux intentions du s’est aussi révélée dans sa campagne élec- gouvernement Likoud. Cette attitude est torale. Le candidat du Likoud a cherché à partagée par Hala Maksoud, présidente se personnaliser devant les médias, à l’op- du Arab-American Anti-Discrimination posé de l’éternellement gris et classique Committee (ADC), la principale organisa- Shimon Pérès. L’omniprésence de Sara tion représentant les Américains d’origine Netanyahu – dont le rôle s’est de toute arabe. Que Netanyahu puisse adopter évidence limité à être serrée par le tendre une telle position sur Jérusalem et être Bibi – n’est qu’un exemple des plus fla- ovationné par le Congrès est pour elle grants. Même durant sa visite à Washing- «choquant». En effet, d’après les accords ton, c’est le charme personnel de Neta- AFP d’Oslo, le statut final de Jérusalem ne doit nyahu qui lui a permis d’établir des montré qu’il était télégénique mais qu’il être déterminé qu’à la suite de négocia- relations de confiance avec les organisa- offrait aussi une compréhension profonde tions entre Israéliens et Palestiniens. L’at- tions juives américaines qui restent divi- du système politique aux États-Unis. De titude du Congrès affaiblit cette sées sur le processus de paix. tous les premiers ministres israéliens, y condition. Pourtant, la personnalisation peut présen- compris Yitzhak Rabin, Netanyahu est Historiquement, les électeurs juifs améri- ter un désavantage comme le démontrent sans doute le plus accessible au public cains votent démocrate. Cela rend plus Marc Peyser et Mark Dennis, également américain. Il a su en profiter pour éviter intéressante l’alliance de fait entre Netan- dans N ewsweek (15 juillet 1996). «N eta- de faire des concessions à la Maison- yahu et le Congrès républicain. Pourtant, nyahu voulait une couverture médiatique Blanche sur sa vision des négociations de depuis les années 80, il existe une sympa- à l’américaine. Il l’a eue», titre leur article paix au Proche-Orient. Netanyahu a par- thie prononcée pour Israël chez des sur le conflit ouvert qui a opposé récem- ticulièrement bien réussi à jouer les diffé- groupes fondamentalistes protestants ment Sara Netanyahu à une jeune fille qui rents centres de pouvoir américains les américains. On se souviendra, par s’occupait de ses enfants. La fille, Tanya uns contre les autres pour neutraliser exemple, que c’est le révérend Jerry Fal- Shaw, vexée d’avoir été renvoyée pour toute pression concertée contre lui. well, l’influent président de la Moral avoir tout simplement brûlé une soupe, a Mieux, il a abordé les institutions améri- Majority, qui avait défendu avec la plus décidé d’aller se plaindre aux médias. Elle caines quasiment comme un politicien du vive émotion le bombardement israélien révèle que Sara Netanyahu est tellement pays, comprenant ce qui était capable de la centrale nucléaire Osirak près de obsédée par la propreté, qu’elle oblige le d’émouvoir ses interlocuteurs, et de les Bagdad en 1981. Pour ces groupes, l’exis- Premier ministre à se laver les mains inquiéter. tence d’Israël permet en quelque sorte à la avant de toucher ses propres fils. Shaw En juin, à Jérusalem, avant son départ Terre promise d’être entre de bonnes raconte qu’une fois elle s’est vu traiter de pour les États-Unis, le Premier ministre mains. Cette attitude s’était combinée à «meurtrière» pour avoir laissé les enfants israélien commence par repousser les ten- une autre pendant la guerre froide, qui Netanyahu seuls pendant quelque temps. tatives du secrétaire d’État, Warren voyait en Israël un pays efficace et L’irrévérencieuse presse étrangère en Christopher, d’en savoir plus sur les moderne et un allié important des États- Israël n’a pu résister à trouver une réfé- intentions du nouveau gouvernement – Unis contre l’expansion soviétique. rence américaine pour décrire l’épisode; surtout sur son refus d’échanger la terre Dans sa tentative d’éloigner toute critique ils l’ont appelé «Nannygate». contre la paix – indiquant qu’il en dirait de sa politique régionale, Netanyahu a plus à Washington. Pourtant, deux aussi joué devant le Congrès la carte de la MICHAEL YOUNG

L’ORIEN T-EXPRESS 26 a o û t 1996 Avec cette nouvelle rubrique, L’O rient- Express ouvre ses pages à des photographes internationaux qui, à l’écart des modes et de la dictature de l’actualité, travaillent sur le temps long. Chaque mois, on trouvera donc un reportage photographique en noir et blanc, généralement accompagné d’un texte du photographe lui-même, DL1RRSC94 sur des sujets qui ont parfois exigé des années de travail. Cette rubrique sera coordonnée par Samer M ohdad, lui-même photographe reconnu - il était membre du jury du World Press Photo pour 1995. L’O rient-Exp ress

"V A LA RECHERCHE DU Sh a n g r il a PERDU REPORTAGE PHOTO MANUEL BAUER, LOOKAT

Pour fu ir l’occupation et retrouver dans l’exil leur culture, des Tibétains courent mille risques à travers l’Himalaya. A 5716 mètres d’altitude, un père tente de conduire sa fille de Lhassa à Dharamsala, le havre du D alaï Lama.

L'ORIENT-EXPRESS 2 g AO U T 1996 anu el Bauer est né en Su isse en 1966. Il a étudié la photographie à la Hôhere Schule für Gestaltung de ZurichM et dans les studios de Thomas Cugini. Photographe free-lance depuis 1988, il a couvert depuis l’histoire du peuple Tamoul au Sud de l’Inde, la lutte des Tibétains et les problèmes liés à l’expansion démographique de la ville de Calcutta et ses bidonvilles. Ses photos ont été publiées notamment par Dos Magazin, Neue Züricher Zeitung, Schweizer Familie, Der Spiegel, The Independent Magazine, Time, GEO F/D, Die Zeit Magazin et El Pais. Il a remporté en 1995 pour son travail sur Calcutta le Kunstpreis de la ville de Küsnacht et la Bourse fédérale suisse pour les arts appliqués. En 1996, son travail sur le Tibet lui a valu une mention honorable du World Press Photo (catégorie «Vie quotidienne»), le Prix Yann Geffroy Price, Grazia Neri (Italie) et le prix Picture of the Year aux États-Unis (catégorie «Magazine Division-Feature Picture Story»).

Des pèlerins faisant pénitence sous le nez d’une patrouille Traverser la toundra gelée est dangereux. Un groupe, si petit soit- militaire chinoise. À l’arrière-plan, l’immeuble du Tibetan il, peut être repéré de loin par les patrouilles militaires Tourism Corporation China

L'ORIENT-EXPRESS 2 9 AOÛT 1996 Du beurre de yak pour se protéger du soleil

pr è s avoir f a it une exposition sur le thème de «la culture tibétaine en terre Aétrangère» - qui avait été inaugurée par Sa Sainteté le Dalaï Lama -, il était clair pour moi que je devais continuer de travailler sur le thème de la culture tibétaine en exil. Et pendant plus de six ans, j’ai cherché à rapporter différents aspects de la culture et de la société tibétaines en exil. Le gigantesque effort qu’ont fait les Tibétains exilés, pour reconstituer un tissu social et culturel afin de maintenir et promouvoir leur identité en pays étranger, ne saurait être suffisamment reconnu. Le gouvernement indien a contribué à ce succès en allouant des terrains aux réfugiés tibétains. La quasi-totalité des 100 000 réfugiés tibétains établis dans le sous- continent indien vivent dans des camps remarquablement organisés. Les Tibétains Six jours après avoir quitté Lhassa, un bout de chemin en stop dans un camion ont réussi à construire une véritable allant à Tingri infrastructure, ainsi que des écoles, des hôpitaux, des fermes agricoles, etc. Dès le début, le Dalaï Lama a compris que sans un système scolaire adéquat, la culture tibétaine ne pourrait pas survivre dans l’exil. Aujourd’hui les institutions culturelles et les

L’ORIENT-EXPRESS 30 AOÛT 1996 Le col de Nangpa La, à 5716 mètres d’altitude: la frontière entre le Tibet et le Népal. Hommage aux dieux à l’aide de la traditionnelle écharpe blanche ou khata

écoles ont réussi à atteindre ce but. Les écoles de théâtre et de danse fleurissent en Inde, ainsi que plus de 160 monastères tibétains dont certains abritent pas moins de 3500 moines. Les réfugiés sont aussi parvenus à un niveau de vie souvent supérieur à celui des autochtones; les fermes tibétaines et les usines de tapis emploient parfois même des ouvriers indiens. Cette situation na va pas d’ailleurs sans susciter des jalousies et peut créer des conflits entre la population locale et les réfugiés. Pendant six ans, donc, j’ai étudié les différents aspects de la vie des Tibétains de la diaspora en Inde. Dans chacun des domaines que j’ai traités, il y a une histoire à raconter, mais je n’ai jamais voulu perdre de vue le contexte général. Les sujets sur lesquels j’ai travaillé sont: la vie de la huitième réincarnation de Shantidevas, la vie dans les Au dixième jour, la traversée des glaciers Kyetrak et Gibrag monastères d’exil, l’éducation, la médecine, la sauvegarde du patrimoine culturel par l’enseignement des Grands Maîtres et par l’artisanat, ainsi que la communauté tibétaine en Suisse, qui est la plus grande hors d’Asie. En 1995, j’ai commencé par travailler sur la

L'ORIENT-EXPRESS 31 AOÛT 1996 Boire enfin, en perçant la couche de glace recouvrant un des petits lacs de montagne

Le Dalaï Lama reçoit toujours les réfugiés quand il se trouve à Dharamsala. Il s’enquiert également de la situation au Tibet

vie de l’autre côté de l’Himalaya. Mais au lieu de me consacrer véritable ville interdite aux étrangers. J ’ai ensuite commencé à au seul aspect culturel de la vie tibétaine, comme je l’avais fait traiter la restructuration de la vieille ville à Lhassa par les en Inde, à l’intérieur du Tibet, je me suis concentré sur la Chinois. réalité politique, la condition précaire des Tibétains vivant Comme il était clair que je ne pourrais saisir sur la pellicule les dans leur patrie occupée. crimes commis par l’occupant chinois, j’ai décidé de travailler La destruction systématique de la haute culture tibétaine, les sur le sujet de la voie d’évasion du Tibet à travers l’Himalaya, violations des droits de l’homme, l’occupation persistante du pour faire le pont entre la dure réalité dans le Tibet occupé et pays par les Chinois et le processus de sinisation sont les la vie en exil. Cinq années durant, j’ai préparé ce projet qui principaux aspects de mon travail. Je prévois de poursuivre montre combien déterminés sont les Tibétains qui fuient, dans cette voie et espère donner une impression de ce qu’est la puisque les risques encourus sont énormes. Mais, en définitive, vie aujourd’hui dans cette prétendue «région autonome du qu’est-ce qui est pire? Rester au Tibet, ou s’évader au péril de Tibet». Mes deux premiers projets étaient centrés sur sa vie? l’occupation militaire chinoise et la sinisation en cours J ’ai ainsi accompagné un père et sa fille dans leur dangereux (comme moyen de contrôle politique). J ’ai pu prendre des périple sur les hauteurs du Nangpa La, à 5716 mètres photos d’une base militaire chinoise qui est devenue une d’altitude, de Lhassa au Tibet, à Dharamsala, l’exil indien du

L'ORIENT-EXPRESS ^ 2 AOU T 1996 La fin de l’épopée, un peu de repos dans une auberge pour touriste. Première nuit sous un toit

Dalaï Lama. La fille allait vivre dans une pension de Dharamsala pour recevoir l’éducation tibétaine qui lui avait été refusée dans son pays. Nous sommes restés ensemble pendant tout le voyage, avec toujours la crainte d’être surpris par l’armée chinoise ou une police népalaise corrompue, constamment confrontés aux morsures du gel, à la déshydratation et aux tempêtes de neige. Aujourd’hui, quarante-cinq ans après l’occupation chinoise du Tibet, des milliers de Tibétains risquent encore leur vie pour trouver refuge en Inde et au Népal. C’est que, pour beaucoup de Tibétains qui continuent de vivre dans leur pays, la richesse culturelle de la diaspora leur semble être la promesse d’un nouveau Shangrila.

MANUEL BAUER

L'ORIENT-EXPRESS S? O AOÛT 1996 j TTrji- J Ç ’ Stïî 'm JSiiT - 7* • i --- - ’ -~~t --^ T tijlîÛ T 1 ••••■B'-' *■

Les lieux DE L’ÉTÉ

PHOTOS VICTOR FERNAINÉ

D e B r o umma na à K l eia t , de D hour C h o u eir A B ham- DOUN, LA MONTAGNE LIBANAISE N*A PAS PERDU CE CHARME SI PRISÉ DANS L’IMAGERIE TRADITIONNELLE. POURTANT ENTRE VILLAGES FANTÔMES ET CONSTRUCTIONS SAU­ VAGES, ON TOMBE PARFOIS DE HAUT. E t SI BROUMMANA GARDE ENCORE DE BEAUX RESTES, L’ACTIVITÉ SAISONNIÈRE n ’a pl u s l ’effer vescence d ’antan. T o u r ist e s et est i­ vants NE SONT PAS AU RENDEZ-VOUS CETTE ANNÉE.

L'ORIENT-EXPRESS 34 AO Û T 1996 BROUMMANA Et d ir e que c ’ét a it la v il l e DE MON PREMIER AMOUR

OUR LA PLUPART DES LIBANAIS, Broum- connu une flambée spectaculaire, et le ter ensuite, une fois le calme rétabli. mana reste le lieu de villégiature le contrecoup a fini par se faire sentir. Si Entre-temps, certains ont préféré rester. Pplus fourni en sex-appeal. Lézarder sur la l’on était plus disposé ou contraint par la Mais les commerçants évoquent avec terrasse du Manhattan où «Walid Bey» a guerre à se plier aux abus de la loi de nostalgie la période 1989-1990 pendant eu un temps ses habitudes (avant, nous l’offre et de la demande, aujourd’hui, on laquelle l’activité restait constante toute dira l’un des garçons, que la campagne y réfléchit à deux fois. La demande locale l’année. Le centre Rizk Plaza avait électorale n’accapare tout son temps), ou décroissante n’a pas incité les proprié­ ouvert ses portes à de nombreux com­ se laisser bloquer dans l’embouteillage taires et autres appart-hôtels de Broum­ merces qui s’y sont délocalisés, au moins d’un soir d’été, entre deux rangées de mana à réviser leurs tarifs à la baisse, temporairement. Broummana demeure cafés-trottoirs (un trottoir? où ça?), c’est investissant tout leur espoir dans la clien­ quand même un centre d’estivage où l’ac­ encore aujourd’hui tout un programme. tèle arabe et les expatriés. Du coup, non tivité reste saisonnière. Les commerces, Mais cela risque de s’arrêter là, surtout seulement les estivants locaux ont été qui pour la plupart ouvrent à longueur quand il y a de la crise dans l’air. Quand nombreux à se mettre aux abonnés d’année, enregistrent une nette baisse de l’été s’annonce pourri et qu’il n’y a plus absents à la recherche de solutions de l’activité en hiver, puisque la population grand chose à espérer du mois d’août, rechange, mais les expatriés et les tou­ diminue de près de 50%. Même chose censé être le top de la haute saison, «il ne reste plus qu’à se féliciter, dit avec un sourire narquois Fouad Jamil, directeur du restaurant Fakhreddine, de ces quelques candidats qui font campagne autour d’une bonne table». Si ces propos peuvent paraître exagérés surtout pour ce genre d’établissements, d’ordinaire prisés par une clientèle à fort pouvoir d’achat, il est sûr que, s’agissant d’activité saison­ nière, Broummana et ses localités-sœurs, Beit-Méry et Baabdat, ont connu mieux que l’été 96. Plutôt que de se plaindre, Joseph Abi-Saab, propriétaire de La Gar- gotte et du Gargotier, les deux restau­ rants bourgeoisie bon teint de Broum­ mana, préfère nuancer. Et fait surtout remarquer que si le nombre de couverts ne baisse pas, «on sable le Seven up plus souvent que le champagne». Mais c’est Hanna Chaaya, qui a ouvert, il y a un an, une boutique d’articles de sport à l’entrée de Broummana, qui résume le mieux la situation. «Allez faire un tour du côté de chez Mounir, vous verrez, c’est plein même en semaine. Alors, moi, quand je ristes arabes aussi qui, alertés coup sur pour Baabdat, mais à une échelle diffé­ vois l’embouteillage du soir, je me coup par l’agression israélienne, l’élection rente: plus on monte et plus le phéno­ demande où se cachent tous ces gens dans de Netanyahu et l’échéance électorale mène de banlieue permanente s’atténue, la journée.» locale, ne se sont pas montrés. Pourtant, au profit de la villégiature. «Résidences Il est vrai que les vagues d’estivants par­ nombreux sont ceux qui s’y sont faits d’été», c’est d’ailleurs le nom qu’ont fois forcés des périodes de guerre, puis propriétaires. À en croire les habitants, ce choisi les promoteurs de ce complexe l’ouverture des routes en 1990 qui a attiré serait surtout à cette clientèle arabe et résidentiel en pleine construction sur les toute la bourgeoisie sunnite de Beyrouth aux expatriés que se destineraient les hauteurs de Baabdat. et de Saïda, le retour des expatriés, et nombreux projets immobiliers haut de À condition de ne pas monter trop haut, l’engouement des Arabes du Golfe qui gamme qui voient le jour. dans le quartier des villas par exemple, veulent retrouver dans Broummana un Vouée à l’estivage, Broummana a pu, au cette banlieue bien plus tranquille et ver­ peu de ce que leur offraient Aley et Bham- rythme des guerres qui ont favorisé la doyante que Broummana, garde encore doun, ont habitué la région à plus d’ani­ décentralisation des commerces, devenir quelque part un cachet de village. Heu­ mation. Evidemment, les loyers d’été ont une banlieue permanente, pour se rétrac­ reusement ou malheureusement pour elle,

L’ORIENT-EXPRESS T? C AOÛ T 1996 elle n’a que très peu de potentiel touris­ tique. Deux ou trois hôtels, plutôt des pensions en fait, et pour tout restaurant, quelques snacks pour manger sur le pouce. Mais ce serait, paraît-il, une tare qui fait baisser sa propre cote sur le mar­ ché, puisque les loyers y sont moins chers qu’à Broummana, qui s’en sort toujours mieux même par temps de crise. Prisée par «ceux qui ont des problèmes respira­ toires», raille une mauvaise langue de Broummana, Baabdat commence à atti­ rer une clientèle nouvelle et même quelques villégiateurs arabes. Face à la baisse de la demande, Baabdat, à l’in­ verse de Broummana, a fait profil bas, mais la baisse des loyers n’aurait pas réussi à motiver beaucoup d’estivants. Moins que Broummana, et à plus forte raison que Beit-Méry, Baabdat a connu le phénomène de banlieue permanente à partir de la guerre, qui lui avait fait héri­ ter d’une moindre proportion de rési­ dents annuels, souvent sur des anciens baux, mais elle reste à coup sûr une «banlieue accordéon», selon l’expression d’André Bourgey, qui se vide des deux tiers de sa population en hiver. Son mou- khtar, Sleimane Corbani, un sympa­ thique octogénaire qui a encore tous ses esprits - on ne peut en dire autant de tous ses collègues dans la région - déplore en hochant la tête, l’attitude rétive de cer­ taines épouses de natifs qui tiennent absolument à descendre à la ville «parce que c’est plus chic d’être citadin». Tandis que Toufic Labaki qui loue une polycli­ nique par tranche de deux heures, offre une très importante commission à qui réussira à convaincre une banque d’ou­ vrir une succursale dans son centre de Der n ier tango A Baabdat. À Beit-Méry, il aurait plus de chances. Il est de plus en plus difficile, en effet, de parler de Beit-Méry en termes de centre s SOFAR d’estivage. Cette fonction y est en recul l ’ ent r ée d ’A l ey, l’épais brouillard d’Aley vibrait encore de la voix d’Oum et, n’en déplaise à son moukhtar, Bou­ annonce la couleur: gris. Des nuages Koulsoum. tros Akl, qui a vu la chose d’un très mau­ Ade poussière s’élèvent en volutes derrière Aujourd’hui, Aley s’efforce d’être encore vais œil, on se demande pourquoi, Beit- le passage des camions qui traversent la un lieu de l’été, le prestige en moins. Méry est pratiquement devenue une place à grand fracas. Cacophonie et Comme l’hôtel Jbeily, quatre autres éta­ banlieue permanente. Du reste, le parc de atmosphère oppressante, pour qui n’a blissements du temps d’avant ont rouvert location y est très restreint - puisque les connu ce lieu de l’été que par ouï-dire, on leurs portes. Les touristes arabes du maisons ne se vident pas - et à prix d’or a quelque mal à imaginer ce qu’a pu être Golfe, traditionnellement fidèles, sont (rareté oblige?). Alors, si l’on a envie de à son apogée d’avant-guerre, celle que évidemment la cible privilégiée, mais on monter - pas très haut d’ailleurs - y pas­ l’on appelait Arroussat al-lstiyaf. Sauf préfère taire des taux d’occupation ridi­ ser l’été, on est prié d’acheter. Là, comme peut-être à l’hôtel Jbeily, réhabilité et culement bas. Il n’est plus rare de voir à Broummana et Baabdat, les nouvelles rouvert il y a trois ans. Arrivé là, on se cette clientèle - quand elle existe - préfé­ constructions sont nombreuses, et trou­ réconcilie avec Aley, ne serait-ce que rer la location, à moins qu’elle ne se vent généralement preneurs. On vient y pour le souvenir de la tradition touris­ tourne vers les centres de villégiature du acheter une résidence secondaire, mais tique et de l’époque où cet établissement Metn, Broummana en particulier. Il est surtout y élire domicile - tant qu’à faire à - qui existe depuis 1926 -, a vu défiler vrai que de l’ancien parc hôtelier de Aley, ces prix - vu la proximité de Beyrouth. Abdel-Wahab, Farid al-Atrache et il ne reste pas grand chose. Ni qualitati­ maintes étoiles du cinéma égyptien. vement, avec la nouvelle gérance des éta­ CHANTAL RAYES L’époque où l’amphithéâtre de la piscine blissements réhabilités, ni quantitative-

L'ORl ENT-EXPRESS AOUT 1996 ment. Menaçant de s’écrouler, l’hôtel mana ou à Jounieh. Pour Bassam Zei- chrétiens n’ont aucune excuse pour ne Saint-James qui appartenait à un Koweï­ dane, le jeune et nouveau directeur du pas revenir, surtout les plus riches qui tien, a dû être rasé il y a deux semaines, Jbeily, comme pour ce commerçant, possèdent la plupart des anciens hôtels. et ce n’est que dernièrement que l’on a l’exode de la population chrétienne en On les attend, on compte sur eux pour évacué les soldats syriens de l’hôtel 1983, qui a vidé Aley et Bhamdoun de faire renaître Aley, et s ’ils ne reviennent Tanios, fleuron des années soixante, qui leur potentiel humain, a durablement pas, c’est qu’il y a sûrement un complot. n’a plus de salles de bains. Certes, la pénalisé la région. Et tous vous diront “On” doit être en train de leur dire que reconstruction de l’infrastructure touris­ que leur retour est une condition néces­ nous allons les massacrer». Comme le dit tique a repris. Mais du café-trottoir Yes- saire à la renaissance touristique. Mais la Bassam Zeidane, lui-même druze, la terdays au nouvel hôtel Highland, sans procédure de retour des déplacés qui a guerre a introduit des ghettos confession­ parler des restaurants Asrar, l’effort, s’il commencé il y a deux ans, traîne en lon­ nels, et aujourd’hui, dans les flux d’esti­ est louable, remet en question le savoir- gueur et les versements restent insuffi­ vants de moins en moins importants, on faire de cette génération spontanée. Et sants à couvrir la reconstruction. À en ne compte plus de chrétiens. Abdallah, ce jeune Emirati dont le père croire Abdallah Choumeit, courtier, s’il Si la crise n’est pas étrangère au tarisse­ est l’un des rares propriétaires à avoir n’y a pas de retour, c’est pour d’autres ment des flux, il faut aussi noter que Aley réhabilité sa villa, avoue dans un grand raisons. «Dans le quartier ouest, dit-il, n’est pas uniquement un lieu de l’été, éclat de rire préférer les soirées à Broum- toute l’infrastructure a été rétablie. Les comme le sont par exemple Bhamdoun et Sofar. Il n’y a qu’à voir son infrastructure de ville, avec ses nombreux commerces et établissements bancaires. De tout temps, les populations des montagnes voisines, descendaient y passer l’hiver, pour remonter au village dès la fin des écoles, et laisser la place aux estivants libanais et arabes qui y sont grands propriétaires. Mais, avec l’ouverture de la route de Damas à la fin de la guerre, Aley tend à devenir, pour une classe moyenne musul­ mane, une banlieue permanente et non plus seulement un lieu d’estivage. C’est pour cela que de nombreux projets immobiliers ont vu le jour, destinés à la fois à une clientèle autochtone et à une clientèle arabe désireuse de s’assurer une résidence d’été.

L'ORIENT-EXPRESS AOÛT 1996 l’autre hôtel ouvert de Bhamdoun, qui a changé de mains, dans des conditions qui, dit-on, ne seraient pas très claires. Mais pour certains, la machine de reconstruction s’est remise en marche. En plein chantier, l’hôtel Sakbra Jadida qui appartient à un Bhamdounien déterminé qui trouve les fonds là où il peut, côtoie l’hôtel Sakbra entièrement réhabilité par son propriétaire koweitien, mais pas encore fonctionnel. L’hôtel Lamartine et le café Arlequin sont eux aussi en voie de reconstruction et, non loin de là, le Mon­ dial est encore occupé par une unité syrienne. Curieux paradoxe, alors que, contrairement aux autres régions du caza, l’infrastructure de base n’a toujours pas été réhabilitée, l’infrastructure touris­ tique se reconstruit. Qu’est-ce qui peut bien motiver ces investisseurs? Sauf illusion d’optique, c’est Sofar qui semble conserver le mieux le cachet de l’estivage sélect d’avant-guerre. Si sélect que Sofar n’a jamais eu de cafés, et que les seuls restaurants étaient ceux des hôtels. Sofar compte surtout de très belles demeures, qui là aussi, ont subi les exactions de la guerre. Petit et coquet, le Château Bernina, rouvert en 1991, est aujourd’hui le seul hôtel opérationnel, fonctionnant désormais sur une clientèle de touristes arabes qui n’a rien à voir avec celle d’avant-guerre. Les relations des propriétaires avec les autorités com­ pétentes, ont permis de lui épargner l’oc­ cupation. Ce qui n’est pas le cas du Grand Hôtel, qui, après avoir À dix minutes de là, sur la route de été longtemps occupé, est Damas, Bhamdoun-Gare, la zone touris­ aujourd’hui transformé en tique, à distinguer de Bhamdoun-Village, garage. Haut lieu de villégiature offre le spectacle apocalyptique d’une pendant des décennies, Sofar région totalement sinistrée. Pas une mai­ s’est toujours vidé l’hiver de sa son n’a de fenêtres, mais toutes - ou population d’été, à l’exception presque - évoquent la station d’estivage des gardiens de propriétés. Mais de luxe très prisée des touristes saoudiens aujourd’hui il faut compter avec et koweïtiens dont les villas sont encore les déplacés des villages druzes squattées par des soldats syriens, lors­ des alentours qui n’ont pas qu’elles ne sont pas détruites. Hormis les encore réintégré leurs foyers et cantonnements syriens qui empêchent qui, au fil des années, ont notamment l’accès en voiture de certaines nulle, il y aurait à peine dix maisons construit des habitations zones, comme le quartier du Patriarche- reconstruites. modestes qu’ils destinent actuellement à Karam, l’un des seuls à avoir été habités À l’entrée de Bhamdoun-Gare, un hôtel la location. Cette année, ces maisons sont par des Bhamdouniens avant l’exode, et ouvert, le Carlton. Karam Abou-Rjeily, le restées vides. À Sofar, l’infrastructure de celui de l’église, il n’y a pas grand monde fils du propriétaire, confie que c’est par base est encore défectueuse. Mais heu­ à Bhamdoun. Dans Bhamdoun-Village pure obligation morale, «parce que reusement, ironise Habib Karam, le qui compte 1400 maisons, il y aurait c’était le seul hôtel à ne pas avoir été pillé gérant du Bernina, le mohafez du Mont- aujourd’hui une centaine de familles l’été, et brûlé», certainement pas dans un but Liban a choisi d’y passer l’été. On a donc et une petite trentaine l’hiver. Là comme de rentabilité (seules sept de ses trente asphalté la route, mais il reste encore ailleurs, le retour des déplacés est très chambres réhabilitées sont occupées par beaucoup à faire. Pourtant, affirme Hani lent, et très peu de maisons sont dispo­ des Koweïtiens) qu’il a rouvert en 1994 Chaya, le président de la municipalité, il nibles pour la location. Du reste, on ne se l’hôtel longtemps occupé par les miliciens suffirait que Lady Cochrane reconstruise presse pas vraiment au portillon. D’après du PSP. À quelques centaines de mètres le Grand Hôtel pour que Sofar redé­ Abdallah Choumeit, qui travaille sur tout de là, ambiance sombre et glauque avec marre. le caza, la demande sur Bhamdoun serait ses tentures violines, c’est le Farabi,

L'ORIENT-EXPRESS 38 AOUT 1996 DHOUR-CHOUEIR Nous n'ir o ns pl us au bo is

ongtemps c o u pée du r est e du M et n peine couverts de la présence syrienne et quer qu’il y ait eu si peu de ventes depuis PAR LE BARRAGE DE AYROUN, puis lieu de ses retombées sur l’estivage. Wata al- le début de la guerre?» Dans ces régions, Lde front, Dhour-Choueir est aujourd’hui Mrouj, la localité contiguë où des Armé­ consacrées presque entièrement à la villé­ une région sinistrée: entre 200 et 400 niens avaient édifié pas mal de construc­ giature, et parfois conçues exprès à cet maisons détruites. Malgré les promesses tions, souffre encore des occupations. De effet comme le Bois de Boulogne, les répétées, aucune indemnisation n’y a été la place de Dhour-Choueir jusqu’au Bois déplacés ne répondent pas aux normes en versée jusqu’à ce jour. «Il y a quelques de Boulogne, où la magnifique villa Jabre vigueur, ils sont ceux qui jusqu’à présent, semaines encore, rapporte le moukhtar, sert de quartier général aux SR syriens, n’ont pas pu retrouver leur résidence Jamil Hobeika, qui suit l’affaire de près, on estime à près de 80% la proportion de d’été. Leur éventuel retour et la normali­ on nous a fait de nouvelles promesses. propriétés occupées par l’armée syrienne. sation de l’activité touristique de la Plus personne n’y croit, et puis on est en Et si quelques rares propriétaires revien­ région dépendent de toute manière d’une pleine démagogie électorale...» nent aujourd’hui réhabiliter leurs biens (à décision politique. La saison électorale Certes, l’infrastructure est en cours de condition bien sûr qu’ils ne soient pas devrait normalement y aider. Mais, finit réhabilitation et les rues sont à nouveau occupés), ils ne le font, affirme Georges par avouer Antoine Dagher, le candidat éclairées, mais comme le dit Nabil Ghostine, président de la municipalité de de Mrouj, «je ne peux rien promettre. Ghosn, le président de la municipalité, un Bois de Boulogne - Wata al-Mrouj, que C’est un problème qui me dépasse». centre d’estivage a d’autres exigences. Le par nostalgie. «Sinon, comment expli­ C. R. parc hôtelier, par exemple, dont il ne reste plus rien: quatorze hôtels inopéra­ tionnels sur quinze. Après avoir été sac­ cagés et pillés, l’hôtel Kassouf et l’hôtel Mecbrek ne sont plus que de (belles) carcasses, et leurs propriétaires n’au­ raient, malgré les incitations, aucune intention d’investir. Aujourd’hui, le seul hôtel à fonctionner est le Central, une auberge qui, aux dires de la propriétaire, aurait trente chambres. Une dizaine de restaurants et autres snacks ont ouvert, histoire de marquer une présence, en attendant des jours meilleurs, tandis que, las d’attendre, le traditionnel café Hawi rebaptisé Dbour Plaza a fermé. Quant au parc de location - enfin ce qu’il en reste-, sur lequel pourraient se rabattre des esti­ vants potentiels refroidis par les prix éle­ vés de Broummana et sa suite, il subit également les effets de la crise. Finale­ ment, l’événement de la saison auquel s’accrochent les organisateurs - un petit comité de la municipalité - avec quel- qu’espoir de drainer un mouvement, reste le festival des émigrés, une manifestation traditionnelle, reprise depuis 1992. Dans le sillage de Dhour-Choueir, le vil­ lage de Mrouj est une zone d’estivage satellite appréciée d’une certaine classe moyenne, et en particulier de la commu­ nauté arménienne. Ce serait plutôt une bourgade qui, l’hiver venu, se vide de ses 30% d’estivants. Son potentiel touris­ tique se réduit à peu de chose: un hôtel, Le Wbite Rock, en cours de construction, et une nouvelle pension, ouverte, dit-on, pour loger les entraîneuses roumaines qui officient, non loin de là, dans un cabaret de Khinchara. Ici, on se plaint à mots à

L'ORIENT-EXPRESS 39 AOÛ T 1996 LES VAISSEAUX-FANTÔMES...

L'ORIENT-EXPRESS 4 Q A O Û T 1996 PHOTOS HOUDA KASSATLY LS SONT QUELQUES-UNS, ces palaces de gardé le souvenir d’émouvants bals de Choueir. Ici, au moins, dira-t-on, il reste province qui naguère faisaient des sta­ débutantes et d’étourdissantes lunes de les carcasses et les traces de quelques Itions de villégiature autant de capitales de miel, en voyant ces carcasses désolées du dorures. Ce n’est plus le cas du Saint- l’été. Mais que sont les amours deve­ Grand Hôtel de Sofar (1, 6, 8), de l’hôtel James à Aley, rasé depuis que cette photo nues?, doivent se demander ceux qui ont Kassouf (3,4,5) et du Palace (2) à Dhour- (7) a été prise il y a trois semaines...

LORIENT-EXPRESS AOUT 19% 1 ... ET LES BEAUTÉS DORMANTES

L'ORIENT'EXPRESS A O U T 1996 PHOTOS HOUDA KASSATLY

eur eusement , il y a encore pour des jours meilleurs, et peut-être la paix au le Cedars à Broummana (3), condamné RETROUVER LES CHARMES DÉSUETS des Proche-Orient, pour se refaire une par une oisiveté forcée à ne montrer que Hanciens voyages le Palmyra à Baalbeck beauté. Le Jbeily (1), lui, se languit dans sa façade, se morfond dans ses splendeurs (2,4,5), pieusement conservé par le prési­ son élégance retrouvée en attendant que ottomanes. dent Hussein Husseini mais qui espère Aley retrouve un lustre oublié, tandis que JAMAL ASMAR

L’ORIENT-EXPRESS AOUT 19% pas drastiquement l’activité économique des commerces de nécessité (supermar­ chés, boulangeries...). Il n’en est pas de KESROUAN même évidemment pour la restauration et l’hôtellerie. L’exemple le plus probant étant celui de l’hôtel Montebello à Ajal­ L’AUTARCIE TRANQUILLE toun qui, avec une capacité d’accueil de

’ét é au K esrouan, c’est principale­ plus les moyens d’entretenir plusieurs 105 chambres, n’en remplit que cinq. De ment Ajaltoun, Reyfoun et Kleiat. demeures. A quoi s’ajoutent les même, le marché de la location saison­ LCes trois stations de villégiature concen­ défaillances de l’infrastructure, routière nière a très nettement chuté, si on peut trent traditionnellement l’essentiel de notamment: davantage d’embouteillages parler de marché puisqu’il est resté nul en l’activité estivale de la région. Une acti­ dus aux estivants, et moins d’estivants 1996! Pour quelques-uns, le passage de vité qui a décuplé durant les années de par peur des embouteillages, tel est le l’autoroute et l’essor de Faraya ont per­ guerre, en raison de la décentralisation cercle vicieux où est tombé le Kesrouan. mis de dynamiser certains commerces sai­ sauvage des pôles de loisirs. Aujourd’hui, La saturation des routes et l’étranglement sonniers, comme les restaurants, le le fond de l’air est à la morosité, et on des voies, en particulier au carrefour de fameux Halabi, Harika, etc. regrette les années fastes des eighties. Jeïta et, bien sûr, devant le tunnel de Pourtant, tout n’est pas noir pour la Kleiat, par exemple, malgré ses trottoirs, Nahr al-Kalb, contraignent les automobi­ région qui donne parfois l’impression de uniques dans le paysage montagnard listes qui se rendent dans la capitale, à pouvoir vivre en autarcie. À Ajaltoun, on libanais, se voit quelque peu déserté par passer chaque jour environ quatre heures trouve l’un des meilleurs hôpitaux du la gent beyrouthine. aller-retour sur les routes. Ce qui équi­ pays, le Saint-Georges, doté d’un excel­ Bien sûr, le rituel du mechouar aoûtien a vaut pratiquement à la moitié de leur lent centre ophtalmologique, et les toujours ses adeptes inconditionnels de journée de travail. En attendant le règle­ agences des principales banques. Mais les l’embouteillage mondain. Le tour de ment de ce problème, infernal l’été, les services sont éparpillés, le poste de gen­ manège motorisé a en effet été repris par Kesrouanais se retrouvent souvent à darmerie et le central téléphonique se la nouvelle génération. Ainsi, pour la l’écart d’une vie sociale qui s’est recentrée trouvant à Reyfoun. La baisse de fré­ Mar Semaan, le 31 août, l’exhibition de sur Beyrouth. Les villages de la région quentation des estivants ne semble plus voitures et de toilettes féminines, et la n’accueillent aujourd’hui en été que les vraiment poser problème, la région quête effrénée du sexe faible (yéyé, kénét propriétaires et locataires bénéficiant semble s’être adaptée à une nouvelle lébsé pointillé... vous vous rappelez?) d’anciens baux. Ces estivants se greffent donne économique et se résigne à ne plus atteignent leur apothéose. Si le 31, c’est la au reste de la population villageoise, res­ apparaître comme le triangle d’or fête à Kleiat, la veille c’est à Ajaltoun que tée en majeure partie (entre 40 et 60%) d’antan... ça se passe à l’occasion de Mar Zakhia sur place. cette fois-ci. Ces fêtes annuelles entretien­ Le flux et le reflux saisonniers n’affectent MÉDÉA AZOURI nent l’effervescence bon enfant qui fait le charme du lieu; les dates cultes de l’été ne s’oublient pas et on continue à en causer longtemps après comme cette commer­ L ÉMIR ET UNE NUIT çante de Ajaltoun qui parle encore et encore du mahrajan de l’été 93. Mais le spleen est maintenant dans toutes les têtes: la région est en perte de vitesse. Le sentiment de frustration devant la pré­ pondérance des lieux de villégiature du Metn est persistant. Après l’essor qu’elle a connu du temps de la guerre, la région est redevenue calme sans aucune aventure extraordinaire si ce n’est le va-et-vient des clients du seul grand restaurant à avoir pris ses quartiers à Ajaltoun, le Halabi. C’est seulement à Reyfoun, village pai­ sible et résidentiel, que l’on peut rencon­ trer un cadre vraiment à part. Grâce à l’imagination du président de la munici­ palité, le peintre Amine Sfeir, le village fleuri et radieux donne l’impression de sortir tout droit d’un tableau. C’est ici que l’on trouve la plupart des coquettes villas appartenant aux grandes familles es nuits de l ’ét é, c’est mainte de la saison. En accueillant Barbara kesrouanaises. On s’y sent serein au Lnant à Beiteddine qu’elles se Hendricks, suivie par les Choeurs milieu d’une région qui s’étiole peu à peu. savourent. Dans le palais rénové dede l’ex-Armée rouge et, dans deux En fait, il ne s’agit pas d’un problème par­ l’émir Bachir II Chéhab, le festival semaines, les Musiciens du Nil, il a ticulier au Kesrouan, c’est une tendance animé par Nora Joumblatt depuis atteint cette année sa vitesse de générale. La plupart des Libanais n’ont cinq ans est devenu le rendez-vous croisière. Bon vent!

L'ORIENT-EXPRESS A O U T 1996 le samedi soir). Côté crèche, toutes les formules existent: de l’hôtellerie tradi­ tionnelle (trois ou quatre noms bien cotés) à quelques 50 à 60 dollars la chambre à deux lits, au meublé auquel se convertissent les hôtels qui ciblent la classe moyenne (500 à 700 dollars par mois) jusqu’au loyer régulier d’apparte­ ments ou de maisons individuelles (entre 2 000 et 2 500 dollars pour la saison, généralement non meublés), en passant par la formule du Country-Club qui fait son chemin. Mais Ehden ce n’est pas seulement ça. Ehden c’est surtout la promenade, à Notre-Dame-de-La-Citadelle avec une vue imprenable sur la Méditerranée plon­ geant jusqu’à Chypre quand il fait clair; à la réserve naturelle de la forêt d’Ehden Le jardin D’EHDEN hden est un l ie u d ’ét é pa r excel ­ l ence. Le rythme scolaire le vide Eentièrement de ses habitants qui «descen­ dent» à Zghorta d’octobre à juin. Il y a quelques décennies c’était plutôt le rythme agricole (avril-novembre) qui organisait la distribution des saisons entre les deux localités jumelles. Car pour ceux qui ne le savent pas, Ehden et Zghorta sont, et à quelques 1 400 mètres d’altitude de différence, une même et unique ville administrativement parlant, avec une seule municipalité et un seul registre d’état-civil (et d’église). (théâtre, foires, expositions et concours avec une riche variété d’arbres et de fleurs Cette gémellité presque unique au Liban hippiques) il a fallu attendre la fin des (véritable réussite dans le domaine de la fait d’Ehden un centre d’estivage popu­ années 80, et des raisons tout autant protection de la nature dans un Liban qui laire alors que l’eau, l’air et l’infrastruc­ «géopolitiques» pour voir le fief de Slei- ne brille pas par des exploits de ce genre); ture hôtelière y avaient attiré depuis les man Frangié reprendre la première place ou au Couvent de Kozhaya, haut-lieu spi­ années vingt, outre des familles tripoli- devant ses concurrents Bcharré, Hasroun rituel et culturel des maronites. Ehden, taines «fidèles», des bourgeois d’Alep ou ou Hadeth. c’est aussi et surtout ces quatre dernières d’Alexandrie. Jusqu’à la fin des années Aujourd’hui, à Ehden, en plus du climat années, le Midan, place ouverte jour et quarante, des petits hôtels portaient des vraiment rare, on peut surtout trouver nuit avec ses cafés, ses restaurants à ciel noms comme «Pension d’Egypte» et la une véritable eau de roche unique de ouvert et ses pâtisseries arabes avec en municipalité embauchait un tambouri­ force et de fraîcheur, et puis manger: les plus le narguileh-tric trac-belote et le Sah- neur du Ramadan pour réveiller les esti­ restaurants en tout genre se multiplient, lab pour veilleurs impénitents. vants musulmans lorsque le mois du du conteneur-hamburger-chocoba-Coca Les amateurs de villégiature à l’ancienne jeûne tombait en été. L’estivage était, en aux steak houses ou autres pizzerias. trouvent qu’Ehden se démocratise, effet, une véritable institution avec la for­ Mais le véritable rush se fait toujours sur devient trop bruyant et perd beaucoup de mation d’un comité de notables et d’intel­ les guinguettes aux alentours de la ses attraits. Certains n’hésitent pas à lor­ lectuels pour gérer la saison: contrôle des fameuse source Mar Sarkis qui étalent les gner du côté des petits villages intacts aux prix et des étals, campagnes de propreté tapis de mezzés arrosés d’arak et renfor­ alentours. Mais il n’y a qu’à Ehden que et organisation de tournois sportifs et de cés de l’incontournable et délicieux «l’été indien» (octobre - novembre) festivals folkloriques. Les événements de kebbé, à des prix variant entre 12 et 20 mérite qu’on s’accroche, là, à quelques 1958 et la guerre fratricide des clans dollars par personne. Pour le «nightclub- mètres du ciel entre la senteur des coni­ mirent fin à la prospérité d’Ehden. Le ber» avec le secours de D.J. profession­ fères et celle de la terre après la première retour s’est fait laborieux et après une nels, il y a une ou deux bonnes adresses pluie. courte embellie au début des années 70 (10 dollars par personne en semaine et 20 J. D.

L'ORIENT-EXPRESS AOÛT 1996 QARAOUN LA MAGIE DU LAC U-DELÀ DES SEMPITERNELLES STATIONS désirent goûter à l’authentique AD’ESTIVAGE et des chemins obliga- saveur du Liban, mais aussi toires du tourisme au Liban où, sur des aux Libanais qui souhaite- voies balisées, les visiteurs se distraient raient enfin marquer un chan- surtout les uns les autres, repose le lac de gement dans leurs habitudes, Qaraoun. Le fait qu’il se situe au cœur de d’emprunter la route du Chouf. la vallée de la Békaa, sur un terrain par- Des collines verdoyantes aux faitement plat entouré de majestueuses courbes douces et une volup- montagnes, lui confère une dimension tueuse odeur de pins les accom- poétique, romantique, et pourquoi pas, pagneront le long du chemin magique. jusqu’à Baakline ou Beiteddine. On peut y accéder par Chtaura bien sûr, Puis, les promeneurs pourront mais rien ne saurait remplacer l’impla- se diriger vers Kfar-Nabrakh et cable bonheur, qu’offrent la vallée et le bifurquer vers le beau village de Maasser guerre. De là, ils remonteront vers les lac vus des hauteurs du Barouk. Il est al-Chouf, devenu le symbole de ce que magnifiques cèdres du Barouk à l’ombre donc recommandé aux étrangers qui pourrait être la réconciliation d’après- desquels il fait si bon se recueillir. Il n’est plus loin le moment où, en redescendant le col, ils seront saisis par la vue, ou plu- tôt la vision, joliment bigarrée du géné- reux tapis agricole de la vallée de la Békaa. Ce n’est qu’une fois sur place que l’on pourra apprécier cet indescriptible moment où l’altitude, le vent sec chargé d’un bouquet de senteurs, la vue, et le silence grouillant de mille promesses, se fondent en une douce alchimie qui récon- cilierait le plus blasé des citadins avec la nature et son Créateur. Vers la droite s’étend le lac. Sa couleur émeraude est si pure que l’on ne saurait croire les rumeurs de pollution qui circu- lent à son sujet. Si la baignade n’y est pas recommandée, rien n’empêche le randon- neur d’arpenter ses rives à travers les sen- tiers champêtres bordés de peupliers, ou même de naviguer dans des embarcations louées sur place. De plus, la région de Saghbine abrite une multitude de guin- guettes et de restaurants dont la plupart trempent les pieds dans l’eau, avec ter- rasses et vue imprenable sur le lac. Dans ces havres de paix, à l’abri des hordes bruyantes des m’as-tu-vu, on peut s’atta- bler et se faire servir un arak accompagné d’une belle truite grillée (on vous la pro- pose aussi frite à l’huile mais c’est vrai- ment une mauvaise idée), venue des fameuses pépinières de Anjar et élevée dans les viviers de la région. À ceux qui seront tombés sous le charme des sirènes du Qaraoun, un hôtel, belle bâtisse à l’imposante allure, est dispo- nible, qui leur permettra de prolonger le séjour pour sillonner les autres chemins de la Békaa, vers Chtaura, Zahlé où Baalbeck, qu’il fait si bon découvrir l’été. TAMIMA DAHDAH

L’ORIEN T-EXPRESS 46 a o û t 1996 Sh ou Sh Pas de Ch r is de Burgh ou de Pa t r ic ia Kaas AU PROGRAMME DE L’ÉTÉ 96. Il ne se pa sse PRESQUE RIEN SUR LES STAGES LIBANAIS. DANS LES COULISSES NON PLUS, d ’ailleurs. L e S ud est UN POINT CHAUD QUI REFROIDIT TOUS LES TOURS-MANAGERS. Rest ent l es jo ies DOUTEUSES DU PIRATAGE, LES DISQUES QU’ON N*A MÊME PLUS BESOIN D’ACHETER. D.R.

omme TOUT le RESTE, le domaine de genre de désillusion de dernière heure. la production de spectacles Des sommes considérables sont en jeu et Cn’échappe pas à la règle de l’absence de le bref coup de fil de décommandement règles. Là encore on subit les dures lois de vient «récompenser» des mois d’efforts et l’aléatoire. Les choses devraient pourtant de contacts. Il n’est pas aisé de se passer de manière relativement simple: convaincre un artiste d’envergure inter­ le producteur contacte le tour-manager nationale de venir au Liban. Aux pro­ de l’artiste et selon le calendrier de tour­ blèmes d’insécurité et aux contraintes de née de ce dernier, une date est fixée, le programmation avec lesquelles il faut cachet est étudié et le contrat, signé. jongler, vient s’ajouter la question de Simple, n’est-ce pas? l’utilité du projet. Pour un chanteur au Détrompez-vous. La marche à suivre est zénith de son succès, un concert ne se nettement moins assurée. Selon Nagi Baz, limite pas aux deux heures qu’il va passer fondateur de Buzz Productions, «on sur scène et à l’échange agréable qu’il dépend d’abord de l’idée plus ou moins peut avoir avec le public. Un concert fait positive que se fait le tour-manager de la partie de toute la campagne de promo­ sécurité du pays». Un tour-manager qui a tion d’un album et a entre autres buts, raison de se poser des questions! Même l’objectif d’augmenter la vente des un Libanais totalement blasé ne pourrait disques en en faisant connaître les chan­ affirmer sans sourciller qu’il n’y aura sons. Or, non seulement le marché liba­ aucun incident regrettable. On est à la nais n’est pas un marché de volume, mais merci du moindre coup de feu d’autant de plus, le piratage d’œuvres musicales y plus qu’une date de concert est fixée plu­ est pratiqué à outrance dans une totale sieurs mois à l’avance et qu’aucune star absence de contrôle en ce qui concerne les n’a besoin de risquer sa vie pour se pro­ droits de reproduction. Les vendeurs de duire au Liban. C’est ainsi que lors de la disques se permettent de reproduire un dernière attaque au Sud, le Bolchoï (le nombre illimité de copies sur cassettes et vrai) qui devait se produire à Beyrouth à aujourd’hui sur compact-disc, des albums l’initiative de Buzz Productions, s’est qu’ils possèdent. On peut même com­ décommandé à la dernière minute. mander son propre CD de variétés où «Comment expliquer à des étrangers la figurent douze à quinze chansons d’inter­ logique absurde qui soutient que si la prètes différents ce qui représente douze à banlieue-sud est sauvagement bombar­ quinze disques de moins de vendus. Le dée, cela n’a rien à voir avec la région où marché libanais ne présente donc stricte­ le spectacle va avoir lieu, mê7ne si elle ne ment aucun intérêt pour les managers qui se situe qu’à trois kilomètres des affron­ préfèrent concentrer leurs efforts à signer tements. Il vous répondra que son bureau des contrats pour des pays qui valent - se situe à trois kilomètres de son domi­ pécuniairement - le déplacement. Une cile», explique Baz. Il faut d’ailleurs tournée à l’étranger n’est pas une mince beaucoup de sangfroid pour accepter ce affaire: faire venir les musiciens, installer

L'ORIENT-EXPRESS /j_C) AOUT 1996 arrive à dérouter un public qui ne sait plus à qui se fier. Pour Richard Pharaon, fondateur du We G r o u p , la première société à se lancer dans la production de spectacles, «chaque producteur est libre d’amener qui il veut et d’organiser le genre de spectacle qui lui chante, mais il BO N EY M faudrait quand même donner aux choses leurs dimensions réelles. Un concert de niiKS MStJHjues syrjrjy w ai tii Patricia Kaas n’est pas un événement assimilable à un dîner-spectacle avec un maximum de deux cents spectateurs». D’ailleurs, les enjeux ne sont pas les mêmes. Mais dans le désordre général, et en l’absence d’un syndicat qui organise­ rait le métier de producteur de spectacles, n’importe qui peut se bombarder produc­ teur de méga-concerts, et le public est finalement le seul juge. Un public, certes assoiffé de concerts et de bouffées d’occi­ dent, donc manipulable, mais un public quand même de plus en plus averti. Les jeunes, par exemple, ont maintenant une idée plus claire de ce qui se passe dans les hit-parades internationaux grâce à la pré­ sence de la chaîne MTV Europe, qui a aussi le mérite d’acculer certaines radios locales à faire preuve de plus d’imagina­ tion et de modernisme dans le choix des chansons qu’elles font passer. Toujours est-il que les gens se déplacent de plus en plus en fonction du contenu du spectacle et non pour l’événement en tant que tel. Cela devrait réduire le nombre des shows insignifiants qui font fureur au Liban et fragmenter le public qui représentait jus­ qu’à présent une foule à la fois curieuse et le matériel pour repartir vingt-quatre ou teur. Le problème, c’est qu’aucune avide de loisirs quels qu’ils soient. Un quarante-huit heures plus tard... un tra­ nuance n’est faite quant à la qualité ou public plus sélectif est certes un public vail considérable que l’on ne fait pas uni­ l’envergure du spectacle. La télévision plus réduit car il fait des choix, mais c’est quement pour le plaisir. Evidemment, dispense des campagnes publicitaires tout un moteur indispensable à la normalisa­ cette lourde démarche concerne essentiel­ à fait démesurées à tel point qu’elle en tion des choses et finalement, seuls les lement les artistes qui se respectent, entendez par là ceux qui refusent de chanter par exemple en play-back et qui sont par ailleurs sollicitées partout dans le monde. Ce n’est pas toujours ce que l’on nous sert. Il n’est pas dit qu’un artiste apprécié à l’étranger doive auto­ matiquement l’être au Liban, mais il est encore moins sûr qu’un inconnu qui n’a probablement aucun succès dans son pays, ait un fan-club étendu dans le nôtre. Et pourtant! C’est ce que les télé­ visions et les radios libanaises veulent nous faire croire en nous assommant d’un matraquage intensif de publicité quelle que soit l’envergure du spectacle que l’on veut promouvoir. En général, l’accord qui se fait entre la télévision et le producteur est une sorte d’échange entre l’exclusivité de retransmission ou de par­ rainage du spectacle pour le média et la campagne publicitaire pour le produc -

L'ORIENT-EXPRESS 50 AO Û T 1996 U n ét é en so u r d in e

ég a-co ncer t s ou concerts tout sont unanimes, l’attaque israé le mois précédent, avait court, nous ne sommes pas vrai lienne en avril dernier a «fait recu poussé la chanteuse Sonia à se ment gâtés cet été. Pourtant Chris lerDe le pays de plusieurs années et a décommander en dernière minute. Heu BurghM avait déclaré après sa visite au détruit toute la confiance acquise tant reusement le concert comprenait plu Liban qu’il y avait donné un des plus bien que mal à l’étranger ces derniers sieurs artistes et Richard Pharaon s’était beaux concerts de sa vie en ce qui temps». Buzz Productions a quand même adressé au public pour proposer un concerne la magie particulière qui peut pris l’initiative de faire venir le groupe choix entre le remboursement du billet se créer entre un artiste et son public. East 17 mais la malchance veut que leur et une remise de 25% sur celui du pro Quant à Patricia kaas, elle était apparem concert tombe juste la veille des élec chain concert. Il y aurait de quoi décou ment très satisfaite et agréablement sur tions du Mont-Liban. Evidemment, la rager le plus enthousiaste des produc prise par son expérience libanaise, en date en a été fixée il y a des mois et ne teurs. septembre 1994, même s’il lui avait fallu peut être changée. Il ne reste à Nagi Baz En l’absence de véritable événement, cet attendre plus d’une heure pour commen qu’à croiser les doigts pour qu’il ne lui été, le public libanais devra donc se cer son spectacle, le temps que les orga arrive pas ce qu’a dû subir Richard Pha contenter de quelques revenants du style nisateurs apportent des chaises en raon lors d’un concert en août 1993 Bonney M, Gibson Brothers et plusieurs nombre suffisant. Mais les producteurs quand «l’invasion aérienne» israélienne, OCNI (Objets chantants non identifiés).

«producteurs-escrocs» risquent d’en vant absorber un nombre de personnes concert. Quant à la rentabilité, elle est pâtir. suffisant pour rendre un concert rentable. moins aléatoire, d’abord parce que La Partant de là, on peut espérer un assainis­ Surtout lorsqu’on sait que le cachet d’un Macumba a sa clientèle d’habitués et que sement à moyen terme de la politique des artiste international peut varier entre Elefteriades productions a sa recette mai­ producteurs locaux, à la fois au niveau de 100000 et 150000 $ et que le prix aug­ son rodée depuis belle lurette. Un réseau la qualité des spectacles proposés et sur le mente de 25% dès qu’il s’agit du Liban, de connexions à l’étranger et le tour est plan des modalités d’organisation des sorte de prime sur la précarité de la situa­ joué. Pourtant, aujourd’hui, avec le «Bey­ grands concerts, surtout qu’en matière tion. Les concerts de Patricia Kaas et de routh First International Music Festival», d’éclairage et de son, les moyens tech­ Chris de Burgh ont brassé chacun entre André Elefteriades déclare s’attendre à niques disponibles au Liban sont tout à 7000 et 10000 spectateurs par soir, et 70 000 ou 100 000 spectateurs mais le fait satisfaisants. «Nous avons ce qu’il celui des East 17 «deviendrait rentable à problème de rentabilité ne se pose tou­ faut pour organiser éventuellement un partir de 6500 billets vendus», affirme jours pas puisque ce concert est gratuit. concert de Michael Jackson», déclare Nagi Baz. «C ’est pour encourager les stars interna­ Nagi Baz. La vraie carence se situe en fait Ce problème de place ne se pose pas pour tionales à venir au Liban, et pour faire au niveau des salles, et jusqu’à l’ouver­ ceux qui font dans le dîner-spectacle. profiter tout le monde de ce concert», ture du Beyrouth Hall où a eu lieu Beat- Pour André Elefteriades par exemple, explique Elefteriades. machine 2, les spectacles et les concerts l’organisation d’un concert est une entre­ La production de spectacles serait-elle étaient essentiellement un loisir d’été car prise qui se fait à domicile, la terrasse de devenue un apostolat ? le plein air était bien la seule option pou­ La Macumba étant le lieu même du JOËLLE TOUMA

L’ORIENT-EXPRESS 51 AOÛT 1996 Qxtrêmes

PHOTOS HOUDA KASSATLY ans un pa y s qui s ’u n if o r m is e sont désormais abandonnées. En proie à TEXTE HOUDA KASSATLY ET SALWA FATHALLAH CHAQUE JOUR DAVANTAGE, les ves­ l’érosion, elles s’écroulent doucement. Dtiges d’un habitat singulier viennent de Pour un ethnologue ou un architecte temps à autre rompre le retour incessant contemporain, le but n’est pas de regret­ Habitat traditionnel du même paysage architectural. Mais le ter la perte de l’architecture traditionnelle Nord comme le Sud, la plaine, la mon­ mais simplement de montrer ce que fut le de la Békaa et de tagne et le littoral se voient lentement mode de bâtir local: un mode d’être des mais inexorablement dépouillés de leurs bâtisseurs. l’Anti-Liban, témoin maisons en tuiles et de leurs habitations d’une culture de en terre. Partout, le phénomène se répète à l’identique, le pays se noie sous un convivialité et magma de béton qui vient gommer, sous couvert de rentabilité, l’espace de ses d’adaptation à particularismes. De nombreux villages de la Békaa ont l’environnement, la subi ce processus de transformation de maison en terre se voit l’habitat traditionnel. Le boom immobi­ lier des années 70 est venu donner le coup inexorablement de grâce à l’inévitable mouvement d’effa­ cement des constructions anciennes. Des supplantée par le béton. maisons voire des immeubles de deux à trois étages en béton construits à la va- Flash-back sur un art vite et jamais «finis» (les propriétaires de vivre et de survivre n’en ayant pas les moyens) sont venus empiéter sur les lambeaux de tissu en voie de disparition. ancien. Les maisons en pierre et en boue

L'ORIENT-EXPRESS 52 A O Û T 1996 C’est dans le milieu physique que les Kalamoun, la vallée du Barada, la plaine besoins des travaux des champs ou de la habitants de la plaine de la Békaa ont hauranaise comme la plaine de la Békaa cuisine, se retrouvaient le soir venu à l’in­ puisé leurs matériaux pour concevoir des offrent donc une vision architecturale térieur de la demeure. Des matelas, qui constructions en terre et en pierre adap­ commune. dès le matin reprenaient leur place, entas­ tées à leurs besoins. Elles sont surtout Ces habitations en terre semblent avoir sés les uns sur les autres dans le youk, la adaptées au relief et au climat présentant constitué la première étape dans le pro­ niche qui leur était réservée, étaient éten­ une isolation thermique étonnante. Cette cessus de sédentarisation d’une popula­ dus sur les tapis pour la nuit. interdépendance de l’architecture et de tion jadis nomade. En choisissant de L’unité d’habitation accueille la famille son milieu physique a donc permis l’éclo­ s’établir et de s’ancrer dans un territoire élargie. Au fur et à mesure que cette sion d’un type d’habitation particulier donné, les sédentarisés ont conçu une famille s’agrandit avec le mariage des fils, qui nous renseigne sur la vie quotidienne habitation aux formes extrêmement sim­ on construit une nouvelle unité sociale et économique de leurs plifiées: des bâtisses rectangulaires ayant mitoyenne à celle existante, suivant la constructeurs. pour toute ouverture une porte basse et même configuration, mais sans communi­ Cette architecture particulière que l’on une fenêtre. L’habitation était générale­ cation interne entre l’une et l’autre. C’est rencontre essentiellement dans des vil­ ment composée d’une pièce principale ainsi que ces unités se juxtaposent pour lages situés au pied de l’Anti-Liban nommée majlis ou dâr qui se transformait former une grande cour constituant des comme Younine ou ‘Irsal, se reproduit à le soir venu en espace nuit et d’une espaces de vie et de travail s’étendant l’identique sur l’autre versant de la chaîne réserve de nourriture, le makhzan. Des devant elles et les complétant. de montagnes, du côté syrien. Elle aurait silos à grains en terre mélangée à de la Espace de vie où l’on reçoit, où l’on boit traversé les frontières naturelles selon un paille tiennent lieu de murs de séparation le café et le maté pendant des heures sur processus d’échange dont il serait pas­ entre les deux parties. Les hommes et les la grande plate-forme (mastaba) recou­ sionnant de pouvoir un jour connaître le femmes, souvent appelés à passer de verte de tapis et bordée de coussins. À la mode de formation. Les plateaux du longues heures à l’extérieur pour les belle saison, cet espace se transforme en diwanieh de plein air, sorte de véritable salon suspendu dans la cour où il arrive aux hommes de dormir à la belle étoile les claires nuits d’été. Espace de travail également dont les «ser­ vices» sont partagés par l’ensemble des femmes de la cour. On y trouve un petit bâtiment abritant le four (tannour) où les femmes se relayent pour faire cuire le pain, les cuisines, les toilettes ainsi que les puits. C’est là qu’ont lieu les grandes pré­ parations, collectives, de la mouné. La conception de l’espace intérieur où une place primordiale était réservée au rangement des denrées comestibles reflète l’importance de la mouné dans la vie éco­ nomique du groupe. L’habitat répondait essentiellement au besoin de stockage des habitants. Ces derniers se préparaient à affronter les rudes hivers de la Békaa et à faire face à d’éventuelles pénuries en emmagasinant après chaque récolte, des denrées traitées et rendues aptes à la / ICS

consommation en toute saison. D’où la conception d’un intérieur essentiellement composé de silos à grains et d’espaces de rangement. La complexité des unités de stockage réparties en plusieurs sortes: grands silos (tawabit) et petits silos [kwayir) en terre crue, jarres en terre cuite..., révèlent les modalités de la vie domestique et de l’organisation écono­ mique. L’espace est fortement fonction­ nalisé: chaque objet a sa place dans des cavités et des encastrements dans des murs très épais. À chaque cavité et à chaque étagère est attribué, selon leur contenant, un nom particulier. Il y a la niche réservée à la jarre d'eau qui se trouve à l’entrée, la niche destinée aux pots divers, l’étagère traditionnellement attribuée à l’exposition de beaux objets non utilitaires ou inemployés qui souvent ont fait partie du trousseau de la mariée: verroterie, vaisselle ou plateaux en cuivre. Mais il y a aussi les niches qui sont le produit d’une initiative privée et d’un besoin personnalisé. Ainsi, s’il est plus commode pour la femme d’avoir son nécessaire de couture près de l’embrasure de la fenêtre où elle bénéficie d’un maxi­ mum de lumière, elle y creusera une cavité pour y ranger son matériel. L’es­ pace réduit d’une vingtaine de mètres carrés (déterminé par la longueur des troncs d’arbres qui constituent le toit) est exploité avec le plus d’efficacité possible. Il est aussi adapté aux goûts, aux besoins et aux habitudes de tout un chacun. Bien que ces habitations soient générale­ ment construites selon un modèle unifié, elles diffèrent les unes des autres car elles sont édifiées par les habitants sur mesure. Si la dimension de certains éléments (che­ minée, porte, fenêtres et youk) ne varie guère d’une maison à l’autre, les silos à grains, l’accès à la khazné ont des dimen­ sions et des formes qui sont adaptées et qui fluctuent selon les besoins des habitants. L’entretien de cette habitation tradition­ nelle engageait l’ensemble des membres de la famille qui devaient, un fil de l’an­ née, y participer. L’usage assignait aux hommes, aux femmes et même aux jeunes enfants des charges bien délimi­ tées. L’édification des maisons est donc un travail de groupe où les tâches sont clairement réparties et non accomplies indistinctement. La division du travail obéit à une division sexuelle. Les hommes entreprennent la construction du bâti­ ment et entretiennent le toit qu’ils apla­ nissent et étanchent. Les femmes s’occu­ pent de l’intérieur et les jeunes enfants peuvent aider au nettoyage de l’intérieur des jarres inaccessible à un adulte.

L'ORIENT-EXPRESS ^ 4 AOU T 1996 La femme procédera donc à la construc­ tion du contenant intérieur: silos à grains, étagères, armoires, niches... Res­ ponsable de la mouné, elle l’est aussi de : ; r m : son stockage. En conséquence, elle ajou­ tera, agrandira, restaurera, créera des I irr ? espaces nouveaux, réaménagera les LH v espaces anciens, organisera les niches, ^ ! é silos, étagères, armoires selon les besoins r alimentaires et les récoltes de la i, & s maisonnée. . ï L’essentiel du travail de restauration et la 4, _ ** - i : lourde tâche d’entretenir les murs repo­ c T K V * sent sur elle. Elle les badigeonnera, col­ # « matant les brèches et les fissures qui se produisent inévitablement dans ce type de construction avec un mixage de foin et de SL* boue qu’elle aura préalablement apprêté. Le renouvellement de l’intérieur des mai­ sons se fait en général tous les deux ans. Cependant, un événement social - un mariage par exemple - peut rendre néces­ saire une troisième opération. Le mariage étant source de renouveau, la maison doit être prête à accueillir tant les nouveaux mariés que leurs invités.

Ce badigeonnage à la chaux sera pour la femme l’occasion de sculpter et d’ajouter de nouveaux motifs décoratifs sur les murs. Si, dans d’autres pays, ces décora­ tions sont de véritables peintures murales, des fresques figuratives ou géo­ métriques très colorées, chez les pay­ sannes de la Békaa, il s’agit d’une déco­ ration plus dépouillée tant au niveau des formes que des couleurs. L’intérieur est complètement blanc; tout y est rond, lisse, courbe. Les mains des femmes ont pétri la terre, arrondissant les angles, lis-

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sant les murs, adoucissant les angles droits. C’est ainsi que la porte du makh- zan, l’embrasure de la fenêtre, le cadre du youk se trouvent rehaussés de dessins en relief aux motifs floraux ou géomé­ triques. Des losanges, des rosaces, des stylisations de plantes et de fleurs vien­ nent orner les étagères, les silos à grains, les murs, les niches, le foyer... La «ligne de crête» de la réserve est rythmée par une dentelure. Des bas-reliefs surmontent la cheminée dans lesquels sont parfois incrustés des morceaux de glace à but prophylactique. Les ouvertures et la par­ tie basse des silos ont été travaillées pour présenter de belles formes rondes ou ovales. Ce sont des modelages qui n’exis­ tent qu’en intérieur et qui tiennent prin­ cipalement lieu de mobilier. Hormis le traditionnel et incontournable coffre dont toute jeune mariée devait se munir avant de pénétrer dans sa nouvelle demeure d’épousée, les meubles sont inconnus et ce sont les silos, les étagères et les niches qui tiendront lieu d’armoire et d’espace de rangement. Ce geste accompli par la femme renou­

velle une tradition d’ornementation spéci­ façades extérieures de leurs habitations, tricité et les réfrigérateurs assurent désor­ fique à la région quant à ses modèles mais en constituent un des plus beaux mais la conservation des aliments à la universelle quant à l’acte. Dans de nom­ exemples. place de la terre qui assurait leur isolation breux pays, en effet, les femmes s’érigent Avec la disparition du besoin de stoc­ thermique. Le mode de vie se transfor­ en artistes responsables de l’ensemble des kage, les silos et les jarres qui occupaient mant, il était évident que le changement travaux décoratifs de leur maison, qu’il l’espace intérieur perdent leur raison social allait principalement et fondamen­ s’agisse de décorations en stuc comme d’être. Leur fabrication, leur entretien, talement toucher la structure de l’habitat dans ce cas ou de véritables peintures. Les leur nettoyage nécessitaient un temps et traditionnel essentiellement basée sur les femmes Ndebele d’Afrique du Sud, un effort devenus vains avec l’apparition matériaux disponibles. connues pour les magnifiques tableaux des moyens de stockage contemporains D’ailleurs, cet abandon de l’architecture dont elles ornent les intérieurs et les qui sonnent le glas de la poterie. L’élec­ traditionnelle n’est pas étranger à la

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nature des matériaux utilisés qui nécessi­ ancienne architecture présente un triple mations qui sont autant de tentatives tent une intervention constante de inconvénient: elle exige un effort constant d’adaptation à la vie actuelle: démolition l’homme. La maison traditionnelle est d’entretien que beaucoup ne savent plus de la réserve, de la niche à matelas pour consommatrice de temps. Ce sont sans mettre en œuvre; elle est par trop incon­ un gain d’espace, introduction d’un doute les efforts répétés pour la garder en fortable avec la cuisine et les toilettes espace cuisine avec un évier, remplace­ état qui en expliquent, en partie, le délais­ communes à l’extérieur; et surtout, elle ment du toit de boue et de paille par un sement progressif par les habitants. À correspond au modèle de vie des pauvres toit en ciment... l’époque où elle fut conçue, elle répondait alors que le béton, les menuiseries en alu­ Friable, subissant constamment des dom­ à des besoins vu son adaptation au minium sont signes d’une importante mages causés par les intempéries, la mai­ milieu. Par la suite, son entretien - trop promotion sociale. Pour ces diverses rai­ son traditionnelle se voit délaissée. Les lourd - fut considéré comme un frein au sons, les demeures qui sont encore habi­ habitants ont renoncé à la reproduire, développement. Pour ses héritiers, cette tées connaissent d’importantes transfor­ optant ainsi pour la «durabilité» des petits immeubles «modernes» en béton. Pourtant, partout dans le monde, l’archi­ tecture de terre a prouvé ses vertus de résistance et de solidité. En y ajoutant à faible proportion divers produits comme le bitume et le ciment, on améliore consi­ dérablement son imperméabilité. Convaincre les habitants qu’elle n’est pas liée à un archaïsme économique et social est une condition de sa réhabilitation. Entre-temps, on est passé en quelques années d’une civilisation où les intérieurs étaient lissés, décorés par les femmes à celle où tous les éléments architecturaux sont préfabriqués et où les travaux de finition se réduisent à ceux de la peinture intérieure. À la richesse et à la complexité dans l’utilisation des divers espaces inté­ rieurs et extérieurs, où sensualité et fonc­ tionnalité s’entremêlaient, succède la banale séparation jour/nuit des apparte­ ments occidentaux. H. K. & S. F.

L'ORIENT-EXPRESS 57 AOUT 1996 franscullur

PHOTOS VICTOR FERNAINÉ

é e r ie , s é r é n it é , jo ie de l ’âme et des sens, efferves­ cence métaphysique en plein centre-ville, à quelques pasF du volontariste et gigantesque panneau prometteur de Manhattan qui chantent de SOLIDERE. Le genre de première que pelleteuses et foreuses, projets fonciers et querelles d’ayants droit ne laissaient pas prévoir. Et pourtant, les trois soirées magiques des 19, 20 et 21 juillet dans l’espace fantomatique de la cathédrale grecque-catholique Saint-Elie ont bien eu lieu même si après coup on en garde une impression de songe furtif.

L’ORIENT-EXPRESS 58 AOUT 1996 Jeux de lumière d’abord pour redonner vie et transcen­ dance à un endroit clos, meurtri et confiné: l’habillage lumineux conçu par Peter Abdallah a d’emblée installé une atmosphère propice au recueillement, à la paix et aux transports oniriques ou mystiques, au choix, selon la fibre sacrée ou profane qui prédomine à tel ou tel moment. Une fois l’endroit ranimé, la musique est venue tout naturellement habiter l’espace, revivifier l’édifice, nourrir l’alchimie en gestation, avec les très émouvantes et très poignantes improvisations sur Eric Satie de Cyn- thia Zaven au piano. Un véritable moment de grâce. Yann Charaoui aux commandes du son, relayant l’émo­ tion du piano, a complété la célébration du lieu à sa manière: un choix de titres très new âge qui mêle l’hal­ lucinatoire à la transe extatique. L’appropriation-mise en rituel plastique de l’édifice par Catherine Cattaruzza bouclait cette synergie nocturne en marquant l’espace d’initiatiques séries cohabitant avec les restes d’icônes et d’inscriptions grecques: photos déclinées sur les colonnes, bougies, ampoules électriques pendantes, et centre symbolique de la célébration, une sphère dorée au milieu d’une flaque de grains bleus changeant de lumi­ nescence en fonction des variations d’éclairage. L’invita­ tion au voyage a fonctionné. A en perdre la boule!

O . B. L'ORIENT-EXPRESS 59 AOUT 19% fjrimcult ares La dernière tentation

La grande rétrospective Bacon à Paris remet en lumière les zones de haute turbulence du peintre anglais. Décomposition.

Malborugh International Fine Art «Ce n’est nullement une joie érotique, c’est beau­ coup plus. Mais sans issue. Ce n’est pas non plus masochiste et, profondé­ ment, cette exaltation est plus grande que l’imagina­ tion ne peut la représenter, elle dépasse tout. Mais c’est la solitude et l’ab­ sence de sens^qui la fon­ dent». George Bataille (Plan d’une suite de l ’His­ toire de l’œil)

Etude pour un auto­ portrait, extrait du Triptyque, 1985-86

Bacon se définit comme un «optimiste désespéré (...), ce n’est pas l’opti­ misme du croyant.»

L’ORIENT-EXPRESS AOUT 1996 f/'anscultures

Centre Georges Pompidou D U CORPS

MPOSSIBLE DE TAIRE FRANCIS BACON. IPatiemment, calmement, au fil des toiles, il organise le débrouillage de notre époque. A l’heure de l’uniformisation à marche forcée, spectaculaire, à l’heure où le XXe siècle vieillissant laisse s’accumu­ ler des générations gavées d’images, bai­ gnant dans un monde qui ne produit qua­ siment plus que des images, la peinture de Bacon fait véritablement violence. Dans cet immense salmigondis où tout se vaut, Bacon vient bousculer notre hébétude confortable, nous proposer de sortir de notre somnanbulisme télévisé et publici­ taire. Pourtant, cette peinture ne témoigne de rien. Elle ne fait qu’accompagner le siècle et, subrepticement, elle le perce. Inscrite dans la guerre puisque Bacon ne se consacre à part entière à la peinture qu’à partir de 1944, elle ne s’y réfère jamais de manière directe. Ce qui se trame dans la centaine d’œuvres exposées au Centre Pompidou depuis le 27 juin, c’est un art qui n’a pas peur de montrer les choses telles qu’on ne vou­ drait surtout pas les voir, d’insister, d’en­ foncer le clou dans la plaie pour décou­ vrir ce qui peut bien se passer derrière les dehors lisses et policés du quotidien. De toile en toile, les combinatoires sont différentes, les variations subtiles, mais c’est la même chose qui est dite. Et si, contrairement à un Picasso, Bacon n’a pas touché à tout, il a certainement tou­ ché à l’essentiel: la béance constitutive de chaque individu. Ici, la bouche ne crie pas comme on a parfois voulu le dire. Ce n’est plus un instrument de parole mais un trou, peut-être plus intéressant qu’un autre. «J’ai toujours espéré, en un sens, Portrait de Michel Leiris, 1976 peindre la bouche comme Monet peignait un coucher de soleil», confie le peintre à Ami de Bacon et analyste de son oeuvre, l’écrivain français est ici représenté dans un David Sylvester, ami de Bacon et spécia­ complexe système de courbes et de contre-courbes. De Bacon, Leiris écrit: «Rien liste de l’œuvre (Interviews with Francis n’opère selon les normes paresseuses d’une voie toute tracée, mais il y a toujours suspens, bri­ Bacon, Thames and Hudson, disponible sure ou remise en question.» en langue française chez Skira, traduction de Michel Leiris). vement dérangeant. C’est ce souci, dont réduit en bouillie, rejoignant de la sorte Il y a en effet un sujet sur lequel, de parle Deleuze dans son Francis Bacon, un anonymat qui serait propre à l’espèce manière toujours renouvelée, Bacon Logique de la sensation (Édition de la et, simultanément, il acquiert dans le revient sans cesse dans les triptyques, les Différence), du figurai qui consiste à mode même de cet effacement une irré­ portraits ou les autoportraits: la figure conjurer et déconstruire la tentation de la ductible singularité. Philippe Dagen, cri­ humaine, qu’il pulvérise de toile en toile. figure. Dans un double mouvement appa­ tique d’art au Monde, a la formule heu­ Le portrait, traditionnellement illustratif remment contradictoire, le visage de l’in­ reuse: «Bacon est ce peintre qui sauve son et bourgeois, devient avec Bacon définiti­ dividu est gravement altéré, barbouillé, modèle de l’effacement, mais le sauve de

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The Guggenheim nniseui justesse» (in Bacon, éditions du Cercle sommes des carcasses en d ’Art). puissance» rappelle Si les seuls lieux de la peinture de Bacon Bacon), nulle tentative de sont les visages et les corps, il s’organise saisir le mouvement mais généralement autour d’eux une véritable plutôt le corps figé dans la scénographie claustrale qui enferme le distorsion induite par ce personnage, évoluant le plus souvent mouvement. A Michel seul, dans un espace vide, froid, ano­ Archimbaud, il explique nyme, géométriquement circonscrit, vouloir «saisir ce qui ne aseptisé, presque sanitaire. Cet arrière- cesse de se transformer» plan assez peu profond est fait de demi- (remarquables et courts cercles rentrant vers l’intérieur du Entretiens, désormais dis­ tableau, de caissons ou de cubes de verre ponibles en Folio). enfermant les personnages, tel le Pape Pas d’urgence ni de vitesse Innocent X de Velasquez que Bacon a donc, mais la violence repris dans une vingtaine de variations brute qui se déploie là, dont trois, et non les moindres, sont d’une pièce à l’autre de exposées à Beaubourg. Le Pape, figure l’exposition, dans la plus d’autorité par excellence, est ici défiguré grande maîtrise et la plus à l’envi et représenté en plein dépérisse­ parfaite sérénité. Nulle ment, hurlant et cadenassé. apocalypse expressionniste Bacon: «Les hommes se réduisent à et pourtant, rien ici ne ras­ l’image, au mouvement, comme s’ils cher­ sérène. C’est que le calme chaient à se persuader de leur existence. qui ressort de corps troués Ils occupent comme ils peuvent l’espace et et déformés, saisis dans la le temps qui n’en finit pas, car leur agita­ déformation de l’effort, est tion n’est que l’éternelle attente d’on ne un calme étrange et inquié­ sait quoi, un perpétuel recommence­ tant. L’harmonie à ment.» Peut-être dans cette tentative cent laquelle Bacon atteint, en fois répétée de saisir la distorsion du corps fouillant aux sources de la et la dislocation du visage, Bacon capte-t- sensation sans justement il l’essence de l’être. Chacun de ses per­ jamais être sensationnel, sonnages se meut, nous dit la toile, dans renverse notre perception: un espace qui n’est que le sien et qu’il la violence n’est peut-être occupe en toute plénitude mais c’est un pas dans ces toiles, mais Trois Études pour une crucifixion, 1962 espace qui, on le sent inexplicablement, autour de nous. «À devrait être le nôtre, en tout cas le pour­ d’autres, l’univers paraît Le tryptique traditionnel, d’origine religieuse, est composé rait. De sorte qu’en nous happant et en honnête. Il semble honnête d’un panneau central entouré de deux panneaux latéraux. venant nous interroger au plus profond de aux honnêtes gens parce Chez Bacon, les trois toiles sont toujours distinctement nous-mêmes, chacune de ces peintures qu’ils ont des yeux châtrés. encadrées mais disposées l’une à proximité de l’autre. nous fait violence. C’est pourquoi ils crai­ Dans ces masses de chair et de viande gnent l’obscénité.» convulsionnées, dans ces corps sans (Bataille). organes qui s’épanouissent au fil des trip­ Le parti pris des commissaires de l’expo­ en effet d’en finir avec le Bacon «cri-dou­ tyques («Nous sommes de la viande, nous sition du Centre Pompidou semble être leur-souffrance» devant les horreurs du siècle et la turpitude des hommes. 11 se dégagerait alors de cette peinture une grande sensualité prenant en compte l’inéluctabilité de la mort et l’intégrant dans son expression même. «Il est au comble de la lucidité, écrit Philippe Sol- lers (in Les Passions de Francis Bacon, Gallimard, coll. «Monographies»), mais il ne s’intéresse qu’à la volupté.» Certes, d’importantes expositions et rétrospectives avaient eu lieu du vivant de Bacon: large rétrospective au Metro­ politan Muséum de New York en 1988, rétrospective de la Tate Gallery de Londres en 1985-86 ou encore, à Paris, Francis Bacon el exposition au Grand Palais en 1971... W illiam Burroughs J Mais, la rétrospective de Beaubourg est / 989. Photographie la première grande réunion post mortem M iniban. des tableaux de Bacon si l’on excepte

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Ici, aucune narration orientée vers le tableau central mais des Des éléments renvoient à un quotidien banal: le col blanc de lambeaux de chair et deux voyeurs sur la gauche, une masse la chemise d’un des deux personnages à gauche, le lit, dont la crucifixion à l’envers semble être organisée par un l’oreiller et les abat-jour de la toile centrale dont la surface système de cornes jointes circulairement (à moins que ce ne semble avoir été perforée par des impacts de balles. soient des os) sur le panneau de droite et, au centre, une Sollers: «Tragédie? Oui, sans doute, mais sans pathétique, la vio­ charogne probablement féminine. lence pour elle-même en toute sérénité, comme une loi.»

celle, plus restreinte, du musée d’Art organisateurs de la rétrospective le choix qui du coup se trouvent sous-valorisés moderne de Lugano. À cet égard, elle de l’ordre chronologique dans l’exposi­ par rapport aux grands triptyques?), des propulse définitivement le peintre anglais tion des œuvres (quelle pertinence de cet murs trop gris, trop nets, des cadres trop au rang d’artiste majeur de notre époque. ordre-là pour les portraits, par exemple, souvent dorés; en somme, un accrochage Il prenait plaisir à raconter lui-même par trop cérémonieux. Ce souci de la net­ l’anecdote suivante: à Margaret Thatcher É DE PARENTS ANGLAIS À DUBLIN EN teté est une exigence expresse de Bacon leur demandant un jour qui était selon N 1909, m ort à Madrid en 1992, pour, dit-il, «renforcer le caractère artifi­ eux le plus grand peintre anglais, les Francis Bacon commence par être ciel de la peinture.» Dans cette distancia­ conservateurs de la Tate Gallery s’accor­ décorateur, métier qu’il abhorre. tion obligée, il devient alors moins ques­ dèrent sur Francis Bacon. «Pas cet hor­ Homosexuel revendiqué sans jamais tion de représentation que de la tentative rible personnage qui peint des tableaux être militant (il avait en sainte horreur d’atteindre à une véritable présence. abominables!» s’indigna alors la Dame Auden et Genet), Bacon a cultivé un Mais, à Beaubourg, les reflets parasitants de Fer. Bacon est pourtant aujourd’hui goût resté toute sa vie inaltéré, pour le des vitres accentués par la position des un des seuls à pouvoir réunir les diverses jeu, l’alcool, les joutes verbales dans tableaux par rapport à l’éclairage élec­ sensibilités artistiques et, pour prendre les pubs londoniens et les dragues. Un trique ou naturel renvoient en perma­ l’exemple français, ne sont citées dans ces regard de hibou, la paupière gauche nence à l’œil la présence de la foule très lignes que quelques-unes des récentes tombante, grand solitaire n’ayant dense des spectateurs. A ce reflet, presque parutions participant à l’engorgement jamais fait partie d’un mouvement jamais aussi gênant que lors de cette éditorial autour de l’exposition pari­ artistique, Bacon fut à tous égards une exposition, on n’arrive pas à se résoudre sienne. figure à part dans le monde des arts. ou à donner un sens... La seule véritable On pourrait tout de même reprocher aux trouvaille est l’accrochage des tableaux à

L’ORIENT-EXPRESS ^ AOÛT 1996 jjrinscultures

Coll, particulière

Figure en mouvement, 1976 L’espace est ici structuré par le cube et les cercles mais le fond sombre et plat interdit toute profondeur. Des journaux illisibles traî nent sur le sol et une flèche incongrue renforce l'artifice de la scène. Le corps est saisi dans l’effort et une masse à deux pattes semble léviter sur la droite, en dehors de l’espace occupé par le personnage central. Michel Archimbaud note qu’on trouve chez Bacon tout à la fois «la violence et la solidité du cadre, la cruauté de la vie et sa beauté et si son propos est terrible, la forme dans laquelle il l’exprime est d’un goût incomparable.»

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Coll, particulière hauteur d’homme, qui permet d’«entrer» de plain-pied dans le tableau. Si les qualités de coloriste de Bacon sont reconnues, si ses contrastes chromatiques sont violents et osés (notamment rouge/orange, mauve/bleu,...), il y a là également un grand travail sur la matière, la surface, sur les choix des endroits où elle va prendre du volume. Bacon est assassin sur la lithographie qui «manque de matière et de profondeur.» Il l’a pour­ tant pratiquée sur le tard, et c’est le moindre de ses paradoxes. Sur la peinture abstraite, dont il faut dire qu’une certaine dégénérescence a fini par en faire le biais puritain d’évacuer le sexe, les sexes, son jugement est sans appel: «L’abstrait me semble être une solution de facilité. La matière picturale en soi est abstraite, mais la peinture, ce n’est pas seulement cette matière, c’est le résultat d’une sorte de conflit entre la matière et le sujet. Il y a là comme une tension, et j’ai l’impression que les peintres abstraits éliminent d’em­ blée un des deux termes de ce conflit: la matière imposerait seule ses formes, ses lois. Ça me paraît une simplification. C’est vrai aussi que, pour moi, il y a tou­ jours l’importance de la figure bumairie, de ses transformations constantes. L ’abs- traction ne m ’a jamais paru suffisante, elle ne m ’a jamais satisfait. Elle me semble au fond se réduire à l’aspect uni­ quement décoratif de la peinture.» S’il fallait jeter un parallèle entre le peintre anglais et un de ses contempo­ rains, ce serait sans doute avec le cinéaste canadien David Cronenberg (Video- drome, The Fly, Naked Lunch, Crash,...), lui-même d’ailleurs largement inspiré de William Burroughs, ami de longue date de Bacon. Leurs thématiques se recou­ pent: la peinture et le cinéma comme hal­ lucination, l’horreur intérieure, l’obses­ sion virale, le virus se révélant agent infectant au grand jour à la lumière du pinceau ou de la caméra. L’un et l’autre veulent disloquer ce qui semble impas­ sible, pour prospecter les tréfonds. Figure en mouvement, 1985 Comme dans l’abord de Bacon, il s’agit surtout de ne pas abusivement assimiler Corps distordu, à visage découvert, le modèle est en équilibre précaire. L’homme ne la démarche esthétique de Cronenberg au se vit plus ici comme incarnation mais comme accident qui permet à la faille de genre «gore». Il ne fait aucune morale. ressortir. Semblablement, l’art de Bacon précède la morale, investit les champs où elle n’a pas siècle. Pour reprendre Sollers, Bacon la musique. Non pas pour comprendre encore pris corps. «désillusionne». ou connaître, mais pour ressentir quelque Francis Bacon expurge la peinture (et s’il Nulle métaphore encombrante ou mes­ chose.» y a de la violence dans son œuvre, elle sage lourdement martelé, nul titre de toile Non, vraiment, impossible de taire Fran­ n’est nulle part ailleurs) de la sensiblerie indispensable à sa compréhension, nul cis Bacon. sentimentale, des mièvreries métaphy­ bagage d’histoire de l’art obligatoirement ANTHONY KARAM siques, des tourments et des affres de l’in­ requis, mais une vitalité qui se déploie en terrogation religieuse, de la niaiserie du toute délicatesse. Bacon encore: «Le plus Musée national d’art moderne - Centre pathétique et, au fond, de tout ce que important reste de regarder de la pein­ Georges Pompidou. Jusqu’au 14 octobre notre époque a hérité de pataud du XIXe ture, de lire de la poésie ou d’entendre de 1996.

L'ORIENT-EXPRESS AOÛT 1996 de clients effroyablement exigeants, passe par ses propres locataires pour toucher D iscontinuité ses loyers puis par son associé dans une petite entreprise de restauration et va rejoindre finalement, sur la côte, son AMÉRICAINE amante avec laquelle il passe une soirée insolite à échanger de passionnantes considérations sur les relations amou­ uoi QU’ON EN DISE, en littérature reuses. Le lendemain (deuxième jour), comme dans bien des domaines, les après un passage difficile chez son ex­ utats-Unis demeurent aujourd’hui unefemme, il emmène son fils pour un petit superpuissance. Alors que l’on a de pluspériple qui s’achèvera mal le jour suivant Qen plus tendance à penser que la littéra­ (troisième jour). Mais le quatrième jour, ture anglaise n’existe plus que grâce aux les horizons paraissent s’éclaircir à nou­ écrivains africains ou indo-pakistanais, veau et en plus, c’est le jour de la fête de alors que la France ne cesse de grincher et l’Indépendance. de prétendre qu’elle n’a plus de roman­ Tout cela peut sembler maigre et insipide. ciers, que la littérature russe a été quasi­ En réalité, c’est d’une densité extraordi­ ment éradiquée par le soviétisme et que la naire et c’est passionnant. Car Franck littérature chinoise doit en ce moment Bascomb n’est pas n’importe quel citoyen subir à peu près le même sort, il est cer­ des classes moyennes des États-Unis. Bas­ tain que les Etats-Unis continuent de comb est philosophe et métaphysicien. Il connaître une vitalité incontestable et très vit son âge adulte comme un âge de prag­ enviée dans le domaine de la production matisme et en même temps de grand romanesque, même si la critique améri­ délestage du passé et de redémarrage caine se plaint sans cesse d’une crise géné­ tonitruant. Ses rapports avec les femmes ralisée de la lecture aux États-Unis. sont d’une affolante complexité, et ses Parmi les innombrables et très diverses relations à l’argent et à l’investissement Ou les aventures voix qui se sont élevées durant les deux bâties sur un principe d’altruisme assez dernières décennies dans la littérature détonnant dans un monde ultra-libéral. d’Ulysse et Télémaque américaine, celle de Richard Ford est sans Mais surtout, Bascomb vit son métier doute l’une des plus remarquables. Né d’agent immobilier comme la profession au pays de la grande dans l’État du Mississipi et considéré, un emblématique de l’Amérique d’au­ bougeotte. peu à tort peut-être, comme un romancier jourd’hui, un pays où les hommes sem­ du Sud à cause de l’ambiance qui règne blent saisis d’une perpétuelle bougeotte, dans certains de ses livres, Richard Ford déménagent comme on change de che­ construit depuis vingt ans une œuvre mise, vont d’un État à l’autre, passent puissante et singulière. 11 vient d’obtenir d’un métier à l’autre et d’un investisse­ le prestigieux prix Pulitzer pour son der­ ment à l’autre avec une aisance vertigi­ nier roman, Independence Day - devenu neuse. Il suffit dès lors que l’agent immo­ Indépendance dans la traduction fran­ bilier soit un homme pourvu d’une vision çaise -, unanimement reconnu comme un claire de son époque, tel Franck Bas­ livre capital pour qui veut plonger dans comb, pour que ses clients finissent par l’univers américain des vingt dernières entretenir avec lui des rapports passion­ années. nels proches de ceux du psychanalyste et Indépendance raconte quatre jours de la de ses patients. Dans Indépendance, vie de Franck Bascomb, un personnage Franck Bascomb en agent immobilier est dont Richard Ford avait déjà commencé le scrutateur du comportement américain à dire l’histoire dans un précédent roman, d’aujourd’hui, comportement entière­ Un iveek-end dans le Michigan. Après ment fondé sur un ensemble de néga­ avoir été nouvelliste puis chroniqueur tions: négation du sentiment de conti­ sportif dans un célèbre quotidien de nuité (filiale par exemple, par la Washington, Bascomb devient dans Indé­ préservation d’un réseau de relations pendance agent immobilier. Il habite parentales) ou d’appartenance (géogra­ Haddam, une petite ville très snob du phique entre autres), un ensemble de New-Jersey et vit dans une grande mai­ négations que Bascomb appelle finale­ son de style néo-grec. Il est divorcé et sa ment «l’indépendance», qui correspond femme a épousé un riche rentier. Elle a assez à son propre rejet de la notion de gardé les enfants auprès d’elle à New- nostalgie ou d’attache et dont il célèbre Haven et Franck Bascomb s’apprête à les avec malice la fête le jour même où les rejoindre pour emmener son fils faire du Américains fêtent l’autre indépendance - tourisme le temps d’un week-end, celui historique et politique celle-là -, ce qui lui de la fête de l’Indépendance. Le premier permet de réinvestir d’une signification jour, il fait visiter une maison à un couple neuve et plus conforme à l’époque un

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événement et un mot devenus tous deux un peu désuets. Cela dit et au cours de son itinéraire de Le K urde, quatre jours, Franck Bascomb se heurte à plusieurs personnages pour lesquels la continuité, l’importance symbolique de LA PLUME ET LA BALEINE l’appartenance ont encore un sens et qui apparaissent dans cet univers comme des Le dernier roman de Selim Barakat joue des détraqués. Ainsi en est-il par exemple de son demi-frère Irv, rencontré par hasard mille et une facettes d’une culture farouche et qui, saisi par la nostalgie des origines, cherche à renouer le fil perdu de la conti­ et tendre mais dont les destinées sont plus que nuité familiale et filiale. Ainsi en est-il également des époux Markham qui cher­ jamais éclatées. chent à acheter une maison mais une maison qui doit avoir une histoire, une profondeur signifiante. À travers leurs Beaucoup de gens le savent déjà et en de sa communauté, dans ses croyances exigences immobilières, en refusant de sont convaincus: ce Kurde syrien de Sélim tenaces et sa «version» du monde comme s’identifier à n’importe quel Américain Barakat écrit un arabe inimitable. Tous ce «Noun» (la Baleine) que Dieu a créé en qui achète n’importe quelle maison pour ses récits - et il en a déjà de nombreux!*), tout premier et qui supporte la terre avec la revendre quelque temps après, les outre les recueils de poésie - avancent ses mille cornes. C’est aussi une histoire Markham refusent inconsciemment de se plus par la magie de la langue que par le de pendules à grands miroirs, de parche­ laisser emporter dans l’immense et inces­ renfort d’une intrigue bien façonnée. Il mins, de codes secrets et des vertus de la sant brassage que représentent la vie faudrait peut-être parfois oublier ce qu’il graisse animale dans laquelle ce peuple de américaine et son perpétuel mouvement raconte pour mieux le convoyer dans bergers astrologues cache ses armes à feu. et exigent une identité durable et claire et l’imprévu de ses tournures, la finesse de Cette graisse qui remplit l’immense jarre surtout absolument singulière. Mais ses verbes et le foisonnement de son de terre glaise que les Kurdes du village parmi les «inadaptés» notoires, il y a sur­ lexique. Des pages-prouesses qui sem­ de Taf ont fait construire par des ouvriers tout le propre fils de Franck Bascomb, blent avoir été écrites pour défier la tra­ syriens venus à bord d’une Torpédo, sert qui vit son adolescence d’une manière duction***). Au fait, c’est de langue(s) et de transition entre les deux parties du désastreuse parce que la question de la de traducteur(s) qu’il s’agit surtout dans roman et nous conduit à Larnaca chez le continuité, de l’appartenance ou de la le dernier roman de Barakat qui vient de boucher soudanais qui ne vend la viande nostalgie cesse chez lui d’être purement paraître sous un titre qui ne promet pas qu’«honorée» d’une portion de cette sociale pour devenir psychologique. C’est un roman: Les astrologues au Mardi de la graisse blanche qui fut la «matière pre­ pourquoi Bascomb décide, durant le long mort: l’Univers, deuxième volet d’un récit mière» de la création. week-end du 4 juillet, de s’occuper de tout autant «cosmographique»: Le pas­ Ceci n’est pas une histoire kurde: c’est un son fils et de le mener sur la voie de la sage du Bachrouch, paru il y a trois ans. peu et à la manière d’Umberto Eco dans guérison en lui inculquant les leçons d’in­ Sako, le Kurde, traduit pour sa commu­ Le Pendule de Foucault, la misère de dépendance. Tout le roman de Richard nauté les recettes d’embaumement du l’exil au quotidien, le dit des pères et des Ford tend vers le moment du tête-à-tête rétameur yéménite et de sa mère; trois ancêtres, et surtout l’appel obscur et mys­ entre le père et le fils. Et ce tête-à-tête n’a chefs expansionnistes venus des trois térieux du pays. presque jamais lieu, bien que la moitié du directions (sauf l’Ouest!) ne peuvent pas Et si la hantise du don de la parole fait roman soit consacrée aux rapports de se comprendre sans les bons services du dire à la sagesse populaire: «La plume et l’adulte et de l’adolescent. A l’inverse de rétameur - l’un d’eux ne semble d’ailleurs la baleine sont les deux premiers porteurs l’Iliade, ou de 1 ’ Ulysse de Joyce, Indépen­ pas posséder de langue - ; deux scribes de bien depuis que Dieu leur a assigné la dance pourrait se lire comme la quête du égorgés avec un crin de cheval; le petit- majesté de l’Acte...», YUnivers de Sélim fils par son père, une quête difficile, faite fils de Sako, traducteur auprès des ser­ Barakat permet de conclure qu’on peut d’incommunicabilité, de moments d’hos­ vices de police dans l’île de Chypre enlevé faire un roman avec les seules ressources tilités puis de complicités et d’embellies par ces mêmes chefs deux générations de la langue... arabe. passagères mais qui aboutit finalement à plus tard, pour leur déchiffrer un message la déconfiture inattendue de l’adulte et à invisible «écrit» sur une feuille blanche: JABBOUR DOUAIHY l’ajournement de la leçon d’indépen­ même si le romancier-poète n’a pas dance. Cependant les Etats-Unis n’en recours aux allusions directes, l’image célèbrent pas moins la fête du même nom d’un Kurdistan-Tour de Babel et convoité L ’Univers - Sélim Barakat, et Franck Bascomb ne désespère nulle­ par ses voisins s’affermit au fil des pages. Dar-an-Nahar, Beyrouth, 1996 ment de faire entendre raison à son fils. C’est à croire que le problème kurde est 228 pages. De toute façon, comme Télémaque, seulement un problème de langue, ou de Ulysse ou Bloom, ce Franck Bascomb a communication (pourquoi pas?). Et que toutes les chances de devenir une figure pour tout un chacun «l’imagination c’est ( ) Surtout deux récits autobiographiques: Al emblématique de la littérature. la langue» et pour tout peuple «l’imagi­ Joundoub al badidi (Le Criquet de fer) et CHARIF MAJDALANI nation c’est l’identité». Hatibi ‘aliyan, bat al-nafir 'ala akhiribi (Sonne du clairon, sonne du clairon jusqu’à en perdre Indépendance - Richard Ford, Allégorique ou même simplement fantas­ le souffle). (trad. Suzanne V. Mayoux), tique, l'Univers de Sélim Barakat puise à ( 1 Voir la traduction de François Zabbal du Éditions de l’Olivier, 1996, 574 p. profusion dans l’imaginaire traditionnel Criquet de fer chez Actes Sud.

L'ORIENT-EXPRESS CJ AOÛT 1996 1 111 n n i n m

L a cave du H o l id a y

Le roman de Ghassan Fawaz que Léo éditions du Seuil publient début septembre est appelé à faire couler beaucoup d'encre. Pour son intrigue qui a la guerre du Liban pour toile de fond. Pour son écriture débridée. Pour son titre déroutant «Léo moi volatils des guerreo perdueo». E t aussi, oano doute, aux yeux d’une poignée d’initiés, pour leo analogieo avec telle ou telle grande figure de la militance deo annéeo 70. Dano l’extrait que nouo publiono ici en bonneo feuilles avec l’aimable autorisation deo éditiono du Seuil, et qui correopond au chapitre intitulé «La danse», on trouve réunis leo quatre principaux peroonnageo: Faréo le «héros» du roman, Franc, le journaliste français, narrateur de la dernière partie du livre, le professeur Lumière, et Beyrouth, qui est ici nom de femtne: ébluisoante et mystérieuse putain dont Faréo est l’amant de cœur.

e la b r ib e de musique dégringolait l ’e s c a l ie r ... Il l’homme pas électrique? voulait la reprendre sur ses épaules, la débarquer Et s’il l’embrassait maintenant, un long, long truc?!... Si ça Dcomme un paquet à lui sur la table, au milieu des assiettes dégageait?... pour faire saliver. - Lampe, elle a crié. Mais voilà qu’elle voulait plus rien entendre la pute, même - Abracadabrac, il a rigolé. de monter. Et la tête à Lumière s’est détachée dans l’encadrure de l’en­ - Mais tu sais bien!... qu’elle minaudait. trée ; il manquait plus que cela!... La nuit où tout est pos­ - Non, je ne sais pas! sible, même un rictus désincarné phosphorescent dans le - J’aime pas rencontrer... noir. Lui qu’était jamais des festoiements que venait-il là?! - Mais tu as déjà «rencontré». Il leur a tendu la main en salutations très polies, il a plus - Les autres c’est pas pareil, je les connais maintenant... quitté la main à Beyrouth... - Mais tu les connaissais pas avant! - Vous montez pas? - Tu m’a forcée!... Et la v’ià, la garce, qui montait avec lui! - Je te force encore. - Non! Chez Nadine qu’on fêtait la victoire ce soir. Chez ses - Mais pourquoi t’es venue?! parents exactement. Les jours comme celui-là ils préfé­ - C’est toi qui m’a portée! raient se sentir plus en sécurité dans leur villa de la mon­ - Te vais te porter maintenant! tagne. Un chanteur psalmodiait déjà son refrain en accor­ -Non!... dant son oud, la mimique souffrante de quelqu’un qui fait Butée comme un lierre, elle se collait le dos au mur, à vrai­ l’effort de se soulager «Moi, mon frère, je viens du ment taper dessus. Franc qu’y pouvait rien non plus faisait Sssuuud... De l’extrêêême extrêêême Sssuuud...». Il y avait semblant de siffloter. Et l’entrée qui venait justement de pas mal de monde d’arrivé: la gent théâtre-cinéma-photo perdre son jus!... Comment qu’il agirait dans la situation de la ville était bien représentée, des visages de l’Université

L’ORIENT-EXPRESS ^ g AOÛT 1996 B n 11 s r n i n es américaine, un riche jeune héritier progressiste et sa pro­ soirs où il sent que ça va zober. Sur la grande table ovale gressiste jolie jeune épouse, «Mélina Mercouri» la grand- c’était le grand étalage, montagne de taboulé au milieu mère des pages culturelles avec son troisième fils de mari, d’une armada de barquettes décorées. Viande crue en Samiha «Sport» avec son reporter anglais, quelques échan­ petits cubes, en hachis, en kébbé... Foie cru, pasterma, tar­ tillons de l’orbite du Fath, des cas individuels de la gauche, telettes aux épinards, rouleaux croustillants au fromage, d’autres encore qui viendraient jusqu’à tard... Un ensemble ahh... les petites saucisses aux pignons dans leur graisse de hétéroclite en apparence. cuisson... Encore un verre... Ahh les nouveaux petits abri­ Egocentrique, prétentieux, bavard. cots tout mignons dans leur tout petit corsage... Vraiment Et après? Si ça fait de mal à personne! Pourquoi qu’ils des primeurs on en ferait que deux bouchées... L’abricotier rechargeraient pas les batteries de leur bonne conscience et il lui arrivait pas aux épaules, ce qui permettait la vue plon­ de leur suffisance avec le sang des autres, si de toute façon geante; le genre qu’avait pas besoin d’être une beauté, mais c’est pas eux qui le font verser? Qu’ils les appellent frères taille guêpe, jupe courte, maquillage tout faux, le sourire ou camarades pour participer sans payer à leur sacrifice, ça de peut-être-dix-huit printemps... Une toute neuve, il savait peut faire du mal à qui? Pourquoi qu’ils récolteraient pas faire... Un glaçon, elle ordonna effrontée en lui tendant son larmes et états d’âme des fois, si ça leur fait un cœur; qu’ils verre, un glaçon, il lui a posé dans la jointure de ses deux n’en tireraient pas articles, mignons... Une petite sau­ films ou pièces... Des rôles cisse bien graisseuse elle lui pour le théâtre qu’ils se font déposa dans son verre qu’il de la réalité? Des resquilleurs vida d’un long trait... en lor­ ils sont?! C’est inévitable gnant par réflexe protection­ dans tous les matchs. Des niste du côté de Beyrouth... putes?! Il en faut dans toutes Tiens! Elle se faisait offrir un les guerres, comment que ça verre dans son coin mainte­ vivrait les soldats sinon? La nant... Alicco Soda!... De preuve, les politiques, les quoi il se mêlait çui-là!... Ça vrais, ils les snobent pas au a pu durer dix secondes, qu’à contraire, ils viennent déga­ la place de la nymphette à ses ger et festoyer à leur contact. côtés ça se trouvait un Franc Il aurait été indécent à cause déjà éméché lui aussi... des morts de fêter quoi que - J’ai à te proposer l’affaire ce soit cette nuit ailleurs. Ici du siècle. Mieux qu’une c’est tout normal, les morts banque... Il clignotait des on leur chantera une chan­ yeux. son; vous verrez, des têtes - Quelle banque?! sursauta militantes connues et moins Farés. connues ne tarderont pas à Franc laissa planer sa se montrer. C’est qu’il est réponse en se concentrant attirant comme un sourire ce sur les reflets du Lux dans milieu, comme une bouteille. son verre de vin... Pourquoi Farès il est là? - Qui parle de banque? finit- Pour sortir de Farès juste­ il par laisser tomber... Pas ce ment. Des bourgeois qui se soir en tout cas...», il susurra mélangent avec des petits- avec un sourire. Et il tendit bourgeois, et des moins que son verre. «Ce soir ce sera ça même, ça fait trouble. Des filles autrement soignées que pour l’or rouge, rubis vermeil... la moyenne nationale ça fait moite. Qu’on regarde pas à la - ?... consommation, ce qu’est une manière pas ostensible de - La cave du Holiday, zob! Ils ont tout vidé peut-être mais partager les moyens, ça décoince. Et les mots qui coûtent le vin ils s’en foutent, ils passaient à côté sans voir. Moi j’ai rien et la musique en rab ça finit de libérer. Au point que vu... et crois-moi ça en vaut la peine... Ton palais il aura quand on fait la merde toute la journée on se dit heureuse­ plus jamais une occasion pareille... ment l’on a ça dans la tête pour la nuit. - Mon balais? Un milieu assez fermé pourtant, qu’adoptait les nouveaux - Oui mieux que Les Mille et Une Nuits... visages qu’à l’examen. Alors le visage de Beyrouth, vous Farés n’avait pas spécialement la folie du vin ce soir-là. pensez bien... C’est bien fait pour sa gueule tous ces yeux... Mais ça lui disait de pas être là un moment, la laisser s’em­ Un vrai arrêt sur séquence qu’a figé la piève à son arrivée, merder dans sa peau; il la ramasserait à la petite cuiller au elle aurait voulu fondre sûrement... Elle cherchait Farés du retour. regard, hheh, débrouille-toi ma chère... Elle essayait de se Ils avaient quand même bien bu déjà tous les deux. faufiler avec Lumière dans le coin d’ombre du côté balcon, une mine de sans-culotte hi-han... Elle était sinistre la carcasse dans le noir. Une vraie cha­ Et ça y est voilà qu’il commence! Vodka orange sur gin rogne vidée. La vie s’était déplacée avec le front plus bas, citron à jeun dès le premier quart d’heure; sa technique des on l’entendait battre du côté du Hilton. L’impression

LORIENT-EXPRESS ^ C ) AOUT 1996 1 i i I I S F I I I l L E S quand même d’ombres qui disparaissaient comme des rats çantes devenaient des pluies de météorites, les gros obus: dans le hall; et les crétins, ils avaient même pas pensé ame­ d’autres vaisseaux lumineux d’un espace embouteillé. ner une torche, heureusement qu’ils étaient fumeurs. Farés se rapprochait de la baie vitrée de son vaisseau... un Où c’est qu’elle était la cave? Là-haut, tout là-haut, dans le peu plus encore... il n’avait plus la pesanteur dans les restaurant panoramique... Les escaliers... la spirale pieds, juste il s’est tassé les épaules... et ho!... Mais aveugle, ils trébuchaient sur les débris, râlaient, reniflaient regarde!... Le missile qu’est parti tel un météore avec sa comme des chameaux, une mélasse d’atmosphère, ils se queue ovale de lumière rouge orange et rose... 11 passa mouchaient des doigts, tout l’escalier se mouchaient en peut-être qu’à cent mètres devant le vaisseau... Il prenait écho, les essuyaient contre le mur, yeaah! D’autres l’au­ son temps... Sa lumière s’allongeait... Magnifique... raient fait avant eux?! Soudain un cri fusa, qui allait si bien Sensation universelle. dans l’ambiance, déchirant. Farés se plaqua allez savoir Faréés?... Hééyo?... Tout baba il l’a laissé le Grad; vidé. Et contre quoi, il s’accrocha haletant et l’autre d’une voix il est parti s’éclater ailleurs. dingue «mais tends-moi la main!» il gueulait d’épouvante Comme chaque fois qu’il se sentait mentalement vidé, cette et la main à Farés qui ballottait sans rien oser jusqu’à se envie irrépressible de pisser. Et avec, l’impression d’une si faire happer soudain comme par une mâchoire, «mais tire grande légèreté, toujours dans son état second; anesthésié donc!... Mais tire!» qu’elle répétait la voix étranglée... «ton son vertige maladif. Le voici déjà au bord, à tout le ras autre main» elle suppliait... Farés qu’avait plus de mains bord de la nuit, sans plus de précautions qu’un regard fur­ pour lui! à plat ventre maintenant, à son poids il s’accro­ tif derrière, des fois que l’autre dingue avait aussi des chait, tirait... C’était surtout pas le moment de penser si envies irrépressibles, de le pousser par exemple, c’est scien­ c’était l’autre qui l’entraînait... Encore moins de ressasser tifiquement caché dans la nature humaine ces actes gratuits mais quoi je fous là?!... Cette haine subite pour Beyrouth; dans l’ivresse des hauteurs. «la sœur de pute!». Comme si c’était elle qui le poussait... Bref, l’envie d’un acte dont il voyait pas le bout. Sur la fin, les voilà quand même étendus tous les deux sur Le bout de son trait de pisse fallait pas s’imaginer qu’il les marches à se réamorcer. «Je retrouve pas mon briquet», arriva en bas, c’était pas un projectile et c’était pas le but. murmura Franc d’une voix morte. Farés alluma voir en mi- Seulement vaporiser la ville... un faisceau qu’irait s’élargis­ fermant les yeux... Les sant pour se transformer vers marches! trois ou quatre les alentours du dixième étaient dévorées par le vide Des obus sans bat, deux barrages amis pour étage probablement en pul­ aux trois quarts, et une par­ rigoler, Farés n ’était peut obligé de leur offrir vérisation légère brassée par tie de la cage d’ascenseur le petit vent historique de avec. Un obus avait dû tra­ des bouteilles, mais comme ça embêtait cette nuit... s’épandrait, verser côté ciel, l’on sentait le Franc!...« Du chambertin à des infimes gouttelettes qui met­ courant d’air dans la miliciens ?!!»... traient des jours à barboter flamme. En bas, qu’un trou dans le cycle de transforma­ noir... tion de l’oxygène en gaz car­ L’on pouvait dans la circonstance attendre de reprendre ses bonique à travers les poumons de la capitale avec les salu­ esprits avant de redescendre. L’on pouvait aussi se dire tations spéciales de l’auteur pour la classe politique. qu’il y avait intérêt à laisser l’autre passer devant dans la Voilà! C’était fini!... Soulagement... Déclic... Et retour de descente, des fois l’on aurait raté un trou pareil par chance la phobie des hauteurs!!... Imaginez-vous vous réveiller à aveugle en montant. Mais l’on pouvait encore, comme le cet instant dans la tête terrifiée de cet abruti! Ça restera une v’ià le Français fou, se lever soudain et, le briquet allumé, de ses plus mauvaises expériences... Au point qu’il en gar­ escalader les quarts de marches à la lisière du trou comme dera pour toujours la peur de tomber du lit!... Khkhkh... sur une corde sans filet. Et ce faisant, mettre l’hésitant en Mais qu’èque je fous là?! L’irrépressible vertige!... Mais il face de sa responsabilité orgueilleuse d’Arabe qui sait avait déjà vécu la situation dans ses cauchemars... Qu’il en jamais reculer publiquement, même dans le noir. ferma les yeux, le crétin, pour pouvoir se réveiller... et que Ils se retrouvèrent enfin sur le sommet. ça s’est mis à tourner comme un film!... Il était plus accro­ Impressionnant! La première fois que Farés mettait les ché au Soyyouz que du dehors et par les pieds, et ça tan­ pieds dans le restaurant panoramique du Holiday. C’était guait. On avait fermé le sas derrière... Happé par l’es­ fait qu’avec de la vitre, sauf qu’y avait plus de vitres ou pace... Quand il rouvrit ses paupières, sa jambe refusait quelques lambeaux encore accrochés à une boiserie. Une tous les ordres de peur de se tromper de sens... Elle s’alour­ terrasse accrochée dans les airs... Sensation du vide... dit comme pour le clouer... Il fallait absolument qu’il C’était tout sauf rassurant. Et il faisait froid. Farés n’osa s’écroule vers l’arrière, coller au dur de toute la surface de trop se laisser attirer vers le bord à cause de sa phobie des son corps pour pas glisser... Et vlan! voilà que c’était fait... hauteurs et des crampes d’estomac... Jamais il avait Comme un dingue l’autre venait de le pousser, dans le bon regardé Beyrouth sous cette couture. Un immense village sens. Qui le secouait, l’engueulait tu es fou! Lui envoyait dans sa nuit percée de Lux, qui se poursuivait sur les des claques. Qui profitait de sa faiblesse passagère. pentes scintillantes de la montagne qui se prolongeaient Akkhhh... mais ça va pas! Tu vas voir y a zob de Far and si dans les étoiles. Une luminosité galactique. C’était sûre­ je vais pas te casser la figure, moi, de m’avoir amené ici... ment comme ça dans un vaisseau spatial sauf que ça devait Tiens!... Tu vas voir si je vais pas te les balancer tes bou­ sentir le renfermé. Comme chaque fois qu’il se retrouvait teilles de merde... Et voilà, et voilà, et encore voilà... en tête à tête avec le ciel étoilé le voici happé. Les balles tra­ Franc le laissa faire. Il se caressait l’œil qui venait de rece-

L’ORIENT-EXPRESS 70 AOÛT 1996 B onnes fiiimi

voir le coup de poing... Son calme finit par intriguer. Il ture, laissant Franc prendre le volant, il découvrait enfin la avait l’air de tendre l’oreille. tête de ses protégés qu’appartenaient tous aux fonds sous- - On n’entend même pas la casse en bas, ce que ça doit être marins et personnellement au commandant Cousteau. loin'... Silence et puis il sourit... - Keuuuf, halte! -... Ça me dérange pas ce que tu fais là... C’est pas les Ils avaient pas encore démarré. bonnes celles-là... La voix dans le noir se racla le kalachnikov. De la grosse - Beaujolais, château moncul... Mais c’est du meilleur, il lumière les inonda. On pouvait voir maintenant sur la cas­ crâne le connaisseur. quette, en lettres dorées, « la d ir e c t io n GÉNÉRALE», et en - Du meilleur pinard, oui! rigole l’autre. Le vin, il est là!... dessous l’emblème avec deux machins croisés, et en des­ Attention... Si tu touches y aura mort d’homme... sous d’autres lettres: «les compagnons de la mort». Y avait bien une cinquantaine de bouteilles rangées contre - Loussous?! Voleurs?! plaisanta le «symbathique» (en le meuble qui leur avait servi de vitrine. Dont une, énorme faranci dans le texte) avec un sourire qu’aurait signifié comme quatre. Farés essaya d’en déchiffrer l’étiquette au dans une autre bouche «Que la paix soit avec vous». clair de lune. Farés mesura équitablement - C’est un vin juif?... l’équilibre des forces. - Heeh, et elle date presque Qu’était à l’occasion pas le de Moïse. Mais qu’est-ce mot adéquat. Totalement; qu’elles faisaient des bou­ entre son pistolet armé dans teilles vénérables comme ça la main, collé contre le bas ici! Celle-là, tu vois? Elle de la portière comme il vient directement de chez l’avait appris pour garder Dieu...» Et le voilà parti l’avantage dominant de la dans une explication sur les surprise... d’un côté. Et de conditions de stockage, de l’autre, la Land tous postes température, d’humidité, etc. occupés qu’on voyait mieux Dire qu’elles devaient parfois à présent pointer la gueule de cuire sous le soleil là où elles sa douchka sur eux. Les étaient!... La déception de sa pires des pires des Palesti­ vie si à cause de ça elles niens; Farés en savait étaient plus vivantes. «Dans quelque chose. Hier encore le pire, je garderai les éti­ ils avaient descendu froide­ quettes, il conclut pensif. ment un camarade dans une Il avait l’air sérieux, le zob... rixe. Les seuls à pas être - Et dis-moi, ton trésor, considérés comme des alliés. comment va-t-on le trans­ Ils avaient été tenus à l’écart porter? de l’assaut contre le Holli- La question cueillit Franc day, ça pouvait les avoir ren­ comme un second coup de dus furieux. Même sa carte poing; des voleurs de banque du Fath elle lui servirait pas qu’auraient oublié leurs sacs! de passe. Son regard fit plusieurs tours La honte que c’allait être de de la place comme un oiseau leur céder la marchandise. déplumé, il s’arrêta à nou­ - Saba-fi-yine...» (Franc pré­ veau sur les bouteilles; il sentait sa carte de journa­ avait même pas fini de PEINTURE: EMILE MENHEM liste). Qu’a ricané l’autre, trier!... Pas une caisse, pas le moindre petit meuble... Pas qu’était du côté de Franc: «Et derrière, c’est quoi, des même une table ou une chaise il constata stupidement... articles pour votre journal?»... Ils y étaient déjà, derrière, Rien!... Que leurs bras et leurs poches. Et le poids que ça de leurs mains et de leurs torches! Qu’ils voulaient pas y fera dans les escaliers, allez allumer votre briquet avec ça! croire. «C’est tout?!» accusa l’un d’eux dégoûté... «Des Et faire attention au trou; cri déchirant assuré. Franc!... livres? des bouteilles?! L’énorme bouteille qu’était dans ses muscles... Il a dû Leur mépris paraissait sincère. Qui mua soudain en sur­ tendre les bras pour la rattraper... et patatra... Qu’en bas saut... ils étaient plus qu’avec presque uniquement les bouteilles L’obus avait dû tomber tout près, peut-être dans l’entrée de sauvées par Farés. Qui eut la grandeur d’âme de les offrir l’hôtel: éclair, tonnerre, souffle et cliquetis. Et nouveau sif­ à Franc pour se servir sur les monceaux de bouquins qu’ils flement. Le type du côté de Farés se recroquevilla comme étaient en train de piétiner: seuls les meubles de la librairie un fœtus contre la portière, son nez dans l’espace intérieur avaient intéressé les videurs du hall. Un sauvetage culturel de la voiture, presque dans le nez de Farés; ses cheveux sans distinction... d’où sa noblesse, commentée par le puaient la bête. Il avait éteint sa torche pour pas que l’obus concerné sur le thème de la différence devant Dieu entre le voie. Des yeux de chat. Le moment que choisit Franc qui sauve un livre et qui sauve une bouteille. Qu’en voi­ pour démarrer prenant tous les risques. La tête du compa-

L’ORIENT-EXPRESS AOÛT 19% fi 111 n m n m gnon de la mort a bien cogné contre le rebord de la por­ épaules et de ses fesses... Vrai qu’elle était époustouflante tière à l’instant qu’arrivait le nouvel éclair. Le relent de son cette communion de la danse et du rythme généré par la haleine est resté collé et Farès s’est enfoncé dans son siège tabla... Le mouvement qui se coulait dans la cadence, pour pas regarder... Un deux trois quatre... épousait les virages, chevauchait les rapides, happait les Compter les yeux fermés si la douchka elle a le temps de inattendus. Tourbillon et toupie, ensemble ils s’endia- tourner la sienne de tête dans leur direction... blaient, s’infléchissaient, s’entrecoupaient d’infimes laps Mais la suite du chemin se déroulera dans la norme. Des d’arrêt, et c’était tantôt balancements chaloupés tantôt obus sans but, deux barrages amis pour rigoler. Farés déhanchements légers qu’on penserait à des clins d’œil... n’était pas obligé de leur offrir des bouteilles, mais comme Ou c’était le retour d’une cavalcade... et soudain plus que ça embêtait Franc!... «Du chambertin à des miliciens?!!»... l’eau qui clapotait... Depuis un moment personne ne claquait plus. Tout le Comme des conquérants ils montaient leur butin. Des monde il nageait. acclamations, des applaudissements couraient dans l’esca­ Ça se regardait aussi bien comme un duel. Un «suspense» lier, un tambourin égrenait un rythme effréné... Ils se tré­ à qui allait déraper? Du son ou du geste, qui était le chat et moussaient déjà en entrant, caressaient leurs effets... qui la souris? Le pas qu’était sans cesse repris ou la note L’ambiance était du tonnerre! Les meubles étaient repous­ qui ne pouvait s’échapper? Le morceau de bravoure ç’à été sés contre les murs, un grand cercle occupait la grande quand la tabla s’est tue soudain! La perfide c’était inat­ pièce dans la lumière étoilée des Lux, les fesses à terre, les tendu, en plein tourbillon. Quand l’équilibre n’y peut sur­ mains claquaient. Les yeux étaient tout ronds... vivre qu’en mouvement... Imaginez en vol l’avion, moteur Mais pas pour eux!... coupé. Et le miracle! Le mouvement qu’a pu, mais com­ Au milieu... Elle dansait... ment, retenir ses morceaux sans casser, qui puisait dans quelles ressources la force de survivre en état d’interrup­ Elle!!... qui jaillissait de ses yeux incrédules. tion?!... Le corps complètement balancé en arrière, les che­ Des minutes qui passeront, peut-être plus, à garder là, pour veux caressant le sol, et qu’un pied sur terre! Le mouve­ toujours visibles sur votre bureau de vie à côté du portrait ment qu’était fixe! de Abdel-Khalek Mahgoub. Les mains dans l’air comme C’est que, allahou Akbar! des ailes arrêtées. c’était tellement sublime que Des secondej terrible,s!... Des exemples Personne qu’osait applaudir deux secondes allaient suf­ historiques il cherchait, d’actes de bravoure pour pas que ça chute. fire. L’une pour calmer qu’auraient fini aussi piteusement!... A Que Lumière encore pour l’étonnement, l’autre pour chuchoter ses zoberies: subjuguer la colère. défaut, des ailes pour disparaître. A-t-on - Admirable... Admirable! Que dire d’autre que la idée de faire confiance à un bâton?! Le mouvement fixé à l’état beauté vous estompe pur! La science n’était jamais l’égoïsme et le temps qui va parvenue à l’isoler... avec! Ça a duré peut-être des secondes ou des fractions, puis le Ces minutes à vous raconter, pas que pour la suite de l’his­ cœur a repris ses battements et ce fut à nouveau féerie la toire: pour ceux d’entre vous qu’ont cru voir une fois dans vie qui se déhanchait comme ça. Là seulement que Farés leur vie une danseuse les faire voyager, qu’ils sachent ils s’est aperçu qu’il respirait plus depuis quand? Que ses ont rien vu. Le ver gracile aux voluptueuses et lancinantes courbatures aux épaules c’était qu’il avait encore sa mar­ arabesques ou la forme plantureuse qui se trémoussait sug- chandise dans les bras. gestivement devant eux ne présentait aucune parenté avec Et surtout... surtout que la tabla... Ce visage de papier cette sorte de rock oriental qui explosait, y a pas d’autre kraft mâché, ces yeux luisant au fond de leurs grottes, cette mot... Vous aviez l’oubli comme devant une immense che­ barbiche poussée là en plein désert, bref cet air parfaite­ minée... la flamme qui faisait du patinage artistique... ment démoniaque c’était... Alicco Soda!... Sa tête de ... vrillait, frétillait, ondoyait... Kurde! Mais quoi qu’elles pouvaient donc aimer dedans?! Des moments ça redevenait de la dentelle à petits pas tres­ Le regard de Farés restait figé sur les doigts qui se déme­ sée, ses pieds effleuraient à peine le sol, son corps qui sem­ naient. Ces doigts sales sous leurs ongles - il l’avait déjà blait voler... maintes fois remarqué -, qui se jouaient comme ça du Ses mains dans l’air ourdissaient la joie. corps de Beyrouth. Son sixième sens chosisit l’estomac - C’est pas merveilleux?!... L’art jaillissant en spontané!... pour incruster ses griffes: à quoi tendait la répétition de ce Le souffle odoriférant de Lumière. Une des rares personnes personnage dans cette histoire?! Aussi, quand le battement debout avec Nadine. de la tabla s’est mis à décroître graduellement et qu’il a vu - C’est la tabla plutôt qui est merveilleuse... la danse s’enfoncer à sa suite dans le lointain a-t-il décidé La pointe de poison de Nadine. de les suivre. Dans une forêt, sous les arbres il voyait la Un temps déjà que l’esprit de Farés s’engourdissait, comme danseuse emportée en croupe par le cavalier; et qu’en sous l’effet d’une drogue douce dure. Ses yeux qu’en paraissait heureuse voyez son galop radieux. Dans la clai- avaient oublié définitivement leur rancœur arboraient le regard stupide de l’émerveillement... Ses oreilles n’étaient * Cette chronique des événements aura été la seule à donner une pas en reste par où se déversait le son qui lui faisait explication de ce phénomène inexpliqué à l’époque, le Holiday contracter et décontracter en mesure les muscles de ses Inn crachant dans la nuit ses bouteilles sur la ville.

L’ORIENT-EXPRESS y 2 AOUT 1996 I l i m F E l I l I I s rière des regards il la déposa. Les regards qui comptaient et demi, qui jouait l’hélice entre ses doigts. Voyez, voyez!... pas plus que des yeux de chouettes dans le feuillage touffu. Farés qu’à son tour se déhanchait, tapait des pieds, tout le De sa ceinture une flûte de berger il tira. Une vraie, mal­ plancher qu’en vibrait. Un vrai fils de Dieu, voyez comme adroite de forme et de trous qu’il saliva pleinement avant il resserre le cercle autour de sa Beyrouth qui continue de de la sucer. Un serpent s’en étira, déguisé en mélopée, et se torsader... Comme ça qu’il lui arrachait son serpent au fils mit à s’entortiller. Qu’a changé de corps sans changer de de pute, comme ça qu’il s’emparait des yeux de la clairière. sexe; le serpent qu’en arabe est femme... Et il lançait son cri de victoire, yahla! Yahla!... Au plafond Devant lui, son cavalier, elle serpentait. A moins d’un pas. il sautait, comme une grenouille se recevait, yahla! Yahla! Le mouvement qu’avait plus le déplacement pour s’échap­ Et il tourbillonnait. per s’autosuffisait. Sur place le corps estompait ses os, lan­ Le bâton qu’arrêtait pas de tournoyer. cinait. Et ce fut encore sublime. L’on aurait dit une goutte Et ça marchait... d’eau qu’elle laissait rouler le long d’elle, en balisait le par­ Bâton de Moïse c’était, bâton à réaction... Qui changeait cours, maîtrisait la vitesse. La goutte obéissait à ses de volume, de vitesse, qu’avait une adresse!... A un centi­ inflexions, descendait doucement le long de sa gorge, oscil­ mètre des visages il passait, sous les pieds de Beyrouth, et lait joyeusement au milieu de ses seins, barbotait dans le dans les airs il partait... et ses pales revenaient chaque fois, creux de son nombril, s’échappait sur son ventre, puis hop lui jouaient avec les doigts. Tout lui réussissait... reprise, remontait langou­ Comme ça qu’il s’approchait reusement le chemin. Son et le hasard de la tête corps porté par la mélopée d’Alicco Soda; comme ça, semblait se dégager des sûr comme je vous vois, il contingences physiques, ses allait je le sens se tromper... pieds même avaient perdu D’un centimètre seulement, leur fonction de racines. Elle ou de dix qu’il se deman­ flottait à la fin dans un fré­ dait... missement voluptueux, la Et ça se serait si bien passé tête rejetée en arrière, des­ comme ça. Sauf ce zob de cendant cran par cran près lustre! du sol que ses cheveux L’énorme lustre de cristal défaits en longues mèches que c’était... tombantes se remettaient à Des secondes terribles!... Des caresser... exemples historiques il cher­ Tout ça... Ses mains s’accro­ chait, d’actes de bravoure chaient à l’air cueillir des qu’auraient fini aussi piteu­ papillons. C’était le moment sement!... À défaut, des ailes que la goutte lui revenait aux pour disparaître. A-t-on idée lèvres. de faire confiance à un Qu’elle la buvait. bâton?! Des tas de questions Les mains qu’ont pas pu qui servaient à rien, pas s’empêcher cette fois!... même à gagner du temps. Les secondes s’égrenaient Samia Gamal n’aurait pas J obtenu un bissage pareil. Ç’a honteuses, fragiles avec leur semblé jeter un froid sur le avant-goût de mort. jw . duo cette exubérance sou­ Ce silence glacé qu’empêche PEINTURE: EMILE MENHEM daine de la clairière. Les de fondre. mains de Farés n’y voyaient rien pourtant, elles conti­ Le silence si total... qu’allait sauver la situation en rame­ nuaient à claquer; comblées comme aux jours du village nant la vie extérieure. La chaleur des obus... C’était sou­ elles s’emplissaient de blé tendre... dain assourdissant. Non mais! C’était comme si l’on s’en revenait de voyage. Farés à qui t’applaudis?! Le moment qu’a choisi Franc pour accourir haletant de la L’esthétique qu’est pas pour toi! L’esthétique qu’est un pièce à côté. Il tendait son verre rouge d’une main et tirait piège à zob. Comme ça qu’on dépossède les gens en les ren­ de l’autre un combiné de téléphone qu’il agitait comme un dant une minute heureux avec du vent! drapeau... et criait: Farés al foursane, chevalier des chevaliers... Je plaisante - La télévision vient d’interrompre ses programmes à Paris pas, comme ça il a pensé, sans plus de distance... Antar sur pour annoncer la chute du Holiday Inn!... son cheval à la conquête d’Abla... Non, c’est pas drôle! La clameur qu’a accueilli la nouvelle! Les applaudisse­ Dans toutes les langues vous en avez des preux qui tirent ments, qu’on l’aurait dite toute fraîche!... Le cercle en pro­ comme ça l’épée, mettez-vous dans l’ambiance de l’époque fitait pour se soulager lâchement par petits groupes au lieu de sourire comme des zobs... Comme ça il brandit qu’avaient la délicatesse de totalement oublier le lustre. Les le manche à balai décapité... Comme ça il est entré dans la bonnes femmes jouèrent au ramasse-miettes par réflexe forêt... pavlovien. En tournoyant. Il dansait. Le bâton faisait bien son mètre Mais Farés avait-il gagné ou perdu le combat dans la forêt?!

LORIENT-EXPRESS AOÛT 1996

73 BONNES FEUI LLES

Il regardait Beyrouth encerclée à dix pas de lui. Que des l’arrêter. Les mouvements de la danse se représentaient un hommes... Tiens non, Salma, la celle qui pondait des peu plus épurés chaque fois, jusqu’à se réduire à des sensa- articles pour Votre Docteur, lui racontait quelque chose, tions ou des fulgurances qu’il asseyait sur les supports les Beyrouth qui riait timidement, les autres appuyaient et plus divers... comment... La soirée qui pour la maison Farés allait se terminer d’une Et Franc: autre façon. Il devait être deux heures du matin quand — Regarde! Celle-là elle est piquée... Celle-là madérisée, Natacha fit une apparition inattendue dans ce milieu que celle-là bouchonnée, celle-là du vinaigre, mais tu pourrais soi-disant elle méprisait, A l’instant que Farés se décidait à en faire la meilleure salade de la terre... Je venais d’avoir s’approcher de Beyrouth. Beyrouth prétendra ultérieure- cinq ans la première fois que... ment que Natacha n’avait rien à y voir, elle a même ri de Elle riait encore. Elle regardait pas dans sa direction. Tout savoir que Natacha était son nom. Mais il avait bien vu le groupe autour d’elle riait pour la faire rire. Alicco Soda son visage se figer dans le mouvement suscité par la nou- n’était pas du groupe. Ah le voilà! Tout à fait à l’autre bout velle arrivée. Ce pouvait même être de la frayeur; elle s’est dans l’autre pièce, qui rigolait avec Nadine... mise à raser le mur en prenant des répits à l’ombre des pré- Et Franc: sents pour se rapprocher de l’entrée. Quand Farés y est — ... Mais regarde-moi çui-là à la lumière, c’est pas de arrivé, ses demi-escarpins claquaient dans les escaliers. l’or?! Regarde-moi ces reflets, lui au moins c’est sûr il a pu Dans le noir de la rue il a fallu qu’il lui coure derrière... crie voyager toutes ces années... Un drame de vie d’avoir eu à en vain... Il lui enlaçait déjà les épaules quand le souffle tenir tête aux conditions meurtrières de cette verrière... chaud les projeta. L’éclair ressembla à une lame, l’explo- «Ikem!», il ordonna en tendant le verre. «Ikem» répondit sion fut assourdissante. La poussière lui mit le brouillard Farés machinalement avant d’avaler le breuvage écœurant dans les yeux, lui étouffa le fond de la gorge. Le corps de comme un sirop musqué avec dans sa queue un long goût Beyrouth collé contre le sien dans une parfaite immobilité. rance... Plaqués au sol, une voiture en flammes à un mètre d’eux. Je ne sais si vous voyez ce que je vois... Moi je vois Fumée ocre, odeur de plastique brûlé, insaisissable relent Maroun, le théâtral fiancé, qu’a l’œil lourdement posé sur morbide, goût de sang et de vin vomi. Un grumeau dans la Nadine, comme il fait quand il est pas content d’un acteur. cervelle. Nadine qui n’a toujours d’oreille que pour Alicco... qui se Son cœur au rythme de la tabla... fait chuchoter des choses Pour la première fois peut- dans l’oreille, elle s’esclaffe, il Il se faisait une belle bonne émotion, qui être il l’avait vécu d’aussi continue, y a pas à dire ils ont près; que ce qui l’avait raté l’air de bien se comprendre coûtait rien je sais, mais fallait pas rater était pour lui. Et il se collait ces deux-là. Maroun esquisse l’occasion d’avoir la vie pleine comme ça encore plus à ce corps que le un pas, vraiment pas content danger lui rendait encore du jeu. Maroun se rapproche de la scène; le Sixième sens plus précieux... de Farés applaudit. Le voilà sur scène maintenant; un vrai «Ce n’est rien ce n’est rien» lui sortait de la bouche... professionnel Maroun, normal qu’il corrige les acteurs. La «Ne crains rien...» il répéta plus haut... joue d’Alicco Soda était toute proche de la joue de Nadine «Beyrouth!... Beyrouth...» il se mit à crier comme si c’était quand elle a reçu la claque. La joue d’Alicco Soda qu’a les décibels qui manquaient. reçu; mais ça revenait au même, Nadine qu’a porté soli- Et il l’a agitée comme une terrible appréhension et il l’a dairement la main à sa joue. La claque qu’a fait le silence, giflée pour faire partir le fantôme et son grumeau dans la ce qu’a permis de mieux appréhender la deuxième, mais la tête qu’a explosé et il la tapait encore quand elle a ouvert troisième a été remplacée par un coup de poing qu’a des yeux affolés. Alors seulement il l’a pleurée comme si balancé Soda sur le palmier contre la baie vitrée. Une elle avait été morte, alors il l’a embrassée des millions de grande rapidité du geste suivie d’une sortie théâtrale qu’a fois comme un cadavre qu’est hors danger. Il se faisait une laissé toute latitude à Soda de faire semblant de se déchaî- belle bonne émotion, qui coûtait rien je sais, mais fallait ner trop tard pour laver l’affront en homme. Nadine et pas rater l’occasion d’avoir la vie pleine comme ça. Quand tout ce monde ont fait semblant de l’en empêcher... Après il s’est aperçu que ça jupe mouillait! Fallut encore une y a eu du sang qu’a commencé à engluer la moustache et la pleine peur, suivie d’un plein et tendre soulagement qui se barbe du don Juane... mit à déborder quand il eut goûté son doigt... — Alors il est pas merveilleux ce Charme chamvertin?... Après, peut-être du monde l’a vu, de derrière les fenêtres, — Ce quoi? qu’ont cru avoir une berlue, ce type qui descendait le Et la soirée est repartie vivre sa vie jusqu’au tard inhabituel milieu de la rue avec un corps étalé dans ses bras comme si comme chaque fois. C’est qu’en dehors il y avait quoi? ça bombait pas. — Et même si, ç’aurait pas été normal, Pour Farés en tout cas que le vide de la nuit... Peut-être ren- n’est-ce pas? trer seul, des fois que Beyrouth disait qu’elle voulait res- Ensuite qu’ils se sont retrouvés dans le lit ensemble dans ter?!... ses bras, définitivement pour la fin de la nuit sans plus un Des journées après, il la revivait encore cette soirée. Dans mot. Il s’est réveillé qu’une seule fois que ça bombardait la rue en marchant, des bribes de l’enregistrement redéfi- fort encore, il la serrait très fort, elle avait les yeux grands laient. La mélopée devenue une sorte de ver solitaire sans ouverts. Il s’est rendormi sans lâcher son emprise. fin. Les battements de la tabla lui faisaient l’étouffante sen- sation de rythmer son cœur, capables à tout moment de © Éditions du Seuil, 1996.

L’ORIEN T-EXPRESS 74 a o û t 1996 transcultures TINTIN AU PAYS DES HEURES NOIRES Du Petit Vingtième à l’occupation allemande, Pierre A ssouli ne défri che le clai r-obscur de la vi e du pèr e de Ti nti n. Filature d’un apolitique de génie dans la tourmente du si ècl e

INTIN ET M ILOU sont nés le vite réalisé la rentabilité de T 10 janvier 1929 dans Le Tintin. L’un d’eux, Raymond Petit Vingtième, le supplément Leblanc, fondera les Éditions du hebdomadaire pour jeunes, du Lombard, dont le nouveau jour- quotidien conservateur catho- nal Tintin sera le porte-drapeau lique bruxellois Le Vingtième pendant des décennies. Siècle. Leur père est un artiste de Hergé, lui, souffrira longtemps 21 ans nommé Georges Rémi. d’être accusé de trahison. En 1924, il intervertit ses ini- Profondément apolitique, il ne tiales et trouve la signature par peut comprendre que cela, en laquelle il sera désormais connu soi, est un choix politique. Il mondialement, Hergé. gardera pendant de longues En entreprenant une biographie années après la guerre le contact de Hergé, Pierre Assouline s’est avec d’anciens collaborateurs en aussi lancé dans la reconstitu- disgrâce, tout en mettant cela tion du milieu catholique sur le compte de l’amitié. Son conservateur de Bruxelles dans manque d’engagement est d’au- lequel le créateur de Tintin a tant plus paradoxal qu’il est en évolué, grâce en partie à l’in- contradiction avec la personna- fluence du patron du Vingtième lité de Tintin, pour qui la neu- Siècle, l’abbé Norbert Wallez. tralité est un abandon. Nombreux sont les membres de Le paradoxe ne s’arrêtera pas ce milieu qui finiront par colla- là: si Tintin a fait le tour du borer avec l’occupation alle- monde, Hergé, lui, est toujours mande entre 1940 et 1944. La resté à Bruxelles, ne voyageant relation ambiguë entre le conser- qu’à travers son personnage. vatisme belge, profondément Comme l’Amérique de Kafka, le royaliste, et le fascisme ne fera monde de Tintin, surtout celui que s’aggraver avec le refus du des premiers albums, est une roi Léopold III de s’exiler à l’ar- entité imaginaire, rendue plus rivée des Allemands. Ce faisant, fantastique encore par la clarté le roi a semblé cautionner une des dessins et la précision du politique de collaboration, tout dessinateur. en refusant de le faire. En trouvant une unité dans les La collaboration elle-même contradictions qu’incarnait varie de nature: Léon Degrelle, Hergé, Assouline réussit un pari le chef rexiste, ira combattre difficile. Pourtant, on peut avec la SS en URSS, avant de fuir vers l’Espagne à la fin de la reprocher à l’auteur deux choses dans cette biographie qui est guerre. D’autres, comme Hergé, seront moins ouvertement à part cela fascinante: son choix d’abandonner complètement engagés mais travailleront dans la presse pro-allemande. À la une description du contexte politique belge dans la deuxième Libération, les autorités feront peu de distinction entre les dif- partie du livre, ce qui affaiblit quelque peu son affirmation que férentes formes de collaboration: Hergé sera arrêté pour avoir «Hergé était la Belgique faite homme», et l’absence de suivi continué Tintin dans le grand quotidien Le Soir. Cela provo- sur la destinée des plus proches collaborateurs d’Hergé tels quera chez lui un profond dégoût pour la Belgique d’après- Edgar P. Jacobs, Jacques van Melkebeke, et Bob de Moor, ce guerre. Il n’aura pas compris qu’en augmentant les ventes du qui laisse un sentiment d’inachevé. Soir «volé», il approuvait implicitement le principe du détour- MICHAEL YOUNG nement de la presse par les Allemands. Mais l’ironie est que le Hergé, Pierre Assouline, dessinateur sera sauvé par un groupe de résistants qui avaient Plon, Paris, 1996, 465 pages.

L’ORIEN T-EXPRESS 75 a o û t 1996 franscultures

V e n is e

Il y a un an, le 25 août 1995, Hugo Pratt et Corto Maltese partaient pour un voyage sans retour. Au Ca7 Pesaro, une exposition- hommage permet a Pauteur et à son double magni fique de revenir une dernière fois à Venise.

VENISE - ANTHONY KARAM

N REVIENT TOUJOURS À VENISE. d’aquarelliste de Pratt, dont certaines Jamais autant qu’en s’adonnant à œuvres avaient déjà été exposées au Oune rêveuse paresse sur les Zattere, en Grand Palais, à Paris. Aquarelles et face de la Giudecca, ou au Lido en détrempes donnent ici de précieuses indi­ contemplant le large qui, ici, n’est cations sur la technique et la genèse du qu’adriatique, on entrevoit la nécessité de langage de Pratt, sur la richesse et la phantasmer sur un ailleurs. variété des coloris qu’il a été glaner dans les coins les plus reculés et les plus perdus de la planète. Pratt est ce «viaggatore incantato», ce voyageur ensorcelé que Venise entend célébrer. Ce premier grand hommage au créateur de Corto Maltese était initiale­ ment prévu pour décembre 1995 et

Hugo Pratt est né à Rimini mais toute son enfance a été vénitienne. C’est donc à un de ses plus prestigieux représentants que la Cité des Doges a rendu hommage à la Galerie d’art moderne du Ca’ Pesaro du 23 avril au 14 juillet dernier. Hormis de nombreuses photographies et autres vieux dessins au crayon, l’exposition per­ mettait une mise en valeur des qualités

L'ORIENT-EXPRESS AOÛT 1996 fjmiscidtures n 'est PAS EN ITALIE

devait consacrer les cinquante ans de sa carrière. Sa mort l’a retardé. Il s’est donc trouvé augmenté d’une section consacrée aux rapports de Pratt et de Venise. La trame de l’exposition n’entend pour­ tant rien enlever au mystère qui entoure Hugo Pratt. Il y a un chiffre récurrent dans son œuvre, le chiffre sept, chiffre incantatoire par excellence, celui de la Kabbale hébraïque, celui des sept diables (Sam Ha, Mawet, Ashmodai, Shibbetta, Ruah, Kardeyakos, Na’Amah) dont les noms sont inscrits sur les sept portes qu’il faut franchir pour accéder à la magique Corte Scorta detta Arcana à Venise, éclairé qu’on devra être par le menorah, le candélabre à sept branches. L’exposition se déploie donc en sept sec­ tions qui sont autant d’îles: Rapa Nui (Pile de Pâques), Rarotonga, Pago Pago, Apia, la Nouvelle-Irlande, l’imaginaire Escondida, île découverte par Corto Maltese où les autochtones s’expriment en vieux dialecte vénitien, enfin Venise, reine parmi les îles, à la fois terre et mer qui les réunit toutes et à partir de laquelle Pratt et Corto explorèrent le monde sans jamais oublier de retourner dans leur lagune. Venise est point de départ et point de chute, puisque Hugo Pratt a aussi vécu ailleurs. Et notamment en Abyssinie avant guerre, où il fréquente une com­ munauté gréco-arméno-judéo-égyp­ tienne et où il prend définitivement goût pour les uniformes et les bandits. Dans ces contrées africaines s’épanouissent chez le jeune Pratt des affinités dont le développement aboutira à une des plus subtiles encyclopédies iconographiques qui soient. Mais c’est une encyclopédie toute particulière où la rigueur de la documentation (la bibliothèque de Pratt contenait des milliers de volumes, registres, atlas de toutes sortes de peuples et de lieux) vient s’entremêler avec le foi­ sonnement de la fiction. L’enchantement est ici d’autant plus troublant que, par­ tant de documents concrets et dont l’au­ thenticité semble tout à fait crédible, Pratt finit par prendre une totale liberté avec l’histoire avérée. Cette littérature en

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images, quintessence de la bande dessi­ née, est à la fois savante et populaire, et toute faite de sagas nordiques, de guerres coloniales, de révolutions et d’expédi­ tions à travers les mers du Sud. L’exposition du Ca’ Pesaro, dont les salles sont à même le niveau du Gran Canale de Venise, est également, à tra­ vers l’œuvre de Pratt, une célébration du voyage et de la mer qui le rend possible, de ces «océans dont les marins n’ont jamais, jamais vu la fin» que chante Reg- gianni. En plus des aquarelles prattiennes inédites et récentes, est exposé un choix de planches originales et inédites de La Ballade de la mer salée (1967) où Corto Mais qui est exactement Corto Maltese? sang-froid et sa force de persuasion dès apparaît pour la première fois et des der­ Quels rapports secrets entretient-il avec que s’embrouillent les configurations nières pérégrinations du marin à l’oreille cette cour vénitienne, la Corte del Mal­ dans lesquelles il se retrouve? Cet anti­ gauche percée par une boucle d’or, Mù tese o de Bocca Dorada (Cour du Maltais héros, qui ne survient que par inadver­ (1992). ou de Bouche Dorée)? D’où tire-t-il son tance dans La Ballade, a des allures tout

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à la fois fantomatiques et phantasma- assurément chez Corto. Son parcours est sciemment, aucune des réponses appor­ tiques. Il aurait été compagnon de cavale d’abord fait de zones d’ombre. Au tées ne satisfait à proprement parler. d’un Raspoutine magnifié, serait cité demeurant, on retrouve dans le dessin de Entre autres, où se trouve cette Atlantide dans Port-Arthur de l’amiral Nagumo, Pratt tout un travail sur les ombres qui, qui rendrait possible le passage à un dans certains écrits de Conrad ou encore en sus de leur superbe détachement par autre monde? Faut-il tenter de débusquer dans la biographie de John Reed. D’un rapport à la lumière éclatante, accentue les obscures analogies entre la cité lagu- épisode à l’autre, il pérégrine sans le les volumes des personnages. naire, île familière, et d’autres îles, imagi­ moindre effarement dans le temps et l’es­ Mais on a beau vouloir clarifier l’itiné­ naires comme la stevensonienne île au pace et déréalise l’un et l’autre. Sidérante raire de Pratt, le mystère de Corto finit trésor ou à l’existence moins douteuse liberté en effet, telle celle de l’homérique toujours par rejaillir sur lui. Corto comme les îles de l’océan Pacifique? Pratt Ulysse des mers ou du Lord Jim conra- Pratt/Hugo Maltese, la symbiose est évi­ disait avoir «le désir d’être inutile». dien. S’il y a, comme on dit, un «a- dente. Tout au long de l’œuvre, d’inquié­ Grand bien nous fasse. temps» ésotérique à Venise, on le ressent tantes questions sont posées auxquelles, A. K.

L’ORIENT-EXPRESS y C ) AOUT 1996 a PHILIPPE\m FRANCQ • mJEAN VAN HAMME LARGO WINCH: LA FORTERESSE DE MAKILING (N°7) PHILIPPE FRANCO - JEAN VAN HAMME Repérages Dupuis, 1996.

Il était là, bien en évidence sur la Cepremière fut comme étagère une apparition du rayon. B.D. Joie! Enfin La Forteresse de Makilins. Du moins aurait-on pu le croire. Mais tous les fans de Van Hamme l’affirmeront (en essayant de ne pas s’affoler): si Winch se met à imiter XIII (qui périclite d’ailleurs ces derniers temps), c’est mal reparti! Expliquons-nous plus clairement. Sur la couverture, tout va bien: le duo Winch/Ovronnaz est à l’affiche. On peut même faire abstraction de cette mitraillette qui traîne et qui ne cadre pas tout à fait avec le personnage: Winch est un héros, et il faudrait faire preuve de beaucoup de mauvaise foi pour lui reprocher certains traits de son caractère, qui seraient davantage ceux d’un Indiana Jones que d’un mul- timilliardaire. Assis sur son bloc de pierre, il a tout d’un «Penseur» du XXe en quelques heures! Simon se trouve dans une forteresse siècle bien droit, prêt à défier le monde avec ce regard admi défendue par des missiles sol-sol et sol-air: l’atmosphère y est rablement brillant que Francq lui octroie. Tiens, on dirait qu’il plus proche de celle de l’asile de Plain Rock (8) que de celle s'est fait couper les cheveux: si la tignasse en bataille lui allait à de Selimiye (9) (l’arrestation de Simon ressemble par ailleurs merveille, il n’a même plus à claquer les doigts pour que les fortement à celle de Largo en Turquie (10)),- mais, tout comme jeunes filles se pâment! (c’est dire si le dessin s’affine). Malunaï, XIII, il va sans doute s’en évader avec quelques os cassés (his cette superbe asiatique, résistera-t-elle à son charme? Car toire d’être crédible!). Et puis, comme on ne peut se permettre après tout, ne va-t-il pas jouer les preux chevaliers et délivrer de jouer avec l’histoire, la vraie, le prochain tome nous laissera tous ses amis, prisonniers à la forteresse? Mais passons... probablement avec un match nul, les révolutionnaires, pas plus Après le blanc (1), le bleu (2) et le vert (3), c’est le jaune qui que le général, ne pouvant s’emparer du pouvoir. Au pire, envahit le fond: jaune comme l’Asie, comme cet orient extrê Phaï-Tang mourra (et tout le monde pleurera), ou alors (comble me, torride, comme ce pays Thaï où Largo s'est déjà fait des de l’horreur), nous aurons droit à une brève apparition d’Aung amis (4), comme ce triangle fameux entre la Thaïlande, la San Suu-Kyi en personne! Birmanie et le Laos où se concentre la principale production Au mieux l’intrigue se resserrera, la magouille juridique ou éco mondiale d’opium, etc. On croyait pourtant avoir définitive nomique réapparaîtra, et l’on nous servira du meilleur Van ment réglé les problèmes de trafic d’héroïne en assistant à la Hamme (les comptes du groupe W se sont d’ailleurs déjà formidable explosion du 747 dans le ciel écossais (5). Mais il modifiés). Il y a, sinon, quelques constantes: Miss Pennywinkle, ne s’agit plus du tout de drogue. Plutôt d’une sombre histoire toujours aussi adorablement pincée et Cochrane de plus en politique en Birmanie. Résultat: machinations louches pour plus indigeste dans son rôle d'administrateur du groupe envoyer Ovronnaz à la potence, en comptant, bien entendu, (quand donc se décidera-t-il à rejoindre le camp des sur Largo pour le sauver (ce dernier interrompt allègrement un méchants?)... Bis Board pour écouter Marjan raconter son agression. Bis Pour tout dire, ce dernier tome ressemble fortement au premier Boardauquel - tss, tss, quel relâchement! - il assiste en polo! (qui, sans être mauvais, n’est pas vraiment le meilleur). Mais il Du jamais vu!). Le but réel de la manœuvre demeure obscur et est vrai qu’après un Dutch Connection grandiose on pouvait confus. Notre as de la finance passant par nombre de tribula difficilement faire mieux. tions «bondesques», ces bouches d’aération, par exemple, Jouons donc la carte de l'indifférence et attendons voir l'heu que l’on finit toujours par trouver quelque part dans des pièces re «H», euh, pardon... l’heure du «T». dûment aménagées en prison de circonstance et qui permet NADINE CHÉHADÉ tent l’évasion. Décidément... Et notre sympathique méchant, le vieux Joop Van Dreema (6), rapidement remplacé par un (D Winch-tomes 1 et 2 illustre inconnu aux excellentes références,- cette Alicia Del (2) Winch-tomes 3 et 4 FerriI, portrait craché de la baronne Vandenberg (7) (qu’est-elle (3) Winch-tomes 5 et 6 devenue, au fait?) et cette Carmichaèl qui rappelle, trait pour (4) H Winch-tome 5 trait, la regrettée Belinda... (8) Non, non. On compte trop de (5 ) Dutch Connection Winch-tome 6 mauvais points - impardonnable! - pour des professionnels et (6) idem pas mal d’erreurs (du genre: «je reconnais bien là les intrigues (7 ) H géopolitiques de la CIA» sic!) si l’on entreprend la comparai (8) Dutch Connection Winch-tome 6 son avec les quatre tomes précédents. (9) Toutes les larmes de l’enfer, XIII tome 3 Disparues les astuces boursières, OPA et consorts, gros mil (10) L’H éritier Winch-tome 1 liards qui se payent un aller-retour de la Suisse aux États-Unis (11) idem

L’ORIENT-EXPRESS g Q AOÛT 1996 L’AUTOROUTE DU SOLEIL tuel reste l'auteur qui est... français! BARU Après avoir gagné une place honorable au Casterman (Manga), 1996. sein de la B.D. européenne, Baru (de son vrai nom Hervé Baruka) se lance en 1991 Publier L’Autoroute du soleil dans la pre dans ce projet destiné à l'éditeur nippon mière fournée d’une nouvelle collection Kodansha. Un pari assez difficile, mais consacrée aux mangas (B.D. japonaises) gagné haut la main! D’autant plus que ce relève, de la part de l’éditeur, du geste livre a été couronné par l’Alph’Art du symbolique, voire du manifeste. Il est diffi meilleur album au dernier salon cile, en effet, d’imaginer bande dessinée d’Angoulême et par le prix des libraires plus éloignée des stéréotypes qui s’atta spécialisés 1996. chent aux B.D. japonaises et de leurs thé Au niveau du scénario, il n’y a rien à y re matiques habituelles. Ici, point de robots, dire,- il est si bien construit que, malgré ses de samouraïs, et encore moins de 430 pages, on le lit d'une seule traite. Hiroshima et autres décors post-atomiques. Quant au dessin, après avoir été influencé «Karim Kemal a 22 ans et une mauvaise à ses débuts par un auteur tel que José réputation. On raconte qu’il gagne des for Munoz, Baru imprime de plus en plus à ses tunes en jouant aux cartes... qu’il vend de la œuvres un ton novateur, sensible et en drogue, qu’il a le sida... mais qu’aucune gagé- femme ne lui résiste et qu’il couche avec les plus riches pour Connaissant les prix qu’a reçus cet album, et les prix qu’a reçus de l’argent...» Et c’est à cause d’une histoire de ce genre qu’il son auteur (Prix «espoir» - Angoulême 85), on ne peut con se retrouve en cavale à travers la France avec son copain clure qu’en disant que c’est un album à lire, sinon à avoir... Alexandre, poursuivis par un mari jaloux et ses sbires. Une his toire assez «européenne» pour un manga, mais le plus inhabi MAZEN KERBAGE

500 FUSILS (WAYNE LE VIEIL HOMME QUI REDLAKE - TOME 1) N’ÉCRIVAIT PLUS LAMy-CAILLETEAU-DUVAL- SOKAL VATINE-RABAROT Casterman, 1996. Delcourt, 1995. Pour le tournage d’un film, Après le succès de Adios la réalisatrice Catherine Palomita (Alph’Art coup Voralberg s’installe dans de cœur - Angoulême le petit village de Sainte-Geneviève qui a été le témoin des 1992; Prix découverte - Audincourt 1992), Vatine (storyboard), événements racontés par Augustin Morel dans son livre deve Lamy (dessin), et Rabarot (couleurs) s’associent aux scénaristes nu un best-seller, Marianne. Elle arrive à décider l’écrivain à Cailleteau et Duval pour lancer une nouvelle série. venir la rejoindre dans cet endroit où sa vie s’est comme arrê Wayne Redlake, cow-boy reconverti en gérant de cantina, tée en 1944. cherche à venger la mort de son associé... June Mac Allan, pul Flash-back: le vieil homme se souvient de ses jeunes années, peuse journaliste, est prête à tout pour rencontrer le chef d'une de son amour pour Marianne, de leur engagement dans la bande de rebelles mexicains... Roche grosse, colonel de l'ar Résistance, de la mort accidentelle d ’un officier allemand, des mée française, récite Victor Hugo en plein désert... El Guzano, représailles qui s’abattent sur la population et, pour finir, de la révolutionnaire convaincu... Tout ce beau monde s'avance à mort de Marianne. bride abattue sur la piste sanglante d’un butin proprement Ce récit, traité de façon réaliste, nous étonne. Benoît Sokal nous explosif puisque constitué de 500 fusils! avait habitués (mis à part Sanguine en 1988) à l’ironie désabu Un scénario sulfureux, où l’action prime tout le reste, servi par sée et animalière de Canardo. En effet, Le vieil homme qui un découpage rapide, une mise en pages on ne peut plus adé n’écrivait plus est une œuvre tragique, tant au niveau narratif quate, un dessin superbe et des couleurs fabuleuses. Il n’en qu’au niveau graphique (très beaux dessins en noir et blanc, faut pas plus pour affirmer que Wayne Redlake entre de plain- rehaussés de tonalités de gris). pied dans le monde des grandes séries western de la bande Cela dit, il ne reste plus qu’à espérer que Sokal continue dans dessinée... dans le bruit et la fureur! ce genre (tout en poursuivant Canardo bien sûr)... M. K. M. K.

L'ORIENT-EXPRESS g ^ AOÛT 1996 LABERINTOS DE PASIONES PEDRO ALMODOVAR (1982), Cinévista vidéo.

Après Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, le second film du grand provocateur du cinéma espagnol Pedro Almodovar, gravite, comme tous les autres d’ailleurs, autour des thèmes de l’amour et du sexe et donne matière à choquer. Laberintos de Pasiones est l’histoire d’un couple, Sexilia, jeune rockeuse dans un groupe féminin et Rizo Niro, fils d'un roi arabe détrôné qui se débarrasse de son homosexualité pour elle. Autour d’eux, on retrouve une série de personnages motivés par le désir, dont Antonio Banderas dans un de ses premiers rôles, celui de l’amoureux obsédé suivant son amant au flair. C'est une comé die légère au scénario typiquement almodovarien qui déborde d’audace, d’invention et de modernité. Il y aborde les rapports passionnels les plus compliqués, que l'on retrou vera plus tard dans La loi du désir, Attache-moi! ou Kika. C’est aussi l’occasion de voir Almodovar chanter et de deviner sa passion pour le roman-photo et les mélodrames hollywoo diens. C’est dire que l’enfant terrible du cinéma espagnol n’est en fait qu’un grand romantique. S.D

HENRY V KENNETH BRANAGH (1990), Samuel Goldwyn home Entertainment. MR. SMITH GOES TO WASHINGTON FRANK CAPRA (1939), Shakespeare a toujours eu une grande influence sur le cinéma Colombia Tristar home Video. américain et anglais. Cela fait des années que Kenneth Branagh y trouve l’inspiration de ses films: Much ado about nothing, In Choisi pour remplacer un sénateur décédé, Jefferson Smith the Bleak midwinter, et bientôt Hamlet. Jeune comédien doit aider Joseph Paine, l’autre sénateur représentant le même anglais prodige formé à la Royal Academy o f Art, Branagh réa État, à faire accepter au Sénat un projet de barrage sur le Willet lisait en 1990 son premier film Henry V et se créait une place Creek. Smith accepte l’offre pensant qu'elle lui permettra de parmi les grands cinéastes qui ont donné vie aux classiques réaliser son propre projet, la construction d’un camp de comme Laurence Olivier et Orson Welles. Ces deux réalisa vacances pour enfants. Paine, n’arrivant pas à le convaincre d’y teurs-comédiens avaient pourtant des styles différents: le pre renoncer, l’accuse de corruption... mier respectait le texte alors que le second l’adaptait. Le style Avec Air. Smith Goes to Washington, Frank Capra a en fait signé de Branagh se situe entre les deux. Profitant de toutes les pos la version politique de MrDeeds Goes to town tourné en 1936. sibilités offertes par le montage, il entrecoupe son écrit de Gary Cooper allait même endosser le personnage joué par flash-backs et utilise la voix de son personnage principal en James Stewart. Les deux films ont en effet plusieurs points en off, notamment dans la scène d’ouverture du film. Certaines commun. Deeds et Smith tombent amoureux d’une jeune scènes de bataille, comme celle d’Azincourt, sont violentes et femme du clan ennemi, rôle interprété dans les deux cas par barbares mais tellement réussies que l’on finit par en aimer la Jean Arthur. Tous deux sont patriotes, l’un se recueillant sur la cruauté. D’autres, filmées au ralenti sont aussi envoûtantes. tombe du général Grant et l’autre au Lincoln Memorial. Tous Branagh interprète lui-même le rôle-titre. deux sont idéalistes, ont confiance dans le peuple, comptent À ses côtés, le reste de la distribution, Emma Thompson, Derek sur les braves gens et s’acharnent pour atteindre leur but. On Jacobi et lan Holm entre autres, sont parfaits. Henry V est la n’est pas près d’oublier Smith (James Stewart) entamant un fiit- preuve que Branagh est aussi talentueux derrière que devant la bustering de vingt-trois heures devant le Sénat. Stewart avait, caméra. sans en aviser Capra, demandé à un médecin de lui mettre à s. D. côté des cordes vocales du bichlorure de mercure pour pou voir briser naturellement sa voix. Mr. Smith Goes to Washington est sans doute l’une des meilleures œuvres de Capra. Tout ce qui définit son style y est: ses raccords parfaits, sa préférence pour les plans moyens et la variété des angles. Si Capra utilise plusieurs caméras placées dans les divers coins du décor pour filmer les scènes du Sénat, ce n’est que pour capter le jeu spontané de ses interprètes et choisir les meilleures prises au montage. SOPHI E DICK A STREETCAR NAMED DESIRE son texte ou y ajoutant des répliques. Et ce ELIA KAZAN (1950), fut son dernier passage au théâtre. Cette Warner home Video. même année 1949, Brando se tournait vers Hollywood. Après un premier film Themen Strella Du Bois, fille d’une famille aristocra il se joignait à Elia Kazan pour porter à tique, a quitté la plantation de son père l'écran A Streetcar named desire. Pour le pour épouser un jeune Polonais, Stanley rôle de Blanche, on fit venir l’une des plus Kowalski, et vivre à la Nouvelle-Orléans. Sa belles actrices de l’époque, Vivien Leigh, sœur, Blanche, débarque un jour préten qui avait tenu le rôle au théâtre à Londres. dant avoir perdu la propriété familiale. On reprocha à Brando de marmonner son Blanche est choquée par la vie que mène le texte le rendant incompréhensible. Au jeune couple. Stella est enceinte, Blanche moins, ne donnait-il jamais l’impression de continuellement à bout de nerfs, ce qui le réciter mais d’inventer ses mots. Il était éveille les soupçons de Stanley qui ne tar d’un talent et d’une beauté rare qu'on lui dera pas à découvrir la vérité à son sujet. envia un peu trop puisque c’est en boxant C’est Tenessee Williams, l’auteur de cette pièce fameuse qui, avec sa doublure, Jack Palance, et les machinistes sur le tour trouvant que Marion Brando était un «génie à la scène», le choi nage, qu'il se cassa le nez. sit pour interpréter Stanley. Pendant deux ans, Brando jouera le rôle mais jamais deux fois de la même façon, modifiant parfois s. D.

THE KILLER JOHN W OO (1989), The Voyager Compagny.

Considéré comme le classique de John Woo, The killer est un hommage au Samouraï de Jean-Pierre Melville à travers l'histoire d’un tueur à gages. Ce personnage qui n'est autre que le double du héros joué par Delon, est interprété par l’acteur fétiche de Woo, Chew Yun-Fat, souvent comparé à De Niro chez Scorsese. Superstar à Hong-Kong, Chew Yun-Fat dévoile avec efficacité le conflit intérieur des personnages qu’il joue. Après avoir été professeur de danse à Hong-Kong, Woo n’a tourné pendant une dizaine d’années que JEFFERSON IN PARIS des films de karaté JAMES IVORY (1994), (The young dragons, Touchstone home Video. Boxer from shantung), un Jackie Chan (Hand Entre 1784 et 1789, Thomas Jefferson (Nick Nolte) futur prési of death). En 1986, il dent des États-Unis, est ambassadeur à Paris auprès de Louis parvient à rompre XVI. Veuf, il a emmené avec lui sa fille aînée, Patsy (Gwyneth avec cette carrière Paltrow) et un esclave. Là, il rencontre une jeune italo-anglaise pour devenir le maître mariée à un peintre, Maria Cosway (Greta Scacchi, elle-même du polar hong-kon- de père italien et de mère anglaise). L’amour s'engage. gais avec A Better Le duo formé par le cinéaste James Ivory et sa scénariste Ruth tomorrow, The killer Prawer Jhabvala a souvent excellé dans les films d’époque. puis Bullet in the Qui n'a pas adoré Howard's End et The Remains o f the Day? head. L’étonnant chez Dans Jefferson in Paris aussi, Ivory filme à travers le quotidien et Woo est le fait qu'il les rapports humains, les enjeux d’une époque: la démocratie tourne ses scènes de américaine basée sur l’esclavagisme et la monarchie française gunfights comme des ballets s’inspirant des chorégraphies de en butte à la révolution. Mais le romanesque auquel nous a Gene Kelly et des films de Jacques Demy. Ses plus belles habitué Ivory fait ici défaut. La relation entre Jefferson, père de séquences se passent dans des lieux claustrophobiques, des la constitution américaine, et Maria, son idylle avec une esclave corridors et des escaliers. Il accumule des scènes tournées à et ses rapports étranges avec sa fille, laissent le spectateur per cent à l’heure, des centaines de cadavres, des rafales dans plexe. Ivory s’égare de même à filmer des acteurs français - tous les sens, des explosions partout. Depuis 1992, Lambert Wilson, Jean-Pierre Aumont et autres guest-stars - en Hollywood a adopté John Woo qui y a signé Hard Target avec costumes, les costumes et les décors étant ce qu’il y a de plus Jean Claude Vandamme et Broken Arrow avec John Travolta. réussi dans Jefferson in Paris. s. D. S. D

L’ORIENT-EXPRESS 83 AOUT 1996 Quand on a commencé sa carrière en faisant office de pagne pour/gldam et tve, puis en abritant fomukis et ({émus en quête de louve providentielle, on a sans conteste une place de choix dans le coeur des hommes. 6t dans leur palais. Parcours emblématique d ’un «fruit de délices».

e pu is que j ’ai obt enu le d r o it de confesser en pu b l ic drez pas en défaut lorsqu’il s’agit de l’Égypte, et plus préci­ sément du sycomore sur lequel la vache Hâthor accueillera mes péchés de gourmandise, personne ne m’a autant perturbéD dans l’exercice de ce droit que Monsieur Clément l’âme des morts - et sous lequel les Égyptiens déposaient Serguier. En effet, à peine m’étais-je résolu à vous entretenir leurs offrandes. Et c’est en le lisant que vous apprendrez que l’arbre qui abrita Rémus et Romulus, une fois sauvés par la du figuier, que le voilà qui lui consacrait tout un livre *. Et louve allaiteuse, était bien un figuier. Par la même occasion, quel livre! Une fastueuse fête des sens, un véritable traité de vous saurez que le mot «sycophantes», qui signifie déla­ la figue, fait pour enchanter l’amateur le plus exigeant. Qu’y teurs, désignait à l’origine les gardiens des figueries de l’At- puis-je ajouter? Il faut que je le reconnaisse d’emblée: rien, tique, chargés de dénoncer les exportateurs du fruit tant ou presque rien. prisé. Et que l’aspic qui piqua mortellement Cléopâtre, au Rien, en tout cas, qui ressortit à l’histoire ancienne du sortir de son bain, était caché dans un panier de figues. Et figuier, ni aux très nombreuses légendes qui lui sont atta­ qu’un roi des Perses décida de s’emparer d’Athènes parce chées. Clément Serguier connaît sa Bible sur le bout des qu’il raffolait de ses figues. Et comment le censeur Caton, doigts, à commencer par les feuilles de figuier dont Adam et devant le Sénat de Rome, sortit de sa toge quelques figues Eve se servirent en guise de pagnes. Il est incollable aussi sur fraîches, prétendument cueillies en Afrique trois jours plus les gâteaux de figues sèches que le patriarche Noé emporta tôt, afin de convaincre ses pairs que Carthage était très dans son arche ou sur la corbeille de figues fraîches que le proche et qu’il fallait la détruire. roi David, en signe d’hommage, reçut d’une jeune fille, ou Je ne pourrai rien apporter non plus en matière d’agricul­ encore sur le figuier de la route de Béthanie, condamné par ture et de botanique qui ne soit déjà dit par Serguier, et fort le Christ à ne plus porter de fruits, par allusion à ceux qui bien dit. Ainsi, c’est avec beaucoup de délicatesse qu’il nous refusaient la nouvelle alliance. De même, vous ne le pren­ explique ce qu’est la caprification, une notion qui sent le

* Avec l’aimable autorisation de Qantara, le magazine de l’Institut du monde arabe.

L'ORIENT-EXPRESS g ^ ( . AOÛT 1996 fort beaufort figuier. sera édifiéela mosquée grande des Omeyyades, s’élevait un le qu’auconfirmer, centre de labasilique là byzantine, où que jamais identifiée avec lafigue, et l’on commedira, pour façon,serade Damas, plus toute à profusion. produisaient laSyrie, et notamment l’Égypte et l’Afrique en Nord, du facilementplus lesque usage,d’autant pays conquis, grand ils enferont aidant, coranique bénédiction la contraire, accorder à accorder la figue qu’elle l’attention toute mérite. Au fie nullement que les musulmans ne pasla vont suitepar qu’onMais ne du paradis. s’y: point cela trompe ne signi­ forgé celui, souvent cité, où le Prophète laqualifie de fruit si bien Tradition, quel’on a considéré comme un qui expliquerait par ailleurs par qui l’absence expliquerait de la figue dans la voisinage est dudans dattier, leintrouvable Hijâz. C’est ce sequi le justifie fait que le lepar figuier, pas ne souffrant mais d’uneconnaissons, allusionà la ville dealors Damas, gètesqu’il conclu ont ne s’agissait quenous fruit du pas que l’olive désignerait Jérusalem. Interprétation, seloneux, l’oliveInterprétation, que désignerait Jérusalem. oùle Seigneur elle jurepar l’olive, et par le Sinaï mont et seulemecquoisefois, son nom, une sourate porte qui dans le perdu gent, sens ont dela vraie vie? les le musulmans, par La Coran. figue n’y a été citée qu’une par leCommençons donc commencement, c’est-à-dire, pour sices le gens-là, et del’ar nosobnubilés pouvoir par jours aspects de orientale ladu figuier. tradition Certes, il desti

cte villeLa sûre», entendre Mecque.D’où exé­ certains «cette nait à cette tâche califes, vizirs que Mais faire et mandarins. destissant lui anciens pays révélât quelques ottomans qu’il oncomprend conditions, me soit impossibled’aller HOUDA KASSATLY ­ ressor qu’un il d’une souhaitait phrase, détour aulorsque, ClémentSerguier lui-même assigné m’a ensorte quelque plusloin. plus Ou, qu’ilexactement, ne mereste que ce que je encore, et même une sérieuseDans enquêtede ces terrain. dialectologiques,giques,que littéraires, agronomiques, sais- à sa gloire, autant de ressources historiques, anthropolo deressourceshistoriques, saàgloire,autant impressionnédemobiliséesvoir, même fortement avoir été égard,il que est lanormal Provence, pays de haute culture à d’aise combler propres le«figophile» que je suis.À cet figuière,j’avoue choyée.Mais particulièrement quand soit et économiques mille dedétails doublé géographiques tions d’histoireune naturelle, foule surles d’informations usages desociaux la figue,en France, notamment le tout septembre. S’ajoutent à cela, et à bien d’autres considéra de laseconde saison, les plus succulentes, celles et d’août de du début de du l’été,début de permet pleinement desnous jouir figues les deconnaissent dont des paysans pays producteurs longue l’art date et lamanière et aprèsqui,les figues-fleurs messager des figuiersdes plus étranges mâles.Opération femelles, généralement au moisde juillet, un coquin par bouc,desquirenvoie mais laàfiguiers pollinisation L'ORIENT hadîtb - EXPRESS ­ ­ ­

­ Fruitn’est que sa qui mûrie.»fleur de délicesFleur ; fruit beauté; sans les ne au dehors. conte parfum Aucun Tout le parfum devient succulencedevient le et parfum Tout saveur. André Gide: Comme rien ne ne rien s’en évapore, Comme on ne saurait mieuxonne conclure, saurait cet éloge de lafigue par aeos oul’intimité de lamamelons femme aimée. fruit, entier ou fendu, rappelle les lèvres lescharnues, Chambre close où secélèbrent lesnoces ; et Ponge. J’yChateaubriand car terminer, pour emprunte Char, et et Valéry,Gongora àPétrarque lui,côte met côte Revenons à Clément Serguier.Le florilège qu’il a rassemblé, doute bien qu’ellesdoute ne êtreque pouvaient lascives letant inspirées métaphores lapoètes aux figue, par se on dont «Saestrepliée. floraison * ne mettrai pasne le mettrai final point sans avoir réuniunflorilège des lelequ’on sejelaMais, de goût, temps rassure, cueillette... poire, la couleur de l’épiderme et de lapulpe, la consistance, figues levantines que je classerai selon la forme, ou en ronde la gazelle». des vignes, mapréférée, qui le porte joli nom de une confiture des plusunesubtiles, confiture l’excellence sur ou defigue la finitémystérieuse la qui unit figue la et noix, illustréepar l’afsur gastronomes et écritagronomes ce qu’ont reprendre figue l’attribut figued’une viel’attribut facile.Sansaussifaudra-t-il doute des rythme saisons, niles de proverbes la citadins faisant XVIIIeau Nabulsî, siècle,ni les paysans dictons au accordés pour autant les usages superstitieux que rapporte un les queusages rapporte superstitieux autant pour réglementée, strictement était comme untraité le montre sévillan de sévillan cefiguier lait précieux du les qu’onguérir utilisait pour cal­ losités ou pour attendrir lesviandes, attendrir et quela losités pour caprification ou acine casfait grand de arabe la figue, mais aussilatex,du et sa région n’ont rien àenvier à laDamascène, que laméde ­ celuifiguier.du Une richehistoire fort oùl’on qu’Alepverra Je m’emploieraile dans unà jour raconter détail lasuite de dont l’empiredont unese dans large confondait mesureavec aussi fines Ottomans, gueules aux mane,que lespremiers, Abbassides,de initiateurs la arabo-musul- gastronomie cette histoire, et je le feraila toute pour période qui va des figues et laissez bien refroidir avant de mettre dans des des pots dans mettre de refroidir bien avant laissez et figues rcuine ase unemntsàfumyn Écumez moyen. à minutes quinze et laissez feu précaution fa ite s dissoudre le sucre dans l ’eau et portez à ébullition, à ’eau et portez l dans sucre le dissoudre s ite fa soigneusement stérilisés et séchés.et stérilisés soigneusement Four un panier depanier figues,Fourun 2 cuillerées à soupe de ju soupe à cuillerées 2 cuisson du sirop jusqu ’à ce qu il nappe. Remettez ensuite les ensuite Remettez nappe. ’àil ce qu jusqu sirop du cuisson possible. le plus le feu baissez et nouveau à ersd’eau verres d 2 essuyées délicatement,le citron, de avecpuis ffemuez jus et les ajoutez tournez les après avoir lavées et figues f)ix minutes plus tard, retirez les figues, m ais continuez la continuez ais m les retirez tard, figues, plus minutes f)ix ove uecuh eprfiecmei s ’usage. d est il ’une comme couche de paraffine d Couvrez 1 kg de figues fraîchesde figues kg 1 1 kg 1 sucrede kg en poudre AOÛT 1996 AOÛT Celasans négliger évidemment lades typologie hisba Confiture de figues fraîches Confiture de figues (police des marchés).pas n’oublierai Je - s de scitron de Avignon, A.Barthélemy, 1992

«cheville de ZIRYAB

­

Caroline D onati

PHOTOS HOUDA KASSATLY / / PARIS LIBERE

L'ORIENT-EXPRESS g ^ AOUT 1996 c’est Paris tel qu’il devrait être, Paris lavé, Paris vidé tout entier hors de Paris, Paris libéré comme disait l’autre... - Mais non Thibault, tu n’y es pas du tout, août à Paris, c’est l’enfer, c’est bourré de Japonais, la chaleur moite te plombe dans une inertie totale sans parler du bitume qui t’absorbe littéralement! Et la pollution alors, t’en fais quoi?» Bref, Paris au mois d’août c’est le bonheur pour les uns, l’enfer pour les autres. En tout cas c’est trente-et-un jours différents auxquels les congés payés ne sont pas étrangers. Pas de voitures et, donc, circulation fluide (la voix enjôleuse de FIP qui annonce quotidiennement les bouchons qui satu­ rent la capitale et ses abords n’est plus), stationnement gra­ tuit (merci la préfecture), les quais rendus aux berges, les bancs publics très publics, les terrasses à peu près calmes et un étal de chair humaine parisienne (entendez bien blanche) sur chaque point vert et d’eau de la capitale, de ces mêmes berges à l’esplanade des Invalides. Et ça commence imman­ quablement le 1er août. Alors les aérogares Orly, Roissy- Charles de Gaulle et les stations ferroviaires Montparnasse, Saint-Lazare, Austerlitz, Gare de Lyon s’emplissent de ces aoûtiens direction La Baule, Etretat, l’île de Ré, Saint- Trop’... ou hors-territoire tandis que ces mêmes terminaux dévident sur le sol bien chaud de Paname une autre espèce d’aoûtiens: les touristes venus à l’assaut de la capitale d’Eu­ rope la plus visitée, lit-on dans les magazines. Des maga­ zines qui arborent les couleurs de l’été parisien: Un été à Paris, Voyage à Paris, Summer in Paris, Passez votre mois d’août à Paris... tout comme l’ensemble de la capitale qui s’est apprêtée à recevoir ces peuplades saisonnières depuis

L’ORIENT-EXPRESS g y AOUT 1996 les informations touristiques placardées dans toute la ville jusqu’aux panneaux publicitaires du métropolitain parisien «Gérard, remets-moi un casa et moult guides qui vous guideront justement, vous, tou­ riste, là-où-il-faut-aller lorsque l’on est touriste à Paris pour s’te plaît et avec une guillotine, avoir à votre retour des tas d’histoires de touriste à narrer à vos amis, autres touristes. Dans le désordre et incomplet: on est en août après tout» Notre-Dame, la tour Eiffel, le Troca, le Sacré-Cœur et la place du Tertre, les deux monts «Martre» et «Parnasse», le Quartier latin, le Panthéon, la Concorde, l’Arc de Triomphe et of course les Champs-Elysées (prononcer Champss Ilaysis), cette ancienne promenade malfamée au XVIIIe devenue le boulevard de luxe que l’on connaît et qui, depuis quelques années, tente de redevenir la plus belle avenue du monde en mobilisant le soutien des grands noms de l’archi et du design urbain et en accueillant sur ses nou­ veaux pavés les trophées de l’art contemporain. Mais de ce Paris-là il n’est point question. Paris-touriste c’est un tanti­ net insupportable. L’abordage de Montmartre par des colo­ nies de cars qui provoque chaque été un tassement un peu plus important de la butte, les prises d’assaut des tables de bistro par ces mêmes colonies avides de goûter «l’ambiance montmartroise» et fumant quelque peu de l’orteil après leur traversée de Paris comprenant bien entendu l’ascension de la'tour Eiffel et celle de Notre-Dame, la place du Tertre et ses bazars environnants envahis par les toiles des artistes, le Sacré-Cœur, fusain, sépia, aquarelle, en bois, en plastique... les souvenirs de la capitale en long, en large, en noir et en couleurs... Non, résolument non. Laisser une foule pour une autre ce n’est pas vraiment votre trip. De ces monu­ ments à touristes vous préférez vous offrir un aperçu. Cela s’appelle Paris-panorama, Paris condensé, Paris pris de haut. Une carte postale classique depuis les monuments eux aussi classiques type tour Eiffel (surtout ne pas oublier d’envoyer sa carte postale du dernier étage où se trouve le plus petit bureau de poste de la capitale), Notre-Dame, tour Montparnasse (cinquante-huit étages au-dessus du sol, c’est tout de même une vue unique sur le parc du Luxem­ bourg) ou encore l’Arc de Triomphe qui offre la Défense en terre promise. Mais ce sera alors retrouver ces transhumances touristiques que vous avez chassées de votre incursion parisienne. Non, décidément rien ne vaut le coup d’œil depuis une terrasse d’altitude plus abritée. Celle de LIMA, la Seine en sirotant un petit thé à la menthe - un peu d’exotisme surfait on n’a rien contre -, ou celle du centre Georges-Pompidou, en allant voir l’expo de l’année sur laquelle vous avez tant lu et avant de vous offrir un déjeuner aux restos alentours: un magret de canard sauce poivre vert ou du saumon mariné à l’aneth sur une bonne tartine pain Poilâne accompagné d’un ballon de Sancerre rouge frais chez Dame tartine sur la place Stravinsky aux abords de la Fontaine de Tinguely paraît bien indiqué pour une journée culturelle branchée. Pour le café, pas d’hésita­ tion, le Café de Beaubourg (le passage aux toi­ lettes y est quasi obligatoire pour la déco, c’est du Stark tout de même) où il fait bon être vu mais aussi être assis - depuis qu’ils ont changé les fauteuils - niennes, celle du Printemps pour la Madeleine et ses quar­ pour observer cette faune urbano-touristique tout en regar­ tiers. Mais le top du top, le nec plus ultra, c’est bien la dant défiler les secondes qui nous séparent de l’an 2000. Samar: une prise de vue à 360° qui laisse percevoir la Cour Toujours, et surtout, dans la terrasse d’altitude, celle des Carrée du Louvre et la Pyramide locale, la Seine, ses îles, le grands magasins parisiens pour un panorama bien mérité Pont-Neuf, les églises... Paris quoi! avec son ciel gris de toits après le shopping dans ces grands navires marchands amar­ de zinc. rés en plein cœur de Paris: la terrasse du toit des Galeries Mais, à un moment ou à un autre, il vous faudra bien redes­ pour une vue sur l’Opéra-Garnier et les percées hausma- cendre sur le pavé parisien et c’est tant mieux. Après le Paris-toits, le Paris-pavé s’entend bien. Et puis, au mois d’août on ne roule pas, on ne marche pas, on flâne sur le pavé et on lève le nez. Profitez-en, on vous dit, Paris est vide. Pour découvrir et redécouvrir les portes cochères des hôtels particuliers, ces portes laquées vertes ou bleues qui cachent de discrètes mais non moins somptueuses cours fleuries, les balcons en fer forgé aux deuxième et cinquième étages de ces immeubles de pierre de taille du Baron Hauss- mann qui donnent à Paris cet air bourgeois dont il ne s’est plus jamais départi. On flâne, on perd son temps et on le prend. Tiens, juste au-dessous de la Samar, longez les quais de la Mégisserie pour regagner le pont des Arts où par hasard vous pourrez vous retrouver nez-à-nez avec une fanfare en pleine manche, mais après tout c’est le quartier des Beaux- Arts. Qui dit Beaux-Arts dit galeries d’art. Elles ne sont pas fermées, et les petits cafés se sont mis à l’heure d’été, sur le trottoir. On prendra le temps, encore, de débattre de l’expo du mois, de l’aile Richelieu du grand Louvre, de l’avancée des travaux de la TGB ou des choses de l’esprit comme cela se fait ou se faisait - va pour la nostalgie - non loin de là sur le boulevard Saint-Germain au café de Flore par exemple et en poussant un peu plus du côté du Boul’Mich et plus encore, mais là c’est un vrai pèlerinage, chez les montparnos. Vous savez le Paris intello, Le Select, la Cou- la rue de Buci, ou encore de la rue Montorgueil {«10 francs le kilo de tomates, allons ma p’tit’ dame, deux barquettes de framboises pour 15 francs») -, le Paris des passages - Véro-Dodat, Choiseul, Verdeau ou le moins parisien Brady - le Paris populo et in de la Bastille où jeunesse branchée, celle du 9, rue de Charonne ou du 49, rue du Faubourg Saint-Antoine, côtoie autochtones, des artisans du coin ou natifs du quartier. Entre le zinc des années 50, avec toute la panoplie du bon bistro parisien, - carrelage en damier, chaises cannées, ser­ veurs en long tablier blanc -, et le resto-terrasse, il est vrai, le choix est difficile et la tentation grande de s’affaler à une de ces tables qui mangent le trottoir - il n’y a presque plus de pots d’échappement -, en plein Marais, place des Vosges, et non loin de là, place du Marché Sainte- Catherine, devenue tout entière une vaste terrasse. Paris s’est mis à table. Soit, ce sera pour le souper. On s’attable tardivement sans trop se hâter. Plaisirs de la bouche certes mais aussi de la tête. Les grandes salles de théâtre ont fermé leurs portes? Qu’à cela ne tienne, le théâtre de boulevard se donne sur rue, et la

pôle, le Dôme, la Rotonde, la Closerie des lilas... là où il y avait du beau monde. Ou alors pour ceux qui savent déni­ cher le Paris-paradis, place de Furstemberg, 11 h du soir. On peut aussi tout simplement boire un coup sur le zinc chez un bon petit bougnat planqué. De ce point de vue là, août ou janvier cela ne change pas grand chose sauf qu’il fait 35° et que l’on préférera peut-être au ballon de rouge une bonne mousse, ou un pastis ou dans la même famille un 51 ou encore un casa. Ne mettez pas n’importe quoi dans l’eau, vous disent les affiches publicitaires. «Gérard, remets-moi un casa s’te plaît et avec une guillo­ tine, on est en août après tout.» On prend son temps sans trop se répandre. Les terrasses qui s’étendent et les buvettes des jardins publics (Luxembourg ou Jardin des plantes) ne doivent pas en effet vous faire oublier les vrais plaisirs du zinc, paris- beurre compris et les brèves-de-comptoirs de ceux-qui-sont- encore-là ou de ceux-qui-ne-partent-pas. Les vrais Pari­ siens, ceux qui prennent leurs vacances en septembre pour apprécier le Paris libertin du mois d’août et qui animent le Paris-village dans lequel il fait bon baguenauder et vivre. Le Paris des marchés permanents formés de commerces de bouche aux couleurs chatoyantes - celui de la Mouffe, de

L'ORIENT-EXPRESS 90 AOUT 1996 musique s’écoute un peu partout du kiosque du Luxem­ remplir votre carnet de bal. Paris by night in Summer on bourg à l’église Saint-Eustache. Quant au ciné, c’est ouvert August ne dément pas sa réputation: si te gusta la salsa, l’été, c’est frais dans les salles d’art et d’essai de la capitale direction Montparnasse-Bienvenüe-Ltf Coupole qui fait européenne du cinéma et c’est plein air tous les soirs au parc chavirer les jeunes cadres en guinguette, le musette c’est au de la Villette: les pieds dans l’herbe, les yeux sur l’écran Balajo que ça se passe et à La Bohème du Tertre, pour la géant de 26 mètres de large sur 17 de haut, la tête dans les salsa c’est rue de Lappe, à La Chapelle des Lombards, y a étoiles (la petite et la grande ourse et les filantes du mois bon à voir et à danser. Et la môm’ Pigalle alors? Toujours d’août), pour voir et revoir des films-cultes ou ceux qui sont là avec son rideau de néon de latex et de peep-show, rin­ en passe de le devenir: Casablanca, Les liaisons dange­ garde et volontiers kitsch alors qu’elle se voudrait scanda­ reuses, Chinatown, Pulp Fiction.... leuse. Vous la voulez branchée, vous la trou­ C’est que le Paris estival offre bien des plai­ vez au Dépanneur, au Moloko, chez Lili la sirs nocturnes qu’il est difficile de refuser. tigresse, ou encore à la Loco avec ses trois Dire non à un dîner en plein parc Montsou- étages rock-techno-variété française; vous la ris pour vous tout seul (parc ouvert la nuit préférez telle qu’elle était il y a trente ans, aux seuls clients du resto), dans un pavillon vous la trouvez au caf’conc’ Aux Noctam­ Napoléon III avec vue sur un lac habité par bules pour suivre en chœur les élucubrations cygnes, tortues et canards sauvages, cela frise vocales de la vedette locale, Pierre Carré qui l’indécence tout comme le menu (émincé de entonne chansons réalistes et grands airs haddock aux spaghettis de courgette et d’opérette, mais aussi au Lux Bar, halte obli­ melon, raviolis d’escargots à la duxelle, gée de la rue Lepic. croustillant de cacao glace ivoire...). A moins Et puis, retrouver la rue déserte, lorsque que cela soit pour aller rejoindre une de ces Paris s’éveille, au petit matin, l’œil un peu guinguettes qui refont surface aux bords de brumeux, calme et silencieux et que les la Marne comme celle du Martin-Pêcheur où néons hésitent à s’éteindre. l’on peut tout aussi bien dîner et déjeuner Marcher, flâner encore. sous les marronniers et guincher comme au Qu’importe s’il y a trop de choses et que l’on bal du dimanche. Danser rétro et retrouver en oublie forcément. En août la nuit tarde à l’âme de Paris-Paname qui valse ce n’est pas venir, et puis on prend le temps de vivre sa que le 14 juillet, c’est tout le mois d’août. ville... comme un touriste quoi. Vous n’aurez d’ailleurs aucun problème pour

C. D.

L'ORIENT-EXPRESS 91 AOUT 1996 (« im , eoe> ! 'VOUS F&frrBFBüiu&tLæ* fAE. CONVOQUES. ZJK) B^A(MSTOR/V)INÊ> 'ZJRSB'.U^QB1. LES STÆ \A(P£S AUSSI ■ RU'ILS SERVENT A RDELRüE CH2 S£ \

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LUfAlèRE LAé-TALLiOUe . &LEU ET ELAtOD . DN>£ 6ZXE s e RÊTTrP^ef^e > EILLE (RJTRe X=AH5 6£ eSS PüReré u es u g aes < 'TRÈS» AIAAZC^G . JEÜ XS ÉPAULES . 3/L* J > O S . LECTEUR D ^/v \oü- j e u js e /V)£(0TON) vea^ ktts « e r y.s^ qo £AR/AINA uooTO^FbiMT/ . 'S ^

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L’ORIENT-EXPRESS O O AOÛT 1996 J M OOt'-ltXttX genre «t’as d ’ beaux yeux tu sais?». Elles savent très bien lorsqu’elles plaisent et et peuvent plaisent lorsqu’elles bien très savent Elles sais?». tu yeux beaux ’ d «t’as genre A l’homme incombe le rôle actif dans la drague. Comment vous Comment y prenez-vous l’homme pour drague. incombele la rôle dans A actif Appliquez-vous, en fin stratège, Appliquez-vous,endes fin tactiques lesdans de l’amour?guerre de jeux Etes- 5. Une emmerdeuse c’est femme: une Uneemmerdeuse 5. fait: a vous femme Pour4. décrire votrel’effetà pote extraordinairequ’une date: dernière conquête Votre 3. 2. 10. Pour l’impressionner: Pour 10. nana: une amadouer Pour 9. toilettes.8.Elle s’excuseaux va et 6.Voustouché savezqueavez vous lorsqu’elle: SARKIS REINA chances des a elle plus est e jolie, m fem une Plus Mais vous, Mais savez-vous quel vousde dragueur genre êtes? vous subtil dans vos approches? Croyez-vous que les femmes marchent dans les clichés dans marchent les que femmes Croyez-vous vos approches? dans subtil vous charmer? la vous, à l’intéresser femme, une aborder 7. 7. vous quelquefois lire ouvert. livre comme un 1. Un hom m e, un vrai: un e, m hom Un 1. Pour frimer devant les copains, vous déclarez que: déclarez vous lescopains, devant frimer Pour Vousferiez une scènede jalousieunefemme: à b. vous buvez un litre de whisky pour m ontrer que vous que ontrer m litreun buvezb. pour vous de whisky laire. a.vous lui sortez,d’un trait,le plus long depoème Baude c.elle est allée la sortie chercher secours. de plaisir. lui faire c.pour bes. jam ses fois plusieurs décroise et c. croise ains. m si jolies de a c. elle cherche l’âmecherche sœur.» solitaire. et Je pris incom «Je suis tirade: la faites c. vous grand-père. vous. c.qui avec couche vous,seulement avec vous,rien qu’avec enten vous que ’est-ce u q dire, pas je peux sûr, jepas c. suis c. femme. avez refuséune vous c. est l’occasion. lui-même b.vousdites vousavez combien été galanterie. de triste geste ortà dela votre m aucun ratez ne vous a. a.elle est alléese vous plaire. mieux refairepour beauté une ailleurs. allée voir est qu’elle parce a. blagues. vos à éclats aux rit a. et vous. avec onde lem tout avec couche qui b. avec vous. sauf onde le m tout avec couche a.qui autre. d’un e lafemm e m com belle ellea. était b. de quelques semaines. a.d’hier soir. b.vous avez trois duré heures. est follea.nana une de vous. b.crée les occasions. a.occasion. une ne pas rate dez par «conquête»?dez par b.elle s’ennuie et avait sansdoute besoin de respirer peu. un b.parce queson téléphoneétait occupé. b.vous présentesa copine. b. c’estbombe. une bon e L , À la brute et le truand le et brute la votre avis: L'ORIENT-EXPRESS C L'ORIENT-EXPRESS ­ ­

ne vous intéresse plus: vous ne elle: chose. autre Vous à passer de temps qu’il est grand pensez , coté dites: 19.Le plus bobardcommun que vous sortezune à femmequi 12. Elle décline votre invitation à danser:12. à Elle déclineinvitation votre 18. Pour faire comprendre à une femme que vous pensez à vous pensez que une femme à 18.Pour faire comprendre trouble: vous féminine Une présence 15. discutezvous que avecelle faitmoment Ça vous unet 14. 17. Elle vous impressionne, elle est là,elle s’approche: 13.Vous craquez elle,pour cemais n’est mutuel:pas 11. Quand vous discutez avec une victime vous discutezunepotentielle: avec 11.Quand 6 Vteutmeagmn orl convaincre: la pour argument e ultim Votre 16. .j ofr i trt motionnelle. ém aturité m ’im d c. je souffre c. vous essayez de m arquer le plus de points possible, ques possible, le points de plus arquer c.essayez de m vous c. everything is under control: vous excellez. a.rien dutout.disparaissez Vous décor.du c. de bas vousen immeuble. la son croisez hasard» «par . vous labattez dansc. un concours de grimaces. tionde l’impressionner. b. je ne te m érite pas. érite te m b.je ne c. vous invitez la copine qui est pas m al m ignonne aussi. ignonne m al m pas est qui copine la invitez c.vous a.l’envoyezvous si voir dehors y vous êtes. temps. du la laplupart laissez a. vous parler b.vous l’appelez. a.vous lui avec envoyez vos des amisbonjours communs. a. vous perdez votre humour. papiers. c. je dois passersecondes deux chalet, au j’aioublié mes ontrer. te m ville. la de coup eilleur le m je suis a. échapper. laisse ’elle u q trésor le ais jam saura ne elle c. a. ça vous plonge dans une stupeur autistique. tenez bien l’alcool. c. vous avez une attitude très :«Com e to papa». to e :«Com très attitude une avez c.vous pas. sortent lesne bien mais avez sortir, envie mots de c. vous b. vous faites une tentative de suicide. de tentative faites une b.vous b.vous appréciez lessilences. b. vous perdezb. connaissance. vous b.euh, j’aiune superbe collection d’estampes japonaisesà ça. que si elle craquante fait, est pas pte com tout b. b. vous piquez une crise de silence. de crise une piquez vous b. a.vousvotre cacher parlez malaise. sansarrêt pour b.si tu veux je peux te raccompagner. a.il fait trop ici,chaud tu veux qu’on sorte faire tour? un AOÛT 1996AOÛT drague.

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djb ë c æ> Vous avez une majorité de 15 miné à atteindre le «mille et trois» 1 0> a c Subtil, rusé et plein de charme, vous qui pour vous l’emporte sur la qua­ 2 a b arrivez pratiquement toujours à vos lité. © fins. Vous êtes le Roi des stratèges, Vous pensez que le nombre d’obs­ 3 (3 b c investi d’une mission: la conquête de tacles à franchir et la difficulté des 4 c a la Dame. Vous connaissez toutes les étapes proposées sont en totale ficelles, toutes les astuces vous per­ 5 b c inadéquation avec le plaisir; mais 1 mettant d’atteindre vos buts. rien n’est plus jouissif que de conqué­ 6 c b G* Prêt à des ruses de Sioux aussi cheva­ rir sa dame et de sentir cette dernière 7 a b lines que celles qu’employèrent les céder peu à peu à ses avances. Grecs à Troyes, vous ne vous limitez Dans ce jeu de l’amour et de la séduc­ 8 b c jamais au siège d’une seule forteresse © tion vous ne serez pas comblé par défendue. 9

L'ORIENT-EXPRESS OC AOÛT 1996 les mots. f ( croises

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 HORIZONTALEMENT: DE NABIH BADAW1 I I — Privilège trimestriel bien de chez nous. II — Centre apprécié naguère du I. Tu le feras souvent en I. II III — Aboutissement épistolaire. III IV — Eclates vivement. Lanthanide. V — Pro. Hallucinogène. Feint. IV V I— Sachs à B.B. Précise la matière. V VII — Tiers. Hôte privilégié pour I. Orientation. VIII — Matière de cul. Secouristes théâtrales. VI IX — Tuant. Outil de Thanatos. VII X — Faisai le mur. Unique en Israël. XI — Ne souffre pas le délai. Responsable de maux car­ VIII diaques. IX XII — Relierait. X VERTICALEMENT: XI 1 — Ça va, ça marche. 2 — Arrête le transit. TGV fabuleux. XII 3 — Excès de poids. Médiocre, bas. 4 — Destructeur organique. Yéménite portuaire. 5 — Anonacée, article de parfumerie. 6 — Vivéridés carnivores d’Europe. Péruvienne. 7 — Drape l’indienne des pieds à la tête, les rayons cos­ miques, c’est lui. Abréviation. 8 — Apatride. A trois temps, mais pas la valse. 9 — Aguiche. Faire comme 1. Solution des mots croisés du n° 8 10 — Littéralement, le plus petit suisse. Sinon ne tenta pas. 11 — Qualités chères. M ouille les yeux. grille 1 12 — Toxiques, mauvais tas. HORIZONTALEMENT: 1. Abstentions. — 2. Likoud. Sb. — 3. Anr. Sœur. — 4. Éligibilité. — 5. Ges. Purotin. — é. Eg. Sel. Li. — 7. Aare. Larmes. — 8. Nt. Upen. Oss. — 9. Colis­ tier. — 10. Ulirmatum. — 11. Suis. Nausée. VERTICALEMENT: 1. Allégeances. — 2. Bi. Legato. — 3. Skais. Lui. — 4. Tong. Seuils. — 5. Euripe. Pst. — 6. Nd. Bulletin. — 7. Sir. Anima. — 8. Isoloir. Eau. — 9. Obéit. Morts. — 10. Utiles. Ue. — 11. Sérénissime. grille 2 HORIZONTALEMENT: 1. Chronométrer. — 2. Haltérophile. — 3. Ai. Écolières. — 4. Mètre. Rêve. — 5. Rasséréner. — 6. Irais. Test. — 7. Oui. Aoste. Pe. — 8. Nantis. Pré. — 9. Nia. Ravivées. — 10. Roe. Eleis. — 11. Todi. Atlanta. — 12. Speech. Autos. VERTICALEMENT: 1. Championnats. — 2. Haie. Ruai. Op. — 3. RI. Trainarde. — 4. Oterai. Oie. — 5. Nécessaire. — 6. Oro. Osa. Ah. — 7. Mollets. Vet. — 8. Épi. Retailla. — 9. Thérèse. Veau. — 10. Rirent. Peint. — 11. Élève. Presto. — 12. Réservées. As. HORIZONTALEMENT: I — Amateurs de feuilles vertes. II — Fait date. III — Verte pacifiste. Lève. IV — Ferait trop eau. Finit dernier. V — Donc ouïe. Sous-développé dans le monde. VI — L’aube du monde. Portions animales. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 VII — Des flics en émeute, retourné à la vigne. VIII — Caustiques parfois. Transport tibétain. I IX — Travail d’hommes de lettres. Fruit honni du poisson. II X — A ses cartes. Père. XI — Font du surplace. III ■ IV VERTICALEMENT: ■ 1 — Amateurs de billets verts. V ■ 2 — Argument de Morphée. VI 3 — Indo-arienne. Romains. ■ 4 — Tombeur de dames. Aéro-navale. VII ■ ■ 5 — Vident poches. VIII _ 6 — Impératif anglais. Astate. ■ 7 — Enflamment les tripes. Donc ailla. IX ■ ■ 8 — Exit. Bonhomme des neiges. X 9 — Git mal. Aérer. ■ ■ 10 — Avait une saction à l’écran. Finie. XI 11 — Tissus de coton gaufré.

L’ORIENT-EXPRESS C ) y AOÛT 1996 la frim e de l’orien t-ex press

MABROUK! Une

L AVAIT PESTÉ TOUTE LA JOURNÉE contre les gens qui se marient en plein mois passante Id’août. Et si on n’y allait pas? On pourrait prétexter une maladie contagieuse, les oreillons par exemple, et on passerait toute la journée en pyjama à lire des B.D. en se nourrissant de glaces. Il avait ensuite fait une énorme concession. Il irait mais en short. Pourquoi pas? Il serait le premier à lancer cette mode. Elle avait dû lui rappeler doucement qu’on n’était pas à Malibu Beach et qu’à Harissa, le short risquait de commotionner l’évêque. Elle n’osait pas lui avouer LLE AIMAIT CETTE SENSATION. Quand l’inavouable: elle adorait les mariages. Presque autant que les défilés – pourtant Ela ville était plus grande qu’elle. de moins en moins martiaux – du 22 novembre et les élections.... de Miss Uni- Quand elle n’avait pas le temps de se vers. rendre à toutes les activités qu’on y pro- Les épousailles de Machin (parvenu des champs) et de Chouette (laideron des posait: pièces de théâtre, concerts, confé- villes) ne pouvant décemment être éludées, il se résigne. rences, films, débats, expositions, spec- Deux heures d’embouteillages plus tard, ils parviennent à destination. Une orgie tacles. de paille et de jute – le dernier cri en matière de décoration florale – donne à Elle aimait en rater quelques-unes. Vou- l’église un faux air de fermette rustique. Au premier rang, deux députés qui s’en- loir plus que son temps ne lui permettait nuient ferme s’emploient cellulairement à obtenir un rendez-vous dans la capi- de faire. Que son désir soit plus grand tale -que-vous-savez. À côté, des tantes en sueur et en robes lamées s’éventent que son temps. Comme les livres qui avec de petites bricoles chinoises, alors qu’une sri-lankaise qu’on traite en «être s’amoncellent sur son bureau, ou les pro- humain» (la preuve!) sourit, heureuse de ce statut privilégié. Malgré son arthrite, jets à réaliser qui sont dans sa tête. Elle Téta a tenu à assister à la cérémonie et exhibe de rares cheveux qu’un coiffeur aimait cette sensation d’avoir besoin de habile a miraculeusement réussi à mettre en plis. Toute l’assemblée se retourne plusieurs vies. quand la mariée fait son entrée, coiffée d’une sorte de jungle luxuriante, au bras Elle habitait une ville étrange, agaçante et de son père aussi ému que dans la chanson d’Aznavour. Il récupère rapidement attachante à la fois. Une ville qui pouvait à la vue de son «amie» avantageusement décolletée mais discrètement placée se retrouver à marée basse, vidée, puis comme il sied à une «officieuse». La «témouine», célibataire désespérée, a cru soudain rejaillir. Une ville qui parfois astucieux d’arborer, outre un chignon alambiqué, des salières énergiques aussi rétrécissait, à laquelle il fallait redonner sexy qu’un plat de macaronis froids. Les demoiselles d’honneur «assorties» à la l’énergie de grandir. mariée ferment le cortège. L’une, l’inévitable grosse fille affligée d’une frange à La ville est faite aussi du regard et des la Jeanne d’Arc détonne parmi ses compagnes graciles. Alors que le chœur digne paroles de ses habitants,in vivo de leurs désirs, de l’Abbaye de Westminster s’emploie à crever les tympans des invités, ceux-ci de leurs projections, de leurs peurs et de se mettent à prier avec ferveur... pour que l’évêque ne fasse pas une messe leurs pas. «entière». C’est qu’on a déjà mal aux pieds dans des escarpins trop hauts et que, La ville, comme les hommes, a besoin de toute façon, on a la vue bloquée par une capeline à voilette géante, façon d’être regardée pour grandir en beauté. Burda, délicatement posée sur la tête de devant. Elle a besoin d’être investie de sens. Alors qu’elle tire à sa fin, la cérémonie vire à la débandade. Les bébés longtemps C’était important aussi pour elle d’ap- réprimés se mettent à hurler de concert alors que des invités, fort délicats, arra- partenir à une ville très ancienne. Elle en chent subrepticement les arrangements de fleurs. On piétine une bonne heure tirait fierté. Peut-être était-elle sensible à pour embrasser une mariée toute barbouillée de rouge à lèvres par des bisous la question de la continuité, de la trans- préalables. À l’heure du «vin d’honneur» les plats de crevettes congelées sont, mission. comme prévu, saccagés par une horde de Huns, et on ne trouve à se mettre sous Elle aimait également l’idée d’appartenir la dent qu’un canapé beurre-crème rose indéfinissable qui vous écœure pour de à une ville où beaucoup de peuples bon. étaient passés. Etre le fruit d’un mélange. Le gâteau coupé, les malheureux mariés sont encore pourchassés par un photo- La ville était ainsi ses parents et son graphe «artiste» qui tient à leur faire prendre des poses énamourées, alors qu’ils enfant. Faite de patrimoine et de projets. ne rêvent que d’une chose: enlever leurs souliers. Elle aurait cependant aimé qu’il y ait plus Qu’importe, ils s’envoleront demain vers une destination exotique et lointaine... de trottoirs, pour pouvoir être une pas- Limassol. sante, tout simplement. NADA NASSAR-CHAOUL NADA MOGHAIZEL-NASR

L’ORIEN T-EXPRESS 98 a o û t 1996