11 Septembre
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www.lemonde.fr 57e ANNÉE – Nº 17614 – 7,90 F - 1,20 EURO FRANCE MÉTROPOLITAINE -- JEUDI 13 SEPTEMBRE 2001 FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-MARIE COLOMBANI L’Amérique frappée, le monde saisi d’effroi b Les Etats-Unis ont subi, mardi 11 septembre, la pire attaque de leur histoire b Le nombre de victimes dépasse celui de Pearl Harbor b Du World Trade Center au Pentagone, des terroristes défient Washington b « La liberté se défendra », déclare le président Bush Nous sommes SOMMAIRE tous Américains b Les Etats-Unis attaqués : le mon- DANS CE MOMENT tragique de entier saisi d’effroi, le président où les mots paraissent si pauvres Bush face à un Pearl Harbor terro- pour dire le choc que l’on ressent, riste, le récit d’une journée de ter- la première chose qui vient à l’es- reur en Amérique p. 2-3 prit est celle-ci : nous sommes tous b Panique à Manhattan : les repor- Américains ! tages de nos correspondants, les Nous sommes témoignages de New-Yorkais, tous New-Yor- comment les deux tours se sont kais, aussi sû- effondrées, les entreprises du rement que World Trade Center p. 4-5 John Kennedy b Les autres cibles : au moins se déclarait, 800 morts au Pentagone, le mys- en 1962 à Ber- tère de Pittsburgh, l’angoisse sur la ÉDITORIAL lin, Berlinois. côte Ouest des Etats-Unis p. 6-7 Comment ne pas se sentir en effet, b Les réactions dans le monde : comme dans les moments les plus l’OTAN en alerte, l’Europe solidai- graves de notre histoire, profondé- re, condamnation unanime, inquié- ment solidaires de ce peuple et de ce tude au Proche-Orient, les Améri- pays, les Etats-Unis, dont nous som- cains de Paris sous le choc p.8à10 mes si proches et à qui nous devons b Les marchés : les Bourses améri- la liberté, et donc notre solidarité. caines fermées, les marchés mon- Comment ne pas être en même diaux en chute libre, les valeurs temps aussitôt assaillis par ce cons- refuges en hausse p. 11 tat : le siècle nouveau est avancé. b La nébuleuse terroriste : la piste Ben Laden privilégiée, les précé- J.-M. C. dentes attaques contre les Etats- Unis, Pearl Harbor en 1941 p. 12-13 Lire la suite page 18 b Terrorisme et sécurité : les mesu- S. RAMSON/AP res de prévention, la sécurité aérienne en question, Vigipirate appliqué en France p. 14-15 b Horizons-Kiosque : comment les C’est la nuit à Manhattan, au pied des tours devenues cimetières médias américains rendent compte NEW YORK ne, sont allongés sur le trottoir, entourés, récon- nant. New York est mutilée. Les deux tours ont de l’événement, les « une » des de notre correspondant fortés. La progression est difficile. Les policiers en disparu. Elles ont été arrachées, emportées. Il y a quotidiens du 12 septembre p. 16 « Attention, elle s’effondre ! » Un policier new- nombre mais désemparés interdisent parfois de une heure, elles étaient encore là, intactes, brillan- b Horizons-Débats : les points de yorkais, en sueur, le visage écarlate, nous repous- passer, et puis laissent faire, dépassés par les évé- tes au soleil. Les immeubles de bureaux, verre et vue de François Heisbourg, Robert se, en courant une rue plus loin, des deux tours nements. Nous avançons encore, les rues sont acier, autour de ce qui était le complexe du World Kagan, Ezra Suleiman et Ronald jumelles du World Trade Center, les célèbres désertes, seuls les pompiers sont là, abattus, Trade Center sont en flammes, les vitres brisées. D. BONDAREFF/AP Tiersky p. 17 Twins. Des hurlements, des cris : « Oh, my God ! » découragés. Certains sont en partie effondrés. Explosions et b Horizons-Analyses : notre édito- Des gens pleurent, se prennent dans les bras. Il Soudain, la deuxième tour s’effondre. Nous détonations se succèdent à chaque minute. Des DE NEW YORK À WASHINGTON rial : « La fin d’un rêve » p. 18 est 10 h 10 à Manhattan, il ne reste plus qu’une nous réfugions en courant dans un restaurant blocs de ferraille tombent encore au loin, bruits b Horizons-Fictions : romans de tour en feu. Une épaisse fumée noire et grise dont le patron ouvre les portes. Tout le monde se sourds, soulevant des nuages de poussière. Tom Clancy, goût du désastre enveloppe le sud de Manhattan. Le sol est jonché jette sous les tables. Des pompiers, bouteille d’oxy- « Vous le croyez, vous ? La guerre en plein cœur Nos reporters d’Hollywood, prédiction de Sa- de papiers déchiquetés. Tout est masqué par une gène sur le dos et masque sur le visage, nous rejoi- de Manhattan... », dit un pompier épuisé en s’as- muel Huntington : quand la réalité épaisse couche de poussière grise, très claire. Les gnent. Trois secondes plus tard, la masse de gra- seyant sur le trottoir. Un gaillard de deux mètres racontent dépasse la fiction p. 19 rues, les voitures, les gens sont couverts de cette vats et de poussière s’abat. Le bâtiment tremble, couvert de poussière, de boue, les yeux rougis, au Nos correspondants à New York à « neige » qui atténue le bruit des pas, des véhicu- quelques vitres se brisent. Puis le silence. Il fait bord des larmes. Il donne à son supérieur le nom Ce numéro du Monde est en deux les et rend l’atmosphère encore plus irréelle. nuit noire en plein jour. Dehors, on ne voit pas à des cinq camarades qui se trouvaient avec lui Washington racontent la fuite des cahiers, le premier entièrement Au milieu des sirènes des ambulances, de la poli- deux mètres. Une forte odeur de brûlé se répand. dans l’entrée de la tour effondrée et dont il n’a pas employés des tours jumelles de New consacré à la tragédie du 11 sep- ce, des pompiers, les gens ne disent pas un mot, L’électricité est coupée. Le patron du restaurant la moindre nouvelle. York et du Pentagone dans l’affole- tembre. aden est diffusé, comme hébétés. Ils se regardent, baissent la tête, pressent distribue à ceux qui retournent dans la rue des ser- La nuit, lorsque les Twins étaient éclairées, ment. Scènes de piétinement parmi les d’habitude, à nos lecteurs d’Ile-de- le pas pour fuir ou tentent de reprendre leur pro- viettes pour se couvrir le nez et la bouche. Des c’était un endroit magique. Aujourd’hui, c’est un blessés, les décombres, la fumée et les France. Sur notre site www.lemon- gression vers ce qui était le World Trade Center. véhicules de police et de pompiers sortent, noircis cimetière. de.fr, suivi de l’information en con- Ceux qui n’ont pas de masque se couvrent le visa- et cabossés, du nuage de poussière. Quelques secours qui affluent. Récits et témoigna- tinu et dossier multimédia ge. Des blessés, choqués ou en manque d’oxygè- minutes plus tard, le paysage réapparaît, halluci- Eric Leser ges de survivants. Reportages p. 4 à 7 Suspect Erreur sur la menace numéro un L’AMÉRIQUE vivait depuis même temps permis que le conflit quelque temps d’une ambition idéologique ne débouche pas sur sinon d’une illusion : rendre son une confrontation armée. Ils vou- territoire invulnérable à toute laient les remplacer par des gentle- attaque venant d’un de ces rogue men’s agreements entre gens de states (Etats voyous) qui, dans la bonne compagnie et de bonne liste des menaces, venaient rem- volonté. Ils mettaient en doute la placer l’Union soviétique dispa- dissuasion nucléaire qui, par la rue. Les démocrates, réticents, menace de destruction récipro- avaient emboîté le pas aux répu- que, était censée avoir retenu au blicains et lancé le programme de bord du gouffre les plus auda- la défense antimissile avant cieux ou les plus irresponsables même que le héraut de cette politi- (voir Nikita Khrouchtchev au LA PRESSE INTERNATIONALE que, George W. Bush, ne gagne la moment de la crise de Cuba en OUSSAMA BEN LADEN Maison blanche. Les idéologues 1962). Ils contestaient la qualité du Parti républicain ne se conten- morale de la dissuasion nucléaire « Troisième LE NOM du dissident saoudien taient pas du financement de quel- – comment justifier la mort des Ben Laden est fréquemment avancé ques recherches et de quelques milliers de civils innocents ? – et guerre mondiale » lorsque les Etats-Unis évoquent les essais. Ils théorisaient leur obses- son efficacité – quel président des Les médias internationaux évoquent la éventuels responsables des atten- sion. Ils voyaient l’avènement Etats-Unis voudrait être placé tats. Accusé d’être l’organisateur de dans les relations internationales devant le choix entre déclencher nouveauté d’un conflit général désor- plusieurs actions terroristes contre d’une nouvelle ère qui ne devait l’apocalypse nucléaire ou accep- mais engagé avec un terrorisme insaisis- les intérêts américains, il fut l’allié plus rien avoir de commun avec la ter la destruction de son pays ? sable. L’Amérique doit entièrement réé- de Washington en Afghanistan. guerre froide. Le bouclier antimissile ou valuer son dispositif de défense, écrivent Plus de dix ans après la chute NMD (pour National Missile Lire page 12 du mur de Berlin, ils ne voulaient Defense) devait apporter la solu- les éditorialistes américains. L’expert en pas seulement définir de nou- tion de ce dilemme. Face à des stratégie François Heisbourg nomme Allemagne, 3 DM ; Antilles-Guyane, 10 F ; Autriche, 25 ATS ; Belgique, 48 FB ; Canada, 2,50 $ CAN ; Côte d'Ivoi- veaux rapports avec la Russie Etats en mesure de se doter d’ar- « hyperterrorisme » la nouvelle menace. re, 900 F CFA ; Danemark, 15 KRD ; Espagne, 250 PTA ; postcommuniste. Ils voulaient mes de destruction massive, Gabon, 900 F CFA ; Grande-Bretagne, 1 £ ; Grèce, 500 DR ; Seuls le cinéma et le roman avaient Irlande, 1,40 £ ; Italie, 3000 L ; Luxembourg, 46 FL ; Maroc, encore la convaincre du danger nucléaires, biologiques ou chimi- 10 DH ; Norvège, 14 KRN ; Pays-Bas, 3,30 FL ; Portugal potentiel représenté par des Etats ques, mais insensibles à la logi- exploré de tels scénarios-catastrophes.