(1943) Et Les Dames Du Bois De Boulogne (1945) De Robert Bresson Jordi Barral
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Esquisse d’une poétique de la transformation, Les anges du péché (1943) et Les dames du bois de Boulogne (1945) de Robert Bresson Jordi Barral To cite this version: Jordi Barral. Esquisse d’une poétique de la transformation, Les anges du péché (1943) et Les dames du bois de Boulogne (1945) de Robert Bresson . Art et histoire de l’art. 2013. dumas-01679644 HAL Id: dumas-01679644 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01679644 Submitted on 10 Jan 2018 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. UNIVERSITÉ PAUL VALÉRY – MONTPELLIER III UFR I – Lettres, Arts, Philosophie, Psychanalyse Département des Arts du spectacle ESQUISSE D’UNE POÉTIQUE DE LA TRANSFORMATION Les Anges du péché (1943) et Les Dames du bois de Boulogne (1945) de Robert Bresson Mémoire de Master 1 – Cinéma et audiovisuel rédigé sous la direction de M. Guillaume BOULANGÉ par Jordi BARRAL Juin 2013 Merci à Anne et Alice, Muriel, Marie et Zoé. Merci à ma famille, mes amis et mes anges. Merci à Eglantine pour la réalisation des rares illustrations de ce mémoire. Je remercie particulièrement ma tante, Florence, pour ses lectures et relectures attentives et passionnées, Delphine Lemoine et Delphine Robic-Diaz. Leur soutien moral, leurs conseils et leurs avis distanciés sur toutes choses m’ont grandement aidé dans mes entreprises cette année. Mes remerciements à M. Christian Rolot qui me fait l’honneur de participer au jury de soutenance. Je remercie enfin mon directeur de mémoire, M. Guillaume Boulangé, pour le temps qu’il m’a consacré et pour la confiance qu’il m’a accordée. INTRODUCTION « Bresson : – Silence ! Pour moi, c’est le premier silence du cinéma. Je pense à toutes les autres espèces de silences, privées, publiques, spectaculaires, qui renversent les regards des hommes vers l’intérieur : silences à l’église, silences de terreur, “ la minute de silence ”, inventée par le siècle du bruit. Le cinéma, purifié chaque fois avant de tourner, saute de silence en silence, de solitude en solitude. Ses tumultes, ses foules, ses lumières : ombres d’un songe. » Paul Guth.1 Le XXe siècle, ce « siècle du bruit », Robert Bresson, né en 1901 et mort en 1999, l’aura traversé de bout en bout et y aura laissé une trace durable sous la forme de treize films réalisés entre 1943 et 1983 (et un court-métrage, Les Affaires publiques, en 1934, que l’on aura cru un temps oublié). En l’espace de quarante ans, c’est peu et c’est beaucoup car Bresson était un cinéaste exigeant, rigoureux et patient dont les créations étaient exigeantes, rigoureuses et passionnantes. « Bâtis ton film sur du blanc, sur le silence et l’immobilité »2, ce commandement que le cinéaste s’imposa à lui-même nous laisse supposer combien Robert Bresson était indépendant ; Jean Cocteau, qui fut son collaborateur sur Les Dames du bois de Boulogne, écrit à son encontre en 1957 : « Bresson est “ à part ” dans ce métier terrible. Il s’exprime cinématographiquement comme un poète par la plume. Vaste est l’obstacle entre sa noblesse, son silence, son sérieux, ses rêves et tout un monde où ils passent pour de l’hésitation et de la manie. »3 Si le XXe siècle est celui du bruit alors le XXIe siècle est, dans sa continuité, celui de la saturation. Saturation du bruit autant que de l’image. Aujourd’hui, les images nous envahissent et nous entourent, elles sont partout : publicité, télévision, ordinateur, internet. Le bruit aussi, assourdissant des machines, des téléphones portables qui sonnent à tout instant et des écouteurs que les gens gardent en permanence à proximité de leurs oreilles. « CINEMA, radio, télévision, magazines sont une école d’inattention : on regarde sans voir, on écoute sans 1 GUTH Paul : Autour des Dames du Bois de Boulogne : Journal d’un film, éditions Julliard, collection « Ramsay Poche Cinéma », Paris, 1989, pp. 30-31. 2 BRESSON Robert : Notes sur le cinématographe [1975], éditions Gallimard, Paris, 1995, réédité en 2012, p. 135. 3 Préface de Robert Bresson, par René BRIOT, Editions du Cerf, collection « 7ème art », Paris, 1957, p. 7. 5 INTRODUCTION entendre »1 disait déjà Bresson. Peur du silence peut-être, peur de la solitude sans doute. N’est-ce pas quand l’être humain se retrouve seul, dénudé de tout artifice, comme la dame nue dans A woman in the Sun (1961) d’Edward Hopper, qu’il peut être ce qu’il est, se voir et s’entendre en profondeur, et par la fenêtre guetter l’inattendu ? J’entendais récemment une chanson de Barbara Carlotti (venue de la scène française) dont les paroles énigmatiques me rappelaient par certains aspects le cinéma de Bresson : « Je marche nue Les pieds nus Les jambes nues Sur la lagune Et j’aime le vent, l’amour et l’argent Et j’aime le vent, l’amour et l’argent Toutes ces choses qu’on ne compte pas Toutes ces choses qu’on ne compte plus Toutes ces choses qu’on ne voit pas Toutes ces choses que je n’ai plus »2 Chanson à texte et texte à trous qu’il incombe à l’auditeur de combler. Les paroles en elles-mêmes ne racontent pas, elles dissimulent. Cependant, Barbara Carlotti relate le souvenir d’une expérience bien réelle : son agression (à mains armées) sur la plage brésilienne d’Ipanema alors qu’elle se promenait sans rien de valeur sur elle3. Ce récit est insaisissable dans la chanson quand on n’en connaît pas le contexte. Il rappelle un peu les mystères dans les films de Bresson, tout en ellipses, dans lesquels « le Vent souffle où il veut »4 et l’argent est le Mal de ce monde. Preuve s’il en est besoin que le créateur reste toujours actuel dans un monde de plus en plus virtuel. C’est pourquoi retourner à ses silences et à ses solitudes me semblait d’un grand intérêt et presque essentiel. Or, l’essentiel est ce dont Bresson constitue son œuvre. Où donc s’arrêter en premier lieu dans la carrière d’un artiste si ce n’est à son aurore : le film dont rêvait Bresson et qu’il n’a jamais réussi à réaliser était une adaptation de la Genèse, soit la création de la Terre et des hommes par Dieu. Importance d’un monde en train de naître : 1 BRESSON Robert, op.cit., p. 109. 2 « L’Amour, l’argent, le vent », Barbara CARLOTTI, Jérémie REGNIER, éditions Strictly Confidential France et DR, France, 2012. 3 Se référer à CONTE Christophe : « Vertiges de l’amour », revue Les Inrockuptibles n°856, 25 avril – 1er mai 2012, pp. 80-81. 4 C’est le sous-titre du quatrième film de Bresson, Un Condamné à mort s’est échappé (1956). 6 INTRODUCTION « J’ai rêvé de mon film se faisant au fur et à mesure sous le regard, comme une toile de peintre éternellement fraîche. »1 « De deux morts et de trois naissances. Mon film naît une première fois dans ma tête, meurt sur papier ; est ressuscité par les personnes vivantes et les objets réels que j’emploie, qui sont tués sur pellicule mais qui, placés dans un certain ordre et projetés sur un écran, se raniment comme des fleurs dans l’eau. »2 Importance d’un style en train de naître. Très vite, les deux premiers longs métrages se sont imposés : Les Anges du péché (1943) et Les Dames du bois de Boulogne (1945) s’inscrivent à part dans l’œuvre de l’auteur et partagent nombre de points communs. Ils exploitent des thèmes identiques : la solitude, la vengeance, la prison, la lutte mais aussi le sacrifice dans un monde majoritairement féminin. Dans Les Anges du péché, la jeune Anne-Marie entre au couvent de Béthanie où les religieuses ont pour devoir de réhabiliter des criminelles qu’elles récupèrent à leur sortie de prison et qu’elles convertissent. Anne-Marie, pleine d’orgueil et de fougue, choisit un disciple bien difficile : Thérèse, au cœur endurci, venue au couvent pour se cacher d’un meurtre. Anne-Marie subira humiliations et manipulation et ira jusqu’au sacrifice pour le salut de Thérèse. Le second film, Les Dames du bois de Boulogne, est adapté du récit de Mme de La Pommeraye dans le roman de Denis Diderot : Jacques le fataliste et son maître. Histoire d’Hélène, amante délaissée, qui se venge de l’infidèle Jean en le jetant dans les bras d’une « grue », Agnès, ancienne danseuse de cabaret. Manipulé, Jean ignore le passé ombrageux d’Agnès qui tente de le prévenir en vain. La machination aboutira à leur mariage. L’argument de ce film-là ne partagerait rien a priori avec le cheminement mystique des criminelles métamorphosées en bonnes sœurs proposé dans le premier. Néanmoins, Thérèse annonce à sa manière la figure silencieuse d’Hélène. L’Agnès des Dames du bois de Boulogne, grue qui devient épouse, fuit les hommes comme l’Agnès des Anges du péché qui adopte la vie conventuelle et échappe à l’homme menaçant qui souhaite la retrouver à sa libération. En outre, ces deux opus, sortis à deux ans d’intervalle, se démarquent également au niveau historique : ils furent, en effet, réalisés sous l’Occupation, ce qui n’alla pas sans poser problème.