Revue européenne des migrations internationales

vol. 34 - n°1 | 2018 Mouvements migratoires d’hier et d’aujourd’hui en Italie Past and Present Migration Movements in Movimientos migratorios pasados y presentes en Italia

Paola Corti et Adelina Miranda (dir.)

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/remi/9565 DOI : 10.4000/remi.9565 ISSN : 1777-5418

Éditeur Université de Poitiers

Édition imprimée Date de publication : 1 avril 2018 ISBN : 979-10-90426-61-0 ISSN : 0765-0752

Référence électronique Paola Corti et Adelina Miranda (dir.), Revue européenne des migrations internationales, vol. 34 - n°1 | 2018, « Mouvements migratoires d’hier et d’aujourd’hui en Italie » [En ligne], mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 18 mai 2021. URL : https://journals.openedition.org/remi/9565 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/remi.9565

© Université de Poitiers REMi Vol. 34 n ° 1

Mouvements migratoires d'hier et d'aujourd'hui en Italie

Coordination : Paola Corti et Adelina Miranda

Publication éditée par l’Université de Poitiers avec le concours de • InSHS du CNRS (Institut des Sciences Humaines et Sociales du Centre National de la Recherche Scientifique) • MSHS (Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Poitiers)

REMi Sommaire Vol. 34 n ° 1

Emmanuel Ma Mung et Véronique Petit ...... 7 Préface Chronique d'actualité Miguel Mellino ...... 11 Racisme, antiracisme et migrations : l’Italie au cœur de la conjoncture politique européenne Mouvements migratoires d'hier et d'aujourd'hui en Italie Coordination : Paola Corti et Adelina Miranda

Paola Corti et Adelina Miranda ...... 71 Éditorial : Coexistence, imbrication et superposition des flux migratoires italiens Matteo Sanfilippo ...... 29 Les migrations italiennes : un aperçu statistique sur la longue durée Michele Colucci et Stefano Gallo ...... 53 Migrations en Europe du Sud depuis 1945 : l’enchevêtrement de nombreuses mobilités Augusta Molinari ...... 79 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle : un autre regard Fabienne Le Houérou ...... 103 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme : les « ensablés » Selenia Marabello et Bruno Riccio ...... 127 Migrations ouest-africaines vers l’Italie : une analyse anthropologique des politiques de mobilités ghanéennes et sénégalaises en Émilie-Romagne Elena Ambrosetti et Angela Paparusso ...... 151 Migrants ou réfugiés ? L’évolution de la gouvernance des flux migratoires en Italie au cours de la « crise des réfugiés » Adelina Miranda ...... 173 Déconstruire les paradigmes migratoires à travers les études sur les émigrations et les immigrations des femmes en Italie Anna Badino ...... 195 Note de recherche : Quitter le Mezzogiorno : parcours d’enracinement des Italiens en Provence et dans le Nord-Ouest de l’Italie entre 1945 et 1970 Varia Jean-Luc Bédard et Marta Massana Macià ...... 211 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale. Le cas des ingénieurs français ayant emprunté l’ARM France-Québec Matthijs Gardenier ...... 235 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants. Une perspective : « rétablir l’ordre » Chronique juridique Anne-Laurence Graf ...... 257 « Contre l’immigration de masse » : la mise en œuvre paradoxale dans l’ordre juridique suisse d’une votation populaire visant à limiter l’immigration

Notes de lecture ...... 265 Livres reçus ...... 271 Note aux auteurs ...... 275 REMi Contents Vol. 34 n ° 1

Emmanuel Ma Mung and Véronique Petit ...... 7 Preface Current Column Miguel Mellino ...... 11 Racism, Anti-racism and Migration: Italy at the Heart of the New European Political Situation Past and Present Migration Movements in Italy Coordination : Paola Corti and Adelina Miranda

Paola Corti and Adelina Miranda ...... 21 Editorial: Coexistence, Interweaving and Overlapping of Italian Migration Flows Matteo Sanfilippo ...... 29 Italian Migration: A statistical overview on the long term Michele Colucci and Stefano Gallo ...... 53 Migration in Southern Europe since 1945: The Entanglement of many Mobilities Augusta Molinari ...... 79 Italian Transoceanic Migration at the Beginning of the 20th Century: A Different Look Fabienne Le Houérou ...... 103 Italians in Abyssinia during the Time of Fascism: The Insabbiati Selenia Marabello and Bruno Riccio ...... 127 West African Migrations to Italy: An Anthropological Analysis of Ghanaian and Senegalese Politics of Mobility in Emilia Romagna Elena Ambrosetti and Angela Paparusso ...... 151 Migrants or Refugees? The Evolving Governance of Migration Flows in Italy during the “Refugee Crisis” Adelina Miranda ...... 173 Deconstructing Migration Paradigms through Studies on Female Emigration and Immigration in Italy Anna Badino ...... 195 Research Note: Leaving the Mezzogiorno: Integration Paths of Italians in Provence and in the North-West of Italy between 1945 and 1970 Varia Jean-Luc Bédard and Marta Massana Macià ...... 211 Social and Professional Integration and International Mobility. The Case of French Engineers Using the France-Quebec MRA Matthijs Gardenier ...... 235 Sauvons Calais, an Anti-migrant Group. A Perspective: “Restoring Order” Legal Column Anne-Laurence Graf ...... 257 “Against Mass Immigration”: The Paradoxical Implementation in Swiss National Law of a Popular Initiative Aimed at Restricting Immigration

Books Reviews ...... 265 Books Received ...... 271 Note to Authors ...... 275 REMi Índice Vol. 34 n ° 1

Emmanuel Ma Mung y Véronique Petit...... 7 Prefacio Crónica de actualidad Miguel Mellino ...... 11 Racismo, antirracismo y migración: Italia en el centro de la nueva situación política europea Movimientos migratorios pasados y presentes en Italia Coordinación: Paola Corti y Adelina Miranda

Paola Corti y Adelina Miranda ...... 21 Editorial: Coexistencia, entrelazamiento y superposición de los flujos migratorios italianos Matteo Sanfilippo ...... 29 Migración italiana: una visión estadística a largo plazo Michele Colucci y Stefano Gallo ...... 53 Migración en Europa del Sur desde 1945: el enredo de muchas movilidades Augusta Molinari ...... 79 La migración transoceánica italiana a principios del siglo XX: una otra mirada Fabienne Le Houérou ...... 103 Los italianos en Abisinia en la época del fascismo: los insabbiati Selenia Marabello y Bruno Riccio ...... 127 Las migraciones de África Occidental a Italia: un análisis antropológico de las políticas de movilidad desde Ghana y Senegal en Emilia Romagna Elena Ambrosetti y Angela Paparusso ...... 151 ¿Migrantes o refugiados? La evolución de la gobernanza de los flujos migratorios en Italia durante la «crisis de los refugiados» Adelina Miranda ...... 173 Deconstruyendo los paradigmas de la migración a través de estudios sobre la emigración y la inmigración femenina en Italia Anna Badino ...... 195 Nota de investigación: Dejando el Mezzogiorno: ruta de enraizamiento de los italianos en Provenza y el noroeste de Italia entre 1945 y 1970 Varia Jean-Luc Bédard y Marta Massana Macià ...... 211 Integración socio profesional y movilidad internacional. El caso de los ingenieros franceses en el marco del ARM Francia-Quebec Matthijs Gardenier ...... 235 Sauvons Calais, un grupo anti-inmigrante. Una perspectiva: «restaurar el orden» Crónica jurídica Anne-Laurence Graf ...... 257 «Contra la inmigración de masa»: la implementación paradójica en el orden jurídico suizo de una votación popular para limitar la inmigración Notas bibliográficas ...... 265 Libros recibidos ...... 271 Nota a los autores ...... 275

REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 7-10

Préface

Emmanuel Ma Mung1 et Véronique Petit2

La REMI a fêté son 30ème anniversaire en 2016 avec les numéros 3 et 4 du volume 32 et voici aujourd’hui son 100ème numéro ou plus exactement sa 100ème parution, car certains numéros sont doubles. Ceci atteste d’une conti- nuité certaine et d’une préoccupation constante d’accompagner, de favoriser, de renouveler les problématiques à propos de phénomènes en métamorphose rapide.

La question migratoire était encore périphérique lors de la première parution de la revue ; elle est devenue tout à fait centrale comme chacun le sait. La connaissance à leur propos s’est considérablement enrichie au point de dépasser plusieurs dizaines de milliers de références. Les laboratoires de recherche se sont multipliés ainsi que les formations universitaires spécialisées. Et depuis 2017 un Institut Convergences dédié aux migrations a été créé, regrou- pant maintenant près de 300 fellows. Très récemment un collectif de plus de 700 chercheurs internationaux dans dix-sept pays propose la création d’un Groupe international d’experts sur les migrations (GIEM) s’inspirant de la création du Groupe intergouvernemental d’experts pour le climat (GIEC) en 1988. Il s’agit pour ces spécialistes de contribuer au débat public sur les politiques publiques rationnelles et informées en matière de migrations et d’asile.

Les migrations internationales sont devenues un enjeu fondamental dans chacune des sociétés qu’elles concernent, qu’elles soient sociétés d’origine, de destination ou de transit. Dans les pays de destination, les questions relatives à l’immigration constituent le point focal des discussions sur les plans politique, économique et même culturel. D’immenses dispositifs de contrôle, sans équi- valent dans l’histoire, se mettent en place autour des grandes régions d’immi- gration (Europe, Amérique du Nord). Ils visent à contenir au-delà des frontières régionales les mouvements de population. La question migratoire est l’enjeu principal des élections dans des pays de plus en plus nombreux.

Dans les pays d’origine, les migrations internationales sont regardées favo- rablement en raison des transferts financiers qu’elles procurent et l’allégement des tensions du marché du travail qu’elles permettent notamment dans des pays caractérisés par une dynamique démographique significative. Mais certains États d’immigration déplorent également les migrations hautement qualifiées et la perte de forces vives qui freinent ainsi le développement. Les migrations ont

1 Co-directeur de la REMI, Géographe, Directeur de recherche émérite, MIGRINTER, Université de Poitiers/CNRS, MSHS, Bât. A5, 5 rue Théodore Lefebvre, TSA 21103, 86073 Poitiers cedex 9 ; [email protected] 2 Co-directrice de la REMI, Démographe, Professeure, CEPED, Université Paris Descartes/ IRD, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris ; [email protected]

7 Emmanuel Ma Mung et Véronique Petit

modifié de façon parfois considérable les sociétés d’origine, bouleversant les hiérarchies sociales traditionnelles, introduisant de nouveaux modes de consom- mation, des normes et des codes différents, renforçant ou réduisant selon les cas les disparités régionales, intervenant parfois de façon décisive dans la vie politique nationale (on pense aux rôles des émigrés et ou des diasporas dans les élections). Elles sont également devenues un enjeu important des relations internationales, objet de discussion et de tension entre États d’origine et de destination. L’implication d’agences et d’institutions internationales (Nations unies, OIM, etc.), les crispations politiques et la virulence des débats engendrés par le processus de ratification du Pacte Mondial pour des Migrations sûres, ordonnées et régulières (Marrakech 10-11 décembre 2018) dans un contexte de montée des nationalismes et des populismes témoignent des enjeux que représentent les migrations internationales pour l’ensemble des sociétés et de l’émergence d’une volonté de régulation globale et de gouvernance mondiale à l’instar de ce qui s’observe dans d’autres domaines vitaux tant pour les États que leurs populations comme celui du climat ou de la santé. Néanmoins, si 150 pays ont ratifié ce pacte qui vise à rendre les migrations « bénéfiques à tous » selon la rhétorique onusienne à travers la mise en œuvre de vingt-trois objectifs, d’autres États comme les États-Unis, l’Australie, le Chili, l’Autriche, l’Australie, la République tchèque, la République dominicaine, la Hongrie, la Lettonie, la Pologne et la Slovaquie ont refuser de s’y associer.

Les migrations internationales ont des effets de plus en plus importants dans les pays de transit où passent, et parfois s’installent, les migrants qui tentent de rejoindre les grandes régions d’immigration. L’Union européenne ou l’Amérique du Nord imposent maintenant comme fonction à ces pays de transit (le Maroc, la Turquie ou le Mexique par exemple) de surveiller et garder des frontières migratoires qu’elles repoussent toujours plus loin afin de contenir plus en amont les migrations. Pays de départ, devenus pays de transit et parfois pays d’instal- lation, ils ont donc à gérer, eux aussi, la présence durable de migrants par défi- nition étrangers. Les phénomènes migratoires vont même jusqu’à provoquer des débats qui interrogent les codes de la nationalité en vigueur dans certains pays de transit, puisque pour définir l’étranger il faut bien savoir qui sont les nationaux.

Les migrations internationales sont donc devenues un puissant révélateur des évolutions sociales, politiques, économiques et même géopolitiques qui affectent des sociétés contemporaines. Elles constituent maintenant une grille de lecture et un analyseur des transformations sociales et spatiales à l’œuvre dans le monde actuel. Dans cette perspective, un regard sur le sommaire du premier numéro de la REMI (voir infra) est à cet égard éclairant : les probléma- tiques abordées comme les associations de migrants, l’intégration économique, les liens entre les sociétés de départ et d’arrivée sont devenus des objets clas- siques de la recherche, leurs cadres d’analyses (paradigmes, théories, concepts) ont été critiqués, discutés et renouvelés. Fort logiquement, ces premiers articles privilégient l’Europe dans ce numéro fondateur, mais le regard sur d’autres systèmes migratoires est présent (États-Unis) et déjà à travers la situation de la Guyane se profile la question des territoires ultra-marins dans la politique migra- toire de la France et de l’Union européenne. Le rôle que s’est donné la Revue Européenne des Migrations Internationales à sa création demeure inchangé et plus que jamais d’actualité compte tenu du contexte précédemment évoqué. La

8 Préface revue souhaite contribuer à la valorisation de recherches élargissant et appro- fondissant les connaissances scientifiques sur les migrations internationales dans la perspective d’exigence intellectuelle qui est la sienne.

La REMI est heureuse et fière de célébrer ce 100ème numéro et profite de cette occasion pour remercier ses fidèles lecteurs, ses auteurs et l’ensemble de son équipe éditoriale (éditrice, membres du comité de rédaction, réseau des corres- pondants à l’étranger) qui assurent la production, la vie intellectuelle et le rayon- nement international de la revue. Revue francophone à l’origine, la REMI a choisi de publier aussi des articles en anglais et en espagnol, et elle poursuit la mise en ligne d’articles traduits sur Cairn International afin d’accroître la visibilité et la circulation des recherches sur les migrations internationales.

Si la REMI assure son fonctionnement grâce aux revenus de ses ventes et des subventions qu’elle reçoit, elle ne saurait continuer à assurer sa mission avec la même exigence sans le soutien que l’Université de Poitiers et de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Poitiers lui accordent, la première à travers le poste d’éditrice et la seconde par l’accueil dans ses locaux. La labé- lisation CNRS depuis des années est aussi une marque de reconnaissance que l’équipe de la REMI reçoit avec fierté, tout en mesurant ce qui est perfectible dans son fonctionnement et son édition. À partir du 1er janvier 2019, la REMI dans le cadre de l’expérimentation MESRI, verra sa barrière mobile passer d’un an à deux ans actuellement. Ces partenariats contribuent depuis des années de manière significative à l’écosystème de la REMI et accompagnent ses évolutions vers un accès plus ouvert et toujours plus large. Aussi, forte de ces appuis et de son enthousiasme, la REMI espère pouvoir fêter d’autres anniversaires (40ème, 50ème, 200ème numéro).

Sommaire du premier numéro Albert Bastenier et Félice Dassetto (1985) Organisations musulmanes de Belgique et insertion sociale des populations immigrées, Revue Européenne des Migrations Internationales, 1 (1), pp. 8-23. Marie-Antoinette Hily et Michel Poinard (1985) Fonctions et enjeux du mouvement associatif portugais en France, Revue Européenne des Migrations Internationales, 1 (1), pp. 25-35. Rosita Fibbi (1985) Les associations italiennes en Suisse, en phase de transition, Revue Européenne des Migrations Internationales, 1 (1), pp. 37-47. Hassan Boubakri (1985) Modes de gestion et réinvestissements chez les commer- çants tunisiens à Paris, Revue Européenne des Migrations Internationales, 1 (1), pp. 49-65. François Zamora et André Lebon (1985) Combien d’étrangers ont quitté la France entre 1975 et 1982 ?, Revue Européenne des Migrations Internationales, 1 (1), pp. 67-80. Yves Charbit et Catherine Bertrand (1985) Les enfants de migrants restés ou revenus dans les pays d’origine du bassin méditerranéen, Revue Européenne des Migrations Internationales, 1 (1), pp. 81-102.

9 Emmanuel Ma Mung et Véronique Petit

Solon Ardittis (1985) Pour une régulation concertée des courants de compé- tences entre pays en développement et pays d’emploi, Revue Européenne des Migrations Internationales, 1 (1), pp. 103-121. Jean-Marie Dinand (1985) Les travailleurs sans papiers aux États-Unis, Revue Européenne des Migrations Internationales, 1 (1), pp. 123-142. Catherine Gorgeon (1985) Immigration clandestine et bidonvilles en Guyane, les Haïtiens à Cayenne, Revue Européenne des Migrations Internationales, 1 (1), pp. 143-158.

10 REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 11-19

Chronique d'actualité

Racisme, antiracisme et migrations : l’Italie au cœur de la conjoncture politique européenne Miguel Mellino1

Racisme à l’italienne

L’actuelle amplification du phénomène de la violence raciste et des luttes antiracistes en Italie donnent vie à une dialectique qui est devenue évidente depuis l’arrivée au pouvoir d’une coalition qui se déclare ouvertement souverai- niste et xénophobe2. Pour expliquer cette dialectique, deux éléments de contexte doivent être rappelés : l’accroissement du racisme dans ses expressions les plus violentes – institutionnelles ou non – qui a favorisé la victoire électorale du gouvernement actuel et la succession d’agressions et de faits racistes qui se déroulent sur le fond de la « crise des réfugiés » en lien avec le conflit syrien à partir de l’été 2015.

Dans cette série de faits exprimant la montée des actes racistes, rappelons en 2016, l’homicide du Nigérien Emmanuel Chidi Nnamdi à Fermo et celui de l’ouvrier égyptien Abd El Salam Ahmed El Danf à Plaisance alors qu’il partici- pait à un piquet de grève ; en 2017, la mort de la demandeuse d’asile ivoirienne Sandrine Bakayoko dans les toilettes du « centre d’accueil » de Conetta et le suicide du Gambien Pateh Sabally dans les eaux du Grand Canal de Venise non secouru par les touristes et les passants ; la violente expulsion des migrants de la Place de l’Indépendance à Rome ; en 2018, la mort de la Nigérienne Becky Moses à la suite de l’incendie des baraques du ghetto de Rosarno. Cette vague de violences racistes, loin d’être contenue ou réprimée, s’est au contraire accentuée, comme le démontrent des faits plus récents : à Macerata, en février 2018, des sympathisants néo-fascistes de Forza Nuova et de Casa Pound, deux forces politiques d’extrême droite, ont fusillé six migrants « noirs » en les blessant grièvement ; en mars 2018, à Florence un retraité a tiré sans aucune motivation sur Idy Diene, une commerçante ambulante sénégalaise ; en juin 2018, Soumaila Sacko, un activiste malien, engagé dans la lutte contre le système d’exploitation esclavagiste a été tué dans les campagnes calabraises.

1 Anthropologue et activiste au sein du mouvement antiraciste italien et européen. Professeur, Université de Naples « L’Orientale », Département des Sciences humaines et sociales, Via Chiatamone, 61/62, 80121 Naples, Italie ; [email protected] La traduction de l’italien vers le français a été réalisée par Adelina Miranda. 2 Depuis juin 2018, l’Italie est gouvernée par une coalition politique composée par le Mouvement 5 Étoiles et la Ligue, un parti xénophobe et raciste.

11 Miguel Mellino

L’ensemble de ces morts violentes traduisent le changement qui s’opère dans le racisme en Italie et elles en disent probablement beaucoup plus sur les spectres qui agitent l’Europe en crise. Ces meurtres ont en partie été anticipés par l’affirmation de mouvements xénophobes qui les ont transformés en un instrument de consensus et de jonction nationale populaire. Par ailleurs, au cours des trois dernières années, ils ont fait l’objet d’une construction narrative politico-médiatique et d’une gestion institutionnelle tant de la part de l’Union européenne que du gouvernement italien précédent3.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer la prise de position brutale de l’actuel gouvernement italien à l’encontre des migrants et des migrations. Le programme Immigration zéro (inspiré du célèbre No way du gouvernement australien), l’interdiction de porter secours aux migrants en mer ayant pour conséquence la criminalisation des ONG, l’approbation du décret sur la sécurité4, l’opposition farouche à tout dessein de loi favorisant le droit du sol (ius soli), l’abstention lors de la signature du Pacte mondial pour des migrations porté par l’Organisation des Nations unies, constituent un assemblage de mesures qui expriment les choix brutaux des forces politiques actuellement au pouvoir. Elles ont préféré sciemment s’appuyer sur les émotions qui traversent la société italienne depuis longtemps pour accéder au pouvoir et donner une nouvelle orientation à la politique à travers ce que je qualifie de « pacte raciste de citoyenneté », offert à une partie des citoyens au détriment des autres. De ce fait, sans minimiser les responsabilités du gouvernement actuel dans la « racialisation de la crise migra- toire », ce serait une grave erreur de le considérer comme l’unique responsable de ce qui se déroule en Italie à propos des migrations et du racisme.

L’Italie : un observatoire de la nouvelle conjoncture politique européenne

Si l’on regarde l’affrontement entre le gouvernement italien et l’Union européenne à travers le prisme des migrations et du racisme, l’Italie peut être considérée comme étant un observatoire privilégié de la conjoncture politique européenne portée par de nouvelles formations politiques. Mon postulat est que le scénario transalpin nous renseigne sur la grammaire politique des « mouvements souverainistes » revendiquant un retour à une gestion nationale du territoire afin de se distinguer avec éclat de la dimension supranationale des institutions de l’Union européenne. Cette renationalisation de la souveraineté territoriale est constitutive de ce que je propose d’appeler la « crise de l’hégé- monie ».

L’affirmation du souverainisme en Europe, à la suite du triomphe de Donald Trump aux États-Unis, est un des symptômes de la « crise du consensus Maastricht-Schengen », c’est-à-dire de l’épuisement du modèle ordolibéral de gouvernance (notamment au niveau de la politique institutionnelle) promu par

3 Entre 2013 et 2018, un gouvernement de centre gauche a été au pouvoir. Au cours de ces cinq ans, trois Premiers ministres se sont succédé : Letta, Renzi et Gentiloni. 4 Ce décret, qui porte aussi le nom de « Décret Salvini », a été approuvé le 29 novembre 2018. Il prévoit, entre autres, l’annulation des permis de séjour pour des raisons humani- taires et l’allongement de quatre-vingt-dix à 180 jours le temps « légal » de détention des migrants et des demandeurs d’asile dans les Hotspots.

12 Racisme, antiracisme et migrations l’Union européenne au cours de ces vingt-cinq dernières années et sur lequel repose la construction de l’Union européenne. Cette « crise de l’hégémonie » débute en 2008 en raison des conséquences économiques du krach financier le plus important des dernières décennies qui a secoué l’équilibre institu- tionnel interne de l’Union européenne. La dureté des politiques d’austérité, l’action fiscale, les mesures déflationnistes couplées à la prolongation de la stagnation économique et à l’accroissement des conflits sociaux ont produit de fortes tensions entre certaines formations (notamment des catégories sociales et des régions moins liées au capital financier) et les institutions de l’Union européenne. Le coup de grâce au « consensus de Schengen » a été porté par la « crise des réfugiés » en 2015 avec l’émergence de redoutables mouvements de résistance qui ont fait exploser le management européen de la gestion des frontières mis en place au cours de ces vingt dernières années. Ce n’est donc pas un hasard si l’émergence du mouvement souverainiste comme alternative à la politique menée par l’Union européenne arrive dans le prolongement de la « crise des réfugiés ». Crise économique et crise du régime migratoire ont marqué la fin du consensus ordolibéral de gouvernance européenne. Et encore une fois, le cas italien est à ce propos symptomatique.

Depuis 2015, l’ordolibéralisme et le souverainisme se sont définis comme deux projets permettant de « gouverner la crise ». Toutefois, au-delà des diffé- rences réelles et importantes, ces deux programmes politiques ne sont pas étrangers l’un à l’autre. Mon objectif n’est donc pas de discuter les contrastes existant entre les deux formations, mais plutôt d’analyser les solutions poli- tiques qu’ils proposent pour résoudre la crise et rétablir l’ordre européen. En effet, malgré les rhétoriques divergentes, caractérisées par deux types d’autori- tarisme (l’un économico-fiscal, l’autre xénophobe) l’ordolibéralisme et le souve- rainisme présentent un air de famille. Ce qui les rapproche, voire les entremêle, est plus important que ce qui les différencie.

Dans les deux cas, le dispositif hégémonique du gouvernement porte sur un « nouveau pacte de citoyenneté » avec des milieux sociaux économiquement actifs et avec les classes populaires autochtones (blanches). Ce projet politique se fonde sur le contrôle toujours plus répressif de la population non européenne, notamment pour la partie qui peut potentiellement constituer une force de travail active sur le marché de l’emploi. La distribution sociale du « consensus » et de la « coercition » s’opèrent en fonction d’une persistante ligne de couleur. L’ordolibéralisme et le souverainisme sont deux solutions racistes à la crise qui puisent leur force politique et culturelle dans l’histoire coloniale et postcoloniale européenne, dans la fusion historique entre capitalisme et colonialisme (Hansen et Stepputat, 2005 ; Harvey, 2003 et 2005) et dans la construction matérielle de l’Europe de Maastricht.

De ce fait, il est difficile et politiquement inutile de considérer l’émergence du souverainisme en Europe comme étant externe au discours néo-ordolibéral européen. La construction narrative à la base de l’idéologie souverainiste se propose de restaurer un ordre économique, patriarcal et racial – considéré comme perdu – et de renouer avec le lien social du passé qui s’inscrivait dans la communauté et la tradition nationales et qui aurait été compromis par l’ins- tabilité financière globale ainsi que par l’establishment politique national, et surtout celui européen. Comme le montre le cas italien, le mouvement souve-

13 Miguel Mellino

rainiste traduit ce « despotisme financier global » en une chaîne de significations perverse qui se révèle être profitable pour les marchés électoraux des sociétés européennes postcoloniales. Il offre une décodification des effets déstabilisants du capitalisme financier global à travers une équation élaborée au niveau du discours sur la série synthétique suivante : Union européenne/flux migratoires/ criminalité/perte des postes de travail pour les autochtones.

Regardons le souverainisme européen au travers du prisme de la race, du racisme et des migrations, trois points à prendre en considération. En premier lieu, le souverainisme constitue désormais le pilastre d’un nouveau dispositif sécuritaire du contrôle social. Son énonciation politique représente une radica- lisation de certaines tendances déjà inscrites dans le racisme institutionnel et structurel promu par le régime migratoire européen et qui ont constitué la base pour l’élaboration du dispositif néo-ordolibéral de production des territoires et des peuples. En deuxième lieu, les faits qui se déroulent depuis quelques mois en Italie démontrent que dans la gestion des migrations et des frontières en situation de post-crise il n’existe aucune césure significative entre les politiques de l’Union européenne et les propos du souverainisme. Cette convergence est confirmée par le fait que l’Union européenne ne s’est pas opposée au décret Sécurité voté par le gouvernement italien. En troisième lieu, la politique de celui-ci se base sur une gestion raciste de la crise migratoire pour relancer le système productif national à l’intérieur d’un modèle d’accumulation néo- libéral valorisant l’identité, la propriété, la sécurité et la mise en concurrence. Le programme du gouvernement italien met en avant de petits correctifs en matière d’autonomie fiscale afin d’alléger les impositions émanant des poli- tiques européennes, mais surtout certaines spécificités qui devraient défendre la « catégorie nationale » qui constitue une partie de son électorat. De ce fait, il repose sur la promesse d’une politique qui, sélective et policière, produit l’exclu- sion au nom du statut de citoyen.

Le souverainisme populiste européen reproduit la structure des émotions collectives utilisant ses insurmontables limites historiques : une conception blanche qui exclue et racialise le peuple. Ces limites s’enracinent dans l’histoire coloniale et impériale des États-nations modernes européens, dans la colonialité constitutive de la notion politico-culturelle du peuple produite disséminée dans les institutions, et dans le tissu colonial de leurs principales technologies du pouvoir et de l’assujettissement.

La crise de l’antiracisme européen

En Italie, la crise a activé une politisation du racisme suivie d’une racialisation de la sphère politique et des questions sociales. Néanmoins, il apparaît évident que les pratiques et les politiques antiracistes, même celles qui semblent être les plus radicales, sont dans une impasse. Et cela malgré les mobilisations métropolitaines antiracistes importantes (comme celle de Macerata, Florence, Milan et Rome) et les luttes des migrants pour revendiquer divers droits sociaux (logement, travail, nationalité, etc.) qui ont eu lieu au cours de deniers mois.

C’est une constatation essentielle sur laquelle il faut réfléchir. Et, encore une fois, l’Italie peut constituer un point d’observation paradigmatique : l’analyse sur

14 Racisme, antiracisme et migrations les limites de l’antiracisme italien peut être élargie à d’autres contextes discur- sifs antiracistes européens. Il me semble que dans ses expressions dominantes, l’antiracisme italien continue à se présenter sous des formes « éthico-morales » plutôt que politiques. Ce que je veux souligner c’est que l’antiracisme dominant n’est pas en mesure de se reformuler dans une conjoncture politique inédite s’il n’arrive pas à dépasser une vision critique de l’antiracisme de type « idéologico- culturel » (Fassin, 2017 ; Fassin et Fassin, 2012). Les conditions de vie de presque 6 millions d’immigrés résidant en Italie avec un permis de séjour régulier et l’expérience vécue par les secondes et les troisièmes générations révèlent l’exis- tence d’une « racialisation » croissante aux niveaux économique et social. Or, l’antiracisme italien continue de lutter contre le racisme comme s’il dépendait exclusivement d’une sorte d’« identitarisme culturel », c’est-à-dire d’une simple manipulation idéologique centrée sur un ensemble de représentations fausses, reliées à la discrimination, aux stigmatisations et à l’infériorisation.

En Italie, l’antiracisme est évoqué comme un moyen fondamental pour la recomposition politique seulement lorsque l’on veut distinguer les discours et les pratiques racistes des mouvements ouvertement xénophobes. L’antiracisme est ainsi mobilisé d’une manière autoréférentielle rapporté à un universalisme abstrait républicain et tant celui de gauche que de droite est incapable de rendre visible dans la sphère publique le fait que le racisme est un phénomène « historique » et « structurel » des sociétés européennes. Un des acquis épisté- mologiques les plus importants des études consacrées au racisme – des études classiques comme celles de Du Bois (1935), Fanon (1956) jusqu’aux plus récentes comme Hall (2015), Gilroy (1987), Roediger (2010), Goldberg (2015) et Taylor (2016) – est qu’il ne constitue pas un phénomène monolithique et identique partout. Il se métamorphose constamment et est remodelé selon les contextes géohistoriques et les luttes antiracistes. Néanmoins, l’analyse de l’antiracisme dominante en Italie se réfère toujours à des textes des années 1980 et 1990, comme ceux de Taguieff (1988) et Wievorka (1991) ou encore à Race, nation et classe de Balibar et Wallerstein (1988)5. Ces ouvrages ont eu le mérite de souligner l’importance du « racisme différentialiste » ou du « néo-racisme » promu par ceux qui à cette époque constituaient les mouvements s’opposant aux politiques migratoires européennes, parmi lesquels la Ligue lombarde qui est actuellement au gouvernement.

Toutefois, une des limites de ce modèle interprétatif est d’adopter l’anti- sémitisme nazi comme idéaltype du racisme moderne. Comme le souligne Balibar (2007), le migrant est le nom de la race, mais cette affirmation, certes importante, risque de réduire le racisme contemporain à un acte symbolique discriminatoire exercé à l’encontre de certains groupes. Cette posture produit une invisibilisation de la dimension historique et matérielle du phénomène, qui est articulée sur des dispositifs hiérarchisant (la racialisation) tous les citoyens, et de la colonialité, c’est-à-dire des conséquences du colonialisme sur la longue durée, conséquence du rapport historique de l’Europe avec les autres colonisés. Si nous voulons parler de racialisation, il faut considérer qu’elle ne peut pas être vue comme étant fausse et subjective, rapportée aux seules représentations privées ou à la simple sphère du « travail migrant ». Il s’agit d’un phénomène

5 Ce texte est sûrement plus complexe et articulé, mais il est établi sur des limites et des réductionnismes typiques du « marxisme blanc » pour affronter la question du racisme.

15 Miguel Mellino

qui traverse toute la population et dont les effets se matérialisent dans les différentes formations sociales à travers la distribution des hiérarchies et des privilèges.

De mon point de vue, la racialisation ne concerne donc pas qu’une partie de la société, les autres racisés. Ce phénomène permet de comprendre les effets matériels de l’intersection du capital avec les discours occidentaux produits sur la race, tant sur les espaces et les structures que sur les corps et les subjectivités. De conséquence, pour l’analyser il est nécessaire de considérer l’effet que la racialisation engendre sur le tissu social par une multiplicité de discours et de pratiques, institutionnels ou non, orientant la construction et la représentation hiérarchiques des différences (« physiques » et « culturels », « réelles » et « imagi- naires ») entre les groupes et les sujets ainsi que la manière de discipliner les rapports matériaux et intersubjectifs. En d’autres termes, le concept de raciali- sation, saturé de l’héritage colonial et impérial de la notion de « race », semble plus apte que d’autres concepts plus neutres (par exemple celui d’ethnicisation) pour décrire en mode efficace les processus d’essentialisation, infériorisation et ségrégation économique et culturelle, qui traduisent la violence matérielle et symbolique à laquelle sont actuellement soumis dans l’espace italien et européen les sujets appartenant à certains groupes (Mellino, 2012).

Le problème est qu’au niveau théorique l’analyse du racisme continue à se référer à la tradition du marxisme blanc européen sans utiliser l’enseignement de la tradition certainement plus riche et articulée des Black Studies et de la pensée radicale afro-américaine et afro-caribéenne (Gilroy, 1987 ; Mbembe, 2003 ; Roediger, 2010 ; Taylor, 2016). Ce n’est pas un hasard si en Italie des expres- sions comme « racisme structurel », « racisme institutionnel » ou « ségrégation sociale » ne sont pas utilisées et elles ne sont pas placées au cœur du débat antiraciste dominant. Celui-ci reste centré sur le principe de la solidarité et de l’identification politique (souvent paternaliste et victimisant) avec la cause des groupes et des sujets racisés plutôt que sur une pratique interprétative permet- tant la compréhension de la composition symbolique et matérielle des forma- tions sociales contemporaines. C’est une faiblesse théorique doublement para- doxale. Tandis que le racisme se montre comme un dispositif de plus en plus au centre des processus de hiérarchisation constitutifs du néo-libéralisme, l’antira- cisme – tout comme la gestion de la « crise migratoire » – apparaît comme un élément « accessoire » (Fanon, 1956) ou pour ainsi dire « externe » au programme politique et théorique porté par des sujets politiques non racistes. De plus, le débat critique sur les migrations est dominé par des paroles clefs comme « frontières », « intégration », « réfugiés » (Marchetti et Pinelli, 2016 ; Campesi, 2015 ; Mezzadra et Neilson, 2014) laissant un espace contingent et résiduel à la réflexion sur le rôle du racisme et de l’antiracisme dans l’actuelle construction tant de l’Italie que de l’Europe.

De ce fait, l’antiracisme non seulement arrive toujours en dernier dans le débat, mais il est souvent confiné au « sous-sol » de la lutte politique, dans un espace marginal et destiné à reconquérir une centralité temporaire – surtout de type morale – lorsque le cycle de violence réexplose dans des actes ou des discours. Et pour autant, une bonne partie des populations européennes (migrantes, post-migrantes, secondes générations, réfugiées, etc.) vit le racisme au quotidien comme un des dispositifs primaires de leur prolétarisation,

16 Racisme, antiracisme et migrations d’inclusion différentielle et d’exclusion. Autrement dit, pour la majorité des Européens il est plutôt clair qu’en Europe la « production de la population » est historiquement articulé avec un dispositif racialisant de gouvernance qui prend ses origines dans le passé colonial et dans l’entremêlement entre capitalisme et colonialisme. Toutefois, en Europe on n’arrive pas à le concevoir comme étant quelque chose qui structure tant les conditions matérielles de la vie que les identités culturelles. C’est à partir de ces dernières considérations qu’il est nécessaire de repenser notre antiracisme pour l’avenir.

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19

REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 21-28

Éditorial Coexistence, imbrication et superposition des flux migratoires italiens Paola Corti1 et Adelina Miranda2

Au moment où l’Italie apparait de plus en plus présente sur le devant de la scène internationale en raison des politiques de refoulement des étrangers aux frontières nationales mises en acte par ses gouvernements successifs, ce dossier de la REMI propose d’opérer un retour critique sur l’histoire migratoire de ce pays. Nous partons du constat que les migrations sont devenues un sujet éminemment politique dans l’espace italien. L’arrivée des personnes qui traversent la Méditerranée est accompagnée par l’élaboration de différentes rhétoriques. Comme le montrent les discours de deux sujets collectifs opérant dans l’espace politico-médiatique italien – les églises chrétiennes et la Ligue du Nord –, la légitimité ou l’illégitimité de la présence des migrants oscillent désormais entre deux pôles : l’universalité de l’être humain et le rejet xénophobe et raciste (Miranda, 2018). En tout cas, la mise en visibilité du phénomène utilise une succession d’évènements dramatiques qui ont mis au centre de l’attention médiatique et politique certains lieux, comme l’île de Lampedusa qui a été proposée pour le prix de la paix et qui a fait l’objet de nombreux films ou docu- mentaires comme Fuocammare, de Gianfranco Rosi, primé à Berlin en 2016.

Dans ce contexte, l’adoption d’un regard distancié est essentielle pour relati- viser les analyses actuelles qui parfois dissimulent la complexité du phénomène. Cette posture tient compte du fait que les savoirs produits par l’ « ne sont plus les seuls à parler des cultures et à les écrire » (Saillant, Kilani et Graezer Bideau, 2011 : 13). L’émergence de nouveaux lieux du savoir questionnent les conditions historiques, économiques et culturelles qui orientent la pensée occidentale et contribuent à la construction d’une géopolitique de la connais- sance qui redéfinit les centres et les périphéries à l’intérieur d’un espace épisté- mique mondialisé (Mignolo, 2001). Afin d’observer les dynamiques migratoires produites « par le centre, depuis le centre », nous nous inspirons de cette position en la conjuguant avec la tradition épistémologique de De Martino (2002). Pour

1 Historienne, Professeure, Université de Turin, Département de philosophie et de sciences de l’éducation, Via S. Ottavio 20, 10124 Turin, Italie ; [email protected] 2 Anthropologue, Professeure, MIGRINTER, Université de Poitiers/CNRS, MSHS, Bât. A5, 5 rue Théodore Lefebvre, TSA 21103, 86073 Poitiers cedex 9 ; [email protected]

21 Paola Corti et Adelina Miranda

cet anthropologue italien, l’exercice d’un « ethnocentrisme critique » constitue une prise de conscience des limites des catégories et des outils intellectuels utilisés par le monde occidental afin d’appréhender les possibilités historiques de l’être humain. La prise de conscience de ces limites nous invite à expéri- menter des nouvelles approches, pistes et méthodologies de recherche.

Appliquée à l’étude des migrations italiennes, cette perspective débouche sur plusieurs considérations critiques. Les analyses des configurations migra- toires italiennes exhortent les chercheur·e·s à développer de nouveaux outils interprétatifs aptes à examiner des phénomènes qui contredisent l’élaboration des cadres interprétatifs cohérents et linéaires (Fabian, 2000). Dans cet éditorial nous retiendrons deux thématiques : la première est relative à la coexistence de différentes formes migratoires et la deuxième rappelle les enjeux de la caté- gorisation des migrant·e·s. Elles nous permettront d’argumenter que l’Italie, de par sa longue histoire migratoire, se présente comme un cas paradigmatique, une sorte de laboratoire qui démontre l’insuffisance des paradigmes migratoires « classiques ».

Les différentes formes migratoires

Avec l’arrivée des étrangers en Italie, nous avons assisté à un renouvèlement de la recherche sur les migrations qui était jusque-là centrée sur l’émigration. Le rôle exercé par les médias et la perception de l’immigration de la part de la population ont constitué un levier qui a ouvert le débat sur l’immigration, mais aussi sur l’émigration, comme le montrent les succès littéraires des histoires, récits et romans publiés sur ce thème (Colucci, 2007 ; Sanfilippo, 2015), ainsi que la création de nombreux musées municipaux, régionaux et nationaux tel que le Museo Nazionale dell’Emigrazione Italiana3. L’adoption de nouvelles approches théorique et méthodologique (Gozzini, 2005 ; Corti et Sanfilippo, 2009 ; Bonifazi, 2013) a permis aux études sur l’émigration de sortir du cadre académique dans lequel ces recherches ont été longtemps cantonnées. En effet, en raison de l’amnésie réitérée de la classe politique italienne, les recherches sur les migrations n’avaient jusque-là trouvé leur place ni dans l’histoire nationale ni dans la mémoire collective (Martellini, 2003 ; Corti, 2005 et 2013 ; Sanfilippo, 2015). Ce regain d’intérêt a engendré un foisonnement d’études. La publication d’un volume entièrement dédié aux migrations dans la Storia d’Italia a contribué à la reconnaissance du fait que l’émigration est, avec l’Unité de l’Italie, un des phénomènes les plus marquants de l’histoire du pays (Corti et Sanfilippo, 2009). Ces travaux ont également permis de mieux saisir le rôle que les migrations italiennes ont joué, l’importance profonde qu’elles recouvrent encore dans le contexte européen et méditerranéen, et le fait qu’elles aient ouvert une série d’interrogations critiques quant aux théories reposant sur une vision évolution- niste des migrations dans les migrations studies.

3 Ce musée est actuellement fermé en attendant une nouvelle collocation. Il est situé dans le Vittoriano (monument dédié à Victor Emmanuel, premier roi d'Italie, à Rome), devenu le lieu-symbole au niveau national de cette histoire (Lombardi et Prencipe, 2009 ; Tirabassi, 2009).

22 Éditorial

Les textes présentés ici se situent dans ce sillon et ils confirment que l’his- toire des migrations italiennes est plurielle, agencée autour de la coexistence de formes migratoires différentes. Pendant très longtemps l’Italie a été consi- dérée comme n’étant qu’un pays d’émigration qui après l’achèvement d’un cycle d’exode massif se serait transformé en pays d’immigration. Or, le cadre migratoire italien a été, et continu à être stratifié comme le met en évidence l’article de Matteo Sanfilippo. Cet auteur reconstruit l’histoire de la mobilité depuis l’Unité du pays jusqu’à nos jours et, comme dans les travaux réalisés à la fin du XXe siècle, il montre que l’entrecroisement entre différentes formes de mobilité – émigration et immigration, mobilités internes, circulations des émigrés entre différents pays – n’est pas inédit. Aujourd’hui comme hier, les Italiens continuent à partir à l’étranger (Tirabassi et Del Prà, 2014 ; Sanfilippo et Vignali, 2017) et, en même temps, tout comme les immigrés, ils sont pris dans un mouvement intense à l’intérieur de l’Italie.

Michele Colucci et Stefano Gallo resituent dans leur article les continuités existant entre les migrations internationales et internes en montrant leurs variabilités selon les périodes historiques et les acteurs impliqués. La note de recherche d’Anna Badino complète ce panorama en proposant une comparaison entre la mobilité depuis le Sud vers le Nord de l’Italie et l’immigration des Italiens à Marseille. Ces contributions permettent d’opérer deux observations. La première est que la réorganisation des relations sociales dans les sociétés d’arrivée suit les mêmes logiques tant à l’étranger qu’au nord de l’Italie. La deuxième est la place comparable que ces dynamiques migratoires occupent aussi dans les histoires migratoires de l’Espagne, de la Grèce et du Portugal. Les analyses consacrées à l’Italie confirment que les migrations sont un trait consubstantiel des sociétés du pourtour de la Méditerranée et la nécessité d’observer les différentes facettes de ce phénomène afin d’en restituer les évolu- tions et les permanences en tenant compte de la politisation de la thématique (Miranda, 2008a ; Schmoll, Thiollet et Wihtol de Wenden, 2015). Celle-ci n’est pas un fait nouveau comme le souligne la mise en perspective des contributions d’Augusta Molinari, d’Elena Ambrosetti et Angela Paparusso. Augusta Molinari revient sur le départ de navires chargés de migrants italiens qui se dirigeaient vers les Amériques. Elle nous rappelle à quel point cette image, symbole par excellence des émigrations, nous renvoie à des formes de violence qui, aujourd’hui comme hier, sont la conséquence des politiques migratoires et que le voyage en mer est une expérience en soi qui structure le devenir de chaque migrant. Toutefois, comme le remarquent Elena Ambrosetti et Angela Paparusso, la traversée de la Méditerranée est de plus en plus liée à la distinction entre les demandeurs d’asile et les immigrants économiques, et à une gestion des faits migratoires qui considère les migrations comme un problème sécuritaire.

Les recherches présentées dans ce dossier démontrent l’intérêt heuristique à varier la focale du regard historique sur les faits migratoires, mais également sur les diverses échelles spatio-politiques – locales, régionales, nationales et internationales –, tout en s’appropriant le niveau subjectif. Comme le met en exergue l’étude de Selenia Marabello et Bruno Riccio sur les migrants arrivés du Sénégal et du Ghana dans la région émilienne, l’analyse du vécu biographique est un support analytique indispensable afin d’appréhender l’articulation des processus économiques et politiques, comme l’ont démontré les théories des réseaux et du transnationalisme (Collinson, 1993 ; Tarrius, 1993 ; Miranda, 1996 ;

23 Paola Corti et Adelina Miranda

Sassen, 1996 ; Vertovec, 2009). Cette approche qui s’appuie sur la combinaison des échelles géographique et historique invite à repenser les modèles interpré- tatifs, comme le montre le cas des Italiens en France.

L’actuel regain d’intérêt pour l’histoire de ce courant migratoire est relié à différents facteurs. En premier lieu, il faut considérer la présence croissante de la nouvelle mobilité italienne qui, de par ses caractéristiques socioculturelles, peut être considérée comme représentative du panorama plus large des migrations intra-européennes contemporaines (Sirna, 2005 ; Fassio, 2014 ; Mourlane, 2017 ; Pfisch et Schmoll, 2017). En deuxième lieu, il faut tenir compte de la diffusion d’initiatives publiques qui traduisent les changements de la perception de l’immigration en provenance de la péninsule auprès des différentes générations d’Italiens en France (Ghidina et Violle, 2014). La récupération d’une mémoire collective de la part des nouvelles générations se concrétise sous la forme de différentes initiatives locales et rencontres culturelles (Teulière, 2002 ; Mourlane, 2017) qui contribuent à déplacer l’intérêt du champ d’études de l’histoire vers le vécu (Teulières, 2011 ; Gastaut, 2012 ; Mourlane, 2015 ; Felici, 2017) et vers l’art (Guibal et Cogne, 2011 ; Mourlane et Regnard, 2013)4. En troisième lieu, en raison de sa longue durée et de son impact sur les réalités économique et culturelle françaises, ce courant migratoire peut être considéré comme « une sorte de résumé de l’histoire de l’immigration en France avec tous les aléas qu’elle réserve : des manifestations racistes, l’intolérance religieuse ou bien des apports artistiques, culturels et gastronomiques qui ont enrichi le quotidien des Français » (Stora, 2017 : 9).

Les recherches confirment donc que les parcours des migrants italiens en France ont été et continuent à être moins linéaires que le modèle prôné par les vulgates assimilationnistes. Par conséquent, l’analyse de ce cas est heuristique afin de lire d’autres expériences migratoires et d’encourager des recherches ayant une visée comparative. De surcroît, ce cas conduit à deux questionne- ments. Si au niveau subjectif les chercheurs ont réussi à étudier l’émigration et l’immigration comme conjointement engendrées (Sayad, 1991), pourquoi alors continuent-ils à analyser d’une manière disjointe les diverses formes de migrations ? Le manque d’attention aux formes de coexistence, de superposi- tions et d’enchevêtrements des différentes formes de migrations (qu’elles soient dérivées de l’esclavage, du colonialisme, de l’urbanisation ou de l’industrialisa- tion) contribue-t-il à une sorte de hiérarchisation des formes migratoires et à la naturalisation des différences ?

Les enjeux de la catégorisation des migrant·e·s

La remise en cause de la césure entre émigration et immigration italiennes interroge les catégories utilisées afin d’étudier les deux phénomènes. L’adoption d’une approche historicisée comparative restitue la variabilité de ces catégories ainsi que les continuités et les discontinuités qui définissent leurs limites. Un rappel permet d’éclaircir la difficulté de la question : en Italie, le mot « émigré »

4 Par exemple en 2017, l’exposition Ciao Italia!, au Musée de l’Immigration de Paris (Mourlane et Païni, 2017), a été accompagnée de la conférence connexe, L’Italie pour bagage (juin 2017).

24 Éditorial a été utilisé pour définir tant les migrants internes qu’internationaux. Lors de la première grande enquête réalisée au cours des années 1960 dans les quartiers périphériques de Milan et Turin, Alasia et Montaldi (1960) ont décrit les condi- tions de vie des émigrés vivant dans les « Corées »5. Ces auteurs nous ont livré une description qui aujourd’hui peut paraître étonnante : parmi ces Italiens nombreux étaient des « clandestins »6, travaillant notamment dans le secteur de la construction, où ils étaient exploités par les entrepreneurs locaux. C’est la même image restituée par les nombreux travaux sur les Italiens qui avaient traversé les frontières nationales. De leur côté, les Italiens installés à l’étranger ont bataillé pour que le COEMIT (Comitato dell’Emigrazione Italiana institué en 1985) soit renommé en COMITES (Comitato degli Italiani all’Estero) revendi- quant ainsi leur mise en distance de la figure de l’émigré.

D’une manière plus générale, le cas italien met en évidence qu’aujourd’hui les concepts de migrant et de migration ont connu une sorte de banalisation qui semble invalider leur valeur scientifique, d’autant plus qu’ils ont été absorbés par la sphère politique. Les Italiens, qui ont pris conscience tardivement de l’importance de l’immigration, ont réagi par le déni ou la dramatisation, mais surtout en produisant une rupture du lien entre l’immigration et l’émigration. Ce processus est d’autant plus intéressant qu’il permet de souligner comment les migrations sont utilisées dans l’élaboration des processus d’identité et d’altéri- sation. En effet, les analyses scientifiques montrent que les figures de l’immigré et de l’émigré sont imbriquées, mais cet enchevêtrement ne doit pas cacher le fait que dans le sens commun la figure de l’immigré n’est pas le miroir de celle de l’émigré. Se considérer comme appartenant à un pays d’émigration n’est pas la même chose que se considérer comme appartenant à un pays d’immigration ; les échelles de valeurs, les représentations, les jugements qui accompagnent les deux catégories ne coïncident pas.

L’introduction dans les études sur les migrations du prisme des rapports sociaux confirme que les figures des émigrés et des immigrés incarnent différemment les processus de subalternité et de domination. La revisita- tion à travers la perspective du genre du cas des « ensablés » proposée par Fabienne Le Houérou montre comment les transgressions sexuelles commises par les Italiens reposaient sur une idéologie fasciste qui, louant la supériorité de l’homme blanc, a encouragé les fantasmes de domination des colons. De son côté, l’article d’Adelina Miranda donne à voir des continuités inattendues : les frontières sémantiques élaborées entre les Italien·ne·s et les immigré·e·s évoquent de plus en plus l’imbrication genre/race à partir de l’image du migrant homme/noir/sans-travail.

Les contributions présentées montrent que pour la compréhension de la variabilité des configurations migratoires et les articulations hiérarchisantes entre les différentes figures migrantes il est nécessaire d’opérer une contex-

5 Les « Corées » étaient les bidonvilles dans lesquels étaient installés les émigrés italiens ; ces lieux rappelaient les images de villes détruites lors de la guerre en Corée. 6 Ces émigrés de l’intérieur étaient dans la plupart des cas des « clandestins », puisque la loi fasciste, qui défendait à toute personne n’ayant pas un travail régulier et déclaré de changer de domicile, étant encore valable. De ce fait, les émigrés internes à l’Italie ne pouvaient pas avoir un domicile sans un travail régulier, mais ils ne pouvaient pas avoir de travail régulier sans avoir préalablement un domicile.

25 Paola Corti et Adelina Miranda

tualisation des mouvements de population dans l’espace et dans le temps. De plus, elles remettent en cause nos pratiques épistémologiques : pouvons- nous continuer à recourir à un terme unique pour étudier des situations qui se dévoilent comme étant de plus en plus dissemblables ? Une mise en pers- pective des textes proposés dans ce numéro attire l’attention sur le fait que les concepts de migrants et de migrations semblent de moins en moins théorique- ment et méthodologiquement efficaces. À la lecture des contributions, nous constatons qu’une déclinaison des concepts de migrants s’est imposée dans les discours scientifiques : « nouveaux » et « anciens » migrants ; « clandestins », « irréguliers » et « sans papiers » ; migrants qualifiés et expatriés ; réfugiés politiques, demandeurs d’asile ; travailleurs établis et travailleurs saisonniers, etc. La multiplication des typologies fait référence à des catégories statistiques qui ordonnent les migrant·e·s à partir de leurs motivations et des modalités de départ et d’arrivée, mais également aux cadres juridiques, politiques et ordinaires. Leur usage nous rappelle que les limites entre ces catégories sont réversibles et instables, que les causes et les motivations s’enchevêtrement dans les parcours des migrant·e·s, parfois s’accordant, mais parfois rentrant en contradiction avec les politiques migratoires.

Les études sur le cas italien que nous avons présentées dans ce dossier suggèrent, dans le sillon des migrations studies, d’un côté qu’il s’agit de dépasser la distinction entre migrants et non migrants et, d’un autre côté, qu’il n’est pas possible de définir les champs migratoires à l’intérieur desquels se déplacent anciens et nouveaux protagonistes à travers la simple analyse des trajectoires territoriales. De même, il n’est plus concevable d’utiliser des catégo- ries qui reflètent sur le plan sémantique des typologies utilisées par un discours politique qui les instrumentalisent.

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28 REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 29-52

Les migrations italiennes : un aperçu statistique sur la longue durée Matteo Sanfilippo1

Entre 1818 et 1834, le journaliste et polygraphe Davide Bertolotti (Ponte, 1967) édite dans la revue Il Raccoglitore (Le Collecteur), dont il est propriétaire et fondateur, des récits de voyage écrits par des voyageurs français et britanniques, ainsi que des œuvres, en italien, de voyageurs originaires de la Péninsule. En 1822, il publie Peregrinazioni (Pérégrinations), un ouvrage consacré aux voyages qu’il a effectués, mais aussi inventés dans les terres du Piémont et au-delà. Les deux premiers textes de ce volume relatent le voyage imaginaire à Buenos Aires de Vittorio, fils d’un hôtelier de Cadix en Espagne, et originaire d’un village du Piémont, situé au bord du lac d’Orta. L’auteur expose les raisons du départ de son personnage. Le récit de Bertolotti est très mélodramatique et mal structuré d’un point de vue littéraire. Toutefois, à travers cet ouvrage, l’auteur reconstruit l’émigration et notamment les rapports reliant Orta à Cadix et à Buenos Aires et présente le réseau migratoire qui s’est constitué entre l’Italie, l’Espagne et l’Amérique latine.

Selon Bertolotti (1822 : 3-50), au XVIIIe siècle, les riverains des lacs situés entre le Piémont oriental et la Lombardie abandonnent leurs lieux de naissance, jugés très beaux, mais pas suffisamment riches. Les migrants cherchent du travail ailleurs et s’enrichissent souvent à Milan ou en Espagne, suivant une tradition qui remonte à la période durant laquelle le Duché de Milan était espagnol (1535-1714). Parmi ces migrants, nombreux sont ceux qui ouvrent des hôtels à Madrid, Barcelone et Cadix tout en conservant des liens avec leur lieu d’origine. Après son mariage à Buenos Aires, Vittorio ainsi rentre à Cadix avec son épouse et se rend ensuite en Italie pour lui faire visiter son village paternel.

Dans la première partie de l'histoire, Bertolotti narre l’aventure de Vittorio : son père l’envoie étudier à Salamanque où il s’initie au commerce international, puis il part pour Buenos Aires. Il y exerce le commerce de peaux comme d’autres produits américains, suivant en cela les conseils de son père pour qui les révolu- tions latino-américaines sont en train d’ouvrir le trafic commercial avec l’Europe.

1 Historien, Professeur d’Histoire moderne à l’Université de Tuscia et Directeur de la Fondation Centro Studi Emigrazione, 4 rue S. Maria in Gradi, 01100 Viterbe, Italie ; [email protected]

29 Matteo Sanfilippo

Avec Peregrinazioni, Bertolotti écrit une des premières « micro-histoires »2 sur la migration transnationale et transatlantique que nous connaissons. Ce récit s’accorde avec les documents conservés aux archives d’État de Turin (Archivio di Stato di Torino) et avec les analyses économiques (Gioia, 1804 : 29-32 ; Corti, 2000 ; Audenino, 2007). La documentation des archives turinoises confirme qu’entre le XVIIIe et le XIXe siècle les Piémontais en Espagne sont employés dans l’hôtellerie et dans d’autres activités commerciales. En outre, comme le suggère Bertolotti, au début du XIXe siècle, les Italiens connaissent bien les réseaux migratoires commerciaux nationaux et internationaux, tant européens que transatlantiques. D’ailleurs, comme dans le cas de Vittorio, ceux que nous considérons aujourd’hui comme des réseaux nationaux à l’époque étaient internationaux ; la région du lac d’Orta était reliée au royaume de Savoie, même avant d’en faire officiellement partie en 1817, tandis que, dès 1714, la région de Milan était intégrée dans l’empire austro-hongrois.

Les pages écrites par Bertolotti nous montrent en outre que, lorsque la Péninsule est partagée entre plusieurs puissances européennes, elle est traversée par des flux migratoires internationaux tant en entrée qu’en sortie. Ces courants migratoires relient entre eux les petits états italiens – communaux pendant le Bas Moyen Âge, régionaux à l’Époque moderne – ainsi que le territoire de la Péninsule aux royaumes continentaux et à leurs colonies tran- satlantiques. Ces flux au départ de l’Italie sont de nature hétérogène. Les exils politique et religieux, les guerres et les famines, mais aussi la tradition séculaire des métiers itinérants et marchands, les catastrophes climatiques et les fluctua- tions cycliques de l’économie italienne alimentent, à partir de du Bas Moyen Âge, les migrations à l’intérieur de la Péninsule, celles qui sont transalpines et, au début du XIXe siècle, les migrations transatlantiques (Pizzorusso, 2007).

Pour saisir la nature des flux migratoires enregistrés par la statistique italienne à partir des années 18703, nous devons garder à l’esprit cette longue histoire migratoire. Après la création du royaume d’Italie en 1861, les modalités migratoires à l’intérieur et à l’extérieur du pays ne changent pas. Comme depuis le Bas Moyen Âge, les mobilités italiennes externes interagissent pendant la deuxième moitié du XIXe siècle avec les flux migratoires qui arrivent en Italie, se combinant entre eux ou bien alimentant la mobilité à l’intérieur de la Péninsule, notamment lorsqu’ils constituent une des étapes des migrations multiples (Corti et Sanfilippo, 2012 ; Sanfilippo, 2016).

Une tradition migratoire d’Ancien régime

Du XIVe au début du XIXe siècle, plusieurs régions italiennes ont engendré des migrations régulières et répétées qui ont perduré quasiment jusqu’à nos jours (Corti, 2003). Il suffit de penser aux mouvements vers les vallées françaises et suisses depuis l’arc alpin (Albera et Corti, 2000) et à la mobilité agricole et pastorale du Sud de l’Italie centrale (Russo et Salvemini, 2007). Dans certains cantons, surtout le Nord de la Péninsule, ces déplacements ont été accompagnés

2 Pour le concept de « micro-histoire », voir Revel (1996). 3 Voir Statistica Generale del Regno d’Italia (1874 et 1884). Avant 1874, nous n’avons pas de données exception faite pour quelques années et pour quelques villes.

30 Les migrations italiennes par des pratiques séculaires (par exemple, le colportage) et ils ont transformés de manière significative la mentalité des individus et les conditions démo- graphiques et économiques des familles. Dans les faits, celles-ci ont fini pour considérer la migration comme une stratégie habituelle et la seule manière pour s’assurer des ressources financières (Lorenzetti et Merzario, 2005). L’analyse approfondie de ces expériences met en évidence des constantes historiques qui demeurent inchangées depuis le Bas Moyen Âge par des pratiques migra- toires trans-périodes qui s’achèvent avec la Première Guerre mondiale, mais qui depuis les zones de montagne, se prolongent jusqu’à nos jours (Viazzo, 2016).

Selon Pizzorusso (2001 et 2009), pour comprendre cette tradition migratoire, il faut prendre en compte quatre facteurs. En premier lieu, il est important d’étudier les périples des saisonniers depuis les montagnes vers les plaines italiennes et européennes. En deuxième lieu, il faut considérer les mouvements de la main-d’œuvre spécialisée se déplaçant à l’intérieur et à l’extérieur de la Péninsule, même si cette migration est parfois liée à des secteurs peu qualifiés du marché du travail. En troisième lieu, nous pouvons constater que la nécessité de migrer ne semble pas traumatiser ceux qui partent, même dans les cas les plus dramatiques liés à des raisons politique (comme dans le cas des expulsions opérées par les Communes au cours du Moyen Âge) ou religieuse (par exemple, les déplacements des vaudois, des protestants et des juifs). En quatrième lieu enfin, nous ne devons pas oublier que les départs et les retours s’appuient sur des réseaux bien établis et que, à quelques exceptions près, l’émigration italienne qui a eu lieu sous l’Ancien régime n’est pas un phénomène individuel. Bien au contraire, le départ est le plus souvent décidé au sein de la famille qui actionne les rapports de parenté et de voisinage et mobilise les ressources économiques disponibles. C’est précisément en raison de ce lien avec le cycle de vie familiale que chaque migrant prévoit un retour et que les plus âgés sont remplacés par les plus jeunes.

Ces dynamiques agissent jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, quand certaines nouveautés voient le jour, dont notamment l’augmentation des migrations défi- nitives ; en effet, l’accroissement démographique de la Péninsule ne correspond pas à la croissance économique. Au début du XIXe siècle, au Nord comme au Sud de l’Italie, les migrations définitives remplacent les migrations temporaires et les migrations de longue durée remplacent les migrations saisonnières ; les départs définitifs dépassent les retours et il est plus difficile de maintenir un équilibre entre les zones de départ et les zones d’arrivée. En outre, les itinéraires s’allongent et deviennent plus complexes. Des migrants partent en Russie ou aux Amériques par étapes géographiques et/ou générationnelles, comme le montre le cas de Vittorio et de son père : celui-ci arrive en Espagne et son fils part en Amérique latine. De nouveaux métiers se développent et certains travailleurs itinérants, qui auparavant s’adonnaient au colportage, voire à la mendicité, se spécialisent dans des secteurs qui deviennent des niches économiques liées aux migrations italiennes : le divertissement, la restauration et l’hôtellerie (Porcella, 2001). Les changements de la première moitié du XIXe siècle

Une autre période politique qui va déterminer les changements des flux migratoires italiens internes et externes à la Péninsule se situe entre la Révolution française et l’occupation napoléonienne (Corsini, 1969 et 1993 ; Sanfilippo, 2008).

31 Matteo Sanfilippo

En Italie, les différentes phases de la domination française génèrent un nombre important d’exilés politiques qui s’installent en France inaugurant ainsi la tradition de la politique du bannissement d’Italie qui se poursuit pendant tout le Risorgimento (durant de la seconde moitié du XIXe siècle). Cet exil politique a aussi pu se prolonger vers les Amériques, rejoignant les flux migratoires écono- miques et suivant leurs dynamiques (Isabella, 2014).

De même, pendant cette période, les préfets de Napoléon encouragent les travaux publics en Italie du Nord, ce qui attire les travailleurs d’autres régions et renverse alors un modèle migratoire qui traditionnellement avait incité les habitants du Nord de la Péninsule à se déplacer vers le Sud. Une fois les travaux terminés, cette main-d’œuvre se déverse dans les pays de l’Europe centrale et occidentale ou continue à circuler dans les régions du Nord de l’Italie. À cette interaction entre migrations économique et politique, s’ajoute, avec la fin des guerres napoléoniennes, le fait que l’armée française en déroute se disperse provoquant des vagues migratoires touchant également l’Italie : ces anciens soldats cherchent un nouvel emploi et explorent plusieurs destinations migra- toires, comme l’Afrique ou les pays transatlantiques.

Au milieu du XIXe siècle, les migrations transatlantiques acquièrent de plus en plus d’importance et entrainent l’essor des ports reliant l’Italie au continent américain. Vers 1850, la ville de Gênes représente le principal carrefour migratoire transatlantique et européen (on part de cette ville pour se rendre à Marseille ou en Angleterre) et assure les communications avec un arrière-pays très vaste incluant le triangle des Apennins (situé entre la Ligurie, l’Émilie et la Toscane), mais aussi les campagnes piémontaises et lombardes (Surdich, 2005). Toutefois, les Italiens ne partent pas seulement de Gênes ; après y avoir travaillé pendant un certain temps, ils partent depuis d’autres pays européens (la France, la Belgique ou l’Angleterre) pour traverser l’océan Atlantique (de l’Espagne vers l’Amérique latine, de l’Angleterre vers les États-Unis ou le Canada). Avant l’unité politique de l’Italie, des travailleurs spécialisés dans des secteurs variés parcourent ainsi l’Europe et du pays dans lequel ils résident, se rendent ensuite aux Amériques (Porcella, 2001). Au milieu du XIXe siècle, les migrants de Biella (Piémont) se rendent d’abord en France et, de là, en Espagne, puis ensuite se dirigent vers les pays du Nouveau Monde (comme le montre le parcours du père de Vittorio dans le texte de Bertolotti) sans omettre d’également explorer la possibilité d’aller travailler aux États-Unis (Castronovo, 1986-1997). Un autre exemple encore, depuis le royaume des Deux-Siciles, des musiciens, des conteurs et des jongleurs circulent dans toute l’Europe, de Moscou à Madrid, pour ensuite traverser l’Océan (Cappelli, 2015). Nous ignorons les modalités exactes de ces déplacements ainsi que les raisons précises qui ont poussé des milliers des personnes à franchir l’Atlantique, mais il faut garder à l’esprit qu’à partir de la première moitié du XIXe siècle les journaux et les magazines propagent le mythe du continent américain comme terre d’avenir et de richesse (Rosoli, 1990 ; Albonico et Rosoli, 1994). Nombreuses sont alors les personnes qui commencent à préférer les terres lointaines des Amériques, dans l’espoir d’obtenir un succès improbable sur le Vieux Continent (Sanfilippo, 2008) et, dès la moitié du XIXe siècle, les pays des destinations transatlantiques entrent dans la tradition migratoire italienne en attirant des personnes qui exercent des métiers (surtout spécialisés) et en provenance de régions septentrionales (notamment la Lombardie et le Piémont) (Audenino, 1990).

32 Les migrations italiennes

La relation entre les flux de nature politique et de nature économique devient plus évidente pendant le Risorgimento : la dimension de l’exil est fondamentale non seulement pour comprendre l’essor des émeutes et reconstruire les trajec- toires des Italiens expatriés qui suivent les routes ouvertes par Giuseppe Mazzini et Giuseppe Garibaldi4 (Sanfilippo, 2009). Les anciens détenus qui ont participé aux émeutes contre l’Autriche ont inauguré l’ère des migrations politiques de masse, notamment ceux qui sont allés dans la prison du Spielberg ; ils ont été très rapide- ment suivis par les révolutionnaires de 1848 en fuite. En général, ils optent pour l’Europe (Paris, Bruxelles et Londres) ; toutefois, ils ne négligent pas les Amériques, surtout Buenos Aires et New York, où ils fondent une presse en langue italienne qui devient un élément unificateur des communautés italophones, contribuant ainsi à l’essor du processus nationaliste italien (Franzina, 1995 ; Sergi, 2010). L’État-nation

Dans les années qui suivent l’unité de l’Italie, les problèmes économiques de nombreuses régions italiennes confortent ces mécanismes migratoires (Sori, 1979 ; Fauri, 2015). La migration massive de la fin du XIXe siècle est le point culminant d’un processus commencé depuis longtemps qui garde certaines carac- téristiques du passé, notamment la tendance à émigrer, réémigrer, rentrer. Le départ est en effet une réponse à la nouvelle conjoncture économique, mais aussi une façon de l’anticiper : comme le souligne Grossutti (2009), la véritable cause des migrations a été la peur de la misère et non la misère elle-même, surtout dans le Nord-Est de la Péninsule. De plus, il faut considérer que la nation italienne s’est constituée en absorbant progressivement des régions italophones. Le royaume d’Italie est proclamé en 1861, mais ses frontières s’élargissent en 1866, 1870 et 1918, intégrant des régions où l’on parle italien, mais qui ont été façonnées par les dispositifs migratoires de l’empire d’Autriche (Franzina, 1976 et 2001).

Les premières statistiques des Italiens vivant à l’étranger ne sont donc pas complètement fiables, notamment parce que ces chiffres considèrent comme migrants ceux qui sont partis avant de devenir Italiens. En tout cas, ceux-ci ont donné vie à des communautés italophones sur lesquelles se sont appuyés ceux qui sont partis après 1861, 1866 et 1870 et qui, comme le montrent les données du tableau 1, ont élargi les pays de destination : en 1871, les Italiens se dirigent surtout vers l’Europe ; en 1881 les Amériques sont leur lieu de destination privilégié.

Tableau 1 : Effectifs des communautés italiennes par continent en 1871 et 1881

Année Europe Afrique Amériques Asie Océanie

1871 155 278 23 645 87 026 4 016 740 1881 373 484 61 003 381 973 5 625 2 877 Source : Statistica Generale del Regno d’Italia (1874 et 1884).

Dans le dernier quart du XIXe siècle, la main-d’œuvre excédentaire de la plaine du Pô migre en France et en Belgique ou, plus rarement, en Suisse et en Allemagne.

4 Giuseppe Mazzini (1805-1872) est un révolutionnaire et patriote italien républicain combattant pour la réalisation de l’unité italienne. Il est considéré avec Giuseppe Garibaldi (1807-1882), général, homme politique et patriote italien, comme l’un des « pères de la patrie » italienne.

33 Matteo Sanfilippo

Ces migrants cherchent à rassembler le plus rapidement possible un capital pour acheter des terres dans leur région d’origine. Au contraire, les paysans de la Vénétie (région devenue italienne en 1866), du Frioul (région devenue en partie italienne en 1866), du Trentin et du Haut-Adige (région devenue italienne après la Première Guerre mondiale) migrent vers l’Amérique latine, où ils cherchent et trouvent des terres et ne souhaitent plus en partir, étant donné que leurs régions de départ se sont appauvries après la séparation de l’empire d’Autriche (Franzina, 2014). Les petits propriétaires terriens de l’Italie du Sud, évincés du marché ou acculés par les impôts, se dirigent vers les deux Amériques ; ils seront imités par ceux qui partent depuis l’Italie centrale. Dans le but de rentrer un jour au pays, ces émigrés mettent en place des stratégies multiples, de la vente de leurs terrains avec possibilité de rachat, à l’aide économique de toute la famille pour envoyer un parent en éclaireur (De Clementi, 1999). Parallèlement, les anciens courants migra- toires professionnels persistent et se consolident, notamment parmi les ouvriers spécialisés de l’Italie du Nord (Audenino, 1990 ; Corti, 1990). Au cours de cette même période, l’exil acquiert une nouvelle dimension destinée à se prolonger au XXe siècle : après les bannis des communes médiévales ou des états régionaux de l’époque moderne, après les exilés du Risorgimento, ce sont les membres des nouveaux mouvements sociaux qui partent. Les personnes qui avaient perdu la bataille pour la lutte des terres5 de la fin du XIXe siècle sont accompagnées par les socialistes, les anarchistes et, après 1921, par les communistes ; ils forment des poches de résistance politique et sociale à l’étranger. Dans certains cas, la motivation politique renforce la motivation économique et les personnes suivent les mêmes routes migratoires ; dans d’autres cas, ce sont des individus seuls, mais qui empruntent des routes désormais pluriséculaires (Degl’Innocenti, 1992).

Au cours des quinze premières années du XXe siècle, nous assistons à une augmentation du nombre de départs, mais la Première Guerre mondiale impose un arrêt, au moins partiellement et, surtout, elle provoque le retour précipité de nombreux émigrés et de leurs enfants, qui étaient nés hors les frontières natio- nales, mais qui avaient baignés dans la rhétorique du Risorgimento (Prezioso, 2010 ; Gastaut et Kronenberger, 2014 ; Franzina, 2015 et 2017a). Le nombre élevé de retours qui accompagne le déclenchement de la guerre est dû à la crainte de ne plus pouvoir rentrer à cause du conflit ; toutefois, nous ne devons pas sous-évaluer l’effet de l’enrôlement dans l’armée pour défendre la patrie. En tout cas, la guerre n’interrompt pas les déplacements vers les pays européens, même rivaux, tant est si bien que les Italiens continuent à chercher du travail sur les territoires autrichiens et allemands (Salvetti, 1998). En outre, l’avancée de l’armée autrichienne provoque le déplacement des Vénitiens et Frioulans vers Milan et Turin : ces flux migratoires internes se sont prolongés jusqu’aux années 1960 (Ermacora, 2013 ; Franzina, 2017b).

La paix est suivie par la reprise immédiate de l’exode vers l’étranger ; toutefois, à la fin des années 1910, le climat international n’est plus favorable aux migrations. Les empires de l’Europe centrale, destination traditionnelle des migrants vénitiens et frioulans, sont morcelés et vivent une grave crise économique ; dans la même période, les états américains, qui ont participé à la guerre, ferment leurs frontières. 1918 marque en même temps la fin de la guerre et la fin d’un processus migratoire de très longue durée et qui s’est prolongé jusqu’au début du XXe siècle (Franzina, 1982).

5 Dans le dernier quart du siècle, au sud comme au nord-est du pays les paysans, appauvris, se soulèvent contre les propriétaires fonciers et l’État (Cazzola, 1983 ; Renda, 1977).

34 Les migrations italiennes

Tableau 2 : Flux annuels d’émigrants italiens selon le continent de destination (1876-1918)

Année Europe Afrique Amériques Asie Océanie Total 1876 86 617 2 544 19 610 108 771 1877 76 515 1 313 21 169 216 99 213 1878 72 367 2 944 20 743 20 194 96 268 1879 80 004 2 679 37 075 42 31 119 831 1880 84 224 2 555 33 080 27 15 119 901 1881 92 107 2 792 40 871 52 10 135 832 1882 93 930 7 855 59 695 53 29 161 562 1883 98 665 6 835 63 388 49 164 169 101 1884 87 558 3 754 55 467 65 173 147 017 1885 78 232 6 217 72 490 96 158 157 193 1886 80 406 4 964 82 166 62 231 167 829 1887 82 474 3 451 129 463 61 216 215 665 1888 82 941 3 334 204 264 34 163 290 736 1889 92 631 2 413 123 181 31 156 218 412 1890 100 259 2 228 113 027 49 291 215 854 1891 103 885 2 401 186 472 89 784 293 631 1892 107 025 2 547 113 807 144 144 223 667 1893 104 482 3 649 138 299 267 54 246 751 1894 110 757 2 663 111 459 376 68 225 323 1895 105 273 3 432 183 919 403 154 293 181 1896 109 928 3 934 192 998 155 467 307 482 1897 125 310 2 726 171 294 89 436 299 855 1898 144 528 3 551 135 193 72 371 283 715 1899 162 899 4 848 139 934 231 427 308 339 1900 181 047 5 417 165 627 156 535 352 782 1901 244 298 9 499 278 176 382 890 533 245 1902 236 066 11 771 282 586 319 767 531 509 1903 215 943 10 691 280 413 540 389 507 976 1904 203 942 16 598 249 574 376 701 471 191 1905 266 982 13 072 444 724 788 765 726 331 1906 264 883 11 569 509 348 1 362 815 787 977 1907 276 420 12 685 414 303 603 664 704 675 1908 240 953 7 351 237 405 327 638 486 674 1909 219 623 7 098 397 666 420 830 625 637 1910 242 381 6 670 400 852 493 1 079 651 475 19 11 263 966 7 393 260 372 505 1 608 533 844 1912 294 371 15 725 399 713 423 1 214 711 446 1913 307 627 6 541 556 325 423 1 682 872 598 1914 241 478 4 951 230 765 1 397 561 479 152 1915 74 389 5 306 65 877 100 347 146 019 1916 65 209 3 117 73 832 39 167 142 364 1917 31 439 2 086 12 940 17 14 46 496 1918 22 986 1 309 3 985 27 4 28 311 Source : L. Prencipe (Prencipe et Sanfilippo, 2009)6.

6 Sauf mention contraire, tous les tableaux de l’article proviennent de Prencipe et Sanfilippo (2009).

35 Matteo Sanfilippo

En 1918, le nombre des départs se réduit, surtout si l’on compare aux années précédentes, qui étaient pourtant des années de guerre : en 1917, on enregistre 46 496, en 1918 ils ne sont que 28 311. En 1906 sont comptabilisés 787 977 départs, dont 509 348 pour les Amériques ; en 1918, les départs pour les Amériques ne sont que 3 985. Au cours de la même année, 22 986 Italiens se rendent dans des pays européens, ce qui représente à peu près un dixième de la moyenne annuelle des années précédant la Grande Guerre.

Le XXe siècle

Si la période 1876-1918 marque la fin de pratiques migratoires datant de l’Ancien régime, les décennies suivantes sont celles de l’émergence d’un processus nouveau : les migrations, surtout internes, changent le visage de la Péninsule. Les Italiens partent des régions rurales ou des montagnes du Nord-Est du pays pour se rendre à Milan, Turin et Gênes ; de l’Italie du Sud vers Rome, Naples et les villes du Nord, renforçant ainsi les mouvements de populations qui avaient débuté au moment de l’unité nationale (Trevès, 1976 ; Gallo, 2012 ; Ermacora, 2013). D’autres flux migratoires se mettent en place depuis plusieurs régions du Sud et du Nord-Est en direction de pays européens (comme la France) ou américains (notamment les États-Unis et l’Argentine). Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas de nouvelles migrations, mais d’une conséquence du fait que les anciens migrants ne rentrent plus craignant de ne plus pouvoir repartir vers les Amériques. Ils interrompent ainsi la forme de migration circulaire entre lieux de départ et d’arrivée (Audenino et Tirabassi, 2008), c’est-à-dire le fait que la plupart des migrants rentraient après quelques années avant de repartir à nouveau. Par ailleurs, il faut aussi considérer la fuite de ceux qui s’opposent au régime fasciste, ainsi que de ceux qui n’étaient pas ouvertement des militants antifascistes, et qui optent notamment pour la France, à leurs yeux plus riche et surtout plus démocratique (Milza, 1986 ; Vial, 2007). L’entre-deux-guerres

La fermeture des frontières migratoires américaines ralentit les déplace- ments des membres de la diaspora italienne. La principale loi restrictive en matière d’immigration est votée en 1924 aux États-Unis. Cet exemple est suivi par d’autres pays américains (Franzina, 1982), mais c’est surtout la grande crise économique de 1929 qui frappe violemment l’Amérique du Nord qui va mettre un terme à l’arrivée d’Italiens (Luconi et Pretelli, 2008). Entre temps, le Parti national fasciste une fois arrivé au pouvoir, cherche à diriger les mouvements de popula- tion vers les colonies et à canaliser les migrations internes. L’assainissement des marais pontins (Latium) et sardes, ainsi que la migration planifiée de familles provenant des marches et de la Vénétie dans ces régions ont eu comme consé- quence les déplacements et la création de nouvelles agglomérations urbaines, comme les centres de Latina (Latium) et de Carbonia (Sardaigne) (Gallo, 2015). La mobilité interne à la Péninsule change de nature ; les flux campagne-campagne ou bien campagne-petites villes du XIXe siècle (Nani, 2016) se transforment et les migrations alimentent le processus d’urbanisation.

36 Les migrations italiennes

De même, la tendance toujours plus forte des migrants à s’installer en ville marque une rupture définitive avec la tradition migratoire et elle anticipe ce qui se concrétise après le second conflit mondial, à savoir le dépeuplement des montagnes, des collines et des plaines plus périphériques (Birindelli et al., 1978). Ce phénomène continue jusqu’au XXIe siècle et il marque les transformations démographiques et géographiques italiennes (SVIMEZ, 2001-2016). De plus, la stabilisation de plusieurs communautés à l’étranger – par exemple aux États- Unis, mais aussi en France – contribue à l’essor des « Petites Italies » qui consti- tuent un pôle d’attraction important pour les nouvelles vagues migratoires entre « l’Ancien et le Nouveau Monde » (Baldoli, 2004 ; Blanc-Chaléard et al., 2007 ; Mourlane et Païni, 2017).

Dans ce processus de reconfiguration, le Ventennio fasciste est une époque charnière, injustement ignorée pendant longtemps par de nombreux chercheurs travaillant sur les migrations. Aux affirmations et aux initiatives officielles contre les départs pour l’étranger et l’urbanisation correspond une réalité tout à fait différente. Les autorités mettent en place une rhétorique qui affirme que l’émi- gration est une « honte nationale » qu’il faut évincer : elle est continuellement condamnée et le gouvernement proclame qu’il faut « récupérer » les Italiens qui sont à l’étranger en leur offrant la possibilité de rentrer (Baldoli, 2003 ; Pretelli ; 2010 ; Capece, 2015). Toutefois, cette propagande politique n’a que peu d’effet auprès des émigrés (Franzina et Sanfilippo, 2003 ; Luconi et Tintori, 2004). En effet, d’un côté, une partie des communautés à l’étranger est composée d’anti- fascistes qui ne veulent et ne peuvent pas rentrer ; d’un autre côté, les autres sont prêts à tirer profit des initiatives du régime, sans pour autant être disposés à sacrifier leur réussite personnelle, qui ne semble pas pouvoir être atteinte dans les nouvelles destinations coloniales ou avec le retour en Italie (Capece, 2015 ; Ertola, 2017).

Les autorités fascistes déplorent la tendance à abandonner la campagne, mais toutes les initiatives visant à restructurer les grandes villes italiennes les transforment en lieux de migration. De plus, le régime fasciste planifie avec son allié nazi la reprise de l’émigration en Allemagne (Mantelli, 1992) et l’État se transforme en gestionnaire des départs. Le gouvernement italien découvre qu’il peut vendre les bras de ses citoyens en échange de fer, charbon, et/ou aides financiers. Cette politique constituera la base de la stratégie migratoire adoptée par le gouvernement démocrate-chrétien après la Seconde Guerre mondiale (Colucci, 2008).

Dans tous les cas, pendant le Ventennio fasciste, la principale destination des flux italiens reste l’Europe et les Amériques – même si les frontières sont fermées à une immigration massive – qui attirent les migrants plus que l’Afrique coloniale. Pendant la brève existence (1936-1941) de la soi-disant Africa orientale italiana, le départ vers l’ensemble des colonies italiennes dans la corne de l’Afrique ne constitue qu’entre un sixième et un septième des départs pour les Amériques (Ertola, 2017).

37 Matteo Sanfilippo

Tableau 3 : Flux annuels d’émigrants italiens selon le continent de destination (1919-1945)

Année Europe Afrique Amériques Asie Océanie Total 1919 134 342 13 092 105 131 312 347 253 224 1920 198 171 7 303 408 184 256 697 614 611 1921 79 902 4 840 114 912 169 1 468 201 291 1922 150 555 4 485 121 139 865 4 226 281 270 1923 199 674 5 496 183 418 406 963 389 957 1924 232 403 7 044 120 501 168 4 498 364 614 1925 171 630 6 685 96 435 149 5 182 280 081 1926 134 484 5 474 117 422 233 4 783 262 396 1927 81 801 4 574 125 463 196 6 900 218 934 1928 62 471 2 943 73 010 79 2 353 140 856 1929 94 342 5 047 73 766 202 1 445 174 802 1930 155 157 9 568 69 723 270 1 720 236 438 1931 112 322 12 857 39 693 280 708 165 860 1932 51 666 6 963 23 578 244 897 83 348 1933 54 626 6 160 20 766 273 1 239 83 064 1934 36 659 5 683 23 598 1 188 1 333 68 461 1935 26 250 4 394 24 623 465 1 676 57 408 1936 18 098 3 896 18 248 286 1 182 41 710 1937 25 718 4 191 27 354 310 2 372 59 945 1938 30 570 3 398 24 645 209 2 726 61 548 1939 11 345 2 086 14 138 100 1 820 29 489 1940 46 968 528 3 852 45 424 51 817 1941 8 734 75 8 809 1942 8 216 30 8 246 Après la Seconde Guerre mondiale

Après le conflit mondial, les flux migratoires vers les pays de l’Europe et vers l’Italie du Nord reprennent de manière désordonnée en raison de l’interaction instable entre la difficile situation économique interne et la demande étrangère de main-d’œuvre (De Clementi, 2010). L’Italie, à cause des ravages du conflit, doit être reconstruite, mais les autres nations manquent aussi de bras. Le déve- loppement de l’émigration clandestine, qui est une constante dans la diaspora italienne jusqu’à nos jours, est la conséquence des difficultés à résoudre ces contradictions (Rinauro, 2009) ; et de ce fait, le choix des destinations par les migrants reste très inconstant, même lorsque le gouvernement italien signe des accords concernant l’envoi de main-d’œuvre dans les autres pays européens (Colucci, 2008).

Dans les années 1946-1948, les pays d’Europe occidentale constituent la desti- nation privilégiée de l’émigration italienne. Entre 1949 et 1950, les départs pour l’Europe diminuent et augmentent ceux pour l’Amérique latine et l’Australie ; de 1951 à 1955, les destinations européennes, notamment France et Belgique, reprennent. Dans la deuxième moitié de la décennie, les flux vers la France et la Belgique diminuent alors que ceux vers la Suisse et l’Allemagne augmentent, mais il s’agit presque exclusivement de flux migratoires saisonniers. Par la suite, l’Allemagne prend progressivement de l’importance grâce à un accord signé entre l’Italie et la République fédérale allemande en 1955. Ce traité a eu des conséquences juridiques et législatives importantes puisqu’il constitue le point

38 Les migrations italiennes de départ de la gestion communautaire de la main-d’œuvre circulant en Europe occidentale (Colucci, 2015).

Les déplacements vers la Grande-Bretagne et les pays ne faisant pas partie de la communauté européenne sont moins consistants et réglementés (Colucci, 2009 ; Devoto, 2007 ; Pretelli, 2011 ; Bertagna, 2016). Dans la même période, nous assistons à des mouvements frontaliers entre la Ligurie, la France et la princi- pauté de Monaco, ainsi qu’entre la Lombardie et la Suisse (Barcella et Colucci, 2016). En réalité, la migration pendulaire de part et d’autre d’une frontière ne relie pas seulement des villes et elle est souvent précédée par des déplacements d’une région à l’autre ; de ce fait, les centres historiques des petites villes proches de la frontière française sont peuplés d’Italiens en provenance du Sud du pays.

Entre 1960 et 1980, les migrations internes à la Péninsule deviennent plus nombreuses que les migrations vers l’étranger, jusqu’à constituer la partie essentielle de la mobilité italienne (Colucci et Gallo, 2014-2016). Cette impor- tance numérique génère un nouveau phénomène : les personnes qui migrent à l’étranger retournent le plus souvent en Italie, d’autant plus que, dans les années 1960, cette forme migratoire est souvent saisonnière ou programmée sur une courte période. Toutefois, même lorsque les migrants rentrent, ils ne s’ins- tallent plus au village d’origine, mais plutôt dans les villes du triangle industriel, de la province de Rome ou bien de la région de départ. C’est le cas des Abruzzesi qui à leur retour ne se rendent plus dans les villages des montagnes d’origine, mais préfèrent s’établir le long de la côte, surtout aux alentours de Pescara, une ville qui a connu une croissance rapide entre 1951 et 1971 (Sanfilippo, 2013).

À partir des années 1960, nous constatons une diminution des départs vers l’étranger et une augmentation massive des déplacements internes depuis le Sud vers le Centre et le Nord de l’Italie. Jusqu’en 1958, l’exode méridional se dirige vers les pays de l’Europe, l’Australie et les Amériques, tandis que les mouvements internes relient la campagne à la ville, la Vénétie (qui devient la région « championne de la mobilité interne ») au triangle industriel, les Alpes orientales aux Alpes occidentales. Entre 1958 et 1963, les déplacements depuis le Sud vers le Nord du pays augmentent de façon exponentielle ; au milieu des années 1960, ces flux sont marqués par une petite pause, mais ils reprennent en 1967 et changent définitivement le visage du pays, favorisant l’urbanisation de l’Italie septentrionale et centrale (Bonifazi, 2013 : chap. 4). Rome, qui profite de ces transformations, draine régulièrement les travailleurs provenant d’un vaste bassin, qui n’est pas seulement méridional, mais comprend aussi une bonne partie du Nord de l’Italie centrale. Ces migrations s’orientent aussi vers la région d’Émilie et notamment la ville de Bologne, ainsi que le Nord de la Toscane et la Ligurie du Ponant (la province d’Imperia, à la frontière avec la France). Entre temps, le nombre des migrants vers l’étranger, qui avait atteint une moyenne de 200 à 300 000 départs par an pendant les années 1947-1968, descend à moins de 200 000 entre 1969 et 1974, à 100 000 entre 1975 et 1983, pour s’enliser, après 1986, comme nous le verrons dans le paragraphe prochain.

39 Matteo Sanfilippo

Tableau 4 : Flux annuels d’émigrants italiens selon le continent de destination (1946-1976)

Année Europe Afrique Amériques Asie Océanie Total 1946 103 077 82 7 074 49 4 110 286 1947 192 226 1 439 60 093 336 50 254 144 1948 193 303 3 567 108 999 599 2 047 308 515 1949 94 959 4 076 144 122 373 10 939 254 469 1950 54 927 4 740 126 692 431 13 516 200 306 1951 149 206 8 093 117 462 662 17 634 293 057 1952 144 098 2 774 103 386 475 26 802 277 535 1953 112 069 3 807 94 874 1 056 12 865 224 671 1954 108 557 3 889 120 813 704 16 962 250 925 1955 149 026 4 258 114 951 892 27 699 296 826 1956 207 631 4 889 105 946 696 25 640 344 802 1957 236 010 4 156 84 104 456 17 007 341 733 1958 157 800 2 855 82 298 122 12 384 255 459 1959 192 843 1 445 59 933 109 14 160 268 490 1960 309 876 1 283 53 042 78 19 629 383 908 1961 329 597 1 022 40 006 119 16 379 387 123 1962 315 795 706 34 444 255 14 411 365 611 1963 235 134 589 30 329 20 11 539 277 611 1964 216 498 1 128 29 788 178 10 890 258 482 1965 232 421 1 390 38 362 69 10 401 282 643 1966 219 353 2 126 62 365 102 12 548 296 494 1967 166 697 1 927 46 885 75 13 680 229 264 1968 158 462 2 155 40 563 28 14 505 215 713 1969 139 140 3 690 29 779 680 8 910 182 199 1970 115 114 3 010 26 563 627 6 540 151 854 1971 133 132 3 209 24 506 526 6 348 167 721 1972 111 908 2 768 21 930 653 4 593 141 852 1973 98 970 2 438 18 447 432 3 515 123 802 1974 87 105 3 246 17 142 754 3 773 112 020 1975 72 064 3 461 13 717 893 2 531 92 666 1976 73 031 4 634 15 266 1 509 2 807 97 247 La fin des migrations italiennes ? À partir des années 1970, les migrations internes et externes diminuent et le nombre des retours augmente, accompagné par la tendance déjà évoquée à s’installer dans une ville différente des villages d’origine (Corti, 2006 et 2013 : 25-29). En 1973, pour la première fois depuis plus d’un siècle, l’Italie enregistre un solde migratoire positif : le nombre de retours est légèrement supérieur à celui de départs. Même les mouvements frontaliers diminuent et, dans la décennie suivante, ils se réduisent de moitié (Barcella et Colucci, 2016). Toutefois, la mobilité au sein de la Péninsule ne s’arrête pas, tout comme la mobilité vers l’étranger dont la diminution sera effective seulement après 1985 (Bonifazi, 2013). En effet, elle continue à être alimentée par des flux réguliers de techniciens et d’ouvriers spécialisés qui partent tant vers les pays développés (Europe et Amérique du Nord) que vers les pays en développement (surtout Afrique et Amérique latine) auxquels s’ajoutent de nouveaux mouvements pour des causes politiques (Sanfilippo et Vignali, 2017). Après la Seconde Guerre mondiale, les fidèles de l’ancien régime fasciste partent ; ils sont suivis par les personnes qui perdent dans la lutte pour

40 Les migrations italiennes les terres et par ceux qui voulaient contribuer à fonder le socialisme à l’Est de l’Europe centrale. Ensuite, tandis que des personnes appartenant à la bourgeoisie aisée craignant l’instabilité politique italienne, s’installent dans des pays jugés plus « tranquilles », comme le Canada et l’Australie, avec l’effondrement de leurs espoirs subversifs, les terroristes de droite se réfugient en Amérique latine et ceux de gauche en Amérique latine ou en France (Bertagna, 2006 ; ASEI, 2008). La diminution des départs depuis l’Italie coexiste avec l’évolution des communautés italiennes à l’étranger. Comme dans les années 1920-1940, ces dernières se transforment et font preuve d’une grande vivacité avec la création de nouvelles organisations sociales et culturelles (Campani et Catani, 1985). Patronats, syndicats, partis politiques, groupes catholiques et laïques repré- sentent tous encore une fois des points de repère importants pour les nouveaux arrivants, mais, à leur côté, s’organisent des associations nouvelles, souvent fondées sur des bases régionales ou provinciales (Colucci, 2001). Cette tendance est soutenue par la volonté de nombreuses régions qui tentent d’enrégimenter et d’utiliser leurs communautés à l’étranger (Martiniello, 1993). Des liens économiques importants se nouent entre les anciennes régions de départs et les communautés émigrées : ce patronage politique devient important au XXIe siècle avec l’adoption de la loi du 27 décembre 2001, no. 459, qui accorde le droit de vote aux Italiens émigrés (Tintori, 2012 ; Battiston et Mascitelli, 2012)7. Cette possibilité est donnée également aux descendants d’anciens émigrés italiens qui ont pu acquérir une double nationalité, parfois dans des conjonctures politiques difficiles, comme pour certains pays de l’Amérique du Sud8 et qui, grâce à la possession du passeport européen, ont pu émigrer du « Nouveau à l’Ancien Monde ». Entre temps, les émigra- tions italiennes en Europe et dans le monde reprennent, après avoir baissé entre 1977 et 2010, avec une forte contraction en 1987-1988, 1995-1997, 2002-2004 et 2007-2010. Tableau 5 : Flux annuels d’émigrants italiens selon le continent de destination (1977-1990)

Année Europe Afrique Amériques Asie Océanie Total 1977 65 147 5 915 12 263 2 299 2 031 87 655 1978 61 961 6 533 11 731 3 224 2 101 85 550 1979 67 648 6 346 10 262 3 089 1 605 88 950 1980 64 517 6 120 9 915 2 678 1 647 84 877 1981 68 593 6 292 9 770 2 668 1 898 89 221 1982 75 917 5 599 11 765 3 155 1 805 98 241 1983 64 695 5 794 9 785 3 387 1 477 85 138 1984 60 542 4 736 8 462 2 296 1 282 77 318 1985 50 586 4 345 8 580 1 983 1 243 66 737 1986 44 647 3 383 7 280 1 499 1 053 57 862 1987 26 232 2 617 7 260 1 112 1 084 38 305 1988 25 356 2 432 6 847 1 145 880 36 660 1989 47 760 2 511 7 295 1 570 758 59 894 1990 36 483 2 368 7 707 1 255 1 103 48 916

7 De fait, le droit à voter était déjà reconnu par la Constitution républicaine de 1947 (art. 48), mais les migrants devaient rentrer pour voter. La loi de 2001 a créé quatre circonscriptions électorales à l’étranger (Europe ; Amérique méridionale ; Amérique septentrionale ; Afrique- Asie-Océanie), permettant aux migrants de voter sur place et d’y choisir leurs représentants. 8 Voir la circulaire du ministère de l’Intérieur, no. K.28.1.170 du 24 février 2003, au sujet des Argentins d’origine italienne.

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Les nouvelles migrations du temps présent

À partir des années 1990, les flux vers l’Europe occidentale et les États-Unis reprennent progressivement, tandis que les investissements économiques italiens dans l’Europe de l’Est favorisent la constitution des diasporas commer- ciales et/ou industrielles. Durant la dernière décennie du XXIe siècle, des jeunes quittent l’Italie pour la Grande-Bretagne, l’Irlande, le Canada et les États-Unis ; au début, ils partent comme touristes ou étudiants pour ensuite s’insérer sur le marché du travail, souvent d’une manière irrégulière (Caltabiano et Gianturco, 2005 ; Catania et al., 2010). Parallèlement, nous assistons aux premiers départs de chercheurs et professeurs universitaires, de stylistes et graphistes, de publi- cistes et réalisateurs, qui désirent travailler aux États-Unis et au Canada, ainsi qu’en France, en Allemagne et au Royaume-Uni (Brandi, 2006 ; Dubucs et al., 2017). Cette nouvelle mobilité, qui concerne surtout les personnes âgées de moins de quarante ans, est accompagnée par la reprise de l’émigration interne (Bonifazi et Heins, 2000 et 2009). La combinaison de ces différentes formes de migrations se relève complexe.

Les migrations internes des Italiens ont baissé jusqu’en 1991 ; après cette année, elles ont commencé à augmenter et pendant le quart de siècle suivant ont drainé la jeunesse dans le Mezzogiorno (Bonifazi, 2017). Avec le nouveau millénaire, un système à deux niveaux voit progressivement le jour : les migrants partent du Sud, parfois très jeunes, vers les régions du Centre et du Nord du pays, pour ensuite se déplacer vers d’autres pays européens. Dans les deux cas, au cours des années 2010, les pourcentages de départs sont signifi- catifs ; la migration interne a atteint de nouveaux pics, tandis que l’émigration d’Italiens vers l’étranger dépasse les chiffres de l’immigration. Après trente ans pendant lesquels les immigrants ont été majoritaires dans la Péninsule, l’Italie s’est retransformée en pays d’émigrants (Calvanese, 2000 ; Pugliese, 2006 ; Bonifazi, 2013 ; Corti, 2013). Après 2011, des migrants moins jeunes partent à côté des plus jeunes ; il s’agit de personnes qui ont perdu leur travail à cause de la crise économique commencée en 2008 et de retraités, qui bénéficient d’un traitement économique qui ne leur permet pas de vivre en Italie à cause du coût de la vie (Sanfilippo et Vignali, 2017 ; Pugliese, 2017).

Les statistiques des années 2010 restituent des configurations migratoires très complexes. Pour saisir ces articulations, nous devons considérer les relations qui s’établissent entre mobilités interne et externe, ainsi que la coexis- tence dans les diasporas italiennes de personnes fortement qualifiés cherchant des postes de prestige, même pendant une courte durée, avec d’autres qui s’emploient dans n’importe quel type de travail. Ces migrants travaillent dans les cafés et les restaurants, les hôtels et les salons de coiffure, les magasins et les épiceries, la construction et l’entretien des bâtiments, alimentant ainsi les niches économiques traditionnelles de l’émigration italienne (Sanfilippo et Vignali, 2017). Dans ce cas, le travail précaire prédomine, mais reste mieux payé qu’en Italie. Bien que la presse italienne parle de la fuite de cerveaux, nous assistons à une fuite de main-d’œuvre, même intellectuelle, qui après la crise de 2008 ne trouve plus un travail dans la Péninsule et doit accepter un futur précaire à l’étranger, parfois alternant séjours à l’étranger et retours en Italie (FILEF, 2014 ; Caneva, 2016).

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Cette émigration est fluctuante et ne s’insère pas toujours dans les réseaux structurés des communautés d’origine italienne en Europe, aux Amériques et en Australie. Étant donné leur mobilité incessante, les personnes tendent plutôt à rester isolées. Par ailleurs, la recherche constante de travail pousse les nouveaux migrants à considérer les opportunités de partir vers des conti- nents comme l’Asie ou des pays comme la Scandinavie, qui n’étaient pas des destinations habituelles. Les pays d’émigration traditionnelle ne sont pas pour autant abandonnés ; nous assistons à une reprise de la mobilité vers l’Alle- magne, le Royaume-Uni, la France, les États-Unis et l’Amérique latine (Gjergji, 2015). La complexité du phénomène est liée au fait que les familles partent, mais également des personnes seules et non plus seulement des hommes (Fondazione Migrantes, 2016 et 2017). Il est vrai que nous devrions repenser le rapport homme/femme dans la composition des flux migratoires du XIXe et du XXe siècle et considérer le fait que déjà à cette époque des femmes partaient seules pour chercher du travail à l’étranger (Miranda, 2001 ; Miranda et Signorelli, 2011 ; Corti, 2013). Toutefois, la féminisation de la migration est beaucoup plus évidente dans la dernière phase migratoire ; presque la moitié des personnes qui partent sont des femmes.

Tableau 6 : Flux annuels d’émigrants italiens selon le continent de destination (1991-2015)

Année Europe Afrique Asie Amériques Océanie Total 1991 39 313 1 708 1 147 8 392 918 51 478 1992 37 631 1 576 2 516 7 668 835 50 226 1993 41 163 1 434 3 331 8 166 886 54 980 1994 47 320 1 637 1 329 8 368 748 59 402 1995 25 697 1 342 1 147 6 121 579 34 886 1996 28 101 1 650 1 287 7 396 583 39 017 1997 25 920 2 146 1 575 8 919 424 38 984 1998 25 452 2 055 1 581 8 493 567 38 148 1999 37 700 3 036 2 316 12 664 567 56 283 2000 31 863 2 643 1 961 10 526 487 47 480 2001 31 388 2 526 1 935 10 587 465 46 901 2002 21 915 2 576 2 037 6 997 262 33 787 2003 26 564 2 348 1 520 8 935 405 39 772 2004 28 101 1 581 1 224 7 641 533 39 080 2005 30 243 1 598 1 374 8 042 674 41 931 2006 32 371 1 604 1 656 9 743 872 46 246 2007 25 310 1 292 1 645 7 374 670 36 291 2008 27 839 1 358 1 835 7 774 730 39 536 2009 27 586 1 177 1 936 7 613 712 39 024 2010 27 706 1 381 2 167 7 553 734 39 541 2 011 34 332 1 769 2 907 10 060 984 50 052 2012 47 956 2 452 3 604 12 544 1 436 67 992 2013 58 933 2 418 4 484 14 603 1 646 82 084 2014 64 825 2 510 4 833 14 741 1 934 88 843 2015 76 998 2 761 5 273 15 041 2 179 102 252 Source : C. Perillo (Fondazione CSER, Rome), données ISTAT.

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Conclusion

En 2017, la comparaison des bases de données sur les migrations italiennes avec celles des autres pays européens suggère que l’incidence du nombre de départs est supérieure à celle qui est rapportée par les statistiques italiennes et qu’on pourrait multiplier les chiffres italiens par 2,5, voire 3, sinon plus (Cevoli et Ricci, 2017). Un exemple : entre 2011 et 2015, l’ISTAT (le bureau des statistiques italiennes) a comptabilisé 60 700 départs vers l’Allemagne et le Statistisches Bundesamt9, 274 285. Si tel est le cas, nous serions en présence d’un phénomène dont la consistance rappelle celle de la grande migration qui a suivi la période après la Seconde Guerre mondiale (Pugliese, 2018). Il est peut-être trop tôt pour évaluer cette hypothèse, mais il est évident que la nouvelle mobilité italienne vers l’étranger et à l’intérieur de la Péninsule est très élevée (Tirabassi et del Pra’, 2014). De plus, l’immigration vers l’Italie est en décroissance à cause de la situation internationale (Strozza et De Santis, 2017) et plusieurs personnes des deuxièmes générations d’immigrants sont en train de chercher du travail à l’étranger (Fondazione Migrantes, 2016 et 2017). Nous ne pouvons pas évaluer tous les aspects de ce nouveau modèle migratoire italien. Les études sur les migrations qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ont, par exemple, souligné l’établissement de liens forts entre lieux de départ et d’arrivée (Miranda, 1997). Mais comment se reconfigurera la scène migratoire italienne avec les nouveaux départs auxquels nous assistons ?

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9 L’équivalent en Allemagne de l’Institut national de la statistique et des études écono- miques.

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51 Résumé - Abstract - Resumen

Matteo Sanfilippo Les migrations italiennes : un aperçu statistique sur la longue durée

Pour saisir la nature des flux migratoires enregistrés par les statistiques italiennes à partir des années 1870-1880, nous devons garder à l’esprit une longue histoire migratoire. Après la création du Royaume d’Italie (1861), les modalités migra- toires à l’intérieur et à l’extérieur du pays ne changent pas. Comme depuis le Bas Moyen Âge, les mobilités italiennes externes interagissent pendant la deuxième moitié du XIXe siècle avec les flux migratoires qui arrivent en Italie, se combinant entre eux ou bien alimentant la mobilité à l’intérieur de la Péninsule, notamment lorsqu’ils constituent une des étapes des migrations multiples. Italian Migration: A statistical overview on the long term

To understand the nature of the migration flows recorded by Italian statistics from the 1870s-1880s, we must keep in mind a long migration history. After the creation of the Kingdom of Italy (1861), migration patterns inside and outside the country do not change. As since the Late Middle Ages, external Italian mobility interacts during the second half of the 19th century with migratory flows arriving in Italy, combining with each other or fuelling mobility within the Peninsula, particularly when it constitutes one of the stages of multiple migration. Migración italiana: una visión estadística a largo plazo

Para comprender la naturaleza de los flujos migratorios registrados por las estadísticas italianas a partir de 1870-1880, debemos tener en cuenta una larga historia migratoria. Después de la creación del Reino de Italia (1861), los patrones de migración dentro y fuera del país no cambian. Como desde la Baja Edad Media, la movilidad externa italiana interactúa durante la segunda mitad del siglo XIX con los flujos migratorios que llegan a Italia, combinándose entre sí o alimentando la movilidad dentro de la Península, especialmente cuando constituye una de las etapas de la migración múltiple.

52 REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 53-77

Migration in Southern Europe since 1945: The Entanglement of many Mobilities Michele Colucci1 and Stefano Gallo2

The traditional distinction between overseas emigration, internal migration and immigration from abroad has been for a long time the main organiza- tional criterion of research on migration. Seen from the perspective of political history, it can be useful to separate these phenomena. However, the opinion is growing among social science scholars that different perspectives have to proceed together. This distinction is based exclusively on the notion of State boundaries, and if empirically analysed it does not seem to hold water: societies are not homogenous entities within a border determined by national frontiers, just as much as the migration paths which cross the frontiers are not different from those that occur within a national territory. It stands to reason therefore that even international migrations have local origins, exactly as is the case with migrations which occur within one country (Feldman, 2003).

If one adopts the perspective of social and economic history, the State’s compact geographical surface is shattered into a heterogeneous multitude of social configurations, consisting of contacts and relationships, family networks, contexts and real spaces, formal and informal institutions, social practices and repertoires.

Only by considering this, is it possible to understand how the migratory dynamics function, namely, by gathering analytically the concrete mechanisms that bring people and groups to move. Migration scholars talk about a meso- level, which represents a specific ambit of analysis that finds itself between – and with clear links to – the compulsions and the needs of the individuals and the major economic, political and cultural forces at play (de Haas, 2010).

Once this default position has been adopted, the crossing – or not as the case may be – of a border – be it governmental, regional or sub-regional – becomes a further factor to add to many others in a complex dynamic of migration: this engagement with the various institutions is not always a decisive element,

1 Historian, Researcher, Cnr Issm, Istituto di studi sulle società del Mediterraneo, Consiglio Nazionale delle Ricerche, via card. G. Sanfelice 8, 80134 Napoli; [email protected] 2 Historian, Fellow, Cnr Issm, Istituto di studi sulle società del Mediterraneo, Consiglio Nazionale delle Ricerche, via card. G. Sanfelice 8, 80134 Napoli; [email protected]

53 Michele Colucci and Stefano Gallo

certainly never the only aspect to consider. It is obvious that national borders are central to the registration of the movement of people: the statistical and documen- tary sources with which scholars are able to work in order to quantify mobility come, for the most part, from the control mechanisms put in place by institutions. Nonetheless, the availability of information must not determine the research in a one-sided manner and especially not our perception of the way people move. Migrations occur also when they leave no trace when there is no authority to register them: we must force ourselves not to borrow uncritically categories that have been historically determined by political and administrative interests.

These considerations, put forward by the most advanced studies on migration, still have not yet been made part of the daily fare of scholars, except for some laudable and important exceptions (for the Italian historiography, see at least Sori, 1979 and Bonifazi, 2013). State boundaries continue to be formidable determinants of research, ordering and defining the analytical limitations which scholars impose on themselves. In the perspective of an overall repositioning of the categories through which to interpret the movement of peoples, “space” – in which the phenomenon of migration takes place – is not the only category to be rethought and relocated. Another key issue is “time”, or rather “periodisation”. For a long time, the academic debate on Europe’s Mediterranean countries has been dominated by a claim that has been more or less taken as given, namely, the historical succession of emigration and immigration. Italy, Spain, Greece and Portugal are supposed to have followed, according to this evidence, a cyclical model of migration that was around up until the 1970s, the emigration beyond national borders being seen as a predominant movement followed by massive foreign immigration which is said to have supplanted the centrality of expatri- ation. This clear-cut substitution of emigration and immigration has attracted criticism over time from some observers, but it has remained at the centre of the view held on migration in a manner that has been more or less constant and untarnished (Pugliese, 2002).

At the end of the first decade of the new millennium, the picture has become more uncertain and nuanced when the effects of the international economic crisis made themselves felt in a decisive manner in Mediterranean Europe. One of the most glaring consequences has been the growth in emigration abroad from Italy, Spain, Greece and Portugal. A considerable growth in emigration has taken place, and it has occurred alongside the persistent flow of foreign immi- gration, flows that have been transformed and in some cases slightly diminished but not interrupted at all. Therefore, the various types of migration can coexist on the same territory and they can assume extremely different guises and direc- tions. In Mediterranean Europe emigration, immigration and internal migrations cohabit alongside each other and entangled in one another. One should also add the flows of returning migrants (decisive in the context of the economic crisis) and emigration of foreigners or new citizens of the European Union.

From welfare to the reception systems, from the job market to citizenship, from school to health services, the political contexts of Mediterranean Europe are nowadays dominated by the continual reference to the migration question. Moreover, the question does not only present itself as an issue of immigration but is also increasingly presented as an issue of emigration, of the lack of oppor- tunities, the loss of human capital and unemployment.

54 Migration in Southern Europe since 1945

The present contribution will attempt to make a first step towards integrating the various perspectives, by proposing a strategy of articulated analysis both on the level of typologies of territorial mobility as well as on the geographical areas under consideration. As regards the first point, it has been decided to place the emphasis on internal migration. This choice, which at first glance might appear to be in conflict with what has been said thus far, has been motivated by an experi- ence of research and reflection consolidated by the authors (Colucci, 2012; Gallo, 2012; Colucci and Gallo, 2014, 2015, 2016 and 2017). The internal movements of people allow us to identify with a certain clarity the evolution of primary social contexts, geographical environments and job and productivity arrangements and to see them in relationship to the political choices implemented by central and local authorities. As regards the second point, we have decided to multiply the analysis of domestic mobility by four different national situations in the form of a comparative interpretation. We shall attempt to take into considera- tion Italy, Spain, Portugal and Greece, countries which generally speaking are labelled as “Southern Europe” (Baumeister and Sala, 2015) or “Mediterranean Europe” (Borutta and Gekas, 2012). These countries represent the outer limits of the European continent which are more closely in contact with Mediterranean Africa and the Middle East. In this case, as well, we shall concentrate on Italy among these countries, for obvious reasons such as proximity and mastery of the relevant historical material, but always keeping an eye on the commonalities and dissimilarities as regards issues affecting the other countries.

Theoretical Backgrounds

What becomes immediately clear is that once one has taken this step, the possible ties between internal migrations, movements aimed at going abroad or coming from abroad are multiplied: also, because all these mobilities take place from concrete situations and go towards other concrete situations. At the same time, the push areas of the internal migrants are the same as the emigrants leaving the country, and often the pull areas for internal migration are the same as migrants from abroad. More, certain modes of migration behaviour of the “native” migrants within the territorial confines may be adopted and replicated by foreign citizens, although this statement cannot be taken as a rule: foreign migrants in Italy represent the most mobile part of the population, those who illustrate the highest rate of internal movement, even if with peculiar patterns (Bonifazi, Heins and Tucci, 2012).

Internal movements therefore can be looked as a point of departure and support to consider all the forms of movement concerning the national territory, i.e., those who enter the national territory from beyond in order to subsequently follow their goals within the national territory, and those who move from the same national territory to undertake a voyage that will take them beyond the national borders, and those who instead never cross the frontiers. All these types of migrations share the same social, economic, political and cultural backgrounds even though they occupy diverse positions and cleavages that are often distant depending on the subjective conditions of individuals. The activities of institutions and social stakeholders nonetheless favour specific models of mobility across a series of varied choices. These are accompanied by consequences both for the internal migrants and for those who come from abroad (King and Skeldon, 2010).

55 Michele Colucci and Stefano Gallo

Historical studies on Italian migration have for a long time conflated domestic migration and international migration, placing the emphasis on a period in history which is not what we will be referring to in this discussion (Sanfilippo, 2015). The Fascist and the later post-war period, have been studied for the most part from the vantage point of there being a separation between the various migrant experiences. As far as previous historical periods are concerned, from the middle of the nineteenth century until the First World War, we have a traditional historiographic stratification that has shed light upon the numerous and varied continuities between domestic mobility, locally and regionally and international migration. Until the late modern era, there were mobile jobs, and migratory systems linked to the cyclical nature of harvests. It was exactly in these contexts where the tradition of mobility was more immediate thus initi- ating in a systematic manner large international migrations, including those of the second half of the nineteenth century (Audenino and Tirabassi, 2008).

As far as Portugal, Spain, Italy and Greece are concerned, it has been suggested more than once to speak in terms of the “Southern Europe model of migration” (King and Rybaczuk, 1993; King, 2000; for criticism to the model see Baldwin-Edwards, 2004). Is it possible therefore to presuppose that there is a parallel Southern Europe model of internal or domestic migration? An initial glance at the literature does not allow one to give an immediate response, because of the disparate treatment that has been given to domestic migration in the countries under discussion for different historical periods. The comparative interpretation for the Euro-Mediterranean region has generally been used to examine emigration in the classic sense (Venturini, 2004) with little room given to internal or domestic migration (with the partial exceptions being Sapelli, 1996 and Giovannelli, 1999).

Until the 1960s the argument has been at the centre of academic attention, only to then exhaust itself in the 1980s. The explanatory model which prevailed at the time was the paradigm of “rural exodus”. Mediterranean rural spaces were points of departure for flows of people who had as their goal other European countries or the major cities within the country, mostly with the aim of working in the industry. This model was successful – even if in a very schematic and simplistic way – in keeping internal migration and international migration together, highlighting the role of either one. Rural depopulation and urbanisa- tion were the common key concepts for understanding types of migration with different goals: the countryside became depopulated so as to enlarge the indus- trial cities, be they either foreign (emigration) or national (internal migration). In the second case, the country also became a destination, rendering the analysis all the more complex and engaging.

The most recent phase, on the other hand, of the 1980s until today, has been characterised by increasing inward flows into Mediterranean Europe, with a prevalence of foreign immigrants being employed in the service industries

56 Migration in Southern Europe since 1945 and in construction. The studies focused on this period have not produced an explanatory model that includes the different typologies of mobility. Internal migration – at least until recent years – seems to have been detached from the ever-persistent issues of emigration and immigration. The result is paradox- ical: in the boom years for migration studies – when we assist at an important increase in complexity of analytical tools for studying Mediterranean migratory regimes – scholars have simply cancelled from their analyses the question of migration within a country, i.e. that which actually involves more people.

The objective is therefore not simple and we do not want to exhaust the argument in these few pages, but only to advance a first research proposal: it is worth analyzing in more detail the internal migration regimes in a group of countries with common characteristics, linking them with migration to and from abroad.

It is not possible here to attempt a strictly demographic approach to the issue, because of the extreme difficulty in using comparative key national migration statistics. For this reason, it is best to refer to the work of Martin Bell and the project research team IMAGE3. The treatment of data from censuses that document internal stocks available at a given time would, in fact, be the only viable route due to the heterogeneity of sources available on motion flows, in as much as these sources contain a greater wealth of information: population registers in Spain – padrón municipal – and Italy – anagrafe della popolazione –, civil registry in Greece – dimotologio –, none for Portugal (Poulain and Herm, 2013).

Flux sources may also suffer from strong autonomous problems, as has been highlighted in the case of Spain, where in the 1990s the discrepancy between the two main official statistical sources for measuring internal migration, the Encuesta de Migraciones and the Estadística de Variaciones Residenciales, both published by the Instituto Nacional de Estadística, reached a point that would suggest the suppression of the first, judged as less reliable (Ródenas and Marti, 2005; Arbucias, 2011). For this reason, the approach adopted merely reports and links empirical evidences emerging in some studies, trying to focus on the overall geographical mobility of the countries considered and focusing on the different social contexts within them. This is a procedure that allows one to look at these countries as differentiated and dynamic realities within themselves, with a regional or local rather than a national point of view.

The call for a public debate is necessary. In fact, we find ourselves in a phase of powerful push for the creation of new regional entities that put in crisis the traditional state apparatus (until a few years ago considered monolithic, unchangeable) and new nationalisms built against immigration: introducing in this context the population displacement variable of internal migration can be another element in understanding the ongoing transformation.

3 See https://imageproject.com.au

57 Michele Colucci and Stefano Gallo

Figure 1: Economically Active Population by Sector (in Thousands)

58 Migration in Southern Europe since 1945

Note: “Agriculture” includes Agriculture Forestry & Fishing; “Industry” includes Extractive Industry, Manufacturing Industry and Construction; “Industry without Construction” includes Extractive Industry and Manufacturing Industry; “Commerce, Transport and Services” includes Commerce, Finance, etc., Transport & Communications, Services and Others Occupied. Source: International Historical Statistics; Istat.

59 Michele Colucci and Stefano Gallo

Emigration

The demographic and migratory evolution of the four countries considered at first presents some strong common traits. For all, in fact, the period from the end of the war up to today can be divided into two phases with different character- istics. The former was accompanied by a strong demographic growth due to an increase in the birth rate and a simultaneous drop in mortality rates; this exuber- ance was accompanied by a resurgence of migratory flows abroad, particularly towards the most economically strong areas of Europe (Germany, Switzerland, France and Belgium). A slightly different appraisal is to be made for Portugal, due to the commitment of large troop contingents in the repression of liberation movements in their colonies, which has an obvious impact on population trends between the mid-1960s and the first half of the 1970s.

From the economic point of view, at the end of the war, these countries were predominantly agricultural and had an important peasant component whose destiny was a fundamental point of debate in the political arena. The juxtapo- sition in the public sphere between the countryside and the city, typical of the previous decades, is still very clear in this first phase, in the context of major socio-economic transformation. In the two major Latin countries, in fact, after a long period of crisis, one sees the end of the dominant traditional landowner regimes in the southern regions, albeit in different ways. In Italy, agrarian reform was promoted politically during the first decades of the post-war period, and the reforms helped to strengthen a network of small- and medium-sized market-ori- ented companies, even if with major differences in land-use. In Spain, however, the characteristic trait was that of a strong continuity between traditional land management and new productive investments, with a capacity for renewal and endogenous transformation that led to rapid mechanisation of Iberian farming.

In southern Portugal, great landowners faced the risk of collectivization and expropriation, in the wake of the Revolução dos Cravos. However, at the end of a long and torturous process – of which the country’s entry into the European Community was the last act – Portugal has been able to retain traditional propri- etary arrangements by adapting to new times (Sapelli, 1996). In Greece, the spread of small rural property has, on the contrary, played a conservative role, ensuring a high use of manpower for cultivated land. From a technological point of view, family management has not favoured the use of cultivation techniques resulting in higher profitability. In Greece (as in the North of Portugal) we assist at a more gradual decline of traditional family business which produces mainly for its own needs, while elsewhere full-market integration conversion took place at a more accelerated pace.

The times when the numbers of emigrants were greater overlap with periods of intense internal economic growth: this is true for Italy between the late 1950s and the beginning of the 1960s; for Greece, this happened during the 1960s, while for Spain and Portugal it straddled the 1960s and 1970s. The European dimension of migration flows is a fundamental issue and it is worth remembering that in the years following the Second World War when talking about emigration from the Southern European, we are talking mainly about emigration to Central and Northern Europe. The transoceanic destinations that had copiously received migrant flows in the previous decades entered into a crisis due to the closure of

60 Migration in Southern Europe since 1945

US borders and the failure of colonization projects in Central and South America launched after 1945 but soon abandoned for their unfortunate outcomes. For Greece, however, one has to take note that significant migration was registered in Australia, determined by the country’s commitment to the expatriate assis- tance program promoted by international organizations (Venturas, 2015).

For understanding the impact of migratory phenomena on various territo- ries, it is imperative to examine the diversity, especially in terms of the policies, adopted by the countries from which the migrants left. Since the war, Italy had developed the tendency to favour emigration, with the declared and claimed objective – from various Democratic Christian governments – to reduce unem- ployment, stimulate consumption through remittances and mitigate social tensions. In the case of authoritarian countries, such as Spain and Portugal, the propensity to encourage expatriation is less strong; at the beginning of the fifties, the tendency of the two regimes appears to be a closure to emigra- tion. The common figure in these four countries during the post-war period is, however, the rise of workers expatriation. Italy and Greece were the first to take this stance. During the 1960s, we note the rise in expatriation also in Spain and Portugal: the four countries stand out as the ones whose population in Europe has been the most peripatetic. These flows indicate a high percentage of returns, the highest being Italy (even above 80% in some phases) and very significant in the other three countries.

The question of migrants returning causes us to ponder a common field of research, still largely ignored in scholarship, especially when it comes to its comparative dimension, namely the study of the effects of emigration on the territories of departure. Taking a long-term perspective, the analysis of the consequences of emigration on the different regional areas of the four countries in question can be a common framework to understand the intensity of migration-driven changes and to understand how these changes are linked to processes of development and modernization, but also the prolonged depres- sion of some areas.

The same dynamic of internal migration has, inter alia, a relationship with the impact of return migration, especially in periods of hardship. In 1973, when the international economic crisis hit Europe, emigration was already a struc- tural presence for the four countries. The consequences of the crisis on migrant workers were very burdensome. In Germany and Switzerland, this set off a cycle of redundancies and repatriations which had a very negative effect on the social and economic equilibrium of entire regions of Southern Europe. Italy, Spain, Portugal and Greece were severely affected by this situation, and yet it was at this very moment, more than in the past, that there was a significant flow of returnees.

Immigration

Until the late 1960s, the presence of foreigners was still not yet very signifi- cant and even fewer were the working foreigners. From the 1970s, the situation changed rapidly, leading to a second stage in which emerged a backlog of unskilled labour for agriculture and industry. Already at the beginning of the

61 Michele Colucci and Stefano Gallo

1970s, the Greek chamber of industry asked for the temporary and controlled entry into the country of 10,000 foreign workers, as a buffer measure for the lack of labourers and to be in force until the return of Greeks previously emigrated. While Greek industrialists formulated these proposals, however, foreign workers who already happened to be in the country were estimated to be at between 15,000 and 60,000, mainly from Egypt (Pteroudis, 1996). It was an initial core of immigrants that continued to grow in the 1970s, gradually and unregistered.

In Italy, the process took place before this. The first signs of a new immi- gration could be identified at the end of the 1960s, when in two border areas occurred inflows of foreign immigrants directed towards the local labour markets: in the Northeast, particularly in Friuli-Venezia Giulia, workers arrived coming from neighbouring Yugoslavia, and in , especially in the province of Trapani, where people arrived from Tunisia a few miles away (Einaudi, 2007; Colucci, 2016; Alvaro, 2018). In the 1970s foreign provoked an increasingly widespread public debate. At the beginning of the decade, the issue aroused reactions and interventions mainly locally, in those territories where the presence of labour coming from abroad became particularly visible. At the same time, at an institutional level, interventions and initiatives dealt only with a very specific category, namely foreign students, political exiles and people from the former Italian colonies.

At the end of the 1970s, the picture was much more articulated. In the labour market, the sectors in which foreign workers were employed, were numerous and in some areas – such as in Emilia-Romagna – their presence was widely distributed in the territory and in the various productive sectors. Between 1977 and 1979 a lively debate emerged involving economists, trade unionists, jour- nalists, political leaders, businessmen. Within this unprecedented interest in the matter, the government commits Censis – Centro Studi Investimenti Sociali – to publish the first Research Report on Foreign Workers in Italy, which was printed in 1979.

Often, in the countries of Mediterranean Europe, the first reflections on foreign immigration were accompanied by the conviction that these migrations were temporary, seen as an event related mainly to the change of pace in the migration policies of the European immigration countries, France and Germany in the first place, which would soon be rendered extinct with the change in the economic situation. As we have seen, the desire expressed by Greek industri- alists at the beginning of the 1970s aimed at a close scrutiny of the demand for work to be met through a clever use of Gastarbeiter, thus replicating the German model of migration policy – and not by chance a well-known strategy in a country characterized by strong emigration to the German economy.

The process of de-industrialization and the expansion of the service sector favoured the view that foreign immigration would be temporary, not falling into the classic patterns of labour demand for a growing industrial sector. In the course of the years, it was realized that migration was a structural element, also linked to changes in the characteristic reproductive behaviour of European Mediterranean countries, where a sudden and unexpected collapse of births occurred, much more rapid than the European average. At the same time, it became clear that the accelerated development of immigration in all the produc-

62 Migration in Southern Europe since 1945 tive sectors could not only be explained by the “substitution” trend of migrant labour but was linked to a deeper transformation in the demand and supply of labour. The first large wave of migrant workers in Italy – the Tunisian fishermen in Mazara del Vallo embarked on the large local fleet – followed a specific recruitment by contractors – the ship owners in this case. This is not a casual and isolated event, but must be contextualized within a precise strategy, which in fact was similar to the one already mentioned by Greek entrepreneurs of the early 1970s.

In the years between the end of the 1970s and 1980s, the scenario was particu- larly diverse. In some regions traditionally associated with emigration, such as Northeast Italy, departures were interrupted by elevated economic growth. In other regions, however, the occurrence of emigration remained significant, but with numbers much lower than in the past. The issue of immigration was really disruptive in the 1980s, even in Spain and Portugal, which had become part of the process of continental integration. Although Spain and Portugal are heirs of great colonial empires and were inevitably influenced since time and in a distinctive way by international immigration flows, the recent development of immigration showed interesting traits common to what was happening in Italy and Greece (Corti, 2003).

As a first point, the centrality of the agricultural labour market for the initial placement of foreign workers was common to all four countries. The link between agriculture and immigration is to remain, among other things, very close over time, up to the present, due to a heavily stratified labour market. Characteristic of this phenomenon was the presence of undeclared and irregular work – favoured by informal mediation – so large in figures to be considered as a structural and functional need of the agriculture sector. The link between agriculture and foreign immigration also led to the activation of a continuous migration flow within the countries, following the seasonal production paths (Corrado et al., 2017).

Secondly, immigration to Italy, Spain, Portugal and Greece has matched a phase of extended economic transition. Foreign workers became part of the local labour market both as a complementary function and as a substitute, including among others opportunities to take root in certain sectors of the economy. The crisis of the welfare state and the aging of the population, for instance, arouse the private demand of nursing staff, need that was largely satisfied by foreigners. In a turn of phrase, it is said that immigration in these countries does not develop according to the “classic” pattern of the Fordist model as symbolized by foreign workers settling in the main cities to work at the factory. The “new” model appears to be more flexible and dynamic for the migrants, with a stronger mobility within the territory, sudden changes in work and in the geographical region and the alternation of employment and unemployment.

Thirdly, from the Nineties in these countries, there was a strong influx of DPs (including people of the same nationality, mainly in Greece4). Political refugees arrived mainly for the geographical position of the four countries (less

4 While in Italy and Spain the arrival of national refugees was occurred in the previous decades (for Italy see Audenino, 2018).

63 Michele Colucci and Stefano Gallo

for political choices: see the previous cases of Chileans or Vietnamese), even though the initial tendency of a temporary transition through Southern Europe was accompanied by the end of the 1990s by a trend towards establishing oneself permanently. This was also the result of EU policy choices which limited the mobility of refugees in the long run and incentivised their residence in the European country of the first arrival.

Fourthly, we assist at a common difficulty by the ruling classes in the developing of broad-based policies capable of creating ways of integrating the migrants. Recourse to amnesties as a structural instrument of migration policy, lack of adequate legislation on the right to asylum, the tightening up of the more restrictive rules that resulted in the spread of illegal work and residence were all signals that point to flawed policies (one of the most cited hallmark of the “South Europe model of migration”). However, this problem is accompanied by a remarkable ability of association and mobilization of the same migrants who have been actively present in the public space in the quest for rights, according to organizational forms not related to their national or religious affiliations (as happened in more countries of mature immigration, such as France or Great Britain), but to their very condition as foreigners (for Italy, see Colucci, 2018). Immigration, on the other hand, has become since the mid-1990s a space of great political contestation in all four countries.

Remittances

In the whole region, the migratory balance became positive during the 1970s: in 1972 for Italy, in 1975 for Spain and Greece. Portugal also recorded positive net migratory rates towards the middle of the decade, even though linked to other dynamics. Between 1974 and 1975, the decolonization process resulted in the return of settlers and soldiers: half a million people returned home within two years – os retornados –, bringing in a positive migratory balance that was to return to the negative in the 1980s.

This positive balance, however, must not shift our attention from the centrality of emigration and the expatriate community to the economies of the countries of Mediterranean Europe. The huge flow of emigrant’s remittances, for instance, has been reinvested, providing support to internal incomes and consumption, but also encouraging some kind of distortion. During the 1960s, Greek remit- tances accounted for more than one-third of the balance of payments deficit; in 1974 10% of Portugal’s national income came from remittances; in 1973, money sent home by Spanish emigrants reached $1.4 billion, against $150 million in 1962 (Sapelli, 1996). In Italy in the 1970s, despite the international economic crisis and the downward trend in emigration flows, remittances remained a steadily increasing item in the balance of payments. Between 1973 and 1975 there was a decrease in the annual cash flow, but in the second half of the 1970s, we assist at significant increases. Thereafter, the importance of inbound remittances was destined to diminish. There is, however, a remarkable and, in some respects, astonishing gap between the year in which the inflows of people exceeded the outflows for the first time – 1973 – and the year in which remittances leaving Italy went beyond incoming remittances – 1998. We are talking of a twenty-six year gap. The issue of remittances also forces us to rethink of periodization and

64 Migration in Southern Europe since 1945 the question of different phases. The following table shows a summary for the period 1970-2007, dividing the amount of remittances in millions of dollars by beneficiary countries worldwide.

Table 1: Top 23 Countries Receiving Remittances (in Millions of Current Dollars) (1970-2007)

Country Amount

India 250.620

Mexico 197.046

France 176.667

China 158.523

Philippines 141.802

Germany 118.733

Spain 110.347

Belgium 108.183

Egypt 107.827

Italy 105.568

Portugal 102.790

Turkey 77.155

United Kingdom 74.608

Pakistan 71.965

Marocco 66.501

Greece 54.592

Australia 54.276

United States 49.855

Lebanon 48.909

Bangladesh 48.233

Brazil 43.613

Poland 43.564

Jordan 43.335 Source: Sospiro – Scibè, 2017.

The information we can glean from this data is ample. Italy is ranked tenth in the sum of remittances received between 1970 and 2007. Data collected on a worldwide scale give some indication of the weight of remittances in the economy of Mediterranean countries. At the top twenty-three countries, in fact, ten belong to the Mediterranean basin, in the order: France, Spain, Egypt, Italy, Portugal, Turkey, Morocco, Greece, Lebanon and Jordan. In almost forty years, the weight of remittances was crucial for these countries, both on the north shore and the southern shore of the Mediterranean, confirming a common trait even among the different geographic areas and in terms of models of development.

65 Michele Colucci and Stefano Gallo

The persistent centrality of emigration, however, has often been denied by institutions. At the end of 1991, the Portuguese foreign minister declared to the Swiss press that Portugal was no longer a country of emigration, but had become a country of immigration; a few years later in the institutional lexicon the word “emigrante” was replaced by the expression “comunidades portu- guesas”5. The growth of migration flows of foreign nationals substantiated this view, but emigration was not a phenomenon of the past. In Portugal, data had even registered a growth in transfers abroad for work since the mid-1980s, with a significant increase in Portuguese residents in other European countries, such as Switzerland – from 16,587 in 1981 to 205,255 in 2009 – or in Spain itself – from 24,094 to 140,870 in the same period (Marques, 2010). Greece also experienced a revival in emigration that was initially classified as a qualified one in the 1980s to mark the difference from traditional migration, although the unskilled component was, in fact, significant (Pteroudis, 1996).

The new element of this second phase, which would emerge with even greater consistency in the whole region between the 1980s and the 1990s, was, in fact, the co-existence within the individual countries of different migratory typologies: traditional emigration did not disappear but was joined by others.

Internal Mobility 1945-1970

In the thirty years following the Second World War, in all four countries, there was a general and marked depopulation of mountain and rural areas. Throughout the Mediterranean, the mountain was now far from representing the braudelian “factory producing men for the use of others”, a renewable source of manpower for the cities and plain areas, featured by circular movements. The demographic transfer to the most dynamic economic regions appeared as a traumatic breakdown of the traditional demographic and social equilib- rium of mountains. The countryside also ceased to be a densely inhabited and lively place and became the seats of highly mechanised companies. A strong geographical polarization occurred between the rural and urban areas, linked to the dynamics of industrialization and urban growth. This was most evident in Italy and Spain, and less so in Greece and Portugal, especially in the latter country where the profiles were even more attenuated.

Perhaps the most linear process of land abandonment by agricultural workers expelled from the large-scale mechanisation of agriculture is to be found in Spain. During the peak period of rural exodus, between the 1960s and 1970s, almost two million workers left the land (Sapelli, 1996). From the southern regions of Andalusia and the large central rural block of Extremadura, Castilla-La Mancha, Castilla y León and Aragona, the flows went to Madrid, Catalonia, the Valencia region and the Basque Country. The main goals were the two major cities: Madrid, the administrative capital, and Barcelona, the economic capital. From the latter, two further axes of attraction went along the Mediterranean

5 Something similar had occurred in Fascist Italy more than half a century before, with the replacement of the Commissariato generale dell’emigrazione with the Direzione generale degli Italiani all’estero in 1927.

66 Migration in Southern Europe since 1945 coast to Alicante, and in direction of the Atlantic along the course of the Ebro to the Basque Country. The effects of this large shift in the population are evident: in 1991 the 29% of the Basque people, 33% Catalans and 42% of the Madrilenian population had been born in other regions (Recaño et al., 2003).

Even in Greece, the urbanization was important, though with some peculi- arities. The civil war of 1946-1949 had led to the displacement of some 700,000 people, 10% of the total population, most of whom found the city to be a safe haven (Clogg, 1992). The main Greek towns are ports and the urbanization rate was historically high when taking into account the weight of the agricultural sector in employment. In 1961, while 43% of workers were employed in the countryside, 47% of the population lived in the cities – working mainly in the service sector. 70% of the urban population was concentrated between Athens, Thessaloniki and Patras: almost one Greek in three. Compared to Italy the gap between the “pulp” and the “bone” of the country – to use the metaphor of Manlio Rossi Doria – was even sharper: the mountains lost population in favour of the coastal areas, with a small portion of flat cultivable land separating the montane and coastal regions. The overwhelming part of the urban growth was due to internal migration, especially towards Athens and Thessaloniki, while smaller cities, centres with a population of between 10,000 and 100,000 people, tied to specialized agriculture, did not experience any relevant increases by migrations (Baxevanis, 1965). The trend was to be confirmed and accentuated over time. In 1981, Athens hosted 30% of Greek citizens.

In Portugal, the territorial disparity was classically a case of the North being unattractive – with the exception of Porto – and a South enjoying a certain but no widespread attraction. In the past decades the transfer of Northern folk to the southern countryside was unsuccessfully promoted by the State through internal colonization programs, similar to what had been conceived in Spain and Italy (Misiani and Sansa, 2016; Gallo, 2012). In the 1950s, the rural exodus was intensified in the Northeastern regions and expanded into the rural interior of the rest of the country. Lisbon was at this stage a centre of attraction, but also a place of departure: already in the 1950s, the net migration balance of the concelho lisboeta was negative, even in a context of natural demographic growth, while the metropolitan belt continued to attract immigrants. However, even the conurbation around the mouth of Tejo, the country’s first immigration pole, between 1951 and 1960 revealed a slowed pace compared with the boom of the 1920s, the only exception being Sétubal. “The Lisbon district itself does not escape the loss of the power of attraction that extends to all Portuguese territory and which benefits foreign countries alone, in demographic terms” (de Alarção, 1964: 538). Even more obvious the situation in Porto, with a zero balance after the immigration boom of the 1930s.

Rather than a coexistence between centres of attraction and areas of expulsion, the whole country seemed to share the push abroad and participate in an all-pervasive emigration movement, though with greater capacity for the reception – as a net result between arrivals and departures – demonstrated by the main urban centres and above all by their hinterland. Even in the 1970s, only five districts of the eighteen in continental Portugal showed positive figures in terms of internal transfers: Setubal, Lisbon, Faro, Aveiro and Porto. Depopulation affected the traditionally agricultural regions: the interior of the North and the

67 Michele Colucci and Stefano Gallo

latifundist center of the country, Alentejo. Another peculiarity of the country should be mentioned for this period: Portugal was still a colonial country, from which a significant emigration to the colonies took place. Between 1951 and 1960 122,000 Portuguese moved to Africa; in 1961 was created the Espaço economico portugues, in order to obtain a greater integration between the metropolis and African possessions and to increase this “internal” mobility to the detriment of the emigration abroad.

In Italy, the displacement of the population was really astounding. Historians consider the dynamics of internal migration as being one of the greatest societal and cultural upheavals in contemporary Italy: between 1951 and 1971 there were around 9 million changes of residence among Italian municipalities (Ginsborg, 2006). If we want to subdivide these types of migrations, we can use four major categories. The first was that of those leaving from the South to Central and Northern Italy, the second movement was from the montane zones to the plains and the coastal areas, the third one from the countryside to the cities, and the fourth movement was linked to the exceptional urban development of some of the large metropolitan areas such as Milan, Turin, Rome and Naples.

These four movements naturally entangled and overlapped, even though they were phenomena with a specific autonomy which can be traced back to larger types of social movements such as the depopulation of montane regions, the exodus from the countryside, urbanization, and emigration from the South. Moreover, there were also, especially during the 1950s, specific migratory movements directed towards the countryside, linked, for example, to the agrarian reform launched at the beginning of the decade, but these movements represent an exception to the prevailing trend of abandonment of the rural world.

Remains relevant, in Italy, the persistence of seasonal migration related to agricultural labour, which is more closely regulated than in the past, even at the union and institutional level. This movement is also evident in Portugal: in 1957, seasonal farming activities involved more than 100,000 people migrated domes- tically, even though it was no longer a case of the great mobilization of agricul- tural workers of the previous decades, who descended from the north-northwest to the arboricultural areas and large southwestern plains.

The fear of an excessive expansion of the cities caused a widespread anti- urban rhetoric in the countries of Mediterranean Europe, but it did not result in normative measures being implemented. In 1953, the Greek government draft a bill to reduce the urbanization of the capital, which since 1945 had witnessed inflow of more than half a million people. Popular opposition to this measure caused the proposal to drop aside. At the beginning of the 1970s, with the dicta- torship of Colonels, a proposal was launched to control the direct migration to the capital, once again with no success. However, indirect measures were taken to control the construction of public buildings and to encourage industrial decentralization in the Athens area: the large urban concentration could pose a political threat as well as an element of social degradation which the urban middle classes feared.

This link between anti-urbanism and authoritarian regimes can also be found in Spain shortly after the end of the Civil War, but especially in Italy during

68 Migration in Southern Europe since 1945 fascism and the early years of the Republican period. The situation is somewhat paradoxical. The anti-urban legislation that fascism had strongly wanted had found a definitive accommodation in 1939. However, the events of World War II had actually prevented its timely application. Only in 1961 did Republican Italy rule the repeal of the Fascist laws of 1939. For about fifteen years, Italy was in a very particular situation. In a country at first caught by the requirements of reconstruction and then by the fervor of the economic boom, the trend towards internal mobility became constant and permanent. However, this migration was barred at the legal level at least until 1961. Those who wanted to change their residence had to prove that they had the money or a work contract in the new municipality, despite employment offices were intended for residents only. Those who were surprised by law enforcement without proper documents could be sent back to the commune of origin. Although the rule was applied with a certain degree at the discretion in the various territorial jurisdictions, its perma- nence reveals to what extent institutional bias against mobility was rooted and how hard and determined the struggle of many public and private parties who wanted a reform. The criticism of the laws of 1939 during the 1950s associated unionists and public officials, municipal offices and political figures (Gallo, 2007 and 2014).

Traces of this tendency were also found in the Portuguese context, given that the constitution approved after the end of the Salazar regime established in Article 44 the right of internal movement for all citizens. 1970-Today

From the 1970s, the pattern of internal migration changed radically, marking a break with a tradition that had endured at least since the mid-1800s. Between the city and the countryside, a new mobility occurred, with apparently opposite directions compared to the previous period: big cities began to lose residents. The decentralization of the urban system was a shared phenomenon in all four countries, where it was evident between the 1970s and 1980s. In Greece, the demographic polarization model around Athens’ and Thessaloniki’s urban magnets shrinks, leaving greater importance to medium-sized cities. Lisboa and Porto recorded population losses during the 1980s, with similar characteristics: these were mainly short-distance migrations, directed towards their respective hinterlands, north of the capital along the left bank of the Tejo and southeast on the other side the estuary – Sétubal – or in the Grande Porto area. In Italy, the confrontation of demographic data from the 1960s to the 1970s had shown the urban decentralization of Bologna, while in 1976 a demographic decline was observed for Milan (Gallo, 2012). Initially greeted as a return to the countryside, it was actually a saturation of the historical centre of the towns – that had tradi- tionally been attracting the migrants – and the emergence of a new model of the extended metropolitan area.

The distance traversed in domestic movements has been declining in recent decades, with inter-provincial mobility decreasing, while short-term mobility has become more important. In Spain, between 1960 and 1970, 57% of the displacement of people over ten years was from one province to another. This figure decreased to 39% in the decade between 1981 and 1991 (García Coll and Stillwell, 2000). The range of target destinations also changed, while Madrid

69 Michele Colucci and Stefano Gallo

and Barcelona city centres marked the pace. During the 1990s, provinces with positive migratory flows because of their high attraction were no longer polarized in urban and industrial centres, but were spread around the main urban centres – Girona, Tarragona and Lérida around Barcelona, Guadalajara and Toledo near Madrid, Navarre, Alava and La Rioja south of Bilbao – and coastal areas – the islands, the Mediterranean coast between Malaga and Castellón. Some traditional areas of emigration, such as the regions of southern and central Spain, have even seen the recurrence of return immigration (Romero and Albertos, 1996).

A parallel may be drawn with Italy: the decline of some regions of classical industrialization – important portions of Italy’s industrial triangle Torino-Milano- Genova and the Cantabrian area for Spain, namely, the Basque Country, Asturias and Cantabria – doesn’t imply the decline of all the former industrialized areas. We can observe the persistent attractiveness of many provinces in Catalonia or in the Italian industrial triangle. In fact, one sees the growth of subregional suburban areas of Spain – Pontevedra, Victoria, Malaga – and Italy – the so-called Terza Italia –, with the rise of small to medium-sized cities and a balanced inte- gration between the service sector, agriculture and industry, together with the dynamism of the small and medium-sized enterprise (Sapelli, 1996). In Portugal, much of the population and economic activities are increasingly concentrated in the coasts of the country, while the interior is characterized by low levels of natural growth and persistent emigration. Algarve was the only region that maintained a strong attraction both in the 1970s and in 1980s, thanks to the development of a robust tourism-based economy that has attracted migration flows. The country appears to be a semi-industrial area with a non-industrial future, “a nation [...] where the level of urbanization is very low compared to the more developed countries, and in the North Coast and the Centre industrial development is not carried out according to classical urbanization models. At the same time, rural and urban characteristics are very similar to those found in the central and northeastern Italy”: the characteristics of “widespread urbanization” and “industrialization in rural centers” along with “semi-industrialized service industries” (Sapelli, 1996: 174) found in Portugal may recall the model of Terza Italia.

Internal migrations at this stage generally appear to be less intense than the preceding period but continue to play a key role. A separate discourse is to be made for Spain, where from 1987 and until at least the crisis of 2007-2008 there was an unexpected and spectacular rise in the rate of internal mobility. For a decade, this increase was not related to the presence of foreign people, who just from the new millennium have been participating in increasing quotas in the growing shared mobility, both domestically and abroad (Ròdenas and Marti, 2005). It was a mobility which mostly exhausted itself within the same province and appeared to have been more closely related to housing adjustments than to changes in employment, for the greater part occurring from larger urban centers to smaller ones.

At the beginning of the new millennium, however, researchers of territo- rial mobility showed a strong interest in foreign immigrants. For example, in the case of Spain, interpretative suggestions have been made on the role that internal migration of foreigners played in finding new opportunities for further

70 Migration in Southern Europe since 1945 immigration from abroad (Sandell, 2011), while the presence of immigrants in a traditionally mobile profession such as that of the farm labourer occurred in all four Mediterranean countries. The model at this stage seems to coincide with the proposed model for international migration: a lower polarization of centres of attraction, greater diversification of locations of arrival and departure locations and coexistence in the same areas of emigration and immigration.

The mobility of foreigners in Southern Europe was also linked to the global transformation of international migration systems, especially in the 1990s. In addition to migration exchanges with Africa and Asia, a new dimension of migratory relations between Southern Europe and Eastern Europe emerged ever since the fall of the Iron Curtain, which significantly modified the balance of intra-European migration. Some Eastern European countries requested immediate entry into the European Union in the early nineties. The opening of the eastern borders was closely linked to the process of European integration and the endorsements of the Schengen Agreements, which in 1992 foresaw the free movement between member states. Of course, with arrivals from the east, the whole European migration system was redesigned and the first conse- quence was the relative drop in the movement from the southern Mediterranean countries.

The countries of Southern Europe within a few years became the top desti- nation for migrants from Eastern Europe. Since January 2002, for example, Romanian citizens are able to enter EU countries visa-free. At this point, their migratory trajectories took them in considerable numbers to Italy and Spain. In 2003, one-fifth of the Romanian families had a foreign affiliation. This process started in 1989. In May 2006, the largest number of Romanians were in Spain – 388,400 –, followed by Italy – 270,000. Between 1991 and 2004, about two-and-a-half million people left Ukraine, most of them heading to Russia, followed by Italy, Spain, Portugal and the Czech Republic. In the 1990s in Albania, emigration assumed the proportions of a mass exodus, higher than any similar phenomenon in Central and Eastern Europe. Departures from Albania were very important also because of the isolation of the country during the socialist era when emigration did not occur at all. In 1998, about 700,000 Albanians lived outside the national borders, a figure which accounted for 20% of the entire population. According to the 2001 census, Albania lost 95,258 people compared to 1989, a decrease in population which can be explained not only by the decrease in the birth rate but overall by the increase in emigration. The boom of departures can be explained mainly by two factors. The first was the high unem- ployment rate and the high gap in labour remuneration between Albania and abroad. The second was the ease of travel, especially to Greece and Italy, which can be reached quickly and inexpensively. Initially, the flows to these nations were predominantly temporary – while definitive migration was mainly directed towards the United States. At a later stage, the tendency to settle permanently in Italy and Greece was strengthened and family reunions and second-genera- tion school enrolment increased. Even in the case of Ukrainians, Albanians and , Spain, Greece and Portugal, the available research shows that in the 1990s there was a strong tendency towards high internal mobility, mainly related to the prevailing professions, namely, those in construction for men and in care-giving for women.

71 Michele Colucci and Stefano Gallo

Conclusions

Italy, Spain, Portugal and Greece have undergone in the last sixty-seventy years a number of historical experiences in which internal migrations have entangled with international migrations, to the point of making the same sepa- ration between the two phenomena difficult, as we have tried to demonstrate in this contribution. In Italy, there was a clear continuity between the internal migration and the departures abroad due to post-war reconstruction and the economic boom, especially from the second half of the 1950s, with mass migration from Southern Italy. Those who departed from the South to Central and Northern Italy could then depart to foreign destinations. However, most of those who came from abroad hardly returned to the South because they could find employment in Central and Northern Italy, at least until the 1970s when the crisis resulted in a significant closure of this circularity of opportunities.

The link between internal migration and international migration becomes even more persuasive if we extend the periodization. Take for example the rural migrations connected to the great campaigns of land reclamation and public works carried out by the Fascist regime. After the Second World War, from the areas of bonifaca people moved to foreign countries in order to meet the income requirements of the new economic context. In the province of Latina, for instance, the statistics on emigration abroad showed significant peaks at the end of the 1940s: most emigrants consisted of these former “pioneers in black skirt”, people who were previously immigrated to southern Lazio from the Northeast regions or their sons.

The relationship between international migration and internal migration in Italy was manifested during the season of the returnees in the 1970s. The wave of people coming to Italy following the economic crisis, especially from European countries, emphasizes once again the issue of the plurality of migratory routes, given that in the return migration routes there was often a tendency to a contin- uous mobility in Italy, fostered by the search of a dignified job. The 1970s were a crucial breakthrough. In fact, over the decade, we can identify a particularly continuity between internal mobility flows that came to be less significant and the new foreign immigration flows that came about. In Northern Italy, there are numerous signs that indicate the arrival of foreigners as a result of the departure of immigrants from southern Italy, who in turn were divided into other destina- tions or returning to their areas of origin. This “migratory relay” was typical of those areas with high informal recruitment, such as in agriculture or construc- tion, where it is easier to bring up rapid migratory chains, linked to the success of the first arrivals.

The link becomes even more persuasive in the new configuration migratory movements have assumed in Italy in the last fifteen years, especially with regard to the foreign component. Foreigners in Italy have a tendency to be highly mobile: social scientists were already reporting on it in the 1980s and 1990s. This trend towards mobility is linked to a number of factors, such as the flexibility of the labour market in which they are included, the legislation on residence permits, the mobile dimension that increasingly characterizes many jobs in which foreigners are present – agricultural labourers, building and care-giving workers.

72 Migration in Southern Europe since 1945

Foreign immigrants today are employed in the services sector, construction and agriculture: the last great emigratory experience of the four countries had as the main destination the industrial secondary sector. If we consider the internal migration during the “glourious thirty”, it is true that at least in the Italian case the factory predominated. However, this was engulfed by a wider and varied migration concerning services, construction and agriculture (Panichella, 2014). The “pull sectors” for foreign immigrants today are in part the same of the “pull sectors” of internal immigrants yesterday: at the same time, today’s immigration legislation has strong ties with the legislation relating to yesterday’s internal migration, at least in the case of Italy. This continuous bounce between past and present is a very useful idea to be re-launched, even in the perspective of further broadening the research horizons. For example, we consider the role of political and union mobilization of internal migrants in Italy in the years of the economic miracle. Have similar movements occurred in other Mediterranean countries? Are there similarities with subsequent social movements related to foreign immigration? And what of the second-generation born from the great internal migrations in the period 1950s-1970s? What outcome did they have from the point of view of social paths? The Spanish case illustrates significant differences in the educational levels of internal migrants and in their children’s educational trajectories, with significant discrepancies, depending on the areas of origin and destination. The worst performances in terms of educational attainment were recorded by those who moved from Andalucia and Extremadura to the Basque Country and Catalonia, while in the metropolitan area of Madrid the differences between native and non-native, as well as relationships between outcomes and areas of origin, were minimal (Recaño Valverde and Roig Vila, 2003). In Italy, studies are almost exclusively focused on the Turin case (Badino, 2012), but in this sense, too many perspectives have to be opened up to compare the Italian case studies with what happened in Spain, Portugal and Greece.

Countries of attraction and repulsion, first mainly of emigration then affected by important immigrations, but also countries of transit for other destinations: this is the picture that emerges strongly during the second half of the twentieth century for the Euro-Mediterranean region considered. In this regard, entry into the Schengen area has led to a demand from northern European countries for greater border control. The timing of entry into the Schengen area was very tight: Italy in 1990, Spain and Portugal in 1991, Greece in 1992. The link between the common participation in the Schengen process and the effects on the circulation of people in the Schengen area, within each country, was still all to be discovered because the studies have understandably privileged the size of migrations inside and outside the European borders and not the internal ones. There has been a lot of talk about internal migration to the Schengen area in the last years, as evidenced by the many proposals for the revision of the free movement clauses. Nevertheless, the debate mainly concerns migration between the countries of the EU and not migration within the countries, a theme that deserves more attention.

73 Michele Colucci and Stefano Gallo

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76 Résumé - Abstract - Resumen

Michele Colucci and Stefano Gallo Migration in Southern Europe since 1945: The Entanglement of many Mobilities

“Space” – in which the phenomenon of migration takes place – is not the only category to be rethought and relocated in migration studies. Another key issue is “time”, or rather a periodisation. For a long time, the academic debate on Europeans Mediterranean countries has been dominated by a claim that has been more or less taken as given, namely, the historical succession of emigra- tion and immigration. Italy, Spain, Greece, and Portugal are supposed to have followed, according to this evidence, a cyclical model of migration that was around up until the 1970s, the emigration beyond national borders being seen as a predominant movement following by a massive foreign immigration which is said to have supplanted the centrality of expatriation. The article proposes a new point of view about this question, incorporating emigration, immigration and internal migration in Italy, Spain, Greece, and Portugal in a convergent perspective. Migrations en Europe du Sud depuis 1945 : l’enchevêtrement de nombreuses mobilités

L’« espace » – dans lequel se produisent les migrations – n’est pas la seule catégorie à être repensée et relocalisée dans les études sur la migration. Le « temps », ou plutôt la périodisation, est un autre problème clé. Pendant longtemps, le débat savant sur les pays méditerranéens d’Europe a été dominé par une conviction plus ou moins partagée sur la succession historique de l’émi- gration et de l’immigration. Selon ces termes, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et le Portugal auraient suivi un modèle migratoire cyclique qui a existé jusque dans les années 1970, l’émigration au-delà des frontières nationales étant perçue comme un mouvement prédominant suivi d’une immigration étrangère massive qui aurait supplanté la centralité de l’expatriation. L’article propose un nouveau point de vue sur cette question, intégrant émigration, immigration et migration interne en Italie, en Espagne, en Grèce et au Portugal dans une perspective convergente. Migración en Europa del Sur desde 1945: el enredo de muchas movilidades

El «espacio», en el que se produce el fenómeno de la migración, no es la única categoría que debe ser repensada y reubicada en los estudios migratorios. Otro tema clave es el «tiempo», o más bien la periodización. Durante mucho tiempo, el debate académico sobre los países mediterráneos europeos ha estado dominado por una afirmación que se ha considerado más o menos dada, a saber, la sucesión histórica de emigración e inmigración. Se supone que Italia, España, Grecia y Portugal han seguido, de acuerdo con esta evidencia, un modelo cíclico de migración que se extendió hasta la década de 1970, la emigra- ción se considera un movimiento predominante seguido por una inmigración extranjera masiva que suplantó la centralidad de la expatriación. El artículo propone un nuevo punto de vista sobre esta cuestión, incorporando la emigra- ción, la inmigración y la migración interna en Italia, España, Grecia y Portugal en una perspectiva convergente.

77

REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 79-101

Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle : un autre regard Augusta Molinari1

Les frontières de la mer

Les morts qui se succèdent depuis vingt ans dans le canal de Sicile sont le résultat le plus dramatique d’une législation européenne et nationale qui a fait du franchissement des frontières en mer un acte illégal (Sossi, 2005 ; Cuttitta, 2012 ; Leogrande, 2015). La traversée de la Méditerranée est de plus en plus mise en scène ; elle est presque devenue une forme de survie, résultat d’actions de violence et de cruauté qui ont déterminé la redéfinition d’une nouvelle géopo- litique au niveau mondial (Dal Lago, 2003) qui s’est mise en place entre le XXe et le XXIe siècle. Le voyage en mer constitue désormais une violation de fron- tières que la mondialisation a créé et qui est devenu toujours plus omniprésent (Schmoll et al., 2015). Ces passages tragiques nous invitent à porter un regard différent sur les migrations transocéaniques italiennes du début du XXe siècle : le fait de franchir une frontière au moment du débarquement a été peu étudié (Neuman, 1996 ; Tichenor, 2002 ; Kanstroom, 2007). À leur arrivée, des migrants italiens pouvaient être refoulés ou subir un rapatriement forcé des États-Unis vers l’Italie, comme le montrent les rares données du Commissariato generale dell’emigrazione2 (1926) l’organe qui a traité en Italie la gestion des flux migra- toires. Cette « comptabilité » du désespoir, de la misère, de la défaite relative aux voyages de retour des émigrants n’a donc laissé que peu de traces dans les statistiques.

Les bateaux-lazarets

Le départ de navires chargés de migrants se dirigeant vers les Amériques a constitué entre 1850 et 1920 le symbole des migrations transocéaniques italiennes. L’iconographie, les journaux, les chants populaires parlent des « navires qui partent » et évoquent la complexité et la variété des expériences migratoires. La clameur qui accompagne le départ des émigrants pour les

1 Professeure d’histoire contemporaine, Université de Gênes, Département des sciences de l’éducation, Corso Andrea Podestà 18100 Gênes, Italie ; [email protected] 2 Commissariat général de l’émigration.

79 Augusta Molinari

Amériques est motivée par le caractère de la séparation définitive du pays d’origine attribuée par la classe politique de l’époque aux migrations transo- céaniques. Les flux migratoires vers les Amériques sont présentés comme des migrations sans retour qui « libèrent » la société italienne du poids de sujets économiquement inutiles et socialement dangereux (Sori, 1979 ; Arru et Ramella, 2003 ; Orazi, 2015). D’ailleurs, une fois à bord des navires, les migrants n’avaient plus aucune forme de protection de la part de l’État italien. C’est seulement à partir de 19013 avec la première loi sur l’émigration que le gouvernement italien prévoit la présence d’un représentant de l’État, un médecin officier de la Marine (le Commissaire de bord), sur les navires qui transportaient les migrants. Les Commissaires étaient chargés de vérifier les conditions sanitaires et d’hygiène de vie des migrants sur les navires pendant la traversée (Molinari, 2014a). Mais, à cause des multiples tâches qui leur étaient attribuées et de leur nombre insuffi- sant pour répondre aux exigences du transport des migrants, la présence à bord de ces officiers n’a pas produit une amélioration des conditions de voyage des migrants, tout du moins jusqu’aux années 1920.

Pour les migrants italiens, traverser l’océan était un passage normal et habituel, bien qu’à cette époque les traversées n’étaient pas dénuées de risques. Durant le voyage, les migrants pouvaient décéder, tomber gravement malades, être victimes de naufrage ou bien ils pouvaient être débarqués dans des lieux différents que ceux prévus, être rejetés au moment du débarquement dans les ports d’arrivée, être rapatriés parce qu’ils étaient malades ou en raison de leur pauvreté.

Le voyage d’émigration représente un des rares éléments d’observation permettant de recueillir les données qualitatives et quantitatives sur les condi- tions de santé des migrations historiques italiennes transocéaniques. Les bateaux, en effet, apparaissent en soi comme un lieu pathogène entre le XIXe et le XXe siècle (Molinari, 2005).

L’institution en 1901 du Commissariat général de l’émigration (Ostuni, 2001) créé une structure politique administrative dont dépend une série de services destinés au contrôle sanitaire des migrants avant l’embarquement et au cours du voyage. Les informations enregistrées nous permettent d’avoir une ample documentation sur les pathologies les plus fréquentes rencontrées à bord des navires, le type d’assistance sanitaire apportée et l’hygiène à bord des bateaux à vapeur. Il s’agit d’un corpus hétérogène (rapports de santé préparés par le Commissariat général, dossiers sur la santé rédigés par le médecin du gouver- nement embarqué sur les bateaux, rapports des médecins à bord, statistiques sanitaires préparées par le Commissariat général de l’émigration, enquêtes et publications de médecins et d’hygiénistes sur les conditions sanitaires des voyages transocéaniques) d’un grand intérêt pour documenter les conditions hygiéniques et sanitaires des voyages au début du XXe siècle (Molinari, 1990, 1993 et 2004). La majorité de cette documentation est conservée par les archives

3 La loi de 1901, avec l’instauration du Commissariat général de l’émigration, prévoyait une série de dispositifs de contrôle et de protection des migrations transocéaniques (inspection de l’émigration dans les ports d’embarquement, hospitalisation des migrants en attente d’embarquement, conventions avec les auberges où logeaient les migrants en attente du départ) qui ne furent appliqués que partiellement après 1910.

80 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle centrales de l’État et regroupée avec le fonds du ministère de l’Intérieur4. L’ensemble de ces documents couvre une période qui va de la dernière décennie du XIXe siècle à la suppression, en 1927, du Commissariat général de l’émigra- tion.

Le transport en masse d’émigrants par la mer sur les voies transocéaniques représente, en effet, une situation à haut risque pour la santé, non seulement en raison des mauvaises conditions d’hygiène régnant à bord et de l’inadaptation des structures et du personnel sanitaire pour répondre aux multiples besoins d’assistance, mais aussi en raison des urgences fréquentes dues à l’apparition d’épidémies au cours du voyage. Le manque de structures sanitaires sur les bateaux réservés à l’émigration, le surpeuplement et le manque d’hygiène avec lesquels les émigrants étaient contraints de voyager, font partie des éléments récurrents des rapports sanitaires établis par les médecins les plus scrupuleux. La situation sanitaire à bord des bateaux à vapeur, déjà difficile à gérer dans un contexte normal, devenait insoutenable quand, ce qui arrivait assez fréquem- ment, se manifestaient des épidémies de maladies infectieuses.

Le médecin du gouvernement du bateau Città di Torino, présente une situation sanitaire à haut risque au cours d’une traversée à destination de New York en décembre 1906 :

« Les conditions sanitaires du voyage à l’aller ont été peu satisfaisantes : sur 1401 émigrants, quarante-huit ont été soignés à l’infirmerie de bord, dont trois seulement ont guéri durant la traversée, quarante-quatre ont débarqué malades et un a trouvé la mort. Les causes d’un taux aussi élevé de morbidité doivent être attribuées à trois maladies infectieuses qui se sont développées simultanément à bord : la variole, la varicelle et la rougeole. »5

Dans la description des mesures sanitaires adoptées pour contenir les épisodes épidémiques, le médecin souligne les difficultés rencontrées afin d’isoler les malades contagieux en raison du manque de locaux adaptés.

Si la succession d’urgences sanitaires importantes au fil des traversées, favorisées par les conditions de surpeuplement, de saleté et de violence que subissaient les émigrants, mettait à dure épreuve un service sanitaire déjà très peu efficace, ces situations difficilement soutenables conduisaient les médecins à prendre des positions de dénonciations explicites du danger que constituait un voyage transocéanique pour la santé des émigrants. Comme nous pouvons le lire dans la conclusion du rapport, concis, mais efficace, à propos du voyage de retour des États-Unis à bord du bateau Calabria au mois de février 1903 :

« Il y avait des tuberculeux, des malades atteints du paludisme et de rhumatismes chroniques. Durant le voyage de retour, le bateau à vapeur ressemblait à une grande infirmerie. »6

4 ACS (Archivio Centrale dello Stato), MI (Ministero degli Interni) DGSP (Direzione Generale di Sanità Pubblica) (1882-1927) Relazioni sanitarie, bb. 12-198. 5 ACS, MI, DGSP (1882-1915) Giornali sanitari. Giornale sanitario del piroscafo Città di Torino, b. 168. 6 ACS, MI, DGSP (1900-1914) Giornali sanitari. Giornale sanitario del piroscafo Calabria, b. 8.

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Tableau 1 : Cas de maladies infectieuses et d’aliénations mentales déclarés durant les voyages transocéaniques en effectifs (1903-1925)

Italie - Amérique Amérique du Italie - Amérique Amérique du du Nord Nord - Italie du Sud Sud - Italie Ankylostome 0 11 0 152 Paludisme 162 57 133 46 Rougeole 1 695 880 2 559 1 310 Pneumonie 403 119 349 89 Syphilis 33 232 106 223 Trachome 167 677 415 2 623 Tuberculose 143 7 745 213 1 929 pulmonaire Gale 395 344 508 275 Variole 24 13 50 44 Scarlatine 52 37 49 70 Variole 122 26 75 29 mineure Typhoïde 217 93 159 88 Varicelle 278 479 327 159 Aliénation 92 2 237 150 748 mentale Source : Commissariato generale dell’emigrazione (1926 : 1613-1628).

La prédominance des malades atteints de tuberculose pulmonaire parmi les patients soignés dans les hôpitaux de bord constitue une donnée récur- rente aussi bien dans les rapports sanitaires examinés (voir Tableau 1) qui font référence à des voyages réalisés dans la première décennie du XXe siècle, que dans les journaux sanitaires consultés sur une période allant de 1925 à 1928. Le pourcentage des émigrants refoulés dans les ports de débarquement, puis rapatriés pour tuberculose pulmonaire n’est pas indiqué dans les statistiques sanitaires du Commissariat général de l’émigration qui se limitent à relever le nombre total des immigrants refoulés et des rapatriés inscrits comme indigents, mais ce chiffre ressort de l’analyse des documents sanitaires.

Pour les médecins, la présence de nombreux tuberculeux sur les bateaux au retour, surtout, des États-Unis, était considérée comme faisant partie de la routine (voir Tableau 2) :

« Enfin, d’autres passagers, bien qu’ils n’aient pas été hospitalisés, ont été quand même correctement soignés en ambulatoire et ont eu droit à une nourriture spéciale, sachant que de nombreux rapatriés d’Amérique du Nord retournent auprès de leur famille atteints de lésions chroniques, notamment à l’appareil respiratoire. »7

Lorsque le médecin du bateau Republic dresse son rapport sur le nombre de malades durant le retour de New York à Naples en février 1906, ce dernier ne réussit pas à taire son jugement sévère à propos des conditions d’exploitation auxquelles étaient soumis les émigrants italiens aux États-Unis :

7 ACS, MI, DGSP (1882-1915) Giornali sanitari. Giornale sanitario Duca degli Abruzzi, b. 45.

82 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle

« Remarquable, comme toujours, le pourcentage de malades chroniques et d’inva- lides que l’Amérique nous renvoie, sans même avoir auparavant donné un minimum de compensation pécuniaire à ceux qui sont dans cet état. »8

Tableau 2 : Morbidité et mortalité dues à la tuberculose durant les traversées transocéaniques entre l’Italie et l’Amérique du Nord (1903-1906)

Voyageurs Incidence Incidence Décès (n) (n) (‰) (n) Italie - Amérique du Nord 1903 177 049 2 0 0 1904 132 534 0 0 0 1905 222 679 18 0,08 0 1906 278 316 8 0,03 0 Amérique du Nord - Italie 1903 61 203 129 2,10 9 1904 108 026 278 2,57 9 1905 65 145 369 5,66 7 1906 81 412 457 5,61 16 Sources : Padovani (1909 : 21) ; ACS, MI, DGSP (1900-1915) Giornali sanitari.

Parallèlement au pourcentage élevé de tuberculeux, les bateaux à vapeur qui provenaient des États-Unis transportaient également de nombreux émigrants présentant des formes d’aliénation mentale. Ce type de pathologie était considéré déjà au début du XXe siècle par le règlement américain comme une cause de rejet et de déportation (Molinari, 2010 et 2014b ; Campesi, 2013).

Si les données fournies par les statistiques du Commissariat sur les maladies des émigrants durant les voyages de retour de l’Amérique du Nord, bien que sous-estimant l’ampleur des pathologies les plus diffuses, permettent de saisir les pathologies, il n’est pas possible d’utiliser le même procédé pour les rapatriés d’Amérique du Sud. En effet, les données sanitaires relatives aux voyages aller- retour vers l’Amérique du Sud laissent apparaître une forte prédominance du trachome durant les voyages de retour, mais aussi, dans une moindre mesure, la présence de la tuberculose et du paludisme (voir Tableau 3).

Il faut souligner qu’au début du XXe siècle, le trachome était une maladie très fréquente dans certaines régions d’Italie (Pouilles, Sicile, Sardaigne) comme nous le constatons au regard du nombre élevé de personnes atteintes de trachome refoulées lors de l’embarquement pour les États-Unis dans les ports italiens (Rosati, 1909). La présence élevée de personnes atteintes de trachome parmi les Italiens immigrés en Amérique du Sud est donc le résultat de plusieurs facteurs relatifs aussi bien aux conditions d’insertion dans le marché du travail du pays d’immigration, qu’aux modalités de recrutement et de transport des émigrants.

8 ACA, MI, DGSP (1900-1910) Giornali sanitari. Giornale sanitario del piroscafo Republic, b. 41.

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Tableau 3 : Incidence des maladies lors des traversées transocéaniques entre l’Italie et l’Amérique du Sud (nombre de nouveaux cas pour mille voyageurs, 1903-1925)

Maladies bronco- Paludisme Rougeole Trachome Tuberculose pulmonaires 1903 0,66 2,35 0,39 0 1,51 1904 0,88 0,26 0,42 0 1,78 1905 1,08 2,02 0,46 0 1,80 1906 0,77 2,21 0,87 0 1,65 1907 1,23 2,23 0,62 0 1,74 1908 1,10 1,62 0,20 4,29 2,50 1909 0,64 1,69 0,10 0,29 2,11 1910 1,49 1,19 0,06 11,31 2,66 19 11 0,30 1,78 0,08 7,26 2,79 1912 0,35 1,51 0,24 4,19 1,90 1913 0,57 2,91 0,09 6,71 2,55 1914 0,22 1,02 0,03 5,67 2,17 1915 0,10 2,40 0 2,15 1,47 1916 0,29 1,44 0 2,80 3,13 1917 0 2,63 0 2,67 3,82 1918 0 37,97 0 7, 1 2 1,19 1919 5,22 3,01 0 1,96 1,82 1920 1,47 3,94 0 0,05 1,38 1921 1,07 1,42 0,02 0,26 1,75 1922 0,97 0,50 0,03 1,02 3,07 1923 0,91 0,61 0,01 1,43 3,88 1924 1,38 1,99 0,05 4,27 6,88 1925 1,10 2,48 0,02 2,48 5,93 Sources : Commissariato generale dell’emigrazione (1926 : 1601-1604) ; ACS, MI, DGSP (1882-1927) Giornali sanitari di bordo.

Alors que le flux vers les États-Unis était constitué de personnes jeunes, robustes et, en général, de chefs de famille qui voyageaient seuls et étaient soumis à des contrôles sévères aussi bien au départ qu’à l’arrivée, les courants migratoires en direction de l’Amérique du Sud comprenaient des proportions importantes de vastes secteurs d’émigrants « enrôlés » (Brunello, 1994 ; Franzina, 1979 et 1995). Les contrôles sanitaires à l’embarquement étaient pratiquement inexistants et il arrivait souvent que l’émigrant, auquel on ne donnait pas l’auto- risation d’émigrer vers les États-Unis, décide de s’embarquer pour l’Amérique du Sud (Molinari, 2001).

Les publications médicales de l’époque regorgent de nombreux témoignages quant à la diffusion significative du trachome dans les colonies italiennes au Brésil. Emilio Padovani, l’un des médecins chargés par le Commissariat général de l’émigration de mener des recherches sur les conditions sanitaires des émigrants revenant des Amériques, dans sa tentative d’effectuer une première évaluation de l’étendue de la diffusion du trachome dans certaines zones du Brésil et de l’Argentine, considère la maladie comme une calamité et évalue les effets sur la santé des immigrés en termes de « carnage continuel » :

84 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle

« Alors qu’en Amérique du Nord les migrants atteints de trachome sont renvoyés suite aux contrôles médicaux, ceux débarquant en Amérique du Sud faute de dispositifs sani- taires équivalents échappent à toute surveillance épidémiologique. Ils sont internés dans des fazendas où en l’absence d’hygiène et de traitements thérapeutiques adaptés, ils tombent facilement malades, constituant ainsi des foyers de trachome. Ces situations ont suscité l’indignation et la stupeur des visiteurs. » (Padovani, 1909 : 19)

Dans les journaux sanitaires de bord, la présence très fréquente de personnes atteintes de trachome hospitalisées dans les infirmeries et dans les locaux d’iso- lement parmi les rapatriés d’Amérique du Sud nous informe des niveaux de diffusion de la maladie et elle laisse supposer l’existence à bord de malades pour lesquels le trachome était arrivé à un stade maximum et irréversible. Sur le bateau Città di Torino, cette proportion de malades atteints de trachome parmi les rapatriés au cours d’un voyage de retour de Buenos Aires en 1906 est évaluée à 40 %9. Nous avons identifié des indications sporadiques sur la gravité de la situation sanitaire qui caractérise une grande partie de l’émigration italienne en Amérique du Sud dans les publications médicales de l’époque. Celles-ci, malgré la rareté des informations disponibles sur ce thème, soulignent la préoccupation que suscite l’étendue du trachome parmi les rapatriés et invitent à appliquer un contrôle sanitaire plus strict sur les migrants qui rentrent des pays de l’Amérique du Sud afin de limiter la contagion. Commentant les résultats des statistiques sanitaires de 1909, Teodorico Rosati, le médecin ayant dirigé les services de santé du Commissariat de l’émigration, met en garde contre la charge de morbidité de l’émigration de retour et note l’augmentation constante de malades du trachome en provenance du Brésil (Rosati, 1909).

L’état de désorganisation des services sanitaires concernant l’émigration aussi bien à terre qu’à bord, permet de dessiner grâce aux indicateurs généraux le tableau de l’étendue de l’enjeu sanitaire dans le cadre d’une migration de masse, mais ces données rendent difficilement compte des pathologies spéci- fiques. Les relevés statistiques font en effet référence aux maladies qui ont été diagnostiquées durant le voyage par le médecin du gouvernement ou par le commissaire de bord, ce qui exclut donc des comptages un certain nombre d’émigrants qui, pour de multiples raisons (la défiance envers le pouvoir médical, la crainte d’être refoulés en raison de leur état morbide dans le pays de destination ou hospitalisés une fois rapatriés), ne demandaient pas d’assistance sanitaire en dépit de leur situation. Une partie considérable du flux migratoire échappait aussi complètement à toute forme de contrôle sanitaire soit parce qu’ils embarquaient et débarquaient dans des ports à l’étranger, soit parce qu’ils voyageaient sur des bateaux dépourvus de service sanitaire, ou parce qu’ils embarquaient de manière semi-clandestine sous le regard complice des compagnies maritimes.

À partir de l’analyse des chiffres fournis par l’ensemble du corpus dispo- nible entre 1903 à 1925 (archives et presse), nous observons la persistance de certaines maladies durant les allers, mais aussi les retours des Amériques. Bien qu’il soit impossible à partir de ces informations d’évaluer le rôle du flux transocéanique dans la diffusion en Italie de pathologies (pellagre, paludisme

9 ACS, MI, DGSP (1882-1915) Giornali sanitari. Giornale sanitario del piroscafo Città di Torino, b. 54.

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et tuberculose), soulignons que ces pathologies sont largement présentes dans les statistiques de morbidité. Le paludisme a les taux de prévalence les plus élevés, après la rougeole, durant les voyages vers l’Amérique du Nord et du Sud (voir Tableau 4). L’importante diffusion des fièvres parmi les émigrants dans les voyages transocéaniques a été mise en relation avec l’intensification des flux migratoires en provenance de l’Italie méridionale par les responsables des statistiques sanitaires et par les médecins de bord (Corti, 1984).

Tableau 4 : Cas de paludisme déclarés durant les voyages transocéaniques en effectifs (1903-1925)

Italie -Amérique Amérique du Italie - Amérique Amérique du du Nord Nord - Italie du Sud Sud - Italie 1903 86 28 34 29 1904 61 49 64 11 1905 194 24 110 17 1906 197 48 98 21 1907 160 58 114 50 1908 32 48 104 20 1909 70 20 60 33 1910 102 55 158 55 19 11 58 57 19 23 1912 78 40 30 28 1913 133 43 70 16 1914 35 37 8 30 1915 2 15 1 16 1916 17 6 1 6 1917 2 1 0 0 1918 0 0 0 5 1919 7 4 52 2 1920 23 0 44 6 1921 58 7 51 5 1922 12 7 62 6 1923 15 4 93 26 1924 13 4 102 18 1925 7 2 69 33 Sources : Commissariato generale dell’emigrazione (1926 : 1601-1604) ; ACS, MI, DGSP (1882-1927) Giornali sanitari di bordo.

Durant les voyages vers l’Amérique du Sud, nous remarquons un effectif important de malades atteints de trachome et de la gale, alors qu’au retour, les pathologies prévalentes sont le trachome et la tuberculose bien qu’avec des taux moins élevés, et l’ankylostomiase complètement absente des statistiques des voyages allers. Lors des rapatriements vers le Nord, les chiffres les plus élevés concernent la tuberculose pulmonaire, les aliénations mentales et le trachome. Cette dernière pathologie, bien que ne présentant pas de chiffres particulière- ment élevés, est majoritairement plus répandue que lors des voyages allers. Si, comme nous l’avons déjà remarqué, les contrôles sanitaires des émigrants au moment de l’embarquement en direction de l’Amérique du Sud étaient faits de manière peu consciencieuse, ils étaient complètement inexistants lors des voyages de retour.

86 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle

Dans une étude publiée en 1910, Ernesto Madia raconte ses expériences de voyage en tant que médecin et il se plaint du manque d’organisation au moment de l’embarquement à Rio de Janeiro et de l’état de confusion qui caractérise l’affluence des émigrants à bord des bateaux :

« Il n’y a pas de discipline au moment de l’embarquement, les rapatriés montent dans le bateau à n’importe quelle heure et se dispersent dans le bâtiment sans que le médecin n’ait pu les ausculter auparavant. » (Madia, 1910 : 453-474)

Les sources issues du service sanitaire de bord sont cependant les seules disponibles pour illustrer la gravité des conditions de santé des émigrants dans certaines zones du Brésil et de l’Argentine. Le médecin de bord du bateau Duca d’Aosta relate en septembre 1926 le voyage de retour de Buenos Aires à Gênes :

« Cinquante-deux passagers ont été contrôlés à l’embarquement pour des mutilations aux mains, des déformations physiques, des hernies inguinales, des problèmes de conjonctivites simples, trachomes ou cécité. »10

À partir des sources sanitaires à bord et des informations fournies par le journaliste médical, il s’avère que la mortalité infantile demeure constamment élevée durant les voyages transocéaniques. Un panorama statistique de la morbidité et de la mortalité infantile, effectué à partir de rapports sanitaires de voyages transocéaniques dont le nombre n’est pas précisé, est présenté dans un essai publié en 1900 dans la Rivista d’igiene e sanità pubblica :

« Les tableaux font référence au premier semestre de 1896 et indiquent des niveaux très élevés de morbidité et de mortalité parmi les enfants et les nourrissons : sur un total de 480 malades, 135 ont moins de cinq ans ; sur un total de 137 décès enregistrés au cours des voyages transocéaniques examinés, quatre-vingt-dix sont des enfants » (Druetti, 1890 : 68)

Parmi les pathologies les plus répandues apparaissent la rougeole, la scarla- tine et les maladies broncho-pulmonaires. Les mauvaises conditions hygiéniques du voyage par mer constituent le principal facteur explicatif de leur diffusion :

« Parmi les maladies de l’appareil respiratoire, les bronchites et les pneumonies sont les plus fréquentes. Elles se déclarent surtout pendant la saison froide et le plus souvent durant les voyages pour l’Amérique du Sud. La bronchite capillaire, bien que plus rare, contribue fortement aux taux de mortalité des petits enfants. » (Druetti, 1890 : 68)

L’un des hygiénistes les plus importants de l’époque, Carlo Maria Belli, lors d’un bilan sur la situation sanitaire des émigrants pendant la période précédant l’approbation de la loi de 1901, avec peu d’éléments statistiques à sa disposition, calcule un taux de mortalité s’élevant à 40 % parmi les émigrants transocéa- niques, la mortalité infanto-juvénile est encore plus élevée :

« Le taux de mortalité infanto-juvénile le plus élevé (75 %) s’explique par les entérites, les bronchites, les pneumonies et les fièvres éruptives. » (Belli, 1905 : 287)

10 ACS, MI, DGSP (1910-1927) Giornali sanitari. Giornale sanitario del piroscafo Duca d’Aosta, b. 111.

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C’est l’organisation même des services sanitaires à bord qui semble expliquer l’augmentation du risque sanitaire existant, déjà très élevé, pour la santé des émigrants durant le voyage. L’habitude de faire sortir les émigrants des dortoirs aux premières heures de la matinée et de les laisser sur le pont à l’air libre durant toute la durée nécessaire au nettoyage et à la désinfection des dortoirs semblait accentuer le développement des maladies de l’appareil respiratoire. En outre, les substances utilisées pour accomplir la désinfection des locaux, le souffre et le chlorure de chaux, rendaient l’air des dortoirs irrespirable (Molinari, 1988).

Les caractéristiques des lieux pathogènes comme les dortoirs des émigrants se manifestaient de manière particulièrement évidente à l’occasion des maladies épidémiques. Ces espaces étaient sales, humides, malodorants, et infestés de punaises et de poux. Le médecin de bord du bateau Savoia écrit, en 1905, à propos d’une épidémie de rougeole qui s’était déclarée au cours d’un voyage de Gênes à Buenos Aires :

« Après les premiers cas, toutes les mesures hygiéniques possibles avaient été prises, mais évidemment l’infection s’était déjà déclarée compte tenu de la rapidité de propa- gation. Je ne pense pas me tromper en affirmant que c’est en raison de l’invasion des punaises dans les cales où dorment les émigrants. L’inconvénient de ces cales, malheu- reusement insurmontable, est qu’il est impossible d’ouvrir les hublots des cabines des ponts inférieurs, et qu’il est très compliqué de nettoyer en totalité les couchettes. »11

Les conditions des traversées entre le XIXe et le XXe siècle étaient telles que les navires prirent le caractère d’un lazaret. Un journaliste de l’époque a observé à propos de l’embarquement des migrants dans le port de Gênes :

« Le navire de Lazare est toujours là avec l’apparence d’un négrier et les yeux des malheureux qui attendent sont toujours effrayés, résignés à l’inconnu. » (Varaldo, 1916 : 7)

Migrants rapatriés et refoulés

La raison la plus fréquente qui provoquait le « refoulement » vers le pays d’origine était la maladie. Sur ce thème, qui est peu connu de l’histoire des migrations historiques italiennes, nous avons quelques traces dans la documen- tation sanitaire de bord. Dans l’analyse des comptes rendus des commissaires et des journaux sanitaires de bord, nous pouvons constater que la tuberculose et la maladie mentale étaient les motifs principaux du rapatriement forcé ou du refoulement au moment du débarquement. En 1909, par exemple, sur un total de 700 migrants rapatriés malades des États-Unis, 400 étaient tuberculeux et 340 étaient « malades mentaux »12. Plus de 70 % de ces migrants avaient subi des sanctions de rapatriement forcé (Montano, 1910 : 11-30) (voir Tableau 5).

11 ACS, MI, DGSP (1882-1914) Giornali sanitari. Gionale sanitario piroscafo Savoia, b. 67. 12 ACS, MI, DGSP (1882-1936) Giornali sanitari di bordo, bb. 14-132.

88 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle

Tableau 5 : Italiens rapatriés car déclarés indigents par les autorités consulaires et par les organisations patronales en effectifs (1902-1925)

États-Unis Brésil Plata Autres pays Total d’Amérique 1902 393 1 919 834 0 3 146 1903 627 1 135 1 223 0 2 985 1904 412 1 770 1 343 0 3 525 1905 534 2 291 1 708 0 4 533 1906 902 1 789 1 958 0 4 739 1907 2 474 2 074 1 722 0 6 270 1908 3 993 2 201 1 620 108 7 922 1909 3 688 2 594 2 104 127 8 513 1910 4 054 2 377 1 990 130 8 551 19 11 4 353 1 700 3 501 104 9 748 1912 4 421 1 505 3 050 110 9 086 1913 3 887 1 680 3 048 149 8 764 1914 5 531 2 202 3 877 118 11 528 1915 4 980 857 2 032 130 7 999 1916 1 883 331 1 193 37 3 444 1917 669 78 405 7 1 159 1918 190 72 480 27 709 1919 1 120 216 494 56 1 886 1920 858 548 763 68 2 237 1921 3 475 486 820 89 4 870 1922 2 309 428 1 057 43 3 837 1923 937 633 973 52 2 595 1924 922 920 1 455 100 3 397 1925 664 872 1 671 138 3 345 Source : Commissariato generale dell’emigrazione (1926 : 1634).

Au début du XXe siècle, la tuberculose, surtout pulmonaire, devient très fréquente parmi les migrants italiens aux États-Unis (Molinari, 1988). En ce qui concerne la période 1903-1925, les statistiques sanitaires du Commissariat général de l’émigration – qui sous-estimaient pourtant le phénomène – signalent parmi ceux qui reviennent des États-Unis un nombre très important de tuber- culeux et, dans une moindre mesure, de personnes présentant des troubles mentaux lors de leur retour en Italie. Parmi les rapatriés et les refoulés d’Amé- rique du Sud, nous trouvons également un nombre très important de personnes affectées par des trachomes, la tuberculose et des troubles mentaux (Molinari, 2014b).

Les comptes rendus des médecins de bord et les journaux sanitaires de bord confirment cette situation. Le médecin de La Gallia dans un compte-rendu sanitaire du 9 octobre 1902, après avoir exprimé de la bienveillance pour les bonnes conditions des passagers au cours du voyage de Gênes à New York, affirme :

89 Augusta Molinari

« Il n’en est pas de même pour le retour. Les navires sont fréquemment infectés en particulier par des tuberculeux et par d’autres personnes porteuses de diverses maladies chroniques, qui sont renvoyés vers leur patrie. »13

Une situation semblable se vérifie la même année sur le paquebot Nord America :

« Au cours des voyages de retour, j’ai soigné de nombreux individus rapatriés en Italie parce qu’ils étaient affectés par des maladies chroniques et par des imperfec- tions physiques donc inaptes au travail. Je les ai admis à l’embarquement au nom de la charité humaine, parce que la majeure partie d’entre eux avaient de la famille en Italie et n’avaient aucune ressource financière ni aucune relation ou connaissance en Amérique. »14

Le médecin du Madonna dans son compte-rendu sur le voyage de retour de New York à Naples, en juillet 1905, observe :

« La tuberculose est la maladie la plus fréquente parmi les émigrants qui subissent des rapatriements des États-Unis, en particulier parmi ceux qui ont vécu à New York. »15

Sur le bateau Hambourg, au cours du voyage de retour de New York à Gênes en février 1905, sur les sept migrants qui ont subi une sanction de rapatriement forcé, cinq sont touchés par une tuberculose pulmonaire ; deux d’entre eux décèdent durant le voyage16. Parmi les migrants rapatriés des États-Unis ou refoulés au moment du débarquement en raison de maladie, beaucoup sont considérées comme « fous » (voir Tableaux 6 et 7).

De 1902 à 1920, les troubles mentaux arrivent en deuxième position juste après la tuberculose dans les statistiques sanitaires du Commissariat général de l’émigration. La majeure partie des migrants qui reviennent en Italie en tant qu’« aliénés mentaux » ont été refoulés lors de la visite médicale au moment du débarquement ou après avoir été internés dans des structures sanitaires ou d’assistance aux États-Unis.

Le nombre élevé des personnes rapatriés des États-Unis vers l’Italie pour maladies mentales s’explique par les conditions d’exploitation physique parti- culières, la ségrégation sociale des migrants italiens dans ce pays, et l’évolu- tion de la psychiatrie. En effet, aux États-Unis, à partir de la première moitié du XIXe siècle, avec le développement du capitalisme, tous les mécanismes d’exploitation du marché international du travail se matérialisent d’une manière particulièrement efficace sur les migrants : exploitation intensive, discrimina- tion institutionnalisée, exclusion de la participation politique et sociale (Frigessi Castelnuovo et Risso, 1982).

13 ACS, MI, DGSP (1882-1936) Giornali sanitari. Giornali sanitari del piroscafo Gallia, b. 132. 14 ACS, MI, DGSP (1900-1914) Giornali sanitari. Giornali del piroscafo Nord America, b. 98. 15 ACS, MI, DGSP (1882-1915) Giornali sanitari. Giornali sanitari piroscafo Madonna, b. 10. 16 ACS, MI, DGSP (1882-1915) Giornali sanitari. Giornali sanitari piroscafo Hambourg, b. 72.

90 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle

Tableau 6 : Incidence des maladies mentales lors des voyages retour transocéaniques (nouveaux cas pour mille voyageurs, 1903-1925)

Amérique du Amérique du Nord Sud 1903 0 0 1904 0,46 0,27 1905 0,85 1,01 1906 0,86 0,55 1907 0,7 0,49 1908 0,42 0,58 1909 1,9 0,47 1910 1,36 0,91 19 11 1,16 1,2 1912 1,93 1,19 1913 2,12 1,29 1914 1,44 0,87 1915 1,05 0,83 1916 3,26 1,15 1917 1,98 0,48 1918 3,85 2,97 1919 1,26 0,7 1920 2,54 0,77 1921 3,22 0 1922 5,98 2,45 1923 6,83 2,97 1924 4,69 2,51 1925 3,21 2,21 Sources : Commissariato generale dell’emigrazione (1926 : 1607-1610) ; ACS, MI, DGSP (1900-1927) Giornali sanitari di bordo.

Tableau 7 : Rapatriés atteints de tuberculose, d’ankylostomasie et de trachome selon la région d’immigration en effectifs (1903-1909)

Paludisme Ankylostomasie Trachome Amérique Amérique Amérique Amérique Amérique Amérique Total Total Total du Sud du Nord du Sud du Nord du Sud du Nord 1903 48 179 227 7 0 7 0 12 12 1904 77 278 355 10 2 12 15 10 25 1905 77 369 446 18 1 19 4 22 26 1906 81 457 538 16 1 17 87 52 139 1907 110 518 628 15 15 30 29 9 38 1908 139 495 634 25 25 50 238 0 238 1909 135 505 640 8 8 16 332 72 404 Sources : Rosati (1910 : 44) ; ACS, MI, DGSP (1900-1915), Giornali sanitari.

Au même moment où des flux migratoires de masse en provenance de l’Europe méridionale arrivent aux États-Unis, la psychiatrie s’affirme en tant que science. Son développement a supporté les théories de la non-assimilation d’une « new emigration » (Martellone, 1980 ; Luconi et Petrelli, 2008) qui par sa dimension et composition sociale apparaissait plus dangereuse que les courants

91 Augusta Molinari

migratoires du passé. Contrairement aux flux migratoires en provenance d’Europe du Nord, constitués de diverses classes sociales et qui s’étaient dilués sur une longue période dans la population américaine, les flux d’Italiens qui arrivent en masse aux États-Unis entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle étaient composés principalement de paysans pauvres (Corti, 2007 et 2013). De grands noms de la médecine et de la psychiatrie légitiment d’un point de vue scientifique les préjudices à l’encontre les nouveaux émigrants causés par la société américaine. Par exemple, le psychologue Robert M. Yerks de l’univer- sité de Harvard, commente le rapport entre comportements dit « anormaux » et dégénération de la race :

« Comment peut-il y avoir une égalité sociale quand il y a différents niveaux d’intelli- gence entre les personnes ? Les hommes à la peau plus foncée de l’Europe méridionale et les Slaves de l’Europe orientale sont moins intelligents que les hommes à la peau claire d’Europe du Nord et occidentale ; dans le classement de l’intelligence, le nègre est à la dernière place. »17 (Moriani, 1999 : 56)

En 1907, parmi les collaborateurs de la Commission Dillingham instituée par le gouvernement des États-Unis pour préparer les mesures qui limiteront les flux migratoires d’Europe du Sud, un rôle important a été joué par Harry Hamilton Laughlin, l’un des plus grands partisans des théories eugéniques. Dans le rapport présenté à la Commission en 1922, Analysis of American’s modern melting pot, Laughlin affirme que c’est un « suicide racial » pour la civilisation américaine de laisser entrer aux États-Unis des individus qui proviennent de groupes génétiquement « inférieurs » comme les Italiens, les Juifs et les Espagnols (Laughlin, 1923).

Aux États-Unis, les migrants qui présentaient des troubles mentaux et s’adressaient aux établissements de santé et de soins couraient le risque d’être rapatriés. La législation sur l’immigration contenait des règles qui interdisaient l’entrée aux personnes « mentalement perturbées ». En 1882, le premier décret fédéral interdisant le débarquement des aliénés et des handicapés mentaux et le rapatriement forcé pour les délinquants fut adopté. Toujours selon cette loi, le migrant qui, un an après son arrivée aux États-Unis, avait eu recours à des établissements de soins psychiatriques était « refoulé » dans son pays d’origine. Un décret de 1903 sur l’immigration, interdisait le débarquement des épilep- tiques et de ceux qui avaient été hospitalisés pour maladies mentales au cours des cinq années précédentes. En 1907, ce décret a été intégré à un ensemble de lois restrictives qui établissaient le refoulement de ceux qui semblaient inaptes au travail au moment même du débarquement. Un décret de 1917 précise les maladies mentales interdisant l’entrée sur le territoire : peuvent être refoulés les psychopathes, les alcooliques, les frénétiques et les « agités » (Neuman, 1996).

Parmi les migrants refoulés ou rapatriés pour maladie mentale, seule une petite partie était internée dans des hôpitaux psychiatriques lors de leur retour en Italie. À partir de 1904, la première loi organique sur le fonctionnement des hôpitaux psychiatriques italiens prévoit des procédures d’assistance et de

17 Robert Means Yerkes fut, avec Carl Brigham, parmi les fondateurs de la psychométrie et parmi les plus grands partisans aux États-Unis de la médecine eugénique.

92 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle contrôle concernant les migrants rapatriés pour maladie mentale18. Il s’agissait, toutefois, de lois difficiles à appliquer en raison du manque d’établissements de soins aux migrants dans les ports (Molinari, 2002). À partir des histoires des patients internés dans des cliniques psychiatriques publiées dans certaines revues psychiatriques, nous constatons que l’internement dans les hôpitaux psychiatriques s’effectuait, généralement, après des périodes plus ou moins longues après le retour du migrant dans son pays d’origine. L’étude des prin- cipales revues italiennes de psychiatrie et de neuropsychiatrie entre le XIXe et XXe siècle met en évidence le peu d’attention des milieux médico-psychiatriques italiens aux pathologies mentales des migrants rapatriés. Le rapport entre migrations et maladie mentale était alors peu étudié. Nous avons trouvé un article publié en 1889 dans la revue Archives italiennes des maladies nerveuses et plus particulièrement des troubles mentaux, et un autre datant de 1909, publié dans Notes et revues de psychiatrie. Il s’agit de brefs comptes rendus qui présentent des statistiques relatives à l’internement des migrants dans les hôpitaux psychiatriques de Côme, Pesaro, Ferrare (Molinari, 2010 : 59).

Le rapatriement des migrants « fous » suscite, surtout dans les milieux psychiatriques de l’époque, une inquiétude concernant la difficulté d’exercer des formes de contrôle sur des sujets qui, en tant que « déviants », sont consi- dérés comme socialement dangereux. Certains articles publiés dans la Rivista di emigrazione sont, à ce sujet, très significatifs19. Dans l’un d’entre eux, Antonio D’Ormea, directeur de l’hôpital psychiatrique de Pesaro, constatant qu’après leur débarquement les migrants atteints de maladies mentales échappaient à toute forme de contrôle, insiste sur la nécessité de mettre en œuvre des formes de prévention sociale pour séparer et isoler des individus qui pourraient conta- miner le « corps sain » du pays :

« Un grand nombre d’entre eux apparaissent, déjà quand ils partent, comme des dégénérés qui dans la recherche fébrile et souvent irréfléchie de l’inconnu, font preuve d’un certain déséquilibre ou d’une certaine carence d’esprit critique. Tous ces gens-là devraient être éloignés des aléas d’une vie qui ne peut qu’augmenter cette insuffisance du système nerveux et les fera succomber avant d’arriver à leur destination ou bien après une brève lutte qui les ramènera à leur patrie, vaincus et inutiles à eux-mêmes et aux autres. » (D’Ormea, 1902 : 1-7)

Déjà en 1891, un autre psychiatre, Rodrigo Fronda, s’interrogeait à propos de la diffusion de la maladie mentale parmi les migrants rapatriés des États-Unis :

18 Le règlement exécutif de la loi du 14 février 1904 sur les hôpitaux psychiatriques et sur les aliénés prévoit que le migrant rapatrié pour trouble mental est confié à l’auto- rité de sécurité publique qui avait la charge de trouver un internement provisoire. Dans les trois jours suivant le débarquement, les autorités de sécurité publique devaient en référer aux autorités judiciaires, lesquelles devaient établir à quelle structure psychia- trique était destiné le migrant. C’était le médecin de bord qui devait s’occuper de ces dossiers ; il devait se charger de contacter les médecins des ports de débarquement qui, à leur tour, devaient prévenir les autorités de sécurité publique. 19 La Rivista di emigrazione naît en 1908 et est soutenue, même financièrement, par les milieux économiques les plus philo-immigrationnistes ; elle est imprimée à Pesaro. Parmi les collaborateurs : P. Ascoli, directeur de l’École supérieure de commerce, A. Alberti, directeur de l’hôpital psychiatrique de Pesaro, A. Cabrini, responsable du bureau d’émi- gration de la Société humanitaire, A. Mosso et P. Cogliolo et N. Colajanni, médecins et académiciens, U. Conti, responsable de l’Institut des études coloniales et G. Mortara, économiste.

93 Augusta Molinari

« L’émigration serait-elle la cause première du mal ? » (Fronda, 1891 : 10-14). Pour trouver une réponse, il effectue une enquête sur les migrants internés au cours des trois dernières années (1888-1890) dans l’hôpital psychiatrique de Nocera Inferiore (Naples) : il s’agit de cinquante-quatre hommes et six femmes en provenance des États-Unis. D’après les informations qu’il réussit à obtenir à partir des dossiers médicaux, Fronda acquiert la conviction que les migrants qui « perdent la raison » sont des sujets prédisposés à la folie en raison de « leur propre constitution ». Leur penchant à la mobilité apparaît déjà à Fronda comme un symptôme de perversité mentale :

« Celui qui pense à émigrer se trouve déjà mal à l’aise dans l’environnement où il vit, parce que son insuffisance qui s’exprime par la misanthropie, l’irritabilité, la susceptibilité et la méfiance, lui enlève les joies que vivent les êtres moins imparfaits. Par conséquent, cet individu attribue tout le mal qu’il éprouve à l’environnement qui l’entoure, ainsi il développe en lui les racines d’un délire de persécution. Il s’éloigne donc de son envi- ronnement pour chercher des milieux plus favorables et, quand il arrive dans le pays étranger, souvent il vit les plus grandes privations pour accumuler de l’argent et dans des conditions climatiques ou, même, les vices auxquels il s’abandonne font en sorte que les conditions de son pauvre cerveau malade s’aggravent. Le délire qui auparavant se mani- festait de temps en temps, arrive alors à sa plénitude et, peu à peu, se structurant va jusqu’à s’exprimer avec puissance. » (Fronda, 1891 : 6)

Nous trouvons une confirmation du rôle du psychiatre dans la validation du stéréotype du migrant comme sujet « déviant », dans les articles sur les maladies des migrants publiés dans la Rivista di emigrazione. Le psychiatre Padovani, directeur de l’hôpital psychiatrique de Ferrara, prend en charge cette rubrique et ce n’est pas un hasard si la revue donne plus d’espace à la question des patho- logies mentales par rapport à d’autres maladies bien plus répandues (tubercu- lose, trachome). Dans un article de 1911, après avoir mis en relief le fait qu’entre 1906 et 1909, 639 émigrants aliénés étaient rentrés des États-Unis, Padovani se demande :

« Où sont passés ces 639 aliénés, qui ne représentent pas toutefois notre douloureuse masse de malades, car nous n’avons pas les chiffres réels des émigrants rapatriés sur les paquebots, où le commissaire gouvernemental était absent, et il nous manque le nombre d’émigrants débarqués dans les ports à l’étranger ? Nous sommes dans l’ignorance la plus complète concernant le nombre de ces malades, nous ne savons pas si et dans quels hôpitaux psychiatriques ils ont été internés. » (Padovani, 1911 : 7-19)

Dans d’autres articles, toujours dans la Revue du Commissariat, Padovani analyse les maladies mentales les plus répandues enregistrées dans les statis- tiques sanitaires de bord. Il écrit à propos de la diffusion de la frénésie alcoo- lique :

« Nous constatons qu’au cours des deux années 1904-1906, le nombre de personnes alcooliques de retour des Amériques a triplé. Nous devons penser au danger que cette masse de rapatriés représente à la fois pour eux-mêmes […], mais aussi pour les tendances vicieuses qu’elle peut provoquer chez nos paysans à travers le mauvais exemple. » (Padovani, 1912 : 321-329)

En ce qui concerne les migrants refoulés des États-Unis à cause d’une maladie mentale, les médecins de bord se limitaient à confirmer le diagnostic

94 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle qui apparaissait dans les dispositions d’expulsion. Le fait qu’un migrant puisse être refoulé au moment du débarquement et rapatrié comme aliéné mental était inclus dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire des autorités américaines. Il suffisait d’un malaise dû à la fatigue du voyage ou d’un état de confusion provoqué par les procédures bureaucratiques de contrôle dans les ports de débarquement, pour que la procédure de « refoulement » soit appliquée. Les comptes rendus des médecins de bord confirment cette pratique de routine des voyages d’émigration. Nous pouvons lire par exemple dans une expertise sanitaire de 1908 :

« Parmi les 100 Italiens refoulés depuis le port de New York en tant qu’aliénés, dix étaient déjà aliénés dans leur patrie, quarante-cinq avaient donné des signes d’irritation pendant le voyage, quatre étaient ivres, trente paraissaient bizarres aux médecins parce qu’ils gesticulaient, cinq avaient déclaré avoir des parents lointains internés dans des hôpitaux psychiatriques. »20

Nous ne disposons pas d’informations fiables pour étudier ce qui arrivait aux migrants qui revenaient en Italie avec des problèmes de santé mentale. Il est probable que ceux qui réussissaient à retrouver leur propre famille échappaient, au moins temporairement, à l’internement psychiatrique. La situation était bien différente pour ceux qui ne pouvaient pas compter sur un réseau familial. Si tel était le cas, les médecins des ports s’adressaient aux autorités de Sécurité publique qui se chargeaient d’interner les migrants dans des hôpitaux psychia- triques.

Cependant, une toute autre approche que celle qui dominait le milieu psychia- trique de l’époque apparaît dans deux enquêtes sur le rapport entre migration et maladie mentale publiées dans la revue de l’hôpital psychiatrique de Nocera Inferiore, Il Manicomio Moderno. Francesco Lener est l’auteur de la première, Le malattie mentali e le correnti migratorie nell’Italia meridionale (1908 et 1909) et Giuseppe Tolone, médecin de l’hôpital psychiatrique de Girifalco (Cosenza), de la seconde, Emigrazione e follia (1909). Les auteurs de deux études, notamment Lener, considèrent la maladie mentale comme un effet de l’exploitation écono- mique et de l’isolement social des migrants chez eux comme à l’étranger. Lener examine les quatre-vingt-sept migrants internés à Nocera Inferiore entre 1905 et 1907 et publie les rapports cliniques. Les internés examinés représentent 53 % des admis à l’hôpital psychiatrique au cours de ces trois années et les diagnos- tics les plus fréquents sont ceux de frénésie alcoolique et de démence précoce. Quatre-vingt-cinq de ces migrants ont été rapatriés ou refoulés après leur débar- quement aux États-Unis : il s’agissait d’hommes, en grande partie des paysans, d’un âge compris entre dix-neuf et cinquante-cinq ans ; aux États-Unis, la plupart d’entre eux avaient effectué des travaux pénibles et sans qualification : maçons, mineurs, terrassiers, porteurs. Comme le note Lener, l’expérience migratoire a joué un rôle décisif dans la manifestation de la maladie mentale :

« Il y a trois facteurs qui contribuent de manière importante au développement de problèmes mentaux parmi les migrants : l’alcoolisme, la syphilis et le travail. » (Lener, 1908 : 210)

20 ACS, MI, DGSP (1901-1912) Relazione sanitaria del piroscafo “Città di Torino”, b. 52.

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À partir des résumés des rapports cliniques présentés par Lener émerge une uniformité d’expériences et de « destins » migratoires : travaux pénibles, isolement social et solitude allégés par la consommation d’alcool. Les internés sont des hommes qui ont dû affronter seuls l’expérience migratoire et beaucoup d’entre eux ont effectué des travaux manuels dans des régions du nord-est des États-Unis, comme le New Jersey et la Pennsylvanie. Sur quatre-vingt-sept migrants internés, trois seulement semblent avoir trouvé des opportunités de travail qui leur ont permis d’accumuler un petit capital. Dans presque tous les cas, on signale l’abus d’alcool, qui pour un nombre significatif (vingt) s’accom- pagne de la contagion par la syphilis. L’histoire de I. D. illustre parfaitement cette situation. I. D. est un paysan qui émigre à l’âge de dix-sept ans :

« Il est resté en Amérique du Nord pendant cinq ans. Il a consommé de l’alcool et a contracté la syphilis. Il a travaillé dans des mines. Il a commencé à donner des signes de déséquilibre et a été renvoyé en Italie. Il a été interné dans un hôpital psychiatrique cinq jours après son rapatriement. Hérédité négative. » (Lener, 1908 : 210)

Même si elles sont très synthétiques, ces histoires laissent entrevoir des vies très difficiles. Ces migrants ne semblent pas avoir tissé dans le pays de destination des liens avec des parents ou des compatriotes. Et, peut-être qu’en raison des difficultés engendrées par la réalisation de leur projet migratoire, ils ont maintenu de faibles rapports avec les familles et les parents qu’ils ont laissés dans leur patrie. Selon les rapports, seuls deux d’entre eux ont été rapatriés à la demande de parents. Dans la plus grande partie des cas, l’internement dans les hôpitaux psychiatriques est survenu peu de temps après le rapatriement. Ceux qui revenaient chez eux sans ressource économique et avec des problèmes mentaux devenaient un « poids » pour la famille. L’expérience migratoire marque une rupture des liens et des réseaux sociaux que seul le succès d’un projet migratoire aurait pu, en partie, atténuer.

Il n’était pas toujours facile de différencier les migrants des autres internés dans un hôpital psychiatrique ce qui ne permet pas d’identifier le rapport entre développement de la maladie et expérience migratoire. Ce problème est mis en exergue par Giuseppe Tolone dans une étude sur les migrants internés dans l’hôpital psychiatrique de Girifalco (Cosenza) (Greco, 2018) au cours des années 1903-1906 :

« Je suppose de manière sensée que le nombre de migrants internés est supérieur à celui que j’ai relevé. Mais souvent, malheureusement, on ne sait que peu ou rien sur les internés. Beaucoup d’entre eux sont conduits à l’hôpital psychiatrique par des personnes qui les connaissent peu ou pas du tout et nous n’obtenons que très peu d’informations à travers les certificats incomplets et de mauvaise qualité qui les accompagnent. » (Tolone, 1908 : 34)

Tolone fournit quelques informations sur les évènements migratoires des internés :

« Les cinquante-six cas sont tous de retour de l’Amérique du Nord, comme le montre l’anamnèse de chaque tableau nosologique. Certains devinrent fous pendant le voyage d’aller et furent donc renvoyés dans leur pays ; d’autres, dès leur arrivée, furent internés dans des hôpitaux psychiatriques étrangers puis ensuite rapatriés. » (Tolone, 1908 : 45)

96 Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle

Comme Lener l’avait déjà constaté pour l’hôpital psychiatrique de Nocera Inferiore, dans celui de Girifalco les migrants représentent également une partie importante des internés dans les premières années du XXe siècle : 24 % dans la période de 1903 à 1906. Les internés sont tous des migrants de sexe masculin d’un âge compris entre dix-neuf et quarante-cinq ans. Contrairement aux migrants internés à Nocera Inferiore, qui sont presque tous paysans, ceux de Girificalco sont surtout des artisans (cordonniers, menuisiers, couturiers). Le nombre de migrants refoulés au moment du débarquement ou ayant subi des formes de rapatriement forcé est très élevé.

Les rapports cliniques recueillis par Tolone restituent des fragments d’une humanité particulièrement pauvre et souffrante. Le traumatisme intrinsèque de l’expérience migratoire, à la fois comme rupture des liens affectifs et sociaux que comme incertitude concernant leur destin, apparaît de manière très nette dans certaines histoires cliniques. Parmi celles-ci, retenons celle d’un jeune qui, en 1903, part pour les États-Unis :

« Venanzio C., dix-neuf ans, célibataire, cordonnier. Il se rend à Baltimore pour trouver un emploi, mais pendant le voyage, craignant d’être refoulé par les autorités parce que personne ne l’accompagnait, il commence à donner des signes d’aliénation mentale si bien qu’on l’empêche de débarquer et qu’il fut rapatrié. La famille, qui s’était rendue à Naples pour le rencontrer, le conduisit immédiatement ici. Toujours triste et solitaire. Diagnostic : frénésie dépressive. Hérédité négative. » (Tolone, 1908 : 53)

Dans beaucoup de cas, l’échec du projet migratoire au moment du débarque- ment provoque une réaction mentale qui évolue de manière pathologique. Sur les cinquante-trois émigrants interrogés par Tolone, une grande partie d’entre eux a été refoulée au débarquement. Certaines histoires cliniques illustrent le traumatisme de ceux qui voyaient échouer leur projet migratoire dès leur arrivée. C’est le cas d’un couturier, marié et père de trois enfants qui émigre, en 1905, aux États-Unis :

« En novembre dernier, Domenico G. se rendit à New York, mais quand il arriva, on ne l’autorisa pas à débarquer, on ne sait pas pour quelle raison. De retour dans son pays, il commença à ne plus avoir envie de travailler, ensuite il ne voulut plus sortir de chez lui, il mangeait peu. Il fut donc interné dans un hôpital psychiatrique. Le malade est accueilli dans un état de dépression extrême. Il est aboulique, inactif, il déchire souvent ses vêtements. Diagnostic : état mélancolique. Hérédité négative » (Tolone, 1908 : 41).

Giuseppe Tolone, tout comme Francesco Lener, considère la maladie mentale des migrants comme une conséquence des traumatismes économiques et sociaux subis tant dans les lieux de départ que ceux d’arrivée. Seul le migrant qui trouve des « réseaux » de soutien dans les pays de destination peut survivre sans tomber dans la misère et la folie :

« Les plus forts sont ceux qui rencontrent des situations qui les rendent forts. Ce sont les plus chanceux. » (Tolone, 1908 : 37)

Nous avons peu de documents qui illustrent les traumatismes physiques et psychiques vécus par les masses de migrants dans les années où la migration transocéanique s’amplifie. Mis à part quelques hâtives et synthétiques certifi- cations des maladies reportées sur les journaux de bord sanitaires et sur les

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revues médicales du début du XXe siècle. À l’époque comme aujourd’hui, le migrant est surtout un « corps au travail » qui, quand il tombe malade, devient un « corps inutile », à la fois pour la société de destination et pour celle d’origine. L’hôpital psychiatrique a joué, d’un point de vue historique, le rôle de « dépôt » de personnes considérées comme des corps socialement inutiles. Dans le cas des migrants, comme l’indiquent les articles publiés dans la revue Il Manicomio Moderno, la fonction de ségrégation et d’aliénation de l’individu à travers l’inter- nement assume un caractère particulièrement punitif. Quand le migrant, contrai- rement à d’autres internés, rentre à l’hôpital psychiatrique, il laisse derrière lui deux vies : celle qu’il a trouvée et celle, qu’en vain, il a cherchée ailleurs.

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100 Résumé - Abstract - Resumen

Augusta Molinari Les migrations transocéaniques italiennes au début du XXe siècle : un autre regard

Les voyages dramatiques actuels des migrants pour traverser les frontières par la mer nous imposent un nouveau regard sur l’historiographie des migrations transocéaniques italiennes du XXe siècle. À cette époque les traversées étaient moins dangereuses, mais elles n’étaient pas pour autant sans risques. En raison du manque d’assistance médicale et des mauvaises conditions d’hygiène, les migrants tombaient souvent malades ou pouvaient mourir pendant le voyage. Par ailleurs, la maladie était la principale cause de refoulements dans les ports d’arrivée et de rapatriement forcé, notamment aux États-Unis. L’analyse des différentes sources (documents sanitaires rédigés à bord des bateaux, revues médicales, rapports de commissaires) permet de saisir la complexité de ce phénomène et de comprendre comment déjà à cette époque, les projets des migrants pouvaient échouer avant même qu’ils n’atteignent leur destination. Italian Transoceanic Migration at the Beginning of the 20th Century: A Different Look

The current dramatic journeys of migrants to cross borders by sea require us to take a new look at the historiography of Italian transoceanic migration in the 20th century. At that time, the crossings were less dangerous, but they were not without risks. Due to lack of medical assistance and poor hygiene conditions, migrants often became ill or could die during the trip. In addition, the disease was the main cause of expelling in ports of arrival and return migration, particu- larly in the United States. The analysis of the various sources (health documents written on board ships, medical journals, commissioners’ reports) makes it possible to understand the complexity of this phenomenon and to understand how, even at that time, migrants’ projects could fail even before they reached their destination. La migración transoceánica italiana a principios del siglo XX: una otra mirada

Los dramáticos viajes actuales de los migrantes para cruzar las fronteras por mar nos obligan a revisar la historiografía de la migración transoceánica italiana en el siglo XX. En ese momento los cruces eran menos peligrosos, pero no estaban exentos de riesgos. Debido a la falta de asistencia médica y a las malas condiciones de higiene, los migrantes a menudo se enfermaban o podían morir durante el viaje. Además, la enfermedad es la principal causa de devolución en los puertos de llegada y de repatriación forzosa, en particular en los Estados Unidos. El análisis de las distintas fuentes (documentos de salud escritos a bordo de los buques, revistas médicas, informes de los comisarios) permite comprender la complejidad de este fenómeno y cómo, incluso en ese momento, los proyectos de los migrantes podían fracasar incluso antes de llegar a su destino.

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REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 103-125

Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme : les « ensablés » Fabienne Le Houérou1

Bien que timidement abordée dans certains travaux universitaires, la « love migration » ou « migration d’amour » des migrants italiens « ensablés »2 en Abyssinie3 n’a jamais été étudiée ou explorée dans sa complexe diversité en lien avec l’agir migrant. Et pour autant, les trois principaux songes coloniaux reposaient sur les espoirs de liberté, d’enrichissement et d’assouvissement de phantasmes exotiques. Aussi, cette colonisation hâtive et brève (1936-1941) a engendré un nombre considérable d’espoirs tant pour les engagés volontaires que pour les appelés du contingent. Cet article analyse les différents visages de cette migration italienne qui seront abordés sous l’angle d’un projet migratoire en rapport étroit avec les destins maritaux, affectifs ou sexuels des ensablés en Éthiopie après la perte de l’Empire d’Afrique orientale (Impero dell’Africa Orientale) en 1941. La voix de ces anciens colons ensablés entendus au cours d’une investigation conduite il y a trente ans, par l’auteure de cet article, sera continûment convoquée et des parties inexploitées de cette enquête seront également rappelées afin d’être repensées dans le cadre d’une théorie sur le genre et les abus sexuels en situation coloniale fasciste. Car, il faut ici le souligner, le dénominateur commun des ensablés se rapporte à un projet marital avec des épouses ou concubines abyssines. Dans une première partie, nous explorerons le profil social de cette vague migratoire de l’« impérialisme du pauvre » (Milza, 1999a), en 1936, au moment de la guerre d’Éthiopie. Dans un second temps, nous analyserons les ressorts socio-psychologiques de ce projet de migration d’amour en Abyssinie en explorant ses facettes les plus obscures comme l’existence d’une pédophilie dont nous questionnerons le caractère fasciste et colonial.

1 Directrice de Recherche au CNRS, Aix-Marseille-Université, IREMAM-MMSH, 5 rue du château de l’horloge, BP 647, 13094 Aix-en-Provence cedex 2 ; [email protected] 2 Tout au long de cet article le terme « ensablé » (insabbiato) sera utilisé en référence à une enquête conduite entre 1987 et 1996 avec les anciens colons italiens qui ont choisi de demeurer en Éthiopie et en Érythrée après 1941 et qui se sont auto-désignés comme « ensablés ». Ce terme a été inventé en Libye coloniale italienne pour évoquer les migrants italiens qui se sont installés après 1911 dans ce pays. Le terme s’est exporté en Éthiopie en 1936 et il est répertorié dans la littérature dès les débuts des aventures coloniales italiennes. « Ensablé » est en effet un mot produit par la colonisation italienne qui lui survivra et qui finira par désigner l’enracinement d’émigrés italiens dans les anciennes colonies. 3 Il s’agit d’un toponyme englobant l’Éthiopie et l’Érythrée qui formaient la même entité géographique avant l’aventure coloniale italienne.

103 Fabienne Le Houérou

En effet, après 1941, des Italiens s’installent définitivement en Abyssinie, qui n’est plus considérée par le pouvoir fasciste comme une colonie. Cette décision des anciens colons s’appuie sur leur vie personnelle : ils abandonnent l’idée d’un retour vers leur pays natal, au nom des familles italo-éthiopiennes qu’ils ont fondées dans les colonies ou de la vie partagée avec leurs maîtresses et concubines. La situation maritale est une donnée centrale dans le choix de rester dans les ex-colonies de l’Afrique orientale au regard d’autres facteurs comme le déterminant économique. Nous tenterons d’analyser cet impact de l’intime, du subjectif et du passionnel, en nous référant à une enquête ethnographique filmée conduite de 1986 à 1996 en Éthiopie auprès de ces ensablés, pour évoquer un pan entier qui a été jusque-là sous-analysé et sous-interprété. Plus exacte- ment, nous avons interviewé trente ensablés et une dizaine de leurs épouses et compagnes éthiopiennes à Addis-Abeba, mais également une dizaine d’ensablés en Érythrée à Asmara entre 1987 et 1991. L’enquête fondatrice a donné lieu à des publications qui datent de la fin des années 1990 (Le Houérou, 1994 et 1996a). Ce matériel a été revisité depuis 2014 à travers différents travaux, dont un récit litté- raire (Le Houérou, 2014a) et un article paru dans Sociology Mind (Le Houérou, 2015). Cette présente publication invite, à nouveau, à une révision du corpus textuel, photographique et filmique sous l’angle des transgressions sexuelles commises en contexte colonial, sur fond d’idéologie fasciste. La progression des études de genre et une distance temporelle conséquente avec les dates de l’enquête permettent, trente ans après, une relecture de la domination masculine d’hommes blancs en contexte colonial et postcolonial.

Dans cet article, il est donc question d’analyser des rapports entre anciens colons italiens et leurs épouses ou compagnes sexuelles en contexte colonial et postcolonial. La situation juridique des compagnes éthiopiennes a varié selon la période historique. À l’époque de la colonisation fasciste, toute union italo- éthiopienne est jugée illégale et fait l’objet de sanctions pénales. Après la perte de la colonie, de nombreux ensablés ont légalisé leurs situations en épousant leurs compagnes à la mairie d’Addis-Abeba et dans d’autres chefs-lieux. Aussi, les unions italo-abyssines ont été contractées pendant la période coloniale et ont continué après la guerre, en situation postcoloniale, en changeant de statut juridique. Dans ce domaine, on peut donc évoquer l’existence d’un continuum affectif et marital. Le cas étudié montre l’enjeu des différentes figures de cette migration, la porosité des catégories et les passages multiples d’un type de déplacement à l’autre, dans un complexe de motivations.

L’expérience migratoire italienne en Abyssinie illustre tant l’absence de fron- tières claires que la confusion entre immigration et émigration coloniale. À bien des égards, l’enquête ethnographique, conduite en Éthiopie et en Érythrée à la fin des années 1980 sur les ensablés, a montré des déplacements pluriels vers l’Abyssinie. Certes, de nombreux Italiens installés en Éthiopie étaient d’anciens soldats (Le Houérou, 1994 : 115), mais également des migrants qui échappaient à la pauvreté et cherchaient en Éthiopie « le pays de Cocagne » (Le Houérou, 1994 : 124-135), ou bien des antifascistes qui fuyaient le régime mussolinien. Ces derniers présentent des profils apparentés à des réfugiés politiques, même si ce terme n’existait pas dans les années 1930 puisque la convention de Genève fut signée en 1951.

104 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme

Les motifs de départs s’emboîtent. Derrière l’engagement volontaire du soldat italien, il existe tout un faisceau de motivations. L’antifasciste a pu s’engager comme soldat dans la guerre italo-éthiopienne de 1936, de même que l’aven- turier ou la Chemise noire. Ont été entendus, à Addis-Abeba et à Asmara, des hommes se définissant eux-mêmes comme d’« anciennes Chemises noires », d’« anciens socialistes », des « aventuriers », des « ouvriers », des « travailleurs ruraux » partis tenter l’aventure en Abyssinie pour de nombreuses raisons. Certains ne sont restés que le temps de la conquête et sont repartis en Italie, d’autres ont décidé de rester car, à cette époque, l’entreprise coloniale offre tout un éventail de possibilités professionnelles allant des chantiers de route, qui ont été un très important secteur d’embauche, mais également tout le secteur du bâtiment et du commerce. En 1936, il est question de transporter, nourrir et loger une armée de 358 000 soldats, passée à 157 000 en 1937, puis réduite à 90 000 en 1941 au moment de la débâcle militaire. Parmi les 157 000 militaires présents en Éthiopie en 1937, on ne dénombre que 2 000 officiers (Pittau, 1985 : 63). Les soldats arrivés se sont « débrouillés » (arrangiati) sur place en trouvant dans les nouvelles constructions de l’Empire d’Afrique orientale italienne (AOI) des occasions d’intégrer un emploi. L’industrie et le commerce ont été les niches professionnelles les plus accessibles à tous ceux qui décidèrent de rester en Éthiopie après l’invasion de 1936. Certains furent politiquement dissidents, mais la majorité était en harmonie avec la politique de Mussolini.

Les combinaisons de ces mouvements sont complexes et des « itinéraires mixtes » se sont improvisés. Certains soldats du contingent se sont établis en tant que colons en Éthiopie, alors que d’autres y sont partis à l’aventure poussés par des phantasmes sexuels. En effet, les soldats échangeaient des cartes postales montrant des femmes éthiopiennes nues et la propagande fasciste utilisait ces rêves de femmes noires « faciles » pour des Blancs dominants de façon décomplexée. La littérature italienne postcoloniale (Flaiano, 1947), les dessins humoristiques et les chansons Faccetta nera (Frimousse noire) ou Bella Abissina (Belle Abyssine)4 témoignent de ces songes orientaux se rapportant aux conquêtes féminines. Ces expressions artistiques populaires ont accompagné la campagne d’Éthiopie dans un engouement véhiculant le cliché de terres vierges à conquérir et de femmes à posséder. Si le goût pour ces chansons n’explique pas entièrement les départs pour l’Abyssinie, le désir d’y rester pour des raisons intimes, après la perte de l’Empire en 1941, est un élément important d’« ensa- blement »5 en Abyssinie. Tel que l’expliquait l’un des interviewés6 : « Quand je l’ai rencontrée, mes pieds sont devenus de plombs » (Le Houérou, 1996a : 85).

4 Chanson écrite par Renato Micheli en 1935, mise en musique par le compositeur Mario Ruccione et interprétée par Carlo Buti. Cette chansonnette fasciste, la plus populaire de la campagne d’Éthiopie en 1936, vantait la beauté des « frimousses noires » invitées, dans le texte de la chanson, à devenir Chemise noire afin de défiler devant le Duce. Cet air est le symbole de la séduction des « belles Abyssines » et de leur impact sur la gent masculine italienne et en particulier sur les soldats en 1936. 5 Le terme « ensablement » vient de l’italien insabbiamento. Il est utilisé continuellement par tous les personnages entendus en entretien dans l’enquête ethnographique conduite il y a trente ans. 6 Tous les interviewés n’ont pas souhaité que leur nom apparaisse, c’est pourquoi seuls les ensablés qui ont accepté sont nommés dans le présent article.

105 Fabienne Le Houérou

La migration forcée des appelés du contingent pour la guerre d’Éthiopie de 1936 se transforme ainsi en migration choisie et volontaire en 1941, au moment de la déroute militaire fasciste en Éthiopie. Aussi, semble-t-il pertinent de retenir la date de 1941, comme un tournant décisif dans cette migration. Parmi les Italiens qui ont débarqué en Abyssinie en 1936, une centaine de familles ont fait le choix de rester définitivement en Éthiopie, au moment où l’empereur Hailé Sélassié retrouvait son trône. La décision de demeurer dans un Empire italien désormais perdu est le produit d’un faisceau de motivations transformant le migrant forcé en émigré. L’évolution du projet migratoire se trouve au centre de cette mutation et pousse les acteurs sociaux à emprunter la voie de l’installation pérenne et durable en Abyssinie. L’enquête ethnographique conduite à la fin des années 1980 a révélé le rôle central des histoires personnelles et le poids fonda- mental des unions maritales, mariages ou concubinages, dans ce choix de rester en Éthiopie et de s’y « ensabler ».

Une relecture des différents corpus, après un grand écart temporel, permet de dépasser, d’une part, la naïveté de position d’une auteure statutairement étudiante à l’époque où elle conduisait ses enquêtes de terrain et de traverser les résistances académiques des années 1980 sur les questions de genre et de domination masculine. La réinterprétation des sources écrites, orales et photo- graphiques souligne une forme d’autocensure sur des problématiques délicates, notamment sur les questions de déviances sexuelles des anciens colons italiens. Il faut admettre avec simplicité, qu’en dépit d’un matériel conséquent, la question de la déviance sexuelle a été écartée, dans une volonté d’évitement, car trop encombrante et trop complexe à traiter. Les compagnes éthiopiennes de ces colons ont pour point de convergence d’être extrêmement jeunes et de provenir de catégories très défavorisées de la société éthiopienne des années 1930. Il s’agit de jeunes filles, ou même de petites filles, abandonnées par des mères prostituées pour la plupart d’entre elles. La relecture actuelle du matériel ethnographique insiste sur l’importance de ces compagnes dans le passage d’une émigration italienne forcée à une émigration volontaire. Le point de vue de ces compagnes abyssines et leurs confessions sont des éléments qui avaient été écartés de la mise en écriture de cette enquête. L’évolution des études sur le genre a eu pour mérite d’inciter à repenser les relations entre ces colons ensablés et leurs compagnes. Les hommes ensablés entendus il y a trente ans possèdent une pluralité d’amies, maîtresses et concubines. Les profils féminins sont extrêmement variés et fonctionnent par agrégation et empilement. Oreste, un ensablé souvent cité dans ce texte, héros du roman Perla Nera (Le Houérou, 2014a), partage son habitation avec de nombreuses femmes aux statuts variés allant de sa fille adoptive jusqu’aux plus anciennes maîtresses. Il rend réguliè- rement visite à son ancienne épouse légitime remariée avec un autre homme. Toutes ces femmes ou jeunes filles ont témoigné très favorablement sur leur relation avec Oreste et c’est au moment de sa mort en 1991 que la relation déviante avec sa fille adoptive a émergé de façon brutale. Cette liaison particu- lière a entraîné une relecture de ces différentes sources en faisant émerger la notion de déviance.

Le projet migratoire est donc le résultat de négociations combinant des moti- vations conscientes et inconscientes. Cet inconscient de la migration est une donnée souvent négligée dans les travaux universitaires. Cette évolution d’une migration forcée vers une migration volontaire illustre ces enchevêtrements de

106 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme motivations se rejoignant sur un point d’intersection. La migration volontaire rencontre la migration forcée sur la question des relations maritales et affectives entre colons italiens et Éthiopiennes. Les histoires d’amour italo-abyssines sont donc, au-delà de leur dimension anecdotique, un véritable phénomène social colonial et postcolonial. Nous pouvons questionner le projet migratoire comme un projet de sexualité déviante eut égard au rapport inégal entre les générations d’anciens colons italiens (appartenant à une classe d’âge des années 1910-1920) et de leurs très jeunes partenaires locales pré-pubères. Si les écarts d’âges sont tolérés en Afrique, les rapports incestueux sont considérés comme anormaux et déviants et nous permettent d’examiner la notion de perversion en relation avec le fascisme (Le Houérou, 2015 : 255-267). Nous insistons sur le caractère interro- gatif de la mention de « pédophilie », un concept issu de la psychologie, d’une part, et dont nous rappelons qu’il se rapporte, d’autre part, à des unions entre adultes colons et petites filles éthiopiennes âgées de huit à neuf ans.

L’« impérialisme du pauvre » et la migration en Abyssinie

La notion d’« impérialisme du pauvre » utilisée par Milza (1999a) se traduit par une ambition coloniale italienne tardive au XXe siècle ayant plusieurs siècles de retard par rapport à d’autres empires coloniaux. Ce projet impérial se modélise sur l’Empire britannique en termes de puissance, mais pour le régime fasciste, il implique également un programme politique de peuplement des terri- toires conquis. Cette politique d’émigration s’adresse à des catégories ciblées de la population italienne des années 1930. Il est question pour le fascisme de faire « émigrer » des contingents de bras italiens désœuvrés et d’implanter une population sans travail et sans terre, ou de travailleurs précaires issus de la paysannerie pauvre et de la classe ouvrière. Une propagande est mise en place à cet effet afin de pousser les Italiens à émigrer vers ces nouveaux territoires. Au sein de ce dispositif, le Parti national fasciste (PNF) détient un rôle clef avec la responsabilité d’un encadrement migratoire. La propagande fasciste

« Les nationalistes italiens, à la différence de leurs homologues français, étaient partisans d’une politique conquérante, d’un “impérialisme du pauvre”, fondé sur l’idée que l’Italie était une nation “prolétaire”, à laquelle les “nantis” refusaient la “place au soleil” qui lui revenait de droit. Cette transposition du thème de la lutte des classes sur le terrain des relations internationales, dont le fascisme ferait plus tard son miel, rencontrait un écho chez certains leaders de la gauche italienne. » (Milza, 1999a)

L’« impérialisme du pauvre », comme l’appelle Milza, est donc une réalité historique de la conquête de l’Éthiopie à laquelle s’ajoute un impérialisme du travail censé trouver une issue professionnelle à des milliers de bras désœuvrés. Guido Cortese, le secrétaire du PNF d’Addis Abeba, évoque dans un courrier, qu’il a vu arriver un ouvrier (operaio) au siège du parti à Addis-Abeba sans chaussures7. La propagande fasciste a sciemment diffusé des messages de liberté sur les terres africaines, d’enrichissement et d’extases sexuelles avec

7 Achivio Centrale dello Stato (ACS) Graziani, 52-44-1, Lettre de Guido Cortese du 14 mai 1937.

107 Fabienne Le Houérou

notamment la chanson Faccetta nera. Les nombreux soldats en partance pour l’Afrique orientale ne possèdent aucune formation professionnelle et ils seront sommairement formés sur place en Éthiopie (Le Houérou, 1996b).

Ouvriers et paysans représentent les catégories les plus défavorisées et pour cette raison, suscitent l’attention du Parti national fasciste qui joue un rôle de premier plan dans l’organisation sociale de la colonie. L’impact du PNF sur la classe ouvrière est essentiel ; les ouvriers sont contraints de s’inscrire au parti et ils sont soumis à son contrôle dans les colonies (Fossa, 1938 : 55-56). Les soldats de l’Empire sont embauchés en priorité par les compagnies italiennes. Leur vie rude est faite de privations ; ils habitent des baraquements de fortune, ne bénéficient pas du plus élémentaire des conforts et ne sont jamais remboursés pour leurs déplacements professionnels. Cette demi-misère est constamment rappelée dans les courriers conservés notamment dans les cartons d’archives du Parti national fasciste de l’Archivio Centrale Dello Stato à Rome8.

L’encadrement du parti est tentaculaire sur les ouvriers et il est d’ailleurs clai- rement revendiqué dans des rapports de la fédération. La totalité des activités des travailleurs est contrôlée par le parti depuis la distribution de nourriture jusqu’aux matchs de foot en passant par la fréquentation de maisons closes. Dans les modalités d’émigration, c’est encore le parti qui s’impose comme interlocuteur incontournable des familles qui émigrent. À cet effet, le parti cible la paysannerie et la classe ouvrière qui sont les seules catégories susceptibles de s’enraciner en Abyssinie.

Dès que Mussolini décide d’envahir l’Éthiopie, il met en place son projet de peuplement, à savoir offrir aux Italiens une possibilité de s’installer sur de nouvelles terres. La paysannerie est un élément déterminant de ce programme. L’objectif déclaré depuis la guerre de 1936 est d’envoyer 1 million d’Italiens en Éthiopie. Il s’agit d’une ambition démographique d’envergure. À cette fin, des agences se mettent en place pour favoriser les départs encadrés par le parti qui porte un intérêt inégal aux catégories émigrantes. En effet, le PNF ne s’intéresse pas à toutes les catégories sociales et encadre de manière préférentielle les ouvriers et les paysans. Il se désintéresse de la petite bourgeoisie italienne et sélectionne les familles à laquelle il apporte son soutien.

Au départ, le parti a l’intention d’accompagner le candidat à l’immigration jusqu’en Éthiopie et de débloquer des prêts pour la construction de la maison de l’émigré. Mais ces aides ne se sont réalisées que dans la région de Gimma et n’ont concerné qu’une dizaine d’ouvriers, de même que les prêts pour construire leurs habitations se sont révélés nettement insuffisants. Le parti n’alloue que 5 000 livres alors que la construction s’élève à 22 000 livres. Ces facilités de crédit ne profitent qu’à quelques-uns (Le Houérou, 1994 : 121). Le désenchantement

L’émigration vers l’Abyssinie se divise en deux segments essentiels. Le soldat qui prolonge son déplacement militaire forcé en émigration choisie et l’émigré plus classique qui tente, à partir de l’Italie, une émigration volontaire vers

8 Archivio Centrale dello Stato (ACS) Graziani, Rome. Le carton PNF rassemble les courriers de la fédération fasciste d’Addis-Abeba.

108 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme l’Éthiopie après la victoire de la marche sur Addis-Abeba. Dans les deux cas de figure, le Parti national fasciste détient un rôle fondamental dans leur installa- tion en Éthiopie. Ceux qui émigrèrent comme ouvriers ont été employés sur les immenses chantiers de route de l’Empire. L’enquête ethnographique, conduite il y a trente ans auprès des ensablés, confirme une petite ascension sociale marquée par le passage d’ouvrier à petit patron (padroncino). Cette promotion, comme le rappelle Amedeo Venditti, le témoin principal de l’enquête réalisée à la fin des années 1980 (Le Houérou, 1994 : 118), a été parfois illusoire avec des personnes se gratifiant du titre de « chef d’entreprise » alors même qu’ils sont auto-employés au sein de leur société. Selon les statistiques, le nombre global des ouvriers auxiliaires émigrés en Afrique orientale italienne serait monté jusqu’à 200 000 individus. Des chiffres avancés par Podesta (2007 : 59-84) et qu’il met lui-même en doute tant ces derniers ne semblent pas crédibles. Au début de la présence italienne en 1936-1937, il y avait 16 080 ouvriers qui travaillaient sur le chantier de la route Assab-Dasé et sur cette population ouvrière on ne comptait que 5 609 Éthiopiens. En 1939, cette majorité s’inverse et il ne restera que 2 350 Italiens contre 33 790 Éthiopiens (Pini, 1939 : 44). La classe moyenne est devenue importante après 1937 et les effectifs des ouvriers ont largement chuté. En même temps, il faut souligner que la population ouvrière est trop volatile et employée pendant des contrats d’un an, ce qui ne permet pas d’établir un bilan démogra- phique rigoureux. Par ailleurs, ceux qui sont comptabilisés comme ouvriers en 1936-1937 se sont reconvertis rapidement dans le commerce. Ils ont ouvert des petites entreprises et sont devenus garagistes, plombiers, électriciens, maçons ou encore épiciers, coiffeurs, restaurateurs, hôteliers, couturiers. Ils deviennent des petits patrons (padroncini). Qu’ils soient à l’origine des militaires démo- bilisés ou des émigrés arrivés en Éthiopie de leur propre gré, la propagande fasciste mise sur la séduction d’une ascension professionnelle et sur des poten- tialités merveilleuses de la colonie où tout est possible.

Les statistiques de l’année 1938 établissent l’existence de 1 210 commerçants et négociants dans la région du Choa, 340 dans l’Amhara, 264 dans le Harrar et 260 dans le Galla Sidamo (Le Houérou, 1994 : 123). C’est donc la région centrale de l’Éthiopie, le Choa, qui a suscité la préférence des émigrés italiens ; il s’agit du gouvernorat (governorato) où se trouve Addis-Abeba, capitale de l’Empire de l’Afrique orientale italienne. La capitale était la région la plus sécurisée du pays et, de ce fait, devenait attractive pour les projets d’émigrations. En effet, l’Éthiopie n’a jamais été véritablement dominée pendant les cinq années d’oc- cupation des Italiens ; seules les capitales régionales étaient contrôlées9. Les compagnes éthiopiennes avec lesquelles les émigrés italiens sont en couple, ou en interactions épisodiques, proviennent essentiellement des contextes urbains et de l’entourage immédiat des lieux d’implantation des garnisons militaires.

Les Italiens sont, en quelque sorte, les otages de leur Empire : ils ne le maîtrisent pas. Élaboré dans la précipitation, l’Empire est un élément de propagande du régime afin de se poser en vainqueur avec les apparences de l’héroïsme, de la vitesse, de la productivité et du courage : thèmes centraux de l’orientation fasciste. Mussolini a fait sienne la phrase : « Meglio vivere un

9 Une résistance éthiopienne armée s'est opposée à la colonisation italienne de l'Éthiopie dès 1936.

109 Fabienne Le Houérou

giorno da leone che cent’anni da pecora »10. Les métaphores utilisant le symbole du lion sont très populaires à l’époque, comme le déclare un personnage du film Hôtel Abyssinie (Le Houérou, 1996b) pour expliquer la fascination de l’Éthiopie sur les migrants italiens en 1935-1936. On trouve aussi la métaphore dans Pierrotti (1959, 62) : « On se sentait, un patron, un lion, un dieu ! ». Les ensablés, devenus petits-bourgeois, se sont identifiés à ces mythes de force, de courage et de réussite. Mais l’Empire en question est tissé par une série d’illusions. Illusions sociales liées à une promotion fulgurante, illusions économiques sur le réel potentiel du commerce d’importation/exportation, illusions de maîtrise du territoire et de sa sécurité pour des paysans immigrés qui s’installent sur des terres éloignées d’une garnison militaire.

Nous avons interprété cette série de désenchantements comme un auto- aveuglement lié à un projet migratoire le plus souvent inavoué en rapport avec la vie intime des migrants et de leurs différentes liaisons. L’enquête, de la fin des années 1980, que nous convoquons continuellement dans cette analyse, a entendu les anciens émigrés qui s’auto-baptisent eux-mêmes « ensablés ». Issus de ces mondes professionnels précaires, les ensablés demeurent les voix qui permettent de dresser un portrait socio-économique des colonies et leurs témoi- gnages sont, à cet égard, trente ans après, toujours aussi éclairants. Comme Milza l’a souligné, les ensablés appartiennent à la première phase historique du fascisme, celle des origines, une vague portée par le prolétariat11 . Les Italiens qui décident de lier leurs destins à l’Éthiopie, après la perte de la colonie en 1941, sont essentiellement des hommes en provenance de la ruralité du sud de l’Italie. Gens sans terre, ils appartenaient à cette ruralité pauvre du Mezzogiorno, à une sorte de « sous-ruralité » du monde paysan : petits métayers, saisonniers et locataires de terres du sud de l’Italie vivant dans une grande précarité. Gens sans terre à la recherche d’acquisition de biens et rêvant de devenir propriétaire. César, l’un des témoins principaux de ladite enquête, souligne continûment une illusion professionnelle – que l’on peut analyser comme un facteur « push » – qui incite toute une catégorie de gagne-petit, ouvriers et paysans en Abyssinie, à partir. Il témoigne de l’illusion fondatrice de cette migration vers l’Éthiopie et la qualifie de « miroir aux alouettes ».

Le travail ethnographique, conduit en Éthiopie à la fin des années 1980, a révélé le mensonge social et l’humiliation vécue par ces ouvriers, arrivés comme soldats, qui ont cru à une ascension sociale en devenant des petits patrons, un mot-clef de cette aventure où tous ont escompté une promotion professionnelle pensant qu’en situation coloniale ils pourraient se hisser facile- ment au rang d’homme d’affaire. Le souhait de devenir son propre patron est largement partagé au sein des ensablés. La figure la plus célèbre, qui a marqué cette période, demeure celle du garagiste. Personnage essentiel au sein de cette catégorie, il s’est imposé durablement dans le paysage social éthiopien et de nombreux garagistes se sont ensablés en Éthiopie.

10 « Il vaut mieux vivre un jour comme un lion que cent ans comme un mouton. » 11 Entretien avec Pierre Milza à Sciences-Po Paris lors du Cycle d’histoire du XXe siècle en mai 1988.

110 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme

Une classe moyenne aux contours imprécis

Le garagiste incarne la réussite sociale la plus accomplie ; il a marqué le pays par son savoir-faire technique, comme dans d’autres espaces coloniaux, il s’est imposé comme profil de réussite. De nombreux mots en langue amharique12 sont directement issus du vocabulaire mécanique. Camionista (camionneur), macchina (voiture) ou gomma (pneu) sont des termes empruntés à l’italien et toujours utilisés en Éthiopie. Les garagistes italiens s’imposent dans le paysage socioprofessionnel de 1936 en Éthiopie, car ils apportent une nouvelle compé- tence. Le pays compte très peu de voitures et de routes goudronnées avant l’arrivée des Italiens. Les mécaniciens et garagistes sont ainsi devenus des figures indispensables de la conquête italienne et ils occupent des postes fonda- mentaux pour les transports des troupes militaires et des marchandises. Les camionneurs éthiopiens ont pris exemple sur eux et selon Mercier, un anthropo- logue observateur de la vie éthiopienne depuis les années 1970, ils représentent l’élément le plus italianisé de la population13. Les classes moyennes ont été les mieux adaptées à la vie sociale éthiopienne car, nous l’avons dit leurs aires de spécialisations techniques dans les domaines électriques, hydrauliques, méca- niques, urbains, médicaux, etc. furent jugées utiles par les populations locales. Un ensablé résume cette perception éthiopienne de la technicité italienne comme suit :

« Un jour, il y avait un homme politique éthiopien qui faisait un discours ici [Addis- Abeba], à un certain moment son micro ne fonctionnait plus… Alors il s’est exclamé : “Qu’on m’amène un Italien !” » (Entretien avec Amedeo Venditti à Addis-Abeba, le 09/12/1987)

Tous les entretiens confirment l’hypothèse d’une classe moyenne qui s’est imposée en raison de son savoir-faire technique. Les Italiens occupent des secteurs économiques clefs (eaux, électricité, téléphone, télégraphe, transports, import/export). C’est la raison pour laquelle le négus14 Haïle Sélassié à son retour sur le trône après le départ des Italiens en 1941, a établi une liste de 100 Italiens considérés comme clefs de voûte du bon fonctionnement de l’Empire ; il les a même protégés et cachés dans son palais. Nous avons interviewé l’ensablé ayant dressé la liste des « protégés » de l’empereur d’Éthiopie en 1987. Ce dernier a été hébergé par Haïle Sélassié, dans son palais, afin d’éviter la dépor- tation britannique. En effet, les Anglais ont replacé l’empereur sur son trône, en 1941, après avoir chassé les Italiens de l’Afrique orientale.

Fallaci, journaliste italienne, décrit dans son ouvrage paru en 1977 ceux qu’elle nomme et identifie comme les « Italiens d’Afrique », ex-colons enrichis qui fréquentent le club de football cossu de la Juventus de Turin. Elle rapporte une interview qu’elle a avec le négus Haïle Sélassié au cours de laquelle il lui explique avec clarté que les Italiens dans son pays « ont fait de bonnes choses »

12 Il est question d’une langue sémitique parlée et écrite par les Amhara éthiopiens provenant du géz (matrice linguistique ancienne). L’amharique a été la langue officielle de l’Éthiopie jusqu’en 1994. 13 Entretien avec l’anthropologue Jacques Mercier à Addis-Abeba en mai 1990. 14 Négus est le titre porté par les souverains éthiopiens ; le negasta negust (roi des rois) se rapporte à l’empereur.

111 Fabienne Le Houérou

et il se déclare satisfait de les avoir défendus à son retour sur le trône. Selon Fallaci (1977 : 383-384), il s’agit d’un calcul astucieux, celui « de favoriser une petite bourgeoisie indispensable au développement du pays et à la botte du négus ». Parmi ces petits-bourgeois, beaucoup sont d’anciens ouvriers dévoués au négus et les commerçants sont les plus représentatifs d’entre eux. Fallaci a en effet brossé un portrait très réaliste et pertinent de la communauté italienne ensablée. Elle a su observer ses traits les plus saillants comme la nostalgie du fascisme, l’enfermement social, la relative adaptation à l’Éthiopie et à l’autorita- risme du négus. La journaliste porte son regard sur les « petits-bourgeois », une terminologie très usitée par la presse italienne dans les années 1970, mais elle oublie les ensablés, ces anciens petits patrons plus vulnérables économique- ment. En réalité, les anciens colons de la même génération d’immigrés italiens en Éthiopie, en 1936, ont formé des communautés différentes, ayant érigé des frontières étanches. L’espace même qu’ils ont construit est également cloisonné.

La vraie différence entre les deux communautés d’immigrés italiens en Abyssinie est essentiellement liée à la réussite commerciale et vraisemblablement aux origines sociales. On pourrait avancer que ceux que l’on retrouve à la Juventus ont eu des parcours scolaires plus aboutis. Les ensablés sont souvent illettrés et certains analphabètes. Les plus nantis du club de la Juventus ne présentent pas cette absence de capital culturel et éducatif. Aussi pourrait-on envisager le capital culturel comme facteur important d’ensablement ; l’ensablé étant in fine l’ignorant. Aussi, il convient de ne pas essentialiser cette émigration italienne en la limitant à sa composante « prolétaire ». Les ensablés sont issus de ce sous- prolétariat urbain et rural que Milza considère comme la base sociale du premier fascisme15. Il est cependant pertinent de retenir que, malgré la pluralité des profils d’émigrés italiens en Abyssinie, les prolétaires ouvriers sur les chantiers de routes forment, en 1936, l’élément statistiquement dominant de cette émigration.

Le projet migratoire comme « love migration » ou « migration d’amour »

L’« impérialisme du pauvre » a toutes les apparences d’un piège socio-écono- mique ; en effet, les terres africaines n’auront peu ou pas enrichi les acteurs de la colonisation et le déterminant économique a été surestimé par les ensablés. La valorisation apportée par cette émigration italienne en Éthiopie se ramène, plus vraisemblablement, à une question de prestige social d’une part, mais se réfère à un prestige masculin en rapport avec la virilité, d’autre part. Même si leurs situations socio-économiques sont ordinaires, les ensablés ont l’illusion de vivre « comme des rois ». Une identité masculine valorisée malgré des échecs socioprofessionnels

Les émigrés italiens en Éthiopie déclarent que, ce qui avait pu les séduire en arrivant, c’est l’apparente absence de hiérarchie sociale. Leurs origines modestes ont été temporairement oubliées, voir gommées, par la nouveauté de cette aventure coloniale et exotique :

15 Entretien privé avec Pierre Milza à Sciences-Po Paris en décembre 1991.

112 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme

« Dans ce pays, il n’y a pas de distinction de classe, nous pouvons tutoyer l’ingénieur et le docteur. » (Anonyme, entretien à Addis-Abeba, le 23/12/1986)

Cette égalité dans la forme ne renvoie pas à une réalité de fond et il y a peu d’échanges substantiels (en dehors des relations de travail) entre l’administra- teur colonial, l’officier et le simple soldat devenu aussi bien ouvrier que petit patron. La tromperie égalitaire est d’ailleurs démentie par un autre témoignage :

« Les officiers exigeaient d’être salués militairement même dans la brousse et nous avions mal au cœur de les voir boire du Chianti quand nous ne mangions que de la polenta froide. » (Anonyme, entretien à Asmara, le 04/04/1987)

Le souhait de devenir quelqu’un de nouveau en Abyssinie est une obsession qui est renforcée par le prestige de se faire appeler Goytana (notre maître, en amharique) par les Éthiopiens, y compris leurs épouses et concubines. La facilité des rapports entre les sexes en Éthiopie a également apporté à ces émigrés un prestige masculin et d’aucuns ont multiplié les conquêtes féminines et les maîtresses. Les ensablés invoquent une liberté sexuelle plus importante en Éthiopie que dans l’Italie des années 1930.

Le point central de cet enchantement, ou désenchantement, se rapporte tant au prestige social et à l’honneur qu’à la posture valorisante du conquérant masculin et du maître. Lors d’une conversation, l’épouse éthiopienne d’un ensablé avoue que :

« Les Blancs sont vraiment supérieurs et plus beaux et j’ai de la chance d’avoir des enfants presque blancs en ayant épousé un Italien. » (Anonyme, entretien à Addis-Abeba, le 27/11/1987)

Ainsi ces émigrés sont également des colons et des maîtres ; la situation coloniale leur confère un pouvoir qu’ils n’auraient pas pu obtenir sur d’autres territoires d’émigration. Sur les vingt ensablés, entendus en 1986-1987, quinze étaient arrivés comme soldats en 1936 puis ont été embauchés comme ouvriers la même année ou l’année suivante, mais tous en 1987 étaient des petits patrons. Ce qui signifie que tous ont atteint leur rêve d’accession à la petite entreprise privée. Ces affaires ne sont cependant pas toutes prospères :

« Beaucoup avaient tout vendu en Italie pour investir dans une affaire. Et maintenant, leur petit investissement se réduisait à un poing de mouche [pugno di mosca], leur travail, leur petit magasin, perdu, abandonné, détruit. C’était un monde qui s’écroulait en 1941. » (Pierrotti, 1959 : 168)

Le départ des Italiens en 1941 a été à l’origine d’une grande désillusion, celle d’avoir bâti un empire sur du sable. Lors d’une mission en Éthiopie un ensablé nous a transmis le journal intime d’un commerçant daté de l’année 194116 :

« Un monde où nous avions vécu et que nous avions cru le plus juste et le plus solide. Tout à coup, nous nous sommes trouvés comme des poussins perdus, des poissons hors de l’eau. »

16 Anonyme (1941) Diario Eritreo. Il s’agit d’un document inédit, l’agenda d’un ensablé en Érythrée au moment de la perte de l’Empire où l’auteur signale les défaites militaires et son amertume au jour le jour.

113 Fabienne Le Houérou

Cet écrit privé narre la grande déception politique d’un représentant des classes moyennes établi en Éthiopie et en Érythrée. Ce commerçant, immigré en Érythrée, s’était enraciné dans un projet à long terme et il était question pour lui de vivre, mourir et laisser son entreprise à ses descendants. La perte de l’Empire lui a fait comprendre qu’il n’avait pas émigré mais qu’il s’était seulement déplacé à l’occasion d’une conquête militaire. Il découvre alors avec surprise la précarité de sa situation. Son projet n’était ni militaire, ni politique, mais socio-économique et familial et la débâcle militaire de 1941 l’a placé dans un contexte géopolitique. Oreste, ensablé à Addis-Abeba, résume avec des mots simples cette situation :

« À cette époque, avant de m’intéresser à la politique, je ne pensais qu’à deux choses : manger et travailler. » (Entretien avec Oreste à Addis-Abeba, le 10/11/1986)

L’enquête réalisée en 1987 révèle une quasi-absence d’ascension et fait ressortir l’ensablement comme une paralysie sociale, un enfoncement dans une situation, un glissement progressif vers une paupérisation. En vieillissant, les petits patrons d’Éthiopie ont, peu à peu, perdu leur force de travail et les moyens de subvenir à leurs besoins. Le terme de retraité correspondant, plus vraisembla- blement, à une forme d’aumône déguisée de l’État italien. L’ambassade d’Italie détient, en 1987, des fonds spéciaux pour venir en aide économiquement à ces Italiens paupérisés et vieillissants. L’un des ensablés entendus mendie ouver- tement son pain. Pour illustrer cette misère, dans un pays atteint par la famine dans les années 1980, l’un des témoins principaux narre, avec une mordante ironie, l’anecdote d’un Italien réduit à faire le magicien car il ne parvient plus à payer son loyer :

« Pasquale, cet Italien faisait le magicien [stregone en italien et tanqway en amharique], il mettait une grande cape rouge pour dire la bonne aventure aux Éthiopiennes avec un vase de verre et un serpent en plastique. » (Anonyme, entretien à Addis-Abeba, le 22/12/1987)

Les commerces flamboyants dans les années 1960, sont des ruines à la fin des années 1980 et les Italiens enracinés en Éthiopie sont désormais âgés de quatre-vingt à quatre-vingt-dix ans et leur force de travail s’est effondrée. L’histoire d’Amedeo Venditti

Au moment de l’enquête, à la fin des années 1980, les petits patrons prospères des années 1960 sont désormais des retraités paupérisés. La plupart du temps, ils n’ont rien anticipé pour leur retraite et rencontrent des conditions d’existences matérielles difficiles avec l’allocation de 150 dollars mensuels octroyée par l’ambassade d’Italie.

Dans ce groupe social d’Italiens se définissant comme « enlisés », on rencontre également un profil marginal d’antifasciste. Dans le film Hôtel Abyssinie (Le Houérou, 1996b), Amedeo Venditti âgé de soixante-dix-huit ans est encore employé sur des chantiers d’églises éthiopiennes et souligne la valeur du travail. Néanmoins, comme toutes les personnes de sa génération, il n’a plus l’énergie physique pour travailler et, comme de nombreux ensablés, il survit grâce aux subsides susmentionnés. Amedeo Venditti résume le fascisme et son départ pour l’Abyssinie en ces termes : « L’air à l’époque du fascisme

114 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme

était irrespirable en Italie ». Socialiste, ce personnage exècre l’autoritarisme du fascisme. Architecte, il sait lire et écrire et s’est constitué écrivain public pour le reste des ensablés tant dans leurs communications avec les institutions italiennes qu’avec les familles restées en Italie. Cette fonction épistolaire lui procure une place centrale dans un groupe largement fascisé – se disant encore fasciste en 1987 – alors même qu’il se déclare comme antifasciste en marge de son groupe. Amedeo Venditti est également le seul témoin à avoir accepté que son nom apparaisse dans des travaux scientifiques. Il répond parfaitement à cette fonction bourdieusienne d’une périphérie-centrale, d’un homme en marge de son propre groupe, mais qui, par son analyse critique, occupe une place capitale dans un dispositif de recherche. Le regard décentré d’Amedeo a été fondamental pour la compréhension du petit groupe d’ensablés à Addis-Abeba. Par sa fonction d’écrivain public, ce témoin principal est au faîte des affaires des uns et des autres et c’est sa connaissance des histoires personnelles de ses collègues, qui a permis ainsi, maintes fois, de rectifier les témoignages. En effet, les ensablés sont coutumiers du mensonge, des mythes, contes et légendes sur leur vie en Éthiopie. Leur condition socio-économique constituant un échec inavouable, ils s’érigent en mystificateurs de leur propre existence. Pendant l’enquête, nous avons souvent feint de croire à leurs anecdotes. Au sein de l’ensemble du dispositif de vérification et d’authentification, Amedeo Venditti occupe une posture centrale. Contrairement à l’ensemble de sa communauté, il n’élabore pas de déni de réalité. Amedeo Venditti dans le film Hôtel Abyssinie (Le Houérou, 1996b) déclare que la majeure partie des Italiens d’Éthiopie mendie son pain à l’ambassade. Aussi, c’est avec un sens de la dignité que le personnage d’Amedeo Venditti revendique la valeur travail et souligne que, malgré son âge, il est toujours en activité en 1995, au moment du tournage du film documentaire17.

Il insiste au cours des entretiens pour évoquer son engagement volon- taire dans la guerre d’Éthiopie en 1936, alors même qu’il est fiancé en Italie. La contrainte économique (absence d’emploi) et la suffocation politique le poussent à partir et il emploie la notion de sacrifice :

« C’était un sacrifice et même un sacrifice noble… La vie locale n’était pas amusante… Ils vivaient à dos de mulet, sous la pluie, sous la tente, dans le froid ou le très chaud, tout cela pour vous dire, que la vie, ils la gagnaient pas si facilement que cela. » (Entretien avec Amedeo Venditti à Addis-Abeba, le 19/11/1987)

L’idée de découverte et de terres vierges motive également son déplacement. Son antifascisme virulent le conduit en Abyssinie où il est, en quelque sorte, un « réfugié politique ». Cette distinction ne le différencie cependant pas du groupe social des ensablés dans lequel il s’inclut18 en raison du choix de demeurer en Éthiopie en 1941. Tout antifasciste qu’il puisse se déclarer, il s’enlisera en Éthiopie en raison de ses attachements à ses maîtresses éthiopiennes.

17 À ce propos, il faudrait souligner la valeur du cinéma anthropologique qui permet de suivre des témoins sur la longue durée en saisissant la complexité des situations afin d’échapper à la réification de l’idéal type et de comprendre les situations dans leurs dynamiques évolutives. 18 Entretien dans le film Hôtel Abyssinie (Le Houérou, 1996b) où il déclare que l’ensable- ment est un enlisement dans une forme de sable mouvant ou englué dans une boue de laquelle on ne peut pas se dégager. La métaphore ici exprime la paralysie de mouvement.

115 Fabienne Le Houérou

« Vice » des femmes et déviances sexuelles Épouses et concubines

La composante socioprofessionnelle du projet migratoire apparaît comme un déterminant moins important que le projet marital, familial ou simple- ment sexuel des migrants qui se sont installés définitivement en Éthiopie. L’attachement marital aux femmes abyssines, épouses ou concubines, a été un dénominateur commun à ces différents profils de migrants. Les unions ont juridiquement varié selon qu’elles aient été contractées en période coloniale ou postcoloniale. La compagne vivant en couple de façon durable avec un Italien pendant la période coloniale est appelée une « madama » et le terme « madamismo » est un néologisme continûment utilisé pendant la période de l’occupation italienne de l’Éthiopie et de l’Érythrée. Les séductions épisodiques sont caractérisées d’« antchilite », un autre néologisme dérivé de l’amharique antchi qui désigne le pronom féminin marqueur du genre féminin. Être entichée d’une fille se dit avoir l’« antchilite ». Dans le jargon métissé d’italien et d’amha- rique, parlé par les ensablés, « avoir l’antchilite » se rapporte à un état maladif. Aussi les rapports de genre entre les ensablés et leurs compagnes ont entraîné des modifications du vocabulaire et des mots ont été inventés pour caractériser des situations inédites et sans statut juridique.

Amedeo Venditti témoigne de son adaptation au pays par passion pour les femmes éthiopiennes et ses aveux sur la façon dont il a mené sa vie amoureuse sont amers. De concubine en concubine, d’amourette en amourette, il épouse une Éthiopienne avec laquelle il a une fille (Cleopatra) que l’on aperçoit dans le film Hôtel Abyssine. Cette dernière lui pose trois fois la question : « Pourquoi tu es resté ici [en Éthiopie] ? ». Avec une étonnante lucidité le père avoue : « Parce que je suis ensablé… mon pied ne peut pas se dégager » (Le Houérou, 1996b). Sa gestuelle dans le film simule un homme embourbé qui ne parvient pas à se relever. Le motif avoué est sa vie maritale et son attachement à une concubine, exactement comme tous les autres ensablés dont il déclare néanmoins se distin- guer.

La politique et les idées sont des facteurs infiniment moins cités dans le choix de demeurer en Abyssinie que l’attachement profond à une compagne éthio- pienne. Ce sujet est exposé également dans l’ouvrage Perla Nera (Le Houérou, 2014a), qui tente d’explorer la complexité des relations entre des hommes/ Blancs/colons et des femmes/Noires/Ethiopiennes à l’époque du fascisme en Éthiopie. Amedeo Venditti évoque, à plusieurs reprises, sa crainte d’être dominé par des femmes plus jeunes. Il confesse que la jeunesse de ses maîtresses le rend anxieux d’être moqué et se dit terrorisé à l’idée de n’être fréquenté que pour des motivations pécuniaires. Tous les hommes entendus, lors de ladite enquête, finançaient la vie matérielle de leurs maîtresses, ces dernières étant, le plus souvent, de basse extraction sociale. Amedeo exprime cet aspect fonda- mental de la relation basée sur un échange économique. Il affirme que le choix des ensablés de rester en Éthiopie ne se base pas sur l’amour, mais sur le vice. Il appelle cette inclination « il vizio delle donne » (le vice des femmes) (Le Houérou, 1994 : 102). Il réitère cette interprétation dans le film ethnographique Hôtel Abyssinie (Le Houérou, 1996b) en affirmant que c’est pour l’argent que les femmes éthiopiennes restent avec des Italiens. Il fait un geste de la main pour

116 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme

Figure 1 : Série de cartes postales que s’échangeaient les soldats italiens en 1936 représentant des jeunes filles éthiopiennes posant la poitrine découverte pour une clientèle coloniale masculine italienne

Source : F. Le Houérou, collection personnelle de cartes postales achetées dans des librairies d’Addis-Abeba.

117 Fabienne Le Houérou

signifier « la monnaie » (gli spiccioli) afin d’évoquer ces rapports tarifés. Le mot « vice » utilisé par un antifasciste est assez éloquent sur les rapports Italiens âgés/jeunes éthiopiennes en insistant sur le déséquilibre des générations. Il est question ici de se rapporter au discours de cet homme qui évoque clairement le fossé générationnel (Le Houérou, 1996a) et sa crainte de passer de dominant à dominé en raison même de son âge avancé ; l’ancienneté le rendant physique- ment plus vulnérable. Les ensablés rapportent de nombreuses anecdotes où les femmes éthiopiennes les font « tourner en bourrique », comme ils disent ; ce thème étant, à l’époque, le sujet principal des conversations de café. La peur la plus tenace étant celle ne pas être le seul partenaire de leurs amies malgré leurs bonnes dispositions monétaires. De même, ils expriment ouvertement la crainte d’une paternité forcée et erronée et celle de devoir assumer les enfants que leurs partenaires auraient eus avec d’autres hommes. Oreste, personnage entendu en entretien en 1987, héros du roman Perla Nera (Le Houérou, 2014a) par exemple, élève différents enfants d’anciennes concubines, dont il sait pertinemment ne pas être le père ; il assume cette situation avec une certaine désinvolture car il reçoit indirectement d’autres bénéfices liés à cette situation.

Force nous a été de constater que le motif qui traverse tous les profils sociaux, du haut fonctionnaire jusqu’à l’ouvrier, est celui de la rencontre avec une concubine. Ceux qui décidèrent de demeurer en Éthiopie, après la perte de la colonie, sont désormais autorisés à épouser leurs concubines et le premier geste politique a été de légaliser les unions. Pour la plupart, les ensablés rencontrés se sont mariés avec des Éthiopiennes à la mairie d’Addis-Abeba et possèdent la nationalité éthiopienne. Une minorité d’entre eux a eu, pendant le fascisme, des comportements déviants avec des enfants (Le Houérou, 2015 : 255-267). Une analyse de ces déviances a été explorée dans la fiction Perla Nera (Le Houérou, 2014a) qui tente une étude de la « pédophilie fasciste » comme phénomène politique. Lors de l’enquête ethnographique de 1987, nous avons pu observer que la domination sur un enfant peut être une domination totale relevant de la perversion, où l’ensablé dispose de la toute-puissance du père pour faire subir à l’enfant une soumission sexuelle. Ces perversions qualifiées de « fascistes » s’inspirent d’une lecture psychanalytique où le père incarne la loi. Le film de Pasolini (1976), Salò et les 120 jours de Sodome, illustre cette perversion fasciste et son caractère politique. Pasolini met en scène des adultes torturant des adolescents dans une villa, espace de tous les phantasmes les plus dégra- dants. À travers son film, il tente une démonstration imagétique de la montée en puissance de la violence fasciste. Pasolini justifie politiquement le sadisme de ses personnages par la sentence : « Nous, les fascistes nous sommes des anar- chistes ». Une phrase conclusive évoquant l’absence de loi, l’absence de limite et la possibilité, avec le fascisme, de traverser les lignes rouges. À l’inverse de ce que l’on pourrait croire, le film, souvent faussement perçu comme pornogra- phique, est une démonstration politique de la relation étroite entre la sexualité perverse et le fascisme. Tout se passe comme si le fascisme ouvrait la voie à la perversion en invitant le colon à l’omnipotence.

Pour de nombreux ensablés entendus en entretien, le choix de rester en Abyssinie est motivé par des orientations sexuelles. Celles-ci sont plurielles. Il est par exemple question d’un ensablé qui épouse sa concubine pour demeurer en Éthiopie dans la légalité du pays où il s’est enraciné. Il est également question d’éléments plus déviants comme en témoigne Amedeo Venditti :

118 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme

« L’Éthiopie c’est le paradis pour nous les vieux, moi comme vieux je peux avoir une fillette de douze ans. » (Entretien avec Amedeo Venditti à Addis-Abeba, le 12/12/1987)

César confirme que, comme vieux, il peut se vanter d’avoir pour maîtresse une « gamine » alors qu’en Italie « même une femme de quarante ans ne me regarderait pas ! ». Cet aveu sur la jeunesse de leurs concubines ou de leurs antchi (l’antchilite désignant une passion éphémère pour une femme abyssine) est un élément fondamental qui explique le passage du transitoire, l’aventure éthiopienne, à l’installation pérenne de ces hommes.

Comment expliquer que ce projet migratoire se rapporte à un agenda sexuel déviant et à l’exploitation d’une misère de situation ? Seule la littérature italienne a traité la question de l’importance de l’intime et du poids des histoires person- nelles et familiales, sans jamais explorer le champ des rapports sexuels entre Italiens et Abyssines dans une dimension pédophile. Le prix Strega a récom- pensé Ennio Flaiano pour son roman Tempo di uccidere (1947) narrant une histoire d’amour entre un soldat italien et une faccetta nera (frimousse noire). La question de la pédophilie n’a pu émerger que trente ans après la réalisation de notre enquête sur le terrain éthiopien puisqu’il a fallu une observation sur la durée pour s’autoriser l’appréhension de ce phénomène en établissant les différentes relations entre les ensablés et leurs compagnes abyssines : épouses, maîtresses attitrées, concubines passagères. Oreste, l’un des ensablés entendu de 1987 à 1991, occupe la fonction de pater familias. Il héberge ses ex-concu- bines et ses nouvelles conquêtes. Il a adopté une orpheline de six ans et trois ans plus tard, alors qu’elle n’a que neuf ans, il en a fait sa maîtresse attitrée après l’avoir violée. Oreste la présente comme sa fille adoptive. Cette petite fille s’est confiée, après une longue et durable fréquentation, et a raconté les abus dont elle avait été victime. Ces aveux sont arrivés dans un moment de crise existen- tielle, à la veille de la mort de son bourreau. Pédophilie fasciste ?

L’enquête orale convoquée à l’appui de notre analyse, démontre que les éléments subjectifs et les attachements féminins de ces migrants sont les déter- minants forts de leur projet d’installation pérenne en Abyssinie. Nous avons exploré la diversité de ces attachements sans omettre la déviance inhérente à certains. La dimension de « pédophilie fasciste » a émergé trente ans après l’enquête sur les ensablés, comme un impensé informulable et que seule la distance temporelle peut faire apparaitre. Le roman Perla Nera (Le Houérou, 2014a) permet d’explorer la piste pédophile dans une approche volontairement littéraire en abordant l’histoire d’un ensablé, Oreste, et de sa captive abyssine mineure. Tout se passe comme si la fiction du récit ouvrait un espace narratif pour faire face à une réalité d’une cruauté inouïe. Le roman brise les autocen- sures de l’auteure et lui permet de tenter l’objectivation dans une écriture histo- rique et sociale.

L’histoire d’Oreste et de ses aventures pédophiles avec des petites filles éthiopiennes est loin d’être marginale et les cas de séquestrations d’enfants ont été largement documentés dans l’enquête d’origine (Le Houérou, 1994 : 100). Mesurer leur importance est un procédé analytique délicat ; quantifier la dimension la plus cachée et la plus honteuse de ce projet migratoire demeure

119 Fabienne Le Houérou

un travail difficilement maîtrisable. Une enquête qualitative et une observation participante, s’étalant sur de nombreuses années, nous permettent de signaler l’importance de ces abus même s’ils se situent dans un hors champ sombre et subjectif dont on ne peut que souligner la présence sans en cerner précisément les contours. Les aveux de cette petite fille éthiopienne sur les sévices subis par un octogénaire italien et les détails des jeux sexuels qui lui furent imposés ont forgé notre conviction d’une « pédophilie fasciste », même si cet aspect avait été mis de côté lors de l’écriture d’une thèse sur la colonisation fasciste de l’Éthiopie (Le Houérou, 1994).

Photo 1 : Oreste, ensablé, lors du tournage du film Hôtel Abyssinie

Crédit : F. Le Houérou, Addis-Abeba, 1995.

La toute-puissance de ces colons sur leur entourage est une évidence du terrain, une attitude et un comportement qui puisent dans le credo fasciste de supériorité de la race blanche. Observer les manifestations de cette domination sur la durée permet de saisir son caractère politique. Oreste se fait appeler Goytana (notre maître) par l’ensemble des femmes de sa maisonnée (Le Houérou, 1994 : 97) et il demeure persuadé de faire le bien de ses « protégées ». Il est convaincu de sa propre supériorité et de la « chance » de ces femmes, souvent prostituées ou filles de prostituées, qu’il a sorties de la misère en leur offrant un toit. Oreste insiste sur la « bonne fortune » de ses épouses et concubines. Par-delà le bien et le mal – pour reprendre la formule du philosophe Nietzsche –, Oreste est un être dépourvu de conscience qui ne fait aucune distinction morale entre le permissif et les interdits. C’est cette absence de tabous et de culpabilité que l’on pourrait interpréter comme fasciste. Pour les ensablés, l’Éthiopie est un pays très éloigné de l’Italie, il faut prendre un bateau pour s’y rendre et le voyage est long ; cet

120 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme

éloignement a été exploité par certains de ces hommes pour s’autoriser des dérèglements comportementaux. Ils se sentent, comme ils le disent eux-mêmes, « invincibles », hors d’atteinte, hors du temps et de l’histoire et cette anhistori- cité est un des éléments les plus saillants. En effet, en 1987, les ensablés sont vêtus de costumes et de Borsalino datant des années 1930, comme le montre le film Hôtel Abyssinie (Le Houérou, 1996b). Le temps semble être suspendu aux années 1936-1940. Cette allure démodée imprime la marque d’un temps qui n’est pas passé et souligne une temporalité altérée commune à ce groupe social fixé dans un moment historique. L’ensablement est alors interprété comme une altération temporelle. Ils se sont fixés (ensablés) dans un passé toujours présent. Perversion coloniale ?

Il serait également quelque peu hâtif de conclure certaines généralités sur la nature politique des déviances sexuelles en en faisant une spécificité fasciste. La débauche, la perversité ou la recherche de compagnes sexuelles très jeunes ne sont pas systématiquement liées au fascisme. En situation coloniale, dans diffé- rentes régions du monde des similitudes ont pu être observées dans les relations entre colons et colonisées. Des schémas analogues ont pu être décrits par des chercheurs travaillant sur le Tonkin en insistant sur la domination homme/blanc/ colon/femme locale dominée sexuellement et souvent humiliée, voire abusée (Tracol-Huynh, 2009). Hors situation coloniale, ce travers de domination est également courant. En Éthiopie, durant les années de la dictature militaire du lieutenant-colonel Manguestu Haïlé Mariam (1977-1991), les militaires russes présents sur le territoire, comme les agents des ONG et les experts internatio- naux, démontrent la même inclination pour des relations très inégales entre jeunes filles – souvent très jeunes – et hommes blancs plus âgés. Il est question ici de tirer avantage de nombreuses inégalités. Le plus souvent il s’agit de jeunes filles de milieux très défavorisés pour qui la relation avec un Européen ou tout simplement avec un homme riche permet, comme le dit l’une d’entre elles, de « surnager et d’apporter une abondance matérielle » dont les retombées seront favorables pour toutes les familles : on pourrait parler d’un troc entre la jeunesse des compagnes et une rente pécuniaire. Les femmes éthiopiennes entendues il y a trente ans ont toutes évoqué la « générosité » de leurs partenaires italiens. Mais ce que l’on peut interpréter comme une spécificité fasciste relève de la gravité des sévices et de l’absence de conscience entre le bien et le mal, confir- mant ainsi l’intuition d’Arendt (1966) sur le procès d’Eichmann, un nazi qu’elle caractérise comme un homme moyen, petit, mais sans conscience du bien et du mal.

En nous basant sur l’observation de l’ensablé Oreste, nous pourrions conclure que ce dernier fait le mal en toute innocence convaincu que ses maîtresses et concubines sont « chanceuses » (il emploie le terme italien « fortunate »). Aussi pourrions-nous penser que la situation coloniale doublée d’un contexte politique « fascisant » laisse libre cours aux dépravations de toutes sortes. La loi éthiopienne n’a pas été contraignante pour ces hommes car le pays devait faire face à des famines répétitives et, au regard des enjeux, économiques, ces actes moralement répréhensibles apparaissent comme des faits mineurs et sans importance. Notons également que le statut de la femme, toujours subalterne, ne fait pas de l’éthique comportementale des hommes à l’égard des femmes, une priorité. Aussi les ensablés n’ont-ils jamais été enquêtés ni par l’Italie

121 Fabienne Le Houérou

coloniale, ni par l’Éthiopie indépendante. Cette impunité laisse la porte ouverte à toutes les formes de débauches. Oreste est considéré par sa famille éthio- pienne, ainsi que par son voisinage, comme parfaitement adapté à la vie sociale et les voisins louent volontiers sa générosité. En réexaminant les photos prises pendant l’enquête de 1987 à 1994, Oreste apparaît par exemple en train de vider ses poches afin de donner aux enfants des pièces de monnaie pour acheter des bonbons. Il est perçu comme prodigue et bon enfant par son voisinage, sa vie personnelle ne choque personne dans le contexte éthiopien des années 1980- 1990. Cette donnée est importante car elle explique une permissivité à l’égard des mœurs de ces hommes âgés en Éthiopie. Les ensablés ne sont pas les seuls hommes dans ce pays à s’autoriser ce comportement. La société éthiopienne tolère parfaitement les grands écarts d’âge entre conjoints, ce qui explique en partie la tolérance sociale face à des agissements que l’on peut considérer – avec notre législation actuelle – comme criminels.

Les orientations de l’intime, que seule la fiction permet réellement d’explorer, ne sont ni univoques, ni linéaires, mais répondent à un faisceau mental confus que l’analyse anthropologique ne peut cependant nier ou passer sous silence. Évoquer le tabou de la « perversion fasciste » est sujet de réticences et de résistances. De nombreux historiens et anthropologues ont tenté de l’approcher (par exemple Barrera, 1996) avec une sorte de timidité théorique. Le concept de pédophilie est rarement étudié. Dans les travaux sur la colonisation fasciste de l’Éthiopie, cette dimension est souvent allusive et suggestive. Il est pourtant fondamental de clairement poser l’équation fasciste de cette émigration coloniale dans sa relation avec le projet migratoire entendu comme projet sexuel.

Conclusion

Pour comprendre la nature de l’émigration/immigration vers l’Abyssinie, il convient de ne pas s’arrêter à la phase coloniale, mais de saisir le parcours du migrant italien en Éthiopie du point de départ jusqu’à l’arrivée ou à la fin de vie. En effet, c’est en retraçant les étapes sur la longue durée que l’on peut comprendre la flexibilité et la porosité des frontières entre déplacement militaire, mobilité coloniale, immigration ou encore asile politique. Certains auront été, à tour de rôle, soldat, ouvrier, petits patrons et enfin retraité dans un long parcours qui ne fait du déplacement militaire qu’un moment historique bref et transitoire. La condition militaire de l’ensablé se limitera à l’année 1936, alors que la durée de l’ensablé en tant que petit patron aura formé une parenthèse de vie de cinquante ans. Aussi, au regard de la durée de toute une vie, ce n’est plus d’un soldat dont il s’agit, mais bien d’un émigré.

Le référentiel « ensablé » évoque cet enracinement sur le long terme et se détache d’un transit temporaire. L’ensablé entendu en 1987 est un homme qui s’est adapté à tous les contextes politiques de l’Éthiopie. Du colonialisme italien, jusqu’à la dictature du lieutenant-colonel Manguestu Haïle-Maryam, il pourra être identifié comme immigré ou réfugié politique au terme de son parcours de vie. Ces identités multiples soulignent la mobilité des situations et la confusion des genres. Immigré ? Colon ? Émigré ? À quel stade du parcours de vie ? Soldat et colonisateur en 1936, l’ensablé devient un immigré italien en Éthiopie protégé par le négus Haïle-Sélassié en 1941, au moment de la perte de l’Empire. De

122 Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme conquérant, il deviendra otage de sa situation maritale et affective. De dominant il deviendra dominé, dépendant de la tolérance du dictateur le lieutenant-colonel Manguestu Haïlé Maryam dans les années 1980, mais également dominé par une faccetta nera.

Ces étapes historiques sont fondamentales pour saisir la complexité de l’identité d’immigré. Il n’existe pas d’étanchéité théorique sur la nature même de l’« être migrant », de l’« agir migrant » et du « devenir migrant ». L’observation sur la durée est essentielle pour saisir les parcours de ces hommes partis en Éthiopie, souvent sous la contrainte, et qui décident d’y demeurer librement pour toutes les raisons que nous avons évoquées. Nous pourrions considérer leur départ vers l’Éthiopie dans un premier temps comme un déplacement forcé (forced migration), mais leur installation sur le territoire, dans un second temps, s’apparente à un projet migratoire volontaire ou « migration d’amour » (love migration/chosen migration). Aussi la migration peut-elle, tour à tour, se modifier et se transformer de migration de contrainte en migration volontaire. Là encore, il est question de porosité de catégories qui ne sont pas fixes, mais qui évoluent en fonction des temporalités et du projet migratoire.

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123 Fabienne Le Houérou

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124 Résumé - Abstract - Resumen

Fabienne Le Houérou Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme : les « ensablés »

Cet article explore deux dimensions fondamentales de la migration italienne en Éthiopie à l’époque coloniale et pendant la période postcoloniale. Dans un premier temps sera analysée la diversité sociale des migrants italiens en Abyssinie et leurs choix de demeurer en Éthiopie en 1941 après la perte de l’Empire. Dans un second temps, nous insisterons sur le rôle essentiel des rapports entre anciens colons (« ensablés ») et femmes éthiopiennes. Nous évoquerons la problématique d’une « migration d’amour » qui sera examinée en questionnant l’existence d’une pédophilie de type fasciste. Italians in Abyssinia during the Time of Fascism: The Insabbiati

This paper explores two fundamental dimensions of the Italian migration to Ethiopia during the Italian colonial occupation of the Empire and the postcolo- nial period. It analyzes the diversity of the social profile of Italian migrants in the first place and their choice to stay in Ethiopia after the loss of the Empire in 1941. Secondly we will analyze the essential role of the relationships between Italian ex-colons (insabbiati, ex-colons buried in the sand) and Ethiopian women. We will explore a “love migration and the question of the existence of a fascist pedophilia. Los italianos en Abisinia en la época del fascismo: los insabbiati

Este artículo explora dos dimensiones fundamentales de la migración italiana en Etiopía durante las épocas colonial y postcolonial. En primer lugar, se analizará la diversidad social de los inmigrantes italianos en Abisinia y su elección de permanecer en Etiopía en 1941 tras la pérdida del Imperio. Posteriormente, insistiremos en el papel esencial de las relaciones entre los antiguos colonos (insabiatti, enterrados en la arena) y las mujeres etíopes. Discutiremos la problemática de la «migración por razones sentimentales» que será examinada cuestionando la eventual existencia de una pedofilia de tipo fascista.

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REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 127-149

West African Migrations to Italy: An Anthropological Analysis of Ghanaian and Senegalese Politics of Mobility in Emilia Romagna Selenia Marabello1 and Bruno Riccio2

Contemporary African migration is characterised by a mobility paradox: thanks to the media and access to communication and transportation tech- nologies, people are exposed to visions of the “good life” elsewhere but, with growing inequality and restrictive mobility regimes, they are excluded from the circuits of legal mobility (Kleist, 2017). In this article we apply a mobility perspective to reframe unequal power relations by emphasising expectations, obstacles and mobility practices in contexts of uncertainty and precariousness. This approach also helps us to observe mobility practices across the borders of states, emergent domestic economies and political institutions (Augé, 2012).

To test the heuristic value of such an approach, we explore how mobility-in- formed ethnographic and biographical accounts shed light on the changing political and economic landscape of Italy as a context of migration. By linking the theoretical debate on the “mobility turn” to empirical research findings, we illustrate how this approach challenges traditional analytical distinctions between internal vs transnational migration, settlers vs temporary migrants, and labour vs forced migrants. We also present Senegalese and Ghanaian migrants’ experiences with and narratives of mobility along and across internal Italian and European borders as well as their engagement with legal citizenship in order to show how contemporary mobility practices become devices for navigating not only uncertainty and unexpected precariousness but also migrants’ horizons of expectation as well as cross-generational relations and visions of the future. Although this discussion is based on long-term research by both authors on Senegalese migration and the Ghanaian diaspora, the empirical material has been selected from ethnographic accounts produced between 2013 and 2015 as part of the shared research project Boundless mobility. Internal migrations and

1 Postdoc Fellow and Lecturer in Cultural Anthropology, University of Bologna, Department of Education Studies “G. M. Bertin”, Filippo Re 6, 40126 Bologna, Italy; [email protected] 2 Professor of Cultural Anthropology and Migration Processes, University of Bologna, Department of Education Studies “G. M. Bertin”, Filippo Re 6, 40126 Bologna, Italy; [email protected]

127 Selenia Marabello and Bruno Riccio

social dynamics in Europe.3 Schematically, this article first provides a historical background of Senegalese and Ghanaian migration to Italy, and Emilia Romagna in particular, from the end of the 1980s to the present. We then theoretically engage with the mobility paradigm and its impact on the socio-anthropological study of migration through the lens of a biographical approach. Biographical trajectories shed light on the interplay between migrants’ life strategies and shifting normative and economic structures. To begin, let us see how these structures developed.

Historical Background

During the last quarter of the twentieth century, following a national economic boom and political transformations throughout Europe, Italians began to realise that Italy was no longer a country of emigrants (as it had been for more than a century) (Grillo and Pratt, 2002). It was progressively becoming a destination for migrants from countries all over the world, attracted by a high demand for medium and low-skilled labour and limited migration legislation at the national level (Ambrosini, 2018). In the 1990s, of a total population of 58 million, there were more than one million migrants living in Italy, the majority having remained after their visas had expired. Certain factors played a key role in driving Italy to become one of the main destinations of Senegalese and Ghanaian immigration, with the most important being the lack of clear or comprehensive legislative framework on migration and the ease of obtaining a visa. Nonetheless, this state of affairs was subsequently reshaped by Italian economic restructuring after the 1970s, rising remuneration levels for Italian jobs and the growing segmenta- tion of the Italian labour market, which led to a progressive decrease in direct competition between native workers and migrants (Pugliese, 2006). The history of West African emigration to Italy can be broken down into four different stages of settlement that highlight the relationship between processes of implementing more restrictive migration laws and migrants’ decisions to reside for a longer period.

The first two phases (1981-1986 and 1987-1989) were closely linked to the implementation of the two laws issued in 1986 and 1989 aimed at regular- izing the status of migrants. The two amnesty measures or sanatoria covered only regularly employed migrants, and their main outcome was to establish legal equality between Italian and foreign labourers. During this first decade, although Sicily, Sardinia, and Rome emerged as the favoured destinations, the two sanatoria triggered an extensive process of internal mobility in which many migrants moved from Italy’s South to the North to pursue jobs in factories and craft industries more generally.

During the 1990s, in the third phase of West African migration, Italy’s partic- ipation in the Schengen treaty and development of the first comprehensive national migration law (Martelli law) caused a radical change in the dynamics of migration. The Martelli law was aimed at correcting the previous law and

3 The research project, coordinated by one of the authors (Bruno Riccio), was founded by Alma Mater Studiorum University of Bologna’s Farb Project and partially co-funded by the Bologna Municipality, Community’s Wellbeing Department.

128 West African Migrations to Italy made it mandatory for migrants to request legal residence rights (permesso di soggiorno). Moreover, the new law was no longer limited to labour migrants with employment contracts but rather covered all immigrants. Despite the obli- gation to secure a permesso di soggiorno, these legal measures extended labour rights and granted equal standing not only to employed labour migrants but to all people employed as street vendors. Between 1992 and 1998, these transfor- mations attracted a growing number of West African migrants to the country.

From the end of the 1990s to the present, the fourth stage, two legal measures have been put in place: the Turco-Napolitano law n. 40 (1998) passed under the left-centre government of Romano Prodi and the Bossi-Fini law n. 189 (2002) passed under the right-centre government of Silvio Berlusconi. Although the tenets of these two laws stem from opposing political backgrounds and they involve different mechanisms of regularization, both adopt the directives of the Schengen agreement by making entry policies more restrictive. More specifi- cally, the new “integration” tools promoted by the Turco-Napolitano law made it mandatory for immigrants to hold a residence card (carta di soggiorno) and created “Centres of Temporary Permanence” (CTP). The Bossi-Fini law entailed several measures to guarantee the “effective” (albeit selective) management of migration flows, the most prominent of which require migrants to secure an employment contract in order to enter the country and set annual fixed quotas on admission (Colombo, 2012). With the economic crisis, further social transfor- mations have also occurred in the wake of more restrictive legal interpretations regulating temporary return and legal residence rights (permesso di soggiorno). These changes have also contributed to a significant shift in the organization and articulation of Senegalese and Ghanaian migratory routes. Some factors such as gender, level of education, destination area or nationality of origin have also affected migrants’ access to Italian labour markets and local territories.

These phenomena can also be examined from the context of origin. It is important to note that Ghana has a long history of migration, both voluntary and forced, intra- and international, and directed at multiple countries. From the mid-1960s to the 1980s, the country’s political instability drove many Ghanaians, especially the children of elites or highly-educated individuals, to migrate to the United States, Canada, and various European countries; many other skilled and unskilled Ghanaians instead relocated to Nigeria, from where they were expelled between 1983 and 1985. Taking into consideration the increasing number of Ghanaian migrants as well as their constellation of migration goals, Van Hear (1998) defined the 1980s and 1990s as the period of Ghanaian diaspori- sation. Southern Europe became a new destination, and substantial numbers of Ghanaian migrants arrived in Italy during this period. In the early stages, these migrants came mostly from urban centres and held a high school or univer- sity degrees (Manuh, 2006). In the later stages, especially from the late 1990s onward, they came mainly from rural areas, lacked formal education (Riccio, 2008) and tended to be younger in age, as a consequence of family reunification.

Senegalese emigration to Europe began in the colonial period, with France’s recruitment of Tirailleurs at the end of the 19th century and during World War I. After French West Africa gained independence (1962) migration levels rose, largely due to the French economic boom of the 1950s and 1960s and resulting demand for unskilled foreign labour. This emigration involved mainly Toucouleur

129 Selenia Marabello and Bruno Riccio

(Fulani), Serere and, above all, “willing” Soninké migrants (Manchuelle, 1997; Timera, 1996). In the mid-1980s, however, the downsizing and restructuring of industrial enterprises in France had a marked affect on Senegalese workers. A new type of migration developed at that point, characterized by family or individual initiatives and a broader range of destinations, with access to trade playing a crucial role in the success of migratory strategies. Throughout the 1990s and early 2000s, young Senegalese people from the Baol (Touba, Diourbel), Djambour (Louga), Cayor (Kebemer), Sine (Kaolack) and Dakar left for new receiving countries such as Italy, Spain, and the United States. Through their circulatory movements, they shaped new transnational spaces (Riccio, 2008; Kane, 2011; Hernández-Carretero, 2016).

Most Ghanaians and Senegalese settled in northern Italy. In the majority of cases, time spent in southern Italy was only one stage in a larger migratory project. Indeed, legislative measures legalizing migrants and providing greater opportunities for employment in central and northern Italy drove migrants to move across regional borders, with Emilia Romagna representing one of the most common destinations. They were attracted to this region because of its inclusionary social policies and economic framework characterised by the success of highly specialised small and medium-sized enterprises that favour migrants’ entry into local labour markets via jobs that might be precarious but are at least legal. The two sanatoria also granted impetus to this shift. Thanks to the employment opportunities offered by the region’s industrial and manufac- turing sectors, many foreigners were able to begin the process of “regularizing” their legal status (see Schuster, 2005). Furthermore, with beaches offering a suitable and profitable marketplace, many Senegalese chose to continue their activities as traders and street-peddlers, and they rapidly became the pioneers of Senegalese immigration in Emilia Romagna in the 1990’s (Riccio and Degli Uberti, 2013).

Furthermore, besides the opportunities offered by the employment market and the implementation of new legislation, other factors also contributed to this increase in migratory flows towards Emilia Romagna, such as the activation of efficient migratory chains and local institutions’ tendency to view immigration as a resource for economic development rather than a threatening phenomenon (Salih and Riccio, 2011; Marabello, 2015). According to this analytical perspec- tive, Emilia Romagna – with its measures and policies favouring the local incorporation of migrants – runs counter to the rest of the country. Among the various Italian regional governments, in fact, only Emilia Romagna and Tuscany have modified their regional statutes to allow migrants to participate in local administrative elections.

Emilia Romagna is third among Italian regions for a number of resident foreign citizens, and it has the highest percentage of foreign residents in relation to the overall population (12% of total residents, in 2016). There are 11,451 Ghanaians residing in Emilia Romagna, a population demographically balanced in terms of gender. Indeed, the majority have entered the country through family reunification (Marabello, 2015). Ghanaians are mostly employed as labourers in the industrial sector and small cooperative enterprises and, more recently, they have also begun to engage in autonomous entrepreneurial activities to a higher degree. Considering their tendency to stay in Italy long-term and right to hold

130 West African Migrations to Italy double citizenship (Ghanaian and Italian), most have already become or are in the process of becoming new Italian citizens. From 2008 to 2015, however, the unemployment rate among migrants in Emilia Romagna quadrupled more than double the rate for autochthonous individuals. Some Ghanaians left Italy for Germany, Canada, and the United Kingdom and the current situation is uncertain.

Although numbers have recently begun to rise, in the past family reunifica- tion was not very common (Riccio, 2008) among the 10,959 Senegalese living in Italy (Osservatorio Regionale sul Fenomeno Migratorio, 2017). The situation in the 2000s did prompt many Senegalese to prolong their stay in Italy and submit requests for family reunification, however. In contrast to the prevailing migrant profile in the 1980s and 1990s (male, single/unmarried), the practice of family reunification, which often entails the chance to settle permanently, has feminized Senegalese migration to some extent. Gasparetti and Hannaford maintain that the proportion of Senegalese women in Italy is slowly increasing, mainly as a result of family reunification (2009). From an economic viewpoint, a growing number of Senegalese who have accumulated extensive professional experience over their years in Italy are beginning to engage in autonomous entrepreneurial activities, mainly in the trade, construction, transportation and telecommunica- tion sectors (Ceschi and Stocchiero, 2007). This scenario is changing as a result of the current economic crisis, however, as individuals coping with job loss move back and forth across regional and national borders in search of opportunities to remain in Italy or at least Europe (Marabello, 2016; Vianello, 2016).

Furthermore, it has become exceedingly difficult in recent years for African migrants to enter traditional destination countries within the European Union. The EU and its member-states have imposed further restrictions on national asylum and migration policies and have de facto outsourced border control (Gaibazzi et al., 2017). Using the pretext of national security and fear of terrorism, policy discourses and policies supported by large nationalistic segments of EU member-states’ voting populations have framed and represented migrants and refugees as an unwanted economic burden and potential threat (Andersson, 2014).

This development, along with the 2008 financial crisis, has limited possibil- ities for a successful migration to Europe. For African migrants who are unable to beat the odds and enter Europe, life often becomes a struggle on the margins of society (Hernández-Carretero, 2016; Lucht, 2012). In this context, African migrants no longer run up against borders located solely “at the boundary” between two nation-states on a political map; such borders, they currently spring up throughout societies and national territories (Fassin, 2011). Migrants’ trajecto- ries have changed accordingly, now following less-heavily-monitored but more dangerous routes, potentially lethal paths across the desert and over the sea, often using smuggling networks to reach their destinations (Andersson, 2014). These social and economic transformations have given rise to shifting mobility strategies and driven scholars to develop new approaches to contemporary forms of mobility, bridging traditional analytical divides between internal and transnational migration, skilled and un-skilled migrations, institutional scales (international, national, regional), settlers and temporary migrants, foreigners, and autochthons, and migrant “generations”.

131 Selenia Marabello and Bruno Riccio

From the “Transnational Perspective” to the “Mobile Turn”

At the beginning of the 1990s, Nina Glick Schiller and colleagues (1992) convincingly argued that migration was not remotely a one-way process of assimilation. Instead, migrants were found to engage in multiple forms of belonging and to build social fields that cross geographical, cultural and political borders. These scholars defined transnationalism as the processes by which immigrants forge and sustain multi-stranded social relations that link up their societies of origin and settlement. Similar reflections developed in France about “territoires circulatoires” (Tarrius, 1993; Peraldi, 2002) and Italy, from a historical (Ramella, 1984), anthropological (Miranda, 1996) and sociological perspective (Ambrosini, 2008). This transnational perspective recognizes that the lives and identities of both non-migrants and migrants are linked to and affected by changing conditions of global capitalism. This approach has sought to move beyond the “methodological nationalism” that dominated social scientific ways of thinking about migration by conflating the social with the boundaries of the nation-state (Glick Schiller and Wimmer, 2002). Instead, scholars proposed a multi-scalar global approach that builds on empirical observation to explore intersecting, simultaneous and often unequal social relations across time and space, yet without overlooking the role played by the nation-state (Glick Schiller and Caglar, 2011). Indeed, transnational actions are never de-territorialized or unbounded – rather, they are bounded by the social relations and networks that migrants are part of and depend on, as well as by territorial politics and practises at both ends of the migration process (Grillo, 2018). Indeed, many empirical studies of African migration came to focus on precisely these insights into migrants’ multiple social engagements and the ways in which different power structures intersect with the lives of migrants and family members (Arthur, 2008; Coe, 2011; Grillo and Mazzucato, 2008; Kane and Leedy, 2011).

In a similar vein, social sciences abound with discussions of what has been called the “mobility turn” or the “new mobilities paradigm” (Sheller and Urry, 2006) to describe a paradigm that is emerging in a wide range of social scientific disciplines, including social anthropology. To avoid treating stability as the natural state of affairs, Favell (2015) has argued that migration should constitute a “subset” of mobility studies. Indeed, as can be seen in the trans- national perspective from the 1990s to the present (Vertovec, 2009), these ideas essentially stem from a criticism of sedentaristic notions of culture and society according to which cultural phenomena are treated as spatial or territorial entities. More generally, many scholars have criticized the idea that sedentarism represents normality while mobility represents deviance and therefore some kind of problem, an idea that characterised the perception of and research on migration for a long time.

From this perspective, migratory experiences cannot be conceptualised as temporally contained or strictly limited to a seemingly specific form of movement, such as linear relocation or movement between only two specific places (Cresswell, 2010). Pre-migratory experiences include various factors such as seasonal work in the region, rural-urban migration as well as engaging with individuals who migrated before, encountering stories about migratory journeys or possible destination countries (Heil et al., 2017). Many observers

132 West African Migrations to Italy feel compelled to anchor this conceptual turn in an ethnographic foundation (Gutekunst et al., 2016; Heil et al., 2017). This kind of empirical grounding is particularly evident in the Africanist debate. Miriam de Bruijn and Rijk van Dijk, by illustrating two very different mobile groups, namely cattle herding Fulbe from Mali and Ghanaian Pentecostals, have shown how a field of practices, insti- tutions, and ideas related to mobility has acquired dynamism in its own right (de Bruijn et al., 2001: 65). Contemporary migrants, in Europe as in Sub-Saharan Africa, act within complex systems of movement that are sometimes circular and may also integrate other linear trajectories of movements towards more extended transnational and transcontinental targets. As mentioned above, new forms of migration are similar to older ones in many ways or have been developed on the basis of those older trajectories.

In contrast to earlier transnational studies, this more comprehensive approach to mobility includes not only geographical movement in time but also social and existential mobility (see Hage, 2009). Indeed, migrants’ subjectivi- ties and movement are closely connected to imaginaries, hopes, and fantasies about social becoming and the good life (Kleist and Thorsen, 2017). By shifting the focus, scholars are able to pay attention to the mobility hierarchies, power dynamics and differentiated meanings attached to the migration process (Schapendonk and Steel, 2014). This perspective has begun to influence Italian migration studies as well. Among historians one find signs of this interest in the growing debate on internal migrations (Colucci and Gallo, 2014) as much as in the research on emigration, when Corti (2011) and later Tirabassi and Del Prà (2014 and 2016) adopted this approach to analyse “the new Italian mobility” within Europe between 2010 and 2014. There is some understandable scepticism about the way the term mobility seems to be adopted for privileged migratory experiences whereas migration is used for less privileged ones (Ambrosini, 2018); nevertheless, Vietti’s ethnographic exploration ranging from the initial Albanian flows to Italy to the roots tourism of the second generation (Vietti, 2013) offers many valuable insights. More recently, research has focused on European and non-European citizens’ spatial mobility within the continent where their freedom to move is used as leverage to improve their working conditions in the period of economic crisis (Sacchetto et al., 2016).

On the other hand, this debate has enlarged the notion of mobility to the extent that it is used in relation all sort of issues, sliding from traffic to tourism or forced migration as if they all constituted equivalent social phenomena. Some scholars frame mobility as a characteristic of (post-) modern human beings; it has become a virtual synonym for freedom, personal fulfilment and social fluidity or liquidity (Bauman, 1998). There is a good reason to be sceptical of readily equating mobility with freedom, however; instead, the movement should be examined not only as a connection but also as caught up with new forms of exploitation (Glick Schiller and Salazar, 2013).

Arguing that there can be no linear increase in fluidity without extensive systems of immobility, Sheller and Urry (2006) themselves have sought to analytically include both liquidity, connectivity, centrality and empowerment as well as disconnection, social exclusion, and blockages in their seminal work. The main assumption is that, especially today, the world is on the move through diverse and intersecting forms of mobility that accelerate for some while at the

133 Selenia Marabello and Bruno Riccio

same time exacerbating immobility for others. In other words, mobility as a resource is differentially accessed. Indeed, recent socio-anthropological work has demonstrated that, for many individuals, mobility is primarily experienced in terms of its absence, as the unavailability of opportunities for departure (Gaibazzi, 2015). Immobility at home, a feeling of being stuck or the concrete inability to move (due to economic, social or political factors), may provide the initial force driving individuals to move away. For many, however, a scarcity of resources or lack of opportunity may prevent the actual move from ever taking place (Carling, 2002).

Migrants face hostile new forms of migration governance that exclude more and more people from the global circuits of legal mobility and promises of globalization (Fontanari and Pinelli, 2017). In light of this development, various migration scholars have recently argued that we need new perspectives to grasp the ways in which today’s restricted border regimes curb migration and intersect with the growing migration industry and privatization of border control (Andersson, 2014; Glick Schiller and Salazar, 2013). Based on ethnographic fieldwork, other scholars challenge the assumptions mentioned above global connections and flows. Hans Lucht, for instance, problematizes the explanatory power of transnationalism for studying irregular Ghanaian migrants in Naples who struggle to get by on the margins of Italian society. Their lives are more characterized by a lack of legal and social recognition, he argues, than they are by flows and connections (Lucht, 2012).

Creswell provides the inspiring definition of mobility as “the entanglement of movement, representation, and practice” (Cresswell, 2010: 17), thereby posi- tioning mobility in both the material world and social practices (Vammen, 2018). He argues that three aspects, namely physical movement, representations of movement that give rise to shared meaning, and the experience of movement, all entail particular politics of mobility: “the ways in which mobilities are both productive of such social relations and produced by them” (Cresswell, 2010: 21). This sophisticated focus allows us to combine ethnography exploring migrants’ everyday lives and trajectories (see Vammen, 2018) with an investigation of the intersection between mobility, history, intergenerational tensions and the force of imagination in shaping the migration process (see Bal and Willems, 2014; Kleist and Thorsen, 2017; Salazar, 2011).

From Multi-sited to Biographical Approaches to Mobility

Multi-sited ethnography (Marcus, 1995; Coleman and Von Hellermann, 2011) and other similar ethnographic methodologies can also be adapted to movement and mobility (Salazar et al., 2017). Alternatively, researchers may address specific localities that might at first seem immobile but actually turn out to host a crossroads of various forms of mobility (as illustrated by many articles in Heil et al., 2017). In relation to migratory experiences, mobile approaches have further developed during the last years to include trajectory approaches that seek to follow open-ended migratory journeys and thus take the migratory process as their primary focus (Triulzi and McKenzie, 2013; Schapendonk and Steel, 2014; Schapendonk, 2017; Vammen, 2018).

134 West African Migrations to Italy

Migrant trajectories can be also explored through biographical tools or life histories, which often allow an in-depth analysis of experiences, changing views, sudden changes in plans, expectations, and perceptions (Bellagamba, 2012; Jourdan, 2012). All such accounts engage with repertoires of individual and collective tactics and explore how such tactics interact with the hazards, unpredictable developments and power relations shaping them. Along these lines, Camenisch and Müller (2017) call for data-based ethnographic migration research relying on the “emic perspective” of Swiss expats in China and in Sweden, research that stems from an analysis of informants’ biographies. Indeed, biographies allow us to uncover diverse migratory experiences and access the deeper understanding of people’s lives that emerge from them. Paying close attention to the motives and subjective experiences of mobility and the process involved in such a movement aids us in exploring how the different intersecting politics of mobility mould these particular migrant experiences. As we will show, social relations, place, and the timing of arrival significantly influence migratory experiences and trajectories as well as representations of boundaries and opportunities.

In the next section, focused on mobility in Emilia Romagna, we present migrants’ accounts of their experiences at different points in time. These indi- vidual experiences are telling in that when juxtaposed, they illuminate how shifts in Italian migration governance from the 1990s onwards have altered the journeys and strategic positioning of Senegalese and Ghanaian migrants living in Emilia Romagna. C.: The Mobility Prism of Family, Social Aspirations and Hopes

C. is a Ghanaian woman who came to Italy from Winneba, where she was working as a hairdresser. After seven years of waiting for family reunification, she finally migrated to Italy in 2005. She spent about two years in Monreale (Sicily) then moved near Bologna to join several family members including her husband, who had left the small Sicilian town the year before. Although her job as a hairdresser was informal, she described Monreale as a good place to live. Nonetheless, she was also on the lookout for new opportunities in the north of Italy together with her husband. They both represented Emilia Romagna, inhabited by a number of close family members, as a good place to work, enjoy the support of relatives and friends, and take part in larger Ghanaian commu- nities. Just a few months after arriving in Bologna, she discovered she was pregnant. Unfortunately, her husband suffered a substantial reduction in salary due to the economic crisis and its impact on small manufacturing companies. Although this was a period of severe difficulty, C. was able to rely on the help of family members, namely her husband’s oldest brother and two of her sisters, who had arrived in Bologna at almost the same time as her. Her brother-in-law, who arrived in Italy in the 1980s, obtained Italian citizenship and, after several jobs in the manufacturing sector, started a small retail company. He is very active in the local Ghanaian association and has lived for more than thirty years in Italy together with his wife, one of his sisters and two of his sons. He is the father of three sons – L., J., and P. Only one of them, the first-born L., grew up in Ghana; the other brothers were raised in Italy. After graduating, L. emigrated to the United States where he now has a white collar job; for three years, his brother J. also lived with him.

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The youngest of C.’s sisters is married to the pastor of a Pentecostal church; she has two sons and arrived in Italy after spending two years in the United Kingdom and three years in Germany. She is very proud of her role as pastor’s wife and the social mobility she enjoys thanks to her husband’s work. Although she lived in two countries in five years and crossed several national borders, she experienced and framed her mobility as part of her role and life in Europe as a whole, instead of focussing on the national level.

During our last interview in 2015, C. recounted developments in her family’s mobility trajectories, explaining that her sister’s son had applied to attend university in the United Kingdom. J., her husband’s brother son who is an Italian citizen, had spent three years in the United States but, taking advantage of opportunities the Schengen treaty offers EU citizens, was attempting to move back to Europe, preferably Germany or the Netherlands. She also updated me about her experiences of navigating the economic crisis together with her husband, explaining that she had secured two informal but regularly paying jobs to supplement his salary. Considering her nephews’ good prospects and profes- sional aspirations, she was really disappointed with her eldest son, especially the fact that he was not interested in moving to the United Kingdom as she had expected. She had imagined a future for her son in London but he did not want to move outside Italy and fully intended to stay there, saying he felt at home. C. and her husband were worried about their son’s future and bemoaned his lack of personal ambitions and success in life. Their son, who had spent most his life in Italy, tried to explain that he was well-established in Italy and rejected the idea of relocating to London “with Ghanaian skin colour and speaking English like an Italian…”. He also added that he was happy to live near Bologna with his friends and take home his salary from a position as an events’ organiser, describing it as a good job that ensured a good life, better than going to work in an English factory all day long. C. found herself quarrelling with her son frequently, making this dispute a source of concern and tension for the parents.

As part of this account, C. described kinship ties and work opportunities as deeply intertwined in younger generation Ghanaians’ aspirations for social mobility. Although C. sketches mobility trajectories within and from Europe to the United States, the geographical mobility in her story – whether imagined, postponed to the future or enacted in the present – cannot be analysed as simply stemming from aspirations for and visions of a good life. The mobility or (im)mobility imagined by younger generations is embedded in their parents’ migratory experiences in different countries (Italy, United Kingdom and Germany), the real opportunities offered by the contexts and social and economic conditions of arrival, and the choice of family language, English-Twi (C.’s sisters and her husband’s brother in law’s family) or Twi-Italian (as in the case of C.’s sons).

Other contingent factors influenced their mobility as well. Linking biograph- ical trajectories to institutional and economic opportunities, C. brother-in-law reason for sending his oldest son back to Ghana stemmed from his first phase of migration. At the beginning of the 1980s, he arrived and waited for a sanatoria to acquire the necessary documents to go elsewhere. Eventually, however, he found a good job, enlarged his family and decided to remain in Italy where he had also bought a flat. His oldest son, L., born in that period and raised in

136 West African Migrations to Italy

Ghana, benefitted from continuous economic remittances sent by his parents from Italy, support that assured his education and successful migration to the United States.

Looking at the educational and work mobility trajectories of C.’s sons and nephews, it is clear that the individuals’ various citizenship statuses, connected to state borders and legislative measures, have played a crucial role in affording them different opportunities to access mobility or allowing them to imagine moving to other countries. Hopes and aspirations for a successful life, the negative effects of the economic crisis and citizenship (Italian or European citizens) come together to forge the mobility trajectories of young people, revealing how social and geographical mobility cuts across individual and family aspirations, legal opportunities and generationally specific collective imagi- naries of what constitutes a good life.

Nevertheless, the mobility recounted by C. and her family members suggests that, although policy makers may conceive of family reunification as a means of defining a final destination, in reality, this may not be the case. Instead, family reunification may simply represent a way of gaining access to a local area and, at the same time, a temporary strategy for certain periods of life. At any rate, the mobility trajectories described here remap the usual destinations of contempo- rary Ghanaian diasporization (Van Hear, 1998). K.: Mobility Uncertainty

K. is a thirty-six year old Ghanaian man who arrived in Italy after being legally expelled from South Africa, where he had spent about eight years. In 2010, after three years living near Modena, he lost his job in a small factory. In an effort to find new employment, he worked several irregular and off-the- books jobs, moving down the country from North to South. In southern Italy, he found a very low-paid seasonal job in agriculture. The harsh experience of agricultural work, where he was subject to a gang-master system of exploitation and daily suffering, was unexpected. In his lengthy description, K. compared this unbearable situation to slavery and emphatically told me how he struggled in that period to get in touch with friends somewhere in Europe to escape what he perceived as humiliating conditions. After some time, working through friend- ship contacts, he was able to move to a place near Bologna where he secured a modest new job and was supported by local voluntary associations to obtain a special residence-permit as a victim of employment slavery. The local context, with its substantial associations working for workers’ rights, supported K. in re-shaping his harsh exploitation experience as a means of gaining access to Italian soil as a regular migrant and worker.

Sites of past migration and future imagined destinations chase each other through the interview. K., relying on the narratives of contacts and friends, outlined his idea of migrating to places such as China or Dubai, considering them good places to find a job. At the same time, however, he admitted that the geographical distance and his limited economic resources were, at that moment, an insurmountable obstacle to such plans. Instead, considering its geographical proximity and the documents he was able to obtain, he was planning to join some friends in Germany in a few months’ time with the idea of finally pursuing

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a successful life. K.’s account illustrates how uncertainty and unpredictable elements orient the trajectories of migrants who move through historical (for instance, South Africa as a goal for Ghanaian migrants) and more recent desti- nations (Italy, since the 1980s). Social imaginaries and collective representations of localities contribute to informing and re-orienting individual plans. And, lastly, K.’s brief biographical snapshot aids us in recognizing how regular/irregular migration and voluntary/forced migration tend to overlap and become stratified. Nevertheless, the two types of legal permits granting him worker status, once irregular and then newly entitled to stay in the country with a special permit for victims of labour abuse, show that regular/irregular (Ambrosini, 2018; Cvajner and Sciortino, 2011) are also embedded in the national legal framework in question. Furthermore, at the theoretical level, this ethnographic account chal- lenges the heuristic value of rigid categorisations such as “labour migrant” or “victim seeking protection”. A lack of either economic resources or strong social networks prevents K. from reaching the imagined mobility destinations that serve as landmarks in his movements from one temporary spatial goal to the next with the idea, emphasised in his narrative, of finally achieving a secure and successful life in the future. Moreover, K.’s story illustrates how people experi- ence mobility and enclosures involving unequal rights and power (Cunningham and Heyman, 2004). Taking into account the enclosures that restrict specific people and linking them to mobility as an analytical tool can help us to connect up processes and trajectories along time/space by examining how structural, legal and economic constraints orient people’s ideas and ability to navigate life’s unexpected events. B.: A Privileged Pivotal Player of Mobility

Taking power dynamics into account, a mobilities-informed ethnography (Camenisch and Müller, 2017) may help in overcoming what Hui has called “migrant exceptionalism” (2016). It challenges the scientific construction of “the migrant” as a unique subject through the study of “sometimes-migrants.” In contrast to the migrant exceptionalism that prevails in migration studies, mobility studies shed light on “all those who travelled within a country or circled the globe” (Glick Schiller and Salazar, 2013: 183-184). Furthermore, a mobility perspective makes it easier for scholars to include privileged migratory experi- ences in the field of migration studies, a field more accustomed to focusing on less privileged forms of migration (Smith and Favell, 2006; Ambrosini, 2018). B., a Senegalese woman with an extensive educational background, speaks multiple languages and has held a variety of professional positions. She often acts as a “cultural and linguistic mediator” in various institutional settings (Institutional accommodations for migrants, hospitals and other health centres, migrant detention and processing centres, etc.) and through collaboration with different kinds of associations. She arrived in Italy at the end of the 1990s and ten years later, besides being very active in the longstanding Senegalese Association of Ravenna, she founded and presided over an association of Senegalese women focused on facilitating professional training for its members (seven out of twenty found jobs in the service sector, such as cleaning or restaurant work) and opening the first Senegalese restaurant in Ravenna.

In other words, she made a career of navigating the institutional complex that grew up in the wake of local regional policies governing migrants and their

138 West African Migrations to Italy children. As mentioned above, Emilia-Romagna is often considered to be one of Italy’s most progressive regions in terms of migrant social policies. Throughout the 1990s and until the second half of the 2000s, such local policies accompanied migrants as they settled throughout the region, including measures to foster “integration” through reception centers, health centers, housing, professional training, cultural initiatives, support for migrant associations and education. All of these fields employed linguistic and cultural brokerage, and it was here that B. developed her professional expertise.

More recently, she also decided to engage in local public space by helping to organize campaigns promoting citizenship law reform and raising awareness among Italian institutional and educational actors about the problems faced by young Italians from a migrant background (see Miranda, 2012; Riccio, 2012). Citizenship is an important tool of inclusion, endowing migrants and their children with rights equal to their peers. More restrictive laws on citizenship fuel racism and exclusion. The 1992 Italian citizenship law made it easier for descend- ants of Italian emigrants to regain citizenship but also much more difficult for migrants to apply for naturalization and more restrictive with regard to the second generation. Indeed, it requires Italian-born children of foreign parents to assume their parents’ nationality and does not allow them to request Italian citizenship until they are eighteen years old and even then only if they have continually resided in Italy. As a result, the children of migrants born in Italy are not automatically granted Italian citizenship; they have to apply for it and wade through a complicated bureaucratic process. The most precarious condition, however, is that of young people who came to Italy when they were children or young adolescents only to discover that they were “foreigners” when they reached adulthood. Many associations representing the second generation have sprung up recently to reform these restrictive citizenship laws.

Indeed, this is one of the main goals of IGOF (Italians Generation of Foreign Origin), a small, ethnically mixed association in Ravenna. When this idea was proposed within the broader Senegalese association, however, some members reacted with a certain degree of suspicion. One representative of the Senegalese embassy who happened to be present questioned the value of Italian citizen- ship when “the ultimate Senegalese goal is the return to and well-being of Senegal”. At the same time, others counter-argued that the future of children in Italy depends on changing this law and that the future prospects of migrants who have been in Italy since the end of the 1980’s would benefit from it as well. “There were members shouting that they were sick and tired of going through the blackmail and bureaucratic nightmare of renewing their permits to stay and would rather be Italian citizens”. Obviously, most of the Senegalese interested in this campaign belonged to the minority who had undergone family reunification and wanted to ensure a better future for their children in Italian society: “they were born in Italy, they have studied here and they want their belonging to Italian society be recognized on paper as much as in their daily life”.

The association’s public goals include objectives such as bringing the Italian citizenship law around to jus solii while also preserving the languages and cultures of their contexts of origin. The “bifocal” (Vertovec, 2009) focus of the association is evidenced by the fact that one of the first projects they developed in collaboration with the local branch of Italy’s most important trade union

139 Selenia Marabello and Bruno Riccio

(CGIL) involved supporting older migrants in their efforts to make a respect- able return to Senegal. Most of them, after having held different professional positions (enterprises, cooperatives, self-employment, employee, etc.) are now facing bureaucratic difficulties in renewing their permits to stay, even as their savings have been dramatically diminished with the economic crisis. The project entailed facilitating a “dignified return” through programs potentially involving local government, associations, NGOs and trade unions. Each component (the returning migrant her or himself, the nation-state, regional and local govern- ment) would provide one-fifth of the overall budget for implementing the project (see Ceschi, 2012). The remaining eighth of the budget would be covered by the association or other organizations (NGOs, trade unions) involved.

Senegalese migrants retain a strong attachment to their country of origin, maintaining significant ties, supporting their families, sending remittances, investing and, ultimately, preparing the terrain for a future return. Many studies show that Senegalese migrants see their country of origin as home, a source of identification and the place they ultimately yearn to return to (Riccio, 2006; Kane, 2011). However, as Sinatti (2011) has shown, although return seems to be the goal of many Senegalese migrants, they struggle to accumulate the resources needed to resettle in the home country. Co-development projects aimed at ensuring a suitable return often fail due to a lack of economic solidity and the contemporary effects of migration. Families frequently become dependent on remittances, and remaining in a state of migration may appear to be the only feasible solution for meeting their expectations. Furthermore, “remittances and the social and economic promotion enjoyed by the family left behind, as a result, become a reward that compensates for the [migrant’s] lack of constant physical presence in the household” (Sinatti, 2011: 160).

Therefore, the prospect of forever remaining “transmigrants” (Riccio, 2006; Grillo, 2018) often appears more realistic than that of an ultimate return. As suggested above, the tendency to circulate, alternating return and re-emigration, appears of greater interest than practices of a permanent return. On the other hand, there is a generation of older migrants who came to Italy in the 1980s and are now encountering problems associated with residing in Italy, such as the denial of applications to renew their residence permits. They find themselves unable to organize a proper final return to Senegal, a dignified return that would earn them the proper recognition. It is these individuals, bound to return, who are the targets of the project mentioned above. This example illustrates a form of intergenerational solidarity that calls into question the on-going American sociological debate on assimilation vs transnationalism (Riccio and Degli Uberti, 2013).

Today, the members of second-generation Senegalese associations who are politically engaged in addressing the highly contested issue of citizenship appear to be at the forefront of active participation and dual engagement. Although the public agendas of groups such as IGOF are focused on combatting discrimina- tion and overcoming barriers to social mobility and full citizenship rights, these objectives are accompanied by efforts to preserve native languages and cultivate connections with the context of origin. The story of B. suggests a more complex and articulated state of affairs. Migrants’ cosmopolitan forms of organization and serious efforts to ensure the future of the children of Italian immigration by

140 West African Migrations to Italy securing citizenship rights for the second generation are compatible with civic participation in the context of origin and relations of solidarity among different migration stages and generations, a fact which runs counter to both prevailing academic discourses and common sense assumptions.

The three briefly sketched biographies allow us to explore the politics of mobility (Cresswell, 2010) by observing how different trajectories and narratives depend on temporal phases of arrival as well as institutional and social opportu- nities. The highly resourceful Senegalese woman helping to shape what Simone (2004) has defined as the “human infrastructure” of mobility connecting genera- tions of migrants as well as context of migrations shows how personal abilities but also place, employment opportunities and time of arrival (the 1990s) interact to produce, assert, and frame ideas about mobility. K.’s arrival in the 2000s helps us grasp how “mobility regimes” (Glick Schiller and Salazar, 2013) are expe- rienced by individual migrants who attempt to overcome legal and economic restraints by navigating Italy’s internal gaps and opportunities. K. arrived in Italy via a brother who moved back to Ghana and, lacking a strong social net or reasonably good salary, moved up and down across internal Italian borders attempting to use mobility as a strategy for overcoming uncertainty. Although C. arrived in Italy in the same period (the 2000s), she had a different experience. Looking through the lens of her biography, we can glimpse mobility trajectories spanning different subjects and generations and crossing national and interna- tional borders, thereby grasping how legal status, time and condition of arrival as well as individual aspirations intersect. These factors come together to mould concrete and/or imagined spaces of mobility. The three biographies presented here shed light on the regional context of Emilia Romagna, characterised by a social dynamic of change and migrant inclusion, an energetic economy and, compared with the national view on migration, a fairly long-sighted approach (Salih and Riccio, 2011).

Conclusion

By combining the history of West African migration to Italy from the 1980s to the present with contemporary theoretical approaches to migration and the biographical exploration of several cases, we argue that mobility seems to offer an effective research perspective for contemporary social anthropology.

Aiming to observe changes in Italy’s socio-political landscape, we first high- lighted the link between migration laws and migratory trends, suggesting four stages of settlement. The two initial phases were closely linked to the implemen- tation of the governmental laws (sanatoria) issued in 1986 and 1989 to regularize the status of migrants. The third phase began during the 1990s when Italian participation in the Schengen treaty and the development of more compre- hensive, albeit stratified and increasingly restrictive laws, shifted migration dynamics. Nationality, gender, and education level affected migrants’ access to Italian labour markets and regional territories. Beginning at the end of the 1990s, the current, fourth stage has been characterised by more restrictive laws as well as new border control policies and the impact of the recent economic crisis. Focusing on Emilia Romagna as a migration destination, we explored Ghanaian and Senegalese migration from the end of the 1980s to the present,

141 Selenia Marabello and Bruno Riccio

observing how legal frames, labour reduction and economic development such as the 2008 economic financial crisis impacted migrants’ plans, routes, and daily lives. Several of these factors stimulated internal migration within Italy as well as new migratory perspectives for the younger generations. Based on the long-term research of both authors, we juxtaposed interview materials to explore migrants’ representations, narratives and geographical movements in time but also social and existential mobility (see Hage, 2009). By paying attention to temporal and spatial dimensions in our sketches of three biogra- phies of Ghanaian and Senegalese migrants, we have attempted to show how a mobility-informed ethnography sheds light on plans, representations, and tactics used by migrants in navigating economic, legal, and political constraints. Both of the Ghanaian stories help reveal how, despite social aspirations, people’s trajectories and projects are embedded within specific economic and political processes that restrict or allow individual instances of migration (Cunningham and Heyman, 2004). Moreover, the two Ghanaian biographical accounts help the reader see how borders – very often insurmountable – are imagined, mapped, and crossed as well as the way individuals experience legal frames and rights. In contrast, the Senegalese woman’s biography aids us in grasping how a cosmo- politan vision and dual engagement in the contexts of origin and destination can contribute to creating the social conditions for mobility across different genera- tions (see Cingolani, 2017).

Lastly, these brief ethnographic accounts demonstrate how legal condi- tions of access powerfully influence the migration journeys and positioning of Senegalese and Ghanaian migrants living in Emilia Romagna and how the local context contributes to shaping their participation or new (imagined) migration routes and goals. The biographical perspective allows us to observe migrants’ movements, imaginaries and hopes about social becoming and the good life in order to understand how individual, family, and social repertoires engage with hazards and power relations (Kleist and Thorsen, 2017). Inspired by Cresswell (2010), we have outlined the theoretical debate to show how a politics of mobility centred on the material and social practices embodied by migrants makes it possible to conduct an ethnography of migrants’ everyday lives that is attentive to the entanglement of mobility, history and intergenerational tensions. By illus- trating how biographical experiences interact with sending/receiving countries, legal and economics restraints, hopes and aspirations, this study presents mobility as an effective tool for analysing the borders underlying tensions and re-configuration in contemporary migration processes.

142 West African Migrations to Italy

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147 Résumé - Abstract - Resumen

Selenia Marabello and Bruno Riccio West African Migrations to Italy: An Anthropological Analysis of Ghanaian and Senegalese Politics of Mobility in Emilia Romagna

In this article we combine a mobility perspective with a biographical approach to explore the Italian experience of Ghanaian and Senegalese migration emphasising expectations, obstacles and practices in contexts of uncertainty and precariousness. First, we provide readers with an historical background of West African migration to Italy, and Emilia Romagna in particular, from the end of the 1980s to the present. We highlight the link between migration laws and migratory trends. We then theoretically engage with the mobility paradigm and its impact on the socio-anthropological study of migration. Finally, we analyse biographical trajectories looking at the interplay between migrants’ life strate- gies and shifting normative and economic structures. We conclude by arguing that mobility seems to offer an effective research perspective for contemporary social anthropology by shedding light on plans, representations and tactics used by migrants in navigating economic and political constraints.

Migrations ouest-africaines vers l’Italie : une analyse anthropologique des politiques de mobilités ghanéennes et sénégalaises en Émilie-Romagne

Dans cet article, nous combinons une perspective de mobilité avec une approche biographique pour explorer l’expérience italienne de la migration des Ghanéens et des Sénégalais en soulignant les attentes, les obstacles et les pratiques qui les attendent dans un contexte d’incertitude et de précarité. Pour commencer, nous rappelons le contexte historique de la migration ouest-africaine en Italie, et plus particulièrement celui de l’Émilie-Romagne, de la fin des années 1980 à nos jours. Nous soulignons le lien entre les lois sur l’immigration et les tendances migratoires. Nous nous intéressons ensuite au paradigme de la mobilité pour évaluer son impact sur l’étude socio-anthropologique de la migration. Et pour finir, nous analysons les trajectoires biographiques des migrants en soulignant l’interaction entre les stratégies de vies des migrants et l’évolution des normes et des structures économiques. Nous concluons en affirmant que le paradigme de la mobilité semble offrir une perspective de recherche pertinente pour l’anthropologie sociale, permettant d’éclairer les plans, les représentations et les tactiques des migrants, dans leur gestion des contraintes économiques et politiques.

148 Résumé - Abstract - Resumen

Las migraciones de África Occidental a Italia: un análisis antropológico de las políticas de movilidad desde Ghana y Senegal en Emilia Romagna

En este artículo se explora, a través de la perspectiva de la movilidad y un enfoque biográfico, la experiencia italiana de la migración desde Ghana y Senegal, haciendo hincapié en las expectativas, los obstáculos y las prácticas en contextos de incertidumbre e inestabilidad. Se proporciona a los lectores un trasfondo histórico de la migración de África occidental a Italia, y Emilia Romagna en particular, destacando la relación entre las leyes de migración y las tendencias migratorias. A continuación, analizamos las trayectorias biográficas observando la interacción entre las estrategias de vida de los migrantes y las cambiantes estructuras normativas y económicas. Concluimos argumentando que el paradigma de la movilidad parece ofrecer una perspectiva de investi- gación efectiva para la antropología social contemporánea al arrojar luz sobre los planes, las representaciones y las tácticas utilizadas por los migrantes para sortear las restricciones económicas y políticas.

149

REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 151-171

Migrants or Refugees? The Evolving Governance of Migration Flows in Italy during the “Refugee Crisis” Elena Ambrosetti1 and Angela Paparusso2

The need to escape persecution and search for better living conditions has pushed people to migrate for decades, and not only to Europe. At the global level, the number of forcibly displaced people has increased over time, passing from 37.3 million in 1996 to 65.6 million in 2016 (UNHCR, 2017). If we focus our attention on recent years, the numbers are even more impressive: 35.4 million in 2011, 42.8 million in 2013 and 54.9 million in 2014. In the Mediterranean area, this trend is mainly due to the Arab Spring, which increased instability in the region and progressively led to the Libyan and Syrian crises. In 2016, 710,400 asylum seekers were granted protection by member states of the European Union (EU), more than double the number for 2015. The largest groups of beneficiaries of asylum in the EU member states are citizens of Syria, Iraq and Afghanistan. Border fortification and the securitization of migration have been the main policy approaches, confirming a consolidated policy routine at EU level. It has been argued that framing migration as a “crisis” served the EU so that it could consolidate routine policy practices, such as tight border control, with the direct consequence of preventing people from seeking safe and legal routes into the EU (Jeandesboz and Pallister-Wilkins, 2016). This fortification has manifested itself through various forms: the erection of walls across member states, the “hotspot approach”, resettlement and intra-EU relocation schemes (around 14,000 refugees have been resettled among the EU member states) and, finally, a multilateral policy on cooperation and development with the migrants’ origin and transit countries (externalization or extra-territorialization of migration movements and policies).

The 2015 and 2016 “refugee crisis” has been defined as a crisis in the governance of people asking for international protection, but also as a crisis of the European common policy on migration and asylum, with national approaches often prevailing over the communitarian one. Therefore, in general,

1 Professor, Faculty of Economics, La Sapienza University, Via del Castro Laurenziano 9, 00161 Rome, Italy; [email protected] 2 Post-doctoral researcher, Institute of Research on Population and Social Policies, IRPPS- CNR, Via Palestro 32, 00185, Rome, Italy; [email protected] We are grateful for financial support from the University of Rome La Sapienza H2020 Grant “EU-MED relations: cooperation, borders and migration”.

151 Elena Ambrosetti and Angela Paparusso

the “refugee crisis” has proven that more efforts are required to strengthen the global governance of migration (Wihtol de Wenden, 2013; Wihtol de Wenden and Ambrosetti, 2016); in particular, it has confirmed the need to introduce a policy able to equally distribute the burden of asylum seekers among the EU countries. Indeed, the Dublin Convention is not able to determine in which countries asylum applicants should be hosted. According to the Dublin Convention, asylum appli- cations should be examined by the state that played the most important role in each applicant’s entry. This produces a double burden for Italy, Greece and Hungary because they are on the front line and restrictions for those migrants who instead want to reach northern European countries, such as Germany or Sweden, where they already have a family or social and economic networks.

In its initial experience as an immigration country, Italy had only received small numbers of asylum seekers, while the bulk of immigration growth was linked to massive inflows of labour migrants and their families. Until the late 2000s, and the reception of EU directives on asylum, Italy did not have what could be described as a comprehensive normative framework on the issue. The so-called refugee crisis has changed these features overwhelmingly. Unlike what has been observed in Greece, where most incoming migrants reasonably qualify for international protection, the situation in Italy is one where making a clear-cut categorization of refugees and (economic) migrants is arguably more challenging. Cross-Mediterranean flows to Italy are mixed in kind, with highly diverse individual profiles (in terms of gender, age, vulnerabilities, etc.), original motivations or migratory trajectories and experiences, which are difficult to unravel. In such a context, how have Italian policies reacted to the increasing magnitude and complexity of mixed flows across the Mediterranean? What has the role of internal and external actors been in orienting the political response to the “crisis”? Has Italy turned from a labour migration magnet to a land of the asylum? In this contribution, we will address these questions by presenting the evolution of migration flows and stocks in Italy in recent decades and by analysing the policy responses adopted by the Italian authorities. Lastly, we will highlight the role of external actors (such as the EU and other European partners) in influencing the Italian asylum and migration policies. The current situation will be analysed by looking at the recent Italian migration experience from a historical perspective.

From the theoretical point of view, Italy belongs to the so-called southern European model of immigration, together with Greece, Portugal and Spain (King et al., 2000; Arango and Finotelli, 2009). These countries are characterized by a relatively recent immigration history: mainly emigration countries until the mid-1970s, they started to receive mass immigration in the 1990s (Freeman, 1995). Some common features, as far as the management of migration inflows is concerned, characterize the countries embedded in this model. In particular, one can observe a lack of selective immigration policies, a large underground economy attracting undocumented immigrants, a strong segmentation of the labour market and the use of ex-post instruments to provide a legal status to immigrants, such as regularizations, quota systems and flow decrees. To sum up, the main common characteristics of this model are a) the timing and the size of inflows, b) the reasons for and the modes of entry and c) the distinctive manner of integration into the local labour market (Peixoto et al., 2012; Di Bartolomeo et al., 2016; Fellini and Fullin, 2016). In the next section, we will provide an

152 Migrants or Refugees? overview of the first characteristics. In the following sections, we will concen- trate on the second ones, focusing on the evolution over time of immigration policies in Italy and on the evolution of trends and patterns of immigration. In doing so, we will shed light on the complex relationship between policy and immigration in the context of an economic downturn and political instability in both the sending and receiving countries. Finally, we will question whether the southern European model of immigration is still the right theoretical framework to describe immigration in Italy.

Italy: A Recent but Consolidated Immigration Country

Italy turned into an immigration country in the late 1970s. Due to its geograph- ical position at the southern border of Europe, Italy is one of the most important entry points and one of the major immigrant destinations in the EU, despite the recent economic crisis (Pastore and Villosio, 2011). The foreign resident popula- tion rose from 737,793 in 1996 to 2,419,483 in 2006 and 5,026,153 in 2016 and it represents around 8.3% of the total population (Figure 1). This number rises to 6 million (around 10% of the total population), considering non-resident legal and illegal migrants (ISMU, 2017). Illegal migration also forms a significant component of the total immigrant population. We can observe a series of ups and downs in the illegal migration trends over the years corresponding to the adoption of periodical amnesties by the Italian governments (Figure 2).

Figure 1: Evolution of the Foreign Resident Population in Italy (1996-2016)

5 500 000

5 000 000

4 500 000

4 000 000

3 500 000

3 000 000

2 500 000

2 000 000

1 500 000

1 000 000

500 000

0 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Source: ISTAT, 2017.

153 Elena Ambrosetti and Angela Paparusso

Figure 2: Estimates of the Foreign Population Illegally Residing in Italy by Status (1991-2016)

6 000 000 Total Documented Undocumented

5 000 000

4 000 000

3 000 000

2 000 000

1 000 000

0

Source: ISMU elaboration.

Figure 3: Distribution (in %) of Foreign Resident Population in Italy by Citizenship of Origin (2016)

22,91

9,31 8,70

5,40 4,59 3,30 2,99 2,83 2,36 2,19 2,06 2,04 2,03 1,95 1,95

Source: ISMU elaboration of ISTAT data.

154 Migrants or Refugees?

Figure 4: Distribution (in %) of Foreign Resident Population in Italy by Citizenship of Origin and Gender (2016) F M

21,23 26,69 33,52 42,79 43,09 41,35 51,60 53,98 50,60 54,13 59,68 68,54 66,51 70,83 72,87

78,77 73,31 66,48 57,21 56,91 58,65 48,40 46,02 49,40 45,87 40,32 31,46 33,49 29,17 27,13

Source: ISMU elaboration of ISTAT data.

The migrants living in Italy mainly come from Romania, Albania, Morocco, China and Ukraine (Figure 3). Together they form 50.9% of the total immigrant population. At first, the migrants came from North Africa (Morocco, Tunisia and Egypt). More recently, a strong inflow of migrants from eastern European countries (Romania and Albania) and, to a lesser extent, East Asian countries (China and the Philippines) have arrived in Italy, although North Africa (Morocco) remains an important area of origin for migrants living in Italy. While most nation- alities show a gender balance, for others, such as Ukraine and the Philippines, the migration is dominated by females, and for others, such as Senegal, Bangladesh, Egypt and Pakistan, the migration is dominated by males (Figure 4). This reflects the existence of different migration projects, lengths of stay, and cultural and economic factors at both the place of origin and destination.

Italy is attractive to immigrants because entering the country and working has always been particularly easy even without a permit of stay for work reasons. Illegal work constitutes an important “pull factor” at least in the first stage of immigration, as later on most immigrants manage to regularize their position and enter the legal economy through their willingness to take on low-skilled jobs (OECD, 2005). In general, the employment rate of immigrants between 2004 and 2016 was consistently higher than the rate among Italians. From a gender perspective, the employment rate of male immigrants is higher than the rate among Italians, although since 2009 it has witnessed a significant drop (12.5 percentage points), due to the strong impact of the economic crisis. In the same period, the employment rate of Italian males suffered a decline due to the same reasons albeit to a lesser extent than immigrants (about 3 percentage points). The employment rates of female immigrants are also higher than those of Italian women: in this case, however, we note that over the past few years and particularly since 2009, the rate among immigrant women has fallen by about 1.5 percentage points. Conversely, the employment rate of Italian women increased by about 2 percentage points.

155 Elena Ambrosetti and Angela Paparusso

As far as the sector of activity is concerned, immigrants are employed in sectors with low professional requirements and in low-skilled jobs. As a result, immigrant workers have been more affected by the economic crisis than Italian workers: their employment rate has decreased and the unemployment rate increased. In the period from 2008 to 2016, the latter went from 6% to 14% for male immigrant workers and from 12% to 17% for female immigrant workers. In the same period of time, the unemployment rate among both male and female Italian workers also increased, but to a lesser extent compared to immigrants (from 5.5% to 10.5% for men and from 8% to 12% for women). Among immigrant workers, there is a marked tendency to be over-educated for their employment position: about 30% of male immigrant workers and 50% of female immigrant workers perform work activities for which lower levels of education would be sufficient. This phenomenon is less relevant for Italian workers, affecting just 21% of Italian men and 22% of Italian women (ISTAT-Labour Force Survey). From these brief considerations, it is clear that although the role and the numerical importance of immigrant workers in the Italian labour market have increased over time, their integration process is characterized by many difficulties: as a result, immigrants often occupy low-skilled jobs in the industrial and services sectors of the labour market. The impact of immigration on the Italian labour market has been beneficial for Italian workers: thanks to the entry of immigrant workers, they have been able to occupy more qualified positions, carrying out more complex tasks and leaving low-skilled working positions to immigrant workers. Furthermore, the employment of immigrant workers, mostly in activi- ties linked to care services, has favoured the employment of Italian women, as they have been at least partly relieved of the role to which they were traditionally relegated.

The Italian Experience with Refugees and Economic Migrants until the End of the 1990s

In Italy and the other countries belonging to the southern European model, immigration began in the 1970s, in a situation of no legislation on immigration. At that time, most immigrants were “illegals” without residence permits. At the beginning of the 1980s, the increasing number of foreign residents in Italy and the ratification by the Italian government in 1981 of the ILO Convention on immigrant workers (Colombo and Sciortino, 2004) highlighted the need for comprehensive legislation on immigration. One of the first attempts to regulate the employment of non-EU immigrants was the Di Giesi Bill of 1982. In the same year, 5,000 illegal workers were regularized: it was the second time since 1977 that such a legal instrument had been adopted to cope with illegal migration (Einaudi, 2007).

After a long process, Act no. 943 of 30 December 1986 – the so-called Foschi Law – was approved. The main aim of the new legislation was to prevent illegal immigration, by introducing new rules for employers hiring non-EC workers. The Foschi Law introduced family reunion for the first time, and it allowed the regular- ization of 120,000 illegal migrants (Zincone, 1998: 49). The new rules introduced for hiring non-EC workers were considered quite restrictive, because according to the law, employers had to prove that there were no Italian or EC workers who could fill that job (Zincone and Caponio, 2006). However, at that time the Italian

156 Migrants or Refugees? borders were quite permeable, and immigrants could easily enter the country without a visa and work on the black labour market (Colombo and Sciortino, 2004). The period between the end of the 1980s and the beginning of the 1990s, following the fall of the Iron Curtain, was characterized by an increasing number of immigrants entering Italy. At that time, Italy was also involved in the implementation of the Schengen Treaty (1993), therefore, to comply with this new European policy, Italy had to manage its external borders more effectively (Einaudi, 2007; Pastore et al., 2006). These two factors pushed Italy to adopt new legislation on immigration in 1990, in the form of the Martelli Law. The new law was the first systematic law on immigration as it addressed all kinds of migration motives and not only labour migration as the previous laws had done. Indeed, for the first time, the Martelli Law systematically introduced the right to asylum in Italy (Art. 1). One of the main purposes of the new legislation was to regulate entry to Italian territory: to pursue this goal a compulsory entry visa was introduced for non-EC citizens and measures were enforced to control the borders and expel illegal immigrants. The second purpose of the law was to regularize the immigrants already present in the Italian territory; therefore, it stated that all non-EC immigrants present in Italy before 31 December 1989 could apply for regularization regardless of their employment position. Overall, the amnesty allowed the regularization of 218,000 immigrants.

1995 saw the introduction of the third reform concerning migration in less than ten years: the Dini Decree. In the end, the decree was declared unconstitu- tional; hence, few articles of the reform were applied. More specifically, a new amnesty was promulgated, in order to regularize both illegal workers and family migrants. Altogether, over 250,000 immigrants were regularized, therefore the total number of immigrants regularized in a decade amounted to over 580,000.

It seems that the more restrictive measures enacted to control the borders as of the beginning of the 1990s were not effective as the number of illegal immigrants continued to increase over the years and at the same time the Italian government continued to use amnesties to regularize their position. Indeed, the immigrants showed a good capacity for adapting their survival strategies according to the new legislation introduced over the years. During the 1970s and the 1980s they could easily enter Italy without a visa, and once visas were introduced by the Martelli law in 1990, immigrants entered Italy holding a tourist visa. From this point on, the phenomenon of overstayers spread greatly. Even though the way to enter Italy had to be modified compared to the past because a visa had become mandatory, as in the past a good part of the illegal immigrants applied for one of the amnesties and were able to get residence permits. The number of residence permits issued for work reasons increased constantly over the first half of the 1990s. However, the number of illegal immigrants was also stable over the same period (see Figures 2 and 7 and Tables 1 and 2). In fact, in Italy, like in the other southern European countries, the existence of a vast black labour market made it possible for many illegal migrants to make ends meet. Without such a big and widespread illegal economy, the unauthorized immi- grants would have soon left Italy to go back to their countries of origin. Indeed, Italy and the other southern European countries were particularly attractive to immigrants because it was quite easy to enter and live in these countries without a residence permit for work reasons (Baganha, 1998; Reyneri, 1998 and 2001; Baldwin-Edwards and Arango, 1999). Eventually, most of the illegal immigrants

157 Elena Ambrosetti and Angela Paparusso

got regularized and were incorporated into the regular economy where they could occupy several niches of the labour market that were in need of low-skilled workers (OECD, 2005).

The second half of the 1990s can be considered a turning point for the legislation on migration in Italy. At that time, the lack of comprehensive legis- lation on migration became a critical issue both at the national and at the international level. The Italian government had to deal with a public opinion that was fiercely convinced that it was unable to control migration or fight against illegal migration. The same opinion was also shared, to a lesser extent, by the European governments. In this regard, Italy had entered the Schengen Agreement in 1990, however, it had not yet redefined its migration policies according to the European mainstream. Thus, a long process of policy-making started in the mid-1990s, and finally, in 1998 the Single Act of Immigration law was approved, better known as the Turco-Napolitano Law. According to Zincone and Caponio (2006: 4), the Turco-Napolitano Law was based on four pillars: 1. fighting and preventing illegal immigration through the immediate expulsion of illegal migrants; in addition, illegal migrants waiting for expulsion had to be detained in Temporary Stay Centres (CPT); 2. managing labour migration through the introduction of a quota system, established each year by the Ministry of Labour, and introducing a “sponsor system”, through a special settlement permit for entering Italy to look for a job; 3. establishing a “National Integration Fund” with the aim of fostering the integration of migrants through the funding of multicultural activities and the introduction of the permanent residence permit for those migrants residing in Italy for five years; 4. granting basic human rights, such as basic health care, to illegal migrants. Like the past legislation, the Turco-Napolitano Law introduced an amnesty for non-EU illegal workers present in Italy on 27 March 1998. 270,000 immigrants were regularized under the fourth amnesty issued in 12 years, bringing the total number of immi- grants regularized since 1982 to more than 800,000 (Table 2). The entry into force of the Dublin Convention in 1997 and the need to deal with the migration crisis arising from the Kosovo conflict led Italy to adopt the “Common Action” project (“Azione Comune”) in 1999. The first consultations between the Minister of the Interior, several non-governmental organizations and the National Association of Italian Municipalities (ANCI) started in 2000. These were aimed at understanding how to effectively develop this project and how to manage the arrivals of people asking for international protection in the Italian territory. As a result, the National Asylum Programme was approved and started in 2001 with the agreement of the United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR).

At the end of the millennium and after the introduction of new comprehen- sive legislation on immigration, the picture described in the previous para- graphs was largely unchanged. Immigration to Italy was mainly labour-oriented because there was a strong labour demand in a segmented work market where immigrants could easily find a job. However, there was not an active policy on immigration; hence, most immigrants entered the country illegally. Later on, they would be regularized after spending a more or less short period working on the black labour market.

158 Migrants or Refugees?

Over the years, the number of family immigrants has more than doubled (Table 1), showing that immigration is becoming a stable phenomenon in Italy. Other categories of immigrants, and in particular asylum-related immigrants, have increased in number. However, they are still quite insignificant, repre- senting about 1% of the total number of immigrants.

Figure 5: Distribution (in %) of Stock of Residence Permits Issued by Motive in Italy (1992-2007) 100

90

80

70

60

50

40

30

20

10

0 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

Remunerated activities Family reasons Education Asylum Asylum seekers and other humanitarian Other reasons

Source: Own elaboration of ISTAT data.

Table 1: Distribution (N and %) of Stock of Residence Permits Issued by Motive (1997-1992, 2002-1997, 2007-2002)

Asylum seekers Remunerated Family reasons Education Asylum and other activities humanitarian reasons Diff. 1997-1992 232 608 95 935 5 339 -1 226 -1 874 % variation 54.9 104.2 25.2 -31.1 -29.2 1997-1992 Diff. 2002-1997 184 381 233 753 6 731 3 091 4 485 % variation 28.1 124.3 25.4 113.6 98.6 2002-1997 Diff. 2007-2002 622 092 341 983 18 410 2 802 11 878 % variation 74.0 81.1 55.4 48.2 131.5 2007-2002 Source: Own elaboration of ISTAT data.

159 Elena Ambrosetti and Angela Paparusso

Table 2: Number of Immigrants Regularized in Italy (1982-2012)

Year Number

1982 5 000

1986 120 000

1990 218 000

1995 250 000

1998 217 000

2002 646 000

2009 222 000

2012 23 000

Total 1 701 000 Source: Own elaboration.

Italy’s History of Refugees and Economic Migrants in the New Millennium

As pointed out in the previous paragraph, the EU has played an important role in the definition of the Italian immigration policy. This was particularly true at the beginning of the new millennium: the advancement of the common EU immigra- tion policy and in particular the implementation of the Schengen Treaty served as push factor for Italy to better protect its borders and to regulate immigration more effectively, also with the aim of no longer being considered the weak border of the EU (Einaudi, 2007; Pastore et al., 2006). It was with this spirit that a modifica- tion of the Single Act of 1998 occurred in 2002, under the name of the Bossi-Fini Law (189/2002). In particular, this law introduced the “unified contract of employ- ment and residence”, which linked the right to residence of an immigrant in Italy to his/her work contract: once the latter expired, the immigrant had to quickly find a new job in order to continue to live in Italy (Zincone, 2006). Moreover, it established that the employer had to provide proper housing and cover the costs of the employee’s return to the country of origin in the event of dismissal. The “sponsor”’ system, one of the main innovations of the Turco-Napolitano Law, was abolished. As far as the fight against illegal migration was concerned, the Bossi-Fini Law laid down a stricter enforcement of compulsory repatriation. The period of stay in the Temporary Stay Centres (CPT) was prolonged and detention was also introduced for overstayers. Finally, an important amnesty was estab- lished: it was addressed to non-EU foreigners who had been working illegally in Italy for at least three months before the law came into force (July 2002). With 646,000 immigrants whose position was regularized (Ministry of the Interior), this amnesty is considered the second biggest regularization ever realized in Europe (after the Spanish one), demonstrating the existence of a certain policy continuity. Amnesties thus became a distinctive feature of the Italian manage- ment of migration, contributing to the definition of the aforementioned southern European model of immigration. The Bossi-Fini Law recognized the aforemen- tioned National Asylum Programme, transforming it into the Protection System

160 Migrants or Refugees? for Asylum Seekers and Refugees (SPRAR), and launching the National Fund for Asylum Policy and Services, financed by the Ministry of the Interior. The SPRAR was recognized as the sole national system tasked with supporting, protecting and integrating asylum seekers, refugees and migrants who fell under other forms of humanitarian protection in Italy. Since 2006, the SPRAR has been open to all local authorities who are interested in presenting asylum-related projects with its financial support, according to a three-year schedule. As further proof of this policy continuity, no big changes have occurred in Italy since the Bossi-Fini Law, making the Turco-Napolitano Law, and its modifications introduced by Law no. 189/2002, the main legal reference for immigration in Italy. The main provi- sions following the Bossi-Fini Law can be summarized according to two types: the treatment of undocumented migrants together with the regularization of undocumented migration through amnesties, and the execution of EU directives and changes to the existing laws. For instance, Legislative Decree no. 5/2007 executed an EEC Directive about family reunification, now granted according to the effectiveness of family ties proven by showing official documents, such as marriage and birth certificates. Legislative Decree no. 25/2008 introduced the Asylum Seekers Reception Centre (CARA) for asylum seekers who had illegally crossed the Italian borders, who reside illegally in Italy, who are not in posses- sion of identity documents or whose nationality cannot be verified. The period of stay in these centres should not exceed thirty-five days, but these conditions are often violated with periods of stay that are longer than 150-180 days. Moreover, since 2001 a series of directives on asylum have been approved by the European Council and implemented by the Italian legislator, such as Directive 2001/55/ EC on temporary protection, Directive 2003/9/EC on the minimum standards for asylum in the EU member states, Directive 2004/83/EC on the recognition of refugee status, Directive 2005/85/EC on the recognition and revocation of refugee status, and Directive 2011/95/EU, which harmonized the status of inter- national protection.

In 2009, the centre-right coalition introduced the “safety package”, a set of laws aimed at controlling the entry of unauthorized migrants from other EU member states. Ethnic Roma, already discriminated by national and local policies aimed at relegating them to segregated camps, were the most affected by this package of laws. Within this policy framework, security patrols were organized by municipal governments to control public areas, contributing to the rise of anti-immigrant sentiments and protests among citizens. A new amnesty was introduced in 2009, regularizing 222,000 immigrants (Ministry of the Interior). It was only addressed to domestic care workers who had been working for a family in Italy for at least three months. The employer was asked to show proof of an annual income of at least 20,000 Euros and of having employed the worker for at least three months.

Italy has issued eight regularizations since the beginning of the 1980s: in addition, since 1998, regularizations have been enacted together with the quota system which reserves a number of slots for migrants coming from particular countries of origin and transit, especially those with which Italy has special control and readmission agreements (Sciortino, 2016). The quota system works as a de facto regularization of immigrant workers already in the country (Reyneri, 2003), demonstrating the Italian legislator’s ongoing need to root out situations of illegality. In the period from 1998 to 2008, while the numbers of

161 Elena Ambrosetti and Angela Paparusso

asylum applications and migrants arriving by sea were quite contained, the migration flows and quotas established by the flow decrees were generally more sizeable, with some important peaks in correspondence to the years when new laws, amnesties and flow decrees were enacted (Figure 6).

Compared to the 1990s, in the first decade of the 2000s, we can observe an increase in the stock of residence permits issued for remunerated activities, a sharp increase in residence permits for family reasons and a modest increase in the number residence permits for asylum and other humanitarian reasons (Table 1 and Figure 5). As in the past, immigration largely continued to be driven by economic and family reasons, together accounting for more than 92% of the total residence permits in 2007.

What conclusions can be drawn from this overview of the main policies enacted by the Italian government for the management of immigration and the reasons for and modes of entry to Italy in the two periods of analysis? Italian immigration policies have become more restrictive and have adopted a so-called “securitization” approach within the EU context (Carling, 2002; Geddes and Scholten, 2016; Bendel, 2007; Bonjour, 2011). Political, social and economic reasons, which range from the preservation of cultural identity to the conse- quences of the more recent international economic recession, such as defence against losing employment, have been put forward by the Italian institutions to restrict the admission of non-citizens and to implement stricter and more punitive policies. On the other hand, as the so-called “policy failure” paradigm argues (Bhagwati, 2003; Cornelius, 2005), immigration policies have limited power (and success) in regulating and controlling migration for several reasons. 1. Structural factors and their consequences, such as socio-economic inequali- ties, labour market shortages and political conflicts in origin countries cannot be avoided by the receiving countries (Czaika and de Haas, 2013). 2. States have moral duties towards migration since they have to respect international laws and human rights, such as the right to family reunification and the right to asylum (Joppke, 1998; Weiner, 1996). 3. There are economic and demographic needs, such as the employment of young, low-skilled and low-wage workers, which push countries to resort to international migration, at least in the short term. The combination of these factors produces paradoxes and unintended consequences, such as the entry of illegal migrants, their employment in the underground economy, the introduction of amnesties and flow decrees, and the increase in family and humanitarian migration (Paparusso et al., 2017). These consequences make immigration policies quite permissive and often contra- dictory, such as the Bossi-Fini Law, which allowed the regularization of almost 650,000 immigrants, despite its declared restrictive intentions.

Flow Decrees and Arrivals by Sea: What is Happening Today?

The international economic crisis has caused the Italian legislator to leave out immigration from the political agenda. As a consequence of the crisis, for two consecutive years, in 2009 and 2010, the flow decrees did not allocate any quota for non-seasonal migration. Later on, with the exception of 2011, the number of immigrants admitted through the quota system was very low compared to the

162 Migrants or Refugees? past decade, with the total number of immigrants allowed in below 20,000 per year (Figure 6).

Figure 6: Inward Flows by Type in Italy (1998-2016) 600 000

500 000

400 000

300 000

200 000

100 000

0 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Total inward flows Migrants arriving by sea Quota established by flow decrees Asylum applications Source: Own elaboration of ISTAT, ISMU and Ministry of the Interior data.

In 2012 (Decree no. 109/2012) an amnesty addressed to illegal non-EU workers and in particular to full-time and domestic workers working at least 20 hours per week was introduced. It regularized 23,000 immigrants (Ministry of the Interior), with the support of their employers who had to provide all the documents and pay 1,000 Euros per worker. In 2014, due to the increased arrival of refugees, the Italian Minister of the Interior issued several “Circolari” (internal documents) and, in agreement with the Italian prefectures, introduced Temporary Reception Centres (CAS), with the aim of improving the management of the migratory emergency. Despite the revisions of the asylum law over the years, the procedures to obtain asylum remain far longer than in other European countries, as demonstrated by the data on the number of persons subject to asylum applications pending at the end of the month, which is the highest in Europe after Germany (Eurostat database). Moreover, once refugee status has been granted, there is a lack of training, job creation initiatives and integration policies for these humanitarian immigrants.

Looking at the number of first residence permits issued by reason between 2007-2015, we notice that since the beginning of the economic crisis in 2008, immigration in Italy has been characterized by a new trend: while first permits issued for work reasons have sharply declined over the years, the number of first permits for family reasons and asylum has increased considerably. At the beginning of the crisis, first residence permits issued for work reasons repre- sented 56% of the total number of first permits, while in 2015, first permits issued for work reasons accounted for just 9% (Figure 7). Conversely, first permits issued for family reasons increased from 32% to 45% and first permits for asylum and humanitarian reasons increased from 4% to 28%. The figures for first residence permits issued by year represent a good approximation of immi-

163 Elena Ambrosetti and Angela Paparusso

gration inflows, even though they only refer to non-EU immigrants. Therefore, for instance, they do not include Romanians, who are the most numerous immigrant community residing in Italy.

While the huge increase in the number of family immigrants, beginning during the 1990s and in the first half of the 2000s, is a consequence of the stabilization of the phenomenon of immigration in Italy, the sharp increase in asylum immigrants is a completely new trend for Italy. The main cause of this new trend is the lack of political and economic stability in most North African and Middle Eastern states due to the Arab Spring. Since 2011, the increase in political instability in countries of the eastern and southern Mediterranean has affected the dynamics of the regional and international migratory flows. Suddenly, Italy started to receive a growing number of asylum seekers: 37,350 in 2011, 17,352 in 2012, 26,620 in 2013, 64,886 in 2014, 83,970 in 2015 and the record number of 123,482 in 2016. However, while in earlier years they mostly came from northern African and Middle Eastern countries, in the most recent years they have mainly come from sub-Saharan Africa (67%), the Horn of Africa (9.2%), Bangladesh (9.4%) and a small part from northern Africa (8.3%) and Syria (2.1%). The current situation in Italy does not allow for a clear-cut categorization of refugees and (economic) migrants. In effect, not all the immigrants arriving in Italy since 2011 have applied for asylum (see Figure 6) because the flows are mixed in kind, with highly diverse individual profiles (in terms of gender, age, vulnerabilities, etc.), original motivations or migratory trajectories and experiences, which are difficult to unravel. Therefore, only a small part of the migrants arriving in Italy are entitled to apply for asylum. This is one of the main challenges that policy makers are failing to address both at the Italian and at the European level. Indeed, according to the Italian legislation, immigrants arriving illegally in Italy and not applying for asylum should be repatriated. However, the task of repa- triation is neither easy nor painless: it is costly from the economic point of view and operationally complicated as migrants often escape from detention centres. At present, re-opening the Italian borders to regular migration do not seem to be an option for exiting the impasse or re-establishing safe routes for migrants and their families.

Although the use of categories is often misleading, and poverty should be considered a reason for humanitarian migration in the same way as war and persecution (Crawley and Skleparis, 2017), there is a large presence of economic migrants among the humanitarian flows: after all, if European countries decide to close the labour migration channel, migrants will use the even more dangerous channel of humanitarian protection to reach the EU. The distinction between different categories of migrants is difficult because it does not take into account how migratory processes work and that “individuals may change status or simultaneously fit in two (sometimes more) pre-existing categories” (Crawley and Skleparis, 2017: 3). The distinction between categories of migrants and in particular between asylum seekers and economic migrants originates in the dichotomist concept of voluntary and involuntary migration, the first being largely considered the rational decision of individuals in search of better economic conditions, the second being a sudden decision due to unforeseen events such as political instability or war. However, several scholars have shown that the distinction between the two categories is fluid and that a person may change status and category several times during his/her lifetime (Jeandesboz

164 Migrants or Refugees? and Pallister-Wilkins, 2014). The development of new concepts such as “mixed flows” (as well as “mixed motivations” and “transit migration”) is useful to overcome the binary and static distinction between the two categories of migrants and refugees. The evolution of migration flows presented in Figures 6 and 7 demonstrates that while economic migration is increasingly restricted in Italy, thus proving the lack of an active immigration policy (Sciortino, 2016), family and humanitarian migration is the main entry channel to the country (Bosh, 2015). These considerations lead us to argue that the so-called southern European model of immigration has expanded over time, as regards the reasons for and the modes of entry.

Figure 7: Distribution (in %) of First Residence Permits Issued by Motive in Italy (2007-2015) 100

90

80

70

60

50

40

30

20

10

0 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Remunerated activities Family reasons Education Asylum, asylum seekers and other humanitarian Other reasons

Source: Own elaboration of ISTAT data.

Discussion and Conclusion

The EU’s political response to the “migration crisis” has been considered quite weak and fragmented. It has mainly consisted of the “hotspot approach” in Italy and Greece (May 2015), intra-EU relocation schemes (September 2015), resettlement schemes (July 2015), the EU-Turkey agreement (March 2016) and the Malta Declaration (February 2017). The last two initiatives present a series of limitations: for instance, the EU-Turkey agreement goes against fundamental EU values, such as the respect of human solidarity and protection; it violates the second paragraph of Article 13 of the Universal Declaration of Human Rights of 1948, according to which “Everyone has the right to leave any country, including his own, and to return to his country”; and it considers that Turkey is a safe country, without taking its economic and political instability into account. The Malta Declaration is also a tool that uses Libya as the main contractor to filter the arrival of immigrants to Europe using the Libyan Coast Guard to help the EU control its coasts and rescue immigrants. As in the past, Europe is making bilateral agreements with “safe” third countries to contain and readmit illegal immigrants. These initiatives are similar to previous policies adopted by the EU

165 Elena Ambrosetti and Angela Paparusso

to prevent immigration, showing a continuity in the management of migration. The experience of other immigration countries tells us that such policies have already proven to be ineffective in containing immigration and to be particularly effective in consolidating criminal organizations and illegal trafficking (Castles, 2004). However, the long-term dimension of the immigration phenomenon is largely ignored at the European level and the political answers are emer- gency-oriented, preferring short-term management of the immigrants’ entry and permanence. Possible solutions to the “crisis” such as implementing the 2001 European directive on temporary protection for immigrants not fitting the criteria of the Geneva Convention or opening legal channels of labour migration in order to prevent immigrants from illegally crossing borders at peril of their lives, as well as human trafficking and smuggling, are not even considered (Wihtol de Wenden, 2017).

The “migration crisis” has led Italy to ask for more cooperation and solidarity from the EU, but at the same time to resort to some of its own initiatives, such as the Mare Nostrum Operation (2013-2014) to protect its external borders and to help migrants crossing the Mediterranean Sea in unsafe conditions and the Migration Compact (2016) which proposed an old recipe, that is, a multilateral policy on cooperation and development with the migrants’ origin and transit countries. It introduced a new measure, however: the possibility of European military taskforces intervening directly in the management of migration and repatriation to the African continent. In other words, it is a policy to externalize and extra-territorialize the migration movements. Finally, the Minniti Decree, approved in April 2017, to enhance public security especially with respect to the nomads and illegal migrants living in Italian cities, aimed to speed up the application process for asylum seekers, to distinguish between them and illegal migrants, and to avoid double applications, in line with the provisions of the Dublin Convention.

Italy is facing the same dilemma as Europe: there is a growing number of immigrants arriving illegally in Italy that cannot apply for asylum (61% of those who arrived in 2016 were not entitled to apply for asylum), however, labour migration channels have been closed since 2009. Immigrants arriving in Italy and not entitled to apply for asylum are not repatriated because the agree- ments with the country of origin adopted in the past are no longer effective and because repatriations are costly operations; thus they stay illegally in the country, working in the underground economy in the hope of being regularized in the next amnesty. The solution, like in the case of Europe, is to re-open legal immigration channels and plan a yearly quota for labour migration. Such an option is advantageous not only for the immigrants but also for the countries of destination, which can benefit from legal migration both from the economic and socio-demographic points of view.

The situation of asylum seekers is also precarious because they face long, perilous and costly journeys to arrive in Italy and once they arrive the procedures are long and discretional. The opening of humanitarian corridors, sponsorships and effective screening mechanisms (e.g. temporary visas) would prevent them from risking the dangerous crossing of the Mediterranean by boat.

The long history of immigration policy in Italy shows that the debate around

166 Migrants or Refugees? international migration has been constantly accompanied by the dichotomy between the “economic acceptance of immigration” and the “political rhetoric of growing hostility and apparent closure” (Ambrosini, 2013: 176). Indeed, to deal with labour market shortages, employers started to hire foreigners, a special case being those families that have hired thousands of both male and female immigrants to care for children and the elderly. We can argue that until the beginning of this decade, recognition of the economic role of immigrants provided political and social legitimacy for their presence in Italy. However, since 2011 the perception of immigration as a security and public order problem has prevailed over economic acceptance. Italian governments, irrespective of their political party, support this view of immigration, making a clear distinction between asylum seekers and economic immigrants. Until now, immigrants have consistently responded to the demand for labour in the industry, care and services sectors in Italy and more broadly, they have contributed to its economic productivity. Employers have received much power in this process, as inter- mediaries between immigrants and the labour market niches (Triandafyllidou and Ambrosini, 2011). Moreover, immigrants have contributed to slowing down population ageing and the decline in fertility. The re-opening of legal immigra- tion channels through regularization or the re-introduction of the quota system, not only as an ex-post instrument of regularization of immigrants already present in Italy, but also as formal planning of the foreign labour force, will help Italy to cope with its domestic shortages, in particular with the segmenta- tion of the labour market and structural demographic ageing. Moreover, it will help to formally recognize the phenomenon of immigration as structural and not transitory, and above all to mitigate negative attitudes towards migrants, which are generally being exacerbated by a political discourse dominated by security issues. As a result, this would foster the migrants’ social acceptance in Italian society and a mutual process of solidarity and integration (Panichella and Ambrosini, 2018). To conclude, we argue that the southern European model of immigration has expanded over time, as regards the reasons for and the modes of entry. This is due to the securitization of immigration and the increased number of asylum seekers. However, taking into account the data on labour market integration, the data on the number of illegal immigrants resident in Italy and the policy adopted by the Italian governments, we can argue that the southern European model is still the right theoretical framework for describing the situation in Italy because its main common characteristics provide a detailed and well-adapted picture of immigration to Italy.

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170 Résumé - Abstract - Resumen

Elena Ambrosetti and Angela Paparusso Migrants or Refugees? The Evolving Governance of Migration Flows in Italy during the “Refugee Crisis”

Since the beginning of its experience as an immigration country, Italy has received only small numbers of asylum-seekers. Until the late 2000s, with the reception of EU directives on asylum, Italy had hardly any comprehen- sive normative framework on asylum. The so-called refugee crisis initiated in the second half of 2013, with hundreds of thousands people crossing the Mediterranean to reach Italy, has decisively changed these features. In such a context, how have Italian policies reacted to the increasing magnitude and complexity of mixed flows across the Mediterranean? Has Italy turned from a labour migration magnet to an asylum land? In this paper, we will address these questions by presenting the evolution of migration flows and stocks in Italy in the last decade and by analysing the policy responses adopted by Italian autho- rities. Lastly, we will highlight the role of the EU in influencing the Italian asylum and migration policies. Migrants ou réfugiés ? L’évolution de la gouvernance des flux migratoires en Italie au cours de la « crise des réfugiés »

Depuis le début de son expérience en tant que pays d’immigration, l’Italie n’a reçu qu’un petit nombre de demandeurs d’asile. Jusqu’à la fin des années 2000, avec la réception des directives de l’UE sur l’asile, l’Italie n’avait guère de cadre normatif complet sur l’asile. La crise dite des réfugiés, initiée au second semestre 2013, a changé de manière décisive ces caractéristiques. Dans un tel contexte, comment les politiques italiennes ont-elles réagi face à l’ampleur et à la complexité croissante des flux mixtes à travers la Méditerranée ? L’Italie est-elle devenue un pays d’asile ? Dans cet article, nous aborderons ces questions en présentant l’évolution de la migration en Italie au cours de la dernière décennie et en analysant les réponses politiques adoptées par les autorités italiennes. Enfin, nous soulignerons le rôle de l’UE dans les politiques italiennes en matière d’asile et de migration. ¿Migrantes o refugiados? La evolución de la gobernanza de los flujos migratorios en Italia durante la «crisis de los refugiados»

Desde el comienzo de su experiencia como país de inmigración, Italia solo ha recibido un pequeño número de solicitantes de asilo. Hasta finales de la década de 2000, con la recepción de las directivas de la UE sobre el asilo, Italia apenas tenía un marco normativo integral sobre el asilo. La llamada crisis de refugiados iniciada en la segunda mitad de 2013 ha cambiado estas características de manera decisiva. En ese contexto, ¿cómo han reaccionado las políticas italianas a la creciente magnitud y complejidad de los flujos mixtos en el Mediterráneo? ¿Ha pasado Italia de un centro de atracción para trabajadores manual a una tierra de asilo? En este documento, abordaremos estas cuestiones presentando la evolución de los flujos migratorios y las poblaciones en Italia en la última década y analizando las respuestas políticas adoptadas por las autoridades italianas. Por último, destacaremos el papel de la UE para influir en las políticas italianas de asilo y migración.

171

REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 173-194

Déconstruire les paradigmes migratoires à travers les études sur les émigrations et les immigrations des femmes en Italie Adelina Miranda1

Dans cette contribution, je propose d’examiner la mise en visibilité de la place des femmes dans les études sur les migrations en Italie. Pendant les années 1960, les immigrées commencent à arriver dans la Péninsule tandis que les émigrées continuent à partir à l’étranger. À l’époque, les premières ont été ignorées et les secondes ont été regardées comme n’accomplissant que leur devoir d’épouses, de mères ou de filles. Au cours des années 1970, les premiers travaux sur les femmes émigrées sont réalisés dans une perspective histo- rique et anthropologique ; à partir des années 1980, les études sur les femmes immigrées se développent en portant une attention particulière au travail du care. Depuis le début du XXIe siècle, nous assistons à la complexification de cet espace épistémique. Si certain·e·s auteur·e·s utilisent le concept de genre comme une variable statistique qui fait référence à une représentation abstraite et universelle de la femme, étayant ainsi une vision androcentrée des migra- tions, d’autres ont adopté le prisme des rapports sociaux de sexe. Ces travaux étudient les imbrications des formes de domination dans une perspective inter- sectionnelle2 et, de ce fait, interrogent les paradigmes interprétatifs migratoires en général.

Pour mieux saisir ce cheminement, deux prémisses sont indispensables. La première est que, en Italie, les recherches sur les femmes migrantes ont d’abord été réalisées dans le champ des études sur les migrations et, plus tardivement, dans le champ des études sur le genre3 ; la deuxième est que les travaux sur la question genre/migration sont fortement influencés par la circu- lation internationale des idées, des théories et des chercheur·e·s. Le bilan partiel

1 Anthropologue, Professeure, MIGRINTER, Université de Poitiers/CNRS, MSHS, Bât. A5, 5 rue Théodore Lefebvre, TSA 21103, 86073 Poitiers cedex 9 ; [email protected] 2 Ces études font référence à la perspective intersectionnelle développée depuis notamment les travaux de McCall (2005) et Crenshaw (1991). 3 Cette forme de circulation ouvre deux questions principales : comment s’est mis en place le dialogue entre ces champs d’études ? Et qu’est-ce que les études des migrations ont apporté aux études de genre et vice-versa ? Pour l’instant ces articulations n’ont pas été encore approfondies.

173 Adelina Miranda

que je présenterai s’insère dans ce contexte4. Il rappelle que les études sur les émigrées et les immigrées ont démontré l’insuffisance des catégories interpré- tatives « classiques » en soulignant que les migrations féminines doivent tenir compte de thèmes typiquement féminins : la gestion de la santé, le care, l’édu- cation et l’élevage des enfants (Favaro et Tognetti Bordogna, 1991). Les deux traditions d’études ont de ce fait porté une attention fondamentale à la question du travail de reproduction, ce qui a permis d’appréhender l’enjeu des facteurs non économiques. Néanmoins, il faut remarquer que si les recherches réalisées sur les émigrées regardent souvent aux travaux menés sur les immigrées, il est plus rare qu’un détour historique soit opéré par celles-ci. Ce manque d’intérêt porte à opérer des comparaisons, souvent implicites, entre les migrantes du passé et celles actuelles, élaborées sur une série de généralisations antérieures dont « plus personne ne cherche à évaluer le bien-fondé » (Remaud, Schaub et Thireau, 2012 : 14)5.

Dans cette contribution, je montrerai l’intérêt de mettre en relation les études sur les émigrées et sur les immigrées, à partir de trois questions. Quelle force explicative occupe encore aujourd’hui une vision androcentrée dans ces études ? Quelle place faut-il conférer à la variabilité avérée des situations migra- toires féminines dans le passé et dans le présent ? Comment les études sur le genre peuvent contribuer à développer une vision critique des migrations ? Mon hypothèse est que questionner la césure, qui est souvent opérée entre les figures de l’émigrée et de l’immigrée, remet en cause l’usage de catégo- ries interprétatives antinomiques hiérarchisantes. Intégrer dans nos réflexions l’hétérogénéité des situations migratoires féminines déplace notre attention du « pourquoi » au « comment » s’organisent les migrations et sur les articulations qui se créent entre le transnational, le national et le local tout en tenant compte de la force structurante des rapports de domination. Une étude conjointe des émigrations et des immigrations des femmes peut, de ce fait, constituer une base pour analyser les migrations comme étant des situations dynamiques et historicisées.

À la recherche de la spécificité des femmes émigrées

Comme le montre le bilan bibliographique dressé par Tirabassi (2015), à partir de la moitié des années 1970, les mondes de la recherche, académique et politique, commencent à s’intéresser aux femmes italiennes et à leurs descen- dantes vivant à l’étranger6. Ces enquêtes sur la « partie cachée » de l’émigration

4 J’opérerai une sélection de l’ample littérature qui, par ailleurs, est de moins en moins produite dans le contexte académique italien et en langue italienne. 5 Ce comparatisme implicite établit des continuités et des ruptures qui mettent sur le même plan les femmes italiennes d’antan et les femmes qui arrivent aujourd’hui en Italie dans le cadre du regroupement familial ou encore qui établissent des divergences entre les émigrées parties au cours des années 1960-1970 et celles qui partent depuis les années 2000 (Campani, 2000). 6 Déjà au début du XXe siècle, nous retrouvons des traces de l’attention portée aux femmes à travers une clef de lecture familiale ou victimiste (De Calboli, 1902), mais c’est notamment pendant les années 1970 que l’intérêt pour les femmes émigrées se développe tant dans le monde académique que politique. Voir à ce sujet : Charlot (1979) ; Yans-McLaughlin (1977) ; Knowles (1978) ; Caroli, Harney et Tomasi (1978) ; Mormino et Pozzetta (1983) ; Schiavo (1984) ; Chistolini (1986) ; Vecchio (1989).

174 Déconstruire les paradigmes migratoires italienne ont constaté la spécificité des femmes tout en les libérant des valeurs de passivité et d’immobilité qui leur avaient été attribuées. Deux publications ont marqué cette tradition d’études. En 1983, la revue Studi Emigrazione publie un numéro intitulé La donna nei fenomeni migratori. Dans l’introduction de ce recueil d’articles issu d’un colloque qui avait eu lieu à Cagliari en 1982, Wihtol de Wenden (1983) évoque le poids d’une certaine vision féministe universaliste et évolutionniste sur le milieu de la recherche ; elle souligne que les cultures d’origine des immigrées de la société méditerranée peuvent être à l’origine de formes de conflits, notamment intergénérationnels, et elle attire l’attention sur le fait que les migrations des femmes peuvent être accompagnées par une amélioration des conditions matérielles, mais également par des formes de déqualification professionnelle. En 1993, la revue Altreitalie publie huit articles sur les Italiennes émigrées en Argentine, Australie, Brésil, Canada et États-Unis. Iacovetta (1993) rappelle que l’objectif de ce numéro était d’analyser les conti- nuités et les changements, tant aux niveaux synchronique que diachronique, entre différents courants migratoires, mais que les contributions ont démontré la difficulté à opérer des comparaisons, étant donné la différente maturation de ce champ d’études selon les pays.

Ces études, alimentées par le débat étasunien des women’s studies, ethnic studies et ethnic women’s studies, ont été concomitantes avec le développe- ment d’un regard novateur sur les femmes italiennes. La publication du volume Donne che vanno, donne che restano. Emigrazione e comportamenti femminili sous la direction de Corti (1990) a contribué à la reconnaissance de la mobilité des femmes comme étant un fait structurant le fonctionnement de la société italienne. Les recherches réalisées au cours de cette période à travers une approche historique et anthropologique permettent d’opérer quatre constats importants. Le premier constat est que le processus de féminisation des migra- tions s’enracine dans l’histoire du monde rural et que les transformations de celui-ci ne peuvent pas être expliquées sans tenir compte du rôle économique des femmes (qu’elles soient parties ou restées) et de la manière dont l’économie domestique s’est combinée avec les mouvements saisonniers ou définitifs tant des hommes que des femmes. Des nombreuses études de cas ont montré que l’autosuffisance économique assurée par les femmes a souvent permis le départ des hommes (Audenino, 1990 ; Merzario, 1996), surtout lorsqu’elle a été accompagnée du contrôle des naissances. Le deuxième constat est la coexis- tence de différentes formes de mobilités féminines. Les migrations temporaires, concernant notamment les jeunes filles, ont croisé les migrations saisonnières qui conduisaient régulièrement les femmes à parcourir des distances plus ou moins longues pour travailler dans le secteur reproductif comme nourrices ou lavandières7, ainsi que dans l’industrie textile ou dans l’agriculture. Ces mobilités pouvaient donc être un prolongement du travail domestique, mais elles répondaient surtout à la logique de la pluriactivité économique des femmes (Bianchi, 2001). Le troisième constat est l’importance occupée dans les systèmes migratoires par les femmes qui n’ont pas physiquement émigré. Regarder les migrations à partir de la place des femmes restées sur le lieu de départ a révélé

7 L’histoire du service domestique permet d’opérer deux considérations importantes. La première est que ce métier s’est féminisé au cours du XIXe siècle et la seconde est qu’il a intéressé surtout les femmes en provenance des campagnes italiennes ou des régions les plus pauvres du pays (Arru, 1996).

175 Adelina Miranda

la nécessité d’appréhender le choix individuel de partir ou rester sous l’angle des rapports sociaux de sexe à différentes échelles. Les femmes qui ne sont pas parties ont pris en charge les travaux dans les champs, même les plus lourds, en plus de l’élevage des enfants et de l’assistance des aînés ; elles ont également appris à administrer une économie qui n’était plus limitée à l’échelle locale (notamment à travers la gestion des remises) et leur propension à l’épargne a recouvert une fonction essentielle dans la réussite des projets migratoires. Le quatrième constat est que les migrations des hommes n’ont pas changé le statut des femmes restées sur le lieu de départ. En effet, le rôle de substitution des femmes dans les champs a été considéré comme étant temporaire et, pendant l’absence des hommes, il se produisait une sorte de « suspension de l’ordre de sexes » qui n’a pas effacé la subordination des femmes.

De leur côté, les recherches réalisées sur les lieux d’arrivée ont confirmé l’importance du rôle économique recouvert par les femmes migrantes et que leur insertion dans le monde du travail n’a pas été accompagnée par le prétendu « cycle d’intégration ». Les Italiennes qui partaient aux États-Unis au début du XXe siècle ont souvent trouvé un emploi dans les secteurs économiques informels et de la domesticité aussi bien que dans les industries ou dans le secteur de la confection au domicile (Tirabassi, 1993 ; Bianchi, 2001 ; Gabaccia et Iacovetta, 2002). En France, les Italiennes ont été plus occupées dans le travail salarié au début du XXe siècle qu’au cours des années 1970 et leurs sorties et entrées sur le marché du travail se sont adaptées aux exigences économiques du groupe domestique et au déploiement, à travers le temps et les lieux, du projet migratoire familial (Miranda, 2001). De plus, les émigrées ont expérimenté une nouvelle gestion de la sphère reproductive et de sa « datità utilizzabile »8, c’est- à-dire de la place que le monde domestique occupe en tant que lieu de sécurité primaire pour soi et pour les autres membres de la famille. Les émigrées ont dû apprendre à gérer les (parfois maigres) ressources économiques du foyer, à réorganiser leurs savoirs privés et intimes, à conférer une nouvelle valeur marchande à leur travail reproductif, parfois en monétarisant certaines tâches domestiques (Tirabassi, 1998 ; Gabaccia et Iacovetta, 2002). Cette réorganisation de la domesticité leur a conféré un rôle central dans les projets migratoires, structurés par les temporalités tant individuelles que générationnelles9.

Les recherches sur l’émigration ont montré le lien étroit existant entre situations migratoires et structures de parentèle. Émigration et transmission du patrimoine se croisent avec les règles familiales et les logiques du mariage alimentant parfois la reproduction et parfois la manipulation de la tradition (Piselli, 1981 ; Ramella, 2001). C’est ainsi que des jeunes filles ont investi leur dot pour financier le départ de l’homme qu’elles venaient juste de marier ou ont mis en place des stratégies matrimoniales pour partir vers l’étranger10 ou des régions méridionales vers les campagnes du Piémont (Marchesano, 2010). L’attention

8 En se référant à la théorie de De Martino (2002), Signorelli (2000) a utilisé ce concept pour comprendre les dynamiques culturelles des mouvements de population. 9 Le départ et/ou la cohabitation des migrant·e·s, hommes et femmes appartenant à des générations différentes, a créé un nouvel espace d’interaction, d’interdépendance des actions individuelles. 10 Le film de Luigi Zampa Bello, onesto emigrato in Australia sposerebbe compaesana illibata (1972) met en scène d’une manière éclairante cette stratégie.

176 Déconstruire les paradigmes migratoires portée aux dynamiques matrimoniales a démontré la spécificité des stratégies migratoires féminines et l’importance des négociations structurant la dispersion des parentés à travers les ajustements des logiques individuelles et familiales.

Les analyses sur la place occupée par la sphère domestique à l’intérieur des rapports de parenté ont permis la déconstruction du stéréotype de la femme émigrée italienne décrite comme une paysanne passive, emprisonnée dans les valeurs de la famille méditerranéenne de l’honneur et de la religiosité, qui se serait émancipée au travers de l’émigration, grâce à l’entrée dans le monde du travail productif. Comme l’ont bien souligné Tirabassi (1993) et Gabaccia (1998), ce stéréotype, élaboré sur les valeurs de la ségrégation spatiale féminine, a guidé les premières études sur les femmes italiennes aux États-Unis, mais il n’a jamais été corroboré par le vécu des femmes en situation migratoire qui souvent travaillaient déjà dans les campagnes italiennes.

De nombreuses études de cas confirment la variabilité du processus d’adap- tation à la société et à la culture des pays d’installation. Les itinéraires individuels, notamment lorsqu’ils sont examinés dans et entre les parcours générationnels, mettent en exergue que des changements et des continuités ont remodelé la valeur attribuée à la famille et les rapports entre les ascendants, descendants et collatéraux. Les Italiennes arrivées en Australie, parfois après s’être mariées par procuration, ont transformé et adapté les traditions et, malgré le dur travail des champs, elles ont apporté des changements importants tant dans la sphère publique que privée de ce pays (Vasta, 1993). Aux États-Unis, certaines jeunes filles ont assumé des nouveaux rôles sociaux et elles ont remis en cause les relations de genre traditionnelles (Carneval, 2007) en se référant aux « groupes ethniques dominants » (Jones, 2007). Nombreuses, enfin, sont celles qui ont participé aux luttes sociales11 ou ont assumé des rôles transgressifs comme celui de devenir modèle pour les ateliers des artistes parisiens.

L’arrivée des immigrées : l’effet structurant du travail du care

En Italie, les questionnements sur les articulations existant entre l’apparte- nance de genre et l’immigration ont croisé la question de l’internationalisation des secteurs des services. À partir des années 1960, les premières migrantes arrivent en Italie en provenance des Philippines, de l’Érythrée, de la Somalie et du Cap-Vert, mais ce n’est que pendant les années 1990 qu’un certain intérêt scientifique s’est affirmé (Vicarelli, 1994). Ce manque d’attention pour les femmes immigrées résulte d’une vision androcentrique dominante dans les sciences sociales et du fait qu’à l’époque l’Italie n’est pas considérée comme un pays d’immigration, mais doit également être mise en relation avec le type d’insertion professionnelle des immigrés : dès le départ, les recherches ont fait état d’un pourcentage élevé de femmes travaillant dans le secteur domestique. Les nombreuses recherches réalisées sur les badanti (assistantes de vie) et les collaboratrici domestiche (femmes de ménage) ont relié l’arrivée des immigrées aux tendances économiques néo-libérales générées par des secteurs d’emploi féminin, toujours plus flexibles et précaires. La présence des migrantes a

11 À ce propos, voir les contributions de Gabaccia et Iacovetta (2002, partie 3).

177 Adelina Miranda

été corrélée à l’émergence d’un nouveau modèle migratoire méditerranéen (Pugliese, 2012), qui faisait état d’un modèle bourgeois relevant de la demande de la domestique à temps complet.

Ces études ont toutefois laissé dans l’ombre tout un pan de la réalité migra- toire féminine, comme la place des femmes entrepreneures, ou encore les continuités existant entre situations migratoires et situations prostitutionnelles. Et, surtout, elles ont ignoré les études sur les femmes italiennes. Pendant les années 1990, les recherches sur les conditions socio-économiques des Italiennes ont attiré l’attention sur leur faible taux d’insertion sur le marché du travail et sur le fait que leurs formes d’identification avec le rôle domestique étaient fortement en crise (Groppi, 1996 ; D’Amelia, 1997). Toutefois, les chemins vers l’émanci- pation n’étant pas linéaires, les changements se sont organisés sous forme de syncrétismes combinant éléments traditionnels et nouveaux. En Italie, les taux de chômage élevés des femmes et le refus du travail domestique ont coexisté avec une forte valorisation du rôle maternel et de la sphère de la consommation (D’Amelia, 1997 ; Siebert, 1999 ; Oppo, Piccone et Signorelli, 2000).

Cette réalité contredit l’idée que l’arrivée des étrangères doit être mise en relation avec l’entrée des Italiennes dans le monde du travail extradomestique, confirmant la fonctionnalité des flux d’immigration par rapport à l’émancipation des femmes autochtones. En effet, l’immigration féminine en Italie interroge plutôt ladite « crise du patriarcat » et son analyse rejoint la question posée par Signorelli (2011 : 38) à savoir est-ce que « les femmes ne sont-elles pas entraî- nées dans un processus qui attribue de nouvelles fonctions et des significations diverses aux formes de domination et de soumission déjà connues ».

Les études qui ont porté leur regard en même temps sur les femmes italiennes et immigrées ont montré que les rapports qui s’instaurent entre étran- gères et Italiennes se construisent dans l’espace domestique, à l’intérieur d’une relation de genre qui crée une situation subalterne entre femmes appartenant à des cultures différentes (Miranda, 2002). Andall (2000) a mis en exergue que l’expérience migratoire des femmes cap-verdiennes, éthiopiennes, érythréennes et somaliennes arrivées en Italie entre les années 1970 à 1990 est liée au fait que les Italiennes, qui conservent entièrement leur rôle domestique, essayent de décharger une partie de leur travail sur les étrangères, ce qui permet de garder un certain équilibre social, notamment entre les sexes. En effet, l’arrivée et l’installation des immigrées ne découlent pas directement de la condition d’émancipation économique des Italiennes, mais de la constitution d’un marché du travail domestique englobant les rapports sociaux de sexe. En conséquence, le rôle économique recouvert par les immigrées ne peut pas être étudié en termes de « substitution » (comme l’on a fait pour les migrants travaillant dans les industries) ; il nécessite la révision des paradigmes interprétatifs androcen- trés. Le fonctionnement du marché du travail reproductif dépasse les théories classiques de la demande et de l’offre ou encore des coûts et des bénéfices ; au croisement tant des systèmes migratoires que des formes de ségrégation du marché du travail, il est structuré par les effets des réseaux d’appartenance et par les itinéraires migratoires individuels (Catanzaro et Colombo, 2009).

Les études réalisées sur les femmes immigrées ont également mis au premier plan l’enchevêtrement existant entre motivations et causes dans les

178 Déconstruire les paradigmes migratoires parcours migratoires. Toutefois, dans la plupart des cas, elles ont adopté une vision occidentalo-centrée. Ces recherches ont souligné comment les tempora- lités migratoires individuelles féminines sont reliées aux politiques migratoires12 mais, surtout, elles ont interprété l’expérience migratoire féminine comme étant différente de l’expérience masculine, liée à l’émergence de nouvelles aspira- tions, structurée par la recherche de l’autonomie et d’une réalisation person- nelle et professionnelle qui seraient refusées aux femmes dans leurs sociétés de départ. La volonté d’échapper aux violences des hommes, à la répudiation, au mariage forcé a été évoquée comme étant des facteurs décisifs pour appré- hender cette « culture du genre moderne » qui guiderait les immigrées vers des horizons plus égalitaires en terme de rapports sociaux de sexe. Cette lecture des migrations, qui établit que le choix opéré par les femmes est déterminé par une logique non économique, met en avant leur rôle culturel. Les migrantes sont habituellement décrites comme étant les « médiatrices entre les cultures » (Favaro et Tognetti Bordogna, 1991), les « vraies protagonistes d’une adaptation silencieuse et lente » (Mariti, 2003), comme « l’élément qui régule le processus d’intégration de la communauté » (Raffaele, 1992) ou encore comme celles qui contribueraient à la « création d’une société multiethnique » (Caritas/Migrantes, 2003). Dans cette perspective d’étude, l’appartenance de sexe se réduit à une sorte de variable qui prédispose, guide et détermine les comportements et attitudes migratoires des femmes.

« La femme immigrée » est ainsi transformée en un indicateur culturel qui informe – à travers les taux de scolarisation et de fécondité, l’insertion dans le monde du travail – du niveau d’émancipation du groupe social d’origine. Vue comme une « médiatrice » entre les cultures et les générations, le rôle de la femme migrante est inscrit dans les processus d’intégration à l’intérieur de la société d’arrivée. Cette vision essentialise l’appartenance culturelle qui, souvent réduite à la dimension religieuse, est évoquée comme l’élément explicatif des diversités entre femmes appartenant à des groupes nationaux différents13. La référence à une normativité « féminine » abstraite et universelle se constitue ainsi comme le support d’une pensée scientifique conformiste. Cette vision utilise l’appartenance de genre, établit dissimilitudes et similitudes entre femmes en provenance d’horizons culturels et économiques différents, et s’arti- cule sur une opposition tradition/modernité = asservissement/émancipation des femmes (Miranda, 2008). Dans ce contexte, le concept de genre perd la force épistémologique qui a caractérisé les prémices de son usage pour, au contraire, soutenir une vision assimilationniste et définir les diverses actions menées auprès des migrantes par des institutions et des organismes qui souvent conti- nuent à utiliser une vision androcentrée.

12 L’arrivée des migrantes a été favorisée par des régularisations qui dérogent au principe de fermeture des frontières nationales. Malgré la logique sécuritaire affichée en Italie, notamment depuis la loi Bossi-Fini (2001), en 2002 et en 2009, l’État a ouvert deux régularisations destinées notamment aux femmes employées comme badanti ou colla- boratrici domestiche. 13 C’est ainsi des groupes nationaux profondément différents (les Polonaises et les Philippines par exemple) qui sont agrégés ; leurs parcours migratoires sont vus comme étant guidés par une même logique individuelle en opposition à celle des femmes en provenance du Maroc.

179 Adelina Miranda

Une représentation persistante androcentrée

L’actuelle présence d’étrangères en Italie et d’Italiennes à l’étranger soulève une série de questions à la fois sur les logiques du départ des femmes, sur l’inci- dence du taux de scolarisation, de la maternité et du travail sur leurs parcours migratoires. Ces interrogations essayent d’appréhender la question migratoire à travers une vision généralisante, qui fait référence à une catégorie abstraite de « femme migrante » laquelle ne reflète pas les situations variables tant dans l’espace que dans le temps et n’interroge pas la difficulté à trouver une ligne explicative unique pour éclairer les itinéraires des femmes.

Les recherches sur les différents groupes nationaux migrants ont confirmé cette hétérogénéité à différents niveaux. En premier lieu, elles ont démontré que même lorsque les femmes partent avec les hommes, leur rôle ne se réduit pas à celui de simples accompagnatrices. En deuxième lieu, elles ont constaté que la prise en compte de la religion comme variable indépendante occulte les enjeux liés à l’appartenance sociale, au statut matrimonial, au nombre d’enfants, à l’âge (Schmidt et Saint-Blancat, 1998 ; Macioti, 2000 ; Campani, 2000 ; Giacalone, 2002). En troisième lieu, un regard sur la longue durée a permis de mieux saisir les variations des dynamiques migratoires dans et entre les groupes (Vlase, 2006 ; Perra et Pilati, 2008 ; Pagnotta, 2012). Ainsi, les recherches sur les Italiennes en Suisse, en France, en Australie, en Argentine ont brossé un tableau qui restitue la complexité des situations, selon les échelles d’analyse adoptées (individuelle, familiale, collective)14. Ce cadre d’étude a par ailleurs été complexifié par la reprise des migrations italiennes internes et internationales qui ont souligné l’émergence de nouveaux modèles qui intéressent notamment des femmes célibataires avec un niveau d’études supérieur (Todisco et al., 2004 ; Pilato, 2011).

Bien que la mise en perspective des diverses situations migratoires féminines, dans le passé et dans le présent, montre une hétérogénéité des parcours et de l’expérience migratoire, la plupart des recherches continuent à utiliser une série d’indicateurs statistiques découlant d’une certaine vision androcentrée, comme le montre l’usage du sexe ratio. Celui-ci met en relation la participation des femmes aux flux migratoires avec celle des hommes sans tenir compte de l’action structurante des logiques de genre dans les stratifications sociales, de l’importance du rôle des femmes qui restent sur le lieu d’origine et de la présence significative des femmes dans les flux migratoires du passé.

Selon les inscriptions à l’AIRE (le registre des Italiens résidant à l’étranger) en 2014, le nombre de femmes vivant à l’étranger possédant la nationalité italienne était de 2 312 309, c’est-à-dire le 48 % des 4 811 163 Italien·ne·s. Les « Italiennes de passeport » sont installées notamment en Argentine, en Allemagne, en Suisse, en France et au Brésil (Fondazione Migrantes, 2016) et elles se répartissent différemment selon les régions d’origine et les temporalités des migrations. Le taux de participation des femmes aux émigrations est donc

14 La littérature est désormais abondante. Voir parmi d’autres, Allemann-Ghionda et Meyer-Sabino (1992) ; Marengo (1993) ; Iacovetta (1993) ; Vasta (1993) ; Niccolai (2004) ; Fibbi, Bolzman et Vial (1999) ; Gandolfo (1990) ; Grandi (2001) ; Bruno (2009) ; Arru et Ramella (2008) ; Rosa (2013) ; Borruso (2017).

180 Déconstruire les paradigmes migratoires variable, mais il continue à être vu comme étant capable d’informer sur les typologies migratoires masculines15. Et cela malgré les recherches qualitatives qui soulignent que cet indicateur cache des réalités complexes et que, pour saisir la place occupée par les femmes dans les chaînes migratoires, il faut examiner les contextes économiques tant locaux qu’internationaux, le fonctionnement de la famille et du couple, ainsi que les politiques migratoires des pays de départ et d’arrivée.

Par exemple, selon les recensements français, les Italiennes représentaient plus du 40 % en 1901 et 56 % en 1975. Ces données confirment que la présence des femmes est liée au projet de stabilisation de la famille, mais une analyse plus approfondie montre que le départ des femmes n’a pas toujours été un « rendez-vous postdaté » avec les hommes. En effet, s’il est vrai que la présence féminine italienne est devenue plus visible avec l’arrivée définitive de toute la famille, de nombreux réseaux migratoires étaient composés exclusivement de femmes qui partaient comme ouvrières (Corazza, 1995) et surtout comme domestiques, nourrices ou bonnes à tout faire16. Par ailleurs, la stabilisation des familles a croisé les parcours des hommes qui continuaient à pratiquer des allers-retours. Des courants migratoires anciens (notamment en provenance du nord de l’Italie) se stabilisaient en se superposant aux nouveaux (notamment en provenance du sud du pays) où les hommes continuaient à faire les allers- retours (Miranda, 2001 ; Sirna, 2005).

S’agissant des immigrations, les recherches ont d’emblée souligné un taux de présence élevé des femmes. Ce constat a été confirmé en 2015 : les femmes étrangères étaient presque aussi nombreuses que les hommes (49 % des 5 026 153 étrangers) (IDOS, 2016). Toutefois, leur présence se distribue différemment selon les nationalités. Les groupes marocain, albanais et roumain (parmi les plus nombreux en Italie) sont plus masculinisés que les groupes ukrainien, polonais, brésilien et moldave, qui sont plus féminisés. Une analyse diachronique montre en outre qu’au cours des trente dernières années nous avons assisté à une substitution et à une superposition entre et dans les flux migratoires féminins en Italie (Miranda, 2012). D’un côté, des groupes féminisés se sont masculinisés, comme dans le cas des Philippines. Au cours des années 1970, les immigrées qui sont arrivées en Italie étaient surtout célibataires et à la recherche d’une certaine autonomie ; pendant les années 1980, on observe l’arrivée de femmes mariées qui sont ensuite rejointes par les hommes. De l’autre côté, de nouveaux groupes nationaux composés notamment par des femmes se substituent à d’autres groupes migratoires féminisés. C’est le cas notamment des flux migratoires en provenance des ex-pays communistes. Ce processus de substitution entre les différents groupes féminins étrangers est la conséquence des politiques immigratoires italiennes qui cherchent à répondre aux besoins d’une société vieillissante. La gestion des décrets des flux migra-

15 Dans un passé récent, en partant du présupposé que les femmes suivent les hommes, on a calculé la quantité d’émigration définitive lorsque les femmes partaient et on a attribué le nombre de départs restant aux séjours temporaires pendulaires des hommes (De Clementi, 2011). 16 En 1901, plus de 90 % des femmes italiennes étaient recensées comme « bonnes à tout faire ». Corti (1996) signale que déjà à la fin du XIXe siècle, environ 140 000 Italiennes étaient employées de maison, bonnes de chambres ou domestiques dans les régions de la Savoie et de la Côte d’Azur.

181 Adelina Miranda

toires a permis le remplacement de la main d’ouvre féminine dans les secteurs du travail du care où le taux d’occupation parmi les femmes appartenant aux groupes plus féminisés resté très élevé. Cette condition, liée aux situations économique et politique des sociétés de départ et d’arrivée, a été utilisée pour élaborer une catégorisation qui oppose les « femmes seules » aux femmes « accompagnatrices » : les premières sont décrites comme étant des « actrices » de leur destin ; les secondes comme étant soumises au projet des leurs maris.

Les articulations entre transnational et local

L’adoption d’une approche transnationale a contribué à mieux saisir la place des femmes migrantes. Cette perspective examine les continuités entre lieux de départ et d’arrivée et dépasse la représentation de la migrante comme l’élément principal dans la transmission des traditions. En partant des études sur l’expérience maternelle transnationale, les recherches ont confirmé que, dans la plupart de cas, les migrantes gardent leurs responsabilités familiales et apprennent à agencer la distance physique et affective avec leurs enfants. Avec le départ, les formes de conciliation entre les responsabilités familiales et profes- sionnelles changent : l’échelle spatiale se dilate et les liens s’agencent autour de temporalités différentes. Les (encore trop rares) études sur les migrantes de retour et sur les migrantes âgées confirment la variabilité des configurations familiales à travers le temps et que les projets migratoires individuels entrent en résonance avec différentes recompositions familiales. Les formes de regroupe- ment aménagées par ces mères conduisent en effet à des typologies diverses de famille transnationale (Balsamo, 1997 ; Salih, 2000 ; Decimo, 2005 ; Ambrosini, 2009 ; Bonizzoni, 2007 ; Baggio, 2012).

Les recherches sur les émigrations réalisées dans cette même perspective ont démontré l’importance de l’approche comparative (Gabaccia, 1998) et, surtout, elles ont relativisé le poids du présent en corroborant le fait que les comportements transnationaux des migrantes ne sont pas nouveaux (Luconi et Varricchio, 2015). Les études réalisées à travers cette perspective ont mis en évidence que déjà dans le passé la constitution des champs migratoires inter- nationaux a déterminé la plurilocalisation des membres des familles et que ce processus a généré de constants processus de délocalisation/relocalisation des relations affectives. L’approche transnationale a considéré les ajustements qui se sont créés entre ceux/celles qui partaient et ceux/celles qui restaient dépassant ainsi la vision cyclique de l’intégration (Gabaccia et Iacovetta, 2002). Ces travaux ont de ce fait contribué à repenser les paradigmes interprétatifs dont nous disposons en soulignant qu’il faut considérer la complexité des conjonctions et des disjonctions qui se créent entre et au-delà des cadres nationaux, mais également entre les localismes.

Les études menées dans une perspective localisée sont très répandues dans le cadre italien. Elles sont une conséquence des politiques migratoires italiennes régionalisées, mais elles s’ancrent dans une tradition historique et anthropo- logique qui a porté son regard sur les dynamiques migratoires inscrites dans les réseaux des « compaesani », des personnes originaires d’un même village d’origine. L’introduction de cette dernière échelle interroge les contextes de production du savoir et permet de dépasser les limites du nationalisme métho-

182 Déconstruire les paradigmes migratoires dologique qui consiste à comprendre le monde social en prenant l’État-nation pour unité d’analyse.

L’attention consacrée aux petites échelles d’analyse montre que les migrantes jouent un rôle fondamental dans la recomposition des localités économiques et des ancrages affectifs, insérées dans les configurations transnationales. Ces femmes entretiennent les maisons familiales qui, au-delà des usages pério- diques plus ou moins réguliers, recouvrent une valeur symbolique autour de laquelle se fixe la mémoire migratoire familiale. Une approche localisée permet en outre de connaître quelle femme part, quelle expérience sociale et culturelle accompagne son parcours, mais également les contextes dans lesquels cette expérience se situe. De ce fait, elle offre un cadre d’analyse pour mieux saisir les logiques de genre et considérer en même temps les structures politiques, économiques et culturelles.

L’enjeu des rapports sociaux de pouvoir

Comme nous l’avons vu, les études sur les femmes immigrées en Italie ont pris en compte les similitudes et les différences existant entre les femmes migrantes et non migrantes ainsi qu’entre les femmes migrantes. Cette focale a contribué à déplacer le regard scientifique du profil migratoire individuel et/ou du groupe d’appartenance des migrantes aux articulations existant entre genre, ethnie et classe (Colombo, 2003 ; Nare, 2013). Les recherches menées à travers cette optique ont conduit à désencastrer les migrations des rapports de parenté et à déconstruire les essentialismes élaborés autour de la figure de la migrante. En déplaçant l’attention vers les structures sociales, politiques et culturelles, il apparaît que les conditions qui déterminent le départ et le devenir des migrantes varient selon les positions de force occupées dans l’espace migratoire. Cette perspective conduit vers l’étude des intersections entre le genre et les migra- tions, et vers l’étude de la force agissante des hiérarchies de pouvoir et de subalternité. Schmoll (2017), à partir de recherches menées sur les demandeuses d’asile, a montré que l’intersectionnalité permet de décrypter les perceptions, les pratiques et les comportements sociaux au regard des positions des migrantes dans la stratification sociale. Les migrations entrainent une reconfiguration des positions sociales de genre, de race et de classe qui résultent tant des actions individuelles que des effets de structures et des processus sociaux (comme la division sexuelle et raciale du travail) sur les migrantes. De ce fait, les femmes s’accommodent des hiérarchies existant, parfois elles les déjouent en situant les relations dans un jeu d’échelles réversible qui brouillent frontières et appar- tenances ; ainsi, tandis que certaines peuvent œuvrer pour la reproduction de hiérarchies traditionnelles, d’autres peuvent provoquer des ruptures.

En même temps, la perspective intersectionnelle a mis en relief les articu- lations existant entre racisme17, sexisme et différentes formes d’oppression des femmes immigrées et a offert l’occasion aux féministes italiennes de resituer leur action. Après de longues années pendant lesquelles les associa-

17 Désormais, depuis les années 1980, le discours raciste s’est de plus en plus banalisé. Comme l’a bien remarqué Tabet (1997), l’arrivée des migrant·e·s a fait sortir l’Italie de la négation de son passée négationniste.

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tions des immigrées et des Italiennes se sont ignorées (Campani, 2011), nous assistons à l’émergence d’un mouvement qui interroge les interactions entre femmes en termes de race, d’ethnicité et de classe dans ses formes globales (Pojmann, 2006). Dans cette optique, les espaces de recherche prennent un sens politique. Ce positionnement est revendiqué par un certain nombre de jeunes chercheures18 qui soulignent que les discours sexualisés et genderisés sont essentiels dans la construction des processus d’ethnicisation ; mieux, ils sont le support d’une politique qui utilise les migrations comme une stratégie de pouvoir (Bonfiglioli, 2012), car pour interpréter l’expérience migratoire, il ne s’agit pas de saisir seulement les difficultés vécues au niveau individuel, mais de comprendre comment lors des processus d’intégration opère la « color of skin » (Curti, 2007).

La critique de la pensée occidentale élaborée sur l’androcentrisme, l’hété- rosexualité et l’ethnocentrisme genré passe à travers l’étude des articulations existant entre colonisations et migrations. L’article de Le Houérou publié dans ce dossier permet de comprendre comment le retour sur des sources historiques à travers une optique de genre dévoile des perspectives d’analyse inédites. La relecture de l’expérience coloniale est d’autant plus importante, car, comme le souligne Marchetti (2014), elle structure l’expérience migratoire des femmes, comme le montre le cas des Érythréennes. La situation migratoire reproduit les mécanismes de construction d’altérité dans l’intimité et crée la figure de la « postcolonial migrant domestic worker ». Le modèle actuel de la servitude est calqué sur celui de l’époque coloniale et, de ce fait, dans la construction des frontières entre migrantes et non migrantes, les rapports de domination coloniaux qui se réactivent passent tout d’abord par le corps des femmes et par leur utilisation dans le travail domestique. Une telle perspective reconnaît non seulement la valeur heuristique de l’étude de la pluralité des « points de vue » sur la réalité, mais, surtout, elle offre les bases pour comprendre les mondes différents dans lesquelles les sujets évoluent et donnent sens à leur positionne- ment dans les structures du pouvoir.

L’adoption d’une démarche féministe transnationale dans une perspective postcoloniale pose la question des différences et des inégalités pour développer un espace épistémique qui interroge l’universel afin de repenser les divisions et les hiérarchies de l’ordre social en termes d’intersectionnalité. En analysant l’« usage culturel » que les autochtones font de la figure des migrants qui traversent la Méditerranée à destination de l’Italie, j’ai pu remarquer qu’il est important d’adopter une démarche réflexive qui conduit à tenir compte tant de la manière de lire la présence de nouveaux migrants que de la manière qu’ont les Italiens de relier le phénomène migratoire à l’histoire nationale. La figure d’un homme arrivant seul, fuyant la guerre et les conflits (image contrastant avec la longue présence féminine étrangère en Italie) est devenue centrale dans cette élaboration des migrations qui fait désormais référence aux appartenances raciales. Les frontières sémantiques élaborées entre les Italiens et les « autres »

18 Voir le site du mouvement « Non una di meno » et notamment l’atelier « Femminismo Migrante » (https://nonunadimeno.wordpress.com/2017/02/08/tavolo- femminismo-migrante/) et le cycle de conférences « Cartografie Subalterne: sguardi postcoloniali su confini, conflitti e traiettorie insorgenti » (https://www.youtube.com/ watch?v=f8hcZxBozqs).

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évoquent l’imbrication genre/race élaborée autour de l’image du migrant homme/noir/sans-travail (Miranda, 2018).

En suivant ces travaux, il s’agit de poser la question des différences et des inégalités pour développer un espace épistémique qui contribue à l’émergence de nouveaux lieux de production des savoirs. En étudiant les actions menées par les membres des associations et des mouvements de Palerme et Vérone (Palermo Lesbicissima, Casa di Ramia, l’Italia sono anch’io, les Gaysprides), Alga (2015) a adopté une démarche ethnographique « postexotique » remettant en cause les formes de hiérarchisation des savoirs. Le nœud épistémologique d’un tel regard réflexif revendique, d’une part, une révision profonde des pratiques de terrain (afin de relativiser le point de vue scientifique en l’ouvrant à la confron- tation avec d’autres points de vue) et, d’autre part, il interroge l’universel pour repenser les divisions et les hiérarchies de l’ordre social afin de contribuer à la redéfinition de la géopolitique de la connaissance et d’un espace épistémique mondialisé.

Conclusions

Les recherches sur les émigrées et les immigrées italiennes ont évolué dans le même espace épistémique, elles ont posé les mêmes questions et apporté des réponses complémentaires qui permettent d’avancer dans les études genre- migrations à partir de trois constats. Le premier est que la complexification des flux migratoires est un processus en devenir, lié à une superposition constante des modalités migratoires genrées ; le deuxième fait apparaître que les struc- tures de pouvoir impliquent toutes les femmes, migrantes et non migrantes ; le troisième souligne que les différences et les similitudes ne s’inscrivent pas dans des oppositions binaires (migrantes actuelles/du passé, migrante/non migrante). Ces travaux montrent l’insuffisance des modèles explicatifs classiques et mettent en évidence que l’étude des migrations doit prendre en compte d’une manière simultanée la mobilité et l’immobilité, les forces centrifuges et centri- pètes, les structures économiques et culturelles, les dimensions administratives et politiques.

En outre, une lecture conjointe des situations des immigrées et des émigrées défie les logiques évolutionnistes rendant difficile la formulation de généralisa- tions ; elle montre l’insuffisance du concept de « femme migrante » et elle porte à considérer la diversité des situations migratoires comme étant structurée par la multidimensionnalité des interconnexions existant entre les phénomènes migratoires et les logiques de genre. De ce fait, ces études ouvrent une série de questions auxquelles seule une approche comparative peut donner une réponse. L’exercice réflexif croisé que j’ai proposé dans cette contribution vise à saisir la dimension genrée comme étant consubstantielle à la construction du savoir sur les migrations. En même temps, cette réflexivité théorique et métho- dologique développée autour de la problématique des questions genre et migra- tions en Italie doit se poursuivre afin de contribuer à produire une critique des paradigmes interprétatifs des sciences sociales et à reconsidérer les rapports d’hégémonie et de subordination dans la production du savoir.

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192 Résumé - Abstract - Resumen

Adelina Miranda Déconstruire les paradigmes migratoires à travers les études sur les émigrations et les immigrations des femmes en Italie

Les recherches sur les émigrées et les immigrées italiennes ont évolué dans le même espace épistémique, elles ont posé les mêmes questions et apporté des réponses complémentaires qui permettent d’avancer dans les études genre- migrations à partir de trois constats. Le premier est que la complexification des flux migratoires est un processus en devenir, lié à une superposition constante des modalités migratoires genrées ; le deuxième fait apparaître que les struc- tures de pouvoir impliquent toutes les femmes, migrantes et non migrantes ; le troisième souligne que les différences et les similitudes ne s’inscrivent pas dans des oppositions binaires (migrantes actuelles/du passé, migrante/non migrante). La réflexivité théorique et méthodologique développée autour de la probléma- tique des questions genre et migrations en Italie permet de saisir la dimension genrée comme étant consubstantielle à la construction du savoir sur les migra- tions. Ces travaux montrent l’insuffisance des modèles explicatifs classiques et mettent en évidence que l’étude des migrations doit prendre en compte d’une manière simultanée la mobilité et l’immobilité, les forces centrifuges et centri- pètes, les structures économiques et culturelles, les dimensions administratives et politiques.

Deconstructing Migration Paradigms through tudies on Female Emigration and Immigration in Italy

Research on Italian emigrants and immigrants women has evolved in the same epistemic space; they have asked the same questions and provided comple- mentary answers that allow progress in gender-migration studies around three observations. The first is that the complexity of migration flows is a developing process, linked to a constant superposition of gendered migration patterns; the second shows that power structures involve all women, both migrant and non- migrant; the third emphasizes that differences and similarities are not binary opposites (current/past migrants, migrant/non-migrant). The theoretical and methodological reflexivity developed around the issue of gender and migration issues in Italy makes it possible to grasp the gender dimension as being consubstantial to the construction of knowledge on migration. This work shows the inadequacy of traditional explanatory models and highlights that the study of migration must simultaneously take into account mobility and immobility, centrifugal and centripetal forces, economic and cultural structures, administra- tive and political dimensions.

193 Résumé - Abstract - Resumen

Deconstruyendo los paradigmas de la migración a través de estudios sobre la emigración y la inmigración femenina en Italia

La investigación sobre las emigrantes e inmigrantes italianas ha evolucionado en el mismo espacio epistémico, ha hecho las mismas preguntas y ha propor- cionado respuestas complementarias que permite avanzar en los estudios sobre la migración de género basados en tres observaciones. La primera es que la complejidad de los flujos migratorios es un proceso en desarrollo, vinculado a una superposición constante de patrones de migración de género; la segunda muestra que las estructuras de poder involucran a todas las mujeres, tanto migrantes como no migrantes; la tercera enfatiza que las diferencias y las similitudes no son binarias opuestas (migrantes actuales/pasados, migrantes/ no migrantes). La reflexividad teórica y metodológica desarrollada en torno a la cuestión del género y la migración en Italia permite entender la dimensión de género como consustancial a la construcción del conocimiento sobre la migración. Este trabajo muestra la insuficiencia de los modelos explicativos tradicionales y destaca que el estudio de la migración debe tener en cuenta simultáneamente la movilidad y la inmovilidad, las fuerzas centrífugas y centrí- petas, las estructuras económicas y culturales y las dimensiones administrativas y políticas.

194 REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 195-209

Note de recherche

Quitter le Mezzogiorno : parcours d’enracinement des Italiens en Provence et dans le Nord-Ouest de l’Italie entre 1945 et 1970 Anna Badino1

Dans cette note, nous exposerons les premiers résultats d’une recherche en cours sur les Italiens qui ont quitté le Mezzogiorno entre 1945 et les années 1960 pour s’installer à Marseille et à Turin2. Nous comparerons un flux migratoire international avec un flux migratoire interne, en portant une attention particu- lière aux parcours scolaires et sociaux des immigrés de secondes générations.

Dans le panorama des études migratoires, les migrations internes ne sont pas toujours considérées comme des migrations car il n’y a pas de frontières à traverser, pas de changement de statut juridique dans le lieu d’arrivée et en outre il y a le partage d’appartenance nationale avec les non immigrés3. Pourtant, même en l’absence de ces obstacles à l’intégration, le fait de se déplacer d’un contexte géographique et social à un autre se traduit, dans les lieux d’arrivée, par la construction de certaines différences entre les nouveaux venus et les habitants (Elias et Scotson, 1965) qui peuvent se reproduire au fil des généra- tions. La finalité de la comparaison que nous proposons entre les flux des migra- tions nationales et internationales est de vérifier l’existence de persistances qui seraient indépendantes du fait de traverser ou non des frontières nationales. En choisissant d’adopter cette approche théorique, nous nous inspirons d’une tradition de recherches qui insiste sur l’importance de considérer la migration avant tout comme un processus d’intégration qui se traduit, pour les migrants, par la réorganisation de leurs relations sociales et la construction de nouvelles

1 Historienne, Chercheuse post-doctorante, Université de Florence, Via San Gallo 10, 50129 Florence, Italie ; [email protected] 2 L’enquête sur Marseille a été réalisée entre 2015 et 2017 grâce à trois bourses de recherche : Edith Saurer Fonds, Fernand Braudel et EURIAS/IMéRA. Elle a été conçue comme la suite d’une recherche réalisée précédemment à Turin dans le cadre d’un projet collectif, dont le titre est : Secondgen. Second generations: migration processes and mechanisms of integration among foreigners and Italians (1950-2010). Le projet a impliqué des chercheurs des universités du Piémont Oriental et de Turin. Il a été coordonné par Michael Eve, Franco Ramella et Paola Corti. 3 En France les études sur les migrations internes après 1945 sont très limitées si on les compare aux nombreuses recherches sur les flux provenant de l’étranger. En Italie on a une saison d’études assez riche consacrée aux grandes migrations internes du Sud vers le Nord du pays (Ramella, 2012).

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relations dans les sociétés d’arrivée (Eve, 2010 ; Arru et al., 2001 ; Portes et al., 2007). Cette approche ne se focalise pas sur l’analyse des aspects culturels mais se concentre notamment sur l’importance des réseaux sociaux des migrants. C’est pour cette raison que nous n’analyserons pas les spécificités historiques, économiques, sociales et culturelles des différentes régions du Sud de l’Italie d’où partent les migrants qui s’installent à Marseille et à Turin. Notre regard se portera sur les interactions des migrants avec la société locale à leur arrivée et donc sur les effets qui se produisent à ce niveau. Comme nous le verrons dans le cas de Marseille, les réseaux des parents et leurs choix résidentiels semblent conditionner également les parcours scolaires et professionnels des enfants. Tous les immigrés de première génération que nous avons rencontrés à Turin comme à Marseille quittent leur lieu d’origine avec des niveaux d’instruction bas (en général limités à quelques années d’école primaire) et dans leur lieu d’arrivée ils s’insèrent dans un milieu social de travailleurs manuels. Mais, au-delà de cette apparente homogénéité, certains plus que d’autres semblent mettre en œuvre des stratégies afin que leurs enfants poursuivent leurs études.

Deux migrations en parallèle : quelle comparaison possible ?

Depuis les années 1960, de nombreuses études sur l’immigration méridio- nale à Turin ont bien montré les difficultés d’insertion d’individus et de familles dans la société locale à différents niveaux (CRIS, 1962 ; Fofi, 1976 ; Negri, 1982). La première génération a dû faire face d’abord à une difficulté d’accès au logement (Badino, 2018b) et ensuite à un désavantage, par rapport aux travail- leurs piémontais, dans l’accès aux emplois ouvriers les plus qualifiés (Ramella, 2003). Ce désavantage semble avoir aussi affecté les parcours de la deuxième génération. Une précédente recherche, réalisée entre 2009 et 2012, a montré que les enfants de cette migration bénéficient d’une mobilité ascendante, sociale et professionnelle, qui reste limitée par rapport à celle qu’ont connue les enfants de la classe ouvrière originaire du Piémont : les positions professionnelles des enfants d’immigrants du Sud ne sont en fait pas très différentes de celles de leurs pères (ouvriers manuels), tandis qu’une plus grande partie des enfants d’ouvriers d’origine piémontaise ont eu accès au travail non manuel (Badino, 2012). À partir des résultats de ces recherches, nous nous sommes interrogée sur les parcours et les destins de ceux qui, dans les mêmes années 1950 et 1960, ont choisi de quitter le Mezzogiorno pour s’installer à Marseille, l’une des principales destinations de l’émigration italienne dès ses débuts.

La vague migratoire provenant du Mezzogiorno et à destination de la France durant les Trente Glorieuses est le dernier grand flux de main-d’œuvre de basse qualification en provenance de l’Italie qui a eu lieu. Cette vague présente des caractéristiques sociodémographiques très semblables aux vagues migratoires qui sont parties des mêmes régions pour se rendre à Turin au cours des années du grand essor économique du triangle industriel Turin-Milan-Gênes (1950-1970).

Une étude réalisée à Marseille (Jordi et al., 1991) souligne que les membres de ces familles italiennes ne savaient ni lire ni écrire le français, mais le plus souvent ils ne lisaient ni n’écrivaient non plus l’italien et ils ne s’exprimaient qu’avec leur propre dialecte, ce qui rendait le processus d’intégration plus ardu.

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Cette situation ouvre des questions qui sont au cœur de notre recherche : quelles sont les modalités d’insertion dans la société marseillaise vécues par les adultes et leurs enfants ? Dans quels milieux sociaux s’enracinent-ils et avec quelles conséquences (Portes et al., 2007) ?

Dans l’opinion commune, l’immigration italienne est perçue comme un exemple de réussite ; toutefois Blanc-Chaléard invite à reconsidérer cette image. Les exemples de réussite économique restent rares et sont surtout liés à la création d’entreprises familiales ; ils « ne doivent pas masquer une intégration beaucoup plus modeste, qui fait des anciens Italiens et de leurs enfants soit des prolétaires sortis de la précarité (salaires meilleurs, assurances sociales, petit confort individuel), soit des ouvriers qualifiés » (Blanc-Chaléard et Bechelloni, 2003 : 20). Cette invitation à la prudence est cohérente avec le tableau qui se dessine actuellement dans notre recherche sur les familles d’origine méridio- nale à Marseille. Comme nous le verrons, l’analyse des parcours individuels et familiaux révèle les difficultés d’une insertion dans le système scolaire, dans les quartiers de résidence et dans le monde du travail.

En ce qui concerne Marseille, on ne dispose pas d’autant d’études que pour la migration sud-nord à l’intérieur de l’Italie. En 2003, dans le volume qu’elle a dirigé sur l’immigration italienne en France après 1945, Blanc-Chaléard a souligné l’absence de recherches sur les vagues de Méridionaux italiens immigrés en France entre les années 1950 et 1970. Depuis, plusieurs études ont essayé de combler cette lacune4. Cette insuffisance de recherches, surtout historiques, se place dans le déclin plus général, en France, de l’intérêt pour les migrations intra-européennes au moment où nous assistons à un regain d’intérêt pour les migrations en provenance d’Afrique du Nord. Dans ce contexte, l’immigration transalpine semble devenir de plus en plus invisible (Lillo, 2014).

En ce qui concerne les sources historiques directes, nous sommes face à une disparité entre les cas de Marseille et de Turin. Pour la ville de Turin, nous avons eu recours à une source statistique particulièrement riche, l’Étude longitudinale turinoise (SLT), qui collecte les données nominatives des recen- sements de la population depuis 1971 ; elle a permis d’analyser le profil social des secondes générations d’immigrés du Mezzogiorno résidant dans la ville. Il a ainsi été possible de considérer les niveaux d’études des enfants d’immigrés et leurs positions sur le marché du travail par rapport aux enfants de Turinois et de Piémontais. Pour Marseille, nous ne disposons pas d’une source équiva- lente : les données quantitatives ne permettant pas de distinguer les immigrés italiens selon leurs différentes zones de provenance. Toutefois, les dossiers de naturalisation conservés dans les archives départementales des Bouches du Rhône5 peuvent nous aider à reconstruire les parcours des familles immigrées à Marseille. Ce type de documents, déjà amplement utilisé pour étudier les migra-

4 Parmi les principaux travaux, il faut signaler ceux de Sirna (2007) sur les immigrés de première génération à Marseille en provenance de Sicile et de Fassio (2014) pour le cas de Grenoble où même les secondes et troisièmes générations sont prises en consi- dération. Il faut aussi signaler le dossier coordonné par Gastaut (2012) dans Migrations Société et celui coordonné par Mourlane (2015) dans Archivio Storico dell’Emigrazione Italiana. 5 Il s’agit de dossiers qui ont comme date de clôture l’année 1965. La plupart ont été ouverts de nombreuses années auparavant et successivement mis à jour.

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tions en France jusqu’à la Seconde Guerre mondiale (Guerry, 2013) contient des informations sur les modalités d’arrivée des immigrés en France et les différents emplois exercés par les pères et les mères qui émigraient. De plus, ces dossiers contiennent des traces des relations personnelles sur lesquelles les immigrés se sont appuyés pour trouver un travail et un logement à partir de leur arrivée en France jusqu’au moment de la clôture de leur dossier de naturalisation. Il faut tenir compte des limites de cette source : elle concerne une population spécifique, ceux qui décident de demander la nationalité française. En plus des dossiers de naturalisation, la deuxième source que nous avons utilisée pour enquêter sur l’expérience des immigrés méridionaux à Marseille sont les récits de vie et les histoires familiales que nous avons recueillis entre 2015 et 2017, grâce à des entretiens avec des enfants d’immigrés nés entre 1952 et 1970 ainsi qu’avec quelques-uns de leurs parents arrivés en France lorsqu’ils étaient en âge de travailler6.

Parmi les principales questions abordées dans notre recherche, un rôle éminent est accordé aux parcours professionnels des parents immigrés, à l’attitude de ces derniers en ce qui concerne la scolarisation de leurs enfants, aux retombées que les choix résidentiels ont eus sur les destins des secondes générations en terme de fréquentations, d’aspirations et de choix scolaires. En adoptant une approche micro-analytique, qui a produit des résultats importants dans l’étude de la mobilité sociale dans la ville de Turin (Gribaudi, 1987), nous proposerons d’analyser les cas qui portent sur l’immigration à Marseille et qui ont des caractères communs avec les histoires des immigrés à Turin.

Parcours de pères pionniers entre constantes et spécificités

À Marseille, le modèle migratoire italien prévalent est le même qu’à Turin : les pionniers de la migration sont des hommes en âge de travailler, célibataires ou déjà mariés ; les femmes arrivent dans le cadre du regroupement familial. Dans les deux villes, les hommes mariés sont rejoints par leurs femmes et enfants après avoir trouvé un emploi et un logement. Les célibataires qui émigrent à Marseille épousent très souvent une fille dans leur village d’origine et l’amènent ensuite en France après les noces ; à Turin, où l’immigration du Sud est plus massive, il est plus facile pour un célibataire de trouver une épouse en ville, parmi les filles méridionales qui sont arrivées pour rejoindre un père ou un frère ou qui sont arrivées toutes seules.

Les itinéraires des jeunes hommes méridionaux qui arrivent à Turin en plein boom économique ont été analysés par Ramella (2003) qui a reconstruit la trame des relations tissées par les immigrés qui cherchaient un logement et un travail. Il est rare qu’un nouvel arrivé entre immédiatement dans la branche la plus recherchée du monde du travail turinois, à savoir la grande industrie fordiste. En général, il commence son parcours professionnel dans les secteurs les plus

6 Dans le cas de Turin, j’ai recueilli un corpus d’une cinquantaine d’interviews réalisées auprès de la première génération d’immigrés (surtout des femmes) et une quarantaine auprès d’individus de seconde génération nés entre les années 1950 et 1970. Dans le cas de la Provence, et de Marseille en particulier, j’ai jusqu’à présent recueilli trente-cinq interviews auprès d’individus de première et de seconde générations.

198 Quitter le Mezzogiorno précaires et les moins attractifs, comme le bâtiment ou les petits ateliers méca- niques qui produisent pour l’industrie automobile (à cette époque Fiat domine l’économie industrielle de la ville). Le parcours des migrants est néanmoins caractérisé par plusieurs changements de postes de travail dont l’objectif est de trouver la stabilité et l’amélioration des conditions salariales. Tout change- ment est rendu possible par l’enracinement progressif de l’immigré dans le tissu social : des nouvelles personnes qu’il connait peuvent ouvrir de nouvelles opportunités de travail.

Les itinéraires des Méridionaux qui débarquent en Provence durant ces années-là ne sont pas très différents. Qu’ils arrivent par les réseaux officiels ou informels, ils ont toujours l’ambition d’améliorer leurs conditions de travail. C’est le cas du père de Florence, une femme que nous avons rencontrée lors de notre recherche, qui est parti de la Calabre pour la France, en 1959, un an après avoir épousé une femme de son village d’origine. Arrivé à Marseille, il est accueilli par son cousin qui travaille comme maçon. Il ne reste pas longtemps dans la ville, car d’autres Calabrais originaires de son village lui trouvent un travail comme ouvrier agricole dans les campagnes autour d’Arles. Florence raconte que son père a successivement occupé différents postes de travail et qu’en 1966 il est embauché comme ouvrier dans une entreprise de menuiserie à Port-Saint-Louis, dans une zone industrielle qui à l’époque était en pleine expansion. Entre-temps, sa femme et sa première fille, née peu avant son départ, l’ont rejoint ; un second enfant, nait en 1961 et Florence en 1965. Avec l’entrée à l’usine, la condition matérielle de la famille s’améliore et notamment la qualité du logement : à Marseille la famille a habité dans un vieil édifice où il fallait partager les toilettes dans la cour avec les autres locataires tandis qu’à Port-Saint-Louis elle s’installe dans un logement social dont la construction s’achève à peine.

Il s’agit d’un exemple parmi d’autres qui émergent tant des histoires familiales que nous avons recueillies que du dépouillement des dossiers de naturalisation. Le père de Florence pourrait être un Calabrais immigré à Turin à cette même période : les réseaux sur lesquels le migrant s’appuie, la précarité du travail dans la phase initiale (plus ou moins longue) accompagnée par la précarité du logement, puis le passage à l’usine (qui signifie stabilité versus instabilité précédente) sont des éléments qui font partie de l’expérience masculine dans les deux migrations. Mais plus généralement, tous ces aspects semblent « constitutifs » de toute trajectoire migratoire et mettent en lumière les mécanismes sociaux de la migration de travail. Les deux contextes migratoires étudiés présentent, toutefois, des spécificités dont il faut tenir compte : entre les années 1950 et 1970, les tissus économiques de Turin et de Marseille sont diffé- rents et par conséquent, les débouchés professionnels sont différents pour ceux qui vivent dans ces deux contextes.

À partir des années 1950, Turin est devenue la capitale de la grande industrie fordiste italienne en pleine expansion ; la ville de Marseille, en revanche, sortie de la guerre avec une économie fragile, a du mal à se relever d’une crise des secteurs industriels traditionnels sur lesquels elle avait construit sa fortune dans les décennies précédentes. Le déclin avait déjà commencé avant le deuxième conflit mondial : les secteurs de l’huilerie, de la savonnerie et du textile ne connaissent pas la reprise espérée après la guerre ; en outre, le port perd progressivement son importance, supplanté par d’autres ports français

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et européens (Jordi et al., 1991). Toutefois, la ville et la région continuent à attirer des immigrés qui s’insèrent dans l’économie locale et trouvent un travail notamment dans le secteur du bâtiment. Ce n’est pas une nouveauté pour les immigrés italiens (Colin, 2001), mais, à ce moment-là, à Marseille les alterna- tives dans le monde du travail manuel salarié sont réduites. Le bâtiment est le seul secteur en expansion : à partir de 1954, nous assistons à une explosion de l’immobilier liée à une croissance démographique (Jordi et al., 1991 ; Roncayolo, 1996). Aux investissements privés dans le secteur immobilier, s’ajoute la construction de logements publics, pour faire face aux arrivées de population des ex-colonies et protectorats à partir du milieu des années 1950. Les immigrés d’Italie du Sud, à cette période, sont présents en général dans les secteurs du marché du travail local les moins recherchés par les Marseillais ; mais c’est le bâtiment qui représente une des principales ressources pour l’emploi dans la région : le maçon semble en effet être dans l’imaginaire collectif le protagoniste de l’immigration du Mezzogiorno à Marseille dans l’après-guerre (comme dans d’autres réalités françaises, voir Blanc-Chaléard et Milza, 1995).

Les différences concernant le marché du travail entre les deux villes ont des conséquences sur les destins des immigrés et de leurs enfants qu’il convient de commenter. Le bâtiment représente à Turin le secteur d’emplois dans lequel s’insèrent les nouveaux arrivants du Sud, dont le véritable objectif est d’accéder au travail dans la grande industrie. Les informations qui proviennent de ceux qui ont déjà émigré dans le triangle industriel arrivent rapidement au village et ceux qui partent ont l’idée d’accéder à un travail « honnête, propre et libre » (Piselli, 1975). Dans l’Italie méridionale de l’après-guerre, le travail est caractérisé par la discontinuité et l’incertitude ; le mirage de devenir ouvrier ou ouvrière, dans une grande usine fordiste est donc très attractif. Dans le cas de ceux qui arrivent à Marseille, cette aspiration ne semble pas présente de la même manière. Les dossiers de naturalisation que nous avons examinés confirment que dans la majorité des cas les réseaux d’information avec les membres de la famille ou des connaissances sont actifs et offrent aux hommes la possibilité de trouver rapidement un travail surtout dans le bâtiment. Dans ce monde professionnel, les exemples de réussite des immigrants d’Italie du Sud sont surtout représentés par des entrepreneurs du bâtiment qui recrutent des personnes issues de leur village d’origine. Cette situation suggère l’hypothèse (qu’il faudra approfondir et vérifier) que le projet migratoire de ceux qui partent vers la région de Marseille pour travailler dans le bâtiment tend vers un type de mobilité sociale très spéci- fique, fondé non tant sur l’acquisition de stabilité dans le travail salarié (typique de l’industrie fordiste), mais plutôt sur l’espoir de construire sa propre fortune grâce à un travail d’indépendant (Martini, 2016). En effet, le travail dans le secteur de la construction semble être le travail définitif de nombreuses personnes de la première génération d’immigrés dans la région de Marseille. Ceux qui tentent de devenir petit entrepreneur ne connaissent pas fréquemment le succès et si leurs affaires ne marchent pas, ils retournent travailler chez un compatriote également dans le secteur de la maçonnerie.

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Ouvriers et maçons : quels projets pour leurs enfants ?

Une donnée intéressante semble émerger des histoires familiales jusqu’ici recueillies à Marseille : la rareté de la transmission du métier de maçon de père en fils. Malheureusement, nous ne pouvons pas fonder cette observation sur des données quantitatives, mais uniquement sur ce qui émerge des témoi- gnages collectés. Si cette tendance était confirmée, elle ouvre des réflexions comparatives sur le cas de Turin. Comme nous l’avons déjà noté, dans la capitale du Piémont, beaucoup d’enfants d’immigrés méridionaux ouvriers ont suivi les traces de leurs pères en devenant eux-mêmes des ouvriers, tandis que les enfants d’ouvriers piémontais semblent essentiellement projetés vers des emplois non manuels (Ceravolo, et al., 2001 ; Badino, 2012).

Ceux qui ont des contacts avec des personnes appartenant à des milieux non ouvriers ont plus de probabilités d’élaborer des projets de mobilité sociale pour leurs enfants et de favoriser la sortie de ces derniers du monde du travail ouvrier. C’est ce qui émerge des entretiens que nous avons réalisés à Turin auprès d’un groupe d’enfants (hommes et femmes nés entre 1950 et 1965) d’ouvriers piémontais ; la plupart d’entre eux ont été poussés à continuer leurs études jusqu’à l’obtention d’un diplôme ouvrant l'accès à emploi non manuel dans le secteur tertiaire (Badino, 2018). La comparaison entre les stratégies des familles ouvrières piémontaises et celles originaires du Sud de l’Italie dans la ville de l’industrie automobile montre des différences significatives sur l’inves- tissement dans la scolarisation de leurs enfants qui contribuent à fournir une explication sur les différentes carrières scolaires : des formations de courte (et parfois très courte) durée dans le cas de la plupart des secondes générations d’ouvriers méridionaux7, plus ambitieuses au contraire chez leurs camarades d’origine piémontaise. Mais pour qu’un enfant poursuive ses études et sorte de la condition ouvrière, le choix du quartier de résidence et la sélection des fréquentations des enfants sont des facteurs essentiels/déterminants. À Turin, il n’est pas rare que les familles piémontaises abandonnent leurs habitations situées dans les vieux quartiers ouvriers lors de l’arrivée en masse des immigrés méridionaux pour aménager dans des immeubles ou des quartiers habités par une population plus aisée. Une seconde stratégie possible consiste à retirer les enfants de l’école publique qui, dans les années 1960, se remplit d’enfants provenant du Sud, et de les inscrire dans des écoles privées, jugées « plus tranquilles ». Le résultat de ces choix est que de nombreux enfants d’ouvriers piémontais grandissent et se socialisent dans des milieux où les enfants méri- dionaux sont pratiquement absents et où, en revanche, ils entrent en relation avec des enfants de la classe moyenne. Au contraire, les enfants de Méridionaux tendent à grandir dans des milieux plus homogènes du point de vue de l’origine

7 Parmi les enfants de Méridionaux, il est plus fréquent de quitter l’école à quatorze ans (âge auquel est fixée l’obligation scolaire en Italie) et parfois plus tôt, et d’entrer sur le marché du travail manuel. Cette tendance toutefois est moins fréquente chez les filles. Cet aspect très intéressant a un effet fondamental, car les filles ont été avantagées en termes de parcours scolaire ce qui a favorisé leurs accès à des postes d’employées (Badino, 2012).

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migratoire et ils ont peu de contacts avec des enfants d’autres classes sociales8.

Itinéraires résidentiels et parcours scolaires

L’attitude des parents immigrés en ce qui concerne la scolarité de leurs enfants est un argument plutôt complexe, qui demande de prendre en consi- dération l’articulation entre différents facteurs. Comme l’a bien montré Lahire (1995), il ne suffit pas de se limiter à mettre en cause les facteurs objectifs qui déterminent les trajectoires scolaires, comme la position socioprofessionnelle des parents, leur capital scolaire et linguistique ainsi que leur niveau écono- mique. Il est nécessaire de prendre en compte aussi les différences liées à la diversité des histoires familiales et les styles de vie qui peuvent varier à l’inté- rieur d’un même groupe social.

Les études sur l’école et les classes populaires en France fournissent de nombreux éléments d’analyse. Par exemple, Périer (2005 : 171) invite à accorder « une attention particulière […] à la manière dont une partie des familles popu- laires s’empare de l’enjeu scolaire et se mobilise afin que l’école soit le moyen de réaliser un projet et de construire un avenir ». Poullaouec (2010) nous rappelle qu’en France entre les années 1960 et 1970 a lieu une « révolution culturelle » dans l’attitude des familles ouvrières en ce qui concerne la scolarité des enfants : une partie toujours plus consistante de familles souhaite que ses propres enfants obtiennent le baccalauréat9. Dans les histoires familiales des immigrés de l’Italie du Sud que nous avons collectées à Marseille, des parents semblent suivre cette tendance générale de la classe ouvrière française, tandis que d’autres semblent plus éloignés de ce genre d’aspiration et laissent leurs enfants s’orienter vers un certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Il nous semble que pour interpréter ces différences, il est important d’évaluer les relations que les immigrés tissent avec les ouvriers marseillais et plus généralement avec les Français de différents milieux sociaux : c’est aussi à travers ces modèles que les parents élaborent pour leurs enfants des projets de mobilité sociale basés sur la scolarité.

Les différences qui caractérisent les trajectoires familiales semblent être liées aux réseaux de sociabilité tissés en ville. Marie-Thérèse, née en 1960 à Marseille de parents calabrais, passe ses quinze premières années dans la cité ouvrière de l’usine où travaille son père. Ce dernier est arrivé à Marseille en 1956 avec un contrat de bûcheron et il a travaillé à la déforestation des zones périurbaines où de nouveaux ensembles résidentiels ont été bâtis. Il épouse ensuite une Calabraise qui le rejoint à Marseille et après il commence à travailler dans une

8 Cette mixité limitée entre immigrés et « autochtones » est en partie témoignée par la rareté des mariages « mixtes » parmi les secondes générations : les données montrent que les enfants de Méridionaux tendent en majorité à épouser d’autres enfants de Méridionaux (Badino, 2012). 9 Poullaouec (2010) indique, sur la base de recherches de l’époque, le pourcentage de parents ouvriers qui, à partir de 1963, souhaitent que leurs enfants passent le baccalau- réat. En 1963, ils sont seulement 15 %. Le chiffre passe à 64 % en 1973, à 76 % en 1992, puis à 88 % en 2003. En ce qui concerne le système italien, nous pourrions rapprocher cet objectif scolaire du « diploma » que l’on obtient à la fin d’un cycle de cinq ans et qui n’est pas nécessairement finalisé à l’entrée dans le monde du travail, alors que le CAP français est plus proche des diplômes professionnels italiens qui s’obtiennent après un cycle de trois ans.

202 Quitter le Mezzogiorno usine qui produit des barres de fer. L’entreprise offre aux ouvriers et à leurs familles des appartements dans un ensemble de maisons de l’usine. Le couple s’y installe avec leur première fille Marie-Thérèse après une année passée dans une pièce avec salle de bains commune, louée chez un couple d’immigrés origi- naires du Nord de l’Italie. Dans la cité ouvrière, ils obtiennent un appartement au rez-de-chaussée qui, à la différence de tous les autres, possède une salle de bain. « Là ils nous ont donné un deux-pièces et un coin cuisine. On était pas mal. Oui, on était assez bien », raconte l’épouse interviewée. Dans cet appartement, deux autres filles naissent en 1962 et en 1963.

Marie-Thérèse raconte que beaucoup d’enfants de son âge et ses camarades de jeux de l’enfance avaient des parents immigrés d’origines diverses – surtout Espagnols et Portugais – et qu’aucun d’entre eux n’a poursuivi ses études au-delà de la scolarité obligatoire. Par exemple, un de ses meilleurs amis est sans travail et sa meilleure amie de l’époque est femme de ménage dans les hôpitaux. Elle et ses deux jeunes sœurs, au contraire, ont investi une scolarité plus longue qui leur a ouvert le chemin vers des emplois qualifiés : en 1983, Marie-Thérèse commence à travailler dans une société d’informatique comme programmatrice et elle est actuellement cadre dans une société du secteur des assurances ; sa sœur cadette est cadre dans le service des ressources humaines chez EDF et la plus jeune est orthophoniste et a ouvert son cabinet privé. C’est notre témoin elle-même qui suggère que le changement d’habitation et de quartier, qui a lieu en 1975, a été une étape cruciale dans leur parcours familial :

« Je pense que c’est parce qu’on a déménagé, qu’on n’est pas restées dans cette cité ouvrière, qu’on a été séparées [de nos camarades]. Je pense que c’est à cause du fait qu’on est allées dans des collèges différents de nos amis qu’on est allées un peu plus loin [dans nos études]. »

Mais comment s’opère ce déménagement ? Au début des années 1970, les parents achètent un petit terrain dans une zone de collines aux abords de la ville dans le 9e arrondissement de Marseille, à quelques kilomètres de la cité ouvrière, et ils y construisent « un peu à la fois » une maison individuelle. Ils empruntent sur trente ans et avec beaucoup d’efforts ils économisent pour construire leur maison. Dans ce nouveau quartier, habite déjà un couple d’amis originaires de Gênes, dont le mari est un artisan forgeron, ainsi que l’assistante sociale qui suivait la famille dans la cité ouvrière. Ce sont ces contacts qui ont été à l’origine du choix du quartier où ils achètent le terrain :

« Je dois beaucoup à cette dame [l’assistante sociale] », admet la mère. Elle habitait pas loin d’ici, c’est pour ça qu’on se trouve ici. Parce qu’en se fréquentant… après l’occasion s’est présentée… »

Le milieu social qui entoure la famille est différent de celui de la cité ouvrière, il est plus hétérogène et le rapport des trois sœurs à la société change radicale- ment : à partir de leur arrivée dans la nouvelle maison, elles y passent la plupart de leur temps. Mais pourquoi les parents de Marie-Thérèse accomplissent-ils ce pas et s’éloignent-ils du monde ouvrier dont ils faisaient partie ? Il n’est pas simple de donner une réponse, mais nous avons quelques indices. Après plusieurs années de travail à la fonderie, le père de Marie-Thérèse tente de changer d’emploi, profitant de la présence de son frère à Cavaillon qui réussit

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à le faire embaucher par une entreprise de briques réfractaires où il travaille. Malheureusement, les matériaux utilisés dans cette production provoquent chez lui des crises d’asthme et l’homme est obligé de démissionner presque tout de suite. Son ancienne entreprise ne le reprend pas, mais grâce à l’assis- tante sociale que nous avons déjà citée, il réussit à se faire embaucher comme magasinier dans une biscuiterie. Cette volonté de quitter l’usine et sa cité est le signe d’une aspiration à sortir d’un milieu où l’homme probablement se sentait à l’étroit. En outre, sa fille nous raconte que les amis de la famille qui fréquentent leur maison n’appartenaient pas au monde de la cité : « Mon père n’aimait pas fréquenter les voisins ». Le samedi et le dimanche, le père aidait sa femme dans les travaux domestiques ou emmenait ses filles au parc :

« C’était un peu rare parce que les autres pères ne le faisaient pas forcément. Je sais que les pères de mes copines pouvaient fréquenter les bars… Mon père n’y allait pas. Il était très famille. »

Ce genre de remarques indique que le type de socialité de la famille s’éloigne des modèles plus connus de socialité ouvrière de l’époque (Schwartz, 1990) ; elles rappellent les théories de Bott (1957) sur le lien entre ségrégation ou super- position des réseaux de relations des époux et le partage de la gestion familiale ainsi que des projets construits entre les membres du couple. Les rares indices que nous avons sur les fréquentations des parents de Marie-Thérèse suggèrent qu’il s’agit d’une famille ouvrière qui rappelle plus le modèle « home-centered » que celui « street-centered » (Eve, 2009). En fait, le choix des parents de changer de type de quartier a permis l’éloignement de leurs filles des enfants des autres ouvriers et leur a ouvert des horizons différents. Le collège fréquenté par Marie- Thérèse, qui décide d’étudier le latin, se trouve dans un quartier résidentiel du centre de Marseille ; au lycée, la jeune fille choisira une orientation littéraire dans le même établissement. Dans ce contexte scolaire, où il est normal de poursuivre ses études au-delà du baccalauréat, la plupart de ses camarades sont d’extraction bourgeoise et elle est la seule à provenir d’une cité ouvrière. Derrière le choix scolaire de Marie-Thérèse, nous retrouvons deux figures clés. La première est la mère qui pendant des années a travaillé comme femme de ménage. Elle raconte :

« Je me suis laissée conseiller par des personnes que je connaissais, ces personnes chez qui j’allais travailler, qui me disaient : “voilà, l’endroit est bien”, où alors “l’endroit n’est pas bien”. J’ai toujours eu ce désir que mes enfants soient cultivés. »

La deuxième figure est l’assistante sociale devenue une amie de la famille : « elle nous a ouvert un peu les yeux, quoi… » affirme la mère de Marie-Thérèse. Celle-ci confirme que c’est surtout cette femme qui a encouragé les trois filles à se projeter vers des parcours universitaires.

Nous pouvons rapprocher de ce cas que nous venons de décrire celui de la famille d’origine sicilienne de Jeannette et José, qui a une histoire résidentielle différente. Comme dans d’autres cas, le père émigre en premier : en 1953, à dix-sept ans, il est invité par un oncle à travailler avec lui comme maçon avec un contrat régulier. En 1958, pendant un séjour en Sicile, le jeune homme connait et épouse Marie, une fille de son village natal, sœur d’un de ses amis. Un mariage décidé rapidement, peu de temps après avoir fait connaissance. Les deux époux

204 Quitter le Mezzogiorno partent pour Marseille où ils sont initialement logés dans un appartement peuplé d’Italiens proche de celui de l’oncle entrepreneur dans le vieux quartier qui se trouve à gauche du Vieux-Port. La même année naît le premier enfant du couple. En 1966, la famille déménage dans le quartier central et populaire de la Belle de Mai, où s’installent traditionnellement les immigrés italiens. Le dernier fils du couple, José, né en 1963, se souvient que tous ses amis étaient des enfants d’Italiens avec qui il passait son temps à jouer sur la place centrale du quartier sur laquelle donnait l’appartement de la famille. La mère aussi se souvient d’un milieu où se tissaient beaucoup de relations entre personnes et familles d’origine italienne (certains étaient Siciliens et arrivaient de Tunisie) et où il suffisait de s’asseoir sur le balcon pour saluer les voisins et échanger quelques mots avec quelqu’un. Le couple fréquente notamment des Siciliens retrouvés à Marseille. Le mari travaille comme maçon salarié jusqu’à son départ anticipé à la retraite dû à un accident du travail à l’âge de cinquante ans, tandis que son épouse a d’abord travaillé comme couturière à domicile et ensuite comme vendeuse après la retraite anticipée de son mari. Le couple utilise ses économies pour acheter un appartement peu éloigné du premier, dans le même quartier, que la famille n’a plus quitté. C’est là que les quatre enfants ont grandi et ont été scolarisés, dans un milieu populaire et socialement homogène. La deuxième fille Jeannine, née en 1961, parle avec amertume de sa scolarité et elle n’hésite pas à décrire comme traumatisante son expérience à l’école primaire où elle avait du mal à suivre le rythme de ses camarades, enfants de Français, et se sentait peu suivie par les institutrices :

« C’est à partir de cela que j’ai décidé ne pas faire des longues études. J’ai compris que ça serait trop difficile pour moi. »

Sa scolarité a été courte avec l’objectif de rentrer rapidement sur le marché du travail. Jeannine parle de ses parents qui n’avaient aucune idée pour leur scolarisation future : « Mes parents ne comprenaient pas trop. Ils nous laissaient faire ». Après le collège, « ils ne savaient pas. C’étaient les profs qui nous conseil- laient ». Mais, comme elle le souligne, ils ne l’ont conseillé « pas toujours bien ».

Son frère José n’a pas de souvenirs aussi traumatisants de l’école, mais il admet qu’il n’a pas particulièrement aimé cette expérience. Il préférait jouer dans la rue avec les amis du quartier, un modèle de socialisation masculine qui rappelle beaucoup l’expérience de nombreux enfants de Méridionaux interviewés à Turin. Dans la ville piémontaise, les témoignages montrent que la socialisation des enfants à une culture de rue (Lepoutre, 1997) développe souvent des comportements antithétiques à la vie scolaire et s’en éloignent progressivement. Le monde du travail, qui à l’époque offrait à Turin beaucoup d’opportunités de travail manuel, était plus attractif qu’une école où l’on obtenait des résultats modestes, si ce n’était un échec10. Après le collège, José obtient un CAP de dessinateur mécanique. D’après les interviews réalisées avec ces deux enfants et leur mère il n’émerge aucune figure dans le réseau des relations fami- liales d’un milieu social différent que celui d’appartenance. Bien que leur père

10 L’insertion à l’école dans les villes de l’Italie du Nord est en fait difficile pour les enfants méridionaux qui émigrent pour suivre leurs parents. Les redoublements à l’école primaire étaient si fréquents qu’ils attiraient l’attention de sociologues et de pédagogues qui déjà à partir des années 1960 ont fait des études spécifiques pour comprendre ce phénomène.

205 Anna Badino

maçon n’ait jamais tenté d’introduire ses deux garçons dans le même secteur professionnel que le sien (« c’était trop dur », nous dit Jeannine), dans cette histoire familiale il ne semble pas y avoir un projet concret de sortie de l’univers ouvrier. Ce qui semble avoir manqué ce sont surtout des exemples de trajec- toires sociales différentes du milieu familial qui, comme on l’a vu, est entouré d’immigrés ayant des professions et des parcours très semblables.

Conclusion

Dans cet article, nous avons choisi de présenter quelques-uns des thèmes qui sont au centre de la comparaison entre migrations internes et internationales après la Deuxième Guerre mondiale. Il est vrai que les premières sont rarement comparées aux secondes et qu’elles constituent un thème à part qui n’est pas mis en dialogue avec les questions de l’immigration. Le fait d’avoir relevé des ressemblances entre les histoires migratoires indépendamment de la destina- tion (interne ou internationale) nous suggère que le processus migratoire a des caractéristiques spécifiques, mais également des régularités qui restent encore à approfondir.

Notre étude à Turin montre que de nombreux facteurs déterminent la stratifi- cation sociale et la position qu’y occupent les secondes générations, mais qu’un facteur, peut-être parmi les plus importants, concerne les réseaux dans lesquels les parents et leurs enfants sont insérés. Les milieux sociaux fréquentés par les pères et les mères d’une part, et ceux où se socialisent les enfants de l’autre, influencent d’une manière décisive les destins des secondes générations. Notre étude à Marseille montre l’importance de la scolarité ; en effet, au-delà des aspects institutionnels, elle joue un rôle en favorisant ou en défavorisant l’intégration des enfants d’immigrés. Pour mieux saisir l’importance de ces deux facteurs (l’appartenance aux réseaux et la scolarisation) dans une perspective comparative il faut enquêter sur la manière dont se forment les aspirations et les projets de vie dans les contextes concrets où se trouvent les parents et se socialisent leurs enfants. Nous rejoignons la position de Santelli (2016 : 103) qui invite à « intégrer des dimensions […] négligées dans l’analyse des descendants d’immigrés », en particulier la dimension de l’entourage et de « l’environnement résidentiel dans lequel les personnes ont grandi et vivent ».

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208 Résumé - Abstract - Resumen

Anna Badino Quitter le Mezzogiorno : parcours d’enracinement des Italiens en Provence et dans le Nord-Ouest de l’Italie entre 1945 et 1970

Les protagonistes de cette étude sont les familles originaires du Mezzogiorno (Italie du Sud) qui, dans les années 1950 et 1960, se sont installées dans les zones urbaines de Marseille et de Turin. L’article compare une migration internationale et une migration nationale dans le but de mettre en évidence des mécanismes constants du processus migratoire, mais aussi pour évaluer le poids de quelques variables liées aux spécificités structurelles qui caractérisent les deux contextes d’arrivée. Le thème central de l’enquête sont les facteurs qui peuvent condi- tionner la mobilité sociale et économique des secondes générations à travers l’analyse des trajectoires de travail des parents, leurs stratégies résidentielles et leurs réseaux de sociabilité tissés dans la ville. Le but est de comprendre les retombées de cette conjonction de facteurs sur les itinéraires scolaires et profes- sionnels de leurs enfants. Leaving the Mezzogiorno: Integration Paths of Italians in Provence and in the North-West of Italy between 1945 and 1970

The protagonists of this study are the families from Southern Italy who settled in the urban areas of Marseille and Turin in the post-World War II years. The article compare an international and an internal migration in order to focus on some constant mechanisms of the migratory process but also to evaluate the weight of some variables linked to the structural specificities of the two contexts. This paper investigates the factors that condition the social and economic mobility of the second generations. The analysis is focused on the working paths of the parents, on their networks of relationships and on their residential choices in order to understand the effects that this set of factors can have on the educa- tional and professional paths of the children. Dejando el Mezzogiorno: ruta de enraizamiento de los italianos en Provenza y el noroeste de Italia entre 1945 y 1970

Los protagonistas de este estudio son las familias originarias del Sur de Italia que en la Posguerra de la Segunda Guerra Mundial se insertaran en las áreas urbanas de Marsella y Turín. El articulo compara una migración internacional con una migración interior para enfocar algunos mecanismos constantes del proceso migratorio, pero también analiza la importancia de algunas variables vinculadas a las especificidades estructurales propias de los dos contextos. El tema central que queremos investigar es acerca de los factores que afectan la movilidad social y económica de las segundas generaciones. El análisis se centra en las vidas laborales de los padres, sus redes de relaciones y sus elecciones de domicilio para comprender los efectos que esta combinación de factores pueda llevar en las trayectorias educativas y profesionales de los hijos.

209

REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 211-234

Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale. Le cas des ingénieurs français ayant emprunté l’ARM France-Québec Jean-Luc Bédard1 et Marta Massana Macià2

« Immigrant incorporation encompasses a broader range of policies and personal experiences of social belonging in a receiving country. » (van Riemsdijk, Basford et Burnham, 2016 : 22)

Cet article s’inscrit dans une démarche de recherches en cours depuis 2012, dont les objectifs sont de comprendre et analyser l’évolution du système profes- sionnel québécois dans sa gestion de l’admission de professionnels formés à l’étranger. Plus précisément, nous retenons ici le cas des professionnels français admissibles aux Arrangements de reconnaissance mutuelle (ARM) France- Québec pour documenter leur parcours d’intégration. En effet, nous examinons les parcours d’ingénieurs français, en comparant les discours d’acteurs du système professionnel3 et ceux d’ingénieurs français ayant eu recours à l’ARM France-Québec. Pour ce faire, nous allons d’abord situer cet accord dans le paradigme de la mobilité (Pellerin, 2011 ; Papademetriou et al., 2009). Ce modèle de gestion de la migration des travailleurs facilite a priori l’intégration au marché du travail des professionnels formés en France. Nous verrons toutefois que plusieurs obstacles apparaissent sur le chemin de l’intégration, qui est d’abord conçue en termes économiques, laissant de côté la dimension sociale et familiale de ces immigrants. Plusieurs recherches tendent à appuyer ce point de vue, mais soulignent du même souffle, le manque de connaissances à cet égard (Chicha, 2010 ; van Riemsdijk et al., 2016 ; Friesen, 2011). Cette problématique devient d’autant plus saillante dans le contexte d’émergence des ARM comme modèle de mobilité des professionnels formés à l’étranger.

1 Anthropologue, Professeur, Université TÉLUQ, 5800 St-Denis bureau 1105, Montréal, Qc. H2S 3L5, Canada ; [email protected] 2 Anthropologue, Ph.D., Université TÉLUQ, 5800 St-Denis bureau 1105, Montréal, Qc. H2S 3L5, Canada ; [email protected] 3 Ces acteurs du système professionnel sont associés à des organisations publiques (par exemple, l’Office des professions du Québec), para-publiques (ordres professionnels) ou privées (associations de professionnels, groupes d’entraide de professionnels formés à l’étranger, etc.).

2 11 Jean-Luc Bédard et Marta Massana

Après avoir précisé notre cadre conceptuel et méthodologique, nous décrirons les données issues de deux études de cas cumulant les propos et points de vue d’ingénieurs français et d’acteurs du système professionnel. L’analyse sera l’occasion de jeter un regard critique sur l’action de ces acteurs en faisant ressortir les principales dimensions de l’intégration socioprofession- nelle de ces immigrants et l’impact de certaines incohérences systémiques face à l’objectif initial d’intégration optimale des professionnels formés à l’étranger.

Les Arrangements de reconnaissance mutuelle (ARM) : un accord pour la mobilité internationale de professions réglementées

L’Entente en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications profes- sionnelles France-Québec s’inscrit dans les nouvelles tendances internationales d’organisation du travail et de gestion des flux migratoires. Ces tendances évoquent l’apparition d’un nouveau paradigme de la migration, celui de la mobilité (Papademetriou et al., 2009 ; Pellerin, 2011). Dans ce sens, « la quête d’un emploi sera au cœur de la plupart des mouvements migratoires du XXIe siècle » (OIM, 2008).

Le paradigme de la mobilité vise à comprendre la migration dans un contexte socio-économique plus large (Noiriel, 2001 et 2008 ; Larbiou, 2003 et 2008), qui semble s’imposer depuis les années 2000. Ce paradigme renvoie à un modèle économique, social et politique néolibéral, qui se traduit par la « libéralisation des flux de capitaux, des biens et des services, en touchant davantage les pays industrialisés et certaines catégories de migrants » (Pellerin, 2011). Les États et les organismes internationaux, régionaux et nationaux, s’inscrivent dans ce paradigme de la mobilité, par leurs lois, leurs politiques et leurs pratiques en matière d’immigration. Ainsi, de nouvelles formes de gouvernance, comme les ARM, apparaissent dans la gestion du travail et de l’immigration à l’échelle globale (Cohen, 2006).

Genèse et principes directeurs

L’entente-cadre pour les ARM France-Québec a été signée en 2008. Elle vise à « pallier aux pénuries de main-d’œuvre qualifiée et à répondre plus efficacement aux besoins des entreprises québécoises et françaises » (MRIF, 2011), prévoyant une reconnaissance mutuelle pour soixante-quatre professions au Québec, dont vingt-huit sont régies par des ordres professionnels. Suite à cette signature, les acteurs des systèmes professionnels français et québécois ont été interpellés pour examiner rapidement la faisabilité d’une telle entente mutuelle.

Notons que pour rendre les ARM négociés effectifs au Québec, ils devaient être traduits en réglementation spécifique et appliqués pour chacune des professions, en cohérence avec les lois du système professionnel québécois. Le modèle emprunté par les ARM se différencie de l’approche traditionnelle d’admission aux ordres professionnels par des travailleurs formés à l’étranger. En effet, au lieu de traiter ces demandes une à la fois, une analyse comparative de l’exercice de la profession dans chacune des juridictions a lieu. Cette analyse

212 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale

à visée générique définit, pour tout candidat éligible, les stages et/ou formations complémentaires à suivre pour terminer l’entrée en profession dans la société d’accueil.

Chacun des ARM comporte cinq grands principes directeurs : la protection du public ; le maintien de la qualité du service professionnel ; l’équité, la trans- parence et la réciprocité ; l’effectivité des qualifications professionnelles mutuel- lement reconnues ; et le respect des normes associées à l’usage de la langue française (via l’Office québécois de la langue française, OQLF). Parmi ces cinq principes, la protection du public est au cœur de l’ARM et du mandat des ordres professionnels. Les processus mis en place par les ARM constituent une manière accélérée d’obtenir un permis d’exercice au Québec, par rapport aux processus empruntés par d’autres professionnels formés à l’étranger, tout en visant le maintien de la protection du public.

Il existe, théoriquement, une tension entre le principe de protection du public, tel que promulgué par les divers ordres professionnels, et le principe d’effectivité de reconnaissance des compétences professionnelles (MRIF, 2011). L’objectif poursuivi par les règlements des ARM est de trouver les mécanismes favorisant l’accès des professionnels formés à l’étranger au système profes- sionnel québécois tout en maintenant la protection du public, par des mesures de compensation4. À cet effet, « pour combler les différences substantielles en ce qui a trait aux titres de formation ou aux programmes d’apprentissage, l’Entente Québec-France établit que les ordres doivent déterminer si ces différences peuvent être compensées par l’expérience professionnelle du demandeur. Si les ordres jugent que cette mesure est inadéquate, ils peuvent envisager d’autres mesures de compensation, tels le stage d’adaptation, l’épreuve d’aptitude ou la formation complémentaire » (Houle, 2015 : 3).

Ces mesures peuvent, dans certains cas, poser question quant à leur raison d’être et à leur pertinence de la part des professionnels étrangers. Le point de divergence se trouverait dans l’ambiguïté de la notion de « différences substan- tielles » ainsi que dans le fait que ce jugement reste à la discrétion des ordres. C’est l’approche dite de reconnaissance « permis sur permis ». Les exigences sont cependant modulées, de diverses façons, pour correspondre aux caractéris- tiques de la formation et de l’exercice de la profession, en France et au Québec.

Quant aux ingénieurs, une liste des établissements reconnus de formation d’ingénieurs a été établie et est mise à jour de façon périodique. Une fois l’éli- gibilité établie, chaque candidat diplômé de France doit compléter une année sous la supervision d’un ingénieur membre de l’Ordre des Ingénieurs du Québec

4 « L’Entente entre la France et le Québec en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles prévoit qu’un ordre professionnel procède à l’examen comparatif des qualifications professionnelles. Cet examen vise à déterminer, le cas échéant, les conditions de reconnaissance de ces qualifications qui seront fixées dans un Arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM) pris en vertu de cette entente et dans un règlement de mise en œuvre pris en vertu de l’article 93 c.2 du Code des profes- sions » (CIQ, CREPUQ, 2010 : 1).

213 Jean-Luc Bédard et Marta Massana

(OIQ). Au terme de cette année et après la réussite d’un examen obligatoire5, l’ingénieur est admis au tableau de l’OIQ6. Démarche méthodologique

Nous examinons l’intégration socioprofessionnelle des ingénieurs diplômés en France ayant eu recours à l’ARM France-Québec depuis son entrée en vigueur le 18 juillet 2013. Plus précisément, nous analysons les facilitateurs et les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle et leurs effets sur la rétention de ces travailleurs et leurs familles. Au passage, ceci nous amène à nous pencher sur le rôle et les dynamiques entre les différents acteurs impliqués (gouvernements et institutions publiques, ordres professionnels, entreprises, société civile, etc.) et l´efficacité des politiques régulant le marché de l’emploi et l’immigration en facilitant l’entrée en pratique ainsi que l’intégration dans la société d’accueil. Nous avons d’abord mené des entrevues avec des informa- teurs-clés ; en parallèle, nous nous sommes documentés sur différents aspects de la profession d’ingénieur en France et au Québec. Les entrevues avec les ingénieurs ont été effectuées à l’été 2014, avec la collaboration de l’OIQ. Bien que des rencontres avec des membres de l’entourage professionnel avaient été prévues au devis de recherche, seul un supérieur hiérarchique commun à deux de ces ingénieurs a accepté de participer à une entrevue. Cette difficulté, ainsi que la mise en vigueur récente du règlement concernant les ingénieurs pendant la recherche, ont limité nos possibilités de recrutement. Les entrevues étaient de type semi-dirigé, d’une durée moyenne d’une heure et demie, orientées par une grille d’entrevue et validées au préalable par le Comité d’éthique à la recherche de l’INRS-Centre UCS7 et de l’Université de Montréal.

Les données concernant les ingénieurs sont issues des quatorze entrevues. Huit entrevues auprès d’ingénieurs diplômés en France et ayant eu recours à l’ARM depuis juillet 2013 (trois ingénieurs civils, trois ingénieurs électriques et deux ingénieurs d’autres domaines du génie) ; six entrevues auprès d’acteurs du système professionnel (trois acteurs du système professionnel québécois,

5 « L’examen professionnel n’est pas de nature technique. Il a plutôt pour but de vérifier les connaissances sur : le droit professionnel québécois ; les principes de la pratique professionnelle, les notions d’éthique et de professionnalisme, ainsi que les autres obli- gations professionnelles ; les aspects juridiques de base jugés essentiels à l’exercice de la profession ». Les modalités de l’examen, les conditions de réussite et les recours en cas d’échec sont ensuite précisés (OIQ, 2017a). 6 « Dès la réception de votre demande de permis, le Service d’accès à la profession s’assure que le domaine inscrit sur votre diplôme d’ingénieur est identique en tout point à celle [sic] qui est indiquée [sic] sur la liste des programmes français agréés par l’Ordre. De plus, il s’assure que tous les documents reçus sont conformes à ceux qui sont exigés et vous avise si des documents supplémentaires doivent être fournis. Le Service d’accès à la profession détermine si vous êtes admissible en vertu de l’ARM ou si vous devez obtenir une équivalence de formation. Si vous êtes titulaire d’un diplôme visé par l’ARM et que votre dossier est complet, il faudra prévoir un délai de traitement d’environ six à huit semaines afin que l’Ordre vous délivre un permis restrictif temporaire en génie (DPRTG : détenteur d’un permis restrictif temporaire en génie). Par la suite, vous devrez démontrer : la preuve de trois années d’expérience pertinente, dont au moins une effectuée au Canada sous la direction et la surveillance d’un ingénieur ; et réussir l’examen professionnel. Le détenteur d’un DPRTG doit exercer sous la direction et la surveillance immédiates d’un ingénieur, c’est-à-dire une personne qui détient un permis d’ingénieur et qui est inscrite au tableau de l’Ordre » (OIQ, 2017b). 7 Institut national de recherche scientifique, Centre Urbanisation Culture Société.

214 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale deux représentants d’associations et d’organismes collaborant à l’intégration de travailleurs immigrants qualifiés, notamment des ingénieurs français, et un représentant de l’employeur de deux des ingénieurs rencontrés).

Des huit ingénieurs français, tous étaient d’immigration récente (moins de cinq ans), cinq se trouvaient à Montréal et trois dans d’autres régions du Québec – dont la seule femme rencontrée. Plus de la moitié (cinq sur huit) étaient en début de carrière, après quelques années de pratique en France, tandis que trois d’entre eux sont arrivés au Québec en milieu de carrière.

L’intégration socioprofessionnelle des ingénieurs diplômés en France

Il semble y avoir, depuis un certain nombre d’années, un intérêt grandis- sant au chapitre de la mobilité internationale des travailleurs qualifiés dans les différentes régions du monde (Weygold et al., 2001). L’une des principales raisons de cet intérêt grandissant serait associée au besoin de saisir davantage l’impact de la présence des professionnels formés à l’étranger dans le dévelop- pement économique et social des sociétés d’accueil. À cet effet, Weygold et al. (2001 : 117) soulèvent que « the best qualified immigrants support the economic development of the country and are thought to have the strongest capacity for social integration ».

Toutefois, tel que la littérature plus récente le constate, il existe encore une pénurie d’études portant sur l’intégration socioculturelle des migrants qualifiés (van Riesmdijk et al., 2016). L’une des raisons de cette pénurie semble associée à l’idée que cette catégorie d’immigrants serait autonome dans son intégration à la société d’accueil (Alba et Nee, 1997 ; Portes et Böröcz, 1989). Cette lacune est encore plus évidente à l’égard des travailleurs migrants touchés par une entente de reconnaissance mutuelle, par exemple l’ARM France-Québec. Il existe en effet très peu d’écrits touchant les ARM en général (Bédard, 2014). Les principaux documents portent sur de grands ensembles et demeurent essentiellement descriptifs, tels que les rapports récents du Migration Policy Institute8 (Mendoza et al., 2017). On trouve encore moins de documents sur l’expérience de profes- sionnels ayant eu recours aux ARM France-Québec, du fait de la nouveauté des règlements consacrant leur mise en vigueur9.

8 Le Migration Policy Institute (MPI), crée en 2001 à Washington DC, se dédie à l’analyse de la mobilité internationale. Il élabore des analyses ainsi que des évaluations de poli- tiques migratoires et de réfugiés aux niveaux local, national et international. Il vise à répondre de manière pragmatique aux défis et opportunités des flux migratoires. Voir : https://www.migrationpolicy.org/ 9 On compte quelques articles présentant les particularités de certains ARM (Mercier, 2012 ; Dumas-Martin, 2014). Dans une analyse politique des ARM, Dumas-Martin (2014) souligne entre autres qu’il s’agit d’une entente et non d’un accord, ce qui, dans le langage politique, sous-entend un arrangement plus informel qu’un accord ne le serait. Son bon fonctionnement est davantage le résultat d’un leadership politique. De même, les éventuels manquements ou écarts seraient sanctionnés à un niveau plutôt politique que juridique.

215 Jean-Luc Bédard et Marta Massana

Mobilité des travailleurs hautement qualifiés

De plus, avec le « paradigme de la mobilité », la circulation des travailleurs, sujette aux besoins du marché économique international et de la production, devient « un moyen servant une fin, celle de la distribution optimale dans l’économie » (Pellerin, 2011 : 63). Ainsi, l’accent mis sur l’aspect économique des migrations des professionnels formés à l’étranger contribue à la non-prise en compte d’autres dimensions essentielles à l’intégration de ces immigrants. Dans cet espace mobile, les individus sont perçus comme des « éléments indi- viduels post-sociaux, atomisés et en apesanteur, mus par des forces du marché mondial » (Meyer et al., 2001 : 342). La dimension socioculturelle – individuelle et familiale10 – n’est pas prise en compte par cette logique de la mobilité dans laquelle les ARM s’insèrent. Cependant, plusieurs études au Canada et ailleurs soulèvent l’importance d’examiner les dimensions familiales et sociales de l’immigration (Nedelcu, 2005 ; Favell et al., 2007 ; Friesen, 2011).

La notion de mobilité selon Pellerin (2011) englobe l’expérience générale de l’homo economicus, dans la mesure où elle devient la stratégie universelle de promotion sociale en plaçant l’individu au cœur des responsabilités consacrant son intégration sociale, notamment à travers le développement des réseaux sociaux. Cette vision économiste, inspirée de la théorie économique orthodoxe et de théories utilitaristes du choix rationnel (Rawls, 1971), qui considère les individus comme des êtres rationnels mus par leurs seuls intérêts personnels, présente des lacunes importantes quant à la compréhension du parcours socio- professionnel des immigrants qualifiés. L’économie n’est pas indépendante des sphères juridiques, politiques et culturelles des individus. Ces sphères concourent à structurer les différents schèmes d’action des acteurs par les milieux sociaux fréquentés (famille, école, groupes de pairs, institutions cultu- relles, médias, etc.) (Bourdieu, 2000 ; Lahire, 2012).

Une vaste littérature portant sur l’intégration des travailleurs qualifiés, notamment en Europe, porte sur les stages à court terme des travailleurs expatriés (Beaverstock, 2011 ; Findlay et al., 1996 ; Walsh, 2006), les transferts intracompagnies (Beaverstock, 2005 ; Millar et Salt, 2008), et les travailleurs d’affaires (Faulconbridge et al., 2009). Ces études mettent l’emphase sur la nature temporaire et internationale de l’immigration. D’autres tentent de comprendre les politiques étatiques d’attraction des migrants qualifiés (Kofman, 2005 ; Hawthorne, 2013 et 2015). Ces politiques se basent sur le recrutement des travailleurs qualifiés, mais n’examinent pas le parcours à long terme et la rétention dans le pays d’accueil. En dépit d’un certain privilège quant à leur statut, les travailleurs qualifiés doivent s’ajuster aux normes et aux pratiques liées à la profession du pays d’accueil (Walsh, 2006).

Quant aux ingénieurs diplômés à l’étranger, les études les plus récentes soulèvent que ceux-ci rencontrent plus de difficultés à décrocher un poste par rapport à ceux qui ont obtenu leur diplôme au Québec. Par exemple, le taux de chômage des professionnels formés à l’étranger membres de l’Ordre était de

10 Notons que la plupart des ingénieurs rencontrés sont au Québec avec leurs conjoint·e·s et leurs enfants et que le choix de s’installer au Québec répond à un projet professionnel, mais aussi familial.

216 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale

6,5 %, comparativement à 2,5 % pour l’ensemble des membres en 2013. Les difficultés sont surtout le lot des ingénieurs juniors issus de l’étranger, dont l’entrée s’avère plus difficile que les jeunes formés au Québec. Cependant, une fois le processus d’admission à l’OIQ complété, le taux d’emploi en génie tend à être équivalent à celui des ingénieurs formés au Québec. Aussi, on note que certains professionnels formés à l’étranger ont même un avantage du fait de leur expérience antérieure11 .

Près des deux tiers (64,8 %) de l’ensemble des professionnels en génie occupent un emploi qui nécessite d’être membre de l’OIQ. Néanmoins, selon cette même étude, le fait d´être membre de l’OIQ ne se traduirait pas forcément en termes de gain salarial : « Il n’y a pas de différence significative entre les résultats de salaires et de rémunération globale selon ce critère [être membre de l´Ordre], sauf pour les 10 % les mieux rémunérés ; c’est un avantage salarial de 6,26 % » (Demers, 2015 : 12).

Autant aux États-Unis qu’au Canada et au Québec, plusieurs recherches soulèvent l’importance des réseaux interpersonnels et informels dans la qualité de l’insertion professionnelle (Arcand et al., 2009 ; Gauthier, 2013 ; Lin, 1999 ; Pellerin, 2011). Dans une étude portant sur l’intégration en emploi d’ingénieurs diplômés à l’étranger au Canada, Friesen (2011) a documenté l’importance de l’apprentissage par des ingénieurs formés à l’étranger des codes de comporte- ment propres au milieu de travail local. Cette étude montre notamment l’écart variable selon le pays d’origine dans la culture du travail, les rapports hiérar- chiques, la place ou l’absence de la sphère privée dans les interactions profes- sionnelles, etc. À cet égard, l’apprentissage s’avère nécessaire pour interpréter adéquatement les dynamiques et rapports hiérarchiques ou sociaux en milieu de travail au pays d’accueil.

Comprendre l’intégration comme processus multidimensionnel

Considérant ces pistes de questionnement et à partir d’un cadre théorique et conceptuel issu de la théorie sociologique des systèmes sociaux (Lockwood, 1964), nous avons développé un modèle analytique nous permettant de manière empirique de répondre aux objectifs ce cette étude.

Nous partons d’une compréhension de l’intégration comme processus et état à appréhender par rapport aux multiples dimensions ou sphères faisant partie d’une structure sociale plus large. Ce processus comprend également une composante interactive entre les différents systèmes ou dimensions ainsi qu’entre les acteurs et les institutions qui les composent. Ainsi, l’intégration des individus à une structure sociale déterminée est appréhendée ici sous une approche multiniveau et multisectorielle.

11 http://asso-ing.ca/le-chomage-chez-les-ingenieurs-atteint-un-sommet-historique/

217 Jean-Luc Bédard et Marta Massana

L’approche systématique de Lockwood (1964) nous permet, de façon empirique, de mener une analyse du « système d’intégration »12 comme notion processuelle et multidimensionnelle.

Plusieurs modélisations ont été proposées afin d’appréhender de manière empirique l’intégration des individus, notamment des populations immigrantes au sein d’une structure sociale. Deux aspects caractérisent essentiellement la plupart de ces modèles : la conception multidimensionnelle de l’intégration (Esser, 2004 dans Heckmann, 2005 ; Heckmann et Schnapper, 2003) et l’accent porté sur les conséquences de l’intégration de ces immigrants dans la structure sociale de la société d’accueil (Gordon, 1978 ; Myrdal, 1944 ; Rex et Tomlinson, 1979).

À partir de cette littérature et de manière spécifique, inspirés des travaux de Heckmann (2005), nous avons donc développé un modèle analytique de l’inté- gration des ingénieurs diplômés en France au marché de l’emploi et à la société québécoise.

Heckmann (2005) identifie l’existence de cinq dimensions explicatives de l’intégration sociale des immigrants, soit une dimension structurelle, une dimension culturelle, une dimension interactive ou relationnelle, une dimension identitaire et une dimension qui conçoit l’intégration comme un processus d’apprentissage et de socialisation.

Pour cet article, nous avons décidé de regrouper ces cinq dimensions en deux grandes catégories. La première comprend tous les aspects structurels de l’intégration (dimension structurelle) et la seconde, l’ensemble des aspects socioculturels et relationnels, ainsi que ceux reliés à la socialisation dans la société d’accueil (dimension culturelle et relationnelle).

Nous définissons la dimension structurelle comme l’ensemble des lois, règle- ments, procédures administratives et la gouvernance concernant l’immigration, le marché de l´emploi, l’admission à la profession ainsi que l’accès aux institu- tions de la société d´accueil. La dimension culturelle fait référence à l’apprentis- sage et la compréhension des codes culturels, liés à l’emploi autant qu’à la façon de faire de la société d’accueil en général. La dimension relationnelle comprend l’ensemble des relations personnelles et professionnelles des migrants avec les membres de la société d’accueil (liens sociaux avec les collègues, mais aussi avec leurs supérieurs, liens d’amitié, familiaux, etc. ainsi que leur implication dans la société civile). La raison d’opérationnaliser ainsi ces dimensions répond à une compréhension intégrée des processus de socialisation, qui relèvent à la fois des aspects structurels, culturels, que relationnels et identitaires.

12 Lockwood (1964): « System integration is that form of integration in a system that works relatively independent of the motives, goals and relations of individual actors, quite often against their motives and interests. System integration is integration of social systems via institutions and organisations, via the state, the legal system, markets, corporate actors or money. It is a mostly anonymous form of integration. Social inte- gration stands for the inclusion of new individual actors in a system, for the creation of mutual relationships among actors and for their attitudes to the social system as a whole » (Heckmann, 2005: 9).

218 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale

Le processus d’intégration socioprofessionnelle La dimension structurelle

Cette dimension comprend l’ensemble des structures gouvernementales et des systèmes professionnels, les mécanismes de gouvernance, les dynamiques entre les acteurs et les balises normatives et juridiques ayant un lien avec les processus d’intégration socioprofessionnelle des ingénieurs éligibles à l’ARM France-Québec.

Concrètement, nous analysons : l’effet de certaines politiques d’immigration, d’accueil et d’intégration des travailleurs qualifiés au Québec ; la démarche propre à l’ARM des ingénieurs ; l’adéquation entre le discours politique et les réalités sur le terrain (autant quant au marché de l’emploi qu’au niveau social) ; l’exercice de la profession et ses différences entre le Québec et la France ; et l’effet d’autres politiques dans l’intégration socioprofessionnelle des travail- leurs – notamment l’éducation et la reconnaissance des diplômes, l’accès aux services sociaux, au logement, etc.

Il existe une panoplie d’acteurs et d’institutions de nature diverse ayant un rôle dans l’élaboration et la mise en place de l’ARM ainsi que de l’ensemble des démarches en lien avec l’établissement et l’intégration socioprofessionnelle au Québec des ingénieurs diplômés en France en vertu de cette entente. Parmi ces acteurs, nous avons constaté que les employeurs et les services mis en place par ces derniers pour l’accueil et l’intégration des professionnels français jouent un rôle très important dans leur processus d’intégration socioprofessionnelle. Nous avons pu constater par notre démarche de terrain l’existence d’entreprises ayant développé une expertise dans l’accueil d’ingénieurs français. Ainsi, dans ces cas, une personne-ressource dans l’entreprise reçoit le mandat d’accompagner et soutenir l´intégration des employés français autant dans le milieu de travail que dans la société québécoise, incluant les démarches concernant la recherche de logement, d’un médecin, etc.

« On n’a pas, nous, chez nous, de programme d’accueil en tant que tel. On y va à la pièce. Moi je prends la peine de m’assurer, bien, comment il arrive, où il arrive, est-ce qu’il y a quelqu’un qui l’accompagne à son arrivée. Je l’ai fait une fois, un individu est arrivé dans la période des fêtes de Noël. À ce moment-là je suis allé le chercher à l’aéro- port, je l’ai amené à son appartement. Je l’ai accueilli du mieux que je pouvais. » (André13, informateur)

D’autres mettent à disposition des ressortissants français les services d’un avocat afin de s’occuper des démarches d’immigration nécessaires pour le professionnel au-delà de la procédure en lien avec l’ARM. Ceux qui ont pu disposer d’un avocat fourni par l’employeur pour s’occuper de leurs démarches d’immigration sont unanimes à en souligner les bénéfices. En effet, ils ont pu se concentrer davantage à la préparation de leur dossier pour intégrer l’Ordre en accord aux exigences de l’ARM.

13 Tous les prénoms sont des pseudonymes.

219 Jean-Luc Bédard et Marta Massana

Notons que ce type de pratiques est plus fréquent dans des firmes d’ingénierie faisant partie d’un groupe français ou bien ayant des filiales en France, familiers avec l’intégration de professionnels provenant de ce pays dans leur équipe.

Nous avons également recueilli des témoignages informels d’une dizaine d’ingénieurs français lors d’un événement organisé par Francogénie14 le 24 février 2014, avec la présence de la responsable à l’admission de l’OIQ. Ces discussions ont souligné la présence d’entraves à l’entrée en pratique produites par la méconnaissance, chez certains employeurs, des exigences quant à la reconnaissance de diplômes dans le cadre de l’ARM. La multiplicité de plaintes à ce propos ainsi que l’importance accordée à cet aspect par l’OIQ ont abouti à la mise en place, par l’OIQ, de séances d’information concernant les ARM auprès de plusieurs employeurs. Ceux-ci prennent alors connaissance des règlements de l’ARM et de la non-pertinence d’exiger une nouvelle reconnaissance du diplôme d’ingénieur, dans la mesure où celui-ci est reconnu par l’ARM. Cette méconnaissance de l’ARM parmi les employeurs a aussi été observée dans le cas des travailleurs sociaux et des architectes (Bédard et Roger, 2015).

« L’un de mes collègues, ayant son PRT15 délivré par l’OIQ, l’entreprise X lui a redemandé de faire les démarches officielles de reconnaissance de son diplôme.16 » (Loïc, ingénieur français)

Le rôle de l’entreprise

Comme d’autres études sur l’intégration socioprofessionnelle des travailleurs immigrants qualifiés (Probyn, 1996 ; Syed, 2008 ; Valenta, 2008 ; Misiorowska, 2012 ; van Riemsdijk et al., 2016), nos analyses soulignent que l’entreprise devient l’un des acteurs centraux dans les processus d’apprentissage des codes professionnels et culturels parmi les professionnels formés à l’étranger. L’intégration au marché de l´emploi par le biais du transfert entre des filiales d´une même compagnie permet à l’ingénieur d’acquérir plus rapidement un poste à la hauteur de ses compétences, ou bien un poste avec des responsabi- lités similaires à celles assumées auparavant.

« C’est vrai que ça aurait été beaucoup plus difficile, surtout pour trouver, comme vous dites, un poste à la hauteur de mon expérience. Là en interne j’ai pu avoir finalement un poste à la hauteur de mes ambitions et de mon expérience et ne pas pâtir effective- ment de la différence de poste qu’il aurait pu y avoir ou se créer. C’est vrai que quelque part je me considère un peu privilégié dans cette démarche ; mais c’est pas tout le monde qui le fait, aussi bien, du jour au lendemain, “je vais dans un nouveau pays et je m’intègre à zéro”. Ça aurait été compliqué de venir ici et de chercher du travail ici. Ça aurait été beaucoup plus compliqué effectivement. » (Thomas, ingénieur)

14 Pour ce qui est des ingénieurs français, « l’association québécoise Francogénie regroupe tous les diplômés de France et d’ailleurs issus des écoles d’ingénieurs et/ou d’universités offrant des formations scientifiques, dans le but de leur faciliter l’intégra- tion professionnelle au Québec » (http://francogenie.com/francogenie). 15 Le permis restrictif temporaire (PRT) permet à un candidat à l’admission à l’OIQ dans le cadre de l’ARM France-Québec d’exercer sous la supervision d’un membre de l’OIQ, dans l’attente de la réussite des exigences d’admission. 16 Être admissible à l’ARM implique que le diplôme et l’école française où l’ingénieur a fait ses études sont officiellement reconnus par l’OIQ.

220 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale

Les ingénieurs arrivés par un transfert intraentreprise disposent ainsi souvent de personnes-ressources les accompagnant dans leur processus de recherche d’un logement, l’accès aux services sociaux, au réseau scolaire, etc. Ceci permet d’accélérer les démarches non seulement pour l’entrée en pratique des professionnels français, mais aussi pour des aspects de la vie quotidienne. En ce sens, ceci facilite leur propre intégration socioculturelle ainsi que celle des membres de leurs familles. Ceci n’est pas spécifique aux ARM et concerne plus largement la mobilité internationale via des entreprises multinationales.

« Quand je suis arrivé, nous avons eu la chance d’avoir quelqu’un de mon entreprise qui s’occupe des Français qui arrivent. Il nous attendait déjà à l’aéroport… Il nous a aidés pour trouver un logement, m’expliquer qu’est-ce que je devais faire pour obtenir ma “carte-soleil” [assurance-maladie], inscrire mes enfants dans une garderie, aller chercher mon permis de conduire canadien, bref… tout ça nous a carrément aidés… au début on ne connaissait rien ! » (Victor, ingénieur)

Nouveau pays, nouveaux contextes juridique et réglementaire

L’existence des différences entre la France et le Québec quant à la régle- mentation de la profession d’ingénieur et au système universitaire qui régit la formation en génie pose des entraves à la compréhension des systèmes de chaque pays, et à l’intégration à l’OIQ et l’exercice de la profession. Par exemple, en France, la Commission des titres d’ingénieurs (CTI) émet le titre d’ingénieur. Ce n’est donc pas un titre universitaire, tandis qu’au Québec, le titre d’ingé- nieur est émis suite à un diplôme universitaire. Également, les relevés de notes demandés par l’Ordre, documents couramment conservés suite aux études au Québec, sont difficiles à trouver pour un diplômé de la France, a fortiori pour ceux qui ont terminé leur formation il y a vingt ou trente ans. Peu d’ingénieurs formés en France conservent une copie de leurs relevés de notes.

La production de preuves démontrant l’expérience professionnelle anté- rieure, requise par l’OIQ, n’est pas aisée non plus. Dans certains cas, la démarche est délicate, car ce faisant, le candidat dévoile son projet de départ à son employeur. Suite à ce constat, l’OIQ réfléchit aux exigences visant à documenter l’expérience professionnelle antérieure des ingénieurs, afin de tenir compte de ces difficultés.

« La seule chose que je verrais qu’on pourrait moduler à l’occasion, nous on fonc- tionne avec des formulaires standards pour déclarer l’expérience professionnelle. Quelqu’un que son expérience “date”, une attestation de travail, ou quoi que ce soit, n’est pas en mesure de remplir la documentation standard, à ce moment-là on pourrait avoir une mesure un peu compensatoire pour voir de quelle façon il pourrait nous démontrer son expérience. C’est la seule flexibilité qu’on aura pour justement démontrer de quelle façon l’expérience peut être présentée. » (André, informateur)

De plus, dans l’exercice de la profession d’ingénieur au Québec, la respon- sabilité professionnelle en lien avec la protection du public est portée par l’individu, tandis qu’en France, c’est l’entreprise qui juridiquement, assume la responsabilité de l’acte professionnel. L’ordre en France est plutôt une organisa- tion de soutien à la profession. Au Québec, par le Code des professions, l’État délègue aux ordres professionnels la mission de protection du public, avec tous les processus disciplinaires qui en découlent. Selon l’OIQ, les exigences liées à

221 Jean-Luc Bédard et Marta Massana

la vérification des compétences des ingénieurs diplômés à l’étranger sont justi- fiées par cette mission qui lui incombe. Ceci surprend les professionnels formés à l’étranger, dont les ingénieurs français, parce que ce sont des spécificités juri- diques découlant du Code des professions du Québec, qui structurent différem- ment l’exercice de la profession par rapport au contexte français.

« J´ai été surpris, car je pensais que l´OIQ était un organisme qui protégeait les ingénieurs. Et non, il est un organisme qui protège, plutôt, le public. […] Il exerce un fort contrôle sur les ingénieurs. » (Luc, ingénieur)

Le discours du gouvernement québécois pour attirer es candidats à l’immigration

Les ingénieurs rencontrés déplorent un discours gouvernemental visant à attirer les professionnels étrangers avec des informations ne correspondant pas avec l’expérience vécue d’intégration. Par exemple, des séances d’information sont organisées par le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclu- sion du Québec (MIDI) en France pour attirer les candidatures d’immigrants qualifiés. Lors de ces séances, le discours d’agents gouvernementaux souligne- rait la facilité d’accès à des places en garderie publique, des horaires de travail visant la conciliation travail-famille ou encore, la possibilité pour les conjoints de se trouver rapidement un emploi dans leur domaine.

« Il y a beaucoup, beaucoup de frustrations qui sont vécues par rapport à l’image que le Québec donne en France sur la terre d’accueil en facilitant les reconnaissances de compétences. Quand les gens arrivent ici, c’est pas toujours aussi facile et les gens voient le processus très long et ça crée énormément de difficultés pour eux-mêmes, pour l’immigrant qui vient travailler, et pour la conjointe ou le conjoint qui vient travailler, qui souvent laisse un métier en France, vient au Québec. On ne reconnaît pas le métier de cette personne-là, surtout dans le domaine de la santé. Ça, je dirais que ça crée énormé- ment de frustrations. » (André, informateur)

Cet ingénieur témoigne de la difficulté à concilier le travail et la vie familiale.

« Par rapport à la conciliation famille et autre, pareil, je ne travaille pas moins qu’en France, j’ai moins de vacances. Oui, je travaille autant qu’en France, mais j’ai moins de vacances. Voilà. » (Victor, ingénieur)

Dans plusieurs cas, le projet de mobilité de ces ingénieurs répond à un projet familial, qui a donc des implications aussi pour les conjoints et les enfants, le cas échéant. Nos analyses relèvent également le lien entre la rétention et les conditions favorisant l’intégration sociale et professionnelle retrouvées par les ingénieurs et leurs proches. La possibilité de faire reconnaître les diplômés étrangers des conjoints et leur capacité à exercer la même profession qu’en France semblent des facteurs ayant un poids important dans la rétention.

Il existe des entraves à l´intégration socioprofessionnelle des conjoints/ es dues au processus de reconnaissance des diplômes ainsi qu’à la difficulté d’obtenir des équivalences, qui entraîne d’autres démarches et des coûts afférents.

222 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale

« On a fait aussi l’évaluation comparative des diplômes au MICC17. Là c’est pareil, il faut sortir un gros dossier papier, qu’il faut faire certifier conforme par un commissaire à l’assermentation, blablabla, avec les copies des diplômes, de l’identité, des relevés de notes par trimestre, par machin, des appréciations de stages, de trucs, de machins. Donc on fait un gros dossier. Ils ont pris un an à peu près pour étudier le dossier. […] Donc ça a dû être un an ou un peu plus pour étudier le dossier, donc pour donner une espèce d’équivalence. Mais comme son métier n’est pas reconnu, bien, la formation ils l’ont pas reconnue non plus. » (Victor, ingénieur)

Les difficultés des conjoints à intégrer le marché de l´emploi représentent donc une entrave supplémentaire à l´intégration sociale.

« Le deuxième problème c’est que son métier français [celui de sa femme] n’est pas reconnu par aucun ordre ici. [...] un emploi qui lui aurait permis de s’intégrer encore plus facilement et tout ça. Parce qu’aujourd’hui, à date elle a rien trouvé. » (Victor, ingénieur)

Quant aux démarches concernant l’inscription à l’OIQ, la plupart des profes- sionnels interviewés soulignent l’importance de préparer le dossier à l’avance afin d’accélérer le processus une fois arrivés au Québec18. Plusieurs d’entre eux avaient commencé à préparer leur dossier un an à l’avance.

Cependant, les travailleurs français seraient, selon nos observations sur le terrain et les échanges avec des acteurs-clés, moins portés à recourir aux services d´aide à la recherche d´emploi que des immigrants d’autres origines.

« […] la plupart des personnes qui assistent aux rencontres d’information ici, qui décident de suivre ce programme [programme de recherche d’emploi pour des nouveaux arrivants dans le domaine de l’ingénierie], sont surtout des diplômés provenant du Maghreb, deuxièmement des Africains, des Sud-Américains et en dernier lieu des Français. » (Jules, informateur)

Ceci semble associé au meilleur taux de placement des ingénieurs français, par rapport aux ingénieurs originaires d’autres pays, notamment ceux appar- tenant à des minorités visibles. De plus, notons que les ingénieurs formés en France disposent de groupes spécifiques, comme Francogénie.

« Le taux de placement des diplômés français est beaucoup plus élevé que celui du reste des étrangers. De plus, la plupart des ingénieurs diplômés en France qu’on a rencontrés cette dernière année ont eu un parcours assez réussi par rapport à leur inté- gration au marché de l’emploi. » (Alain, informateur)

La discrimination systémique entraîne des barrières additionnelles reconnues par le système professionnel à l’admission et l’intégration professionnelle des immigrants, notamment des minorités visibles. C’est ce que reconnaît le Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) : « Même lorsqu’un candidat formé hors du Québec obtient son permis de l’ordre, l’insertion sur le marché du travail

17 Devenu depuis 2014, le MIDI (ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion). 18 Notons que l’OIQ a mis en place sur son site Internet La Boussole un outil qui permet aux ingénieurs étrangers d’avoir des renseignements utiles sur le cheminement et les étapes à franchir pour travailler comme ingénieur au Québec (http://www.oiq.qc.ca/fr/ jeSuis/candidat/obtenirUnPermis/boussole/Pages/boussole.aspx).

223 Jean-Luc Bédard et Marta Massana

québécois peut être aussi semée d’embuches, particulièrement pour un profes- sionnel issu d’une minorité visible, sans oublier l’importance de la maîtrise de la langue française » (CIQ, 2016 : 12)19. Les dimensions culturelle et relationnelle

Si la dimension précédente nous permet de porter une analyse surtout au niveau macro, la dimension culturelle et relationnelle fait porter notre focus analytique au niveau micro. Nous examinons ici le rôle des individus dans leur expérience de recours aux structures mises en place pour l’intégration profes- sionnelle et sociale.

De manière précise, cette deuxième dimension comprend : le processus d’apprentissage des codes sociaux et culturels liés à l’emploi et à la vie sociale plus large ; les dynamiques relationnelles, personnelles et professionnelles ainsi que le rôle des réseaux sur l’expérience d’intégration à la société québécoise.

Le processus d’apprentissage des codes sociaux et culturels

Quant aux différences culturelles liées à l´emploi entre le Québec et la France, nos entrevues mettent en lumière un certain « choc culturel » vécu lors de l’intégration au marché de l´emploi québécois, ce qui rajouterait des difficultés à leur insertion autant professionnelle que personnelle. À ce propos, l’un de nos informateurs représentant une association avec une expertise avérée quant à ces situations20, abondait en ce sens :

« Mais ce que je peux vous dire c’est qu’au bout d’un an, on retrouve ces ingénieurs- là dans les cabinets de psychologues organisationnels parce qu’ils ont un problème d’attitude. D’attitude, pas de compétence […] parce que leur comportement étant à la française, ça marche pas. Donc là ça marche pas avec leurs patrons, ça marche pas avec leurs employés, etc. » (Marc, informateur)

En ce sens, l´ARM n´aborderait pas ce qui est jugé comme le vrai défi des ingénieurs français émigrés au Québec : l´adaptation au nouvel environnement et à la culture du travail québécoise.

« Alors c’est pour ça que l’ARM, est-ce que ça élimine un obstacle qui était perçu comme celui qui empêchait l’intégration professionnelle ? C’est faux. C’est pas là qu’est le défi. Le défi n’est pas au niveau de faire reconnaître son diplôme. Le défi est au niveau de s’adapter au nouvel environnement, s’adapter à la façon de faire ici. » (Marc, informateur)

D’ailleurs, l´ARM France-Québec n´a pas été mis en place dans le but de faciliter l´intégration socioprofessionnelle. Il a été conçu avec des visées plus restreintes, i.e. faciliter l´admission à l´OIQ par les ingénieurs diplômés en

19 De plus, nous avons constaté dans le cas d’un ingénieur d’origine africaine formé en France, un parcours d’insertion professionnelle plus difficile par rapport à ses collègues citoyens français. Ce témoignage a été recueilli en dépit du fait que ce professionnel ne se qualifiait pas pour l’admission à l’OIQ par le biais de l’Arrangement de reconnaissance mutuelle France-Québec. 20 Le site Internet de cette association mentionne qu’elle « regroupe tous les diplômés de France et d’ailleurs issus des écoles d’ingénieurs et/ou d’universités offrant des forma- tions scientifiques, dans le but de leur faciliter l’intégration professionnelle au Québec ». Nous avons également pu constater l’importance et la vitalité de cette association.

224 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale

France. Tout comme d’autres catégories de professionnels l’affirment (Bédard et Roger, 2015), la culture du travail au Québec s’apparente à ce qui est associé à l’Amérique du Nord : les rapports de pouvoir au sein des entreprises au Québec seraient moins hiérarchisés qu’en France. De plus, on souligne davantage les réalisations professionnelles plutôt que les caractéristiques des diplômes (nature de l’institution, du diplôme).

« Ici ils mettent à l’avance ton expertise et tes compétences tandis qu’en France les diplômes et l’école où tu as fait tes études c’est la première chose qu’on regarde. » (Denis, ingénieur)

Ces différences au niveau des cultures organisationnelles permettraient, en partie, de contrer les effets d’une déqualification professionnelle vécue durant les premières années d’entrée en pratique au Québec. Chez les ingénieurs, cette déqualification est vécue surtout durant la première année, lorsqu’ils disposent d’un permis restrictif temporaire (PRT). Ils doivent alors agir sous la supervision d’un ingénieur membre de l’OIQ, indépendamment des années d’expérience accumulées. L’ingénieur « junior » est parfois plus âgé et surtout, avec davantage d’expérience professionnelle, voire managériale que l’ingénieur québécois qui l’encadre. Surtout au début, cet encadrement peut être contraignant et donner l’impression d’une importante perte de temps dans l’insertion professionnelle dans l’entreprise.

De plus, en France, le gain salarial est en lien avec le titre et le niveau d´études acquis par l´ingénieur alors qu’au Québec, le salaire est plutôt en lien avec la performance de l´ingénieur au sein de l´entreprise.

« Ils disent : “Je vais gagner plus en étant un master”. Moi je leur dis : “Non, je t’embauche comme ingénieur, pas comme master. Si tu me demandes plus cher, d’abord je vais te dire, tu commences comme ingénieur, selon les normes ici, les normes cana- diennes, et si tu performes bien, c’est sûr que je vais te donner une augmentation, sur la base de ta performance, pas sur le fait que tu sois master” » (Marc, informateur)

Les dynamiques relationnelles, personnelles, professionnelles et le rôle des réseaux

Nous avons mentionné plus haut que les ingénieurs français ont peu recours à des services communautaires de soutien à l’insertion professionnelle des immigrants qualifiés. Ils soulignent néanmoins l’efficacité de ces organismes, sur le plan de la connaissance de la société, de son fonctionnement, ainsi que pour la recherche d´emploi, puisqu’ils y ont recours pour l’insertion profession- nelle de leur conjointe.

« Elle [ma femme] est allée voir les associations de quartier et autres, et notamment, à côté de là où on habitait, il y avait des ateliers, une sorte d’association communautaire où elle est allée, où elle a fait encore beaucoup de connaissances d’autres personnes. Donc très rapidement, oui elle a rencontré des gens qui sont devenus des amis. » (Denis, ingénieur)

225 Jean-Luc Bédard et Marta Massana

« D’ailleurs, ma femme était déjà rentrée en contact avec plusieurs associations et groupes ici à Montréal pour ne pas se retrouver toute seule et sans réseau. Ça nous a beaucoup aidés, car depuis le début nous avions un groupe d’amis. Bien que la plupart ce sont des immigrants comme nous. » (Luc, ingénieur)

« Les séminaires [dans les organismes communautaires] te permettent de rencontrer des gens et de commencer à avoir un réseau d´amis. Je le conseille à tout le monde. » (Jean, ingénieur)

Les différences culturelles apparaissent aussi à l’étape des techniques de recherche d’emploi. Tandis qu’en France la recherche d’emploi se fait surtout par l’envoi de CV, au Québec les techniques de réseautage (rencontres d’information, soirées de réseautage, réseaux sociaux sur internet, etc.) sont privilégiées (Béji et Pellerin, 2010). La proactivité individuelle des travailleurs devient essentielle à la réussite lors de la recherche d’emploi au Québec. À ce propos, les interviewés soulèvent l’efficacité des réseaux sociaux comme Linkedin dans la recherche d´emploi ainsi que des activités réseautage et des rencontres d´information avec les employeurs potentiels dans le cas du Québec.

« Ici au Québec [Linkedin] fonctionne très bien. Il est le meilleur moyen de rapidement établir un réseau professionnel et avoir des contacts ainsi que des offres d´emploi. » (Jean, ingénieur)

Finalement, les Français rencontrés constatent que le marché de l´emploi au Québec est beaucoup plus mobile et flexible qu´en France. Ceci expliquerait, en partie, que la mobilité des travailleurs au cours de leur carrière au Québec soit beaucoup mieux valorisée alors qu’en France, cette mobilité peut être signe d’incapacité à satisfaire les exigences, à s’intégrer à une entreprise au-delà du court terme, etc.

Conclusion

Cette étude démontre l’importance d’une nouvelle logique de gestion des flux transnationaux de travailleurs qualifiés, dans ce cas-ci de professions réglementées, qui s’inscrit dans le paradigme de la mobilité. Celui-ci vise ici la mobilité de ces travailleurs dans le cadre d’une entente économique entre la France et le Québec et son éventuel élargissement vers un partenariat entre l’Union européenne et le Canada.

La perception initiale des ingénieurs français, quant au contexte de pratique et au système professionnel québécois, présume de l’existence de différences minimes par rapport à leur expérience française. Or, notre analyse suggère plutôt qu’en réalité, la pratique de la profession nécessite une adaptation impor- tante des professionnels concernés. Ces différences peuvent se situer à divers niveaux : la formation universitaire, le contexte de pratique professionnelle, la régulation de celle-ci, de même que les pratiques de recherche d’emploi, l’éva- luation en contexte professionnel, etc. Les processus mis en place par l’OIQ pour l’obtention du permis reflètent ces considérations. Ils visent l’adaptation des professionnels français, formulés principalement dans le but de réaliser un aspect important de la raison d’être des ordres professionnels québécois : la protection du public.

226 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale

L’étude illustre le fait que l’intégration socioprofessionnelle des ingénieurs éligibles à l’Arrangement de reconnaissance mutuelle France-Québec résulte d’une combinaison de facteurs relevant de l’ensemble des dimensions de l’inté- gration. Ainsi, la réussite socioprofessionnelle de ces travailleurs immigrants et par extension, leur rétention, s’explique par des facteurs structurels, sociocultu- rels et relationnels.

Comme d’autres études portant sur des accords de ce type l’ont soulevé (Gabriel, 2013), l’analyse du contenu et de la mise en place de l’ARM France- Québec pour les ingénieurs démontre que les accords internationaux de reconnaissance mutuelle facilitant la mobilité ne prévoient pas de mécanismes favorisant l’intégration sociale des travailleurs et de leurs proches à la société d’accueil. Ces types d’accords sont pensés uniquement en termes d’intégration au marché de l’emploi de l’individu-travailleur, en tenant seulement compte de la dimension économique des individus. L’aspect social et citoyen de leur intégration à la société d’accueil est passé sous silence. Pourtant, la mobilité internationale des professionnels a des implications au-delà de la sphère stric- tement économique et individuelle. Surtout, la rétention de ces professionnels passe par la capacité de ces derniers, et souvent de leurs proches, à intégrer le marché de l’emploi et à s’intégrer à la société d’accueil sous différentes facettes (logement, école, etc.). Ainsi, la rétention des professionnels dépendant de plusieurs autres facteurs que l’admission à l’ordre professionnel, il serait avan- tageux d’améliorer la gouvernance entre l’ensemble des acteurs concernés dans l’admission, l’intégration et la rétention de ces professionnels.

Dans ce contexte de mobilité et d’internationalisation du travail, l’absence d’un régime international de régulation du marché de l’emploi laisse cette régulation aux gouvernements nationaux (Overbeek, 2002), ce qui implique une reconfiguration étatique avec de nouvelles formes de gouvernance et de nouveaux acteurs. Dans le cas qui nous occupe, soit celui du Québec, notons le rôle des ordres professionnels dans la gouvernance de l’admission des profes- sionnels formés à l’étranger. Ces derniers ont à composer entre les intérêts de leur secteur d’activités, les pressions de sources publiques et gouvernementales à admettre des professionnels formés à l’étranger et leur mandat principal de protection du public. Ce faisant, ils visent un bénéfice à la fois pour les entre- prises, les professionnels eux-mêmes et le public, et ce, autant sur le plan local qu’international. En effet, avant ces intérêts sectoriels et ceux du marché inter- national, la protection du public s’impose comme mandat légal et réglementaire structurant les positions, décisions et pratiques des ordres professionnels. Dans cette configuration, la notion de protection du public prend une importance notoire. La résultante est la mise en place de mesures encourageant la mobilité internationale liée d’un côté, au marché de l’emploi et de l’autre, à la protection des intérêts locaux, essentiellement du public. Notons qu’inversement, des intérêts locaux et le discours médiatique plaident également en faveur de l’ad- mission facilitée des professionnels formés à l’étranger. Les ordres profession- nels sont souvent perçus dans le discours public comme étant à la défense de leurs membres. Justifiées par les ordres professionnels en vertu de la protection du public, les restrictions à l’admission des professionnels formés à l’étranger sont parfois perçues, dans le discours public, comme des contraintes abusives, les obligeant à accepter des emplois subalternes. Résumé rapidement, c’est le syndrome du professionnel devenant plutôt chauffeur de taxi.

227 Jean-Luc Bédard et Marta Massana

Comme nous l’avons vu dans le cas des ingénieurs éligibles à l’ARM France- Québec, la protection du public en tant que notion juridique s’exprime par l’imposition de règles, responsabilités, obligations et limites à l’exercice de la profession qui semblent, aux yeux des nouveaux arrivants, contradictoires à l’esprit de ces accords, animés explicitement par l’idée d’une mobilité interna- tionale.

Quant aux démarches d’admission à l’OIQ, plusieurs exigences semblent créer des entraves à l’entrée en pratique des professionnels visés par l’ARM dont notamment, la présentation des relevés de notes des études faites en France et la présentation des preuves concernant l’expérience professionnelle passée. L’OIQ a identifié ces dimensions et procède à la révision des mesures compen- satoires exigées. En même temps, un nouveau débat s’ouvre au sein de l’OIQ sur l’évaluation par diplômes versus l’évaluation par compétences, ce qui en soi nécessiterait une analyse débordant du cadre de cet article.

À propos de l’intégration socio-professionnelle des ingénieurs formés à l’étranger, nos analyses21 constatent l’absence de mesures prévues par l’Arran- gement de reconnaissance mutuelle qui touchent aux dimensions culturelles et relationnelles de l’intégration socioprofessionnelle. Premièrement, cet instrument juridique ne prévoit pas de mesures facilitant l’intégration sociale et/ou profes- sionnelle pour les accompagnants des professionnels éligibles (conjoint·e·s et enfants principalement). Ceci entraîne le découragement surtout des conjoint·e·s, pouvant mener à des remises en question du projet migratoire initial et de la décision de rester au Québec. Le projet professionnel de la plupart des profes- sionnels interviewés n’est pas seulement un projet individuel, mais aussi familial. Les employeurs et les services mis en place par ceux-ci pour l’accueil et l’inté- gration des professionnels français à leur arrivée jouent un rôle très important dans le processus d’intégration de ces professionnels et de leurs proches, autant au marché de l’emploi que dans la société d’accueil. Les organismes d’aide à la recherche d’emploi ainsi que les organismes communautaires avec un mandat d’intégration sont également des ressources jugées intéressantes par les profes- sionnels et leurs familles y ayant eu recours, autant pour la recherche d’emploi que pour la connaissance et l’intégration à la société d’accueil. Ceci vaut même si ces organismes étaient moins fréquentés par les professionnels diplômés en France que les autres professionnels immigrant au Québec.

Deuxièmement, la logique sur laquelle ce type d’accord est bâti peut omettre les effets sur les professionnels visés du « choc culturel » que plusieurs d’entre eux peuvent expérimenter en raison des différences, souvent insoupçonnées, quant aux codes culturels liés à l’emploi et au monde du travail. Également, au moins au début, l’Arrangement de reconnaissance mutuelle ne prévoyait pas les impacts de la déqualification professionnelle – concrète et symbolique – des professionnels sous PRT limitant l’exercice de la profession. Toutefois, un marché de l’emploi beaucoup plus flexible et mobile au Québec qu’en France ainsi que l’existence de conditions salariales souvent meilleures, de dynamiques plus horizontales et de meilleures possibilités d’ascension en entreprises contri- buent, en partie, à atténuer ces contraintes vécues par plusieurs ingénieurs.

21 D’autres recherches sur les accords commerciaux et de mobilité internationale soulignent ce même constat (Nielson, 2002 ; Gabriel, 2013).

228 Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale

En dépit de leur statut privilégié aussi bien sur le plan économique que sur le plan social, les migrants qualifiés doivent apprendre les codes culturels de la société d’accueil et du milieu de travail de manière spécifique. Idéalement, le processus d’intégration socioprofessionnelle étant un processus à double sens – avec l’interaction entre les migrants et la société d’accueil (Béji et Pellerin, 2010), il serait pertinent d’approfondir nos analyses sur les acteurs non gouvernemen- taux ayant un rôle dans ce processus (employeurs, organismes communautaires d’aide à la recherche d’emploi, organismes représentant les intérêts des profes- sionnels diplômés à l’étranger, etc.). Également, nous croyons pertinent d’élargir la présente recherche avec l’ajout de nouveaux cas, vu l’entrée en vigueur récente de l’ARM pour ingénieurs (juillet 2013) et ses ajustements subséquents.

Finalement, compte tenu des constats relevant de cette étude ainsi que d’études similaires portant sur l’intégration socioprofessionnelle des immi- grants qualifiés, nous soulevons l’importance d’élargir notre étude à d’autres groupes professionnels de la même catégorie d’immigrants éligibles à l’ARM France-Québec. Ceci permettrait notamment de saisir ce qui, dans la démarche d’intégration socioprofessionnelle, est spécifique aux ingénieurs et ce qui traverse d’autres professions visées par des ARM.

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232 Résumé - Abstract - Resumen

Jean-Luc Bédard et Marta Massana Macià Intégration socioprofessionnelle et mobilité internationale. Le cas des ingénieurs français ayant emprunté l’ARM France-Québec

Cet article porte sur l’intégration socioprofessionnelle d’ingénieurs français immigrant au Québec. Notre analyse vise à documenter le fonctionnement des règlements de l’Arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM) France-Québec et des mesures compensatoires exigées pour l’entrée en pratique profession- nelle d’ingénieurs français au Québec. Leurs parcours s’inscrivent dans le cadre du paradigme de la mobilité. Nous décrivons l’intégration socioprofessionnelle selon deux grandes catégories explicatives inspirées de Heckmann : les dimen- sions structurelles et les dimensions culturelles et relationnelles. Davantage qu’une question associée à la stricte régulation professionnelle, l’entrée en pratique professionnelle apparaît comme un processus multidimensionnel, où interviennent les acteurs de l’immigration, du système professionnel et des employeurs, principalement. Notre étude de cas s’appuie sur quatorze entrevues menées auprès d’ingénieurs français, d’acteurs du système professionnel et d’informateurs clés issus d’organisations locales, bien au fait des réalités de cette catégorie d’immigrants au Québec.

Social and Professional Integration and International Mobility. The Case of French Engineers Using the France-Quebec MRA

This article focuses on socio-professional integration of French engineers migrating to Quebec. Our analysis aims at describing the France-Quebec Mutual Recognition Arrangements’ rules and its compensatory measures required for entry into professional practice of French engineers in Quebec. Their journey follows the framework of the mobility paradigm. We describe socio-professional integration under two large heuristic categories, inspired by Heckmann: struc- tural dimensions, and cultural and relational dimensions. More than strictly a question of professional regulation, entry into professional practice is shown as a multidimensional process where actors mainly from immigration, professional system and employers intervene. Our case study is based upon 14 interviews conducted with French engineers, actors from the professional system and key informants from local organisations, well aware of this category of immigrants’ context in Quebec.

233 Résumé - Abstract - Resumen

Integración socio profesional y movilidad internacional. El caso de los ingenieros franceses en el marco del ARM Francia-Quebec

Este artículo aborda la integración socio profesional en Quebec de los ingenieros diplomados en Francia. El análisis pretende documentar el funcionamiento de los reglamentos del acuerdo de reconocimiento mutuo de las cualificaciones profesionales (ARM) Francia-Quebec y las medidas de compensación exigidas para ejercer la profesión en Quebec. La trayectoria de dichos ingenieros se inscribe dentro del paradigma de la movilidad. Consideramos la integración socio profesional según dos grandes categorías explicativas inspiradas de Heckmann: la dimensión estructural y la dimensión cultural y relacional. El ejercicio de la profesión es visto como un proceso multidimensional en el que intervienen diferentes tipos de actores en relación con la inmigración, el sistema profesional y las empresas. El estudio de caso comprende 14 entrevistas reali- zadas a ingenieros franceses, actores del sistema profesional e informantes claves del tejido asociativo conocedores de la realidad de esta categoría de inmigrantes en Quebec.

234 REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 235-256

Sauvons Calais, un groupe anti-migrants. Une perspective : « rétablir l’ordre » Matthijs Gardenier1

Pour comprendre la particularité de la situation calaisienne, il faut savoir que depuis le traité du Touquet de 2003, signé par Nicolas Sarkozy avec le Royaume-Uni, le contrôle aux frontières ne se fait plus en Angleterre, mais en France, au niveau du port de Calais et de l’entrée de l’Eurotunnel (Wannesson, 2015 : 18-21). Ainsi, de nombreux migrants cherchent à passer en Grande- Bretagne, mais restent souvent coincés autour de Calais pendant plusieurs mois, voire des années, créant une population « entre-deux » ou en « stockage » (Henriot, 2015 : 1-8). Ils n’ont aucun autre moyen de subsistance que l’aide apportée par des associations et n’ont pas de demeure fixe. Ils logent dans des friches industrielles, des habitations précaires ou dans des campements surnommés « jungles ».

Ils subissent une forte pression de la part des pouvoirs publics qui évacuent régulièrement les squats et jungles et utilisent des OQTF2 comme moyen dilatoire : les migrants sont envoyés en centre de rétention dans divers endroits en France puis sortent au bout de quarante-cinq jours, car ils ne sont pas expul- sables. Ce processus a pour objectif de décourager et surtout de réduire de manière temporaire la masse de personnes présentes autour de Calais, mais son efficacité est très limitée (Alaux, 2015 : 3-8).

En avril 2015, les pouvoirs publics leur permettent de se concentrer dans la jungle située autour du camp d’accueil Jules Ferry qui prend d’abord la forme d’un accueil de jour, puis à l’automne 2015 devient un camp d’accueil temporaire de 1 500 places. Dans le contexte de la « crise des migrants3 » de l’été 2015, le nombre de migrants présents à Calais croît fortement et la jungle accueille

1 Sociologue, ATER à l’Université Paul-Valéry, Montpellier 3, Route de Mende, 34199 Montpellier ; [email protected] 2 Une OQTF est une Obligation de quitter le territoire français. Elle permet l’interpellation des migrants et leur placement en centre de rétention fermé. 3 La « crise des migrants » est le nom donné à l’épisode qui voit à l’été 2015, l’arrivée de très nombreux migrants sur le continent européen, notamment par la voie des Balkans. Cette arrivée est construite politiquement et médiatiquement comme une « crise », les pays de l’Union européenne, s’attribuant mutuellement la responsabilité de la situation, refusent d’accueillir ces migrants, à l’exception de l’Allemagne. Cette « crise » voit le développement de nombreux mouvements anti-migrants.

235 Matthijs Gardenier

entre 6 500 et 10 000 personnes suivant les estimations de l’État ou des asso- ciations4. En mars 2016, la partie sud est démantelée par les forces de l’ordre, après plusieurs jours de manifestations et d’affrontements (Baumard, 2016). En octobre 2016, le gouvernement français procède à l’évacuation du reste de la jungle et reloge la plupart de ses résidents dans des centres d’accueil et d’orientation répartis sur presque tout le territoire français. Il est probable que cet éloignement soit temporaire et que la région voie bientôt un nouvel afflux de déplacés.

Cette situation crée de vives réactions dans la population de Calais et génère un jeu politique très complexe. Nous proposons d’identifier cinq acteurs y prenant part : l’État, les élus locaux tels que Natacha Bouchart, maire de Calais (parti Les Républicains), les associations humanitaires, le mouvement de soutien aux migrants5, et les groupes anti-immigration, dont Sauvons Calais.

Revue de littérature

Les activités du groupe Sauvons Calais s’inscrivent dans un contexte d’émer- gence du vigilantisme en France. Ce concept est défini par Favarel-Garrigues et Gayer (2016 : 9) comme « un certain nombre de pratiques collectives coercitives, mises en œuvre par des acteurs non étatiques afin de faire respecter certaines normes (sociales ou juridiques) et/ou d’exercer la “justice” ». En France, ces pratiques restent politiquement assimilées à la Collaboration. ; les souvenirs de la et de la délation restent vifs (Brodeur et Jobard, 2005).

Pour autant, les choses commencent à changer et depuis quatre ou cinq ans il est possible d’observer un retour du vigilantisme. Par une veille documentaire de la presse sur les années 2015 et 2016, nous avons constaté que les références à ce type de phénomène étaient fréquentes. Par contre, les travaux univer- sitaires portant sur le sujet en France sont relativement rares. La plupart des études sur le vigilantisme prennent principalement la forme d’études comparées qui portent sur d’autres espaces géographiques (États-Unis, Amérique latine, Afrique ou Russie) ou relèvent de travaux historiques, par exemple ceux de Houte (2015). En France, des recherches sur les manifestations récentes du phénomène commencent à émerger (Eleonora Elguezabal notamment).

Selon Abrahams (1998), ce phénomène voit des « citoyens » prendre en main leur sécurité, voire se faire justice eux-mêmes, sans passer par des institutions telles que la police et la justice, en dehors de toute légalité, car considérant l’action des forces de l’ordre comme insuffisante. Il convient de noter, comme le montre Walsh (2014), que le développement de groupes axés autour du vigi- lantisme est une des modalités de l’augmentation du contrôle sécuritaire autour des frontières, ce qui ouvre la question de leur intégration dans les dispositifs mis en place par les États et la nécessité d’interroger l’action de ces watchful citizens.

4 « Plus de 9 000 personnes selon deux associations » (Le Monde avec AFP, 2016). 5 Celui-ci comporte plusieurs groupes et associations. Les No Border, militants proches du courant anarchiste, constituent particulièrement les cibles de Sauvons Calais.

236 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants

Les minutemen et autres border patrol aux USA décrits par Shapira (2013) et Bazenguissa-Ganga et Makki (2012) en sont des bons exemples, prompts à utiliser les techniques de cybersécurité les plus modernes comme le rappelle Simonneau (2016). Nous verrons néanmoins que la dimension revendicative des actions de Sauvons Calais s’éloigne quelque peu de ces modèles. Rappelons aussi que Comaroff et Comaroff (2006) insistent sur le lien étroit entre le moment néolibéral contemporain et la diffusion globale des vigilantismes qu’ils défi- nissent comme des « formes bon marché de maintien de l’ordre » (cheap forms of law enforcement).

Enfin, un élément qui semble important est mis en avant par Johnson (1996). Celui-ci conçoit le vigilantisme comme un mouvement social constitué de citoyens agissant de manière volontaire, en toute autonomie par rapport à l’État, pour lutter contre la « criminalité » en utilisant ou menaçant d’utiliser la violence. Les travaux de Loveluck (2016 : 135) ajoutent à la définition du vigilantisme l’idée de l’utilisation des médias sociaux : « se faire justice soi-même en engageant en ligne des formes actives de surveillance, de répression ou de dissuasion ciblées, qui passent avant tout par un surcroît d’attention non sollicitée ou de publicité négative ». Il distingue quatre dimensions du vigilantisme numérique : signale- ment, enquête, traque et dénonciation organisée.

Pour Rosenbaum et Sederberg (1974 : 541-570), les ressorts principaux du vigilantisme ne reposent pas tant sur des passages à l’acte, mais plutôt sur leur menace. Leur publicisation du vigilantisme par la page Facebook de Sauvons Calais donne au groupe calaisien une existence sociale et une visibilité qui dépasse les simples actes de coercition.

Les concepts développés par Tilly semblent utiles, tout particulièrement celui de répertoire d’action, défini comme : « Une série limitée de routines qui sont apprises, partagées et exécutées à travers un processus de choix relativement délibéré » (Tilly et Wood, 2009 : 26). Les actions d’un répertoire d’action sont construites socialement, car elles sont un ensemble de normes, de valeurs, de pratiques orientées stratégiquement. La forme des actions, leurs objectifs s’inscrivent dans un contexte général de structure des opportunités politiques (Tarrow et Tilly, 2008).

Enfin, il est aussi nécessaire de se référer aux travaux de Wood (2017) sur les mouvements sociaux anti-immigration aux États-Unis, au Canada et en Grande Bretagne entre 2000 et 2016. Pour elle, ces mouvements se caractérisent par une combinaison de mouvements de masse empruntant aux répertoires classiques des mouvements sociaux, mais aussi du mouvement des (Minutemen et Aryan Nation aux États-Unis), ce qui tendrait à montrer des points communs entre les dynamiques de Sauvons Calais et celles des groupes qu’elle étudie.

C’est aussi la notion de cadrage qui nous a paru intéressante pour comprendre les actions du collectif. Le sens de l’action collective va se structurer dans des agencements spécifiques de représentations, de valeurs, de normes, de pratiques. Ils vont former des « cadres conceptuels » (Fillieule, Mathieu et Péchu, 2009). La frame analysis, ou analyse des cadres, émerge au tournant des années 1970 et 1980. Les cadres sont des schèmes d’interprétations qui permettent à des individus de « localiser, percevoir, identifier et étiqueter »

237 Matthijs Gardenier

(Fillieule, Mathieu et Péchu, 2009). Pour qu’il y ait un processus de mobilisation, il est donc nécessaire qu’un nombre suffisant d’acteurs sociaux conçoivent la situation dans laquelle ils se trouvent comme « injuste ». Pour qu’il y ait action effective, il faut qu’il y ait un accord entre les participants sur un diagnostic de la situation (diagnosis framing), un moyen d’y remédier (prognostic framing) et sur la nécessité d’agir (motivationnal framing). La conjonction des trois forme un « cadre d’action collective », qui est « un ensemble de croyances et de représen- tations orientées vers l’action » (Fillieule, Mathieu et Péchu, 2009 : 32).

Pour finir, le vigilantisme de Sauvons Calais présente une particularité par rapport à de nombreux vigilantismes : ses cibles ne sont pas des « criminels » ou des « délinquants », mais bel et bien l’ensemble des migrants présents sur Calais (Favarel-Garrigues et Gayer, 2016). La perspective finale n’est pas un rétablisse- ment de la justice par le châtiment de quelques « délinquants ». Au contraire, c’est une population entière, présentée comme « nuisible » qui est ciblée.

Problématique de recherche

Le 23 octobre 2013, sur sa page Facebook personnelle, la maire de Calais, Natacha Bouchart, publie un appel incitant les Calaisiens à repérer et à dénoncer toute implantation de squats de migrants. Cet appel est immédiatement médiatisé et crée une polémique nationale (EM, 2013). Dans la foulée, un jeune activiste d’extrême droite, Kevin Rêche, créée la page Facebook Sauvons Calais, qui précède de quelques semaines la création du collectif. Dès le début, son objectif est de mobiliser les Calaisiens contre les migrants, en répertoriant les squats afin de « sauver Calais ». La page devient rapidement très fréquentée. En novembre 2016, près de 20 000 personnes la suivent. Le groupe met en avant trois revendications : la constitution officielle de groupes de vigilance, la disso- lution des groupes de soutien aux migrants et surtout l’enfermement de tous les réfugiés dans un camp fermé.

Au départ de notre enquête, nous pensions que le collectif Sauvons Calais était principalement une milice, dans la droite lignée du fascisme historique des années 1920 et 1930 tel que Gentile (2015) a pu le décrire. Lors de notre arrivée sur le terrain, nous avons pu constater une réalité plus complexe : le collectif organise des manifestations, des pétitions, des activités relevant du mouvement social tel qu’a pu les penser Tilly. Celles-ci s’inscrivent dans le répertoire WUNC (Respectabilité, Unité, Nombre, Détermination) (Tilly et Wood, 2009), tous en faisant la promotion d’activités relevant du répertoire du vigilantisme.

Ce constat a mené à deux choses : nous avons dû reconsidérer notre approche théorique, trop simpliste, mais surtout nous avons pu toucher à un aspect souvent négligé du vigilantisme, sa proximité avec la sphère des mouve- ments sociaux, ce qui a semblé très intéressant. Nous avons commencé par penser le collectif Sauvons Calais comme un objet hybride, en quelque sorte un objet politique non identifié, mêlant des caractéristiques du mouvement social tel que défini par Tilly et Wood (2009) et du vigilantisme défini par Favarel- Garrigues et Gayer (2016 : 9). Néanmoins, au fur et à mesure du traitement et de l’analyse des données, cette séparation binaire a paru de plus en plus artificielle.

238 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants

Au contraire, il nous a semblé que c’était la définition de Johnston (1996 : 220-236) du vigilantisme, comme mouvement social visant à rétablir l’ordre, qui était la plus pertinente pour comprendre les actions du collectif. Dans cette pers- pective, au lieu de penser les actions du groupe comme formant une dichotomie, nous les considérons comme ayant une perspective unique : le rétablissement de l’« ordre » à Calais. Si certaines apparaissent comme plus « respectables » ou « acceptables », l’ensemble de ces actions sont à comprendre comme faisant partie de ce mouvement de restauration de l’ordre. C’est cette perspective qui a guidé notre travail, afin de comprendre dans quelle mesure cette définition est adéquate pour comprendre un mouvement tel que Sauvons Calais.

Dans un premier temps, nous allons examiner les trajectoires militantes de ses membres, leurs représentations, leur conception du monde, ainsi que les revendications développées par le collectif. Dans un deuxième temps, nous allons nous intéresser au répertoire d’action du collectif, qui mêle éléments du répertoire des mouvements sociaux de droite (Pilkington, 2016) et du vigilan- tisme, ainsi qu’à ses interactions avec les pouvoirs publics, élus locaux et repré- sentants de l’État, marqués par une certaine ambiguïté.

Méthode adoptée

Notre enquête s’est faite sur un peu plus d’un an et demi, au cours de trois séjours sur le terrain, en mars 2015, juin 2015 et novembre 2016. Nous nous présentons en tant que chercheur en sciences sociales, travaillant sur le vigilan- tisme en France, en déclinant notre institution d’appartenance. Lorsque nous rencontrons des membres de Sauvons Calais, nous leur expliquons que nous travaillons sur la situation calaisienne et que nous sommes intéressés par leur mouvement, leurs actions et leurs revendications.

Quand nous rencontrons des membres d’associations humanitaires et du mouvement de soutien aux réfugiés, nous leur expliquons que nous travaillons sur le vigilantisme et sur Sauvons Calais et que nous aimerions nous entretenir avec eux de ce qu’ils savent de Sauvons Calais, de leurs interactions avec eux et plus largement de la situation à Calais. Lorsque nous rencontrons des migrants, nous leur demandons de narrer leur parcours, ainsi que les agressions dont ils ont été victimes.

Nous avons mené une quinzaine d’entretiens qui durent entre vingt minutes et une heure trente. Il faut par ailleurs remarquer que ces entretiens sont parfois réalisés dans des conditions difficiles. Nous avons ainsi eu des difficultés à nous mettre en lien avec les membres de Sauvons Calais, assez méfiants. Dans un premier temps, Kevin Rêche, leader du groupe, ne souhaite pas parler et nos demandes de contact restent sans réponse. Ensuite, plusieurs rendez-vous que nous avons pu fixer avec des militants du groupe sont annulés, parfois à la dernière . Au final, nous réussissons à obtenir deux entretiens avec des militants. Le premier est avec M., cadre du groupe et responsable local du Parti de la France6, plus âgé et plus formé que le reste des militants. Le deuxième

6 Scission droitière du Front national. Pour plus de détails se référer à Lebourg (2015).

239 Matthijs Gardenier

se fait avec D., militant proche des Identitaires7, qui participe aux actions de Sauvons Calais, puis rejoindra ensuite les Calaisiens en Colère.

Ces difficultés peuvent être liées à celles que rencontrent fréquemment les chercheurs travaillant sur la violence politique, face à des acteurs montrant de fortes réticences à se prêter au jeu de l’enquête. Cela s’explique à la fois par rapport au caractère potentiellement illégal de certaines activités, mais aussi par la très mauvaise image qu’ils peuvent avoir dans les médias, assimilant socio- logues et journalistes. Ces obstacles à la recherche ont été mis en évidence par Bugnon et Lacroix (2017 : 11-12) et par Lavergne et Perdoncin (2010). Celles-ci impactent quantitativement le nombre d’entretiens obtenus, mais aussi qualita- tivement sur leur contenu. En effet, les personnes avec qui nous nous entrete- nons sont très méfiantes et veillent à présenter le meilleur jour de leurs activités.

Nous obtenons beaucoup plus facilement des entretiens avec des Calaisiens qui ne sont pas des militants, mais qui ont participé à des actions de Sauvons Calais. Nous rencontrons ainsi une riveraine de la jungle Jules Ferry, un habitant de Coulogne qui a participé au siège du squat, ainsi qu’une habitante au profil plus particulier, K. Elle participe dans un premier temps à la mobilisation contre le squat à Coulogne organisée par Sauvons Calais avant de passer du côté du mouvement de soutien aux réfugiés.

Les associatifs, ainsi que les militants pro-refugiés acceptent plus facilement une rencontre à l’exception des membres de No Border qui acceptent des entre- tiens informels, mais refusent que nous prenions des notes, de même que tout enregistrement. Nous menons des entretiens avec Y., l’avocate des No Border, ainsi qu’avec E., militant de l’Action antifasciste NP2C, confronté régulièrement dans la rue aux militants de Sauvons Calais, et avec W., militante à la Cabane Juridique, ONG de soutien aux migrants, ainsi qu’avec N., militante de l’asso- ciation Calais Ouverture et Humanité qui relate son agression par un militant d’extrême droite, ainsi que W., militant de terrain et animateur du blog Passeurs d’hospitalité.

Les élus locaux jouent aisément le jeu. Nous rencontrons ainsi le maire de Coulogne (Alain Fauquet, Parti socialiste), ainsi qu’Emmanuel Agius, premier adjoint au maire de Calais (parti Les Républicains). Nous rencontrons aussi deux migrants, H. et A., victimes d’agressions qu’ils attribuent à des militants d’extrême droite. Ces entretiens sont difficiles à mener à cause de la barrière de la langue, et du contexte (au milieu d’une jungle). Par contre, la préfecture ne donne pas suite à nos demandes d’entretien. Nous assistons aussi à une confé- rence de presse du collectif Sauvons Calais, le 7 juin 2015. Celle-ci est une excel- lente occasion de mettre en perspective de manière globale ce qu’il est possible de constater de façon plus fragmentaire dans les entretiens.

Nous nous documentons largement sur les contenus produits par le collectif, qui sont des publications Facebook, des photographies, des « visuels8 », des

7 La mouvance des Identitaires est une formation d’extrême droite radicale classée à droite du Front national. Elle se caractérise par une très forte islamophobie. 8 Nous nommons « visuel » une image réalisée par les soins du collectif associant image et texte.

240 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants billets de blog, ainsi que des vidéos. L’ensemble de ces éléments est publié sur la page Facebook du collectif ou son blog. Néanmoins, nous ne présenterons pas ici d’analyse de contenu de ce corpus, pour laquelle la rédaction d’un autre article serait nécessaire. Ces contenus serviront comme éléments d’appui et d’il- lustration des données recueillies par le biais des entretiens et de l’observation. Les contours politiques de Sauvons Calais

Les militants, de même que Kévin Rêche, se présentent comme des « jeunes patriotes », basés sur Calais et ses alentours. Selon W., le collectif compterait entre quinze et vingt membres, qu’elle décrit comme de jeunes skinheads. Un article de presse révèle que Rêche a une croix gammée tatouée sur le torse, ce qui suscite une polémique (La Voix du Nord, 2014b). En termes politiques, l’ancrage du groupe se situe clairement à l’extrême droite. Ainsi, deux membres du collectif, Kévin Rêche et Mickael Paepe, se présentent aux départementales de mars 2015 sous l’étiquette du Parti de la France (Lebourg, 2015), avec pour slogan de campagne « Sauvons Calais ».

En termes socioprofessionnels, nous n’avons pas accès à des données concernant l’ensemble des membres du collectif, mais les membres que nous contactons présentent un profil assez semblable. Kévin Rêche a quitté le lycée à seize ans sans obtenir le baccalauréat. Il est au chômage, n’ayant pas réussi à passer le concours d’agent de sécurité. E., avec qui nous avons des contacts téléphoniques mais qui refuse finalement un entretien, a vingt-et-un ans. Il est magasinier dans la grande distribution, M., pour sa part, a trente-six ans et est un ancien agent administratif contractuel au chômage. Enfin, D., ancien membre du collectif âgé de trente-six ans, est intérimaire et de niveau scolaire baccalauréat. Si en l’absence de données sur la totalité des membres, il n’est pas possible de faire de généralisation concernant la sociologie du collectif dans son ensemble, il est toutefois possible d’affirmer que les militants rencontrés présentent un profil similaire à ceux des skinheads de l’Aisne étudiés par François (2017).

Trajectoires militantes

Nous allons ici nous intéresser plus particulièrement à ce que disent deux membres sur leur participation au collectif. Le premier est D., un homme de trente-six ans. Il est un ancien croupier de casino, puis est devenu intérimaire suite à la perte de son emploi. Il dit avoir des difficultés à trouver du travail. Le second est M., un homme de trente-quatre ans, qui a été agent administratif contractuel dans l’éducation nationale. Il est au chômage depuis 2014.

Leurs carrières militantes sont assez longues. D. a été membre des Identitaires pendant dix ans, aux Jeunesses Identitaires, puis au Bloc Identitaire, qu’il quitte pour des désaccords politiques, car selon lui : « Ils sont passés à une ligne catho un peu dure et moi je suis athée ». Il se présente ensuite sur la liste du Front national aux élections municipales en 2014, mais est très déçu car « ils [le Front national] ne proposent rien pour Calais » et il dit être tombé sur « des incompétents alors, mais d’une force ! ». Maintenant « sans étiquette » il participe un temps aux actions de Sauvons Calais. Il quitte ensuite le collectif, car il estime que le rôle du Parti de la France y est trop important. Il rejoint ensuite Les Calaisiens en Colère qui se crée fin 2015.

241 Matthijs Gardenier

Pour sa part, M. est à la fois membre du Parti de la France et du collectif. Il dit assurer la modération de la page et assister aux réunions. Il se présente comme ancien responsable local du Front national, où il dit être resté de longues années. Il le quitte suite à la « dédiabolisation ». Il reproche au Front national de ne pas parler d’immigration « pour éviter la stigmatisation médiatique ou encore des accusations d’antisémitisme ».

Les deux sont extrêmement attentifs à ne pas laisser filtrer d’informations sur la vie interne du groupe. Ainsi, D. n’énonce que des généralités affirmant plusieurs fois « Kévin est sympa ». De même, M. n’évoque que peu le militantisme concret du groupe, recentrant l’entretien sur des considérations idéologiques plus générales dès que le sujet est abordé. Concernant le lexique employé par les deux militants, plusieurs termes semblent particulièrement intéressants. Tout d’abord il y les termes issus de la « fachosphère9 ». Ainsi, D. emploie des termes tels que « dictature socialiste », très populaire dans la « fachosphère », issu de la campagne Hollande Démission, lancée par un proche du Bloc Identitaire et repris par la Manif pour tous. Il utilise aussi le terme « #pasdamalgam » pour désigner les « bienpensants antiracistes » qui refuseraient d’assimiler immigra- tion et délinquance. Il faut noter que ces termes sont tous deux mis en avant par le courant des Identitaires.

Les deux emploient très fréquemment le mot « squat », pour désigner les migrants, avec une animosité plus élevée que d’ordinaire dans leur voix. L’établissement de squats semblant être un important élément moral dans leur engagement, ceux-ci étant perçus comme particulièrement intolé- rables. Concernant l’immigration, M. parle de celle-ci comme une « souffrance partagée ». D’un côté, les « Français » souffriraient de dégradations de leurs conditions de vie causées par la concurrence économique et l’insécurité qui seraient liées aux migrants. De l’autre, les exilés souffriraient d’être « déracinés » dans des pays occidentaux dont la culture leur serait « étrangère ». Cette concep- tion de « souffrance partagée » est issue du discours très dur sur l’immigration du Front national des années 1990, appelant à des « retours forcés » (Crépon, Dézé et Mayer 2015).

Concernant les raisons de son engagement dans les groupes anti-immigra- tion, D. explique qu’il se mobilise à cause d’un « ras-le-bol des migrants », car « ils ont squatté à deux maisons de chez moi, c’était insupportable ». Plus qu’une volonté de justice ou de dignité, il manifeste une volonté de « faire cesser la situation » pour « un retour à la normale », car « les commerçants ont perdu leur clientèle à cause des clandestins qui squattent ». Pour lui, la solution afin de rétablir l’ordre serait « un centre fermé » pour tous les enfermer. Il estime que ce camp fermé devrait être géré par les Britanniques « dont c’est la responsa- bilité », revendication que partage M. qui, pour sa part, considère que le camp devrait être géré par l’État français, mais aussi par les « citoyens concernés ».

Ces deux militants ont comme point commun d’avoir un parcours d’enga- gement long, marqué par des ruptures. Pour eux, l’engagement dans les groupes anti-migrants nait de « l’inaction » du Front national. Le passage par

9 Le terme « fachosphère » désigne l’ensemble des sites, blogs, forum et pages de réseaux sociaux d’extrême droite en France.

242 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants cette formation est d’ailleurs un autre point commun, ainsi que la rupture avec celui-ci, par ailleurs partagé avec Kévin Rêche, qui malgré son jeune âge est passé par le Front national10. On voit que le Front national joue bel et bien un rôle de matrice de leur engagement militant. Ce sont donc des militants expérimentés, fortement engagés à l’extrême droite. Un autre point commun est frappant entre ces deux militants : leur faible intégration économique. L’un est chômeur et l’autre alterne régulièrement périodes d’activité et d’inactivité. Cette situation de précarité économique est aussi partagée par Kévin Rêche, qui titulaire d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP), n’a jamais travaillé et habite encore chez sa mère.

K., de la participation aux actions de Sauvons Calais au mouvement de soutien aux migrants

Nous avons aussi eu la chance de réaliser un entretien très intéressant avec K.11 dont le profil est tout autre. Elle est habitante de Coulogne et a participé aux mobilisations organisées par Sauvons Calais contre un squat qui s’y implan- tait. Elle est mobilisée par des rumeurs répandues en ligne, mais aussi par le voisinage selon lesquels un squat qui accueillerait une centaine de migrants venait d’être ouvert par les No Border. Elle participe dans un premier temps aux manifestations, qui se transforment en siège du squat12.

Elle quitte ensuite la mobilisation et bascule du côté du mouvement de soutien aux réfugiés suite à un évènement déclencheur : elle va parler aux No Border qui occupent la maison, ce qui la fait changer de camp. Elle affirme que la cause de ce basculement est le « seuil du nombre » : elle se rend compte que ce n’est pas « cent migrants » qui habiteraient la maison, mais « une dizaine », ce qui la rassure et l’amène à questionner son engagement dans la mobilisation, puis à la quitter et enfin à s’engager avec les ennemis de Sauvons Calais, le mouvement de soutien aux réfugiés. Elle rejoint Calais Ouverture et Humanité et participe pendant plusieurs mois à leurs activités de même qu’aux distributions de repas de l’association Salam.

Elle parle aussi des discussions qu’elle a pu avoir sur Internet avec l’ex petite amie de Kevin Rêche, Sonia. Elle dit être une des personnes l’ayant incitée à quitter le groupe. Il est d’ailleurs intéressant de savoir que Sonia, depuis sa rupture avec Kévin Rêche a rejeté les idées du collectif, s’est mariée avec un migrant afghan et a milité un temps dans le même collectif que Katie13. Par la suite, elle arrête progressivement son engagement. Pour elle, ce retrait s’explique par plusieurs raisons, la première étant qu’elle avait l’impression de s’être surinvesti, avec un rythme dur à tenir. De plus, elle subit des pressions. Son fils est pris à partie verbalement par des habitants du village. Pour sa part,

10 Il est par ailleurs possible de trouver sur Internet une photo de Kévin Rêche avec (France 3 Nord-Pas-de-Calais web, 2014). 11 Préoccupée par son anonymat, K. refuse de donner trop d’informations personnelles sur ses activités professionnelles, avant de se détendre au fil de l’entretien. Elle nous reçoit chez elle, dans un petit pavillon à quelques rues de l’ancien squat de Coulogne. 12 Plus loin, nous effectuons un focus sur cet épisode particulier. 13 Nous avons tenté de rencontrer cette ancienne militante, mais celle-ci annule plusieurs rendez-vous et nous ne parvenons jamais à lui parler. Pour plus d’indications sur son parcours, voir Salam (2014a).

243 Matthijs Gardenier

elle est régulièrement insultée sur Internet par des habitants de Coulogne ainsi que par des militants de Sauvons Calais. Elle parle de sa mère qui lui reproche de s’engager. Après avoir vu une photo d’elle avec des migrants, elle lui dit « tu es folle tu mets tes enfants en danger, tu vas ramener des maladies ». En fin d’entretien, elle confie aussi que son « mari est pas trop pour que je m’engage ».

Le profil de K. présente de fortes différences avec celui des deux précédents militants. Sans bagage militant préalable, c’est le choc moral, au sens que va lui donner Jaspers (1998), c’est-à-dire un évènement suscitant une forte émotion à même de modifier le cadrage et la vision du monde d’une personne. Celui-ci est suscité par l’ouverture du squat, qui la pousse à s’engager dans un camp, puis un autre. Par ailleurs, au moment où nous la rencontrons, son engagement a cessé depuis plusieurs mois, celui-ci étant, semble-t-il remis en cause par la pression sociale qu’elle subit. Idéologie et revendications

Nous allons maintenant présenter les revendications du groupe et son cadre d’action collective, à partir d’éléments collectés sur le site Internet de Sauvons Calais, sa page Facebook, lors des entretiens, mais surtout lors de la conférence de presse du 7 juin 2015. Celle-ci se tient en lieu et place d’une manifestation initialement prévue, mais interdite par la préfecture. Elle met en scène Kévin Rêche, dirigeant de Sauvons Calais, Thomas Joly, dirigeant régional du Parti de la France et Yvan Benedetti, dirigeant national de l’Œuvre française14.

La représentation des migrants

Tout d’abord, le groupe est le vecteur d’une représentation particulière des migrants qui incarneraient la figure de l’ennemi. Des termes tels qu’« invasion » et « colonisation » reviennent très régulièrement. La situation à Calais est qualifiée d’« abcès ». Yvan Benedetti, pour sa part, parle de « submersion migra- toire », qui mènerait à un avenir apocalyptique non seulement pour la ville, mais aussi pour la France entière. Le gouvernement ne permettrait pas à la police de faire son travail. Ce manque de volonté politique de l’État justifierait le recours au vigilantisme, appuyé par l’exemple (donné à de multiples reprises) d’agres- sions de routiers par des migrants tentant de monter à bord.

Rappelons que « le potentiel de l’émergence du phénomène de vigilantisme varie positivement avec l’intensité et l’étendue de la croyance qu’un régime est inefficace à s’occuper de défis qui remettent en cause l’ordre social existant » (Rosembaum et Sederberg 1974 : 541-570). Nous pouvons donc voir que les pratiques discursives du collectif s’inscrivent dans ces perspectives : c’est le manque de volonté politique des forces de l’ordre, ne permettant pas une « solution », qui serait à la base du problème. Pour y remédier, Sauvons Calais propose un programme axé autour de trois axes revendicatifs.

14 L’Œuvre française est une organisation d’extrême droite se réclamant du pétainisme. Elle a été dissoute en août 2013, après l’assassinat du jeune antifasciste Clément Méric par des skinheads. Malgré sa dissolution pour ses activités de « groupe de combat », elle reste très active politiquement sous le label « ».

244 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants

Les revendications de Sauvons Calais

Le premier axe consiste en la mise en place de milices populaires sur le modèle du dispositif Voisins Vigilants, mais dont les prérogatives seraient plus étendues permettant des « interventions citoyennes ». Ainsi, lors de la confé- rence de presse du 6 juin 2015, Yvan Benedetti parle de la mise en place de groupes d’autodéfense, il fait référence aux milices de la Garde hongroise et de la Lega Norde en Hongrie et en Italie15. Il considère que : « Ce sont des popula- tions exaspérées qui prennent leur défense en main ». Il poursuit : « C’est très simple : il faut coordonner l’action et surveiller sa rue ». Il avance tout de même l’idée qu’une supervision des autorités serait nécessaire.

Après cet appel au vigilantisme, le programme du groupe se poursuit par un deuxième axe et appelle à la dissolution des groupes « migrationnistes » censés « tels des négriers amener les migrants à l’abattoir », pour le bénéfice de la « finance internationale et de l’oligarchie ». La revendication du groupe est la « dissolution de toutes les ONG » qui aident d’une manière ou d’une autre les exilés et surtout du groupe No Border perçu comme « le pire ennemi des français ». Cette partie du programme se présente comme une revendication adressée à l’État, mais n’exclut pas pour autant une utilisation plus immédiate des outils du vigilantisme pour contrer les groupes de soutien aux réfugiés, à l’image du siège du squat de Coulogne.

Le troisième axe revendicatif, de loin le plus développé, consiste en un appel à une fermeture des frontières et un arrêt total de l’immigration extra euro- péenne. Selon Yvan Benedetti, « quand l’assiette se vide, il n’est pas question de faire venir des bouches supplémentaires, des bouches étrangères pour partager le peu qui nous reste ». Par ailleurs, cette fermeture aurait des raisons humani- taires, afin d’éviter le commerce des humains. Thomas Joly fait le lien entre le commerce des migrants par les passeurs et le commerce « de la vie » avec la gestation pour autrui (GPA).

La perspective à terme serait d’organiser la « remigration » des populations non européennes : afin « de protéger les Français ». Selon Yvan Benedetti, cette déportation de masse permettrait d’éviter des souffrances pour les « déracinés », mais aussi pour les « populations de souche ». Il propose aussi de couper les aides sociales pour les étrangers, car elles « créent une aide artificielle » et lance- raient « une pompe à immigration ».

Enfin, selon Yvan Benedetti, il ne serait pas nécessaire d’accueillir de réfugiés ni de demandeurs d’asile. En effet, les migrants seraient des « lâches » : si une situation est intenable, dans un pays en guerre, ils devraient « rester se battre contre l’oppression ». Remettant en cause la notion de réfugié politique, il déclare : « Ces hommes n’ont pas de courage, qu’est-ce qu’ils ont entre les jambes ? ». Par ailleurs, nous remarquons, que contrairement à beaucoup de formations d’extrême droite en France, il n’y a pas de discours islamophobe : il n’y a que très peu de références à l’islam. Ainsi, lors de la conférence de presse, il n’y a qu’une seule mention du mot « islam », alors qu’il y a une quarantaine de

15 Dans ces deux pays, des groupes d’extrême droite ont créé des milices en uniforme qui ont atteint une certaine ampleur. Elles sont liées au parti néonazi Jobbik en Hongrie et aux formations d’extrême droite Lega Norde et MSI en Italie.

245 Matthijs Gardenier

mentions du mot « immigration ». Pour la situation à Calais, ces revendications se matérialisent dans un projet spécifique : enfermer tous les migrants dans un camp fermé. Dans l’entretien qu’il nous accorde, M., affirme qu’il ne faut pas faire de différence entre sans-papiers et demandeurs d’asile afin de ne « pas générer de confusion ».

Nous avons utilisé les concepts de framing, ou cadrage, pour comprendre en termes de mobilisation les positions développées lors de la conférence de presse. Il est possible de découper en plusieurs éléments l’appel à rejoindre les actions du groupe. La conjonction de ces trois éléments forme un « cadre d’action collective » (Fillieule, Mathieu, Péchu, 2009 : 39), présenté ci-dessous :

Sauvons Calais en action Le répertoire d’action du collectif

Le collectif ne se contente donc pas de proposer une vision du monde et un cadrage, il propose aussi à son public d’agir. Dans cette perspective, nous distin- guons deux types d’appels, l’un s’inscrivant dans le répertoire d’action plus classique des mouvements sociaux, notamment des mouvements sociaux anti- migrants tels que décrits par Wood (2017) et l’autre dans le répertoire d’action du vigilantisme pur et dur.

Manifester

Concernant le répertoire d’action du mouvement social, l’objectif est de mobiliser la population contre les migrants, principalement par des manifestations, afin de publiciser les revendications du groupe. Nous pouvons ainsi citer la manifestation du 7 septembre 2014 à laquelle participent de nombreux groupes d’extrême droite française (Parti de la France, Réseau Identité, Jeune Nation) et belge (Nation) et qui réunit plusieurs centaines de manifestants. Médiatisée nationalement, elle donne lieu à des débordements qui nuisent à la réputation du collectif : des manifestants font des saluts nazis et seule la présence des forces de l’ordre empêche la confron- tation avec les contre-manifestants antifascistes (Savary, 2014).

246 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants

Par la suite, presque toutes les manifestations appelées par le groupe sont interdites par la préfecture du Pas-de-Calais, qui invoque un risque élevé de troubles à l’ordre public. C’est le cas de celle du 25 janvier 2015, du 7 juin 2015 ou encore du 10 novembre 2015. Sauvons Calais appelle aussi à la manifestation du 6 février 2016, co-organisée avec Pegida France. Alors qu’elle est interdite par la préfecture, ses organisateurs la maintiennent, ce qui donne lieu à des affron- tements ainsi qu’à la très médiatisée arrestation du général à la retraite Christian Picquemal (Askolovitch, 2016). Dans un autre registre, un épisode marquant est la mobilisation menée contre un squat à Coulogne (près de Calais), ouvert le 2 février 2014. Nous reviendrons plus bas sur cet épisode qui semble embléma- tique de l’action du groupe.

De l’appel au vigilantisme à l’action

Le deuxième type d’action concerne le vigilantisme « pur ». Celui-ci commence sur la page Facebook du collectif qui, ne l’oublions pas, est créée afin de poster des appels à la dénonciation des squats. Logiquement, il est possible d’y retrouver des aspects de ce que Loveluck (2016) appelle le « vigilantisme numérique », ainsi que de fréquents appels à l’« auto-justice ».

De nombreuses publications sur la page du groupe relèvent du signalement16 de migrants et de leurs actions qui ont pour objectif de les rendre visibles et de les « dénoncer ». Plus que du shaming (Loveluck, 2016 : 139), c’est-à-dire la stigmatisation d’une pratique sociale par l’exposition numérique, l’objectif est d’offrir en quelque sorte une « cartographie du danger », signalant les squats, mais aussi les tentatives de passages où nombreux sont ceux qui essayent de monter dans des camions. Le shaming existe aussi, mais il est plus résiduel : images de migrants qui font leurs besoins et sont comparés à des animaux.

Le deuxième type de publications consiste en des appels à l’« auto-justice ». Ce sont tout d’abord des posts légitimant les agressions. Ainsi, plusieurs publi- cations soutiennent David et Gaël Rougemont, qui ont sorti un fusil lors d’une altercation en marge d’une manifestation de soutien aux migrants. Il convient de préciser que Gaël Rougemont, qui a exhibé le fusil, est membre du collectif. Nous pouvons aussi citer des publications de soutien à un chauffeur de poids lourds hongrois ayant tenté de renverser des migrants tout en se filmant. Le collectif l’appuie et conteste son licenciement suite à cet épisode (AFP, 2015).

Les multiples appels à l’action relayés sur la page peuvent aussi se traduire en actes concrets. La stratégie politique du collectif est « sur le fil » : elle désigne très clairement les migrants comme l’ennemi à attaquer. Pour autant, ses membres déclarent refuser toute violence. Cette préoccupation se retrouve dans les actions du collectif. Ainsi, M. déclare que les militants se disent contre l’usage de la violence et refusent d’y recourir. Pour autant, les publications peuvent être interprétées autrement. Nous distinguons deux types de passage à l’acte.

16 Par contre, peu de contenus appartiennent aux trois autres catégories de vigilantisme numérique (enquête, traque et dénonciation organisée). Nous pouvons faire l’hypothèse que ce type de pratiques est basé sur un ciblage individuel des personnes dénoncées en ligne, ce que ne fait pas Sauvons Calais, qui ne cible pas des individus « déviants », mais bel et bien l’ensemble de la population des migrants.

247 Matthijs Gardenier

Le premier est spontané : après avoir interagi d’une manière ou d’une autre avec le collectif via sa page Facebook, des personnes passent à l’acte et attaquent. A., l’avocate de la LDH, lors de l’entretien qu’elle nous accorde, donne deux exemples avérés de passage à l’acte en lien avec la page. Le premier est l’affaire du vigile de supermarché qui, après avoir posté son exaspération sur la page Facebook de Sauvons Calais, tire à plusieurs reprises sur des migrants avec un fusil à plomb (L’Obs avec l’AFP, 2014). Il y a aussi le cas de trois jeunes Calaisiens, qui après avoir posté des commentaires appelant à l’auto-justice et participé à la manifestation organisée par Sauvons Calais le 7 septembre 2014, attaquent un squat habité par des Égyptiens à coup de cocktails Molotov17.

Le deuxième type de passage à l’acte est plus difficile à appréhender. Entre 2015 et 2016, nous apprenons l’existence de nombreuses agressions organisées, à distinguer d’actes isolés commis par des Calaisiens qui ne sont pas forcément liés à l’extrême droite. Il y a trois grandes vagues d’agression. La première en septembre 2015, la deuxième au cours de l’hiver 2015-2016 et la troisième en juin 2016.

Nous rencontrons trois victimes, deux migrants et une lycéenne qui milite au collectif Calais Ouverture et Humanité, ainsi que U., volontaire à la Cabane juridique, association d’aide juridique aux migrants. Après un travail de recueil de témoignage et d’incitation à porter plainte, celle-ci confie avoir recueilli 120 témoignages d’agression, et soutenu cinquante-cinq dépôts de plainte. Elle ajoute qu’étant donné que les migrants sont très réticents à porter plainte, ce chiffre est fortement en deçà de la réalité. Il est difficile de prouver un lien direct entre les actions du collectif et ces passages à l’acte organisés. Pour autant, le fait que les contenus de la page campent les migrants comme l’« ennemi », les multiples appels à l’action mis en ligne, ainsi que la publicisation d’activités vigilantistes, combinées à la large audience de la page sur les réseaux sociaux, créent un contexte favorable à ce type d’agressions et de passage à l’acte. L’épisode du siège de Coulogne

Selon La Voix du Nord, un squat est ouvert rue Émile Dumont à Coulogne près de Calais le 2 février 2014 (La Voix du Nord, 2014a). Il est tenu par des militants du mouvement No Border, en soutien aux réfugiés. Les membres de Sauvons Calais organisent un sit-in, rejoint par les habitants du quartier afin de demander l’expulsion du squat. Celui-ci se transforme rapidement en un siège, qui dure quinze jours, avec la participation active des voisins. Il se solde par des caillassages qui rendent le squat inhabitable, puis par la destruction du bâtiment par le feu, une fois que les occupants sont contraints de quitter les lieux.

Nous nous sommes rendus sur place et avons rencontré les protagonistes des évènements : le maire du village, des habitants qui ont participé à la mobilisation, les activistes de Sauvons Calais, ainsi que les militants qui ont occupé le squat. En termes psychologiques, nous notons une gêne chez tous les participants à cette mobilisation. Ceux-ci ont des difficultés à reconnaitre leur contribution et encore plus leurs responsabilités, chacun se renvoyant la balle concernant les violences ayant mené à la destruction du squat.

17 L’attaque ne fera ni morts ni blessés et ses auteurs sont rapidement arrêtés et empri- sonnés. Pour en savoir plus, voir Salam (2014b).

248 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants

Ainsi pour J., habitant qui a participé à la mobilisation : « Les gens de Coulogne ne voulaient pas que ça prenne de l’ampleur », expression qu’il répète plusieurs fois. J. ne veut pas parler des évènements dans un premier temps. Il explique ensuite que : « Ça n’est pas fait dans la brutalité, pas de violence ». Il ajoute ensuite que des personnes ont lancé des pierres sur les tuiles pendant huit jours, mais selon lui : « Il n’y a pas eu de brutalité ». « Ça s’est très bien goupillé ». Ces déclarations sont une minimisation totale de l’aspect violent des actions.

De son côté, le maire de Coulogne nous dit que la mairie a géré le problème de manière juridique. Selon lui, c’est Sauvons Calais qui a organisé le sit-in et qui est à l’origine de la mobilisation, mais aussi des violences. Nous notons que de son côté, le maire reconnait l’existence des violences. Il dit que les militants de Sauvons Calais sont allés « remplir des grands sacs de pierre sur la voie ferrée pour organiser le caillassage ». Le maire fait une différence entre les habitants qui n’auraient pas participé aux caillassages et Sauvons Calais qui aurait importé le « virus de la violence ». Nous verrons plus bas que le témoi- gnage de K. contredit ces propos.

Selon M., militant du collectif, au contraire, il n’y a pas eu de violences. Les accusations reliant Sauvons Calais aux jets de pierre relèveraient du « lobby pro- immigration et plus particulièrement des No Border », il affirme que Sauvons Calais est un collectif respectable ; la violence ne ferait absolument pas partie de son mode d’action. Selon lui, les diverses agressions seraient le fait de personnes qu’il ne connait pas, de même que le caillassage du squat : « Aucun élément ne prouve que les membres du collectif soient mêlés à ces violences ». « Nous ne pouvons pas prendre la responsabilité de tous les actes individuels commis par des gens perturbés ».

K. nous narre une version des évènements assez différente. Selon elle, des rumeurs ont circulé annonçant que : « la ferme occupée allait accueillir une centaine de migrants ». Sauvons Calais a ensuite organisé une manifestation devant la ferme qui rencontre du succès auprès des habitants du quartier. Elle y participe, comme la plupart de ses voisins. Elle dit : « j’y suis allée plusieurs fois, j’ai participé ». Ensuite, elle est allée parler aux No Border qui occupent la ferme. Cette rencontre évoquée plus haut est la cause de son basculement militant. Elle cesse de participer au siège et se rapproche des associations de soutien. Elle dit entendre des hurlements la nuit près du squat : « des mots comme chambre à gaz » et elle assiste à des tentatives d’effraction dans le squat par les militants de Sauvons Calais. Elle confie : « Ce qui m’inquiète le plus c’est que c’était une folie générale, il y avait des parents et leurs enfants qui jetaient des pierres. Sauvons Calais, ils ne sont pas bêtes, ils ne jetaient pas de pierres en public, ils allaient voir des groupes, les encourageaient et donnaient des pierres ».

Le récit de W., militant en faveur des réfugiés, corrobore les propos de K. et des militants No Border. Nous pouvons constater qu’il a un discours plus construit et plus analytique, se posant à la fois en acteur et commentateur. Le principal ajout de son intervention est une analyse de la non-intervention des forces de l’ordre lors des caillassages. Malgré des jets de cocktail Molotov et les caillassages, celles-ci ne sont présentes que la journée. La nuit, lorsqu’ont lieu les violences les plus graves, elles sont absentes. Les No Border organisent

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des tournées d’appel aux forces de l’ordre, qui n’interviennent pas pour autant. Selon W. : « ce que j’ai appris ce jour-là, c’est qu’on peut caillasser la toiture de son voisin, et selon la préfecture, ce n’est pas un trouble à l’ordre public ».

Cette action est l’illustration du mélange d’éléments du répertoire d’action du vigilantisme et du mouvement social. Elle commence par la mobilisation du quartier contre le squat et l’organisation de manifestations quotidiennes. Dans un second temps, le vigilantisme prend le relais. Ainsi, les caillassages ouvrent la voie. Ils sont organisés par les militants de Sauvons Calais qui ne se « mouillent pas » en public. Ce n’est que la nuit, alors que les forces de l’ordre ne sont pas présentes, et que la plupart des habitants du quartier sont rentrés chez eux que les violences plus graves ont lieu : menaces de mort, tentatives d’effraction, jets de pierre, mais aussi jets de cocktails Molotov. De même, c’est la nuit qu’est incendié le squat, une fois que ses occupants l’ont abandonné.

Si la mobilisation contre le squat de Coulogne présente à la fois des éléments de répertoire d’action du vigilantisme et du mouvement social, pour autant les deux ne sont pas contradictoires, mais complémentaires, dans une perspective unique l’expulsion du squat et le « rétablissement de l’ordre », et acceptés par les habitants du quartier qui participent à la mobilisation, à l’exception de K., qui la quitte. Un rapport aux pouvoirs publics trouble

Ce qui nous frappe aussi au cours de notre enquête est le rapport trouble et ambigu entretenu par le collectif avec les pouvoirs publics. Ainsi les liens entre le groupe et la municipalité de Calais semblent assez complexes. Rappelons tout d’abord que le collectif est créé en réponse à un appel de la maire de Calais, afin d’organiser la dénonciation des squats.

Pourtant, au premier abord, la mairie semble se distancier assez fortement de Sauvons Calais. Ainsi, Emmanuel Agius, premier adjoint au maire de Calais, a des mots très durs pour le collectif. Il affirme qu’il n’y a « aucune violence de la part des Calaisiens contre les migrants, ce n’est pas le style de la maison ». Lorsque nous l’interrogeons sur Sauvons Calais, il déclare alors : « Ce ne sont pas des Calaisiens, ce ne sont que des voyous, ils n’ont rien à voir avec Calais ». Il poursuit en demandant à plusieurs reprises « la dissolution de Sauvons Calais, qui incite à de graves troubles à l’ordre public ». Il assure par ailleurs ne jamais « avoir reçu ces voyous », qui se « placent en dehors du périmètre républicain ». Nous avons un tout autre son de cloche du côté des militants de Sauvons Calais. Ainsi M. dit avoir été reçu par Emmanuel Agius à l’issue d’une des premières manifestations du groupe, ce que confirme D. Nous pouvons ainsi constater une ambivalence dans les rapports entre les élus locaux et le groupe, le premier adjoint au maire de Calais niant contre l’évidence tous liens avec celui-ci.

Le rapport qu’entretient le collectif avec les forces de l’ordre et la préfecture est tout aussi ambigu. En effet, bien que le groupe s’en défende, il est lié à une forme de violence politique s’inscrivant dans le vigilantisme : agressions d’activistes et de migrants, destruction du squat de Coulogne, etc. De plus, une partie de la communication du groupe tombe sous le coup de la loi, comme le rappelle Y., avocate, qui prépare une plainte pour incitation à la haine raciale contre Sauvons Calais lorsque nous la rencontrons. Il convient donc de s’inter-

250 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants roger sur le rapport du groupe avec les forces de l’ordre, rappelons-le, chargées d’appliquer la loi. Il semblerait que l’attitude de la préfecture soit variable selon le type des activités engagées par le groupe.

On constate une forte répression en ce qui concerne les manifestations qui remettent en cause la gestion politique de la situation. Après la manifestation du 7 septembre 2014, marquée par des débordements, les manifestations organi- sées par le collectif sont systématiquement interdites. C’est le cas des manifesta- tions du 25 janvier 2015, du 7 juin 2015 et du 10 novembre 2015. Le 6 février 2016, Sauvons Calais co-organise une manifestation contre l’islam dans la cadre de la journée européenne organisée par le mouvement allemand PEGIDA (La Voix du Nord, 2016), qui se tient malgré l’interdiction de la préfecture. Une vingtaine de militants sont interpellés. Parmi eux se trouve le général à la retraire Picquemal, qui affirme ouvertement son soutien au mouvement.

Les forces de l’ordre ont donc une attitude assez dure concernant les activités relevant du répertoire du mouvement social. Cette attitude assez intransigeante ne se retrouve pas du tout en ce qui concerne le vigilantisme. Ainsi, depuis la création du groupe, de nombreuses agressions ont lieu dans son sillage. Nous pouvons ainsi citer l’agression de N., militante de Calais Ouverture et Humanités, des agressions de migrants très régulières entre 2014 et 2016, une tentative d’enlèvement de la présidente de Calais Ouverture et Humanité, Séverine Mayer, ainsi que l’agression d’un groupe de militants à une terrasse de bar que relate W. À chaque agression, une plainte, parfois nominative est déposée. Pourtant les pouvoirs publics n’agissent pas. Il n’y aura qu’une interpellation assez tardive en février 2016, d’un groupe de militants d’extrême droite qui se faisaient passer pour des policiers et qui ont commis plusieurs dizaines d’agressions au cours de l’été 2015 (AFP, 2016). De même, Gaël Rougemont, membre de Sauvons Calais, qui brandit un fusil en marge d’une manifestation, n’est pas poursuivi alors qu’il menace de mort des manifestants avec une arme (Rédaction Le HuffPost, 2016).

Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, il est possible d’observer une attitude similaire des forces de l’ordre lors du siège du squat de Coulogne où malgré la présence policière quotidienne, aucune interpellation n’est faite, que ce soit par rapport aux jets de pierre qui durent huit jours, ou des jets de cocktail Molotov, malgré les appels répétés des militants No Border à la police. De même, après l’incendie criminel de la ferme, personne n’est interpellé.

Nous reprendrons à notre compte une hypothèse de W. L’émergence de Sauvons Calais intervient à un moment particulier. En effet, au début de l’année 2014, suite à une montée en puissance juridique des militants, les pouvoirs publics ne peuvent expulser les squats qu’au terme de procédures de plusieurs mois, parfois presque une année. Dans ce contexte, la création du collectif inter- vient à point nommé.

En effet, précédemment les expulsions de squats se faisaient immédiatement sans procédure judiciaire dans ce que l’on appelle une expulsion administrative immédiate, dite de « flagrant délit » (No Border, 2015). L’action des No Border, qui ont une expérience juridique conséquente rend ces expulsions impossibles, avec des procédures longues. Dans ce contexte, selon W., Sauvons Calais aurait joué le rôle d’« auxiliaire de police ». Face à l’impossibilité d’expulser le squat

251 Matthijs Gardenier

de Coulogne, le groupe aurait les « coudées franches » pour le faire, ce qui expliquerait que la ferme ait pu être assiégée puis détruite sans que les forces de l’ordre n’interviennent ni ne procèdent à des interpellations.

Voici quelques éléments de décryptage des rapports que le groupe entretient avec les pouvoirs publics. Parler d’une sous-traitance du maintien de l’ordre à Sauvons Calais n’aurait pas de sens, car les pouvoirs publics n’ont que très peu de tolérance pour les manifestations publiques du groupe. Par contre, ses activités de vigilantisme ne sont que peu réprimées, donnant l’impression d’un « laisser-faire » dans un contexte où l’action des forces de l’ordre est parfois impossible pour des raisons juridiques ou politiques. Ainsi, les watchful citizens (Walsh, 2014) de Sauvons Calais, s’ils ne sont ni légitimés ni encadrés par les pouvoirs publics, peuvent parfois leur sembler bien utiles.

Conclusion

Dans un contexte de conflit social exacerbé lié à la situation très particulière de Calais, Sauvons Calais est un groupe qui adopte une stratégie particulière. Politiquement, il s’inscrit dans la filiation du fascisme historique, sa principale revendication étant la mise en place de camps de concentration et la déportation des migrants. Ses militants s’inscrivant clairement dans divers courants issus de l’extrême droite la plus dure (Identitaires, Parti de la France), pour lesquels le passage par le Front national joue le rôle d’une matrice.

Sa forme organisationnelle, pour autant, dépasse le cadre des mouvements classiques d’extrême droite. Elle mêle des éléments qui, selon Wood (2017), relèveraient du répertoire classique des mouvements sociaux de masse contre l’immigration et d’autres du répertoire d’action du « militia movement ». La présence des deux types tend à montrer la pertinence analytique de la définition de Johnston (1996), qui voit le vigilantisme comme un mouvement social ayant comme objectif de rétablir l’ordre. Celle-ci permet de comprendre les actions du collectif comme un ensemble cohérent.

Les signalements de migrants, la dénonciation des squats, les appels à l’« auto-justice », les sit-in contre les squats et les manifestations constituent alors autant d’éléments d’action du répertoire de ce collectif vigilantiste et anti- immigration. Cela permet aussi de comprendre en quoi le vigilantisme ne se borne pas à vouloir réprimer certains actes. Au contraire, sa perspective plus large est de mobiliser la population d’un territoire donné dans un mouvement en vue de rétablir l’« ordre », le tout sous le regard plus ou moins bienveillant des pouvoirs publics.

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254 Sauvons Calais, un groupe anti-migrants

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255 Résumé - Abstract - Resumen

Matthijs Gardenier Sauvons Calais, un groupe anti-migrants. Une perspective : « rétablir l’ordre »

Cet article est le compte rendu d’une enquête sur le vigilantisme en France. Il s’intéresse à Sauvons Calais, un groupe anti-migrant créé en 2013. Celui-ci développe des activités au carrefour du mouvement social de droite (pétition, manifestations) et du vigilantisme (attaques de squats, signalements de migrants, appels à l’auto-justice). Une attention particulière sera accordée à la communication politique du groupe, ainsi qu’à l’affaire de Coulogne, qui voit Sauvons Calais organiser la mobilisation des habitants du quartier et finit par la destruction d’un squat devant accueillir des migrants. Cette étude de cas semble particulièrement intéressante à l’heure où se multiplient les mouvements anti- immigration. Sauvons Calais, an Anti-migrant Group. A Perspective: “Restoring Order”

This article focuses on a French anti-refugee vigilante group: Sauvons Calais (Save Calais) created in 2013. Linked to the radical far right, it aims to mobilize the population against the presence of migrants in Calais. The goals of this nationalist group are the establishment of self-defense groups against refugees and the expulsion of all migrants. Its activities also take the form of vigilantism: calls for self-justice, patrols, direct action. We will also dwell on the cloudy links between the group and law enforcement agencies. Studying the emergence of this type of collective is particularly interesting: given the situation in Europe, it is likely that those types of groups will start multiplying across the continent. Sauvons Calais, un grupo anti-inmigrante. Una perspectiva: «restaurar el orden»

Este artículo es la reseña de una encuesta sobre el vigilantismo en Francia. Se interesa en Sauvons Calais (Salvemos a Calais), un grupo anti-migrantes fundado en el 2013. Este desarrolla actividades situadas en la encrucijada del movimiento social de derecha (peticiones, demostraciones) y del vigilantismo (ataques de okupas, denuncias de migrantes, llamadas a hacerse justicia por uno mismo). Se prestará una atención particular a la comunicación política del grupo y al caso de Coulogne, donde Sauvons Calais organiza la movilización de los vecinos del barrio y termina con la destrucción de una okupa que debía acoger a migrantes. Este estudio de caso parece particularmente interesante cuando se multiplican los movimientos anti-inmigración.

256 REMi Revue Européenne des Migrations Internationales, 2018, 34 (1), pp. 257-263

Chronique juridique

« Contre l’immigration de masse » : la mise en œuvre paradoxale dans l’ordre juridique suisse d’une votation populaire visant à limiter l’immigration Anne-Laurence Graf1

Le 9 février 2014, un peu à la surprise générale2, le peuple et les cantons suisses acceptaient à une courte majorité (50,3 % des votants et dix-sept cantons sur vingt-six) l’initiative populaire « contre l’immigration de masse » qui proposait d’introduire dans la Constitution helvétique un système de gestion et de limitation autonomes de l’immigration.

La teneur du nouvel article 121a de la Constitution helvétique introduit par l’initiative populaire « contre l’immigration de masse »

Selon le texte proposé par les initiants3 et intégré dans la Constitution helvétique sous le nouvel article 121a4, « le nombre des autorisations délivrées pour le séjour des étrangers en Suisse est limité par des plafonds et des contingents annuels, […] domaine de l’asile inclus » (alinéa 2). Par ailleurs, le « droit au […] regroupement familial […] peut être limité » (alinéa 2). Le nouvel article constitutionnel dispose également que « les plafonds et les contingents

1 Docteure en droit de l’Université de Genève, collaboratrice scientifique au centre suisse de compétence des droits humains, domaine « migration », Université de Neuchâtel, rue Breguet 1, 2000 Neuchâtel, Suisse ; [email protected] 2 En décembre 2013, un sondage réalisé par l’institut Isopublic indiquait que l’initiative « contre l’immigration de masse » serait, à cette date, rejetée par 54 % des Suisses. En janvier 2014, un sondage réalisé par l’institut Gfs.bern indiquait le rejet de l’initiative par 55 % des votants contre 37 % en faveur du oui. À la fin du mois de janvier 2014, soit moins de deux semaines avant la votation, un nouveau sondage réalisé par l’institut Gfs. bern indiquait 43 % d’avis en faveur de l’initiative, soit six points de plus pour le camp du oui par rapport au début du mois de janvier. 3 Le texte de l’initiative, publié dans la Feuille fédérale (FF) 2011, aux pages 5847 et 5848, peut être consulté à cette adresse : https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2011/5845.pdf 4 En Suisse, 100 000 citoyens peuvent proposer une modification de la Constitution (initiative populaire fédérale), qui sera soumise au vote du peuple et des cantons. Si l’initiative populaire est acceptée à la majorité du peuple et des cantons, la Constitution est modifiée sur la base (en cas des termes généraux) ou selon (en cas de projet rédigé) le texte présenté par les initiants. Les initiatives populaires ne sont soumises, sur le fond, qu’à la seule exigence de respecter les règles impératives du droit international.

257 Anne-Laurence Graf

pour les étrangers exerçant une activité lucrative [frontaliers inclus] doivent être fixés en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect de la préférence nationale » (alinéa 3). Le nouvel article précise aussi qu’« aucun traité international contraire au présent article ne sera conclu » (alinéa 4). Par ailleurs, les dispositions transitoires (le nouvel article 197, chapitre 11, de la Constitution), également acceptées par la votation populaire du 9 février 2014, disposent que les traités internationaux contraires à l’article 121a doivent être renégociés, ainsi que le nouvel article 121a mis en œuvre par le Parlement, dans un délai de trois ans à compter de la date de la votation. En d’autres termes, le nouvel article 121a suppose une ou plusieurs loi(s) d’application par le Parlement. L’article constitutionnel n’est donc pas directement applicable, ce qui a d’ailleurs été confirmé par le Tribunal fédéral dans un arrêt de novembre 20155.

La mise à profit de la main d’œuvre indigène : une mise en œuvre conforme à l’esprit mais éloignée de la lettre du nouvel article 121a L’incompatibilité du texte de l’article 121a avec les obligations internationales de la Suisse

La mise en œuvre du nouvel article constitutionnel s’avéra d’emblée difficile. En soumettant les autorisations de séjour de tous les étrangers à des plafonds et contingents annuels, le principe de la libre circulation des personnes qui découle des accords conclus par la Suisse avec les pays de l’Union européenne (UE) et de l’Association européenne de libre-échange (AELE)6 était touché en plein cœur. L’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), en particulier, était visé par les dispositions transitoires de l’article 121a qui concernaient l’obligation de renégocier dans un délai de trois ans les traités internationaux contraires au nouvel article constitutionnel. L’admission des étrangers en Suisse repose, en effet, sur un système binaire : d’un côté, en vertu de la libre circulation des personnes, les ressortissants de l’UE/AELE ont un « droit à l’admission » en Suisse, notamment aux fins d’exercer une activité lucrative, et sont prioritaire sur le marché suisse du travail par rapport aux travailleurs ressortissants des autres États (ce principe de priorité dans le recrutement impose à un employeur en Suisse de tout mettre en œuvre pour recruter un travailleur en provenance de l’UE/AELE plutôt qu’un ressortissant d’un État tiers) ; d’un autre côté, les ressortissants des autres États sont soumis à des conditions restrictives afin de pouvoir être admis en Suisse pour y exercer une activité lucrative (contingentement annuel du nombre des autorisations initiales, priorité sur le marché du travail des travailleurs « indigènes », à savoir des Suisses, des travailleurs étrangers déjà établis en Suisse ou intégrés au marché du travail,

5 Arrêt du Tribunal fédéral (autorité judiciaire suprême de l’ordre juridique suisse) du 26 novembre 2015, 2C_716/2014, considérant 3.1. 6 Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, conclu le 21 juin 1999, entré en vigueur à l’égard de la Suisse le 1er juin 2002 ; annexe K à la Convention instituant l’Association Européenne de Libre-Échange (AELE) du 4 janvier 1960, entrée en vigueur à l’égard de la Suisse le 1er juin 2002.

258 « Contre l’immigration de masse » ainsi que des travailleurs en provenance de l’UE ou de l’AELE, etc.7). De même, l’inclusion des personnes du domaine de l’asile dans ces plafonds et contingents, selon le texte du nouvel article constitutionnel, à savoir les requérants d’asile et les réfugiés, remettrait en cause le principe de non-refoulement fortement ancré en droit international public (Uebersax, 2014 : 7).

D’une stricte mise en œuvre…

Différents projets de mise en œuvre ont été élaborés par l’exécutif, allant d’une stricte mise en œuvre de l’initiative (afin de respecter la volonté populaire), qui excluait cependant des plafonds et contingents les requérants d’asile afin de ne pas enfreindre le principe du non-refoulement, à l’instauration d’une clause de sauvegarde à l’égard des ressortissants de l’UE/AELE permettant de soumettre les autorisations accordées à ces derniers à des plafonds et contingents en cas de forte d’immigration8. De son côté, l’UE refusait d’entrer en matière sur une renégociation de l’ALCP, considérant que les contingents, les plafonds et la préférence nationale touchaient au principe même de la libre circulation.

… à une mise en œuvre conforme à l’esprit de l’article 121a…

Entre la lettre de l’article 121a de la Constitution et la sauvegarde des bonnes relations avec l’UE, les parlementaires suisses ont choisi la seconde voie. La loi d’application de l’article 121a, votée le 16 décembre 2016, ne retient pas le principe des plafonds et contingents annuels (outre le contingentement déjà en vigueur à l’égard des ressortissants d’États non membres de l’UE ou de l’AELE). En outre, au lieu de la préférence nationale à prendre en considération, selon le texte de l’article 121a, lors de la fixation des plafonds et contingents, le texte législatif retient le principe de la « préférence indigène allégée »9. Ainsi, dans les secteurs d’activités qui enregistrent en Suisse un taux de chômage plus élevé que la moyenne, les employeurs ont l’obligation, depuis le 1er juillet 201810, d’annoncer au service public de l’emploi les postes vacants, tandis que les demandeurs d’emploi inscrits auprès du service public de l’emploi auront un accès exclusif pendant un temps limité (cinq jours selon l’ordonnance d’application11 ) aux informations relatives à ces postes. Il convient de souligner que les demandeurs d’emploi inscrits auprès du service public de l’emploi ne

7 Ces conditions sont listées aux articles 18 à 26 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers, que l’on peut consulter à cette adresse : https://www.admin.ch/opc/fr/ classified-compilation/20020232/index.html 8 On peut retrouver ces différents projets (plan de mise en œuvre et avant-projets de loi) sur le site du Secrétariat d’État aux migrations à cette adresse : https://www.sem.admin. ch/sem/fr/home/themen/fza_schweiz-eu-efta/umsetzung_vb_zuwanderung.html 9 Le texte législatif adopté le 16 décembre 2016 peut être consulté à cette adresse : https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2016/8651.pdf 10 Date d’entrée en vigueur des modifications de la loi sur les étrangers et des disposi- tions d’exécution (ordonnances adoptées par l’organe exécutif) pertinentes. 11 Ordonnance du 16 janvier 1991 sur le service de l’emploi (OSE), dans sa version modifiée au 1er juillet 2018 (nouvel article 53b).

259 Anne-Laurence Graf

concernent pas seulement les citoyens suisses mais également les citoyens étrangers ayant déjà été admis sur le territoire suisse, notamment aux fins d’exercer une activité lucrative ou de rechercher un emploi (le qualificatif « indigène » désigne dans ce contexte les citoyens, les étrangers déjà établis sur le territoire, ceux déjà intégrés au marché du travail et ceux admis sur le territoire suisse aux fins de rechercher un emploi).

Il est particulièrement flagrant que le texte du nouvel article constitutionnel n’ait pas été suivi à la lettre par le Parlement suisse, ce qui s’explique, ainsi qu’évoqué au-dessus, par la volonté de la majorité des parlementaires de préserver le système de la libre circulation avec l’UE étant donné l’impact positif de la libre circulation sur l’économie suisse12. On peut cependant considérer que le Parlement suisse, par sa loi d’application du 16 décembre 2016, a respecté l’esprit de l’article 121a, à savoir : exploiter le potentiel que constitue la main- d’œuvre indigène en Suisse dans des secteurs d’activités qui enregistrent un nombre important de chômeurs, l’effet escompté étant de limiter l’arrivée de « primo-immigrants » dans des secteurs où la main-d’œuvre en provenance de l’étranger n’est pas, a priori, nécessaire. … pas pleinement euro-compatible

La « préférence indigène allégée » n’est pas entièrement compatible avec le principe de la libre circulation des personnes entre l’UE et la Suisse puisqu’elle remet en cause l’idée, à la base de la libre circulation, d’instaurer un marché européen commun de l’emploi. Cependant, étant donné que le Parlement n’a pas remis en cause le système binaire d’admission des étrangers en Suisse, les ressortissants de l’UE/AELE restent favorisés par rapport aux ressortissants des autres États n’ayant pas déjà émigré en Suisse (principe de priorité dans le recrutement). Par ailleurs, il est possible pour un Européen de séjourner en Suisse pendant au moins six mois afin de rechercher un emploi et d’être, pendant cette période, inscrit auprès du service public suisse de l’emploi et de bénéficier des mêmes services d’accompagnement que ceux offerts aux demandeurs d’emploi « indigènes »13. Dans ce sens, un Français qui séjournerait en Suisse pour y rechercher un emploi et qui serait inscrit auprès du service public de l’emploi aurait accès aux informations relatives aux postes vacants dont l’accès est restreint dans le cadre de la « préférence indigène allégée ». Il demeure que ce Français devra, pour bénéficier de cet avantage, résider en Suisse. Selon la doctrine juridique suisse (Boillet et Maiani, 2017 : 63), cette condition de résidence entraîne une discrimination indirecte prohibée par l’ALCP.

12 L’adoption de la loi d’application de l’article 121a le 16 décembre 2016 a ainsi ouvert la voie à la ratification du Protocole III d’extension de l’ALCP à la Croatie (ce que semblait exclure, a priori, l’article 121a, alinéa 4). 13 Article 2, alinéa 1, 2ème paragraphe, annexe I, ALCP ; article 18 de l’Ordonnance sur l’introduction de la libre circulation des personnes (OLCP).

260 « Contre l’immigration de masse »

La facilitation de l’accès au marché suisse du travail par les personnes du domaine de l’asile : l’autre versant de la mise en œuvre du nouvel article 121a La levée d’obstacles juridiques à l’accès au marché du travail par les personnes relevant du domaine de l’asile…

C’est selon cette même idée de mise à profit de la main-d’œuvre indigène que le Parlement suisse a adopté, le 16 décembre 201614, d’autres mesures de mise en œuvre du nouvel article constitutionnel qui ont pour but de faciliter l’accès au marché suisse du travail par les personnes issues du domaine de l’asile, en particulier des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou au bénéfice d’une admission provisoire en Suisse (qui correspond, dans une certaine mesure, à l’institution de la protection subsidiaire). Ainsi, depuis le 1er juillet 2018, les réfugiés et les personnes admises provisoirement qui sont à la recherche d’un emploi et qui présentent les compétences requises pour travailler (formation, compétences linguistiques, etc.) doivent être annoncées au service public de l’emploi par les autorités cantonales ou communales dont elles dépendent. Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2018, les requérants d’asile et les personnes admises provisoirement ne doivent plus verser à la Confédération helvétique une taxe de 10 % sur le revenu tiré de leur activité lucrative15. Enfin, depuis le 1er juillet 2018, les personnes admises provisoirement bénéficient, au même titre que les personnes ayant obtenu l’asile, de la priorité sur le marché suisse du travail par rapport aux autres ressortissants des États non membres de l’UE ou l’AELE. Enfin, une dernière mesure, qui entrera en vigueur le 1er janvier 201916, concerne l’accès sans autorisation préalable à une activité lucrative pour les personnes réfugiées ou admises provisoirement (en remplaçant l’autorisation préalable actuellement en vigueur par une simple annonce par l’employeur).

Ces différentes mesures devraient avoir pour effet, selon les institutions politiques helvétiques, d’inciter les personnes du domaine de l’asile dont le retour dans leur pays d’origine est, soit exclu (réfugiés), soit peu probable à court et à moyen termes (personnes admises provisoirement sans qualité de réfugié), à travailler. Ainsi, leur intégration en Suisse devrait être facilitée (révision de la loi sur les étrangers, en matière d’intégration) et l’arrivée de

14 Soit dans le cadre de la loi d’application (au sens strict) de l’article 121a, soit dans le cadre d’une autre loi révisant la loi fédérale sur les étrangers, en matière d’intégration, dont le projet avait été renvoyé par le Parlement au Conseil fédéral (le Gouvernement) suite à la votation populaire du 9 février 2014. Ces deux projets de loi ont tous deux été adoptés le 16 décembre 2016. Leurs ordonnances d’application font cependant l’objet de processus différents. Ainsi, les ordonnances d’application de la loi d’application de l’article 121a, adoptées par le Conseil fédéral le 8 décembre 2017, entreront en vigueur le 1er juillet 2018, tandis que les ordonnances d’application de la loi révisant la loi sur les étrangers, s’agissant de l’intégration, ont été partagées en deux paquets : le premier paquet est entré en vigueur le 1er janvier 2018, tandis que le second paquet entrera en vigueur vraisemblablement à l’été 2018 (à la date du 23 mai 2018, les ordonnances révisées du second paquet n’avaient pas encore adoptées par le Conseil fédéral). 15 Cette taxe se justifiait à titre de remboursement (forfaitaire) des frais engendrés pour l’État suisse pour la procédure d’asile et de recours. Les personnes ayant été reconnues réfugiées n’étaient cependant pas soumises à cette taxe même dans l’ancien droit en vigueur. 16 À la date où cette chronique a été rédigée (23 mai 2018), l’ordonnance d’application n’avait pas encore été adoptée par le Conseil fédéral.

261 Anne-Laurence Graf

« primo-immigrants » en provenance d’États non membres de l’UE ou de l’AELE en principe réduite (modification de la loi sur les étrangers de mise en œuvre de l’article 121a). … accompagnée de mesures politiques

Ces différentes mesures de modification du droit suisse des étrangers s’accompagnent de mesures prises au niveau politique pour favoriser la formation, les compétences linguistiques et l’accès à l’emploi des personnes du domaine de l’asile en Suisse. Par exemple, le 18 décembre 2015, le Conseil fédéral (le Gouvernement) a, au titre des Mesures d’accompagnement de l’article 121a de la Constitution, lancé un Programme pilote de préapprentissage d’intégration et d’encouragement précoce de la langue à destination des réfugiés et des personnes admises provisoirement en Suisse17. Selon ce programme, 800 à 1 000 personnes devraient suivre, chaque année, un programme de « préapprentissage » d’une durée d’un an. Ce « préapprentissage » consiste à développer les compétences (linguistiques, scolaires de base, personnelles, sociales, etc.) permettant aux bénéficiaires d’entreprendre une formation professionnelle initiale. Par ailleurs, ce programme pilote vise également à faire bénéficier des requérants d’asile, à savoir ceux qui présentent des chances de rester en Suisse à l’issue de leur procédure d’asile, d’un encouragement précoce de la langue.

Conclusion : une mise en œuvre paradoxale critiquée par un parti politique suisse à l’origine d’une nouvelle initiative populaire

De manière paradoxale, la mise en œuvre de l’article 121a de la Constitution, qui vise à limiter l’immigration (domaine de l’asile inclus selon le texte de l’initiative et du nouvel article constitutionnel), a pour conséquence de faciliter de manière significative l’accès au marché du travail des personnes du domaine de l’asile au motif que ceux-ci constituent un potentiel important de main-d’œuvre indigène. Ainsi, étant donné que l’accès au marché du travail est un facteur important de l’intégration des étrangers, la mise en œuvre en droit interne de l’initiative « contre l’immigration de masse » est susceptible de mener à une meilleure intégration en Suisse des étrangers qui ont un besoin de protection.

La mise en œuvre, éloignée de la lettre, du nouvel article constitutionnel 121a a été sévèrement critiquée par le parti politique Union démocratique du centre (UDC) qui était à l’origine de l’initiative. Ce premier parti de Suisse a ainsi lancé en janvier 2018, avec l’Association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), une nouvelle initiative populaire fédérale « pour une immigration modérée » dont l’objectif, cette fois explicite, est d’abroger l’ALCP. Le texte de cette nouvelle initiative se lit comme suit :

17 Sur les points clés de ce programme, voir https://www.sem.admin.ch/dam/data/sem/ integration/ausschreibungen/2018-integrvorlehre/eckpunkte-invol-f.pdf

262 « Contre l’immigration de masse »

Art. 121b Immigration sans libre circulation des personnes 1 La Suisse règle de manière autonome l’immigration des étrangers. 2 Aucun nouveau traité international ne sera conclu et aucune autre nouvelle obligation de droit international ne sera contractée qui accorderaient un régime de libre circulation des personnes à des ressortissants étrangers. 3 Les traités internationaux et les autres obligations de droit international existants ne pourront pas être modifiés ni étendus de manière contraire aux al. 1 et 2.

Art. 197, Ch. 12 12. Disposition transitoire ad art. 121b (Immigration sans libre circulation des personnes) 1 Des négociations seront menées afin que l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes cesse d’être en vigueur dans les douze mois qui suivent l’acceptation de l’art. 121b par le peuple et les cantons. 2 Si cet objectif n’est pas atteint, le Conseil fédéral dénonce l’accord visé à l’al. 1 dans un délai supplémentaire de 30 jours.

À ce jour, cette initiative en est encore au stade de la récolte de signatures. Si 100 000 citoyens suisses soutiennent cette initiative populaire (ou soutiennent le principe de la soumettre au vote populaire) et qu’elle est acceptée par la majorité du peuple et des cantons, il sera difficile au Conseil fédéral et au Parlement de la mettre autrement en œuvre qu’en dénonçant l’ALCP, ce qui entraînera, par effet de la « clause guillotine »18, la dénonciation de l’ensemble des accords bilatéraux qui lient la Suisse et l’UE. Cette nouvelle initiative a, au moins, le mérite de demander au peuple de voter sur un texte qui demande clairement (l’abrogation de la libre circulation des personnes) ce que sous-entendait l’initiative « contre l’immigration de masse ».

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18 Selon la Direction des affaires européennes du Département fédéral des affaires étran- gères, « les accords sont juridiquement liés par une “clause guillotine”, qui prévoit qu’ils ne peuvent entrer en vigueur qu’ensemble. Si l’un des accords n’était pas prolongé ou s’il était dénoncé, les autres seraient caducs » (https://www.eda.admin.ch/dea/fr/home/ europapolitik/politique-europeenne/bilaterale-1.html).

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Notes de lecture

El-Qadim, Nora L’ouvrage interroge l’influence de l’évo- Le gouvernement asymétrique des migra- lution des politiques extérieures de l’Union tions. Maroc/Union européenne. – Paris : européenne en matière de gestion des Dalloz, 2015. – 507 p. migrations sur le processus de négociation ISBN : 978-2-247-15321-3 de l’accord communautaire de réadmis- sion avec le Maroc, mais retourne ensuite L’ouvrage de Nora El-Qadim est issu la pièce afin de saisir comment les relations d’une thèse de science politique s’inscri- avec les pays tiers parviennent également vant dans la thématique de la gouvernance à redéfinir les politiques extérieures de extérieure des migrations de l’Union euro- l’UE. Posant d’emblée l’asymétrie emblé- péenne, et plus précisément sur les négocia- matique de ces négociations, notamment tions entre l’Union européenne et le Maroc en termes de pouvoir, de ressources et de pour la conclusion d’un accord communau- coûts politiques, la seconde dimension de taire de réadmission. Prenant ainsi pour la problématique de recherche s’intéresse point de départ de son analyse les négocia- à démontrer comment la partie la moins tions entre acteurs européens et marocains favorisée dans ces processus parvient autour de la question des retours forcés tout de même à user de divers moyens de migrants en situation irrégulière vers le pour résister aux exigences de la partie la Maroc, l’auteur parvient ainsi à démontrer plus favorisée. Fidèle à la méthodologie l’asymétrie au cœur des relations internatio- de la sociologie de l’acteur, l’auteur de nales qui se jouent sur ce terrain. cet ouvrage s’est intéressée à l’ensemble Partant du constat que les analyses des acteurs étatiques impliqués dans ces précédentes sur la gouvernance externe négociations, à travers la réalisation de de l’UE considèrent les pays tiers comme trois terrains d’enquête (Rabat, Bruxelles et terrains de l’externalisation des politiques Paris) afin de mettre en relief les relations européennes (p. 22 ; et voir aussi Guiraudon triangulaires des négociations impliquant et Lahav, 2000 ; Boswell, 2003 ; Geddes, fonctionnaires européens, représentants 2005 ; Guild, Carrera et Balzacq, 2008 ; Bigo des États membres de l’Union et acteurs et Guild, 2010), il s’agit ici de déconstruire intermédiaires des autorités marocaines. cette idée qui renforce l’objectification des La réadmission étant dans cet ouvrage « pays tiers » (dans le vocable européen, ce appréhendée au croisement de deux terme contestable fait référence aux pays regards, la première partie porte à l’analyse situés à l’extérieur de l’Union européenne), l’accord de réadmission du point de vue de perçus comme simples « receveurs » des l’Union européenne. La coopération euro- politiques européennes. En se position- péenne interagit avec les enjeux locaux et nant aux marges de l’objet d’étude qu’est peut soulever des résistances, voire conduire l’Union européenne et en privilégiant la à la réaffirmation de la souveraineté du pays lecture du quotidien de ces négociations, partenaire. Avec l’objectif de contourner les il est désormais possible de lever le voile réticences liées à la question des retours sur la capacité d’action des acteurs, les forcés, il est possible pour l’Union euro- tergiversations et les effets de feedback péenne de poursuivre cet objectif à travers qui modifient les objectifs initiaux de ces des formes informelles de coopération. politiques, voire qui parviennent même à Vient alors la question de la réadmission alimenter la reformulation des politiques de ressortissants de pays tiers ayant transité européennes.

265 par le Maroc, qui se bute quant à elle à une L’ouvrage se conclut par une synthèse forte résistance des autorités marocaines de ces deux regards, offrant une lecture et qui ne peut être qu’adressée que dans de la conjonction des points de vue portés des accords formels de réadmission. Ainsi, par les acteurs européens et marocains l’Union européenne tente, par le langage de dans les négociations sur les migrations. ces accords et son argumentation juridique, L’auteur évalue ainsi « la portée et les d’arriver à une légitimation des politiques limites des revendications et de la capacité de retours forcés en l’inscrivant dans l’ordre d’action des acteurs marocains » (p. 315), du droit international. Bien que l’asymétrie en plus d’élargir l’objet d’étude à la mise en matière de réadmission soit évidente en œuvre des accords et des politiques, entre l’Union européenne et le Maroc, le en tant qu’espace additionnel de négocia- vocable de ces accords met de l’avant le tions. Cette analyse permet de mettre au principe de la réciprocité, aussi fictive soit- jour les insatisfactions des États membres elle, afin de placer symboliquement les deux à l’égard des actions menées par les fonc- parties à égalité devant le droit. L’analyse tionnaires européens et leurs manières de d’El Qadim fait aussi état des dissensions contourner ces efforts afin de maintenir organisationnelles, non seulement entre les des relations privilégiées avec leurs inter- États membres de l’Union européenne et la locuteurs marocains. Elle interroge de ce Commission européenne, mais aussi entre fait la « plus-value » supposée de l’enga- les différents organes de la Commission, gement européen. En parallèle, les acteurs permettant aux pays tiers de se rapprocher marocains jouent de ces espaces de négo- d’institutions partageant certaines valeurs ciations multiples, leur permettant de déve- et accroître ainsi leur poids à la table des lopper des contrediscours dont ils peuvent négociations. user à la fois lors des échanges à l’échelle multilatérale ou bilatérale. La seconde partie de l’ouvrage déplace la focale de l’analyse pour explorer cette Le travail de recherche mené par l’auteur fois le point de vue marocain autour de la auprès des acteurs multiscalaires des poli- négociation de l’accord communautaire de tiques migratoires dévoile la complexité réadmission, et plus largement, sur la repré- des enjeux au cœur de ces négociations sentation marocaine de l’externalisation et la multiplicité des points de vue. Pour des politiques migratoires européennes. cela, il apporte un éclairage significatif au Les politiques européennes ont certaine- champ des études européennes, tout en se ment une influence considérable dans le positionnant à la marge de la communauté jeu politique national des pays auxquels européenne. Ainsi, l’auteur procède à la elles s’adressent, mais elles s’inscrivent « décolonisation » de l’étude de la politique avant tout dans des objectifs politiques extérieure de l’UE, déconstruisant au souverains, et peuvent devenir source de passage la représentation des « pays tiers » concurrences institutionnelles entre les comme récepteurs des politiques euro- différents acteurs étatiques. Les politiques péennes. L’analyse des instruments finan- migratoires de l’Union européenne comme ciers et politiques effectuée par l’auteur du Maroc étant en construction, certaines expose les limites de l’hypothèse souvent institutions peuvent saisir l’opportunité émise du marchandage par contrepar- que représente l’accent posé sur cet enjeu ties financières comme mesure incitative, pour élargir leurs ressources et leur champ conduisant un pays tiers à conclure un de compétences et ainsi promouvoir le accord de réadmission à l’échelle commu- modèle de gestion des migrations proposé nautaire. Dans l’optique d’envisager un réel par l’UE ou au contraire, revendiquer la panorama des négociations au quotidien mise en place d’une approche différente, en des acteurs impliqués dans les politiques adéquation avec la réalité locale. migratoires, il serait bénéfique d’élargir le regard au-delà des relations triangulaires

266 proposées par l’auteur, pour y inclure les thropologue Catherine Therrien. En effet, points de vue des mouvements associatifs la migration des Français au Maroc est et sociaux, des organisations internatio- ici abordée en partie sous l’angle de la nales présentes sur le terrain et de l’opinion perception et la représentation du groupe publique, tous acteurs de premier plan immigré par les Marocains. Le fait même dans la formulation et la mise en œuvre de parler de migration est une originalité, des politiques migratoires et pouvant dénotant des termes usuels d’« expatriés » influencer la négociation des termes d’une et « mobilités » associés aux émigrés entente internationale. français. Un détail important qui permet à l’ouvrage de s’affranchir des catégories Références bibliographiques classiques de l’administration. Le terme est Guiraudon Virginie and Lahav Gallya (2000) justifié dès le départ : « aucun des Français A Reappraisal of The State Sovereignty dont il est question dans ce livre ne peut Debate Revisited: the Case of Migration être défini comme un touriste » (pp. 23-24). Control, Comparative Political Studies, Pour certains cas, relevant de pratiques 33 (2), pp. 163-195. touristiques et de séjours prolongés non Boswell Cristina (2003) The external déclarés, l’anthropologue évoque des dimension of EU immigration and asylum situations de « tourisme permanent ». policy, International Affairs (Royal Institute of International Affairs 1944-), 79 (3), Mais, outre ces problèmes de défi- pp. 619-638. nitions liés aux catégories, s’intéresser à ce groupe pose également l’enjeu du Geddes Andrew (2005) Europeanisation goes South: The external dimension of EU cadrage de la population cible, notamment migration and asylum policy, Zeitschrift au regard du nombre important de double- für Staats und Europawissenschaften/ nationaux franco-marocains. L’équipe Journal for Comparative Government and de recherche a anticipé cette diversité European policy, 3 (2), pp. 275-293. de parcours personnels et familiaux en Guild Elspeth, Carrera Sergio and Balzacq prenant le « Français » non pas dans Thierry (2008) The Changing Dynamics of le sens national du terme, mais dans le Security in an Enlarged European Union, sens « ethnique » selon le terme utilisé CEPS Challenge Programme, Research par la coordinatrice. Uniquement ceux Paper n° 12. qui n’ont aucune ascendance migratoire Bigo Didier and Guild Elspeth (2010) du Maghreb sont intégrés dans cette The Transformation of European Border recherche. Deux autres critères relevant Controls, in Bernard Ryan and Valsamis de l’ancrage territorial ont également été Mitsilegas Dir., Extraterritorial Immigration pris en compte : ne pas être venu vivre Control. Legal Challenges, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, pp. 257-279. au Maroc avant ses onze ans et résider au Maroc au moins six mois dans l’année Martine Brouillette et depuis plus d’un an (excluant ainsi les Politiste, Docteure situations de tourisme prolongé). MIGRINTER/Université de Poitiers Les différents chapitres montrent une certaine pluridisciplinarité, entre socio- logie, anthropologie, droit et littérature. Therrien, Catherine (coord.) Le premier chapitre évoque le contexte La migration des Français au Maroc. – Casablanca : La Croisée des Chemins, historique et démographique de cette 2016. – 413 p. présence au Maroc depuis la mise en ISBN : 978-9954-1-0555-9 place du protectorat français (1912). On perçoit un manque important de données C’est une certaine singularité que et de sources sur ces mouvements migra- propose cet ouvrage coordonné par l’an- toires. Les chiffres les plus récents viennent

267 des consulats français, qui constituent une s’épanouir et de se « réaliser soi-même » base d’analyse, mais restent incomplets, par l’entreprenariat hors de France qui l’inscription sur les registres n’étant pas constitue un certain challenge face aux obligatoire. Quoi qu’il en soit, l’analyse des contraintes institutionnelles, profession- effectifs des résidents français montre que nelles et culturelles. le Maroc est une destination attractive et que le printemps arabe de 2011 a eu peu Les aspects juridiques et administratifs d’effet sur ces installations. Cependant, les de la présence française au Maroc sont données concernant les flux touristiques évoqués dans le quatrième chapitre par un ne sont pas évoquées, or celles dispo- entretien entre le juriste Hocine Zeghbib nibles montrent une baisse importante des et Catherine Therrien. L’analyse, ponctuée arrivées des touristes français au Maroc d’exemples précis, s’articule autour de depuis 20141. De nombreux Français ne trois thèmes principaux : les conditions s’enregistrant pas et vivant au Maroc d’entrée et de séjour pour les Français ; la par des visas touristiques renouvelés, le législation quant au travail salarié et non constat d’attractivité pourrait éventuelle- salarié des Français et les questions liées ment être relativisé. Ce sont ensuite les à la fiscalité, aux transports et à la santé ; motivations à la migration qui sont étudiées et les comportements des ressortissants dans le deuxième chapitre. Recherche français vis-à-vis de la société d’accueil. d’une meilleure qualité de vie, opportu- On y perçoit vite une distinction entre droit nité professionnelle, parcours familial, théorique et réalité. En effet, la situation quête de l’altérité culturelle ou encore fuite des Français est régie par le droit commun et épanouissement personnel sont les des étrangers, mais la réalité montre que principales raisons de départ évoquées les conditions sont plus favorables pour par Catherine Therrien. L’auteure détaille les Français que pour l’ensemble des diverses approches et conceptions de la étrangers, notamment en ce qui concerne communauté française au Maroc dans l’emploi salarié ou les questions adminis- les représentations du « chez-soi » et de tratives en lien avec l’entrée sur le territoire. l’altérité. Elle pointe une certaine « illusion Enfin, les trois derniers chapitres s’at- de proximité » géographique, linguistique tèlent à l’analyse des perceptions et repré- ou culturelle qui oriente certains choix sentations sociales des Français par les migratoires. Au final, ce panorama de Marocains. Le cinquième chapitre se base motivations et perceptions rend compte sur une enquête dirigée par le sociologue de la « complexité de l’imbrication des Noureddine Harrami et effectuée auprès sphères économiques, professionnelles, de 500 Marocains. L’échantillon n’est pas familiales, personnelles et biographiques représentatif de la population marocaine, comme facteurs explicatifs de la migration mais s’attache à intégrer des habitants de des Français vers le Maroc » (p. 126). Dans milieux urbains et fréquentés des Français le troisième chapitre, la doctorante Chloé comme des habitants plus isolés et ne Pellegrini donne un exemple de cette fréquentant pas ou peu les Français. Le imbrication avec une analyse des parcours questionnaire porte sur les connaissances de plusieurs entrepreneurs français à des Français au Maroc, leur accès à la Marrakech. Il y est fait état d’une volonté nationalité marocaine, le mariage mixte, d’accomplissement personnel de ces les apports des Français au pays et leur entrepreneurs qui relève plus de l’intime intégration sociale. Il est montré que les que de l’économique et social. L’idée est de Français sont considérés comme intégrés dans le pays et que leur présence est souvent vue comme un apport pour l’éco- 1 Source : http://www.tourisme.gov.ma/fr/tourisme- nomie, l’éducation ou le mode de vie. Cette en-chiffres/arrivees-des-touristes (consulté le 01/06/2017). présence française est mise en parallèle

268 de celle des migrants subsahariens dans Bertheleu, Hélène (dir.) le sixième chapitre, renvoyant le Maroc à Au nom de la mémoire. Le patrimoine des son récent statut de pays d’immigration. migrations en région Centre. – Tours : L’anthropologue Khalid Mouna analyse la Presses universitaires François Rabelais, perception de la présence des migrants 2014. – 350 p. au prisme de l’histoire, la politique, l’éco- ISBN: 978-2869-0-6363-1 nomie et la culture. Il arrive à la conclu- Un groupe de sociologues et d’eth- sion d’une certaine ambivalence, entre un nologues s’interroge sur la mémoire des enthousiasme assez pragmatique quant migrations dans la région Centre, sur à la présence française et ses retombées la sélection des objets, des images, des économiques et une certaine méfiance représentations du passé qui deviennent face aux transformations de l’espace « patrimoine », sur les mécanismes de qu’elle peut engendrer. Enfin, le professeur cette mutation. Les auteurs définissent de littérature, Khalid Zekri dédie le dernier d’abord ce qu’ils entendent par patri- chapitre à la représentation des Français moine : objets saisis dans leur environne- dans la littérature narrative marocaine ment rural, urbain, industriel, maritime, depuis le XIXe siècle. L’analyse aborde culture immatérielle, métiers, savoirs, trois axes : les relations de voyages entre techniques, langue, récits, pratiques reli- les deux pays, celui de la décolonisation et gieuses, lieux de mémoire, etc. Le patri- la représentation du personnage français moine entretient des liens étroits avec dans les romans. Une analyse qui permet l’identité, notion complexe, mais fortement d’interroger les parallèles effectués dans la ressentie en un temps où la quête d’enra- reproduction des référents entre la réalité cinement s’affirme comme remède aux et la fiction romanesque. crises et aux incertitudes contemporaines. Finalement, c’est une relation duale, Les auteurs étudient divers exemples entre ambivalence et proximité, qui pris dans la région Centre. À Rosières, la est décrite dans cet ouvrage. Il permet mémoire valorise les ouvriers polonais, d’éclairer d’un regard peut-être moins élevés au rang de militants syndicaux eurocentré cette présence française au modèles et de héros de la Résistance Maroc. L’originalité d’un point de vue pendant la Deuxième Guerre mondiale, marocain « inédit » est bien au rendez- considérés comme parfaitement intégrés, vous, même si l’on peut regretter que célébrés par un journal de collège qui a les trois derniers chapitres sur ce thème consolidé l’image positive des intéressés. ne constituent qu’une petite partie de Dans plusieurs communes, les groupes l’ouvrage, ne recouvrant qu’un quart du portugais dont les comportements sont livre. Au niveau de la forme, on peut noter analysés restent fidèles à leurs racines, quelques petites erreurs ou imprécisions, à la langue et à la religion qu’ils veulent notamment bibliographiques, qui ne transmettre à leurs enfants. Mais cette gâchent en rien la lecture. population est vue avec sympathie, car Jordan Pinel elle est jugée laborieuse et discrète, elle Géographe, Doctorant réserve le récit de la migration et de ses MIGRINTER/Université de Poitiers épreuves au cercle restreint de la famille, elle partage sa culture par le truchement d’associations et de groupes folkloriques très appréciés. Très différent apparaît le cas des Maghrébins âgés, hôtes des foyers, isolés, silencieux, pensant parfois que leur parcours n’est pas digne de transmis- sion ou se disant acculturés, mal à l’aise

269 quand ils rentrent au pays. À Orléans, individuelles. En effet, certains éléments l’histoire de l’immigration est mal connue du passé sont oubliés, volontairement et semble recéler des germes de conflits ou non, d’autres sont sélectionnés s’ils sociaux ; elle ressurgit cependant dans le sont jugés dignes d’entrer dans l’espace cadre des références multiculturelles des public. Parfois les individus troquent leur quartiers, mais avec une volonté d’inté- identité nationale d’origine contre une grer la migration dans un modèle national identité européenne globalisante, jugée assimilateur. À Montargis, la diversité des plus valorisante. Les mémoires collectives origines nationales entrave la formation peuvent aussi bien créer une solidarité d’un patrimoine institué malgré l’existence qu’engendrer une concurrence entre les de lieux originaux comme des églises divers parcours et groupes. L’entrée dans orthodoxes. Là, le projet de patrimonia- le patrimoine est un processus complexe lisation n’émane pas des migrants, mais et contingent, résultant d’un classement de responsables politiques ou associa- symbolique, de gestes et de volontés tifs qui valorisent la mémoire collective sociales, de règles administratives. du quartier pour renforcer le consensus L’histoire de l’immigration, pour sa part, social. Il en va de même dans d’autres rencontre des obstacles particulièrement communes comme Bourges ou Vierzon redoutables pour accéder au rang patri- où le terme d’« habitants » englobe les monial, car, selon les cas, elle semble immigrés dont la désignation comme tels marginale, peu « noble », susceptible de semble peu légitime. Pourtant l’intérêt contrarier l’entente sociale ou de compro- pédagogique de l’expérience migratoire mettre l’unité nationale. Aussi, face à un est utilisé par des enseignants et militants phénomène qui n’est pas naturel et acquis sensibles à la richesse contenue dans le d’avance, faut-il qu’agissent des passeurs vécu des personnes concernées. Certains ou « entrepreneurs de mémoire ». Ces s’attachent à recueillir le témoignage des derniers doivent montrer que le lien de vieux immigrés, à en restituer la réalité, à l’individu avec son passé de migrant est la conserver dans des institutions patrimo- porteur de sens et d’intérêt, prouver que, niales, à la transposer dans des créations dans les villes, les grands ensembles, artistiques. Un dernier exemple montre généralement dévalorisés, représentent un un cas de réussite patrimoniale concer- patrimoine original, souligner la richesse nant les catholiques portugais. Certes dont est porteuse la stratification sociale ceux-ci regrettent la disparition des messes des quartiers, rappeler que le patrimoine célébrées dans leur langue et déplorent la est vecteur de cohésion. Ces entrepre- différence entre la catéchèse traditionnelle neurs de mémoire représentent des qui leur est familière et celle qu’ils trouvent milieux divers, descendants de migrants, en France. Mais l’Église, en confiant la travailleurs sociaux, professionnels de la pastorale des migrants au clergé du médiation culturelle, enseignants, intel- pays d’accueil, favorise l’intégration ; les lectuels et artistes, militants proches des Portugais s’en accommodent plus ou immigrés, associations qui jouent souvent moins, réussissent parfois à installer une un rôle décisif. Ainsi l’ouvrage se révèle statue de la vierge de Fatima dans les lieux aussi précieux par les exemples analysés de culte, assurent par leur active présence que par la réflexion portant sur les méca- la vitalité du pèlerinage de Sainte-Solange, nismes de la mémoire, de la patrimoniali- patronne du Berry. sation, de l’identité. Ralph Schor Le livre ouvre enfin des perspectives Historien, Professeur émérite de réflexion sur les cheminements de la Université de Nice-Sophia-Antipolis mémoire collective et la patrimonialisation. Il apparaît que le discours mémoriel n’est pas constitué par l’addition des mémoires

270 Livres reçus

Barrère, Céline (dir.) connu de profondes mutations. Elles Rozenholc, Caroline (dir.) relient aujourd’hui la Chine, l’atelier du Les lieux de mobilité en question : acteurs, monde, à un « marché des pauvres » fort de enjeux, formes, situations. – Paris, Karthala, 4 milliards de consommateurs, en Algérie, 2018. – 186 p. (Collection du CIST) au Nigeria ou en Côte d’Ivoire. Pour aper- ISBN : 978-2-8111-190-5-8 cevoir ces nouvelles « Routes de la Soie », il faut se détacher d’une vision occiden- Résolument interdisciplinaire, cet talo-centrée et déplacer le regard vers des ouvrage choisit d’aborder les lieux au espaces jugés marginaux, où s’inventent prisme des mobilités pour poser les jalons des pratiques globales qui bouleversent de ce que sont aujourd’hui les « lieux l’économie du monde. On découvre alors de mobilité ». Ce faisant, il réactualise la une « autre mondialisation », vue d’en bas, réflexion entreprise par les géographes du point de vue des acteurs qui la font. anglo-saxons à partir des années 1980 [Extrait] sur le « sense of place » en s’inscrivant dans celle des chercheurs français sur la question des ambiances et sur ce qui, dans un espace et une situation donnés, fait ou Coy, Jason Philip (ed.) peut faire lieu. [Extrait] Poley, Jared (ed.) Schunka, Alexander (ed.) Migration in the German lands, 1500-2000. – Bühler, Johannes New York; Oxford: Berghahn, 2016. – 257 p. Au pied de la forteresse. – Lausanne : Antipodes, (Spektrum; 13) 2016. – 276 p. (Collection Sud et Nord) ISBN : 978-1-78533-144-2 ISBN : 978-2-88901-125-4 La migration vers, depuis et à l’inté- Cet ouvrage reprend les récits rieur des pays de langue allemande est de quinze hommes et femmes qui ont une force dynamique de l’histoire de échoué au Maroc parce qu’ils rêvaient l’Europe centrale depuis des siècles. Les d’une vie meilleure. Piégés, ils ne peuvent essais rassemblés ici reconstituent les ni aller en Europe ni retourner au pays. expériences de vagabonds, de travailleurs, Les voyageurs décrivent leur fuite, leurs d’exilés religieux, de réfugiés et d’autres périples éreintants et risqués, leurs soucis migrants au cours des cinq derniers siècles et leurs espoirs : leur survie au pied de la de l’histoire allemande. forteresse européenne. [Extraits]

De Bock, Jozefien Choplin, Armelle Parallel lives revisited. Mediterranean Guest Pliez, Olivier Workers and their Families at Work and in La mondialisation des pauvres : loin de Wall the Neighbourhood, 1960-1980. – New York; Street et de Davos. – Paris, Seuil, 2018. – Oxford: Berghahn, 2018. – 220 p. 108 p. (La République des idées) ISBN : 978-1-78533-778-9 ISBN : 978-2-02-136652-5 Le concept de « vies parallèles » est Depuis une trentaine d’années, les devenu familier dans le discours européen routes de l’échange transnational ont sur l’intégration des immigrés. Ici, il fait

271 référence à ce qui est perçu comme la Maidika, Jules Asana Kalinga ségrégation des populations immigrées Le drame migratoire à l’aune du droit du reste de la société. Cet ouvrage explore cosmopolite : relecture de la sagesse la vie d’immigrants de six pays méditerra- kantienne. – Paris : L’Harmattan, 2016. – néens dans une ville belge d’après-guerre 252 p. (Géopolitique mondiale) sur deux décennies. ISBN : 978-2-343-10106-4 Cet ouvrage veut éclairer le lecteur sur « la crise migratoire que vit actuellement Fabbiano, Giulia le monde », le droit de l’étranger, le droit Hériter 1962 : harkis et immigrés algériens à d’hospitalité et la libre circulation, vus sous l’épreuve des appartenances nationales. – le prisme des œuvres d’Emmanuel Kant. Nanterre : Presses universitaires de Paris Ouest, 2016. – 247 p. (Sociétés humaines dans l’histoire) ISBN : 978-2-84016-244-5 Peretti-Ndiaye, Marie (coord.) Quashie, Hélène (coord.) L’auteure souhaite rompre avec une Terrazzoni, Liza (coord.) représentation stéréotypée des Français Entre migrations et mobilités : itinéraires d’origine algérienne et en historiciser le contemporains. – Presses universitaires de devenir identitaire. En posant, comme Louvain, 2016. – 129 p. (émulation - revue hypothèse initiale, que l’altérité algérienne des jeunes chercheuses et chercheurs en a connu au moment de la décolonisation sciences sociales ; 17) une mutation profonde, elle mène une ISBN : 978-2-87558-550-9 ethnographie située de l’« effet 1962 ». Ainsi Ce dossier offre un diaporama diver- est-il question de dénouer les fils d’une sifié des enjeux migratoires contempo- appartenance éclatée afin d’en comprendre rains. Il permet de repenser dans leurs les sources et les lieux d’inscription, d’en contextes historiques et sociologiques des appréhender les narrations et d’en évaluer notions telles que la migration, la mobilité, les retentissements au quotidien. [Extrait] l’ancrage, le transnationalisme et l’intégra- tion.

Glotton-Mangin, Florence Ces enfants que la France refuse de voir : Prum, Michel (dir.) enfants roms et roumains en bidonville… Imaginaire racial et oppositions identitaires Comment grandir en France. – Paris : (aire anglophone). – Paris : L’Harmattan, L’Harmattan, 2018. – 172 p. 2016. – 301 p. (Racisme et eugénisme) ISBN : 978-2-343-13492-5 ISBN : 978-2-343-10505-5 L’ouvrage fait état du travail d’une À travers des matériaux aussi divers éducatrice confrontée aux bidonvilles que le cinéma sud-africain, les cartes français dans lesquels vivent des enfants postales coloniales, la littérature ou roms. L’accompagnement social de ces la poésie victorienne, les articles de cet enfants n’apparaît pas comme prioritaire, ouvrage collectif analysent les rapports il interroge, il fait peur et décourage. Dans identitaires complexes qui opposent les les baraquements, l’auteur découvre une groupes humains : il est question ici d’ima- population qui survit en dépit d’une société ginaire racial dans l’aire anglophone. qui ne la voit pas. [Extrait]

272 Rochel, Johan Tison, Brigitte (dir.) Repenser l’immigration : une boussole Leconte, Juliette (dir.) éthique. – Lausanne : Presses polytech- Mineurs étrangers non accompagnés : dires niques et universitaires romandes, 2016. – et réflexions de psychologues. – Paris : 143 p. (Le savoir suisse ; 119) L’Harmattan, 2018. – 213 p. (Populations et ISBN : 978-2-88915-176-9 trajectoires) ISBN : 978-2-343-14129-9 C’est un regard sur l’éthique de l’immi- gration que l’auteur nous propose, pour Réflexions et analyses de psycholo- être plus responsable dans nos choix gues sur ces jeunes venus seuls en France, migratoires, plus cohérents avec nos après une trajectoire migratoire souvent valeurs de liberté, d’égalité et de solida- périlleuse, parfois au péril de leur vie. rité. À travers une vue d’ensemble des L’ouvrage est un recueil de textes sur les positions philosophiques, il aide le lecteur parcours traumatiques de ces enfants, leur à affiner ses convictions et sa réflexion. vécu, et leur accueil sur le territoire français.

Romanovski, Zéphirin Tremblay, Rémy (dir.) Les réseaux de migrants haïtiano-guya- Dehoorne, Olivier (dir.) nais dans l’espace américain. – Paris : Entre tourisme et migration. – Paris : L’Harmattan, 2016. – 311 p. (Questions L’Harmattan, 2018. – 240 p. (Tourisme et contemporaines) migration) ISBN : 978-2-343-08862-4 ISBN : 978-2-343-14995-0

Au début des années 1970, les Haïtiano- Cet ouvrage collectif interroge le Guyanais ont constitué un réseau de travail- concept de « Lifestyle Migration », concept leurs migrants temporaires sur le continent flou à définir dans la langue française : américain. Après plusieurs décennies, ces personnes qui vivent entre deux pays, et avec leurs stratégies d’intégration au dont le style de vie migratoire est nouveau, pays d’accueil, une partie d’entre eux sont sont-elles des migrantes ou des touristes ? devenus entrepreneurs. Aujourd’hui, leurs Les deux à la fois ? Les textes présentés ici revendications dépassent les logiques explorent les liens complexes entre ces communautaires pour embrasser un mili- deux notions. tantisme sociopolitique bi-national. Gilles Dubus MIGRINTER CNRS/Université de Poitiers

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REMi Note aux auteurs

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L’article doit être compris entre 55 000 et 70 000 caractères. La note de recherche doit être comprise entre 30 000 et 50 000 caractères. Elle se donne pour objectif de valoriser des travaux non aboutis, de souligner une démarche empirique, des méthodologies inno- vantes, une analyse de productions statistiques ou une question d’actualité. Ils sont accompagnés de mots-clés et de trois résumés en français, anglais et espagnol (1 000 carac- tères maximum ; le titre est traduit dans les trois langues). Le nombre de caractères indiqués (avec espaces) comprend la bibliographie, les notes, les figures, les résumés et les annexes. La note de lecture, ou compte-rendu d’ouvrage, doit être comprise entre 6 000 et 8 000 caractères.

Consignes de présentation des articles Le titre doit être suivi des nom, prénom, qualité, adresse professionnelle et courriel de l’auteur. Le texte est saisi sans tabulation (Word ou Open Office) ; la police utilisée est Times New Roman 12. Les notes sont infrapaginales (Times New Roman 9). Les majuscules sont accentuées. Les diverses subdi- visions sont numérotées « en arbre » : I/ ; I/ 1. ; I/ 1. 1. ; II/, etc. Les figures sont numérotées comme suit : Carte 1, 2, etc. ; Tableau 1, 2, etc. ; Photo 1, 2, etc. Elles sont envoyées en fichiers séparés dans un format standard (JPG, PNG, etc.) ou d’origine (.xls, .ai, etc.). Aucune figure d’une résolution inférieure à 300 dpi et 12 cm de large ne pourra être utilisée par l’impri- meur. Pour chaque figure l’auteur(e) mentionne le titre, les sources et la légende. Indiquer sur les cartes l’orientation et l’échelle. Si l'auteur(e) n’est pas détenteur des droits, il doit vérifier au préalable qu’il est autorisé à reproduire la figure. Les appels bibliographiques apparaissent dans le texte entre parenthèses sous la forme suivante : (Nom, date de parution : pages) (Papail et Arroyo, 1972 : 45-56) Les références bibliographiques sont placées à la fin du texte et présentées selon les normes suivantes : • Pour un ouvrage Nom Prénom (date de parution) Titre, Ville, Éditeur, nombre de pages. Duchac René (1974) La sociologie des migrations aux États-Unis, Paris, Mouton, 566 p. • Pour un extrait d’ouvrage collectif Nom Prénom (date de parution) Titre de l’article, in Prénom Nom Éd., Titre de l’ouvrage, Ville, Éditeur, pages de l’article. Knafou Rémy (2000) Les mobilités touristiques et de loisirs et le système global des mobilités, in Marie Bonnet et Dominique Desjeux Éds., Les territoires de la mobilité, Paris, PUF, pp. 85-94. • Pour un article de revue Nom Prénom (date de parution) Titre de l’article, Titre de la revue, volume (numéro), pages de l’article. Simon Gildas (1996) La France, le système migratoire européen et la mondialisation, Revue Européenne des Migrations Internationales, 12 (2), pp. 261-273. • Pour un extrait de site Internet Nom Prénom (date de parution) Titre, [en ligne] date de consultation. URL : http://… Even Marie-Dominique (1996) Un entretien avec Dj. Enkhsaïkhan sur la politique extérieure de la Mongolie, [en ligne] consulté le 01/01/2012. URL : http://www.anda-mongolie.com/propos/politique/enkhsai20.html

275 Hommes & Migrations, la revue du Musée national de l’histoire de l’immigration prend un nouveau virage éditorial et graphique Tout en conservant sa mission de diffusion des connaissances sur les migrations internationales, la revue ouvre de nouveaux chantiers en lien avec la programmation scientifique, patrimoniale et culturelle du musée.

Un sommaire en trois parties : Point Sur... reprend les caractéristiques des anciens dossiers scientifiques et fait l’état des lieux des dernières recherches sur une thématique migratoire. Au Musée, fenêtre ouverte sur l’actualité du Musée, présente ses collections et analyse ses ressources et sa programmation. Un portfolio, véritable cahier d’œuvres commentées, enrichit cette partie. Champs libres est dédiée au débat sur les enjeux migratoires et à l’actualité hors les murs. On y retrouve aussi l’actualité des films, des romans ou des essais, des musiques qui paraissent dans l’année. Persona grata, lance la nouvelle ligne éditoriale À l’heure où les débats se crispent sur l’accueil des migrants, ce dossier interroge la notion d’hospitalité. Un portefolio, véritable cahier d’œuvres d’une sélection des collections d’art contemporain du Mnhi et du MacVal, complète la réflexion par une approche artistique. Persona grata, coordonné par Catherine Wihtol de Wenden, politologue, directrice de recherche au Cnrs (Ceri), Oct. -déc. 2018, n° 1323, 200 pages, 15 €, isbn 978-2-919040-43-8. 2019, une année européenne ! Au programme, 4 nouveaux dossiers Religions et discriminations, Londres et les migrations contemporaines, janv.- mars 2019, n° 1324, juil.-sept. 2019, 200 pages, 15 €, ISBN 978-2-919040-44-5. n° 1326, 15 €, ISBN 978-2-919040-46-9. Paris-Londres, Les capitales européennes, culture et immigration, avril-juin 2019, n° 1325, 200 pages, 15 €, oct.-déc. 2019, n° 1327, 15 €, ISBN 978-2-919040-47-6. ISBN 978-2-919040-45-2.

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Bulletin à retourner complété à Nom Hommes & Migrations - EPPPD Musée de l’histoire de l’immigration Prénom 293 avenue Daumesnil, 75012 Paris Organisme Oui, je souscris à un abonnement Hommes & Migrations Revue trimestrielle. Votre abonnement peut démarrer à tout moment. Adresse Je règle la somme de : Code postal ère Statut association/particulier : 29 € TTC (1 année d’abonnement) Ville Statut autre : 58 € TTC Pays Par chèque bancaire ci-joint à l’ordre Téléphone de l’agent comptable de l’EPPPD E-mail Par versement sur notre compte à la DRFIP, 75002 Paris - Rib n° 10071 75000 00001005018 61 Date

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Revue comparative de sciences sociales

octobre-décembre 2018 81

Les petits professionnels de l’international

Pour une ethnographie des professionnels de l’international Romain Lecler, Yohann Morival et Yasmine Bouagga

Être réfugié et « volontaire » : les travailleurs invisibles des dispositifs d’aide internationale Leila Drif

Les marins de commerce, des professionnels des flux internationaux très ancrés dans le national Claire Flécher

Politiques d’engagement ou d’employabilité ? Concurrences au sein des programmes de volontariat à Madagascar Florence Ihaddadene

Une nouvelle élite dans les métiers de l’international : les expatriés africains d’Épicentre et leurs rapports professionnels avec les employés locaux Mamane Sani Souley Issoufou

Crise humanitaire ou crise de l’humanitaire ? Émergence et recomposition de l’espace professionnel de l’aide internationale en Haïti Jan Verlin REMi Bon de commande

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