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Full Text (PDF) Document generated on 09/30/2021 12:29 p.m. Québec français La différence au pilori Hans-Jürgen Greif Littérature et homosexualité Number 124, Winter 2001–2002 URI: https://id.erudit.org/iderudit/55865ac See table of contents Publisher(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (print) 1923-5119 (digital) Explore this journal Cite this article Greif, H.-J. (2001). La différence au pilori. Québec français, (124), 34–37. Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2002 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ UTTÉRATURE endant trop longtemps, nous avons reçu les tion : quand l'Occident — ici, le christianisme —• nouvelles de massacres en Algérie, au avait remporté dès le XVIIIe siècle la course à la cul­ P Rwanda, au Cambodge, en Bosnie, en Ir­ ture prédominante, l'islam piétinait. Des leaders lande du Nord comme si elles venaient d'une autre musulmans, comme Ataturk, en Turquie, ou Mu- planète. La consternation, l'horreur, le dégoût hammad-Ali, vice-roi égyptien de la première moi­ avaient vite fait place à une indifférence certaine : tié du XIXe siècle, avaient compris qu'il fallait ra­ ces actes étaient commis par des fanatiques ; l'écla­ dicalement changer les structures de leurs pays tement soudain de haines séculaires n'était que la respectifs en les occidentalisant pour rattraper le re­ suite alogique à des torts infligés à ceux qui se ven­ tard. Mais, dès que ces Etats se hissèrent au rang de geaient enfin. Mais, depuis le 11 septembre 2001, puissances respectables, les forces de l'Occident se le premier sentiment de terreur passé, se pose iné­ coalisèrent afin d'en freiner l'ascension, brisant vitablement la question du pourquoi de ces atten­ ainsi leur rêve d'occuper une place honorable sur tats. En relisant le récent essai d'Amin Maalouf, Les l'échiquier mondial. Depuis, le monde arabe sou­ identités meurtrières', l'on se rend compte qu'il s'agit tient que « l'Occident ne veut pas qu'on lui ressem­ en fait d'un texte prophétique. L'auteur y parle lon­ ble, il veut seulement qu'on lui obéisse » (Maalouf, guement des causes du clivage entre Orient et Oc­ p. 104). En d'autres termes, le monde arabe accuse cident, entre christianisme et islam. Les intégristes l'Occident de s'être trop longtemps moqué de lui, qui ont détruit les symboles mêmes de la culture oc­ de l'avoir exploité, puis abandonné. Aujourd'hui, cidentale ont lu le Coran comme chaque généra­ disent les intégristes, il est temps de le faire payer tion lit tout texte sacré, en lui pour ses fautes. Pourtant, les pays arabes savent faisant dire au moment voulu qu'ils doivent changer leurs structures, ce qui re­ ce qu'ils voulaient qu'il leur vient à dire qu'il leur faut s'occidentaliser, en par­ dise. Ce n'est pas le texte qui tie du moins. Mais comment y arriver sans perdre change, mais le regard que nous leur spécificité, leur identité ? posons sur lui. Maalouf était resté optimiste, proposant un dia­ L'histoire de l'islam ne logue constant entre les cultures amenant la com­ nous apprend rien sur les hor­ préhension mutuelle, une interpénétration des reurs commises en Algérie et groupes ethniques. Les événements du 11 septem­ à New York, pas plus que celle bre semblent vouloir faire taire cette voix. La pro­ du christianisme sur la vio­ vocation a été trop intolérable, elle engendrera, lence en Irlande du Nord. Il puisque la haine de l'autre ne permet plus le dialo­ faut se tourner vers la problé­ gue, une longue escalade de violence de part et matique engendrée par la co­ d'autre, où dominent les nous et les autres, l'iden­ lonisation et la décolonisa­ tité compartimentée et l'identité multiple. M I Québec françois 124 I HIVER E Les dangers d'une nouvelle marginalisation leur imposait des taxes de plus en plus lourdes, elle Déjà, la postmodernité nous avait signifié la fin des les menaçait régulièrement d'expulsion, les forçait sociétés cohérentes et « ethniquement pures ». à se distinguer des Vénitiens de souche (le terme Depuis que partout sur la planète des populations acquiert un sens particulier dans une ville bâtie sur entières sont en mouvance ; depuis l'avènement de des pilotis) d'abord par le port d'un chapeau rouge, l'Internet, où tout un chacun a droit à la parole, il de l'étoile jaune ensuite (le jaune : la couleur des avait semblé que l'étranger était perçu de moins en sorciers). Et pourtant, ces juifs vénitiens étaient des moins comme une menace. Le pays hôte l'intégrait, citoyens exemplaires, prouvant une loyauté sans le « normalisait », c'est-à-dire qu'il lui avait incul­ faille face à un Etat qui leur promettait la protec­ qué ses propres valeurs, pour l'accepter finalement, tion contre la haine du pape. Dans cette commu­ au moins dès la deuxième génération, comme fai­ nauté, la criminalité était pratiquement inexistante, sant partie de la « communauté ». Après le 11 sep­ un attachement réel la liait à la cité qui interdisait tembre, cette politique est gravement compromise. pourtant le mariage entre juifs et chrétiens, qui pu­ Avons-nous encore le même regard sur nos voisins nissait sévèrement les chrétiens qui voulaient tra­ qui portent des noms arabes ? Les hijabs ne nous vailler pour des commerçants juifs. irritent-ils pas, puisqu'ils sont la preuve visible de la Et pourtant, les chrétiens ont de tout temps été différence ? En quelques heures, de longs efforts, fascinés par le principe double, dominant les juifs : depuis les politiques gouvernementales aux chan­ salut et damnation, convoitise et concupiscence. gements dans les attitudes individuelles, ont été Les juifs possédaient de l'or, leurs femmes étaient anéantis. Les autres sont désormais à nouveau en d'une étrange beauté. La littérature fourmille de marge de la société. Comme par le passé, les autres belles juives et de trouble-fêtes, comme Shylock, sont des monstres. dont l'existence est vouée au gain et à la vengeance. C'est dans ce contexte qu'il faut relire l'étude Pourtant, Shakespeare avait souligné que le juif ne magistrale de Hans Mayer, Les marginaux. Femmes, diffère pas de nous. Dans un bref monologue déchi­ juifs et homosexuels dans la littérature européenne2. La rant, son Shylock dit : littérature, miroir de la société, nous enseigne com­ Je suis juif. Un juif n'a-t-il pas des sens, des affections, ment nous sommes arrivés à considérer comme des passions ? Ne mange-t-il pas comme vous ? monstrueux tout ce qui n'entre pas dans la norme N'est-il pas blessé par les mêmes armes ? Ne souffre- sociétale et, par conséquent, à le rejeter, à l'exter­ t-il pas des mêmes maladies, n'est-il pas guéri par les miner même, puisque les autres ne sont pas humains mêmes médicaments Ique vous, les] chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous au même titre que nous. Judas Iscariote, ayant trahi nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous le Christ, était devenu le juif tout court. Au début empoisonnez, ne mourons-nous pas i Et si vous nous de la Renaissance entraient en scène d'autres mons­ faites du tort, ne cherchons-nous pas la vengeance ? tres, Faust, Shylock, Don Juan, Jeanne d'Arc, et Si nous vous ressemblons sur tous les plans, en cela avec cette dernière une série de femmes dénaturées. aussi nous serons vos semblables *, Ces personnages sont placés sous le signe du scan­ Mais les juifs restaient des intrus. Le troisième Ingres, Jeanne d'Arc au dale, transgressant les normes établies par la so­ Reich reprit l'étoile jaune pour marquer leur diffé­ couronnement de ciété ; leur existence même devient transgression. rence qui les vouait à l'extermination, comme s'ils George VI. L'aristocratie des Lumières avait tenté d'enrayer étaient de la vermine5. cette marginalisation en proclamant le principe de « fraternité », trop vague et illusoire. Mais, dès que e Des femmes rebelles... la bourgeoisie accéda au pouvoir, au XIX siècle, les À l'instar des juifs qui ne vou­ marginaux sont redevenus les paradigmes de la pro­ laient abandonner leur différence, vocation. des femmes qui « ne sont pas comme les autres » étaient immé­ Cet autre moi, le marginal diatement perçues comme dange­ Dans une étude remarquable, une chercheure al­ reuses : la bourgeoisie du XIXe siè­ lemande a retracé le sort des juifs à Venise,de 1516 cle leur avait vite fait le procès. à 17973. Marion Steinbach y prouve que la popu­ Après les intentions égalitaires lation de la cité des lagunes n'avait jamais accepté des Lumières — qui n'ont jamais ni assumé la présence de cet autre moi, le juif, mal­ été respectées sous la Révolution ; gré le« libéralisme » des doges. Puisque les juifs nous connaissons le triste sort des étaient les meurtriers du Christ, dont ils niaient femmes qui osaient revendiquer le obstinément le statut de messie, le pape les persé­ statut que leur accordait pourtant cutait où il le pouvait. Ce qui les rendait suspects le nouveau droit — elles devien­ à Venise : ils continuaient à se parler en hébreu, nent soit des madones, soit des ils maintenaient des contacts suivis avec la diaspora putains.
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