Marges Proglaciaires Du Secteur Bionnassay-Tête Rousse-Griaz
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Rapport Action 2D GlaRiskAlp : Marges proglaciaires du secteur Bionnassay-Tête Rousse-Griaz P. Deline 1, M. Gardent 1, J.-B. Bosson 2, X. Bodin 1, J. Duroule 1, F. Magnin 1, E. Malet 1 1 EDYTEM, CNRS - Université de Savoie, FR-73376 Le Bourget-du-Lac ([email protected] ) 2 IGD, Université de Lausanne, Mouline - Géopolis, CH-1015 Lausanne 1. Introduction Les cinq sites-pilotes retenus par l’Action 2D pour l’étude de la morphodynamique des secteurs récemment déglacés sont les marges proglaciaires des glaciers de Tzanteleina (haut Val de Rhêmes) et Verra Grande (haut Val d’Ayas) en Vallée d’Aoste, della Capra et Ciardoney (haut Val d’Orco) en Piémont, et de Bionnassay, Tête Rousse et de la Griaz (massif du Mont Blanc) en Haute-Savoie. S’ils ont tous fait l’objet d’une analyse géomorphologique donnant lieu à cartographie, l’approche de ces sites par les trois partenaires (FMs, CNR-IRPI, EDYTEM-CNRS) a été complémentaire : les sites valdôtains ont bénéficié d’études géotechniques visant à caractériser les matériaux des formations superficielles ; une analyse diachronique des sites piémontais a été réalisée à l’aide de méthodes de suivi topographiques ; l’étude de la stabilité des dépôts qui caractérisent le site français à l’aval du site-pilote de Tête Rousse (Action 2C) a utilisé la géoélectrique (méthode géophysique). 2. Description du site Fig. 1 Le secteur Bionnassay-Tête Rousse-Griaz (massif du Mont Blanc), site-pilote français de l’Action 2D. Les ellipses jaunes indiquent les trois secteurs sur lesquels l’étude s’est concentrée. (Orthophoto 2008, RGD 73-74) 1 Entièrement situé dans les gneiss fortement fracturés et à filons d’amphibolites, généralement mylonitisés, le site présente une dénivellation de 2800 m, depuis le Dôme du Goûter (4303 m) jusqu’à 1500 m d’altitude, immédiatement à l’aval du front du glacier de Bionnassay qui stationne actuellement vers 1750 m (Fig. 1). Il présente donc la palette géomorphologique caractéristique des versants raides et longs de la haute montagne alpine à forts contrastes d’exposition (Fig. 2) : − parois rocheuses à permafrost ou dont la surface est soumise à la gélifraction ; − cônes et talus d’éboulis ; − glaciers rocheux et formations superficielles affectées par le fluage ; − glaciers d’extension et de type variables, depuis le glacier de Bionnassay d’une superficie de 4 km², en partie glacier noir, aux petits glaciers suspendus à base froide, jusqu’au petit glacier des Rognes, largement recouvert par les dépôts d’éboulis/éboulement ; − placage de tills et complexes morainiques ; − dépôts de laves torrentielles et de débris. Fig. 2 Carte géomorphologique du secteur Bionnassay-Tête Rousse-Griaz . 1 : ligne de crête ; 2 : paroi rocheuse ; 3 : glacier; 4 : cirque glaciaire ; 5 : moraine ; 6 : till (continu, forte épaisseur) ; 7 : till (discontinu) ; 8 : dépôt torrentiel. (Orthophoto 2008, RGD 73-74) L’arête des Rognes sépare le bassin versant de la Griaz/Arandellys (Dérochoir) qui domine les Houches et la haute vallée de l’Arve du bassin de Bionnassay (Rognes et Désert de Pierre 2 Ronde) au dessus de St-Gervais et de la vallée du Bon-Nant. Le secteur des Rognes est fortement fréquenté en été depuis la gare d’arrivée du Tramway du Mont-Blanc car il permet d’accéder à la voie normale au Mont Blanc depuis le Goûter. Comme ailleurs dans le massif du Mont Blanc − mais moins que dans les autres massifs alpins français −, les trois principaux glaciers du site-pilote ont connu un retrait depuis la fin du Petit Âge Glaciaire, libérant alors leurs marges proglaciaires actuelles (Fig. 3) Fig. 3 Extensions glaciaires dans le site-pilote depuis la fin du PAG (Orthophoto 2008, RGD 73-74). Trois thèmes ont été étudiés sur le site-pilote : (i) la formation de lave en cas de vidange d’une poche d’eau intraglaciaire du glacier de Tête Rousse ; (ii) la stabilité du lac proglaciaire de Bionnassay ; et (iii) la déstabilisation potentielle des glaciers suspendus par dégradation du permafrost. 3. Etude du Désert de Pierre Ronde La vidange de la poche d’eau intraglaciaire du glacier de Tête Rousse (TR) qui s’est produite dans la nuit du 11 au 12 juillet 1892 a libéré environ 200 000 m 3 d’eau et de glace. Ils se chargèrent d’une grande quantité de matériaux − les principaux affouillements se produisirent dès le secteur du Désert de Pierre Ronde (DPR) −, formant une coulée de boue qui détruisit le hameau de Bionnay et les bains de Saint-Gervais (175 morts). En 2009 et 2010, une nouvelle poche d’eau intraglaciaire (55 000 m 3) a été repérée à l’aide de méthodes géophysiques par des chercheurs des labos LGGE, ISTerre et LTHE. Par ailleurs, une modélisation des effets de 3 l’écoulement pour différents volumes de la poche de TR a été réalisée par des chercheurs de l’IRSTEA (ex CEMAGREF) ces dernières années. Il était donc pertinent d’étudier la nature et la structure des dépôts qui recouvrent la plus grande partie du DPR entre 2600 et 2950 m d’alt., pour déterminer les conditions de mobilisation des matériaux détritiques en cas de vidange éventuelle depuis TR. Une campagne de tomographie électrique (ERT) a été réalisée sur les secteurs DPR-Rognes- Dérochoir en août 2012. Cette méthode consiste à produire une coupe qui représente les contrastes de résistivité électrique d’un terrain à partir de la mesure répétée (dans un dispositif automatisé) d’une différence de potentiel par injection d’un courant électrique (Hauck et Kneisel, 2008). L’écartement de 5 m entre les électrodes qui a été adopté permet une profondeur d’investigation maximale de 40 m (Fig. 4). Les résistivités apparentes ont été mesurées avec un SYSCAL PRO Swich 96 en Wenner-Schlumberger puis traitées avec le logiciel Prosys II dans lequel les coordonnées dGPS de chaque électrode ont été insérées. L’inversion et la création des tomographies (pseudo-sections) inversées 2D ont été réalisées avec le logiciel Res2DInv. Fig. 4 Localisation des 4 profils de tomographie de résistivité électrique au Désert de Pierre Ronde et résultats pour les 3 principaux profils . Seul le secteur NE du profil C présente une résistivité élevée. Les matériaux superficiels du DPR sont homogènes et peu résistants (< 10 k Ωm) sur toute l’épaisseur mesurée. Seules quelques petites lentilles présentent une résistivité plus faible 4 (0.5-2 kΩm) ou plus élevée (5-30 k Ωm), avec un secteur nettement plus résistant (10- 150 kΩm) au NE du profil transversal aval (Fig. 4 : C). Ces données géoélectriques suggèrent que le DPR est constitué d’une marge proglaciaire sans présence de glace dans le till, limitée à l’aval (W) par un bastion morainique et flanquée au N d’un glacier rocheux − correspondant aux rides de compression connecté aux éboulis à l’amont et avec un front raide à l’aval (Fig. 5). Des affleurements de glace sont visibles en contrebas de l’escarpement rocheux qui domine la partie amont de la marge, une glace morte qui témoignerait de l’extension PAG à l’aval du glacier de TR (Fig. 3). Fig. 5 Interprétation géomorphologique du Désert de Pierre Ronde sur la base de la tomographie électrique. Ligne violette : limites du glacier au PAG ; ligne bleue : limite inférieure de la présence de glace (morte ?) couverte de débris ; ligne rose : limites du glacier rocheux ; fond blanc : tracé de l’écoulement lors de la vidange de Tête Rousse de 1892 ; pointillés : dépôts torrentiels récents ; PR1 à 4 : profils ERT. En 1892, seule la couverture détritique du glacier du DPR aurait été mobilisée − accélérant son retrait postérieur. En considérant une épaisseur moyenne minimale de 30 m de matériaux non gelés sur le parcours de l’écoulement de 1892 (Fig. 5), le volume minimal susceptible d’être mobilisé par une vidange de TR du même type peut être estimé à 2 millions de m 3. 4. Stabilité du lac proglaciaire de Bionnassay En comparaison avec celui d’autres grands glaciers du massif comme celui d’Argentière ou la Mer de Glace, le retrait du front du glacier de Bionnassay depuis la fin du PAG a été limité. Cela tient en large partie au fait qu’il s’agit d’un glacier noir. Sa couverture détritique supraglaciaire réduit en effet notablement l’intensité de l’ablation glaciaire, qui est par exemple de 3 à 6 fois moindre pour une épaisseur de débris de 20 cm par rapport à une surface de glace nue. L’extension de cette couverture de débris a varié dans le temps, car elle 5 est en partie contrôlée par le bilan de masse glaciaire : si elle ne couvrait que 17 % de la surface totale du glacier en 1967, plus de 27 % l’étaient en 2004. L’une des caractéristiques des glaciers noirs est la faible amplitude de leurs fluctuations frontales : depuis son dernier maximum d’avancée atteint dans les années 1980, le front de Bionnassay n’a ainsi reculé que de 250 m environ, soit d’une dizaine de m en moyenne annuelle − même si ce ‘recul’ s’est nettement accéléré depuis 2001 (Fig. 6). La formation depuis 2004 d’un lac proglaciaire, l’un des rares dans le massif du Mont Blanc avec les deux de la Mer de Glace, contribue à cette accélération récente. Les faibles dimensions de ce lac (1500-2000 m²), la topographie de la marge proglaciaire déglacée depuis les années 1980 et le profil biseauté de la falaise de glace qui domine d’une vingtaine de m le lac expliquent la stabilité actuelle de ce secteur. Fig. 6 Positions du front du glacier de Bionnassay depuis le dernier maximum des années 1980.