Joseph Lannin Le Patron Québécois De Babe Ruth Alexandre Pratt
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Document généré le 23 sept. 2021 11:40 Cap-aux-Diamants La revue d'histoire du Québec Joseph Lannin Le patron québécois de Babe Ruth Alexandre Pratt Aspects inédits du sport au Québec Numéro 113, printemps 2013 URI : https://id.erudit.org/iderudit/68941ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Éditions Cap-aux-Diamants inc. ISSN 0829-7983 (imprimé) 1923-0923 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Pratt, A. (2013). Joseph Lannin : le patron québécois de Babe Ruth. Cap-aux-Diamants, (113), 17–20. Tous droits réservés © Les Éditions Cap-aux-Diamants inc., 2013 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ JOSEPH LANNIN LE PATRON QUÉBÉCOIS DE BABE RUTH par Alexandre Pratt omment un orphelin québé- Sauf que le parcours invraisemblable cois sans le sou a-t-il pu devenir de Joseph Lannin n’est pas une ction. C le propriétaire des Red Sox de C’est l’histoire – étonnamment oubliée – Boston, le patron de Babe Ruth et l’hôte de l’exilé québécois ayant connu le plus de Charles Lindbergh pour le premier de succès aux États-Unis au tournant vol transatlantique? Retour sur le du dernier siècle. Un récit dans lequel parcours rocambolesque de l’athlète et se croisent le joueur de baseball Babe entrepreneur Joseph Lannin. Ruth, l’aviateur Charles Lindbergh et le Certains établiront des parallèles avec compositeur George Gershwin. Forrest Gump ou Gatsby le Magnifique. Pourtant, Joseph Lannin n’est pas D’autres, avec l’univers d’Horatio Alger, né avec une cuillère d’argent dans la cet écrivain américain dont les romans bouche. Il voit le jour le 23 avril 1866 à relatent l’ascension de garçons coura- Saint-Dunstan-du-Lac-Beauport, un geux et déterminés. hameau de 350 âmes blotti dans les collinesau nord de Québec. La vie y est austère. Pas de restaurant, pas de taverne, pas même de magasin général. « C’est un pays montagneux et stérile », écrit un curé dans une supplique pour obtenir de l’aide. « Allons-nous laisser Joseph Lannin et Bill Carrigan. (Boston Daily Globe, 65 familles, déjà en proie à l’indigence, au 15 mars 1914). labeur du défrichement et aux imprévus, sans une chapelle qui remplace l’an- retier et déménage à Québec, dans le cienne, laquelle tombe en ruine? » quartier Saint-Louis. C’est dans les parcs Saint-Dunstan n’incarne pas le rêve de cette ville que Joseph Lannin aura ses américain auquel songeait le père de premiers contacts avec le sport organisé. Joseph Lannin, John, lorsque ce dernier Les années 1870 sont propices au déve- quitta son Irlande natale dans les années loppement de plusieurs sports dans la 1820. Sa vie en Amérique fut une lente capitale, particulièrement au sein de la agonie. Sa première femme et deux de communauté anglophone. Des clubs leurs lles ont succombé au choléra. Il de crosse et de rugby se forment. À s’est établi près du lac Beauport dans partir de 1878, la « crosse sur glace », une fermette chauée au bois et éclairée puis le hockey sont pratiqués. Le base- à la lampe à l’huile avec sa deuxième ball, lui, s’implante dans les collèges de épouse, Catherine Evers, et leurs huit la province. Athlète doué, avantagé par enfants. John et Joseph se connaîtront à la nature (il mesure 6 pieds à l’adoles- peine; le chef de la famille meurt à l’asile cence), Joseph suscite la convoitise des de Beauport en 1869, alors que son ls nombreuses équipes juniors de la ville. n’a que trois ans. À la suite du décès de son mari, Cathe- L’EXIL Joseph Lannin (Chicago Daily Tribune, rine Evers laisse sa ferme à son fils Joseph Lannin a quatorze ans lorsque 9 décembre 1913). Thomas. Elle se remarie avec un char- sa mère décède en décembre 1880. CAP-AUX-DIAMANTS | N0 113 | PRINTEMPS 2013 17 pp.04-43 (113)_PLUSPAGE.indd 17 2013-04-04 14:55:46 (Chicago Daily Tribune, 11 janvier 1914). Trois options s’offrent à lui : rester à pour s’aligner avec South Boston. Son nalistes ont tous les sommaires qu’ils Québec, rejoindre son frère Thomas sur transfert permet à sa nouvelle équipe de désirent », relate le Boston Globe. la ferme familiale ou suivre les centaines ravir le titre aux Independents! En 1908, à la suite d’un incendie majeur de milliers de Québécois qui émigrent Le prolifique attaquant revient avec dans un de ses hôtels au cours duquel aux États-Unis, à la recherche d’un South Boston en 1886, mais une blessure il sauve lui-même des clients en les meilleur emploi. le tient à l’écart du jeu pour la n de la appelant dans leurs chambres, Lannin Suivant les traces de son père, Joseph saison. Il se découvre alors une passion diversifie son portefeuille. Il retourne Lannin choisit de refaire sa vie à pour le baseball. Les étés suivants, il à ses premières amours, le sport. En l’étranger. Sur le conseil de connais- monte une équipe avec des collègues 1912, il devient partenaire minoritaire sances dans le commerce de la fourrure, d’hôtels et de bars de la ville, avec des Braves de Boston, de la Ligue natio- il prend le chemin de Boston. Cette ville laquelle il connaît du succès. nale de baseball. Mais son désir de tout connaît une expansion extraordinaire; la Décidément, tout lui réussit. Au Adams contrôler reste inassouvi; il veut son population a crû de 45 % au cours de la House, les promotions se succèdent. propre club. décennie précédente. Son talent est remarqué par la concur- Aussitôt arrivé dans sa ville d’adoption, rence. Le Charlesgate le recrute comme À LA TÊTE DES RED SOX l’adolescent se trouve un boulot comme maître d’hôtel. Rapidement, il est promu Le moment ne peut être mieux choisi. Un bellboy dans un grand hôtel. Il a la tête gérant. Au tournant du siècle, avec le conflit fait rage entre les deux ligues de l’emploi. Les épreuves qu’il a aron- soutien d’amis, il acquiert un hôtel de majeures, la Nationale et l’Américaine, tées l’ont rendu mature et responsable. luxe, le Garden City à Long Island, et en et un troisième circuit naissant, la Ligue Physiquement, sa carrure détonne. « Il a construit un autre dans le Maine. fédérale. Ceux qu’on surnomme les l’apparence d’un jeune soldat », note le Joseph Lannin s’embourgeoise. En 1901 Fédéraux s’installent dans les marchés Boston Globe. Et il est particulièrement et 1902, il revient à Québec avec sa des ligues existantes et proposent des doué pour la conversation. femme et leurs deux enfants. Ses passe- hausses de salaire faramineuses aux Tout comme à Québec, il passe ses temps temps changent. Il délaisse le losange joueurs étoiles. La franchise des Red libres sur les terrains de jeu. En 1885, il de baseball pour les tournois de jeu Sox est fragile et risque de perdre le joint les Independents, l’équipe de crosse de dames, dont il est l’un des meilleurs meilleur frappeur de la Ligue améri- championne en titre de la Nouvelle- joueurs au pays. « Quand les tournois se caine, Tris Speaker. Angleterre, composée majoritairement terminent aux petites heures du matin, Alors que le propriétaire des Red Sox d’Irlandais et de Canadiens français. Tout M. Lannin est le dernier à quitter la salle est en voyage à l’extérieur du pays, en juste avant la nale, il change de camp de jeu, car il veut s’assurer que les jour- décembre 1913, le président de la Ligue 18 CAP-AUX-DIAMANTS | N0 113 | PRINTEMPS 2013 pp.04-43 (113)_PLUSPAGE.indd 18 2013-04-04 14:55:48 américaine, Ban Johnson, orchestre turé est manifeste. Le « Bambino » fait un putsch. Il convainc Joseph Lannin constamment la fête. Son comportement d’investir 200 000 $ pour la moitié des exaspère ses coéquipiers, au point où parts des Red Sox et la présidence du Carrigan est forcé de le prendre comme club. Johnson espère que le nouveau cochambreur. À la n de l’été, Ruth est propriétaire, les poches pleines, l’aidera même cédé aux Grays de Providence, un à contrer les attaques des Fédéraux. club des mineures appartenant aussi à Joseph Lannin monte au combat. En Lannin. « Si quelqu’un avait prédit [qu’il mars 1914, il pose un geste qui a peut- deviendrait un dieu] en 1914, il se serait être, rétrospectivement, changé le cours fait interner à l’asile », conera son coéqui- de l’histoire du baseball. Le nouveau pier Harry Hooper à l’auteur Lawrence propriétaire des Red Sox se trouve Ritter, quelques décennies plus tard. au port de New York pour y accueillir Malgré une spectaculaire remontée Tris Speaker, de retour d’une tournée en n de saison, les Red Sox termi- mondiale avec d’autres baseballeurs. nent deuxième et voient leurs rivaux Sur le quai, Lannin constate la présence de Boston, les Braves, remporter la des Fédéraux, sur place pour convaincre Série mondiale. Speaker de joindre la nouvelle ligue. Écoutant son instinct, Lannin loue un DEUX SÉRIES MONDIALES hors-bord et s’introduit dans le bateau La saison 1915 s’amorce sur un coup de de croisière afin d’être le premier à (Baseball Magazine, 1915, p.