Jules Lechevalier
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Document generated on 10/01/2021 3:44 p.m. Revue internationale de l'économie sociale Recma De l’intérêt des biographies Jules Lechevalier (1806-1862) : des socialismes « utopiques » aux modèles coopératifs The importance of biographies in the history of the social economy Jules Lechevalier (1806-62): From utopian socialism to the cooperative model Olivier Chaïbi Number 310, October 2008 Article abstract This article examines the relationship between theory and practice in the work URI: https://id.erudit.org/iderudit/1021105ar of Jules Lechevalier, a little known figure in the history of the social economy. DOI: https://doi.org/10.7202/1021105ar Until now, most of the literature on the social economy has been mainly concerned either with the ideas of theorists or with nonprofit and cooperative See table of contents organizations, as if theory and practice were unconnected. Jules Lechevalier, who was a contemporary of Enfantin, Fourier and Proudhon, constantly tested their boldest social and political theories against reality. Scattered traces have Publisher(s) been left in the archives, but his prolific work has not attracted the attention of historians. However, this tireless “ork organizer” had in particular added Association Recma consumer and producer unions to Proudhon's People's Bank, a vast mutualist and cooperative project that was a precursor of the French welfare state based ISSN on social security. 1626-1682 (print) 2261-2599 (digital) Explore this journal Cite this article Chaïbi, O. (2008). De l’intérêt des biographies : Jules Lechevalier (1806-1862) : des socialismes « utopiques » aux modèles coopératifs. Revue internationale de l'économie sociale, (310), 79–91. https://doi.org/10.7202/1021105ar Tous droits réservés © Recma, 2008 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ L’économie sociale en mémoires DE L’INTÉRÊT DES BIOGRAPHIES Jules Lechevalier (1806-1862) : des socialismes « utopiques » aux modèles coopératifs par Olivier Chaïbi* A travers Jules Lechevalier, personnage largement méconnu de l’histoire de l’économie sociale, nous avons cherché à comprendre comment la transition se produit entre une œuvre théorique et une œuvre pratique. Jusqu’à présent, la plupart des travaux sur l’économie sociale se sont essentiellement intéressés soit aux pensées des théoriciens, soit aux ins- titutions associatives et coopératives, comme s’il n’existait pas de rétroaction entre le projet pensé et le projet pratiqué. Jules Lechevalier, * Olivier Chaïbi est professeur dans qui a côtoyé Enfantin, Fourier et Proudhon, n’a cessé de confronter à le secondaire et membre des socié- la réalité les théories sociales et politiques les plus audacieuses de ses tés de recherche P.-J.-Proudhon et d’études saint-simoniennes. Cet contemporains. En laissant des traces éparses dans les archives, ce foi- article est issu d’une thèse d’his- toire soutenue en 2007 à la Sor- sonnement n’a pas retenu l’attention des historiens. Pourtant, cet infa- bonne devant Christophe Charle, tigable « organisateur de travail » a notamment adjoint des syndicats Jacques Marseille, Alain Plessis et Philippe Régnier. Une publica- de la consommation et de la production à la Banque du peuple de tion est en cours sous le titre Jules Proudhon, vaste projet mutualiste et coopératif dont le programme Lechevalier Saint-André, pionnier de l’économie sociale. Mél. : préfigurait la mise en place de l’Etat-providence français bâti sur la [email protected]. sécurité sociale. G « Si l’économie sociale est une vieille armée finale- ment et relativement victorieuse ici ou là, c’est que ses victoires reposent sur des milliers, des millions de soldats inconnus. Puisse, en les illustrant, cette histoire contribuer à ce qu’ils ne soient pas outrageusement méconnus. » (Henri Desroche, 1987.) (1) Avenir de la monarchie repré- sentative, 1845. Les citations en ules Lechevalier, un « soldat inconnu » de l’économie sociale? Paci- italique et les titres sans nom sont (1) de Jules Lechevalier. fiste « soldat de la vérité » , comme il se qualifia lui-même, il fut bien (2) Programme socialiste, 1848. connu de son vivant. Ce « modeste précurseur de la sociologie moderne » (3) Les notices biographiques à son J (2) sujet le décrivent comme un (Hayward, 1988), ce « socialiste de l’avant-veille » se distingue « des milliers, homme « peu constant dans ses opinions » (Grand dictionnaire uni- des millions de soldats inconnus » pour s’avérer être l’un des principaux orga- versel, par Pierre Larousse, 1873), nisateurs de cette « vieille armée ». Pourtant, ce dernier a sombré dans dont les « opinions politiques ont été aussi versatiles que ses opinions l’oubli, sans doute en raison de son ralliement à Napoléon III en fin de vie, économiques, et [qui] a tour à tour ce que les républicains ne lui pardonnèrent jamais. défendu toutes les doctrines » (La littérature française contemporaine, Des lectures des premières notices biographiques de Jules Lechevalier émane (3) par Bourquelot et Maury, 1854). un sentiment de versatilité dans le singulier parcours de ce personnage : 79 N ° 310 RECMA – REVUE INTERNATIONALE DE L’ÉCONOMIE SOCIALE De l’intérêt des biographies apôtre saint-simonien des plus actifs en 1830-1831, il quitta Enfantin pour rejoindre Charles Fourier en 1832 et s’imposer comme son premier vul- garisateur. Proche ensuite du ministre de l’Instruction publique Guizot, puis du « juste milieu » sous la monarchie de Juillet, il milita dans la presse pour le développement d’un « parti social » avant de réaliser de nombreuses études sur l’esclavage dans les colonies antillaises. A la fois favorable à l’abolition et à une relance de la colonisation, il développa des projets d’exploitation de la Guyane dans lesquels il voulut associer l’Etat et les grandes banques, les travailleurs et les propriétaires. Il connut alors plusieurs faillites qui le conduisirent en prison pour dettes. En 1848, la proclamation de la IIe République sembla lui donner raison. Il fut alors un fervent défenseur du socialisme, collaborant avec Proudhon à la Banque du peuple. Condamné à l’exil en 1849, il développa en Angleterre dans les années suivantes de nombreuses coopératives aux côtés des Christian Socialists. Revenu au catholicisme en fin de vie, il se rallia à l’empire de NapoléonIII. Dans ses derniers écrits, il admit la nécessité économique du libéralisme alors que son immense œuvre en science sociale avait eu pour but d’y trouver une alternative. Des histoires globales de l’économie sociale ont déjà été réalisées par de brillantes études, essentiellement celles d’Henri Desroche (1991) et d’André Gueslin (1998). Plus récemment, les coopérateurs ont été mis à l’hon- neur par Mme Toucas-Truyen et M. Dreyfus (2005). En quoi une bio- graphie, et plus précisément celle de Jules Lechevalier, permet-elle un nouvel éclairage de cette histoire? Plus qu’un résumé qui ne pourrait être que trop succinct des œuvres théoriques et pratiques de Jules Lechevalier, cet article propose de montrer ses apports à l’économie sociale. Loin d’être le seul acteur de cette histoire, son parcours révèle l’existence de nombreux autres, dont les études permettraient des approches plus fines et plus nuancées de ses grandes tendances historiques. G Pourquoi une biographie de Jules Lechevalier ? Le 16 janvier 1849, les anciens délégués de la Commission du travail qui avaient siégé dans le palais de l’actuel Sénat au printemps 1848 et les délé- gués des corporations ouvrières parisiennes se réunirent pour une assem- blée générale qualifiée par le journal de l’ancien saint-simonien Bareste La République de « fait le plus important depuis la séparation de la com- (4) 4) La République, 20 janvier 1849. mission du Luxembourg » . Au cours de cette réunion, les projets de la Banque du peuple et des syndicats de la production et de la consomma- tion furent présentés et adoptés par plus d’un millier de personnes réunies faubourg Saint-Denis. Cet événement peut sembler anecdotique et est (5) (5) Il est tout de même évoqué par resté marginalisé dans l’histoire sociale , sans doute en raison de Rémi Gossez, 1967. l’absence de personnes célèbres, ou du moins passées à la postérité. Louis Blanc et Pierre-Joseph Proudhon, pourtant à l’origine de ces projets qui voyaient le jour, étaient absents, tout comme les autres théoriciens 80 RECMA – REVUE INTERNATIONALE DE L’ÉCONOMIE SOCIALE N ° 310 L’économie sociale en mémoires qui auraient pu les cautionner. Cette réunion rassemblait néanmoins des associations de travailleurs et avait pour but de mettre en place un système de coopération et de mutualité organisé autour d’une banque de crédit aux travailleurs. C’était la première fois qu’en France un projet bâti sur les trois piliers de l’économie sociale (association, mutualité, coopé- ration) était sur le point d’être mis en pratique. Les principaux protago- nistes de cette œuvre, les citoyens Gautier, Lavoye, Lefaure, Rémy ou Chipron, sont de parfaits inconnus, tout comme Jules Lechevalier, (6) (6) Bibliothèque historique de la qui en fut le membre le plus actif . ville de Paris (BHVP), 934-818, Mutualité des travailleurs, 1849 ; En étudiant une institution, la Banque du peuple, et une pensée, celle 621-103, Banque du peuple, 1849. de Proudhon, on peut réaliser le profond décalage qu’il y a entre une théorie et une institution pourtant liée (Chaïbi, 2000). Les tentatives de réalisation des projets sociaux du XIXe siècle (phalanstères, colonies icariennes ou associations mutuelles plus modestes) diffèrent bien évidemment de leurs conceptions originelles, mais ont au moins le mérite d’avoir existé.