Les Écrivains Et La Langue: Le Cas De Charles Ferdinand Ramuz
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MÁTHESIS 15 2006 275-289 LES ECRIVAINS ET LA LANGUE: LE CAS DE CHARLES FERDINAND RAMUZ MARIA HERMÍNIA AMADO LAUREL (Universidade de Aveiro) Nous pouvons parler la langue faite, nous ne pouvons faire la langue. Maurice Millioud, 1914. RESUMO Este estudo pretende iniciar o leitor à problemática das relações entretecidas entre os escritores e a língua na qual se exprimem. Trata-se de uma questão particularmente premente no caso dos escritores de língua francesa cuja nacionalidade porém é outra. Se nos casos dos escritores provenientes de países hoje independentes ou em processo de progressiva autonomia, mas outrora sob administração francesa, o uso da língua do “ocupante” adquire várias modulações, entre o sentimento da sua inadequação para traduzir culturas de transmissão oral (Patrick Chamoiseau), e a sua constituição como veículo de comunicação internacional da situação do colonizado (Albert Memmi, ou Assia Djebar, voz da condição feminina), o uso da língua francesa reveste-se de outros contornos no caso dos escritores europeus belgas e suíços, para os quais o francês é também uma língua materna (caso à parte ainda ocupam os escritores flamengos que escrevem em língua francesa), solicitando portanto outros enfoques. Questão crucial no caso da obra de Charles Ferdinand Ramuz, um dos escritores suiços de língua francesa mais emblemáticos da primeira metade do século XX, cujos romances acabam de ser editados na prestigiada colecção Bibliothèque de La Pléiade. É precisamente sobre alguns dos ensaios mais significativos do autor que nos debruçamos neste estudo, comprovando o seu empenhamento no direito à diferença que deve ser reconhecido aos usos não-clássicos da língua francesa como língua literária. ABSTRACT Cette étude constitue une introduction à la problématique des rapports entretenus par les écrivains à la langue dans laquelle ils s’expriment. Il s’agit d’une question d’une importance accrue dans le 276 MARIA HERMÍNIA AMADO LAUREL cas des écrivains dont l’usage de la langue française ne correspond pas à la nationalité française. La langue française est différemment modulée dans le cas des écrivains en provenance de pays aujourd’hui indépendants ou en procès d’autonomisation, mais auparavant sous administration française. Le sentiment de son inaptitude à la transmission de cultures véhiculées oralement (Patrick Chamoiseau), ou à la situation du colonisé (Albert Memmi, ou Assia Djebar, voix de la condition féminine) en constituent des motifs récurrents. L’utilisation de la langue demande pourtant une autre approche dans le cas des écrivains européens de langue française suisses et belges, pour lesquels cette langue est aussi la langue maternelle (les écrivains flamands qui s’expriment en français constituant un autre cas de figure). Cette question devient de la plus grande importance dans le cas de Charles Ferdinand Ramuz, un des écrivains suisses romands les plus importants de la première moitié du XXe siècle, dont les romans viennent d’être édités dans la collection réputée, la Bibliothèque de La Pléiade. Nous nous pencherons sur quelques-uns des essais les plus significatifs de cet auteur dans la présente étude, parmi ceux qui témoignent de son engagement dans la défense du droit à la différence qu’il estime devoir être reconnu à des usages non-classiques de la langue française en tant que langue littéraire. * 1. L'avant-Ramuz. Contextualisation. L'affirmation (que nous reproduisons en exergue à notre étude) prononcée à la manière d'un aphorisme par le philosophe Maurice Millioud dans le contexte de son analyse d'un roman de Robert de Traz (L'Homme dans le rang), publiée dans la Bibliothèque universelle en 19141, est à la fois "signal" et "symptôme"2 du rapport à la langue vécu par les intellectuels romands au début du XXe siècle. 1 Cf. Pierre-André Rieben, "L'écrivain romand et la langue", in Francillon, R., Histoire de la littérature en Suisse romande, Lausanne, Payot, 1997, vol. 2, p. 258, n. 2. 2 Nous utilisons la terminologie proposée par Vincent Jouve dans la communication intitulée "Peut-on comprendre un texte? Emma Bovary et la graisse des livres", prononcée le 13 octobre 2005, lors de la Journée de recherche Leituras ex- cêntricas, tenue à l'université d'Aveiro. Texte à paraître en 2006. Par l'expression "signal", l'auteur renvoie à la logique du texte, sous-jacente aux niveaux textuels de celui-ci, perceptible à l'analyse de "close reading" relevant de la "compréhension" du texte; l'expression "symptôme" ouvre le sens d'un texte à de différentes approches (de nature psychanalytique, anthropologique, sociologique, historique et littéraire, discursive, etc.), et situe la lecture qui peut en être faite dans le contexte de "l'interprétation". "LES ECRIVAINS ET LA LANGUE: LE CAS DE CHARLES FERDINAND RAMUZ" 277 Cette affirmation témoigne en effet du partage du champ littéraire romand du début du siècle face aux différents rapports entretenus par les écrivains à la langue française. Or cette question est justement au centre de l'oeuvre ramuzienne, et ceci depuis ses débuts, constituant la toile de fond d'une production copieuse, qui ne cesse de s'enrichir depuis les premiers titres, dont le recueil de poèmes Le Petit Village (paru en 1903, Ramuz étant alors âgé de 25 ans) et ceux qu'il publiera l'année suivante dans le recueil collectif Les Pénates d'Argile (avec ses amis, les frères Cingria, Alexandre et son cadet Charles-Albert, et Adrien Bovy3), jusqu'au dernier volume publié du vivant de l'auteur, le recueil de nouvelles, Les Servants et autres nouvelles (1946). Considérée en tant que "signal", cette affirmation dénote le parti pris de l'auteur, assumant la filiation française de la littérature romande et la non-identité de celle-ci. Que le texte de Millioud paraisse à La Bibliothèque universelle est tout autant significatif. Attardons-nous quelque peu sur l'histoire de cette revue4 et nous comprendrons aisément l'importance de s'y faire publier, tout aussi bien que le champ où l'écrivain qui y publie se situe. Cette revue, au titre de départ ambitieux, La Bibliothèque universelle de Genève, était le véhicule de la vie culturelle et scientifique genevoise et de son Académie (future université de Genève); davantage ouverte aux contributions littéraires à partir de la fin des années 1850, dirigée alors par William de la Rive, cette revue se voulait devenir "un lieu de rassemblement intellectuel pour la Suisse romande"5, ce qui explique, en partie, la fusion opérée dans les années 1860 avec la Revue suisse, qui poursuivait des objectifs identiques. Ce périodique, qui juxtaposera dans son titre la désignation conjointe des deux publications, constitue l'espace de publication réputé des écrivains romands contemporains des débuts littéraires de Ramuz, étant alors dirigé par Edouard Tallichet. Résolument contre les influences du roman scientifique et naturaliste, de modèle zolien, et de la pensée positiviste qui constituaient la modernité en France, influences réputées néfastes par ses collaborateurs, la revue privilégiera une vision idéaliste et morale de la littérature, tout en proscrivant la poésie6. Le clivage entre les 3 Adrien Bovy, historien, professeur d'histoire de l'art à l'université de Lausanne. 4 Cf. Maggetti, D., L'invention de la littérature romande: 1830-1910, Lausanne, Payot Lausanne, 1995, p. 38-45, 161-175, 199-214, 462-486. Revaz, G., "La vie littéraire au cours de la seconde moitié du XIXe siècle", in Francillon, R., op. cit., p. 109-119. 5 Cf. Francillon, R., op. cit., p. 109. 6 Cf. Francillon, R., op. cit., p. 110, n. 2. 278 MARIA HERMÍNIA AMADO LAUREL modèles français – réputés matérialistes et amoralistes, sinon immoraux – et la recherche d'un champ littéraire romand s'accentue donc dans l'espace de publication de la revue7. Au fur et à mesure que l'univers littéraire romand s'affranchit de la tutelle moralisante de souche protestante, de nouveaux périodiques surgissent, qui ouvrent des allées prometteuses à la nouvelle littérature émergeante. Il en est ainsi, du moins dans ses intentions, de La Suisse romande (1885), dirigée par Eugène Rambert, dont les propos ne sont pas loin d'évoquer ceux de l'ancienne Revue suisse, mais surtout de deux autres périodiques, où les critères esthétiques et l'exigence de qualité des textes prennent la relève sur les critères de nature préférentiellement morale. Il s'agit, bien évidemment, et dans un premier temps, de la Revue de Genève, dont la courte existence – octobre 1885/septembre 1886 – et malgré le nombre réduit de ses abonnés et donc, de ses lecteurs, suffira pourtant à la démarquer du champ occupé par la Bibliothèque universelle, imbue de moralisme protestant, et, dans un deuxième moment, au tournant du siècle, de La Semaine littéraire (à la durée bien plus longue que celle qui l'avait précédée dans ses objectifs, 1893-1927), où Ramuz publiera ses premiers textes, dès 1903. Les deux revues contribueront à ouvrir le goût littéraire romand à d'autres modèles et valeurs esthétiques8, et à préparer le champ à des projets résolument modernes, tels La Voile latine, sous-titrée par l'écrivain fribourgeois Gonzague de Reynold, "Revue de culture suisse", et les Cahiers vaudois, où le nom de Ramuz trouvera sa consécration. Les objectifs poursuivis par ces deux projets constituent une excellente entrée en matière pour le sujet dont nous nous occupons dans cette étude. C'est dans les pages de ces deux périodiques que Ramuz explicite, en partie, son rapport à la langue française. Un rapport qui trouve son fondement idéologique dans les conceptions 7 Revue qui n'est pourtant pas, du temps de la direction de Tallichet, exclusivement littéraire: y trouvent aussi place des "articles de politique, d'économie et de morale" (Revaz, G., art. cit., in Francillon, R., op. cit., p. 110). 8 Sur le rôle joué dans cette revue par le poète romand Louis Duchosal, et sur l'importance de celui-ci pour l'ouverture du goût romand aux modèles de la modernité, notamment mallarméens, v.