La « Question Juive » Au Luxembourg (1933-1941) L'etat Luxembourgeois
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VINCENT ARTUSO LA « QUESTION JUIVE » AU LUXEMBOURG (1933-1941) L’E TAT LUXEMBOURGEOIS FACE AUX PERSECUTIONS ANTISEMITES NAZIES Rapport final Validé par le Comité scientifique présidé par Michel Pauly et constitué des membres suivants : Manuel Dillmann Paul Dostert Benoît Majerus Michel Margue Marc Schoentgen Corinne Schroeder Denis Scuto Remis au Premier ministre le 9 février 2015 VINCENT ARTUSO LA « QUESTION JUIVE » AU LUXEMBOURG (1933-1941) L’E TAT LUXEMBOURGEOIS FACE AUX PERSECUTIONS ANTISEMITES NAZIES Rapport final REMERCIEMENTS Je tiens à remercier en tout premier lieu Serge Hoffmann dont l’initiative citoyenne finit par convaincre l’ensemble des forces politiques du pays et sans lequel ce rapport n’aurait pas vu le jour. Je remercie également, pour leurs conseils avisés, les membres du comité scientifique : son président, Michel Pauly, Manuel Dillmann, Paul Dostert, Benoît Majerus, Michel Margue, Marc Schoentgen, Corinne Schroeder et Denis Scuto. Quatre chercheurs n’ont pas hésité à me communiquer le fruit de leur travail, alors que celui-ci n’avait pas encore été publié : Georges Buchler, Didier Boden, Thierry Grosbois et Cédric Faltz. Leur confiance a grandi ce rapport, je leur en suis particulièrement reconnaissant. Je remercie aussi le président du Consistoire israélite de Luxembourg, Claude Marx, pour sa disponibilité et son souci de préserver les archives de la communauté juive ainsi que Jane Blumenstein pour son très chaleureux accueil à la congrégation Ramat Orah, au mois d’octobre 2014. J’adresse enfin mes remerciements au personnel des Archives nationales du Luxembourg, de la Bibliothèque nationale de Luxembourg, de l’ITS à Bad Arolsen et du YIVO Institute for Jewish Research ainsi que du Joint, à New York. 5 6 ABRÉVIATIONS 1. Organisations CdZ : Chef der Zivilverwaltung . Comlux : Comité luxembourgeois. DORSA : Dominican Republic Settlement Association . ESRA : « Aide » en hébreu. Société d’aide aux réfugiés juifs d’Europe centrale fondée par le Consistoire israélite de Luxembourg. GEDELIT : Gesellschaft für deutsche Literatur und Kunst . Gestapo : Geheime Staatspolizei . HIAS : Hebrew Immigrant Aid society . HICEM : acronyme composé des deux premières lettres du nom des organisations mères : (HI)As, (IC)A, (EM)igDirect. HJ : Hitlerjugend . IGL : Institut für geschichtliche Landeskunde der Rheinlande . JDC : American Jewish Joint Distribution Committee . LCGB : Lëtzebuerger Chrëschtleche Gewerkschaftsbond . LN : Letzeburger Nationalunio’n . LNP : Luxemburger Nationale Partei . LVJ : Luxemburger Volksjugend . NSDAP : Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei . RSHA : Reichsicherheitshauptamt . RuT : Revisions- und Treuhandgesellschaft . SA : Sturmabteilung . SS : Schutzstaffel . SD : Sicherheitsdienst . Sipo : Sicherheitspolizei . VdB : Volksdeutsche Bewegung . 7 2. Archives AE : Fonds ministère des Affaires étrangères. ANLux : Archives nationales du Luxembourg. BNL : Bibliothèque nationale de Luxembourg. CI : Consistoire israélite. EPU : Fonds ministère de l’Epuration. FD : Fonds divers. Gt Ex : Gouvernement en exil. INT : Fonds ministère de l’Intérieur. IP : Fonds ministère de l’Instruction publique. ITS : International Tracing Service . J : Fonds ministère de la Justice. Jt : Fonds ministère de la Justice, dossiers de l’épuration. RG : Record Group . 8 INTRODUCTION La mission de recherche Le 9 septembre 2012, le Premier ministre belge présenta des excuses officielles à la communauté juive pour la collaboration d’autorités de son pays « à l’entreprise d’extermination mise en place par les nazis ». Une semaine plus tard, le tageblatt publia une lettre ouverte de l’historien Serge Hoffmann, dans laquelle celui-ci interpella le chef du gouvernement sur la nécessité de prendre exemple sur son homologue belge 1 . « Die Parallelen zu Belgien sind sehr offensichtlich », écrivit Hoffmann : « In beiden Fällen hatten die jeweiligen Regierungen beim Einmarsch der deutschen Truppen ihr Land verlassen und waren ins Exil geflüchtet. Die politische Verantwortung ihrer jeweiligen Länder hatten sie einer aus Regierungskommissaren bestehenden Verwaltungskommission überlassen. Sowohl in Belgien als auch in Luxemburg kollaborierten diese „Ersatzregierungen“ mit den Nazis und unternahmen nichts gegen die Judenverfolgung in ihren jeweiligen Ländern . » Le sujet fut relayé au Parlement par le député socialiste Ben Fayot. Le 28 septembre 2012, celui-ci adressa une question parlementaire au Premier ministre dans laquelle il lui demanda de prendre position face à la demande de Serge Hoffmann. Jean-Claude Juncker répondit le 30 janvier 2013 qu’il subsistait « un certain flou concernant les événements de l’époque et notamment le rôle de la Commission administrative en général et en rapport avec la déportation de la population juive en particulier. » Pour cette raison, il jugea opportun et nécessaire de charger des historiens d’approfondir la recherche concernant cette période avant de pouvoir tirer des conclusions. Michel Pauly lui écrivit alors une lettre, le 4 février 2013, au nom du Laboratoire d’Histoire, pour lui demander que cette recherche soit confiée à l’Université du Luxembourg. La question connut un rebondissement médiatique quatre jours plus tard, lorsque l’historien Denis Scuto intervint dans le débat. Sur les ondes de RTL il rappela que, 1 HOFFMANN, Serge, „Offener Brief an Premierminister J.-C. Juncker“, in: tageblatt , 19 septembre 2012, p. 18. 9 sur ordre de l’administration civile allemande, la Commission administrative – donc les autorités luxembourgeoises – avait établi, au mois de septembre 1940, une liste de 280 élèves considérés juifs, scolarisés dans l’enseignement primaire. Le 23 février, il mit cette liste en ligne sur le site RTL.lu. Entre-temps, le Groupe parlementaire du DP avait adressé au président de la Chambre des députés une requête sur le sujet. Dans une lettre adressée le 22 février 2013 à Laurent Mosar, le président du Groupe parlementaire DP, Claude Meisch, ainsi que les députés Xavier Bettel et Fernand Etgen réclamèrent que « les révélations récentes de plusieurs historiens » soient « explorées et étudiées pour déterminer clairement les responsabilités et donner des réponses aux multiples questions qui restent ouvertes dans ce contexte. » Le 15 mars 2013, des représentants de l’Université du Luxembourg furent finalement conviés à une réunion au ministère d’Etat, au cours de laquelle furent discutées les modalités suivant lesquelles les recherches sur le sujet pourraient être menées au sein de l’Université du Luxembourg. Une convention, signée par le Premier ministre Jean- Claude Juncker et le recteur de l’Université du Luxembourg Rolf Tarrach fut signée le 24 avril 2013. Considérant le mission statement du 16 avril 2005 qui définit l’Université du Luxembourg comme « espace public de réflexion et d’interpellation pour la société luxembourgeoise », le ministère d’Etat chargea l’Université du Luxembourg « de la mise en place d’un dispositif de recherche sur le rôle de la Commission administrative durant la 2 e Guerre mondiale ». Aux termes de cette convention il fut décidé que l’Université du Luxembourg m’engage pour mener les recherches ; à charge pour moi de remettre un rapport intermédiaire au mois de novembre 2013, suivi d’un rapport final à la date du 31 mai 2014. Il fut également prévu de placer le projet sous la responsabilité d’un comité scientifique ayant pour mission : - de définir le périmètre exact du projet de recherche et les étapes de sa réalisation, - de conseiller le(s) chercheur(s) travaillant sur le projet, - de valider les résultats de la recherche avant publication, 10 - d’organiser le cas échéant une évaluation des travaux par des experts internationaux, - de faire rapport au ministère d’Etat du résultat des recherches, - de formuler des recommandations pour des projets ultérieurs jugés nécessaires pour approfondir la recherche sur le rôle de la Commission administrative. Aux termes de la convention, les membres du comité scientifique furent désignés sur proposition du ministère d’Etat et de l’Université du Luxembourg. Outre Michel Pauly, professeur à l’UL, qui s’en vit confier la présidence, le comité scientifique compta les membres suivants : - Manuel DILLMANN, conseiller de gouvernement première classe au ministère d’Etat, - Paul DOSTERT, directeur du Centre de Documentation et de Recherche sur la Résistance, - Benoît MAJERUS, assistant-professeur à l’UL, - Michel MARGUE, professeur à l’UL, - Marc SCHOENTGEN, enseignant d’histoire au Lycée technique d’Ettelbruck, - Denis SCUTO, assistant-professeur à l’UL. A la demande de la directrice des Archives nationales du Luxembourg, Corinne SCHROEDER a été associée aux travaux du comité à partir de sa deuxième réunion, en tant que représentante des ANLux, avec voix consultative. A l’occasion de la réunion inaugurale du 28 mai 2013, le comité scientifique eut à définir le périmètre de recherche de ce projet. Aux termes des délibérations, ses membres en vinrent à considérer : - qu’en raison du peu de temps imparti, le travail de recherche ne saurait porter sur le rôle général de la Commission administrative ; - qu’en conséquence, il aura pour objectif principal d’éclairer la participation de cette commission aux persécutions antisémites engagées par les autorités d’occupation allemandes ; - qu’afin de replacer cette participation dans un contexte plus large, prenant en compte les intentions tactiques ou stratégiques des membres de la Commission 11 administrative ainsi que leurs marges de manœuvre, le travail de recherche devra