/Agedincum, cité des Sénons Pierre Nouvel, Anne Ahü-Delor, Émilien Estur, Stéphane Venault

To cite this version:

Pierre Nouvel, Anne Ahü-Delor, Émilien Estur, Stéphane Venault. Sens/Agedincum, cité des Sénons. Gallia - Archéologie des Gaules, CNRS Éditions, 2015, Dossier : La naissance des capitales de cités en Gaule Chevelue, 72 (1), pp.231-245. ￿10.4000/gallia.1546￿. ￿hal-01503669￿

HAL Id: hal-01503669 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01503669 Submitted on 6 Jan 2020

HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.

Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - NoDerivatives| 4.0 International License Sens/Agedincum, cité des Sénons

Pierre Nouvel avec la collaboration d’Anne Delor-Ahü, Émilien Estur et Stéphane Venault

Mots-clés. Urbanisation des Gaules, Sénons, sanctuaire périurbain. Keywords. Gaul urbanization, Senones, periurban sanctuary. Résumé. La multiplication des opérations préventives et la reprise Abstract. The increase in investigations in advance of development des données anciennes permettent aujourd’hui de reconsidérer and the reconsideration of earlier data allow us to reassess the origin la question de l’origine de la capitale des Sénons. L’Agedincum of the capital of the Senones. Roman Agedincum was preceded by romaine est précédée d’une agglomération ouverte, remontant au an open settlement dating back to the 2nd c., even to the 3rd c. BC, iie s. voire au iiie s. av. J.-C., installée au confluent de l’ et de la situated at the confluence of the rivers Yonne and the Vanne and Vanne et mentionnée par César. Vraisemblablement avant 3 av. J.-C., mentioned by Caesar. Probably before 3 BC, a new urban layout une nouvelle trame urbaine est implantée à un kilomètre au nord- was established one kilometer to the north-east, taking advantage est, profitant ici du percement de la voie dite de l’Océan signalée of the opening of the so-called ‘Road to the Ocean’ mentioned par Strabon. Son quadrillage régulier, déterminé par le tracé de cette by Strabo. Its regular grid pattern, determined by the alignment voie, couvre environ 110 ha. Cependant, les vestiges datables des of this road, covered around 110 ha. However, evidence for of premières décennies de la ville sont bien peu nombreux, même si l’on the city’s first decades is scarce, even if we postulate that some peut supposer que certains des monuments attestés à une période of the monuments attested at a later period (forum, baths, extra- plus tardive (forum, thermes, sanctuaire périurbain de la Motte du urban sanctuary of the Motte du Ciar) already existed. The scarcity Ciar) existaient déjà. La rareté des documents épigraphiques et des of epigraphic and archaeological documents in situ does not éléments archéologiques en contexte ne permet pas d’étudier avec permit us an informed study of the population structure and the précision la structure de la population et la nature des activités qui nature of the activities that took place here. Nonetheless, its initial s’y déroulaient. Il semble néanmoins que son développement initial development seems quite slow, since it was not until the 2nd c. or soit assez lent : il faut attendre le iie s. apr. J.-C., voire le début du even the 3rd c. that Agedincum attained its full extent. iiie s. apr. J.-C. pour qu’Agedincum atteigne son plein essor. Translation : Cécile Tuarze

La ville de Sens s’est développée au confluent de la Vanne et plusieurs publications avaient voulu faire le point sur l’origine et de l’Yonne, au croisement d’un axe nord/sud reliant la vallée de l’évolution de la ville antique. En dehors du travail plus général la Saône au bassin de la et d’un autre, ouest/est, permet- d’A. Hure (1935), ils sont tous à mettre au compte de P. Parruzot, tant la liaison entre le Val de Loire et la Champagne. Cet inter- J. Nicolle puis D. Perrugot, qui ont animé la recherche locale fluve, relativement vaste, est dominé par des plateaux crayeux entre les années 1940 et 1995. Plusieurs publications succes- peu élevés. Les découvertes archéologiques, multiples depuis sives (Nicolle, 1980 ; Perrugot, 1989 et 1990 ; Beaujard, in le xviie s., permettent de reconstituer partiellement sa genèse Picard, Beaujard et al., 1992 ; Perrugot, 1995) permettent de et son développement depuis l’Antiquité. L’agglomération du mesurer l’apport de deux cents ans d’observations et proposent Haut-Empire, située au nord du confluent de la Vanne (fig. 1), notamment une restitution de l’assiette de la ville et de sa trame est implantée à proximité d’un gué ou d’un pont permettant viaire. On peut ainsi dépasser les précédents travaux (Tarbé, le franchissement de l’Yonne. La ville moderne se superpose 1838 ; Hure, 1935) qui faisaient jusque-là autorité. Les nombreux exactement au cœur de l’agglomération romaine, la fortification diagnostics réalisés depuis, ainsi que l’utilisation de nouveaux de la ville médiévale correspondant au castrum édifié au centre outils de traitement cartographique (Venault, in Venault, Nouvel de la ville antique au cours de l’Antiquité tardive. Seul, au sud dir., 2012), permettent aujourd’hui de compléter ces travaux sans de la Vanne, un complexe religieux périurbain, situé au lieu-dit remettre en cause leurs résultats globaux. On notera toutefois que de la Motte du Ciar-Champ de César, a été identifié de longue l’essentiel des opérations récentes (fig. 2) se concentre au nord de date (en dernier lieu : Debatty, 2006). la Vanne, aux abords du croisement des deux axes viaires prin- Malgré l’absence de dynamique de recherche et de programme cipaux. Les interventions périphériques, en particulier au sud collectif, la documentation publiée, complétée par une série de la Vanne, où l’on soupçonne la présence d’une ville gauloise d’éléments inédits, fruits des fouilles préventives, permet un antérieure, sont beaucoup moins nombreuses et restent en grande réexamen succinct de cette capitale de cité dans le cadre du partie inédites (Venault, Nouvel dir., 2012, p. 78).

présent dossier. Avant l’état des lieux dressé par J.-P. Delor dans Enfin, la question de l’évolution du contexte naturel n’a fait 231-246 p. 2015, , 72-1, la Carte archéologique de la Gaule (CAG) (Delor dir., 2002), l’objet d’aucune attention particulière. Il semblerait pourtant Gallia

231

12_SENS.indd 231 12/11/15 14:40 Pierre Nouvel

N Paris Meaux voie à profil rectiligne Boulogne autres voies et rues aqueduc extension maximale supposée du bâti extension supposée des nécropoles bâtiments publics zones humides

Pont-sur-Seine

la Gaillarde

Troyes

gué de Saint-Bond le Mondereau Orléans

la Vanne gué de Salcy

gué de Champbertrand

Triguères Avrolles l’Yonne Alésia Autun 0 1 km Lyon

Fig. 1 – La ville antique de Sens/Agedincum dans son contexte naturel (DAO : P. Nouvel).

que la zone dans laquelle la ville a été édifiée correspondait à Troyes à Orléans. Toutes ces conjectures demanderaient études la fin de la Protohistoire à une plaine marécageuse. L’évolution et confirmations, de même que la localisation et l’importance du lit de l’Yonne pose d’ailleurs problème. On sait qu’au sud, à des divers chenaux de la Vanne et du ru de Mondereau au cours proximité de la Motte du Ciar, il a pu fluctuer, quoiqu’un bras de la période qui nous intéresse ici. actif aux époques augustéenne et julio-claudienne ait été repéré Afin de produire une synthèse renouvelée, ce travail ne s’est à proximité du gué dit de Saint-Bond (fig. 5). Plus au nord, à pas limité à une simple compilation des travaux antérieurs. Il proximité de l’île d’Yonne, la question semble plus complexe. s’est efforcé de reprendre la totalité des données anciennes (en D’après les opinions d’A. Hure et de D. Perrugot, le bras revenant aux sources initiales) et de géolocaliser, à l’aide de principal correspondrait à celui de l’ouest, celui de l’est, bien cartes phasées, l’ensemble des découvertes (ce qui n’avait pu qu’actif dès cette période, semblant s’être largement élargi après être fait lors de la rédaction de la Carte archéologique de la l’Antiquité. L’île d’Yonne était d’ailleurs formée de plusieurs Gaule). Enfin, les données issues de l’archéologie préventive îlots jusqu’au xixe s. La concentration de vestiges protohisto- ont été intégrées, qu’elles soient antérieures ou postérieures à riques à la pointe de l’île dite de Key permet d’y proposer l’exis- la publication de la Carte archéologique de la Gaule en 2002. tence d’un gué. Selon A. Hure, un troisième bras, plus à l’ouest, Malgré tout, un immense travail reste à faire, cette petite étude contournait le quartier dit des Sablons (fig. 5), qui prenait alors devant apparaître plus comme un état partiel des lieux que

, 72-1, 2015, p. 231-246 p. 2015, , 72-1, la forme d’une île, franchie à l’époque romaine par la voie de comme l’ample synthèse que mérite la capitale des Sénons. Gallia

232

12_SENS.indd 232 12/11/15 14:40 Sens/Agedincum, cité des Sénons

N fouilles ou points de découverte anciens fouilles ou diagnostics récents (postérieurs à 1985) section de rue ou de voie observée en fouille tracé de rue antique fossilisé dans le cadastre tracé visible de la fortification tardo-antique murs antiques repérés en prospection aérienne l’Yonne fossés repérés en prospection aérienne zones humides

la Vanne

0 1 km

Fig. 2 – État des données disponibles (DAO : P. Nouvel).

CONTINUITÉ DE L’OCCUPATION proposée dans Kasprzyk, Nouvel, 2012), correspond aux anciens pays du Sénonais, du Gâtinais, du Melunois, du Stampois, de la ENTRE L’AGEDINCUM DE CÉSAR Brie méridionale et du Provinois, englobant le cours inférieur ET LA CAPITALE DE CITÉ DU HAUT-EMPIRE de l’Yonne et une bonne part de celui de la Seine, entre Nogent et Melun (Mathé, in Delor dir., 2002, p. 632). Cet état de fait Les Sénons forment, depuis la fin de la Protohistoire, une ne semble cependant s’être fixé que tardivement et progressive- nation indépendante puisque César signale que le pouvoir ment, puisque la cité des Parisiens relevait encore des Sénons exécutif y était, de son temps, exercé par un roi : Moritasgus quelques temps avant la Conquête (La Guerre des Gaules, VI, 3) en 58 av. J.-C., Cavarinus entre 58 et 53 av. J.-C. puis Accon et que la cité des Tricasses, qui n’existait vraisemblablement pas brièvement en 53 av. J.-C. (La Guerre des Gaules, V, 54). Ils avant César, est selon toute vraisemblance un démembrement disposaient également d’un sénat, nommément cité par César précoce (césarien ou augustéen) de ce même territoire (Denajar,

(ibid.). Leur territoire, dont la délimitation a été longuement 2005, p. 143-149). La position de la ville de Sens apparaît d’ail- 231-246 p. 2015, , 72-1, discutée (encore récemment, Debatty, 2004a, voir la synthèse leurs un peu décentrée vers le sud-est du territoire civique du Gallia

233

12_SENS.indd 233 12/11/15 14:40 Pierre Nouvel

Haut-Empire, délaissant curieusement le centre de gravité que droite (Hure, 1935). Plus récemment, il a été proposé de placer constitue la confluence Seine-Yonne. Elle occupe cependant sur l’oppidum de « Château » à Villeneuve-sur-Yonne l’urbs une position plus centrale si l’on accepte que le territoire des de César, qui n’aurait été transférée 10 km plus loin, à son Tricasses forme avant la Conquête la partie orientale de la civitas emplacement actuel, qu’à la période augustéenne (Grizeaud, senonensis. Strabon (Géographie, IV, 3, 5), Pline (Histoire 1999). Cependant, quelques fouilles, prospections et suivis de Naturelle, IV, 107) et Ptolémée (Géographie, II, 8, 9) la signalent travaux réalisés depuis les années 1980 permettent d’envisager plus tard comme relevant de la province de Lyonnaise dès sa une réalité toute différente, déjà entrevue par D. Perrugot dès fondation. En suivant l’avis de Pline, tout le monde s’accorde sur 1990 (Perrugot, 1990, p. 48-49). Ils ont localisé, aux marges le fait que cette cité pérégrine était stipendiaire. méridionales de la ville antique, l’existence de niveaux, de Le nom de la ville, Agendicum/Agedincum, est attesté autant mobiliers d’importation et de témoins artisanaux, détermi- par les sources littéraires qu’épigraphiques. Ses occurrences les nant une occupation antérieure à la Conquête aux abords du plus anciennes se trouvent chez César qui signale ce toponyme complexe religieux périurbain de la Motte du Ciar (Delor dir., comme relevant explicitement de la cité des Sénons (La Guerre 2002, p. 633, fig. 6). Les vestiges rencontrés, encore bien mal des Gaules, VII, 10, 57, 59, 62). César n’affirme nulle part que documentés, témoignent d’activités artisanales et commerciales l’agglomération est, au sens propre, la capitale de ce peuple, mais variées, remontant pour certaines à LT B (fig. 3) (Barral, Nouvel, l’utilisation sous sa plume du terme d’urbs, occurrence rare dans 2012, p. 146). Plus précisément, c’est dans le delta formé par le l’ouvrage, suffit à y reconnaître une véritable ville. Ce caractère confluent de la Vanne avec l’Yonne, autant au nord (quartier de première importance est confirmé par le fait que César y Saint-Paul) qu’au sud (zone de la Motte du Ciar), que les travaux entrepose ses bagages lors de l’épisode de Gergovie et qu’il fait et les fouilles des années 1980 ont révélé un habitat groupé hiverner six légions à proximité durant l’hiver 53-52 av. J.-C. déjà fort étendu et dynamique au cours de LT D1 (Perrugot, (La Guerre des Gaules, VI, 44, 3). Ce toponyme se retrouve, 1990, p. 49). Les fouilles menées dans le quartier Saint-Paul presque inchangé, sous les formes Agedincum/Agetincum dans par J.-P. Sarrazin, ont livré un assemblage de mobilier daté de l’Itinéraire d’Antonin et sur la Table de Peutinger, attestant que, la fin du iie s. et du ier s. av. J.-C. (LT D1b-D2a : potin type contrairement à sa voisine Bibracte, la ville subsiste au-delà de LT 7417, céramiques gauloises à pâte fine fumigées et peintes, la Conquête. pots de type Besançon précoces, céramique campanienne A, C’est d’ailleurs là qu’a été mise au jour la plus ancienne amphore de type Dressel 1). Ces éléments, ajoutés aux décou- inscription signalant l’action publique des Sénons : la dédicace vertes anciennes réalisées aux alentours de la Motte du Ciar, aux princes de la jeunesse sur une base de statue, antérieure permettent de reconstituer une agglomération ouverte s’étendant à la fin de l’année 3 apr. J.-C. (voir fig. 10) (CIL XIII, 2942 ; sur plus d’une dizaine d’hectares, de part et d’autre de la Vanne Rosso, 2009, p. 103-104). Il est donc logique d’y situer dès et au débouché des gués de Saulcy et de Champbertrand permet- cette période le caput civitatis de cette nation. La Géographie tant le franchissement de l’Yonne (fig. 3, en haut à droite). Ces de Ptolémée nous confirme que c’est toujours le cas au iie s. derniers, comme ceux plus au nord dits de Saint-Bond et de l’île apr. J.-C. (II, 8, 9 : Agedi[n]cum). L’accumulation d’inscrip- Kley, ont livré un abondant mobilier protohistorique qui n’a pas tions laissées par ses magistrats les plus éminents (notamment fait l’objet d’analyses plus approfondies, de même que le reste CIL XIII, 2940 et 2949), révèle par ailleurs la réalité de son des découvertes laténiennes. On notera, en premier lieu, trois statut administratif mais surtout l’identification du toponyme fragments (une patte postérieure et deux oreilles) appartenant Agedincum avec la ville actuelle de Sens (Dondin-Payre, 1999). vraisemblablement à un cheval-enseigne, mis au jour au sud de Ce dernier disparaît cependant avant la seconde moitié du l’île Kley (musée de Sens) (Delor dir., 2002, fig. 480, attribué ive s., puisqu’Ammien Marcellin (XV, 11, 11 et XVI, 3, 3) la par erreur au gué de Salcy). Le gué de Saint-Bond, quant à lui, nomme déjà Senonas oppidum (ou plus loin urbs), de même a livré un abondant lot monétaire laténien et augusto-tibérien. que, quelques décennies plus tard, la Notitia Galliarum (civitas Cette agglomération accueillait des activités céramiques, métal- Senonum) et diverses autres sources tardo-antiques. Sens/ lurgiques et monétaires qui la font entrer dans la catégorie des Senones sera, après les réformes de la fin du ive s., capitale de agglomérations ouvertes laténiennes (Barral, Nouvel, 2012), la nouvelle quatrième Lyonnaise. caractéristiques de la phase de proto-urbanisation des Gaules. Le fait que le toponyme de la ville gauloise ait été conservé On y a notamment découvert, dans les années 1980, des grappes après la Conquête et durant le Haut-Empire a longtemps été de potins en cours de fabrication (Delor dir., 2002, II, p. 745). Si le seul argument pour proposer une continuité topographique cette occupation semble apparaître dès LT C2 (sinon LT B2-C1 entre ville gauloise et ville romaine. Cette évidence recouvre si on lui associe les ensembles de Maillot), elle se poursuit sans cependant une réalité plus complexe. Comme ont dû le concéder interruption jusqu’à la fin de la période laténienne. Il est possible les chercheurs locaux depuis plusieurs siècles, l’Agedincum du que le sanctuaire de la Motte du Ciar ait déjà fonctionné à cette Haut-Empire, située au nord du confluent de la Vanne et de période, à l’image de ce qui s’observe dans la plupart des autres l’Yonne, ne livre pas ou peu de témoins archéologiques anté- sites de ce type (Barral, Nouvel et al., 2015), mais l’importance rieurs à la période augusto-tibérienne. Face à cette évidence, des constructions monumentales antiques autant que l’absence de nombreuses hypothèses ont été avancées. Th. Tarbé (1838) d’étude récente nous empêchent d’en apporter un quelconque proposait de situer l’Agedincum gaulois sur la butte voisine début de preuve. de Saint-Martin du Tertre, où seul un petit temple d’origine Ce n’est que plus tard, à partir de LT D2a, que le complexe laténienne est connu aujourd’hui (fig. 5). A. Hure opposait, de « Château » à Villeneuve-sur-Yonne, situé une dizaine de

, 72-1, 2015, p. 231-246 p. 2015, , 72-1, quant à elle, une ville gauloise en rive gauche, dans une zone kilomètres au sud, va compléter ce premier pôle urbain sans alors méconnue, à une fondation romaine coloniale sur la rive pour autant le supplanter (fig. 3, en bas à gauche). Il s’agit là d’un Gallia

234

12_SENS.indd 234 12/11/15 14:40 Sens/Agedincum, cité des Sénons

La Tène B La Tène D1b

la Vanne la Vanne ? l'Yonne l'Yonne

La Tène D2 Ier s. apr. J.-C. Paris Meaux Pont- sur-Seine

Agedincum Agedincum

la Vanne Motte la Vanne Troyes Orléans du Ciar

l'Yonne l'Yonne

Avrolles

voie de l'Océan Triguères

(Villeneuve)

(château) Lyon

0 5 km 250 voie 200 150 rivière 100 50 extension approximative des habitats groupés

Fig. 3 – Proposition d’évolution du pôle de Sens/Villeneuve-sur-Yonne, de la période laténienne au début de la période romaine (DAO : P. Nouvel). vaste oppidum, pourvu de fortifications étendues délimitant une Après la Conquête, seule subsiste la ville ouverte d’Age- surface d’environ 175 ha, dont la connaissance reste assez super- dincum, comme l’indique la découverte, toujours dans cette ficielle. Les sondages réalisés par J.-J. Grizeaud sur les struc- même zone du confluent de l’Yonne et de la Vanne, de bronzes tures d’habitat à l’intérieur de la zone sommitale ont confirmé frappés, de céramiques campaniennes B-oïdes et d’amphores une occupation domestique de courte durée, datée de LT D2a, italiques tardives, caractéristiques de LT D2b (fig. 3). Les riche en céramiques, en amphores d’importation italique et en données actuelles, très ponctuelles, ne permettent cependant monnaies de potin (Grizeaud, 1999). Le mobilier amphorique et pas de caractériser l’importance et la nature de cette occupa- céramique ne contient pas d’élément antérieur au ier s. av. J.-C. tion, vraisemblablement toujours à caractère urbain (fig. 5). Les Malgré son importance, ce site ne semble pas avoir survécu découvertes numismatiques anciennes et les sauvetages menés en bien longtemps au delà du milieu du ier s. av. J.-C. : on note en 1989 par J.-P. Sarrazin dans cette zone (in Delor, Rolley, 1989, particulier l’absence notable des bronzes frappés du Sénonais p. 142) ont en particulier livré un lot de céramiques des années

(Grizeaud, 1999), pourtant omniprésents dans les contextes 50-30 av. J.-C. (Delor dir., 2002, p. 643), qui est pour l’instant 231-246 p. 2015, , 72-1, régionaux des années 50-20 av. J.-C. (Piette, Depeyrot, 2008). le seul jalon pré-augustéen clairement identifié dans la ville. Gallia

235

12_SENS.indd 235 12/11/15 14:40 Pierre Nouvel

Après le changement d’ère (voir infra, p. 237), cette zone est initial, d’une bande de roulement de 9 m en moyenne encadrée en grande partie abandonnée au profit d’une fondation urbaine par des trottoirs de près de 5 m de largeur, souvent surmontés nouvelle, sous la ville actuelle de Sens. Il est tentant de mettre ce par la suite de galeries sur stylobates. Les îlots construits étaient déplacement, interprété comme une seconde fondation (Barral, donc séparés par des rues d’environ 18 m de largeur au total Nouvel, 2012, p. 146), en relation avec le percement de la voie (12 pas/60 pieds), drainés par des caniveaux planchéiés sous dite de l’Océan reliant Lyon à Boulogne-sur-Mer (Kasprzyk, trottoir ou par des égouts centraux. Nouvel, 2010, p. 238-241). Son tracé forme le cardo de la nouvelle Le positionnement précis de l’ensemble des points de décou- ville et est tangente à l’ancienne agglomération laténienne sans vertes sur le cadastre actuel permet d’apprécier la structure toutefois la traverser à l’est (fig. 3, en bas à gauche, et fig. 5). Le métrique de la trame urbaine. Cette opération avait déjà été decumanus correspond à l’axe Loire-Champagne, franchissant initiée par P. Pinon en 1977 et complétée par D. Perrugot en l’Yonne à hauteur de l’île d’Yonne. Cette refondation déplace 1990, à des échelles assez imprécises et sans l’aide que peuvent donc le centre de gravité de l’agglomération en rive droite de la apporter aujourd’hui les systèmes d’information géographique. Vanne, 2 km au nord de l’Agedincum gauloise, dans une zone L’ensemble des vestiges de rues mis au jour (fig. 2) montre de apparemment vierge de tout vestige antérieur (sauf peut-être une manière assez nette un tracé régulier qui correspond proba- nécropole de La Tène moyenne situé au 18 cours Tarbé). Seul blement à un quadrillage orthonormé, appuyé sur l’Yonne et semble subsister de l’ancienne métropole le sanctuaire de la Motte couvrant une bonne portion de sa rive gauche. Sa restitution est du Ciar, qui prend dès lors un caractère nettement périurbain. Il proposée sur la figure 4. Il compte au minimum 9 cardines et s’agit du centre religieux de la cité gallo-romaine des Sénons, d’où 9 decumani, même si les extensions orientales, méridionales et provient selon toute vraisemblance la grande dédicace publique septentrionales de cette organisation planifiée sont largement en l’honneur de Mars, Vulcain et Vesta, réutilisée dans la porte conjecturales. Il est encore possible d’imaginer 4 cardines sup- Dauphine de l’enceinte tardive (CIL XIII, 2940 ; Debatty, 2006). plémentaires vers l’est, jusqu’à l’amphithéâtre, 2 decumani au nord et un au sud, tous pour l’instant non attestés par les obser- vations archéologiques. Il n’est pas impossible d’imaginer que LA VILLE NOUVELLE DU HAUT-EMPIRE cette trame se poursuive en rive gauche de l’Yonne, puisque les ET LA QUESTION DE LA TRAME URBAINE bâtiments des ateliers céramiques de Vermiglio ou des Sablons (Chuniaud, 1999) présentent eux aussi une orientation similaire (voir infra, p. 244). Aucune attestation de rue n’est cependant Depuis les années 1980, la multiplication des opérations pré- certaine de l’autre côté de l’Yonne et cette possibilité reste ventives a permis de mieux connaître le substrat de la nouvelle aujourd’hui une hypothèse de travail. fondation. Il semble acquis qu’elle s’implante dans une zone Afin de mieux se repérer dans cette trame, il semble auparavant marécageuse, préalablement remblayée, tout du nécessaire d’y attacher quelques repères, chiffres romains moins dans ses zones les plus basses. Selon les informations de I à XIV pour les îlots d’ouest en est, chiffres arabes de 1 recueillies dans les sondages du cours Tarbé et de part et d’autre à 10 du nord au sud. Seules les bandes de III à X et de 3 à 9 du ru de Mondereau, « le vaste delta de la Vanne a fait l’objet sont aujourd’hui attestées par l’archéologie, correspondant à d’un remblaiement systématique à l’aide de nombreux matériaux une superficie aménagée de l’ordre de 110 ha. L’ensemble des (grès, poutres, terre) pour construire une plate-forme destinée decumani présente une déclinaison homogène, de l’ordre de à supporter les constructions » (Perrugot, 1990, p. 49). Ces 82° est, les cardines leur étant strictement perpendiculaires. travaux posent cependant, en l’absence de réexamen détaillé, L’espacement entre ces derniers est lui aussi régulier. Pour être des problèmes de chronologie et de caractérisation paléo-envi- exact, la distance entre les cardines II-III et X-XI, assez pré- ronnementale. Des remblais plus ou moins épais ont toutefois cisément localisés, est de 745 m (soit un demi mille romain), été repérés dans quelques opérations récentes, comme par chaque cardo étant alors espacé des autres de 106,5 m. Il est exemple celle de la cour du Dispensaire (Venault, Gourgousse donc possible de restituer des îlots de 60 pas/300 pieds de et al., 2005, p. 5), sans pour autant qu’ils aient fait l’objet largeur, séparés par des rues de 12 pas/60 pieds. Les decumani, d’études plus approfondie. La trame viaire a été tracée ensuite, quant à eux, présentent une succession plus irrégulière. Les prenant la forme d’une grille orthonormée. A. Hure avait déjà bandes 3 et 4, puis 7 à 9 ont une longueur de 152 m, corres- proposé son existence dès les années trente (Hure, 1935), mais pondant à environ 102 pas/510 pieds (90 pas/450 pieds plus P. Parruzot et J. Nicolle en ont longtemps rejeté l’hypothèse 12 pas/60 pieds pour les rues). Le rapport entre longueur et (Parruzot, 1971 ; Nicole, 1980). Il fallut attendre 1977 pour que largeur des îlots est donc exactement de 3 pour 2. Cependant, la localisation des portions de voies retrouvées sur le terrain au cœur du réseau, de nombreuses observations ont démontré soit reportée sur un plan (Pinon, 1986 et 1988, complété en que les bandes 5 et 6 présentaient des mesures divergentes. 1990 par P. Perrugot), qui restait jusqu’à aujourd’hui l’unique Ainsi, les decumani 4-5 et 6-7 sont distants de 281 m et non de document disponible présentant une évocation de l’étendue et 304 m, celui noté 5-6 étant à seulement 118 m du decumanus de la structure de cette trame viaire. 4-5 et à 163 m du decumanus 6-7. Les longueurs de ces deux bandes sont ainsi respectivement de 80 pas et 110 pas, délimi- tant des îlots de 68 pieds sur 60 pieds et 98 pieds sur 60 pieds. STRUCTURE DE LA VILLE ROMAINE Cette irrégularité, observée par D. Perrugot, peut s’expliquer par la nécessité d’édifier le forum dans les îlots IV-5 et V-5,

, 72-1, 2015, p. 231-246 p. 2015, , 72-1, Les rues présentent un profil homogène, précisément décrit mais aussi et plus sûrement pour permettre le franchissement par D. Perrugot (1990, p. 51). Elles disposent, dans leur état de l’Yonne par le decumanus 5-6 à un endroit adapté. Il s’agit Gallia

236

12_SENS.indd 236 12/11/15 14:40 Sens/Agedincum, cité des Sénons

voies et rues attestées, restituées voies et rues hypothétiques N Sainte-Colombe extension maximale supposée du bâti extension supposée des nécropoles bâtiments publics l’Yonne zones humides

Saint-Antoine rue de Paris

faubourg Saint-Antoine L’Ardiot cimetière t or La Folie Jeannet Les Chaillots m s 1 Trou des Chaillots ra temple b 2 amphithéâtre 3 faubourg Le Crot des Arènes 4 forum ? faubourg Saint-Savinien d’Yonne 5 pont ? thermes 6

7 aqueduc Pré Saint-Pierre route de Paron 8

9 XIV 10 VII VIII IX X XI XII XIII faubourg I II III IV V VI Saint-Paul

faubourg des Champs de César

sanctuaire de la Vanne lala Motte-du-CiarMotte du Ciar

0 1 km

Fig. 4 – La trame urbaine antique de Sens : proposition de restitution et structure de la ville lors de son extension maximum (DAO : P. Nouvel). probablement là du decumanus maximus, puisque c’est sur son lui. Elle ne fait cependant que 5 m de largeur, bien moins, donc, tracé qu’à été découvert le monument aux princes de la jeunesse que les rues du quadrillage principal. (dans un îlot, VI-2, qui était recoupé par l’Yonne), parce qu’il Il existe peu de rues divergentes d’après les données dispo- sépare ce que l’on pense être le forum (îlots IV-5 et IV-6) des nibles. Toutefois, l’articulation de cette trame avec les grandes thermes publics (îlot V-6), enfin parce que cette rue formera, voies est assez aléatoire. La route de Paris, portion de la voie de au ive s., l’axe structurant du castrum réduit (voire l’opinion l’Océan, présente ainsi un segment qui traverse diagonalement divergente de Cailleaux, 2009, p. 3). On peut considérer que les îlots VII-2 et VIII-3. Au nord-est, celles de Meaux et de le cardo maximus correspond à la rue VI-VIII (soit également Pont-sur-Seine font de même. Ces derniers axes, de même que au parcours de la voie de l’Océan dans la ville) ou encore à la les deux voies menant à Troyes, ont déterminé le développe- rue V-VI, longeant le forum supposé à l’est (Cailleaux, 2009). ment de longs faubourgs qui présentent parfois des orientations Quelques venelles existaient vraisemblablement à l’intérieur des calquées non pas sur la trame urbaine mais sur celle de la voie îlots. L’une d’elle, apparue dans le diagnostic rue du Général- elle-même. Ils semblent tous tardifs, postérieurs à la seconde er Dubois (Goix, Gourgousse, 2004b, îlot V-9), respecte l’orienta- moitié du i s. apr. J.-C. C’est là d’ailleurs qu’a été implanté 231-246 p. 2015, , 72-1, tion générale, parallèle au cardo V-VI mais à environ 20 m de l’amphithéâtre, en marge de la ville et certainement dans les Gallia

237

12_SENS.indd 237 12/11/15 14:40 Pierre Nouvel

espaces encore disponibles, puisque son édification semble bois, ne semble réel qu’à partir de l’époque flavienne (Gallia remonter au milieu du iie s. apr. J.-C. seulement. Enfin, au sud- informations, 1994-1995, p. 213). Des découvertes similaires ont ouest, le quartier de la Motte du Ciar présente une orientation été réalisées plus au nord, boulevard des Garibaldi, en 1984, où différente, dont l’articulation avec le réseau orthonormé n’est un « fond de cabane » a lui aussi livré du mobilier augustéen, à la pas éclaircie. Il est tentant d’y voir la persistance d’une orga- base de la stratigraphie antique (fig. 6, 2) (Gallia informations, nisation antérieure puisque cette zone correspond à la ville 43, 1985, p. 277). Il s’agit là cependant des découvertes les plus pré-augustéenne. pertinentes permettant d’accréditer l’hypothèse d’un tracé de la trame urbaine et de la mise en place des premiers habitats anté- rieurement au règne de Tibère. Enfin, au Petit Hameau (fig. 6, LA DATATION DE LA NOUVELLE TRAME 3) (Goix, Gourgousse, 2004c), l’élément le plus ancien repéré ET DE L’HABITAT URBAIN lors du diagnostic est un fossé, peut être bordant une voie et respectant l’orientation de la trame de la ville antique. Il a livré D. Perrugot affirmait encore, il y a moins de trente ans un fond d’amphore Dressel 1 et peut donc remonter à l’époque (Perrugot, 1989, p. 143), que cette structure urbaine ne saurait augustéenne. Son comblement est scellé par des niveaux de remonter à une période antérieure aux années 50 apr. J.-C., l’époque julio-claudienne, époque déterminée par un mobilier reprenant ici un lieu commun de la littérature sénonaise, daté d’Auguste à Claude par S. Humbert (Goix, Gourgousse, puisque cette vision est présente autant chez A. Hure que chez 2004c, p. 21). Rue du Général-de-Gaulle (fig. 6, 4), le diagnostic ses successeurs. J. Coudray et P. Parruzot prenaient en particu- réalisé par C. Goix (Goix, Gourgousse, 2004a) dans l’îlot VII-9, lier argument du fait que les ensembles monétaires extraits des au sud de la ville, a révélé un quartier d’habitation sur lequel treize tranchées d’adduction d’eau réalisées en 1947-1949 au « le mobilier le plus précoce date de La Tène D2 et du ier siècle centre-ville (rapport inédit conservé à la Société archéologique de notre ère », en particulier des pots à lèvre moulurée et des de Sens) ne remontaient qu’à Néron. Ces suivis de travaux gobelets à bords simples verticaux, datés de la période augusto- n’avaient pourtant en aucun point percé les couches antiques tibérienne. On y note cependant l’absence de Dressel 1, ce qui ni atteint les niveaux de fondation de la ville. Cette difficulté exclut a priori une datation haute antérieure à Jésus-Christ. Plus à reconnaître les aménagements les plus précoces est en partie généralement, la présence de sigillée arétine dans la plupart des liée au fait que l’agglomération médiévale et moderne s’est exac- îlots de la ville a été notée par A. Delor-Ahü, répondant malheu- tement superposée aux quartiers centraux antiques. Cette zone, reusement pour l’essentiel à des découvertes anciennes dans des dans laquelle la puissance stratigraphique atteint communément contextes imprécis (Delor-Ahü, 2004). Ainsi, au 18 cours Tarbé 4 m (Venault, 2006), n’a pas connu de fouille récente qui ait (fig. 6, 5), les suivis de travaux et fouilles de sauvetage réalisés touché le terrain naturel et les premiers niveaux d’aménagement par J. Nicolle en 1976 ont livré du mobilier précoce (céramique de la ville. Par ailleurs, comme l’ont montré l’ensemble des opé- arétine et plus récente, comme de la céramique sigillée du sud de rations préventives, l’utilisation des matériaux périssables dans la Gaule et de la terra nigra), sans que l’on puisse mieux appré- l’habitat reste omniprésente au ier s. apr. J.-C. Ils sont partielle- hender la réalité des niveaux correspondants. Sur cette dernière ment remplacés, à partir des années 120 apr. J.-C., et unique- fenêtre, les premiers habitats structurés et clairement repérés ment dans les constructions les plus luxueuses, par des fonda- sont datés des années 40 apr. J.-C. Enfin, malgré l’absence de tions et quelques élévations maçonnées. Ce caractère, commun synthèse sur les découvertes numismatiques sénonaises, on doit à beaucoup de capitales de cité du Bassin parisien, contribue lui noter la présence de deux curieux dépôts dans la zone de la aussi à sous-documenter les périodes les plus précoces. gare, à l’ouest du faubourg d’Yonne (fig. 6, 6). L’un d’eux était Ce dossier offre le cadre le plus adapté à une révision des composé de 300 monnaies, en majorité des bronzes frappés de indices disponibles en exploitant, en particulier, les résultats des LT D2b, associés à des frappes de l’époque augustéenne (en nombreuses opérations préventives. L’ensemble de la littérature dernier lieu, Jacob, Lerrede et al., 1983, p. 312). Le second (partiellement compilée seulement dans Delor dir., 2002) a donc rassemble 165 monnaies, dont 78 bronzes frappés de la fin de été révisée et complétée par l’exploitation des rapports d’opéra- La Tène et 8 monnaies du ier s. apr. J.-C. dont la plus récente tions inédits (treize diagnostics entre 2002 et 2010). Ce travail est de Domitien. Ces deux lots, qui présentent une composition permet de disposer d’une cartographie renouvelée, illustrant les similaire à la découverte du gué de Saint-Bond signalée plus diverses découvertes par grandes périodes (pré-augustéenne : haut, correspondent plutôt à des dépôts cultuels. Quoi qu’il en fig. 5 ; augustéenne : fig. 6 ; Tibère-Néron : fig. 7 ; flavienne : soit, ils révèlent une fréquentation ancienne dans les faubourgs fig. 8 ; iie s et début du iiie s. apr. J.-C. : fig. 9). occidentaux, à proximité de la nouvelle voie menant à Orléans. L’attention doit être portée, en particulier, aux indices les plus On regrette donc, à l’issue de ce tour d’horizon, que les anciens recueillis au centre de la ville nouvelle. En dehors du diagnostics récents et les fouilles de sauvetage des années 1980 quartier Saint-Paul, dans lequel l’occupation est continue depuis à 2000 n’aient pas pu atteindre et permettre l’étude des niveaux l’époque laténienne, trois points de découvertes sous la ville les plus anciens de la ville, en particulier les premiers niveaux nouvelle peuvent remonter à la période augustéenne. Au 9 cours de voirie. Tarbé, dans une fouille préventive réalisée en 1989 (fig. 6, 1), Notre connaissance des occupations de la fin de la dynastie D. Perrugot a mis en évidence les niveaux les plus anciens d’un julio-claudienne pose également problème (fig. 7). En dehors decumanus, qu’il date de « La Tène finale » (après réexamen, le des lieux de découvertes signalés plus haut, les indices semblent mobilier concerné est plutôt caractéristique de l’époque augus- cependant se multiplier.

, 72-1, 2015, p. 231-246 p. 2015, , 72-1, téenne). Cependant, ici encore, le développement important de Dans les fouilles de l’archevêché (fig. 7, 5), alors que les l’habitat, sous la forme de modestes constructions en terre et niveaux profonds n’ont été effleurés qu’à travers un sondage très Gallia

238

12_SENS.indd 238 12/11/15 14:40 Sens/Agedincum, cité des Sénons

découverte isolée N découverte isolée occupation structurée occupation structurée Saint-Martin- découverte funéraire découverte funéraire du-Tertre zones humides zones humides l’Yonne l’Yonne

N

voie dite de l’Océan faubourg nécropole Saint-Antoine L’Ardiot nécropole de l’Ardiot de l’Ardiot

s Les Sablons n o l b temple temple a faubourg S

s Le Crot 2 e d’Arènes tracé de la voie dite de l’Océan d

s a TM r monument des

tracé de la voie dite de l’Océan b Saint-Savinien Les Sablons 6 princes de la jeunesse voie Orléans - Troyes faubourg gué de Ruru de Mondereau d’Yonne l’île Key 1 5

3 4 Saint-Paul gué de gué de faubourg Saint-Bond Saint-Bond Saint-Paul

Motte-du-CiarMotte du Ciar Motte-du-CiarMotte du Ciar

la VanneVanne la VanneVanne

0 1 km 0 1 km

Fig. 5 – Sens/Agedincum : localisation des découvertes d’objets Fig. 6 – Sens/Agedincum : localisation des découvertes d’objets et de niveaux de LT C à LT D2b (DAO : P. Nouvel). et de niveaux de la période augustéenne (DAO : P. Nouvel).

découverte isolée découverte isolée

N occupation structurée N occupation structurée découverte funéraire découverte funéraire monument public monument public l’Yonne zones humides l’Yonne activité artisanale zones humides

faubourg faubourgfaubourg L’Ardiot Saint-Antoine Saint-AntoineSaint-Antoine L’Ardiot

1 1

2 2

3 3 Le Crot 1 faubourg Le Crot 1 faubourg 7 6 4 d’Arènes 4 d’Arènes TM Saint-Savinien Saint-Savinien 5 faubourg faubourg 5 5 d’Yonne d’Yonne 6 6 2 7 3 7

8 3 8 2 4 9 9 faubourg XIII faubourg XIII 10 VIII 10 V VI VII VII VIII Saint-Paul II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV Saint-Paul IV V VI I I II III IVIII V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV

Motte du Ciar Motte du Ciar

0 1 km 0 1 km

Fig. 7 – Sens/Agedincum : localisation des découvertes d’objets et Fig. 8 – Sens/Agedincum : localisation des découvertes d’objets 231-246 p. 2015, , 72-1,

de niveaux de la période 15-70 apr. J.-C. (DAO : P. Nouvel). et de niveaux de la période 70-100 apr. J.-C. (DAO : P. Nouvel). Gallia

239

12_SENS.indd 239 12/11/15 14:40 Pierre Nouvel

découverte isolée occupation structurée N découverte funéraire Sainte-Colombe monument public activité artisanale mosaïque, domus métallurgie l’Yonne M C atelier céramique V verrerie zones humides

rue de Paris cimetière faubourg La Folie Jeannet Saint-Antoine TrTrouou des Chaillots L’Ardiot mausolée ? Les Chaillots

rt o 1 m temple s M a r b 2 V C M mausolée C amphithéâtre Le Crot 3 faubourg M d’Arènes Chaux C 4 Saint-Savinien faubourg d’Yonne 5 forum ? thermes 6 M Pré Saint-Pierre 7 C M aqueduc route de Paron 8

9 faubourg Saint-Paul10 I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV

sanctuaire

0 1 km

Fig. 9 – Sens/Agedincum : localisation des découvertes d’objets et de niveaux du iie s. et de la première moitié du iiie s. apr. J.-C. (DAO : P. Nouvel). réduit, il a été observé des systèmes de planches (non datées) (fig. 7, 3) (Alix, Cordenod et al., 2007), la fréquentation débute à la base de la stratigraphie, associés à du mobilier des années au plus tôt sous Tibère, et se confirme sous Claude, au milieu du 30-50 apr. J.-C. (Gallia, 43-2, 1985, p. 277 ; Arveiler-Dulong, ier s. apr. J.-C. La situation est identique rue du Général-Dubois Guillot et al., 1994, p. 169). Au 9 cours Maupéou (fig. 7, 1), (Goix, Gourgousse, 2004b), avec un développement du quartier L. Duval a pu noter que les premiers niveaux de recharge du d’habitation à la même période. Enfin, au cœur de la vieille ville, decumanus 3-4 contenaient du mobilier de la première moitié du rue du Général-Duchêne (Venault, 2006), S. Venault a repéré ier s. apr. J.-C., mais que le lotissement de la parcelle avoisinante des niveaux de cette période, bien caractérisés, disposés sur des ne démarrait que dans la seconde moitié de ce siècle. Des obser- couches plus profondes qui n’ont pas été étudiées (fig. 7, 6). On vations similaires ont été réalisées Espace du Tau (fig. 7, 2), où peut signaler à ce titre que c’est du milieu du ier s. apr. J.-C. que les datations dendrochronologiques et la céramique confirment sont datées les premières productions de l’atelier des Sablons au que l’aménagement des bords du ru de Mondereau et l’occu- faubourg d’Yonne (fig. 7, 7) (voir infra, p. 244). pation de l’îlot ne débutent qu’après 40 apr. J.-C. (Joly, 1995b, Dans quelques autres diagnostics ou fouilles récentes, les

, 72-1, 2015, p. 231-246 p. 2015, , 72-1, p. 274). Ce sont ici les opérations les plus récentes qui apportent datations des couches les plus anciennes ne remontent qu’à la les données les plus précises. Au 44 rue du Général-de-Gaulle seconde moitié du ier s. apr. J.-C. C’est le cas par exemple au Gallia

240

12_SENS.indd 240 12/11/15 14:40 Sens/Agedincum, cité des Sénons

4 boulevard du Mail (fig. 8, 1), où les premières fosses entamant le substrat contiennent du mobilier datable de l’époque flavienne (Renard, 1991). De même, rue des Moulins (fig. 8, 2), les niveaux les plus anciens sont datés des années 60-80 apr. J.-C. au plus tôt (Goix, Gourgousse, 2005). Enfin, le diagnostic mené rue Cécile- de-Marsangy (Venault, 2004) a révélé les limites de l’aggloméra- tion au sud de la rive gauche, dont l’occupation débute elle aussi à l’époque flavienne (fig. 8, 3). À la fin du premier siècle, il semble donc que l’essentiel du périmètre loti soit occupé, y compris les faubourgs d’Yonne et d’Arène. Ce n’est cependant pas encore le cas des faubourgs nord Saint-Didier et Saint-Antoine, dont les aménagements les plus anciens ne semblent remonter qu’au iie s. apr. J.-C. (fig. 9).

0 50 cm LES NÉCROPOLES (fig. 5 à 9) Fig. 10 – L’inscription CIL XIII, 2942, découverte dans l’Yonne en La grande nécropole occidentale (Le Crot et L’Ardiot à 1825 et 1892 à proximité du franchissement de la rivière par le cardo Saint-Martin-du-Tertre) est la seule à ce jour à avoir livré des maximus d’Agedincum (d’après Hure, 1935, p. 143 de la réédition de éléments augustéens et même laténiens indubitables (Hure, 1978). 1935). On note aussi la présence de fibules de l’époque augusto-tibérienne dans celle dite de Saint-Antoine (Delor dir., est d’ailleurs possible que sa position corresponde à l’extrémité 2002, p. 643, fig. 946), le long de la voie de Meaux, ainsi que d’un pont permettant le franchissement de la rivière. L’absence de mobilier céramique julio-claudien (terra nigra, au Grand de prospections subaquatiques ne permet cependant pas encore Séminaire par exemple). Celle dite du Trou des Chaillots, au d’éclaircir cette question. La datation de cette voie de Troyes à nord-est, le long de la voie de Pont-sur-Seine et sous le cimetière Orléans reste d’ailleurs discutée. Son profil rectiligne permet actuel, semble également relativement précoce puisqu’elle a d’y reconnaître un axe de création romaine, dont les routes dites fourni des lots de fibules antérieures au milieu du ier s. apr. J.-C. de Courtenay au sud et de Pont-sur-Seine à l’est seraient les Les ensembles mobiliers recueillis dans les autres espaces antécédents. Vers l’ouest, la succession d’opérations préventives funéraires (des Chaillots à l’est, de Saint-Savinien et du pré sur l’agglomération antique de Saint-Valérien permet d’appor- Saint-Pierre au sud-est, de Sainte-Colombe dans la rue de Paris ter quelques arguments. Son origine semble déterminée par le au nord-ouest) ne semblent pas antérieurs au milieu du ier s. percement de la voie elle-même, sa trame viaire déterminant des apr. J.-C., plus généralement datables des iie s. et iiie s. Il faut îlots structurés par cet axe et par des rues qui lui sont parallèles cependant noter que les nécropoles méridionales, aux alentours (Venault, in Venault, Nouvel dir., 2012, p. 65). Les opérations de ce que l’on suppose être la ville pré-romaine du Champ de préventives réalisées ici depuis 2007 n’ont livré aucun élément César, ne sont pas localisées. antérieur à Jésus-Christ (Venault, Nouvel dir., 2013, p. 255). Les éléments les plus pertinents indiquent un début de fréquentation à l’époque tibérienne (remblais, fossés, carrières d’argile) et se APPORT DE L’ÉPIGRAPHIE ET DE L’ÉTUDE signalent par l’absence de marqueurs augustéens précoces tels DES VOIES ROMAINES À LA DATATION que les dernières amphores Dressel 1. Le développement du bâti DE LA TRAME URBAINE DE SENS n’est quant à lui pas antérieur au milieu du ier s. apr. J.-C. La voie peut donc être datée d’une période assez haute, avant l’époque En dehors des vestiges repérés dans la ville et dans sa péri- tibérienne, mais vraisemblablement de peu antérieure au chan- phérie, d’autres éléments indirects peuvent être mis à contri- gement d’ère, puisque les sites qui la jalonnent jusqu’à Orléans bution afin de préciser la date de la mise en place de la trame (Baune-la-Rolande, Sceaux-du-Gâtinais, etc.) n’ont jamais livré urbaine. Le monument offert par la cité aux princes Caius et les indices d’un développement plus ancien. Sa branche orientale, Lucius avant septembre de l’an 3 apr. J.-C. constitue un jalon en direction de Troyes, a elle aussi fait l’objet de diagnostics épigraphique majeur pour dater la fondation du nouveau caput préventifs (Kasprzyk, Nouvel, 2010, p. 33). Concordants, ils civitatis (CIL XIII, 2942) (fig. 10). Il s’agit d’un ensemble de n’apportent cependant pas d’élément permettant de proposer une douze blocs (quatre conservés) qui appartiennent à une base date plus précise que les alentours du changement d’ère, proba- d’environ 1,4 m de haut (et non 4 m comme le proposait A. Hure) blement contemporaine de la fondation de la nouvelle capitale supportant peut-être une statue dédiée aux deux héritiers des Tricasses, Troyes. d’Auguste. Il s’inscrit dans une série de monuments édifiés Le cardo maximus est constitué d’une section de la voie par les communautés civiques dont d’autres exemples, parfois reliant Lyon à Boulogne-sur-Mer via Sens, Paris et Amiens posthumes, sont connus en Lyonnaise ou en Belgique (Rosso, (Kasprzyk, Nouvel, 2011). Il s’agit de la voie dite de l’Océan 2009). Il a été retrouvé à proximité du pont franchissant l’Yonne, qui appartient selon toute vraisemblance au réseau attribué à dans une zone vierge de tout vestige laténien, et son érection ne Agrippa et décrit par Strabon (Kasprzyk, Nouvel 2012) et dont

saurait être antérieure au percement de la voie Orléans-Troyes, le percement aurait été planifié dès les années 20 av. J.-C. Le 231-246 p. 2015, , 72-1, constituant dès lors le cardo 5-6 de la nouvelle ville (fig. 6). Il dossier archéologique récemment réétudié (Kasprzyk, Nouvel, Gallia

241

12_SENS.indd 241 12/11/15 14:40 Pierre Nouvel

2011, p. 239 et 2012, p. 32) permet d’affirmer que les travaux Trajan (Perrugot, 2008, p. 107 et note 115). L’aqueduc de Saint- ont bien débuté à l’époque augustéenne et que la voie était déjà Philibert, qui révèle d’ailleurs plusieurs étapes d’agrandissement, en place, du moins à proximité de Sens (Chamvres, Yonne) dans ne semble donc pas faire partie de l’équipement prévu lors de la les années 10 av. J.-C. seconde fondation de la ville d’Agedincum au début de notre ère. Un troisième axe, au tracé rectiligne lui aussi, quitte la ville Les thermes eux-mêmes sont pour ainsi dire méconnus. vers le nord-est. Il s’agit de la voie de Meaux, dont l’apparte- On a longtemps voulu leur rapporter, en se fondant sur l’omni- nance au réseau attribué à Agrippa est aujourd’hui discutée présence des divinités marines, la grande façade d’époque (Kasprzyk, Nouvel, 2010). Son ancrage au cœur de la ville sévérienne retrouvée démembrée dans les fondations de la (départ à l’angle du cardo VIII-IX et du decumanus 3-4) portion sud-ouest du castrum tardo-antique (en dernier lieu, laisse cependant penser qu’elle remonte elle aussi à une phase Delor dir., 2002, p. 694). Rien ne le prouve cependant et il contemporaine de la mise en place de la trame urbaine. Il existe est tout aussi possible, vu l’ampleur du projet, que ces blocs malheureusement peu de jalons permettant de dater sa mise en proviennent du grand sanctuaire périurbain de la Motte du place, en dehors du fait qu’elle déterminera le développement de Ciar (Debaty, 2006). Un premier complexe thermal, dont on l’agglomération de Châteaubleau (Seine-et-Marne), dès le début mesure mal l’importance, a été touché par des travaux en 1953 du ier s. apr. J.-C. et 1970, rue de l’Épée et sous l’ancienne prison (îlot III-6). Ses Tous ces arguments, certes indirects, laissent supposer que vestiges (piscines, praefurnia, mosaïque, chaudières) (Delor, la trame viaire de la nouvelle ville a bien été tracée à la fin du Rolley, 1989, p. 148), engagés sous la fortification tardo-antique, règne d’Auguste. Toutefois, l’extension maximale de la ville paraissent tous postérieurs au ier s. apr. J.-C. Vu l’exiguïté des (environ 220 ha, nécropoles non comprises : fig. 4) ne sera salles, ils pourraient n’appartenir qu’à de simples balnéaires atteinte qu’à la fin du iie s. ou au début du iiie s. apr. J.-C. privés. Un second ensemble thermal a été repéré lors de suivis de travaux en 1989, deux îlots plus loin (V-6), au sud du supposé forum (fig. 4 et 9). Il présente une extension (toute la largeur de LA PARURE MONUMENTALE DE LA VILLE l’îlot, soit 90 m) et des modes de construction qui correspondent mieux à un complexe public (grand appareil, alternance de briques et d’opus vittatum). Les éléments de datation manquent, LE FORUM mais le fouilleur, D. Perrugot, propose de dater son édification des années 100 voire 120-140 apr. J.-C., postérieurement à Le centre public était traditionnellement localisé sous la celle de l’aqueduc (Perrugot, 1989, p. 147). La localisation de cathédrale médiévale, dans les îlots VIII-5 et IX-5 (Hure, 1935), l’ensemble, à proximité immédiate de la rivière, laisse toutefois mais les fouilles préventives réalisées à cet endroit (Archevêché, ouverte la possibilité d’un approvisionnement direct en eau. 1987 ; Delor, Rolley, 1989) n’ont dégagé que des habitats plus ou Rien ne prouve cependant que cet équipement ait été initiale- moins luxueux. À l’inverse, plusieurs opérations menées 200 m ment prévu lors de la fondation de la ville. L’îlot situé plus à plus à l’ouest, dans les deux îlots mitoyens IV-5 et V-5, ont l’ouest (IV-6) a également livré des constructions à caractère révélé un grand ensemble public, composé de trois unités s’éten- public qui prennent la forme d’un bâtiment en grand appareil dant sur une surface de 210 m sur 110 m (Perrugot, 1990). Les édifié au tout début du iie s. apr. J.-C., de plus de 35 m de largeur, fouilles et sondages de 1988 dans la zone orientale (îlot V-5) associé à des dallages repérés sur plus de 100 m de longueur. ont mis au jour un grand podium, que D. Perrugot interprète D. Perrrugot propose d’y placer le théâtre de la ville, mais les comme celui d’un temple, large de 26 m, alors qu’au sud une éléments manquent totalement pour étayer son hypothèse. ligne de boutiques, entrevues en 1982, délimiterait l’area sacra. Des autres monuments publics, seul l’amphithéâtre nous La basilique se trouverait à l’ouest, sous la porte d’Yonne est connu. Situé dans le faubourg oriental de la ville, en dehors (îlot IV-5) (Perrugot, 1990, p. 51, repris dans Delor dir., 2002, d’elle et désaxé par rapport à la trame urbaine originelle, il p. 634). Les éléments de datation manquent pour proposer une est nettement postérieur à la refondation de la ville. Les rares date de fondation et rien ne permet d’identifier la destination du éléments recueillis dans les fouilles réalisées là au milieu du temple supposé. xixe s. (Delor dir., 2002, p. 680-681) ne remontent pas au-delà du iie s. apr. J.-C. Le monument existait cependant avec certitude lors de la mise en place de la dédicace CIL XIII, 2940, signalant LES AUTRES MONUMENTS PUBLICS des combats de gladiateurs et datée de la seconde moitié du iie s., voire du iiie s. apr. J.-C. (Guerrier-Delclos, 2002, p. 113). Des Comme les autres capitales de cité de la région, Sens dispose autres édifices (marché, schola, etc.), nous ne connaissons rien. d’un aqueduc assez développé et qui a fait l’objet d’un réexamen récent approfondi (Perrugot, 2008). En reprenant, entre autres, les arguments précédemment avancés par A. Hure, qui avait Le sanctuaire périurbain dit de la Motte du Ciar observé que le percement de l’aqueduc avait perturbé des sépul- tures de la seconde moitié du ier s. apr. J.-C. dans la nécropole du Le vaste complexe monumental du Champ de César se faubourg Saint-Savinien, D. Perrugot propose de faire remonter développe aux marges sud-ouest de la ville nouvelle, à environ celui-ci au début du iie s. apr. J.-C. Cette hypothèse serait cor- 500 m des rues les plus proches de la trame urbaine. Il couvre roborée par la multiplication des ensembles balnéaires privés et une vingtaine d’hectares, au sud de la Vanne, dans une zone où

, 72-1, 2015, p. 231-246 p. 2015, , 72-1, surtout publics, dont l’érection pourrait être mise en rapport avec ont été repérés les vestiges de la ville pré-romaine d’Agedincum. la dédicace fragmentaire CIL XIII, 2943, datée de l’époque de À vrai dire, seul le grand monument de la Motte du Ciar a fait Gallia

242

12_SENS.indd 242 12/11/15 14:40 Sens/Agedincum, cité des Sénons

La parure monumentale et l’action évergétique

l’Yonne L’étude des indices épigraphiques et des membra disjecta

vanne récupérés dans les fondations de la muraille périurbaine n’apporte rien au dossier : l’organisation, les choix architec- turaux et la part du culte impérial dans les premiers états des rue monuments sénonais ne peuvent être discutés à l’heure qu’il est. Parmi l’abondante série de blocs recueillie dans les soubas- vanne sements de la fortification tardo-antique, on peine d’ailleurs à repérer quelques éléments pouvant appartenir aux édifices des premières phases d’urbanisation. Les plus grands monuments connus (façade dite des thermes, dédicace monumentale CIL XIII, 2940) sont nettement plus tardifs. Certes, cette série n’a pas fait l’objet d’étude récente et il faut se contenter ici de la compilation proposée par J.-P. Delor (dir., 2002, p. 651-702). Il en ressort pourtant qu’aucun bloc ne vient confirmer ici la réalité d’une action d’évergétisme à l’époque julio-claudienne, voire flavienne, dans la capitale des Sénons. Le processus même de municipalisation nous échappe totalement, en dehors de la dédicace aux princes de la jeunesse, faute de document

N épigraphique tangible. On ne sait donc rien de la genèse du cursus municipal sénon, dont les mentions les plus anciennes ne remontent qu’à la fin du iie s. apr. J.-C. Cette rareté est d’autant plus étonnante que les témoignages de cette période, et surtout e structure fossoyée de la première moitié du iii s. (ILTG 330 ; CIL XIII, 1676, 2943, mur sur les clichés 2949, 2950, 2952 ou 3067 par exemple), sont précis et abondants aériens 0 100 m zone empierrée (Dondin-Payre, Raepsaet-Charlier dir., 1999 ; Dondin-Payre, Raepsaet-Charlier, 2001). L’opulente série d’épitaphes est, elle Fig. 11 – La Motte du Ciar, nouvelle interprétation de l’organisation aussi, presque entièrement datée des périodes tardives (iie s. et du complexe cultuel périphérique d’après l’exploitation des clichés iiie s. apr. J.-C.), la part du ier s. apr. J.-C. étant estimée à 12 % orthophotographiques (DAO : P. Nouvel). par J. Guerrier-Delclos (1998). Elle note également qu’aucune d’entre elles ne semble antérieure à Claude (Guerrier-Delclos, l’objet d’études, pour l’essentiel anciennes, ponctuelles et super- 2002, p. 113). À l’inverse, il est possible de confirmer l’exis- ficielles (Debatty, 2006). Connu de longue date, il a été touché tence d’un culte impérial dès la période augustéenne (voir la par plusieurs opérations de fouilles en 1844-1846 et en 1961-1962 dédicace aux principes iuentutis, fig. 10), pratique également qui ont permis de délimiter grossièrement l’enceinte supposée attestée sous le règne de Trajan par l’inscription CIL XIII, 2943. cultuelle (ou thermale) d’un immense édifice périurbain (Delor Tout cela laisse entendre que le développement de la ville est dir., 2002, fig. 48). En 1961, quelques sondages complémentaires resté lent avant la fin de la période flavienne, sans commune avaient reconnu l’existence de vestiges monumentaux plus au nord, mesure avec la vitalité qu’attestent la profusion des témoignages entre la Motte du Ciar et la Vanne. Les anomalies visibles sur les et l’extension de la cité au cours des deux derniers siècles du orthophotographies IGN de juillet 2011 ont permis une étude plus Haut-Empire. approfondie puisqu’elles autorisent non seulement de confirmer l’assiette générale de ce complexe, mais révèlent par ailleurs des structures adventices jusque-là ignorées. En consultant les ortho- LES FONCTIONS ÉCONOMIQUES DE LA VILLE photographies plus anciennes disponibles (1948, 1972 et 2002), il a été possible d’assembler une mosaïque de clichés (Nouvel, Puisqu’on ne connaît presque rien des niveaux précoces Izri, 2013) et de proposer une nouvelle interprétation du plan du d’Agedincum, il est bien difficile de mesurer la place des site (fig. 11). Elle confirme tout du moins la réalité des obser- activités artisanales dans les premières décennies de l’existence vations réalisées au xixe s. et l’ampleur du complexe principal, de la nouvelle ville. Il est certain, comme cela s’observe d’ail- qui s’étend sur une surface minimum de 440 m sur 370 m, soit leurs dans la plupart des agglomérations ouvertes laténiennes, 16,3 ha. Les quelques fouilles de J. Nicolle ont révélé un mobilier que leur place était primordiale. C’est du moins l’image que qui laisse penser que l’état actuel du monument correspond à une nous renvoient les quelques découvertes du quartier Saint-Paul phase tardive, du début du iie s. apr. J.-C. au plus tôt, avec des (artisanat métallurgique et céramique, production de monnaies) phases de réfection qui pourraient se poursuivre jusqu’au début signalées plus haut. C’est certainement encore le cas par la du iiie s. Elles ont cependant livré des éléments céramiques et suite, comme le confirme l’importance numérique des stèles de numismatiques nettement plus anciens, qui laissent ouverte, à catégories modestes et plus spécialement d’artisans (Guerrier- nos yeux, la possibilité de la monumentalisation d’un sanctuaire Delclos, 1998). Concernant les quartiers artisanaux du Haut-

antérieur, d’origine laténienne par exemple, à l’image de ce qui a Empire, ils se positionnent comme souvent en périphérie de 231-246 p. 2015, , 72-1, été observé à Langres ou à Autun. l’espace urbain (fig. 9). Dans l’état actuel de nos connaissances, Gallia

243

12_SENS.indd 243 12/11/15 14:40 Pierre Nouvel

deux ont été nettement identifiés : le premier, dans la plaine semble assez tardif car bien peu d’entre eux, même parmi les des Sablons, est aujourd’hui le mieux connu et, semble-t-il, le plus hauts magistrats, portent des noms permettant de faire plus spécialisé. Il rassemble plusieurs ateliers céramiques, dont remonter leur citoyenneté à l’époque julio-claudienne ou la diffusion, le répertoire et la chronologie sont aujourd’hui antérieurement. On notera toutefois les exceptions que consti- encore en cours d’étude (ateliers dit de Vermiglio : Delor- tuent, d’une part, le père de l’héritière de l’affranchi impérial Ahu, Mouton-Venault, 2010). Les indices recueillis dans les Ti. Claudius Cerinthus, un certain Caius Julius [Successus ?] fouilles de sauvetage récentes (Perrugot, 1994 ; Chuniaud, (CIL XIII, 2969), et, d’autre part, le C. Iul. C[ornelianu]s Aper 1999) indiquent que les niveaux les plus anciens remontent à la (CIL XIII, 2979) qui apparaît sur une inscription remontant elle période claudienne ; l’activité perdure jusque dans le courant du aussi au ier s. apr. J.-C. iiie s. apr. J.-C. (Joly, Barral, 1992 ; Séguier, 2007 ; Delor-Ahü, Mouton-Venault, 2010). La recension typologique du répertoire faite en 2014 et prochainement publiée permettra de visuali- LA PLACE DES ÉLITES DANS LA VILLE D’APRÈS ser plus clairement l’aire de diffusion des ateliers et d’affiner LEURS HABITATS ET LEURS LIEUX DE SÉPULTURE la chronologie. Rien n’indique toutefois que le quartier des Sablons ait été planifié dès l’origine de la nouvelle ville. La ville de Sens est réputée pour l’abondance des mosaïques, La seconde zone artisanale bien attestée se situe au nord- qui révèlent une forte présence des élites de la cité. À ce jour, le ouest, en rive droite cette fois (îlots IV-1 à IV-3 et îlot V-2). sous-sol sénonais a livré pas moins de trente points de décou- Elle se caractérise par plusieurs découvertes d’ateliers métallur- vertes (Darmon, Lavagne, 1977, complété par Delor dir., 2002), giques, pour l’essentiel assez anciennes (Hure, 1909, p. 361-368). qui correspondent peut-être à autant de domus qui se répartissent On y connaît aussi des indices de transformation de verre et de manière assez uniforme dans la ville (fig. 9). Cependant, au moins deux ateliers céramiques. Il semble cependant que comme le notait déjà J.-P. Darmon, l’essentiel est tardif, du iiie s. l’ensemble soit postérieur à la fin du ier s. apr. J.-C. (fig. 7 à 9). seulement pour une bonne partie. Les spécialistes n’y ont pas D’autres éléments plus ponctuels ont été notés dans le faubourg reconnu de cas pouvant remonter à la période julio-claudienne, de l’amphithéâtre et dans les îlots VIII-8 et VIII-9 ou encore encore moins à la période augustéenne. Par ailleurs, aucune des quelques possibles ateliers métallurgiques et céramiques, tous fouilles récentes n’a recoupé d’habitat de ce type : on ne peut probablement tardifs, dans les îlots IV-6 et VI-4. donc analyser sur pièce les modalités d’émergence des domus dans l’espace urbain. Parallèlement, le corpus funéraire fournit une aide discrète. L’essentiel des indices disponibles renvoie à LA SOCIÉTÉ URBAINE des individus de statut modeste, en particulier pour les nécro- poles du faubourg Saint-Antoine, du Trou des Chaillots, des LES DONNÉES ÉPIGRAPHIQUES Chaillots du Pré Saint-Pierre et de Saint-Savinien. Dans cette ET ICONOGRAPHIQUES dernière, l’inscription CIL XIII, 2949, signalant un des membres de l’ordo municipal, correspond plutôt à une dédicace honoraire Les stèles et les monuments funéraires en général (une cin- (Guerrier-Delclos, 2002, p. 114). Elle est en tout état de cause quantaine au total) sont presque les seuls éléments permettant très tardive. On notera cependant la découverte d’une urne en d’appréhender la structure de la société urbaine sénonaise. marbre dans la nécropole de la route de Paris, mais dont la Elles ont fait l’objet d’une enquête assez poussée (Guerrier- datation ne saurait remonter au-delà du iie s. apr. J.-C. (Delor Delclos, 1998), mais qui ne touche que marginalement notre dir., 2002, fig. 1049, p. 689). Les seuls témoins de mausolées, question. En effet, les témoins antérieurs au iie s. apr. J.-C. sont peu nombreux d’ailleurs (un bloc de couronnement et quelques largement minoritaires, et aucun élément n’est daté antérieu- mentions textuelles de bâtiments richement ornés), proviennent rement au milieu du ier s. apr. J.-C. On se contentera donc de de la nécropole occidentale de Saint-Martin-du-Tertre. Ils résumer ici des constats qui s’appliquent vraisemblablement semblent, quoi qu’il en soit, largement postérieurs à la période mieux au milieu sinon à la fin du Haut-Empire. Le corpus est julio-claudienne. marqué par une forte proportion de vétérans (huit dédicaces), * dont la présence ne se traduit aucunement par ailleurs dans le * * mobilier recueilli dans la ville (absence complète de militaria). Le croisement de l’ensemble de ces données laisse donc On y note aussi l’abondance des affranchis (cinq) et plus parti- penser que, contrairement à ce qui a été écrit, la mise en place culièrement des affranchis impériaux (trois), dont la présence de la nouvelle ville d’Agedincum est plus ancienne que le milieu semble assez précoce puisque l’une des mentions remonte du ier s. apr. J.-C. La dédicace aux princes de la jeunesse paraît peut-être à la fin de l’époque julio-claudienne (CIL XIII, aujourd’hui être l’indice le plus pertinent pour la placer dans 2969). Enfin, il apparaît que 13 % des noms apparaissant sur la première décennie de notre ère, mais on vient de voir qu’en ces monuments sont d’origine celtique, 21 % de nom gaulois dehors de quelques observations archéologiques discutables, les latinisés et 19 % latins mais caractéristiques des Gaules, soit indices confirmant la mise en place du réseau de rues et le déve- un total de 53 % de noms très locaux. À cela répond la pro- loppement des premières occupations pérennes sont essentiel- portion de ressortissants d’autres cités enterrés à Sens (six), lement indirects. Le développement du caput civitatis semble tous du nord-est de la Gaule et à peu de distance (Tricasse, d’ailleurs modeste jusqu’aux années 60 apr. J.-C., puisque les Médiomatrique, Helvète, Cologne). Enfin, sur la totalité du contextes archéologiques autant que les occurrences épigra-

, 72-1, 2015, p. 231-246 p. 2015, , 72-1, corpus, près de 13 % des personnages portent les tria nomina phiques ou iconographiques restent rares pour les premiers, et disposent donc du statut de citoyen romain. Cet état de fait voire inexistantes pour les secondes. L’impression qui ressort Gallia

244

12_SENS.indd 244 12/11/15 14:40 Sens/Agedincum, cité des Sénons

de ce réexamen est donc celle d’un démarrage, dont l’absence à Villeperrot) sont à respectivement 4 km, 7 km et 9 km du de programme évergétique d’envergure serait le reflet. Il se doit centre-ville et présentent, d’après les données disponibles, d’être mis en parallèle avec ce que l’on connaît des rythmes de des états de développement assez tardifs. Encore l’une d’entre développement des campagnes alentour. Comme l’ont montré elles, Malay-le-Grand, resta-t-elle partiellement en terre et bois les opérations de fouilles préventives en Bassée (Séguier, 2011) jusqu’à la fin de l’Antiquité. Les sites ruraux plus proches – par ou les campagnes de prospections systématiques dans le sud-est exemple Les Bordes à Nailly fouillé en 1995, Sainte-Béate du territoire sénon (Nouvel, 2011), le peuplement rural, en à Sens fouillé en 1976, Saint-Denis-les-Sens, etc. – resteront place dès avant la Conquête, ne fait pas preuve de dynamisme tout particulièrement modestes de par leur taille et l’absence au ier s. apr. J.-C. On ne connaît pas, par exemple, la phase de d’aménagement luxueux (Delor dir., 2002, p. 503 et 691). Cet densification intense du nombre de fermes qui s’observe chez état de fait contraste tout particulièrement avec les cas d’Autun les Lingons ou les Éduens entre LT D2 et la période flavienne et de Langres, voire des agglomérations secondaires voisines (Nouvel, 2004). Il faut même attendre le iie s., voire plus géné- (Auxerre, Tonnerre) relevant des cités éduenne et lingonne ralement le iiie s. apr. J.-C., pour assister à un enrichissement (Nouvel, 2009), toutes environnées d’une couronne de grands notable des établissements ruraux et à l’apparition, plus tardive établissements ruraux luxueux. L’image en demi-teinte que nous que chez leurs voisins éduens et lingons, de véritables villae renvoie la capitale des Sénons au cours du ier s. apr. J.-C. serait aristocratiques (Nouvel, 2009). La taille moyenne des grandes donc le reflet d’un contexte plus général, pour lequel l’absence villae à deux cours des environs de Sens (3,3 ha) est d’ailleurs de données historiques et épigraphiques tangibles ne permet nettement plus basse que celle observée chez les Lingons pas de déterminer s’il est la conséquence du statut défavorable (4,6 ha) ou les Séquanes (4,5 ha) et se rapproche plus de ce de la collectivité civique ou, plus généralement, de difficultés qui s’observe chez les Tricasses (moyenne de 2,2 ha : Nouvel, de développement inhérentes au sud-est du Bassin parisien et à en préparation). L’absence de ces grands établissements aris- l’auréole crayeuse en particulier. Ce sous-développement relatif, tocratiques dans la proche banlieue d’Agedincum est d’ailleurs caractéristique du ier s. apr. J.-C., contraste d’autant plus que la un élément troublant, au même titre que ce qui s’observe chez ville et le territoire de la cité font preuve d’un dynamisme tout les Rèmes (Ouzoulias, 2011). Les trois plus proches villae à particulièrement remarquable à partir du iiie s. et ce jusqu’à la deux cours reconnues (Salcy à Gron, Malay-le-Grand et Deilly fin de l’Antiquité tardive. , 72-1, 2015, p. 231-246 p. 2015, , 72-1, Gallia

245

12_SENS.indd 245 12/11/15 14:40