Ma Vérité Sur Mon Père
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Stock 2 regroupe sept collections : « Lutter », « Vivre », « Témoigner », « Dire », « Penser », « Voix de femmes », « Étranger », où sont déjà parus plus de 100 titres. Déjà parus dans la collection « Témoigner » Maria Arondo, Moi, la bonne. Étienne Bolo, Les enfants de divorcés. Patrick Boumard, Un conseil de classe très ordinaire. Daniel Bouvet, L'Usine de la peur. Jacques Duquesne, Le Cas Jean-Pierre. Dominique Frischer, Les analysés parlent. Dominique Frischer, Les Mères célibataires volontaires. Général X..., Moi, un officier. Guy Gilbert, Un prêtre chez les loubards. Christian Hennion, Chronique des flagrants délits. Gérard Hof, Je ne serai plus psychiatre. Mahmoud Issa, alias Selim, Je suis un fedayin. Arlette Laguiller, Moi, une militante. Ségolène Lefébure, Moi, une infirmière. Liliane Lurçat, Une école maternelle. Guy Luszenszky, Boquen, chronique d'un espoir. Guy Marcy, Moi, un prof. Janie Maurice, Bruno, mon fils. Gérard Mérat, Moi, un médecin. Mohamed, Journal de Mohamed. Madeleine Prudhomme, Moi, une assistante sociale. Catherine Valabrègue, Eux, les hommes. Un groupe d'ouvriers, Le Mur du mépris. Les collections de Stock 2 sont dirigées par Jean-Claude Barreau assisté de Betty Mialet. MA VÉRITÉ SUR MON PÈRE Bertrand Boulin Ma vérité sur mon père Stock 2/Témoigner Tous droits réservés pour tous pays. © 1980, Éditions Stock. A ma famille si unie, autour de sa mémoire inaltérable... « Il est des morts d'hommes qui sonnent le glas d'une société. » MGR POUPARD. Avertissement En France, quand un ministre, et celui qui détient le record de longévité ministérielle, se suicide en laissant une lettre dans laquelle il met en cause tout un système, un silence poli et prudent s'établit. Un silence ouaté, plein de chuchotements. On ne dit rien tout haut mais on dit tout, tout bas. Chacun y va de sa version, se présentant comme seul déten- teur de la vérité vraie. Car à Paris comme en province, bien des gens ne se satisfont pas des explications qui ont été données. Pourquoi ? D'une part, beaucoup ont du mal à comprendre l'écart qui semble exister entre l'acte tragique et l' « affaire » du terrain de Ramatuelle, si dérisoire, et d'autre part, on ne comprend pas comment cet homme courageux, équilibré, à l'avenir encore si brillant, a pu mettre fin à ses jours. En France le suicide est lié au désespoir. Tout cela conduit à des supputations, des calomnies, accentuées par ceux qui ont intérêt à voir mourir mon père une seconde fois. Ayant été, et depuis ma naissance, infiniment proche de lui — il était l'homme dont j'étais le plus proche — l'ayant vu aussi souvent que pos- sible, tant dans ses derniers moments qu'avant, ayant été tenu au courant de son affaire minute par minute, il m'a semblé nécessaire de témoigner. De dire la vérité. Bien sûr la vérité est toujours diffi- cile à cerner. Elle est complexe et multiple. Et je ne prétends pas la posséder tout entière, mais quand même ! On raconte tant de choses... Certains refu- sent de croire au suicide et veulent voir un assas- sinat (on chuchote que Mesrine serait dans le coup, et il aurait été exécuté tout de suite après, couvrant ainsi l'affaire), d'autres cherchent à faire porter sur ma mère et sur moi le poids de cette mort. Un certain milieu parisien répète à qui veut l'entendre : « Ce pauvre Boulin ! Lui était bien, mais avec cette famille... » (Je mets en garde ceux qui font courir de tels bruits, car c'est faire injure à sa mémoire en doutant de ses dernières paroles. Un homme aussi droit que lui ne ment pas avant de se tuer.) D'autres aussi veulent faire croire qu'il était malade, dépressif et même fou. D'autres encore veulent faire de lui un homme malhonnête et impru- dent. Pour sa mémoire, pour ses petits-enfants, mais aussi pour l'armée de ceux qui lui sont fidèles, comme pour ceux qui s'interrogent honnêtement, sans arrière-pensées de carrières, il m'a paru néces- saire de raconter tout simplement l'histoire de ses derniers moments et par là même de rendre tout son sens profond à son acte. Pour mettre fin aux différentes calomnies qui courent dans Paris, savamment entretenues par ceux qui ont des responsabilités ou qui croient en avoir dans le suicide de mon père, il me faut affirmer deux choses : mes parents ont été le couple le plus uni qu'il m'ait été donné de voir. Ils s'aimaient à la folie. Ils se passaient difficilement l'un de l'autre, et quand l'un s'éloignait, l'autre devenait triste. Ils ont été fidèles, l'un à l'autre, et d'une fidélité exem- plaire. Ma mère est une femme merveilleuse qui toute sa vie a attendu, écouté, soutenu mon père. Sa vie était faite de lui. Lui, il l'aimait. Son dernier mot a été pour elle : « Embrassez éperdument ma femme qui a été le seul grand amour de ma vie. Courage aux enfants. » Il lui téléphonait au moins deux fois par jour. Ensemble ils étaient comme deux enfants amoureux, tendres, délicats et joueurs. Les regarder était un spectacle d'une gaieté, d'un espoir et d'un bonheur prodigieux. Que certaines attaques atteignent ma mère est scandaleux car elles ne peuvent être que calomnieuses. Sur moi également courent bien des bruits. J'y reviendrai car, hélas ! ils entrent dans la machina- tion contre mon père, mais il faut savoir que nous étions très unis. Je le voyais sans cesse et pour tout. Nous ne prenions l'un et l'autre aucune déci- sion sans nous consulter. Où que je sois dans le monde, je lui téléphonais chaque jour. Et à Paris il ne se passait jamais un jour sans que j'aille le voir. Je dois ajouter que mon père connaissait par- faitement la rigueur que je mettais dans ma vie professionnelle et mon honnêteté. Quant à ma vie privée qu'il connaissait aussi, elle reste privée. Qu'on sache simplement que ma femme, mes filles et moi, nous avons toujours formé un bloc uni, où l'amour, la générosité et le bonheur règnent en maîtres. Qu'on sache enfin que le fait de défendre certaines idées n'implique pas forcément qu'on y ait un intérêt personnel et que les sentiments puissants n'ont pas forcément rapport avec la seule sexualité. Comment ne pas mettre en garde une fois encore les auteurs de ces calomnies en leur répétant avec force qu'il est dangereux de jouer avec l'équilibre fragile d'une famille éprouvée, et que si l'informa- tion est un devoir, quand elle n'est pas vérifiée, elle peut devenir calomnie, et tuer aussi facilement qu'un revolver ? Je ne peux que reprendre à mon compte les mots simples et émouvants de Jean-Jacques Dupeyroux, ami et collaborateur de mon père, dans un article du Monde où il dit : « Evoquant le destin de cet homme ensoleillé, certains croient devoir baisser la voix. On n'est jamais trop prudent par les temps qui courent ! Il est des périodes où il ne faut distribuer son mépris qu'avec parcimonie, étant donné le nombre de nécessiteux... » Il n'y a pas d'autobiographie dont il ait laissé trace. Il n'y a pas non plus de biographie possible de Robert Boulin. Seulement des bouts de papier, des souvenirs, des moments éclairés comme des pho- tos jaunies. Ce livre est un cri d'amour et d'espoir. C'est un collage, fait de moments lumineux. Ce n'est pas l'histoire d'une vie mais le récit d'une illumination. 1 Mort de Robert Boulin « Cet homme ensoleillé... » JEAN-JACQUES DUPEYROUX « Mon papa chéri », c'est ainsi que je commen- çais les lettres que je lui écrivais. Nous nous aimions tant, et si lucidement. Comment si près de moi a-t-il pu en arriver là, et je n'ai rien deviné à aucun moment. Parfois je pensais au suicide mais je me disais : « Pas lui, non pas lui. » Durant mes nuits sans sommeil depuis le 29 octobre, j'ai refait le parcours de ses derniers jours, de ce que j'y ai vu ou senti. Il était soleil, lumineux. Ses cheveux blancs éclairaient un visage massif avec son regard jaune d'une infinie douceur. Il nous éclairait tous et nous donnait le bonheur, l'espoir ; la vie. Jusqu'aux derniers instants. Oui, mon papa chéri... Mardi 23 octobre. — J'arrive au ministère du Tra- vail vers midi. Immédiatement je me rends chez Luc La Fay, attaché de presse de mon père depuis 1969, et mon ami. J'ai en effet appris que Le Canard doit publier un article dans son édition du lendemain. Je suis pessimiste. Mon père avait ren- contré dans les jours précédents les gens du Canard en grand secret. Cette entrevue secrète ne me dit rien qui vaille. Luc ne sait rien encore et me dit qu'il aura l'édition du journal vers seize heures. Nous discutons un peu puis je descends chez mon père. Comme d'habitude l'huissier me renseigne : « Il est seul. » J'entre. Nous nous embrassons. D'emblée il tente de justifier sa visite aux gens du Canard enchaîné : « Tout le monde ici me dit que j'ai eu tort, mais j'ai innové. Après tout, ces gens sont peut-être de bonne foi. Ils voulaient être renseignés, eh bien, il valait mieux que ce soit par moi. Et puis je vais continuer. Je verrai tous les journalistes qui veulent me voir. Ces gens ont le devoir d'informer. Oui, je les verrai tous... » J'écoute. Son visage est légèrement contracté.