Stock 2 regroupe sept collections : « Lutter », « Vivre », « Témoigner », « Dire », « Penser », « Voix de femmes », « Étranger », où sont déjà parus plus de 100 titres.

Déjà parus dans la collection « Témoigner »

Maria Arondo, Moi, la bonne. Étienne Bolo, Les enfants de divorcés. Patrick Boumard, Un conseil de classe très ordinaire. Daniel Bouvet, L'Usine de la peur. Jacques Duquesne, Le Cas Jean-Pierre. Dominique Frischer, Les analysés parlent. Dominique Frischer, Les Mères célibataires volontaires. Général X..., Moi, un officier. Guy Gilbert, Un prêtre chez les loubards. Christian Hennion, Chronique des flagrants délits. Gérard Hof, Je ne serai plus psychiatre. Mahmoud Issa, alias Selim, Je suis un fedayin. Arlette Laguiller, Moi, une militante. Ségolène Lefébure, Moi, une infirmière. Liliane Lurçat, Une école maternelle. Guy Luszenszky, Boquen, chronique d'un espoir. Guy Marcy, Moi, un prof. Janie Maurice, Bruno, mon fils. Gérard Mérat, Moi, un médecin. Mohamed, Journal de Mohamed. Madeleine Prudhomme, Moi, une assistante sociale. Catherine Valabrègue, Eux, les hommes. Un groupe d'ouvriers, Le Mur du mépris.

Les collections de Stock 2 sont dirigées par Jean-Claude Barreau assisté de Betty Mialet. MA VÉRITÉ SUR MON PÈRE

Bertrand Boulin

Ma vérité sur mon père

Stock 2/Témoigner Tous droits réservés pour tous pays. © 1980, Éditions Stock. A ma famille si unie, autour de sa mémoire inaltérable...

« Il est des morts d'hommes qui sonnent le glas d'une société. » MGR POUPARD.

Avertissement

En France, quand un ministre, et celui qui détient le record de longévité ministérielle, se suicide en laissant une lettre dans laquelle il met en cause tout un système, un silence poli et prudent s'établit. Un silence ouaté, plein de chuchotements. On ne dit rien tout haut mais on dit tout, tout bas. Chacun y va de sa version, se présentant comme seul déten- teur de la vérité vraie. Car à Paris comme en province, bien des gens ne se satisfont pas des explications qui ont été données. Pourquoi ? D'une part, beaucoup ont du mal à comprendre l'écart qui semble exister entre l'acte tragique et l' « affaire » du terrain de Ramatuelle, si dérisoire, et d'autre part, on ne comprend pas comment cet homme courageux, équilibré, à l'avenir encore si brillant, a pu mettre fin à ses jours. En France le suicide est lié au désespoir. Tout cela conduit à des supputations, des calomnies, accentuées par ceux qui ont intérêt à voir mourir mon père une seconde fois. Ayant été, et depuis ma naissance, infiniment proche de lui — il était l'homme dont j'étais le plus proche — l'ayant vu aussi souvent que pos- sible, tant dans ses derniers moments qu'avant, ayant été tenu au courant de son affaire minute par minute, il m'a semblé nécessaire de témoigner. De dire la vérité. Bien sûr la vérité est toujours diffi- cile à cerner. Elle est complexe et multiple. Et je ne prétends pas la posséder tout entière, mais quand même ! On raconte tant de choses... Certains refu- sent de croire au suicide et veulent voir un assas- sinat (on chuchote que Mesrine serait dans le coup, et il aurait été exécuté tout de suite après, couvrant ainsi l'affaire), d'autres cherchent à faire porter sur ma mère et sur moi le poids de cette mort. Un certain milieu parisien répète à qui veut l'entendre : « Ce pauvre Boulin ! Lui était bien, mais avec cette famille... » (Je mets en garde ceux qui font courir de tels bruits, car c'est faire injure à sa mémoire en doutant de ses dernières paroles. Un homme aussi droit que lui ne ment pas avant de se tuer.) D'autres aussi veulent faire croire qu'il était malade, dépressif et même fou. D'autres encore veulent faire de lui un homme malhonnête et impru- dent. Pour sa mémoire, pour ses petits-enfants, mais aussi pour l'armée de ceux qui lui sont fidèles, comme pour ceux qui s'interrogent honnêtement, sans arrière-pensées de carrières, il m'a paru néces- saire de raconter tout simplement l'histoire de ses derniers moments et par là même de rendre tout son sens profond à son acte. Pour mettre fin aux différentes calomnies qui courent dans Paris, savamment entretenues par ceux qui ont des responsabilités ou qui croient en avoir dans le suicide de mon père, il me faut affirmer deux choses : mes parents ont été le couple le plus uni qu'il m'ait été donné de voir. Ils s'aimaient à la folie. Ils se passaient difficilement l'un de l'autre, et quand l'un s'éloignait, l'autre devenait triste. Ils ont été fidèles, l'un à l'autre, et d'une fidélité exem- plaire. Ma mère est une femme merveilleuse qui toute sa vie a attendu, écouté, soutenu mon père. Sa vie était faite de lui. Lui, il l'aimait. Son dernier mot a été pour elle : « Embrassez éperdument ma femme qui a été le seul grand amour de ma vie. Courage aux enfants. » Il lui téléphonait au moins deux fois par jour. Ensemble ils étaient comme deux enfants amoureux, tendres, délicats et joueurs. Les regarder était un spectacle d'une gaieté, d'un espoir et d'un bonheur prodigieux. Que certaines attaques atteignent ma mère est scandaleux car elles ne peuvent être que calomnieuses. Sur moi également courent bien des bruits. J'y reviendrai car, hélas ! ils entrent dans la machina- tion contre mon père, mais il faut savoir que nous étions très unis. Je le voyais sans cesse et pour tout. Nous ne prenions l'un et l'autre aucune déci- sion sans nous consulter. Où que je sois dans , je lui téléphonais chaque jour. Et à Paris il ne se passait jamais un jour sans que j'aille le voir. Je dois ajouter que mon père connaissait par- faitement la rigueur que je mettais dans ma vie professionnelle et mon honnêteté. Quant à ma vie privée qu'il connaissait aussi, elle reste privée. Qu'on sache simplement que ma femme, mes filles et moi, nous avons toujours formé un bloc uni, où l'amour, la générosité et le bonheur règnent en maîtres. Qu'on sache enfin que le fait de défendre certaines idées n'implique pas forcément qu'on y ait un intérêt personnel et que les sentiments puissants n'ont pas forcément rapport avec la seule sexualité. Comment ne pas mettre en garde une fois encore les auteurs de ces calomnies en leur répétant avec force qu'il est dangereux de jouer avec l'équilibre fragile d'une famille éprouvée, et que si l'informa- tion est un devoir, quand elle n'est pas vérifiée, elle peut devenir calomnie, et tuer aussi facilement qu'un revolver ? Je ne peux que reprendre à mon compte les mots simples et émouvants de Jean-Jacques Dupeyroux, ami et collaborateur de mon père, dans un article du Monde où il dit : « Evoquant le destin de cet homme ensoleillé, certains croient devoir baisser la voix. On n'est jamais trop prudent par les temps qui courent ! Il est des périodes où il ne faut distribuer son mépris qu'avec parcimonie, étant donné le nombre de nécessiteux... » Il n'y a pas d'autobiographie dont il ait laissé trace. Il n'y a pas non plus de biographie possible de Robert Boulin. Seulement des bouts de papier, des souvenirs, des moments éclairés comme des pho- tos jaunies. Ce livre est un cri d'amour et d'espoir. C'est un collage, fait de moments lumineux. Ce n'est pas l'histoire d'une vie mais le récit d'une illumination. 1 Mort de Robert Boulin

« Cet homme ensoleillé... » JEAN-JACQUES DUPEYROUX

« Mon papa chéri », c'est ainsi que je commen- çais les lettres que je lui écrivais. Nous nous aimions tant, et si lucidement. Comment si près de moi a-t-il pu en arriver là, et je n'ai rien deviné à aucun moment. Parfois je pensais au suicide mais je me disais : « Pas lui, non pas lui. » Durant mes nuits sans sommeil depuis le 29 octobre, j'ai refait le parcours de ses derniers jours, de ce que j'y ai vu ou senti. Il était soleil, lumineux. Ses cheveux blancs éclairaient un visage massif avec son regard jaune d'une infinie douceur. Il nous éclairait tous et nous donnait le bonheur, l'espoir ; la vie. Jusqu'aux derniers instants. Oui, mon papa chéri...

Mardi 23 octobre. — J'arrive au ministère du Tra- vail vers midi. Immédiatement je me rends chez Luc La Fay, attaché de presse de mon père depuis 1969, et mon ami. J'ai en effet appris que Le Canard doit publier un article dans son édition du lendemain. Je suis pessimiste. Mon père avait ren- contré dans les jours précédents les gens du Canard en grand secret. Cette entrevue secrète ne me dit rien qui vaille. Luc ne sait rien encore et me dit qu'il aura l'édition du journal vers seize heures. Nous discutons un peu puis je descends chez mon père. Comme d'habitude l'huissier me renseigne : « Il est seul. » J'entre. Nous nous embrassons. D'emblée il tente de justifier sa visite aux gens du Canard enchaîné : « Tout le monde ici me dit que j'ai eu tort, mais j'ai innové. Après tout, ces gens sont peut-être de bonne foi. Ils voulaient être renseignés, eh bien, il valait mieux que ce soit par moi. Et puis je vais continuer. Je verrai tous les journalistes qui veulent me voir. Ces gens ont le devoir d'informer. Oui, je les verrai tous... » J'écoute. Son visage est légèrement contracté. Je souris : « Tu as peut-être raison, mais j'imagine que ce soir, ils vont t'épingler. » Il concentre son atten- ton : « Bah ! de toute façon... ! » Sa lassitude m'inquiète. Ma voix se fait douce : « Le Canard quand même ! Tu ne crois pas que seul le mépris... Tu leur donnes de l'importance. » Son œil de feu se met à briller : « Mais de l'importance, ils en ont, et beaucoup ! Tous les députés, les ministres, les attachés de cabinet, se précipitent sur Le Canard le mardi soir, et le regardent à la loupe. » Il se calme soudain : « Pas tous. » Un silence puis il reprend : « De toute façon, tout ça c'est pourri ; plus j'avance, plus ça craque. Tu verras, j'y perdrai tout. » Devant mon regard incrédule il répète : « Tu verras, j'y perdrai tout. Et justement parce que je suis transparent. David et Goliath, ouais, eh bien c'est Goliath qui gagne. » Nous parlons de choses et d'autres. Il me demande si je déjeune avec lui ; il se souvient qu'il a le déjeuner du groupe parlementaire R.P.R. Et Chaban sera là. En riant il me dit qu'il y a eu un petit problème de protocole. Qui devait être à sa droite. Chaban ou Labbé, le président du groupe ? Finalement ce serait Labbé. Amusé je lui demande si « ces gens attachent vraiment de l'importance à ça ». Il dit simplement : « Pas Chaban. Chaban est un ami, un vrai. » Sans rien d'autre. Il regarde par la fenêtre du jardin. « Mais des amis. tu en as. papa. » Un léger sourire se dessine sur ses lèvres : « Pas tant que tu imagines. » Avec son briquet il allume un énorme cigare : « Il faudrait faire savoir à ... que je ne suis pas candidat à Matignon. » J'allais répondre quand le téléphone sonne. Il décroche et pâlit. Il met sa main sur le téléphone : « Jean-Guy est mort. » De l'autre côté du téléphone ma mère en larmes. Jean-Guy Bène est un ami fidèle de mes parents depuis plusieurs années. Malade, atteint d'un cancer depuis plusieurs mois, on attendait sa mort. Mon père était passé le voir à Marseille en clinique quelques jours auparavant. Il m'avait téléphoné de là-bas et avait chuchoté : « Je l'ai vu pour la dernière fois. » L'huissier rentre et prévient que les invités sont là. Je prends ma mère au téléphone et j'essaie d'adoucir son chagrin. Mon père va pour sortir : « Bon. je te revois tout à l'heure. Tu déjeunes là-haut. » En effet je déjeune seul dans le petit salon à côté de la salle à manger. Par la porte entrebâillée je vois Couve de Murville. Chaban, Labbé, quelques autres dont Marette, et j'entends mon père lui dire : « Comment vas-tu, Jacques ? » Mon père rallume un cigare. De temps à autre, Stéphane Lang-Willar, collaborateur de mon père, et mon meilleur ami, me sourit. Contrairement à ce qu'a prévu le protocole, c'est Chaban qui s'assoit à la droite de mon père. Ma femme, Fanny, me rejoint dans l'entrée. Elle vient me chercher pour me ramener à la maison. Devant les événements, je lui dis que je préfère rester au ministère. Par hasard elle rencontre mon père et Chaban. Ils descendent tous deux les esca- liers. Avec Jérôme Brault, le chargé des relations avec le Parlement, nous attendons impatiemment en bas dans l'entrée, soit Luc La Fay, soit Guy Aubert, qui doivent rapporter un exemplaire du Canard et de Minute. Nous discutons avec gravité. L'attente est longue. Mon père lui aussi tarde à revenir. Vers dix-sept heures Guy Aubert arrive, le visage triste : « C'est pire que ce qu'on imaginait », dit-il. D'un ton un peu las il ajoute : « Ça ne pouvait pas être pire. » L'article est en effet d'une extrême mal- veillance. En revanche il n'y a rien dans Minute, sinon le portrait des « futurs Premiers ministra- bles » dont mon père (il faut préciser qu'un article était paru dans cet hebdomadaire la semaine précé- dente sous le titre : « La belle boulette de Boulin » et qui innocentait mon père). Nous sommes effondrés et dans le même temps indignés. Nous savons tous son honnêteté suprême, sa rigueur, sa modestie, son manque perpétuel d'argent. Et c'est lui, lui qui est attaqué. Bientôt mon père arrive. Je le guettais. Je l'aver- tis de l'article du Canard. Il ne bronche pas. Guy Aubert entre dans son bureau. Pendant ce temps je vais chercher l'article du Canard resté dans le bureau de Luc La Fay. Je le lui remets. Mon père prend ses lunettes, et s'assoit. J'observe son visage pendant sa lecture. Guy Aubert sort et nous restons tous les deux seuls. Dans ce silence je songe com- bien je l'aime. A ce moment-là j'ai pensé qu'il fallait d'abord le protéger. Mais comment ? On est toujours démuni devant les attaques. A la fin il ôte ses lunettes et dit : « Bon ! » Je lui annonce que finalement Jean-Guy Bène n'est pas mort. La fausse nouvelle de sa mort avait circulé en raison de son état comateux. Son visage s'éclaire : « Ah ! tant mieux ! » Il montre du doigt Le Canard : « Eh bien, mais ça ne pouvait pas être pire. » Il a un demi-sourire : « Mais ça n'aurait pas été meilleur si je ne les avais pas vus. » Il hésite : « Je vais répondre. Eric est là ? » J'acquiesce. Il fait appeler Eric Burgeat, mon beau-frère, et son conseil- ler technique. Il est très proche d'Eric. Il a en lui une totale confiance. Je dis à mon père que je repasserai le voir dès qu'il aurait écrit sa réponse. Une fois de plus il me met en garde : « De toute façon on n'en sortira pas ; c'est un piège. Tout est pourri là-dedans. » En sortant je me demande à qui je pourrais bien faire appel. Cet homme si au faîte des honneurs avait peu d'amis. Je songe un instant à Michel Debré ou à Robert-André Vivien, tous deux fidèles et capables de rassurer et de soutenir mon père, mais je ne le fais pas. Comme je le regrette aujourd'hui ! Je pense aussi à quel- qu'un d'inconnu. Mon père m'avait parlé récemment de Michel Tournier. Sans l'avoir jamais rencontré, cet écrivain lui était sympathique. Il aimait le lire. Je vais au secrétariat particulier, et finalement je trouve le numéro de téléphone où joindre Michel Tournier, mais personne ne répond. Je n'essaierai plus. Un peu plus tard, nous nous retrouvons dans le bureau de Yann Gaillard, le directeur de cabinet. Il y a là Stéphane Lang-Willar, Luc La Fay, Jérôme Brault, Marcel Cats (chef de cabinet), Eric Burgeat et Yann Gaillard qui, un stylo à la main, affine le communiqué de mon père. Nous discutons un peu. L'A.F.P. publiera le communiqué vers vingt et une heures vingt. En rentrant chez moi, je fais part de mes craintes à ma femme. Sa douceur, sa bienveillance, sa sensi- bilité calment un peu mes angoisses et ma révolte. Je téléphone à mon père. Ma mère que j'ai en premier au téléphone me dit : « Il est plutôt bien. » Lui est très affectueux. Simplement avant de rac- crocher il dit : « Ne t'y trompe pas, c'est une opération montée. »

Mercredi 24 octobre. — Ce matin-là je me lève de bonne heure. Je passe chercher les journaux. Il est à peu près huit heures et demie. J'ai écouté les radios. Peu se font l'écho de l' « opération immobilière ». Je téléphone à mon père à qui je fais un compte rendu précis de la presse, en lui indiquant que seul Le Matin fait en dernière page un article relativement important. Je le sens tendu et anxieux. Il me demande de passer le voir tout de suite après le Conseil des ministres. Il doit voir dans la journée deux journalistes, James Sarazin du Monde et M. Chauffan du Nouvel Observateur. Ma fille Phédra, à mes côtés, demande à lui parler. Mon père lui dit quelques mots et lui passe ma mère. A mon tour je parle avec ma mère qui me dit qu'elle a passé une très mauvaise nuit tant mon père était nerveux. Elle ajoute : « Il est malheu- reux. » Ce mot me brise le cœur. Que faire ? Le matin je me rends chez Luc La Fay qui prend en ma présence beaucoup de journalistes au télé- phone, tout émoustillés par ce qu'il est maintenant convenu d'appeler l' « affaire ». Il est un peu las et inquiet. Ensemble nous essayons d'envisager les actions à mener ; mais notre champ d'action est bien mince. Aujourd'hui encore je me demande si nous n'avions vraiment aucune imagination ou bien si nous étions réellement impuissants. Je vois mon père un peu plus tard. Ses traits sont accusés. Etant moi-même un peu fatigué, j'avais écrit une bonne partie de la nuit, il me réitère ses conseils : « Dors. Ça ne sert à rien de veiller. » D'un ton grave il ajoute : « Nous allons vivre des temps difficiles. Il y a une meute de gens derrière moi qui veulent me dévorer. Ils croient que je vais devenir Premier ministre. D'abord c'est faux. Barre restera. Ils ont tous peur que j'aille à Matignon. Chirac veut discréditer le Président. Et le R.P.R. fera tout pour discréditer un éventuel successeur de Barre qui serait R.P.R. Alors comme je leur fais peur, ils sont prêts à tout. Mais c'est idiot. Giscard ne me prendra jamais ; je suis beaucoup trop dramatique pour lui. » Il allume un cigare : « Enfin, il faut nous serrer les coudes plus que jamais. On va tous être attaqués. Tous, y compris toi. » Je souris : « Surtout moi. Je suis hors toi celui qu'on peut le mieux attaquer, car celui qui s'est mis le plus en avant. » Je souris encore : « Mais je m'en fiche éperdument. Je n'ai pas peur. Que veux-tu qu'ils disent, toujours les mêmes choses. Ça n'intéresse pas les gens. » Il regarde le portrait de ma mère sur son bureau ; il y a un silence : « Ils diront n'importe quoi, ils sont prêts à tout, j'en suis sûr. » Je le regarde dans les yeux : « C'est qui, ils ? » Il aspire une bouffée de son cigare : « Ce n'est pas tout le monde mais quelques-uns 1 » De nouveau il tourne la tête vers la photographie de ma mère : « Et le juge, lui... Tu penses, un ministre ! Ah ! c'est bien dommage qu'il ne soit pas au Syndicat

1. Les noms ont été supprimés sur les conseils de nos avocats. de la magistrature ; au moins on aurait pu s'expli- quer. Et Le Canard ! Le Canard ne m'en veut pas à moi, personnellement ; c'est un instrument qui sert d'autres gens. En ont-ils même conscience ? » Il y a dans ses yeux une sorte de douceur nostal- gique. A cet instant précis je pense : « C'est mon père. » Il doit y avoir dans mon regard beaucoup de tendresse, un peu irritée de ne pouvoir rien pour lui. Il reprend : « Tu vois, ta mère, inculpée ! Tu me vois, moi, inculpé, obligé de démissionner ! C'est affreux. » A cette époque-là je pensais qu'il devait avoir raison. Je connaissais trop sa rigueur, son pragmatisme, son intuition, mais je cherchais encore à le convaincre : « Que tu imagines, papa, l'hypothèse la pire, je le comprends, mais tout de même, il n'y a pas que celle-là. Après tout, ce juge ne veut peut-être pas t'inculper, ni même t'enten- dre. » Mon père me regarde, d'un geste familier il repousse une mèche de cheveux qui tombait sur son front : « Ah si ! Ça il veut m'entendre. Je le sais. Le procureur de Caen me l'a fait dire. » Je soupire : « Mais alors qu'attend-il ? S'il y a bien une chose que je ne comprends pas, c'est bien cette attente. Enfin ce juge doit bien se douter que tu es dans une position inconfortable. Et puis en voyant la presse il va bien réagir. » Il lève les yeux au ciel : « Oui, ce juge devrait réagir, me télépho- ner et demander à me voir. Mais voilà. Celui-là ne fera rien. Il laissera faire. Il cherche à m'abattre. » Je reviens à la charge : « Mais enfin, essaie d'en- visager des solutions plus optimistes. » Avec un geste rapide il essuie de la cendre tombée sur son costume : « Ecoute, tu me connais, tu sais que dans ma vie je me suis rarement trompé sur les problèmes sérieux. Mon hypothèse est la seule, et reconnais que tout la vérifie depuis quelque temps. » Un silence. Comme je voudrais mieux l'aider, prendre à ma charge tous ses problèmes ! D'une voix plus sourde il ajoute : « Cette machine va tous nous emporter. » En sortant de son bureau, une fois de plus, je suis convaincu qu'il a raison. Pourtant dans tout ça, peu de preuves, mais il sentait les choses, et d'autres aidaient à les lui faire sentir. Il lui sem- blait que depuis quelque temps la « baraka » l'avait abandonné. Malgré nous qui l'aimions comme des fous, malgré des membres de cabinet pour la plu- part fidèles et de qualité, malgré son amitié avec les hommes les plus importants de ce pays, enfin malgré un caractère fort et heureux, mon père était un homme seul en face de son destin. Le soir je lui téléphone. Il est pessimiste : « Le journaliste du Monde n'est pas très sympa. » Je lui demande si le président de la République lui a parlé : « Non. Il ne m'a rien dit. » Il est évident que si « on » avait su, il y aurait eu foule autour de lui. Plus tard, le jour de sa mort, le Président a confié à ma mère, en parlant de ce mercredi au Conseil des ministres : « Ce jour-là j'ai scruté le visage de votre mari, et si j'y avais aperçu des ombres, je lui aurais parlé. Mais il était comme d'habitude et je me suis dit : " Il ne donne pas d'importance à cette affaire. " Comment ne pas regretter aujourd'hui de ne pas avoir alerté le Pré- sident ? Mais était-ce possible ? Sommes-nous dans un système où le fils d'un ministre peut appeler ou écrire pour alerter le président de la République et lui confier les inquiétudes qu'il éprouve à l'égard de son père ? Et plus généralement, est-ce que l'en- fant d'un ouvrier, d'un employé, pourrait alerter le patron de cet ouvrier ou de cet employé ? Je ne le crois pas. Dans notre société très organisée, il y a des gens pour tendre la main et d'autres pour ne pas la tendre. Hélas ! les premiers sont souvent bien impuissants malgré leur bonne volonté.

Jeudi 25 octobre. — En arrivant au ministère du Travail vers midi, je croise dans l'entrée un homme tout en noir, le visage blême. Un instant nos regards s'échangent. Cette vision me glace. De nature plutôt heureuse — j'aime à répéter que je suis désespéré- ment gai — j'attache pourtant une grande impor- tance aux symboles. Malraux m'avait dit un jour : « Les feuilles ne tombent qu'en automne. Beaucoup de grands hommes meurent en automne. » La vision de ce « croque-mort », l'atmosphère grave au minis- tère, enfin le visage fatigué de mon père réussissent à me troubler. Pour la première fois depuis plusieurs mois, je songe à sa mort. J'imaginais l'infarctus. Les cigares qu'il fumait, le manque de sommeil, les repas trop copieux que ses fonctions renouvelaient trop fréquemment, et surtout l'anxiété qui était la sienne depuis plusieurs mois, se réunissaient en conditions suffisantes pour occasionner un infarctus du myocarde. Le père de mon père est mort ainsi à cinquante-neuf ans, et une légende court dans la famille. Ce jour-là, quand je l'ai en face de moi, j'y pense. Je ne peux m'empêcher de lui demander : « As-tu vu un cardiologue ces derniers temps ? » Ses yeux glissent sur moi ; il y a une sorte de pâleur dans ce regard si doux. Il va me répondre mais le téléphone sonne. Il décroche en me souriant pour me demander d'attendre. Il est bref. De nou- veau il allume un cigare : « Et puis tu fumes trop. » Son visage s'anime : « D'abord je vais très bien. Broustra (son médecin personnel) me l'a confirmé il n'y a pas longtemps. Et ça te va bien de me dire ça, toi qui fumes comme un pompier. Moi, j'ai fait ma vie. Pas toi. Et puis c'est vrai, je peux disparaître à tout moment. Eh bien, il faudra affronter et vivre. Et soutenir ta mère. Les accidents ça arrive, qu'est-ce que tu veux ! Moi, j'avais vingt ans quand mon père est mort. Mamie a eu beaucoup de courage, et on a survécu. » Je regarde ses mains, des mains solides et qui m'ont mille fois soulevé : « Ce n'est pas le problème des survivants ; il s'agit de toi. Je tiens à te garder. Il faut faire attention, quoi. C'est tout. » Un fin sourire s'éparpille sur son visage : « Mais je fais attention. Ne t'inquiète pas. » Je le regarde encore. J'aime voir la vie ainsi sur son visage mouvant. Depuis toujours je me serai étonné de cette façon de voir la vie sur les visages de ceux que j'aime. Il me semble à chaque fois assister à un miracle. Il se lève et se dirige vers le cagibi à gauche de son bureau. Son ton est presque joyeux : « Tu déjeunes là ? — Oui. — Ah bon ! tant mieux. Mais il y a le déjeuner de l'U.D.F. Tu n'auras qu'à déjeuner à côté. » L'huissier rentre avec un papier à la main. Mon père ajuste ses lunettes et le parcourt. Il tire sur son cigare et de sa bouche sort une étrange fumée grisâtre. Il se cale mieux dans son fauteuil : « Tu comprends, toute cette affaire est pourrie jusqu'à l'os. Les lan- gues commencent à se délier. Dans Paris on com- mence à chuchoter des choses. Ils doutent de moi. Tu comprends, il n'y en a pas eu un seul pour me téléphoner et me dire qu'il était indigné par tout ça. Pas un. Non, mais ils s'en foutent. Et les autres sont trop contents. Ce n'est pas qu'ils me veulent vraiment du mal, non, mais ils veulent me mouiller assez pour que je ne sois pas Premier ministre. S'ils savaient combien ça m'indiffère d'être Premier ministre. Et tu parles d'une belle gâche en ce moment ! Et puis je ne serai pas Premier ministre. Alors je sais, je devrais mieux réagir dans cette affaire, mais je ne peux pas, non je ne peux pas. J'ai été habitué à tout combattre, je peux me battre sur tous les terrains sauf celui de l'honnêteté. Je ne résiste pas à cela. Je n'y peux rien. » Que dire face à cet homme exemplaire, indigné et déçu ? Il n'y avait rien à dire. Simplement à lui montrer notre attachement, notre admiration, notre volonté de l'aider. Comment peut-on autant aimer quelqu'un et être tellement impuissant, si désespérément impuis- sant ? Je m'assois : « Tu sais, papa, depuis des mois, il n'y a qu'une chose qui me préoccupe, c'est toi. Il faut absolument en sortir. Il y va de notre équilibre, de notre bonheur à tous. Le bonheur est si fragile. Tant de gens le piétinent... J'ai d'ailleurs réuni un petit groupe de gens qui sont prêts à t'aider au maximum. Ils te sont fidèles. » Il soupire ; il chuchote plus qu'il ne parle : « Qu'est-ce que tu veux faire ? Si ce juge me convoquait, bon, eh bien, j'irais. Ce ne serait pas une partie de plaisir mais j'irais. Nous nous expliquerions face à face. Mais ça ne l'intéresse pas de savoir la vérité. Il faut de la patience. » Il a un sourire radieux, celui qui évoque des souvenirs : « Mon père me disait tou- jours : " La vertu la plus grande, c'est la patience. " » A ce moment-là je me rends compte combien son père avait dû lui manquer ; son atta- chement à de Gaulle et à Chaban était un attache- ment de fils. L'été précédent j'avais voulu qu'il revienne à Villandraut pour se replonger dans son enfance, ce qui amène souvent la sérénité. Je songe à ses amis d'enfance, à ses compagnons de Libourne : « As-tu parlé à Gérard César ? Lui est un fidèle. » Mon père s'éclaire ; il aime beaucoup Gérard César, son suppléant et son compagnon de Libourne : « Tu as raison, il faudra parler à Gérard. Mais tu sais, ANNEXE 3

Un texte de Jean Mauriac et des éléments biographiques

Un texte de Jean sur toi. Tu aimais Jean. Le voici : Robert Boulin, homme d'Etat

Robert Boulin m'a dit un jour : « Croyez-moi, la déma- gogie ne paie jamais... » Depuis 1941 où, à l'âge de vingt et un ans, il entra dans la Résistance, jusqu'à cette rue de Rivoli d'où il dirige aujourd'hui les finances et l'économie de la France, Boulin montra, sans jamais une seule faille, les qualités les plus essentielles — et, hélas ! les plus rares — chez un homme politique : le courage, la franchise et le caractère. Sa vie politique est littéralement stupéfiante puisqu'il détient le record de la longévité minis- térielle de la V République. Sous les règnes du général de Gaulle, de et de Valéry Giscard d'Estaing, avec les Premiers ministres Debré, Pompidou, Couve de Murville, Chaban-Delmas, Messmer et aujourd'hui , de 1961 à 1978 — avec seulement une interruption de trois ans — Robert Boulin se trouva « aux affaires », comme disait le général de Gaulle. Oui, son histoire se confond, plus que n'importe quelle autre, avec celle de la V République. Ce refus si rare de la démagogie marque donc la carrière politique de Boulin dans les postes difficiles qu'il détint aux secrétariats d'Etat aux Rapatriés, au Budget, à l'Economie et aux Finances, aux ministères de la Fonction publique, de l'Agriculture, de la Santé publique et de la Sécurité sociale, des Relations avec le Parlement, de l'Economie et des Finances. Chaque fois que je rencontre Robert Boulin, la conversation commence par ces mots : « Il faut tenir le langage du courage et de la vérité. » Rendons aujour- d'hui justice à M. Boulin : il tint ce langage — son image personnelle dût-elle en souffrir — et sut le traduire dans son action. L'homme fidèle Homme de caractère, Robert Boulin est d'abord un homme de fidélité : fidélité exemplaire à l'égard de ses amis — l'amitié donnée l'est pour la vie ; fidélité sans la moindre hésitation à Chaban après sa défaite à l'élection présidentielle de 1974. Il partagea alors son échec et sa solitude, entamant pour la première fois, dans la sérénité, une traversée du désert. Il est — mais est-il besoin de le dire ? — fidèle au gaullisme depuis 1940. Le gaullisme et ses principes : une France puissante, généreuse, indépen- dante, rayonnant sur le monde, ont toujours été sa seule doctrine. Son tempérament est naturellement « gaulliste ». Le gaullisme, pour Robert Boulin, affirme une volonté nationale, exprime une morale politique, est enfin une atti- tude d'esprit. L'homme courageux Laissons de côté le courage de Robert Boulin face au danger, la guerre et sa croix de guerre, la Résistance et sa médaille de la Résistance en témoignent. Rien que les évoquer le gêne. Car l'homme est modeste et ne parle jamais de lui. Etre courageux en politique, c'est se refuser à la démagogie. C'est ne jamais tromper les Français, quelles que puissent être les dures conséquences de la vérité. C'est être d'accord avec sa conscience. Courageux, il le fut jusqu'aux limites de la témérité dans tous ses postes ministériels : « Je suis convaincu que l'Etat dépense trop d'argent », n'hésite-t-il pas à dire à son arrivée au secrétariat d'Etat au Budget. Accueilli un jour à Bressuire par des poires, il harangue les représen- tants des producteurs de lait et de viande et rétablit la confiance et le calme. Et, à son habitude, il ne leur cache pas la vérité : « Le temps n'est plus où l'on a pu continuer en France à offrir à l'agriculture des béquilles spéciales pour boiter à l'écart. » Au ministère de l'Agriculture, il révise toute la politique agricole en fonction des objectifs écono- miques nationaux. Mais ce faisant, il fait pour les agri- culteurs, et parfois malgré eux, plus que n'importe lequel de ses prédécesseurs ou successeurs. A Bruxelles, devant ses partenaires européens, il défend pied à pied les causes des viticulteurs de la France. Ceux-ci savent-ils ce qu'ils lui doivent ? Courageux, il le fut quand il modifia et allégea le nouveau régime de la taxe professionnelle qui impliquait de sensibles augmentations de charges pour les contribuables concernés. Courageux, il l'est toujours quand il doit s'attaquer à un certain conservatisme de son parti, quand il ne cesse de dire aux Français — et cela en pleine période électorale ! — qu'en économie, il n'y a pas de miracle, il n'y a que des efforts... « C'est mentir au pays, répète-t-il, que de prétendre qu'il serait facile de sortir de la crise et d'accroître le pouvoir d'achat... » Quel ministre, dans l'histoire de notre pays, aura fait montre d'une telle franchise et fait fi ainsi de toute préoccupation personnelle ? L'homme généreux Pour Boulin, « la seule querelle qui vaille est celle de l'homme ». Partout où il alla. Aux Rapatriés (« Votre problème est le nôtre, leur dit-il, il est celui de notre solidarité nationale »). A l'Agriculture (« Le problème de la mutation de l'agriculture doit être traité de façon humaine, afin que le désespoir ne s'empare pas des agriculteurs »). Même aux Finances, entre autres actions « humanitaires », où il défendit avec hardeur et succès un projet de loi sur l'amélioration des garanties à apporter aux contribuables. Ce Girondin des lisières des Landes, constamment réélu député depuis 1958, ce maire d'une grande ville que nous aimons, capitale de l'une des plus douces, des plus belles régions de la France, ce père, vivant pour ses enfants et petits-enfants, cet homme « de bien » simple et tranquille, au langage imagé, est, d'abord et avant toute chose, l'un de nos meilleurs hommes politiques. Robert Boulin a un tempérament d'homme d'Etat et c'est sans doute la raison pour laquelle le général de Gaulle et Georges Pompidou n'ont à aucun moment voulu s'en séparer et que Valéry Giscard d'Estaing (qui, ministre des Finances, avait appris à bien connaître Boulin, à ses côtés de 1962 à 1967) fit rapidement appel à lui. Travailleur acharné, allant souvent au-delà de ses possibilités physiques jusqu'à compromettre sa santé, pourtant robuste, voyageur infatigable ayant parti- cipé, ministre de l'Agriculture, à toutes les grandes confé- rences de Bruxelles et, ministre des Finances, à toutes les confrontations internationales de ces derniers mois à travers le monde, Boulin est un homme qui voit juste et loin. Ainsi, au sujet des dissensions de la majorité, il m'a dit : « Il ne faut montrer dans la majorité aucune faille. Laissons au vestiaire les divergences philosophiques. » Non seulement il le disait, mois aussi il mettait en application ses paroles, contrairement à tant de ses amis de la majorité. Robert Boulin ? un homme tolérant. Ouvert à tous. Même à l'égard de l'opposition : il s'est toujours déclaré prêt à tenir compte des propositions qu'elle pourrait formuler, et toujours il a invité ses amis à ne pas pratiquer un « anticommunisme primaire ». Libéral. Libre. Un grand homme d'Etat.

JEAN MAURIAC. Biographie

Né le 20 juillet 1920 à Villandraut (Gironde). Marié : Mme née Colette Lalande. Enfants : Bertrand, Fabienne. Croix de guerre (1939-1945). Médaille de la Résistance. Commandeur du Mérite agricole. Licencié ès lettres, licencié en droit. Avocat. Maire de Libourne. Membre du Conseil régional d'Aquitaine. Membre du Bureau national du Mouvement pour l'indé- pendance de l'Europe. Vice-président de l'association « Economie et Progrès ». Ancien député U.D.R. de la Gironde (9 circonscription).

CARRIERE 1941 : Membre du réseau Navarre dans la Résistance. 1943 : Engagé volontaire. 1945 : Avocat à Bordeaux puis à Libourne. 1947-1953 : Conseiller national des républicains sociaux. 1958 : Député U.N.R. de la Gironde (9 circ.). 1959 (mars) : Maire de Libourne. 1961 (24 août) : Secrétaire d'Etat aux Rapatriés (cabinet Debré). 1962 (14 avril) : Secrétaire d'Etat aux Rapatriés (cabinet Pompidou). 1962 (11 septembre) : Secrétaire d'Etat au Budget (cabinet Pompidou remanié). 1962 (6 décembre) : Secrétaire d'Etat au Budget (2e cabinet Pompidou). 1966 (8 janvier) : Secrétaire d'Etat au Budget (3 cabinet Pompidou). 1967 (7 avril) : Secrétaire d'Etat à l'Economie et aux Finances (4 cabinet Pompidou). 1968 (31 mai) : Ministre de la Fonction publique (4 cabinet Pompidou remanié). 1968 (12 juillet) : Ministre de l'Agriculture (cabinet Couve de Murville). 1969 (22 juin) : Ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale (cabinet Chaban-Delmas). 1971 (mars) : Réélu maire de Libourne. 1972 (6 juillet) : Ministre délégué auprès du Premier minis- tre, chargé des relations avec le Parlement (cabinet Messmer). 1973 (11 mars) : Réélu député U.R.P. (U.D.R.) de la Gironde (9 circ.). 1973 (novembre) : Membre du Conseil régional d'Aquitaine. 1974 (octobre) : Vice-président de l'association « Economie et Progrès ». 1976 (27 août) : Ministre chargé des relations avec le Parle- ment (1" cabinet Barre). 1977 (20 mars) : Maire de Libourne. 1977 (30 mars) : Ministre délégué à l'Economie et aux Finances (2e cabinet Barre). 1978 (mars) : Réélu député de la Gironde. 1978 (avril) : Ministre du Travail et de la Participation (3 cabinet Barre). 1979 (29 octobre) : Mort de Robert Boulin. MESURES PRISES ENTRE 1961 ET 1978

SECRÉTAIRE D'ETAT AUX RAPATRIÉS (24 août 1961-14 avril 1962) (15 août 1962-10 septembre 1962). Dépôts : Rapport relatif à la lutte contre la pollution atmosphérique. Rapport sur le projet de loi adopté par le Sénat et tendant à améliorer la situation des populations agricoles dans les départements de la Guadeloupe, de la Marti- nique, de la Réunion et de la Guyane. • Prend part aux débats concernant : — le projet de loi relatif aux pollutions atmosphériques ; — un projet de loi sur un accord tarifaire ; — un autre portant ratification de décrets modifiant les tarifs de droits de douane à l'importation ; — le projet de loi relatif au régime foncier des départements d'outre-mer ; — un projet de loi adopté par le Sénat relatif à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer ; — un projet de loi relatif à l'assurance vieillesse des salariés d'outre-mer ; — le rapatriement des Français musulmans. • Répond aux questions orales relatives : — à la politique du gouvernement à l'égard des rapatriés

Secrétaire d'Etat au Budget (11 septembre 1962-1" avril 1967) • Prend part aux débats concernant : — le projet de loi instituant une prestation familiale d'édu- cation spécialisée pour les mineurs infirmes (1963) ; — le projet de loi portant modification du contentieux fiscal (1963) ; — le projet de loi portant unification ou harmonisation des procédures, délais et pénalités en matière fiscale (1963) ; — le projet de loi modifiant diverses dispositions du Code des domaines (1963) ; — le projet ratifiant le décret du 23 mars 1963 qui a modifié le Tarif des droits de douane (1963) ; — le projet ratifiant le décret du 28 juillet 1962 relatif au recouvrement des prélèvements et taxes compensatoires (1964) ; — le projet de loi fixant le prix des permis de chasse (1964) ; — le projet de loi portant réforme du Code des pensions civiles et militaires de retraites (1964) ; — le projet de loi de finances pour 1965 (première et deuxième partie) ; — le projet de loi relatif à certains transferts de propriétés, de dépendances domaniales et de voies privées (1965) ; — le projet de loi relatif à la répression des infractions à la législation économique (1965) ; — le projet de loi modifiant diverses dispositions du Code des douanes (1965) ; — le projet de loi de finances pour 1966 ; — le projet de loi portant réforme des greffes des juridic- tions civiles et pénales (1965) ; — le projet de loi relatif à l'assurance maladie et à l'assu- rance maternité des travailleurs non salariés des profes- sions non agricoles ; — le projet de loi portant réforme du régime fiscal parti- culier des tabacs consommés dans les départements de Guyane, Martinique et Réunion ; — le projet de loi tendant à faciliter l'intégration fiscale des communes fusionnées 1(966) ; — le projet de loi relatif aux contrats d'assurance et complétant la loi du 27 février 1958 instituant une obligation d'assurance en matière de circulation de véhi- cules terrestres à moteur (1966) ; — le projet de loi relatif à l'usure, aux prêts d'argent et à certaines opérations de démarcharge et de publicité (1966) ; — le projet de loi de finances pour 1967 ; — le projet de loi portant règlement définitif des budgets ; — le projet de loi de finances rectificative pour 1966. • Répond aux questions orales relatives : — au financement des constructions scolaires (1963) ; — à la taxe sur les véhicules de tourisme (1963) ; — à la délinquance juvénile (1964) ; — aux pensions de la caisse des retraites d'Algérie (1964) ; — aux loyers commerciaux (1964) ; — aux marchés de travaux de l'Etat (1964) ; — à la modification du Code des pensions civiles et mili- taires (1964) ; — à la réversibilité de la retraite de la femme fonction- naire (1964) ; — à la révision du plafond des forfaits (1964) ; — aux droits de mutations des immeubles ruraux (1964) ; — aux prêts indexés à la construction (1964) ; — aux emprunts en faveur de l'agriculture (1964) ; — à la situation des médecins conventionnés (1964) ; — au certificat fiscal en cas de vente d'immeuble (1964) ; — au barème de l'impôt sur le revenu (1961) ; — aux majorations abusives des primes d'assurance (1964) ; — à la situation des personnes âgées (1966).

SECRÉTAIRE D'ÉTAT A L'ÉCONOMIE ET AUX FINANCES (7avril 1967-30 mai 1968) • Prend part aux débats relatifs : — projet de loi portant réforme du régime relatif aux droits de port et de navigation ; — projet de loi autorisant le gouvernement à prendre des mesures d'ordre économique et social ; — projet de loi de finances rectificative pour 1967 (15 juin 1967) ; — projet de loi de finances rectificative pour 1968 (14 novembre 1967) ; — projet de loi de finances rectificative pour 1967 (13 décembre 1967) ; — projet de loi relatif à diverses dispositions intéressant la fonction publique (13 décembre 1967).

MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE (31 mai 1968-9 juillet 1968) et MINISTRE DE L'AGRICULTURE (12 juillet 1968-20 juin 1969) • Prend part aux débats relatifs : — projet de loi de finances rectificative pour 1968 ; — à la proposition de loi tendant à régler la situation, sur le territoire français, des ressortissants italiens titulaires d'un bail à ferme ou à métayage ; — projet de loi de finances pour 1969 ; — à la proposition de loi tendant à faire bénéficier des dispositions du statut du fermage et du métayage les exploitants de nationalité étrangère dont les enfants sont de nationalité française ; — à la discussion des conclusions du rapport de la commis- sion de la Production et des Echanges sur la proposi- tion de loi de M. Godefroy, relative à l'institution du paiement du lait en fonction de sa composition et de sa qualité bactériologique ; — et sur la loi tendant à la protection des aires de pro- duction des vins d'appellation d'origine contrôlée : — projet de loi modifiant certaines dispositions du Code rural et de la loi complémentaire à la loi d'orientation agricole. • Répond aux questions orales relatives : — au règlement européen du marché des fruits et légumes ; — à la situation des producteurs de lait ; — aux revenus des agriculteurs ; — aux réseaux d'assainissement des communes rurales ; — à la politique de l'élevage ; — au crédit aux agriculteurs pour l'acquisition de terres ; — à la politique viticole. MINISTRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (22 juin 1969-5 juillet 1972) • Dépôts de textes : — projet de loi portant modification de diverses disposi- tions du Code rural en vue de l'unification des procé- dures de recouvrement des cotisations des régimes de protection sociale agricole ; — projet de loi relatif à la protection des obtentions végé- tales ; — projet de loi concernant l'octroi d'une allocation excep- tionnelle à caractère familial ; — projet de loi portant modification de la loi relative à l'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles ; — projet de loi portant création d'une contribution de solidarité au profit de certains régimes de protection sociale des travailleurs non salariés ; — projet de loi relatif à l'agrément des entreprises de transports sanitaires ; — projet de loi modifiant certaines dispositions du Code de la santé publique (25 juin 1970) ; — projet de loi étendant les possibilités d'emprunt de groupements mutualistes (2 octobre 1970) ; — projet de loi instituant une allocation en faveur des orphelins et de certains enfants à la charge d'un parent isolé (3 octobre 1970) ; — projet de loi modifiant et complétant le Code de la santé publique (10 décembre 1970) ; — projet de loi relatif à diverses mesures en faveur des handicapés ; — projet de loi modifiant le Code de la santé publique ; — projet de loi modifiant les titres II et V du Code de la famille et de l'aide sociale et relatif au régime des établissements recevant des mineurs, des personnes âgées, des infirmes, des indigents valides et des per- sonnes accueillies en vue de leur réadaptation sociale (30 avril 1971) ; — projet de loi relatif aux rapports entre les caisses d'assu- rance maladie et les médecins (12 mars 1971) ; — projet de loi relatif à l'allocation logement (25 mai 1971) ; — projet de loi portant amélioration des retraites du régime général de la Sécurité sociale ; — projet de loi portant diverses dispositions en vue d'amé- liorer la situation de famille ; — projet de loi portant réforme de l'assurance vieillesse des travailleurs non salariés des professions artisanales, industrielles et commerciales. • Prend part à la discussion : — étude de deux lois d'orientation sur le commerce indé- pendant et l'artisanat ; — des conclusions du rapport de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales relatif à l'orga- nisation de professions médicales ; — des conclusions du rapport de la même commission à certaines conditions d'exercice de professions de médecin, chirurgien-dentiste et sage-femme ; — du projet de loi autorisant l'approbation de la conven- tion entre la République française et la République italienne concernant le tunnel routier du Fréjus et du protocole relatif aux questions fiscales et douanières, signés à Paris le 23 février 1972 ; — de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1973. • Prend part aux débats relatifs : — au projet de loi concernant l'octroi d'une allocation exceptionnelle à caractère familial ; — répond aux questions relatives à l'aide aux aveugles, — répond aux questions relatives à la drogue ; — au projet de loi de finances pour 1970 (Affaires sociales, Santé publique et Sécurité sociale) ; — au projet de loi portant modification de la loi relative à l'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles ; — au projet de loi portant création d'une contribution de solidarité au profit de certains régimes de protection sociale des travailleurs non salariés ; — et à la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant modification de la loi relative à l'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles. • Interventions : — répond à la question orale sans débat relative à la retraite des femmes salariées (10 avril 1970) ; — prend part à la discussion du projet de loi relatif à l'agrément des entreprises de transports sanitaires (21 mai 1970) ; — répond à la question relative aux pensions privées des rapatriés (22 mai 1970) ; — répond à la question relative à la politique à l'égard des cadres (22 mai 1970) ; — prend part à la discussion du projet de loi relatif aux avantages sociaux des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés ; — répond à la question relative aux veuves d'assurés sociaux ; — répond à la question relative au paiement des allocations de vieillesse de la Sécurité sociale ; — répond à l'allocation de loyer des économiquement faibles ; — répond aux paiements de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés ; — répond à la question relative aux cotisations d'assurance volontaire ; — prend part à la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1971 (Affaires sociales, Santé publique et Sécurité sociale) ; — prend part à la discussion du projet de loi étendant les possibilités d'emprunt des groupements mutualistes ; — répond à la question orale relative aux pensions de veuves ; — répond à la question orale relative aux handicapés physiques ; — répond à la question orale relative à la suppression des centres de paiement de la Sécurité sociale ; — prend part à la discussion du projet de loi modifiant certaines dispositions du Code de la santé publique ; — prend part à la discussion du projet de loi portant réforme hospitalière ; — prend part à la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses ; — prend part à la discussion du projet de loi instituant une allocation en faveur des orphelins et de certains enfants à la charge d'un parent isolé ; — prend part à la discussion du projet de loi relatif à certaines dispositions concernant le personnel des éta- blissements d'hospitalisation, de soins et de cure. • Interventions : — discussion du projet de loi relatif à diverses mesures en faveur des handicapés ; — répond aux questions orales avec débat relatives à l'abaissement de l'âge de la retraite ; — discussion du projet de loi relatif aux rapports entre les caisses d'assurance maladie et les médecins ; — prend part à la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1972 (santé publique et Sécurité sociale) ; — prend part à la discussion du projet de loi portant diverses dispositions en vue d'améliorer la situation de famille ; — prend part à la discussion du projet de loi portant amélioration des retraites du régime général de Sécurité sociale ; — prend part à la discussion du projet de loi modifiant le titre premier du livre IV du Code de la santé publique, instituant un titre VI du même livre et modi- fiant l'article L 404 du Code de la Sécurité sociale. MINISTRE DÉLÉGUÉ AUPRÈS DU PREMIER MINISTRE, CHARGÉ DES RELATIONS AVEC LE PARLEMENT (6 juillet 1972-28 mars 1973) puis député de la Gironde (U.D.R. puis N.I.) Nomination : Membre de la commission des Affaires cultu- relles, familiales et sociales (2 avril 1974). Cesse d'appar- tenir à cette commission le 18 décembre 1974. Dépôts : Proposition de loi relative aux pouvoirs du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (L n° 1140) [10 juillet 1974]. • Interventions : — projet de loi de finances rectificative (L n° 1110) [4 juillet 1974] ; — projet de loi relatif à la compensation entre régimes de base de Sécurité sociale : art. 6 : compensation des charges nouvelles du régime général pour une aide de l'Etat, art. 77 : création d'une commission d'études de charges ; — projet de loi relatif à l'interruption volontaire de gros- sesse (L n° 1297) [27 novembre 1974].

MINISTRE CHARGÉ DES RELATIONS AVEC LE PARLEMENT (décret du 27 août 1976) Nomination : Membre de la commission des Affaires cultu- relles, familiales et sociales (2 avril 1976). • Interventions : — modification de l'ordre du jour (22 octobre 1976), organisation des débats sur la loi de finances pour 1977 ; — discussion des conclusions d'un rapport tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire sur l'utilisation des fonds publics alloués aux sociétés du groupe Marcel Dassault ; — modification de l'ordre du jour prioritaire (4 novem- bre 1976), discussion du budget du Tourisme ; — projet de loi de finances pour 1977 ; — radiodiffusion et télévision (16 novembre 1976) : bilan de la réforme, examen des crédits, art. 50 : se déclare favorable à l'organisation d'un large débat sur l'information et l'audiovisuel, indique la parution prochaine du décret donnant des bases juridiques à la répartition des dotations précipu- taires, après l'article 50 — défavorable au financement de F.R. 3 et Radio-France par la publicité — répond au souhait de la commission des Finances de voir l'Institut national de l'audiovisuel bénéficier au même titre que T.D.F. de dotations directes de redevances ; — services du Premier ministre : I. — Services généraux information conforter la presse dans son indépendance et sa diver- sité, associer le gouvernement à l'hommage rendu à la mémoire de M. J.-P. Palwski (16 décembre 1976).

MINISTRE DÉLÉGUÉ A L'ECONOMIE ET AUX FINANCES (30 mars 1977) — Projet de loi accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière. Projet de loi de finances rectificative pour 1977. — Les Comptes de la nation en 1976. Discours devant la commission des Comptes de la nation. Allocution ministérielle. — Loi de finances rectificative pour 1977. — Projet de loi de finances pour 1978.

MINISTRE DU TRAVAIL ET DE LA PARTICIPATION (avril 1978) — D'innombrables lois et décrets. — Réforme des prud'hommes. ANNEXE 4

Les commentaires

Jacques Chirac. — L'annonce brutale de la mort de M. Robert Boulin provoque la stupéfaction et la peine de tous nos compagnons. Nous qui avions pour lui estime et amitié n'oublierons pas les qualités éminentes de l'homme politique, ni les services qu'il a rendus à la cause du gaullisme. Le R.P.R. s'incline avec tristesse devant le deuil de la famille de Robert Boulin et l'assure de toute sa sympathie.

André Bergeron. — Je n'étais pas toujours d'accord avec M. Boulin, mais ce qui vient de se produire est affreux. Je ne connais pas les motivations qui l'ont conduit à ce geste extrême, s'il s'agit d'un suicide. Mais à travers cet événement, on mesure les dangers des campagnes de déni- grement systématique, pouvant conduire au désespoir. . — Tous les compagnons de lutte de Robert Boulin sont bouleversés par cette tragédie. Ceux qui ont travaillé depuis vingt et un ans à ses côtés éprou- vaient pour lui une profonde affection. Personne ne s'est dépensé avec plus de dévouement et de passion pour bâtir et consolider la V République. La C.F.D.T. — Si ses divergences avec la politique écono- mique et sociale du gouvernement dont M. Boulin faisait partie sont connues, la C.F.D.T a toujours apprécié chez ce dernier un esprit d'ouverture et de dialogue qui s'est notamment concrétisé par l'établissement de contacts plus faciles et plus réguliers, qui, jusqu'alors, faisaient défaut entre le ministère du Travail et les organisations syndicales. A ses qualités de dialogue M. Boulin joignait une connais- sance sérieuse de ses dossiers et un courage qu'il a eu à plusieurs reprises l'occasion de manifester. Le C.N.P.F. — Les chefs d'entreprise ont appris avec stupeur et émotion la disparition tragique de M. Robert Boulin. Le C.N.P.F. tient à rendre hommage à la mémoire de celui qui a exercé avec un sens aigu de ses responsa- bilités les fonctions délicates de ministre du Travail et de la Participation dans une période où le dialogue social était particulièrement nécessaire. Le P.S. — Le parti socialiste s'incline respectueusement devant la douleur de sa famille. Comme tous les Français il souhaite que pleine information soit apportée sur les circonstances de cette disparition tragique. Jacques Chaban-Delmas. — Robert Boulin était un homme en tous points estimable. Il était un travailleur acharné ne pensant qu'à servir les autres, que ce soit Libourne, sa ville, notre Gironde, l'Aquitaine ou la France. Ce travail lui avait précisément permis depuis la Libération de s'impo- ser à Paris au gouvernement, et ce n'est pas pour rien qu'il était l'homme politique ayant appartenu le plus long- temps à des gouvernements successifs. Il était pour moi un ami, comme un jeune frère, et son honnêteté était totale. Ce qui rend particulièrement injuste et indigne que la calomnie se soit appesantie sur lui au point de n'être plus supportable. La calomnie est en effet d'autant moins supportable que l'on n'a rien à se reprocher. Je souhaite que cette mort affreuse et imméritée entraîne à réfléchir sur l'état des choses dans notre pays et à se demander si l'on va continuer à laisser quasi impunément traîner dans la boue tout un chacun, et particulièrement des hommes aussi estimables que Robert Boulin. Maurice Plantier. — La mort de Robert Boulin me boule- verse. C'était un vieux compagnon de route, puisqu'il était avec moi à l'Organisation civile et militaire pendant la Résistance. Davantage encore que le ministre infatigable qu'il était pour tous, il restera, pour moi, le compagnon de lutte dans la Résistance, comme dans la paix au sein de la famille gaulliste. Je connaissais sa valeur et son honnêteté. Il est incroyable qu'une campagne de calomnies puisse ainsi, dans des moments sans doute de fatigue, amener un homme de cette valeur à craquer et à mettre fin à ses jours. Georges Marchais. — Je l'avais rencontré il y a quelques jours et il m'avait dit combien il était affecté par les attaques... Il est temps d'en finir avec des méthodes qui dégradent la vie politique de notre pays et menacent la démocratie. Un peu plus tard G. Marchais dira : « Je ne me suicide pas, moi ! » Michel Debré. — La mémoire de Robert Boulin ne doit pas être salie. Tous ceux qui l'ont connu, vu travailler, savent à quel point le sens de l'Etat était chez lui sa première préoccupation. Robert Fabre. — J'avais pu constater son désir d'aller, dans le progrès social, plus loin que ne lui permettait la solidarité gouvernementale. Claude Labbé. — Il possédait toutes les qualités de l'homme politique moderne. Robert Poujade. — Un des hommes d'Etat les plus doués... le contraire d'un technocrate. Jean Foyer. — Je constate que la plume est aussi efficace que les armes ou le poison pour tuer les gens. Philippe Seguin. — C'était le meilleur de toute l'équipe gouvernementale. Jacques Boyer-Andrivet. — Au-delà des circonstances qui entourent cet événement, tous les membres du Sénat vou- dront se souvenir de la personnalité attachante de ce grand ministre et du rôle particulier qu'il a toujours tenu vis-à-vis de notre assemblée. Nous ne saurions oublier notamment qu'en des temps difficiles pour elle, Robert Boulin fut, du côté du gouvernement, un interlocuteur privilégié pour le Sénat, toujours courtois et ouvert au dialogue. Raymond Barre. — Je suis profondément affecté par la mort tragique de M. Boulin. Depuis 1976, il a été pour moi un collaborateur et un ami auquel je voudrais rendre particulièrement hommage. En août 1976, quand j'ai été nommé Premier ministre, je lui avais demandé de revenir au gouvernement suivre les relations avec le Parlement. En avril 1977 et jusqu'en mars 1978, il a été ministre délégué à l'Economie et aux Finances, et je me suis entièrement reposé sur lui pendant cette période difficile de la gestion de ce ministère si important pour la vie économique et sociale, pour la vie tout court de ce pays. En avril 1978, alors que le gouvernement souhaitait inaugurer une phase nouvelle dans l'organisation des relations sociales, j'avais pensé que M. Boulin était par ses qualités intellectuelles, par sa grande expérience, par sa chaleur humaine, celui qui était le mieux à même de mettre en œuvre une politique de concertation sociale et de participation. Il était attaché à cette politique de participation parce qu'il avait depuis de nombreuses années été un compagnon du général de Gaulle. Je voudrais rendre hommage à sa mémoire, exprimer à Mme Boulin et à toute sa famille les hommages respec- tueux et la tristesse du gouvernement, et dans cette épreuve qui est tragique pour le gouvernement vous dire de méditer sur ce que peuvent être les conséquences de certaines ignominies et d'une grande bassesse. L'U.D.F. — Robert Boulin laissera dans la mémoire de tous le souvenir d'un homme aux qualités morales et humaines unanimement reconnues, et qui a mis pendant quinze ans de sa vie ses compétences incontestées au service de la France et des Français. Robert-André Vivien. — Robert Boulin est un homme qui va manquer dans la vie politique française et singulièrement dans la majorité. Didier Bariani. — Je rends hommage à l'homme d'Etat dont j'ai pu mesurer la compétence dans les débats au Parlement, le dynamisme, la disponibilité et l'esprit d'ouver- ture. Robert Boulin avait su dépasser les problèmes de clivages politiques en étant attentif de l'ensemble des cou- rants de pensée. Et enfin dans un message de condoléances adressé à ma mère, le président de la République. « Votre mari fait partie des hommes politiques dont la préoccupation essentielle, tout au long de leur carrière, a été celle du bien public. Dans les responsabilités nombreuses et importantes qu'il a exercées, il a toujours mis ses qualités exceptionnelles de loyauté, d'intelligence et d'humanité au service de son pays. Dans ses dernières fonctions, comme ministre du Travail et de la Participation, il avait acquis l'estime de ses interlocuteurs, notamment syndicaux, par son ouverture d'esprit, son sens de la mesure et sa fidélité à la parole donnée. Avec Robert Boulin disparaît, dans des circonstances qui provoquent l'indignation, un homme dont la vie a été placée sous le signe du devoir et de l'honneur. »

J'aurais pu reprendre mille autres réactions, mais peut-on toutes les mettre ici ? Pourtant il me semble nécessaire de reprendre des articles, soit parce qu'ils mettent en relief des problèmes de fond, soit parce qu'ils osent poser des problèmes que peu se posent. Je les limite à quelques-uns. D'abord le remarquable commentaire d'André Mannon de Sud-Ouest, journal à qui il faut rendre un hommage particulier. En effet, ce quotidien a fait preuve dans toute cette affaire d'une honnêteté et d'un sens journalistique peu commun. L'ensemble des informations qu'ils ont don- nées ont été vérifiées et examinées de près. Leurs articles sur l'ensemble de l'affaire, et notamment ceux parus un mois après la mort de mon père, étaient d'une grande objectivité. Les historiens qui un jour voudront retrouver les faits et les circonstances qui ont précédé et suivi la mort de Robert Boulin devront se reporter au journal Sud-Ouest. Sous le titre « Que la lumière soit faite », André Mannon publie en première page de Sud-Ouest du 31 octo- bre 1979 le commentaire suivant : « La mort de M. Robert Boulin a causé une profonde émotion, dans le Sud-Ouest, bien sûr, dont il était depuis plus de vingt ans une des figures de proue, mais aussi dans tout le pays. « Pour ceux — nous en étions — qui l'ont bien connu, le défunt n'était pas seulement un homme d'Etat remar- quablement doué — les records de longévité ministérielle qu'il a établis en témoignent — mais aussi une personnalité qui suscitait la sympathie et le respect. Les réactions de toute la classe politique sans exception, de M. Barre à M. Marchais, et des dirigeants syndicalistes avec lesquels il avait négocié, en apportent une preuve éclatante. « L'affliction de tous ses collègues de l'Assemblée natio- nale, hier, était sincère. Le ministre du Travail était unani- mement considéré comme un homme doté d'un exceptionnel esprit de tolérance et d'un sens aigu de la concertation, comme un partenaire loyal. A ce titre il ne sera pas aisé de le remplacer au gouvernement. La disparition de celui en qui beaucoup voyaient le prochain Premier ministre constitue une lourde perte. « A la limite, un suicide n'est jamais complètement compréhensible. Sa famille, son fils avec lequel il avait déjeuné lundi, ses collaborateurs, ni aucun de ceux qui l'avaient rencontré récemment, ne pouvaient pressentir la décision irréparable de Robert Boulin. Il reste que les développements de l'affaire immobilière de Ramatuelle ont eu certainement une part considérable dans celle-ci. « On savait que le ministre en avait été profondément affecté. Et comment aurait-il pu en être autrement ? « Après le suicide de Robert Boulin, la lumière sur son rôle dans cette affaire doit être faite. En l'occurrence, la mort ne commande pas le silence, elle exige au contraire que tout soit dit. S'il est prouvé que le maire de Libourne a été diffamé, il faudra châtier les calomniateurs. S'il est reconnu que Robert Boulin a été abusé, il faudra le pro- clamer hautement. S'il s'avère qu'il a péché par légèreté, on déplorera la rudesse des mœurs qui l'ont conduit au suicide. En tout état de cause et d'abord pour son honneur et sa mémoire, il importe que toute la vérité soit établie. « C'est alors que l'on pourra définir les responsabilités des uns et des autres. « L'émotion rend compréhensibles certaines déclarations qui ont été faites hier. Faut-il pour autant participer au procès un peu rapide dressé par une grande partie de la classe politique, hormis les socialistes, contre la presse ? Le premier devoir de celle-ci est d'informer. Elle doit le faire dans un esprit de responsabilité et d'honnêteté. Mais doit-on par exemple dresser un réquisitoire contre le Washington Post parce qu'il a révélé le scandale du Watergate " ? En ce qui concerne la tragique affaire d'aujourd'hui, le seul problème digne de ce nom c'est de savoir si les informations concernant les terrains immobiliers de Ramatuelle étaient exactes ou non. C'est alors que l'on pourra juger. « Dans les régimes démocratiques où les mass media tiennent un rôle considérable, la condition des hommes politiques n'est pas facile, au point de décourager beaucoup de vocations. Leur vie privée n'est guère ménagée, elle est souvent exposée sur la place publique. Mais la collectivité dans un pays démocratique a le droit d'être informée sur ceux qui la dirigent. En revanche les hommes politiques ont droit, comme tout citoyen, à la justice, ni moins ni plus. Cette dure loi est la meilleure garantie de la démo- cratie dont la santé et la crédibilité sont fondées sur la vérité. » Sous le titre « Une nocive persévérance », M. Raymond Barillon dans Le Monde daté du 9 novembre posait des questions qui restent actuelles : « M. Giscard d'Estaing s'est déclaré mercredi au cours du Conseil des ministres : " conscient de traduire les sentiments profonds des Françaises et des Français en demandant qu'on laisse désormais les morts enterrer les morts... et que chacun des acteurs de la vie publique donne sans tarder son indispensable dignité au débat démo- cratique « On veut espérer que le chef de l'Etat se trompe et apprécie mal les " sentiments profonds " de ses conci- toyens car, s'il avait raison, cela signifierait que le pays accepte que l'on mette la lampe sous le boisseau, s'accom- modant d'une situation de plus en plus nauséabonde que le pouvoir ne fait rien pour assainir. « Alors que ce pouvoir est interpellé depuis le 10 octobre sur les " diamants " et, depuis le 30, sur la disparition de Robert Boulin, il s'obstine à garder le plus complet silence sur la première de ces affaires et à nier l'existence de la seconde. Nul ne saurait prétendre qu'une telle démar- che réponde aux vœux formulés à l'Elysée ni que la démo- cratie puisse y gagner. « Porte-parole du groupe socialiste, M. Laurent Fabius s'est exprimé avec la plus grande modération, mercredi, au Palais-Bourbon, avec l'espoir d'obtenir une réponse qui en fût une. Il n'y a pas eu droit. Jouant sur les mots et s'en tenant aux aspects strictement judiciaires de l'affaire de Ramatuelle, le Premier ministre a affirmé péremptoire- ment : " Il n'y a pas d'affaire Boulin, il y a une affaire Groult-Tournet. " « Ce n'était rien de plus qu'un tour de passe-passe. A partir du moment où était publiée la lettre posthume de l'ancien ministre du Travail et de la Participation, il y avait et il y a toujours une affaire Boulin. Alors que le pays s'interroge, alors que l'étranger observe notre " crise de régime ", comme dit M. Michel Debré, tantôt avec inquiétude, tantôt avec goguenardise, l'existence de cette lettre et les graves imputations qu'elle contenait continuent d'être souverainement ignorées en haut lieu. « On en reste à la thèse que M. Giscard d'Estaing soutenait le 31 octobre, et selon laquelle la disparition de Robert Boulin s'explique exclusivement par le fait qu'il " n'a pas pu résister à la campagne harcelante dont il était l'objet Mercredi M. Barre n'a eu à la bouche que les mots " rumeurs ", " insinuations " calomnies ", " manoeuvres et il est allé jusqu'à affirmer que " per- sonnellement il n'a " jamais porté d'attaques contre la presse ". Qui donc le Premier ministre visait-il, alors, lorsque le 30 octobre, il invitait solennellement le pays à " méditer sur ce que peuvent être les conséquences de certaines ignominies et d'une grande bassesse " ? « On ne voit dans tout cela aucune trace de donner ou de rendre " son indispensable dignité au débat démocra- tique " pour la bonne raison que le débat est refusé. « Cette persévérance est non seulement diabolique mais nocive, car il n'est pas douteux que depuis quelques semai- nes, les Français n'ont pas seulement en tête " le ralentis- sement de la hausse des prix et l'amélioration de l'emploi auxquels s'est référé mercredi le chef de l'Etat. Ils s'inter- rogent, entre autres aspects d'une nouvelle affaire bien ténébreuse, sur la série d'informations contradictoires aux- quelles a donné lieu l'autopsie de Robert Boulin, et ils se demandent jusqu'à quand la V République va continuer de glisser sur la pente. « " Le gouvernement, a demandé M. Fabius, est-il vrai- ment prêt à révéler la vérité ? Qu'est-ce qui nous garantit que celle-ci ne sera pas, une fois de plus, étouffée ? " Ces deux questions restent posées. Il y a péril en la demeure. » Il y a enfin le très bel article de Bruno Frappat, qui par sa profondeur, sa pudeur, sa qualité fait honneur à la presse. Sous le titre « Le dernier appel », il a été publié dans Le Monde du samedi 3 novembre : « Chaque jour une quarantaine de personnes se suici- dent. Parmi elles, beaucoup de jeunes, des paumés, des déçus, des vaincus de la vie. Dans chaque cas l'entourage aura cherché, pour se rassurer et masquer l'angoisse de la mort qui étreint tous les vivants, une explication et une seule. Une cause unique produisant un effet. Il s'est suicidé parce qu'il était au chômage, il s'est suicidé parce qu'il était malheureux en amour, il s'est suicidé parce qu'il venait d'être ruiné. « Tranquillisantes certitudes, bien carrées, qui transfor- ment le fait de se donner la mort en une sorte d'aboutis- sement mécanique d'un processus quasiment extérieur à l'individu. Comme si la mort était apportée de l'extérieur, alors qu'elle procède souvent — mais qui peut le prou- ver ? — d'une logique interne. « Lorsqu'il y a quelques mois des enseignants s'étaient suicidés, on avait mis en cause le système éducatif français, une réforme et même un ministre, qu'un journal communiste avait baptisé " ministre des suicides ". On avait feint alors de croire, dans certaines organisations de gauche, qu'il y avait des coupables et des victimes. A l'époque le gouver- nement avait réagi vivement à ces attaques dénonçant — déjà — une " campagne sans pudeur. On exploitait la mort, disait-il. « Il faut le dire et le répéter : à de rares exceptions près (Montherlant), tout suicide est un appel. C'est pour la personne qui s'y trouve réduite, une manière de hausser la voix pour être enfin entendue, même si c'est trop tard. C'est le dernier appel au secours, les autres étant restés sans réponses. Le suicidant est en quête d'une écoute. Les animateurs bénévoles de S.O.S.-Amitié, l'association qui, chaque jour, reçoit des milliers d'appels téléphoniques, savent bien que la parole entendue relie, comme un fil ténue, mais suffisant, le désespéré au monde des vivants. Dans certains cas le suicidant parle pendant des heures. « Le suicide est le plus souvent incompréhensible : " Comment, lui, si solide, a-t-il pu faire cela ? Je l'avais vu en pleine forme, il y a huit jours. " Certes, mais que voit-on d'un être ? La transparence n'existe pour personne sauf peut-être pour Dieu. L'homme est opaque pour les autres comme pour lui-même. Chaque jour nous accomplis- sons des actes dont nous nous serions crus incapables. Les progrès des sciences humaines, l'exploration de l'inconscient, n'ont pas réduit le mystère qui nous fait tenir à la vie, et ce qui peut y faire renoncer. « Ainsi, quand survient un suicide — et qui autour de soi n'y a pas été directement confronté ? — il est urgent de se taire pour laisser parler celui que le silence oppres- sait. Ce silence des autres ou celui que sa position — sociale, familiale, politique — lui imposait à lui-même. Ce seuil passé, il est permis de laisser s'exprimer une partie de ce que l'autocensure interdisait d'énoncer. Rares sont ceux qui partent sans laisser un message. « La réduction du suicide à une fuite et à une marque de lâcheté est une hypothèse séduisante car elle explique aisément que des hommes aux abois y trouvent l'issue de leurs ennuis. Mais elle ne tient pas s'agissant d'êtres de caractère qui ont montré dans leur vie familiale ou profes- sionnelle une fermeté, une capacité d'adaptation, qui ne collent pas avec cette lâcheté supposée. La fuite au demeu- rant est départ mais aussi espérance d'un refuge. Où est-il dans le cas du suicide ? Et surtout tous les êtres en difficulté apparente ne se suicident pas. Preuve a contrario que les situations visibles n'expliquent pas tout. « Quand un être décide de mettre fin à ses jours, il faut lui supposer des raisons bien profondes qu aucune analyse superficielle ne peut éclairer. En l'occurrence les conclusions hâtives, les déductions précipitées, les affirma- tions péremptoires sur la responsabilité de tel ou tel — homme, groupe d'hommes, organisation, système, société — peuvent toutes être proférées sans risques d'être démenties par l'intéressé. Mais tout le monde pouvant avoir raison, tout le monde risque d'avoir tort. Il faut imaginer — personne n'assiste aux suicides — le solitaire déterminé, arrangeant les dernières heures de sa vie, rédigeant ses messages, gagnant le lieu isolé d'où il ne reviendra pas : cet être-là n'est plus enseignant, ouvrier ou ministre, il n'est plus coupable et pas encore victime, il est désespéré et seul. Il y a ce qui est écrit, il reste l'indicible. Meurt-on pour deux hectares ? »