AURÉLIE HOT

ÉCRIRE ET LIRE LA LANGUE Choix linguistiques contemporains à et Igloolik,

Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en Anthropologie pour l’obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.)

DÉPARTEMENT D’ANTHROPOLOGIE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2010

© Aurélie Hot, 2010

Résumé

Les pratiques de l’écriture à Iqaluit, la capitale du Nunavut, et à Igloolik, une plus petite communauté au nord de la région de Baffin, mettent en scène la gestion quotidienne du bilinguisme chez les locuteurs du nouveau territoire. Depuis l’apprentissage du syllabique jusqu’aux sites de socialisation sur Internet, des expériences individuelles sont présentées et explicitent le contexte et les attitudes linguistiques qui gouvernent les choix de langue en fonction du mode d’expression. Le caractère marginal de l’écriture en langue inuit ressort nettement dans ce portrait des pratiques, quelle que soit la vitalité de la langue à l’oral. Cette restriction sur l’épanouissement de l’ dans tous les domaines possibles d’utilisation fragilise l’équilibre d’une nécessaire relation de complémentarité avec l’anglais. Une étude de la situation linguistique au Groenland laisse entrevoir une autre réalité, ce qui suscite plusieurs questionnements. La diversité dialectale, l’expérience d’urbanisation, les dynamiques économiques et les mobilisations identitaires influencent les pratiques de l’écriture. Les conséquences quant à l’effort de promotion de la langue inuit en sont tirées.

Mots clés : écriture syllabique, Nunavut, langue inuit. ii

Abstract

Literacy practices in Iqaluit, the capital of Nunavut, and Igloolik, a smaller community located in the northern Baffin region, illustrate the daily management of bilingualism by the speakers of the new territory. From the learning of syllabics to social networking sites, a large range of individual experiences is discussed. They contextualize linguistic attitudes, which determine language choice according to the mode of expression. The marginality of Inuit language literacy is readily perceived in this portrait of practices, regardless of the vitality that the language may show orally. These limitations on the expansion of Inuktitut, in all possible domains of use, weaken the balance of an unavoidable complementary relationship with English. A study of the linguistic situation in shows a different reality, which raises several questions. Dialect diversity, lived experiences of urbanization, economical dynamics and identity mobilizations all have an influence on literacy practices. Conclusions are then drawn about the promotion of the Inuit language.

Keywords: syllabic literacy, Nunavut, Inuit language.

Remerciements

Pendant ces années qu’a duré mon cheminement dans le programme de doctorat, un grand nombre de personnes ont soutenu ce projet d’une multitude de façons. Bien que je sois dans l’impossibilité de citer tout le monde ici (notamment pour des raisons d’anonymat), je tiens à remercier tous et toutes très chaleureusement de leur participation sans laquelle cette thèse n’aurait pas vu le jour.

Louis-Jacques Dorais a assuré la direction de ce projet. Il m’a guidée et encouragée dans des étapes cruciales de ma formation, au-delà de la thèse proprement dite, et a fait preuve d’une patience et d’une disponibilité sans faille.

Les personnes ci-dessous ont également appuyé mon travail.

À Iqaluit, Susan Sammons du Collège de l’Arctique du Nunavut (CAN) et Stéphane Cloutier du Ministère de la culture, de la langue, des aînés et de la jeunesse ont grandement facilité ce processus de recherche par leurs conseils et leur support. Je tiens à remercier aussi Maakki Kakkik, Lau Saila, Sarah Novalinga et Denis Nakoolak, professeure et étudiants au CAN pendant mes séjours ainsi que Gavin Nesbitt et d’autres employés de Pirurvik qui ont pris le temps de me décrire les projets en cours. À l’Institut de Recherche du Nunavut, Rick Armstrong a résolu les problèmes logistiques rencontrés.

À Igloolik, Mitch Taylor et les employés à la division de la faune du Ministère de l’environnement ont généreusement partagé leurs infrastructures. Leah Otak et John MacDonald, de l’Institut de Recherche du Nunavut ont guidé mes recherches sur la base de données d’histoire orale. Un grand merci aussi à Bonnie Ammaaq et Nancy Kadlutsiak.

À l’Université Laval, Frédéric Laugrand a offert des conseils très appréciés sur ce projet et il a beaucoup contribué à cette thèse par ses commentaires et suggestions. Lise Fortin du CIÉRA a accompagné mes démarches pour aller au Nunavut. Je remercie aussi Shelley Tulloch, de la St Mary’s University, pour les opportunités qu’elle m’a offertes de discuter de ma recherche. iv

À Montréal, le réseau DIALOG et Carole Lévesque ont permis la diffusion des résultats de cette recherche grâce à des bourses de présentation dans des colloques. Mes différentes expériences dans le réseau ont également participé à ma formation.

Enfin, le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture, le Programme de formation scientifique dans le Nord du Ministère des Affaires indiennes et du Nord, le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et le Fonds George-Henri-Lévesque de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval ont fourni le financement indispensable à la poursuite de ce programme et à mes trois séjours de recherche au Nunavut.

Table des matières

RÉSUMÉ ...... I

ABSTRACT...... II

REMERCIEMENTS...... III

TABLE DES MATIÈRES...... V

LISTE DES TABLEAUX ...... X

LISTE DES FIGURES ...... XI

INTRODUCTION ...... 1

Propositions de recherche ...... 2 Terrain et méthodologie...... 3 Contenu de la thèse...... 4

1 PRÉSENTATION ET MÉTHODOLOGIE...... 7

1.1 L’île de Baffin : présentation de la région à l’étude ...... 8 1.1.1 Le Nord et le Sud Baffin...... 8 1.1.2 Débuts de la dynamique de sédentarisation et de contact linguistique...... 10 1.1.3 La formation des communautés actuelles...... 13 1.1.4 Création du Nunavut et choix de sa capitale...... 20 1.1.5 Aspect et envergure contemporains...... 21 1.1.6 Centre politico-économique vs centre culturel?...... 24 1.2 Méthodologie...... 25 1.2.1 Le milieu de recherche à Igloolik, Iqaluit et au Nunavut ...... 25 1.2.2 Entrevues ...... 27 1.2.3 Observation participante...... 30 1.2.4 Démarche comparative et ethnographie ...... 32 1.2.5 Analyse ...... 35 2 L’ÉCRITURE ET LA LECTURE EN LANGUE MINORITAIRE...... 37

2.1 Penser de façon dynamique les relations inégales entre les langues et les écritures : jalons théoriques ...... 37 2.1.1 Frein à la dérive linguistique (RLS), glottophagie et revitalisation linguistique 38 2.1.2 Attitudes, identités et ethnographie ...... 41 2.2 « Clarification idéologique » ...... 44 2.2.1 « La logique de l’écriture »...... 44 2.2.2 Discipline sociale et colonialisme...... 50 vi

2.2.3 Localité, identité et pouvoir...... 53 2.3 Écritures multilingues et construction identitaire : exemples ethnographiques et historiques...... 57 2.3.1 Lecture religieuse et écriture épistolaire : communiquer avec le surnaturel, revisiter la cohésion du groupe ...... 58 2.3.2 Transition vers la langue dominante et instruction scolaire ...... 63 2.3.3 Appropriation et marginalité de l’écriture en langue autochtone : un débat contemporain ...... 65 2.3.4 Urbanisation et attitudes générationnelles : une nouvelle donne...... 68 2.4 Éléments de réflexion sur l’écriture dans l’Arctique de l’Est et en contexte inuit ..70 2.4.1 La langue et l’écriture comme ressources identitaires...... 70 2.4.2 Langue et savoirs à l’école...... 74 2.4.3 L’appropriation de l’écriture et la tradition orale ...... 75 2.5 Conclusion ...... 78

3 DE L’ÉCRITURE UNILINGUE AU BILINGUISME, APPROCHE GÉNÉRATIONNELLE DE LA « SYLLABISATION »...... 80

3.1 Les débuts de l’écriture en langue inuit ...... 80 3.1.1 Pourquoi un syllabaire? ...... 80 3.1.2 Propagation de l’écriture syllabique et utilisation dans les régions à l’étude...84 3.1.3 L’écrit en anglais : témoignages de leaders inuit...... 87 3.2 Continuités et cassures dans le processus de transmission ...... 88 3.2.1 L’apprentissage du syllabaire : témoignages d’aînés...... 88 3.2.2 La situation linguistique contemporaine : le bilinguisme...... 92 3.2.3 L’apprentissage du syllabique chez les locuteurs bilingues ...... 93 3.3 Une compétence fragile ...... 101 3.3.1 Apprentissage autodidacte, stratégies d’apprentissage...... 101 3.3.2 La difficulté d’écrire et de lire le syllabique : indice de dérive des langues?.104 3.4 Conclusion ...... 107

4 ÉCRITS DISPONIBLES EN LANGUE INUIT ET CHOIX LANGAGIERS ...... 108

4.1 Journaux, bulletins et magazines (1940-présent)...... 109 4.1.1 La publication en langue inuit : dialectes, standardisation et évolution technique...... 109 4.1.2 Périodiques publiés par des organismes religieux ou gouvernementaux ...... 111 4.1.3 Revendications inuit et mobilisation communautaire...... 114 4.1.4 Pourquoi une décroissance du nombre de titres?...... 116 4.1.5 La centralisation et l’anglicisation des périodiques : l’exemple d’Iqaluit et d’Igloolik ...... 118 4.2 Les histoires ...... 124 vii

4.2.1 Littérature enfantine...... 124 4.2.2 Autobiographies, souvenirs et projets d’histoire orale ...... 126 4.2.3 D’autres écrits de « seconde main » ...... 131 4.2.4 D’autres modes d’expression artistique et de transmission...... 132 4.3 Environnement écrit dans les maisonnées ...... 135 4.3.1 Décor et correspondance...... 135 4.3.2 Produits et culture enfantine ...... 137 4.3.3 Lectures et écritures...... 139 4.4 Lecture et choix langagiers ...... 140 4.4.1 L’information, les nouvelles...... 140 4.4.2 Histoire personnelle, Histoire inuit...... 143 4.4.3 Lecture et divertissement...... 146 4.5 Conclusion : à la recherche d’une tribune?...... 148

5 L’ÉCRITURE ET LES MÉDIAS ÉLECTRONIQUES ...... 151

5.1 Langage et offre médiatique ...... 151 5.1.1 Bref rappel chronologique ...... 151 5.1.2 Centre et périphérie...... 153 5.1.3 Territoire et communauté...... 155 5.2 L’outil informatique...... 158 5.2.1 Écrire la langue inuit à l’ordinateur ...... 158 5.2.2 Les sites en inuktitut, une denrée rare...... 159 5.3 Les sites de réseaux sociaux, le média communautaire des jeunes ...... 161 5.3.1 Identité et choix langagiers sur Internet : quelques références...... 162 5.3.2 « BEBO is Inuit central! » ...... 163 5.3.3 Culture glocale des jeunes et nouvelle variété d’anglais en ligne ...... 167 5.4 Conclusion : persistance culturelle et anglicisation de l’écrit...... 171

6 ATTITUDES ENVERS L’ÉCRITURE À IQALUIT ET IGLOOLIK ...... 173

6.1 Syllabique et marché linguistique...... 173 6.1.1 Un marché linguistique alternatif ...... 173 6.1.2 Inscription du marché linguistique dans le paysage ...... 174 6.1.3 L’écrit en langue inuit au travail...... 177 6.1.4 Attitude pragmatique et restrictions sur le syllabique ...... 179 6.2 Syllabique ou anglais : identité et complémentarité ...... 181 6.2.1 Préserver et/ou transmettre dans la capitale...... 181 6.2.2 Choix d’écriture pour la pratique religieuse ...... 185 6.2.3 Quelques observations sur la complémentarité des écritures autour de la course Nunavut Quest...... 188 6.3 Conclusion ...... 190 viii

7 LA COMPLÉMENTARITÉ DES LANGUES ET DES ÉCRITURES EN DÉBAT : LE CAS DU GROENLAND...... 192

7.1 Débuts de l’écriture...... 193 7.1.1 Alphabétisation et prosélytisme...... 193 7.1.2 Politique coloniale et statut de la langue inuit : naissance de la tradition écrite 194 7.2 La langue et la littérature groenlandaises au coeur du débat ...... 197 7.2.1 Questions sociales...... 197 7.2.2 « Modernisation » et assimilation...... 198 7.2.3 « Groenlandisation »: assise du statut du kalaallisut ...... 201 7.3 La période contemporaine : comparaison du rôle de l’écriture en langue inuit.....203 7.3.1 La communauté de lecteurs potentiels...... 204 7.3.2 L’apprentissage des langues et des écritures à l’école...... 205 7.3.3 Marché linguistique et attitudes linguistiques ...... 208 7.3.4 Auto-détermination, politique linguistique et soutien à la publication...... 212 7.3.5 Avenir de la tradition écrite ...... 214 7.4 Conclusion : façonner le bilinguisme ...... 216

8 DIVERSITÉ, IDENTITÉS ET MOBILISATIONS ...... 219

8.1 Gestion de la diversité dialectale ...... 220 8.1.1 Loyautés et authenticité ...... 220 8.1.2 L’expérience d’urbanisation : insécurité et déplacement linguistique...... 224 8.1.3 Attitudes et écriture des dialectes ...... 228 8.2 Nouveaux espaces identitaires et écritures ...... 230 8.2.1 Définir une identité régionale ...... 230 8.2.2 Écritures et dialectes dans l’espace régional...... 233 8.2.3 Alphabet latin et organisations des écritures dans l’espace transnational ...... 239 8.3 Conclusion : Oralité, dialecte et identité locale ...... 242

9 CONCLUSION...... 244

9.1 Appropriation de l’écriture et idéologies linguistiques...... 244 9.2 Inégalités linguistiques, échelle et objectifs des mobilisations...... 246 9.3 Négocier la place de l’écriture dans de nouveaux domaines ...... 250 9.4 La pérennité de l’écriture en langue autochtone...... 254

BIBLIOGRAPHIE...... 256

ANNEXE 1. TABLEAU SYNTHÉTIQUE DE QUATRE SYLLABAIRES INUIT...... 284

ANNEXE 2. PÉRIODIQUES PAR COMMUNAUTÉ DU NUNAVUT (SAUF IQALUIT ET IGLOOLIK, VOIR CHAPITRE 3), D’APRÈS RANKIN (2008)...... 286 ix

ANNEXE 3. AFFICHE : IMPLEMENTING LANGUAGE POLICY IN NUNAVUT ....289

ANNEXE 4 : BIBLIOGRAPHIE LITTÉRATURE ENFANTINE : BAFFIN DIVISIONAL BOARD OF EDUCATION/QIKIQTANI SCHOOL OPERATIONS/POND INLET EDUCATION COUNCIL/EASTERN TEACHER EDUCATION PROGRAM ...... 290

ANNEXE 5 : PUBLICATIONS (BILINGUES), AUTRES ÉDITEURS ...... 305

Inhabit Media et Nunavut Bilingual Education Society ...... 305 Nortext ...... 306 Nunavut Wildlife Series (volumes bilingues)...... 306 Department of Culture, Language, Elders and Youth ...... 307 Pirurvik Centre (en inuktitut seulement, syllabique et alphabet latin) ...... 307

ANNEXE 6 : AUTOBIOGRAPHIES NUNAVUT (ÉCRITS BILINGUES OU EN LANGUE INUIT)...... 308

Inuit Cultural Institute...... 308 Baffin Divisional Board of Education...... 308 Pond Inlet Education Council (en langue inuit seulement) ...... 309

ANNEXE 7 : PUBLICATIONS COLLÈGE DE L’ARCTIQUE DU NUNAVUT...... 310

Interviewing Inuit Elders (tous les volumes disponibles en langue inuit)...... 310 Inuit Perspectives on the 20th Century (tous les volumes disponibles en langue inuit)..310 Memory and History in Nunavut (volumes bilingues) ...... 311 Life Stories of Northern Leaders (tous les volumes disponibles en langue inuit)...... 311 Autres publications (aussi disponibles en langue inuit)...... 312

Liste des tableaux

Tableau 1. Périodiques actuels qui proposent des textes en langue inuit ou sont publiés en version bilingue, d’après Rankin (2008)...... 119 Tableau 2. Périodiques publiés à Iqaluit, d’après Rankin (2008)...... 121 Tableau 3. Périodiques publiés à Igloolik, d’après Rankin (2008)...... 122 Tableau 4. Classement schématique des écritures utilisées pour l’affichage dans le domaine public à Iqaluit ...... 175 Tableau 5. Brève chronologie comparative, dates concernant le Groenland (lignes grisées) et le Nunavut (fond blanc) ...... 218

Liste des figures

Figure 1. Territoires des Inuit du Nord et du Sud Baffin...... 10 Figure 2. Expériences migratoires des participants aux entrevues ...... 34 Figure 3. Quelques repères géographiques de la genèse du syllabique et de sa propagation vers les régions à l’étude (sections 3.1.1 à 3.1.3) ...... 84 Figure 4. Nombre de profils indiquant Iqaluit ou Igloolik comme ville d’origine...... 164 Figure 5. Genre des utilisateurs ...... 165 Figure 6. Tranches d’âge des utilisateurs...... 165 Figure 7: Jeunes utilisateurs en fonction des statistiques générationnelles ...... 166 Figure 8. Référence au christianisme en anglais copiée et collée sur des profils de jeunes femmes...... 168 Figure 9. Vidéo du groupe Northern Haze d’Igloolik ...... 169 Figure 10 : une partie du profil de groupe « Iglulik Nunavut »...... 170 Figure 11. Trois titres d’Eskiez, affichés sur leur profil de groupe, à écouter en ligne...... 171 Figure 12. Les dialectes du Nunavut (source Bureau de la commissaire aux langues, www.langcom.nu.ca) ...... 234 Figure 13. Armoiries du Nunavut (source, site Internet de l’Assemblée législative du Nunavut www.assembly.nu.ca) ...... 238 Figure 14. Logo du gouvernement territorial du Nunavut (source: site internet du gouvernement du Nunavut www.gov.nu.ca) ...... 239 Figure 15. Carte d’affaire, « Sakku (Pointe de Harpon) Window Cleaning » (Iqaluit 2005), une illustration de la marginalisation du syllabique ...... 244

Introduction

Cette thèse porte sur les pratiques langagières de locuteurs de la langue inuit dans la ville d’Iqaluit et la communauté d’Igloolik, toutes deux situées dans le territoire canadien du Nunavut. Elle a pour objet de décrire en détail le contexte de bilinguisme et les choix linguistiques qu’effectuent les locuteurs, surtout en ce qui concerne les usages de l’écriture et de la lecture en inuktitut. Les résidents des communautés nordiques évoluent au quotidien dans un milieu bilingue. Il n’est pas toujours évident de prime abord de comprendre pourquoi certains types d’échanges écrits, que ce soit au sein de la communauté ou vers l’extérieur, s’effectuent la plupart du temps en anglais. Ce choix de langue pour l’écriture s’ajoute à divers facteurs qui font pression sur les pratiques de la langue inuit et qu’il est par conséquent urgent d’expliciter. En se concentrant sur l’expérience des locuteurs, l’objectif sera de comprendre comment sont gérées les contraintes et les opportunités que crée la situation de bilinguisme contemporaine. Les pratiques linguistiques sont inséparablement jointes aux dynamiques historiques, politiques ou identitaires et leur étude apporte une perspective novatrice sur le processus de changement de la société inuit.

Mettre en avant les pratiques de l’écriture et de la lecture permet d’étudier la gestion du bilinguisme afin de comprendre une situation présente. Mais cette étude de cas s’ajoute aussi au questionnement sur l’écriture et l’oralité qui s’est immiscé dans de nombreuses disciplines des sciences sociales. Selon une ligne de pensée occidentale, l’introduction de l’écriture et de la lecture dans une société colonisée constituerait un élément révolutionnaire pour cette société. Pensée ethnocentrique et évolutionniste se sont rejointes pour faire de l’écriture (de préférence alphabétique) le signe d’une supériorité de peuples ou de civilisation, et un gage infaillible d’« évolution », aussi bien pour l’individu que pour la société (Goody 1968, 1977, 1986; Ong 1982). Cette théorie de l’écriture comme outil cognitif et social se base sur l’idée d’une révolution alphabétique grecque (Havelock 1986) et sur l’histoire occidentale de l’imprimerie (Febvre et Martin 1958). L’apparition de nouveaux médias a été pensée sur le même modèle d’outil cognitif (McLuhan 1962).

Ce point de vue participe à une rationalisation de l’importance et du prestige accordés aux pratiques écrites dans les anciennes sociétés colonisatrices. La diffusion de l’écriture et du 2 livre n’ont bien entendu pas éradiqué l’oralité, cependant un mythe de l’écriture a fait passer au second plan dans la pensée occidentale l’histoire riche de ce mode d’expression1 et sa pertinence contemporaine, dans les domaines quotidiens ou plus prestigieux d’utilisation, tel le monde intellectuel (Waquet 2003). Le caractère multimodal des pratiques communicatives (oral, écrit, gestuel, visuel, etc.) a été réduit à une dichotomie oral/écrit arbitraire. L’effondrement de la thèse du lien entre cognition et écriture (Scribner et Cole 1981), la mise à jour de cette idéologie occidentale de l’écriture (Graff 1979; Street 1984), ses liens avec des projets de colonisation (Duranti et Ochs 1986; Mignolo 1992; Gallegos 1992; Errington 2001), et enfin l’étude de l’écriture comme des pratiques sociales et culturelles (Basso 1974; Heath 1983; Street 1993; Boyarin 1993) ont validé l’importance d’approches ethnographiques locales pour aborder ces questions linguistiques.

Ces approches ont montré que le répertoire linguistique peut être plus facilement conceptualisé comme un continuum avec des pratiques plus ou moins orales ou écrites. Les deux modes sont de toute façon inter-reliés (Finnegan 1988). Pour les groupes autochtones en Amérique, l’écriture a été incluse dans un répertoire linguistique à prédominance orale qui disposait d’autres moyens de codifier l’information considérée comme importante pour ces populations, et parfois d’autres écritures2. L’écriture s’est ainsi intégrée dans des pratiques culturelles et textuelles existantes.

Propositions de recherche La place de l’écriture dans un ensemble de pratiques culturelles constitue ainsi une perspective importante de cette recherche. Elle est complétée par une attention particulière portée à la situation minoritaire de la langue inuit. Trois propositions de recherche sont ainsi énoncées qui serviront de points de départ à ce travail :

1. Le volume restreint d’écrits en langue inuit contribue à l’érosion de la langue; l’écriture en langue inuit est aujourd’hui nécessaire à la viabilité de la langue.

1 Thomas (1992) montre par exemple que l’écriture n’a pas révolutionné la pensée ou la société grecques et qu’elle s’est intégrée aux pratiques orales qui sont restées dominantes. 2 Voir Battiste (1984) pour l’exemple éclairant des Algonquiens. 3

2. Le façonnement du répertoire linguistique s’accompagne d’un investissement identitaire exacerbé, en raison du lien inhérent entre les pratiques linguistiques et la définition de l’altérité inuit en tant que culture minoritaire.

3. Les pratiques de l’écriture éclairent ainsi les dynamiques de changement à l’œuvre dans la société inuit, et la réponse de celle-ci au processus de mondialisation qui a débuté avec la colonisation du territoire arctique.

Ces propositions se rejoignent dans l’hypothèse suivante : les contacts linguistiques entre langue autochtone et langue majoritaire s’articulent toujours d’une certaine façon autour de la synthèse de deux idéologies linguistiques3 différentes, l’une valorisant l’écriture, l’autre l’oralité, et autour de la réinterprétation d’un répertoire qui privilégie les pratiques orales. Cette synthèse est mise en relief en raison de l’inégalité héritée du processus colonial4 et de son corollaire, l’érosion de la langue inuit.

Terrain et méthodologie L’étude de ces questions se base sur les données recueillies au cours de travaux de terrain. L’objectif premier de ces travaux était de documenter les pratiques et attitudes langagières de façon générale et plus particulièrement les pratiques et attitudes envers l’écriture et la lecture en langue inuit. Pour ce faire, trois voyages au Nunavut ont été réalisés, dans deux sites différents, la ville d’Iqaluit et la communauté d’Igloolik. Le choix de ces deux sites a d’abord été motivé par des considérations pratiques (travaux de recherche en cours sur lesquels pouvait se greffer mon projet doctoral). L’aspect comparatif du projet a cependant été adopté dès les premières phases du travail. Il s’est avéré un atout important pour mieux saisir des dynamiques linguistiques complexes, en lien avec des changements à l’œuvre dans la société inuit. Dans cette optique, les données de terrain ont été, en plus, mises en parallèle avec la situation linguistique au Groenland grâce aux écrits disponibles sur ce thème. Cet élargissement permet d’adopter une autre perspective sur les résultats obtenus au Nunavut et de donner une nouvelle dimension au travail comparatif.

3 On entend par idéologie linguistique la rationalisation de croyances sur les pratiques linguistiques, qui accompagnent et influencent ces pratiques (Woolard et Schieffelin 1994: 57). 4 « Inequality among groups of speakers, and colonial encounters par excellence, throw linguistic ideology into high relief. » (Woolard et Schieffelin 1994: 56) 4

Les deux communautés choisies pour l’étude de terrain sont différentes à plusieurs égards. La ville d’Iqaluit est la capitale du Nunavut située au sud de l’île de Baffin. En tant que telle, elle n’est pas représentative des autres communautés du territoire, de par le nombre important de ses habitants (environ 6200) et la proportion non négligeable de Qallunaat (Euro-canadiens), qui constituent presque la moitié des résidents (Statistique Canada 2006a). La communauté d’Igloolik se trouve à environ 800 km au nord-ouest d’Iqaluit. On y compte près de 1600 habitants, dont environ 5% de Qallunaat (Statistique Canada 2006b). Iqaluit comme Igloolik font partie de la même région du Nunavut : la région Qikiqtaaluk.

La collecte de données a été organisée selon une démarche qualitative. Les pratiques linguistiques ont d’abord été abordées de façon individuelle par la réalisation d’entrevues semi-dirigées avec des membres des communautés qui parlaient et écrivaient l’inuktitut. La situation linguistique à l’échelle de la communauté ou de la ville a également fait l’objet de discussions plus générales et informelles avec des personnes actives sur les questions linguistiques, ayant par exemple des responsabilités politiques ou un travail dans les domaines culturels ou éducatifs. Ces entrevues ont permis de compléter et de modifier au besoin le guide de déroulement des entrevues semi-dirigées. Enfin, l’observation participante a constitué une grande partie du travail de cueillette de données, et ne s’est évidemment pas limitée au domaine linguistique.

Contenu de la thèse Huit chapitres principaux constituent le corps de ce travail. Une explicitation de la méthodologie adoptée fait l’objet du premier chapitre. Celui-ci tâche également de décrire plus en détail les deux lieux de recherche et de présenter les différents liens et connections qui construiront le travail comparatif.

Une discussion théorique suivra la piste des réflexions sur l’écriture et la lecture en contexte de langue minoritaire au chapitre 2. Il s’agira de penser les liens entre écriture et bilinguisme, notamment du point de vue des relations inégales entre les langues, ainsi que de l’expression pratique de ces relations inégales dans les différents domaines linguistiques. Au-delà d’une simple constatation de l’existence de ces situations linguistiques, ces textes présentent les outils de description appropriés et nourrissent le débat des mesures 5 nécessaires pour promouvoir la langue minoritaire. Une fois ces réflexions générales posées, des études de cas sur l’écriture en contexte autochtone complèteront cette revue de littérature. L’écriture est impliquée dans des processus d’identification linguistique complexes, autour de l’histoire de l’appropriation ou du rejet de ces nouvelles pratiques linguistiques. Enfin, une approche centrée sur l’Arctique de l’Est et le contexte inuit conclura ce chapitre. Des textes sur différentes régions du monde circumpolaire y décrivent l’implication de la langue inuit et de l’écriture dans le processus de construction identitaire contemporain.

Une approche diachronique dominera le troisième chapitre, avec la présentation à différentes époques de l’inclusion de pratiques linguistiques nouvelles dans le répertoire communicatif. Le premier de ces changements est l’utilisation d’un syllabaire pour écrire la langue inuit, puis l’usage de l’anglais à l’oral et enfin à l’écrit. L’introduction et l’appropriation de l’écriture en langue inuit, sa création, son apprentissage, débuteront cette étude historique. Des défis plus récents dans le processus de transmission de l’écriture seront ensuite présentés. Enfin, la situation contemporaine d’apprentissage et de connaissance de l’écriture syllabique sera décrite grâce aux données recueillies à Iqaluit et Igloolik.

Le quatrième chapitre aura pour objectif de recenser les écrits disponibles en langue inuit dans la région à l’étude. Le plus grand nombre d’écrits publiés tombe dans la catégorie des articles de journaux, et l’évolution de ce type d’impression est importante pour l’avenir de l’écriture en langue inuit. Les textes publiés et plus informels, en langue inuit ainsi qu’en anglais et en français, se retrouvent dans les maisonnées dont on décrira l’environnement écrit. La langue de publication des textes disponibles pour le lectorat du Nord définit les choix langagiers. En raison du plus grand volume d’écrits en anglais, les lecteurs lisent bien plus souvent dans cette langue. Ils ne se satisfont pas tous de cette situation et formulent des souhaits pour des publications en langue inuit.

Les médias électroniques ont enrichi le répertoire communicatif, et l’outil informatique a posé de nouveaux défis pour l’utilisation du syllabique. Le cinquième chapitre portera sur l’histoire de l’offre médiatique au Nunavut et sur l’usage des langues dans les médias. Le développement des échanges à l’aide de l’ordinateur, les choix de graphies et de langues 6 par les utilisateurs d’Internet seront étudiés plus en détail. Le succès des sites de réseaux sociaux chez les jeunes, un phénomène contemporain qui se retrouve au Nunavut, explicitera l’implication des pratiques linguistiques dans la construction d’une identité collective et individuelle.

Les attitudes envers l’écriture à Iqaluit et Igloolik feront l’objet du sixième chapitre, bien qu’elles se retrouvent en arrière-plan des pratiques dans les autres sections. Le lien entre pratiques et attitudes sera approfondi en fonction de plusieurs éléments. La place de l’écriture en langue inuit dans le nouveau marché linguistique, un questionnement majeur, pourra être abordée en retraçant les choix de langues au travail. D’autres domaines de pratique et activités individuelles et collectives montreront que les attitudes s’organisent autour de la complémentarité nécessaire des deux écritures au quotidien.

Cette situation de complémentarité se retrouve au Groenland, bien que les caractéristiques du bilinguisme n’y soient pas les mêmes qu’au Nunavut. Au chapitre sept, l’histoire de l’alphabétisation de l’île, le développement de la tradition littéraire en kalaallisut et le rôle contemporain de l’écriture en langue autochtone apportent des éléments de comparaison et donnent des pistes de compréhension de la situation en Terre de Baffin. L’adoption d’un standard littéraire au Groenland est une différence majeure entre les deux aires circumpolaires, ce qui introduira une réflexion sur la gestion de la diversité dialectale au Nunavut.

Si le dialecte reste un référent identitaire majeur au Nunavut, les dynamiques d’urbanisation, de régionalisation et la mobilisation transnationale du peuple inuit influencent la gestion de la diversité des parlers et des écritures. Au dernier chapitre, il s’agira de tenter d’identifier ces différents niveaux de construction identitaire, et de mesurer leur impact sur les choix linguistiques individuels.

1 Présentation et méthodologie Cette recherche qualitative se base sur des données recueillies pour la plupart sur le terrain, à Iqaluit et Igloolik au Nunavut, pendant neuf mois répartis de 2005 à 2007. L’un et l’autre de ces sites se trouvent dans la région de Baffin (Qikiqtaaluk). La différence entre la situation linguistique d’Iqaluit et des plus petites communautés de la région comme Panniqtuuq, Cape Dorset/Kinngait ou Igloolik est souvent décrite par les résidents du Nunavut comme extrême : à Iqaluit les gens ne parlent « qu’anglais » alors que dans les plus petites communautés, ils ne parlent « qu’inuktitut ».

Ce type d’affirmation a motivé en partie une recherche comparative, bien qu’elle ne soit basée que sur la région de Baffin, et qu’au Kivalliq et au Kitikmeot, la situation linguistique diffère grandement. En effet, en 2006, 13% seulement des résidents de la région Kitikmeot déclaraient que la langue inuit était la première langue qu’ils utilisaient à la maison, alors qu'au Kivalliq, ce taux était de 59% et dans la région de Baffin, de 65% (Nunavut Bureau of Statistics 2008a). Néanmoins, les dissemblances entre le paysage ethnique et linguistique de la capitale et de cette plus petite communauté d’Igloolik justifient une perspective comparative.

Chaque communauté du Nunavut comporte des spécificités qui lui sont propres et il s’agit ici de proposer une vision particulière sur l’évolution des pratiques linguistiques dans le territoire. Afin d’apporter un autre éclairage sur cette évolution, l’approche comparative a été étendue, grâce aux écrits disponibles, à une autre région de l’aire circumpolaire : le Groenland. Le choix de cette région se base surtout sur l’épanouissement de la tradition littéraire en kalaallisut, ce qui s’oppose a priori à la situation au Nunavut. Autour de l’histoire coloniale au Groenland, du choix d’un standard écrit et oral, et du contexte bilingue contemporain, des écrits académiques et quelques données chiffrées sont présentés. Cette perspective plus large permet de réévaluer les conclusions précédentes et d’introduire de nouveaux questionnements. Les données introductives sur le Groenland sont présentées au chapitre qui lui est consacré, le chapitre 7. 8

1.1 L’île de Baffin : présentation de la région à l’étude Cette approche comparative des pratiques doit commencer par un bref historique de l’histoire du contact linguistique dans les régions Sud et Nord de Baffin.

1.1.1 Le Nord et le Sud Baffin La comparaison entre les locuteurs d’Igloolik et d’Iqaluit s’aligne d’abord sur une distinction culturelle entre des groupes voisins, qu’illustre aujourd’hui une différence de dialectes. De la Tchoukotka (en Russie) au Groenland, tous les groupes « esquimaux » (yupiit et inuit) sont liés par l’histoire commune de la dernière vague de migrations de l’Asie vers l’Amérique via le détroit de Béring (Dorais 1996 : 8). La langue inuit proprement dite forme ainsi un continuum de seize dialectes parlés de l’ jusqu’au Groenland. Au Canada se retrouvent les groupes dialectaux dans l’Ouest et inuktitut dans l’Est. Les populations appartenant au sous-groupe dialectal de l’Arctique de l’Est se rattachaient traditionnellement aux regroupements socioculturels suivants :

Inuit du Caribou, ou du Keewatin (côte Ouest et arrière-pays de la baie d’Hudson) Inuit Sallirmiut (île Southampton au nord de la baie d’Hudson; éteints en 1903) Inuit d’Iglulik (baie Repulse, péninsule de Melville, nord de la terre de Baffin) Inuit de Baffin sud (terre de Baffin méridionale) Inuit de l’Ungava ou du Québec (Québec arctique [] et îles adjacentes) Inuit du (côte septentrionale du Labrador terre-neuvien) (Dorais 1996 : 8, je souligne) Chaque regroupement se subdivisait en autant de groupes locaux que les voyageurs en terre de Baffin à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème se sont employés à délimiter dans leurs écrits. À la suite de son séjour en baie de Cumberland et détroit de Davis, Franz Boas (1888) subdivise les Inuit du sud de Baffin en sept bandes. Kemp (1984 : 465) utilise les travaux de Boas et reconstruit une carte de l’occupation inuit au tournant du siècle. L’un de ces groupes, les Nugumiut, se retrouvait autour de la baie de Frobisher (région actuelle d’Iqaluit). Une carte plus récente de la localisation des groupes avant les contacts fréquents avec les Qallunaat (Bennett et Rowley 2004 : 340), produite à partir d’entrevues avec les aînés, situe les Nuvumiut et les Qaumaungarmiut autour de la baie. Quatre camps principaux d’hivernage étaient localisés dans la baie de Frobisher à la fin du 19ème siècle, mais aucun ne se trouvait exactement à l’endroit du présent Iqaluit (Searles 1998 : 55). En 9 ce qui concerne le Nord Baffin, il est important de faire la distinction entre les Iglulingmiut (bande qui occupait l’actuelle région d’Iglulik5) et les Inuit Iglulik, nom générique qui sert à désigner tout le regroupement culturel du Nord de Baffin. Mary-Rousselière (1984 : 431) indique :

The term Iglulik (…) has been used since the Fifth Thule Expedition to designate, besides the Iglulingmiut proper, the Aivilingmiut and the Tununirmiut (including the subgroup Tununirusirmiut). Le territoire des Iglulingmiut s’étend autour de l’île d’Iglulik dans le bassin de Foxe (incluant la péninsule de Melville et la côte de l’île de Baffin). L’île d’Iglulik correspond, par ailleurs, à un pôle d’occupation majeur (Rasing 1994 : 8).

Mais ces distinctions entre bandes locales ou groupes régionaux ne constituent aucunement des catégories ethniques et spatiales hermétiques : les petits groupes familiaux suivaient des cycles de déplacements annuels pour se rassembler à l’hiver, et les échanges (visites mariages, adoptions) entre les bandes voisines du Nord et Sud Baffin étaient fréquents (voir Aporta 2004 et Saladin d’Anglure 1988 pour la région d’Iglulik; pour l’exemple de la région de Clyde River, voir Wenzel 2008).

5 La graphie « Igloolik » est reservée ici à la collectivité (ou au village) qui a été fondée dans les années 1930. La région ou l’île seront désignées par la graphie « Iglulik », qui correspond au standard d’écriture de la langue inuit en alphabet latin. 10

Figure 1. Territoires des Inuit du Nord et du Sud Baffin

1.1.2 Débuts de la dynamique de sédentarisation et de contact linguistique La rencontre avec les baleiniers a débuté dans les années 1820 jusqu’au déclin de la chasse à la baleine à la fin du 19ème siècle. Les baleiniers américains et écossais étaient tout particulièrement actifs dans la baie de Cumberland et le détroit de Davis ainsi que dans la baie et le détroit d’Hudson. À partir de 1851, des baleiniers américains hivernaient dans la baie de Cumberland (QIA 2009), ce qui marque le début d’un contact soutenu, une interdépendance entre Inuit et baleiniers, qui travaillaient ensemble et entretenaient des relations d’échange (Eber 1989 : 12). En raison du développement de cette activité, des 11 stations ou havres baleiniers ont été installés sur le territoire inuit. Ils représentaient des pôles d’attraction pour le rassemblement de populations inuit. Plusieurs de ces stations se trouvaient dans la baie de Cumberland (dont Cape Haven/Singnia à l’extrême nord-est de la baie de Frobisher), à Akuliak près de l’actuel Kimmirut, dans la région de Pond Inlet au nord de la terre de Baffin et au nord-ouest de la baie d’Hudson, de Chesterfield Inlet à Repulse Bay (Eber 1989, QIA 2009). La rencontre linguistique a pris la forme de la création d'un pidgin (langue mixte simplifiée souvent utilisée pour les échanges commerciaux entre des groupes qui parlent des langues différentes), ou de l’apprentissage limité de la langue de l’Autre par les parties en présence (voir Van der Voort 1997). Des dizaines d’années plus tard, au milieu du 20ème siècle, ceux qui avaient été en contact avec les baleiniers pouvaient servir d’interprètes dans la région de Frobisher Bay (d’après l’aîné d’Iqaluit Pallu Nowdlak, Gagnon 2002 : 229). La région d’Iglulik est restée un peu en retrait des dynamiques d’échange, alors que les stations baleinières se sont multipliées dans le Sud de Baffin. Néanmoins, les Iglulingmiut maintenaient un réseau d’échange avec les résidents de Chesterfield Inlet qui étaient en contact direct avec les baleiniers (Rasing 1994 : 15).

Le développement de l’activité missionnaire sur le territoire inuit s’est conformé en partie aux axes de déplacement mis en place par les baleiniers. Deux organisations missionnaires se sont déployées dans l’Arctique : l’organisation protestante britannique Church Missionary Society et l’ordre catholique français des Missionnaires oblats de Marie- Immaculée. En 1894, la première mission anglicane en terre de Baffin est fondée par le révérend Edmund J. Peck à Uummanarjuaq, une station baleinière de la baie de Cumberland. L’influence de la mission couvre tout le sud de l’île de Baffin (Laugrand 2002a : 180) et, dès 1909, une autre mission anglicane est fondée à Kimmirut. Quant à la présence missionnaire catholique elle s’organise surtout à partir du nord-ouest de la baie d’Hudson et de la mission de Chesterfield Inlet fondée en 1912 (Laugrand 2002a : 226). À la différence des baleiniers, les missionnaires ont entrepris d’enseigner l’écriture aux populations, et d’apprendre la langue des Inuit pour faciliter le processus de conversion (voir chapitre 3). 12

La chasse à la baleine a laissé la place au commerce des fourrures au début du 20ème siècle. Les stations baleinières ont alors été remplacées par des comptoirs de traite vers lesquels les Inuit effectuaient des déplacement ponctuels pour vendre leurs fourrures. Le piégeage a favorisé une certaine dispersion des populations qui se trouvaient dans les stations baleinières, en groupes familiaux plus restreints (Eber 1989 : 18). Néanmoins, cette activité a aussi limité le cycle des déplacements, car avec les lignes de piégeage et les voyages pour le commerce, il était possible de rayonner à partir d’un camp central (Rasing 1994 : 65). Au sud de l’île, les comptoirs se multiplieront à partir de l’ouverture de celui de la Hudson’s Bay Company (HBC) à Kimmirut en 1911. Des comptoirs de la HBC ont été établis dans la baie de Frobisher à partir de 1914, celui de Ward Inlet se trouvant à 40 km du présent site de la ville d’Iqaluit (Searles 1998 : 60). Les Iglulingmiut ne disposaient de postes de traite qu’aux extrémités nord et sud de leur territoire : un poste de traite est ouvert à Pond Inlet en 1903 (le poste d’un commerçant indépendant qui sera pris en charge par la HBC en 1921) que les Iglulingmiut visitent immédiatement (Laugrand 2002a : 198) et à Repulse Bay en 1919 (Rasing 1994 : 54).

L’arrivée des baleiniers, des missionnaires et des commerçants de la baie d’Hudson introduisit une dynamique de contacts linguistiques et de changements sociaux et culturels, dans laquelle on doit replacer l’appropriation de l’écriture. Dans le volume d’entrevues avec les aînés Perspectives On Traditional Health, ce contexte est explicité dans une conversation entre les aînées Ilisapi Ootoova de Mittimatalik (Pond Inlet) et Tipuula Qaapik Atagutsiak de Ikpiarjuk (Arctic Bay) :

Ilisapi to Tipuula : […] A missionary was already on board when the first whalers first arrived. The changes that took place were too sudden. We were advised to change our way of life and our way of thinking because there was God, and there was Jesus. We had to grow. We were changed. We had to change our life. Tipuula : Yes, even the things we used everyday changed. Written language arrived. Before then our knowledge was passed down orally. Young people today should be taught by elders, as we are doing with you. Ilisapi : I don’t think we are writing enough of the knowledge we have down. The whalers first arrived around the Pangniqtuuq area and then later went to the Mittimatalik area. It was in the early 1900’s when they arrived in our community. My grandmother was a young woman then, and my mother was not yet born. We were born after the arrival of whalers. (Therrien et Laugrand 2001 : 76-77). 13

1.1.3 La formation des communautés actuelles

1.1.3.1 Igloolik La région d’Iglulik (qui signifie « là où il y a des maisons », ce qui renvoyait aux nombreuses maisons en neige ou en terre regroupées dans un lieu situé au sud de l’île) est particulièrement riche en animaux marins, comme le morse et le phoque. Les Iglulingmiut chassaient en été le caribou à l’intérieur des terres (Rasing 1994). L’endroit où se trouve le village actuel d’Igloolik était autrefois dénommé Ikpiarjuk (Oosten, Laugrand et Rasing 1999 : 85).

Grâce aux différents voyages d’explorateurs dans la région d’Iglulik, on dispose de certaines données démographiques. Le capitaine Parry, qui a hiverné à Iglulik, estime la population sur l’île à environ 155 personnes en 1822 (Rasing 1994 : 8); bien que ce nombre de personnes ait pu être plus important qu’à l’habitude en raison, justement, de la présence du bateau de l’explorateur. Dans le cadre de la cinquième expédition de Thule menée dans les années 1920 par (presqu’un siècle plus tard), et visitent les Iglulingmiut en 1922-1923. Ils estiment la population des camps à environ 150 personnes (Rasing 1994 : 77).

Ces groupes se déplaçaient vers les régions de Pond Inlet au Nord et Naujaat (Repulse Bay) au Sud pour commercer avec les baleiniers ou pour visiter les comptoirs de traite. En raison de l’ouverture tardive d’un poste à Igloolik dans les années 40, ces voyages ont eu lieu pendant toute la première partie du 20ème siècle, comme l’indique Emile Imaruittuq né à Igloolik Point (sur l’île d’Iglulik) en 1934 :

When we were moving camps, we would camp for the night. Iglulik was the last place to have traders. We used to go to Naujaat, Tununirusiq or Mittimatalik to trade furs. We travelled long distance to trade. Sometimes it took over a month to get to the trading post. Sometimes we would trade once a year and, on occasions we would go twice, especially when we were running out of things. They would travel in spring when it was no longer cold and the daylight was long. They would trade for tea, tobacco and sugar and they used to cache some of those items so they could go back for them during the winter. Of course they could cache them very well so animals such as fox would not get at them. They would do a good job of caching the supplies. (Oosten, Laugrand et Rasing 1999 : 80) 14

Emile Imaruittuq est le petit-fils d’Ittuksaarjuat, un leader important autour duquel s’est concentré un large regroupement familial à Avvajja dans les années 1920. D’abord un camp automnal près de l’île d’Iglulik, Avvajja devient un lieu occupé à l’année longue (Vestey 1973 : 69). Ceci amorcera la dynamique de sédentarisation dans la région. Ataguttaaluk, une des femmes d’Ittuksaarjuat, sera un personnage très important de cette société.

Plusieurs Iglulingmiut, dont Ittuksaarjuat et Ataguttaaluk, se sont fait baptiser à la mission de Pond Inlet en 1930-31. Cette conversion au catholicisme crée un foyer catholique à Avvajja, où le père Bazin, un oblat français, commence à s’installer en 1931 (Laugrand 2002b : 240). Toutefois, d’autres groupes iglulingmiut ainsi que le reste du Nord de Baffin sont sous influence de l’anglicanisme. L’installation de la mission catholique, puis d’un poste de traite, aura sans nul doute des conséquences sur la dynamique de sédentarisation et la création du village d’Igloolik au lieu nommé Ikpiarjuk.

C’est en 1931 que le premier Blanc, le Père Émile Bazin O.M.I., un missionnaire français, vint s’installer au sein de ce groupe, dans le camp d’hiver d’Avvajjaq, à quelques kilomètres de l’île même, dans la baie d’Ikpiarjuk (« le petit sac »), plus propice à l’ancrage des bateaux qu’Avvajaq ou que l’ancien camp d’hiver d’Iglulik. Deux ans plus tard, ce fut au tour de la Compagnie de la baie d’Hudson de construire un magasin, non loin de la mission (Laugrand, 2002). (Saladin d’Anglure 2006 : 19). La présence de la Royal Canadian Mounted Police (RCMP) reste ponctuelle puisque depuis 1922, les policiers se contentent d’effectuer des patrouilles dans la région à partir de Pond Inlet.

Dans les années 1930, les camps d’Iglulik sont particulièrement prospères en raison du piégeage du renard arctique et plusieurs familles (de Pond Inlet, Arctic Bay, Repulse Bay et Southampton Island) immigrent dans la région (Vestey 1973 : 97) jusqu’à la mort du patriarche Ittuksaarjuat en 1947 et une nouvelle dispersion de la population.

La présence de la mission catholique et du poste de traite de la HBC (ouvert de 1939 à 1943 puis rouvert en 1947) continuent d’être un pôle d’attraction dans le cycle des déplacements. Dans les années 1940 et 1950 d’autres événements contribueront à attirer les populations des camps environnants vers Igloolik et Hall Beach (plus au sud). Le début de l’éducation formelle dans les années 1950 est un élément majeur de cette dynamique. 15

Jusqu’aux années 1950, les missionnaires catholiques se chargeaient de l’éducation à Igloolik. Emile Imaruittuq explique que les missionnaires enseignaient le syllabique et un peu d’anglais (Oosten, Laugrand et Rasing 1999 : 88). Un pensionnat est ouvert à Chesterfield Inlet en 1955, et plusieurs enfants catholiques d’Igloolik y seront envoyés (Rasing 1994 : 155). Dans les pensionnats, l’usage de la langue inuit était souvent interdit, et la séparation des enfants de leur milieu familial pendant de longs mois aura des conséquences profondes, non seulement sur leur connaissance de la langue inuit, mais aussi sur le processus de socialisation et la transmission des savoirs à partir de cette génération. En 1959, une école fédérale est ouverte à Igloolik et la scolarisation des enfants est un facteur de sédentarisation des familles de la région. Une mission anglicane est finalement fondée la même année dans le village (Laugrand 2002b : 242), où officie un révérend inuit originaire de Pond Inlet, Noah Nasook.

Pendant la même période, une station de la Dew Line (la ligne de radar installée dans l’Arctique pendant la guerre froide) est construite à une cinquantaine de kilomètres au sud d’Igloolik, à Hall Beach/Sanirajaq. Un poste infirmier y est également installé. Au milieu des années 1960, Igloolik et Hall Beach concentrent la population de la région : 229 personnes à Igloolik et 69 à Hall Beach, soit la moitié de la population du bassin de Foxe (Rasing 1994 : 156). À partir du milieu des années 1960, le processus de sédentarisation s’accélère (Vestey 1973 : 178) dans ces deux endroits, notamment en raison de la politique de construction et de location de logements mise en place par le gouvernement fédéral. À l’instigation du prêtre catholique, une coopérative est fondée en 1962 qui prend une place importante dans l’économie locale (Rasing 1994 : 197). Peu après (en 1964), un détachement de la RCMP ouvrira. Avec l’accélération de la sédentarisation, des bâtiments gouvernementaux seront également construits (Damas 2002 : 151).

La migration d’Inuit catholiques ou anglicans contribuera à organiser la population selon une certaine séparation confessionnelle (qui se retrouve dans l’organisation géographique de la ville : un côté est habité par les anglicans, l’autre par les catholiques) et les relations entre les deux groupes (et les deux leaders religieux) resteront tendues jusqu’aux années 1980 (McComber 2008 : 25, Damas 2002 : 197). 16

1.1.3.2 Iqaluit Au début du 20ème siècle, la baie de Frobisher, avec la station baleinière de Cape Haven, ne représente qu’un lieu secondaire de rassemblement des populations dans le Sud de Baffin. La baie de Cumberland et la région de Kimmirut ont, les premières, vu l’ouverture des missions anglicanes (en 1894 et 1909 respectivement), et la multiplication des postes de traite. La région de la baie de Frobisher sera rapidement incluse dans ce maillage de l’évangélisation (Laugrand 2002b) et des lieux de commerce, puisqu'elle se trouvait dans une position centrale entre la baie de Cumberland et le détroit d’Hudson, où les populations étaient dans une situation d’interaction continue avec les Qallunaat. Dès 1914, un des postes de traite de la baie de Frobisher se trouve tout près de l’actuel site d’Iqaluit. L’aîné Simonie Michael situe ainsi le magasin de la HBC : « I think it was about fifty-two miles from Iqaluit. It was in Iqalugaarjuit, where people from here go fishing. » (Gagnon 2002 : 21). Le lieu d’Iqaluit lui-même (qui signifie « les poissons ») n’est connu par les Inuit que pour être un endroit de pêche fructueuse, un lieu de passage (Gagnon 2002 : 1).

Pendant la seconde guerre mondiale, les militaires américains construisent des pistes d’atterrissage pour les avions dans le Nord, afin de créer des ponts aériens plus sûrs vers l’Europe. Dès 1941, ils envoient un contingent à Frobisher Bay (futur Iqaluit) pour construire une de ces pistes d’atterrissage. Les américains ont choisi cet endroit grâce à leur guide, Nakasuk, un Inuk de la baie de Frobisher. Anugaaq Arnaqquq, un aîné d’Iqaluit, décrit le début du camp militaire et la contribution de Nakasuk :

I can say that [Nakasuk] he didn’t speak English. He had never been to school. When he was asked to work, he accepted immediately. He couldn’t converse with them. I can’t remember how long he worked. I never heard anyone say that he was not liked, but I also never heard anyone say what an exceptional worker he was. He probably tried to do his best although he didn’t know any English. He was the first Inuk that worked for the Americans. I can say that they didn’t have any objection to this. Although I never spent time with him, I saw him when I was young. I can tell you that setting up a camp is not easy. These Americans wanted to set up a camp in the north. There was nothing. There were no trees. It was dark. There were blizzards. There was nothing in place at all. I am in awe of how he helped those qallunaat set up camp there. I once asked Sammy whether he remembered the time they came to Iqaluit and set up the camp. He was quite young but I thought he was old enough to remember. He said that he didn’t remember. (Gagnon 2002 : 47). 17

Au début, les Inuit ne viennent travailler à la base que l’été, pour finalement s’y installer à l’année longue (Gagnon 2002 : 238). Le rassemblement de population que cela entraîne pousse la Compagnie de la Baie d’Hudson à y déménager en 1949 le comptoir de traite situé à proximité. La population augmentera nettement dans les années 1950, quand le gouvernement fédéral installe des bureaux régionaux à Frobisher Bay et construit des logements pour les Inuit à Apex Hill (aujourd’hui Apex, un quartier de la ville) (Gagnon 2002 : 1).

Le gouvernement canadien achètera la base américaine après la guerre. Cependant, avec la période de la guerre froide, militaires américains et canadiens sont amenés à rester en territoire inuit pour concevoir un système de ligne radar et prévenir une éventuelle invasion russe en Amérique du Nord. Ce système de radar ou Dew Line aura un relais à Iqaluit.

Les familles qui viennent s’installer à Iqaluit sont pour la plupart originaires de Kimmirut, Cape Dorset et Pangnirtung (Honigmann et Honigmann 1965 : 95), mais certains migrants arrivent de régions bien plus éloignées. Une explosion démographique de la ville a lieu autour de 1960 :

Between 1956 and 1963 the Inuit population of Iqaluit grew from three hundred to more than nine hundred, almost entirely from immigration from outlying settlements, including Lake Harbour, which lost 200 inhabitants in a three year period. In this brief period, Iqaluit (then called Frobisher Bay) became the largest settlement on Baffin Island. (Searles 1998 : 68). Les raisons de la migration vers ce nouveau centre semblent être multiples (emplois disponibles, habitations construites, aide sociale, etc.), mais selon Damas (2002 : 141), les liens parentaux avec des Inuit déjà installés à Frobisher Bay représentent une raison majeure des déplacements. Le témoignage de Oolooriaq Ineak est particulièrement révélateur :

We always went back and forth from our camp when Akisuk was not working. After the government arrived we stayed here for good. We also moved here because we were going to be alone in our camp, as everybody else was moving. (Gagnon 2002 : 193) Dès le départ, la population d’Iqaluit est donc confrontée à la différence de dialectes entre les groupes puisqu’elle croît grâce aux migrations inuit. Elle sera aussi confrontée à la coexistence de deux langues puisque la présence des anglophones est antérieure au 18 développement du village. Cependant, pour les femmes, les contacts avec les Qallunaat restent sévèrement encadrés par les autorités américaines puis canadiennes (Gagnon 2002).

Jusqu’à la construction de l’école, même les hommes qui travaillaient régulièrement pour les Qallunaat avaient une connaissance limitée de l’anglais par manque d’interaction; comme l’explique Akisu Joamie qui travaillait dans la cuisine de la base militaire américaine :

We were not really able to communicate. We did understand a little bit. When we started working a tour job, we learned what it was we had to do. We didn’t communicate through language very much, but we were able to understand a little. We did not communicate much with them. We just did our job. (Gagnon 2002 : 235) Après la seconde guerre mondiale, la politique d’assimilation mise en place par le gouvernement fédéral accélère le processus de sédentarisation. À Frobisher Bay, comme dans d’autres villages de l’Arctique de l’Est, une petite minorité qallunaat (environ 15% à la fin des années 1960, selon Paine 1977 : 5) exerce un pouvoir de tutelle (au nom du gouvernement fédéral) sur les affaires d’une population majoritairement inuit. Commence alors une relation inégale entre les langues comme l’illustre ce compte-rendu publié au milieu des années 1960 :

Although a number of have learned some English, very few speak it readily. Most Eurocanadians don’t trouble or haven’t managed to learn to speak . A small private class, conducted regularly during our sojourn, but had few students. Modern teaching aids, like tapes, are unavailable. English classes for adult Eskimos have been tried, but none meets currently. English is dominant over Eskimo in the sense that Eurocanadians make little move to speak Eskimo, relying on interpreters if necessary, whereas Eskimos – realists that they are – will more likely try to speak the other language. The most successful English speakers among the Eskimos are school children and young people. Not surprisingly, most firm friendships between ethnic groups also occur between young people. Here and there an Eskimo of the older generation reveals a surprising knowledge of English learned several years ago in a job. (Honigmann et Honigmann 1965 : 123). Cette relation inégale et le sentiment de perte de contrôle des Iqalummiut sur les décisions qui affectent leur vie (Gagnon 2002 : 333) se concrétiseront dans l’installation des écoles fédérales, sans consultation avec les familles (Brody 1975 : 189). Une école primaire est ouverte à Apex en 1955, et un extrait de l’histoire de l’école cité dans Honigmann et 19

Honigmann (1965 : 186) est révélateur de l’entreprise d’assimilation linguistique, et du rôle attribué à l’écriture dans ce contexte. L’extrait est daté de 1957 :

People charged with administrating or teaching the Eskimos should avoid speaking Eskimo simply because they liked doing so, for in doing that they could do the people a lasting disservice and jeopardize the whole educational set-up. Some day English would probably be universal in the Arctic; hence, if the Eskimos did not learn it now, they would be severely handicapped. Let teachers use every reasonable opportunity to allow the Eskimos to hear English and let them also develop Eskimos’ ability to speak English. On the other hand, the Eskimo language should be preserved, even though it had never given birth to a literature and probably never would. In January, 1957, the school- community Library began, aided by a generous flow of discarded and duplicate books from college libraries. En 1959, une deuxième école est ouverte à côté de la base militaire à Iqaluit. L’enseignement du syllabique est exclu de l’école (dont la langue d’enseignement est l’anglais) et limité aux classes de catéchisme. En 1971, c’est au tour d’une école secondaire d’ouvrir dans la ville. Les parents des communautés qui ne possèdent pas d’école secondaire (l’école d’Iqaluit est la seule école secondaire de la région, Dorais 1996 : 245) restent cependant réticents à l’idée d’envoyer leurs enfants à Frobisher Bay car la ville devient réputée pour ses problèmes sociaux et l’abus de drogue (Paine 1977 : 38).

À partir de 1966, le transfert de responsabilités et de pouvoir du gouvernement fédéral aux Territoires du Nord-Ouest entraîne une séparation administrative entre régions de l’Arctique de l’Est et de l’Ouest des T N-O. La ville d’Iqaluit devient le centre administratif de l’Arctique de l’Est. Néanmoins, la mise en place d’un gouvernement territorial ne s’accompagne pas d’un plus grand pouvoir décisionnel pour les Inuit, et les emplois dans l’administration et le gouvernement restent sous la coupe de la minorité euro-canadienne (Ibid. : 37). À ceci s’ajoute l’effet délétère de programmes et d’institutions importés du Sud, financés par le gouvernement et contrôlés par une minorité qallunaat, qui font obstacle à toute recherche d’autonomie et visent, comme le système éducatif, à reproduire un modèle de vie non autochtone. Paine définit cet immobilisme comme un nouveau type de colonialisme, avec le concept de « welfare colonialism » (Ibid.).

Aussi bien à Iqaluit qu’à Igloolik, la croissance des communautés implique l’installation graduelle d’Inuit qui occupaient souvent des camps aux alentours. Cependant, elle 20 n’indique pas un arrêt des activités sur le territoire. Dans les années 1960, les résidents inuit d’Iqaluit mélangent activités salariées et activités de chasse et de pêche hors de la ville en fonction des choix qui s’offrent à eux (Honigmann et Honigmann 1965). Les Iglulingmiut continuent à vivre très majoritairement de la chasse dans les années 1960 (Damas 2002 : 150).

L’installation d'écoles dans les deux communautés introduira un changement majeur dans les pratiques linguistiques : les jeunes générations scolarisées sont bilingues et écrivent l’anglais, elles accèdent plus facilement aux emplois salariés. En même temps, ce groupe est la première génération née dans les communautés, éduquée selon un programme d’enseignement qallunaat, tout en devant faire face à des opportunités d’emplois limitées (Rasing 1994 : 201).

1.1.4 Création du Nunavut et choix de sa capitale Après la seconde guerre mondiale, dans le cadre de la politique d’assimilation et de « civilisation », les enfants fréquentent l’école fédérale ou les pensionnats en anglais. Parmi cette génération qui maîtrise très bien la langue anglaise, des leaders émergent et remettent en cause la situation de colonialisme interne qui prévaut dans le Nord6. Originaire du delta du Mackenzie, Abe Okpik, qui s’installe dans les années 1960 à Frobisher Bay, devient le premier député inuk à l’Assemblée Législative des Territoires du Nord-Ouest (les Inuit n’obtiennent le droit de vote pour élections fédérales qu’en 1954, et territoriales en 1966, McComber 2005). Tagak Curley (de ), John Amagoalik (qui fait partie des familles d’Inukjuak relocalisées par le gouvernement à Resolute Bay), Paul Quassa et James Arvaluk (nés dans la région d’Igloolik) ainsi que (de Chesterfield Inlet) ont tous fréquenté des pensionnats, l’école secondaire d’Iqaluit ou des écoles et des universités dans les villes du sud du Canada. Ces figures politiques ont porté les revendications des Inuit de l’Arctique de l’Est aux instances fédérales et territoriales à partir du début des années 1970, dans un contexte de mobilisation autochtone contre l’exploitation des ressources naturelles du sol et des traités territoriaux modernes négociés en Alaska et dans l’Arctique de l’Ouest. En 1971 est fondée l’organisation Inuit Tapirisat of 21

Canada (aujourd’hui ), afin de faire avancer les revendications inuit au pays. En 1976, la première proposition de création du territoire du Nunavut émane d’ITC. Après la création d’une autre organisation par les Inuit du futur Nunavut en 1982 (Tungavik Federation of Nunavut, aujourd’hui Nunavut Tunngavik Inc.), et de longues négociations, un accord de principe est finalement signé avec le gouvernement en 1990 à Igloolik (car Paul Quassa, originaire d’Igloolik, est alors président de TFN).

En 1995 la ville de Frobisher Bay, qui a retrouvé son nom inuit d’Iqaluit, devient par référendum la future capitale du territoire du Nunavut (le territoire deviendra réalité le 1er avril 1999). John Amagoalik explique l’issue du vote :

We were determined to make sure that all the people of Nunavut were involved in choosing the capital, so we had a public vote. Population wise, the vote leaned toward Baffin because half the population of Nunavut lives in Baffin. But put up a good campaign. There were some hard feelings at the time, but they disappeared very quickly and people accepted the choice of Iqaluit as the capital. It has been accepted. (McComber 2007 : 129) Les trois régions administratives des anciens Territoires du Nord-Ouest qui forment aujourd’hui le Nunavut n’ont été que légèrement modifiées avec la création du nouveau territoire. Les régions Kitikmeot et Kivalliq se trouvent à l’ouest du territoire. L’île de Baffin, la péninsule de Melville et les îles Devon et Ellesmere représentent la majorité du territoire de la région de Baffin ou région Qikiqtaaluk. Iqaluit et Igloolik se situent dans cette unité administrative.

1.1.5 Aspect et envergure contemporains Iqaluit est donc aujourd’hui la capitale du Nunavut, le siège de l’Assemblée législative. Il s’agit d’une ville en croissance constante, et ce non seulement sur le plan économique : la population a augmenté de 24 % de 1996 à 2001 et de 18% entre 2001 et 2006 (Statistique Canada 2001, 2006a). La création du nouveau territoire a accéléré le processus de migration vers Iqaluit, que ce soit à partir d’autres communautés du Nord, ou bien à partir du Sud du Canada. La présence des Qallunaat y est conséquente et seulement 49 % de la population a l’inuktitut comme langue maternelle. Outre les anglophones, une petite

6 Des biographies de ces figures politiques inuit ont été publiées par le Collège de l’Arctique du Nunavut, 22 communauté de francophones habite également dans la capitale. C’est une ville d’environ 6200 habitants où l’on peut mener si l’on veut une vie semblable à celle des résidents des petites villes du « Sud » du Canada. On y entend beaucoup parler l’anglais qui reste la langue de communication principale, la lingua franca, et fait le lien entre les différentes communautés linguistiques. Malgré ce caractère urbain, il est évident qu’Iqaluit reste une localité de l’Arctique et qu’il ne faut pas s’aventurer loin pour s’éloigner des maisons et des nouvelles « banlieues » et sentir le paysage s’ouvrir sur les terrains de chasse et de pêche, bien que beaucoup de résidents, menant une vie salariée, aient peu l’occasion de sortir de la ville.

La communauté d’Igloolik compte aujourd’hui 1600 habitants et, en hiver, le trafic automobile d’Iqaluit y est remplacé par un ballet de motoneiges. Les résidents de la communauté ont, semble-t-il, davantage d’occasions de s’engager dans des activités traditionnelles que ceux de la capitale. Tous cherchent une occasion pour sortir quelque temps de la communauté et chasser, chercher de la glace pour disposer d’eau fraîche, aller visiter des cousins dans des communautés comme Sanirajaq/Hall Beach, à quelques petites heures de distance. La langue inuit s’entend partout et la communauté des Qallunaat est très modeste; ce sont pour la plupart des enseignants ou des infirmières.

Les deux localités se trouvent au bord de la mer, Iqaluit sur la baie de Frobisher, et Igloolik sur une petite île près de la péninsule de Melville, à 800 km au nord-ouest. Leur aspect n’est cependant pas similaire, car quartiers et infrastructures sont à la mesure du nombre de résidents.

Le centre d’Iqaluit est formé par la rue principale et le carrefour baptisé « Four Corners ». On y trouve l’Assemblée législative et les deux supermarchés. A l’ouest de la ville a été construit l’aéroport (l’avion et le bateau sont les seuls moyens de transport vers le sud du Canada). A l’est, la communauté d’Apex, ancienne communauté inuit à l’époque de la base militaire, est aujourd’hui un quartier de la ville, bien que séparé physiquement par une colline. Les différents quartiers s’organisent en demi-cercle étagé face à la baie et les nouvelles constructions résidentielles qui deviennent nécessaires en raison de

dans une série en cinq volumes intitulée Life Stories of Northern Leaders. 23 l’augmentation de la population se situent en hauteur, ou aux périphéries ouest et est de l’agglomération. Une différenciation socioéconomique est perceptible entre certains quartiers. Entre mon premier et mon dernier voyage à Iqaluit, seulement trois ans se sont écoulés. Pourtant, pendant ce laps de temps, la ville a physiquement changé : de nouveaux bâtiments et maisons ont été sans cesse construits.

Iqaluit dispose de toutes les infrastructures d’une petite ville et d’un centre territorial : que ce soit dans le domaine politique (Assemblée législative, bâtiments gouvernementaux et municipaux), de la santé (un hôpital), de la justice (cours de justice, petit centre pénitentiaire) ou de la culture et des divertissements (un cinéma, un gymnase, une bibliothèque et un musée, plusieurs restaurants et hôtels, quelques cafés…).

À Igloolik, il n’existe pas vraiment de quartiers, mais certains groupes de constructions plus nouvelles sont désignés par leurs résidents, tel le « Teachers’ Ghetto ». Les bureaux de la municipalité et du gouvernement du Nunavut se trouvent dans le centre de la communauté. Deux supermarchés offrent leurs produits aux habitants, la Coopérative et le Northern Store, un peu plus petit. Dans le domaine de la santé, les résidents disposent d’une clinique (Health Centre) mais les patientes sur le point d’accoucher ou les malades avec des pathologies lourdes doivent se rendre à Iqaluit ou dans une ville du sud du Canada. Quant aux lieux de rencontre et sources de divertissement, de nombreuses fêtes se déroulent dans le hall communautaire. Le gymnase de l’école secondaire abrite parfois des projections cinématographiques, des activités ou cérémonies particulières. Les jeunes peuvent également devenir membres de la troupe de cirque Artcirq. Celle-ci connaît un succès important et s’est produite dans la communauté bien sûr mais aussi à Iqaluit, à Montréal, à Puvirnituq et au Mali, pour ne citer que quelques-unes de ses destinations. De plus, il existe un hôtel privé et un hôtel coopératif / restaurant de fast food.

Dans le domaine de l’éducation, on retrouve à Iqaluit trois écoles primaire (écoles Nakasuk et Joamie et école Nanook à Apex), deux écoles secondaires (Aqsaarnit Ilinniarvik/Aqsaarnit Middle School et Inukshuk High School), une école francophone (École des Trois-Soleils) et un établissement postsecondaire (le Collège de l’Arctique du Nunavut). Les jeunes enfants peuvent également aller à la crèche. Igloolik dispose de deux écoles, l’école primaire et l’école secondaire (Ataguttaaluk Elementary School et High 24

School), et d’un petit centre du Collège de l’Arctique du Nunavut mais il n’y a pas de garderie ou de jardin d’enfants.

La pratique religieuse dans les différentes communautés s’organise autour de trois Églises principales : anglicane, catholique et pentecôtiste. La congrégation la plus importante à Iqaluit est anglicane. À Igloolik, l’histoire particulière de peuplement entraîne un certain équilibre entre anglicans et catholiques, bien que les rassemblements catholiques, pendant mon séjour, aient été plus importants. La présence de l’Église pentecôtiste est plus récente dans les deux sites mais celle-ci compte, en dépit de cette implantation plus tardive, de nombreux adeptes. Sa popularité se manifeste dans le succès de certains événements telle la semaine de Bible Study qui a lieu chaque année dans différentes communautés et qui s’est déroulée à Igloolik pendant mon séjour (2007).

1.1.6 Centre politico-économique vs centre culturel? Bien qu’Igloolik soit une communauté plus modeste que la capitale, elle a également le statut de centre régional. Il s’agit de la quatrième communauté du Nunavut et de la seconde après Iqaluit dans la région de Baffin. Le processus de décentralisation entrepris par le Gouvernement du Nunavut a permis la création de nouveaux emplois à Igloolik, la plupart au sein de la division de la gestion de la faune du ministère du développement durable. Cette décentralisation a essuyé de nombreuses critiques car les emplois concernés nécessitent des qualifications techniques particulières, et il est difficile de trouver des candidats locaux pour les combler (Bell 2002); ce qui est évidemment contraire aux objectifs de la décentralisation. De 2001 à 2006, Igloolik a connu une croissance soutenue de l’offre d’emploi (36% d’augmentation) mais le taux d’emploi des résidents reste très bas, autour de 43% (Nunavut Bureau of Statistics 2008b), alors qu’Iqaluit affiche un taux de 72%.

Le nombre limité d’emplois disponibles à Igloolik est un problème d’autant plus critique que la population y est très jeune : 40 % de la population a moins de 15 ans, contre 25% dans la capitale (au Nunavut 33% des résidents ont moins de 15 ans, contre 17% pour le reste du pays). 25

Igloolik est cependant le siège d’une entreprise culturelle célèbre, Igloolik Isuma Productions qui produit une vaste gamme de longs et courts métrages, documentaires, programmes télévisés, etc. Elle a à son palmarès des films comme « Atarnajuat, le coureur rapide », récipiendaire de la palme d’or au festival de Cannes en 2001, et, plus récemment « Le Journal de Knud Rasmussen ». On peut ainsi rencontrer ses acteurs talentueux à l’épicerie ou dans la rue… L’Inullarit Elders Society est également un moteur de la vie culturelle de la communauté. Elle est à l’origine de l’ « Oral History Project » mis en place dans les années 1980 pour recueillir les savoirs des aînés et les préserver. Outre cette diversité d’activités culturelles, l’abondance d’animaux marins autour d’Igloolik stimule un petit marché de chasse sportive et de tourisme.

Iqaluit, de son côté, revendique sans aucun doute le titre de centre politique du territoire. En plus de l’Assemblée Législative on retrouve d’autres organisations : Nunavut Tunngavik Incorporated qui représente les intérêts des bénéficiaires de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, le bureau régional du Nunavut d’Affaires indiennes et du Nord Canada ainsi que la Qikiqtani Inuit Association qui s’occupe des intérêts des Inuit de la région de Baffin. Des organismes culturels ont également leur siège dans la ville comme l’Inuit Heritage Trust qui développe des projets archéologiques ou topographiques.

Ainsi, malgré la volonté de décentralisation vers de plus petites communautés, il est évident que la capitale concentre les ressources et les activités. Igloolik possède cependant ce statut assez particulier que lui donne son rayonnement et ses réussites dans le domaine culturel.

1.2 Méthodologie

1.2.1 Le milieu de recherche à Igloolik, Iqaluit et au Nunavut L’histoire récente du contact entre Inuit et Qallunaat dans la région d’Igloolik a été le moteur d’une fascination pour les chercheurs qui y ont entrepris des activités continues, et ont construit leur vision de la communauté autour des concepts d’authenticité et de tradition (Wachowich 2006). Aujourd’hui, Igloolik continue d’accueillir régulièrement les chercheurs et chercheures, étudiants et étudiantes. Un bureau de l’Institut de recherche du Nunavut s’y trouve. Il a notamment pour rôle d’enrichir et de gérer la base de données de 26 l’Oral History Project et de coordonner les activités du centre de recherche en gestion de la faune. Le siège principal de l’Institut de recherche du Nunavut est à Iqaluit. La capitale attire également les chercheurs comme base de beaucoup de projets. Une des raisons pratiques de cet état de fait réside dans la facilité d’accès d’Iqaluit par rapport au coût assez dissuasif des voyages vers d’autres communautés du Nunavut.

La recherche en sciences sociales au Nunavut doit prendre en compte l’influence des questions de gouvernance sur les processus d’expression de l’identité (Searles 2006). Wachowich (2006 : 336) remarque pour sa part que l’on ne peut totalement s’abstraire de la sphère politique quand on mène une recherche en sciences sociales dans l’Arctique canadien. Le bien fondé de ces deux mises en garde s’est largement vérifié au cours de ce projet. L’approche ethnographique, qui se penche sur le quotidien, a permis la reconstruction de la problématique dense et passionnante de la gouvernance à partir d’expériences individuelles. Pendant ces quelques années de recherche, l’élaboration et le vote d’un nouvel appareil législatif dans le domaine linguistique se sont superposés à la collecte de données ethnographiques avant de s’inviter dans le processus d’analyse.

D’un autre côté, il va sans dire que ce contexte particulier a entraîné des défis à relever. Les débuts de la recherche et de la réalisation d’entrevues ont buté sur la question de l’affirmation identitaire et sur la façon de privilégier et de susciter, notamment dans les entrevues, des réflexions plus concrètes sur les pratiques quotidiennes. L’observation participante a tenté de pallier cette lacune et a éclairé certaines attitudes. Deux limites importantes à ce travail de clarification idéologique ont été le fait de mener cette recherche la plupart du temps en anglais, ainsi que des visites dans le Nord relativement brèves (trois mois) qui se sont conformées à un modèle de vie temporaire dans l’Arctique, privilégié par les Qallunaat. D’une façon ou d’une autre ces limites semblent avoir été plus pesantes à Iqaluit qu’à Igloolik en raison du contexte plus politisé de la capitale. De plus, bien que j’aie passé moitié moins de temps à Igloolik, j’ai pu participer plus largement aux activités sociales et culturelles de la communauté inuit. Ceci s’explique, il me semble, à la fois par le plus grand nombre de Qallunaat à Iqaluit et par la facilité de s’insérer dans le tissu social d’une toute petite communauté. 27

S’insérer dans un tissu social constitue une partie du travail de terrain, le sous-terrain (Abélès 2002) qui débouche finalement sur de l’observation participante. Pendant ces périodes de « collecte de données » dans les communautés (un travail ethnographique difficile à clairement identifier et expliciter), cette articulation ne m’est pas apparue de façon naturelle, et il n’a pas toujours été facile de maintenir ma concentration sur la recherche. Dewalt et Dewalt (1998 : 273) définissent l’observation participante comme inévitablement non éthique, dans la mesure où elle entraîne une certaine fausseté dans les interactions. Il est particulièrement intéressant de voir cependant comment l’expérience des résidents d’Iqaluit comme d’Igloolik à participer à des recherches et interagir avec des chercheurs réduit dramatiquement le non-dit qu’implique l’observation participante : les processus de recherche sont bien connus et les critiques sur les méthodes et objectifs comme l’intérêt pour certains résultats jouent un rôle dans la construction du projet.

Au-delà de ce contexte particulier où les participants au projet de recherche d’une étudiante ont souvent plus d’expérience qu'elle dans le domaine, c’est au sujet de l’impératif de diffusion des résultats (Inuit Tapiriit Kanatami et Nunavut Research Institute 2006 : 4, ACUNS 2003) que le milieu de la recherche au Nunavut est particulièrement formateur. Dès l’étape de la demande des permis d’éthique, un répondant de l’Institut de Recherche du Nunavut à Igloolik chargé d’étudier ce projet a souligné l’importance de diffuser les résultats futurs aux principaux concernés. L’intérêt du projet pour la communauté ne se validera que par un travail de diffusion adéquat. Malheureusement, cette étape de diffusion qui va au-delà des publications dans des revues académiques n’en est qu’à ses débuts (voir l’élaboration d’une synthèse des résultats en forme d’affiche à l’Annexe 1) et ne pourra pas être décrite ici. Elle devrait prendre, par exemple, la forme de participations dans des rencontres sur l’application des lois linguistiques organisées au Nunavut au début de 2010.

1.2.2 Entrevues La collecte des données a été effectuée en trois phases successives, de 2005 à 2007. Les voyages en tant que tels ont été entrepris après avoir obtenu les certificats d’éthique et les fonds nécessaires. Chaque période de recherche sur le terrain a été approuvée par l’Institut de recherche du Nunavut et le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval. D’un 28 point de vue logistique, l’approbation de la recherche par l’Institut de recherche du Nunavut permet d’avoir accès à des hébergements particuliers, comme la possibilité de séjourner à la résidence universitaire du Collège de l’Arctique du Nunavut à Iqaluit. Ceci a été crucial pour le bon déroulement du travail de terrain. La collecte de données, dans le cadre des entrevues semi-dirigées, a suivi du début à la fin le principe d’anonymat des répondants. Bien que ce choix soit commun dans ce type de recherche, il peut être discutable. Une minorité de répondants ont déclaré qu’il leur importait peu d’être identifiés, et dans le cas des aînés, une entrevue peut être le moyen de partager des pensées et souvenirs en leur nom. Au contraire, dans certains cas, des répondants ont clairement approuvé le choix de l’anonymat.

La première phase de collecte de données sur le terrain a été menée du 9 juin au 31 août 2005. Il s’agissait d’une étape préliminaire de recherche. J’ai effectué neuf entrevues avec des résidents d’Iqaluit qui parlaient et écrivaient l’inuktitut, trois femmes et six hommes, l’âge moyen des personnes étant de 34 ans. Ces entrevues couvraient cinq thèmes principaux : pratiques individuelles de l’écriture, éducation, perspectives sur les pratiques des aînés et des jeunes, valeurs concernant l’écriture et l’oralité et enfin l’écriture et l’identité inuit. Les entrevues ont été effectuées en anglais. Pour compléter ces entrevues semi-dirigées, six entrevues informelles ont aussi été effectuées avec des employés gouvernementaux ou des personnes importantes de la communauté qui travaillaient sur ces questions linguistiques, notamment au Ministère de la Culture, de la Langue, des Aînés et de la Jeunesse, au Conseil d’Alphabétisation du Nunavut7 ou au Centre Pirurvik8. Enfin, j’ai consulté plusieurs documents sur les versions préliminaires des nouvelles lois linguistiques du Nunavut, à la bibliothèque de l’Assemblée législative.

Après cette première expérience de terrain, mon second voyage à Iqaluit, du 4 au 19 juin 2006, m’a permis de compléter ces premières données. J’ai notamment effectué des entrevues avec des aînés, ce que je n’avais pas pu réaliser durant mon premier séjour. Ces entrevues ont été réalisées en inuktitut, la présence d’un interprète étant ainsi nécessaire.

7 Des entrevues téléphoniques ont été nécessaires, car il n’y avait pas pendant mon séjour d’employées basées à Iqaluit. 29

J’ai à nouveau effectué neuf entrevues avec des résidents d’Iqaluit, en adaptant le premier questionnaire que j’avais utilisé l’année précédente pour enrichir les données déjà récoltées. Ce groupe de personnes comprenait huit femmes et un homme, pour un âge moyen de 40 ans. J’ai profité de mon retour pour effectuer des entrevues informelles de suivi avec des personnes déjà contactées l’année précédente. Quelques autres entrevues informelles ont été réalisées, notamment à la Qikiqtani Inuit Association, à Inuit Heritage Trust, au Bureau du Commissaire aux langues du Nunavut, et enfin au Centre d’alphabétisation pour adultes du Collège de l’Arctique du Nunavut.

Pour la troisième partie de mon travail de terrain, j’ai vécu du 14 mars au 18 juin 2007 dans la communauté d’Igloolik. J’y ai effectué des entrevues avec onze résidents, en reprenant de façon générale le questionnaire utilisé durant mes deux visites à Iqaluit. De ces 11 personnes, six étaient des hommes et cinq des femmes, pour un âge moyen de 47 ans. Quatre entrevues informelles ont également été réalisées avec des membres importants de la communauté notamment à la municipalité et au campus du Collège de l’Arctique du Nunavut.

Pour recruter les participants aux entrevues semi-dirigées, je n’ai pas effectué d’échantillonnage dès le départ. C’est à des personnes appartenant à mon réseau social, ainsi qu’à leurs connaissances, que j’ai proposé de participer à des entrevues. Au fil de la récolte de données, j’ai rectifié le recrutement afin de disposer d’un nombre équilibré d’entrevues avec des hommes et des femmes ainsi qu’avec des personnes appartenant à différentes générations. Le statut professionnel des personnes est resté assez varié. Comme il est d’usage au Nunavut, un dédommagement financier était offert notamment pour les entrevues avec des aînés. Ce mode de recrutement ainsi que la quantité limitée d’entrevues demandent une clarification : je ne dispose pas de données statistiquement représentatives, mais d’une somme d’expériences individuelles assez diversifiée pour fournir un portrait intéressant et ouvert des pratiques linguistiques.

8 Depuis 2003, cette entreprise basée à Iqaluit a développé de nombreux projets innovants autour de la langue et la culture inuit, tels des outils informatiques ou des cours de langue. Le site Internet du centre donne un aperçu des différentes initiatives actuelles : www.pirurvik.ca. 30

1.2.3 Observation participante En ce qui concerne l’observation participante, elle s’est surtout concentrée pendant la première étape de mon travail à Iqaluit sur les pratiques des jeunes, car mon domicile à la résidence universitaire facilitait particulièrement mes échanges avec cette génération de locuteurs. Ceci m’a permis de porter, très tôt dans la recherche, une attention toute particulière au domaine de l’Internet. La collecte de données a également débuté par un recensement systématique de tous les écrits en langue inuit observés dans l’espace public de la communauté, et de manière plus informelle, dans l’espace privé. J’ai pu occuper un petit emploi temporaire qui m’a permis de compléter cette ébauche générale en observant les pratiques de l’écriture dans des milieux professionnels. Enfin, les activités exceptionnelles comme le festival Alianait!, un festival artistique qui rassemble les différentes communautés de la ville, m’ont offert des pistes de réflexion sur l’expression de l’identité urbaine dans un contexte multiculturel et multilingue. Alianait! est un projet initié par l’Association des francophones du Nunavut. La communauté francophone de la capitale est très active culturellement, et organise des événements en lien avec la promotion de la culture et la langue inuit. En tant que minorité linguistique, elle est relativement bien lotie en raison de la politique de bilinguisme officiel au niveau du pays (par exemple, elle a pu construire une école à Iqaluit avec un programme d’immersion en langue française). Ces acquis représentent un modèle à suivre pour les locuteurs de la langue inuit tout en suscitant souvent un sentiment d’incompréhension, puisque les droits linguistiques inuit ne sont pas reconnus de la même façon par le gouvernement fédéral.

Mon second séjour à Iqaluit a eu lieu au printemps, saison du célèbre festival Toonik Tymes qui propose des jeux traditionnels, des concours et des événements artistiques. Aux pistes de recherche soulevées l’année précédente, s’est ajoutée la question de la transmission des savoirs que j’ai pu expérimenter (à une petite échelle) grâce à des cours de couture de vêtements traditionnels donnés par une aînée d’Iqaluit. Il a été possible, avec une activité qui m’est familière, de prendre conscience des écarts possibles entre les modes d’enseignement et la verbalisation, d’une culture à l’autre.

À Igloolik, j’ai poursuivi cette dans le domaine des connaissances féminines en suivant un atelier communautaire de couture et en apprenant avec une amie la technique du 31 perlage (beading). Mon séjour à Igloolik était particulièrement intéressant par rapport à ce que j’avais vécu à Iqaluit, car il était bien plus facile d’y prendre part aux activités quotidiennes de familles inuit. Ceci a enrichi mon expérience de vie dans la communauté et m’a confortée dans le choix d’entreprendre un travail comparatif et de ne pas me restreindre à la capitale. Ma connaissance de la langue inuit, bien que toujours faible, s’est beaucoup améliorée pendant ces trois mois à Igloolik. J’ai également pu recenser de façon plus approfondie les écrits en langue inuit présents dans l’espace privé.

Les événements spéciaux pendant mon court séjour de trois mois se sont déroulés à un rythme soutenu. Une course de traîneaux à chiens est partie d’Igloolik (le Nunavut Quest Dog Team Race) et a été le prétexte de fêtes et activités pour la communauté, tout comme une autre expédition en traîneaux à chiens qui visait à conscientiser le public sur les changements climatiques et qui a amené des personnalités connues dans le village. L’atmosphère de ces rassemblements se démarquait des fêtes de la capitale, ce qui a nourri mes réflexions sur la différence entre identité urbaine et communautaire.

Mes expériences sur le territoire ont pris place autour d’Igloolik. J’ai notamment fait de courts voyages en motoneige avec des amies, un voyage plus long qui nous a amenées à passer quelques jours à Sanirajaq (un village voisin), et j’ai campé avec une famille inuit au début du printemps.

Une quatrième phase de terrain, plus inattendue, est toujours en cours aujourd’hui. J’ai commencé à participer à des échanges virtuels écrits avec des amis du Nunavut dès mon premier séjour à Iqaluit. Ces échanges me permettent de rester en contact avec ces personnes, tout en me montrant les choix qu’effectuent les locuteurs bilingues dans des nouveaux domaines d’utilisation des langues. Le bon déroulement de ma recherche doit beaucoup à ces amis avec lesquels je reste en contact. Ils ont appuyé mes démarches, que ce soit en me permettant de rencontrer des personnes intéressantes pour des entrevues, en acceptant de se charger du travail de traduction ou en me donnant des avis importants sur mes impressions ou mes questionnements. Les échanges virtuels permettent ainsi finalement de continuer à réfléchir sur ce travail de terrain, sans que je sois complètement déconnectée des personnes qui y ont largement contribué. 32

Enfin, des archives personnelles de mon séjour sur le terrain se sont peu à peu constituées, fruits de l’observation participante et de rencontres quotidiennes. Il s’agit d’un ensemble hétéroclite de dessins d’enfants, petits mots, notes, messagerie instantanée électronique qui m’étaient adressés pendant mes séjours au Nunavut. Ils illustrent une large gamme d’échanges et permettent de mieux comprendre certaines dimensions des pratiques communicatives, notamment entre Inuit et Qallunaat.

1.2.4 Démarche comparative et ethnographie Il n’est pas pertinent ici de séparer strictement deux groupes de données selon leur provenance géographique. Ces deux terrains ouvrent selon moi des perspectives complémentaires sur les questions à l’étude. Le caractère qualitatif des données recueillies se retrouve dans une juxtaposition d’expériences individuelles, qu’il faut surtout étudier comme un tout. Cette juxtaposition dessine des contextes généraux de pratiques qui sont, par certains côtés, très différents à Iqaluit et à Igloolik. Néanmoins, le pouvoir comparatif des résultats réside de façon plus cruciale dans la mise à jour des enjeux impliqués par les pratiques de l’écriture et de la lecture en langue inuit. En d’autres termes, la comparaison ne permettra pas de créer des portraits individuels de pratiques et d’attitudes génériques que l’on retrouverait dans d’autres communautés du Nunavut ou de l’Arctique. C’est la validation de liens entre des pratiques individuelles, des éléments saillants de représentation identitaire et des dynamiques de changement que l’on recherche dans cette comparaison. Ces liens ne sont pas limités aux seules activités linguistiques et impliquent d’autres pratiques culturelles, et ils doivent se retrouver dans d’autres communautés, chez d’autres locuteurs de la langue inuit et même peut-être d’autres langues autochtones.

J’ai ainsi adopté une perspective explicite de recherche comparative, une méthode classique dans les sciences sociales et en anthropologie (Vigour 2005). Bien qu’il n’en soit pas question ici, cette comparaison se base sur ma propre expérience quant à la diversité linguistique (les accents et les dialectes de groupes minoritaires, le multilinguisme, les pratiques écrites et orales), elle déconstruit mes attitudes linguistiques ou jugements envers cette diversité (en explicitant leur lien avec le capital symbolique défini par Bourdieu, et les institutions sociales) et éclaire des choix linguistiques effectués en conséquence. 33

Dans la mesure où la définition d’un concept d’écriture (ou celui de literacy) a fait couler beaucoup d’encre dans les études académiques, le nœud de cette méthode comparative est plutôt déplacé sur la question du choix de langue et de mode de communication en lien avec les attitudes ou les idéologies linguistiques. La recension des écrits académiques débute le travail comparatif par la déconstruction du concept d’écriture et cherche à documenter des idéologies linguistiques, autour de l’entreprise coloniale et du couple imposition/appropriation de pratiques linguistiques. Le reste de ce travail, par la comparaison entre des données ethnographiques recueillies dans deux communautés linguistique s’efforce d’offrir une mise en contexte assez riche pour permettre de postuler certaines causes de ces choix linguistiques. Enfin, une dernière comparaison entre l’histoire et la situation linguistique contemporaine dans l’île de Baffin et au Groenland permet d’adopter une autre perspective et de replacer la réflexion dans ce moment historique particulier de la recherche d’autodétermination et de souveraineté des peuples inuit (et autochtones). L’objectif de ce travail sera de dégager une dynamique générale, vécue par plusieurs peuples autochtones, d’évolution des pratiques linguistiques en lien avec l’écriture.

En ce qui concerne plus spécifiquement la juxtaposition entre les sites d’Iqaluit et d’Igloolik, elle n’apparaît pas comme un choix surprenant dont la justification serait l’objet principal de l’ethnographie. L’interrelation entre les sites de recherche est validée par plusieurs points importants, et n’avoir choisi qu’un seul site d’étude aurait grandement limité le travail interprétatif. D’abord, leur histoire culturelle et politique se rapproche à bien des égards, comme cela a été exposé au début de ce chapitre. Iqaluit est devenu aujourd’hui pour Igloolik, comme pour les autres petites communautés du Nunavut, un pôle migratoire. Que ce soit pour trouver du travail, pour leurs études, pour des raisons médicales (il n’y a pas d’hôpital à Igloolik et les femmes doivent aller accoucher à Iqaluit) ou pour visiter des proches, de nombreuses personnes prennent l’avion pour se rendre dans la capitale. Ceci crée un certain va-et-vient, puisque la plupart des visites, bien que plus ou moins longues, ne sont que temporaires. J’ai ainsi rencontré des personnes originaires d’Igloolik dans la capitale avant de les retrouver, une ou deux années plus tard, dans leur communauté. De la même façon, pendant mon séjour à Igloolik, plusieurs personnes sont parties pour la capitale. Pour compléter cette description des migrations, il faut aussi 34 signaler que des connaissances que je me suis faites à Iqaluit se trouvent aujourd’hui dans leur communauté d’origine, ailleurs au Nunavut. Enfin, les expériences de migration plus ou moins temporaires dans les villes du sud du Canada ne sont pas rares.

Figure 2. Expériences migratoires des participants aux entrevues

À ceci, il faut ajouter les pratiques de communication qui dépassent les seules communautés à l’étude. Les nouvelles technologies comme des moyens plus anciens (téléphone, lettres) créent des liens potentiellement infinis entre Igloolik, Iqaluit, le Nunavut et au-delà.

Quant à la comparaison avec le Groenland, elle cherche notamment à évaluer et approfondir les résultats obtenus par l’analyse des données recueillies sur le terrain au Nunavut. Les enjeux des pratiques de l’écriture et de la lecture en langue autochtone, les causes des choix de langues et des modes de communication, la dynamique générale de 35 recherche d’autodétermination, les échanges médiatiques et les migrations, tous ces thèmes sont étudiés en fonction du contexte du Groenland.

Ainsi, ce travail comparatif propose finalement d’étudier une partie restreinte des connections entre les communautés du Nunavut, tout en permettant d’ouvrir le travail interprétatif sur cette expérience d’échange plus large qui pénètre et enrichit les pratiques strictement locales.

1.2.5 Analyse Les entrevues semi-dirigées ont été retranscrites verbatim. La totalité des entrevues (semi- dirigées et informelles) a été classée à l’aide du logiciel informatique d’analyse qualitative NVivo. Ceci permet de constituer plusieurs sous-groupes correspondant aux trois étapes du travail de terrain, et de mettre en ordre une grande partie des données récoltées, une phase importante du travail d’analyse. Les données peuvent être ainsi facilement analysées quel que soit le groupe concerné. Le travail de comparaison est également facilité par ce classement.

Le codage des entrevues a été effectué brièvement après chaque retour de terrain à l’aide du logiciel. Ceci a permis de dégager des pistes de recherche qui ont ensuite été mises en relation avec les notes recueillies sur le terrain.

Le temps qui s’est écoulé entre le premier et le dernier séjour sur le terrain a impliqué un processus d’analyse en continu et plusieurs réajustements importants dans le projet de recherche. Des hypothèses ont par exemple été mises à l’écart, non parce qu’elles ne se vérifiaient pas mais tout simplement parce que la pertinence de poser telle ou telle question était invalidée après que le contexte de recherche ait été mieux connu. Ce sont finalement des articulations centrales du projet qui ont été déconstruites au cours de ces analyses partielles.

Enfin, la fin du processus d’analyse a été influencée par la question du vote puis de l’application des lois linguistiques. Les questions entourant cette problématique sont devenues plus prégnantes à partir de 2008. Les débats et évolutions ont pris place dans l’espace public, à travers les communiqués de presse et les articles de journaux, mais des 36

échanges privés m’ont permis de mieux comprendre certains enjeux qui accompagnent ces transformations importantes des politiques publiques.

2 L’écriture et la lecture en langue minoritaire La situation de bilinguisme à l’étude associe une des grandes langues majoritaires, l’anglais, à une langue autochtone, la langue inuit. Pour interroger cette complémentarité, la recension des écrits s’attardera d’abord sur les textes théoriques qui décrivent le statut de l’écriture en contexte minoritaire. L’influence des anciennes langues de colonisation se fait sentir dans les tendances à minorer certaines pratiques en langue autochtone, et l’écriture joue un rôle particulier dans cette relation hiérarchique.

Bien que la langue inuit soit la « langue maternelle » (c’est-à-dire la première langue apprise) de la majorité des locuteurs dans la plupart des régions de l’Arctique de l’Est canadien, la différence de statut entre les langues s’illustre par une dynamique d’érosion linguistique. L’inuktitut, le cri et l’ojibway sont les trois seules langues autochtones au Canada qui statistiquement ne sont pas considérées en danger d’extinction, notamment parce que leur bassin de locuteurs est assez large, et assez jeune (Norris 2007). Pourtant, l’érosion de la langue inuit au Canada est lente mais notable : des comparaisons effectuées entre les résultats des recensements de 1996 et 2006 montrent un recul de la langue inuit comme langue maternelle (de 68 à 64 % de la population inuit), comme langue parlée à la maison (de 58 à 50% de la population inuit), ainsi qu’un recul dans la connaissance générale de la langue autochtone (de 72 à 69 % de la population inuit) (Statistique Canada 2008b). Les locuteurs de la langue inuit sont caractérisés par leur bilinguisme, puisque 87% d’entre eux déclarent connaître une autre langue (Statistique Canada 2008a). Au Nunavut, seulement 54% de la population parle le plus souvent inuktitut à la maison (Statistique Canada 2008c) et 90% des résidents peuvent s’exprimer en anglais (Statistique Canada 2007).

2.1 Penser de façon dynamique les relations inégales entre les langues et les écritures : jalons théoriques Les réflexions sur le type de contact linguistique ébauché ci-dessus définissent la situation en jeu comme une relation inégale entre deux langues. Selon la plupart des écrits théoriques sur la question, le rôle de l’écriture en langue minoritaire est plutôt positif pour tenter de renverser cette dynamique. Mais des bémols à cette affirmation doivent être ajoutés dès lors 38 que l’on se penche sur les discours et idéologies qui entourent les pratiques de l’écriture. Au niveau local, des négociations identitaires s’organisent autour de relations de pouvoir qui transparaissent dans les pratiques langagières. Ainsi, il faut dresser un portrait nuancé et contrasté de l’évolution possible des pratiques en contexte de bilinguisme.

2.1.1 Frein à la dérive linguistique (RLS), glottophagie et revitalisation linguistique Au sujet des efforts de revitalisation des langues minoritaires, la place de l’écriture a été l’objet d’un débat important. Dans son article classique sur la diglossie, Ferguson (1959) propose une théorie de la complémentarité des langues dans une situation de bilinguisme, où la langue dominante ou plus prestigieuse est utilisée à l’écrit et dans les situations de communication orale formelle. La langue dominante s’appuie sur une tradition littéraire qui est respectée par la communauté, et la création littéraire se poursuit dans cette langue (Ibid. : 330-331). La démocratisation de l’écriture (ordinairement réservée à l’élite) constituerait un outil pour déstabiliser les situations de diglossie9.

L’utilisation de l’écrit en langue dominante et de l’oral en langue autochtone amènent Spolsky et Irvine (1982) à définir comme un cas spécial de diglossie la situation chez les Navajos : la communication orale peut s’effectuer en langue autochtone même dans les situations formelles alors que la communication écrite reste en langue anglaise10. Une des raisons de cette situation particulière serait que l’écriture ne remplit aucun rôle dans la culture « traditionnelle » navajo :

[…] when the introduction of literacy is associated with a second language, an alien culture, and modern, technological functions, literacy in these new domains is preferred in the alien, second, or standard language. (Ibid. : 76)

L’idée du renversement de cette organisation des langues est reprise dans le modèle de Fishman (1991) pour contrecarrer la perte d’une langue (ou « RLS, Reversing Language Shift »). L’écriture constitue une étape de transition, juste après l’épanouissement de la transmission intergénérationnelle à l’oral, pour dépasser le stade de la diglossie. Une

9 Il n’est cependant pas spécifié s’il s’agit de l’écriture de la langue en position de prestige ou du vernaculaire. 10 McLaughlin (1989) critique l’application de ce concept à la situation linguistique chez les Navajos (voir ci- 39 promotion de l’écriture dans des structures communautaires qui ne se concentrent pas sur les exigences scolaires permet d’impliquer diverses générations et de créer un lieu intergénérationnel pour la transmission linguistique (le stade 5) : « 5. Schools for literacy acquisition, for the old and for the young, and not in lieu of compulsory education. » (Fishman 2001 : 395). Cet impératif est rarement pris en compte dans la revitalisation des langues autochtones :

In the Aboriginal sector, community-operated literacy imparting institutions, whether for children or for adults, are still few and far between and particularly so under auspices that have nothing to do with meeting the educational requirements that have been governmentally instituted. (Ibid. : 263)

Bien qu’un bilinguisme stable mais inégalitaire puisse perdurer sans que le vernaculaire ne soit écrit, la promotion de l’écriture en langue vernaculaire brise la dépendance de l’écrit en langue dominante et facilite la transmission intergénérationnelle de la langue.

L’utilisation de l’écrit à l’école et son usage dans d’autres institutions constituent des étapes ultérieures du RLS. Cependant il est fréquent que les objectifs initiaux des projets de RLS soient trop ambitieux, et que la promotion de l’écriture dans le milieu institutionnel soit d’emblée privilégiée aux dépens des efforts envers la transmission intergénérationnelle (Ibid. : 476).

Les projets de revitalisation linguistique s’efforcent de doter la langue minoritaire de nouvelles fonctions sociales afin d’accroître son utilisation (King 2001 : 23). Mais la promotion de l’écriture n’est en aucun cas une donnée des projets de revitalisation. Comme Grenoble et Whaley (1998 : 36) l’expliquent, l’écriture est liée à des variables « macros » qui s’organisent autour des thèmes suivants : l’éducation, la planification linguistique, les attitudes régionales/externes envers le multilinguisme, la situation des langues régionales et de leur orthographe et enfin le genre de matériel écrit disponible. De telles variables renvoient plutôt à l’influence du groupe et de la culture majoritaires. Quant aux variables « micros », elles comprennent le rôle de l’écriture dans la communauté, l’acquisition de l’écriture, les questions de standardisation ainsi que la nature de la communauté autochtone

dessous). 40

(histoire, démographie, multilinguisme). Tous ces éléments influencent à leur échelle le succès des pratiques écrites en langue autochtone et par conséquent leur rôle dans la revitalisation.

Malgré cette situation complexe, les auteurs (2006 : 102-103) se prononcent pour l’inclusion de l’écriture dans un processus de revitalisation linguistique :

One of the most complicated issues in language revitalization is literacy. It is often assumed that literacy is a necessary first step in language revitalization programs: developing literacy in a local language can imbue a greater sense of prestige to it; most school-based revitalization programs typically require literacy; literacy in a local language makes it suitable for use in many modern social domains; and so on. At the same time, it has also been argued that literacy can actually facilitate acquisition of a majority language, thereby accelerating the loss of the very language it was instated to protect. […] Our argument that there should also be literacy in the language being revitalized is based on the conclusion that the local language must have its own literacy domains in order to compete with the language of wider communication.

L’écriture en langue minoritaire doit donc disposer de domaines d’utilisation bien spécifiques afin de pouvoir renforcer la langue autochtone et ne pas être remplacée par une écriture en langue dominante. Il s’agit des domaines religieux et spirituel, des histoires traditionnelles ou de tout autre aspect de la « culture traditionnelle » dans lequel l’écriture est utile (Ibid. : 115). L’école représente un facteur de consolidation des pratiques mais elle ne crée pas des contextes d’utilisation en dehors du milieu scolaire, ce qui est le point critique pour la transmission linguistique. Dans le même ordre d’idées, Spolsky et Irvine (1982) conditionnent l’acceptation de l’écriture à son utilité au sein de la culture et société traditionnelles en langue minoritaire.

D’un autre côté, les domaines traditionnels, à eux seuls, sont-ils suffisants? Par exemple, si la pratique de la langue autochtone dans le domaine religieux construit un bastion important qui résiste à la langue dominante, le religieux peut évoluer comme un domaine restreint d’utilisation de la langue autochtone. Celle-ci est alors essentialisée dans cette seule fonction, ce qui invalide les autres domaines de pratique, laissés à la langue dominante 41

(Calvet 1974 : 76). Cette question d’utilité dans certains domaines bien circonscrits mérite donc réflexion car elle peut s’avérer problématique.

En effet, Calvet (1974) a montré comment les rapports entre une langue dominante et une langue dominée forment une structure linguistique qui entraîne un processus de glottophagie dans les situations coloniales : en raison de dynamiques économiques et politiques le bilinguisme n’est qu’une étape temporaire qui mène au remplacement de la langue dominée ou à sa créolisation. Le concept de glottophagie associe l’organisation du plurilinguisme dans les situations coloniales à une histoire de domination sociale (l’histoire de la lutte des classes) et d’organisation géographique de l’inégalité (ville vs campagne).

Outre les situations (post)coloniales, beaucoup d’autres situations linguistiques contemporaines suivent ce modèle de transformation des pratiques. De plus, les écritures elles-mêmes ne sont pas indépendantes des relations de pouvoir, il y a des écritures dominantes et des écritures dominées. Selon Barton et Hamilton (2000 : 11) : « Literacy practices are patterned by social institutions and power relationships, and some literacies are more dominant, visible and influential than others. » Se concentrer seulement sur quelques domaines de pratique relègue à l’arrière plan une perspective dynamique des relations entre les langues. S’il y a inégalité linguistique et sociale, c’est l’ensemble des pratiques langagières qui s’organisent selon cette inégalité. En d’autres termes, l’écriture fait partie du marché linguistique tel que défini par Bourdieu (1982 : 86) : les produits linguistiques suivent la hiérarchie des différences économiques et sociales. Les institutions et l’école légitiment cette hiérarchie.

2.1.2 Attitudes, identités et ethnographie Les textes précédents invitent à considérer de façon critique le rôle de l’écriture en langue minoritaire dans les pratiques langagières, en raison de sa participation à des inégalités sociales et économiques. Ce rôle s’inscrit aussi dans un processus de résistance identitaire.

L’effort de revitaliser la langue vernaculaire ou de lutte contre la dérive des langues (RLS) consacre l’importance de la langue dans la construction de l’identité ethnique (Fishman 2006). Selon l’article classique de Barth (1969), les limites d’un groupe ethnique sont 42 constituées par la sélection de certains trait culturels (comme la langue) par un groupe et leur attribution au groupe comme signes extérieurs de leur différence. Le Page et Tabouret- Keller (1985) approfondissent cette perspective : le comportement linguistique du locuteur dans telle ou telle situation permet d’effectuer des « actes d’identité » en signifiant son adhésion à un groupe (qui encourage ce comportement spécifique). De la même façon, Fishman (1997) souligne que même si les contextes historiques et sociaux conditionnent les liens entre langue et ethnicité, ces liens sont avant tout expérimentés et vécus. L’ethnicité est une construction variable fondée sur le sentiment d’appartenance des individus comme des groupes. Les approches externes (historiques) tendent à évacuer le phénomène même de l’identification linguistique et par conséquent, l’étude microsociologique est plus appropriée (Ibid. : 330).

Cette échelle modeste de recherche se penche sur les attitudes (les jugements ou valeurs) des locuteurs. Dans toute tentative de revitalisation linguistique ou de changement linguistique, les attitudes sont de première importance (Baker 1992 : 21). Les pratiques de l’écriture ne font pas exception à cette règle, ce que soulignent Grenoble et Whaley (2006 : 123): « …the single most important consideration in developing the right sort of literacy program is the attitude of the community toward its own language and toward the act of writing. ». De façon générale, un ensemble d’attitudes linguistiques partagées par les locuteurs forme des représentations linguistiques (Calvet 1999) ou une idéologie linguistique11 (Silverstein 1979). Celles-ci permettent de rationaliser les habitudes de communication, elles restent multiples au sein du groupe (en fonction de distinctions d’âge, de sexe, etc.) et sont utilisées dans la création et la représentation d’identités sociales et culturelles (Kroskrity 2004 : 509).

L’idéologie linguistique a comme objet la parole, mais Woolard et Schieffelin (1994) montrent qu’il est intéressant de considérer les valeurs associées à l’écriture comme des

11 Woolard et Schieffelin (1994 : 57) citent les définitions apportées par plusieurs auteurs : « Linguistic/language ideologies have been defined as “sets of beliefs about language articulated by users as a rationalization or justification of perceived language structure and use” (Silverstein 1979 : 193) ; with a greater social emphasis as “self-evident ideas and objectives a group holds concerning roles of language in the social experiences of members as they contribute to the expression of the group” (Heath 1977 : 53) and “the cultural system of ideas about social and linguistic relationships, together with their loading of moral and 43 idéologies de l’écriture, en les conceptualisant de façon similaire. Ces idéologies de l’écriture ne sont évidemment pas figées et évoluent historiquement. Cette approche théorique est particulièrement intéressante pour encadrer les situations de colonisation : « Inequality among groups of speakers, and colonial encounters par excellence, throw language ideology into high relief » (Ibid. : 56). Les situations coloniales représentent une tentative d’imposition d’une idéologie propre à la majorité dominante, c’est-à-dire une idéologie où les pratiques écrites sont vues comme plus prestigieuses que les pratiques orales.

Le choix d’utiliser une langue ou l’autre, à l’écrit ou à l’oral, est donc aussi gouverné par un système de représentations identitaires. L’étude de ces systèmes doit beaucoup au domaine de l’ethnographie de la communication. Ce modèle, présenté par Dell Hymes, associe les choix de pratiques ou façons de parler à leur contexte social :

A general theory of the interaction of language and social life must encompass the multiple relations between linguistic means and social meaning. The relations within a particular community or personal repertoire are an empirical problem, calling for a mode of description that is jointly ethnographic and linguistic. (Hymes 1986 : 39)

Le multilinguisme ne constitue qu’un cas particulier de l’éventail linguistique que manie chaque locuteur dans sa vie quotidienne (variétés de langue, registres, etc.). L’ethnographie de la communication prend pour base un événement conversationnel ou speech event : « The term speech event will be restricted to activities, or aspects of activities, that are directly governed by rules or norms for the use of speech » (Ibid. : 56). Elle s’attache à un ensemble de variables telles que la forme du message, le contenu, les acteurs, les normes d’interaction et d’interprétation, etc.

Heath a montré la pertinence d’inclure les pratiques de l’écriture dans l’ethnographie de la communication. L’écriture devient un événement sur le modèle du speech event : « A literacy event is any occasion in which a piece of writing is integral to the nature of participant’s interactions and their interpretative processes » (Heath 1978 : 98).

political interests” (Irvine 1989 : 255) and most broadly as “shared bodies of commonsense notions about the nature of language in the world” (Rumsey 1990 : 346). » 44

L’ethnographie de la communication a pavé le chemin de l’étude du répertoire linguistique dans sa diversité. Pratiques orales, écrites et gestuelles ont tout naturellement trouvé leur place comme paramètres dans ce répertoire :

Within each community there is a variety of language codes and ways of speaking available to its members, which is its communicative repertoire. […] The means of communication used in a community thus include different languages, different regional and social dialects of one or more languages, different registers (generally varying on a formal-informal dimension which cross-cuts dialect dimensions), and different channels of communication (e.g. oral, written, manual). The nature and extent of this diversity is related to the social organization of the group, which is likely to include differences in age, sex, and social status, as well as differences in the relationship between speakers, their goals of interaction, and the settings in which communication takes place (Saville- Troike 1989 : 49).

2.2 « Clarification idéologique » La conceptualisation de la notion d’écriture précède ces développements importants dans le champ de la sociolinguistique. Il s’agit d’une tradition de recherche en soi qui s’est ramifiée dans de nombreux domaines des sciences sociales. À l’origine du débat se trouve la systématisation d’un modèle dualiste :

Early in the development of social-scientific thinking, literacy was implicated, more or less explicitly, as a determinant of differences between ‘primitive’ and ‘civilized’ thought and action (Tylor), collective and individualistic consciousness (Durkheim, Mauss), prelogical and individualistic mentalities (Lévy-Bruhl, Luria), closed and open systems (Popper), pensée sauvage and pensée domestiquée (Lévi-Strauss), mythopoetic and scientific thinking (Lévi-Strauss, Cassirer), and context-bound and context-free cognitive process (Vygotsky). (Street et Besnier 1996 : 532)

L’enjeu de ces réflexions est la justification d’une typologie des sociétés ou des peuples. L’idéologie de l’écriture dans le monde occidental s’est en effet construite historiquement dans ses rapports avec l’Autre autour de deux courants de pensée : le dualisme cartésien et l’évolutionnisme colonial.

2.2.1 « La logique de l’écriture » De façon récurrente, les études académiques sur ce thème ont affirmé que l’écriture était un outil cognitif, idée qui s’est imposée dans la pensée occidentale, à tel point qu’elle est 45 aujourd’hui perçue comme de l’ordre du bon sens. L’histoire de l’écriture devient alors celle d’un « sujet transcendantal » (Scribner et Cole 1981 : 234) qui est artificiellement coupé des pratiques corporelles.

L’origine de ce dualisme peut être retracé jusqu’à l’étude classique de Parry (1928) sur l’oralité. Celui-ci se penche sur la structure de l’Iliade et de l’Odyssée et en déduit les règles de composition orale de ces épopées. Lord (1960) systématise les conclusions de Parry et les applique aux épopées homériques ainsi qu’aux chanteurs épiques serbes dont il recueille les performances. Il décrit l’oralité comme une tradition qui se réalise dans une performance livrée par un individu devant un public. Les conteurs s’appuient sur une structure fixe et un univers imaginatif particulier, mais chaque performance est unique car le contenu des chants reste flexible. L’oralité imposerait donc un mode de pensée, une structure de composition aux chanteurs épiques. La technique de composition orale supposerait un état psychologique qui ne peut exister après l’utilisation de l’écriture (Ibid. : 129-131). La recherche sur l’écriture s’efforcera alors de trouver la correspondance et un mode de pensée spécifique à la tradition écrite.

Par opposition aux travaux des spécialistes de l’oralité, plusieurs auteurs développent un concept de l’écriture axé sur deux éléments en particulier : les processus cognitifs et la stratification sociale. Les travaux de Goody (1968, 1977) et de Ong (1982) ont fortement influencé la construction de cette thèse. Celle-ci s’applique à concevoir l’oralité et l’écriture comme des concepts antagonistes.

Goody s’intéresse plus particulièrement aux transformations qu’apporterait l’écriture dans des sociétés précédemment à tradition orale. Il pense l’introduction de l’écrit comme un enchaînement de conséquences dans les structures cognitives, le développement économique et l’organisation sociale. La tradition écrite, qui permettrait seule exactitude et accumulation des savoirs (Goody 1994 : 67), entraînerait le développement du scepticisme chez l’individu. Grâce à une mise à distance ou objectivation de la pensée (Goody 1977 : 150), elle est l’instrument d’une introspection, occupée à la formulation et à la résolution de problèmes (Ibid. : 162). Par la transformation du mythe en histoire, l’écriture permettrait alors d’entreprendre la recherche de la vérité scientifique (Goody et Watt 1968 : 48-49). Ces transformations chez l’individu se répercuteraient aussi sur les habiletés cognitives des 46 peuples, Goody et Watt (Ibid. : 68) explicitent d’ailleurs leur projet comme « l’étude des différences intellectuelles entre sociétés simples et complexes ».

Ong reprend ces thèmes et affirme que l’écriture est la condition préalable à l’émergence de la logique (Ong 1982 : 172). La rupture avec un sujet incarné est consommée : « The oral word, as we have noted, never exists in a simply verbal context, as a written word does. Spoken words are always modifications of a total, existential situation, which always engages the body. » (Ibid. : 67)

Cette argumentation se base sur une histoire occidentale de l’écriture, et tout particulièrement sur une certaine interprétation de l’histoire grecque. Havelock explique les changements que l’écriture aurait amenés dans la pensée grecque, et autour du couple Socrate/Platon (Havelock 1963 : 305), il introduit l’idée de « révolution alphabétique grecque » (Havelock 1986 : 1). La fin d’un long processus d’intériorisation de cette nouvelle technique de l’écriture, achevé par Platon, serait ainsi la condition de la naissance de la philosophie. La poésie épique grecque, stéréotype de l’oralité, est désormais commodément opposée aux traités philosophiques grecs, stéréotypes de l’écriture.

Pour les partisans de cette thèse, l’écriture permet une révolution cognitive qui se traduit par un changement social révolutionnaire. Ce changement social s’accomplit tout d’abord à travers les modes de connaissance. L’oralité demande une interaction face-à-face ou nécessite un échange complémentaire entre l’individu et le groupe (Havelock 1986 : 14). L’écrit permettrait au contraire l’apprentissage autonome par la formation scolaire : l’école et l’écriture sont ainsi pratiquement indissociables dans ces études (Goody 1994 : 191). Le contenu lui-même de ces savoirs oraux et écrits serait différent, l’oralité est orientée vers une performance alors que l’écriture serait plus clairement occupée à la transmission d’informations (Ong 1982 : 177).

Enfin, l’institutionnalisation de la relation avec le savoir et l’accumulation des écrits permettraient la naissance de nouvelles classes sociales, comme la classe des lettrés (Goody 1994 : 87). La maîtrise de l’écriture serait ainsi à la base d’une stratification sociale (Goody et Watt 1968 : 58). Ces différentes étapes sont ultimement associées au développement des 47 civilisations : « d’un point de vue cognitif aussi bien que sociologique l’écriture était la « civilisation », la culture des cités. » (Goody 1994 : 304)

Ce qui se joue dans l’opposition systématique de l’écriture à l’oralité est finalement une typologie sociale. D’un côté sont réunis les peuples qui connaissent une forte stratification sociale, des nations bâties sur des puissances économiques (des peuples à tradition écrite) et de l’autre côté, et conceptualisés comme inférieurs, tous les autres peuples. L’écriture serait la condition nécessaire (et suffisante) pour passer du second groupe au premier.

Pour faire rentrer dans ce modèle les sociétés qui pratiquent l’écriture mais qui n’ont pas connu de révolution dans leur organisation sociale, Goody et Watt créent le terme restricted literacy. L’écriture est restreinte si elle n’est pas utilisée dans tous les domaines où cela serait possible, et que son introduction n’a pas eu toutes les conséquences (cognitives, sociales, économiques) prévues selon ce modèle avancé de développement. La restriction des effets de l’écriture est due, selon ces auteurs, à une tendance au secret et à une préférence pour la transmission orale. Les cas de « restriction » présentés comme exemples sont associés à des traditions religieuses particulières (Goody et Watt 1968 : 14), ce qui, selon le courant de pensée positiviste, contribue au modèle en associant davantage l’écriture à la pensée scientifique.

Donc, l’oralité et l’écriture sont présentées idéalement comme des modes exclusifs l’un de l’autre. Plusieurs auteurs critiqueront ce concept de l’écriture. Finnegan (1988) réfute, grâce à des cas particuliers, la séparation des traditions écrites et des traditions orales. En ce qui concerne la littérature orale du Pacifique par exemple, elle montre que cette tradition ne s’accorde pas avec le schéma de Parry/Lord de composition en performance. La composition des poèmes met en œuvre un texte écrit qui est vu comme le point de référence « correct » de la performance. Elle indique ainsi que les textes ne sont que des points de départ (Ibid. : 169) pour toutes sortes d’activités qui ne sont pas forcément écrites. L’utilisation de l’oralité ou de l’écriture résulte d’un choix effectué par la communauté, et des normes culturelles gouvernent la mise en relation de ces modes. Au lieu de penser qu’une technique de communication chasse la précédente et entraîne obligatoirement certains changements, il faut plutôt raisonner en terme d’opportunités, saisies ou non (Ibid. : 41), et admettre une fois pour toutes que l’oralité et l’écriture sont des modes qui 48 coexistent fréquemment (Ibid. : 142). En ce qui concerne le succès de la théorie de l’écriture comme agent de développement, il s’explique par l’attrait de : « […] the ethnocentric evolutionist view of development as basically uni-directional moving onwards in natural progression from one stage to another […] » (Ibid. : 160).

L’ouvrage classique des psycholinguistes Scribner et Cole (1981) dégonfle la thèse de la révolution cognitive de l’écriture. Ceux-ci entreprennent cinq ans de recherche chez le peuple Vai au Libéria, dont les membres utilisent un système d’écriture syllabique pour leur langue (enseigné dans le milieu familial), l’alphabet latin pour la scolarisation en anglais et l’alphabet arabe pour l’instruction coranique. Chacune des écritures est utilisée dans des domaines propres et par des groupes particuliers. Certaines différences dans les habiletés cognitives ont été relevées, mais elles sont moins causées par les écritures en soi que par le contexte d’instruction et les activités récurrentes dans chacun des domaines en jeu (1981 : 204). Des restrictions dans les usages des écritures sont associées au bassin démographique et au statut économique des langues en question. Scribner et Cole abandonnent ainsi la thèse de l’écriture comme cause unique de conséquences cognitives et mettent l’accent sur la notion de pratiques et de contextes sociaux.

Ces différentes critiques ont donné naissance à un nouveau groupe d’études qui s’intéresse au contexte de la pratique de l’écriture. Leur première nouveauté est d’ordre méthodologique. Les partisans de la literacy thesis seront en effet critiqués sur le manque de fondement empirique de leur modèle. Les nouvelles études cherchent à recentrer les discussions sur un niveau local. Elles perdent une certaine ambition quant à leurs objectifs et leur pouvoir explicatif. Il est question au contraire de mettre l’accent sur un contexte socioculturel précis. Basso (1974 : 425-432), dès le début des années 1970, avait souligné le potentiel d’une méthode ethnographique. Il proposait de se concentrer sur l’écriture comme activité ou comme événement et d’abandonner l’étude d’étapes de développement. En considérant l’écriture comme acte social, on rend possible l’explicitation du lien entre cette activité et d’autres activités sociales, ainsi qu’avec les autres modes de communication disponibles. Ces notions seront les mots-clés utilisés par les chercheurs des nouvelles études sur l’écriture (New Literacy Studies, NLS). Street est le premier à qualifier l’approche privilégiée jusqu’à présent de modèle explicatif, et à dénoncer son 49 utilisation dans de nombreux domaines comme l’anthropologie ou la linguistique. Il y oppose un autre modèle qu’il qualifie d’idéologique. Ce modèle met l’accent sur la nature sociale des pratiques de l’écriture : toute pratique est apprise et construite au sein d’institutions sociales. Elle acquiert ainsi une signification particulière et ne peut pas être artificiellement séparée de cette signification, idéologique et politique (Street 1984 : 8). L’auteur insiste sur l’impossibilité de présenter l’écriture comme une « technologie neutre », c’est-à-dire de l’étudier en soi et non de façon contextuelle (Street 1984 : 1).

Barton présente ce modèle de façon plus limitée, en se penchant sur la vie quotidienne. Il reprend dans son cadre explicatif les termes « pratiques » et « événements » et y ajoute d’autres notions. La description des activités quotidiennes rend intéressante la définition du terme « domaine d’utilisation » : la maison, le travail ou l’école par exemple. Dans ces domaines, des rôles sont définis pour chaque personne qui pratique l’écriture au sein d’un réseau social particulier : en fonction du genre par exemple; certains membres de la communauté sont des personnes ressource appelées brokers, etc. Ces rôles ne sont pas immuables et, que ce soit au cours de la vie ou en fonction des générations, les pratiques sont sujettes à changement.

L’approche en contexte, et notamment celle qui s’intéresse aux pratiques quotidiennes, a permis de dissocier l’écriture d’une vision réductrice et figée de l’apprentissage scolaire ou d’activités purement intellectuelles. Boyarin propose une ethnographie de la lecture pour effacer le stéréotype du lecteur individuel isolé et montrer que cette pratique est le centre d’activités organisées socialement (Boyarin 1993 : 4). Une telle perspective méthodologique permet ainsi de reconnaître les liens évidents entre le texte et l’oralité : la lecture comme travail d’interprétation et de recherche de sens est une pratique où l’oralité joue souvent un rôle important.

L’aprentissage de la lecture par les enfants est une activité qui varie culturellement. Schieffelin et Cochran Smith (1984) étudient cet apprentissage dans des milieux et sociétés différents. L’instruction est guidée (ou non) par les adultes en fonction de modèles culturels d’interaction avec l’enfant, de valeurs spécifiques et de la pertinence et des fonctions de l’écriture dans leur vie quotidienne. La lecture se greffe ainsi sur un contexte des pratiques écrites qui doit être défini. 50

Les NLS s’écartent de l’aspect cognitif et de la notion de progrès invoqués par la littérature précédente. Elles recentrent les réflexions sur la communauté, le local, l’événement. D’un autre côté, les NLS, n’ont pas entrepris de considérer et d’analyser les similitudes entre les pratiques dans des contextes socioculturels similaires.

2.2.2 Discipline sociale et colonialisme La discipline sociale et le colonialisme sont deux éléments associés qui permettent de revisiter l’histoire de l’écriture, la question de la stratification sociale et le thème de la rencontre entre sociétés à traditions orale et écrite.

Grâce à des archives et des documents écrits, Graff (1979) étudie les valeurs et les usages autour de l’écriture dans trois centres urbains de l’Ontario au milieu du 19ème siècle. Il montre que ces villes étaient alphabétisées à 90%. Pourtant, les inégalités sociales structurées autour du genre, de l’âge, de la classe sociale, de l’ethnicité/origine n’étaient pas remises en cause par l’alphabétisation. Au contraire, l’écriture contribuait à renforcer cette stratification sociale. En effet, elle était conçue comme un garant de l’ordre social en représentant une discipline intériorisée du travailleur (Ibid. : 231). Les valeurs associées au processus d’alphabétisation au 19ème siècle étaient articulées par les promoteurs de l’écriture ainsi que les employeurs de la classe ouvrière. L’alphabétisation se résumait donc moins à l’acquisition d’habiletés particulières qu’à l’intériorisation de ces valeurs morales. L’auteur conclut que l’association de l’écriture à un concept de libération individuelle fait partie d’un « mythe de l’écriture ». Ce mythe de l’écriture dérive d’un concept particulièrement réducteur, en ce qu’il ne peut penser les pratiques écrites hors d’un contexte scolaire.

Cook-Gumperz (1986) revient sur l’association de l’écriture à l’école dans la tradition occidentale : « Literacy has become redefined within the context of schooling and has turned into what we now refer to as schooled literacy, that is, a system of decontextualised knowledge validated through test performances. » L’école a également réduit les contextes d’utilisation de l’écriture en les associant systématiquement à un processus de sélection et de préparation au marché du travail. 51

Il en résulte des contextes d’utilisation de l’écriture bien différents en fonction des conditions socio-économiques des groupes et du marché du travail. À ce sujet, une monographie constitue un point de référence dans les études en contexte. Ways With Words (Heath 1983) présente une étude ethnographique et sociolinguistique de trois communautés du Sud des États-Unis entre 1969 et 1978, pendant la période suivant la déségrégation du système scolaire. Une des communautés est de classe sociale moyenne et d’origine ethnique mixte. Les deux autres sont des communautés ouvrières, l’une noire (Trackton), l’autre blanche (Roadville). L’étude est plus particulièrement centrée sur la socialisation linguistique des jeunes enfants et la façon dont cette socialisation peut diverger ou converger avec les valeurs et les pratiques promues par le système scolaire « dominant ». Chaque communauté a sa propre tradition écrite et orale, oral et écrit étant indissociablement liés l’un à l’autre, ainsi qu’à d’autres éléments culturels12. En ce qui concerne la pratique de l’écriture dans la communauté de Trackton, les jeunes enfants n’expérimentent pas l’écrit de façon « programmée » par des lectures d’histoires au coucher ou par un apprentissage contrôlé des parents, et l’écriture n’est pas particulièrement valorisée : on n’apprend pas aux enfants à lire mais les enfants essaient d’écrire et de lire quand cela est nécessaire dans un contexte particulier. Également, l’écrit est toujours une activité de groupe : le sens d’une lettre est par exemple débattu et négocié entre différents participants grâce à la narration d’autres événements ou de blagues. Ainsi, cet apprentissage contextuel diverge grandement de ce qu’exigera plus tard d’eux le système scolaire : une pratique et un apprentissage hors contexte.

L’écriture, liée à l’apprentissage scolaire et au marché du travail dans le monde occidental, est synonyme d’acquisition d’une discipline corporelle et sociale. Luke (1992) décrit plusieurs routines d’apprentissage de l’écriture et de la lecture dans une classe australienne. Pour encadrer ces routines il développe un cadre théorique original que l’on peut citer ici :

[…] I propose the following model : (1) that the discourses of pedagogy are built around claims about ‘truth’ and the ‘real’ which in turn are transformed and rearticulated in the multiplicity of material practices deployed in the site of the classroom. There (2) a disciplinary inscription of the subjectivity of the student occurs, contributing to the construction of a bodily habitus. This habitus, a developing marker of the literate’s

12 Comme, par exemple, une organisation différente de l’espace et du temps (Heath 1983 : 344). 52

cultural capital, (3) concurrently and subsequently undergoes multiple transformations at other sites of linguistic/literate practice through the texts of family and community, popular culture, further schooling and so forth, such that (4) one’s inscribed habitus is evident in terms of classed and gendered identifiable life styles, differential textual and material practices. (Luke 1992 : 115)

La nouveauté d’un tel cadre théorique est d’ajouter à la notion de pratiques de l’écriture (au sein de l’école, de la famille, de la communauté) d’autres concepts et notions telles le discours, la subjectivation, l’inscription disciplinaire du corps, l’habitus et le capital culturel. Il semble particulièrement pertinent de lier l’apprentissage scolaire de l’écriture à la notion d’habitus développée par Bourdieu. L’habitus est défini comme un « corps socialisé » (Bourdieu 1997 : 164). À l’école (un champ13 particulier selon la définition qu’en donne Bourdieu), l’incorporation d’un habitus spécifique (une manière normée de se comporter, de parler, etc.) signifie l’acquisition d’un capital culturel particulier. Cet habitus est lié historiquement à la classe sociale dominante car le capital culturel se définit en fonction du capital économique, détenu par cette classe. L’école est un lieu où l’effort porte sur l’inculcation de l’habitus de la classe dominante.

Il s’agit ainsi d’une socialisation linguistique liée à un pouvoir, une « microphysique du pouvoir », telle que développée par Foucault (1975). Le contrôle des individus ne se réalise pas par l’usage de la force mais par un nouveau processus de domination : l’internalisation de valeurs grâce à ces techniques de façonnement du corps (Ibid. : 261). Selon Luke il est ainsi nécessaire de voir l’apprentissage de l’écriture comme une forme de discipline morale et politique (1992 : 116).

Collins et Blot s’efforcent d’aborder la question de l’écriture avec une perspective à la fois plus historique et générale que ne l’ont fait les NLS. Pour ce faire, ils se basent également sur les travaux de Foucault et de Bourdieu. Ils utilisent les catégories de pouvoir, d’autorité et d’identité (Collins et Blot 2003 : 145) pour dépasser le cadre local. Ils essaient de livrer une vision plus synthétique, notamment des liens de l’écriture avec la formation des États Nations ou encore, et ce point est important, avec l’entreprise coloniale.

13 Le champ tel que défini par Bourdieu est un lieu du jeu social lié au capital qui implique des rapports de force historique (Bourdieu 1992: 71). 53

Dans leur étude, ils lient explicitement l’introduction de l’écriture alphabétique occidentale dans les colonies à l’objectif politique de créer de nouveaux sujets obéissants, donc une identité de sujets du pouvoir colonial (Ibid. : 123). Cette éducation des populations colonisées participait au processus d’assimilation et était justifié par l’idéologie du progrès et de la civilisation. La mise en application de cet idéal s’effectuait par des méthodes violentes, comme celles mises en œuvre dans les pensionnats (Donaldson 1998 : 49).

2.2.3 Localité, identité et pouvoir L’introduction de l’écriture alphabétique dans les colonies appuie donc l’entreprise coloniale. L’écriture alphabétique a entrepris ce que Mignolo (1992 : 311) appelle en Méso- Amérique la colonisation des langues amérindiennes : les écritures natives ont été colonisées par le système alphabétique et le livre occidental a colonisé les modes de connaissance natifs. Paradoxalement, l’écriture est perçue en occident comme l’outil d’une libération individuelle et sociale vers un idéal spirituel; et la philosophie des Lumières l’a associée à l’évolutionnisme historique (Archibald-Barber 2004).

L’expansion coloniale a historiquement invalidé d’autres idéologies de l’écriture et systèmes de connaissance, qui privilégient l’oralité et prennent en compte des pratiques textuelles plus larges. Battiste (1984) explique que les Algonquiens possèdent leurs propres pratiques textuelles qui précèdent le contact : systèmes de pictogrammes et pétroglyphes, bâtons gravés d’encoches, wampums (perles de différentes couleurs assemblées en collier ou ceintures et formant un dessin). Ces systèmes étaient utilisés pour consigner des informations pertinentes et être lus ultérieurement. Les wampums servaient d’archives publiques et accompagnaient les événements cérémoniels afin de rappeler chaque acte de parole, promesse ou intention (Ibid. : 72). En ce qui concerne les pictogrammes tracés sur des écorces, ils avaient un lien intrinsèque avec l’expérience religieuse. Les Micmacs et les Cris utilisaient également un système d’écriture idéographique. Les pratiques textuelles algonquiennes, comme celles des hiéroglyphes, suscitaient une lecture consistante avec une vision du monde particulière : il s’agissait d’un mode de connaissance expérimenté, aussi bien du monde objectif que spirituel (Ibid. : 45). 54

En tentant de remplacer ce système d’écritures symboliques et d’apprentissage collectif, le système alphabétique associé à une éducation coercitive a contribué à une tentative d’assimilation cognitive (Battiste 1986). La standardisation de l’écriture des Micmacs à des fins de revitalisation linguistique dans les années 1970 a subi les conséquences fâcheuses de la période coloniale. Plusieurs orthographes alphabétiques étaient mises en concurrence avec le nouveau standard. Les aînés restaient particulièrement attachés à un système orthographique plus ancien, préparé par un missionnaire catholique, qui s’inscrivait dans la longue tradition des pratiques spirituelles micmacs. La nouvelle orthographe a cependant été peu à peu acceptée, grâce à une synthèse des traditions en présence. Dans une école de Nouvelle-Écosse, l’utilisation des différents types d’écriture micmac (hiéroglyphes et écriture alphabétique standard) et l’inclusion du domaine religieux dans l’instruction régénèrent les pratiques de l’écriture autochtone. Ces pratiques scolaires prennent en compte le fait suivant :

Although the forms of literacy which the Micmacs have been exposed to have been intrinsically different, the symbolic literacy and its consciousness have persisted. Micmac literacy remains spiritual and family-based, rather than public. It continues to favour collective dialogue and ritual. (Ibid. : 40).

L’oralité et l’écriture participent à un système de relations entre les savoirs. Les écrits qui concernent les épistémologies des peuples autochtones au Canada mettent l’accent sur l’expérimentation du savoir tout au long de la vie (Antone, Gamlin et Provost-Turchetti 2003). Brant Castellano (2000) explique que les sources de connaissances sont multiples et incluent l’enseignement traditionnel, l’observation empirique et la révélation d’origine spirituelle. Les savoirs autochtones sont ainsi : « personal, oral, experiential, holistic, and conveyed in narrative or metaphorical language » (Ibid. : 25).

Hare (2003) explicite un aspect de cette perspective, qu’elle associe à la génération des aînés dans sa communauté natale anishinaabe : elle fait le lien entre l’écriture, la lecture, le territoire et les activités traditionnelles :

It is helpful to think of this rich knowledge [la connaissance du territoire, de la faune et de la flore] as a form of literacy out of which their lives [celles des aînés] were shaped by the dimensions of the environment, inscribed by memories of life on the land and with 55

their families toward a way of thinking to which western literacy has paid too little attention. The weaving together of these patterns, phases, or cycles, as they are read by these people, represents the holism that is often articulated within an Aboriginal worldview. […] For Aboriginal people there is no separation between living and learning as they make meaning of the land and their lives within it.

L’idée de l’écriture comme un outil cognitif est donc à la fois extrêmement idéologisée et très réductrice. Cependant, cette idéologie coloniale de l’écriture a ses avatars dans les politiques d’alphabétisation à des niveaux étatiques ou transnationaux qui se raccrochent à un « syndrome de modernité » (Bialostok et Whitman 2006). Les attitudes des anciennes populations colonisées envers l’écriture s’inscrivent aujourd’hui dans un projet qui ne peut qu’être identitaire et politique, d’autant plus que la langue est une « force mobilisatrice » (Patrick 2006) pour la lutte autochtone vers l’autonomie politique : elle est parfois réifiée dans son lien avec le territoire et la spiritualité autochtone. Pour une inclusion des pratiques de l’écriture dans un projet de revitalisation linguistique, ceci signifie que la « clarification idéologique » décrite par Fishman (2006 : 91) (débattre des attitudes linguistiques, de la légitimité du processus de revitalisation, des valeurs en jeu, des objectifs, etc.) est d’autant plus nécessaire.

Cette clarification idéologique doit prendre en compte les négociations identitaires associées au bilinguisme inégalitaire, comme celui qui a cours dans les situations coloniales ou postcoloniales :

The spread of literacy from literate to preliterate groups often accompanies the introduction (sometimes the imposition) of a new language, be it a ‘major’ language like English or Arabic or a locally based lingua franca, often a creole (e.g. Tok Pisin in Papua New Guinea). Even when it is the policy of the introducing agent to base literacy on local languages, a lingua franca generally looms not far behind. Thus arise compartmentalized situations, whereby a ‘local’ or ‘vernacular’ literacy is used in some contexts, and a more ‘global’ literacy (commonly equated with print and ‘national’ literacies) in another set of contexts. The spread of literacy must thus be placed in the context of histories of contact between intrusive languages and local languages. (Street et Besnier 1996 : 539)

Le bilinguisme ou le multilinguisme ajoutent d’autres variables dans les choix de pratiques et créent ainsi une situation fertile à la négociation des identités et à la résistance : « literacy events are part of a continual construction and negotiation of identity for people in different 56 kinds of groups and communities » (Barton et Hamilton 2000 : 207). Street (1994) baptise d’écriture locale (ou alternative ou encore vernaculaire) les pratiques qui sont connectées plus particulièrement aux identités du groupe, par comparaison avec des écritures plus dominantes (nationales/internationales). Hornberger rappelle quant à elle que la multiplicité des écritures (multilingues) reflète et construit des identités particulières (Hornberger 1997 : 6). Elle propose une méthode d’analyse de ces situations complexes en formant le néologisme de «biliteracy» (avec bilinguisme et écriture) qu’elle définit ainsi : « the use of two or more languages in and around writing » (Hornberger 2003 : xii). Ce modèle prend en compte une variété de contextes représentée sous la forme de continuums de pratiques qui s’entrecroisent : par exemple les continuums pratiques orales-pratiques écrites, unilingue-bilingue ou d’un système graphique à l’autre.

Les recherches sur les écritures en contexte minoritaire se penchent sur la construction d’identités face à un pouvoir et des discours dominants. Cette construction s’effectue au simple niveau des affichages. L’écriture alphabétique s’impose aujourd’hui comme un système graphique dominant, et l’environnement graphique est une « illustration de rapports subtils, de conflits entre fonctions officielle, communicative ou identitaire, qui s’incarnent dans les choix de transcription » (Calvet 1999 : 55).

Par ailleurs, les réflexions sur le processus de mondialisation ont contribué à problématiser le local en termes de construction culturelle et d’identité. Appadurai (1996) repositionne les identités locales des groupes en fonction des flots migratoires, médiatiques ou économiques. La reproduction (ou transmission) culturelle se fonde en partie sur la réinterprétation de la place du groupe sur cette échelle local/global :

As groups migrate, regroup in new locations, reconstruct their histories, and reconfigure their ethnic projects, the ethno in ethnography takes on a slippery, nonlocalized quality, to which the descriptive practices of anthropology will have to respond. The landscapes of group identity – the ethnoscapes – around the world are no longer familiar anthropological objects, insofar as groups are no longer tightly territorialized, spatially bounded, historically unselfconscious, or culturally homogeneous. (Ibid. : 48)

L’écriture s’inscrit dans des économies mondialisées par son capital culturel, montre Luke (2003). En d’autres mots, les pratiques de l’écriture des groupes minoritaires reconfigurent 57 de nouvelles identités sociales en fonction des redistributions de pouvoir et de richesse : « Language, discourse and literacy are media for the construction and negotiation of identity and power » (Ibid. : 134). Les nouvelles technologies participent à cette construction identitaire et l’Internet est le lieu de projets de revitalisation linguistique comme de représentations identitaires vis-à-vis de l’extérieur et au sein du groupe (Landzelius 2006).

À l’idée de localité s’ajoute alors la question du contrôle des pratiques. Hermes et Uran (2006), dans le contexte des États-Unis, invitent à une réflexion critique sur les programmes d’enseignement de l’écriture et de revitalisation linguistique et le concept d’empowerment. Ils rappellent que l’écriture en anglais continue de participer à la colonisation et l’assimilation des peuples autochtones, et que le contrôle local des efforts de promotion de l’écriture ne peut pas s’affranchir des structures éducatives institutionnelles de l’État. Ainsi, pour ces auteurs : « "indigenous-controlled" anything is a suspect construct, perhaps useful for temporary comparison but far too shaky to support serious criticism of colonization » (Ibid. : 395).

En raison du contexte économique et politique dans ces situations d’inégalité linguistique, les auteurs s’entendent pour privilégier les processus de revitalisation linguistique qui émergent au niveau local, en raison du poids des attitudes linguistiques des locuteurs ainsi que du lien persistant entre écriture et assimilation. Mais il ne faut pas oublier que le local est une arène complexe, car c’est le point de convergence de discours multiples qui influencent les pratiques.

2.3 Écritures multilingues et construction identitaire : exemples ethnographiques et historiques De nombreuses études ethnographiques en milieu autochtone permettent d’illustrer de façon nuancée ces processus de construction identitaire qui mettent en jeu l’écriture dans une ou plusieurs langues. 58

2.3.1 Lecture religieuse et écriture épistolaire : communiquer avec le surnaturel, revisiter la cohésion du groupe L’écriture en langue autochtone naît souvent du prosélytisme missionnaire. Elle n’a pas introduit une cassure dans la spiritualité et les pratiques communicatives autochtones mais, au contraire, a souvent permis une continuité avec les anciennes croyances et manières de pratiquer la religion. L’interprétation des écrits bibliques et religieux, traduits en langue autochtone, se construit en fonction des relations avec les colonisateurs et de l’idéologie linguistique des groupes où l’oralité garde sa prédominance. Plusieurs travaux ethnographiques se sont penchés sur l’inclusion de l’écriture dans des cultures où l’oralité domine, et ils explicitent les attitudes qui naissent de la rencontre avec les colonisateurs.

Guss (1986) discute de l’inclusion des Espagnols et de l’écriture dans les dualités culturelles des Yekuana d’Amazonie. Les Yekuana possèdent plusieurs types de chants rituels. Ces chants sont leur seul pouvoir de protection contre les maladies et les dangers qui découlent des contacts avec le monde non humain (Ibid. : 147). Les Espagnols, qui disent posséder les mots de Dieu (la Bible) sont en fait trompés par les forces du Bien. En effet, les Espagnols sont des créations du Mal et l’écriture n’est qu’un subterfuge du Bien pour leur cacher la vérité. Les chants rituels yekuana ne peuvent ainsi pas être transcrits : seuls les mots prononcés ont le pouvoir de communiquer avec le surnaturel, et une transcription risquerait d’annuler ce pouvoir. Mais l’écriture a également un pouvoir magique, celui de permettre l’accès à certaines richesses matérielles. Ceci implique le maintien des Espagnols dans un monde matériel, alors que les Yekuana peuvent, eux, accéder au surnaturel. L’écriture et l’oralité sont ainsi incluses dans la lutte pour l’accès au pouvoir entre les Yekuana et les Espagnols.

L’appropriation de l’écriture a été perçue comme un moyen d’accéder aux biens matériels des colonisateurs. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, Kulick et Stroud (1993) expliquent que le catholicisme a été partiellement à l’origine des cultes du Cargo14. Dans un village, les auteurs ont entrepris de recenser les types d’écrits disponibles. La presque totalité de ces écrits était liée à la religion. Les habitants maintiennent activement un lien entre l’écriture

14 Les cultes du Cargo sont des cultes millénaristes qui prévoient l’accès à de nombreuses richesses matérielles. Ce type de culte s’est souvent développé après le contact avec des peuples colonisateurs et l’exploitation violente de la rencontre par ces derniers. 59 et le christianisme car les mots ont traditionnellement un pouvoir dans les sociétés mélanésiennes. L’écriture, en ce qu’elle permet de posséder les mots de Dieu, constitue un pouvoir considérable. Grâce à l’écriture, au christianisme, et à l’école dans une moindre mesure, les villageois pensent pouvoir accéder finalement au Cargo.

Le lien entre pratiques communicatives et religion, anciennes et nouvelles, est facilité dans l’exemple qui suit par les erreurs des missionnaires. Crowley (2001) se penche sur le travail de missionnaires dans le Pacifique, et plus particulièrement dans l’île d’Erromango, au sud du Vanuatu. Il montre que les premières traductions hasardeuses du Nouveau Testament, de cantiques et du catéchisme sont difficilement compréhensibles. Les structures linguistiques utilisées sont maladroites. Néanmoins, les locuteurs ont choisi certaines des constructions étranges introduites par les colonisateurs et les ont transmises dans le domaine particulier des activités religieuses. Les hymnes chrétiens étaient ainsi similaires à certaines chansons traditionnelles qui révélaient des éléments essentiels de la tradition orale : ils n’étaient que partiellement compréhensibles aux auditeurs.

La rencontre de deux idéologies linguistiques et l’intégration du texte dans les pratiques orales font l’objet de l’étude de Schieffelin (2000) sur l’alphabétisation des Kaluli en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le processus d’alphabétisation participe d’un point de vue idéologique au projet de domination coloniale et au discours missionnaire de transformation morale par la conversion. Par exemple, les livres de lecture créés par les missionnaires présentent les Kaluli comme un groupe arriéré qui doit être civilisé (Ibid. : 308). Les Kaluli, eux, s’intéressent à l’écriture et à la lecture dans l’espoir de maîtriser un savoir-faire pratique permettant l’acquisition de biens. Le texte écrit s’inscrit dans un ensemble de pratiques orales :

In family settings, primers or Bible passages were always read aloud, syllable by syllable, in unison with others. Most of the time they were part of lessons or Bible classes that were oral and interactive, a context for correction and interpretation as well as innovation. (Ibid. : 310)

La lecture s’est tout naturellement greffée au système kaluli de négociations orales des informations : les livres parlent, sont écoutés, et enseignent par la voix des lecteurs. Le texte représente cependant une nouvelle autorité sur le savoir parce qu’on ne peut valider la 60 source de l’information comme pour les individus. Il s’agit donc plutôt d’un monologue sur le modèle des sermons que d’une conversation.

Les textes des missionnaires sont intégrés dans un processus de négociation de l’identité culturelle après le contact. Malgré certaines différences entre les groupes missionnaires, l’importance idéologique de l’écriture dans leur entreprise reste évidente. Wogan (1994) réévalue les descriptions des jésuites de l’accueil de l’écriture par les Autochtones d’Amérique du Nord. Selon lui, la crainte révérencielle envers l’écriture supposément éprouvée par les Autochtones est surtout l’expression du prestige que lui accordent les missionnaires. En ce qui concerne la doctrine protestante, elle met tout particulièrement en avant la lecture individuelle de la Bible, ce qui a été l’un des moteurs de l’alphabétisation par l’instruction religieuse en Europe (Graff 1987). L’idéologie protestante inscrit l’écriture dans un processus moral et social, une transformation par la conversion.

Reder et Wikelund (1993 : 183) décrivent l’introduction de l’alphabet cyrillique par les missionnaires russes orthodoxes, puis de l’alphabet romain par les baptistes américains, dans un village inuit d’Alaska :

Conflict between literacy traditions also played an active role in the missionary clash. The missionaries tried to replace the well-established oral use of Slavonic and Alutiiq in church services with the use of English in the Baptist services. Furthermore, the sacred Slavonic writings, too, were to be replaced by materials written in English. The attempts to introduce the School-based literacy into the domain of the Church threatened the existing social order of the village. The missionaries’ dual status as school teachers only intensified the difficulties.

Les habitants du village ont organisé ces pratiques selon une idéologie mettant en contraste les relations à l’intérieur du village (pratiques cyrilliques en russe et en alutiiq) et les relations avec l’extérieur (pratiques latines en anglais), une opposition interne-externe préexistante à l’introduction de l’écriture, et qui sert à négocier l’identité ethnique des habitants.

Sur un plan plus large, l’idéologie des groupes missionnaires a influencé les politiques linguistiques. Barros (1995) documente ainsi l’adoption des valeurs protestantes et de l’écriture pour l’Amérique latine. Elle montre comment l’expansion du Summer Institute of 61

Linguistics a diffusé un modèle évangélique d’enseignement de l’écriture. Ce modèle utilise la langue autochtone et la Bible afin d’alphabétiser et d’évangéliser les populations. Le travail de création d’une orthographe y est conçu comme un processus purement phonologique, sans répercussion culturelle, et on le légitime par la mise en avant de valeurs indigénistes. Dans les années 1930, les programmes d’éducation bilingue mis en place et contrôlés par l’organisation missionnaire sécularisent ce modèle. Le succès de cette entreprise a été évident dans le cadre de l’évangélisation mais n’a pas réussi à remplir d’autres objectifs tels que l’utilisation de l’écrit pour les besoins communicatifs du groupe ou la préservation de la langue et de la culture autochtones.

Parallèlement aux pratiques religieuses s’est souvent développée une autre activité : l’écriture épistolaire. Pour certains groupes, on peut classer sous l’un et l’autre de ces deux domaines la grande majorité des pratiques de l’écriture. L’échange de lettres s’est spontanément et très facilement développé, bien que l’utilisation de l’écriture pour d’autres fins que la pratique religieuse n’ait pas été particulièrement encouragée.

Chez les Diyari d’Australie, Ferguson (1987) explique que l’échange épistolaire en langue vernaculaire est également devenu l’activité la plus appréciée et pratiquée, en dehors des pratiques chrétiennes. Une des raisons du succès des pratiques épistolaires est, comme l’explique Knack (2002 : 15) pour les Paiutes de l’Ouest des États-Unis, l’opportunité de résoudre le problème de l’éloignement géographique, afin de maintenir la structure sociale des groupes. Ce problème s’est toujours posé pour les Paiutes qui vivent dispersés sur un large territoire, et il précédait bien entendu le contact. L’éloignement géographique n’est cependant pas la seule raison du succès de l’échange épistolaire. Le maintien des relations sociales, et la définition de l’individu en fonction de ces relations sont cruciaux.

Besnier (1993) explique comment des lettres échangées dans une communauté insulaire polynésienne sont intégrées dans différents réseaux d’échanges et représentent essentiellement (selon des normes d’expression des émotions) un type de communication orale. Selon l’auteur ces lettres doivent alors être définies dans un contexte cathartique, favorisé par l’environnement insulaire : 62

On Nukulaelae, letters are highly ‘concentrated’ communicative events : opportunities to receive and write letters are remarkably few and far between (once a month at most), which contrasts sharply with the constant face-to-face socialization that life on a tiny crowded atoll affords on a daily basis. Furthermore, Nukulaelae islanders are highly sensitive to physical distance from loved ones, as witnessed by the extreme emotional displays that typically characterize farewells. (Besnier 1993 : 81)

Dans un contexte très différent, Kulick et Stroud (1993) étudient l’échange de notes au sein d’un village de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le contenu de ces lettres est strictement dicté par l’expression consensuelle de soi, de son save (sagesse, respect), c’est-à-dire d’un traitement particulier des relations sociales qui se caractérise par un évitement constant des conflits. Les lettres remplacent des échanges oraux et formulent des demandes d’ordre économique sans risque : elles permettent d’expérimenter une relation sociale où domine le save, où les interlocuteurs préservent les relations sociales et font preuve de solidarité.

Ainsi, on peut proposer une explication très simple du succès des échanges épistolaires après l’introduction de l’écriture : les lettres représentent une option commode pour expérimenter les systèmes de réciprocité (liens de parenté, économiques, etc.), en ressemblant aux échanges oraux et en s’y substituant quand ceux-ci ne sont pas possibles ou pas souhaitables.

Quand les pratiques de l’écriture se limitent au domaine religieux et aux activités épistolaires dans une communauté de locuteurs, Besnier propose d’utiliser la notion d’incipient literacy. Ce terme répond à celui de restricted literacy utilisé par Goody dans des sociétés où l’introduction de l’écriture n’aurait pas atteint le potentiel prévu. Cependant, incipient literacy, remarque Besnier, est une étiquette descriptive pratique, il ne s’agit ni d’une catégorie homogène, ni d’une étape sur une échelle d’évolution (1995 : 172-173).

Le développement indépendant de l’échange épistolaire montre une appropriation évidente de l’écrit et à nouveau son lien avec les pratiques orales. Les pratiques épistolaires ont favorisé l’appropriation de l’écriture, car elles se sont éloignées du système éducatif et donc, de l’idéologie linguistique occidentale. 63

2.3.2 Transition vers la langue dominante et instruction scolaire Quels sont les événements qui peuvent déstabiliser cette appropriation de l’écriture et accélérer une transition vers la langue dominante? Pour Dauenhauer et Dauenhauer (1998) la résurgence de l’identité ethnique est un élément à prendre en compte. Ces auteurs proposent quatre catégories d’attitudes envers l’écriture en langue autochtone, d’après leurs observations dans le sud-est de l’Alaska. Ce changement d’attitudes, résumé ci-dessous, accompagne un déplacement linguistique (Ibid. : 89-90) :

- l’écriture ne pose pas problème (elle est autochtone ou n’existe pas),

- l’écriture est remise en question est rejetée (elle trace une frontière entre « nous » et « eux),

- l’écriture est un élément décoratif plutôt qu’un élément fonctionnel de communication,

- les locuteurs ne s’investissent plus émotionnellement dans les pratiques orales de la langue autochtone mais utilisent l’écrit dans un effort académique d’apprentissage.

Mülhäusler (1996) fait la synthèse de plusieurs études d’écriture des langues autochtones dans le Pacifique et dégage certaines généralisations quant aux impacts longitudinaux de cette entreprise. Deux de ces généralisations concernent la perte de la diversité linguistique (car les missionnaires privilégient un dialecte parmi d’autres) et le fait que l’écriture en langue vernaculaire est seulement une étape (vers l’utilisation de la langue dominante). La question du passage de l’écriture en langue autochtone à l’écriture dans une autre langue mérite tout particulièrement réflexion. Selon l’auteur, ce passage s’explique par la recherche de mobilité sociale. Habituellement, l’alphabétisation en langue vernaculaire est très rapide puis décline en raison de son remplacement par la langue dominante. L’inégalité de pouvoir entre les langues fait que les locuteurs qui ont accès à la langue dominante la choisissent au détriment de la langue autochtone.

Le milieu scolaire est un agent de cette domination, et entraîne les pratiques écrites dans des tensions qui signifient souvent leur dissociation de la langue autochtone. Ceci renvoie aux attitudes contemporaines envers l’introduction de la langue autochtone dans des 64 systèmes scolaires monolingues. Burnaby, MacKenzie et Bobbish Salt (1999) retracent l’histoire de l’introduction de la langue autochtone dans le milieu scolaire chez les Cris du Nord du Québec. L’échec initial de ce projet est expliqué en partie par certaines attitudes défavorables malgré le contrôle local de ce programme. L’anglais est lié à la réussite économique et, dans les années 1980, certains parents pensaient qu’une éducation bilingue ferait obstacle à un bon apprentissage de cette langue. Cette résistance se concentrait tout particulièrement sur l’écriture en langue crie et son apprentissage avant l’écriture en langue anglaise ou française.

Ainsi, l’introduction de programmes bilingues d’éducation n’est pas un événement neutre car il se construit sur des histoires d’apprentissage de l’écriture différentes en fonction des populations, et ravive des tensions et enjeux incontournables. Les représentations du milieu scolaire témoignent du fait que l’école reste une institution assimilatrice et par conséquent le lieu de la langue dominante. La langue autochtone est une richesse de la communauté, un marqueur identitaire, qu’il est souvent mal vu d’abandonner au milieu scolaire. Ceci n’empêche pas que dans des situations linguistiques inégalitaires, des programmes d’éducation bilingue soient parfois un recours crucial pour le maintien de la langue.

Deux groupes linguistiques voisins dans l’exemple suivant formulent des représentations divergentes des pratiques de l’écriture dans le système scolaire. En Amazonie péruvienne, une communauté harakmbut voit l’éducation bilingue avec l’utilisation des deux écritures (autochtone et espagnole) comme une menace à son intégrité culturelle (Aikman 1995). Historiquement, cette communauté avait en effet déjà refusé l’utilisation de l’écriture en langue autochtone dans le domaine religieux. Les croyances et pratiques culturelles ont été maintenues de façon orale en les cachant des missionnaires et des colonisateurs (Ibid. : 417). Au contraire, les membres de la communauté arasaeri voient l’enseignement des deux écritures comme un moyen de maintenir leur langue et une première étape pour une réappropriation culturelle : une histoire différente de colonisation fait que les ressources orales dont ils disposent à cette fin sont beaucoup moins riches que celles de l’autre communauté (Ibid. : 419).

L’attrait économique de l’apprentissage de la langue dominante par le biais de l’école n’est donc pas la seule variable à considérer en ce qui concerne la mise à l’écart de l’écriture en 65 langue autochtone, il est également important de prendre en compte la vitalité perçue de cette langue.

Un chantier sur lequel s’engagent ceux qui visent à introduire des programmes scolaires en langue autochtone est la standardisation de l’écriture. Les Innus du Québec et du Labrador ont rapidement utilisé l’écriture alphabétique développée par un missionnaire jésuite pour leur langue à la fin du 18ème siècle. Une tradition épistolaire a vu le jour (Mailhot 1992). La pratique de l’écriture s’est poursuivie au siècle suivant :

The teaching of literacy was carried out within the family, with the primary aim of reading religious texts; some individuals used writing only for short messages or for a personal journal, but no one used writing intensively. With the introduction of obligatory education in the dominant language, people ceased, little by little, to write in Innu. (Baraby 2002 : 200).

Dans les années 1970, la prise en charge de l’éducation par les communautés rend nécessaire une réforme orthographique. La standardisation n’a cependant pas été une mince affaire. Elle a concrétisé certaines dissensions entre les communautés dans le domaine éducatif, et reste toujours aujourd’hui un sujet très débattu. Drapeau (1985), une linguiste qui a participé à ce projet de standardisation, explique ces difficultés par le caractère symbolique de l’écriture, surtout (paradoxalement) dans des sociétés où l’oral prédomine : les locuteurs désirent que le système reflète strictement leur façon de parler et sont inquiets de l’influence possible d’un standard écrit sur la prononciation.

2.3.3 Appropriation et marginalité de l’écriture en langue autochtone : un débat contemporain De nombreuses études récentes sur les processus de revitalisation linguistique chez les Autochtones des États-Unis offrent une réflexion intéressante qui permet d’aller plus loin en ce qui concerne la notion d’appropriation de l’écriture en langue autochtone. Bielenberg (1999) fait la synthèse de plusieurs études en milieu autochtone et définit deux groupes de personnes qu’il nomme les « nationalistes » vs les « traditionalistes ». Pour les premiers, l’écriture est un élément incontournable pour la revitalisation de la langue autochtone, alors que pour les seconds, il s’agit d’un élément du monde des Blancs à rejeter. 66

Dans une réserve ute des États-Unis, Leap (1991) explique ainsi comment l’écriture serait utile pour la promotion de la langue autochtone, alors qu’elle reste un phénomène marginal pour les raisons résumées ci-dessous :

- il s’agit d’une pratique récente donc peu familière,

- l’apprentissage de cette écriture à l’école par les enfants renverse la hiérarchie générationnelle traditionnelle d’apprentissage,

- le volume d’écrits en langue autochtone est très limité,

- l’utilité d’apprendre à écrire reste débattue par rapport aux exigences du monde du travail par exemple,

- il existe des objections spirituelles quant à l’écriture de la langue autochtone,

- le partage traditionnel d’informations implique de nombreux médias au-delà de la seule écriture (peinture par exemple),

- une séparation conflictuelle s’établit entre ceux qui choisissent d’apprendre à écrire la langue autochtone et les autres.

Ce cas illustre la diversité des éléments qui entrent en jeu dans la création d’une situation de diglossie spéciale (la langue autochtone ou locale n’est utilisée qu’à l’oral et une autre langue, l’ancienne langue coloniale par exemple, est utilisée à l’écrit). L’idéologie de l’écriture qui maintient ces situations en place évolue en fonction des nouveaux besoins des communautés linguistiques. Morgan (2002) étudie l’évolution des idéologies en ce qui concerne la pratique de l’écriture dans les langues vernaculaires et en anglais dans une réserve au Montana. L’écriture en anglais était d’abord utilisée par la bureaucratie coloniale comme un autre outil de domination, puis comme un moyen de créer de « bons citoyens ». Elle a aussi été utilisée par les habitants de la réserve à des fins politiques puis identitaires, pour créer une unité autochtone avec l’extérieur. L’identité autochtone s’exprime à l’oral en langue vernaculaire alors qu’elle est négociée et promue par l’anglais écrit (Ibid. : 191). Aujourd’hui cependant, la pérennité de la langue autochtone est menacée et son écriture permet de faciliter les processus d’apprentissage. L’idéologie du caractère oral de la langue 67 autochtone est en conflit avec celle de la mort des langues. Plusieurs personnes restent réticentes quant à la nécessité d’écrire la langue vernaculaire : la façon autochtone de transmettre les connaissances, l’autorité de certaines personnes à le faire et à posséder certaines histoires sont remises en cause. Par conséquent, l’écriture de la langue vernaculaire s’effectue prudemment et est négociée au sein de la communauté.

Dans une réserve navajo, McLaughlin (1989, 1992) montre comment, à l’école comme à l’église, un processus d’ « autochtonisation » de ces institutions a permis de dépasser ce caractère marginal en créant des domaines très personnels de pratique de la langue autochtone. Dans la réserve, on retrouve cette diglossie spéciale : dans certaines institutions l’écrit est en anglais, l’oral en navajo. Dans ces institutions, tel le conseil politique de la réserve, cette diglossie est liée à la domination économique et politique. Le sujet autochtone devient alors l’objet de l’écrit, de l’impression en anglais. Cependant, à l’école (par exemple) la participation de la communauté et l’évolution de l’éducation bilingue ont changé cet état de fait. L’écriture de la langue vernaculaire est encadrée par l’idéologie de l’autonomie et de la maîtrise de son destin, le tout mis en relation avec la connaissance de la tradition, de la culture et de la langue navajo. Qualifier la situation linguistique de la réserve de « diglossie spéciale » cache ainsi ces différents processus de création de domaines pour l’écriture vernaculaire, mis en œuvre à partir des années 1970.

Également autour du domaine scolaire, Watahomigie et McCarty (1997) décrivent les différentes stratégies adoptées en Arizona pour revitaliser la langue hualapai. Face au déclin de la langue, l’écriture a rallié les efforts envers la revitalisation linguistique. Néanmoins, ceci a entraîné une négociation identitaire importante : le seul domaine de pratique est l’école, alors que ce type d’institution a historiquement stigmatisé l’utilisation de la langue.

Hualapai literacy can be seen as a contested and recursive social transaction-a renegotiation of cultural values and role relationships vis-à-vis both « traditional » and « modern » institutions-inseparable from the history of individuals and the community, and from underlying relations of power. (Ibid. : 105)

Si l’écriture devient le symbole de la revitalisation linguistique, son apprentissage à un niveau individuel entraîne parfois un regain d’intérêt pour la langue et les connaissances 68 autochtones. Hornberger (1997 : 230-231) présente le cas de plusieurs adultes quechua au Pérou qui se sont servi de l’écriture pour des buts précis : enseignement de la Bible, promotion de la langue quechua, création de livres scolaires, etc. On se trouve avec une remise en cause de la diglossie spéciale qui restreint l’écriture à la langue espagnole et le quechua à la langue parlée. De plus, les connaissances linguistiques de ces personnes s’enrichissent grâce à leur participation à ces tâches particulières.

2.3.4 Urbanisation et attitudes générationnelles : une nouvelle donne L’hégémonie qu’exerce la langue dominante sur la langue autochtone est tout particulièrement visible au sein du village, de la réserve ou plus rarement de la ville. Pour les groupes dont le processus de sédentarisation est récent, la différence entre l’utilisation de la langue au sein de la communauté et à l’extérieur se répercute dans les pratiques de l’écriture. Grenoble et Whaley (2003) montrent que parmi les Evenkis de Sibérie, les personnes actives dans le domaine de la pêche et de l’élevage de rennes continuent de parler la langue autochtone. Dans les villages, la langue et l’écriture privilégiées sont russes : l’enseignement de la langue evenki à l’école reste marginal et l’école participe à la perte de la langue. Même s’il existe certains écrits en evenki, l’écriture n’est pas intégrée à des éléments importants de la culture, bien qu’elle garde une valeur symbolique. Ceux qui n’écrivent pas parce qu’ils mènent une vie plus traditionnelle continuent ainsi de pratiquer la langue autochtone.

La sédentarisation et l’urbanisation des populations autochtones, que ce soit dans des communautés isolées ou de grands centres urbains, sont la marque du processus de colonisation et font partie des relations entre les groupes autochtones et l’État (Taylor et Bell 2004). Au Canada, la politique gouvernementale régit toujours la mobilité autochtone (Frideres, Kalbach et Kalbach 2004). De plus, l’urbanisation est une étape qui participe au phénomène de glottophagie, parce qu’économiquement et socialement la campagne s’inscrit dans une relation hiérarchique avec les villes (Calvet 1974 : 78). D’autres facteurs entrent en jeu : la ville est le lieu d’expression des politiques étatiques, un lieu où sont concentrées les nouvelles technologies et où l’hétérogénéité de la population rend souvent nécessaire l’adoption d’une langue véhiculaire (Calvet 2002 : 16). 69

Enfin, la ville implique une socialisation des jeunes qui n’est pas semblable à celle de leurs parents ou de leurs grands-parents, en fonction des étapes du processus de sédentarisation. Les attitudes des jeunes générations envers la langue sont évidemment cruciales pour son maintien : les médias, les parents, la communauté, l’école, les pairs, sont tous des facteurs susceptibles d’influencer les attitudes des jeunes envers la langue minoritaire comme le remarque Baker (1992 : 112). En ce qui concerne la pratique du gallois, celui-ci montre à quel point la culture populaire en langue dominante influence fortement et négativement les attitudes envers la langue autochtone.

L’idéologie linguistique de l’écriture varie en fonction des générations. Dans un village anishinaabe, Hare (2003) se penche sur les pratiques de l’écriture. Elle montre que ces pratiques ont été restreintes et décontextualisées chez les jeunes. Les pratiques traditionnelles incluaient l’écriture dans un processus plus large d’acquisition des savoirs, savoirs sur l’environnement par exemple, qui s’exprimaient au sein de systèmes symboliques. Avec les nouvelles générations, l’écriture a été restreinte au milieu scolaire et à la participation à la société dominante. L’auteure conclut en insistant sur la nécessité de se réapproprier les autres savoirs autochtones afin de recontextualiser l’écriture.

Cette perte de savoirs s’accompagne de la perte de la langue, ce qui signifie pour les Tlingit du Sud-Est de l’Alaska, comme l’indiquent Dauenhauer et Dauenhauer (1998 : 98), que : « the mainstream of ever-changing Tlingit culture will continue to bypass the ancestral language and traditional world view. » Ces auteurs introduisent une clarification idéologique en expliquant qu’il existe un écart entre les idéaux de maintien de la langue et le soutien individuel apporté à ce travail. De nombreuses raisons, dont la honte, héritée du processus colonial, de pratiquer la langue autochtone, ont brisé le processus de transmission de cette langue. Les jeunes générations ne peuvent ainsi compter que sur du matériel écrit pour apprendre la langue, alors que l’écriture a peu d’attrait pour les générations plus âgées. Les auteurs parlent de la littérature orale comme incorporée (embodied) dans la tradition tlingit et désincorporée (disembodied) à travers le processus de colonisation et sa mise par écrit. Un des éléments particulièrement importants pour les aînés (qui restent les sources de la littérature orale tlingit) est de conserver « l’encadrement narratif » de chaque histoire, qui présente le conteur. Plusieurs informations sont nécessaires à cet encadrement car le 70 conteur doit démontrer, en utilisant sa généalogie, qu’il a le droit d’utiliser cette histoire et expliquer comment il l’a apprise (Dauenhauer et Dauenhauer 1995 : 94-95). Dans le processus de transcription des histoires en anglais, cet encadrement est presque toujours omis. Les aînés tlingit ne s’opposent pas à un processus de transcription, mais ils ont établi certaines règles qui visent à préserver l’incorporation des histoires transcrites.

2.4 Éléments de réflexion sur l’écriture dans l’Arctique de l’Est et en contexte inuit Les différentes tendances et attitudes présentées ci-dessus sont pertinentes pour réfléchir à la situation linguistique dans le monde circumpolaire. L’aire circumpolaire est vaste, et il est évident que chaque région présente des spécificités qui lui sont propres. Néanmoins, elles font partie du même ensemble linguistique car la langue inuit est parlée de l’Alaska jusqu’au Groenland en passant par le Nord canadien. L’écriture de la langue inuit a été introduite dans plusieurs parties du monde circumpolaire à des époques et par des groupes missionnaires différents (Therrien 1989) et aujourd’hui, les systèmes graphiques utilisés divergent (l’orthographe romaine pour l’Arctique de l’Ouest, le Labrador et le Groenland, et l’écriture syllabique pour l’Arctique de l’Est). À ces différences d’orthographes s’ajoutent des différences de vitalité de la langue autochtone et une importance relative des pratiques de l’écriture dans cette langue.

2.4.1 La langue et l’écriture comme ressources identitaires Plusieurs auteurs se sont penchés sur l’étude des pratiques langagières dans le monde circumpolaire, et leur inscription dans des dynamiques de construction identitaire. Hensel (2001) étudie la mobilisation de l’ethnicité dans l’interaction langagière, en contexte yup’ik (Alaska) et à un niveau individuel. Il montre notamment que l’identité sociale et ethnique est négociée entre les participants grâce à des discours culturellement définis. Les discours sur les activités de chasse et de pêche chez les Yupiit sont particulièrement saillants, car il s’agit évidemment d’un domaine majeur de la vie quotidienne qui a des répercussions sur le tissu social, les pratiques cérémonielles, l’économie, etc. Les conversations sur les pratiques de pêche, de chasse ou de consommation de nourriture négocient l’identité sociale des intervenants non selon une opposition stricte entre Yupiit et non-autochtones mais 71 plutôt selon un continuum de pratiques, qui reflètent la diversité des identifications contemporaines.

En complément des discours, le choix des langues contribue à la création et à la reproduction de l’identité ethnique. Patrick (2003) décrit l’organisation des échanges dans la communauté plurilingue de Kuujjuaraapik (Nunavik), où sont parlés l’, le cri, l’anglais et le français. Les pratiques langagières remplissent la fonction de traits inclusifs ou exclusifs pour les groupes. De plus, elles participent à la reproduction de valeurs culturelles et sociales dans un contexte politique et économique particulier. L’auteure utilise pour décrire cette situation multilingue les concepts de marché linguistique, développé par Bourdieu, et de marché linguistique alternatif, proposé par Woolard. Le marché linguistique dominant, tel que l’entend Bourdieu (1982), est basé sur des compétences linguistiques spécifiques (définies et légitimées par l’école et d’autres institutions sociales) qui permettent l’acquisition d’un statut social supérieur. Ces compétences sont inégalement réparties dans la communauté, parce qu’étroitement associées à la hiérarchie du modèle économique capitaliste. Woolard (1985) nuance cette conceptualisation des dynamiques linguistiques en définissant un marché linguistique alternatif (à partir de la situation catalane), basé sur les interactions quotidiennes et informelles. À Kuujjuaraapik, Patrick remarque qu’il existe un marché dominant « contrôlé par le Sud » où les communautés anglophone, francophone et de langue inuttitut luttent pour le pouvoir politique et économique. Parallèlement, on retrouve un marché alternatif, où la forme locale d’inuttitut (le dialecte local) acquiert une grande valeur (symbolique et pratique) dans l’acquisition des connaissances traditionnelles et la participation aux activités cynégétiques.

Patrick ne prend pas en compte les pratiques de l’écriture et leur rôle dans ces différents marchés, bien qu’elle souligne les moins bonnes compétences des locuteurs en ce qui concerne l’écrit. L’inuttitut ne domine pas les pratiques écrites, et les moins de 40 ans lisent et écrivent mieux en anglais qu’en langue inuit (Patrick 1998 : 187-189).

Cette description de l’organisation du plurilinguisme à Kuujjuraapik renvoie aux observations de Dorais (1995, 1997) à Igloolik et Quaqtaq (Nunavik). D’après des entrevues effectuées dans ces deux communautés, l’auteur explique que l’inuktitut est 72 considéré comme la langue des activités dans la toundra, de la chasse et de la pêche, alors que l’anglais est la langue de la ville ou du village, des activités permettant de faire de l’argent. Il résume ces attitudes en ayant recours à deux concepts en inuktitut : le terme maqainniq définit les activités de subsistance effectuées sur le territoire alors que kiinaujalirutiit désigne les activités permettant de faire de l’argent. Cette séparation des activités valorise grandement l’inuktitut comme symbole de l’identité autochtone, alors que l’anglais est plutôt nécessaire pour acquérir un savoir-faire qallunaat. Selon l’auteur, il y a cependant un écart entre discours et pratiques puisque cette attitude très positive envers l’inuktitut ne se transpose pas strictement dans une utilisation accrue : l’anglais est très présent. Cet ensemble d’attitudes introduit une restriction dans les pratiques langagières : l’inuktitut est la langue des activités « traditionnelles » et des affaires locales.

Les attitudes des jeunes inuit quant aux langues de leur communauté font l’objet de l’étude de Tulloch (2004) à Iqaluit, Pangnirtung et Pond Inlet. Le choix de l’anglais ou de l’inuktitut pour communiquer répond à un ensemble de jugements individuels sur la valeur symbolique et pratique de chacune des langues ainsi que sur la compétence perçue du locuteur. Beaucoup de variables sont en jeu; néanmoins, les attitudes des jeunes interrogés convergent vers un désir que s’épanouissent leurs compétences dans les deux langues. Une motivation pragmatique revient dans les discours plutôt qu’une question d’affirmation identitaire. Parler l’inuktitut renforce les liens familiaux et communautaires, favorise un sentiment de bien-être (Ibid. : 414). L’anglais offre un ensemble d’opportunités et permet de communiquer avec les Qallunaat (Ibid. : 417). L’auteure n’étudie pas particulièrement les attitudes envers l’écriture, tout en remarquant de moins bonnes habiletés à écrire qu’à parler la langue inuit.

Au contraire, Shearwood (1998) se penche spécifiquement sur les pratiques de l’écriture à Igloolik. Il montre que la façon de lire ou d’écrire en inuktitut ou en anglais définit l’identité personnelle, en lien avec les générations. Les pratiques du syllabique ont également renforcé par le passé la séparation entre catholiques et anglicans, puisque l’Église catholique privilégiait une écriture sans finales15 (Ibid. : 265). Aujourd’hui, les individus maîtrisent le syllabique différemment s’ils l’ont appris avant ou après le

15 Voir chapitre suivant ou annexe 1. 73 processus de standardisation de cette écriture (notamment parce qu’ils représentent ou non les consonnes finales des syllabes avec des diacritiques). Les aînés ne connaissent pas le syllabique standard (écrivent sans finales), mais leur utilisation du syllabique renvoie à un temps antérieur à la sédentarisation. Cette façon d’utiliser l’écriture est associée à ceux qui sont dépositaires des connaissances de chasse, ce qui leur confère un grand prestige. Les aînés, souvent monolingues, ne peuvent cependant écrire qu’en syllabique et sont exclus de l’économie de marché. Les jeunes qui peuvent écrire le syllabique de façon standard et écrire également en anglais ou français jouissent d’un prestige différent car ils ont accès aux emplois rémunérés, offerts pour la plupart dans le secteur public. Ces jeunes forment une catégorie de personnes ressource (brokers) qui fait le lien entre les aînés unilingues et les Qallunaat (Ibid. : 289).

En ce qui concerne l’écriture chez les peuples autochtones des anciens Territoires du Nord- Ouest, Shearwood (1987) propose une taxonomie des pratiques écrites. Les langues autochtones (alphabet latin et syllabique) s’associent aux domaines suivants : la lecture de la Bible, l’écriture vernaculaire pragmatique (lettres), l’écriture vernaculaire haute (autobiographies) et l’écriture vernaculaire scolaire (histoires). L’anglais (alphabet latin) se retrouve dans l’écriture pragmatique (histoires) et l’écriture essayiste (essais scolaires). Une telle taxonomie fournit un point de départ intéressant pour discuter de l’organisation des textes et des langues en fonction de domaines spécifiques, et des répercussions possibles sur les stratégies identitaires des locuteurs.

Pour rendre compte de ces stratégies identitaires en terre de Baffin, Dorais et Sammons (2002 : 121) avancent un principe important qui découle de leur étude des discours et des choix de langues dans trois communautés (Iqaluit, Igloolik, Kimmirut) : la région de Baffin est une communauté linguistique bilingue (l’anglais et la langue inuit sont constamment utilisés par la majorité des locuteurs). Par conséquent, il peut être pertinent de décrire un unique marché linguistique bilingue plutôt que deux marchés (un dominant, un alternatif). À Iqaluit, où trois communautés linguistiques sont en contact (anglophone, francophone, de langue inuit), le choix des langues dépend du contexte social (Ibid. : 125). L’inuktitut et le français servent à renforcer une des communautés ethniques et jouent un rôle dans la continuité de la tradition. L’inuktitut et l’anglais renvoient au pouvoir politique, comme au 74 marché du travail (l’inuktitut a plus de prégnance dans le premier domaine, l’anglais dans le second). Enfin, l’anglais est la langue de la communication entre les groupes et avec l’extérieur. Cette organisation des usages définit les valeurs identitaires et pratiques attribuées aux langues, qui influencent à leur tour les choix langagiers.

2.4.2 Langue et savoirs à l’école Les valeurs identitaires et pratiques des langues sont débattues avec acuité dans le domaine scolaire.

À travers les choix de langues se pose la question de l’autochtonisation (ou l’inuitisation) de l’institution scolaire comme des autres institutions. Dans des communautés yup’ik d’Alaska, Lipka et Ilustik (1997) ainsi que Wahlberg (1997) montrent comment les écoles, alors qu’elles dénigraient par le passé la langue et les connaissances traditionnelles, doivent aujourd’hui devenir le lieu de leur apprentissage, en raison de l’érosion culturelle et linguistique. Ceci rend nécessaire le développement de pratiques pédagogiques et de programmes d’enseignement novateurs.

Il doit ainsi s’effectuer une synthèse entre l’écriture et les modes de connaissance traditionnels qui rencontre des défis importants. Bodenhorn (1997) montre par exemple chez les Iñupiat d’Alaska que des pratiques modernes de l’écriture peuvent représenter un contrôle politique du savoir et de sa transmission. Dans la salle de classe ou à des audiences publiques, la valeur attachée à l’écriture telle qu’elle est pratiquée dans la société dominante invalide les façons traditionnelles de savoir ainsi que leurs dépositaires, les aînés. Il existe en effet un concept de lecture traditionnelle ou taiguaq. Il s’agit de la capacité de percevoir, d’interpréter et de transmettre des informations importantes sur l’environnement. Aujourd’hui, le couple lecture/écriture devient le seul moyen de connaissance et de transmission reconnu valide. L’information et son interprétation sont directement transmises alors qu’avec la façon d’enseigner traditionnelle, une place importante est laissée à l’expérimentation en contexte. Cette tension entre les modes d’apprentissage est explicitée par Stairs (1990) dans le Nord du Québec. Les parents voient aussi le malaise des jeunes et ont peur que l’école soit un élément de plus qui ne les aliène du système des relations sociales et de connaissance du territoire. Bref, il semble encore 75 difficile de penser une conciliation de l’isumaqsajuq (apprentissage contextualisé privilégiant l’observation et l’imitation) et de l’ilisajuq (apprentissage qui fonctionne sur la verbalisation d’éléments abstraits) (Stairs 1995). L’école manque d’une véritable intégration dans les dynamiques communautaires.

Dans les institutions primaire et secondaire d’Arviat au Nunavut, Targé (2005) décrit toutefois des expériences réussies de rapprochement des générations à l’école par un programme d’intégration des connaissances inuit :

Les récits oraux, les valeurs, les savoir-faire tels que la couture, la construction d’objets et les techniques de survie, les jeux, les danses aux tambours et les chants forment l’ensemble des savoirs oraux enseignés dans les écoles d’Arviat. (Ibid. : 36)

Les aînés sont les dépositaires principaux de ces connaissances. Certains de ces savoirs se transmettent, comme l’indique l’auteure (Ibid. : 37), à travers des techniques gestuelles (selon la définition de Mauss [1950]). L’écriture participe également à l’effort général de transmission. Les aînés déplorent certes de ne pas pouvoir partager leur savoir de façon orale mais ils considèrent l’écriture favorablement, comme une méthode de plus pour se remémorer et rendre accessibles les connaissances (Ibid. : 83).

L’écriture dans le cadre scolaire pallie les discontinuités dans le processus de transmission mais elle ne remplace pas le mode d’apprentissage par l’expérimentation dans la toundra. Les sorties sur le territoire avec les étudiants assurent l’appropriation des connaissances dans leur diversité et laissent une place à leur évolution, alors que les savoirs écrits restent figés sous la forme d’un texte (Laugrand 2008 : 90).

2.4.3 L’appropriation de l’écriture et la tradition orale L’appropriation de l’écriture et son lien avec d’autres pratiques et savoirs fait l’objet de réflexions générales dans plusieurs endroits du monde circumpolaire. Celles-ci offrent au débat des perspectives complémentaires et contrastées, qui donnent une idée de la diversité des domaines et des enjeux à considérer.

Les pratiques de l’écriture sont intégrées à d’autres activités traditionnelles selon Therrien (1990). Au Nunavik, Cette auteure explore le champ sémantique de l’écriture qui l’associe 76 aux autres traces produites ou identifiées par les Inuit : marques de couture, tatouages et surtout empreintes. Certains mots montrent la correspondance entre la trace sur le papier (écriture) et la trace sur la neige (empreintes d’animaux, de traîneaux, etc.). Le terme atuaqpait signifie par exemple à la fois « il suit les traces au sol » et « il lit les mots d’un texte, il les répète » (Ibid. : 43). Il est particulièrement intéressant de remarquer que la trace, contrairement à ce que l’on pourrait croire, implique à la fois un lien visuel et sonore (bruit de pas par exemple), de la même façon que l’écriture (avec la lecture à haute voix). Tous ces éléments signifient que l’écriture s’associe à d’autres expériences spatiales et permet, comme elles, d’accéder à plusieurs niveaux de sens :

L’écrit s’intègre parfaitement dans le vaste réseau des techniques de marquage qui se réalisent sous la forme d’un repère provisoire ou de traces permanentes dans leur double aspect fonctionnel et symbolique, le symbolique ayant, pour les Inuit, une assise matérielle spatialisée ainsi que l’exprime un syntagme s’y référant et qui souligne le « sens », la « direction » donnés : tukiqaqtitautsuni « le faisant avoir un sens, une direction », soit un sens symbolique. (Ibid. : 47)

Cette intégration fait de l’écriture et de la lecture des savoirs (incorporés) parmi d’autres. Mais les nouveaux écrits qui accompagnent le processus de revitalisation linguistique et culturelle entraînent des questionnements inédits. Il faut en effet rappeler, à la suite de Krupnik (2005 : 81-82), que les pratiques écrites sont inclues dans un répertoire communicatif qui privilégie les pratiques orales. Cet auteur constate que l’effort d’écriture des connaissances ou des savoirs sur les langues autochtones produit des écrits utiles pour un public bien particulier, mais qui restent secondaires tant que les canaux de transmission premiers (définis comme la transmission orale, les liens familiaux, les événements communautaires et activités de subsistance) sont actifs.

Pourtant, l’écriture des connaissances et des savoirs oraux connaît un regain d’intérêt (au Nunavut par exemple). Trudel (2002) identifie trois étapes dans cet engouement. La première, dans les années 1970, est initiée par le mouvement de revendications territoriales et les recherches sur l’occupation et l’exploitation du territoire. On assiste à un développement de projets intitulés explicitement « projets d’histoire orale » dans les années 1980, qui mènent à la publication de livres ou à des entreprises locales de collecte d’enregistrements (comme pour le projet d’histoire orale d’Igloolik). Enfin, les années 1990 77 voient l’épanouissement de cette tradition, stimulée par les travaux de la Commission royale sur les peuples autochtones. Le projet d’histoire orale d’Iqaluit, une association entre le collège de l’Arctique du Nunavut et des chercheurs qallunaat, permettra alors la publication de nombreux livres à partir d’entrevues avec des aînés. Les objectifs de ses différents projets, menés par des entités ou chercheurs externes, ou par des organismes ou associations inuit, ne sont pas les mêmes en fonction de l’ethnicité des auteurs/secrétaires :

Dans le contexte des changements culturels, socio-économiques et politiques rapides qui ont transformé leur société et qui se poursuivent à l’heure actuelle, les visent simplement et avant tout, au moyen de l’histoire orale, comme avec d’autres moyens, à sauvegarder leur langue et leur culture, à faire leur histoire selon leurs propres perspectives, et à repositionner et reconfigurer leur mémoire sociale dans le contexte contemporain. (Ibid. : 155)

L’exercice de régénération de la mémoire grâce aux projets d’histoire orale est impératif pour conserver les savoirs des aînés et les transmettre aux jeunes générations (Therrien 2002a), et peut passer outre des impératifs culturels de taire certaines connaissances, chamaniques par exemple (Therrien 2008 : 275). De plus, cet exercice est investi aujourd’hui d’une portée politique. Le gouvernement du Nunavut propose un nouveau modèle de gouvernance avec l’inclusion de l’ (les savoirs inuit traditionnels auxquels on reconnaît encore un usage16), dans le fonctionnement des institutions, entreprise définie par (Therrien 2002b : 135-136) comme suit :

Les attentes sont grandes : imposer l’inuktitut à tous les paliers, consacrer du temps à l’élaboration des stratégies visant à promouvoir les valeurs inuit, et en priorité consigner le savoir oral susceptible de contribuer de manière significative à la réflexion générale sur les politiques à engager dans les domaines les plus divers, compte tenu que le gouvernement du Nunavut est en mesure d’édicter ses propres lois.

Le développement récent des histoires orales est aussi analysé par Laugrand (2002b) comme le façonnement d’une mémoire collective et, depuis l’avènement du Nunavut, son instrumentalisation à des fins politiques (comme référent identitaire régional et comme outil d’intégration des perspectives inuit dans les institutions). Chaque génération approche cette entreprise de façon différente, et les opinions à ce sujet enrichissent les débats autour

16 Laugrand 2002b: 99. 78 de la naissance d’une conscience historique régionale. Les aînés sont attachés à la diversité des expériences, aux récits ou histoires de vie, ils privilégient une mémoire spatio- temporelle et cyclique plutôt qu’une stricte chronologie. Enfin, ils conçoivent l’effort de remémoration avant tout comme un moyen de répondre aux préoccupations du présent. L’utilisation de l’histoire orale dans le cadre de l’Inuit qaujimajatuqangit s’inscrit donc tout naturellement dans la valeur relationnelle de remémoration (sa réinterprétation en fonction du contexte présent). Néanmoins, les aînés sont prudents afin que soit évité l’écueil de la généralisation :

Bien que l’usage de l’écrit ne soit donc pas remis en cause, de nombreux Inuit craignent que ce mode d’expression ne leur fasse perdre la parole et bouleverse les mécanismes même de leur mémoire sélective. Si les jeunes générations se montrent moins sensibles à ces dangers, c’est qu’elles redoutent, quant à elles, la disparition des aînés et des savoirs. (Ibid. : 101)

Au Groenland, au contraire, la tradition orale constitue une tradition populaire parallèle à la tradition écrite et qui ne déclenche pas les mêmes débats. Selon Csonka (2005), ces situations différentes peuvent être analysées comme deux moments dans une même transition entre l’oral et l’écrit, second terme qu’il définit comme « une conception hybride, influencée par les traditions occidentales de l’histoire ». Ces deux moments sont à interpréter dans le cadre de la création d’une identité de groupe (qui est à un stade différent pour le Groenland) et une histoire différente de colonisation. Pour Csonka on assiste ainsi au Nunavut à un passage en lien avec les générations, d’une histoire généralement orale à une histoire plutôt écrite.

2.5 Conclusion Ce chapitre plutôt théorique permet d’apprécier à quel point l’écriture joue un rôle majeur dans une dynamique d’érosion linguistique. Il s’agit d’une pratique communicative sensible aux relations inégalitaires, ce qui s’illustre par des situations de diglossie spéciale. Des domaines d’utilisation spécifiques de l’écrit en langue autochtone mettent ainsi en scène des relations de pouvoir. Les pratiques de l’écriture sont néanmoins un lieu de résistance identitaire qui s’exprime par un ensemble d’attitudes qu’il est parfois difficile d’expliciter. 79

Grâce à la méthode ethnographique, les études en contexte dressent le portrait de ces négociations identitaires qui sont en jeu dans les pratiques multilingues de l’écriture. Les discours s’organisent notamment autour de la rencontre religieuse et de l’instruction scolaire qui forment une histoire d’apprentissage de l’écriture, cruciale en ce qui concerne l’acceptation contemporaine de ce médium en langue autochtone. Son appropriation ou son caractère marginal se construisent autour de plusieurs éléments, dont deux ont été plus particulièrement traités ici : l’urbanisation des populations autochtones et la variation des attitudes générationnelles.

En terre de Baffin tout particulièrement, les études sociolinguistiques fournissent une description solide de l’organisation du bilinguisme, à l’oral. La question de l’écriture est moins traitée, bien qu’elle ait fait l’objet de réflexions en ce qui concerne l’identité générationnelle et plus particulièrement d’études spécifiques sur la question de la transmission des savoirs et des régimes d’historicité. Néanmoins, il manque au tableau une étude qui réponde à des questions très terre à terre sur les pratiques individuelles (qui est susceptible d’écrire ou de lire la langue inuit ? avec quel système d’écriture ? dans quelle situation ?) pour aborder concrètement et de façon dynamique la question des choix de langue et de mode. La participation active de l’écriture dans un processus de remise en cause de l’inégalité implique, comme nous l’avons vu, des représentations et constructions identitaires complexes, diverses et changeantes. L’approche ethnographique privilégiée ici fait écho à d’autres ethnographies sur les pratiques écrites en langue minoritaire dans les Amériques, tout en se penchant sur des questionnements saillants dans le monde circumpolaire.

3 De l’écriture unilingue au bilinguisme, approche générationnelle de la « syllabisation » La réflexion qui émerge du chapitre précédent explore les liens entre une tendance à l’érosion linguistique et les pratiques de l’écriture en langue minoritaire. L’objectif de ce chapitre sera de débuter le questionnement sur les communautés linguistiques à l’étude avec le thème de l’apprentissage de l’écriture syllabique. Grâce au témoignage de différentes générations, il touche de façon plus globale à des réflexions majeures sur la transmission linguistique et culturelle et la transformation de dynamiques familiales.

3.1 Les débuts de l’écriture en langue inuit Les témoignages d’aînés rendus publics sur les débuts du syllabique ont été assez peu nombreux17, notamment si on les compare aux documents émanant des missionnaires et utilisés par les historiens. Bien qu’il soit difficile d’adopter une vision générale en raison de ce déséquilibre, les extraits d’entrevues présentés ici permettent de comprendre à un niveau individuel les modalités de l’apprentissage et de la diffusion de ce nouveau mode de communication.

3.1.1 Pourquoi un syllabaire?18 L’histoire de la création et de la propagation du syllabaire est décrite par Lewis et Dorais (2003), Harper (1983, 1985) et Laugrand (2002a). Le syllabique inuit fait partie d’une famille de syllabaires rassemblant des écritures utilisées par des locuteurs de l’ojibway, du cri, du naskapi (famille linguistique algonquienne), du chipewyan (famille linguistique dene), et de la langue inuit dans l’Arctique de l’Est. L’extension et l’usage contemporains des syllabaires témoignent de l’appropriation de ce moyen de communication.

Cette famille graphémique trouve son origine dans le système d’écriture original créé dans les années 1830 par le missionnaire James Evans avec l’aide de deux locuteurs de l’ojibway, Peter Jacobs et Henry Bird Steinhauer, au sud de l’Ontario (Lewis et Dorais

17 Voir le témoignage de Rachel Uyarasuk d’Igloolik (Oosten et Laugrand 1999b : 133-134). 18 Dans cette section, sont employées les polices de caractères Pigiarniq et AiPaiNuna. Elles peuvent être téléchargées à ces adresses : http://www.gov.nu.ca/english/font/ et http://www.kativik.qc.ca/en/aipai-fonts 81

2003). En s’inspirant probablement d’une méthode sténographique, il invente 9 symboles géométriques (É Ñ Ö Ü á à â ã è) classés selon quatre orientations différentes afin de désigner les syllabes présentes dans l’ojibway. Les symboles représentent les consonnes, et leur orientation la voyelle associée (ᐱ correspond à pi, ᐳ à pu, etc.). Le choix de cette écriture répond à la nature particulière de l’ojibway, une langue polysynthétique, où la multiplication des morphèmes crée des mots bien plus longs que dans les langues européennes flexionnelles. Evans ne recevra cependant pas l’accord de ses supérieurs pour l’utiliser. C’est finalement pour la langue crie à Norway House (Manitoba) en 1840 qu’il adaptera plus particulièrement le syllabaire. L’efficacité du syllabaire réside dans sa capacité à rendre compte de tous les phonèmes présents dans la langue, tout en réduisant considérablement le nombre de symboles à apprendre (neuf). Il ne suffit ensuite que de tourner le symbole selon la voyelle présente dans la syllabe. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture est ainsi extrêmement simplifié : « …the Cree soon started using the system towards their own ends, writing letters to relatives and friends, and noting down events such as births and deaths in their family bibles. Some even wrote up their daily diary. Rather than remaining a mere missionary tool for evangelizing Aboriginals, syllabics thus really became the people’s own way of communicating among themselves. » (Lewis et Dorais 2003 : 285).

Le succès rencontré par ce système syllabique d’écriture chez les Cris, c’est-à-dire son apprentissage et sa diffusion rapide, créera un précédent pour son utilisation par d’autres langues autochtones, l’une d’entre elles étant la langue inuit. La langue inuit et la langue crie ne font pas partie de la même famille linguistique mais la première, langue agglutinante, présente le même défi : des énoncés très longs à transcrire. En 1851, John Horden, un instituteur envoyé par la Church Missionary Society (ou CMS; une organisation missionnaire anglaise), arrive à Moose Factory (sud de la Baie James), dans un territoire désigné alors comme le diocèse de Rupert’s Land. Il adapte le syllabaire au cri parlé à la Baie James. En 1853, une presse est envoyée à Moose Factory par la CMS et Horden commence l’impression de livres de prières pour les Cris. En 1852, un autre missionnaire Edward A. Watkins est dépêché plus au nord à Fort George (est de la Baie James, Québec). Il a notamment pour charge de convertir les populations inuit. Il y enseigne une écriture 82 syllabique à partir de 1855, adaptée de l’écriture de Horden. À partir de 1855 sont alors imprimées des portions des Écritures en inuktitut. Horden et Watkins réviseront à nouveau le syllabaire en 1865 (Harper 1985 : 150-151).

Quatre orientations ont été données à un signe triangulaire (É ᐃ ᐅ ᐊ) pour représenter les quatre voyelles /ai/, /i/, /u/, /a/, voyelles perçues comme phonémiquement distinctes par les missionnaires. Les voyelles constituent la première rangée du syllabaire. Chaque rangée suivante applique ces quatre orientations à un signe différent (Ñ ᐱ ᐳ ᐸ pour pai, pu, pa; Ö ᑎ ᑐ ᑕ pour tai, ti, tu, ta, etc.), et représente ainsi l’association de chaque consonne avec ces voyelles. La longueur des voyelles, un aspect phonémique important de l’inuktitut a été signifiée par un petit point placé au-dessus des caractères. Également, la possible présence d’une consonne finale dans la syllabe a rendu nécessaire l’ajout d’un petit signe superposé correspondant à cette consonne. Les signes choisis à cette fin sont ceux de la colonne /a/. ᑉ, ᑦ, ᒃ, ᒡ, ᒻ, ᓐ, ᔅ, ᓪ, ᕝ, ᕐ et correspondent ainsi aux consonnes finales p, t, k, g, m, n, s, l, v, r. L’Annexe 1 propose un tableau synthétique des syllabaires inuit19.

Le révérend Edmund J. Peck est envoyé à Petite Rivière à la Baleine en 1876, il restera à ce poste jusqu’en 1894, avant d’aller plus au nord, sur l’île de Baffin. Tout comme Horden, Peck remarque la facilité avec laquelle le système syllabique peut être enseigné : « We found it wise to adopt the Syllabic characters as a means of teaching the Eskimo to read and write…The characters are simple and euphonic and we found that the Eskimo could soon learn the signs by rote, and then teach each other in their hunting-grounds… » (Evans 1984 : 62, lettre de Peck 1919). Grâce à son travail de traduction des écrits bibliques (qui se basent sur les traductions moraves du Labrador), et sa présence en territoire inuit, Peck a été un des personnages clés de la transmission de l’écriture chez les Inuit. Ses journaux tenus pendant qu’il se trouvait à Petite Rivière à la Baleine ou sur l’île Blacklead (Uummanarjuaq) en terre de Baffin (Laugrand, Oosten et Trudel 2006) montrent le quotidien de son travail d’évangélisation et de « syllabisation », ainsi que l’avancée des travaux de traduction de la Bible, des Évangiles et autres écrits religieux. Dans la mission d’Uummanarjuaq, les adultes apprennent le syllabique après les services ou dans des

19 Voir également Harper (1985) pour des illustrations d’archive de l’évolution du syllabique. 83 classes de lecture. Les missionnaires créent également une école pour les enfants. Comme d’autres groupes autochtones avant eux, les Inuit s’approprient rapidement le syllabique, se l’enseignent les uns aux autres, écrivent des lettres pour des parents dans d’autres camps, notent les dates importantes ou rédigent des journaux intimes (Laugrand 2002a : 76 et 209- 210, Harper 1983).

Bien qu’il n’ait existé que peu d’écrits différents en langue inuit au début de ce processus d’évangélisation, la politique de la Church Missionary Society (Banks 1984, Evans 1984) et des missionnaires anglicans de diffusion d’écrits religieux et de formation de leaders autochtones (Laugrand 2002a) a largement contribué à la propagation du syllabique. L’enseignement du syllabique s’effectuait grâce aux bibles qui devenaient les premiers livres de lecture inuit. La syllabisation a suivi la diffusion des livres traduits par les missionnaires ou les voyages des Inuit qui avaient appris à lire dans les missions. L’expansion du syllabique s’est trouvée intimement liée au succès du christianisme, la nouvelle religion (Laugrand 2002a). Même au début du processus de conversion à Petite Rivière à la Baleine, quand les résultats de l’évangélisation restaient minces, les Inuit apprenaient le syllabique avec succès (Laugrand 2002a : 96). 84

3.1.2 Propagation de l’écriture syllabique et utilisation dans les régions à l’étude

Figure 3. Quelques repères géographiques de la genèse du syllabique et de sa propagation vers les régions à l’étude (sections 3.1.1 à 3.1.3)20

Au Sud de Baffin, la propagation du syllabique a débuté avec la création de la mission d’Uummanarjuaq par Peck en 1894. Les missionnaires enseignent d’abord l’écriture aux femmes et aux enfants qui restent à la mission, les hommes étant occupés par leur travail avec les baleiniers (Laugrand 2002a : 117). Même avant les premiers baptêmes en 1901, les inuit syllabisés entreprennent d’enseigner ce nouveau mode de communication. À la station baleinière de la baie de Frobisher, Cape Haven, une femme inuit est capable d’écrire dès

20 Des écrits en syllabique sont parvenus jusqu’à la région du Kivalliq avant le début du 20ème siècle, par la côte ouest de la baie d’Hudson (Laugrand : communication personnelle). La date de 1912 figure cependant sur la carte, elle renvoie à l’ouverture de la mission de Chesterfield Inlet. 85

1896 (Laugrand 2002a : 180). Les missionnaires vont par la suite déléguer de façon plus formelle l’instruction religieuse à des catéchistes inuit, d’autant plus que le territoire qu’ils doivent couvrir est très étendu. Peter Tulugarjuaq, catéchiste et baleinier inuit, participera grandement à l’évangélisation du sud de l’île. Avec l’écriture de sermons (à la base de performances orales) et les lectures en public des Écritures (Laugrand, Oosten et Kakkik 2000 : 58), les nouveaux catéchistes intègrent sans nul doute le syllabique aux pratiques orales de la communauté. Ceux-ci sont des experts de la lecture religieuse (les ouailles répètent après eux les écrits bibliques).

En plus des écrits religieux, une tradition épistolaire voit le jour dans le Sud de Baffin dès le tout début du 20ème siècle, quelques années à peine après le début de l’évangélisation (Laugrand 2002a : 209-210). Les archives missionnaires ont permis de conserver certaines de ces missives échangées entre les évangélisés et le révérend Peck (publiées dans Laugrand, Oosten et Kakkik 2003). L’échange épistolaire permettait de résoudre le problème de l’éloignement géographique pour les échanges d’information ou de biens (les écrivains inuit demandaient souvent des fournitures aux missionnaires, Ibid. : 114). Cette tradition épistolaire représente un nouveau genre littéraire inuit, avec ses conventions propres. Il a pour but, entre autres, de faire circuler les idées chrétiennes et de renforcer les liens entre croyants. Comme pour d’autres peuples autochtones, le style des traductions missionnaires a joué dans la création de ce genre :

At the end of the 19th century, the Scriptures and hymns in English or German were written in a style and idiom that differed considerably from the style and language of everyday life. Their idiom contained many archaic words and their style was intentionally traditional. The missionaries introduced in Inuktitut a style of writing that was completely alien to the Inuit oral tradition. In their letters Inuit often refer to the Scriptures, connecting their own style of writing to the style of the Scriptural traditions they had mastered, but never tried to imitate. Most of the letters published here contain these two dimensions: on one side a style of writing rooted in oral traditions, on the other side continuous references to Scriptures and hymns rooted in a literary tradition from abroad. (Ibid.: 8) Le caractère oral des lettres, ainsi que certaines conventions d’expression religieuse, s’illustrent par une écriture à la première personne, des exclamations, des répétitions de termes d’adresse ou l’expression de sentiments comme l’amour religieux ou la reconnaissance. Les lettres prennent ainsi la place d’échanges oraux. 86

Au tournant du siècle, les groupes inuit de la région de Clyde River deviennent le pivot de l’évangélisation du sud vers le nord de Baffin (Laugrand 2002a : 189). Un comptoir de traite est ouvert à Pond Inlet en 1903 et les Iglulingmiut s’y rendent (voir chapitre 1). La transmission de l’écriture syllabique dans le Nord de Baffin bénéficie sans doute des progrès de l’évangélisation, avec l’envoi de bibles anglicanes dans les années 1910 (Laugrand 2002a : 194). De plus, la circulation de bibles catholiques dans la région de Repulse Bay/Naujaat au début du siècle (Laugrand 2002a : 198) ou l’ouverture de la mission catholique de Chesterfield Inlet en 1912 participent également à la propagation du syllabique. Enfin, avant l’arrivée des missionnaires dans la région (voir chapitre 1), Umik, un chamane du Nord de Baffin, arrive dans la région d’Iglulik au début des années 1920. Il est à l’origine d’un mouvement prophétique (Laugrand 2002a : 375).

Avec tous ces événements, la connaissance de l’écriture et de la religion s’accroît très probablement pendant les vingt premières années du 20ème siècle. Grâce aux récits de Mathiassen, le compagnon de Knud Rasmussen qui s’est rendu dans la région d’Iglulik en 1919, on sait qu’à cette date les Inuit d’Igloolik connaissaient l’écriture syllabique et que les mères l’enseignaient dans le cadre familial (Laugrand 2002a : 210-211). Les années 1930 verront les premiers baptêmes catholiques d’Inuit de la région d’Iglulik ainsi que l’installation de la mission catholique à Avvajja (voir chapitre 1).

Plusieurs similitudes se dégagent entre l’enseignement de l’écriture et de la lecture par les missionnaires anglicans ou catholiques. Anglicans et catholiques font leur possible pour apprendre la langue et adopter le mode de vie inuit (comme le leur conseillait leur hiérarchie (Ibid. : 268). Dans l’Arctique de l’Est, ils enseignaient l’écriture syllabique. L’évangélisation restait la plupart du temps une activité orale, avec le recours fréquent aux hymnes et cantiques (Ibid. : 322), les sermons ou les lectures publiques (pour les anglicans). L’écriture et la lecture se trouvaient fortement liées à ces activités orales. La lecture individuelle de la Bible prenait cependant plus d’importance pour les anglicans que pour les catholiques, et la distribution des bibles par les anglicans a été critiquée par les catholiques (Ibid. : 324). Mais quelles que soient la stratégie d’instruction et l’influence de ces deux Églises, l’évangélisation et la syllabisation des camps semi-nomades s’est surtout 87 déroulée dans le cadre des unités familiales, souvent sans contact direct avec les missionnaires, qui ne pouvaient toujours voyager jusqu’aux camps.

La tradition épistolaire qui naît au début du 20ème siècle s’épanouira et accompagnera les migrations des parents, la lettre restant un moyen de maintenir la cohésion familiale. Par exemple, les enfants envoyés dans les pensionnats tenteront de rester en contact avec leurs familles grâce aux lettres en syllabique. De nombreux Inuit seront envoyés pour de longs séjours (souvent plusieurs années) dans des sanatoriums au sud du Canada pour y traiter la tuberculose, et les lettres, tout comme d’autres modes oraux de communication permettront de donner des nouvelles. Honigmann et Honigmann (1965 : 135) décrivent ces pratiques à Frobisher Bay dans les années 1960 :

With close kin who have entered southern hospitals for prolonged treatment, Frobisher Bay Eskimos maintain a steady stream of correspondence, long-distance telephone calls, and messages tape-recorded at home. The same tape, having been erased, is returned with the reply.

3.1.3 L’écrit en anglais : témoignages de leaders inuit Les enfants qui ont été envoyés dans les pensionnats, ou ceux qui ont fréquenté les écoles primaires fédérales dans les villages (à partir de 1955 pour Iqaluit et 1959 pour Igloolik) ou l’école secondaire à Iqaluit (à partir de 1971) ont soudainement été immergés dans une tradition littéraire anglophone et une idéologie linguistique qui privilégie l’écrit. Peter Ittinuar (le premier député inuk à la Chambre des communes, il est originaire de Rankin Inlet) donne un exemple de l’intégration des écrits en anglais dans l’histoire personnelle des écoliers et leur vie familiale (Rodon 2008 : 56) :

I read The Great Gatsby at eight or nine, which was pretty early for reading a Fitzgerald novel. […] When I was in Rankin Inlet, teachers promoted reading time, not just for reading textbooks, but for reading for pleasure. In fact, I remember one of the awards every month for the whole school was for the person who took out the most books from the library and read them. You would get a free book to take home if you won. I won that a couple of times. We had pretty good teachers. […] It was a natural inclination to read. Both my parents could read. My mother could read and write English because of her stay in a tuberculosis hospital. My father was literate in syllabics. He wasn’t against my sister Nicole and me reading in the house. That was a 88

little unusual in those days, because most Inuit families did not have books other than the Bible and reading materials from the church. Deux langues, deux systèmes d’écriture et deux traditions d’expression et de transmission artistique (anglophone et inuit) feront désormais partie de la vie familiale, en fonction des expériences de vie et d’éducation de leurs membres. Le système des pensionnats et des écoles fédérales, fidèle à un objectif d’assimilation, introduira un déséquilibre entre ces traditions et tentera de remplacer les compétences en inuktitut par des compétences en anglais. Paul Quassa, aujourd’hui maire d’Igloolik, a travaillé pour la radio CBC North à Frobisher Bay à la fin des années 1970. Il explique comment les compétences orales et écrites en anglais peuvent empiéter sur le reste du répertoire communicatif de cette génération et des générations suivantes :

Also, I’d get a news story in English and I’d have to do it in Inuktitut, so I would sight translate it. I’d have an English version here and I would be talking in Inuktitut. I would be reading the English scripts. […] That’s how we used to do it, and they still do. It’s unfortunate that it is like that because the syllabic alphabet is such that you have to pronounce each symbol. In English you can have a word with six or ten letters. In Inuktitut, for those of us who cannot read as fast as we should, we tend to say each little syllable. If I said smile and I said it in English I would say s-m-i-l-e. Do you know what I mean? That’s how a lot of us read Inuktitut; we never used to write the news down in syllabics, it was always the English we would use. Now I can read and write syllabics as fast as English, but before I couldn’t. It is much harder and time consuming to do it in Inuktitut first. And a lot of us, as I said, were slow readers in syllabics. (McComber 2008: 167-168) Comme l’alphabétisation prend le pas sur la syllabisation pour cette génération, l’amélioration des compétences en syllabique devra désormais faire l’objet d’un effort supplémentaire.

3.2 Continuités et cassures dans le processus de transmission

3.2.1 L’apprentissage du syllabaire : témoignages d’aînés. Qu’ils aient grandi dans la région d’Igloolik ou du Sud Baffin, les aînés qui témoignent ici expliquent qu’ils ont appris l’écriture grâce aux premières pages de la bible (où se trouvait une explication du syllabique) pour les plus âgés, ou par l’intermédiaire de leurs parents pour les plus jeunes. Ceux-ci font ainsi plutôt partie de la « deuxième génération » d’Inuit qui écrivaient et lisaient le syllabique. Peu d’entre eux avaient des contacts réguliers avec 89 les missionnaires. Les copies de bibles étaient également rares, et les parents gardaient précieusement la bible de la famille :

We didn’t have enough books or paper at that time, so my mother taught me how to write syllabics on the window of the iglu, because it gets a little bit frosty at night… My mother, my parents were keeping the bible very safely because they only had one, so they told us the kids not to touch the bible. And when we started to know more, my mother finally started to show us the bible. […] We would be using the same pencil for a whole year and it would get short. I had other brothers and sisters and we shared the pencil. When it got almost to the metal part, my mother grabbed it and saved it for another time. I liked writing in Inuktitut but I couldn’t keep the pencil. When I got a baby brother the pencil was almost gone so my mother put it in another place, saved if for another day. […] Sometimes we were camping just the family and sometimes we would go to another camp where there were lots of people. The children there were also learning how to read and write. Aînée d’Igloolik, traduction de l’inuktitut

De nombreux aînés se rappellent ainsi que l’apprentissage du syllabique dépendait dans une certaine mesure de la possession de bibles que les parents se procuraient puis ramenaient dans les camps. En ce qui concerne Igloolik, ces bibles pouvaient émaner des missions anglicanes ou catholiques car la région se trouvait au centre de deux trajectoires de diffusion du christianisme (Laugrand 2002a : 198-199). La première partait de la mission catholique de Chesterfield Inlet ou Igluligaarjuk. La seconde influence, anglicane, émanait du Nord Baffin via le poste de traite de Mittimatalik (Pond Inlet) où les Inuit d’Igloolik se rendaient (Laugrand 2002a : 194). Avant l’installation d’une mission catholique à Igloolik en 1939, un aîné catholique remarque l’importance majeure du milieu familial, et le fait que les écrits étaient moins lus individuellement qu’appris collectivement par cœur :

I didn’t know how to write but even though I was not going to Church I knew how to read because of my family, we were singing the songs, reading the hymnal…I learned it singing. But we didn’t have enough books, we only had the bible and a hymnal. When we finally had lots of books, I learned how to write. The book had a cover in Inuktitut and I learned it from the book, how to read and write. Aîné d’Igloolik, traduction de l’inuktitut

L’apprentissage par cœur de passages des écrits bibliques et l’apprentissage par le chant font ainsi de la lecture une activité orale de groupe. Une aînée d’Iqaluit explique comment la lecture de la bible pouvait s’effectuer à deux : une personne lisait un verset pendant que 90 son compagnon le récitait de mémoire. Entre la lecture effective et l’apprentissage par cœur, la ligne est ainsi parfois ténue. Une femme d’Iqaluit se souvient de son père qui ne savait pas lire mais qui suivait sans problème le service religieux :

He could hear…I mean he would learn from hearing…not actually reading but just the memory of what he heard. Like if he was in church he would sing. He was following along because he had heard mother, maybe once, or probably he had heard it so many times that he knew what words to say. Femme 43 ans, Iqaluit, traduction de l’inuktitut

Aujourd’hui encore, beaucoup de personnes (plutôt âgées) expliquent ne pas réellement avoir besoin de lire les ouvrages religieux car elles connaissent par cœur les extraits utilisés dans les services.

Le témoignage de Noah Piugattuk (Piugattuk 1995) recueilli dans le cadre du projet d’histoire orale d’Igloolik place lui aussi la bible au centre du processus d’apprentissage :

When we started to be given bibles, I had to start learning the syllabics as it was necessary for me to be able to read the prayer book and the bible. So from that time on I started to learn how to write in syllabics. Once we started to use the calendars, even when I and my wife were out alone on a journey I had to read the Bible each day according to what was to be read that day based on the calendar. So as part of the Christian requirement we had to say our prayer each day. So I expanded that ability by writing things that I wanted to remember which happened that day.

Une autre aînée, aujourd’hui résidente d’Iqaluit mais qui vivait avec sa famille dans un camp près d’Igloolik explique qu’elle disposait également d’exercices qui venaient des prêtres.

At the time when I started learning how to write and read, we used to live in a place close to Igloolik. We had practices that we had to do, they were delivered by dog teams. They used to send instructions, we would write what we can and send them to the preachers to get them corrected and whenever there wouldn’t be good anwers the preachers would write it down personally. The students used to review the corrections the preachers had made, they would make the correction by themselves and send it back again to the preacher. The only light we had was the qulliq [lampe à huile de phoque], it was only possible to write by the light of the qulliq. At that time we used to go to bed very early, at 6 o’clock, we would practice reading and writing Inuktitut in the early evenings and mornings. We used to practice reading and writing before our father went out hunting. Aînée d’Iqaluit, traduction de l’inuktitut

91

Dans le Sud Baffin, l’influence du christianisme est plus ancienne qu’à Igloolik et une mission anglicane est ouverte à Kimmirut en 1909. Une aînée résidant aujourd’hui à Iqaluit mais ayant grandi à Kimmirut se rappelle la vie de la petite communauté, où beaucoup de ses parents travaillaient pour la Compagnie de la Baie d’Hudson : « [In Kimmirut] Everybody knew how to read and write, they taught their children to do the same. »

Bien que les écrits disponibles aient été très limités, l’écriture et la lecture se sont fermement insérées dans la vie familiale de ces aînés. Quel que soit l’environnement immédiat concerné (un milieu familial très restreint lors de déplacements ou des camps plus ou moins larges) la lecture, fréquente, est motivée par la pratique religieuse.

En ce qui concerne l’écriture, trois pratiques particulières ont été citées : l’échange de lettres d’un camp à l’autre, l’écriture de journaux intimes et l’écriture de notes directement sur la bible. L’écriture de lettres pour rejoindre des membres d’autres communautés ou d’autres camps a constitué par le passé (Laugrand 2002a), jusqu’aux années 1960 (Dorais 1996), une facette importante de l’écriture en langue autochtone. Une aînée du Sud Baffin m’a ainsi expliqué de quoi avaient l’air ces missives. Il fallait les écrire sur des morceaux de papier puis les plier et les replier jusqu’à ce qu’elles ne forment qu’un petit carré, on y inscrivait seulement le nom du destinataire et le nom de l’expéditeur (« Kina-mut »/ « Kina-mit », vers qui/ de qui), on enroulait et faisait un nœud avec quelque chose qui pouvait le sécuriser comme un morceau de tendon de caribou et le tout voyageait avec d’autres Inuit par traîneau à chiens ou autrement selon la saison. Ces missives étaient évidemment très importantes, comme elle le souligne :

They would let the person know if their loved ones had died, it was about anything, somebody would get married… We had no airstrips, we would only find out about anything through mail. (traduction de l’inuktitut)

L’écriture de journaux intimes faisait également partie du quotidien des pratiques de l’écriture comme l’indique cette aînée d’Igloolik (traduction de l’inuktitut) :

In my family everybody knew how to read and write. They wrote letters. My mother and brother were also writing a diary, what they did on that day, they were writing it, what they caught. My mother and brother were writing a diary and I myself do it now. 92

3.2.2 La situation linguistique contemporaine : le bilinguisme Le témoignage de ces aînés porte sur une période où l’inuktitut était sans nul doute la langue majoritaire dans le territoire inuit. La plupart d’entre eux ne parlent qu’inuktitut, ce qui n’est plus le cas pour les générations suivantes. Ceci a des répercussions évidentes sur les pratiques de l’écriture :

[My parents, my grandparents] they never went to school, they never learned English so they would pretty much use syllabics…And I know that the only people… Their only means to understand the written word is in syllabics, that is still very…It’s not like all of us who read and write English, there is still some people that are fully unilingual and the only language that they understand is syllabics. So it is still being used at present. Homme, 43 ans, Igloolik

Au Nunavut, 83 % de la population autochtone déclare aujourd’hui la langue inuit comme langue maternelle (Nunavut Bureau of Statistics 2008c). Ce pourcentage cache une situation hétérogène et une dynamique d’érosion linguistique dans certains endroits, en classant la langue inuit comme une langue « viable ». La langue inuit perd du terrain à la maison, un domaine majeur pour s’assurer de la transmission intergénérationnelle. L’anglais est la langue maternelle de 26% des résidents du Nunavut mais il est utilisé à la maison par 44% de la population (Nunavut Bureau of Statistics 2008a).

Dans la capitale du Nunavut, la pression de l’anglais sur la pratique de la langue inuit est évidente. Seuls 49 % des habitants ont la langue inuit comme langue maternelle (Dorais 1996). La présence importante des Qallunaat (presque la moitié de la population) et d’Inuit venant d’autres régions de l’Arctique de l’Est font d’Iqaluit une communauté linguistique hétérogène où l’anglais, lingua franca, facilite la communication (Dorais et Sammons 2002, Tulloch 2004, Dorais 2006a). Au sein de la famille, l’utilisation de l’anglais devient la norme :

I believe it starts at home also, because I let my children speak more in English than Inuktitut than before, it sort of became an everyday thing, and it is sort of out of my control in some ways although I try and promote Inuktitut all the time, I speak to them and they respond back in English. It’s just something that has been hard to get out of, and I guess it becomes frustrating for all of us. Femme, 43 ans, Iqaluit

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À Igloolik, 95 % des résidents ont l’inuktitut comme langue maternelle (Dorais 1996). Ceci implique une dynamique linguistique communautaire et familiale bien différente de celle de la capitale. Tulloch (2004), dans son étude sur les attitudes langagières des jeunes à Iqaluit et dans deux autres communautés de l’île de Baffin, décrit la situation linguistique de la capitale comme un bilinguisme instable, où l’anglais domine, alors que dans les deux autres plus petites communautés, il s’agirait d’un bilinguisme plutôt stable, où l’inuktitut domine (2004 : 134).

Le répertoire communicatif fonctionne donc aujourd’hui en deux langues et avec deux écritures. Par ailleurs, la stabilité de cette situation est en question, notamment pour la capitale Iqaluit.

3.2.3 L’apprentissage du syllabique chez les locuteurs bilingues L’évolution dans l’apprentissage et la connaissance du syllabique illustre ces changements majeurs dans les pratiques communicatives des générations inuit.

Le mode d’apprentissage collectif de la lecture, une activité orale et religieuse, était complété par une pratique individuelle qui concernait parfois des domaines plus communs. La bible est omniprésente dans ces expériences car elle est l’outil principal de l’enseignement, mais il s’agit rarement d’une instruction autonome avec ce livre : la pratique de chacun est nourrie et accompagnée par la famille. Il existe en ce sens une continuité avec l’apprentissage de l’écriture évoqué par plusieurs personnes dans la quarantaine :

Our mother always encouraged us to keep our language and writing and… Our mother always encouraged us using the common prayer book, the old version is the one that had syllabics on them. I think that’s when I started really to get into writing, it’s when my mother introduced us to the syllabics from the common prayer book. Femme, 39 ans, Iqaluit

Un enseignement à l’oral fait également partie des souvenirs de certains locuteurs :

Mum would read out loud once in a while but not to the point where I thought she was teaching us but apparently she taught us as she read, when she was reading 94

syllabics, then I also had the desire to try and read them myself to understand them all. Femme, 43 ans, Iqaluit

Malgré ces indices de continuité, des transformations évidentes ont eu lieu en ce qui concerne les modalités d’enseignement du syllabique.

Tout d’abord, l’influence de la bible et des pratiques religieuses sur l’écriture et la lecture en langue inuit connaît un déclin important. La standardisation de l’écriture qui a eu lieu en 1976 a entériné la possibilité de modifier le syllabique en dehors du milieu religieux. Elle a mis en place une « orthographe double », où caractères syllabiques et latins sont mis en correspondance. Le syllabique des aînés diffère du syllabique standard qu’utilisent les générations plus jeunes (Shearwood 1998), notamment avec l’écriture ou non des finales qui renvoient aux consonnes de fin de syllabes :

My parents, they only write without finals. I have to ask them : « what are you trying to say? » [Rires] My mom asks for my help all the time, if she sends a letter or a greeting card or something. Femme, 23 ans, Iqaluit

Aujourd’hui, certaines personnes ne pratiquent pas régulièrement la religion, pour différentes raisons tels que les abus commis dans les pensionnats religieux. De plus, la langue de la bible n’est plus forcément l’inuktitut pour les jeunes générations. La montée du pentecôtisme semble contribuer à faciliter la pratique religieuse en anglais (bien que cette Église encourage le recrutement de leaders religieux inuit), à la différence de l’anglicanisme qui traditionnellement utilise beaucoup le syllabique (voir chapitre 6, section 6.2.2). Un jeune homme d’Iqaluit souligne certaines de ces différences générationnelles dans sa propre famille :

They used syllabics a lot, like I remember my grandfather writing stuff down…He was writing often on the bible, and sometimes about what he lived, in the 50s, 60s. Are you an anglican? No, I’m a « Full Gospel ». And do you use the bible in Inuktitut when you go to church? I don’t…I just read out the English Bible. My mother she has lots of bibles, lots of things in Inuktitut…she can’t read in English. Homme, 20 ans Iqaluit

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Les changements dans les pratiques religieuses ne sont pas la raison unique du choix de l’anglais pour pratiquer l’écriture et la lecture.

Syllabics came from the Bible and that’s how my sister who is 50 or 55 learned it, from the Bible, that’s how they read. And she never went to school. But my generation I went to school. Femme 40 ans, Iqaluit

L’école et les différents systèmes scolaires qui se sont succédé depuis la seconde guerre mondiale sur le territoire arctique ont largement influencé les processus de transmission et ont tenté d’imposer l’anglais comme seule langue d’instruction. De manière globale, 64% des Inuit du Nunavut et 71% des locuteurs de l’inuktitut affirment pouvoir écrire et lire « très bien » ou « relativement bien » le syllabique (Nunavut Bureau of Statistics 2002). Cependant, la capacité individuelle à lire et écrire, et les langues concernées, dépendent de l’âge des locuteurs (Shearwood 1998), mais surtout de leur parcours scolaire. L’enseignement missionnaire s’est effectué en langue inuit mais les écoles fédérales à partir des années 1950, puis les pensionnats qui assuraient l’enseignement primaire et parfois le secondaire (à Iqaluit notamment), n’utilisaient que l’anglais comme langue d’instruction (Dorais 1996 : 245). La génération des 35-44 ans est ainsi celle qui connaît le moins le syllabique aujourd’hui (Nunavut Bureau of Statistics 2002). Les pensionnats, en particulier, ont constitué une cassure majeure dans l’apprentissage du syllabique et de la langue inuit. Le départ des enfants du milieu familial a rendu le besoin de communication avec leurs parents critique tout en bannissant la langue autochtone de leur quotidien. Un homme d’Igloolik est resté sept ans au pensionnat de Chesterfield Inlet, une rupture soudaine et prolongée :

We tried to write back to our parents but I don’t think any of our letters made it home, my sister actually wrote me every month but I just found out later, about two years back that my sister had written me just about every month, not one letter made it. They just didn’t give it to you? No. […] I grew up in residential school where syllabics were condemned, okay, so I have in my mentality that syllabics is a no-no, that’s why I never really got into it. […] I have nieces and nephews who live out of town, because they went to the same boarding school that I did, the information going between us is in English, it’s more convenient. 96

Homme, 52 ans, Igloolik

Il faut attendre le milieu des années 1970 pour que l’inuktitut soit réinstauré dans les écoles des Territoires du Nord-Ouest. Pour certains, l’école est maintenant citée comme le principal responsable de la transmission du syllabique :

I don’t really write Inuktitut, that’s because I had to quit school very early to babysit. I am a slow Inuktitut reader. At church for example, I have my bible in English, I read it in English. Femme, 33 ans, Igloolik

Pour d’autres, l’apprentissage s’est fait en dépit d’une scolarisation épisodique et grâce à la famille, comme l’explique un homme adopté par ses grands-parents :

I grew up with Inuktitut letters, like all my life and being a Catholic too, we were used to read Inuktitut. And my grandfather used to read books to me, Inuktitut books. I grew up with it. So you would say that you learned how to read and write Inuktitut more at home or more at school? More at home. It was different, It was really different…caus’ I was growing up hunting and I’d barely go to school when I was young, it was different when I go back to school, I was eleven years old when I really went back to school. Homme 36 ans, Igloolik

L’expérience de cet homme semble cependant exceptionnelle. Si l’école devient pour beaucoup totalement responsable de l’apprentissage, c’est que celui-ci n’est souvent pas relayé dans les familles. De façon plus générale on assiste à un recul de l’inuktitut dans la vie familiale :

The young parents, they are not speaking Inuktitut at home, it’s not taught everyday anymore, and lots of young people have houses now, at a young age, so they are not with their parents, and their kids are not listening to like…We had a big family and our parents were always talking so…we were strong in Inuktitut, but today the young people are not long enough with their parents who speak…and then they tend to speak to their young ones in English…So the young generation today’s got to learn, learn to read and write at school, because they are not getting it at home so they are gonna have to get it from school. And that’s a fact. Femme 40 ans, Iqaluit

On trouve ainsi un certain sentiment d’urgence pour les jeunes générations, qui apparaît en raison de la pression de la langue anglaise sur la vie des familles, et qui transfère la responsabilité de l’apprentissage sur le milieu scolaire. Selon l’étude de Dorais et Sammons 97

(2002) qui porte plus particulièrement sur la situation linguistique à Iqaluit, le bilinguisme est la règle dans les familles. L’anglais est plus utilisé par les adolescents et les jeunes adultes, et pour des sujets de conversation impliquant des choses ou des concepts « qallunaat » (Ibid. : 48).

Cependant, beaucoup de parents expriment aujourd’hui leur frustration envers le système scolaire. Le syllabique et la langue inuit y deviennent un enseignement secondaire après l’anglais :

[…] I’m seeing that it’s more and more English than Inuktitut, Inuktitut stops after grade 3 so they have learned how to write and read but unfortunately in the older years English seems to be the main language now and hum…being able to read and write in Inuktitut almost seems to be secondary nowadays as opposed to be primary like when our parents they would continually write between each other in Inuktitut and we children grew up knowing that Inuktitut syllabics is the norm but unfortunately our children aren’t growing up that way. Writing English is the norm and Inuktitut is secondary so they would learn to read it, they would learn to write but it’s not going to be used as much as it was before. Homme, 43 ans, Igloolik

En effet, aujourd’hui, seulement la maternelle et les trois premières années du primaire sont en situation d’immersion en langue inuit (à moins que les parents ne choisissent le système en anglais si disponible), et au cours de la quatrième ou de la cinquième année, la langue d’instruction devient l’anglais et l’inuktitut n’est enseigné que comme une matière parmi d’autres. L’éducation en langue autochtone a des avantages linguistiques, académiques et psychologiques non négligeables (Taylor et Wright 2004). Cependant, l’organisation de ce système bilingue ne permet pas aux enfants d’atteindre une connaissance de l’inuktitut suffisante pour développer une réflexion académique abstraite dans cette langue (Wright, Taylor et MacArthur 2000), ni une connaissance satisfaisante de l’anglais. L’enseignement scolaire de l’inuktitut manque de matériel adapté aux classes supérieures et il est difficile d’engager des professeurs inuit (seulement 26% d’environ 500 professeurs du Nunavut sont Inuit, et la plupart aux niveaux élémentaires selon Aylward 2007).

Un certain boom démographique a ainsi coïncidé avec un échec du système scolaire à accompagner l’apprentissage de l’écriture et de la lecture en langue inuit au-delà des 98 premières années d’immersion. Pour les jeunes enfants en immersion, plusieurs répondants s’accordent à dire qu’ils apprennent très bien à écrire et à lire le syllabique :

At school, they get instructed how to read and write and when the children get back they immediately start writing something on a piece of paper and ask me if it’s correct. Aînée, Iqaluit, traduction de l’inuktitut

Mais pour le reste de la scolarisation, l’apprentissage de l’anglais se fait au détriment de la langue autochtone (Dorais 1996 : 222, parle ainsi de bilinguisme soustractif). Le bilinguisme est nécessaire dans l’institution scolaire, et d’une façon non équilibrée, car plus les enfants restent longtemps à l’école, plus leurs performances orales et écrites en inuktitut s’affaiblissent (Dorais et Sammons 2002 : 63). Ainsi, au sein des fratries, il est possible que les jeunes enfants soient mieux capables de déchiffrer le syllabique, et des préadolescents m’ont renvoyée à leurs frères ou sœurs plus jeunes quand je demandais des explications sur des inscriptions en langue inuit.

Les difficultés du milieu scolaire entraînent donc une baisse importante de la connaissance du syllabique par ces jeunes générations, passées les premières années d’immersion en langue inuit :

The younger kids read a lot Inuktitut, but the teenagers I don’t really think so…they read mostly English. What about when you are an adult? I think elders forget English most of the time. So when you get old, then you speak more Inuktitut? Yes. Do you think it’s going to happen to you? I don’t know. [Rires] Femme, 26 ans, Iqaluit

Il est de plus évident que la transmission linguistique et culturelle doit, surtout en ce qui concerne les préadolescents, adolescents et jeunes adultes, faire face à la concurrence de la culture populaire majoritaire en langue anglaise.

I find teenagers nowadays don’t seem to have time to spend with their grandparents and other elders. I’m sure there’s a few who are, who go to their elders to look for stories or traditional… to carry down their traditional knowledge; but I believe there’s a majority of teenagers who aren’t interested as much 99

Femme, 39 ans, Iqaluit

Il semble ainsi y avoir un consensus : l’âge de l’adolescence n’est pas propice à ces apprentissages. Il faut être un peu plus âgé pour saisir les différents avantages que l’apprentissage de la langue peut apporter :

Do your children know a lot of Inuit stories, do you think? No, they are not as interested as I was at that age, so, I’ve seen a change, a big change in that way. My children are more into TV, games, Internet, they are missing out on the Inuktitut legends and stories, where they are coming from, their own culture, their identity, they are not focusing on their identity anymore whereas I myself have been trying to keep my identity, they don’t seem to be holding on to that as much as my age group. Do you see a difference between your older daughter compared to your younger children? Yes I see a difference. The other day she encouraged her sister to be in school and learn Inuktitut more because Inuktitut speakers…Inuktitut speaking people tend to be more hired in workplaces because they are promoting that language so, I believe she is trying to hold on to her roots more than the younger people. Femme, 43 ans, Iqaluit

De manière similaire, de jeunes adultes expliquent qu’il est difficile pour des enfants de s’engager dans une dynamique d’apprentissage explicite :

I’ve been taught that it’s important to ask questions, but back then it was intimidating. When you are younger, I guess nobody really takes you seriously, like the elders or your parents…if you ask questions, they say aturqu…that means you are asking too many questions…being too nosy [Rires]. But when they see you are willing to learn they’ll really explain things, or even, they’ll explain a little too much [Rires]. Femme, 20 ans, Iqaluit

Les jeunes parents et leurs enfants de moins de 10 ans, qui ont évolué ou évoluent dans le système scolaire actuel et le paysage culturel contemporain, utilisent l’écrit dans les deux langues. Loin d’une vision un peu stéréotypée selon laquelle les jeunes parents ne parleraient qu’anglais à leurs enfants, une mère de famille d’Igloolik témoigne du fait que l’apprentissage s’effectue nécessairement en plusieurs langues en fonction des connaissances des parents :

My son when he was younger he always wanted to go to sleep with someone reading. If he grabbed an Inuktitut book and he asked his father, ataata, could you read this for me, then [his father] found it hard to read and he didn’t want to learn so I would 100

have to read it. But if it’s a book in English, [his father] wouldn’t be lazy to read it. My kids asked for me to read or if they were trying to read they would ask me what it meant. Femme, 27 ans, Igloolik

Il faudrait donc créer des conditions favorables d’apprentissage pour les jeunes parents, afin qu’ils soient capables de transmettre ces connaissances, qui leur font parfois défaut, à leurs propres enfants.

En 2002, un test d’écriture a été administré à l’école secondaire Inuksuk d’Iqaluit. Parmi les locuteurs de l’inuktitut (121), 66, c’est-à-dire 54,5 % de l’échantillon testé ont avoué leur incapacité totale à écrire et lire l’inuktitut ou bien ont échoué le test d’écriture qui leur était administré (Dorais et Sammons 2002 : 67).

Tulloch (2004), présente le résultat de questionnaires qui portent sur la compétence linguistique perçue de 130 locuteurs de 18 à 25 ans. Elle remarque que la compétence orale perçue par les locuteurs est plus élevée que la capacité perçue à lire et à écrire. Ainsi, parmi les jeunes d’Iqaluit qui ont répondu au questionnaire présenté (81), autour de 60 % ont déclaré que leur capacité à lire et à écrire l’inuktitut était bonne ou excellente. Les autres évaluaient leur compétence comme « élémentaire » ou « inexistante ». Ainsi on peut voir que chez des adolescents ou jeunes adultes, la capacité perçue ou mesurée à lire et écrire l’inuktitut oscille entre 50 et 60 % dans la capitale, ce qui reste un chiffre très modeste.

Les efforts pour consolider le processus d’apprentissage se heurtent souvent aux problèmes sociaux, le bien-être et les relations harmonieuses avec ses pairs et sa famille étant un gage important du succès de cette transmission à tous les âges :

Hum, maybe, if I wasn’t the only one trying to make an effort, if I had support, if I said something and that person said, it’s the proper way to say it, it’s this way, that way when people work together it’s a lot easier and you get to learn more, that’s how I feel. And do you think people are not interested in making the effort to read and write more? I…they…yeah…I think they’re not that interested anymore because there’s a lot going on more now than before, there’s alcohol, drugs and you know, I see that part of the problem. Homme, 42 ans, Igloolik

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Because I…one time I came across that older person and the stuff that he had written in Inuktitut, it was a lot and it had to do with traditional life and how to have… I don’t know…like in today’s society there’s haves and have-nots that basically live on the welfare system and how…we have seen, qanu…families are not as close as they were before, so these older persons have tried to…qanu…leave their traditions behind and they have tried to put it into writing. Homme, 43 ans, Igloolik

Il semble ainsi évident que les milieux scolaires et familiaux sont intimement liés dans la problématique de l’apprentissage du syllabique. L’école contribue à un bilinguisme déséquilibré, et un recul de la connaissance de l’écriture en langue inuit. Ceci est d’autant plus inquiétant que la transmission au sein de certaines familles est rendue difficile en raison de l’influence de la culture majoritaire pour les jeunes parents et les adolescents, des problèmes sociaux, de la baisse d’importance de la pratique religieuse, etc. Pour toutes ces raisons, certaines personnes réapprennent eux-mêmes le syllabique, à d’autres moments de leur vie.

3.3 Une compétence fragile

3.3.1 Apprentissage autodidacte, stratégies d’apprentissage Peu de cours sont offerts dans les communautés pour apprendre ou perfectionner sa connaissance du syllabique. Le décrochage scolaire reste un vaste problème et l’éducation des adultes est un défi dans le territoire. L’un des éléments importants de cet effort devrait être l’enseignement de l’écriture et de la lecture, en anglais21 comme en inuktitut, pour qu’il existe des candidats à des programmes d’éducation avancée. Un effort supplémentaire doit également être fait pour que les hommes s’impliquent dans ces programmes (Government of Nunavut et Nunavut Tunngavik 2007). L’enseignement de l’écriture et de la lecture aux adultes s’effectue dans le « centre d’alphabétisation » à Iqaluit et sur les différents campus du Collège de l’Arctique du Nunavut implantés dans les communautés. Le centre d’alphabétisation à Iqaluit offre des cours de mise à niveau mais les cours d’inuktitut ne sont pas proposés régulièrement comme d’autres sujets. À Igloolik, le collège de l’Arctique du Nunavut offre également des cours d’éducation postsecondaire, en

21 Voir l’Enquête internationale sur l’alphabétisation de 2003 (Barr-Telford et al. 2003). 102 fonction des demandes de formation du Gouvernement du Nunavut. Les cours de perfectionnement en syllabique ou en inuktitut ne sont pas disponibles, par manque de fonds et d’enseignants. Ainsi, pratiquement, l’enseignement de l’inuktitut ou du syllabique ne sont pas des priorités pour les personnes qui sont peu scolarisées, pour intégrer le milieu du travail l’anglais écrit, les mathématiques ou d’autres qualifications sont préférés. Pourtant, cela ne veut pas dire que ces cours n’auraient pas de succès s’ils étaient proposés :

I would like to learn better how to read and write. But there is no place in town, there is Adult Education but it’s mainly English, I don’t think they teach any Inuktitut. Femme, 33 ans, Igloolik

À Iqaluit, des cours sont offerts de façon temporaire, et certaines personnes m’ont dit en avoir bénéficié. Mais ces cours semblent surtout avoir pour objectif d’accompagner des changements techniques et de standardisation : apprendre les finales (pour les aînés), utiliser un clavier en syllabique, écrire l’inuktitut en alphabet latin. Ces cours n’ont ainsi pas eu pour but d’apprendre ou de réapprendre le syllabique en tant que tel.

Devant un certain vide institutionnel, les stratégies d’apprentissage qui impliquent l’écriture et la lecture sont ainsi nécessairement variées et renvoient à un besoin pratique. Par exemple, plusieurs personnes qui ont vécu dans les pensionnats ont dû réapprendre l’inuktitut. Ils apprennent également le syllabique une fois qu’ils reviennent dans leur famille, ou plus tard dans leur vie, mais toujours de manière individuelle.

I was about eight years old when I came back home from the South and I didn’t know Inuktitut then and I found out in my mother’s bible at the very back of it there are symbols with the English pronunciation of syllabics, that’s where I learned to read. But I learned to speak from my grandmother and my mother […] I don’t remember learning how to read and write English, I don’t remember learning that. Did you find difficult to learn by yourself how to read and write Inuktitut? Yes. Hum…my grandmother and my mother had things to work on and they were busy all the time but I had nothing to do, so I had to keep bugging them. So part of the way it was really hard that’s why I had to really concentrate on the English version of the alphabets there, and so I would read a-ta----ni----ri----! That’s how I learned to read, at first it was hard, but I was reading more than I could understand, I read Inuktitut and understanding very little of it. So when I started learning Inuktitut at school and when I started going to church, I knew how to read, and I started to hear them, I started to hear their meaning, so the learning came very fast. Femme, 47 ans, Igloolik 103

I grew up in boarding school so it was Roman orthography not syllabics but syllabics came later when my children required assistance with their schoolwork, until then I didn’t even look at syllabics. […] I had been trying to learn syllabics since I was a child but I had never really conquered it until my children started asking for assistance. Homme, 52 ans, Igloolik

En raison de la dynamique de migration vers les villes du sud du Canada, certaines personnes ont également passé une partie de leur vie hors du territoire arctique. Un homme a ainsi dû réapprendre seul le syllabique pour son travail à Igloolik après avoir passé plusieurs années dans le Sud. Une autre jeune femme, insatisfaite de l’apprentissage dans le système scolaire, l’a complété seule :

Do you remember the time when you learned to write Inuktitut? I remember when I was in grade 4, we had Inuktitut class but we didn’t do anything, our teacher didn’t really teach us anything. How come? I don’t know, she was old and…So I got one of these [montre un tableau du syllabaire sur la table] and I just practiced by myself. […] We didn’t really have Inuktitut classes after grade 7, so from grade 8 to grade 12 I didn’t have any Inuktitut classes, I just kind of learned more by friends; and you know the community… Femme, 24 ans, Iqaluit

Ce témoignage montre à quel point pour certaines personnes l’école n’a pas consolidé l’apprentissage du syllabique. Tous ces exemples d’apprentissage autodidacte peuvent être considérés comme des cas de résilience linguistique, telle que décrite par Daveluy (2007).

Il se met également en place des stratégies d’apprentissage qui vont au-delà de la simple syllabisation et qui tentent de relancer de façon active le processus de transmission. Dans le cadre de mes entrevues, les personnes engagées dans ces pratiques sont surtout des femmes d’une quarantaine d’années, qui utilisent l’inuktitut écrit au travail. Elles aiment pour plusieurs raisons pratiquer l’écriture et la lecture en langue inuit hors d’un contexte professionnel, avec un objectif de transmission (voir chapitre 6, section 6.2.1). Par exemple, une mère de famille écrit des chansons en inuktitut que sa mère lui a apprises pour pouvoir les utiliser dans des jeux avec ses propres enfants. Elle aime également compléter son arbre généalogique avec le nom de ses parents en inuktitut. Une autre femme de 43 ans indique qu’elle est en train de créer un glossaire personnel sur la couture en 104 recueillant dès qu’elle en a l’opportunité de nouveaux mots avec leur définition. Une jeune femme choisit, elle, des mots qu’elle ne connaît pas dans son dictionnaire et dresse une liste de ceux qui l’intéressent. Ces pratiques de l’écriture, bien que rares, sont à rattacher à d’autres activités orales grâce auxquelles les locuteurs cherchent à enrichir leur connaissance de l’inuktitut. Cet effort oral de transmission se retrouve, par exemple, dans le travail d’un musicien d’Igloolik et de son groupe. Ils incluent dans leurs chansons des mots anciens afin de les faire connaître aux jeunes, qui connaissent bien souvent ces chansons par cœur.

L’apprentissage de l’écriture et de la lecture s’inscrit ainsi dans une recherche plus large de transmission générationnelle, qui va au-delà de la simple connaissance du syllabique. Cependant, il s’agit la plupart du temps d’une entreprise individuelle.

3.3.2 La difficulté d’écrire et de lire le syllabique : indice de dérive des langues? Seulement trois personnes à Iqaluit et une personne d’Igloolik ont indiqué qu’elles n’étaient pas capables de lire et d’écrire le syllabique. Cependant, parmi les personnes qui déclarent pouvoir lire et écrire l’inuktitut, il est parfois surprenant de remarquer à quel point leur utilisation de ce médium peut être rare. Selon l’un des répondants dans la quarantaine, la dernière fois qu’il a dû lire ou écrire en inuktitut remonte à trois ans, quand il devait pour son précédent travail dans un centre communautaire laisser certaines instructions dans cette langue. Pour une autre personne, la dernière pratique écrite de l’inuktitut remonte au mois précédent quand elle a dû effectuer une traduction pour un ami.

De plus, tous les locuteurs bilingues avec lesquels j’ai pu échanger, à Iqaluit comme à Igloolik, ont déclaré préférer écrire et lire l’anglais que l’inuktitut. Ils expliquent cette affirmation de façon pratique : il est plus rapide et plus facile de lire et d’écrire l’anglais, les écrits en anglais sont plus accessibles. Ainsi, très probablement, ces locuteurs n’écrivent ni ne lisent l’inuktitut avec autant d’aisance que l’anglais. La connaissance du syllabique devient donc une compétence fragile, ce qui pèse sur le choix de langue pour écrire et lire. À Igloolik, une femme de 47 ans doit lire et écrire l’inuktitut de façon régulière pour son travail mais elle souligne la difficulté inhérente à cette pratique: 105

But I find it very boring reading and writing Inuktitut, hey...so boring and I understand once you learn how to read English, almost all the time they drop Inuktitut because with English, you only have to scan, with Inuktitut it’s every little character that you go through. So once children start learning English...Most of them drop the Inuktitut part, and sort of forget how to read. They understand Inuktitut, they understand and speak it but reading? They drop reading!

De la même façon, à Iqaluit, une femme émet des doutes sur la capacité des gens à écrire et lire l’inuktitut:

People don’t read and write. The people I work with can speak, but I don’t think they can read and write Inuktitut. There’s this girl at work, she asked me to type her name and the name of her position, because she didn’t know how. You mean she didn’t know how to type Inuktitut? I don’t know, maybe she doesn’t know how to read and write Inuktitut. I don’t know. Femme 33 ans, Iqaluit

D’autres témoignages corroborent le fait que le manque de pratique et de connaissance du syllabique n’est pas une problématique isolée mais se retrouve chez beaucoup de locuteurs bilingues :

It’s kind of difficult to read in Inuktitut now, it feels crowded when you look at the letters…the words… Femme, 20 ans, Iqaluit

If I could learn to write faster and read faster I’m pretty sure I would do a lot of Inuktitut writing. Homme, 42 ans, Igloolik

English is easier to read and write. Writing Inuktitut is kind of long for me. Femme, 26 ans, Iqaluit

Cette compétence fragile finit par décider du choix de langue pour écrire et lire, et l’anglais est préféré la plupart du temps.

I write my own lyrics in English. There’s more that I can expose, it’s easier for me to write in English. Homme, 23 ans, Iqaluit

Ce statut particulier d’écriture secondaire fait de la pratique du syllabique une pratique exceptionnelle, et non quotidienne ou commune : 106

If I’m gonna write something, I write in English mostly; but if I write a little note or something I also do Inuktitut even on the internet, like I have qanuippit…[…] Little words like aakuluk…But normally I don’t write at all pages in Inuktitut and give it out, nobody is gonna read that now, I don’t think. Homme, 23 ans, Iqaluit

What I see now is syllabics in one place, like one word… And that’s it? Yeah. If syllabics is written down, in a letter, it’s maybe just one quarter. Homme, 45 ans, Iqaluit

Ce déséquilibre en ce qui concerne la pratique de l’écriture en inuktitut est exacerbé par l’utilisation de l’outil informatique. De nombreux logiciels ont été développés pour faciliter l’emploi du syllabique sur l’ordinateur. Un texte peut être transcrit du syllabique en alphabet latin et vice versa grâce à un logiciel. Plusieurs polices de caractères syllabiques existent (Hitch 1993) depuis l’évolution des capacités d’encryptage informatique des caractères avec . L’interface du système d’exploitation Windows de Microsoft est disponible depuis peu en inuktitut (alphabet latin) grâce au travail de Pirurvik22. La version syllabique devrait suivre.

Pourtant, pour de nombreux locuteurs, ces évolutions ne se sont pas traduites par une utilisation plus aisée du syllabique. L’anglais reste la langue la plus accessible :

I find it’s faster in English, it’s not a bad thing but it’s a bad habit I believe, I don’t see it as a bad thing but when it comes to personal writing letters mostly I suppose is in English, mostly contacting through email, I have hotmail and I contact my friends in English a lot, and typing is, hum, you can change your font in Inuktitut but I know most of my friends prefer reading and they read faster in English. Femme, 39 ans, Iqaluit

Comme beaucoup de personnes tapent le syllabique difficilement, l’inuktitut s’écrit la plupart du temps en alphabet latin :

I find it easier to write freehanded in Inuktitut as trying to use these word programs that are on these computers…I hate prosyl, etc…I find it more time consuming…trying to write with the computer than write by hand. (…) Between my sister and I our communication was in Roman orthography as opposed to syllabics because like I say, on the Internet my sister if she would try to

22 Voir p. 29, note 8. 107

open her computer it would just jam, English letters all over the place so the best form of communication in Inuktitut is the Roman orthography. Homme, 43 ans, Igloolik

Malgré la possibilité qui existe aujourd’hui de taper le syllabique, pratiquement, il est plus facile pour les utilisateurs d’écrire en alphabet latin. Cette écriture s’impose alors, d’autant plus s’il existe une difficulté personnelle à écrire et lire le syllabique.

3.4 Conclusion La syllabisation rapide des locuteurs de l’inuktitut après l’introduction des écrits bibliques reposait avant tout sur une pratique orale collective tournée vers le domaine religieux et un enseignement au sein de la famille. Ce modèle d’apprentissage, sans être révolu, n’est plus la norme aujourd’hui. L’instauration du système scolaire a entériné un transfert de l’autorité sur la transmission, c’est-à-dire une perte de contrôle sur l’apprentissage, et s’est accompagnée d’un recul du domaine religieux dans les pratiques. L’échec du système scolaire à promouvoir un bilinguisme stable ainsi que l’importance prise par l’anglais dans la communication au sein de la famille influencent évidemment de manière néfaste la capacité des locuteurs à écrire et lire la langue inuit.

Le portrait de la connaissance du syllabique dressé par les générations bilingues pose la question du remplacement de cette écriture par l’écriture en langue anglaise. Le fatalisme exprimé par certains locuteurs devant cette dynamique consacre le statut d’écriture minoritaire maintenant dévolu au syllabique. Le lieu de résidence des locuteurs, Iqaluit ou Igloolik, ne semble pas grandement influencer la connaissance du syllabique, bien qu’en ce qui concerne la pratique orale, la différence entre ces deux lieux puisse être qualifiée d’extrême. Si l’inégalité du bilinguisme dans le domaine écrit est plus marquée que dans les pratiques orales, quelle répercussion cela a-t-il sur le processus de dérive des langues? Dans les prochains chapitres, une étude détaillée des domaines d’utilisation de l’écrit et des langues concernées fournira des clés de compréhension d’un tel processus.

4 Écrits disponibles en langue inuit et choix langagiers Le chapitre précédent a permis de découvrir une tendance de remplacement de l’écriture syllabique par l’écriture en langue anglaise dans l’éventail des compétences des locuteurs bilingues. Un des facteurs à analyser afin de mieux comprendre cette situation est le volume réduit de lectures en langue inuit. Ce chapitre sera donc organisé en fonction des écrits disponibles pour le lectorat du Nunavut. Les publications seront présentées par catégorie (journalisme, littérature enfantine ou autobiographies), en prêtant une attention particulière aux productions du Nunavut et aux publications en langue inuit. Un inventaire de l’écrit dans les maisonnées suivra, afin de prendre en compte la circulation des publications et de l’information, publiées ou plus informelles. Trois domaines de lecture ressortent des entrevues (informative, autobiographique ou historique et de divertissement) et pour chacun d’entre eux les choix langagiers sont sensiblement les mêmes, pour des raisons qui seront explicitées.

Les écrits d’auteurs inuit font l’objet d’un nombre limité d’études bibliographiques et d’anthologies (Gedalof 1979, 1980; McGrath 1984; Petrone 1992) en anglais. Elles portent sur une aire géographique étendue qui est la totalité du Canada, et sur une période se terminant vers la fin des années 1970 et le début des années 1980. Malgré le caractère précieux de ces publications, elles offrent un portrait très général qui laisse la place à un appronfondissement régional et qui demande également d’être mis à jour. Depuis peu, un outil bibliographique permet d’étudier l’offre de périodiques (contemporaine et passée) pour les Inuit canadiens, il est accessible en ligne (Rankin 2008). Quant aux autres types de publication en langue inuit, plusieurs catalogues électroniques23 ont été utilisés afin de dresser des listes bibliographiques qui peuvent être consultées en annexe (voir annexes 4 à 7).

On tentera ici de présenter les domaines majeurs de publication. Autant que possible, il est important pour cette étude de préciser si les écrits ont été d’abord produits en langue inuit ou seulement transcrits ou traduits dans cette langue. Cette recension se penchera avant tout sur les écrits qui émanent du Nunavut depuis 1999 (ou de la région de l’Arctique de l’Est

23 Le catalogue Worldcat (www.worldcat.org) s’est avéré permettre les recherches les plus exhaustives. 109 des Territoires du Nord-Ouest avant 1999), avec des mentions occasionnelles de publications importantes hors de cette aire.

4.1 Journaux, bulletins et magazines (1940-présent)

4.1.1 La publication en langue inuit : dialectes, standardisation et évolution technique Étudier la production littéraire à l’échelle du Canada a l’avantage de proposer une vision d’ensemble et le désavantage de suggérer peut-être un bassin de lecteurs large, sans limites régionales. Si les écrits en langue anglaise peuvent en effet être lus par tous les Inuit qui parlent cette langue, il en est autrement pour ceux qui sont produits en langue inuit. Par exemple, la différence dialectale freine la circulation des écrits dans les régions inuit (la différence dialectale se rattache historiquement à des regroupements socioculturels, voir section 1.1.1). Au Nunavut sont parlés plusieurs dialectes de la langue inuit: l’ et le natsilingmiutut (groupe inuktun de l’Arctique de l’Ouest), le kivalliq et l’aivilik (groupe inuktitut), en plus des dialectes du Nord et du Sud Baffin (groupe inuktitut, respectivement présents à Igloolik et à Iqaluit) et du dialecte du Nunavik (à Sanikiluaq). Malgré une intercompréhension possible entre ces dialectes, il n’existe pas de standard littéraire de la langue inuit (voir chapitre 8).

De plus, l’écriture a été introduite dans plusieurs parties du monde circumpolaire par des groupes missionnaires différents, et aujourd’hui les systèmes graphiques utilisés divergent en fonction des régions. Seul l’Arctique de l’Est canadien préfère la graphie syllabique, sauf au Labrador où les frères moraves ont adapté l’alphabet latin déjà utilisé au Groenland pour transcrire la langue inuit, à la fin du 18ème siècle (Harper 1983 : 4). Dans l’ouest du Canada, l’alphabet latin a aussi été utilisé par les missionnaires catholiques et protestants dès la fin du 19ème siècle, bien que l’orthographe soit différente de celle du Labrador (Dorais 1990 : 113). Ceci explique qu’aujourd’hui l’inuinnaqtun, un dialecte parlé à l’ouest du Nunavut, soit écrit en alphabet latin, alors que le reste des dialectes du territoire utilise le syllabique. 110

Le processus de standardisation de l’écriture de la langue inuit au Canada est ainsi très récent, et reste même une question d’actualité (voir chapitre 8). Il a été initié dans le cadre des revendications culturelles et politiques des années 1970, et en raison de l’introduction des parlers inuit dans le domaine scolaire (Shearwood 1998 : 184). En 1974, Inuit Tapirisat of Canada reçoit des fonds ministériels pour créer une commission linguistique. Cette association entreprend alors une grande consultation sur la standardisation dans toutes les régions inuit du Canada. De cette consultation naît la décision de créer l’orthographe double (syllabique et latine), qui voit le jour en 1976. Le nouveau syllabaire préparé par la commission prévoit surtout la suppression de la colonne /ai/ (afin que le syllabaire ne contienne que des voyelles phonémiquement distinctes), la création de trois nouvelles rangées pour /q/, /ng/ et /l/ [ou &] et une utilisation plus systématique des finales.

L’accueil réservé à cette nouvelle norme a varié au Canada, de l’acceptation au Keewatin au rejet pur et simple au Labrador (Dorais 1996). Plusieurs personnes associaient la nouvelle orthographe avec une volonté d’uniformisation des dialectes, ou bien avaient peur de l’imposition de l’alphabet latin (Harper 1983 : 65). Au Nunavik, le nouveau standard est mal accueilli car « perçu par plusieurs comme une nouveauté imposée par les gens des Territoires du Nord-Ouest » (Dorais 1996 : 186). Le Nunavik rétablit ainsi la colonne /ai/ et crée sa propre police avec un nom qui souligne cette rupture : AiPaiNunavik (Hot 2004).

Ainsi, la standardisation de l’écriture est effective mais quelques différences régionales sont notables en ce qui concerne l’alphabet latin, comme pour les syllabaires utilisés au Nunavut et au Nunavik (pour une description détaillée des différentes règles d’écriture en fonction des régions, voir Dorais 1990). Rappelons également que le processus de standardisation étant récent, jeunes générations et générations plus âgées peuvent écrire la langue inuit différemment (Shearwood 1998).

Le processus de standardisation a été suivi de près par les avancées technologiques pour l’écriture de la langue inuit. En effet, s’il a été relativement facile de publier des textes en langue inuit écrits en alphabet latin, la publication du syllabique a demandé des aménagements particuliers. La première machine à écrire le syllabique date de 1917. Elle a été créée par un missionnaire du Keewatin (Shearwood 1998 : 175). Dans les années 1970 apparaît la première machine à écrire électrique d’IBM (Harper 1983). 111

À la fin des années 1980, les polices de caractères syllabiques entrent en scène. La multiplication des polices a rapidement rendu nécessaire un effort de standardisation. Avec Unicode et l’évolution des capacités d’encryptage informatique des caractères, l’outil informatique s’est ouvert de façon plus cohérente aux écritures non latines. Un standard a été créé, non seulement pour les caractères syllabiques de l’inuktitut mais également pour tous les caractères syllabiques des autres langues autochtones canadiennes24. Ces développements ont baissé significativement les coûts d’impression en syllabique et ont rendu possible la publication par des maisons d’édition privées (Dorais 1990 : 123).

4.1.2 Périodiques publiés par des organismes religieux ou gouvernementaux Les écrits publiés pour le lectorat du Nord au Canada ne forment donc pas un ensemble homogène. On retrouve une variété de systèmes d’écriture, de moyens d’édition, de langues (un des dialectes inuit et/ou anglais et/ou français) en fonction de l’époque et du lieu de publication. Ceci est particulièrement évident pour l’œuvre journalistique, qui représente la majorité écrasante des écrits inuit grâce à un format très accessible pour les auteurs. Les journaux laissent une certaine liberté quant aux thèmes et aux genres des textes soumis (billets d’opinion, morceaux autobiographiques, histoires, poésie, etc.), tout en permettant d’annoncer les nouvelles et événements communautaires. En faisant cohabiter divers points de vue et types d’écrits et en juxtaposant les expériences, ces publications érigent une tribune, culturelle et politique, qui permet d’échanger avec un public intra-communautaire ou de participer à un forum de discussion plus large.

Chronologiquement, la presse écrite est apparue la première dans le Nord suivie par la radio, le téléphone et enfin la télévision. Les débuts des périodiques sont souvent associés aux missions, bien que leur contenu n’ait pas été exclusivement religieux (McGrath 1984 : 34-35). Le journal Aglait Illunainortut est le premier périodique publié en langue inuit (alphabet latin) au Canada, par la mission morave du Labrador de 1902 à 1922. En ce qui concerne l’Arctique de l’Est, les Oblats de Marie-Immaculée publient en 1941 Inungnun tamainun en syllabique (Dorais 1996 : 201) et Eskimo à partir de 1944 en anglais et en

24 Voir la table du syllabaire autochtone unifié canadien à http://unicode.org/charts/PDF/U1400.pdf (dernière consultation en septembre 2008). 112 français. En 1946, le Diocèse de l’Arctique (Église anglicane) débute la publication d’Arctic News : Journal of the Diocese of the Arctic en anglais, publication qui se poursuit jusqu’à ce jour. Dans les années 1950, il y ajoute Ilavut/Our Family en langue inuit (syllabique/alphabet latin) et en anglais (Dorais 1996 : 201).

Dans le journal Eskimo, les missionnaire oblats publient (en anglais et français), en plus de d’écrits sur les missions proprement dites, des « histoires du bon vieux temps », des légendes, des textes historiques ou sur les « mœurs esquimaudes »25. Le père Guy Mary- Rousselière, qui officie à Pond Inlet dirige la revue de 1953 à 1958 (Choque 1998). Des années 1940 à 1990, il produira de nombreux articles sur la région d’Iglulik, qui se basent sur des échanges en langue inuit entre missionnaire et conteurs.

C’est dans ce contexte de collaboration entre missionnaires et écrivains inuit qu’est né le premier roman écrit en syllabique au Nunavik. Mitiarjuk Attasi Nappaaluk, de Kangirsujuaq, a débuté cette oeuvre dans les années 1950, encouragée par un missionnaire catholique :

[Mitiarjuk] commença par aider le père Lucien Schneider, O.M.I., à achever son dictionnaire inuit/français, puis le père Robert Lechat, O.M.I., qui voulait améliorer sa pratique de la langue autochtone. Il lui demanda d’écrire en caractères syllabiques, dans des cahiers lignés, des phrases contenant le plus de termes possibles de la vie quotidienne. Elle se mit donc à écrire, sous l’iglou ou sous la tente, quand ses enfants étaient endormis ou que ses tâches domestiques lui laissaient quelques loisirs. Puis elle se lassa de ce genre d’écriture et, laissant déborder son imagination, créa des personnages et décrivit leur heurs et malheurs, dans le cycle saisonnier de leurs activités; en résumé, la vie d’un petit groupe de familles inuit semi-nomade, peu avant l’établissement des premiers Blancs dans la région. À l’âge de vingt-deux ans, Mitiarjuk avait ainsi réinventé l’art du roman, alors qu’elle en ignorait jusqu’à l’existence… (B. Saladin d’Anglure, préface de Sanaaq, Nappaaluk 2002 : 7)

25 Quelques exemples parmi les numéros les plus anciens : Trois légendes d’Iglulik racontées par William Okomâluk (Guy Mary-Rousselière, nº 38, décembre 1955: 18-25), La cinquième expedition de Thule vue par les Esquimaux (Guy Mary-Rousselière, nº 11, printemps-été 1976: 19-25), Ainsi parlait la « reine » d’Iglulik (Guy Mary-Rousselière, nº 37, septembre 1955: 7-12), Les « Tunit » d’après les traditions d’Iglulik (Guy Mary-Rousselière, nº 35, mars 1955: 14-20) Les règles du partage du phoque pris à la chasse aux « Aglu » chez les Arviligjuarmiut (Franz Van de Velde, nº 41, septembre 1956: 3-7), Le corbeau et les deux canes. Une fable esquimaude racontée par Felix Kopak au Père R. Papion (nº 43, 1957: 16-17), Les pierres qui brûlent. Une histoire du bon vieux temps telle que racontée par Komangat au Père Didier (nº 31, mars 1954: 10-11). 113

Avec le concours de l’anthropologue B. Saladin d’Anglure, cette œuvre, le roman Sanaaq, sera publié en langue inuit en 1984 et en traduction française en 2002. Il décrit la vie quotidienne d’une jeune veuve, à l’époque des premiers contacts avec les Qallunaat. Le style d’écriture fait une bonne place au discours direct.

Entre le début de l’écriture de Sanaaq et sa publication s’écoulent plusieurs décennies. Dans la période de l’après seconde guerre mondiale, l’article de journal reste la forme par excellence des écrits inuit et la croissance des titres de périodique coïncide avec l’accélération du processus de sédentarisation (Dorais 1996 : 20). Les changements dans la politique fédérale envers les populations inuit se traduisent par une implication accrue du gouvernement (Jenness 1964, Damas 2002). Dans les années 1950 et 1960, des subventions fédérales visent ainsi à développer des programmes culturels et de développement d’associations inuit et autochtones, qui incluent la création de périodiques (Alia 1999 : 76). Pendant cette période, de nombreux périodiques sont lancés par le Ministère des affaires indiennes et du Nord canadien, dont Eskimo Bulletin, dans les deux orthographes de la langue inuit à partir de 1953. En 1959, celui-ci changera de nom pour Inuktitut, un magazine culturel, et sera ensuite publié dans les années 1970 par Inuit Tapirisat of Canada (aujourd’hui Inuit Tapiriit Kanatami, l’association des Inuit du Canada) en langue inuit, anglaise et française. Ce titre, toujours disponible aujourd’hui, est l’un des rares magazines à contenu culturel.

La flexibilité du format des périodiques, comme celui d’Inuktitut a permis de publier jusqu’à un roman feuilleton. Markoosie, un pilote de Resolute Bay, a partagé de cette façon son œuvre Harpoon of the Hunter. Le roman parut d’abord par épisodes en inuktitut dans le journal Inuktitut, puis sera finalement traduit dans plusieurs langues et publié en volume en 1970 (McGrath 1984 : 81). La préface de l’ouvrage, écrite par J.H. McNeill du Ministère des affaires indiennes explique le contexte d’écriture du roman, et donne à nouveau des indices de la collaboration entre Inuit et Qallunaat :

Back in Ottawa, we revived the long-dormant newsletter Inuttituut (sic) (Eskimo Way), resolving to make it entirely eskimo in content. Because we could not wait for a perfected , we used the syllabics introduced by the missionaries and used for Bible translations, we were prepared to carry only folk tales at first. 114

After the second issue of the magazine had reached its readers, material began to come in - not only legends, but biography, poetry, songs, humour. It was the first step from an oral to a written litterature which could be read beyond the circle of the firelight. Then came our first original story written in Eskimo. When « Harpoon of the Hunter » arrived we could not hide our excitement. We ran the story as a serial in Inuttituut, and we encouraged Markoosie to translate it into English. Here, for the first time, was a story of life in the old days, not as it has appeared to southern eyes, but as it has survived in the memory of the Eskimos themselves. (Préface, Markoosie 1970) L’œuvre de l’auteur inclut d’autres nouvelles et un autre roman feuilleton, Wings of Mercy.

4.1.3 Revendications inuit et mobilisation communautaire Les politiques de subvention pour les médias autochtones se poursuivront avec notamment le Native Communications Program dans les années 1970 qui soutiendra la création de plusieurs journaux régionaux nordiques. Les années 1970 voient également une certaine explosion des périodiques en lien avec la prééminence du débat politique. L’entente territoriale en Alaska en 1971, les revendications autochtones dans le delta du Mackenzie, la signature de l’Entente de la Baie James et du Nord Québécois en 1975 et le Home Rule au Groenland en 1979 sont des événements clés qui annoncent un changement dans les relations entre Inuit et instances politiques. Les négociations sont menées par de nouvelles associations comme Inuit Tapirisat of Canada (créé en 1971) à une échelle nationale et, pour ce qui est du Nunavut, la Baffin Regional Inuit Association (fondée en 1975, aujourd’hui Qikiqtani Inuit Association) et la Tungavik Federation of Nunavut (fondée en 1982, aujourd’hui Nunavut Tunngavik Inc.). Les revendications et négociations des Inuit avec les différents États sont également portées par une organisation transnationale, l’Inuit Circumpolar Council. La première conférence qui rassemble les peuples inuit est organisée en 1977 et en 1983 l’ICC obtient le statut d’organisation non gouvernementale auprès des Nations Unies (Sambo 1996). Des bulletins, périodiques et magazines naissent avec ces différentes organisations. Citons par exemple le ITC News/Tapiriqsatkut tusatisiqutinai plus tard appelé Inuit Today/Inuit uplumi publié par Inuit Tapiriit Kanatami de 1976 à 1982 en anglais et langue inuit (deux orthographes). L’ICC publie aussi des magazines mais de façon plutôt épisodique. Toutes ces publications émanant d’organisations surtout politiques contiennent également des articles qui dépassent ce seul domaine, autour de thèmes culturels (McGrath 1984 : 38). 115

Les publications qui naissent dans les années 1970 participent à la mobilisation politique des Inuit, souvent à partir d’Ottawa. Un des leaders de cette mobilisation, Peter Ittinuar, débute sa carrière politique comme éditeur d’un magazine à ITC (Rodon 2008 : 81) :

When James [Arvaluk] finished speaking, I went to see him and I asked him if he had any jobs in Ottawa for somebody like me. I hadn’t yet gone to University. He told me he was looking for an editor for the magazine. I said, « I’ll take it. » I had never done anything like that before, but I wanted to join, so I came to Ottawa and started working with Inuit Tapirisat of Canada. […] James Arvaluk hired me to work on a new magazine. I believed it was called Inuit Monthly. When I went there it was a fledgling little magazine and I changed the name to Inuit Today and redesigned it. […] I remember our first edition. We didn’t have a typewriter with syllabics on it, so I had to write the Inuktitut part out by hand. Pauloosie : Do you think that’s when your passion to change things began? That was a decisive moment in my life. That was when I knew what I wanted to do. That was a catharsis. Whatever way I did it, I wanted Inuit to attain a level of autonomy.

Alootook Ipellie, le célèbre auteur et artiste originaire d’Iqaluit, a également occupé le poste de journaliste à Inuit Today. Il est devenu son éditeur à la fin des années 1970. Les écrits d’Ipellie (poésie, fiction) ont surtout paru en anglais dans de nombreux journaux. Ils offrent un témoignage contemporain sur le contexte postcolonial tout en s’appuyant sur les genres de la tradition orale inuit (Kennedy 1998). L’auteur publiera également une série de bandes dessinées sarcastiques (intitulée « Ice Box ») en anglais et en syllabique dans Inuit Today. En 1993 paraît un volume de nouvelles en anglais et de dessins à l’encre de l’artiste, Arctic Dreams and Nightmares.

À la fin des années 1970, Paul Quassa commencera à travailler à ITC à Ottawa en tant que traducteur pour le journal Inuktitut (McComber 2008 : 56). La radio participe également à ce mouvement de mobilisation, en particulier les radios communautaires qui permettent la consultation des communautés pendant les différentes étapes de la négociation territoriale du Nunavut (McComber 2007 : 80).

La publication de ces périodiques à partir des années 1970 représente également le début d’une véritable prise de parole des Inuit, une réappropriation de l’histoire qui dépasse le seul domaine politique (Laugrand 2002b). Par exemple, les revendications territoriales, 116 grâce aux recherches sur l’occupation du territoire, ont donné le coup d’envoi d’un grand nombre de projets culturels et de recherches sur la tradition orale (Trudel 2002).

Les initiatives communautaires ou culturelles prendront plusieurs formes. En 1975, l’Inuit Cultural Institute est fondé à Arviat. Il organise des conférences d’aînés et recueille leur récit de vie (Laugrand 2002b : 96, voir aussi la section autobiographies ci-dessous). Il publie de façon consécutive, de 1977 à 1988, trois périodiques en anglais et langue inuit.

Par ailleurs, le succès du mouvement coopératif (logement, artisanat) entraîne également la production de bulletins et catalogues. La coopérative de Cape Dorset/Kinngait, communauté du Nunavut bien connue pour sa production de sculptures et d’estampes, publie un catalogue en anglais et français de 1959 à 1969, le premier de nombreux catalogues à venir.

Enfin, de nombreux bulletins de nouvelles locaux apparaissent dans les communautés, sans liens avec des organisations religieuses, politiques, économiques ou des initiatives culturelles. Les journaux communautaires rassemblent des articles divers, souvent sous la forme de lettres à l’éditeur (McGrath 1984 : 36-37) et permettent ainsi la publication de textes par de nombreux auteurs occasionnels. Il est difficile de trouver une bibliographie exhaustive de ces publications, souvent éphémères. Au Nunavut, Arctic Bay, Cape Dorset, Clyde River, Iqaluit, Igloolik, Baker Lake, Rankin Inlet, Pond Inlet, Resolute Bay (entre autres) produisaient un ou plusieurs journaux communautaires pendant les années 1970 (voir Annexe 2). À l’exemple de la radio communautaire, les journaux encouragent les échanges dans l’espace public des villages.

4.1.4 Pourquoi une décroissance du nombre de titres? À partir des années 1990, on assiste à une décroissance dramatique du nombre de titres de presse écrite autochtone. En ce qui concerne les titres à large diffusion, cette décroissance est entraînée en grande partie par une diminution importante des subventions gouvernementales aux médias autochtones (Alia 1999 : 77). La décision brutale d’annuler le Native Communications Program en 1990 s’explique par un virage néoconservateur de la politique fédérale (Schutta 1996) ainsi que par le désir que ces journaux autochtones 117 s’acheminent vers un modèle commercial de fonctionnement (Avison 1996). Avec un auditoire réduit et des frais de publications élevés, surtout quand la langue de publication est une langue autochtone, beaucoup de ces périodiques ont cessé de paraître dans les années suivant ces coupures budgétaires. Ceci a eu un impact évident en réduisant les lieux d’expression de l’opinion publique inuit et autochtone en général (Avison 1996).

En ce qui concerne les périodiques locaux, il est fort probable que la fluctuation dans les politiques de subvention ait contribué à leur durée de vie réduite. Néanmoins, McGrath (1991) cite également d’autres obstacles à contourner pour ces petits périodiques. Tout d’abord ce type de publications repose souvent sur les épaules d’un seul individu et sur sa volonté et motivation. Le maintien de l’équipe de rédaction pose également problème, les employés qualifiés trouvent en effet de meilleures places au sein d’organismes plus importants. Enfin, la publication bilingue en langue inuit coûte cher et demande un investissement dans la formation d’employés.

La baisse dans la publication de titres de presse écrite est d’autant plus étonnante que la richesse et l’abondance des articles produits démontre clairement l’appropriation de ce mode de communication. La bibliographie de Gedalof (1979) sur les écrits inuit canadiens, dont la grande majorité sont des articles de périodiques, classe les textes selon qu’il s’agisse d’articles sur la vie contemporaine (vie communautaire, politique, économie, éducation, art), d’histoire culturelle (description de savoir-faire et de la vie avant la sédentarisation), de poèmes et chansons et enfin de souvenirs (autobiographies). En règle générale les références citées sont publiées en deux ou trois langues (langue inuit et/ou anglaise et/ou française). Un dépouillement des entrées de cette bibliographie montre que seulement pour la catégorie « histoire culturelle », les articles sont majoritairement écrits en langue inuit puis traduits. Pour les autres catégories la première langue d’écriture des textes n’est pas spécifiée ou reste de façon assez équilibrée la langue autochtone ou l’anglais. Ceci rejoint l’analyse de Dorais (1996 : 197) selon laquelle les articles sont écrits à parts égales en inuktitut et en langue seconde. Ce sont souvent les auteurs eux-mêmes qui entreprennent la traduction de leur texte ou qui créent deux versions de celui-ci.

Quant aux thèmes privilégiés pour ces articles, les articles sur la vie contemporaine représentent la catégorie la plus populaire, suivie des histoires et légendes, des 118 autobiographies, des poèmes et des chansons et enfin des « histoires culturelles » (savoir- faire et vie avant la sédentarisation). Comme il a été souligné précédemment, les périodiques jouent le rôle d’une tribune pour débattre et véhiculer des opinions au sujet de la vie dans les communautés et les villes. Les articles sur les histoires et les souvenirs mis ensemble (histoires et légendes, autobiographies, histoire culturelle), néanmoins, dépassent largement l’ensemble des autres catégories.

4.1.5 La centralisation et l’anglicisation des périodiques : l’exemple d’Iqaluit et d’Igloolik Les titres de périodiques qui ont continué de paraître jusqu’à aujourd’hui semblent avoir survécu à un processus de centralisation (professionnalisation) et d’anglicisation qui a été particulièrement néfaste pour les journaux locaux. La moitié des quelque 200 titres qui ont cessé d’être publiés proposaient des textes en langue inuit. Les périodiques aujourd’hui disponibles qui s’adressent à un lectorat du Nord sont évalués à 42 pour le Canada (Rankin 2008). Ceux-ci peuvent être classés en bulletins et journaux (21), magazines (16) et revues savantes (5). De cette quarantaine de périodiques, dix-neuf proposent des textes en langue inuit ou sont publiés en versions bilingues (aucun n’est publié exclusivement en langue inuit). 119

Tableau 1. Périodiques actuels qui proposent des textes en langue inuit ou sont publiés en version bilingue, d’après Rankin (2008)

Type/sujet Titre Éditeur Bulletin Akiurvik Tungasuvvingat Inuit (Ottawa) Magazine Anngutivik Commission scolaire Kativik (éducation) Bulletin Caribou News in Beverly and Qamanirjuaq Caribou Brief Management Board Magazine Inuktitut Inuit Tapiriit Kanatami Culturel Isumasi: Inuit Cultural Institute Your thoughts Jeunesse Kaakuluk & Qikiqtani Inuit Association/ Nunavut Bilingual Education Society Pivut Nouvelles Kivalliq News Northern News Services Magazine Makivik Magazine Société Makivik Bulletin Nipik Newsletter Government Nouvelles Nunatsiaq News Nortext Publishing Corporation Bulletin Nunavik Société Makivik Nouvelles Nunavut News Northern News Services Bulletin Nunalu Imaklu/Land Nunavut Planning Commission & Water Nouvelles NWT News/North Northern News Services Bulletin Suvaguuq: Inuit Pauktuutit Inuit Women of Canada Women’s Association Newsletter Historique Them Days Labrador Heritage Society Magazine- Tusaayaksat Communications Society Autobiographies Bulletin Uqaqta!: The Nunavut Teachers’ Association Newsletter of the Nunavut Teachers’ Association

120

Treize de ces dix-neuf titres bilingues ou trilingues émanent d’organismes inuit (Société Makivik et Commission Scolaire Kativik pour le Nunavik; Tungasuvvingat Inuit pour Ottawa; Inuit Tapiriit Kanatami et Pauktuutit Inuit Women of Canada à l’échelle du pays; Inuit Cultural Institute, Qikiqtani Inuit Association, Nunavut Teacher’s Association et Nunavut Planning Commission pour le Nunavut; Nunatsiavut Government pour le Labrador et enfin Inuvialuit Communications Society pour les Territoires du Nord-Ouest), quatre de maisons d’édition privées (Northern News Services et Nortext Publishing Corporation à Iqaluit) et deux d’associations non strictement inuit (Labrador Heritage Society et Beverly and Qamanirjuaq Caribou Management Board). Ces titres couvrent différentes régions du Canada et abordent parfois des thèmes très spécifiques qui ne sont pas destinés à un large public. Seuls quatre journaux avec du contenu en langue inuit, Kivalliq, Nunavut et NWT News ainsi que Nunatsiaq News (publié à Iqaluit par Nortext Publishing Corporation) fonctionnent ainsi effectivement avec des fonds privés. On voit donc que dans les faits, les titres privés sont bien minoritaires quant à la publication en langue inuit.

Au Nunavut, la réduction du nombre de périodiques s’est accompagnée d’une centralisation autour de la capitale Iqaluit et d’une diminution des titres disponibles en langue inuit. Les tableaux suivants font la liste pour Iqaluit et Igloolik de l’ensemble des périodiques, publiés par le passé (sur fond blanc) ou toujours disponibles (sur fond gris).

PÉRIODIQUES IQALUIT Catégorie Titre Communautaire EASTERN ARCTIC NEWSWEEK devient EASTERN ARCTIC STAR 68-69/70-72 anglais (quelques textes en inuktitut) Communautaire LISTENING POST / TUSAQVIK 68-71 DIAND et Baffin Region Adult Education Centre anglais/inuktitut Communautaire INUKSHUK devient NUNATSIAQ NEWS 73-76/76-présent Citizens of Frobisher Bay, Board of Directors puis Nortext Publishing Company anglais/inuktitut Communautaire KATAJJAQ Baffin Regional Inuit Association 1981 ? Magazine - ARCTIC CIRCLE Nouvelles Nortext Information Design 90-94 anglais Affaires BAFFIN BUSINESS QUATERLY devient BAFFIN BUSINESS NEWS 91-00/00-04 anglais/inuktitut puis anglais seulement Politique NIPISI: the Newsletter of the Nunavut Tunngavik Corporation 94-97 anglais/inuktitut Éducation UQAQTA!: the Newsletter of the Nunavut Teachers’ Association 95-présent anglais/inuktitut Politique NUNAVUT NOTES/NUNAVUMI TUSAGAKSAT Office of the Interim Commissioner 98-99 Jeunesse PIVUT Inhabit Media Inc (Qikiqtani Inuit Association) 2007-présent anglais Jeunesse KAAKULUK Inhabit Media Inc (Qikiqtani Inuit Association) 2007-présent anglais/inuktitut

Tableau 2. Périodiques publiés à Iqaluit, d’après Rankin (2008) 122

PÉRIODIQUES IGLOOLIK Catégorie Titre Communautaire THE MIDNIGHT SUN/NIPISIULA Igloolik Settlement Council 68-74 anglais/inuktitut Communautaire IGLOOLIK WEEKLY NEWSLETTER Igloolik Settlement Council 75 anglais/inuktitut Communautaire IGLOOLIK IRREGULAR/IKLULIK QAKUTIKUT 75 anglais/inuktitut Culturel INUMMARIT Inummarit Cultural Association 72-77 inuktitut (syllabique et alphabet latin)

Tableau 3. Périodiques publiés à Igloolik, d’après Rankin (2008)

Seuls des titres publiés à Iqaluit sont donc encore disponibles aujourd’hui. Dans les autres communautés du Nunavut, surtout pendant les années 1970 et 1980, de nombreux bulletins locaux sont apparus, la très grande majorité d’entre eux dans un format bilingue (voir Annexe 2). La multiplication de ces bulletins témoigne de la participation d’un grand nombre de personnes au travail d’édition et à la production des textes. On a ainsi assisté à une véritable intégration de cette presse dans les dynamiques communautaires, bien que ces bulletins aient été souvent modestes, avec des textes syllabiques parfois écrits à la main. À l’exemple d’Igloolik, tous ces bulletins parus dans les communautés ne sont plus disponibles aujourd’hui.

De 1972 à 1977, le titre Inummarit, lancé par les missionnaires oblats (Langrand 2002b : 94), et publié par l’Association Inummarit d’Igloolik proposait des textes culturels et d’histoire orale avec un format unilingue en inuktitut (la traduction en anglais et, parfois, en français étant disponible sur demande). Certains numéros sont dactylographiés en syllabique et transcrits en alphabet latin (langue inuit), alors que pour d’autres, les articles sont seulement écrits à la main en syllabique. Cette publication (produite en langue inuit) était ainsi relativement exceptionnelle par rapport aux autres périodiques. Les articles 123 présentent des épisodes de chasse ou de voyage sur le territoire ou expliquent des savoir- faire traditionnels (techniques de chasse en fonction des saisons, traitement des peaux, etc.). On retrouve également quelques histoires. Certains textes sont signés par des femmes, mais leur production est moins importante que celle des hommes. Des dessins au crayon illustrent les textes. Inummarit semble être la dernière revue communautaire produite à Igloolik.

Seul le bulletin communautaire d’Iqaluit continue à être publié aujourd’hui sous le nom de Nunatsiaq News. Parmi les autres titres disponibles dans la capitale, on trouve un bulletin économique, en anglais, et le bulletin de l’association des professeurs du Nunavut dans les deux langues. Les deux autres publications, des périodiques pour la jeunesse, bénéficient de subventions publiques et sont produites grâce à la collaboration de Qikiqtani Inuit Association et Nunavut Bilingual Education Society. Ils sont distribués dans les écoles.

Seuls trois autres titres sont spécifiquement destinés au public du Nunavut, et ne sont pas produits à Iqaluit. Il s’agit de Nunavut News et Kivalliq News, des journaux bilingues publiés à Yellowknife, et Isumasi: Your thoughts, un magazine de l’Inuit Cultural Institute basé à Arviat. Un autre titre grand public bilingue est disponible au Nunavut, Inuktitut, et vise un public national. Ce magazine produit par Inuit Tapiriit Kanatami propose des textes traduits en anglais, en langue inuit (deux orthographes) et en français.

Deux autres magazines nationaux grand public en anglais s’ajoutent à cette offre de presse : Above and Beyond: Canada’s Arctic Journal (publié par la Société Makivik) et Up Here: Explore Canada’s North (publié par Up Here Publishing à Yellowknife). Par ailleurs, à Iqaluit tout au moins, on trouve tous les grands titres de la presse nationale en anglais et en français.

L’offre de presse écrite du Nord, à l’exemple du Nunavut, s’est donc aujourd’hui professionnalisée, et centralisée. Seule une poignée d’organismes inuit plus importants peuvent commanditer la publication de bulletins et magazines, et s’aventurer dans des éditions de formats bilingues ou trilingues. La fin des petits journaux communautaires entraîne une réduction extrême de l’offre de textes en langue inuit et des opportunités de publier pour des auteurs amateurs. De plus, comme l’indique McGrath (1991 : 99) : 124

« many Inuktitut publications are bilingual in name only because the Inuktitut is so poor that even fluent Native speakers choose to read the English instead. »

Ce manque de qualité s’explique par un processus de traduction difficile et coûteux, mais aussi par un déficit d’écrits produits originalement en langue inuit. Il est plus difficile de produire de tels textes pour les jeunes générations. Un domaine populaire de pratique de la langue autochtone, comme de l’anglais, a donc perdu beaucoup d’importance et ne concerne aujourd’hui qu’un nombre plus limité d’auteurs occasionnels ou de journalistes confirmés. En ce qui concerne Nunatsiaq News, Alia (1999) montre que pour les années 1991-1992, l’ethnicité des journalistes et d’auteurs de textes est en grande majorité qallunaat. Cela semble être toujours le cas aujourd’hui. Selon McGrath (1991 : 100) : « The problems faced by Native journalists today are massive compared to those of thirty years ago. […] One of the difficulties that hampers Native journalists now is that they must not only be highly capable writers in two languages but they must be highly skilled technicians as well. »

4.2 Les histoires

4.2.1 Littérature enfantine Les titres pour enfants forment le second domaine le plus riche en ce qui concerne les publications inuit. La majorité des livres en langue inuit sont publiés par la Baffin Divisional Board of Education à Iqaluit. Celle-ci a produit un peu plus de 200 titres en langue inuit ou en version bilingue. D’après la liste bibliographique des ouvrages bilingues ou en langue inuit située à l’annexe 4 (et reconstituée à partir de catalogues électroniques), on peut voir que la majorité des titres a été publiée entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990. En ce qui concerne les sujets de ces livres, un thème particulièrement populaire semble être les activités cynégétiques, la vie et les voyages sur le territoire. Les titres suivants donnent des exemples du traitement de ces sujets :

AKULUJUK, Geesee 1989 Uuttuqsiuqtuq = Spring hunting, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

125

ARNALAK, Emil et Theresie TUNGILIK 1993 Staying in tent = Tuumasikkut ulalivut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

AVINGAQ, Ruth et Susan AVINGAQ 1992 By dogteam = Qimuksikkut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

KARPIK, Leesee 1989 Suusiup anikulua Nua nattiriuqtuq = Noah's first seal, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

NAULALIK, Ishmael 1989 Usuliarniq ammuumajjiarnira = Clam digging, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education. Le second thème qui se dégage de cette liste bibliographique renvoie à des événements légendaires, beaucoup d’entre eux mettant en scène des animaux :

AVINGAQ, Susan 1992 The old squaw and the ptarmigan = Aggiarjukuluglu aqiggirlu, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

IYERAK, Thoretta 1989 Naujaq tulugangguqtuviniq = Seagull to raven, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

KILLIKTEE, Tuqqassie 1993 Arnaq taqkiliaqtuviniq = The woman who went to the moon, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

UNGALAQ, Rhoda 1989 Inuit qimmingguqtuviniit = The people who became dogs, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education. De plus, plusieurs titres très attrayants pour les jeunes ont également été publiés par la Nunavut Bilingual Education Society, en format bilingue (voir annexe 4). Les deux titres suivants mettent en scène des êtres fantastiques de la tradition inuit, ils se basent sur des entrevues avec des aînés d’Iqaluit et de Resolute Bay ainsi que sur des documents écrits :

CHRISTOPHER, Neil, Keith CHRISTOPHER, Babah KALLUK, Louise FLAHERTY, Noel McDERMOTT 2004 Taiksumani : Inuit myths and legends = Taiksumani : Inuit ukpirijangit unikkaaqtuangillu, Iqaluit, Nunavut Bilingual Education Society.

126

CHRISTOPHER, Neil, Louise FLAHERTY et Larry MACDOUGALL 2007 Stories of the amautalik : fantastic beings from Inuit myths and legends = Amautaliup miksaanut unikkaat : takulimanggittut uumajut kamanaqtullu uumajut inuit ukpirijangginniinnggaaqtut unikkaaqtuangginnillu, Iqaluit, Inhabit Media. Par ailleurs, des publications par des auteurs ou illustrateurs inuit ont rencontré un succès qui a dépassé le Nord, notamment les livres de Michael Kusugak publiés par une maison d’édition canadienne pour la jeunesse.

4.2.2 Autobiographies, souvenirs et projets d’histoire orale Le genre de l’autobiographie représente certainement un genre majeur de publication pour les écrits inuit, tout comme un sujet bien représenté dans les articles de périodiques.

Les collaborations avec des missionnaires oblats dans les années 1960 ont permis la publication d’écrits autobiographiques (Laugrand 2002b : 94). I, Nuligak de Bob Cockney (Nuligak) est d’abord écrit en langue inuit (alphabet latin de l’Arctique de l’Ouest) en 1956 puis traduit et publié en anglais par le père oblat Maurice Métayer. The Autobiography of John Ayaruaq sera, elle, publiée en syllabique (région du Kivalliq) avec le concours du père Thibert.

Dans les années 1970, d’autres autobiographies ont été écrites directement en anglais par une nouvelle génération d’auteurs, dont Shadows (1975) d’Armand Tagoona, pasteur et écrivain prolifique de Baker Lake et Skid Row Eskimo (1976) écrit par Anthony Apakark Thrasher originaire de Paulatuk (région d’Inuvik). Les autobiographies de femmes inuit sont moins nombreuses et McGrath (1997) remarque que les femmes écrivent moitié moins d’autobiographies que les hommes, ce qu’elle explique par le fait qu’il serait mal vu d’attirer l’attention quand on est une femme. La plupart des autobiographies publiées par des femmes l’ont été en anglais, comme My Name is Masak (1977) écrit par Alice French (Delta du Mackenzie).

Dans le domaine artistique, plusieurs volumes autobiographiques ont été produits en collaboration. We don’t live in snow houses now : Reflections of Arctic Bay est publié en 1976 en anglais et en syllabique (Innuksuk et Cowan 1976). De nombreux artistes de la communauté ont participé à des entrevues, et le volume organise ces morceaux 127 biographiques de manière à décrire à plusieurs voix (et plus ou moins chronologiquement) l’histoire des habitants de la communauté. L’objectif du livre est d’expliciter le contexte de la production artistique.

Deux volumes présenteront la vie d’artistes de Cape Dorset. Pitseolak : Pictures out of my life, publié en 1971, est né de la collaboration de l’artiste Pitseolak Ashoona avec Dorothy Eber, une journaliste, à partir d’entrevues. Le livre a été produit dans un format bilingue. People From Our Side. A life Story with Photographs and Oral Biography répond à plusieurs égards au livre précédent. Il se base d’abord sur un manuscrit biographique écrit en syllabique par l’artiste de Cape Dorset Peter Pitseolak et envoyé à la journaliste Dorothy Eber (Trudel 1999 : 160). Celle-ci effectuera en plus des entrevues avec l’auteur. Dans ce volume figurent des extraits de ces entrevues, le récit de vie original traduit et des photos et dessins de l’auteur. Il sera publié en 1975 en langue anglaise.

Un troisième livre publié par Dorothy Eber, When the Whalers Were Up North. Inuit Memories from the Eastern Arctic (1989), utilise des extraits d’entrevues effectuées avec des descendants de baleiniers inuit, dans le Sud de Baffin, au Kivalliq et sur la côte ouest de la baie d’Hudson. Le livre, publié en anglais, utilise plusieurs sources (dont ces entrevues effectuées en langue inuit) pour raconter l’histoire des baleiniers dans l’Arctique de l’Est.

Certaines publications autobiographiques naissent également de collaborations avec le milieu académique. Saqiyuq (Wachowich 1999) est unique de ce point de vue puisqu’il ne présente pas seulement un récit de vie d’aîné, mais l’histoire d’une famille inuit de Pond Inlet à travers les récits de vie de trois femmes (grand-mère, mère et fille), édités par une chercheure qallunaat. L’idée du livre naît d’un appel à proposition dans le cadre de la Commission royale sur les peuples autochtones. Le récit de vie d’Apphia Agalakti Awa, aînée originaire de la région d’Iglulik a été conté en inuktitut et traduit en anglais. Rhoda Kaukjak Katsak, sa fille et Sandra Pikujak Katsak, sa petite fille ont conté leur histoire en anglais. Sandra a écrit une partie de son histoire en anglais.

D’autres types d’écrits autobiographiques découlent de projets d’histoire orale proprement dits pour lesquels est organisé un ensemble d’entrevues avec les aînés sur leur vie, leurs 128 réflections ou des savoirs appris avant la sédentarisation. Les entrevues accompagnent ou précèdent les projets de publication.

L’Institut culturel inuit d’Arviat a ainsi publié trois récits de vie d’aînés (dont deux femmes, Martha Angugatiaq Ungalaaq et Helen Paungat), ainsi qu’un recueil de souvenirs d’aînés sur l’époque des baleiniers (voir annexe 6). Ces publications sont disponibles en version bilingue. Le Pond Inlet Education Council a publié huit récits de vie d’aînés en syllabique à l’usage des écoles (voir annexe 6).

Stories from Pangnirtung (Akuluyuk et al. 1976), Inuit Nunamiut (Mannik 1998) et The Arctic Sky : Inuit Astronomy, Star Lore, and Legend (MacDonald 1998) sont tous trois des produits d’entrevues avec les aînés de Pangnirtung, Baker Lake et Igloolik respectivement. À Pangnirtung, le Centre d’Interprétation Angmarlik recueille des enregistrements effectués avec les aînés dans les années 1990 et traduits en anglais (Martin 2009 : 188). Stories from Pangnirtung présente les souvenirs de plusieurs d’entre eux, en anglais et en inuktitut (alphabet latin). Le volume Inuit Nunamiut publie les souvenirs d’aînés de Baker Lake en version bilingue. L’année de la publication de ce volume est officiellement inauguré l’Inuit Heritage Centre dans la communauté.

The Arctic Sky présente les savoirs des inuit d’Igloolik sur l’astronomie et les étoiles ainsi que des légendes, des croyances et la terminologie associées à ce thème. Il est publié en collaboration par l’Institut de Recherche du Nunavut et le Royal Ontario Museum. La plupart des données sur lesquelles se base l’ouvrage ont été recueillies avec 28 aînés de la communauté dans le cadre du projet d’histoire orale d’Igloolik. Des extraits d’entrevues figurent en traduction anglaise dans le texte. Certaines des histoires légendaires présentées sont transcrites en langue inuit (alphabet latin).

Le projet d’histoire orale d’Igloolik a pris de l’envergure depuis ses débuts dans les années 1980 et aujourd’hui plusieurs centaines d’heures d’entrevues ont été recueillies. Le projet naît en 1986 lors d’une réunion d’aînés de l’Inullariit Elders Society d’Igloolik. Comme en témoigne le résumé des objectifs initiaux de ce travail, la transmission linguistique et la promotion culturelle motivent de telles entreprises d’histoire orale (MacDonald sans date : 1) : 129

The project would have the following goals: i) Inuktitut language retention (The elders expressed great concern over the increasing loss of language skills among the younger generations, and felt that recordings would show how Inuktitut should be spoken); ii) Create a record of how things were done in the past, for the benefit of future generations of Amitturmiut; iii) Create a record of Amitturmiut family histories; iv) Record a body of accessible Inuit traditional knowledge to inform the larger world, especially southern researchers (This point was based on a deeply felt sense that researchers in general, and biologists in particular, tended to be dismissive of Inuit knowledge). Aujourd’hui, certains résidents d’Igloolik viennent chercher des enregistrements d’aînés de leur famille qui sont décédés et le centre de recherche fonctionne, en quelque sorte, comme une médiathèque. Des enregistrements sont également joués de temps en temps à la radio communautaire. Le projet s’enrichi également grâce aux enregistrements de chercheurs, quel que soit le thème de leur travail, s’ils mènent des entrevues avec les aînés d’Igloolik. Certaines publications académiques ont donc des liens avec le projet.

Ce processus de collaboration entre Inuit et chercheurs a été particulièrement fécond dans le cadre du projet de tradition orale d’Iqaluit. Ce projet débute en 1994, avec la coopération entre des chercheurs du Collège de l’Arctique du Nunavut et des chercheurs européens (Laugrand et Oosten 1999a : 1). Ce projet s’inscrit dans une logique de formation des étudiants du collège qui mènent en groupe des entrevues avec un ou plusieurs aînés sur certains sujets. Les aînés partagent leur histoire personnelle, les coutumes de leur jeunesse et leurs réflexions sur la vie contemporaine. L’échange entre les étudiants et les aînés vise à rassembler des perspectives individuelles sur un sujet particulier, à permettre la réactivation de ces savoirs et leur interprétation et utilisation dans le moment présent (voir chapitre 2). Ainsi, ces entrevues recréent un processus de transmission orale et cherchent à produire des textes qui se rapprochent de cette tradition, des textes qui ne s’efforcent pas d’aboutir à un savoir objectif et généralisant sur un sujet (comme le veut la tradition occidentale) mais à respecter les différentes expériences individuelles des aînés (Oosten et Laugrand 1999a : 8). Les entrevues sont réalisées en inuktitut, les textes publiés en langue inuit et traduits en anglais et parfois aussi en français. Chaque volume des séries « Interviewing Inuit Elders » et « Inuit Perspectives on the 20th Century » porte sur un thème particulier (le volume trois 130 par exemple est intitulé Childrearing Practices, il est disponible en français sous le titre L’éducation des enfants). Une liste des publications de ce projet se trouve à l’annexe 7.

Également publié par le Collège de l’Arctique du Nunavut, le volume Inuit Recollections on the Military Presence in Iqaluit de la série « Memory and History in Nunavut » résulte d’entrevues avec les aînés menées par une chercheure qallunaat. Il est publié en version bilingue. Les deux autres volumes de la série Representing Tuurngait et Keeping the Faith, publiés aussi en version bilingue, sont basés sur des documents d’archive.

Enfin, la série Life Stories of Northern Leaders propose cinq volumes (sur Abraham Okpik, John Amagoalik, Paul Quassa, James Arvaluk et Peter Ittinuar) dont les moyens de production diffèrent. Certains naissent de dicussions entre les étudiants du collège et ces leaders, d’autres d’échanges menés par un chercheur qallunaat. Les langues d’entrevue peuvent ainsi être l’anglais ou la langue inuit. Tous les volumes sont disponibles en langue inuit.

Le volume Uqalurait: An Oral History of Nunavut (Bennett et Rowley 2004) est le résultat d’un projet qui s’est étalé sur une décennie. Rassemblant un grand nombre d’entrevues et d’informations d’archive, il est présenté ainsi par l’éditeur : « An authoritative and comprehensive compilation of the ancient knowledge of Inuit elders ». Autour de thèmes très variés concernant les activités et les voyages sur le territoire, les vêtements, la famille, l’attribution du nom, la spiritualité inuit etc., sont présentés des extraits de discours d’aînés sur la période qui précède les contacts fréquents avec les Qallunaat. Malgré son titre bilingue, le volume est uniquement en anglais. Il se base sur des transcriptions d’entrevues effectuées en langue inuit. Ont été mis à contribution les données recueillies dans le cadre de plusieurs projets d’histoire orale, dont celui d’Igloolik (les souvenirs d’aînés de cette région sont très bien représentés) ou de Baker Lake. Des entrevues effectuées par les éditeurs (qui ont été guidés dans leur travail par un comité inuit) complètent ces sources. Des photographies d’archives et des œuvres visuelles d’artistes inuit illustrent le texte. Ce volume devient un manuel d’histoire, de connaissances inuit et de savoir-faire, et, fait notable, chaque extrait d’aîné est clairement identifié par le nom de l’intéressé et le regroupement social auquel il appartient (Amitturmiut pour la région d’Iglulik, par exemple). 131

Les deux publications suivantes s’écartent du genre de l’autobiographie et des recueils de souvenirs présentés ci-dessus.

Le recueil Unikkaaqtuat Qikiqtaniinngaaqtut, Traditional Stories from the Qikiqtani Region rassemble des histoires contées par des aînés d’Arctic Bay et d’Igloolik (Tulugarjuk et Arnakak 2007). Ce volume bilingue (les histoires ont été enregistrées en langue inuit, puis transcrites et traduites en anglais) serait le premier d’une série à venir. Jay Arnakak introduit le genre des textes présentés ainsi que le contexte culturel dans lequel les performances orales des conteurs s’inscrivent :

Stories for children are usually short. Their themes consist of how and why we should act (morality), how the animals came to be (creation stories), and the magical and miraculous (entertainment). Longer traditional stories contain all of the aforementioned but they also contain valuable information about survival. These longer stories teach knowledge of geography, community, history, and survival. They express what is to be remembered and were usually told to the group as a whole. These stories – such as Kiviuq and Atungait (the hero story told by Hervé Paniaq of Igloolik) and Atanaarjuat – are usually told as travelogues, peopled by strange and wondrous beings and set in strange and wondrous places. But, stripped bare of their heroes’ and villains’ exploits, these stories really are about places and landmarks. (Ibid.: 5-6) Enfin, un dictionnaire, Inuktitut Dictionary Tununiq Dialect a été compilé par Elisapee Ootoova avec l’aide des aînés de Pond Inlet. Publié en 2000, il est rédigé uniquement en syllabique.

4.2.3 D’autres écrits de « seconde main » Comme les publications présentées ci-dessus, les écrits suivants sont nés d’une collaboration entre raconteurs et écrivains. Dans ceux-ci cependant, il s’agit de transcrire des histoires, des légendes ou des chansons et la voix du conteur s’efface derrière celle de l’écrivain qui encadre et interprète ces extraits dans son œuvre ou bien qui assume la paternité de ces transcriptions.

Les voyages de chercheurs, membres du gouvernement et d’autres Qallunaat dans le Nord à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle ont déclenché le début d’un processus de collecte et d’écriture d’extraits de la tradition orale. Légendes, mythes et chansons ont été par 132 exemple publiés par Boas (1888), Roberts et Jenness (1925) et Knud Rasmussen. Ces discours et extraits oraux ont même pu avoir été recueillis par une tierce personne, comme dans le cas des publications de Boas qui ont bénéficié du concours du Révérend Peck, entre autres (Laugrand, Oosten, Trudel 2006 : 287).

Les publications issues des voyages de Knud Rasmussen et notamment le Rapport de la cinquième expédition de Thule (1921-1924) en territoire inuit sont particulièrement riches en ce qui concerne ce processus d’écriture. Le volume consacré à la région d’Igloolik, Intellectual culture of the Iglulik Eskimos a été publié en 1929 en anglais. Rasmussen y présente sa rencontre avec le célèbre chamane Ava et sa femme Urulu. Des chansons chamaniques et légendes sont ainsi retranscrites dans le volume.

Eight Inuit Myths publié en 1979 par Alex Spalding est en fait la transcription et la traduction d’histoires contées par Thomas Kusugaq de Repulse Bay dans les années 1950 (Martin sous presse). Les contes sont disponibles en version bilingue.

Avec ce processus de transcription, où l’identification des sources pose parfois problème, un discours ou un conte oral en langue inuit est couché sur le papier par un tiers en anglais (ou en français). Bien que les transcriptions en langue inuit soient parfois présentes dans les volumes originaux, elles disparaissent lors des publications subséquentes. Ces anciennes éditions ont en effet été la source de nombreux volumes plus récents où sont reprises histoires et chansons (Kennedy 1993 : 34).

Enfin, le missionnaire oblat Guy Mary-Rousselière a reconstitué l’histoire du voyage de plusieurs familles au début du 19ème siècle, du nord de l’île de Baffin au nord-ouest du Groenland. À cette fin, l’auteur utilise des entrevues réalisés en langue inuit en Terre de Baffin ainsi qu’au Groenland et des sources écrites comme les travaux publiés par Knud Rasmussen. Le volume Qitdlarssuaq : L’histoire d’une migration polaire est d’abord publié en français en 1980, puis traduit en anglais.

4.2.4 D’autres modes d’expression artistique et de transmission Les activités d’écriture et de lecture s’insèrent plus largement dans un ensemble de modes de transmission. Par conséquent, étudier la tradition littéraire, c’est aussi décrire en négatif 133 de nombreux autres moyens de communiquer et de transmettre en langue inuit, qui peuvent être plus populaires que l’écriture. Par exemple, ces deux témoignages d’aînées d’Iqaluit donnent certains indices sur la transmission et la remémoration des savoirs à l’aide de la joaillerie, la sculpture, le dessin, la couture ou le cinéma.

I grew up with her grandmother, she’s the one who told me her stories, the stories that have been passed on to me. I make carvings out of them. What kind of stories? I am making a bracelet and a pin. About what story? About the raven and the seagull. The raven and the seagull are in-laws. The raven is adapted to cold weather and the seagull is a migratory bird. Both of them went out hunting since they are in-laws. The raven was desperately hunting. Since the seagull was cold he made a shelter from a chunk of ice. When he saw the seagull trying to make a shelter, the raven said to himself that the seagull should have gone South a long time ago. He asked the seagull “Are you trying to keep yourself warm?” The seagull replied to his cousin-in-law that he couldn’t wait till spring came in. They would use fishing spears to catch chars when they swim in the river. And when the chars will be going up river all the raven will be able to do is say QauQau. So you made a bracelet with the raven and the seagull? Yes. Usually pieces that you make are linked to a story? I do carvings as stories, and to bring back memories too, to remember stories. Do you sew? I sew traditional clothing. When I came here from Igloolik I sewed caribou skins or ringed seal skins to make boots. I’ve been asked to make some traditional clothing but I cannot seem to find skins. When the film Atarnajuat was made I sewed traditional clothing for the film too. So you are a good seamstress. Yes. I used to be. I used to remember more. Do you tell Inuit stories to maybe your grandson or your family? I tell stories to my daughter, but so much information is missing, I can’t recall. When I was in Inuvik, I did a carving also to tell a story. I would always need to have an interpreter for the students, because the students there they only pretty much speak in English. They really liked what they were getting, as a source of entertainment, as a carving and as story telling. Femme, 65 ans, Iqaluit (traduction de l’inuktitut)

Have you ever told stories to younger people? I am more used to drawing or…anything. Like pieces of art…? Yes and I am carving, drawing…I can talk to you about it. All the art I do it’s always related to a story. Do you sometimes remember a story just by doing a piece of art? 134

Yes. It works like a computer. When my grandmother was telling me stories I would fall asleep and now I regret not knowing what happened in the end. Some of them were very scary, some were very good. Femme, 59 ans, Iqaluit (traduction de l’inuktitut) La sculpture, le dessin, la joaillerie servent à la fois à se remémorer et à stocker de l’information à l’usage d’autrui, et surtout des jeunes générations. Les œuvres sont toujours signées du nom de l’artiste (en syllabique ou en alphabet latin) et donc attestent de la source qui les a produites26. La remémoration n’est en aucun cas, pour les aînées qui témoignent ci-dessus, un objectif secondaire de l’expression artistique : elle est à la fois moteur et finalité de l’œuvre. Comme l’indique Therrien (2002a : 130) la réactivation de la mémoire inuit est teintée d’un sentiment d’urgence : « Dans une culture à tradition orale, l’oubli est si tragique que l’aptitude à conserver intactes les données du passé se cultive. » L’écriture peut ainsi participer à cet effort de cultiver la mémoire.

En ce qui concerne la production cinématographique, très importante pour la communauté d’Igloolik, elle se base également sur un effort de remémoration. Les films d’Isuma Productions utilisent les souvenirs contés par les aînés pour créer les scénarios en langue inuit. Néanmoins, lors du tournage, la plupart des actions se déroulent spontanément, et puisent dans ces discussions orales avec les aînés (Evans 2008 : 115).

Si l’expression orale garde sa prédominance dans la transmission des connaissances, force est de constater que l’écriture des souvenirs des aînés devient aussi un procédé commun au Nunavut, et que la langue anglaise est très largement présente dans les publications produites. Cette remémoration peut prendre plusieurs formes en fonction à la fois des conventions d’expression et des genres de la tradition orale inuit, de l’objectif de la publication, des « auteurs » (c’est-à-dire les différents participants aux projets) ainsi que leurs statuts ou ethnicité. La réception de cette tradition écrite pose des défis quant à l’étude de ces nouvelles formes littéraires (voir Trudel 1999 en ce qui concerne l’autobiographie et Martin sous presse pour les contes et les histoires).

26 Il s’agit là d’un sujet qui mériterait une étude plus approfondie, d’autant plus que certains artistes peuvent choisir de signer leur production en alphabet latin, ou avec des initiales (comme j’ai pu le remarquer à Iqaluit comme à Igloolik). Ce choix pourrait venir d’un désir de rejoindre un public qui ne lit pas le syllabique. 135

4.3 Environnement écrit dans les maisonnées Recenser les publications ne permet cependant pas de savoir quels sont les écrits, publiés ou plus informels, qui se retrouvent dans les lieux de vie des locuteurs.

Les matériaux écrits qu’on retrouve dans des maisonnées inuit d’Iqaluit et d’Igloolik créent un environnement bilingue. Pour avoir une idée générale des types d’écrits présents, trois méthodes ont été utilisées : l’observation de l’écrit disponible dans les maisons visitées (parfois certaines personnes mettaient l’accent sur les écrits en langue inuit importants pour eux), des questions pendant les entrevues à ce sujet et un recensement plus exhaustif des écrits dans une maisonnée à Iqaluit.

4.3.1 Décor et correspondance Certains locuteurs se souviennent d’avoir égayé les murs des cabanes sur le territoire avec des pages de catalogues et magazines.

Hum, the magazines, the Inuktitut magazines that’s distributed through the post office I guess, that’s one thing I was really interested in, the pictures, I’ve always loved old pictures and I was also interested in what was the story about them. That’s the things I read and my mom chose certain magazines not the paper thin ones, that she used to put up in our modern traditional house, instead of using wallpaper we would paste magazines all over the wall and ceiling. Would it be pictures or writing? She would choose pictures with writing on them. There is some Inuktitut and some English and during windy days or any days we would stay in and sometimes read through them, look through them as we put the papers up, magazines. And when one of us notice an interesting picture, then we would read off it, we would go back to it once in a while, and when we have visitors we would point out which one is interesting or they just come across it themselves. Femme, 39 ans, Iqaluit

Aujourd’hui, le décor dans les maisons de la communauté est dominé par les photos. Les murs, les réfrigérateurs, les étagères, aussi bien à Iqaluit qu’à Igloolik permettent d’exposer de nombreuses photos de parents, enfants ou adultes. Il s’agit de la décoration principale des maisons, mais les portraits sont souvent accompagnés ou entourés d’écrits. Les cartes de vœux complètent par exemple ces compositions photographiques. Elles sont imprimées en anglais, mais quelques mots en syllabique y sont rajoutés à la main. 136

Bien que, dans la très grande majorité des cas, plusieurs générations cohabitent sous un même toit, l’environnement écrit est quelque peu différent en fonction de l’âge de la personne qui prend en charge la décoration de la maison (adultes ou aînés). Dans les maisons d’aînés, on peut retrouver exposés sur les murs des certificats et plaques de reconnaissance en syllabique ou en anglais.

À Iqaluit, dans les maisons avec de jeunes enfants, une suite de cartes représentant les caractères syllabiques avec des illustrations est parfois placée en évidence. Sur les réfrigérateurs, on retrouve souvent des aimants avec les caractères syllabiques produits par CLEY27. La présence d’enfants et de jeunes se manifeste aussi par des dessins, des certificats d’école, etc. Ceux-ci sont agrémentés de petits messages ou du nom de l’enfant en inuktitut, surtout pour les plus jeunes qui vont au Head Start28 (à Igloolik) ou à l’école en inuktitut. La présence de jeunes et d’adolescents est rappelée par des posters de musique ou de leur équipe favorite de hockey, avec des légendes imprimées en anglais ou en français.

Par ailleurs, dans les maisons avec des jeunes enfants ou adolescents, à Iqaluit ou Igloolik, on trouve aussi des relevés de notes. Ils sont imprimés et remplis en anglais, avec la ligne concernant le cours d’inuktitut en syllabique. Un relevé de note adressé à une aînée était totalement rempli en syllabique.

Bien que les enfants que je côtoyais aient plusieurs noms inuit, seul le prénom et le nom « officiels » figuraient sur ces documents. Ce prénom utilisé dans le domaine public (et parfois aussi privé) est très souvent à consonance anglophone. Après les années scolaires d’immersion en langue inuit, les enfants l’écrivent en alphabet latin (quand ils dessinent, sur Internet, etc.). Par ailleurs, chacun de leurs noms inuit renvoie à des liens particuliers avec des membres de la communauté. Néanmoins, ces noms-là ne sont pas écrits.

27 Acronyme anglais du Ministère de la Culture, de la Langue, des Aînés et de la Jeunesse (Gouvernement du Nunavut). 28 Le nom « Head Start » renvoie à un programme baptisé « Programme d’aide préscolaire aux autochtones » de Santé Canada qui permet, entre autres, d’offrir quelques jours par an des activités préscolaires pour les tout-petits. La pièce qui est réservée aux activités du Head Start à Igloolik est un environnement d’immersion où l’on affiche seulement en inuktitut et en syllabique. Il s’agit donc d’une exception au sein de la communauté. Pourtant cela ne veut pas dire que l’anglais est totalement absent : au cours d’une séance de chansons, les enfants ont insisté pour chanter « Twinkle twinkle little star » au milieu des chansons en inuktitut. 137

L’éponymie et l’attribution traditionnelle des noms sont des procédés complexes (Kublu et Oosten 1999) et la vitalité contemporaine de ces pratiques symbolise une résistance culturelle face à des politiques d’assimilation (Alia 2007). Malgré l’intérêt de cette question, les observations dont je dispose ne me permettent malheureusement pas de proposer une analyse systématique.

Plusieurs autres types de correspondance sont adressés aux familles. Les factures (à Iqaluit et Igloolik), pendant mes séjours, étaient exclusivement rédigées en anglais, bien que cette situation semble commencer à changer. La correspondance émanant du gouvernement du Nunavut avait adopté un format bilingue. D’autres documents légaux (contrats pour la maison, documents de la Cour), rédigés en anglais, étaient conservés. Enfin, des feuilles volantes contenant des informations importantes pour la communauté sont disposées à la vue des membres de la maisonnée. Par exemple, un programme de Toonik Tyme en syllabique se trouvait sur un réfrigérateur à Iqaluit et, à Igloolik, une famille avait épinglé au mur l’horaire des vols de First Air (en anglais et en syllabique).

4.3.2 Produits et culture enfantine Bien qu’il soit facile de les laisser de côté en raison de leur caractère familier, les produits de consommation courante achetés dans les supermarchés font également partie de l’environnement écrit des familles. Des activités familiales qui réunissent parents et enfants ont lieu autour de produits qui proposent des écrits en anglais.

À l’occasion d’une visite de parents et d’amis dans une maisonnée d’Igloolik, une mère et ses enfants ont entrepris de faire des biscuits. La base de cette recette est un mélange déjà préparé acheté dans le commerce. Sur la boîte du produit se trouvent les instructions de préparation en anglais. Cette activité de cuisine demande de mesurer des ingrédients, de préchauffer le four à une certaine température et de suivre des étapes de préparation. Le plus âgé des enfants, guidé et corrigé par sa mère, a lu à haute voix la recette et a mis en route les différentes étapes, en demandant de temps en temps des précisions quant aux quantités par exemple. Les plus jeunes ont plus ou moins participé à l’activité en effectuant certaines tâches. Non seulement l’écrit en jeu dans cet événement familial était exclusivement en anglais, mais les explications et les instructions autour de cet écrit ont 138 entraîné beaucoup de discussions en anglais, et ce, même si mère et enfants communiquent habituellement en inuktitut dans cette maisonnée (comme dans la plupart des résidences à Igloolik). Cet événement montre que l’écrit en anglais a le potentiel de changer la langue choisie à l’oral.

Il faut ajouter que les jeunes résidents d’Iqaluit et d’Igloolik grandissent dans le même milieu de marketing qui cible les autres enfants canadiens. Les personnages enfantins de la télévision à la mode se retrouvent dans une vaste gamme de produits pour jeunes comme des jouets et des livres. Ils entrent en scène lors des événements qui marquent la vie familiale comme les anniversaires. Souvent, des parents de l’enfant redoublent d’ingéniosité pour confectionner un gâteau à l’image du héro favori du moment. Sur un gâteau de fête décoré, on pouvait ainsi lire comme légende en anglais « Spiderman » et « Happy Bday ».

Bob l’éponge et Dora l’exploratrice étaient très populaires chez les petits pendant mes séjours, et dans un des supermarchés de la ville d’Iqaluit était proposé un grand éventail de produits à leur image. Dans les maisonnées, on trouve des livres tirés de ces deux dessins animés. Dora est un dessin animé américain initialement produit en anglais (très populaire dans plusieurs régions du monde) où les personnages principaux, Dora et Diego, demandent aux enfants de les aider dans leurs aventures. Ils leur apprennent aussi quelques mots d’espagnol, parce qu’ils sont bilingues (anglais-espagnol). Dans la communauté d’Igloolik, après avoir discuté en espagnol avec un touriste originaire d’Espagne, j’ai acquis un certain prestige parmi les enfants parce que « je pouvais parler comme Dora ». Plus tard, chez eux et à la bibliothèque, ils m’ont montré les livres tirés de ce dessin animé, en anglais avec quelques mots d’espagnol.

Malgré l’effort de publication de livres en inuktitut pour les enfants, l’importance de ces produits sur la vie des petits et des jeunes et sur la pratique de l’écriture ne doit pas être sous-estimée. Il s’agit d’incursions de la culture majoritaire en anglais dans la vie quotidienne, qui prendront plus d’ampleur et influenceront plus fortement les pratiques linguistiques pendant l’adolescence, même si elles changeront de forme. 139

4.3.3 Lectures et écritures Dans le domaine des loisirs et de l’information, on retrouve très largement dans les maisonnées des copies des journaux disponibles : Nunatsiaq News et Nunavut News/North à Iqaluit et Nunavut News/North à Igloolik. Rappelons que ces deux périodiques paraissent dans une version bilingue. Des exemplaires anciens ou plus récents de magazines sont parfois conservés. Dans une maison d’Iqaluit il s’agissait de numéros d’Inuktitut, alors que dans une maison d’Igloolik, les résidents m’ont montré leur collection de numéros d’Inummarit, qui a cessé publication il y a trente ans.

Dans certaines maisonnées se crée, en plus de collections de magazines, une collection de livres. Le volume d’écrits en inuktitut est relativement restreint même dans les bibliothèques, au-delà des titres de littérature enfantine. Certaines familles créent ainsi leur propre bibliothèque en accumulant les livres en langue inuit, une source de lecture intéressante pour les enfants.

For example the books you read to your daughter where do they come from? We, my mom and my dad and my older sister and myself we kept collecting them all that time. Some of them are very old, we got a drawer almost the same as this coffee table, just full of books, just Inuktitut nothing else, no magazines, just kids books, story books, hunting books, all in Inuktitut. So my little sister sometimes she goes there pick a book, making a mitt, or hunting or children book and it’s all Inuktitut books. Do you know where they come from, like how you collected them? Hum, I know from school for sure, and some of them from the hospital so we just take it home, it’s like 20/30 years collection, so it’s not one year, it’s a long time collection. Homme, 36 ans, Igloolik

Les écrits religieux se trouvent également en bonne place, mais sont plus nombreux dans les maisons où vivent des aînés ou des pratiquants qui s’impliquent dans une Église. Il ne s’agit pas d’une seule bible, mais de plusieurs bibles en syllabique, souvent très anciennes et héritées de parents. À celles-ci peuvent s’ajouter des hymnes sur des feuilles volantes ou dans des recueils, des fascicules et des bulletins de l’Église, des cahiers de catéchisme, etc.

Enfin, les activités d’écriture communes qui ont lieu dans les maisonnées (petites notes ou messages) font le lien entre les différentes générations. Le choix de l’inuktitut ou de l’anglais pour rédiger ces notes dépend de l’âge de leur destinataire. Une mère de famille d’Iqaluit indique qu’elle doit laisser des messages à ses enfants en anglais car ils ne 140 comprendraient pas des messages écrits en inuktitut. Un homme d’Igloolik, dont les parents sont unilingues, explique que sa mère lui laissait des petits messages en syllabique lui rappelant de verrouiller la porte ou d’éteindre la télévision. Le sens de l’échange s’inverse aujourd’hui (et selon ce locuteur l’écriture de notes et la seule situation pour laquelle il choisit l’inuktitut) :

I do both [anglais et inuktitut] caus’ I can do both pretty good, when I’m working at my work I do English, when I’m home and I’m leaving a note to my mom, same thing she used to do to me [écrire des messages en inuktitut]. Can you cook me lunch? That kind of thing… Homme, 36 ans, Igloolik

Dans tous les cas, que ce soit en anglais ou en inuktitut, peu de personnes écrivent régulièrement quand elles sont à la maison, si ce n’est sur support informatique, ce qui fera l’objet du prochain chapitre. La section ci-dessous présente ainsi plus généralement les choix langagiers en ce qui concerne les activités de lecture quotidiennes plutôt que d’écriture.

4.4 Lecture et choix langagiers La recension des publications disponibles ainsi que la description de l’environnement écrit soulignent la complémentarité des langues : les pratiques quotidiennes de l’écriture comme de la lecture sont bilingues, elles impliquent un choix entre l’écriture syllabique ou l’anglais. Les variables de ces choix sont décrites ci-dessous pour les activités de loisir.

4.4.1 L’information, les nouvelles Le volume des écrits journalistiques a permis de développer au fil des ans un débat d’idées majeur pour les écrivains et lecteurs inuit. L’omniprésence de journaux dans les maisonnées visitées montre que les périodiques continuent d’être aujourd’hui une source importante d’information. Néanmoins comme il a été vu ci-dessus, les auteurs des articles sont pour la majorité qallunaat, et la professionnalisation des publications s’est faite au détriment des écrits en langue inuit. 141

Les articles de journaux dont la langue originale d’écriture est la langue inuit sont rares. Pourtant leur intérêt et bien supérieur aux articles traduits, du point de vue du sujet traité comme de la qualité de l’écriture.

Yes, I read the newspaper Nunatsiaq… Sometimes if the story is by an Inuk person, not a translation, I would go to the Inuktitut. If it’s by a non Inuk, I go to the English version. For me, other people who translate it for me… it’s like… Okay, okay!... so I go to the writer instead, so if it’s an Inuk person topic, then I go to the Inuktitut. Femme, 47 ans, Igloolik

La frustration avec les traductions en inuktitut d’articles écrits en anglais est réelle, et les lecteurs bilingues entreprennent rarement de lire ces versions, d’autant plus si la mauvaise qualité de la traduction s’ajoute à une certaine difficulté à lire la langue inuit.

I don’t really read newspapers. I find it difficult to read in Inuktitut, mainly because maybe I don’t practise it enough? Second, what is in Inuktitut is really usually a translation of what is in English. And the translation of English to Inuktitut is not good so what you are reading sort of seems nonsensical or awkward and I’ve only got enough time in my day to waste my time reading something that’s not clear, that doesn’t improve me in some way … Homme, 29 ans, Igloolik

De plus, à Iqaluit, plusieurs locuteurs indiquent que les dialectes utilisés par les écrivains ou traducteurs peuvent former un obstacle à la lecture, quand ils sont trop différents du leur.

Do you read any newspapers? Yes I read them every week. I read the English version because it’s faster for me, my brain absorbs it faster. Plus the Inuktitut version is not in my dialect. Sometimes I check it though. I think the translation is well done. Femme, 24 ans, Iqaluit

Ainsi, les sources d’information privilégiées en langue inuit sont plutôt des magazines ou des livres que des journaux de nouvelles tels Nunatsiaq News ou Nunavut News/North.

I read the magazine Inuktitut, weekly we also read at the ladies’ auxiliary, the daily news we read at ladies’ auxiliary, at church, hum…kisullu, and I really like getting into the history about, in Pang, I like reading in Inuktitut and…qanu…I can’t remember the names of the magazines and books, I get into the subject, qanu, get into the material… And do you read newspapers, Nunatsiaq News?… 142

I find in Inuktitut there’s a lot of mistakes, and the Inuktitut that’s done in the newspapers, I find that there’s a lot of mistakes and it’s in a different dialect, most of it is really different, I’m not comfortable reading it but sometimes I do, I read more of the newspapers in the English section. Femme, 39 ans, Iqaluit

Un grand nombre de personnes lisent plus qu’elles n’écrivent l’inuktitut et les magazines et périodiques représentent souvent la seule source d’écrits disponibles, à part les écrits religieux. C’est certainement le cas pour les aînés unilingues, qui, bien qu’ils reconnaissent les problèmes de traduction, indiquent que cela ne constitue pas un obstacle insurmontable à la lecture. Leur aisance à lire la langue inuit est un atout de taille qui permet de contrebalancer la pauvre qualité des écrits.

Do you write and read Inuktitut often? Yes, of course! I read Nunatsiaq News, the bible, any kind of news in Inuktitut. Can you read a little bit English? Just a little bit. Do you think that there are enough things for you to read in Inuktitut? It’s enough, but with the different dialects it’s hard to understand sometimes. Some of them also have a lot of mistakes, it’s not really well written. Aînée, Iqaluit, traduction de l’inuktitut

En ce qui concerne les différences générationnelles, la migration vers la capitale ainsi que les difficultés pour lire la langue inuit entraînent des choix langagiers différents.

I remember my grandfather used to have a whole bunch of those [Inuktitut magazine]. He had a collection. He was reading them in Inuktitut? Yes. Would you read them in Inuktitut? There yes, it was more Inuktitut. Now I read more English here. Because reading Inuktitut it takes time. Femme, 33 ans, Iqaluit

Le nombre de titres de périodique a dramatiquement chuté par rapport aux années 1970/1980, comme le nombre d’articles dont la langue d’écriture est la langue inuit. À ceci s’ajoute un bilinguisme des titres plus symbolique que fonctionnel. Enfin, le lectorat lui- même a changé et trouve plus facile de lire la langue anglaise que le syllabique. Les périodiques n’ont pas perdu de leur attrait cependant et se retrouvent dans toutes les 143 maisonnées. Il est toutefois dommage que des magazines avec des articles en inuktitut de qualité ne soient pas plus nombreux et qu’il n’existe pas de périodiques exclusivement produits en langue inuit afin de contrebalancer le volume d’articles en anglais dans les journaux. Force est de constater également que très peu de locuteurs envisagent d’écrire un article que ce soit en anglais ou en langue inuit.

4.4.2 Histoire personnelle, Histoire inuit L’autobiographie est le genre qui attirerait, d’après les entrevues de cette recherche, le plus grand nombre d’écrivains potentiels. La publication de ce type d’écrits est rendue plus difficile par la presque disparition des petits journaux communautaires. Ces périodiques locaux permettaient aux membres de la communauté de parler de leur histoire personnelle, et ceci en langue inuit.

There were these Inuktitut books created by Inummarit back in the seventies and those were very good reading materials because they were written by locals about their past about what happened to them, so I just point this out because they were all in syllabics, there was no English translation and unfortunately if, like right now we have…the Inuktitut books created by ITK [Inuit Tapiriit Kanatami] are in syllabics but unfortunately there is some English and…unfortunately we go to the English but if it was all in Inuktitut and we had no choice, then we would… Be reading the Inuktitut version… Yes. Homme, 43 ans, Igloolik

Pour beaucoup de locuteurs de manière générale, l’histoire personnelle, familiale ou les événements de l’Histoire inuit sont particulièrement intéressants. Le genre majeur de la littérature inuit publiée est l’autobiographie. Mais le nombre de journaux intimes restés privés dépasse sans aucun doute très largement le nombre des quelques autobiographies publiées.

Beaucoup d’aînés tiennent des journaux intimes et se rappellent de parents qui faisaient de même.

My mother and my brother kept a diary, what they did on this day, they wrote it down, what they caught, my mother and my brother did that and I do that now. And what do you write? 144

This is my diary. I always write down the day and what I did. [Elle lit son journal] This is about a lady that was 105 years old. And in 2005 she died… Everytime I go out on the land even skidooing, I always write it down… That is the news from last year. When I was in Puvirnituq, when they were filming the movie [« Before Tomorrow »]. We went there for the movie. You might see the movie when it’s done. Aînée, Igloolik, traduction de l’inuktitut

Les journaux intimes de parents, conservés par de plus jeunes générations, trouvent aujourd’hui une certaine résonance dans la vie de leurs descendants. Ils peuvent servir de guide dans la vie quotidienne.

I have my mom’s journal, they are not many but I have some of her writing. And when I miss her, like at times, I would just read…What she wrote… It helps some…so keeping a written thing… written ideas or thoughts like the diary also gets me to understand where my mom was coming from and as a female, what I’m going through… I can relate and know that mom went through it or had got through it or… that it would pass…makes it something that I have to deal with…stuff like that. It can become personal. Femme, 43 ans, Iqaluit

Aujourd’hui la pratique des journaux intimes est peut-être moins développée chez les jeunes générations. En tout cas, ceci est l’opinion de cette personne d’Iqaluit.

My grandfather, he wrote a diary. It was about what he did, what the weather was like. Do you write a diary yourself? No. Nowadays nobody does. It was more important back then to write. Because there was no TV or things to record. Femme, 33 ans, Iqaluit

Ceci ne semble pas tout à fait vrai et plusieurs locuteurs jeunes et adultes m’ont indiqué tenir un journal. Les entrées y sont cependant bilingues, décrites comme un « mélange » d’anglais et de syllabique.

When you write in English, what kind of things do you write in English? Mostly about myself, my children, my problems… Do you have like a diary or you just write sometimes? Sometimes I write in my diary, mostly in my diary. So your diary, there would be more Inuktitut in it, or more English? More English than Inuktitut, caus’ I’m still not that good at speaking Inuktitut, there are still some words I don’t know, even though I’m 40something years old. But if I ask some elder and they would show me how I could change or what kind of words that is. There are a lot of things I don’t really know. 145

Homme, 42 ans, Igloolik

On peut se demander aujourd’hui si le journal intime ne devient pas de plus en plus un moyen d’introspection et non seulement un outil pour enregistrer des événements. Il est très difficile à partir de ces données d’évaluer un changement dans le contenu des journaux. Ce qui semble plus évident néanmoins est que l’anglais sert aussi à rédiger les entrées pour les générations bilingues.

Les autobiographies déjà publiées par des Inuit n’ont pas été citées dans les entrevues comme livres de lecture. Cependant, les lecteurs potentiels recherchent avidement les publications sur l’histoire communautaire ou sur l’Histoire du Nord, en anglais ou en langue inuit, magazines ou livres, et encore plus si elles concernent des membres de la famille. Ces publications et les images d’archive qui les illustrent sont des supports pour parler de leur histoire familiale.

L’Histoire du Nord, en inuktitut ou en anglais devient ainsi un sujet favori pour les lecteurs.

There are some really good books that were created in Inuktitut and I just wanted to point to you one example, there was this book written by Inuit observers in Greenland and it was about the [inaudible] expedition and it was all in syllabics and I was reading that to my children also because it is so interesting, like and ideally I’d like to have more books of that nature in Inuktitut as opposed to be dry documents like scientific journals translated, but this one had…like it was interesting reading material as opposed to reports from DIAND, or about climate… Homme, 43 ans, Igloolik

L’intérêt de ces écrits historiques s’inscrit dans un effort implicite de se réapproprier l’histoire du Nord et de revoir cette histoire selon une perspective inuit. Ceci touche également à la question d’un remaniement des programmes scolaires.

I don’t know if they will ever do academic books for grade 6 and 7 because it doesn’t apply with whatever academic maths and stuff but if there’s books...because they are grade 6 and 7 and they don’t really speak the language... they do need I don’t know, like essay books like to do essays with those books... that’s what they need more because they are gonna go to High School and they will have a better knowledge of who we are... Because they do essays on what… Franklin... or whatever passage, who cares? Why don’t they do an essay on an elder who was the greatest hunter or the last whaler, my grandfather was the last whaler, he built the museum with the government from his 146

knowledge, from his mouth, not written... so these grade 6 and 7, government should make the books ...or to do essays on elders not so much our legends but how they lived in the past, how they hunted animals, you know like a story... and do essays on it, not Franklin expedition, or that guy Frobisher that’s what they do in grade 6 and 7...when they could do, when we have a lot of education, our elders have a lot of education but it’s not in the books, whatever but...government should tackle that and pass it out to grade 6 and 7 and do essays on it. Femme, 40 ans, Iqaluit

4.4.3 Lecture et divertissement Néanmoins, les lectures concernant l’histoire du Nord ou des sujets de divertissement en langue inuit sont rares et peu accessibles. La ville d’Iqaluit compte trois bibliothèques, la bibliothèque publique, la bibliothèque de l’Assemblée législative du Nunavut et celle du Collège de l’Arctique du Nunavut. La bibliothèque publique ne propose que quelques livres en inuktitut, dans un coin un peu reculé. Un utilisateur de la bibliothèque à Iqaluit explique:

They only have the tip of a section that is in Inuktitut. It would be better if Inuit people write more stories, there are a lot of great stories up there they are just not writing it, it would be a good thing to write them down before it’s too late. Homme, 26 ans, Iqaluit

La bibliothèque publique fait partie du réseau des bibliothèques canadiennes et les habitudes de travail d’une telle structure prennent en compte le bilinguisme officiel au pays (anglais-français) mais ne prennent pas en compte la présence de la langue inuit. Ainsi, curieusement, chaque nouveau client adulte est inscrit dans le système informatique avec le titre « Adult Patron English ». Des entrevues avec les employés et du travail bénévole confirment qu’il n’y a pas vraiment d’efforts soutenus pour mettre en valeur les quelques livres en langue inuit ou pour en acquérir de nouveaux.

Les sections les plus populaires de la bibliothèque d’Iqaluit sont sans nul doute la petite pièce réservée à la littérature enfantine et les postes informatiques où l’on peut consulter Internet. La section jeunesse est aménagée pour que les enfants puissent consulter confortablement les livres, en anglais ou en langue inuit.

À Igloolik, la bibliothèque se trouve dans les locaux de l’école primaire, elle est accessible aux élèves le jour et au public le soir. C’est une petite structure qui fonctionne en soirée 147 grâce à une seule employée. Comme pour Iqaluit, le volume de livres en anglais noie pratiquement les écrits en langue inuit.

Again the lack of written material in Inuktitut is very evident when you get into the library, you want to learn anything about the English world it’s at your fingertips, you want to learn something about the Inuit world, you have to really reach for it. And then, if you look at just that alone, if I look for information on certain subjects, shamanism for example, it might be lacking, it’s non existent. So imagine how much the youngsters are missing out, because they haven’t even heard about it whereas I’m quite familiar with it and again I cannot even find written material on it. Like childbirth, there’s nothing, nothing at all in Inuktitut. Homme, 52 ans, Igloolik

Justement, le Collège de l’Arctique du Nunavut a produit dans sa collection « Interviewing Inuit Elders » un volume sur le chamanisme et un autre sur l’éducation des enfants (thèmes qui intéressent particulièrement cet homme). Ceci montre donc que l’accessibilité des volumes déjà produits et leur promotion doivent être améliorées.

En soirée, beaucoup de jeunes enfants se retrouvent à la bibliothèque de la communauté. C’est un endroit où passer le temps, en lisant ou en s’amusant avec ses amis. Les livres sur cassette y sont très prisés. Il s’agit de volumes auxquels correspondent des enregistrements audio que l’on peut écouter à plusieurs avec des casques pour ne pas déranger les autres utilisateurs. Tous ces livres sont en anglais et servent de support pour l’apprentissage de la lecture, et les enfants suivent l’histoire avec leur doigt sur la page. On peut supposer que de tels livres parlant en inuktitut rejoindraient un large public.

Dans la bibliothèque d’Iqaluit, comme celle d’Igloolik, la majorité des écrits en langue inuit sont des titres de littérature enfantine. Il est ainsi commun que des parents qui viennent avec de jeunes enfants empruntent des livres pour eux-mêmes en anglais, et des ouvrages pour leurs jeunes enfants en langue inuit. Certains empruntent également des volumes pour leurs tout-petits en anglais et traduisent l’histoire au fur et à mesure de la lecture en inuktitut.

L’offre de livres de loisir pour adultes en langue inuit est inexistante. Une auteure de livre pour jeunes met en avant la nécessité de créer une offre de lecture intéressante pour tous les âges. 148

I think there should be more books that we can acquire that are in Inuktitut, yes. There is not a lot, you know, just some past time books in Inuktitut or you know, fictional books in Inuktitut. The only Inuktitut…most of the only Inuktitut that you find are for school children area, we have a lot of those now…But hardly anything for adults and the ones that are for adults are real stuff and important things, nothing for passing the time, you know, just carefree reading; no romance books in Inuktitut! No fictional books in Inuktitut! Because for me, the only books that I’ve ever written were also in Inuktitut and were for children, you know. For me, hum…in my books, my characters are half humans, half animals, and I made it that way so the child will want to read to make it more interesting for them, so they will want to read : « What is that all about? ». Very few I find, even when I was a teacher, none hardly ever take time to read in Inuktitut; maybe other than the newspaper for adults… Nunatsiaq News? Femme, 47 ans, Igloolik

Les jeunes et les adolescents évoluent déjà dans un milieu scolaire largement anglophone. Certains d’entre eux lisent pour leur loisir comme j’ai pu le remarquer, mais cette lecture ne peut se faire pour l’instant qu’en anglais faute de choix. Il est évident que le manque de livres ou magazines en langue inuit s’ajoute à d’autres obstacles qui se dressent contre la pratique de la lecture dans cette langue, à un moment de la vie où la culture majoritaire en langue anglaise (musique, magazines pour jeunes, etc.) est particulièrement appréciée.

4.5 Conclusion : à la recherche d’une tribune? Au Nunavut, on assiste à une explosion des écrits au lendemain de la seconde guerre mondiale, et tout particulièrement dans les années 1970, qui correspond au processus de sédentarisation ainsi qu’à l’affirmation des droits inuit. Malheureusement, la décroissance du nombre de journaux communautaires a eu pour conséquence de limiter grandement les opportunités d’écriture pour les auteurs inuit et les articles en langue inuit. McGrath (1984) intitule son étude sur la littérature inuit : Canadian Inuit Literature : the Development of a Tradition. Avec une vingtaine d’années de recul on peut se demander si la réduction des titres de périodiques n’hypothèque pas en partie l’enrichissement de cette tradition écrite. Les périodiques proposent un format flexible et facile d’accès, adapté à des créations mixtes, caractéristiques de nombre d’écrits inuit (McGrath 1984 : 80).

La tradition littéraire du Nunavut est constituée d’écrits bilingues et les écrits en collaboration (entre Inuit et Qallunaat) y occupent une place importante. Aujourd’hui, les 149 publications qui émergent de projets d’histoire orale avec les aînés constituent le domaine le plus prolifique.

Quant à la relève littéraire, et particulièrement celle qui voudrait s’exprimer en langue inuit, elle doit composer avec une réalité qui encourage peu la production d’écrits. La professionnalisation du secteur rend plus critique le bassin limité de lecteurs de la langue inuit : cette production (comme toute littérature de groupes minoritaires et même parfois majoritaires) doit être soutenue financièrement car elle a peu de chance d’être rentable économiquement. Les jeunes écrivains potentiels font également les frais des difficulés rencontrées dans le système scolaire, surtout en ce qui concerne les compétences écrites (en langue inuit comme en anglais). Enfin, d’autres moyens d’expression semblent plus attractifs pour la jeune génération (l’exemple d’Internet sera décrit au chapitre suivant).

Cependant, le succès d’initiatives pour encourager les écrivains montre que la tradition littéraire inuit aurait le potentiel de s’épanouir au Nunavut dans d’autres conditions. Le Baffin Writers’ Project rassemble des auteurs inuit depuis 1988 (Freeman 1990). Alootook Ipellie, originaire d’Iqaluit, avait fondé Kivioq le journal du projet. Néanmoins, ce périodique n’a été publié qu’une année, bien que les réunions des auteurs se poursuivent (celle de 2006 a eu lieu à Montréal). Il semble en effet que d’autres moyens d’expression que l’écriture connaissent plus de support institutionnel et un sort plus favorable (Kennedy 1993 : 38) :

Although Inuit creative work such as carving is celebrated in the serial publication Inuit Art Quarterly, there are no comparable periodicals in which contemporary indigenous writers in the Arctic may have their work presented. Inuktitut and other pan-northern or specifically regional periodicals may have some poetry or offer opportunities for Inuit journalists, but there is no large, extensively Inuit literary journal.

Si les opportunités de publication pour les auteurs sont peu nombreuses, cela ne veut pas dire que le désir de partager ses expériences et ses opinions par écrit a cessé. L’écriture autobiographique continue d’attirer les écrivains potentiels. À Iqaluit et Igloolik, beaucoup de locuteurs m’ont également indiqué avoir voulu participer au concours d’écriture (en langue inuit) qui a lieu dans le cadre des Semaines de la langue du Nunavut, une activité culturelle organisée chaque année par le Gouvernement du Nunavut. Par manque de temps 150 ou en raison de difficultés à écrire l’inuktitut parfois, aucun de ces locuteurs n’a concrétisé ce souhait. Ces concours d’écriture ont du succès, et en 2004 par exemple, 180 entrées ont été envoyées (Westman et al. 2005).

L’étude des pratiques à la maison, dans ces deux communautés, illustre à une petite échelle les conséquences d’un déficit d’écrits en langue inuit. L’environnement écrit dans les maisonnées est le produit d’échanges bilingues au sein de la famille et dans la communauté. Malheureusement, hors la littérature enfantine, le peu de périodiques et livres en langue inuit ne peut que peser sur les pratiques linguistiques au sein de la famille. Ce manque est une source de frustration pour ceux qui voudraient faire de la lecture en langue inuit une activité de loisir, et la partager avec leurs proches.

5 L’écriture et les médias électroniques Le chapitre précédent a permis de débuter l’étude des choix de langue dans les médias par la presse. Un tour d’horizon des médias électroniques est également crucial afin de comprendre le rôle de l’écriture dans le quotidien des locuteurs. Si la tribune d’expression offerte par les périodiques semble être limitée aujourd’hui, la radio continue de proposer une programmation dynamique en langue autochtone. La négociation de la place de l’inuktitut à la télévision et dans le cinéma s’est soldée par des déceptions, comme elle a abouti à des succès retentissants. Quant à l’Internet, il s’ouvre pour l’instant timidement à des productions de sites en langue autochtone.

Les nouveaux médias, en multipliant les moyens de communiquer oralement, ont limité le recours à l’écriture syllabique. De plus, les pratiques individuelles sur Internet privilégient l’écriture de l’inuktitut en alphabet latin. Ainsi, les nouveaux moyens de communication restreignent la pratique de l’écrit en langue inuit.

5.1 Langage et offre médiatique

5.1.1 Bref rappel chronologique Plusieurs auteurs ont décrit l’introduction des médias dans le Nord canadien et au Nunavut, tels Valaskakis (1983, 2005), Roth et Valaskakis (1989), Roth (2005), Dorais (1996) et Alia (1999). À partir des années 1960, la langue anglaise et la culture majoritaire se sont largement invitées avec ces nouveaux modes de communication sur le territoire inuit, une entreprise de « colonisation électronique » (McComber 2001 : 31). Les forces de négociation politique et de lobbying à l’œuvre dans les années 1970 ont remis en cause cet état de fait. Au Nunavut, les changements politiques ont eu des répercussions sur le façonnement de l’offre médiatique (Valaskakis 2005). Roth (2005) décrit ce processus d’appropriation des médias par les peuples autochtones du Nord canadien en terme de « persistance culturelle ».

La radio a offert le terrain le plus propice à l’épanouissement de la langue inuit. Radio- Canada débute la diffusion de programmes pour le Nord en 1960, ce qui inaugure des 152 programmes réguliers dans l’Arctique de l’Est en langue inuit (Alia 1999 : 61). Une station de Radio-Canada est ouverte à Iqaluit en 1961 (McComber 2001), mais la grande majorité des émissions restent en anglais ou en français (Dorais 1996 : 203). La programmation en langue inuit prendra de l’ampleur avec les radios communautaires qui verront le jour dans les années 1970 (Dorais 1996 : 203). La radio locale d’Igloolik débutera ainsi en 1975, et la station de radio est aujourd’hui au cœur de la vie des résidents (McComber 2001). Dans les communautés du Nunavut, la radio régionale (Radio-Canada) est interrompue pour les plages horaires d’émissions locales en langue inuit. De nombreuses communautés émettent en plus sur une autre fréquence pour la radio locale en inuktitut (Dorais 1996 : 204).

À partir de 1971, la télévision fait son entrée à Iqaluit, avec une programmation qui rassemble des émissions du sud du Canada (Roth 2005 : 72). L’extension du service télévisuel s’est heurtée initialement aux refus des petites communautés, inquiètes des conséquences qu’allait avoir ce média sur leur langue et culture (Dorais 1996 : 205). Igloolik est de celles-là et a refusé jusqu’en 1983 les signaux télévisuels (McComber 2001).

L’inquiétude qu’a suscitée l’arrivée de ce nouveau média et la mobilisation qui en résulte est décrite en ces mots par John Amagoalik (McComber 2007 : 111-112) :

A group of Inuit of Frobisher Bay found out that television was coming North. They became very concerned about our communities being inundated with television programming in a foreign language. They wanted to make sure that television was not all English or French and that we would have some Inuktitut programming. They created the Nunatsiakmiut Film Society. I don’t remember all of their members, but Joanasie Salamonie, Ooleepika Gordon and Terry Pearce among others, were involved. They got a grant from the Government of Canada to put together a little studio around 1972, or 1973. They got some equipment and started producing fifteen minutes of Inuktitut language programming which was broadcast once a week on CBC North. That was the beginning. It was cultural information, story telling, a little bit of current events, some children’s programming, and a variety of things.

D’autres programmes pilotes à la fin des années 1970 (dont le projet Inukshuk mené par Inuit Tapiriit Kanatami) permettent de poursuivre la production d’émissions dans le Nord, ce qui débouche sur la création d’Inuit Broadcasting Corporation (IBC) en 1981 (Roth 2005). Les sociétés de communication autochtones créées dans les années 1980 sont financées par une politique de subvention fédérale (le Programme d’accès des Autochtones 153 du Nord à la radiodiffusion). IBC produit des émissions en inuktitut à Iqaluit et Igloolik (et aussi à , Baker Lake, Rankin Inlet) bien que son siège social reste à Ottawa. Des sessions de formation sont offertes dans ses locaux à Iqaluit (Alia 1999 : 103). IBC produit sept heures et demi de programmes en inuktitut par semaine; à ceci s’ajoute le bulletin de nouvelle sur CBC North en inuktitut (deux fois une demi heure par jour) (Sørensen 2000).

Malgré de grandes avancées dans la programmation, la création à Igloolik de l’entreprise Igloolik Isuma Productions en 1990 répond à une frustration en ce qui concerne le fonctionnement d’IBC (Evans 2008). Isuma produira des programmes télévisuels, des courts-métrages et des longs métrages en inuktitut qui connaissent une reconnaissance internationale. Dans la communauté, Isuma a soutenu la création du centre Tarraksiuk en 1991, un centre de formation et de vidéo indépendant. Arnait Video Productions, le centre de production des femmes a émergé de cette initiative en 1999 et a produit le film Before Tomorrow en 2008, un film lui aussi primé.

L’introduction d’Internet dans les communautés des Territoires du Nord-Ouest, à la différence des autres médias, a fait l’objet d’un processus de consultation, où a été réaffirmée l’importance de l’accès des plus petites communautés au réseau (Roth 1999). À partir de 1999, seul un nombre limité d’employés du Gouvernement du Nunavut avait accès à Internet. Un service d’accès par ligne commutée (dial up) a ensuite été disponible à partir d’Iqaluit (Qiniq 2008). Sous l’impulsion du Gouvernement du Nunavut et après un long processus de développement, les particuliers de toutes les communautés ont finalement eu accès à un système à haut débit à un coût accessible en 2005 (Qiniq 2008).

5.1.2 Centre et périphérie L’étude du développement de l’offre médiatique au Nunavut permet de compléter la discussion sur la centralisation des périodiques du chapitre précédent. Grâce à sa position de centre régional de l’Arctique de l’Est, Iqaluit a été privilégié en ce qui concerne l’accès aux médias radiodiffusés. Mais cet accès plus facile voulait aussi dire une incursion de l’anglais dans le quotidien des locuteurs. Les plus petites communautés comme Igloolik ont 154 disposé de plus de temps et d’une plus grande mobilisation communautaire afin de tenter de modeler l’offre médiatique à leur image.

À Iqaluit, la radio a permis de recevoir des nouvelles de membres éloignés de la famille, elle remplissait donc la même fonction que la correspondance. Mittuk Nowdluk, un aîné d’Iqaluit décrit ces débuts modestes :

We had radios, but we could only receive messages from Upper Base.[…] The only time we listened to CBC radio was on Fridays when we got to listen to Annie Palluq giving us news about people who were in the hospital. It was only shortly before the military left, that we got CBC here in Iqaluit. The first CBC building was just torn down last year. (Gagnon 2002 : 117)

Au milieu des années 1960, la radio à Iqaluit est surtout un média anglophone (Honigmann et Honigmann 1965 : 134-135). Néanmoins, elle connaît un large succès même chez les locuteurs de la langue inuit :

Many Eskimo homes seem to keep the radio turned on all day, the main attraction being music, including programs taped in southern Canada as well as popular records selected by local announcers.

McComber (2001) étudie le phénomène de la radio communautaire à Iqaluit et Igloolik et souligne des différences majeures. Il n’a jamais existé de radio communautaire à Iqaluit en raison de la présence depuis 1960 du service de radio régional. L’audience inuit y est d’ailleurs plus morcelée que dans les communautés, avec des origines et des classes sociales différentes. Au contraire, à Igloolik, le refus de la télévision jusqu’en 1983 a permis à la programmation radiophonique de s’épanouir en langue inuit (Ibid. : 80). La radio communautaire a accompagné le processus de sédentarisation et est un média plus largement utilisé par la génération des aînés.

La production radiophonique à Iqaluit ne s’insère pas de la même façon dans la communauté et offre des opportunités plus limitées pour la langue inuit. Néanmoins, à Iqaluit comme à Igloolik, la radio continue d’être un média important pour la vie communautaire. J’ai assisté à des programmes à micro ouvert (les gens appellent pour livrer leur témoignage en direct, pour souhaiter des anniversaires, des fêtes, etc.) dans des 155 maisons de la capitale comme d’Igloolik. Dans cette communauté la programmation en langue inuit est plus importante. Certains auditeurs d’Igloolik se sont cependant plaint de la qualité de cette programmation, et s’étonnaient de l’ampleur prise par les « ventes de garage radiophoniques ». En vue de la place de ce média dans la vie quotidienne, surtout à Igloolik, une étude approfondie serait pertinente, bien qu’elle ne puisse être entreprise ici.

En ce qui concerne la télévision, plusieurs initiatives et projets ont été mis sur pied dans la capitale, comme le Nunatsiakmiut Film Society, le projet Inukshuk ou la création d’IBC. Madden (1999) étudie l’émission de nouvelles Qagik, produite par IBC au début des années 1980. Cette émission est différente du reste de la programmation télévisuelle du Sud du Canada, non seulement parce qu’elle se déroule en langue autochtone, mais aussi parce qu’elle reflète les valeurs, les procédés communicatifs et les préoccupations du public inuit et qu’elle participe à un processus de transmission culturelle. Toutefois, malgré des changements majeurs dans l’offre télévisuelle grâce à IBC, la télévision reste un véhicule de la culture anglophone. La formation d’Igloolik Isuma Productions montre à nouveau que la situation périphérique des communautés est en quelque sorte plus favorable aux initiatives d’utilisation de la langue inuit dans les médias. Par ailleurs, la production télévisuelle ou cinématographique en inuktitut entraîne l’utilisation complémentaire de l’écrit dans cette langue. Pour les films d’Isuma, par exemple, les scènes sont improvisées à partir d’un script produit en inuktitut (Evans 2008).

En ce qui concerne la pression médiatique sur la langue inuit, il semble que les communautés résisteraient mieux que la capitale, bien qu’on retrouve dans tous ces lieux des projets et des initiatives qui témoignent de l’appropriation de ces différents modes d’échange.

5.1.3 Territoire et communauté Les communautés sont quadrillées par toute une série d’échanges oraux qui s’effectuent par le truchement de la radio communautaire mais aussi de la Citizens’ Band Radio (CB) qui a parfois les mêmes fonctions que la radio locale (annonces, discussions, etc., en langue inuit). Il faut ajouter à ce tour d’horizon le téléphone, utilisé très fréquemment. 156

Mais le quadrillage est plus large, et la communauté d’Igloolik et dans une moindre mesure la ville d’Iqaluit sont incluses dans le maillage des déplacements sur le territoire. Ainsi, parallèlement à l’introduction des médias dans le Nord, il faut considérer l’histoire des moyens utilisés pour communiquer sur le territoire.

La communication entre les camps s’est effectuée par le passée presqu’exclusivement à l’aide des lettres qui voyageaient au gré des déplacemements sur le territoire des uns et des autres (voir chapitre 3, section 3.1.2). Pour certains aînés, l’envoi de lettres constitue toujours quelque chose d’important pour relier les membres éloignés des familles. Une aînée d’Iqaluit maintient ainsi une correspondance précieuse en inuktitut avec ses petits- enfants vivant dans une ville du sud du Canada.

Ce type de courrier semble se prolonger d’une certaine façon par l’envoi de cartes de vœux. Ces cartes vendues dans le commerce sont pré-écrites en anglais. Le message est complété par quelques mots écrits à la main en inuktitut ou il est traduit en syllabique pour les personnes monolingues. À Iqaluit, ces missives partent vers les plus petites communautés en avion par l’intermédiaire d’un tiers : les vols sont réguliers pour les communautés du Nunavut, et tout le monde se connaît dans la communauté. Il suffit d’aller à l’aéroport le jour du vol pour trouver quelqu’un qui voudra bien se charger de transporter la lettre ou même de petits paquets ou photos. Pour les échanges intra-communautaires à Igloolik, les cartes de vœux sont apportées à leur destinataire en main propre, en fonction des différentes occasions.

Des locuteurs qui ont passé des années de leur enfance ou adolescence dans des camps éloignés29 décrivent l’inclusion de l’écriture dans un ensemble de médias utilisés pour rejoindre les communautés. Les lettres et la radio étaient les deux seuls modes de communication sur le territoire ou entre le territoire et la communauté.

My mum occasionaly wrote letters to her sister in [nom d’une communauté du sud de Baffin] and relatives to various other communities, not too much though but I remember when writing was commonly used in contacting each other. […]

29 Voir Searles (1998) pour une étude contemporaine de la dynamique entre camp éloigné et communauté. 157

Is there a phone in an outpost camp? Hum, we have this long range SBX radios…they were provided from, I believe from the Hunters and Trappers’ Association at first, we didn’t know about it until they introduced it to us and it was very useful. Who would take the letters back and forth? Actually either when we would come into town to get some supplies, she would make a list and also send a letter, sending a letter is not too much, didn’t happen too often, it wasn’t frequent, but once in a while she wrote. Femme, 39 ans, Iqaluit

Les enfants dans les camps éloignés n’avaient pas besoin de rejoindre des connaissances dans d’autres camps ou dans la communauté pour des raisons urgentes comme le ravitaillement. Néanmoins, ils participaient aux échanges d’information et profitaient des moyens de communication disponibles :

Then if we didn’t hear any news from the CB, when my father went to Igloolik for groceries, my auntie and my cousin [prénom] used to write to me how they are doing in Iglulik. […] then my mom… I mean, I knew my mother always had books and then I try to read her magazines… And hum…There were two more families living in outpost camps, [nom]’s family and [nom]’s family, they were living in different outpost camps, not too far. We used to write to each other too. […] I couldn’t wait till my father came home, I wanted to see my letters! They were tiny pieces of paper? Hum…Sometimes, they used cardboard-like box from cereals. They write it on it, if they ran out of paper they used that. And if they had lots of paper they used this kind of regular paper or cut it, make room for me and [prénom], or my mom. Femme, 27 ans, Iqaluit

Même dans les camps éloignés, l’écrit présent est bilingue. Des livres et des magazines sont rapportés des communautés, et sont lus par les membres du camp. La CB est cruciale aujourd’hui pour la sécurité des chasseurs qui voyagent sur le territoire (Aporta 2004). Elle fonctionne aussi comme un moyen plus informel d’échanger des nouvelles avec ceux que l’on rencontre par hasard sur les ondes, pendant que l’on campe en famille. Beaucoup de parents campent en effet sur le territoire avec leurs enfants de façon occasionnelle, surtout pendant les mois de vacances scolaires ou pendant quelques jours au printemps et à l’automne. Durant ces périodes, même si l’inuktitut domine très largement, l’anglais n’est pas totalement absent du quotidien. Quelques livres de lecture en anglais peuvent être 158 apportés pour passer le temps et, dehors ou sous la tente, les enfants épuisent tout leur répertoire de jeux collectifs et de chansons, en inuktitut et en anglais.

L’offre médiatique dans la communauté et sur le territoire est très différente. La sédentarisation dans les communautés et le grand nombre de moyens de communication oraux disponibles ont limité le besoin d’échanger des écrits.

5.2 L’outil informatique

5.2.1 Écrire la langue inuit à l’ordinateur Néanmoins, une exception notable à cette tendance est le développement des échanges à l’aide de l’ordinateur. Le choix du syllabique par les missionnaires était justifié par une plus grande facilité d’apprentissage et par le nombre limité de symboles pour transcrire les énoncés très longs des langues agglutinantes et polysynthétiques. Certaines locutrices continuent de préférer le syllabique, parfois pour des raisons similaires :

I learned Roman orthography during upgrading and I really didn’t like Roman orthography but I don’t… I type in Inuktitut as well but my keycaps don’t have any Inuktitut caps at all so I know where the syllabics are. Femme 39 ans, Iqaluit

I don’t mind if the signs are in syllabics or in Roman orthography. For me it’s easier and faster in syllabics, because that’s what I’ve been taught first. I don’t have any problems with either/or. For me syllabics are better because they are more convenient though. Femme, 24 ans, Iqaluit

En ce qui concerne le domaine informatique, pour la plupart des gens, le syllabique devient un obstacle à l’utilisation de l’inuktitut. Beaucoup de personnes choisissent si elles écrivent l’inuktitut, d’écrire en alphabet latin. Le choix d’écrire en syllabique dépend parfois de la génération du destinataire :

Even now, my co-workers, even the Inuit, when we write to each other usually it’s in Roman orthography if it’s Inuktitut, if it’s not it’s usually in English… […] The audience I am writing to, they are usually unilingual, and that’s why I write to them in syllabics but then to another group I write in Roman orthography. That would be what kind of people? 159

Younger people, younger Inuit like msn messengers or emails… Homme, 29 ans, Igloolik

L’unilinguisme du destinataire, et donc son âge, semble ainsi une des seules conditions qui rend l’utilisation du syllabique nécessaire, mais cette utilisation ne change pas vraiment les habitudes de celui qui écrit. Le syllabique reste ainsi circonscrit à des domaines ou des locuteurs bien particuliers :

And then I’m not into syllabics as much it’s only for other’s benefit that I might write something on the computer in Roman orthography and switch it into syllabics, not me typing it but you know, the computer program switches it to syllabics. I find it more convenient that way and then I know where the English keys are. (…) There’s some people like me in that the classmates I used to have are quite fluent in both, actually very fluent in both, and they don’t use syllabics as much either, unless they’ve become interpreters, translators, then they use syllabics, again that’s for the convenience of the reader, not themselves. Homme, 52 ans, Igloolik

Pour les utilisateurs de la messagerie instantanée, la situation est particulièrement hétérogène. Toutes les combinaisons de langue (anglais-inuktitut) et d’orthographes (inuktitut en alphabet latin ou en syllabique) semblent possibles, bien que l’anglais domine les échanges. Les mots en syllabique finissent par agrémenter un texte écrit le plus souvent en anglais, plus rarement en inuktitut (mais en alphabet latin) ou dans les deux langues. Dans le clavardage sont aussi utilisés des petits dessins qui représentent des mots d’inuktitut en syllabique ou en alphabet latin. Il suffit d’utiliser un raccourci clavier pour voir apparaître ces émoticônes.

Ainsi, dans les faits, les choix de langue et d’écriture sont extrêmement variés, bien que pour la plupart des locuteurs bilingues, le syllabique reste un choix marginal face à l’alphabet latin, comme l’inuktitut face à l’anglais.

5.2.2 Les sites en inuktitut, une denrée rare Les organismes ou associations qui communiquent par courrier (et à l’écrit en général) de façon bilingue tentent de reproduire cette situation sur Internet, en traduisant leur site en langue inuit. La visibilité de la langue inuit est ainsi assurée sur la toile, mais comme 160 l’indiquent les internautes, il est assez peu probable que les sites soient visités en langue inuit plutôt qu’en anglais.

Are there any pages in Inuktitut that you go and see? That I go and see?...Not really. But are there pages in Inuktitut that I see? Yes. There are pages in Inuktitut : First Air, the Government of Nunavut have pages in Inuktitut, but even there the quality control is not that good. The same thing as with newspapers? The same thing as newspapers…hum…there is a link to take you over to this…and that page you are going from is in Inuktitut but the page you are going to is in English…And that’s like within a company website, it’s not a link to another information source… Homme, 29 ans, Igloolik

Des problèmes avec l’affichage des caractères syllabiques semblent continuer à se poser pour certains. Mais les raisons pour lesquelles les internautes ne lisent pas la version en inuktitut sont les mêmes que celles des lecteurs face aux écrits sur papier. La lenteur avec laquelle ils lisent le syllabique et les traductions de mauvaise qualité font qu’ils n’entreprennent pas de lire la version syllabique.

Comme pour les publications, il existe peu de sites qui soient intéressants pour les lecteurs, et qui se détachent peut-être de la sphère politique ou économique. Une internaute, étudiante du programme de joaillerie du Collège de l’Arctique du Nunavut, était ainsi déçue de ne pouvoir consulter plus de sites d’art inuit en inuktitut.

Quelques sites pédagogiques ont vu le jour récemment. Le site Inuit Myths and Legends (www.inuitmyths.com)30 est une initiative de la Nunavut Bilingual Education Society d’Iqaluit, en partenariat avec de nombreux organismes et ministères. Il présente avec beaucoup d’illustrations et de façon attrayante en syllabique et en anglais des histoires sur les êtres mythiques et les légendes inuit, grâce à des entrevues avec des aînés, des écrits de Rasmussen et Boas, etc. Le site À l’écoute de notre passé (www.tradition-orale.ca) utilise plusieurs types de sources sur l’histoire du Nunavut. Les différentes séries produites par le Collège de l’Arctique du Nunavut y tiennent une large place. Le site est disponible en inuktitut ainsi qu’en anglais et français. Le projet a été mis sur pied par l’Association des Francophones du Nunavut, basée à Iqaluit. Un troisième site pédagogique L’histoire

30Les sites qui sont présentés dans cette section ont été consultés pour la dernière fois à l’automne 2009. 161 oubliée des baleiniers inuit (www.inuitwhalers.ca) est produit par l’Association Inuit Qikiqtani en partenariat avec des associations et organismes communautaires, universitaires et gouvernementaux. Ce projet se base sur des documents et des photos d’archive, des témoignagnes inuit ou des discussions avec des experts pour reconstruire cet épisode historique peu connu. Il peut être consulté en inuktitut, anglais et français.

Enfin, il existe un dictionnaire en ligne au Nunavut, Asuilaak (www.livingdictionary.com), qui fonctionne en inuktitut, inuinnaqtun, anglais et français. Il est constitué de différents glossaires mais devrait aussi fonctionner de façon collaborative, avec l’ajout de termes par le public. Le dictionnaire vivant a vu le jour grâce au Ministère de la Culture, de la Langue, des Aînés et de la Jeunesse.

Ces différents sites sont produits et mis en ligne à partir de la capitale. À Igloolik, le site d’IsumaTV (www.isuma.tv) se décrit comme un portail pour les directeurs de films autochtones. Il rassemble un grand nombre de vidéos, des émissions en direct, des entrevues avec des aînés, etc. Une des missions que s’est données IsumaTV est de créer un Institut de la langue et de la culture inuit à partir de 2009, un réseau entre les différentes communautés : « to use new media technology to preserve, promote and revitalize Inuktitut language and culture » (Communiqué de presse du 30 octobre 2008, IsumaTV). Dans cette initiative, et comme le confirme le contenu du site, la promotion de la langue inuit passe avant tout par l’oralité (vidéos). Le site n’est disponible qu’en anglais et il n’y a pas de contenu en langue inuit. Il s’agit d’un type de projet différent qui contourne le statut de la capitale comme centre médiatique et repose sur les liens entre des communautés plus périphériques (du point de vue de l’accès aux médias).

5.3 Les sites de réseaux sociaux, le média communautaire des jeunes IsumaTV connait un grand succès et place Igloolik à l’avant-scène d’échanges entre des groupes autochtones à l’échelle mondiale. Mais à un niveau individuel, un réseau communautaire se crée de façon plus informelle sur Internet. Au cours de mes différents séjours à Iqaluit et Igloolik (en 2005, 2006 et 2007) les sites de réseaux sociaux sont devenus un média incontournable, et notamment des échanges entre jeunes. Le site 162

MySpace a d’abord été à la mode à Iqaluit en 2005. À partir de 2005, l’Internet est devenu plus accessible dans les communautés, et parallèlement, BEBO est devenu le site favori des jeunes internautes, que ce soit à Iqaluit, à Igloolik ou dans les autres communautés du Nunavut.

5.3.1 Identité et choix langagiers sur Internet : quelques références Au Groenland, Jacobsen (2009) a étudié les innovations langagières faite dans les salons de clavardage. Elle décrit l’alliance du kalaallisut (groenlandais), du danois et de l’anglais selon les catégories linguistiques d’emprunts, d’innovations morphologiques, de pidginisation, de signes et orthographies alternatifs. Selon l’auteure, le langage utilisé correspond à ce que Koutsogiannis et Mitsikopoulou (2004) décrivent comme une variété linguistique hybride née de l’interrelation du local et du global. Lynge (2006) étudie les discours de jeunes groenlandais en ligne, et explique que les thèmes des compétences linguistiques et les choix de langue s’invitent dans la définition de l’identité ethnique.

Les choix de langue dépendent du contexte sociolinguistique mais aussi des caractéristiques de l’outil informatique en soi. Cunliffe et Harries (2005) discutent de la promotion des langues minoritaires des communautés linguistiques bilingues en ligne, en contexte européen. Ils remarquent que les pratiques en ligne introduisent une « inertie linguistique » vers la langue majoritaire ainsi que vers l’alphabet latin, même s’il n’existe pas une forme officielle en alphabet latin de la langue minoritaire.

L’Internet peut aussi devenir un lieu de socialisation et d’apprentissage de la langue majoritaire, comme le montre Lam (2004). Celle-ci suit les pratiques linguistiques en ligne de jeunes adolescentes d’origine chinoise aux États-Unis. L’anglais domine dans leurs échanges et le cantonais est écrit en alphabet latin. Grâce à l’apprentissage de cette variété de l’anglais elles se négocient une place dans ce groupe de jeunes.

Les choix langagiers dans les réseaux sociaux en ligne se rapprochent fort probablement de ces conclusions tirées sur l’étude des salons de clavardage. L’utilisation des sites de réseaux sociaux est un phénomène qui touche la jeunesse qui a accès à l’Internet. Ce phénomène a été étudié de façon plus spécifique dans le contexte des États-Unis par Boyd 163

(2008) et Weber et Mitchell (2008). Le profil virtuel de l’internaute est une façon d’écrire son identité dans le cadre de son groupe de pairs, par la manifestation de ses liens avec d’autres (Boyd 2008 : 129) et de ses goûts musicaux par exemple. Les sites de réseaux virtuels expriment ainsi des identités individuelles et collectives (Weber et Mitchell 2008 : 39).

5.3.2 « BEBO is Inuit central! » Les blogs ou les sites personnels trouvent peu d’amateurs au Nunavut. En effet, c’est le site de réseaux sociaux BEBO qui est devenu en quelques années le rendez-vous d’un grand nombre d’internautes. Il s’y crée ainsi un groupe particulier, par l’intersection des échanges entre familles étendues et communautés.

BEBO (Blog Early Blog Often), fondé en 2005, est disponible dans plusieurs langues majoritaires (Wikipedia 2008). Comme pour d’autres sites similaires, l’utilisateur crée un profil virtuel avec sa photo et une courte description de soi-même. Il ajoute à sa page des modules, tels des clips vidéo ou des albums photos. Chaque profil est relié aux profils d’amis qui peuvent laisser des commentaires sur les pages. Le site s’enrichit donc grâce au partage d’informations sur soi et aux échanges de commentaires entre amis. L’utilisation du syllabique dans ces échanges est tout à fait possible : seul l’interface reste dans la langue majoritaire choisie (ici l’anglais).

Qui utilise ce site à Iqaluit et Igloolik? La fonction de recherche de BEBO a été utilisée à l’automne 2008 pour répondre à cette question. Elle a permis de faire une liste des profils des « beboeurs » qui indiquent que leur communauté d’origine est Iqaluit ou Igloolik. Les résultats ont été affinés par sexe. Utiliser la communauté d’origine comme critère de recherche ne permet pas de confirmer de façon très précise le lieu physique où se trouvent les utilisateurs. En effet, certains de ceux qui disent avoir comme ville d’origine Igloolik, peuvent ne plus vivre en ce moment dans cette communauté. De plus, les habitants d’Iqaluit peuvent indiquer leur communauté d’origine plutôt que la capitale. Néanmoins, après avoir lu la totalité des descriptions de ces profils, la marge d’erreur apparaît très mince. Ces biographies sont accessibles publiquement, ainsi que les pseudonymes ou nom des usagers et la photo qu’ils choisissent. 164

Trois cent cinquante-et-un utilisateurs disent provenir d’Igloolik et 833 d’Iqaluit. La popularité de ce site est donc (relativement) bien plus importante à Igloolik que dans la capitale. D’autres sites ne semblent pas être privilégiés à Iqaluit, ce qui voudrait dire que les Iqalummiut utilisent moins les sites de réseaux sociaux. À Igloolik comme à Iqaluit, plus de femmes sont devant les écrans : 199 beboeuses à Igloolik contre 153 beboeurs et à Iqaluit 588 beboeuses contre 328 beboeurs. Enfin, les données accessibles publiquement permettent d’évaluer à 15% le nombre de profils d’utilisateurs qallunaat à Iqaluit et à moins de dix personnes à Igloolik.

L’âge des beboeurs montre qu’il s’agit surtout d’un média de jeunes internautes. Trois cent quatre-ving-huit usagers d’Iqaluit et 255 d’Igloolik avaient moins de vingt ans. Selon les règles d’utilisation du site, on doit avoir plus de 13 ans pour devenir membre. En comparant le nombre de jeunes utilisateurs aux données de Statistiques Canada (Statistique Canada 2006a, 2006b) sur la génération des 10-20 ans, on remarque que la popularité du site à Igloolik pour cette tranche d’âge est étonnante : sur un peu moins de 350 utilisateurs potentiels (les 10-20 ans), 250 ont un profil sur BEBO (13-20 ans). Les quatre graphiques ci-dessous illustrent ces résultats.

Figure 4. Nombre de profils indiquant Iqaluit ou Igloolik comme ville d’origine (2008) 165

Figure 5. Genre des utilisateurs (2008)

Figure 6. Tranches d’âge des utilisateurs (2008) 166

Figure 7: Jeunes utilisateurs en fonction des statistiques générationnelles (2008)

Il est évident que toutes les maisonnées d’Igloolik ne sont pas équipées d’un ordinateur avec une connexion à Internet. Comment cette participation générationnelle est-elle possible? Les jeunes visitent des membres de la famille ou des amis qui partagent ainsi leur poste avec plusieurs autres utilisateurs. Surtout dans les premières étapes de construction d’un profil, la connexion au site est journalière, que la personne dispose ou non d’un ordinateur. Les connections fluctuent ensuite en fonction des activités mais restent très fréquentes.

Quant au groupe créé par ces profils, comme l’indique le titre de cette section (une citation tirée d’un profil), il est formé en grande majorité par des membres de sa famille proche ou étendue, et des amis que l’on côtoie souvent tous les jours. Les liens se recoupent pour créer un maillage serré des relations au sein de la communauté et entre les communautés. Il semble que les utilisateurs d’Iqaluit rassemblent autour de leur profil un réseau plus étendu que ceux d’Igloolik, parce que la plupart du temps ils échangent aussi avec leur communauté d’origine. 167

5.3.3 Culture glocale des jeunes et nouvelle variété d’anglais en ligne Afin d’étudier les choix langagiers faits par les beboeurs, les courtes descriptions des utilisateurs ont été passées en revue. Pour les profils d’Igloolik, sur 361 profils, seulement cinq présentaient une biographie totalement en inuktitut (qu’il s’agisse de quelques mots ou quelques phrases) et neuf biographies en anglais utilisaient quelques mots en inuktitut. Deux des profils d’Iqaluit (833 en tout) étaient rédigés en inuktitut, et 11 en anglais avec quelques mots d’inuktitut. La quasi totalité de ces textes d’introduction, à Iqaluit comme à Igloolik est donc rédigée en anglais seulement. Les mots en inuktitut ne sont écrits qu’en alphabet latin.

Les petits mots qui apparaissent dans ces biographies sont souvent des façons de dire son nom (« Uvanga X », « Xujunga »), son lieu d’origine (« I’m an Iglulikmiutaq »), des petits mots d’accueil (bienvenue, comment ça va, quoi de neuf : « Tunngasugit! », « Qanurli? », « Suzu? »). Les mots désignant la parenté sont également très présents, avec des choix qui dénotent des innovations morphologiques ou de graphie. Par exemple, les mots « panikallak » (little girl), « panikuluga » (my nice little girl) se doublent de « my babykala », où le radical choisi est en anglais mais l’infixe, écrit de façon non standard, en inuktitut.

Une étude non exhaustive du reste des profils qui sont accessibles publiquement montre que ces règles d’écriture (présence symbolique de mots, expressions ou infixes en inuktitut, écrits en alphabet latin) ne sont pas limitées aux biographies. Même dans la zone des commentaires entre amis se trouvent peu d’écrits en inuktitut, et l’anglais y domine.

Les profils d’Iqaluit et d’Igloolik sont semblables en ce qui concerne les choix langagiers, même si les pratiques orales des jeunes d’Iqaluit et d’Igloolik diffèrent. Le choix de l’anglais peut être explicité par le fait que les jeunes trouvent plus facile d’écrire l’anglais que d’écrire la langue inuit. Cependant, cette explication n’est pas suffisante. Au-delà d’un choix par défaut, l’anglais est le marqueur de cette communauté de jeunes Inuit en ligne.

Tout d’abord, cette communauté s’intègre dans une culture de jeunes globale, avec des références à la musique ou au sport, qui s’expriment en anglais. Les skins (arrière-plan qui décorent les profils) choisis par les adolescents sont souvent ceux de leur groupe de rap 168 favori ou de l’équipe de hockey préférée. Comme l’indique cette jeune femme d’Iqaluit, ces courants culturels qui entraînent l’utilisation de l’anglais prennent beaucoup d’importance chez les jeunes :

There’s a lot of white people, but it’s not because of them that we are losing our language, it’s just our choice, it’s over the years with the youth and the media, like it’s cool to be… So, it’s not really cool to speak Inuktitut? It’s not that it’s not cool, but everything in the media is English, everything is white everything is, you know… So if you wanna talk about movies… You can’t, there’s no…there’s Atanarjuat, but how cool is that, right? Femme, 24 ans, Iqaluit

D’autres éléments d’identification ressortent que l’on pourrait croire plus associés à la langue inuit, des marqueurs identitaires de la communauté qui ne changent pas pour autant le choix de l’anglais comme langue de rédaction. Des vidéos de groupes de musique locaux, qui chantent exclusivement en langue inuit, sont affichées sur les profils. Malgré un contenu oral et des titres écrits en inuktitut (alphabet latin), la langue choisie pour discuter de ces vidéos reste l’anglais. Les profils sont également un lieu pour exprimer sa foi, et des références au christianisme passent dans les réseaux. Des vidéos d’hymnes en inuktitut illustrent les pages. Même si la chanson est en inuktitut et le titre, en inuktitut, est affiché en alphabet latin, les discussions et les dédicaces, de véritables expressions collectives de foi, s’écrivent en anglais seulement.

Figure 8. Référence au christianisme en anglais copiée et collée sur des profils de jeunes femmes

169

Figure 9. Vidéo du groupe Northern Haze d’Igloolik

La cohésion de cette communauté en ligne est facilitée par les profils de groupes et de formations musicales. Ces profils fonctionnent comme des profils individuels, bien qu’ils soient généralement ouverts à qui veut les joindre. Le dynamisme de la communauté en ligne d’Igloolik se remarque quand on entreprend de recenser ces sites. Les usagers se retrouvent sur le profil de la communauté Iglulik Nunavut (128 membres), les sites de groupes musicaux Northern Haze Fans (129 membres), Eskiez rockingeskimo (100 membres), Kikkukia (34 membres), etc. Par comparaison, la communauté en ligne d’Iqaluit ne dispose que du profil de groupe People of Iqaluit (avec un chiffre décevant de 35 membres). Le groupe de break dance Kaiva a cependant un profil très actif avec 130 membres. 170

Figure 10 : une partie du profil de groupe « Iglulik Nunavut »

Le profil de groupe d’Igloolik présente un bon résumé de la situation en ce qui concerne les choix de langue. La majeure partie du profil est rédigée en anglais. La langue inuit est présente pour quelques expressions ou mots en alphabet latin, et enfin on retrouve le mot Iglulik en syllabique comme élément de décor.

Quant aux profils de groupes musicaux, ils confirment le choix de l’anglais comme langue de l’écrit. Par exemple, les jeunes du groupe Eskiez, très populaire à Igloolik, se définissent dans leur profil comme un groupe Punk/Rock/Indie. Ils incluent dans leur page des vidéos et des chansons en inuktitut (le groupe chante dans cette langue). L’écrit qui entoure ces éléments visuels et auditifs (genèse du groupe, nouvelles et commentaires) est en anglais, à part le titre des chansons.

171

Figure 11. Trois titres d’Eskiez, affichés sur leur profil de groupe, à écouter en ligne.

Les profils des individus et des groupes deviennent ainsi des lieux de socialisation, et ceci est particulièrement clair pour la communauté d’Igloolik. Ces lieux se définissent par des habitudes langagières. L’écriture s’effectue en anglais, bien que l’on échange souvent avec des amis et des parents avec qui l’on communique exclusivement en inuktitut à l’oral.

Guidés souvent par des aînés ou de jeunes parents, eux-mêmes utilisateurs du site, les adolescents créent leur profil en copiant et échangeant des éléments qu’ils trouvent sur les sites de leurs amis et en se conformant aux usages linguistiques du groupe en ligne. Pour les plus jeunes, ces sites deviennent ainsi une façon de s’initier à une variété d’anglais écrit, où l’inuktitut adopte un rôle symbolique. Des échanges observés entre membres d’une même famille ou entre jeunes à Igloolik autour de l’ordinateur confirment cette dimension de socialisation à l’anglais. Par exemple, un jeune utilisateur apprenait de sa mère comment s’inscrire au site et façonner son profil. Leur discussion avait lieu en inuktitut, la langue utilisée dans la famille. Le garçon demandait cependant à sa mère des conseils pour rédiger sa page en anglais (choix de mots, orthographe, etc.).

5.4 Conclusion : persistance culturelle et anglicisation de l’écrit Qu’il s’agisse de la radio ou de l’Internet, l’utilisation informelle des médias comme support des échanges et des débats dans les communautés se poursuit. La « persistance culturelle » sur les sites de réseaux sociaux se manifeste dans un format bilingue.

À l’oral comme à l’écrit les échanges (vidéos, commentaires, etc.) s’effectuent en anglais et en inuktitut, bien que l’utilisation de l’anglais y soit plus importante. La pratique orale de la 172 langue autochtone est privilégiée et montre le dynamisme des groupes de musique locaux. Avec l’écriture de l’inuktitut en alphabet latin, les utilisateurs de sites de réseaux sociaux complètent ce répertoire bilingue. Néanmoins, cette pratique est extrêmement minoritaire, ce qui montre à nouveau la prédominance de l’écriture en anglais chez les locuteurs bilingues.

Les pratiques de l’écrit chez les jeunes inuit sont majoritairement celles qu’ils effectuent sur les sites de réseaux sociaux et avec le clavardage. Avec l’école, l’Internet devient donc un autre domaine qui privilégie l’anglais, mais contrairement à l’école, il s’agit d’un domaine qui associe l’anglais et l’alphabet latin à une expression identitaire.

Par ailleurs, des initiatives de promotion de la langue inuit sur la toile montrent les perspectives différentes de la capitale et d’Igloolik sur le sujet, à l’image de la différence dans leurs pratiques linguistiques, et en raison de la centralisation des ressources. La capitale est le centre d’initiatives particulières pour promouvoir plus formellement le syllabique sur Internet, alors qu’Igloolik est plus dynamique en ce qui concerne la langue inuit à l’oral.

6 Attitudes envers l’écriture à Iqaluit et Igloolik La connaissance fragile du syllabique, son rôle secondaire dans les publications et les médias écrits contemporains lui confèrent un statut minoritaire par rapport à l’écrit en anglais, qui domine les échanges aussi bien à Iqaluit qu’à Igloolik. La capitale et la communauté d’Igloolik semblent toutefois avoir des opinions différentes quant au rôle de l’écrit dans une stratégie de revitalisation linguistique. Les attitudes envers l’écriture mettent ainsi en lumière les différentes dynamiques économiques et culturelles qui gouvernent les choix de pratiques chez les locuteurs bilingues.

L’étude de l’évolution du marché linguistique permet de mieux comprendre ces dynamiques et leurs influences. La promotion de la langue est une préoccupation importante des locuteurs qui dénoncent ou s’accommodent des obstacles qu’ils rencontrent au jour le jour pour utiliser l’écrit en langue inuit.

6.1 Syllabique et marché linguistique

6.1.1 Un marché linguistique alternatif À Igloolik, Shearwood (1998) explique que les façons d’écrire distinguent deux groupes générationnels associés à deux domaines d’utilisation (voir chapitre 2). Les adultes et les jeunes écrivent le syllabique standard et l’anglais, ce qui leur permet de participer à l’économie de marché. Les aînés écrivent le syllabique sans finales, ce qui renvoie à une époque précédant la sédentarisation, avec un prestige différent lié à cette caractéristique. En ce qui concerne plus généralement les pratiques orales, Patrick (2003) décrit au Nunavik le renforcement d’un marché linguistique alternatif (d’après Woolard 1985 qui l’applique à la situation linguistique en Catalogne) avec l’intrusion de l’inuktitut dans les arènes économiques et politiques, ce qui s’ajoute au domaine plus consacré des activités de subsistance. L’avènement du Nunavut a renforcé ce marché alternatif dans le territoire (Dorais et Sammons 2002, Dorais 2006a), tout particulièrement pour la capitale (Dorais 2006b). Néanmoins, l’anglais est toujours le marché linguistique principal, pour les raisons énumérées par Dorais (2006a : 56): « 1) English is most often required when one is searching for a job; 2) it is the principal vehicle of popular culture (television, music, etc.); 174

3) contacts with Qallunaat occur in English. » Enfin, en ce qui concerne la pratique de l’inuktitut au travail à Iqaluit, le volume d’écrit en anglais impose une limite à ce marché alternatif (Dorais et Sammons 2002 : 51).

6.1.2 Inscription du marché linguistique dans le paysage De manière très concrète, le statut des langues en présence peut être déduit de leur place dans le paysage d’une communauté. La notion de paysage linguistique (les langues choisies pour les signes publics et privés, les affiches, noms de rues, etc. à l’échelle d’une région ou d’un territoire) a été définie plus particulièrement par Landry et Bourhis (1997) au sujet de la vitalité du français et de sa présence dans l’espace public au Canada. Ces auteurs séparent la fonction d’information de la fonction symbolique dans l’affichage des langues. Le paysage linguistique est une manifestation du contexte sociolinguistique et des politiques linguistiques dans des régions où les locuteurs parlent deux langues dont une minoritaire (Cenoz et Gorter 2006). Le fossé entre les politiques et leurs impacts peut se mesurer en étudiant d’un côté les affiches émanant d’organismes publics et de l’autre les affiches privées (Gorter et Cenoz 2008). Calvet (1999) complète cette question en proposant l’expression d’environnement graphique (voir chapitre 2), ce qui renvoie aux différentes orthographes présentes. Daveluy et Ferguson (sous presse) font une étude des signes de la voirie à Kuujjuaq (Nunavik) et dans une moindre mesure à Iqaluit. Les panneaux d’arrêt récents sont bilingues : en anglais et en syllabique, bien que la version syllabique varie d’un panneau à l’autre. Les noms de rues sont écrits à la fois en syllabique et en alphabet latin.

La loi sur la protection de la langue inuit, votée en septembre 2008 par l’Assemblée législative du Nunavut prévoit une utilisation généralisée de la langue inuit à des fins d’affichage et pour les communications dans les secteurs privé et public. Pour l’instant, le paysage linguistique à Iqaluit n’est pas du tout homogène : on trouve une grande diversité quant au nombre de langues et d’écritures en fonction des panneaux ou des affiches. Le tableau ci-dessous tente de rassembler les types d’affichage par catégorie, en fonction de ces choix linguistiques.

ORDRE DES LANGUES SECTEUR COMMANDITAIRE EXEMPLES OU DIALECTES Inuktitut (Syllabique) Public Gouvernement territorial Panneau de l’Assemblée Inuinnaqtun (alphabet latin) du Nunavut Législative Anglais Gouvernement fédéral « Conseil fédéral du Français Nunavut » Inuktitut (Syllabique) Public Ville d’Iqaluit Gymnase des jeux de Anglais l’Arctique, panneaux de Français bienvenue Collège Nunavut de Panneaux d’entrée l’Arctique Gouvernement fédéral « Département des travaux public » Français, Public Commission scolaire « École des trois soleils » Inuktitut (syllabique) francophone Anglais Inuktitut (syllabique) Public Ville d’Iqaluit Panneaux de signalisation Anglais (travaux) Ville d’Iqaluit Nom de rues (seul le nom de la rue et non le reste “road”, “drive” est traduit en syllabique) Anglais Privé Banque CIBC Panneaux d’entrée Inuktitut (syllabique) Northmart Entrée Public Ville d’Iqaluit Panneaux de signalisation (travaux) Inuktitut (syllabique) Public Ville d’Iqaluit? Noms d’édifice : Inuktitut (alphabet latin) Ivavik Unikkaarvik Parnaivik Inuktitut (syllabique) Public Organismes publics Nunatta Sunakkutaangit Inuktitut (alphabet Museum latin)+mot en anglais Paunna place Anglais Privé Canadian North Panneaux d’entrée

Akhaliak Panneau d’entrée : « Promotional Products “A 100% Inuit Owned Company” »

Tableau 4. Classement schématique des écritures utilisées pour l’affichage dans le domaine public à Iqaluit

Pour résumer, trois langues sont utilisées, la langue inuit, l’anglais et le français. Cependant, il se retrouve parfois sur les panneaux à la fois l’inuktitut (syllabique) et l’inuinnaqtun (alphabet latin). Le nombre de traductions dans chaque affichage est plus important quand il s’agit de signes émanant du gouvernement fédéral ou territorial (trois à quatre traductions). Pour les affichages qui ne concernent que le fonctionnement quotidien 176 de la ville (travaux), les signes ne sont souvent qu’en anglais et inuktitut. Un grand nombre d’entreprises privées adoptent également ce mode d’affichage.

Le nombre de traductions des affiches et leur ordre n’est donc pas fixé de façon définitive dans la ville, chaque panneau ou poster illustre un choix particulier, qui n’est pas anodin. Ce choix renvoie (pour le gouvernement du Nunavut) à la politique linguistique à l’ordre du jour, c’est-à-dire en partie à la fonction de représentation des langues officielles. Le nouveau marché linguistique se donne à voir également dans les panneaux qui écrivent la langue inuit avec les deux orthographes et ne font pas usage de l’anglais. Enfin, l’inuktitut semble moins désirable dans la sphère économique où l’affichage en anglais domine. Quand il est présent, il est relégué à la deuxième place après l’anglais. Le paysage linguistique de la capitale met donc en scène le marché linguistique alternatif ainsi que ses limites.

Les petites affiches disposées dans les endroits publics (babillards), renvoient à une situation très différente : elles sont en très grande majorité (peut-être à 90%) en anglais. Ces affiches sont la plupart du temps tapées à la machine. Les affiches traduites en inuktitut sont plutôt issues de structures gouvernementales (offres d’emploi, etc.), le tout est parfois traduit en français. L’affiche en anglais peut recouvrir la version en Inuktitut (il faut soulever la première pour accéder à la seconde). Le choix de la langue anglaise pour les babillards montre que l’écrit en inuktitut ne constitue pas un moyen de communication viable pour les trois groupes linguistiques (inuktitut-anglais-français) en présence et que l’écrit informel destiné à un large public est proposé la plupart du temps en anglais, la lingua franca.

À Igloolik, la situation concernant la signalisation et l’affichage public est bien différente. La petite taille de la communauté implique une signalisation réduite : pas de noms de rue, ni de noms particuliers pour les édifices. Les affiches sur les babillards (surtout en anglais) sont également beaucoup moins nombreuses : le bouche-à-oreille et la radio sont des moyens bien plus fonctionnels que la lecture de babillards pour s’informer des activités.

On retrouve certaines conventions d’affichage identiques à celles de la capitale. Le panneau de l’édifice du gouvernement du Nunavut rappelle le nom du bâtiment en inuktitut, 177 inuinnaqtun, anglais et français. Cependant il s’agit d’une exception dans la communauté. La plupart des autres édifices publics utilisent le syllabique et l’anglais seulement (Ataguttaaluk High School, Northern Store, etc.). Sur le bâtiment de la coopérative ne figure que le mot « Coop » en anglais. Au contraire, la maison qui abrite le siège d’Igloolik Isuma Productions est signalée par le mot « Isuma » seulement en syllabique. Enfin, quelques endroits sont propices aux graffitis. La base de trois inuksuit sur les hauteurs de la communauté est couverte de noms, de dates, etc. en anglais ou en syllabique.

Le milieu urbain de la capitale semble ainsi plus propice à la mise en scène du marché linguistique dans le paysage pour trois raisons : très simplement parce que le nombre de panneaux y est nécessairement supérieur, car trois groupes linguistiques sont en présence et parce qu’il s’agit du centre politique du territoire.

6.1.3 L’écrit en langue inuit au travail Ces affichages sur la voie publique ne rendent pas nécessairement compte des choix de langues à l’intérieur des bureaux et des entreprises. Dans un des deux supermarchés d’Iqaluit, l’écrit utilisé pour la communication avec les différents employés est exclusivement en anglais (mémos, règlements, directives, fiches de paie). Il est ainsi impossible d’y travailler si on ne lit pas l’anglais. Dans la salle du personnel, des posters en anglais et en inuktitut expliquent les différentes règles de sécurité au travail. Ces posters émanent du gouvernement et certains sont traduits en français. Dans les deux supermarchés de la ville, les différentes sections (produits frais, légumes, etc.) sont au contraire indiquées à la fois en anglais et en inuktitut.

Dans la salle de tri du bureau de poste, la totalité de l’écrit affiché est en anglais. Au contraire, dans la partie réservée au public, certaines affiches et enseignes sont proposées en anglais, inuktitut et français. Même dans des entreprises qui accueillent quotidiennement le public, on observe donc que l’écrit en anglais est le seul utilisé par les employés. L’écrit en syllabique n’est pas nécessaire au fonctionnement de l’entreprise et est plutôt destiné au public. 178

Il est vrai que dans la capitale, les origines ethniques des travailleurs peuvent rendre nécessaire l’utilisation de la lingua franca. Néanmoins, à Igloolik, où la très grande majorité des employés sera nécessairement inuit, l’utilisation de l’inuktitut dans les enterprises reste aussi marginale :

I was never really taught reading and writing. Has it been a problem in your life? Not really. At the store sometimes for special occasions, like Valentine’s Day or Christmas or Elders Day we would have to write something in Inuktitut, using the computer, a poster for example. Somebody would have to help me, correct me and tell me how to pronounce it. Femme, 33 ans, Igloolik

Pour les organismes communautaires, les deux langues sont nécessaires. À Iqaluit, un employé qui travaillait au foyer pour sans-abri écrivait la plupart du temps en anglais, sauf quand il laissait des notes ou des affiches pour les résidents. Un employé dans un organisme inuit de la capitale confirme qu’il existe un paradoxe en ce qui concerne le choix des langues à l’écrit :

In Iqaluit, in which context would you like people to use more syllabics? In the workforce, because we are the majority of the people and the people who you serve are a majority of Inuit speaking people and it only makes sense. And in your work most of the employees must be Inuit? Yes, but the majority of the stuff is in English. Homme, 38 ans, Iqaluit

Qu’il s’agisse du secteur public ou du secteur privé, de la capitale ou d’Igloolik, le rôle marginal de l’écrit en langue inuit semble limiter l’épanouissement d’un marché linguistique alternatif en inuktitut. Il semble quasiment impossible pour les employés de travailler totalement en langue inuit. Il est difficile de tirer des conclusions à grande échelle de ces constatations. Approfondissons la question en étudiant le lieu principal où un nouveau marché linguistique devrait être bien en place : les bureaux du gouvernement du Nunavut. 179

6.1.4 Attitude pragmatique et restrictions sur le syllabique En ce qui concerne le personnel du gouvernement du Nunavut, une augmentation du nombre d’employés inuit qui parlent et lisent leur langue sera nécessaire pour permettre une utilisation généralisée de l’inuktitut (l’objectif du gouvernement du Nunavut est d’utiliser la langue inuit comme langue principale de travail en 2020). Néanmoins, le Rapport Berger (2006) a rappelé que le système scolaire ne parvenait pas à former une force de travail bilingue. La nouvelle loi sur l’éducation (Loi 21) projette un prolongement du programme d’éducation bilingue jusqu’à la douzième année, ce qui sera difficile à mettre en place (Bainbridge 2008). De plus, le succès académique repose également sur une amélioration des conditions socio-économiques des écoliers (Gallagher-Mackay 2007).

Cet effort législatif particulier et d’utilisation de la langue inuit au gouvernement, ainsi que la visibilité accrue de l’inuktitut dans l’affichage gouvernemental, ont entraîné la formulation d’une attitude linguistique pragmatique par les parents de la capitale. L’écriture en langue inuit devient un instrument particulièrement prisé pour accéder à des emplois au sein de l’administration publique.

I tell them everyday, speak your own mother tongue, speak your mother tongue, because in 20 years the government will be maybe mostly Inuktitut. And if you don’t know Inuktitut you’re just gonna be the same thing as white people that don’t know how to speak Inuktitut but have the knowledge of their education… Inuktitut will be the same caus’ of the government... and there’s a lot of money, if you speak...if you can read and write and speak Inuktitut. Femme, 40 ans, Iqaluit

Cette attitude pragmatique est énoncée par des employées qui doivent écrire la langue inuit dans le cadre de leur travail. Leur connaissance du syllabique est un plus dans leur carrière et elles espèrent qu’il en sera de même pour leurs enfants.

Néanmoins, pour l’instant, l’utilisation du syllabique par le personnel du Gouvernement du Nunavut (GN) est limitée à des personnes ressources. Les traductrices, les greffières, les personnes qui travaillent avec des aînés, aussi bien à Iqaluit qu’à Igloolik, sont des spécialistes de l’écrit que l’on va voir au besoin : en plus d’effectuer leur travail, elles aident leurs collègues pour des tâches d’écritures exceptionnelles. Il existe donc une niche dans le marché du travail pour ce type de postes (occupés d’habitude par des femmes). 180

C’est un signe évident du marché linguistique alternatif qu’a permis l’avènement du Nunavut. Néanmoins, les gens qui formulent une attitude pragmatique supposent que ces limites vont s’estomper au profit d’une utilisation généralisée de l’inuktitut. Aujourd’hui cependant, la capacité à écrire et lire l’inuktitut n’est pas une qualification nécessaire pour travailler au gouvernement. Les locuteurs expliquent la situation en ces termes : l’amélioration dans l’utilisation de l’inuktitut au sein du gouvernement du Nunavut est lente, et ne satisfait pour l’instant pas leurs attentes, mais il est à espérer que dans un futur proche cette amélioration soit significative.

Le processus de décentralisation à Igloolik (voir chapitre 1) ne s’est pas accompagné d’un changement dans les habitudes de travail en ce qui concerne les pratiques écrites, même si des bureaux du GN se trouvent maintenant dans une plus petite communauté, où la langue inuit domine. Ces habitudes de travail impliquent ainsi que les nouveaux postes créés dans les communautés s’accompagnent de plus d’anglais écrit. En d’autres termes, le nouveau statut de l’inuktitut depuis 1999 ne semble pas se traduire par une utilisation fonctionnelle du syllabique.

Verbally [since 1999] it’s better but word wise, basically to do a memo to my colleagues in Inuktitut, unfortunately it would not work, three out of some would understand and then I would have to have it translated…so therefore it’s English, it’s better that I give to them all in English. … Unfortunately writing English is…qanu…we have to write English and if I were to write in Inuktitut in mon travail nom du poste retiré then this would have to go out to translators and translating in Nunavut is really slow and if my memo or my presentations were in Inuktitut than it would have to go to translators, it could take two weeks...so…and hum…when I write to HTO Hunters and Trappers Association…because my work is only in English I would send my work to be translated to the language group as opposed to do the translation myself because my workload is quite full so unfortunately if I wish to try and translate what I am doing then it would take more time… Homme, 43 ans, Igloolik

L’inuktitut est plus visible, non comme langue d’écriture originale, mais en raison du plus grand nombre de traductions : renverser cette situation représente un des défis majeurs du nouveau marché linguistique. Les frustrations avec le mécanisme des traductions ne sont 181 pas rares parmi les employés. Il se met en place un cercle vicieux qui relègue l’inuktitut à une fonction symbolique. Par exemple, les employés ont remarqué que même des citations en langue inuit étaient incorporées à un document en anglais pour être ensuite retraduites en inuktitut. La qualité de ces traductions et la nouvelle terminologie dont elles sont truffées représentent des obstacles pour beaucoup de locuteurs, qui finissent de toute façon par lire les documents nécessaires en anglais. Pour ces travailleurs et employés insatisfaits, le syllabique n’a qu’un statut d’écriture symbolique qui est présente mais ne peut pas être utilisée.

Le nombre conséquent de Qallunaat qui travaillent pour le GN est un frein à l’épanouissement du syllabique (c’est un obstacle à la communication). Mais à cela s’ajoute la fragilité des compétences en lecture et écriture du syllabique pour ceux qui pourraient communiquer en langue inuit. Pour l’instant, s’il y a un choix à faire entre l’écrit en anglais et l’écrit en syllabique au travail (c’est-à-dire si le destinataire n’est pas un groupe unilingue, s’il ne s’agit pas d’une traduction à effectuer en inuktitut), le choix se fera au détriment de la pratique de la langue inuit. Ainsi, la transmission intergénérationnelle doit être renforcée pour accroître le caractère fonctionnel de l’écriture en langue inuit dans le milieu du travail.

6.2 Syllabique ou anglais : identité et complémentarité La marginalisation du syllabique a jusqu’à présent été relevée en ce qui concerne les compétences, le volume des écrits et la place du syllabique dans les médias et au travail. Cette situation s’exprime dans les attitudes linguistiques des locuteurs : celles-ci renégocient le statut du syllabique comme marqueur identitaire des locuteurs et sa place dans le processus de transmission.

6.2.1 Préserver et/ou transmettre dans la capitale La notion de préservation est apparue plusieurs fois dans le discours des locuteurs de la capitale. La visibilité du nouveau marché linguistique à Iqaluit ainsi que la situation minoritaire de la langue inuit encouragent les discussions sur ce thème bien plus que dans la communauté d’Igloolik, et ces discussions ont nourri une analyse séparée. 182

L’écriture n’appartient pas qu’au domaine institutionnel ou au milieu du travail. La famille est le lieu majeur de la transmission intergénérationnelle. Il a été vu au chapitre 3 que les journaux intimes des aînés, conservés et relus par leurs descendants forment parfois un lien entre les générations. L’histoire familiale se construit aussi autour d’activités et de pratiques générationnelles :

At home actually as I said when I first started, I was really into Inuktitut, when I was writing down, I was writing down names, family names, family trees and I hum…I worked, qanu, just last fall I was taking down a list of my family tree from our great grandfather’s descendants, that’s what I like doing, taking our family tree down in Inuktitut. […] And…I have I guess… Hide and seek songs that my mom teaches us, I wrote that down as well as part of the game that we recently played at home and that’s one of the songs I wrote down. Our oldest daughter knows quite a lot of our songs, our traditional songs, and I’d like for our little one to learn as well in…hum…been meaning to rewrite them again for my girls to have a copy. Femme, 39 ans, Iqaluit

Une autre femme de 43 ans indique qu’elle s’intéresse en particulier au vocabulaire de la couture, particulièrement aux mots «anciens» utilisés par les aînées, enrichissant dès qu’elle le peut une liste de mots avec leur définition grâce à une parente qui vit dans sa communauté d’origine.

I…I haven’t…I have a relative who is also living there [nom de sa communauté d’origine], I tend to ask her about some terms which I don’t understand so when I hear her speak, if she would say something that I don’t understand I would pick it up and jot it down. So she is very good to communicate with and she is really knowledgeable and keeping some of her old terminology which she had picked up growing up. So if she finds a new word or learns of something that she hasn’t been using for a long time, she would call me up and say: “I have a new word for you!”, which is really good, so she knows I am collecting. So I have been picking some words from her. Femme, 43 ans, Iqaluit

Ces locutrices conçoivent ainsi l’écriture comme une entreprise active et explicite de transmission, un outil afin de renforcer la pratique de l’inuktitut, et s’engagent dans ce type d’initiatives personnelles, pour elles-mêmes et pour leur famille. Elles trouvent difficile de renverser, au jour le jour, le caractère minoritaire de l’écriture en langue inuit, bien que certaines puissent s’appuyer sur un milieu de travail qui soutient d’une manière ou d’une 183 autre la pratique du syllabique. Le désir d’un bilinguisme stable est résumé par cette femme de 43 ans, pour qui l’écriture : « makes us do things to share our history and to communicate. » L’utilisation du syllabique illustre le souhait d’une continuité dans les pratiques linguistiques et culturelles, une ouverture de la littératie occidentale aux littératies autochtones, une utilisation des deux modèles à des fins d’accomplissement individuel et familial.

Pour certains locuteurs, la promotion de l’écriture en langue inuit est plutôt restreinte à un effort passif d’enregistrement culturel et linguistique. Par exemple, un jeune homme (20 ans) travaille dans un supermarché, n’écrit et ne lit quasiment pas mais parle très bien l’inuktitut. Il explique que l’écriture peut aider à préserver la langue: « there’s now old words that for sure they [les enfants] don’t even know. They should get written down or something. » Pareillement, une jeune femme (20 ans) explique qu’elle désirerait avoir plus de matériel à contenu traditionnel: « There are not enough customs or knowledge put into paper…because back then, in the past it was all visual learning and listening, there is not enough material. » D’ailleurs pour certains, c’est avant tout dans ce but qu’existent l’écriture et la lecture en langue inuit: « Our culture is written, so the new generations they can learn about it through books. », Homme (26 ans).

La fonction de préservation de l’écriture syllabique la dissocie d’une utilisation passée et de son utilisation quotidienne par les locuteurs unilingues ou bilingues. Les aînés sont vus comme trop occupés pour pouvoir s’adonner à la lecture ou l’écriture, qui sont plutôt associées au monde scolaire « Back then, they were not used to write Inuktitut. Right now they [les jeunes Inuit] learn at school », Homme (19 ans). L’écriture en soi ne fait pas vraiment partie du cœur de l’identité inuit comme par exemple la chasse ou la couture: « A real Inuk isn’t symbolized by syllabics, the real Inuk were before us, who hunt to survive…Who provided for the family. Didn’t care for writing, there were no pens! », Femme (20 ans). On se trouve ainsi avec une vision de l’identité inuit qui est tout à fait rattachée aux activités traditionnelles et à l’oralité de la langue autochtone. Comme l’indique un homme (38 ans) qui ne sait ni lire ni écrire le syllabique : « I don’t have problem with it because it’s not… I don’t feel bad about it because it’s not traditional, we are from an oral society.» 184

La fonction de l’écriture en langue autochtone serait ainsi de créer une source d’information pour les futures générations. Cette opinion est assez ambiguë dans la mesure où elle est énoncée souvent par des locuteurs qui lisent et écrivent très peu eux-mêmes, et par conséquent pour lesquels il serait probablement très difficile d’accéder à ces sources. Il est évidemment frustrant de voir les connaissances inuit laisser lentement mais sûrement la place à une façon de vivre plus occidentalisée. Cela peut s’exprimer dans une urgence qui privilégie l’action comme réponse : aller sur le territoire, y expérimenter les connaissances. L’écriture ou la lecture ont du mal à trouver leur place dans cette recherche. On peut poser l’hypothèse que cette perspective est une réponse à la pression de l’anglais et de pratiques linguistiques à «oralité restreinte» (où l’idéologie linguistique met en avant les pratiques écrites qui jouissent d’un plus grand prestige), une manière d’affirmer la spécificité de la langue autochtone. L’écriture s’effectuait auparavant exclusivement en langue inuit. Aujourd’hui que la pression de la langue anglaise se fait de plus en plus sentir, une certaine radicalisation de l’idéologie linguistique peut être présente.

Enfin, pour les aînés, les attitudes de préservation ou de pragmatisme semblent beaucoup moins importantes. Ceux-ci adoptent plutôt une attitude d’ouverture pour pouvoir disposer en langue autochtone des informations, des services et des divertissements qui sont offerts à ceux qui lisent l’anglais. Dans la mesure où ils sont les références du processus de transmission, ils sont moins sensibles à une sorte d’urgence de disposer d’une nouvelle source. Par contre, la communication quotidienne dans la langue autochtone fait partie de leur priorité immédiate. En effet, pour des personnes unilingues, ne peut s’appliquer ce type de séparation qui voudrait que tout ce qui concerne la culture et les savoirs passés inuit soit exprimé en langue autochtone alors que les écrits sur les nouvelles ou le quotidien sont en anglais. Les domaines d’utilisation de l’écriture sont ouverts: une aînée expliquait son désir de disposer de plus de matériel pour lire l’inuktitut et même d’avoir accès à des livres de fiction: « Inuit, we don’t have thick books like Qallunaat, we need more of those, it would be very fun to read them on a plane, or to relax, we need more of those in Inuktitut. » 185

6.2.2 Choix d’écriture pour la pratique religieuse Le domaine religieux n’a pas été cité spontanément comme un lieu de préservation de la langue inuit et du syllabique. Les jeunes Inuit ne connaissent aujourd’hui plus toujours l’origine du syllabique, et on a déjà remarqué au chapitre 3 que l’église n’était plus le lieu d’apprentissage majeur de cette écriture. Avec l’effort d’étendre l’utilisation du syllabique à de nouveaux domaines de communication (le milieu du travail par exemple), le syllabique se dissocie-t-il aujourd’hui de la pratique religieuse?

Il est difficile d’affirmer qu’il existe une baisse d’affluence aux événements des Églises, mais beaucoup de jeunes pratiquent peu la religion. À Iqaluit, la vie urbaine réunit plusieurs conditions pour limiter la pratique. Néanmoins, lors d’un office en inuktitut de l’église anglicane à l’été 2005 (il existe aussi un service en anglais) l’église était pleine à craquer. Pendant mon séjour à Igloolik, la messe catholique se déroulait également devant un public fourni.

La semaine de Bible Study, un événement évangélique qui a lieu chaque année au Nunavut s’est déroulée à Igloolik en mai 2007. Laugrand et Oosten (2007) remarquent le succès de l’Église évangélique au Nunavut et de ces rassemblements en particulier. Pendant la réunion d’Igloolik, le caractère évangélique de l’organisation semblait s’effacer au profit d’une activité interconfessionnelle d’étude biblique. Le nombre de personnes qui assistaient aux explications dans le hall communautaire était conséquent (il dépassait largement l’auditoire du service pentecôtiste hebdomadaire). Certaines personnes de l’assistance s’identifiaient par ailleurs comme anglicanes ou catholiques. Un révérend américain menait les discussions en anglais, avec une traduction en inuktitut disponible en tout temps. Les langues des bibles personnelles semblaient s’aligner sur une appartenance générationnelle : les jeunes suivaient plutôt dans une bible en anglais et les personnes plus âgées possédaient une bible en inuktitut (l’un ou l’autre étant tout à fait possible car le révérend et son traducteur se référaient au numéro des versets). Par ailleurs, des feuillets d’explication en anglais étaient distribués. Pendant l’office pentecôtiste d’Igloolik, les officiants (assez jeunes) parlent en inuktitut et en anglais mais lisent une bible en anglais. La petite église est de plus décorée d’inscriptions en anglais, syllabique et hébreu. 186

L’Église pentecôtiste semble s’accommoder d’une pratique de la lecture en anglais ou en syllabique, contrairement à l’église anglicane où, à Iqaluit comme à Igloolik, seul l’inuktitut était utilisé pendant la messe. Néanmoins, une jeune femme membre de cette Église à Iqaluit m’a indiqué ne pas toujours comprendre l’inuktitut utilisé par les révérends et leurs assistants. Une jeune femme anglicane d’Igloolik m’a, elle, signalé qu’elle allait à l’église mais n’y lisait la bible qu’en anglais.

Quand à l’Église catholique elle a (relativement) peu de fidèles à Iqaluit, la grande majorité d’entre eux est qallunaaq. Pendant la messe l’inuktitut n’est présent que pour chanter quelques hymnes. Le reste du service se déroule en anglais et en français. À Igloolik, le nombre de catholiques est bien plus important (voir chapitre 1). Mais la question de la langue de la bible semble moins cruciale que pour les autres confessions : pendant la plus grande partie du service les croyants chantent des hymnes en inuktitut.

Une majorité des locuteurs s’accorde à dire que le syllabique n’est plus strictement lié au domaine religieux. Une des raisons de cette évolution (comme décrit par Shearwood 1998) est le processus de standardisation de l’écriture :

Maybe 50 years ago, not so much today, if you look at the Bible there’s some finals missing, it’s written different, like the ai-i-u-a. It has gone a long way from the religious times. Homme, 23 ans, Iqaluit

Néanmoins, la pratique religieuse reste le domaine majeur de pratique du syllabique pour certains croyants :

The only place pretty much I use it [syllabics] now regularly is in church so…I would have to pick up a syllabics prayer book as opposed to one that is written in Roman orthography so…So I find that syllabics still it’s more understandable for me than the alphabet trying to be written in Inuktitut. Homme, 43 ans, Igloolik

Enfin, des locuteurs croyants réaffirment, eux, le lien inhérent entre syllabique et religion : 187

That’s where I learned most of my syllabics [à l’église], that’s where I learned, so that would be the grasp to my syllabics today. Because Inuit don’t have a history of reading and writing, so yeah, religion has a big role in that and it’s the foundation to syllabics Femme, 43 ans, Iqaluit

Mais en une ou deux générations au sein des mêmes familles, à Iqaluit comme à Igloolik, on passe parfois d’une pratique assidue de la lecture et de l’écriture à des fins religieuses en inuktitut à une pratique plus passive et restreinte de la lecture en anglais. Dans d’autres familles, des expériences très négatives au pensionnat ont entraîné un arrêt de la participation aux activités religieuses, qui se prolonge chez les enfants et petits-enfants des locuteurs concernés.

D’autres personnes délaissent la religion chrétienne et se sentent plus attirées par les croyances qui précédaient l’arrivée des missionnaires. Ceci influence leur vision du syllabique :

I have a different view of religion than the Church, I’m not a big fan for the Church. But I think it would be important to learn about our culture and our spirituality but I don’t think there’s a link between the two. [le syllabique et la religion] […]Spirituality is also a very personal thing too, so maybe I’m more hard-core but I think you can’t learn spirituality from books. You have to live it, you have to experience it, and you have to have someone to explain it to you. For example my dad has his drawings, he’s an artist and a lot of his drawings are rooted in traditional spirituality and that’s how I learned from his drawings, spirituality, not from writing. Homme, 38 ans, Iqaluit

Le domaine religieux est donc aujourd’hui un domaine bilingue de pratiques de l’écriture. Même au sein de l’Église anglicane où les officiants sont inuit et le service s’effectue entièrement en inuktitut, certains participants lisent les livres religieux en anglais.

On observe donc une tendance globale à la sécularisation du syllabique. Celle-ci découle de la diversification des pratiques religieuse, de l’utilisation du syllabique dans d’autres domaines et de la percée de l’anglais dans certaines Églises. Néanmoins, les opinions restent très partagées sur le sujet. 188

6.2.3 Quelques observations sur la complémentarité des écritures autour de la course Nunavut Quest Afin d’adopter une perspective différente sur la question d’identification au syllabique et de complémentarité des écritures, il est apparu important de prendre en compte les événements culturels spéciaux qui ont lieu pendant l’année. Ces événements permettent de se dégager d’une étude seulement axée sur les domaines linguistiques et fournissent des unités d’analyse commodes pour rassembler des observations plus parsemées. Plusieurs de ces activités ont eu lieu pendant mes séjours, le festival Toonik Tymes (festival du printemps) et le festival Alianait! (festival musical et culturel) à Iqaluit. À Igloolik, une manifestation contre le changement climatique Global Warming 101 a amené au terme d’une expédition en traîneaux à chiens des personnalités du monde du spectacle dans la communauté. Chaque événement est l’objet de pratiques multilingues de l’écrit.

Les deux festivals qui ont eu lieu à Iqaluit ont rassemblé les communautés de la capitale. À l’occasion d’Alianait la musique en inuktitut a rencontré un franc succès, ce qui a fait la preuve du dynamisme de ce mode d’expression. Igloolik est devenu successivement le départ puis l’arrivée de deux courses de traîneaux qui se sont déroulées à peu d’intervalle l’une de l’autre. Cette coïncidence a permis de dégager une différence notable entre les deux événements : l’expédition Global Warming 101 était organisée de l’extérieur du Nunavut et, pendant les festivités qui ont pris place pour l’arrivée des traîneaux, la présence de l’inuktitut et du syllabique est restée limitée. Au contraire, le départ de la course Nunavut Quest / Pangaggujiniq, un événement local, a permis d’observer des choix de langue plus particulièrement intéressants.

Cette course de traîneaux à chiens a lieu tous les ans depuis 1999 dans le Nord de Baffin. Elle a pour but de célébrer la naissance du Nunavut ainsi que d’encourager l’utilisation des savoirs sur les voyages en traîneaux à chiens. Il s’agit d’un événement qui met en valeur un aspect important de la culture inuit, et qui a été initialement organisé par des résidents d’Arctic Bay. L’inuktitut est la langue utilisée dans les activités autour de la course, comme la réunion de départ des meneurs d’attelage pour discuter des règles (Hamilton 2000). Ces règles sont rédigées en syllabique mais aussi disponibles en traduction. 189

En 2007, l’itinéraire emprunté par les compétiteurs partait d’Igloolik le 24 avril et arrivait à Repulse Bay, avec la première étape à Hall Beach au sud d’Igloolik. La seule femme qui participait à la course, Denise Malliki, âgée de 19 ans, a gagné cette édition 2007. L’affichage concernant la course était disposé dans la communauté en version bilingue, anglais et syllabique. Le programme était également relayé à la radio locale en inuktitut. Pour le départ, une petite troupe de personnes de la communauté s’était rassemblée sur la glace. Les organisateurs vérifiaient la longueur des traîneaux et la notaient avec le nom des concurrents correspondants en syllabique. Les patins en bois de certains traîneaux de la course étaient décorés de graffiti : des messages d’encouragement, des noms, la plupart d’entre eux en anglais. Quelques jours plus tard, deux amies m’ont proposé de partir en motoneige à Hall Beach. À mi-chemin, une cabane permet de se reposer et se réchauffer. Elle est couverte de graffitis à l’intérieur : les personnes qui sont passées par là, le jour de leur voyage, etc. Toutes les inscriptions lisibles sont en anglais à part une en syllabique. Une fois arrivées à Hall Beach, notre hôtesse d’une cinquantaine d’années, qui écrit le syllabique et l’anglais, nous montrait comment elle avait soigneusement noté en syllabique le nom, la ville d’origine et l’ordre d’arrivée de tous les compétiteurs de la course.

La course a fait l’objet de trois ensembles d’articles, en 2000 dans Above and Beyond et en 2000 et 2008 dans Fan Hitch (Journal of the Inuit Sled Dog International). Ces articles ont été produits par des journalistes ou photographes qallunaat. En fonction des années, des nouvelles de la course peuvent être relayées par des appels à la radio CBC ainsi que par la station IBC d’Igloolik (Iqalukjuak 2002). En 2008 un profil Bebo a été ouvert par un des organisateurs d’Arctic Bay pour donner les résultats de la course, ce profil est en anglais et accessible publiquement. Légendes de photos, commentaires des visiteurs et carte satellite y sont affichés en anglais.

Cet événement est sans aucun doute un événement où l’inuktitut domine à l’oral. Néanmoins, à l’écrit la situation est plus complexe. L’écrit informel (graffiti, annotations) semble s’effectuer en syllabique pour les générations plus âgées et en anglais pour les générations plus jeunes. L’affichage autour de la course et les drapeaux sont en version bilingue. Le nom de la course Pangaggujiniq y est souvent repris en alphabet latin. Enfin, 190 les médias écrits qui permettent de couvrir l’événement (magazines, médias électroniques) relatent la course en anglais.

Ainsi, même des événements qui se déroulent en inuktitut et qui ont une valeur culturelle et identitaire ne génèrent pas seulement des écrits en inuktitut, mais aussi en anglais, par des Qallunaat comme par des Inuit, du simple graffiti à l’article de magazine. Cette activité de promotion culturelle met ainsi en scène la complémentarité inévitable des deux langues à l’écrit.

6.3 Conclusion L’évaluation de cette situation de complémentarité est au cœur des attitudes envers le syllabique. À Iqaluit, les attitudes envers la langue inuit sont indubitablement positives. Mais le caractère minoritaire de l’écriture syllabique s’exprime dans les discours des locuteurs qui commentent cette tendance à la marginalisation. Plus les locuteurs pratiquent fréquemment l’écriture en langue inuit, plus ils désirent la voir utilisée à part égale avec l’anglais dans tous les domaines. Plus leur compétence est fragile, plus l’écriture en langue inuit est cantonnée à un domaine spécifique. Le désir de préservation peut être à double tranchant : certains locuteurs bilingues qui écrivent peu la langue autochtone relèguent l’écrit dans une fonction passive d’enregistrement culturel. D’autres, qui écrivent plus régulièrement, s’investissent personnellement dans la transmission linguistique et culturelle. Enfin les locuteurs unilingues remettent en cause plus explicitement ce statut minoritaire au quotidien.

Les nouveaux domaines d’utilisation de l’écriture continuent de favoriser la langue anglaise. Iqaluit se trouve cependant au centre du mouvement de renégociation de la place de l’écriture en langue autochtone dans le marché linguistique du territoire. L’attitude pragmatique envers l’écriture est la manifestation des succès de cet activisme linguistique. Néanmoins, cette attitude semble être quelque peu déconnectée de la transmission intergénérationnelle. Elle manque de l’appui d’une promotion de l’écrit plus ambitieuse au quotidien qui prendrait en compte par exemple la compétence fragile des locuteurs: pour que l’écriture soit utilisée dans le domaine du travail, elle doit rester un moyen de communication viable. 191

Une étude des lieux de pratiques où l’on s’attendrait voir le syllabique clairement dominer les échanges écrits (les églises, les événements culturels) réaffirme par ailleurs la nécessaire complémentarité de l’anglais et du syllabique, au delà des questions d’affirmation identitaire.

7 La complémentarité des langues et des écritures en débat : le cas du Groenland La question de la complémentarité des écritures se pose-t-elle de la même façon dans d’autres régions inuit? Dans un contexte de diversification des domaines d’utilisation de la langue, de difficile appropriation des institutions et de globalisation médiatique, l’évolution du bilinguisme n’a pas toujours eu comme conséquence une marginalisation de l’écriture en langue inuit.

Au Groenland, la situation de la langue et de l’écriture inuit diverge du portrait brossé jusqu’à présent des pratiques linguistique au Nunavut. Jacobsen (2003 : 156) donne une idée de ce contexte spécifique et de l’idéologie de l’écriture que cette situation fait naître :

After the intensified contact with their fellow Inuit abroad, the Greenlanders have realized that Greenlandic is in a very strong position compared to the fellow Eskimo languages in Canada, Alaska, and the former Soviet Union. Kalaallisut (Greenlandic) is the first language of the vast majority of the Kalaallit (Greenlanders), and it has the longest history as a written language. Pride was obvious in the New Year’s speech 2001 of the prime minister of Greenland : « The Greenlanders have passed from a traditional hunting culture to a modern society as a reading and writing people – in their own language » (J. Motzfeldt, TV, 12.01.2001, my translation).

La tradition écrite groenlandaise est également créditée par Langgård (2005 : 1186) de soutien majeur à la vitalité linguistique :

[…] since the last decades of the 19th century, they [les Kalaallit] also created a Greenlandic written literature (now comprising 250-300 volumes of novels, poems, short stories, and plays), which has been an important part of the Greenlandic nation-building process and one of the decisive reasons why Greenlandic has survived and now is one of the very few minor languages of the world that is not endangered.

Bien qu’il soit peu pertinent d’entreprendre une comparaison stricte des situations linguistiques du Nunavut et du Groenland, force est de constater que leurs histoires d’alphabétisation et de développement de la tradition écrite se rapprochent de plusieurs façons. L’objectif sera donc d’interroger à nouveau le statut précaire de l’écriture inuit au Nunavut, en le comparant aux conditions qui ont permis au contraire l’épanouissement d’une littérature groenlandaise. 193

7.1 Débuts de l’écriture

7.1.1 Alphabétisation et prosélytisme Comme pour les autres régions inuit, l’écriture s’est introduite au Groenland par le biais des missionnaires, mais c’est sur cette île que le processus d’alphabétisation débute le plus tôt. Le missionnaire protestant dano-norvégien Hans Egede établit la première petite colonie en 1721, près de l’actuel Nuuk (sur la côte ouest du Groenland). C’est presque deux siècles plus tôt que la première mission en terre de Baffin (1894). Les frères moraves seront eux aussi présents sur la côte ouest du Groenland de 1733 jusqu’aux années 1900 (Sebro 2009 : 84).

Egede et les missionnaires qui le suivront, comme le feront plus tard leurs homologues dans l’Arctique de l’Est, entreprennent d’abord d’apprendre la langue des Kalaallit (Nutall 2005 : 792), avant de débuter le processus de conversion proprement dit. À la différence de l’Arctique de l’Est, le choix d’écriture pour écrire le dialecte occidental du Groenland se portera sur l’alphabet latin. La traduction des écrits chrétiens occupe très rapidement Egede, les autres catéchistes et ses interlocuteurs kalaallit. Un premier dictionnaire kalaallit- danois-latin voit même le jour en 1750, écrit par le fils de Hans Egede, Poul (Jacobsen 2003 : 155). Les missionnaires ouvrent les premières écoles dès les années 1740 (Gad 1973 : 245). Elles inaugurent l’utilisation de la langue groenlandaise et du dialecte central de la côte ouest dans l’enseignement. Les élèves y apprennent avant tout la religion chrétienne et à lire et écrire leur langue.

Les activités commerciales deviennent dès 1726 le monopole de la KGH (la compagnie de commerce royale groenlandaise créée par le royaume danois). Celle-ci ouvre d’autres « colonies » (centres administratifs), et plusieurs postes de traite : il se crée ainsi sur la côte ouest du Groenland un réseau commercial (Nutall 2005 : 792). Par ailleurs, les unions entre colons européens et femmes groenlandaises constituent une population métisse qui reste souvent dans les colonies (Gad 1984 : 563). La politique coloniale danoise se caractérise par le maintien du monopole de la KGH et l’isolement de l’île où n’ont droit d’accoster que les navires danois. Les autorités de la KGH formulent également certaines règles ou « Instructions » en 1782 qui doivent constituer un code moral pour leurs employés et 194

« protéger » les Kalaallit (Gad 1984 : 565, Nutall 2005 : 793), en visant par exemple à ce que les Inuit gardent la chasse comme mode principal de subsistance. La politique coloniale tend aussi à définir une identité inuit basée sur les activités traditionnelles. L’éducation, en accord avec cette politique, conserve la langue groenlandaise comme langue d’enseignement.

Frandsen (1999) a étudié le processus d’alphabétisation de 1791 à 1850 dans une région de la côte ouest du Groenland. Chaque missionnaire avait la responsabilité d’une aire définie, créée en fonction de l’organisation administrative de la colonie. Il pouvait également compter sur l’aide de catéchistes pour couvrir le territoire qui lui était attribué (Frandsen 1999 : 72). Les premiers catéchistes étaient eux aussi danois avant que ne soient employés des Groenlandais (souvent issus de mariages mixtes). Les catéchistes eux-mêmes s’appuyaient sur des « lecteurs » qui se trouvaient dans les plus petits camps. Selon l’auteur, l’alphabétisation était généralisée dès 1800 et le processus quasi achevé au milieu du 19ème siècle. Beaucoup d’ouvrages religieux ont été envoyés au Groenland et chaque famille en possédait plusieurs.

À la différence de l’enseignement de proche en proche, relativement informel de l’Arctique de l’Est, où les Inuit se sont appropriés l’écriture (et la nouvelle religion) même quand les contacts avec des missionnaires étaient rares, la propagation de l’écriture au Groenland s’est organisée sur le modèle administratif de la colonie. Néanmoins, la syllabisation en terre de Baffin a été encore plus rapide qu’au Groenland, puisque Dorais (1996 :185) estime que dès 1925 la plupart des Inuit de l’Arctique de l’Est pouvaient lire et écrire le syllabique, seulement cinquante ans après la fondation de la première mission au Nunavik et trente ans après le début de la mission d’Uummanarjuaq en terre de Baffin.

7.1.2 Politique coloniale et statut de la langue inuit : naissance de la tradition écrite Sur le territoire qui correspond aujourd’hui au Nunavut, les missionnaires anglicans de la Church Missionary Society puis les catholiques de l’ordre des Oblats de Marie-Immaculée participaient à une entreprise coloniale, sans que celle-ci ait été orchestrée politiquement. Ils ont pris en charge de nombreux aspects liés aux processus de sédentarisation et de la 195 traite des fourrures (éducation, santé, protection contre l’exploitation des commerçants/administrateurs de la Compagnie de la baie d’Hudson), guidés par une idéologie paternaliste (Remie et Oosten 1999 : 17-18). Il faut en effet remarquer que les agents du gouvernement étaient absents du processus de colonisation (Jenness 1964 : 16) à l’exception des policiers de la Royal Canadian Mounted Police qui commencent un peu à s’aventurer sur le territoire inuit en 1904. Il s’agit d’une entreprise de colonialisme interne commercial et religieux, plutôt que politique (Dorais 1991 : 19, Brody 1975).

L’entreprise de colonisation au Groenland, clairement définie par une idéologie protectionniste émanant des autorités coloniales, aboutit pratiquement à l’isolement de l’île. Elle s’appuie sur un discours traditionnaliste à propos de l’ethnicité kalaallit et met en avant l’idéal d’un pays linguistiquement homogène : ce faisant, l’administration coloniale jette les fondations du débat sur la définition d’une nation groenlandaise (Langgård 2009 : 94). Le développement du système scolaire et la création d’une tribune d’expression rendront possible la naissance d’une tradition écrite et l’expression de ce débat en langue inuit.

L’apprentissage de la lecture et de l’écriture est inséparable d’un contact avec la prose et la poésie chrétiennes, c’est-à-dire la Bible et certains hymnes (Berthelsen 1990 : 344). Dès le début du 19ème siècle, les écrits en groenlandais s’enrichissent grâce à la traduction de contes danois sous la forme de manuscrits qui circulent dans les maisonnées (Berthelsen 1990 : 354). La traduction de littérature n’est plus limitée au domaine religieux (et les traductions d’œuvres étrangères en langue groenlandaise se perpétueront jusqu’à aujourd’hui).

Enfin, la production de textes en groenlandais est favorisée par deux éléments majeurs. À partir de 1845, deux institutions de formation de catéchistes/enseignants voient le jour, qui continuent à utiliser le groenlandais comme langue d’enseignement (l’institution de formation d’enseignants installée à Nuuk, Illiniarfissuaq31, existe toujours). Elles formeront une nouvelle génération de Kalaallit qui participera à la création littéraire groenlandaise, notamment par la composition de cantiques. Cette formation d’enseignants en langue inuit, sur le territoire inuit même est un développement majeur qui n’aura pas vraiment son

31 Voir leur site Internet www.illinniarfissuaq.gl, dernière consultation août 2009. 196 pendant dans l’Arctique de l’Est32. Samuel Kleinschmidt, un missionnaire morave né au Groenland, entreprendra la création d’une nouvelle orthographe plus rationnelle pour écrire le groenlandais (dialecte central de la côte ouest). En 1850, une maison d’impression est créée à Godthåb33/Nuuk. Dès ce moment commence le processus de transcription de la tradition orale par les Groenlandais (Langgård 2005).

Ces différents événements permettront la création d’un journal nommé Atuagagdliutit34 en 1861. Ce journal devient un repère pour l’identité groenlandaise. En effet, il s’agit d’une tribune pour l’élite que représentent ces nouveaux auteurs groenlandais (Rasmus Berthelsen, Heinrich Rink, Lars Møller), tout en étant lu par le plus grand nombre (Langgård 1998), un public qui se constitue grâce au succès du processus d’alphabétisation. Ces auteurs construisent un discours ethno-national, c’est-à-dire un discours qui associe l’identité inuit groenlandaise aux activités de chasse et au christianisme, ainsi qu’à un territoire défini. Cette construction identitaire précèderait même les premiers numéros du journal :

It seemed that Greenlandic ethno-national discourse was not created through the circulation of Atuagagdliutit. Contrary to my expectations, I found that from the first issue of the newspaper, the articles reveal a discourse which combined the concepts of ethnicity and geographical territory, i.e., a vague but basic understanding of nationality. (Langgård 1998 : 87)

Néanmoins la base géographique de cette unité nationale reste en 1860 la côte ouest du Groenland. Les habitants de cette région parlent quatre sous-dialectes différents qui sont inclus dans cette construction identitaire, bien que le parler de Nuuk devienne le dialecte standard par rapport auquel les différences sont relevées (Langgård 1998 : 90).

Au milieu du 19ème siècle, le processus de sédentarisation s’achève sur la côte ouest du Groenland. Pourtant, à l’échelle du territoire groenlandais, d’autres poches de population n’étaient pas touchées par la colonisation (et donc ni par la dynamique de conversion ni par

32 Aux Territoires du Nord-Ouest par exemple le programme de formation d’enseignants n’est offert qu’à partir du début des années 1970, et les langues d’enseignement sont l’anglais et l’inuktitut. 33 Nom danois précédemment utilisé pour la ville de Nuuk, et signifiant « Bonne Espérance ». 34 « Reading material that is offered », d’après Berthelsen (1990a : 345). Ce journal paraît toujours aujourd’hui, dans une version bilingue kalaallisut/danois. 197 celle d’alphabétisation). Au début du 20ème siècle, les Groenlandais de la côte ouest rentrent en contact avec les Groenlandais du Nord (région de Thule) et Knud Rasmussen y fonde un comptoir de traite en 1910. L’intégration du Nord du Groenland à la dynamique de sédentarisation amorcée sur la côte ouest ne sera tout à fait réalisée que dans les années 1930. En ce qui concerne l’Est du Groenland, après les premiers contacts avec les missionnaires à la fin du 19ème siècle, la première petite école y est fondée en 1904. Depuis 1851, l’orthographe de Kleinschmidt était devenue l’orthographe standard, et le dialecte central de l’ouest du Groenland, la langue standard (Langgård 2001 : 237). Les dialectes de Thule et de l’Est du Groenland entreront donc dans une relation hiérarchique avec le dialecte dominant de l’Ouest. Le terme kalaallisut désigne la langue standard (le dialecte standard de la côte ouest) pour tous les Groenlandais (les Kalaallit, un mot dont l’étymologie renvoie au contact avec les Vikings, Dorais 1996 : 8), bien que le Groenland abrite trois ethnies : les Kitaamiut (habitants de la côte ouest), les Inughuit (habitants de la région de Thule) et les Tunumiut (habitants de la côte est).

L’évolution d’un débat identitaire au Groenland consolidera le statut de la langue et de la littérature kalaallit comme symboles et outils de contestation face à la colonisation danoise.

7.2 La langue et la littérature groenlandaises au coeur du débat

7.2.1 Questions sociales Le début du 20ème siècle verra donc l’inclusion des populations du Nord et de l’Est du Groenland dans l’idéal ethno-national et le début d’une certaine assimilation de ces populations (Langgård 1998 : 96-97). Le nombre d’emplois disponibles pour les Groenlandais augmentera avec le développement de la pêche commerciale dans les années 1920. Ce nouveau mode de production accélère la concentration de la population kalaallit dans des petites villes tournées vers les activités de pêche. Ces activités seront la toile de fond d’une certaine modernisation du pays, jusqu’aux années 1940, avec l’introduction par exemple du bateau à moteur et à vapeur et de la radio.

Le débat identitaire s’organisera autour du couple traditionalisme/modernisation (Thomsen 1996), mais aussi sur les liens coloniaux qui joignent le Groenland au Danemark. Dès 1860, 198 en effet, les Groenlandais participent aux processus de décision politique. Ils sont inclus dans des conseils locaux, chargés de régler des questions d’aide sociale et de justice. À partir des années 1910, des gouvernements municipaux et provinciaux dont les membres sont élus s’occupent d’affaires locales, avec il est vrai des moyens limités (Gad 1984, Petersen 1995).

Ce débat s’exprime sous forme écrite et une poésie et des romans tournés vers les questions sociales voient le jour. Les deux premiers romans en groenlandais sont publiés par Mathias Storch et Augo Lynge en 1914 et 1931. Ces écrits sont fortement inspirés par Atuagagdliutit, par le débat d’idées que ce journal représente, mais aussi par les œuvres de littérature étrangère qui y figurent en traduction (Langgård 2005).

Le système éducatif subira lui aussi des transformations importantes. Les missions sont écartées de la gestion des écoles. En 1925, la langue danoise y fait son apparition comme sujet d’étude, mais l’enseignement du danois reste très marginal (Dorais 1996 : 242). L’école est rendue obligatoire de 7 à 14 ans pour toute la population, et les possibilités de poursuivre des études à un niveau secondaire (au Groenland), et à un niveau supérieur (au Danemark), s’accroissent.

La question de l’identité groenlandaise continue donc à être débattue en fonction d’une nouvelle donne territoriale et économique. Selon Langgård (2001 : 237), la langue groenlandaise (dialecte de l’ouest) est déjà revendiquée dans les années 1920 comme un élément de l’idéologie nationaliste. Elle reste la langue utilisée dans le milieu scolaire.

Dans l’Arctique de l’Est canadien, les missionnaires anglicans et catholiques, souvent rivaux, continuent d’ouvrir des écoles sur le territoire inuit pendant la première moitié du XXème siècle (Patrick 1994 : 189). La langue inuit reste la langue d’enseignement; mais à côté de l’instruction religieuse et des mathématiques, l’anglais peut aussi être une matière scolaire, comme l’indique Vallée (1962 : 150) pour la communauté de Baker Lake.

7.2.2 « Modernisation » et assimilation Avant la seconde guerre mondiale, les Inuit canadiens se rassemblent de façon temporaire autour des comptoirs de traite et des missions (Duhaime 1983). Néanmoins, une politique 199 d’anti-sédentarisation prévalait, dictée par les impératifs économiques de la Compagnie de la baie d’Hudson qui dépend du commerce de la fourrure, et soutenue par une idéologie « préservationniste » (Damas 2002). Cette idéologie fait évidemment écho à des éléments de la politique coloniale danoise bien que dans le cas du Canada le gouvernement tente autant que possible de ne pas s’impliquer dans la gestion des affaires du Nord. Après la seconde guerre mondiale débutera toutefois une nouvelle phase d’assimilation des populations inuit qui témoigne du désir du gouvernement canadien d’affirmer sa souveraineté sur l’Arctique dans le climat géopolitique d’après-guerre. Des administrateurs sont envoyés dans le Nord et en 1948 les Inuit bénéficient des allocations familiales. Bien que le processus de sédentarisation soit déjà largement en place, il est désormais encouragé par la politique fédérale qui n’accorde aucun pouvoir décisionnel aux Inuit rassemblés dans les villages (Dorais 1996 : 20). L’installation des écoles fédérales dans les villages inuit jusqu’en 1965, avec un programme pédagogique en anglais calqué sur celui du Sud, sera un élément fondamental de la politique d’assimilation (Dorais 1996 : 246). Les bureaucrates fédéraux pensent en effet que le choix de la langue anglaise améliorera les conditions socio- économiques des Inuit, leur permettant d’accéder à des emplois dans une hypothétique économie industrielle, une fois la disparition (annoncée) des activités sur le territoire (Patrick et Shearwood 1999 : 252).

Dans le cas du Groenland, la seconde guerre mondiale signifie également, bien que les résultats en soient très différents, un virage dans l’histoire coloniale. Le Danemark est occupé par l’Allemagne, ce qui coupe les liens avec le Groenland (Gad 1984 :40). Les Américains sont présents sur le territoire groenlandais pendant la guerre et le Groenland commence ainsi à entretenir des relations avec d’autres États que la puissance coloniale (Petersen 1995). Quand survient la fin de la guerre, les Groenlandais ne sont plus prêts à accepter dans les mêmes termes la tutelle du Danemark. L’identité groenlandaise se construit désormais en partie sur une coupure entre les habitants de l’île et ceux du Danemark (Thomsen 1996), et on assiste à un nouveau développement dans la définition du nationalisme groenlandais. Ce désir de changement aboutira à un nouveau statut pour l’île, qui devient une province à part entière du royaume danois en 1953. Danois et Groenlandais ont désormais un statut égal. Il est également mis fin au monopole danois sur le commerce. Parallèlement, le Danemark met en place une nouvelle politique de modernisation de l’île 200 grâce au développement de l’industrie de la pêche (Nutall 2005 : 793). La population est fortement incitée à se concentrer dans les villes de la côte ouest (Nutall 1992, Breinholt Larsen 1992 : 217) et les villages sont de plus en plus considérés comme des bastions de la culture traditionnelle.

Ces transformations créeront paradoxalement un marché linguistique où le danois devient soudainement bien plus désirable que le groenlandais. Un grand nombre de travailleurs danois arrivent dans le pays pour occuper les nouveaux emplois qualifiés et sont mieux payés que les Kalaallit (Petersen 1995). La langue danoise prend beaucoup plus de place à l’école (séparée de l’Église en 1950). Selon Gynther (1980 : 9), cette évolution se fait à la demande des Groenlandais eux-mêmes, qui désirent avoir accès aux mêmes opportunités que les Danois. Selon Dorais (1996 : 243) le danois devient plus crucial car on le croit mieux adapté aux réalités modernes (vocabulaire technique par exemple). Le système scolaire en lui-même est transformé pour ressembler au système danois (Goldbach 2000 : 264) : un volume important de matériel pédagogique est importé du Danemark. La nouvelle place du danois à l’école et l’augmentation du nombre d’étudiants groenlandais en raison d’une forte croissance démographique rendent nécessaire la venue de plus d’enseignants du Danemark. Tous ces éléments changent le visage de l’école groenlandaise, qui commence à mettre de côté l’apprentissage du kalaallisut au profit du danois (Dorais 1996 : 243). L’école devient un outil d’assimilation à l’image de ce qui se passe dans l’Arctique de l’Est canadien à cette époque.

Ces changements sont accompagnés par le développement d’une poésie de protestation, qui fait suite à une poésie (dans les années 1930) dont les thèmes étaient plus divers. La nouvelle poésie prend pour sujet l’identité des Groenlandais dans la société modernisée de l’après-guerre. La société traditionnelle et la chasse sont toujours idéalisées et romancées, gardant leur statut de vrais modèles identitaires (Berthelsen 1988 : 135).

Alors que les Groenlandais sont prêts pour plus d’autonomie, le passage du statut de colonie à celui de province du royaume déclenche un processus d’assimilation. L’entreprise de modernisation de l’île est calquée sur le modèle danois et ceci crée un nouveau marché linguistique : le danois est favorisé à l’école, les travailleurs danois viennent participer au développement de la nouvelle province. 201

7.2.3 « Groenlandisation »: assise du statut du kalaallisut La fin des années 1960 et les années 1970 sont pour les peuples inuit une période importante de revendications sociales et politiques. Ces évolutions depuis le début des années 1970 ont été permises en partie, comme l’indiquent Morin et Saladin d’Anglure (1995), par une nouvelle attention internationale aux droits des minorités. Elles ont bénéficié également d’une ouverture des Inuit au monde circumpolaire et de la reconnaissance du pouvoir de lobbying qu’implique l’alliance des différents groupes inuit dans un organisme supranational, la Conférence inuit circumpolaire, fondée en 1977.

Dans l’Arctique de l’Est canadien, les journaux communautaires des années 1960 et associatifs dès les années 1970 permettent la circulation d’un débat au sein de la société inuit. La tradition littéraire prend son essor, mais rappelons qu’il s’agit d’une production surtout journalistique et plutôt bilingue (voir chapitre 4). Comme au Groenland, les écrivains/élites politiques du Nunavut comme Abraham Okpik, Mary Simons, John Amagoalik, Leah d’Argencourt ou Peter Irniq participent avec leurs articles au mouvement de revendication politique et social, bien que leur production soit surtout en langue anglaise (Petrone 1992 : 201-202). Les Inuit entament avec les revendications territoriales un long processus de négociation, et parfois de recherche d’autonomie au sein des structures politiques et administratives canadiennes (Duhaime 1992). Les revendications sont menées par le biais de nouvelles associations comme l’Inuit Tapirisat of Canada (aujourd’hui Inuit Tapiriit Kanatami) fondée en 1971. En 1976, ITC réclame au gouvernement du Canada l’auto-détermination politique et socio-économique des Inuit aux Territoires du Nord- Ouest. Le « projet Nunavut » aboutira à la création du nouveau territoire en 1999 (Légaré 2001).

Dans ce climat de revendications circumpolaire et internationales, la langue inuit est timidement réintégrée dans le système éducatif. Au Québec arctique, l’utilisation de l’inuktitut comme langue d’enseignement dans les premières années du primaire est une conséquence inattendue du transfert de l’éducation des écoles fédérales aux écoles provinciales en 1964 (Patrick et Shearwood 1999). Au début des années 1970 la nouvelle politique éducative fédérale légitime l’utilisation de la langue inuit à la maternelle et dans les toutes premières années de l’école primaire. Le gouvernement des Territoires du Nord- 202

Ouest prend la responsabilité du système éducatif et développe de façon concomitante ce système bilingue pour les populations autochtones à partir de 1971 : la langue inuit aura le statut de langue d’enseignement jusqu’à la troisième année (Ibid. : 258).

Au Groenland, on assiste à une nouvelle définition du nationalisme groenlandais (Thomsen 1996) avec un désir de changement défini comme « groenlandisation » de la société. Il s’agit notamment de remplacer les travailleurs qui viennent directement du Danemark par une population groenlandaise et d’envisager un développement social marqué par l’identité, la culture et la langue groenlandaises (Breinholt-Larsen 1992). On se trouve ainsi devant une résurgence de la définition ethnique de l’identité nationale. L’augmentation de la population danoise sur l’île ainsi que des mariages mixtes accroissent le nombre de locuteurs du danois, ce qui déstabilise la définition de l’identité ethno-nationale en fonction du critère linguistique (Langgård 2009 : 94).

Ce débat social et politique trouvera cette fois encore un écho dans la création littéraire, qui exprime une certaine hostilité envers les Danois (Langgård 2005 : 1185). Les années 1970 permettent une renaissance de la création, avec toujours l’importance des questions sociales mais également avec une nouvelle poésie qui n’a pas comme principal sujet la question politique. Cette poésie est l’œuvre d’une jeune génération d’auteurs qui ont poursuivi leurs études supérieures au Danemark (Berthelsen 1990). La langue choisie pour la littérature de protestation reste le groenlandais même si pour rejoindre l’interlocuteur danois des aménagements sont consentis : « The process [de revendication] was mirrored in Greenlandic literature too, most overtly in protest lyrics, some of which were composed in Danish, while most of the rest was translated into Danish in order to get the message through the Danes. » (Langgård 2009 : 94). L’accès du Groenland à une quasi-autonomie interne avec le Home Rule en 1979 représente le couronnement de ce débat politique et social autour d’un nationalisme groenlandais. La presque totalité des pouvoirs législatifs et de l’administration est désormais transférée du Danemark au Groenland et gérée par les Groenlandais. La nouvelle politique linguistique de l’île réaffirme le statut du kalaallisut comme première langue officielle bien que le danois puisse aussi être utilisé officiellement (Jacobsen 2003 : 154). 203

Dans le domaine de l’éducation les changements sont importants. Depuis 1967 une loi avait accru l’importance de l’enseignement du danois au détriment du kalaallisut à l’école, notamment pour les trois premières années. Avec le débat sur la groenlandisation de la société, cet état de fait est remis en cause et une consultation publique est menée. Le kalaallisut devra désormais être la langue principale de l’école et le danois une langue enseignée comme langue étrangère (Dorais 1996 : 253, Goldbach 2000 : 266). Néanmoins, il existe toujours le choix entre un cheminement dans le système scolaire en groenlandais et un cheminement en danois, celui-ci étant vu comme supérieur à plusieurs égards (Jacobsen 2003 : 157). Une réforme de l’orthographe en 1973 est un signe de cette nouvelle attention à la pratique scolaire de la langue autochtone. L’orthographe contemporaine s’aligne sur l’évolution de la prononciation (Dorais 1996 : 182).

En ce qui concerne l’enseignement supérieur, l’année 1984 sera importante pour l’éducation inuit, l’institut Ilisimatusarfik obtient le statut d’université au Groenland et le Nunavut Arctic College est inauguré. À ce niveau également on voit une différence importante puisque la principale langue d’enseignement de l’université groenlandaise est le kalaallisut alors que celle de l’Arctic College est au départ surtout l’anglais.

7.3 La période contemporaine : comparaison du rôle de l’écriture en langue inuit Entre la seconde guerre mondiale et l’avènement du Home Rule s’étend une période où régnait l’inquiétude quant à l’avenir de la langue groenlandaise. Il est très probable que la capacité des Groenlandais à lire et écrire leur langue ait été moins bonne durant ce chapitre de leur histoire, s’alignant sur l’affaiblissement des compétences à l’oral. Aujourd’hui, il est sous-entendu que tous les locuteurs du groenlandais peuvent le lire et l’écrire, et beaucoup ont suivi des cours en langue groenlandaise jusqu’à un niveau scolaire élevé (Langgård 2001 : 241). De plus, la littérature groenlandaise semble bien se porter. Langgård (2005 : 1184) estime le nombre d’écrits en ces mots : « some 250 to 300 volumes of original Greenlandic lyrics and prose, in addition to oral narratives that have been written down and in addition to foreign literature translated into Greenlandic ». Les catalogues des maisons d’éditions groenlandaises s’enrichissent de nouveaux écrits tous les 204 ans. Des livres continuent également à être traduits en groenlandais, comme la saga d’Harry Potter publiée par la maison d’édition nationale Atuakkiorfik.

Même si ce portrait rapide est encourageant en ce qui concerne la place contemporaine de l’écriture dans les sociétés inuit, la situation linguistique au Groenland et l’écriture de la langue autochtone comportent comme au Nunavut leur lot de défis et paradoxes.

7.3.1 La communauté de lecteurs potentiels En 2009, selon l’institut de la statistique groenlandais, la population atteignait 56 194 personnes, avec 6622 habitants nés hors de l’île (Statistics Greenland 2009). Selon Dorais (1996 : 66), 98% de la population née au pays a le groenlandais comme langue maternelle (soit environ 48 500 personnes; presque tous ces locuteurs sont capables d’écrire et de lire leur langue). On voit donc qu’il existe une certaine « masse critique » de locuteurs qui soutient la lecture et l’écriture de la langue standard (le dialecte central de la côte ouest). À des fins comparatives, rappelons qu’au Nunavut, 84 % de la population autochtone (ou 70% des habitants du territoire) a la langue inuit comme langue maternelle (Nunavut Bureau of Statistics 2008c). Sur une population de 29 325 personnes environ 20 200 ont un dialecte de l’inuktitut comme langue maternelle (environ 300 ont l’inuinnaqtun comme première langue, donc utilisent l’alphabet latin). Par ailleurs, en 2002, 71% des locuteurs de l’inuktitut affirmaient pouvoir écrire et lire « très bien » ou « relativement bien » le syllabique (Nunavut Bureau of Statistics 2002), chiffre qui tait très souvent, on l’a vu, une préférence à utiliser l’écriture en anglais. Donc le nombre de personnes qui peuvent lire et écrire le syllabique au Nunavut serait d’un peu moins de 15 000 personnes (dont une proportion très minoritaire de lecteurs quotidiens du syllabique). Le nombre de lecteurs du groenlandais de l’ouest serait ainsi plus de trois fois supérieur à celui de l’écriture syllabique au Nunavut. Comme il n’existe pas de langue standard dans le territoire, la communauté de lecteurs est, en plus, partagée selon les frontières dialectales.

De plus, les groenlandais ont moins l’opportunité de lire dans une autre langue que la langue inuit parce que le taux de bilinguisme est bien plus faible qu’au Nunavut : 90% des gens parlent l’anglais au Nunavut et 44% utilisent cette langue le plus souvent à la maison (Statistique Canada 2007). Au Groenland, il est difficile de trouver des statistiques sur le 205 degré de bilinguisme. En 1993/1997 une étude dans le domaine de la santé a été menée au Groenland (Bjerregard et al. 2002) et environ 1500 Inuit de partout sur l’île ont rapporté leur compétence linguistique : 42% d’entre eux parlaient le groenlandais et connaissaient peu ou pas du tout le danois, 25% parlaient le groenlandais et avaient une certaine connaissance du danois, 30% étaient bilingues et 2% parlaient le danois sans parler couramment le groenlandais. L’année de naissance 1960 marque un virage dans la compétence linguistique des personnes. Les personnes nées en 1960 forment un pic de locuteurs bilingues, alors qu’à partir de cette année de naissance et jusqu’aux personnes les plus jeunes de l’échantillon (âgées de 18 ans) le bilinguisme décroît radicalement au profit de l’unilinguisme en langue groenlandaise. Par ailleurs, les gens vivant dans des villages et ceux occupant un emploi peu qualifié sont plus susceptibles de ne parler que le groenlandais. Une autre étude sur la population scolaire en 1998 citée par Jacobsen (2003 : 157) rapporte que 80% des élèves ont le groenlandais comme première langue, 10% le danois et environ 10% sont bilingues. Cette situation remet en cause l’étiquetage de la société groenlandaise comme société bilingue dans la mesure où un grand nombre d’individus sont unilingues ou ne connaissent que faiblement la seconde langue. Par ailleurs, l’alternance de codes qui est une réalité au Canada n’existe pas ou peu au Groenland (Langgård 2001 : 245).

Même si l’offre de lecture en danois est beaucoup plus diversifiée que celle en groenlandais, d’après ces chiffres sur le bilinguisme, seulement 50% de la population peut facilement profiter de cette offre. Toutefois, des locuteurs qui parlent très peu le danois peuvent être capables de le lire et le comprendre.

7.3.2 L’apprentissage des langues et des écritures à l’école Si la vitalité de la langue groenlandaise est le témoignage des changements politiques depuis le Home Rule, l’unilinguisme de la société est source d’inquiétude, notamment en ce qui concerne le système éducatif et l’accès des élèves à l’éducation supérieure (qui demande une connaissance du danois, d’autant plus que dans certains domaines les études doivent être poursuivies au Danemark). 206

Le système scolaire au Groenland a changé plusieurs fois de visage. À partir de 1994 le choix d’un cheminement en groenlandais ou en danois sera aboli au profit d’une école « intégrée » où le groenlandais est véritablement la première langue d’enseignement. Ce système sera difficile à mettre en place (Jacobsen 2003 : 157), en raison du manque de professeurs groenlandais, de matériel pédagogique, parce qu’un faible pourcentage de la population scolaire ne parle que le danois et parce que l’enseignement supérieur demande une connaissance du danois. La qualité de l’éducation offerte, ainsi que le haut taux d’échec scolaire sont également restés des sujets d’inquiétude. Une nouvelle réforme du système scolaire a alors eu lieu en 2003, baptisée Atuarfitsialak (la bonne école). Il s’agit d’une école bilingue, où il existe des classes de première et seconde langue, à la fois pour le groenlandais et pour le danois, et où l’anglais est enseigné à partir de la sixième année (Jacobsen 2003 : 157). Cette réforme, qui est aussi pédagogique, a pour but de promouvoir l’identité groenlandaise et de renforcer la connaissance du danois pour avoir accès à l’éducation supérieure : « Proficiency in the Danish language is one of the goals set forth by the new School Act » (Wyatt sans date : 18). Ce n’est désormais plus la préservation du groenlandais qui est au cœur du débat mais au contraire la tendance au monolinguisme de la société et les limites que ceci impose à l’internationalisation du système scolaire (Langgård 2001 : 267-268).

Le système scolaire au Nunavut cherche lui aussi à s’acheminer vers un enseignement totalement bilingue avec la nouvelle loi sur l’éducation votée en septembre 2008 : « L’enseignement bilingue (…) vise à former des diplômés qui sont en mesure d’utiliser les deux langues avec compétence dans différents contextes, notamment en milieu scolaire. » (Loi sur l’éducation 2008 : 15). Comme pour la réforme scolaire au Groenland, la nouvelle loi sur l’éducation cherche à transformer les programmes et le matériel afin de changer la philosophie éducative et promouvoir la transmission de la culture inuit. Le développement du curriculum et du matériel pédagogique pour tous les niveaux en langue inuit est une question qui reste en suspens, car la création d’un curriculum pertinent dans les deux langues s’est révélée un problème majeur du système éducatif jusqu’à présent (Clark 2004 : 218, Berger, Ross Epp et Møller 2006). Pour l’instant, le changement de langue d’instruction à partir de la quatrième année pose le problème du bilinguisme soustractif à l’oral comme à l’écrit. Malgré les initiatives politiques pour transformer le système 207 d’éducation en système bilingue équilibré, des difficultés structurelles freinent la transformation profonde nécessaire.

Le manque d’enseignants inuit est un de ces problèmes. Trente-sept pour cent des 696 enseignants du Nunavut sont inuit (Nunavut Tunngavik 2007 : 30). Le programme de formation d’enseignants débute dans les territoires du Nord-Ouest au début des années 1970 et en 1979 le « Eastern Arctic Education Program » est inauguré à Iqaluit (Clark 2004 : 263). Le nombre de diplômés reste cependant modeste. Afin de limiter les abandons dus à l’éloignement des candidats de leur famille, la formation est aussi offerte dans certaines communautés depuis les années 1990, avec un système de rotation : à la fin d’un cycle de formation de cinq ans, le programme est hébergé par de nouvelles communautés. Il est offert en 2009 à Iqaluit et dans les communautés de Kugaaruk, et Rankin Inlet. Les candidats qui entrent dans le programme ont souvent des bases académiques insuffisantes, un obstacle difficile à surmonter (Ibid. : 282). Augmenter sensiblement la proportion d’enseignants inuit demande alors un effort constant :

Bien que ce programme ne cesse de connaître du succès, le NTEP est petit et n’a formé que 224 enseignants au cours de ses 30 années d’existence. Ces enseignants ne travaillent pas tous dans les écoles et un bon nombre ont quitté l’enseignement pour travailler au gouvernement au moment de l’établissement du Nunavut. (…) Pour offrir des cours en langue inuite de la maternelle à la 12e année, le Nunavut aurait besoin de plus de 400 enseignants de langue inuite, soit deux fois autant que le NTEP en a formé au cours des 30 dernières années. Toutefois, ce chiffre ne tient pas compte des nouveaux enseignants requis par la croissance de la population ou par la diminution des enseignants inuits due à ceux qui se retirent de l’enseignement. (Nunavut Tunngavik 2007 : 30)

Pendant la période dite de modernisation du Groenland, après la seconde guerre mondiale, l’afflux d’enseignants danois a amoindri la force de la langue inuit. Comment cette tendance a-t-elle évoluée? À la fin des années 1960, seulement 13% des professeurs au Groenland sont inuit (Gynther 1969 : 9). Aujourd’hui, dans l’enseignement primaire et secondaire (selon Goldbach 2000 : 67), 55% des enseignants sont bilingues, 21% ne parlent que le danois et environ 24% des postes sont occupés par des enseignants temporaires peu qualifiés. Ceci pose problème en ce qui concerne la qualité de l’éducation. D’après les chiffres de l’institut de la statistique du Groenland, le nombre d’enseignants à l’école 208 primaire venant du Danemark n’était que d’environ 15% en 2007/2008 (Statistics Greenland 2009).

Le taux d’échec scolaire représente un second problème majeur à surmonter. Au Nunavut, seulement 25% des jeunes se rendent jusqu’à la douxième année de scolarité et la réussissent (Légaré 2009 : 43). Au Groenland, l’accroissement brusque de l’utilisation de la langue danoise après les années d’écoles obligatoires semble être une des raisons de l’échec scolaire : seulement 1% des habitants qui ne parlent que le groenlandais ont poursuivi avec succès des études au-delà des années obligatoires d’instruction en 1994 (Wyatt N/A : 18). Parmi les candidats à des emplois qualifiés au Groenland, les unilingues seront alors bien minoritaires.

En ce qui concerne l’apprentissage de l’écriture au Nunavut et au Groenland, on peut aussi signaler qu’un jeune qui abandonne l’école au Nunavut aura suivi plusieurs années d’instruction en anglais et connaîtra l’écriture et la lecture dans cette langue (ce qui aura en plus fragilisé sa connaissance du syllabique, voir chapitre 3), alors que la réciproque n’est pas vraie en ce qui concerne la connaissance du danois des jeunes qui abandonnent l’école au Groenland.

7.3.3 Marché linguistique et attitudes linguistiques D’une part, la société groenlandaise comprend un nombre majoritaire d’unilingues en kalaallisut, d’autre part, le taux de chômage y est un peu moindre qu’au Nunavut. Le marché du travail y offre donc des opportunités d’emplois salariés aux personnes qui ne parlent que la langue inuit, plus qu’au Nunavut. Le développement économique au Groenland se base surtout pour l’instant sur la pêche commerciale bien que l’exploitation du pétrole puisse permettre dans le futur une diversification de l’économie (Nielsen 2001).

Le développement de la pêche commerciale à partir des années 1920 et l’industrialisation de l’île à la fin de la seconde guerre mondiale ont été des éléments décisifs du processus d’urbanisation (fortement encouragé par l’État) qui s’est accéléré dans les années 1970. Un peu plus de 15 000 habitants vivaient dans la ville de Nuuk en 2009 (Statistics Greenland 2009) (Iqaluit compte 6200 habitants). La migration vers les centres urbains est forte et on 209 assiste à un début de stratification sociale, ce qui commence aussi à être le cas dans la capitale du Nunavut. La majorité de la population est centralisée sur la côte sud-ouest, où l’activité salariée domine, alors que dans la région de Thule et sur la côte est, les activités de chasse (et surtout la chasse au phoque) sont toujours importantes (Marquardt 2002 : 50). Ces activités deviennent cependant de plus en plus marginales en comparaison avec les autres secteurs d’activités et, selon Nutall (1992 : 181), le développement économique a pour conséquence « a slow cultural genocide to the remaining hunting settlements ». Le poids démographique des centres urbains s’accompagne d’une idéologie qui dépeint les villages comme des lieux d’activités traditionnelles et archaïques alors que les villes seraient modernes et sophistiquées (Nutall 2001). Cette idéologie s’exprime également (et Dorais [1996] la définit dans un contexte d’impérialisme culturel), dans les représentations que les habitants de la côte ouest formulent au sujet des régions nord et est de l’île, et à une autre échelle dans la vision kalaallit des Inuit canadiens.

En accord avec cette organisation économique et géographique de la richesse, le marché linguistique favorise un des dialectes groenlandais de l’ouest. Dorais (1996) parle de diglossie entre le dialecte standard de la côté ouest et les dialectes de l’est ou du nord de l’île, le premier étant la langue utilisée à l’école et dans les médias. Au Nunavut on peut recenser sept dialectes, répartis en deux groupes dialectaux (Dorais 1990). La question de la standardisation dialectale est cependant beaucoup plus complexe (voir chapitre suivant).

En ce qui concerne le bilinguisme, Langgård (2001 : 254) discute de la possibilité de conceptualiser la situation linguistique au Groenland comme deux marchés linguistiques : un marché monolingue en périphérie et un marché bilingue au centre. Dans ce marché bilingue, il existe une stratification économique en fonction de la langue : les locuteurs unilingues du Groenland se trouvent dans une situation économique inférieure alors que les bilingues et les locuteurs du danois occupent la plupart des postes bien rémunérés (Gad 2009). Néanmoins, depuis le Home Rule, la langue du pouvoir politique est sans nul doute le groenlandais. Ainsi, les bilingues sont ceux qui peuvent tirer leur épingle du jeu, les postes à haute responsabilité demandant de connaître le groenlandais mais en même temps de pouvoir s’informer en danois par exemple (Langgård 2001 : 255). 210

Au Nunavut, même dans les emplois qui demandent peu de qualifications, une connaissance de la langue anglaise est nécessaire (voir chapitre 6). Voici une différence nette avec le Groenland. Le plus gros employeur du territoire est le gouvernement du Nunavut, où les habitudes de travail tendent à favoriser l’écrit en langue anglaise (voir chapitre 6). De plus, seulement la moitié des employés du gouvernement sont Inuit, et le plus souvent occupent des postes de soutien administratif ou bien les quelques postes les plus prestigieux (Timpson 2008, 2009). Les postes intermédiaires sont donc occupés par des Qallunaat, qui restent en moyenne deux ans dans le territoire (Légaré 2009 : 37), et dont la connaissance de la langue inuit est extrêmement faible, voire inexistante. Au Groenland, le secteur public fait aussi face à un paradoxe en ce qui concerne l’ethnicité de son personnel : « When the home rule government took over in 1979, it inherited the Danish administrative system. (…) Indeed, even to this day the key elite of this administrative apparatus is made up primarily of Danish professionals. » (Nielsen 2001 : 232).

Dans ces conditions, on peut voir que l’écriture et la lecture en langue danoise continuent d’être nécessaire dans un secteur économique clé, le secteur public. Les locuteurs bilingues sont donc particulièrement privilégiés dans le marché linguistique actuel, exactement comme au Nunavut (voir chapitre 6). Sans surprise, l’apprentissage du danois est considéré de façon pragmatique par les étudiants qui poursuivent des études supérieurs (Langgård 2001 : 261) et qui désirent bénéficier des opportunités que cela représente. Dans le contexte étudié au Nunavut, les attitudes linguistique sont renversées puisque c’est la connaissance de la langue inuit (et de l’écriture et la lecture) qui sont vues de façon pragmatique dans la même situation. L’anglais est la langue maîtrisée par la plupart des demandeurs d’emplois et les compétences en langue inuit à l’oral et à l’écrit représentent une qualification supplémentaire, qui ouvre les portes pour des emplois bien rémunérés dans le secteur public.

Le danois est la langue de l’éducation supérieure, et dans une certaine mesure du développement et de l’administration, il peut donc représenter pour les Kalaallit une certaine sophistication (Nutall 1992 : 163). Néanmoins les attitudes linguistiques envers le groenlandais sont très positives et confortent son statut dans tous les autres domaines. En 211 effet, la langue groenlandaise est un marqueur incontournable d’identité (Jacobsen 2003 : 158) qui exclut les locuteurs du danois de l’identité nationale groenlandaise (Gad 2009). Langgård (2001 : 260) donne une illustration de cette question identitaire :

In the interviews, the Danish-speaking students who are of mixed descent stress their feeling of not being competent in Greenlandic. Their heuristic requirements are covered, but they seem to be very aware of facing problems at the ethno-national level and of not having access to a full integration in the community, now and in the future.

Au Nunavut, la langue est sans aucun doute un symbole de l’identité et de la fierté Inuit (Dorais et Sammons 2002, Dorais 2006 : 56). Pourtant, la langue n’est pas un critère exclusif de construction de l’identité inuit, surtout chez les jeunes (Dorais 2006 : 52, Tulloch 2004 : 303).

En ce qui concerne la construction d’une identité nationale au Groenland, Dahl (2000 : 9) affirme : « no factor is considered to epitomize the “real Greenlandic” more than the ability to read and write Greenlandic ». L’écriture de la langue inuit a acquis à travers l’histoire du Groenland une valeur de marqueur dans la construction du stéréotype d’une identité commune. Au contraire, la capacité à lire et écrire la langue inuit au Nunavut a tendance, surtout pour ceux qui écrivent peu, à être exclue de la définition de l’identité générique inuit. Pour ceux qui écrivent régulièrement, cela fait partie de leur vie familiale et de leur histoire personnelle, c’est-à-dire d’une échelle locale de représentation.

Par ailleurs, l’écriture en langue kalaallit a participé à la création d’une identité nationale et la littérature a pris pour sujet les différentes étapes du développement économique et les revendications politiques. Dorais (1996b) explique que la plupart des Groenlandais perçoivent une séparation notable entre la période d’avant la colonisation et la période contemporaine, celle-ci étant perçue comme moderne ou même civilisée. Au contraire au Canada : « the pre-Christian and pre-Qallunaat period is too near in time to be considered as a kind of obsolete cultural dimension » (Ibid. : 31). Laugrand (2002b) et Csonka (2005) décrivent également cette séparation en termes de conception de l’histoire et de création de l’histoire collective (voir chapitre 2). L’écriture au Groenland représente donc un signe tangible de la séparation entre une époque moderne et le reste de l’histoire groenlandaise. 212

Au Canada l’écriture n’est pas investie de cette même valeur intrinsèque et ne renvoie pas à la même idéologie linguistique.

Ces attitudes envers l’écriture dessinent des différences clés qui résident dans les dynamiques de construction identitaire des Inuit de ces deux régions, ce que l’on tentera d’illustrer au chapitre suivant.

7.3.4 Auto-détermination, politique linguistique et soutien à la publication Les politiques linguistiques mises en œuvre par le Groenland et le Nunavut entretiennent un lien étroit avec le thème de la gouvernance. Avec l’avènement du Home Rule, la langue groenlandaise est devenue la langue du pouvoir politique, et la première langue du pays même si elle partageait son statut officiel avec le danois. Le danois gardait donc un rôle majeur dans la politique linguistique de l’île (Jacobsen 2003 : 158). Cette position a été modifiée par l’avènement d’un « gouvernement autonome » le 21 juin 2009, qui a fait du groenlandais la seule langue officielle. Le nouveau gouvernement étend son autorité à des domaines qui étaient jusqu’à présent sous autorité du Danemark, tout en gardant une association privilégiée avec ce pays. Dans les termes de ce nouvel accord, les Groenlandais sont définis comme un peuple, ce qui consolide leur droit à l’auto-détermination (Graugaard 2009 : 45).

Bien que ces changements politiques ne soient en aucun cas anodins, le gouvernement du Home Rule avait déjà mis en place un nombre important d’organismes qui soutiennent et accompagnent la pratique de la langue autochtone. Les acteurs de la politique linguistique de l’île sont donc au travail depuis plus de vingt ans. Par exemple il existe un institut de la langue groenlandaise (Oqaasileriffik, www.oqaasileriffik.gl) qui mène des recherches sur la langue, développe des bases de données, publie des ouvrages linguistiques… Il s’agit d’un organisme de référence pour les locuteurs. Un des conseils au sein de l’institut, le conseil de la langue groenlandaise, formé de cinq spécialistes, est en quelque sorte une académie de la langue qui a un rôle consultatif important pour standardiser l’usage des nouveaux mots, établir des règles d’orthographe, etc. 213

Cette attention à la standardisation de la langue écrite s’accompagne d’un soutien important à la publication de nouveaux ouvrages. La naissance de la première maison de publication à Nuuk date de 1850. Atuakkiorfik (www.atuakkiorfik.gl), la maison de publication nationale est créée en 1959 pour produire plus d’écrits en groenlandais. Aujourd’hui, elle publie environ une centaine de titres par an. Le gouvernement du Home Rule soutenait cette maison d’édition jusqu’à récemment (Langgård 2009 : 72). Les manuscrits peuvent être soumis dans n’importe quel dialecte mais les éditeurs traduisent les écrits dans le dialecte standard avant publication (Office of the Languages Commissioner of Nunavut 2001 : 15). Deux autres maisons d’édition sont présentes sur l’île, Atuagkat (www.atuagkat.gl), qui produit une dizaine de livres par an et Milik Publishing qui a fait ses débuts en 2003. En ce qui concerne la production de livres scolaires, un centre créé en 1990, Inerisaavik, s’occupe entre autres du développement de matériel pédagogique (Olsen 2006).

D’après l’institut de la statistique groenlandais (Statistics Greenland 2009 : 26) plus d’une centaine de livres sont publiés annuellement sur l’île. En 2007 par exemple, 120 titres ont été publiés, 15 livres de non fiction, 12 livres de fiction, 16 livres pour les enfants, 75 livres reliés à l’éducation et 2 autres types de livre. Sur le site d’Atuakkiorfik, on peut recenser environ 450 livres publiés depuis le milieu des années 1970, la plupart d’entre eux en groenlandais. La diversité des sujets et des domaines couverts par ces volumes est particulièrement intéressante, et ce pour chaque maison de publication : de la poésie, des livres sur l’histoire, l’art, des livres de cuisine, des livres académiques, de la littérature pour enfants, des traductions de classiques en groenlandais, etc.

Au Nunavut, la création du nouveau territoire a mis en avant-scène l’auto-détermination du peuple inuit. Cette souveraineté s’exprime en terme d’autonomie politique interne ou bien selon une approche communautaire (Loukacheva 2009 : 97). Néanmoins, on décèle un certain désenchantement après 10 ans d’efforts du nouveau gouvernement (Henderson 2009a), au sujet de l’amélioration des conditions économiques, comme pour la transformation des nouvelles institutions afin qu’elles reflètent la langue et la culture de la majorité inuit. Henderson (2009b : 128) a montré par exemple que ceux qui parlaient la langue inuit étaient moins susceptibles que les anglophones d’affirmer que l’action du territoire a eu un impact positif sur leur vie personnelle. 214

L’avènement du nouveau territoire a fait de la langue inuit une des langues officielles (avec l’anglais et le français) et les débats de l’Assemblée législative du Nunavut ont surtout lieu en langue inuit. Néanmoins, comme l’indiquent les discussions avec les locuteurs, l’avènement du Nunavut n’a pas radicalement encouragé la pratique de l’inuktitut. La loi sur la protection de la langue inuit cherche à pallier ce manque dans l’action gouvernementale (Loi sur la protection de la langue inuit 2008). Elle crée un office de la langue inuit, l’Inuit Uqausinginnik Taiguusiliuqtiit qui se rapproche beaucoup du conseil de la langue groenlandaise. Il est composé de cinq spécialistes, et il doit s’occuper « des normes d’usage et des normes d’exactitude de la langue inuit » (p.13). Il doit aussi s’assurer de la préservation des dialectes (p. 14). On peut supposer que c’est ce type d’organisation qui devra statuer sur le choix ou non d’un standard littéraire pour la langue inuit au Nunavut.

En ce qui concerne le soutien à la publication en langue inuit, il semble non existant pour l’instant (à part des soutiens à des projets particuliers comme la publication résultant du concours d’écriture annuel, ou bien le soutien à la publication à travers les structures éducatives telles que les commissions scolaires ou le Collège de l’Arctique du Nunavut). Nortext est la seule maison d’édition qui œuvre au Nunavut et il s’agit d’une entreprise privée.

7.3.5 Avenir de la tradition écrite Au Groenland 23% des résidents ont moins de 15 ans (Statistics Greenland 2009), alors que ce pourcentage est de 33% au Nunavut. On peut se demander à quel point les jeunes générations participent au dynamisme de la tradition écrite. Comme il a été vu précédemment, la littérature groenlandaise a eu un rôle dans les revendications sociales et politiques et la définition et mobilisation d’une identité ethno-nationale. Selon Langgård (2009 : 73), la production littéraire se trouve maintenant dans une situation paradoxale, l’écriture militante reste a priori valorisée, mais les lecteurs aspirent pratiquement à une certaine diversification des genres. La littérature cherche donc à abandonner un peu les questions sociales, et la musique populaire prend peut-être le relais dans ce domaine (Berthelsen 1990). En ce qui concerne les jeunes, Langgård cité dans Dorais (1996 :197) 215 relève un certain désintérêt envers la littérature groenlandaise, qui peut venir d’un manque de diversification et de pertinence des thèmes abordés.

Au contraire, le domaine de la chanson a tourné avec succès la page de ces débuts militants dans les années 1970. Les groupes groenlandais font partie de l’identité des jeunes kalaallit. La musique rock et le rap sont des ressources pour l’expression identitaire de cette génération. Elles permettent de participer à un courant culturel global tout en gardant des assises identitaires locales (Kjeldgaard et Askegaard 2006). Les paroles des chansons rejoignent peut-être mieux les préoccupations des jeunes que les écrits contemporains :

One of the informants from Aasiat (…) mentions how she likes the new Greenlandic rock bands because “they do not sing these serious songs about Greenlandic traditions,” the stories of colonial repression, and the fascination with nature, which have been the main themes of the parent culture’s Greenlandic rock music. (Kjeldgaard et Askegaard 2006 : 243).

Les groupes de rock groenlandais ont également du succès chez les jeunes du Nunavut qui les écoutent à la radio, sur Internet mais aussi grâce à l’échange de cassettes audio copiées. Les chansons groenlandaises de rap, hip hop et rock complètent un répertoire de musique locale en langue inuit qui est plus limité que pour la musique religieuse ou la musique folk. Ce courant musical circumpolaire s’ajoute à l’offre anglophone pour les mêmes styles musicaux en anglais.

En ce qui concerne les médias disponibles, l’offre de programmation radiophonique au Groenland est largement composée d’émissions en langue groenlandaise avec un faible pourcentage en langue danoise (Statistics Greenland 2009 : 26). La télévision (qui a commencé à émettre en 1982) est cependant un média majoritairement danois : sur 4385 heures d’émissions, seulement 265 (soit 6%) étaient en groenlandais (Statistics Greenland 2009). Enfin, depuis 1997, l’utilisation d’ordinateurs et d’Internet se développent. Selon Jacobsen (2009), un tiers des maisonnées ont accès à Internet et même les plus petits villages sont connectés, avec souvent un accès à l’école. La participation aux salons de clavardage représente par exemple une opportunité pour mettre en scène l’identité ethnique des jeunes devant un public global, en fonction de leurs compétences linguistiques (Jacobsen 2009, Lynge 2006, voir chapitre 5). 216

La culture des jeunes au Groenland est ainsi influencée (comme au Nunavut) par les dynamiques de globalisation médiatique (Ryggard 2003) bien que les langues d’importation dans lesquelles elle s’exprime, le danois et l’anglais respectivement, diffèrent d’une région à l’autre. La diversification de l’offre médiatique peut représenter un défi pour l’avenir de la tradition écrite (Langgård 2004 : 26).

7.4 Conclusion : façonner le bilinguisme Au Groenland, comme au Nunavut, on se retrouve donc devant deux trajectoires de façonnement du bilinguisme.

La deuxième guerre mondiale sert de marqueur dans cette chronologie et représente commodément une transition entre une période d’unilinguisme (dans la première partie du 20ème siècle la langue coloniale fait timidement son apparition dans les institutions) et l’accroissement de l’influence de la langue danoise ou anglaise. La différence nette entre les deux chronologies ci-dessus se manifeste dans la période qui précède le début du bilinguisme. Pour le Groenland ces presque deux cents ans ont jeté les fondations d’une tradition écrite alors qu’au Nunavut cette période très brève d’une cinquantaine d’années n’a pas enclenché le même processus (voir tableau 5).

Pour l’une comme pour l’autre région, la période contemporaine se caractérise par la recherche d’un bilinguisme équilibré. Néanmoins, la situation est en quelque sorte inversée. Dans le territoire canadien, le nœud du problème réside dans l’érosion de la langue inuit, alors qu’au Groenland, le monolinguisme en groenlandais d’une partie de la société fait craindre un isolement de la communauté insulaire.

Dans les domaines politiques et de l’éducation, plusieurs mesures ont été prises afin de modeler les comportements linguistiques. L’éducation missionnaire a débuté en langue inuit puis le système éducatif a privilégié la langue de colonisation après la seconde guerre mondiale à des fins d’assimilation ou de développement économique. En 1980, une réforme scolaire commençait à réclamer un meilleur statut pour la langue groenlandaise qui devient langue principale pour tous les élèves en 1994. Aujourd’hui la réforme scolaire se base en partie sur une nécessité de rééquilibrer le bilinguisme et d’encourager la 217 connaissance d’une seconde langue. Au Nunavut, les débuts de l’enseignement en inuktitut ne remontent qu’à trente ans, et l’utilisation forcée de l’anglais comme langue d’instruction a également déstabilisé le bilinguisme : une loi sur l’éducation tente elle aussi de redresser la situation. Ces changements dans l’éducation se sont accompagnés de bouleversements politiques. La politique de colonisation danoise a favorisé l’utilisation de la langue groenlandaise. Son statut sera renforcé après l’accès à plus d’indépendance avec le Home Rule et le gouvernement autonome. Au Nunavut, les politiques du nouveau territoire tentent de renverser les conséquences de la politique d’assimilation depuis la seconde guerre mondiale. Néanmoins, les succès dans le domaine linguistique sont modestes, et ne constituent pas l’équivalent d’une période de « groenlandisation ».

L’écriture et la lecture en groenlandais sont des activités quotidiennes pour une partie importante de la population, alors qu’au Nunavut seule la génération unilingue des aînés pratique régulièrement ces activités en langue inuit. La bonne vitalité de la langue groenlandaise est un élément nécessaire mais non suffisant pour expliquer ce fait. Deux autres causes s’y ajoutent. D’abord, à part la haute administration et l’éducation supérieure, le groenlandais domine les institutions et le milieu du travail. Ou bien, en d’autres mots, la pratique linguistique témoigne de l’appropriation locale des institutions et de la prise en charge du développement économique. Ensuite, la tradition écrite au Groenland a tissé des liens dès le début avec les dynamiques de construction identitaire dans un contexte colonial puis dans la recherche d’auto-détermination. Elle a bénéficié depuis longtemps de la création de maisons d’édition qui ont reçu le soutien du gouvernement du Home Rule.

Néanmoins, la vitalité de la tradition écrite s’est bâtie sur la négation des dialectes et la définition d’une identité nationale. La comparaison entre les deux régions inuit du Groenland et du Nunavut demande ainsi d’étudier plus longuement les liens entre construction identitaire et pratiques de l’écrit.

218 1720-1820 1820-1870 1870-1920 1920-1970 1970-présent ALPHABETISATION-SYLLABISATION 1721 colonie 1850 « fin » du de Egede processus d’alphabétisation (côte ouest) 1894 mission de Peck en terre de Baffin 1925 « fin » du processus de syllabisation (Baffin) ÉDUCATION 1845 institutions de 1925 introduction de la 1980 Réforme scolaire formation de langue danoise dans 1984 Université Ilisimatusarfik catéchistes l’enseignement 1994 école intégrée 1967 loi sur l’éducation, (groenlandais langue principale danois privilégié d’instruction) 2003 école bilingue (Atuarfitsialak) 1900 début de 1920/30 introduction de 1975 1ères années d’école l’école la langue anglaise dans primaire en inuktitut missionnaire en l’enseignement 1979 Formation d’enseignants langue inuit 1955 écoles fédérales à Iqaluit aux territoires du N.-O. 1984 Collège de l’Arctique (enseignement en 2008 Loi sur l’éducation anglais) (système bilingue projeté pour 2020) ÉCRITURE, PUBLICATION, MÉDIAS 1850 1ère maison 1914 Premier 1940 début de la radio 1973 Réforme de l’orthographe d’édition (Nuuk) roman en groenlandaise 1997 début de l’accès à Internet 1851 standardisation groenlandais 1959 maison d’édition de l’écriture par Atuakkiorfik Kleinschmidt 1861 Atuagagdliutit, premier journal en groenlandais 1940-1950 débuts des 1976 standardisation des périodiques dans écritures, orthographe double l’Arctique de l’Est 1971 début de la télévision à 1953 premier roman en Iqaluit syllabique Sanaaq 1999 début de l’accès à Internet (Nunavik) 1961 station de radio à Iqaluit VIE POLITIQUE 1782 1953 Groenland devient 1979 Home Rule (groenlandais Promulgation une province du et danois langues officielles) des royaume danois 2009 Gouvernement autonome “Instructions” (groenlandais seule langue officielle) 1948 programme 1976 débuts des négociations d’allocations familiales pour un nouveau territoire 1999 création du territoire du Nunavut 2008 loi sur les langues officielles

Tableau 5. Brève chronologie comparative, dates concernant le Groenland (lignes grisées) et le Nunavut (fond blanc)

219 8 Diversité, identités et mobilisations Le choix et l’imposition d’un standard littéraire et oral au Groenland ont influencé le développement de la tradition littéraire, la construction de l’identité nationale et participé aux dynamiques migratoires et économiques. La gestion de la diversité dialectale est donc un enjeu majeur en ce qui concerne la construction de l’identité régionale, un sujet d’actualité au Nunavut. Le choix d’un standard se répercute également sur les attitudes linguistiques et assure plus particulièrement la viabilité de ce parler face à la langue dominante ou l’ancienne langue de colonisation.

La diversité dialectale et le choix du système d’écriture s’invitent inéluctablement dans les discussions sur l’avenir de la langue inuit au Nunavut. La nouvelle politique linguistique n’a pas explicitement abordé ces questions. La loi sur la protection de la langue inuit évite soigneusement de faire référence au concept d’un standard littéraire ou oral. Cependant on trouve dans la description des tâches de l’office de la langue inuit (Inuit Uqausinginnik Taiguusiliuqtiit), cet objectif :

Dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions, l’Inuit Uqausinginnik Taiguusiliuqtiit, en plus de tout autre critère qu’il peut estimer approprié, tient compte et fait la promotion: […] de la communication efficace avec les usagers d’un dialecte ou d’une orthographe de la langue inuit et entre eux. (Loi sur la protection de la langue inuit 2008: 15)

L’expérience du Groenland sur ces questions met en lumière un certain nombre de dynamiques de construction identitaire qui ont des répercussions majeures sur les stratégies de promotion de la langue inuit et leur succès. La diversité dialectale se présente de manière très différente au Groenland par rapport au Nunavut. La domination numérique du dialecte de l’ouest est flagrante, pour l’île comme pour le reste du monde circumpolaire : environ 57% des locuteurs de la langue inuit dans le monde circumpolaire parlent le groenlandais de l’ouest (Dorais 1996 : 69). Selon des chiffres du milieu des années 1980 (Dorais 1996 : 67), avec 37 103 locuteurs, il dépasse sans peine les 800 locuteurs du dialecte de Thule et les 3207 locuteurs du groenlandais de l’est. Au Nunavut, il n’existe pas de telle inégalité dans les chiffres en faveur d’un seul dialecte même si le nombre des locuteurs des dialectes de la région de Baffin est globalement plus important : toujours au milieu des années 1980, 1120 locuteurs parlaient l’inuinnaqtun, 1760 le natsilingmiutut (ces deux dialectes font 220 partie du groupe dialectal de l’Arctique de l’ouest), 2655 le kivalliq, 1185 l’aivilik, 3350 le dialecte de Baffin nord, 4165 de Baffin sud et enfin 390 le dialecte du Nunavik (Sanikiluaq seulement), (Dorais 1996 : 63-64).

8.1 Gestion de la diversité dialectale L’identité des petites communautés au Groenland se base en partie sur une opposition avec les villes industrialisées. La construction du local s’appuie aussi sur les différences dialectales :

(…) even in West Greenland there are considerable differences in dialect, making people aware of a separate identity. For example, in district the dialect diverges from standard and is similar in structure and vocabulary to East Greenlandic, from which it originates. Even locally such differences are used and played upon in effective identity boundary maintenance. (Nutall 1992 : 22).

L’évolution dans la perception des différents dialectes de l’inuktitut est décrite de cette façon par Briggs (1997 : 97) :

Inuktitut was taken for granted, like air or water [avant l’arrivée des Qallunaat]. To be sure, there were the alien dialects of the neighbors, which were considered amusingly defective forms of speech, but they could be easily understood. Inuktitut was noticed and invested with value only when it was threatened, that is, when communication began to be problematic. Nowadays, as a symbol of Inuitness, it is set off not only vis-à-vis Qallunaatitut, the language of the Euro-Canadian foreigner, but also vis-à-vis all the dialects that Inuit used to find foreign and funny. Thus, a new song says : « [The different dialects] are all good because we are all Inuit ». (fieldnotes)

Dans les deux cas, le dialecte sert donc à signifier une différence locale. Mais le contexte de construction identitaire peut faire rentrer le dialecte en relation et en opposition avec le standard, les autres dialectes ou la langue coloniale.

8.1.1 Loyautés et authenticité La différence dialectale est vécue de façon différente en fonction des individus. Une résidente de Sanikiluaq, qui commençait des études au Collège de l’Arctique à Iqaluit, m’expliquait qu’elle n’avait jamais vraiment pensé à cette diversité avant de venir vivre dans la capitale et d’y être confrontée quotidiennement. Au contraire, d’autres personnes 221 lient cette différence à leur histoire personnelle, surtout si leur famille ou eux-mêmes ont migré à un moment ou l’autre de leur vie. Cette situation de migration crée une interaction propice qui attribue au dialecte une valeur particulière. Comme l’indique Taboada Leonetti (1989 : 96) :

Dans tous les cas, l’identité est produite non pas tellement par le regard de l’autre que par le mouvement dialectique d’intériorisation et de contestation de la situation d’interaction qui définit les places relatives de l’un et de l’autre, c’est-à-dire les identités en présence, complémentaires.

Dans les villes où plusieurs dialectes se côtoient, la façon de parler (s’il ne s’agit pas du dialecte majoritaire) définit forcément l’identité individuelle comme celle de groupes originaires de la même communauté. Le témoignage d’un résident d’Iqaluit originaire de Baker Lake souligne à la fois le stigmate de la différence dialectale et la forte valeur identitaire des dialectes :

We know we have different dialects and it’s a weird thing up here, where people always seem to compete with each other, they say oh, your dialect is funny, you say it funny, you say it another way. And instead of being like that, why don’t we just compare? Because each dialect is unique. Even in my family my father’s dialect is totally different from what I speak because my dad is from area and his dialect is more Natsilingmiut and we ended up adopting the dominant dialect in Baker Lake so even just the way to say things between me and my parents is different. Because we were taught to speak Inuktitut like the dominant group in Baker, so… But I would love to speak my mom’s dialect or my dad’s dialect which I find is more expressive and more ancient, it’s more spiritual to me to hear my dad and my grandfather, my uncles in the other communities, it really soothes me, and it makes me feel alive, and it’s almost spiritual to hear them talk, just the way they talk. So how would you describe your dialect, what you speak right now? I speak Baker Lake dialect, I don’t say… Like in Baker we use a lot of H… Because I feel weird to say qanuinngi, so I would say qanuinngitunga. Because I’d rather stay true to my dialect, because language is personal, you know…and that’s what I was taught by my parents. Homme, 38 ans, Iqaluit

Dans les communautés où la population est plus homogène, comme Igloolik, le dialecte peut faire partie d’une stratégie identitaire de groupe vis-à-vis l’extérieur. La perception de cette communauté comme centre « traditionnel » (voir chapitre 1) fait de son dialecte une 222 source de fierté pour certains locuteurs. La chasse est une ressource identitaire majeure35 pour les hommes comme pour le groupe qui justifie ce statut particulier : « Hunting is the prime means for Iglulingmiut to express their identity as a people » (Rasing 1999 : 97). La perception du dialecte d’Igloolik est donc rattachée aux activités de chasse. Le rayonnement culturel de la communauté peut alors susciter un questionnement quant à l’irréductibilité de la différence dialectale et la pertinence du savoir qu’il recèle pour les locuteurs d’autres dialectes :

I’m very satisfied with Igloolik in that the people have put it upon themselves, let’s say to document oral history. It’s documented here where other communities have come let’s say to borrow other information from here. But there’s a drawback to that as well in that if you look at the different environments, the ecosystems we are living in, Igloolik is like quite different because we do moving ice travel, they don’t do that in Arctic Bay or in any other community. And our life was geared towards, let’s say the large marine mammals and the language is attached to that, life is attached to that. And then if let’s say people from Broughton Island, were to access the information we have gathered, it’s not gonna work for them, they don’t hunt walrus on moving ice, they hardly ever hunted bullhead, so again it’s going to be quite different. So the environment pretty much covers culture, in that the richness of a community’s culture is dependent on what’s around them. In Igloolik we’ve got everything, including lake trout, wolverines, which a lot of people in Baffin Island don’t have. And again we have everything that they have as well, large marine mammals, and add a few more like the walrus. And so we have extras that they don’t have, so therefore people tend to think that Igloolik is trying to keep their culture strong, but we are not trying to keep it strong, the circumstances around it create that. And people don’t really realize that, okay the environment is so rich around them that their culture is rich, and if they cannot grasp that, they can’t really know anything about culture. When you look at Atarnajuat, the story is unique to here. I think the richness of the story again is from the language, so therefore the language is from here and if you were to try and use the language let’s say from Cambridge Bay, it doesn’t work. You’d have to get the translated version into your dialect. Homme, 52 ans, Igloolik

Les deux exemples ci-dessus définissent le sentiment d’appartenance et de loyauté dialectales, prenant leur source dans un lien fort avec le territoire (pour un chasseur) ou dans des expériences familiales de gestion de la diversité des dialectes.

35 Comme au Groenland (Nutall 1992, Dahl 2000) ou dans d’autres régions de l’Arctique canadien (Condon, Collings et Wenzel 1995). 223

Aujourd’hui, les expériences migratoires et les médias électroniques facilitent les rencontres entre locuteurs de plusieurs dialectes. La perception de la différence dialectale, si elle s’exprime apparemment de façon relativiste, se teinte rapidement d’un jugement de valeur en fonction d’un idéal ancien/traditionnel. Un dialecte est représenté comme « more expressive and more ancient » par le premier locuteur, faisant peut-être référence à sa richesse lexicale. Ce locuteur originaire de Baker Lake souligne une différence phonétique de son dialecte (« we use a lot of H ») avant de décrire sa façon de parler ainsi : « Because I feel weird to say qanuinngi, so I would say qanuinngitunga. », renvoyant aux mots tronçonnés par les locuteurs à Iqaluit, à une simplification morphologique récente. L’autre locuteur met l’accent sur la richesse de la langue à Igloolik, qu’il associe à l’environnement, à la concentration d’informations et de connaissances, et à l’histoire orale.

Les dialectes deviennent alors une manière de signaler une identité culturelle particulière, non seulement de manière non conflictuelle entre groupes de locuteurs de la langue inuit, mais aussi face à une authenticité mesurée par rapport au déplacement culturel et linguistique. Les dialectes acquièrent alors d’une charge émotionnelle et deviennent des emblèmes identitaires (d’après la définition donnée par Briggs 1997). Ils représentent une défense supplémentaire contre l’influence de la langue et de la culture qallunaat, c’est-à- dire sont mobilisés comme paramètres de l’identité ethnique, dont la définition varie en fonction des individus36. L’utilisation de l’anglais ou de la langue inuit, mais aussi la façon de parler la langue inuit rentrent donc dans ces stratégies identitaires. Cette ethnicisation de la différence dialectale peut correspondre à l’évolution et la radicalisation d’une séparation entre le parler des Inuit sédentaires et ceux qui vivaient dans les camps (Brody 1975 : 135- 136).

36 Il peut être utile de se référer pour mieux se représenter les liens possibles entre langue et ethnicité à cette remarque de Le Page et Tabouret-Keller (1985 : 244) selon laquelle l’ethnicité : « may mean something slightly different to each member of a group, and its defining characteristics are composite ». 224

8.1.2 L’expérience d’urbanisation : insécurité et déplacement linguistique Cette question d’authenticité des dialectes se superpose aux dynamiques de migration et d’urbanisation. La ville d’Iqaluit représente pour beaucoup un extrême dans l’échelle du déplacement linguistique :

I was offered to take an interpreter/translator course in Iqaluit that time (11 years ago) but I turned it down because of the difference of dialect, they are losing their Inuktitut dialect there, my daughter when we were living there for two years she was almost losing her Inuktitut, she would speak English all the time. I regret not taking that course now. Femme, 33 ans, Igloolik

Au sein des familles qui ont migré, les enfants qui ont grandi dans les communautés et ceux nés à Iqaluit ont des compétences linguistiques différentes, comme me l’expliquait cette mère de famille : « My older daughter, I’m actually quite proud of her South Baffin dialect which is Kimmirut because she grew up there and she is very efficient in speaking Inuktitut. » (Femme, 39 ans, Iqaluit) Pour les jeunes qui grandissent à Iqaluit, la question d’authenticité du dialecte, une attitude qui réaffirme l’origine du parler dans l’environnement (naturel ou familial), peut perdre de sa pertinence en raison de compromis nécessaires avec les pratiques linguistiques du centre urbain.

Iqaluit, un pôle de migration pour les habitants de tout le Nunavut devient aussi le lieu d’une expérimentation dans la coexistence des différents dialectes. Les gens nés à Iqaluit ou originaires de la région sont habitués à cet état de fait. Dans l’enseignement, cette coexistence est parfois vue comme un problème depuis l’accélération du processus de sédentarisation, un obstacle pour l’effort d’enseignement de la langue.

Hum…I remember our Inuktitut teacher was from another community and it was very hard for me to grasp to her language and dialect, learning Inuktitut, reading and writing, reading was not too bad but writing, I found that it wasn’t very useful to me in the language and dialect she had. Also, I was writing what I knew and she returned my paper back that everything is all wrong, I think because of her different dialect. The Education system didn’t work back then, early eighties, when I was in grade 7, the Inuktitut we were taking, I found it was very useless to me because of our dialect difference, with the language I knew, with my language, the dialect I was writing down of course, it was my language and dialect, but she, the teacher, the Inuktitut teacher was teaching us in her language and how it was supposed to be written, and I never learned her dialect. 225

Femme, 39 ans, Iqaluit

And do you think the children learn well how to speak Inuktitut? It depends where the teacher is coming from. They hire teachers from other communities, so their language is different than our own language, right here in this region we have four, five different dialects of Inuktitut itself... In this community we have our own language and we go to another community and there’s a whole different dialect and culture... So it’s hard to learn for the children. Homme, 45 ans, Iqaluit

Tous les locuteurs n’ont pas forcément ce genre de réaction ou d’expérience au sujet des différents dialectes et il semble que le dialecte de professeurs particulièrement compétents acquiert une valeur particulière. Un jeune homme originaire d’Arctic Bay affirmait ainsi : « My mother is a Kindergarten teacher, people come up to her and they tell her...I like your dialect, I like what you do. I want my children to learn different dialects. » (Homme, 20 ans, Iqaluit).

Chez les jeunes l’insécurité linguistique autour des dialectes est facilement décelable et pousse à l’utilisation de l’anglais entre les pairs. Certains jeunes particulièrement compétents dans leur dialecte déplorent également l’impossibilité de maintenir une conversation en langue inuit.

The students have a high rate of speaking English instead of Inuktitut and people come from different communities although they are very fluent in Inuktitut, since it’s a different dialect, they become shy, think they are not going to be understood, and they use English to communicate. Femme, 43 ans, Iqaluit

I think English has been more useful for me. I speak both, I’m fluent in both but I’m stronger in English, the way I talk. I can still communicate with Elders, but I think with my friends, I’m more confortable using English. Because my dialect is different I feel more nervous. There’re some words that are different than the ones I use in my dialect. Femme, 24 ans, Iqaluit

In Iqaluit in which context would you like people to speak more Inuktitut? The younger people like my age because when I were… most of the time I speak English… I think the problem is different dialects, people from Pang or Iqaluit they have different dialects so I think they are kind of shy to speak Inuktitut. Do you try to speak Inuktitut with them? 226

Yes I try to speak Inuktitut and they speak back. Okay. Is your dialect [le dialecte d’Igloolik] very close from Iqaluit dialect? No, it’s different, very. It’s hard for you to understand? No, we have similar words, but the pronunciation is different, they say it differently. But it’s not a big deal for you? I can understand but if I say it to them they won’t understand, so. Because they don’t really make the effort? Yeah, they don’t make the effort. And I say it, and say it the same word you just said, but… just a tiny different. Homme, 26 ans, Iqaluit

Une autre stratégie de communication pour limiter les malentendus ou les possibilités de devenir l’objet de moqueries est d’utiliser l’alternance de codes ou de consentir à des aménagements lexicaux pour remplacer le vocabulaire difficile.

If you meet somebody that has a different dialect from you, would you speak English or still speak Inuktitut? Hm...I would talk in Inuktitut the way they understand it? Ok, because you know how they say it? Yeah. Like I would change the complicated words into English. Homme, 20 ans, Iqaluit

Néanmoins, on peut se demander si les remplacements lexicaux, l’utilisation de l’anglais et l’alternance de codes prennent autant d’importance en raison des accommodements nécessaires aux différents dialectes, ou s’ils sont le résultat du déplacement linguistique. Les deux éléments se rejoignent dans les attitudes des locuteurs qui décrivent l’affaiblissement des compétences en langue inuit.

Where are you from, are you from here? No Pangnirtung. So the language is stronger up there, right? Oh yeah, in other communities, here it’s going fast, because the young people are not speaking it, the young parents today, the generation they are not speaking to their kids in Inuktitut and they are adding English, towards words like angialirlu, homolirlu, meaning home and then Inuktitut added lirlu, homolirlu. And when I first started hearing that a few years ago, that really bothered me. So anyway… caus’ I work at the school, and they are shy and different people from different dialects make fun of their other differences, especially Iqalungmiut. And that’s one of the reason our language is going fast. But if you go to communities it’s very strong. Femme, 40 ans, Iqaluit 227

Dans les villes, la concentration des locuteurs bilingues et de non-autochtones est propice à la création de variétés linguistiques différentes. Presque la moitié des résidents d’Iqaluit sont qallunaat alors que seulement un peu moins du quart des résidents de Nuuk ne sont pas nés au Groenland (Langgård 2001 : 238). Pourtant, le dialecte de Nuuk semble lui aussi avoir souffert de l’influence du danois pendant la période de danification (Berge 2009 : 1175), et les migrants des villages reprochent aux jeunes de Nuuk de mal parler la langue inuit et de trop utiliser la langue seconde (Pedersen 2008 : 98).

La ville de Nuuk a cependant une histoire plus longue de gestion du bilinguisme et de promotion de la langue inuit que celle d’Iqaluit. Jacobsen (2003) montre que les jeunes de Nuuk parlent aussi entre eux une variété de danois qui se caractérise par une prosodie spécifique. La création de cette nouvelle variété est selon elle un indice que cette génération a surpassé une crise identitaire qui sépare irréductiblement danois et groenlandais et perçoit moins la langue danoise comme une langue coloniale que comme un élément qui peut-être modelé à des fins identitaires.

Dans le cas d’Iqaluit, les locuteurs décrivent le dialecte parlé dans la ville en mentionnant la multiplication d’emprunts à l’anglais (qui remplacent des mots déjà existant en inuktitut au lieu de désigner un référent nouveau), des mots tronqués ou de la simplification syntaxique. Cette variété d’inuktitut est un sujet d’inquiétude pour plusieurs mais, en même temps, elle se nourrit de l’insécurité linguistique en raison des différents dialectes.

La coexistence des dialectes fait partie de l’expérience subjective de l’urbanisation (selon le concept « subjectivities of urbanism » défini par Dybbroe 2008). La gestion de cette situation dépend de l’histoire personnelle des locuteurs et de leur groupe de pairs mais dans de nombreux cas résulte dans le choix de la langue anglaise comme langue commune. Les attitudes linguistiques créent une échelle de valeurs avec à un extrême le ou les dialectes authentiques (déterminés en fonction de l’histoire personnelle des individus ou l’histoire de leur communauté) et à l’autre extrême le dialecte fortement anglicisé. 228

8.1.3 Attitudes et écriture des dialectes Les locuteurs qui ont pris part à cette étude, invités à formuler des différences potentielles entre l’inuktitut parlé et écrit, ont soit affirmé qu’il n’y avait aucune différence entre parler et écrire la langue inuit ou bien ont été déconcertés par la question. L’écriture de la langue inuit reste donc dans les attitudes linguistiques une pratique subordonnée à la parole et au dialecte individuel. Néanmoins, peu de gens communiquent à l’écrit en langue inuit et encore moins hors de la sphère familiale.

Les locuteurs bilingues dans la capitale sont confrontés quotidiennement à des écrits en différents dialectes, mais la plupart du temps de façon passive par rapport aux échanges oraux : ils lisent des panneaux, affiches et autres documents présents dans l’espace public mais n’écrivent quasiment pas. Une jeune femme originaire de Cape Dorset m’expliquait que lire la langue inuit à Iqaluit était plutôt une façon d’apprendre les différents dialectes que de réellement communiquer : la curiosité face aux autres dialectes s’accompagne assez souvent d’un sentiment d’inadéquation aux nécessités de la communication. Comme à l’oral, l’anglicisation est aussi à l’ordre du jour.

The translation in Rankin, like in the Kivalliq region is really good I find but the dialects from here, they are so different, because some of the words are different, like paper here in Inuktitut is paipa and that’s not really Inuktitut, they are just turning paper into…and in Rankin it’s alilajuq that’s Inuktitut, so the dialect is different so the translation is different… Femme, 24 ans, Iqaluit

When was the last time you read something in Inuktitut? You mean to read from a book or something? Well I don’t have to read, unless if I have to read it I read it, but I’m both languages...my mother tongue is Inuktitut but if I can speak English I don’t necessarily read Inuktitut. But if I go in public and I see a newsletter whatever, I read it in Inuktitut, just to figure out, because there’re so many dialects now in Iqaluit now, since Nunavut existed. People come from all over. I think it was from a bulletin board... So when you see a bulletin board you go right away to the Inuktitut version? Inuktitut and then English, just to see if they send the message across or what’s the message, I always have that... keeping caution. Just to see if it’s good translation? Yes. There’s a big difference, some of the bulletin boards are Keewatin translations, because the government has various translations from various people with different dialects from other communities. So you mean that you read stuff here that is not in your dialect? 229

Yes not necessarily, not all the time. Like Nunavut Tunngavik, I think they have a translator, he is from Keewatin, I think that’s were he gets it so... I kind of notice that. It looks weird? Well...in different... like...if I say uqartuq, and Kivalliq would be uqarpuq, but the meaning is the same, but the version of the dialect is different, but everybody understands it, but it has though certain pronunciations in Inuktitut from different communities... is out there, like I notice it. Femme, 40 ans, Iqaluit

Do you think that the translations they are well done, in the newspapers? It depends on the dialect they use, because they have different kinds of signs, I was talking to some people in Iqaluit and they don’t like the Inuktitut signs. Why? Caus’ it’s more like Igloolik dialect, they don’t know what that means. And do you mind yourself? I really don’t, because I just try to understand. Homme, 20ans, Iqaluit

Ce dernier locuteur met l’accent sur un choix qui est souvent fait d’utiliser le dialecte du nord de Baffin comme langue standard pour les documents du gouvernement (Tulloch 2005). Ce n’est pas toujours un choix considéré approprié pour tous les locuteurs.

L’écriture des différents dialectes témoigne des migrations de population et de la circulation des écrits et fait partie, à un niveau plus large, de négociations de l’identité urbaine. Des dialectes sont utilisés hors de leur aire géographique propre, non seulement à l’oral, par un individu qui vient d’ailleurs mais aussi à l’écrit à l’attention d’un groupe (un document ou un affichage rédigés dans un dialecte pour l’ensemble de la communauté). Comme à l’oral, certains locuteurs vont tenter de comprendre l’écrit, même s’il n’est pas dans leur dialecte alors que d’autres vont passer rapidement à la langue anglaise.

Le choix d’un standard pour écrire la langue inuit doit relever le défi de posséder ou d’acquérir une certaine valeur sur cette échelle d’authenticité qui mesure la diversité dialectale. Tulloch (2005 : 72) débat de la question des dialectes au Nunavut et remarque que les dialectes conservateurs ont plus de chance d’être acceptés comme standards :

Based on personal communication in Nunavut, it appears that speakers in the various Inuktitut-speaking regions are predisposed to accept the North Baffin dialect as a standard to be used in government publications and curriculum development. If this is the case, the North Baffin dialect has the combined advantages of being conservative, 230

prestigious (in that it is spoken in communities where Inuit tradition is particularly well maintained), and accepted outside its immediate area of use.

En ce qui concerne la standardisation, les créateurs de la version en inuktitut de Microsoft Windows ont résolu le problème différemment en utilisant plusieurs dialectes pour traduire cet interface. Ce choix est intéressant mais devient plus difficile à réaliser quand il ne s’agit pas seulement d’une liste de mots isolés mais d’un texte cohérent. En tout cas il s’agit d’une tentative de communiquer en utilisant différents dialectes et sans intrusion de l’anglais.

8.2 Nouveaux espaces identitaires et écritures L’écriture à Iqaluit participe marginalement à l’expression d’une identité urbaine qui se base sur la diversité dialectale et l’influence de l’anglais. Mais l’écriture rentre à une échelle régionale et transnationale dans des stratégies diverses et complémentaires de construction identitaire.

8.2.1 Définir une identité régionale La création du Nunavut a symbolisé une réappropriation collective de l’identité, après la période d’assimilation des années 1950 et 1960. Comme l’indique Bourdieu (1980 : 69) en pensant aux identités régionales en France, cette réappropriation se joue dans l’affirmation de la spécificité des régions stigmatisées : « le stigmate produit la révolte contre le stigmate qui commence par la revendication publique du stigmate, ainsi constitué comme emblème (…) ». La langue inuit a été une cible de la politique d’assimilation, interdite par exemple dans les pensionnats. Dorais (1995) a clairement montré comment la langue a servi et sert de symbole dans les revendications comme catalyseur des droits autochtones, en tant qu’emblème de l’identité ethnique. L’identité ethnique mobilisée pour soutenir les revendications territoriales au Canada a puisé dans une histoire commune de colonisation des peuples arctiques, les identités ethniques s’affirmant en « réponse à des situations de domination » (Taboada Leonetti 1997 : 95) c’est-à-dire à une « marginalisation » de la culture d’un groupe (Cohen 1993 : 199). 231

La création de la Conférence Inuit Circumpolaire en 1977 et par là même d’une « ethnicité transnationale Inuit » (Morin et Saladin d’Anglure 1995 : 38) rejette la stigmatisation des terres inuit par les États et replace ces territoires dans un ensemble géographique et culturel unifié. Dans les revendications depuis les années 1970, la langue représente cette unification et le droit collectif des autochtones sur le territoire. Les citations suivantes du fondateur de l’ICC, Eben Hopson, originaire d’Alaska, ont été choisies pour figurer sur le site Internet de l’organisation. Elles montrent bien le statut particulier de la langue inuit dans les revendications politiques, ainsi que l’utilisation de ce trait culturel (Barth 1969) pour définir une identité de nation (c’est-à-dire une identité ethnique associée au territoire circumpolaire) :

Our language contains the memory of four thousand years of human survival through conservation and good management of our Arctic wealth. (1977)37

We Eskimo are an international community sharing common language, culture, and a common land along the Arctic coast of , Alaska, Canada and Greenland. Although not a nation-state, as a people, we do constitute a nation. (1975)38

Le terme de nation légitime la recherche d’autodétermination du peuple inuit. La nation, selon la définition classique d’ Anderson (1983 : 6), est : « an imagined political community – and imagined as both inherently limited and sovereign » (je souligne). La souveraineté de la nation inuit se réalise dans plusieurs entités régionales, comme le Groenland ou le Nunavut. Les paramètres linguistiques de l’identité régionale prennent différentes formes en fonction de l’histoire de ces entités.

Au Groenland, la mobilisation d’une identité ethnique par les élites kalaallit s’est affirmée dans les années 1970 (Lanting 1999 : 138). Selon Dahl (1988 : 313), cette identité ethnique s’est transformée depuis l’avènement du Home Rule en identités spécifiques : politique, nationale et culturelle. Pour cet auteur, la mobilisation sur la base de l’ethnicité s’efface une fois les questions d’appropriation du territoire réglées. L’identité nationale qui prend comme symbole la langue groenlandaise (dialecte standard) s’allie aux intérêts

37http://inuitcircumpolar.com/index.php?auto_slide=&ID=16&Lang=En&Parent_ID=¤t_slide_num= (dernière consultation septembre 2009) 232 commerciaux, parce que le développement économique se révèle une condition nécessaire à l’auto-détermination groenlandaise (Dahl 2000 : 256). L’identité nationale se dresse contre les identités locales des hameaux et villages tournés vers les activités de chasse :

The new emphasis on a national Greenlandic identity, however, together with policies of economic development, now comes into conflict with emerging local level identities and interests. While the years leading to self-government emphasized an ethnic identity and sense of distinctiveness of Inuit vis-à-vis Danes, the years since Home Rule have seen a gradual expression of Inuit identities vis-à-vis other Inuit identities within Greenland. (Nutall 1992 : 2)

Au Canada, l’identité ethnique a de la même façon qu’au Groenland servi la mobilisation des élites politiques inuit pour faire avancer les différentes négociations territoriales dans les années 1970 (Mitchell 1996). Mais ces mobilisations se basent sur les entités régionales créées par un découpage administratif du peuple inuit en fonction des provinces et territoires canadiens, c’est-à-dire des frontières existantes (Québec, territoires du Nord- Ouest, Labrador, etc.).

La mobilisation au Canada a donc dès le départ eu des bases régionales qui ne respectaient pas toujours des ensembles culturels et linguistiques. La frontière ouest du territoire du Nunavut avec les territoires du Nord-Ouest sépare les locuteurs du dialecte de l’inuinnaqtun habitant les communautés de Cambridge Bay, Coppermine et Bathurst Inlet (au Nunavut) de la communauté de Holman Island (aux Territoires du Nord-Ouest) (ce groupement dialectal est décrit dans Dorais 1996). Même si les habitants de Holman Island appellent leur langue l’inuinnaqtun, ils sont inclus dans l’unité politique des Inuvialuit qui associent l’ (la langue des Inuvialuit) au territoire acquis dans leur accord territorial (et qui rassemble en fait trois dialectes de la langue inuit dont l’inuinnaqtun) (Nagy 2006 : 74). Cette identité liée à des territoires particuliers introduit donc une fragmentation de l’unité ethnique des Inuit canadiens (Légaré 2001 : 161), comme cela peut être le cas pour les Inuvialuit (Dorais 1994 : 258). L’identité ethnique se double ainsi d’une identité régionale et politique. Dorais (1994 : 257) explique d’ailleurs que l’accession à l’autonomie des Inuit a semé les graines du développement de l’identité nationale :

38 http://inuitcircumpolar.com/section.php?ID=15&Lang=En&Nav=Section (dernière consultation septembre 2009) 233

Au Canada, l’identité ethnique inuit est peut-être en voie d’évolution vers une identité plus proprement nationale. Les autochtones de l’Arctique se considèrent en effet de plus en plus – et sont de plus en plus considérés – comme des premières nations, des collectivités ayant droit à l’autonomie politique dans les territoires qu’elles ont toujours occupés. Ces territoires ont des noms (Nunavik, Nunavut, pays des Inuvialuit), et on en est à négocier ou renégocier les ententes visant à en remettre l’administration entre les mains des collectivités locales.

Depuis l’avènement du Nunavut se développe une identité territoriale que Légaré définit comme une nouvelle « identité collective régionale » de Nunavummiut (habitants du Nunavut), grâce à une construction symbolique qui se base sur des éléments tels que les rituels (fêtes du Nunavut), des représentations graphiques (drapeau, animaux arctiques, logos du Nunavut, etc.) et des toponymes et noms de groupes sociaux (Nunavut/Nunavummiut) (Legaré 2001 : 159). Légaré parle ainsi de l’évolution de l’identité collective dans l’Arctique de l’Est canadien, d’une identité « tribale » (Iglulingmiut par exemple), à une identité culturelle (Inuit) à une identité régionale. La langue ne fait pas partie de son analyse, peut-être parce qu’il n’existe pas de standard comme au Groenland. Pourtant, la construction de l’identité régionale implique aussi une organisation et une représentation de la diversité dialectale et des écritures.

8.2.2 Écritures et dialectes dans l’espace régional Au Groenland, l’écriture du dialecte central de la côte ouest groenlandaise a décidé de son accession au statut de standard, ce qui a participé à la définition du nationalisme groenlandais. Néanmoins, cette organisation du marché linguistique à l’intérieur de l’île s’est ajoutée à la domination numérique du dialecte de l’ouest par la légitimation d’un statut inégal entre les dialectes.

La carte des dialectes publiée par le Bureau de la commissaire aux langues du Nunavut représente graphiquement la diversité dialectale. Il s’agit d’un effort de mettre sur un pied d’égalité chaque parler dans l’espace régional, comme autant d’ensembles culturels. La carte ne respecte pas les frontières du territoire pour montrer plutôt les aires dialectales, aucune des aires n’est ainsi sensiblement plus petite : elle ne montre pas le statut minoritaire de certains locuteurs. Sur la carte tous les noms de communautés sont écrits en langue inuit, à la fois en syllabique et en alphabet latin, équilibrant ainsi la présence des 234 deux orthographes. Cette carte montre une volonté d’unification dans l’équilibre et l’égalisation des dialectes et des écritures.

Figure 12. Les dialectes du Nunavut (source Bureau de la commissaire aux langues, www.langcom.nu.ca)

Toutefois, la géographie culturelle de l’espace régional dessinée par l’équilibre entre les dialectes est remise en cause par les dynamiques de centralisation. Le dialecte de la capitale, Iqaluit, n’est pas le premier candidat pour devenir un standard écrit. La situation linguistique de la capitale est complexe. À l’écrit comme à l’oral, l’anglais a le rôle de lingua franca au lieu d’un standard en langue inuit. De plus si, dans les mots de Bourdieu, Iqaluit concentre le capital économique de la région, elle n’a pas l’apanage du capital 235 symbolique et culturel, qui revient plutôt aux centres traditionnels comme Igloolik. Dans tous les cas se sont les dialectes de Baffin qui sont, numériquement et par leur lien au capital économique et symbolique, privilégiés pour devenir standards. Les autres régions du Nunavut deviennent ainsi une périphérie par rapport à cette aire centrale.

Les attitudes linguistiques dessinent en filigrane un processus de négociation du statut de centre du marché linguistique en langue inuit, dans un territoire relativement restreint. La capitale est le centre politique, le siège à la fois de l’Assemblée législative (dont les sessions se déroulent la plupart du temps en langue inuit), du ministère de la culture, de la langue, des aînés et de la jeunesse et du bureau du commissaire aux langues du Nunavut. La politique linguistique émane d’Iqaluit et la ville centralise des projets de promotion de l’écrit (concours d’écriture, publications pour jeunes, sites Internet). Ces projets restent toutefois peu nombreux. Dans la communauté d’Igloolik d’autres initiatives (implicites) de promotion de la langue ont vu le jour, grâce à des activités comme l’Oral History Project ou la production cinématographique. Aujourd’hui, les projets d’Isuma affichent un objectif de revitalisation linguistique et prétendent à un rayonnement plus large grâce à l’alliance avec les communautés voisines du nord de Baffin. Ces projets se basent sur la vidéo et la communication orale en langue autochtone, et entérinent en quelque sorte la marginalisation de l’écrit (voir chapitre 5).

Hors de l’île de Baffin, le Conseil d’Alphabétisation du Nunavut (ou Nunavut Literacy Council), dont les opérations se concentrent plutôt dans les régions de Kivalliq et de Kitikmeot, produit (entre autres) du matériel en langue inuit dans l’optique d’activités familiales et communautaires. Ces trousses de jeux innovatrices sont parfois ignorées dans certaines communautés parce que le dialecte dans lequel elles ont été créées est différent (Shelley Tulloch, communication personnelle). Le conseil est également impliqué de façon plus générale dans la promotion de la langue inuit, à l’oral et à l’écrit, et il mène des ateliers sur ce thème. Il a récemment produit un rapport (Tulloch 2009) qui réfléchit sur les conditions de l’instauration d’un bilinguisme stable (oral et écrit) et qui avance des recommandations et propose des initiatives et des actions afin de s’approcher de cet idéal.

Devant cette indécision quant au centre du marché linguistique et la prégnance de la différence dialectale dans les attitudes, le discours politique du gouvernement du Nunavut 236 réitère autant que possible l’égalité des dialectes dans l’espace du Nunavut et cherche à renforcer l’unité de la langue inuit. La formulation de la loi sur les langues officielles a ainsi fait l’objet d’un débat. En 2003, dans le rapport final du comité spécial pour la révision de la loi sur les langue officielles (héritée des Territoires du Nord-Ouest), la recommandation B5 est formulée telle que suit :

Consultation and research conducted throughout the review process has determined that the language groups represented in Nunavut include speakers of various dialects of Inuktitut, speakers of the Inuinnaqtun dialect, speakers of English and speakers of French. Recommendation B5 : That the Act designate English, French, Inuktitut and Inuinnaqtun as the Official Languages of Nunavut. (Williams et Havioyak 2003 : 30)

En 2002, un rapport émanant du Bureau de la Commissaire aux langues du Nunavut avait cependant recommandé un libellé différent :

ARTICLE 1 : DÉFINITION D’INUKTITUT L’inuktitut est composé de nombreux dialectes. Chaque dialecte du Nunavut est d’une valeur irremplaçable et partie intégrale de la culture inuite. Ainsi, certaines démarches s’imposent aux fins de la sauvegarde de cette richesse linguistique. Les locuteurs inuinnaqtuns (sic) ont des besoins particuliers que la Loi sur les langues officielles et la Loi sur la protection de l’inuktitut doit combler. Toutefois, nous estimons que de condéder le statut de langue distincte à l’inuinnaqtun pourrait contribuer à diviser la population inuite et inciter d’autres dialectophones (sic) à réclamer la reconnaissance officielle de leur façon particulière de parler l’inuktitut. (Bureau de la Commissaire aux langues 2002 : 1)

Aujourd’hui, la formulation choisie pour la loi sur les langues officielles est la suivante (loi sur les langues officielles p.4) :

LANGUES OFFICIELLES Langues officielles 3. (1) La langue inuit, le français et l’anglais sont les langues officielles du Nunavut. Statut (2) Les langues officielles du Nunavut ont, dans la mesure et de la manière prévues aux termes de la présente loi, un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions territoriales. Inuinnaqtun (3) Dans son application à l’inuinnaqtun, la présente loi est interprétée et mise en œuvre d’une manière qui tient compte de la nécessité de donner priorité à : 237

a) la revitalisation de l’inuinnaqtun; b) l’amélioration de l’accessibilité aux services visés aux articles 8 à 12 dans les collectivités où l’inuinnaqtun est indigène.

La formulation englobante (« la langue inuit ») est donc choisie au lieu de celle qui séparait l’inuktitut et l’inuinnaqtun. Par ailleurs, la disposition de trilinguisme officiel est liée au contexte canadien (alors que les francophones représentent moins de 2% de la population du territoire) mais il représente un défi et un fardeau notables en ce qui concerne l’application de ces lois (Daveluy 2007).

L’innuinaqtun et le natsilingmiutut font plutôt partie du groupe dialectal du Canada occidental (Dorais 1990). Par le passé, l’innuinnaqtun a été probablement exclu du nom générique d’« inuktitut » parce qu’il se trouvait le plus à l’ouest géographiquement et était associé aux dialectes de l’Ouest. Néanmoins, deux autres raisons de cette exclusion peuvent être avancées. Tout d’abord l’avenir de l’inuinnaqtun est fortement hypothéqué (comme le soulignent les extraits de documents présentés ci-dessus). En 2006, seulement 50 locuteurs de l’inuinnaqtun parlaient cette langue le plus souvent à la maison (Nunavut Bureau of Statistics 2008a), ce qui explique cette attention particulière envers la revitalisation de la langue (à la différence d’un objectif de promotion pour les locuteurs des autres dialectes du territoire).

Mais l’inuinnaqtun est également le seul dialecte qui utilise l’alphabet latin. Rappelons que dans les affiches et panneaux officiels au Nunavut les deux orthographes (c’est-à-dire un dialecte de l’inuktitut et l’inuinnaqtun) sont toujours associées (voir chapitre 6). Cette habitude finit par légitimer dans les représentations une séparation de l’inuinnaqtun, non comme un dialecte mais comme une langue ou bien parfois une écriture différente. Une jeune femme de Clyde River m’expliquait d’ailleurs qu’elle « parlait inuktitut mais écrivait inuinnaqtun », voulant dire qu’elle utilisait l’alphabet latin même pour la langue inuit.

Néanmoins, le syllabique est unique aux Inuit de l’Arctique de l’Est et parfois son statut de symbole commode de la langue inuit dans cet ensemble territorial réapparaît. Même si, jusqu’à présent, la littérature en langue inuit n’a pas activement participé à la définition d’une identité régionale en raison d’une tradition écrite limitée et parce que peu de gens lisent et écrivent la langue inuit au quotidien, le syllabique peut être rajouté à la liste de 238

Légaré en ce qui concerne les symboles graphiques sur lesquels se base la construction de l’identité régionale. Le syllabique sur les logos des organisations et associations inuit s’ajoute aux autres images déjà relevées par Légaré (drapeau, logo des frontières, faune arctique, , personne inuk, inukshuk, etc.).

Par exemple, les armoiries du Nunavut incluent une inscription en syllabique seulement (alors qu’on pourrait imaginer une traduction en inuinnaqtun pour y faire figurer l’alphabet latin). L’explication du symbolisme des armoiries que l’on peut trouver sur les différents sites web d’institutions gouvernementales décrit la devise ainsi : « En inuktitut, la devise Nunavut Sannginivut signifie « Nunavut notre force »», et passe sous silence le choix particulier de cette écriture.

Figure 13. Armoiries du Nunavut (source, site Internet de l’Assemblée législative du Nunavut www.assembly.nu.ca)

Le logo du gouvernement du Nunavut est également intéressant à cet égard parce qu’il utilise les caractères syllabiques plutôt comme un élément graphique. Ceux-ci sont intégrés au dessin, au sol enneigé sur lequel se trouve l’ours polaire, et sa position peut être une représentation graphique de sa signification. De plus, les caractères syllabiques sont bien plus petits que les caractères latins. 239

Figure 14. Logo du gouvernement territorial du Nunavut (source: site internet du gouvernement du Nunavut www.gov.nu.ca)

Malgré un discours général qui cherche à réaffirmer l’égalité des dialectes et des écritures et une tendance à associer systématiquement le syllabique et l’alphabet latin, ces représentations montrent que le syllabique contribue à la construction de l’identité régionale de par sa caractéristique de symbole de la langue inuit.

L’utilisation symbolique du syllabique n’influence cependant pas l’utilisation pratique de cette forme d’écriture. D’ailleurs, le fait que les gens lisent aujourd’hui plus facilement l’anglais et l’alphabet latin pousse certains décideurs inuit, dans une logique de promotion de l’écriture, à tenter de légitimer l’utilisation de cette écriture par tous les locuteurs de la langue inuit du territoire. Cette solution est débattue depuis plusieurs années à une échelle transnationale.

8.2.3 Alphabet latin et organisations des écritures dans l’espace transnational L’histoire de la standardisation des écritures inuit a réaffirmé sans cesse la réticence des régions inuit à adopter un standard qui dépasse leurs frontières. Au Canada, les tentatives d’unification de l’orthographe débuteront avec les velléités d’interventionnisme linguistique du gouvernement fédéral qui confiera la création d’un standard à deux linguistes, Gilles Lefebvre (1957) et Raymond Gagné (1962). Tous deux, dans une perspective assimilationniste, se prononcent pour l’utilisation de l’alphabet latin. Le but ultime du travail de Lefebvre (comme l’indique le sous-titre de son rapport) est l’unification de l’orthographe des Inuit du Canada avec celle des autochtones du Groenland. Leur standard restera lettre morte. La reprise en main de la question de la 240 standardisation par les Inuit eux-mêmes (Shearwood 1998 : 184) aboutira à l’orthographe double standardisée de 1976, sous l’égide de l’Inuit Tapirisat of Canada. Néanmoins, même cette orthographe n’a pas été bien accueillie dans toutes les régions inuit (Dorais 1996 : 189). La version standardisée du syllabique par exemple n’est pas la même au Nunavut et au Nunavik (voir Annexe 1).

À une échelle transnationale, la conscience de la difficulté d’imposer une écriture standard pour la langue inuit, même en alphabet latin, a fait germer en 1979 l’idée d’un système cette fois-ci auxiliaire d’écriture standard. Maclean (1979), une linguiste d’Alaska, propose un tel système pour uniformiser l’écriture de l’inupiat d’Alaska, de l’inuktitut au Canada et du kalaallisut au Groenland. Les standards utilisés dans ces pays datent de 1972 en Alaska, 1976 au Canada et 1973 au Groenland. La question de la création d’un système auxiliaire revient de manière cyclique à l’ordre du jour, soutenue par plusieurs leaders autochtones. Mais elle semble avoir un avenir incertain même si une résolution de l’ICC de 1989 décidait de la création d’un tel système. La suggestion d’une écriture commune pour les Inuit est teintée d’un certain impérialisme culturel groenlandais, ce qui la rend inacceptable pour beaucoup (Harper 2000 : 160). Toutefois, un système d’écriture commun permettrait une meilleure communication et peut-être le partage de matériel écrit, ce qui serait un avantage supplémentaire pour les régions inuit qui cherchent à revitaliser leur langue (Kaplan 2005).

Plusieurs leaders politiques du Nunavut poussent pour l’adoption de l’alphabet latin. Deux personnages politiques majeurs du territoire, John Amagoalik et Jose Kusugak ont défendu à maintes reprises cette option dans des assemblées régionales ou internationales (Bell 1998, Bourgeois 1998, CBC News 2006, Kusugak 2008). Amagoalik veut ainsi faciliter la communication de tous les Inuit circumpolaires et rendre accessible aux lecteurs du Nunavut le volume important de livres produits au Groenland (Alia 1999 : 45-46). Kusugak (2008) souligne la nécessité de choisir un dialecte et un système d’écriture partagés afin de pouvoir communiquer en langue inuit dans le monde circumpolaire

Le refus d’un système d’écriture commun montre les limites d’un regroupement transnational comme l’ICC. Selon Dybbroe (1996 : 46) le succès de l’ICC réside dans sa capacité de mobilisation culturelle plus que dans des actions concrètes : 241

I think many Greenlanders feel that ICC is very far removed from the concerns of daily life in the villages. People outside the rank and file of ICC delegate members may doubt the pragmatic value of ICC work. The wide popular appeal of the events of ICC meetings, on the other hand, testifies to the significance of ICC as a cultural reminder or symbol. There is an exchange going on by way of ICC, which communicates a sense of unity, perhaps because of a shared Inuit past that is felt to be revived.

Dans l’espace transnational circumpolaire les échanges culturels en lange inuit s’organisent semble-t-il plus facilement par le biais de la chanson. À Iqaluit comme à Igloolik, les groupes groenlandais participent à la richesse de la musique en langue inuit :

Do you listen to the radio in Inuktitut? Very much, Greenlandic Inuktitut songs are in my computer, Inuktitut songs are in the city, Inuktitut songs… [Rires]….I like Inuktitut songs whether they are Greenlandic or Canadian because I find, in this area we all have different dialects, but when people start singing, someone from Northern someome from Keewatin, someone from Western Arctic, someone from Pond Inlet, someone from Greenland, when they start singing, when they are singing they are using our dialect not their home dialect. Because I think from song, or maybe because we don’t end our words with elaborate… For us we use the words and that’s not with those funny endings that other dialects would use, and so if you start listening, if you understand Inuktitut well, if you start listening to the music, it doesn’t matter where they come from they use our dialect, they use the Amittuq dialect [dialecte de la région d’Igloolik], whether they know it or not, that’s…Even Greenlanders, they are understandable to us. So you would say that to communicate with other dialects it’s pretty much easier… In songs… That way than writing Inuktitut down? Even in speaking, that person who was singing that I understood very well, speaking in his own dialect, I have a hard time understanding it, when they speak, it’s different when they sing. So it’s… So you listen to Greenlandic songs, but would you ever read some Greenlandic little stories or things like that? I don’t think so, number one, I’ve never seen a book by Greenlanders, number two any subtitles that are submitted on these tapes and CDs are always in English so no Greenlandic written in there, so… Femme, 47 ans, Igloolik

Comme pour les sites de réseaux sociaux l’écrit en anglais accompagne les chansons en lange inuit. Chez les jeunes, les nouveaux médias permettent également de communiquer à l’écrit entre différents dialectes, mais comme on l’a vu une variété glocale d’anglais est utilisée à cette fin (voir chapitre 5). 242

La musique est donc une façon de vivre la culture inuit circumpolaire, au-delà des différents dialectes. Un système d’écriture commun ne changerait peut-être pas les préférences des locuteurs quant à l’utilisation de la langue inuit à l’oral et de la langue anglaise à l’écrit.

8.3 Conclusion : Oralité, dialecte et identité locale L’écriture standard en groenlandais, aux premières loges de l’histoire de la construction nationale, appuie une centralisation du pouvoir économique et du capital social à Nuuk. Cette domination a permis un soutien constant (jusqu’à récemment) à l’épanouissement d’une tradition écrite dans cette langue. Par ailleurs, la langue groenlandaise s’impose dans presque tous les domaines de la communication et n’est plus menacée par l’ancienne langue coloniale. Mais avec le relâchement de la mobilisation ethnique et l’influence des nouveaux médias, les jeunes générations se détourneraient de cette tradition écrite.

Les habitants du Nunavut, comme ceux du Groenland, manient des identités complémentaires et/ou conflictuelles. Au Groenland les individus font appel à leur identité locale ou nationale en fonction du contexte (Nutall 2001). Les identités locales subissent la pression du développement économique, allié d’une certaine façon à l’identité et à la langue nationales. La reproduction de l’identité locale demande un effort soutenu (Ibid. : 54). Au Canada, les identités locales sont d’autant plus importantes que la construction régionale est récente. La pression de l’assimilation culturelle vient plutôt de l’infiltration de la langue et de la culture qallunaat. Sur le territoire (comme dans l’île), la dynamique d’urbanisation exacerbe ces pressions, donnant naissance à de nouvelles stratégies individuelles, stratégies qui s’apparentent à ce que Searles (2001) décrit à Iqaluit comme « the challenge of making Inuit identity a meaningful part of one’s life ».

L’écriture en langue inuit au Nunavut, d’abord très bien intégrée dans les pratiques familiales, locales puis communautaires, perd maintenant du terrain, notamment depuis la baisse du nombre de journaux communautaires (voir chapitre 4). Les identités locales restent la référence majeure, comme l’indique l’attachement au dialecte. Mais l’écriture en anglais monopolise aujourd’hui la plupart des domaines et l’écriture ne peut donc plus appuyer le dialecte local, comme elle l’avait fait depuis le début de la syllabisation. Le 243 soutien à une tradition écrite en inuktitut avec la construction du Nunavut n’apparaît pas comme une priorité (malgré certaines initiatives comme les concours d’écriture, les publications pour jeunes, les sites Internet), et de toute façon semble difficile sans une unification régionale (un standard) et donc une dynamique potentielle de centralisation et d’érosion de la localité. Cette menace semble s’imposer dans les esprits, à tel point que l’on préfère l’écriture en anglais. Mais plus l’anglais écrit est utilisé, plus s’amenuisent les possibilités de faire revivre dans le futur les pratiques écrites dans un dialecte local ou un dialecte standard. 244

9 Conclusion

Figure 15. Carte d’affaire, « Sakku (Pointe de Harpon) Window Cleaning » (Iqaluit 2005), une illustration de la marginalisation du syllabique

Les observations et analyses présentées le long de ce travail confirment le fait que l’écriture est une pratique particulièrement sensible au déplacement linguistique, comme le postulaient les réflexions théoriques et exemples ethnographiques du chapitre 2. La marginalisation du syllabique que révèlent une compétence fragile (chapitre 3), une tradition écrite limitée et l’anglicisation de l’offre médiatique (chapitre 4 et 5), est une manifestation tangible de la dérive des langues qui s’accompagne d’attitudes linguistiques spécifiques (chapitre 6). La complémentarité des écritures n’est pas un état stable et a le potentiel de n’être qu’une étape dans le remplacement de l’écriture en langue autochtone. Si la marginalisation de l’écriture en langue autochtone n’est pas inéluctable, comme le montre la comparaison avec le Groenland (chapitre 7), sa promotion semble dans le contexte contemporain jouer sur toute une échelle de référents identitaires, ce qui pose de nouveaux questionnements.

9.1 Appropriation de l’écriture et idéologies linguistiques L’apprentissage et l’utilisation du syllabique chez les Inuit de la Terre de Baffin infirment le modèle proposé (notamment par Goody) selon lequel l’introduction de l’écriture dans une société entraînerait une révolution cognitive et une stratification sociale, par la transformation des modes de connaissance. La tradition épistolaire inuit qui est née dès le 245 début du 20ème siècle prouve que les « syllabisés » ont saisi les opportunités qu’offrait ce nouveau mode de communication. L’écriture de lettres ou la lecture religieuse, par leur lien avec les pratiques orales, ont trouvé sans peine leur place dans un répertoire communicatif où l’oral a continué de prédominer. L’écriture de journaux intimes ou de dates importantes a complété les fonctions du syllabique, et créé une situation d’incipient literacy telle que définie par Besnier. L’écriture restait attachée au milieu familial, et les parents (surtout les mères) transmettaient cette connaissance.

Avec le processus de sédentarisation et la croissance des titres de périodiques, une véritable tradition littéraire a vu le jour avec deux formes principales, une qui se rapprochait de la transmission orale (écriture d’expériences personnelles et de savoirs, divers types d’histoires) et une autre qui mettait en scène des débats sur la vie contemporaine. Ce deuxième thème a pris de l’ampleur avec la période de revendication autochtone des années 1970. Les journaux ont joué un rôle important dans les échanges communautaires, tout comme la radio, un autre mode de communication, ou encore plus récemment les réseaux sociaux sur Internet, un lieu de création (musicale par exemple) qui permet en plus de renforcer ou créer des liens communautaires. L’écriture en langue inuit ou le syllabique sont exclus de ces médias électroniques, qui connaissent une bonne fortune aujourd’hui.

Par ailleurs, l’instauration des écoles fédérales et des pensionnats au milieu des années 1950 a lancé un mouvement d’imposition d’une autre langue et d’une autre idéologie de l’écriture, l’écriture scolaire. Le syllabique a été relégué au statut d’écriture locale face à l’anglais, l’écriture dominante, c’est-à-dire l’écriture de la « classe dominante » dans les mots de Bourdieu, qu’il serait plus juste ici de qualifier d’ethnie dominante. À l’école, l’écriture s’inscrivait dans une logique de transmission bien différente que celle qui avait lieu dans le domaine familial, puisqu’elle participait à une entreprise d’assimilation, à l’acquisition d’une discipline sociale dans le but d’intégrer une classe inférieure. Toutefois, parmi la première génération de locuteurs qui a fréquenté les écoles fédérales en anglais, et surtout chez les enfants qui ont vécu dans les pensionnats, est apparu un groupe de leaders et d’artistes qui a produit une littérature de contestation (articles, autobiographies) et s’est chargé de l’édition de périodiques essentiels d’un point de vue politique comme culturel. Pour cette génération d’auteurs, il était souvent plus facile de lire et d’écrire l’anglais que le 246 syllabique. Leur bonne connaissance de l’anglais a été importante pour représenter les locuteurs de la langue inuit dans les luttes politiques pour l’autodétermination.

Aujourd’hui, l’investissement identitaire qui accompagne la dérive des langues et le remplacement de l’écriture en langue inuit se porte plutôt sur un impératif de transmission des connaissances (à l’oral ou à l’écrit) que sur la créativité littéraire ou l’écriture en tant que telles. La créativité contemporaine et l’expression artistique en langue inuit se concentrent sur les pratiques orales, avec la chanson ou le cinéma et même la sculpture d’une certaine façon. La création littéraire, à l’exception de la littérature enfantine peut- être, ne s’épanouit plus de la même façon aujourd’hui. Les nouvelles générations sont attirées par d’autres médias, ce qui n’est en aucun cas spécifique au Nunavut (cette tendance se retrouve au Groenland, ainsi que dans des sociétés allochtones). L’idée du passage d’une tradition orale à une tradition écrite (qui avait été mentionnée à la fin du chapitre 2 pour décrire la situation au Nunavut) n’est donc pas confirmée par notre étude, qui décèle plutôt un renforcement contemporain de l’idéologie qui privilégie les pratiques orales de la langue inuit. L’écriture se retrouve liée en partie à la transformation des modes de connaissance, mais à des fins de préservation de savoirs et de connaissances individuels et expérimentés (et non en soi comme l’outil qui permettrait d’atteindre une vérité objective, selon le modèle avancé par Goody). La transmission des connaissances à l’écrit peut prendre la forme de projets d’histoire orale (qui impliquent souvent une coopération entre Inuit et Qallunaat et produisent des documents qui ne sont pas toujours en langue inuit) ou d’initiatives individuelles dans le cadre familial.

9.2 Inégalités linguistiques, échelle et objectifs des mobilisations Cet investissement identitaire contemporain est en partie contraint par la réduction des tribunes d’expression écrite en langue inuit et par la place de l’anglais dans les médias et la culture populaire, situations qui naissent de rapports de force linguistiques et économiques et d’une inégalité sociale envers la société anglophone. Ces rapports sont associés à l’histoire de la sédentarisation.

Avec l’évolution du marché linguistique, le bilinguisme généralisé et la nécessaire complémentarité des langues et des écritures, les personnes ressources sont toujours celles 247 qui peuvent lire et écrire l’anglais comme le syllabique. Cependant, la connaissance du syllabique est aujourd’hui une compétence qui fait défaut chez beaucoup de locuteurs de la langue inuit. À la différence du Groenland, où les institutions scolaires et le marché du travail accordent une place dominante au kalaallisut, le marché linguistique et le système éducatif du Nunavut continuent de favoriser l’écrit en anglais. On se trouve alors devant une dynamique de remplacement de l’écriture en langue inuit par l’écriture dans la langue dominante. La difficulté des locuteurs à écrire et lire l’inuktitut ainsi que le faible volume d’écrits sont une conséquence de cette structure du marché linguistique. L’ « inuitisation » du système scolaire, la mise en pratique d’un idéal d’égalité culturelle et de prise en charge locale de l’éducation s’avèrent une entreprise ardue, comme au Nunavik et dans d’autres régions du monde circumpolaire. De plus, passé les années de scolarisation, les cohortes de jeunes ne peuvent pas s’appuyer sur un système solide de formation des adultes, qui prenne en compte le besoin de continuer le processus de syllabisation. Les projets professionnels de certains jeunes, déjà limités en raison du peu d’emplois disponibles, sont handicapés par l’absence de recours pour améliorer leurs qualifications. L’épanouissement de la tradition écrite, tradition lancée par les périodiques qui ont permis l’expression de nombreux auteurs inuit, en anglais et en inuktitut, est hypothéqué par un manque de support financier. Il s’agirait pourtant d’un domaine de pratique de l’écrit dans les deux langues particulièrement bienvenu dans le contexte contemporain des difficultés rencontrées par le système scolaire.

La comparaison des cas d’Iqaluit et d’Igloolik met en relief l’historique et la complexité des rapports de force entre les langues, qui provoquent une baisse d’utilisation de l’écrit en langue inuit. La capitale est devenue une porte d’entrée des médias au Nunavut, ainsi qu’un relais dans l’expansion de la culture majoritaire. Une communauté comme Igloolik peut entreprendre des initiatives d’appropriation culturelle des médias plus radicales. Son isolement lui donne plus de latitude pour remettre en cause la culture majoritaire. De plus, les résidents y sont très proches, et l’histoire récente de la sédentarisation entraîne l’expression plus fréquente de cette identité communautaire par les médias (radio, Internet). Dans la capitale, l’hétérogénéité ethnique et les vagues continues de migrants inuit originaires de diverses régions transforment les échanges communautaires. Une identité urbaine, basée sur les axes de rencontre des communautés linguistiques grâce à la lingua 248 franca, l’anglais, met à l’écart l’inuktitut au profit d’un organe permettant la communication quotidienne avec tous les résidents.

Néanmoins, même à Igloolik, le façonnement du répertoire linguistique est grandement contraint par l’inégalité avec la société majoritaire. Les pratiques de l’écriture au travail ou sur Internet, faites en anglais, attestent de l’existence de domaines de communication plus généralement dominés par cette langue. La production musicale en langue inuit à Igloolik et sa médiatisation démontrent la vitalité de la tradition orale. Celle-ci rentre cependant en compétition avec la culture populaire anglophone, comme le montrent les pages personnelles des réseaux sociaux virtuels.

Les attitudes des locuteurs offrent un commentaire direct de ces nouvelles réalités linguistiques et sociales. Elles illustrent la transformation des pratiques langagières et la renégociation des stratégies identitaires dans le nouveau contexte inuit bilingue. L’urbanisation, les appartenances générationnelles et le genre se sont avérés des variables importantes dans la formulation des attitudes linguistiques. La marginalisation du syllabique est rationalisée par des locuteurs plutôt jeunes vivant dans la capitale : ils insistent sur le caractère oral de la langue autochtone. Pour des femmes d’âge moyen vivant à Iqaluit, l’écriture a sa place dans l’entreprise de transmission linguistique et culturelle en langue inuit. Ces locutrices s’appuient sur une vie professionnelle qui encourage la pratique du syllabique. À Igloolik, la communauté s’investit largement et depuis longtemps dans la transmission des connaissances orales (projet d’histoire orale, cinéma, site Internet). La bonne vitalité de l’inuktitut par rapport à la capitale semble mettre moins de pression sur la question de la marginalisation de l’écrit en langue inuit, bien que les mêmes dynamiques économiques et médiatiques s’y fassent sentir.

À Iqaluit, des initiatives de promotion de l’écrit en langue inuit montrent le désir de renverser cette dynamique de marginalisation. En tant que centre politique, la ville est la source d’un ensemble de politiques qui tentent de négocier la place de cette écriture. Cette négociation s’intègre dans des dynamiques plus larges. Les revendications transnationales du peuple inuit ont appuyé la transformation d’entités politiques régionales pour qu’elles reflètent le droit à l’autodétermination et les aspirations de la majorité de leur population. La langue inuit représente un symbole dans l’affirmation de la souveraineté des Inuit. La 249 transmission de la langue aux nouvelles générations est une préoccupation urgente dans plusieurs régions, qui a demandé de mettre en œuvre de nouveaux outils législatifs comme la Loi sur la protection de la langue inuit au Nunavut. Certaines dispositions de cette loi ressemblent à des initiatives déjà mises en place au Groenland. Il n’est pas du tout étonnant que face aux conséquences de politiques d’assimilation similaires, des actions qui ont fait leurs preuves soient importées d’une région circumpolaire à l’autre.

Pourtant, ce succès de la coopération et des revendications transnationales ne doit pas masquer des contextes locaux complexes, et, en ce qui concerne les pratiques linguistiques, l’organisation de la diversité dialectale. Le processus d’urbanisation et les dynamiques économiques qui y sont associées sont deux variables de cette organisation.

Les initiatives pour la préservation de la langue inuit jouent sur toute l’échelle disponible de mobilisation, des contextes locaux aux contextes transnationaux. Chaque niveau de mobilisation est approprié en fonction d’objectifs spécifiques, néanmoins, préoccupations locales et actions transnationales et régionales peuvent à l’occasion entrer en conflit. Atteindre un équilibre entre les différents niveaux de revendication n’est pas une tâche aisée parce que l’objectif de préservation de la langue autochtone face à l’ancienne langue de colonisation et l’objectif de soutien aux dialectes (et donc aux savoirs locaux) ne s’accordent pas nécessairement. Une articulation harmonieuse de ces objectifs représente un défi contemporain pour les peuples inuit, vers la recherche de stratégies innovatrices pour permettre l’épanouissement de leurs spécificités culturelles au sein d’entités politiques en devenir.

En ce qui concerne l’Arctique de l’Est, la sécularisation du syllabique peut limiter les objections en ce qui concerne le choix des écritures. Décider de s’engager sur le terrain de l’alphabet latin peut n’être en fin de compte qu’une légitimation de pratiques qui s’effectuent quotidiennement chez les jeunes. Mais l’utilisation de l’alphabet latin, même si cela comporte des avantages, ne permettra cependant pas l’économie d’une promotion active de l’écrit en langue inuit. Une autre question qui se pose aujourd’hui est la création d’un standard littéraire de la langue inuit. Cette question a clairement sa place dans l’effort de promotion actuel de la langue, puisque les différences dialectales sont des obstacles à la lecture pour certains locuteurs. Néanmoins, la préservation des dialectes est aussi une 250 priorité du gouvernement. Dans tous les cas, la standardisation de l’écrit est un sujet épineux qui peut faire rentrer en conflit les initiatives institutionnelles et individuelles de promotion (Tulloch 2006).

Dans toutes ces questions se joue la mise en application des nouvelles lois linguistiques du territoire. Dans la capitale, la recherche d’un bilinguisme stable est une préoccupation urgente qui demande de pousser plus loin la promotion de l’écriture en langue inuit. Dans les plus petites communautés comme Igloolik, la promotion de l’écrit permettra de consolider le caractère dominant de l’inuktitut et de limiter la tendance au déplacement linguistique. Ce processus suppose un effort renouvelé en ce qui concerne les opportunités d’apprentissage du syllabique à tous les âges, un investissement plus grand des hommes dans la dynamique de transmission de l’écriture et le développement de l’offre de lecture en langue inuit. La question des compétences est primordiale, mais au-delà de l’apprentissage et des pratiques, est également en jeu la pertinence quotidienne de la langue inuit. En s’appuyant sur les initiatives de transmission au sein de la famille et sur l’attitude de pragmatisme linguistique, la promotion de l’écrit doit construire des ponts entre les différents domaines.

9.3 Négocier la place de l’écriture dans de nouveaux domaines Afin de clarifier les grands enjeux de cette remise en cause du caractère minoritaire de la langue inuit, on peut définir les projets actuels de revitalisation linguistique comme deux types de résistance (tels que présentés dans Jaffe 2008) : une résistance de renversement (plutôt menée depuis la capitale) et une résistance de séparation (initiée par la communauté d’Igloolik). La première cherche à revendiquer la place de la langue inuit dans les domaines du marché linguistique dominant. La seconde réaffirme plutôt la différence de la langue inuit par rapport à la langue dominante, et se concentre sur des domaines propres au marché alternatif. Dans ce cas précis cela signifie dans la première stratégie un recours à l’écriture en langue autochtone et dans la seconde, la mise en avant des pratiques orales.

Par ailleurs, Bourdieu (1982) montre avec son concept d’économie langagière que les attitudes des locuteurs ne s’inscrivent pas toujours dans un mouvement de résistance à l’idéologie dominante. Elles participent aussi à la construction de l’inégalité sociale en 251 reproduisant cette légitimation de certaines productions linguistiques. Cette réflexion n’est pas toujours reprise dans la littérature sur la revitalisation linguistique, bien que la question de la clarification idéologique y soit présentée en détail, et son importance soulignée pour les pratiques de l’écriture.

Avec la présente étude, on peut faire le lien entre ces deux lignes de recherche et avancer que les attitudes envers l’écriture vont nécessairement se concentrer sur la question de la transition vers l’écriture en langue dominante ou son imposition, et donc offrir un discours sur l’inégalité. Parler de marché linguistique, ou même de marché linguistique alternatif, permet de décrire de façon intéressante de grandes dynamiques certainement présentes au Nunavut. Néanmoins cette description macrosociologique tend à passer sous silence les négociations quotidiennes des locuteurs, donc une description plus pratique et à une échelle plus modeste de cette construction ou déconstruction de l’inégalité. La situation économique des locuteurs, les médias qu’ils utilisent, les domaines favoris d’utilisation de l’écrit, leur perception de la vitalité de l’inuktitut, l’importance de tisser son appartenance au groupe et à la vie familiale, etc. : tous ces éléments conditionnent la place qui est faite à l’écriture en langue autochtone dans la vie quotidienne.

Un premier élément ressort de cette étude : les attitudes envers l’écriture sont un bon indicateur de l’appropriation culturelle ou du contrôle local effectif des institutions. Les transformations politiques au Nunavut ont permis la consolidation d’un marché linguistique alternatif, c’est-à-dire l’utilisation théorique de l’écriture dans de nouveaux domaines. Cependant, l’assimilation linguistique par l’école et les opportunités d’utilisation du syllabique limitées dans le milieu du travail solidifient le marché linguistique dominant, qui marginalise le syllabique. Les attitudes linguistiques participent donc à cette nouvelle réalité ambiguë, qui favorise d’un certain côté la langue autochtone, mais qui continue de travailler quotidiennement pour l’utilisation de la langue dominante. Les différentes opinions envers l’écriture n’apparaissent ainsi pas du tout paradoxales, elles caractérisent une étape dans la revendication de l’égalité linguistique.

Parallèlement, la réinterprétation d’un répertoire linguistique à prédominance orale par rapport au fonctionnement d’une économie de marché qui multiplie les domaines d’utilisation de l’écriture, devient un élément majeur dans la construction de l’identité 252 culturelle et ethnique contemporaine. À un niveau individuel ou collectif, le processus de construction identitaire peut inclure la réappropriation de l’écriture ou au contraire insister sur les pratiques orales. Dans le cadre de cette étude, ceci explique les différents discours sur l’écriture en fonction des générations et du lieu de résidence (la capitale ou Igloolik). Une pratique tenue pour acquise par des personnes unilingues qui participent moins à cette nouvelle économie, est l’objet de discours très divergents chez les personnes bilingues. Un objet de discussion majeur dans la capitale en raison de l’importance du travail salarié, passe souvent inaperçu dans une plus petite communauté aux activités plus traditionnelles. Enfin, la perception d’une perte dans les compétences linguistiques est un déclencheur de ce travail de réinterprétation du répertoire, que ce soit afin d’y inclure les pratiques de l’écriture en langue inuit ou de les rejeter.

Avec cette nouvelle perspective, on peut relire les exemples ethnographiques qui ont été présentés au chapitre 2. La plupart des cas documentent des attitudes linguistiques dans des situations particulières où apparaissent des domaines complémentaires ou nouveaux d’utilisation de l’écriture en langue autochtone (à l’école, dans des institutions politiques). L’épanouissement de l’écriture repose sur le contrôle local des institutions mais aussi sur une réinterprétation du répertoire linguistique pour y inclure ces nouvelles utilisations de la langue autochtone. Ce travail s’effectue souvent en raison d’inquiétudes quant à la pérennité de cette langue.

Par exemple, l’étude de Burnaby et Mackenzie (2001), présentée au chapitre 2, revient sur les attitudes linguistiques qui ont accompagné l’introduction de la langue crie à l’école. Rappelons que les attitudes linguistiques des parents n’étaient pas toutes favorables à l’enseignement du cri, surtout en ce qui concerne l’apprentissage de l’écriture crie avant l’écriture en anglais ou en français (considérés par les parents comme les langues nécessaires pour la réussite scolaire). L’enseignement à l’oral en cri ne soulevait pas les mêmes inquiétudes. Ces attitudes ont changé de façon significative en faveur de l’utilisation du syllabaire cri à l’école entre 1980 et 1990. Selon les auteures (Ibid. : 206- 207) : « As with the reasons for the change of attitude towards the acceptability of the language as a whole as the language of instruction in school, it is not clear why the communities changed their perspective about the possibility that syllabics could 253 successfully be used as the first language of literacy. » Toutefois, les auteures mentionnent trois variables importantes dans le changement d’attitudes. Malgré la formation de la commission scolaire crie, il a fallu quelques années pour disposer du pouvoir de décision et des outils nécessaires pour changer la langue d’instruction. L’activité économique des parents importait dans les attitudes linguistiques : les parents avec des activités plus traditionnelles étaient plus ouverts à l’utilisation de la langue autochtone à l’école. Enfin, il y a eu dans les années 1990 une prise de conscience de la nécessité d’agir contre l’érosion de la langue (voir également McAlpine et Herodier 1994 : 131).

On retrouve donc dans cet exemple les mêmes dynamiques soulignées précédemment. Le syllabique cri est d’abord bien implanté dans le cadre familial et ne remet pas en cause l’idéologie linguistique qui privilégie les pratiques orales. Malgré de nouveaux domaines d’utilisation potentiels de l’écriture en langue autochtone, le marché linguistique dominant continue de privilégier les locuteurs de l’anglais, et son apprentissage reste fortement lié dans les attitudes à une idéologie scolaire de l’écriture en français ou en anglais. D’ailleurs, ceux qui sont plus impliqués dans l’économie monétaire formulent leurs attitudes en conséquence. Le déplacement linguistique et des inquiétudes sur la vitalité de la langue constituent des éléments déclencheurs qui remettent en cause la restriction de l’écriture dans certains domaines. Enfin, des avancées sur le plan du contrôle local des institutions valident l’utilisation de l’écriture dans ces nouveaux domaines.

Dans cette perspective, et avec ces exemples en tête, on peut critiquer la description de Goody de l’écriture comme outil neutre de développement. Avec les structures et institutions qui accompagnent l’inclusion dans l’économie de marché, l’écriture devient un outil de l’assimilation linguistique, avec très souvent une transition de la langue locale à la lingua franca ou la langue majoritaire. Quand des transformations économiques ou politiques parviennent à déstabiliser le marché linguistique dominant, il se crée de nouveaux domaines institutionnels d’utilisation de l’écriture en langue autochtone, bien que l’écriture puisse avoir préalablement été appropriée et utilisée dans d’autres domaines. Son utilisation dans ces nouveaux domaines encourage, grâce à une conjoncture favorable, l’utilisation quotidienne de la langue locale dans toutes les fonctions sociales. 254

9.4 La pérennité de l’écriture en langue autochtone Sans aucun doute, les locuteurs de langue inuit bénéficient aujourd’hui d’une conjoncture favorable au Nunavut pour se réapproprier les domaines institutionnels de l’écriture, après plusieurs décennies d’influence négative du milieu scolaire et d’un marché linguistique plutôt défavorable à la langue inuit.

Avant tout autre, le premier point qu’il faut considérer avec attention est la capacité des locuteurs bilingues à écrire et lire la langue inuit. Il serait extrêmement important de disposer de données statistiques détaillées sur cette compétence et d’agir en conséquence afin de l’améliorer. Plusieurs pistes sont à explorer pour que l’écrit retrouve sa place dans la famille et dans la communauté. Des tribunes d’expression devraient être disponibles pour ceux qui désirent écrire en langue inuit, comme des magazines pour des publics divers. Des cours d’écriture en langue inuit accessibles de temps en temps dans les communautés feraient beaucoup pour améliorer les compétences écrites d’auteurs potentiels, qu’ils soient offerts dans les campus du Collège de l’Arctique du Nunavut ou de façon plus informelle dans des centres communautaires. En parallèle à la question de l’apprentissage du syllabique, le débat doit se poursuivre sur l’opportunité de légitimer l’écriture de la langue inuit en alphabet latin. Bien que les évolutions technologiques aient rendu tout à fait possible l’utilisation du syllabique avec l’ordinateur et sur Internet, beaucoup de locuteurs continuent d’éprouver des difficultés. N’importe quel blocage quant à l’utilisation de la langue avec les nouvelles technologies doit être contourné car il conditionne l’évolution du bilinguisme.

Pour remettre en cause la prédominance de l’anglais, il faut offrir des lectures en langue inuit qui intéressent les jeunes adultes. Associer l’écriture à d’autres modes de communication paraît une approche attrayante. Par exemple, les archives recèlent des photos mais aussi des lettres en syllabique qui, mises ensemble, racontent des épisodes de l’histoire inuit et pourraient être la base de productions sur les histoires familiales. En vue de l’importance de la musique chez les jeunes, des publications et textes autour de ce domaine seraient bien reçus. Pourquoi ne pas produire aussi une collection de livres parlants en inuktitut? Par ailleurs, le volume d’articles publiés dans les journaux est assez important pour faire l’objet de publications par thèmes, ce qui mettrait en valeur la tradition 255

écrite en langue inuit. Un autre recours pour accroître le volume de publications est de rendre disponibles (en adaptant le dialecte si nécessaire) certains textes originaires d’autres régions du Nunavut, du Nunavik ou même du Groenland.

Enfin, une amélioration de la place de l’écrit en langue inuit à l’école et dans le milieu du travail sera la preuve d’une réelle remise en cause du marché linguistique dominant. Il s’agit d’un défi ardu car il demande de modifier en profondeur les structures institutionnelles et les dynamiques économiques actuelles. Néanmoins, cette préoccupation ne doit pas éclipser tous les autres domaines de pratique, qui assurent finalement la pérennité de l’écriture en langue autochtone.

Que ce soit dans d’autres communautés au Nunavut, d’autres régions circumpolaires (comme au Nunavik, ou même au Groenland) ou chez d’autres groupes autochtones (comme les Cris ou les Innus au Québec), les inquiétudes sur l’érosion linguistique et une plus grande autonomie politique mettent en débat la place de l’écriture en langue autochtone. Le maintien du bilinguisme stable et l’appropriation réelle des structures institutionnelles apparaissent nécessairement dans ces discussions. Il serait particulièrement intéressant de documenter attitudes et pratiques linguistiques de façon comparative. Deux thèmes méritent une attention particulière : l’utilisation de l’écriture dans de nouveaux domaines ainsi que la résistance de pratiques plus anciennes. Au-delà de la simple visibilité de la langue et des traductions, quelles sont les conditions nécessaires à l’utilisation effective de l’écriture en langue autochtone dans les nouvelles institutions? La question du choix entre syllabaire et alphabet se pose-t-elle de la même façon en langue crie qu’en langue inuit? On peut aussi se demander quels types de pratiques inscrivent l’écriture dans une continuité culturelle. Le genre des locuteurs a-t-il une influence, comme au Nunavut, sur ce travail de réappropriation?

Une étude comparative permettra de mieux décrire les processus de négociations identitaires et les contextes des choix linguistiques qu’effectuent les locuteurs pendant ces changements majeurs que vivent les sociétés autochtones. Des recherches sur ce thème soutiendront les projets de revitalisation linguistique et participeront à une réflexion plus générale sur la reconnaissance culturelle et l’égalité sociale. 256 Bibliographie

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Annexe 1. Tableau synthétique de quatre syllabaires inuit

1 Alphabet Phonétique International. Quand plusieurs symboles phonétiques sont côte-à-côte, ils renvoient à différentes réalisations possibles, en fonction des dialectes (d’après Dorais 1990, 1996). 285

2 "H" est utilisé dans l’orthographe double et le syllabaire du Nunavut, il renvoie à /h/ surtout présent dans les emprunts à l'anglais. Un petit point superposé aux caractères se retrouve dans tous les syllabaires pour signifier une voyelle longue.

Annexe 2. Périodiques par communauté du Nunavut (sauf Iqaluit et Igloolik, voir chapitre 3), d’après Rankin (2008)

COMMUNAUTÉS DU NUNAVUT Catégorie Titre ARCTIC BAY Communautaire ARCTIC BAY NEWS 74 inuktitut/anglais ARCTIC BAY NEWS/IKPIARJUKMIT PIVALIAYUIT 91 anglais/inuktitut ARVIAT Communautaire MESSENGER/TUSAUTIT devient ARVIAP NIPINGA 66-70/71-76 inuktitut/anglais Culturel AJURNARMAT devient ARJUNGNAGIMMAT 76-80/80-83 anglais/inuktitut (syllabique et alphabet latin)/français puis anglais/inuktitut Culturel INUIT CULTURAL INSTITUTE NEWS/INUMMARILIRIJIT TUSARUTINNGIT devient INUIT CULTURAL INSTITUTE NEWLETTER 75-79/78-79 anglais/inuktitut Culturel UQAQTA 85-88 anglais/inuktitut Culturel ISUMASI:YOUR THOUGHTS 87-PRÉSENT anglais/inuktitut BAKER LAKE Communautaire KAMANUITAUK KLARION: Voice of the Inland People 70-72 anglais/inuktitut Catalogue BAKER LAKE PRINTS 70-73 anglais/français, intro. en inuktitut Communautaire INUIT NIPINGAT 78 anglais/inuktitut Communautaire TUSAGAKSAT 60-72 anglais/inuktitut Catalogue SANAVIK CO-OPERATIVE BAKER LAKE PRINTS anglais/français 74-86 Catalogue SANAVIK COOPERATIVE BAKER LAKE PRINTS anglais/français/inuktitut 74-88 CAMBRIDGE BAY Religieux NUNA: Magazine for Eskimos/INUINAIN MAKPERAKSAN 60-64 anglais/inuinnaqtun (alphabet latin) Communautaire IMIANIK/CAMBRIDGE ECHO 71-72 anglais-inuinnaqtun (alphabet latin) Politique NUNAVUT ONIPKAAT devient INUIT OKAOHEET/INUIT UQAUSIIT 81/81-82 anglais/inuinnaqtun (syllabique et alphabet latin) CAPE DORSET Communautaire CAPE DORSET NEWS anglais/inuktitut 74 Catalogue CAPE DORSET devient CAPE DORSET PRINTS 71/72-74 anglais/français, intro. en inuktitut Catalogue ESKIMO GRAPHIC ART/LES ARTS GRAPHIQUES ESQUIMAUX 59-69 anglais-français 287

Communautaire IMPACT NEWS 77-78 anglais-inuktitut CLYDE RIVER Communautaire CLYDE RIVER 81 PANGNIRTUNG Communautaire PANGNIRTUNG NEWS devient NEWS & VIEWS/UKALIMAGAT devient TUSARASAPIT NUTAT 71-72/72-74 anglais/inuktitut POND INLET Communautaire NEWSWEEK OF POND INLET/PIASUARUSIRMI PIVATLIAYAT MITIMATALIKMI 72-73 anglais/inuktitut Communautaire SUVAGUQ 74-78 anglais/inuktitut TUKISIVIGU/WE UNDERSTAND 73 anglais-inuktitut RANKIN INLET Communautaire RANKIN INLET NEWLETTER 72-73 anglais/inuktitut (syllabique et alphabet latin)/français Communautaire RANKIN TIMES/KAGIKLINIAP PIKKUSIGIT 73-76 anglais/inuktitut Communautaire SUVAGUUQ 80 Communautaire KEEWATIN BREEZE/KIVALIU ANURISUNIALG 80-81 anglais/inuktitut Communautaire GREAT WHITE NORTH NEWSLETTER/KANGGIQINIUT TUSAGAKSARKUTINNGIT 83 anglais/inuktitut Communautaire INUNGUT/KEEWATIN INUIT ASSOCIATION NEWS 82-84 anglais/inuktitut Communautaire ISSUMAVVIK 77 anglais-inuktitut RESOLUTE BAY Communautaire TUNIK/TUMIK 74-75 anglais/inuktitut

AUTRES LIEUX DE PUBLICATION (mais concernent directement le Nunavut) OTTAWA Religieux INUNGNUT TAMENUT devient INUNGUN 41-63/64-68 inuktitut Politique LAND CLAIMS MONTHLY/NUNALINIRIQ TARKITAMMAT 80 anglais/inuktitut Politique NUNAVUT: a report on land claims from the Tunngavik Federation of Nunavut 84-93 anglais/inuktitut Politique NUNAVUT NEWSLETTER: a monthly report on the Nunavut Land Claims Project 82-84 anglais/inuktitut Environnemental CARIBOU NEWS/TUTUK TUSARATSAIT devient CARIBOU NEWS IN BRIEF 81-96/97-PRESENT anglais/inuktitut Économique NUNASIKKUT TITIRAQSIMAJUUTINGI/NUNASI REPORT/SUVUGUUQ 84-86 anglais/inuktitut TORONTO Catalogue DORSET/CAPE DORSET ANNUAL GRAPHICS COLLECTION devient CAPE DORSET GRAPHICS 75-78/79-83/84-87 anglais/inuktitut/français puis anglais seulement CHURCHILL Culturel NEW NEWS/NUTAT TUSANATUT devient KEEWATIN ECHO/INUIT NIPINGGIT 67-69/69-75 anglais-inuktitut Religieux LINK devient ESKIMO 44-70/71-PRESENT anglais/français YELLOWKNIFE Nouvelles NUNAVUT NEWS 2004-PRÉSENT (Régional)

289 Annexe 3. Affiche : Implementing Language Policy in Nunavut

290 Annexe 4 : Bibliographie littérature enfantine : Baffin Divisional Board of Education/Qikiqtani School Operations/Pond Inlet Education Council/Eastern Arctic Teacher Education Program

Adla, Kumaarjuk et Babah Kalluk 1998 Five little ducks = Tallimat mitiralaat, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Akeagok, Susan 1992 Sanajiqannggikkutta nunattinni nunavut qanuittuugajaqpa? = Community workers, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Akulujuk, Geesee 1989 Uuttuqsiuqtuq = Spring hunting, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Akulujuk, Geesee 1989 Giisiup tisurautingga = Geesee's first sled, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Akulujuk, May 1992 Qalupalialuk amaqsijuminiq = Sea monster, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Aliqatuqtuq, Mary et Martha Kyak 1998 Lena's birthday, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Alooloo, Morty 1989 Nukakuluga = My younger sister, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Alooloo, Morty 1989 Innauliruma = When I grow up, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Alooloo, Morty 1989 Anaanaga, ataataga = My mother, my father, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Alooloo, Morty 1992 Naliangnigli pijumavit = Which would you like?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Alooloo, Sarah 1996 Serkeneq, serkeneq, serkeneq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Amakallak, Joatta et Jokeypah Killiktee 291

1999 Ii,Pi,Ti,Ki workbook, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Andrews, Lilinoe 1992 Niriarjukpagluta tariumiitittiarjukpagluta = Eat some, salt some, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Apak-Rose, Liz 1989 Qimmiq silaqkatitnniittuq = The neighbourhood dog, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Apak-Rose, Liz, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Qallupillualuk, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Apak-Rose, Liz, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Nunaup pigiarninga, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Apak-Rose, Liz, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Anuraaliqtitanga, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Apak-Rose, Liz, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Nattiriuqtuq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Apak-Rose, Liz, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Inuksuk, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Aqqiaruq, Jeela 1990 Nanuruluk kaakturuluk = Poor old hungry polar bear, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Aqqiaruq, Jeela 1995 Miinaup inuusingani, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arnakallak, Esther 1998 Makpainuk's outpost camp memories = Makpainnup surusiunivininga nunaliralaangullutik ilagiit, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arnakallak, Joatta 1999 I, pi, ti, ki, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arnakallak, Joatta 1999 A, pa, ta, ka, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

292

Arnakallak, Oopah 1988 Qitqgaujara = My dolly, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arnakallak, Oopah 1996 Tosovalaoqsemanera, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arnakallak, Oopah 1996 Qiuttivik, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arnalak, Emil 1993 Tuumasi tuttuliaqataujuq = Thomasie goes caribou hunting, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arnalak, Emil et Theresie Tungilik 1993 Staying in tent = Tuumasikkut ulalivut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arnalak, Emil et Theresie Tungilik 1993 Going home = Tuumasikkut anggirraliqput, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arnalak, Emil et Theresie Tungilik 1993 Thomasie's hunting = Tuumasi aullaqsimaqataujuq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arngaq, Jessica 1991 Anggigliguma = When I grow up, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arreak, Rhoda, Baffin Divisional Board of Education, Northwest Territories. Dept. of Education Teaching and Learning Centre et First Language Children's Literature Publishing Workshop 1992 Naina, Iqaluit, Nortext.

Arreak-Lightstone, Micah 1992 Sinnaktura = Piujuq's dream, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arreak-Takawgak, Rhoda 1988 Nanualuit ilimanaqtut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arreak-Takawgak, Rhoda 1988 Nanualuk aqiatturunnangittuq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Arreak-Takawgak, Rhoda 1990 Paita nanonoaq eqeasooq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Ataguttaq, Lydia 1994 Paippaaq puuksaq kisumik ilulirkaqpa? = What's in the brown bag?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education. 293

Atseriak, Elizabeth, Julia Hill, Grace Oldfriend 1996 Ekajolaoqtonga penasoaroseolaoqtame, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Avingaq, Ruth et Susan Avingaq 1992 By dogteam = Qimuksikkut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Avingaq, Susan 1992 The old squaw and the ptarmigan = Aggiarjukuluglu aqiggirlu, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Awa, Elizabeth 1993 Lisa and her pet, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Awa, Mathias 1988 Mataiaasi avaup = Child rearing customs, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Awa-Cousins, Salomie 1996 Egottaet haaloveeqtot, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Baffin Divisional Board of Education 1988 Uqaluraujautit ammalu taimunggaagait, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Baffin Divisional Board of Education 1990 Haaluiiqtut = Celebrating Halloween, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Baffin Divisional Board of Education 1992 Inuit puiguqtauqunnggitanggit = Interview project, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Baffin Divisional Board of Education 1992 Iqkaumajavut = Life stories, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Baffin Divisional Board of Education 1992 Nutaqkanut uqalurujautit ammalu taimunggaagait = Poems and chants, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Baffin Divisional Board of Education 1992 Unikkaata naittut = Short stories and poems, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Baffin Divisional Board of Education 1995 Natsiit, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

294

Baffin Divisional Board of Education 1997 Imarmiutait aivajut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Burke, Tocasie 1999 Qulliq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Currie, Meeka 1992 Going hunting = Asivarumakkakuluk, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Currie, Meeka 1989 Maiku qallunaat nunanggannut aullaqkuq = Michael goes south, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Da Silva, Hilary 1989 Laitaup tulugaqutinggit = Lyta and his ravens, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Daitch, Richard W. 1988 Jim Kilabuk remembers : my father and the ghosts, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Dialla, Daisy 1989 Uliipakkuk Maataliikkuk nunivagiaqattaqtuuk = Oleepa and Madeline go blueberry picking, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Enoogoo, Peoyok 1989 Aqausiq = Inuit lullaby, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Enoogoo, Peoyok 1990 Upirnggaakkut aullaaqtuta = Spring camp, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Enoogoo, Peoyok 1997 Ajjigiinngaliriit, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Enuaraq, Tommy 1989 Kia niriniaqpaangga? = Who's going to eat me?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Etidlui, Tiraaq 1996 Upirngaasunnimik naimalauqsemavet?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Evic-Twerdin, Leena 1995 Traditional Inuit beliefs in stories and legends = Inuit uppirivalauqtanggit, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

295

Evic-Twerdin, Leena 1991 Inuit uppirivalauqtanggit = Traditional Inuit beliefs in stories and legends, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Evic-Twerdin, Leena 1992 Quviasuvviutillugu = When it was Christmas, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Hainnu, Jukeepa 1998 Kajjaarnaqtut iqkaumajakka =[Sweet memories, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Hainnu, Phoebe 1997 Inugarulligait, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Hainnu, Phoebe 1997 Kiviuviniup tiriganianga, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Hutchings, Mary 1990 Upirnggatsaakkut kajjaarijakka = What I like about spring, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Hutchings, Mary 1992 Sinikutaattuviniutsungga = Long sleep, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Hutchings, Mary 1993 Qakalipaaqtaaviniapiga! = My new sweater, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Iqaluk, Caroline K. 1994 Weather, Iqaluit, Baffin Divisional Education Council.

Iqalukjuaq, Jacobie 1995 Agluit, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Isaac, Sanak 1991 Qilalugaq = Belugas are huge, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Ittuksardjuat, Monica, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Qimuksiraujaqtut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Ittuksardjuat, Monica, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Akumalik, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Ittuksardjuat, Monica, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher 296

Education Program 1988 Ujaqkat qiturngaqasuut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Ittuksardjuat, Monica, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Nasaruvaarlu tarralikisaarlu, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Ittuksardjuat, Monica, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Sungaujat, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Iyerak, Thoretta 1989 Naujaq tulugangguqtuviniq = Seagull to raven, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Iyerak, Thoretta 1989 Ilakka = My family, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Jaw, Geela 1996 Tarralikitaak, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Jaw, Geela 1998 Aniitaup kigutinga aulajuq = Anita's loose tooth, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Jaypoody, Elisapee 1989 Nunarait = Plants, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Joanas, Louise 1995 Niviaqsaap tammarnigna, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Joseph, Lydia 1989 Qimmarjuuniruma = If I were a puppy, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Joseph, Lydia 1989 Aputi = Snow, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kadlutsiak, Eva 1995 Qanuq angitigivunga?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kalluk, Mary 1989 Iguttaruluk = Bumble bee, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kalluq, Qillabaq 1989 Jiiniup annuraanggit = Jeannie's clothes, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

297

Karpik, Leesee 1989 Suusiup anikulua Nua nattiriuqtuq = Noah's first seal, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Karpik, Leesee 1989 Suusi niuqitillugu ilaminnut Panniqtuumiittunut = Susie visits her relatives in Pangnirtung, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Karpik, Leesee 1989 Suusikkuk ninggiuriik = Susie and her grandmother, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Karpik, Leesee 1989 Suusi anaananggata ikajuqtingga = Susie helps her mother, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Karpik, Leesee 1989 Ilagiit susuungguvat anggirramini = Families at home, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kavik, Lizzie 1992 Kitijjutiit = Numbers, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kavik, Lizzie, Margaret Lawrence 1994 Ammalukitaat, ammalukitaat, ammalukitaat = circles, circles, circles, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Keenainak, Licia 1989 Illussavut = The new house, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kilabuk, Michael J. 1989 Ulluq inuusingganik Qalaapiup = A day in the life of Qalaapik, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Killiktee, Tuqqassie 1992 Jaasuakuluk ilinniariariuqpuq = Joshua's first day of school, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Killiktee, Tuqqassie 1993 Arnaq taqkiliaqtuviniq = The woman who went to the moon, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Killiktee, Tuqqassie 1993 Maatiusi mamaqsuqtuq = Maatiusi's favorite food, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Komangapik, Kitty 298

2001 A summer story, Iqaluit, Qikiqtani School Operations.

Kublu, Alexina 1988 Anggut tautunnggittuq tautuliqtitaujuviniq qaqsaurmut = The little blind boy, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kyak, Carmen Kidlapik 1998 Ullagutik kamiik, Iqaluit, Baffin Division Education Council.

Kyak, Carmen Kidlapik 1998 Isigaujaak = Les espadrilles, Iqaluit, Conseil de l'Éducation de la Division de Baffin.

Kyak, Martha 1992 Sanngijurjuaq = Sanggijurjuaq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kyak, Martha 1998 Lucy's first love = Luusi piqannaqariuq & ini nagligusugiurninga, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kyak, Martha 1989 Nanungguaq, nanungguaq qanuippit ullum? = Teddy bear, teddy bear, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Kyak, Martha 1989 Saumngnut taliqpingnut = Left hand, right hand, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Lonsdale, Sheyla 1993 Pinna sunakuluk?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Lucassie, Charlie 1988 Mannittalauqsimanivut = Hunting for eggs, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Lucassie, Charlie 1988 Qupanualauqsimanira = The time I caught a snow bunting, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Lucassie, Charlie 1989 Ajjinngguat = Viewing photographs, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Lucassie, Charlie 1989 Ataatatsiara = Church, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Lucassie, Charlie et Martha Kyak 1989 It's on backwards = Tunummunggaarajunra, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education. 299

MacDonald, Lucy 1994 Aarluk aivirlu = The killer whale and the walrus, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Maik, Suuvinai 1995 Nattiriuqtunga!, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Maik, Suuvinai, Piisi Pitsiulaaq, Rhoda Arreak-Takawgak 1988 Piita nanukuluk iqiattakuluk, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

McDermott, Kate, Sarah McDermott, Eva Areak, Naudlaq Arnaquq, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Asiusimajuq pualu, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

McDermott, Kate, Sarah McDermott, Eva Areak, Naudlaq Arnaquq, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Pijariiqsimangittuk amaut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

McDermott, Kate, Sarah McDermott, Eva Areak, Naudlaq Arnaquq, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Tutturajaak Kamiik, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

McDermott, Kate, Sarah McDermott, Eva Areak, Naudlaq Arnaquq, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Amautiit ajjagiingittut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

McDermott, Kate, Sarah McDermott, Eva Areak, Naudlaq Arnaquq, Baffin Divisional Board of Education et Eastern Arctic Teacher Education Program 1988 Aupajuktuq nasaq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Metuq, Lena 1989 Quviasuvvik = Christmas, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Milton, Linda, Joatta Arnakallak 1999 U, pu, tu, ku, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Milton, Linda 1999 Tuktuliaq&uta, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Milton, Linda et Timon Pitsiulak 1999 Caribou hunting = Tuktuliaq&uta, Iqaluit, Nunavut, Baffin Divisional Board of Education.

Muckpa, Jotah 1995 Umiaqtuqattalaukallakluta, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

300

Mullen, Anne 1988 Qanuigajaqpakiaq?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Naulalik, Ishmael 1980 Qautamaat nalliutivanniruma, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Naulalik, Ishmael 1988 Uumajut ajjigiinggittut = Northern animals, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Naulalik, Ishmael 1989 Usuliarniq ammuumajjiarnira = Clam digging, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Naulalik, Ishmael 1989 Aqiggisiuqsimallungga = Ptarmigan hunting, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Nuqinngaq, Mathew 1995 Juanasi silaliriji, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Nutarak, Esther 1989 Quviasugvingmi = At Christmas, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Nutaraq, Joanna 1993 Aakka, aakka, Milani = No, no, Milani, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Okango, Lydia 1989 Anggutiralaakuluk = The teeny tiny boy, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Okango, Lydia 1990 Piruqsiara = My plant, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Okango, Lydia 1990 Aggakka = My hands, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Okpik, Kathy 1989 Siipaup ataatassiangga aanniajuq = Sheepa's grandfather is ill, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Okpik, Kathy 1989 Tukkarialittaakkak = My new bicycle, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Okpik, Kathy 1989 Arnaq irnisuliqtuq = Women in labour, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

301

Okpik, Kathy 1989 Mannittalauqsimagatta = The egg hunt adventure, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Okpik, Kathy 1989 Aliasuttualuulauqsimagama = The time I was scared, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Okpik, Kathy 1992 Imaquup qarmamiutauvalauqsimaningga = Living in a sod house, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Oqutaq, Iqaqtilik 1996 Sonaovonga?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Padlo, Annie 1992 Short stories and poems, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Palluq, Qupirrualuk 1992 Ujararmik qiturngganngguaqaqsunuk piqatigalu = Playing with stones, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Palluq-Atagoyuk, Geela 1995 Taissunmani 1805mi, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Petaulassie, Annie 1990 Kumak, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Petaulassie, Annie 1996 Pamiukutaaliruluk, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Philip, Pauline 1996 Killaapikkuk aapakkuk, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Phillip, Pauline 1995 Inuksugait, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Pitsiulaaq, Piisi 1992 Silaqkiup atigitaaqkaungga = Silaqi and Rosie, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Pitsiulaaq, Saa 1995 Piqatiapikkalu, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Pitsiulak, Gela 1994 Urkalimaaqtuaqtillungga = While I was quietly reading, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education. 302

Pond Inlet Education Council et Baffin Divisional Board of Education S.N.Tingmiat mittimatalingmi takujauvaktut, Iqaluit, Pond Inlet Education Council.

Pond Inlet Education Council et Baffin Divisional Board of Education 1980 Tuktuit miksaanut, Iqaluit, Pond Inlet Education Council.

Pond Inlet Education Council et Baffin Divisional Board of Education 1980 Nanuit miksaanut, Iqaluit, Pond Inlet Education Council.

Pond Inlet Education Council et Baffin Divisional Board of Education 1980 Aglangniq, Iqaluit, Pond Inlet Education Council.

Qamaniq, Uvinik 1998 Tariup iqkangani= Under the sea, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Qamaniq, Uvinik 1998 Amaruq = the wolf, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Qanatsiaq, Nunia 1993 Juuna inatuujuriuqtillugu = Juuna's first time alone, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Qanatsiaq, Rhoda 1989 Tulugaaluglu tiriganiattiarlu = Raven and the fox, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Qiatsuk, Niviaqsi, Elisapee Qaumagiaq, Kulluarjuk Simeonie 1996 Ningiurluuti, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Qikiqtani School Operations 2001 Latsaulaasi, Iqaluit, Qikiqtani School Operations.

Qikiqtani School Operations 2001 Liina, Iqaluit, Qikiqtani School Operations.

Qikiqtani School Operations 2001 Uvilluq, Iqaluit, Qikiqtani School Operations.

Qikiqtani School Operations 2001 Annie, Iqaluit, Qikiqtani School Operations.

Qikiqtani School Operations 2001 Girl’s story of hardship how to cope with life, Iqaluit, Qikiqtani School Operations.

Qimiqpik, Quaraq 1988 Unikaaqtuanngguat uqalimaariuqsauttiit ajjiqiinnggittut, Iqaluit, Baffin Divisional 303

Board of Education.

Quassa, François Tamnaruluk 1989 Isumatujuuk nukappiak = Clever children, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Quassa, Joanna 1997 Uluuti qikimaguajuq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Qulaut, Pat 1992 Taqkiliaqtuq = Travelling to the moon, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Rigby, Lisa 1996 Nameettaneqkaaq? = You never know where it's been, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Samayuallie, Elisapee 1993 Qanuq pitsiulaarurniqkat = How did they come to be called pitsiulaaqs?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Samuelson, Chrissie 1996 Qatsiuvat qattaup iluani?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Serkoak, David 1989 Iglu alianaqtuluk = The haunted house, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Slaavid 1990 Nuvuja katattuq = A cloud fell, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Sowdluapik, Geela 1989 Pinngguaqtut = Games, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Sowdluapik, Rosie 1989 Piqatigiik = Friends, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Sowdluapik, Rosie, Michael J. Kilabuk 1989 Suulumuuniup nannugiurutingga = Solomonie's first polar bear, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Tayara, Molly, Sanak Isaac 1991 Uvininniarunnaliktungga namminiq = I can do things for myself, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Teevee, Ningeokuluk 1990 Qanutuinnarli isumasuungguviit? = What if?, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

304

Tigullaraq, Naomi et Dan Page 1998 Pita's mystery adventure, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Tigullaruq, Naomi 1990 Lia nukaqtaarumajuq = Leah wants another sister, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Tigullaruq, Naomi 1990 Kia pingmagu Piitaup puvigangga = Peter's yellow balloon, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Tigullaruq, Naomi 1990 Piita kigutaiqtaujuq = Peter visits the dentist, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Tigullaruq, Naomi 1994 Piita nattirasugiarkataujumajuq = Peter wants to go seal hunting, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Twerdin, Qaajuina Rosemary 1990 Kamanaqturuluk pulaariaqtuq = Adaptation of The strange visitor, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Ungalaq, Rhoda 1989 Inuit qimmingguqtuviniit = The people who became dogs, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Uviluq, Linda 1995 Pittiulaaq kigutilirijiliaqpuq, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Webster, Helen 1989 Inugaq = Inugaq bone game, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

305

Annexe 5 : Publications (bilingues), autres éditeurs

Inhabit Media et Nunavut Bilingual Education Society Canady, Andrea, Anna Ziegler, Neil Christopher, Qikiqtani Inuit Association 2005 Tukisigiaruti qaujisaqtulirinirmut : life science handbook for Nunavut educators, Iqaluit, Nunavut Bilingual Education Society.

Christopher, Neil, Keith Christopher, Louise Flaherty, Noel McDermott, Danny Christopher 2005 Classifying vertebrates = Nalunaijainiq rkimirlulingnit, Iqaluit, Nunavut Bilingual Education Society.

Christopher, Neil, Keith Christopher, Babah Kalluk, Louise Flaherty, Noel McDermott 2006 & 2007 Taiksumani : Inuit myths and legends = Taiksumani : Inuit ukpirijangit unikkaaqtuangillu, vol. 1 & 2, Iqaluit, Nunavut Bilingual Education Society.

Christopher, Neil et Louise Flaherty 2007 Kappianaqtut : Strange Creatures and Fantastic Beings from Inuit Myths and Legends, Iqaluit, Inhabit Media.

Christopher, Neil, Louise Flaherty et Larry MacDougall 2007 Stories of the amautalik : fantastic beings from Inuit myths and legends, Iqaluit, Inhabit Media.

Christopher, Neil, Louise Flaherty et Larry MacDougall 2007 Amautaliup miksaanut unikkaat : takulimanggittut uumajut kamanaqtullu uumajut inuit ukpirijangginniinnggaaqtut unikkaaqtuangginnillu, Iqaluit, Inhabit Media.

Inuksuk, Meeka 2005 Unikkaaqtuat unikkaallu sanirajarmit katitaujut, Iqaluit, Nunavuumit Marrungnit Uqasilingnut Ilinniaqtittinirmit Katujjiqatiginggit.

Kalluak, Mark, Neil Christopher et Louise Flaherty 2009 Unipkaaqtuat Arvianit = Traditional Inuit stories from Arviat, Iqaluit, Inhabit Media.

McDermott, Noel, Neil Christopher et Maaki Kakkik 2006 Akinirmut unipkaaqtuat : stories of revenge, Iqaluit, Inhabit Media.

Qitsualik, Rachel A., Sean A. Tinsley, Emily Fiegenschuh et Patricia Ann Lewis- MacDougall 2008 Qanuq pinngurnirmata : Inuit stories of how things came to be, Iqaluit, Inhabit Media.

Tulugarjuk, Leo, Jaypeetee Arnakak, Tugaaq Tuurngaaluk, Qikiqtani Inuit Association et Niutaq Cultural Institute 306

2007 Unikkaaqtuat Qikiqtaniinngaaqtut = traditional stories from the Qikiqtani Region, Iqaluit, Inhabit Media.

Ziegler, Anna, Rebecca Hainnu, Aalasi Joamie et Nunavut Bilingual Education Society 2009 Walking with Aalasi : an introduction to edible and medicinal Arctic plants, Iqaluit, Inhabit Media. Nortext Arnaktauyok, Germaine, Northwest Territories. Dept. of Education, Learning and Teaching Centre et First Language Children's Literature Publishing Workshop 1992 I want to go hunting too!, Iqaluit, Nortext.

Goldfarb, Beverly et Design Nortext Information 1989 The Pangnirtung Weave Shop : 1969-1989, Nepean, Ont., Nortext Information Design.

McDermott, Kate et Germaine Arnaktauyok 1991 Who's going to eat me?, Nepean, Ont., Nortext.

Nortext Information Design 1988 Birds of Igloolik = Igluliup tingmiangit, Nepean, Ont., Nortext Information Design.

Palliser, Caroline, Maggie Kiatainak, Guita Anawak, Keewatin Divisional Board of Education et First Language Children's Literature Publishing Workshop 1992 Jimmy, Iqaluit, Nortext.

Rigby, Lisa 1995 Ullumi suqqauvit? = What did you do today? = Qu'as-tu fait aujourd'hui?, Iqaluit, Nortext. Nunavut Wildlife Series (volumes bilingues) Anand-Wheeler, Ingrid 2002 Terrestrial Mammals of Nunavut, Iqaluit, Department of Sustainable Development, Wildlife Management Board et Qikiqtani School Operations.

Mallory, Carolyn et Susan Aikan 2004 Common Plants of Nunavut, Nunavut Dept of Education, Iqaluit, Nunavut Wildlife Management Board et Canadian Museum of Nature.

Richard, Pierre 2001 Marine Mammals of Nunavut, Iqaluit, Teaching and Learning Centre, Qikiqtani School Operations, Department of Education, Nunavut.

Wendt, J.S., M. Wyndham et Eva Arreak 2000 Birds of Nunavut, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education. 307

Department of Culture, Language, Elders and Youth 2008 Titiraliritti! A commemorative book with winning stories from the annual Nunavut Literary Prize (2003-2007), Iqaluit, Department of Culture, Language, Elders and Youth.

Pirurvik Centre (en inuktitut seulement, syllabique et alphabet latin) Evic, Leena 2007 Surusiqsiutit Inngiutit (Song book), Iqaluit, Pirurvik Centre.

308

Annexe 6 : Autobiographies Nunavut (écrits bilingues ou en langue inuit) Akuluyuk, Malaya et al. 1976 Stories from Pangnirtung, illustré par Germaine Arnaktauyok, Edmonton, Hurtig Publishers.

Ayaruaq, John 1968 The Autobiography of John Ayaruaq, Ottawa, Dept. of Indian and Northern Affairs and Northern Development.

Innuksuk, Rhoda et Susan Cowan 1976 We don't live in snow houses now: reflections of Arctic Bay, Ottawa, Edmonton, Canadian Arctic Producers, distributed by Hurtig.

Mannik, Hattie 1998 Inuit nunamiut = Inland Inuit, Altona, Friesen Corporation.

Pitseolak et Dorothy Eber 1971 Pitseolak : pictures out of my life, Seattle, University of Washington Press.

Inuit Cultural Institute Collectif 1986 Recollections of Inuit elders : in the days of the whalers, and other stories = Iqqaittarningit Inutuqait : arvirniaqtitaqalauqtillugu amma asingi unipkaaqtuat, Eskimo Point (Arviat), Inuit Cultural Institute.

Iqalujjuaq, Levi 1988 Recollections of Levi Iqalujjuaq : the life of a Baffin Island Hunter = Iqqaumajangit Levi Iqalujjuup : Qikiqtaalungmi Maqaitiup Inuusinga, Eskimo Point (Arviat), Inuit Cultural Institute.

Paungat, Helen 1988 Recollections of Helen Paungat : a life in the Keewatin = Iqqaumajangit Halan Paunngat, Eskimo Point (Arviat), Inuit Cultural Institute.

Ungalaaq, Martha Angugatiaq 1985 Inuit life fifty years ago : recollections of Martha Angugatiaq Ungalaaq, Eskimo Point (Arviat), Inuit Cultural Institute. Baffin Divisional Board of Education. Attagoota, Letia 1988 Liitia Ataguttak surusiuniviningga = Autobiography of Letia Attagoota, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Baffin Divisional Board of Education 309

1992 Iqkaumajavut = Life stories, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education.

Sangoya, Martha et Baffin Divisional Board of Education 1988 Maa Sangajaup unikkaanga surusiunivinirminika = Autobiography of Martha Sangoya, Iqaluit, Baffin Divisional Board of Education. Pond Inlet Education Council (en langue inuit seulement) Pond Inlet Education Council et Baffin Divisional Board of Education 1980 Anggiliq Nutaraup inuusirminik unikkaanggit, Iqaluit, Pond Inlet Education Council.

Pond Inlet Education Council et Baffin Divisional Board of Education 1980 Saamiuli Arnakallaup inuusirminik unikkaangga, Iqaluit, Pond Inlet Education Council.

Pond Inlet Education Council et Iqaluit Education Council 1980 Saiman Anaviapiup inuusirminik unikkaanga, s.n., Pond Inlet Education Council with the assistance of the Iqaluit Education Council.

Pond Inlet Education Council et Iqaluit Education Council 1980 Timuti Kalluk inuusirmanik unikkaanga, s.n., Pond Inlet Education Council with the assistance of the Iqaluit Education Council.

Pond Inlet Education Council et Iqaluit Education Council 1980 Aisapi Qanngup inuusirminik unikkaanga, s.n., Pond Inlet Education Council with the assistance of the Iqaluit Education Council.

Pond Inlet Education Council et Iqaluit Education Council 1980 Lia Miqkusaaq surusiunivininga, s.n., Pond Inlet Education Council with the assistance of the Iqaluit Education Council.

Pond Inlet Education Council et Iqaluit Education Council 1980 Kuunilusi Nutaraup inuusirminik unikkaanga, s.n., Pond Inlet Education Council with the assistance of the Iqaluit Education Council.

Pond Inlet Education Council et Iqaluit Education Council 1980 Aana Ataguttiaq inuusirminik unikkaanga, s.n., Pond Inlet Education Council with the assistance of the Iqaluit Education Council. 310

Annexe 7 : Publications Collège de l’Arctique du Nunavut

Interviewing Inuit Elders (tous les volumes disponibles en langue inuit) Volume 1 Saullu Nakasuk, Herve Paniaq, Elisapee Ootoova, Pauloosie Angmaalik (Édité par Jarich Oosten et Frédéric Laugrand) 1999 Introduction, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 2 Mariano Aupilaarjuk, Marie Tulimaaq, Emile Imaruittuq, Lucassie Nutaraaluk, Akisu Joamie (Édité par Jarich Oosten, Frédéric Laugrand et Wim Rasing) 1999 Perspectives on Traditional Law, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 3 Naqi Ekho et Uqsuralik Ottokie (Édité par Jean Briggs) 2000 Childrearing Practices, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 4 Mariano Aupilaarjuk, Lucassie Nutaraaluk, Marie Tulimaaq, Rose Iqallijuq, Johanasi Ujarak, Isidore Ijituuq, Michel Kupaaq (Édité par Bernard Saladin d’Anglure) 2001 Cosmology and Shamanism, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 5 Alacie Joamie, Akisu Joamie, Jayko Pitseolak, Malaya Papatsie, Elisapee Ootoova, Tirisi Attagutsiak (Édité par Frédéric Laugrand et Michèle Therrien) 2001 Perspectives on Traditional Health, Iqaluit, Nunavut Arctic College. Inuit Perspectives on the 20th Century (tous les volumes disponibles en langue inuit) Volume 1 Rachel Uyarasuk et Victor Tungilik (Édité par Jarich Oosten et Frédéric Laugrand) 1999 Transition to Christianity, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 2 George Agiaq Kappianaq et Cornelius Nutarak (Édité par Jarich Oosten et Frédéric Laugrand) 2001 Travelling and Surviving on our Land, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 3 Felix Pisuk, Salome Ka&&ak Qalasiq et George Agiaq Kappianaq (Édité par Stephane Kolb et Sam Law) 311

2001 Dreams and Dream Interpretation, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 4 Mariano Aupilaarjuk, Peter Suvaksiuq, Felix Pisuk, Pujuat Tapaqti, Luke Nuliajuk, Ollie Itinnuaq, Jose Angutinnqumiq (Édité par Jarich Oosten et Frédéric Laugrand) 2002 Inuit Qaujimajatuqangit: Shamanism and Reintegrating Wrongdoers into the Community, Iqaluit, Nunavut Arctic College. Memory and History in Nunavut (volumes bilingues) Volume 1 Frédéric Laugrand, Jarich Oosten et François Trudel 2000 Respresenting Tuurngait, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 2 Mélanie Gagnon et Aînés d’Iqaluit 2002 Inuit Recollections on the Military Presence in Iqaluit, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 3 Frédéric Laugrand, Jarich Oosten, Maaki Kakkik 2003 Keeping the Faith, Iqaluit, Nunavut Arctic College. Life Stories of Northern Leaders (tous les volumes disponibles en langue inuit) Volume 1 Abraham Okpik, édité par Louis McComber 2008 We Call it Survival: The Life Story of Abraham Okpik, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 2 John Amagoalik, édité par Louis McComber 2007 Changing the Face of Canada: The Life Story of John Amagoalik, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 3 Paul Quassa, édité par Louis McComber 2008 We Need to Know Who We Are: The Life Story of Paul Quassa, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 4 James Arvaluk, édité par Noel McDermott 2007 That’s My Vision: the Life Story of James Arvaluk, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Volume 5 Peter Ittinuar, édité par Thierry Rodon 2008 Teach an Eskimo How to Read: Conversations with Peter Freuchen Ittinuar, Iqaluit, Nunavut 312

Arctic College. Autres publications (aussi disponibles en langue inuit) Jarich Oosten et Frédéric Laugrand 2007 Surviving in Different Worlds. Transferring Inuit Traditions from Elders to Youth, Iqaluit, Nunavut Arctic College.

Frédéric Laugrand, Jarich Oosten et Gloria Putumiraqtuq À paraître en 2010 The Ethnographic Recordings of Inuit Oral Traditions by Father Guy Mary-Rousselière, Iqaluit, Nunavut Arctic College.