DECEMBER 2004 – JANUARY 2005 Jean-Herman Guay
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LE PARTI QUÉBÉCOIS : AU-DELÀ DU CONFLIT DES AMBITIONS Jean-Herman Guay Le Parti québécois est une formation qui nous a habitués aux disputes internes, mais cette fois, note Jean-Herman Guay, les tensions sont plus profondes. Cette situation s’explique par quatre facteurs conjoncturels : un leadership installé à la va-vite en 2001, une défaite électorale cuisante en 2003, la redéfinition de l’aile radicale et l’espoir sensé d’une victoire électorale au prochain scrutin. Mais surtout, écrit-il, elle traduit la difficulté pour ce parti de jongler avec les deux faces de la souveraineté. Celle-ci n’est pas seulement un projet à réaliser, mais également un outil et un symbole. Avant même d’être réalisée, la souveraineté a ainsi généré des changements palpables et continue d’en générer, ce qui peut expliquer les apparents paradoxes d’une opinion publique qui appuie le projet de souveraineté mais ne souhaite pas la tenue d’un nouveau référendum. Pour le PQ, ce qui est en cause présentement, c’est la possibilité de faire cohabiter ces deux visages. Et devant ce défi, tous les protagonistes font face aux mêmes six dilemmes pour lesquels il n’y a pas de solution facile. L’issue du prochain congrès et plus largement l’avenir du Parti québécois reposent sur la façon dont on les résoudra. The Parti Québécois has a history of internal disputes, but this time, notes Jean- Herman Guay, tensions are running deeper. There are four reasons for this: a quickly installed leadership in 2001, a stinging electoral defeat in 2003, the redefinition of the party’s radical wing, and a reasonable hope of winning the next election. But, above all, says Guay, the current discord reflects the party’s difficulty in juggling the two faces of sovereignty. Not only is sovereignty a goal to be achieved, it is also a tool and a symbol. So even before being achieved, sovereignty has generated tangible changes, and it continues to do so, which may explain the apparent paradox in public opinion, where people support the goal of sovereignty but are against holding another referendum. The PQ must now try to reconcile the two faces of sovereignty, and in dealing with this challenge all the protagonists face several dilemmas, for which there are no easy solutions. The outcome of the next convention, and the very future of the Parti Québécois, hinges on how these dilemmas are resolved. « Qui donc démêlera la mort de l’avenir » devenues des affrontements et les discussions ont l’allure Gaston Miron de conflits ouverts. Jean-Pierre Charbonneau, député de Borduas et ancien président de l’Assemblée nationale, uel automne maussade pour le Parti québécois ! La n’hésitait pas à parler de la résurgence d’un « cancer qui crise qui secoue cette formation fait les dure depuis des années ». Q manchettes chaque semaine, quasi tous les jours Au-delà du spectacle navrant qui est offert à la popula- depuis bientôt quatre mois. Au fil des années, cette forma- tion québécoise et canadienne, ce nouvel épisode est révéla- tion a habitué les observateurs comme le grand public à des teur de problématiques qui débordent largement de disputes et à des tensions. Les congrès et les conseils l’agenda des ambitions personnelles ou de celui des inévita- nationaux sont depuis toujours des espaces d’échanges où bles aléas de la vie politique. Il convient d’examiner les cau- des protagonistes se querellent sur la souveraineté, le parte- ses conjoncturelles, puis celles qui relèvent de la structure nariat et mille et un détails du programme. Ce qui étonne elle-même pour ensuite mieux comprendre les dilemmes cette fois, c’est l’ampleur des désaccords. Les tensions sont que doivent résoudre les joueurs politiques. 18 OPTIONS POLITIQUES DÉCEMBRE 2004 – JANVIER 2005 Le Parti québécois : au-delà du conflit des ambitions ’ampleur de la défaite d’avril 2003 coise. Bien plus, la plausible victoire du pagne » depuis plus d’un an, il propose L (33 p. 100 du vote) ne pouvait pas Parti québécois aux prochaines élec- de donner un « coup de barre » et laisser indemne le leadership du Parti tions, rappelée lors de la publication des d’obliger le parti à faire un « mea québécois. Bernard Landry devait tôt ou sondages, a inévitablement stimulé les culpa ». Dans un document présenté tard répondre de ses actes et de son ambitions personnelles de ceux et celles en octobre 2004, il pose ce leadership après que son parti eut réa- qui estiment pouvoir faire mieux que diagnostic : « Notre capital de sympa- lisé son pire score depuis 30 ans. Trois Bernard Landry à la tête des troupes thie dans la population n’est pas événements ont cependant retardé l’ou- souverainistes. épuisé, mais il apparaît désormais insuffisant. » Son plan est L’échiquier ne serait pas complet si nous négligions l’émergence tout orienté vers l’éduca- d’une nouvelle pièce : les radicaux. Habituellement sans nom, tion… et l’exigence « de mobiliser les Québécoises et du moins pour l’opinion publique, ceux-ci s’articulent à présent les Québécois autour d’un autour d’un homme, Robert Laplante. Dans un long texte paru projet de pays emballant et en janvier 2004, il fait état d’une manière systématique d’une concret ». position qui n’avait jamais été aussi clairement formulée ; il Enfin, on retrouve Bernard Landry qui subira propose que, dès l’élection du Parti québécois, celui-ci en juin 2005 un vote de enclenche des « gestes de rupture » qui placeraient la confiance lors du congrès. dynamique canadienne dans une situation de crise. Les récents événements ne le placent pas au-dessus de verture des hostilités. Premièrement, Pour compléter le tableau, il faut la mêlée. Bien au contraire, il devra Bernard Landry a tiré profit de la diffu- ajouter un épisode antérieur. Bernard défendre son poste bec et ongles. sion d’un film de Jean-Claude Landry avait, en 2001, à la suite du Il y a cependant plus. Il faut ajouter Labrecque, À hauteur d’homme, qui départ de Lucien Bouchard, fait avorter, l’ombre de Gilles Duceppe et celle de montrait un chef souverainiste injuste- au nom du « bien du parti », toute Jacques Parizeau, lesquels ne cessent d’in- ment traqué, « victime » des attaques course réelle ; les prétendants se sont tervenir ou de s’interposer, le premier, systématiques d’une presse « hostile ». alors retirés ; il s’est donc retrouvé à la subrepticement et poliment, le second, Visionné par presque un million de tête du parti sans traverser le processus sans ménagement. Il faut aussi convenir téléspectateurs, ce film a été un baume de légitimation que constitue une du poids variable de ceux qui ont tiré leur pour le chef écorché. Deuxièmement, le course au leadership. Aujourd’hui, cer- révérence tout en maintenant une Parti québécois a repris rapidement la tains lui reprochent cet épisode. présence dans l’espace public : c’est le cas première place dans les sondages, Au seuil de l’année 2005, de Joseph Facal et de Josée Legault. Enfin, déclassant les libéraux de Jean Charest. l’échiquier souverainiste est donc il importe de considérer la position origi- Ce renversement, moins de six mois occupé en son centre par trois joueurs nale de Françoise David qui vient de après l’élection, s’explique par une série « convoitant » le même poste : Pauline fonder Option-citoyenne, une formation de propositions gouvernementales qui Marois, plus modérée, reprend l’essen- politique de gauche qui pourrait nuire ont heurté en peu de temps les centrales tiel de la stratégie étapiste sous la forme marginalement, mais peut-être significa- syndicales et les mouvements commu- d’un « plan de match » proposé en tivement, au Parti québécois lors des nautaires de même qu’une culture poli- 2003. Elle tire profit de ses expériences prochaines élections. tique bâtie sur le principe du consensus. ministérielles (santé, éducation, L’échiquier ne serait pas complet si Troisièmement, le mouvement sou- finances), mais porte aussi l’odieux nous négligions l’émergence d’une nou- verainiste a indéniablement tiré profit d’un certain nombre de maladresses velle pièce : les radicaux. Habituelle- du scandale des commandites et de la qui l’ont affaiblie. Le cynisme qu’elle a ment sans nom, du moins pour victoire régionale du Bloc québécois affiché au soir de l’élection des libéraux l’opinion publique, ceux-ci s’articulent à aux élections fédérales de juin 2004. dans le film de Labrecque (« Nous présent autour d’un homme, Robert Ces trois événements ont sur le coup serons assez nombreux pour foutre la Laplante, directeur de la revue L’Action fait écran au conflit latent et retardé son merde... ») la poursuivra longtemps. nationale. Dans un long texte paru en éclosion. Bernard Landry a pu en profiter De l’autre côté, François Legault, janvier 2004, « Revoir le cadre pour ensuite — et paradoxalement — en député de Rousseau, a un parcours qui stratégique », il fait état d’une manière pâtir : ainsi, rapidement, on a comparé le cadre peu avec la culture du Parti systématique d’une position qui n’avait leadership de Landry à celui d’un québécois. Associé au secteur privé (Air jamais été aussi clairement formulée ; il Duceppe « gagnant » et les projecteurs, Transat), il a été promu au Cabinet par propose que, dès l’élection du Parti braqués jusque-là sur les enjeux cana- Lucien Bouchard en septembre 1998 québécois, celui-ci enclenche des diens, se sont tournés vers la scène québé- sans d’abord avoir été élu. En « cam- « gestes de rupture » qui placeraient la POLICY OPTIONS 19 DECEMBER 2004 – JANUARY 2005 Jean-Herman Guay CP Photo Devenu chef du parti par acclamation en mars 2001, après avoir « fait avorter, au nom du “bien du parti”, toute course réelle », Bernard Landry ne pourra cette fois faire l’économie d'une course au leadership.