Dans L'intimité Du Pouvoir
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DOMINIQUE LEBEL DANS L’INTIMITÉ DU POUVOIR Journal politique 2012-2014 BORÉAL Les Éditions du Boréal 4447, rue Saint-Denis Montréal (Québec) h2j 2l2 www.editionsboreal.qc.ca DANS L’INTIMITÉ DU POUVOIR Dominique Lebel DANS L’INTIMITÉ DU POUVOIR Journal politique 2012-2014 Boréal © Les Éditions du Boréal 2016 Dépôt légal: 2e trimestre 2016 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Diffusion au Canada: Dimedia Diffusion et distribution en Europe: Volumen isbn papier 978-2-7646-2435-7 isbn pdf 978-2-7646-3435-6 isbn epub 978-2-7646-4335-5 Quand on est dans l’action, il n’y a pas d’immense déception. françois Mitterrand, Mémoires interrompus AVANT-PROPOS 9 avant-propos La politique et la vie Pendant presque deux ans, du 4 septembre 2012 à la défaite électorale du 7 avril 2014, j’ai vécu au même rythme que la première ministre du Québec, Pauline Marois. À ses côtés, j’ai connu les joies et les peines d’un gouvernement mino- ritaire déchiré entre sa volonté d’un jour réaliser l’indépen- dance du Québec et sa responsabilité quotidienne de ges- tion de l’État. Pendant presque deux ans, j’ai eu le privilège d’assister à toutes les réunions du Conseil des ministres, d’être un acteur et un témoin de toutes les rencontres stra- tégiques auxquelles a participé la première ministre, en plus de l’accompagner dans toutes les régions du Québec aussi bien qu’à Londres, Davos, Édimbourg et Mexico. Avec elle, j’ai vécu ses premiers moments comme première ministre, partagé le drame de Lac-Mégantic et les derniers jours de son gouvernement au terme d’une campagne électorale qui a marqué la fin de sa carrière politique. Tout au long de mon parcours avec Pauline Marois, j’ai consigné des faits, des impressions, des dialogues dans de petits carnets noirs. Ces carnets me permettent aujourd’hui de livrer un témoignage qui, bien qu’imparfait, constitue un récit personnel, intime, unique de la réalité du pouvoir. Ces notes ont été prises sur le vif, en avion, en voiture, dans des hôtels, comme au sein même des bureaux de la première ministre. La politique est faite de gens et d’événe- 10 DANS L’INTIMITÉ DU POUVOIR ments. Les personnages principaux, ce sont donc tout autant les événements eux-mêmes que les joueurs clés du Conseil des ministres, le secrétaire général du gouverne- ment, quelques sous-ministres et directeurs de cabinet1. À cela s’ajoute, bien sûr, le cabinet de la première ministre, incarné par sa directrice Nicole Stafford. On notera aussi que si les dossiers économiques prennent une place impor- tante dans ce journal, c’est tout simplement parce que mes fonctions m’ont amené à m’en préoccuper particulière- ment. Finalement, si mes proches font aussi partie de ce récit, c’est que ma vie – et la leur – est devenue indissociable de la politique pendant ces longs mois. Ces notes n’ont pas été prises dans le but d’être publiées. Je prends des notes depuis presque toujours. Je le faisais avant la politique et je le fais encore maintenant. Si je publie celles-ci aujourd’hui, c’est que j’ai le sentiment qu’elles don- neront un nouvel éclairage, un point de vue inédit sur ce gouvernement Marois qui n’a laissé personne indifférent. Ces mois passés à courir après une majorité toujours fuyante ont été d’une intensité difficile à imaginer et se sont terminés pour plusieurs sur une impression d’inachevé. Je tiens à remercier les Éditions du Boréal pour leur appui et leurs précieux conseils. Je souligne également l’amour et l’indéfectible soutien de ma femme, Valery. Je remercie Pauline Marois pour sa confiance en moi. Confiance qui ne s’est jamais démentie jusqu’à la dernière minute de la dernière heure de son passage à la tête de l’État du Québec. 1. Le lecteur trouvera en fin de volume (p. 427) la composition du Conseil des ministres présenté par Pauline Marois en sep- tembre 2012, ainsi que les détails du remaniement du 4 décem- bre 2012. DU 4 SEPTEMBRE AU 29 OCTOBRE 11 2012 12 2012 DU 4 SEPTEMBRE AU 29 OCTOBRE 13 I Du 4 septembre au 29 octobre L’attentat / La mise en place du gouvernement / Le choc du réel / La taxe santé / Difficultés budgétaires / Première visite officielle en France Mardi 4 septembre – Montréal Jour de l’attentat politique contre la première ministre du Québec, Pauline Marois. C’est la première femme à ce poste. Elle est aussi la chef du Parti québécois, qui fait la pro motion de l’indépendance du Québec. Elle a été décla- rée élue il y a quelques minutes à peine. Pauline Marois, première ministre du Québec, 4 septembre 2012, lit-on en lettres blanches sur le fond bleu de l’immense écran. Elle est seule sur la scène du Métropolis. Elle s’est avancée dans la lumière, fière, la tête haute. On lui a dit: Il faut savourer le moment. Vous avez tout votre temps. La foule l’acclame. Elle est seule. Porte sa main à son cœur. Prend la parole. Puis c’est le chaos. On ne comprend pas ce qui se passe. La pre- mière ministre est poussée en coulisse dans un mouvement incompréhensible. C’est la consternation dans la salle. On demande d’abord aux gens de sortir, mais Pauline Marois revient sur scène. Sa famille l’a rejointe à l’avant. Elle reprend le fil et improvise une nouvelle fin à son discours, le plus important, le plus attendu, le plus espéré, son dis- 14 2012 cours de la victoire. On ne réalise pas ce qu’elle vient de vivre. On ne le réalisera jamais vraiment. Peu de temps après, j’arrive au Sheraton Montréal. Nous avons quitté le Métropolis et le taxi nous laisse, ma femme et moi, devant l’une des portes tournantes donnant sur le boulevard René- Lévesque. Nous entrons à l’hôtel. Il y a de la sécurité, mais nous nous frayons un chemin assez facilement vers les ascenseurs. Nous montons au dernier étage. La sécurité me reconnaît immédiatement. On m’ouvre la porte et nous pénétrons dans la suite de la première ministre. C’est Nicole Stafford qui m’a demandé de rejoindre «Pauline» à l’hôtel. Elle est avec sa famille. J’aimerais que tu y sois. Je dois aller rencontrer les policiers. J’irai vous retrouver. La suite paraît plus grande que cet après-midi. Nous étions quelques-uns avec elle pour mettre la dernière main au discours. L’atmo- sphère était fébrile, un peu tendue. Je ne savais rien des der- niers chiffres. Je ne jouais pas de rôle majeur dans la cam- pagne électorale, même si je suis dans l’entourage de la nouvelle première ministre depuis la fin des années 1990. Aux derniers moments de la campagne, j’ai toutefois passé trois jours dans cet hôtel à préparer les débats télévisés avec la chef et quelques conseillers. Je suis ce qu’on appelle un «outsider», même si cette nuit je me retrouve dans le cercle des intimes. La première ministre nous accueille, nous invite à nous installer. Le moment est surréaliste. Tout le monde semble assommé. Et elle est là, debout, allant du salon à la cuisine au salon. Elle nous offre de prendre un verre avec elle. Il y aurait au moins un mort dans l’at- tentat, peut-être davantage. Nous sommes dans la rumeur. Elle paraît en contrôle. C’est l’une de ses caractéristiques. Paraître en contrôle. Toujours, elle a voulu être en contrôle. D’elle-même, des événements. Une façon de s’imposer et un mécanisme de défense. Dans cette nuit du 4 au 5 sep- tembre 2012, elle fait face. Oui, elle est première ministre du DU 4 SEPTEMBRE AU 29 OCTOBRE 15 Québec. Oui, elle est la première femme à occuper ce poste. Oui, on a tenté de l’assassiner et au moins une personne l’a payé de sa vie. Mercredi 5 septembre – Montréal Le gouvernement est minoritaire. La première ministre est en probation. Le Parti libéral est au pouvoir depuis 2003. Neuf ans. Un chef toujours aussi habile, mais usé. Résultat: Parti québécois, 54 députés; Parti libéral, 50; Coalition ave- nir Québec, 19; Québec solidaire, 2. Tout cela semblait impensable, mais en politique l’impensable est souvent une hypothèse comme les autres. Je me rends au bureau de celle qui est encore la chef de l’opposition, au quinzième étage de la Place Ville Marie, locaux qu’elle et son équipe occupe- ront encore quelques jours. Nous sommes au lendemain de la demi-victoire, au lendemain de l’attentat, au premier jour de l’après. Personne ne m’a demandé de me rendre au bureau ce matin. J’ai cru que je devais y être. Il est déjà convenu que je jouerai un rôle dans la suite des choses, mais lequel? L’atmosphère est lourde. On lit la peine sur les visages. L’incompréhension. Il y a cette victoire en demi- teinte et il y a cette violence, cet attentat. Un groupe de conseillers se retrouve dans la salle de réunion. Les journaux sont étalés sur la table. Il y a un silence assourdissant. La nouvelle première ministre doit s’adresser aux médias en début d’après-midi. C’est la tradition. Elle doit faire part de ses premières réactions à la suite des résultats. C’est convenu. Et c’est aujourd’hui que ça débute. Les gestes qu’il faut accomplir, les choses qu’il faut faire, les mots qu’il faut pro- noncer lorsqu’on devient premier ministre.