Jazz Et Cinéma
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1 2 Présentation du conférencier Daniel Brothier est musicien, compositeur, et il joue des saxophones alto et baryton. Ses créations musicales sont axées sur plusieurs pôles : des mixes et des remixes de musique électronique, des compositions pour le jazz et les musiques nouvelles, des créations de musiques de théâtre, de cinéma et de danse, des transcriptions de musique classique. D’une part il compose de la musique sur le papier, et d’autre part, construit, diffuse et produit ses musiques à l’aide d'outils d'informatique musicale. Il est l’initiateur des duos et trios électro-funk Total RTT et Bloom. Conférencier sur les musiques électroniques et le jazz, il a donné plus de 350 conférences- concerts depuis 2007. Il est venu à la médiathèque de Vincennes en novembre 2011 pour présenter sa conférence Miles Davis, une histoire du jazz du be bop au hip hop. Daniel possède un diplôme d’état de professeur de musique de jazz. http://www.brotski.fr/ 3 Jazz et cinéma Jazz et cinéma… Pour le cinéphile ou le jazzfan d'aujourd'hui, l'association relève de l'évidence. D'Ascenseur pour l'échafaud à Whiplash, chacun a en tête au moins une scène où le jazz joue un rôle majeur. Et que celui qui n'a jamais fredonné le thème de La Panthère rose lève le doigt ! Pourtant, depuis leur apparition à l'aube du XXème siècle, les deux arts n'ont cessé d'entretenir des relations ambigües, entre fascination réciproque et incompréhension. A y regarder de plus près, l'alchimie n'a pas toujours fonctionné. Comme sujet de fiction, le jazz a rarement été bien traité ; comme musique de film, son utilisation s’est avérée délicate. "User du jazz comme musique d'accompagnement est très difficile parce qu'une improvisation raconte quelque chose comme l'image le fait, d'où un risque de pléonasme" souligne Alain Corneau, cinéaste et amateur de jazz. Retour sur les épisodes marquants d’une histoire commune qui, malgré son lot de frustration et de rendez-vous manqués, a donné naissance à quelques chefs-d'œuvre du cinéma et de la musique. Dans les premières années du XXème siècle, les films muets étaient "sonorisés" en direct lors de la projection par des musiciens présents dans la salle. Fats Waller, pianiste phare de la période swing, a d’abord été organiste pour les séances du Lincoln Theatre de New York. Parmi les airs populaires et arrangements de pièces célèbres, le jazz encore tout jeune a probablement été l'une des musiques entendues par le public américain des films burlesques tels ceux d'Harold Lloyd ou Buster Keaton. En 1927, aux Etats-Unis, sort le film Le Chanteur de jazz, généralement considéré comme le premier long métrage parlant. Le film de Alan Crosland n’est en réalité que partiellement sonorisé et le jazz qu'on y entend bien éloigné de ce qui se jouait alors dans les bars de Chicago. C'est également en version symphonique édulcorée que le jazz va intégrer le monde de la comédie musicale filmée, genre qui fleurit dans les années 30 et 40, porté notamment par les numéros dansés du couple Fred Astaire-Ginger Rogers. Les origines afro-américaines du jazz sont soigneusement gommées par les studios hollywoodiens, reflets d'une société américaine très conservatrice sur les questions raciales. 4 Conformément aux lois ségrégationnistes alors en cours aux USA, les Noirs sont exclus des écrans, ou bien cantonnés à des rôles peu valorisants. Louis Armstrong, qui fera de nombreuses apparitions au cinéma, en sait quelque chose. Ce décalage entre la réalité musicale et sociale du jazz et la vision très sage qui en est donnée à l'écran pour séduire un large public sera récurrent dans l'histoire du jazz au cinéma. Il faut attendre 1943, et Stormy weather, réalisé par Andrew Stone, pour voir un film musical avec une distribution Noire. Les personnages principaux y sont incarnés par Lena Horne et Bill Robinson, tandis que Cab Calloway et Fats Waller apparaissent dans leur propre rôle. Au cours des années suivantes, plusieurs tentatives de biopics de jazzmen voient le jour. La Femme aux Bill Robinson, Lena Horne et Cab Calloway chimères (1950) de Michael Curtiz s'inspire de la vie de Bix Beiderbecke tandis qu’Anthony Mann réalise The Glenn Miller story quatre ans plus tard. Mais ces films restent conventionnels et s'attachent une fois de plus au versant policé du jazz. Cependant, le cinéma hollywoodien est en train de changer, en partie pour répondre à la demande d’un nouveau public jeune, blanc, et au pouvoir d’achat non-négligeable. Cette évolution (renouvellement des thèmes, levée de certains interdits) a aussi des répercussions sur la musique composée pour les films. En attendant le rock’n’roll, le jazz sera l’incarnation musicale de l’esprit de rébellion qui anime cette jeunesse. Pour la musique du film d'Elia Kazan Un tramway nommé désir (1951), dont l'action se déroule à La Nouvelle-Orléans, Alex North s'inspire en partie du jazz. En utilisant des rythmes et des instruments propres à ce genre musical, il ouvre une porte par laquelle d'autres compositeurs vont s'engouffrer. Cette "intrusion" du jazz dans la musique de film est facilitée par la présence de nombreux jazzmen dans les studios de cinéma, où ils ont trouvé un travail rémunérateur après la dissolution des grands orchestres de la période swing (notamment celui de Stan Kenton), désormais passés de mode. Leith Stevens collabore ainsi avec le trompettiste et arrangeur Shorty Rogers pour la musique de L'Equipée sauvage (1953). A ses yeux, les tensions et frustrations qui habitent les blousons Marlon Brando dans L'Equipée sauvage noirs appellent naturellement la modernité du bebop et de son dérivé californien, le cool jazz. Le duo récidive l'année suivante pour le méconnu Ici brigade criminelle, avec un orchestre qui rassemble le gotha du jazz West-Coast de l'époque. 5 L'Homme au bras d'or (1955) pousse plus loin l'interaction entre les images et la musique. En plus d'occuper l'intégralité de la bande-son composée par Elmer Bernstein, le jazz fait partie de l'intrigue même du film : l'histoire d'un batteur de jazz drogué (incarné par Frank Sinatra) qui tente de décrocher pour intégrer l'orchestre de Shorty Rogers. Le jazz restera longtemps associé au drame et à la violence. La faute à la réputation sulfureuse (pas toujours usurpée) des jazzmen, mais aussi à la capacité de cette musique à traduire des ambiances et des sentiments propres au film noir. "Il y a des sons dans le jazz - blues, gémissements, hurlements de trompette - qui sont parfaits pour exprimer l'angoisse" disait Elmer Bernstein. Le jazz sera donc la musique des polars des années 50, parfois jusqu'au cliché. Le même Bernstein s'éloignera du jazz en déplorant l'utilisation qui en est faite dans le cinéma : "Les films utilisent le jazz quand quelqu'un vole une voiture"… Les années 50 et 60 verront tout de même quelques jazzmen célèbres travailler pour le cinéma. Citons le pianiste John Lewis (musique envoûtante pour Le Coup de l'escalier) et bien sûr Duke Ellington dont la partition pour Autopsie d'un meurtre est considérée par le trompettiste Wynton Marsalis comme l'une des plus importantes de l'histoire du jazz. Si la collaboration avec Hollywood est ponctuelle pour certains, d’autres s’installent pour longtemps dans les studios de Los Angeles. Henry Mancini, auteur du score de La Soif du mal en 1958, travaillera presque exclusivement pour le cinéma et la télévision jusqu’à la fin de sa carrière. Avec de grands succès, dont l’incontournable Panthère rose en 1963, ou le thème de la série Peter Gunn. Venu lui aussi du jazz, le pianiste et arrangeur argentin Lalo Schifrin développe pour Les Félins (1964), de René Clément, une synthèse de musique symphonique, de jazz, de soul et d'effets sonores particulièrement efficace. Par la suite, on le retrouvera auprès du tandem Don Siegel-Clint Eastwood pour le film L’Inspecteur Harry (1971). Son plus grand hit reste le générique de la série Mission : impossible (1966). 6 Le jazz se retrouve également associé de façon intéressante à certains films plus expérimentaux, comme Shadows, premier long métrage de John Cassavetes tourné en 1959. Le sujet (les questionnements identitaires de trois Afro-Américains), la musique (compositions du contrebassiste Charlie Mingus et solos du saxophoniste Shafi Hadi) et la spontanéité de la réalisation placent ce geste cinématographique au plus près de l'essence du jazz. John Cassavetes et Shafi Hadi Moins connue, la réalisatrice Shirley Clarke a elle aussi contribué à un renouveau du cinéma américain avec des films qui se situent en marge des productions hollywoodiennes par leur esprit contestataire, la radicalité de leur forme et le choix des thèmes abordés. Le faux documentaire The Connection, tourné en 1961, met en scène des musiciens de jazz attendant leur dealer. C'est le pianiste Freddie Redd qui en a composé la b.o., dans le style hard bop alors en vogue, sur laquelle on entend également le saxophoniste Jackie McLean. Trois ans plus tard, la communauté noire de Harlem est au centre de The Cool world, dont la musique est cette fois confiée à Mal Waldron, qui l’interprète au sein du quintette de Dizzy Gillespie. Le cinéma français n'est pas en reste. Depuis le début des années 30, les rythmes syncopés venus d’Amérique font régulièrement de courtes apparitions à l’écran. En 1957, Miles Davis introduit le jazz moderne dans le cinéma hexagonal. De passage à Paris lors d'une tournée, il improvise accompagné par des musiciens locaux sur les images du premier long métrage de Louis Malle, Ascenseur pour l'échafaud (1957).