PROTESTATION

CONTRE"

LES OPÉRATIONS ÉLECTORALES

DE LA DEUXIEME CIRCONSCRIPTION

DU DÉPARTEMENT DE LA CORSE

A 1) lt F, S S-E K

A MESSIEURS LES MEMBRES DU CORPS LEGISLATIF

U. LE BARON RAKIAVI

Ancien Député.

1863

PARIS

AD. DAINE B3T J. HAVARD

RUE DES SAINTS-RÈRES , 19.

SCDU DE CORSE lllllllllllllllllll D 079 146180 0 m \

PROTESTATION

CONTRE

LES OPÉRATIONS ÉLECTORALES

DE LA. DEUXIÈME CIRCONSCRIPTION

DU DÉPARTEMENT DE LA CORSE

ADRESSÉE

A MESSIEURS LES MEMBRES DU CORPS LÉGISLATIF

PAR

M. LE IMllOV Mlltl VAI

Ancien Député.

1863

PARIS

AJD. LAINÉ ET J. HAYARD

RUE DES SAINTS-PÈRES, 19.

PROTESTATION

CONTRE

LES OPÉRATIONS ÉLECTORALES

OE LA DEUXIÈME CIRCONSCRIPTION

OU DÉPARTEMENT DE LA CORSE

Messieurs les Députés,

Les élections ont eu lieu, vous le savez, pour le département de la Corse, les dimanche 7 et lundi 8 juin. Dès le 10 du même mois, un électeur de , M. le docteur Manfredi, adressait à la commission de recensement une protestation (1) dans laquelle il énonçait sommairement les ir-

(1) Cette pièce est annexée au dossier déposé à la présidence du Corps législatif.

a — 2 — régularités et les manœuvres qui lui semblaient devoir vicier, d'une manière radicale, les opé¬ rations électorales qui venaient de s'accomplir dans la deuxième circonscription de la Corse. Fidèle à ses engagements, M. Manfredi se disposait à développer devant vous une articu¬ lation qui n'avait pu être que fort succincte et fort incomplète. Plusieurs électeurs des arron¬ dissements de Bastia et de Corte étaient égale¬ ment à décidés s'associer à lui. — J'ai pensé, Messieurs, que je devais aux électeurs qui m'ont honoré de leurs sympathies, que je me devais à moi-même d'entrer personnellement en cause, et de ne point laisser à d'autres le soin d'appe¬ ler votre attention sur une élection qui ne me paraît pas être le résultat de la libre et entière volonté d'une circonscription que j'ai eu l'hon¬ neur de représenter pendant six ans. Ce devoir, si pénible qu'il soit, je l'ai jugé im¬ périeux et je viens le remplir aujourd'hui. Je tâcherai de le faire avec la modération qui, tout en respectant les personnes et n'enveni¬ mant pas les luttes, permet de donner aux faits leur véritable physionomie.

I. — La commission de recensement a cons¬ taté par les chiffres suivants les résultats des

lions électorales : — 3 —

M. Gavini aurait obtenu. . . . 12,602 suffrages, M. le baron Mariani 10,663 —

Différence en faveur de M. Ga-vini. . 1,939 —

Toutefois il résulte immédiatement de l'exa¬ men des procès-verbaux :

i°Que 183 électeurs, indûment inscrits sur la liste électorale après le 3i mars, ont pris part au vote. — Je dois faire remarquer ici que mes recherches personnelles m'autorisent à croire que le chiffre admis par la commission de recensement est erroné, et qu'il s'élève à plus , de 35o, ce qu'une enquête parlementaire éta¬ blirait au besoin.

2° Que les trois communes de (arron¬ dissement de Bastia), et (ar¬ rondissement de Corte), présentant un total de 49Û électeurs, n'ont pas pris part aux opérations.

Si, comme je ne saurais en douter, vous êtes dans l'intention d'appliquer à l'espèce les prin¬ cipes qui forment, en quelque sorte, la juris¬ prudence du Corps législatif en matière de vé¬ rification de pouvoirs, consistant, dans une élection contestée, à attribuer au plus faible des compétiteurs les suffrages non exprimés et à distraire du total attribué à son concurrent les suffrages illégalement exprimés, il y aurait lieu de retrancher i83 suffrages à M. Gavini, qui n'en aurait plus ainsi que 12,419, et de m'en attribuer 4g5, ce qui élèverait à 11,158 le nom¬ bre des votes émis en ma faveur. Dès lors, la différence, au lieu d'être de 1,989 suffrages, se trouverait réduite à 1,26 t.

II. — Ce chiffre, si peu considérable qu'il soit, n'en constitue pas moins une majorité, et je me serais respectueusement incliné devant elle, si je n'avais la conviction profonde qu'elle n'est qu'apparente, et que le déplacement de 631 voix, suffisant pour modifier ce résultat, eût été facilement obtenu et largement dépassé sans les manœuvres nombreuses à l'aide des¬ quelles ma candidature a été combattue, — ma¬ nœuvres qui peuvent ainsi se résumer :

i° Bruit mensongèrement répandu de mon, désistement;

20 Atteinte portée à la sincérité du vote par l'admission au scrutin d'électeurs frappés d'in¬ capacité légale; par l'élimination arbitraire de la liste d'individus ayant résisté aux sollicita¬ tions dont ils avaient été l'objet dans l'intérêt de mon compétiteur; enfin par l'addition ou le retranchement de bulletins dans l'urne; 3° Menaces ou promesses dans le but de capter la volonté des électeurs.

III. — Et d'abord fausse nouvelle de mon dé¬ sistement. Vous n'ignorez pas, Messieurs, que les com¬ munes de la Corse sont malheureusement divi¬ sées en deux partis. Il est arrivé, il y a six ans, que les dissensions locales se sont effacées devant l'expression d'une auguste volonté; et l'unanimité des suffrages a pu se produire au profit d'un candidat désigné personnellement par Sa Majesté l'Empereur. Que la lutte qui s'est engagée à propos des dernières élections eu ait pour conséquence funeste de raviver l'antagonisme des partis dans chaque localité, il faut bien l'admettre; mais il est hors de doute aussi que chaque parti a conservé son importance numérique, et, si un déplacement avait dû se produire dans leurs forces respectives, cela n'aurait pu avoir lieu que dans mon intérêt, car il n'est pas- douteux que, dans un pays comme le nôtre, bien des personnes n'eussent, au besoin, fait taire leurs sympathies personnelles, en vue de répondre à l'appel du Gouvernement. Cependant il est advenu que, dans certaines communes, relativement populeuses, divisées, d'ailleurs comme les autres en deux partis, il ne m'a été attribué que i, 3, 6 ou io suffrages. C'est donc que, dans ces communes, le parti nu¬ mériquement le plus faible, si l'on veut, s'est complètement annihilé, et cela précisément au moment où il devait donner preuve d'existence en venant en aide au candidat du Gouverne¬

ment.

Un pareil résultat peut être du, mais en par¬ tie seulement, à des manipulations plus ou moins habiles dans l'urne électorale. D'autres causes cependant ont dû l'amener, et l'ont en réalité amené. Parmi ces causes, je dois signaler le bruit mensongèrement répandu de mon désistement. Si vous pensiez devoir recourir à une en¬ quête, vous pourriez vous convaincre que, de longue main, des hommes, dans l'exagération de leur zèle, cherchaient à accréditer le bruit que je renonçais à représenter mon pays au Corps législatif. Ma santé altérée, insinuait-on, me condamnait à un repos absolu ; et l'on ex¬ ploitait ainsi contre moi une grave maladie, sinon amenée, tout au moins développée par les fatigues d'une session pendant laquelle mes collègues m'avaient appelé à l'honneur de faire partie de commissions importantes, telles que celles de l'adresse et du budget! Une pareille manœuvre, dont les effets ne sont jamais stériles, bien que la constatation matérielle n'en soit pas toujours saisissable, a surtout été employée dans la province de Cap- Corse, et plus spécialement dans les cantons cle Brando et Rogliano (Annexe A). Des plaintes, déposées en justice, contiennent l'enonciation de ces faits, sur lesquels une in¬ formation judiciaire serait ouverte à Bastia. Je dois ajouter que, pour mieux tromper la bonne foi des électeurs, la fausse nouvelle de mon désistement a été répandue même au-delà des limites de ma circonscription ; et j'ai pu en retrouver les traces dans l'arrondissement d'A- jaccio, auquel j'étais politiquement étranger.

Je ne saurais trop, Messieurs, appeler votre attention sur des faits de cette nature, en pré¬ sence surtout d'un résultat qu'un déplacement de 631 voix aurait si facilement pu modifier. N'y voyez-vous pas l'indication évidente d'un véritable abandon de ma candidature; etpour- riez-vous croire qu'un candidat du Gouverne¬ ment de l'Empereur, abstraction faite de sa personnalité, en exit été réduit, sans ces bruits, à d'aussi infimes minorités, dans des communes où le dévouement à la dynastie impériale est aussi prononcé que partout ailleurs en Corse? IV. — Quelques précautions que l'on ait pri¬ ses, et malgré la constatation du procès-verbal de la commission de recensement, la sincérité du vote n'a pas été cependant assurée en Corse. Des électeurs frappés d'incapacité à la suite de condamnations judiciaires, des étrangers non naturalisés (et ils sont fort nombreux dans ce département), n'en ont pas moins été admis à voter, malgré les réclamations auxquelles a donné lieu leur présence au sein des assemblées électorales (i).Par des circonstances sur lesquel¬ les je ne crois pas devoir arrêter votre atten¬ tion, il ne m'a pas été possible de déterminer exactement, par moi-même ou par mes amis, le chiffre réel des incapables admis illégalement à l'exercice du droit de vote. Je reste bien au- dessous de la vérité, et de sérieuses investiga¬ tions l'établiraient sans nul doute, en affirmant

(1) Tous les ans, 12 à 15,000 Italiens, désignés sous la dénomina¬ tion de Lucquois, se rendent en Corse pour s'y livrer à des travaux agricoles. Plusieurs d'entre eux finissent par s'y fixer; et comme leur nom a, en général, la même terminaison que celui des habitants du pays, ils ne tardent pas, sans l'accomplissement d'aucune forma¬ lité, à devenir des citoyens français, au point de vue électoral, s'ils sont, bien entendu, dans les bonnes grâces des Maires. Il existe aussi dans ce département plusieurs originaires de Gênes qui n'ont jamais sollicité leur nationalité en et qui, au contraire, se sont préva¬ lus de leur qualité d'étrangers lorsqu'ils ont été appelés au tirage du contingent de l'armée. Ils n'en figurent pas moins, pour la plu¬ part, sur les listes électorales. que ce chiffre ne s'est pas élevé à moins de 3oo.

D'un autre côté, certains Maires ne se sont pas fait scrupule d'éliminer de la liste, par des procédés dont ils.ont sans doute le secret, les électeurs qui, résistant à leurs vives et pressan¬ tes sollicitations, n'avaient pas voulu s'engager à travailler avec eux contre ma candidature. J'aurais hésité à articuler un fait aussi grave si la preuve n'en était surabondamment four¬ nie par une enquête qui passera sous les yeux de votre commission avec les pièces y an¬ nexées. L'une des manœuvres le plus fréquemment pratiquées dans nos élections consiste dans la manipulation des urnes électorales. J'aurai oc¬ casion, dans la suite de cet exposé, de rappeler que j'ai eu à lutter contre le mauvais vouloir d'un assez grand nombre de Maires. Plusieurs d'entre eux, habiles à éluder les prescriptions de la loi, ont presque toujours réussi à n'appeler, pour former le bureau, que des électeurs dont le dévouement absolu leur était acquis. A la fa¬ veur de l'assentiment de leurs assesseurs, il leur était aisé, sous le prétexte de maintenir l'ordre dans la salle, d'éluder la surveillance de ceux dontjls avaient à craindre le contrôle; et, li¬ bres ainsi de leurs actions, il ne leur a pas été — 10 —

impossible de remplacer les bulletins qu'ils re¬ tiraient de l'urne par d'autres bulletins por¬ tant le nom du candidat de leur choix. Ainsi, à Olmo, canton de Campile, 39 élec¬ teurs, dont les sympathies pour moi avaient été formellement exprimées, déposent dans l'urne des bulletins portant mon nom. L'un de ces électeurs, qui n'avait pas une foi entière dans l'impartialité du bureau, désire se tenir dans la salle; il s'y place, sans faire le moindre bruit; mais, malgré son silence absolu, on prétend qu'il trouble la tranquillité et on le fait expul¬ ser par la gendarmerie. De la sorte on se débar¬ rasse à la fois et du contrôle de cet électeur im¬ portun, et de la surveillance delà gendarmerie; aussi les 39 bulletins déposés dans l'urne, dans mon intérêt, n'existaient plus au moment du dépouillement ; par contre, on a trouvé plus de suffrages qu'il n'y avait eu de votants : sans doute que, dans la crainte du retour prochain des gendarmes qu'ils avaient chargés d'expulser l'électeur dont il vient d'être parlé, les mem¬ bres du bureau avaient agi avec trop de préci¬ pitation, et, sans le vouloir peut-être, ils avaient ajouté plus de bulletins qu'ils n'en avaient re¬ tranché (Annexe B, n° i3). Cette fraude est établie, m'assure-t-on, par une information judiciaire;.et vous compren- — il — drez aisément qu'elle a pu se reproduire dans plusieurs autres localités, sans que la consta¬ tation matérielle en ait toujours été possible. Si de pareilles manœuvres ont pu se prati¬ quer pendant le cours même des opérations, combien plus facilement a-t-on pu y avoir re¬ cours pendant la nuit du y au 8 juin, alors que l'on sait qu'en général les urnes ne présen¬ tent pas les garanties prescrites par les règle¬ ments, et ne sont parfois que des soupières se prêtant facilement à une substitution de bulle¬ tins! J'ai déjà dit plus haut que je ne voulais pas me préoccuper des motifs qui avaient empêché le vote dans trois communes; je ne puis cepen¬ dant m'empêcher d'appeler votre attention sur une enquête de M. le juge de paix de Moïta, de laquelle il résulte que le Maire de Pianello, cédant aux sollicitations de son collègue de Ma- tx^a, n'a prononcé l'ajournement des opérations que parce qu'on l'avait constitué dans l'impos¬ sibilité de faire ce qui avait si bien réussi à Olmo. — Cette enquête, comme celle dont il a été parlé plus haut, sera communiquée à votre commission. Là où la substitution des bulletins ne parais¬ sait pas chose facile, l'on arrivait au même but par des procédés différents. Ainsi, dans un rap-

4- . — 12 — port qu'il adressait le 29 mai, dix jours avant les élections, à M. le Sous-Préfet de Bastia,le juge de paix du canton de Campile s'exprimait ainsi :

« Il se répand un bruit dans le canton, que « je crois à propos de vous faire connaître : on « prétend que toutes les voix données à M. Ma- « riani ne lui seront pas comptées par MM. les « Maires. Je crois que l'administration trouvera « les moyens nécessaires pour éviter un pareil « inconvénient. Ce bruit pourrait aussi n'être «qu'une manœuvre; on espère peut-être ainsi « empêcher les électeurs de voter pour le can- « didatdu Gouvernement. A quoi bon, en effet, « s'exposer au ressentiment d'autrui, si l'on doit « voter en pure perte ?•» (Annexe C). Cette prévision s'est réalisée : des électeurs ont voté en pure perte. A Campile, pays d'ori¬ gine de M. Gavini, 82 électeurs ont eu le cou¬ rage de se prononcer ouvertement pour moi. Soupçonneux, et non sans raison, ils n'ont voulu se présenter à l'urne que dans la journée du 8 et quelques instants seulement avant le dépouillement, espérant ainsi que leurs suffra¬ ges n'auraient pas été perdus. Ils ont été trom¬ pés dans leur attente : 16 suffrages m'ont seuls été comptés; les autres ont été annulés et dé¬ truits, sous le prétexte qu'ils portaient des mar- — 13 — ques extérieures. Or ces bulletins écrits à la main, avec un soin minutieux, sous l'impression de la défiance éveillée par la composition du bureau et par le bruit que le juge de paix signa¬ lait à M. le Sous-Préfet, ont été remis parfaite¬ ment intacts à l'adjoint qui présidait momen¬ tanément les opérations; mais, avant de rece¬ voir chacun des bulletins, l'adjoint introdui¬ sait sa main dans la poche de son gilet, et les bulletins qu'il prenait avec cette main descen¬ daient dans l'urne maculés de deux petites ta¬ ches rouges, n'existant pas au moment où le bulletin sortait de la main de l'électeur. Par cet ingénieux procédé, on a donné aux bulle¬ tins un signe récognitif, lequel a servi de pré¬ texte à l'annulation de quelques bulletins qu'on n'a même pas cru à propos d'annexer au pro¬ cès-verbal ( Annexe D). Si l'on a agi de la sorte dans une commune où l'on se savait surveillé, vous vous demande¬ rez, Messieurs, ce que l'on a dû tenter et pra¬ tiquer dans des localités où le contrôle était moins incessant, moins efficace qu'à Campile. Pour en finir avec les manœuvres pratiquées autour de l'urne, j'appellerai plus particulière¬ ment votre attention sur les listes d'émarge¬ ment, et je suis moralement convaincu qu'une enquête sérieuse aux^ait pour résultat d'établir _ 14 —

que l'on a émargé le nom d'une certaine quan¬ tité d'électeurs absents ou même décédés; que l'on a refusé d'admettre au vote, ainsi que cela a eu lieu à Monte, des électeurs dont on avait émargé le nom, mais que l'on savait parfaite¬ ment ne pas avoir encore déposé leur bulletin dans l'urne (Annexes E et F) ; qu'on a refusé de recevoir le bulletin d'un électeur atteint de sur¬

dité, mais jouissant de toutes ses facultés, par¬ lant facilement et ayant hautement exprimé l'intention de voter pour moi (mêmes Annexes), tandis qu'ailleurs on a laissé voter contre moi des sourds-muets, des idiots et jusqu'à des mi¬ neurs , particidièrement dans les communes de Piedicorte et de Saint-André deCervione (voir, pour cette dernière commune, la protestation jointe au procès-verbal).

I

V. — Dons, promesses, menaces et autres moyens de corruption. Les faits de ne cette nature peuvent que très- être : difficilement établis punissable comme le corrupteur lui-même, le corrompu cherche, 011 le comprend, à se mettre à l'abri des rigueurs de la loi. Telle est d'ailleurs l'oblitération du sens moral en matière d'élections, que les frau¬ des auxquelles elles donnent lieu, considérées comme des actes d'habileté, n'inspirent pas tou- — 15 — jours cette répulsion que doit faire naître tout acte de déloyauté ; aussi rarement peuvent-elles être juridiquement constatées. Et cependant, malgré ces difficultés, des faits nombreux de corruption ont pu, je le dis à regret, être relevés. Les principaux d'entre eux se trouvent énu- mérés : i° dans un Mémoire déposé au parquet de Bastia (Annexe B); 2° dans une réclamation adressée à M. le Ministre de la justice (Annexe A); 3° enfin dans une plainte transmise à M. le pro¬ cureur impérial de Corte (Annexe C). En parcourant ces documents, dont vous pouvez au besoin faire vérifier l'exactitude par une enquête parlementaire, il vous sera facile de vous convaincre, Messieurs, que nulle part la fraude n'a été pratiquée sous des formes plus multiples et plus variées que dans la deuxième circonscription de la Corse. En effet, tantôt c'est un ecclésiastique rappe¬ lant du haut de l'autel à ses paroissiens les dons pieux faits à sa modeste église, et leur impo¬ sant comme un devoir de reconnaissance de vo¬ ter contre moi (Annexe A). Tantôt c'est un curé conseillant à une jeune fille une démarche hasardée, ou ne consentant à prêter son ministère sacré qu'à la condition — 16 — que celui qui l'invoque me refusera son suf¬ frage (Annexes A, H, J). Ici, c'est un Maire auquel un électeur dont le suffrage m'était acquis demande inutilement de légaliser la signature d'un médecin, mise au bas d'un certificat de maladie (Annexe G). Là c'est un vieux soldat octogénaire que l'on constitue dans l'impossibilité de toucher un secours annuel, parce que, pour le punir de ses sympathies pour moi, le Maire de sa commune ne veut pas lui délivrer une attestation dont la production est exigée par les règlements sur la matière (Annexes G, canton de Saint-Laurent, n° 3, et G bis). Dans telle localité, c'est un port à l'entretien duquel, en vue des élections, on manifeste l'intention de concourir pour des sommes importantes (Annexes B). Ailleurs on distribue ou l'on promet à des besoigneux du numéraire, des médicaments, des marchandises diverses, du fer principalement (Annexes A, B, C). Ce n'est pas tout : à des électeurs qui comp¬ tent des ecclésiastiques au sein de leurs familles, on fait espérer la protection efficace d'un grand vicaire, et, comme conséquence, une position rétribuée pour le prêtre qui n'en a pas encore, un avancement pour celui déjà pourvu d'un bénéfice (Annexe A). — 17 —

A on d'autres électeurs promet, pour eux- mêmes ou pour leurs parents, des admissions dans la gendarmerie, dans les douanes ou au¬ tres administrations, et plus spécialement des places de commissaire ou d'agent de police, soit en Corse, soit dans un département voisin (An¬ nexes A, G).

Enfin la constatation des contraventions ru¬ rales devient, entre les mains des nombreux Maires hostiles à ma candidature, un instrument de pression, une menace permanente contre ceux de leurs administrés qui refuseraient de faire taire leurs sympathies pour moi (An¬ nexe G). — Ce dont on pourrait trouver la preuve dans presque toutes les communes où les Maires m'étaient contraires.

Je ne saurais insister davantage en ce qui concerne les dons et les promesses. Je néglige de rappeler des faits dénotant que l'influence de l'administration d'un département voisin, où de nombreux Corses ont obtenu des positions diverses, n'a pas été peut-être sans portée sur le résultat des élections ; et je ne veux pas non plus rechercher si une puissante compagnie industrielle, largement rétribuée par l'Etat, n'a pas usé contre moi du monopole qu'elle exerce sur le commerce maritime de la Corse entière, et même sur le service des malles-poste, égale- b — 18 ment subventionné par l'État, et disposant d'un très-nombreux personnel. Il est un point cependant sur lequel il m'est impossible de ne pas m'expliquer : Pourquoi, vous direz-vous, les électeurs se préoccupaient- ils autant des menaces qui pouvaient leur être faites? Pourquoi, puisque vous étiez le candi¬ dat du Gouvernement, les Maires qui ne vous étaient pas sympathiques déployaient-ils, sans hésiter, tant d'énergie contre vous? Oui, j'étais bien le candidat du Gouverne¬ ment, ainsi que je l'annonçais aux électeurs par ma circulaire du i/j mai (Annexe L), et ainsi que le prouvent la lettre et la dépêche de M. le Ministre de l'intérieur (Annexes M, N). Mais, je dois le dire, sinon par la volonté, tout au moins par une singulière inhabileté del'administration locale, je n'ai pas trouvé dans les agents du pouvoir tout le concours auquel j'étais en droit de m'attendre. Bien mieux, les faits qui se sont produits avant les élections et au moment où elles allaient avoir lieu, sont venus, par un fatal ensemble de cir¬ constances , affaiblir peu à peu dans l'esprit des populations l'autorité que ma candidature puisait dans la désignation du Gouvernement. Ainsi pt sans remonter bien loin, j'appre- certaine (et chacun le savait en Corse) que M. le Ministre de l'intérieur avait été sollicité de porter son appui sur d'autres candidats que moi. — M. le baron de Metz, mon parent, admi¬ nistrait l'arrondissement de Bastia; il venait tout récemment, dans les élections cantonales, de donner, au profit des candidats de l'admi¬ nistration, des preuves non équivoques d'une intelligente activité. Par la connaissance qu'il avait des hommes et des choses, il pouvait prê¬ ter quelque appui à ma candidature; mais, quel¬ que temps avant l'époque fixée pour les élec¬ tions, M. le baron de Metz, sous le prétexte que sa présence aurait pu nuire à l'apaisement des passions locales, était appelé à d'autres fonc¬ tions et remplacé par un administrateur venu du département de l'Ardèche. — Déjà dans les arrondissements de Bastia et de Corte, lorsqu'une mairie devenait vacante, on en confiait la direction à des hommes dési¬ gnés par ceux-là même qui, au moment du scru¬ tin, devaient être mes adversaires. — Pendant quelque temps il a existé à Bastia deux organes de publicité ; mais depuis plusieurs années on n'y publie qu'un seul journal, Y Observateur de la Corse. Je n'ai pas besoin d'ajouter que cette feuille est à la disposition exclusive de ceux qui ont combattu ma candidature. — 20 —

11 y a deux ans, plusieurs de mes amis me fi¬ rent comprendre qu'il était nécessaire de fon¬ der un nouveau journal pouvant, au besoin, soutenir mes intérêts ; mes démarches à cet égard sont demeurées sans résultats. L'adminis¬ tration locale a pensé qu'il y aurait inconvé¬ nient à rendre possible une polémique entre deux journaux ne partageant pas les mêmes idées au point de vue des personnes, ce qui au¬ rait pu donner lieu à de regrettables conflits, et nuire par suite à cette pensée de conciliation dont ma candidature devait être la conséquence : je m'inclinai devant d'aussi graves raisons. Mais l'expérience a prouvé que mes adversaires avaient atteint leur but : dans la feuille qu'ils patronent ils ont continué contre ma candida¬ ture des attaques qui, restées sans réponse et répandues gratuitement dans les campagnes à la dernière heure, devaient nécessairement égarer l'opinion publique. Au moment où le scrutin allait s'ouvrir, je renouvelai mes instances pour la création d'un journal qui était prêt à paraître; mais, sur le rapport de l'autorité administrative, l'autorisa¬ tion de le fonder a été refusée à un avocat du barreau de Bastia, connu par sa parfaite hono¬ rabilité, par sa modération, ses principes et son dévouement au Gouvernement de l'Empereur. — 21 —

Ce n'est pas tout encore, Messieurs. Un mois avant les élections, la tournée de révision a lieu: M. le Préfet,' tout en annonçanto ma candidature,/ ne croit pas qu'il soit nuisible à mes intérêts d'accepter une invitation à l'île Rousse, chez le beau-père de mon honorable compétiteur; à Erbalunga, chez son beau-frère, M. Yaleri; dans une maison de campagne, au Lago, chez M. Gavini lui-même. Et là, en présence des po¬ pulations réunies de plusieurs cantons, il rece¬ vait la plus ostensible hospitalité chez celui qu'il était, en quelque sorte, appelé à combattre quel¬ ques jours après. —Pendant la période électorale, j'écris à M. le Préfet pour le prier de venir me donner, à Bas- tia, l'appui de sa présence, dans l'espoir de détruire ainsi le fâcheux effet produit par sa tournée de révision ; il me répond que de gra¬ ves intérêts électoraux le retiennent à Ajaccio, comme si mon élection importait moins au Gou¬ vernement que celle de la première circons¬ cription, et comme si son secrétaire général n'était pas bien plus en état de le suppléer à Ajaccio, que ne pouvait le faire, à Bastia, un

Sous-Préfet nouvellement arrivé , et ne pou¬ vant, quel que puisse être d'ailleurs son mérite, exercer aucune influence dans le pays. —Laveille des élections, une mairie longtemps — 22 — vacante était donnée à un homme qui, après avoir été installé le 6 juin, se rendait immédia¬ tement dans sa commune et bouleversait toute la situation d'un canton par l'imprévu de sa no¬ mination et par l'hostilité de sa conduite envers le candidat du Gouvernement. 4

— Plus de la moitié des Maires dans la deu¬ xième circonscription, non contents de voter contre moi (c'était leur droit, je le reconnais), n'ont pas craint de parcourir les campagnes, cherchant à détruire dans les esprits l'effet qu'a¬ vaient pu produire en ma faveur les dépêches émanées de Paris.

Ai-je besoin d'ajouter que leur conduite était notoire, parfaitement connue de l'administra¬ tion, et que l'impunité augmentait leur au¬ dace ? Vous comprendrez maintenant, Messieurs, qu'on ait pu avec fruit user de pression au dé¬ triment de ma candidature ; que des électeurs aient pu craindre la réalisation de menaces pro¬ férées par des Maires ou au nom de Maires dont l'hostilité à mon égard était pour le moins to¬ lérée; que d'autres électeurs aient été gagnés par des dons ou des promesses émanant de per¬ sonnes qui disposaient, en apparence tout au moins, des faveurs de l'administration. Et, chose étrange ! avec ces nombreux agents — 23 — du pouvoir, qui combattaient en moi le candidat du Gouvernement, marchaient au même but tous les affiliés aux sociétés secrètes (qu'on les appelle des Pinnuti ou les frères de la Marianne) dont l'existence, quoi qu'on en puisse dire, est constatée par des décisions judiciaires. Vous ne serez dès lors pas étonnés, Messieurs, qu'on ait exploité contre moi les élections de Paris ; que l'on ait, comme l'a fait dans la com¬ mune de Sisco un ex-instituteur signalé à la jus¬ tice par le magistrat local, engagé les électeurs à voter contre moi, parce qu'on aurait ainsi tra¬ vaillé au retour de la république ; que l'on ait dans le canton de (Annexe A) déclaré qu'on ne pouvait pas voter pour le candidat du Gouvernement, lorsqu'au sein de la Marianne on avait voté l'exil de l'Empereur ; enfin que le résultat du scrutin ait amené, dans les rues mê¬ mes de Bastia, ces étranges vociférations : « .4 « bas les chapeaux et les habits! Vivent les vestes « et les casquettes! Vive la canaille !!! » Je m'arrête, car j'éprouverais une trop pro¬ fonde tristesse en ajoutant que, depuis les élec¬ tions, tous ceux qui ont voté selon les intentions du Gouvernement semblent être devenus les pa¬ rias de l'administration, et que toutes les fa¬ veurs sont réservées pour ceux qui ont com¬ battu ma candidature. C'est ainsi que les mai- — 24 — ries vacantes ne sont plus données qu'à des partisans du candidat de l'opposition ; que le Maire de Saint-André de , suspendu avant l'élection, a été réintégré dans ses fonc¬ tions, après s'être signalé pendant les opéra¬ tions par une ardente habileté contre moi, constatée dans le procès-verbal relatif à cette commune; que les places de médecins canto¬ naux, de création nouvelle, sont accordées à des hommes qui se considèrent comme récompen¬ sés, par là, de l'opposition qu'ils m'ont faite ; qu'enfin un adjoint municipal qui s'est fait re¬ marquer à Corte, ma ville natale, par son zèle ardent dans l'intérêt de mon honorable compé¬ titeur, vient d'être nommé à la place, spéciale¬ ment créée pour lui, de receveur municipal, aux appointements de 2,000 francs, et au dé¬ triment d'un pauvre percepteur qui devait cette position à une auguste protection. C'est ainsi que les menaces et les promesses ont produit leurs fruits après les élections. Les électeurs avaient donc raison de s'en préoccu¬ per au moment où elles étaient formulées avant le vote. Messieurs ues Députés,

Je suis enfin arrivé au terme de ma tâche, tâche souvent bien pénible, croyez-le bien, quand il m'a fallu mettre à nu des plaies que j'aurais désiré ne pas dévoiler ; — mais le mal causé en Corse par les dernières élections est trop réel, trop profond, il a trop ému l'opinion publique pour qu'il me fût possible de le taire et de ne pas indiquer les causes qui l'ont pro¬ duit.

Vous connaissez maintenant tous les faits de

cette étrange élection. — Vous en connaissez aussi les résultats : à vous, Messieurs, de les ap¬ précier et de statuer. Puisse votre jugement contribuer à raffermir chez nous le sens moral singulièrement ébranlé; puisse-t-il convaincre nos populations si intel¬ ligentes et si dévouées, qu'en matière électo¬ rale, l'habileté qui franchit les limites de la loi s'appelle fraude; — qu'il ne saurait y avoir, de succès légitime, lorsqu'il a été obtenu à l'aide de la corruption et des menaces, et que toutes ces indignités, que mon honorable compétiteur réprouve aussi énergiquement que moi, en — 26 — faussant les élections, enlèvent au suffrage universel toute sa puissance, à l'élu tout le prestige dont il doit être entouré pour siéger utilement dans une assemblée législative!

En attendant avec une respectueuse confiance votre décision souveraine,

J'ai l'honneur d'être,

Messieurs les Députés,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Baron MARIANI,

Ancien député. ANNEXE A.

A MONSIEUR LE MINISTRE DE LA JUSTICE.

Monsieur le Ministre,

Un bonhomme assez malin du dernier siècle a défini la jus¬ tice : une toile d'araignée dans laquelle les petites bêtes res¬ tent prises, mais d'où les gros animaux parviennent toujours à s'échapper. Il y a toujours du vrai dans cette définition, et même de nos jours on voit encore les gros bonnets échapper à des pour¬ suites, tandis que pour des faits de même nature de pauvres sires sont pincés. Ceci vient de se vérifier pour les dernières élections des députés. Un grand nombre de fraudes ont été commises : pour le menu fretin, il y a des instructions commencées; pour les chefs de clan, abstention absolue. Comme vous pourriez ne pas partager les idées qui ont cours en Corse, je prends la liberté, monsieur le Ministre, de vous dénoncer plusieurs faits dont quelques-uns ont déjà été signalés aux magistrats, et, si vous pensez qu'un Gouverne¬ ment qui se respecte veut la liberté et la sincérité dans les élections, vous voudrez faire donner un exemple, afin que l'on — 28 — puisse croire qu'en toute circonstance la justice est égale pour tous. Pour procéder avec ordre, je vais énumérer par arrondisse¬ ments et par cantons, non pas toutes les fraudes qui ont eu lieu, mais les principaux faits de corruption commis par le député élu dans la circonscription de Bastia, et par des mem¬ bres de sa famille.

ARRONDISSEMENT DE BASTIA*

d° Bastia. — M. Gavini devait défendre aux assises un homme accusé d'assassinat. Le jour de l'audience, il déserte la défense, parce que les parents de la victime l'avaient me¬ nacé de lui refuser leurs suffrages s'il n'abandonnait pas son client. [Fait exposé dans une requête en cassation à l'appui du pourvoi d'Orsini (Joseph-Marie), condamné par la cour d'as¬ sises de Bastia, le 12 mai 1863, aux travaux forcés à perpé¬ tuité.] Après la condamnation, M. Gavini a fait écrire par l'institu¬ teur Torre, son agent dévoué, au frère du condamné, la lettre dont on vous adresse copie. Vous y verrez, monsieur le Minis¬ tre, que M. Gavini prétend avoir intrigué les juges pour faire acquitter l'accusé, et que, n'ayant pas réussi, il promet de faire gracier le condamné si les parents de celui-ci veulent travailler au succès de son élection. (Voir pièce n° 1.)

2° Canton de Brando. — Ce canton est le fief du riche M. Valeri, beau-frère de M. Gavini. M. Valeri, qui a offert un déjeuner au Préfet lors du con¬ seil de révision, est parvenu à faire croire qu'il était tout-puis¬ sant et qu'il pouvait faire révoquer les fonctionnaires qui n'au¬ raient pas suivi ses ordres. A propos des élections, il a me¬ nacé de destitution le juge de paix et le maire de Brando, l'instituteur et le syndic de marine, s'ils ne prenaient pas l'engagement de contrarier le candidat du Gouvernement. Le syndic a un fils qui commandait l'un des bateaux de la compagnie Yaleri. Après les élections, ce capitaine, qu'on n'osait pas renvoyer de premier abord, a été humilié et forcé de se démettre. On a voulu le transborder sur un bateau gros comme une coquille et réduire son traitement de 200 fr. à -ISO fr. Le capitaine Baltestini, son père, le syndic, le juge de paix et d'autres témoins peuvent déposer de ce fait. M. Yaleri et le médecin Piccioni, oncle germain de M. Ga- vini, ont colporté, sans autorisation, la fameuse lettre du docteur Conneau. M. Valeri, la veille des élections, propage le bruit mensonger du désistement de M. Mariani, et dit au juge de paix : Vous allez recevoir des instructions en consé¬ quence du Ministre de l'intérieur. Dans la commune de Sisco, M. Valeri a promis que si l'on votait pour son beau-frère, M. Gavini, il aurait donné 100 fr. pour réparer le clocher de l'église, SO francs pour la toiture d'un oratoire, et un tableau pour orner un autel. Toutes ces promesses ont été répétées au prône par le curé Gelormini, qui avait pris pour texte de son sermon : «Il faut voter pour celui qui se montre généreux envers nous. » A Brando, à Sisco, à Pietra-Corbara, des cabarets où les électeurs ont été gorgés de vin et de friandises , avaient été abondamment pourvus aux frais de M. Valeri. Le nommé Perrichi (Bonaventure), le feu Dominique, s'est rendu le 11 juin à Bastia pour être remboursé de ses avances pour les consommations faites à Sisco. Tous ces faits ont été signalés par le juge de paix de Brando, avec indication d'une grande quantité de témoins.

3° Canton de Murato. — Le Maire et l'adjoint de la com¬ mune de Rutali ont violenté les électeurs parce que M. Gavini avait promis à l'adjoint une place de commissaire de police, et au Maire la place de gardien des prisons de Bastia. (Plainte a été faite au parquet.)

1° Canton de Porta. — Le nommé Guerini (Jean-Gavino), de Piano, avait manifesté l'intention de voter pour M. Mariani. Au dernier moment il a tourné casaque, parce que M. Gavini lui avait donné 34 francs et avait fait mettre en liberté son — 30 — fils, retenu en prison pour dettes envers l'État. [Témoins : Giulani (François-Marie), Guerini (Laurent), Toscani (Amé- dée), Agostini (Antoine-Félix), tous de Piano, et le Maire de cette commune.]

5° Canton de Rogliano. — M. Gavini, son beau-frère Valeri et son oncle le médecin Piccioni ont promis de concourir chacun pour 3,000 francs aux travaux du port de Maginaggio, si les électeurs du canton de Rogliano se conduisaient bien. Le médecin Piccioni a fait boire et manger à ses frais les élec¬ teurs qui promettaient de voter pour M. Gavini. De plus, il a donné 10 francs à la famille de Jean Borgo, et 12 francs à Dominique Giorgi. A l'un et à l'autre il a fait prendre gratis des médecines dans une pharmacie de Bastia. (Témoins : An¬ toine Luiggi, Louis Franceschi, Dominique Pioranetti, Michel Magna, Pierre Salasc et autres.)

6° Canton de San — Martino. Il y a deux ans, M. Gavini a plaidé pour ta commune de San Martino un procès contre le consul anglais Pennington et le sieur Bonnet, de Bastia. L'avocat fut payé de ses honoraires. Se ravisant tout à coup, mais seulement quelques jours avant les élections, il a ren¬ voyé l'argent qu'il avait reçu, et le Maire, le juge de paix et les conseillers municipaux ont dit aussitôt : « On comprend pourquoi cela arrive. »

ARRONDISSEMENT DE CORTE.

1° Cantond'. —M. Antoni, ex-juge de paix, parent de M. Gavini, a acheté pour 50 francs le suffrage de Cérvoni (Etienne); c'est le nommé Berlandi (Pierre) qui a prêté à M. Antoni les 50 francs qui ont été donnés à Cervoni, lequel en a fait l'aveu avec le nommé Taddée. [Témoins : Taddée, Cervoni (Félix), mari de Stella, et Ambrosini (Jean-Baptiste).]

2° Canton de Piedicorte. — M. Gavini, sous la promesse de — 31 — faire admettre dans la gendarmerie le nommé Vecchierini (François-Marie), a gagné les suffrages de trois cousins ger¬ mains de ce Vecchierini, lesquels avaient manifesté l'inten¬ tion de voter pour M. Mariani. [Témoins : Padovani, gen¬ darme en retraite; Angelini (Jean-Baptiste), propriétaire; Pietrini, instituteur, et Sambucucci (Xavier), tous de Guin- caggio.] L'abbé Moracchini, desservant de Pietra-Serena, a dit sur la place de Guincaggio, en présence de son collègue et de plusieurs autres personnes, parmi lesquelles Sambucucci (Dominique) etTerramorsi (Philippe) : «Avec 2 hectolitres de blé j'ai acheté deux électeurs. » M. Gavini a donné une pièce de 40 francs à un électeur de Piazzale.

3° Canton de . — M. Gavini a remis au Maire de Piedicroce 1,000 francs pour être partagés entre divers mu¬ letiers qui se trouvaient à la plaine, et qu'on devait faire ren¬ trer dans le canton pour voter. Le garde champêtre de Piedi¬ croce a dit : «Voilà des hommes généreux : M. Gavini m'a donné 90 francs pour aller prévenir des électeurs; il en a donné 100 pour la même cause à Pietri (Constantin). » Au nommé Sisco, ex-instituteur à Valle-d'Orezza, M. Gavini a offert 60 francs et promis de lui faire donner une position à Nice. Le même M. Gavini a promis la place de commissaire au Maire de Piazzale, et de faire donner un poste plus avan¬ tageux à Nice au nommé Francheschini, instituteur à Pié- d'Orezza. Le nommé Giannoni, San Bastiano, de la commune de San-Damiano, a dit, dans la commune de Valle-d'Orezza ; « M. Gavini m'a avoué que son élection lui a coûté plus de 40,000 francs. »Le nommé Paul Campana, de la commune de Campana, a été gagné, sous la promesse que lui a faite le Maire de Piedicroce de lui faire prendre deux quintaux de fer à la forge de M. Gavini (lettre dont copie est ci-jointe, pièce n° 2).

4° Canton de Prunelli, — Dans ce canton, tout s'est pro¬ duit avec assez de régularité jusqu'aux premiers jours du mois de juin, Le 3 ou le 4 de ce mois, M. Valeri et l'un de — 32 —

ses agents, le sieur Orenga, de Bastia, arrivent clans le canton pourvus de beaucoup d'argent, et, depuis lors, la famille Lau- relli, un peu dans la gêne jusque-là, se met au service de la candidature de M. Gavini. Une enquête administrative, faite par M. le juge de paix Belisari, constate, entre autres faits de corruption, que le juge de paix Laurelli, de Piedicorte, en congé à Prunelli pour cause de maladie, engageait les élec¬ teurs à voter pour M. Gavini, parce que celui-ci devait le faire replacer à Prunelli, d'où il venait depuis peu d'être transféré à Piedicorte ; que le même juge de paix payait aux électeurs leur journée, pendant les élections, à raison de 2 francs par jour, et leur fournissait des vivres; que le même juge de paix, après le passage d'Orenga et de Valeri, disait publiquement aux électeurs : « Songez que M. Valeri a de l'argent; il s'en sert, et il fait bien; » qu'enfin, en sollicitant les habitants de la commune de San-Gavino, le même juge de paix Laurelli disait : «Souvenez-vous que c'est à moi que vous devez recourir dans vos besoins; voter pour Gavini, c'est voter pour moi-même. Si Gavini est élu, vous êtes sûrs de gagner vos contre la procès compagnie du Migliacciaro. »

5° Canton de Pietra. — Les nommés Charles-Philippe et François père et fils Campana, cordonniers, ont été ajoutés à la liste des électeurs, sur laquelle ils ne figuraient pas dans la matinée du 7 juin.

Quelques jours avant, ces individus, qui n'ont ni sou ni maille, s'étaient mis aux trousses de M. Gavini, et ils reve¬ naient peu de temps après dans le village, portant une balle de farine et une quantité de cuir. C'étaient là évidemment des marchandises que leur avait fait livrer M. Gavini, pour prix de leurs suffrages. [Témoins : H.-A. Ferrandi, Nicolaï (Charles-Matthieu), Manicacce (Barthélémy), Giudicelli (Louis), Sébastiani (Ange-Toussaint), Strapponi (Jean-Paul) et plusieurs autres.]

6° Canton de Sermano. — L'ex-juge de paix Gabrielli, dont le frère est grand vicaire à Ajaccio, et qui est très-proche pa¬ rent de M. Gavini, a dit, au hameau de Rebbia : « L'abbé — 33 —

Pierri, curé de Bastonico, marchera droit; s'il ne travaille pas pour Gavini il s'en repentira. » (Témoin : le Maire de Saint- André.) Sébastien Giocanti a dit avec Taddéi-Sébastien de Busta- nico, son cousin, que son fils et lui étaient obligés de voter pour M. Gavini, parce que le juge de paix Gabrielli lui avait promis de faire obtenir à l'abbé Giocanti, son frère, une re¬ traite de S00 francs. Securi (Henri), journalier italien, a dit en présence de Cor- tinchi Giudicello et de Félix Orsini, de Saint-André, que le sieur Moracchini, Maire de Saint-Laurent, pour le compte duquel il travaillait, lui avait montré 3,000 francs en or, desti¬ nés, aurait ajouté Moracchini, à acheter des suffrages pour M. a vini. Battini (Philippe-Marie) ditLimpisino annonçait, le jour des élections, à Saint-André, qu'il donnerait gratis trois verres de vin à tout électeur votant pour M. Gavini. Il en avait, ce jour- là, un hectolitre à sa disposition, lui qui n'en possédait pas en propre, et qui n'avait pas le moyen d'en acheter. Battini (Charles-Félix), homme sans ressources, pour le¬ quel quelques jours avant on avait fait une collecte dans la commune afin de lui fournir de quoi manger, avait, le jour des élections, la bourse bien garnie. Il a dit que, s'il votait et faisait voter pour M. Gavini, c'est que l'ex-juge de paix Ga¬ brielli avait promis de le faire nommer cantonnier. [Témoins : Simoni (Dominique), Simoni (Barthélémy) et Poggi (Paul-Our- sini).] César-Louis Yincenti, fils du médecin, a dit à Poggi (Paul- Marie) : « Nous sommes obligés, moi et les miens, de voter pour M. Gavini, parce que celui-ci s'est engagé par écrit à me faire nommer commissaire à Nice. Les faits qui précèdent se sont produits dans la commune de Saint-André. » Andréi (Ignace), de , a dit au Maire de cette com¬ mune qu'il était obligé de voter pour M. Gavini, qui lui avait promis un emploi à Nice, en ajoutant : « Que voulez-vous? on appelle père celui qui vous donne du pain. » Mazzola (Charles-Louis) a dit au Maire de Mazzola qu'il c — 34 —

était obligé de voter pour M. Gavini, sur les sollicitations de l'ex-juge de paix Gabrielli, lequel avait promis de faire donner de l'avancement à son frère, curé à Lano. Simoni (Jean-Charles), de Saint-André, a dit à Poggi (Paul- Marie), de la même commune, lequel l'a répété au Maire de Mazzola : « Je suis obligé de travailler pour l'élection de M. Gavini ; celui-ci s'est engagé à faire venir dans la direction de Bastia mon frère, qui est douanier en Afrique. » Bernardi Risteruccio a dit au Maire de Mazzola que son frère François et lui s'étaient vus forcés de voter pour M. Ga¬ vini, parce que l'ex-juge de paix Gabrielli les menaçait de les citer en payement d'une somme de 60 francs, dont il se pré¬ tendait créancier envers leur père. Jean-Baptiste Solari, d', a dit au Maire de cette com¬ mune et à celui de Mazzola qu'il travaillait pour M. Gavini parce que l'ex-juge de paix Gabrielli avait promis de faire ad¬ mettre dans la gendarmerie son cousin, Jacques Orsatelli, qui sert dans la ligne. En présence de Tabbezzani (Charles-Jean), l'ex-juge Gabrielli a promis à Bernardi, adjoint de la commune d'Alzi, de le faire nommer Maire.

7° Canton de Serragio. — Après le passage de M. Valeri dans ce canton, des sommes d'argent sont vues entre les mains du gargottier Rinesi, à Serragio, et du gargottier Ce- sari à , dans l'établissement desquels on fait con¬ sommer gratis les électeurs gagnés à la cause de M. Gavini. Le curé Graziani, de Serragio, parent de M. Gavini, a pro¬ mis à Martin Salvatori de le faire nommer huissier, et il a acheté pour 10 fr. le vote d'Antoine Tona. Cet ecclésiastique s'est oublié jusqu'à recourir à des moyens qui nous ramènent en plein moyen âge. Appelé à bénir un troupeau malade, il se rend, revêtu de ses ornements, à la bergerie de Guglielmi, et il ne consent à donner la bénédiction au troupeau qu'après que le berger s'est engagé par serment à voter pour M. Ga¬ vini. ait de caractère. Le même curé engage la demoi- -éèfte,l^P) jfflsjeune pénitente, à aller demander à son amou- /V i .^3 TmJ

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reux, Jean Salvatori, le concours de celui-ci et des siens dans l'intérêt de M. Gavini. La demoiselle Poli se charge de la commission, et Salvatori, auquel elle s'est adressée, lui ayant répondu qu'il donnerait ses suffrages à M. Gavini si elle lui accordait ses faveurs, la demoiselle Poli en rendit compte au curé, qui l'engagea à faire de nouvelles démarches auprès de son amoureux. Tous ces faits, signalés par le commissaire de police à l'au¬ torité administrative, peuvent être attestés par Battesti, fai¬ sant fonctions de Maire de Serragio, l'instituteur de cette commune, Annibali, garde forestier, Fabiani (Jules), lesquels peuvent déposer aussi de promesses d'argent faites parle curé à Stefani (Jean) et à Fabiani (Pierre). On désigne aussi comme témoins Battesti (Jean-Antoine), Salvatori (Jean), Martin, mé¬ decin, et autres.

8° Canton de Valle. — Giudicelli (Jean-André) a sollicité Poli (Jean-Paul) à voter pour M. Gavini, en promettant de le faire employer dans la police. En présence de Brandini (Ours-François) et de Renard (Alexis), chevalier de la Légion d'honneur, lesquels en ont fait déclaration devant le maire de Piedricaggio, le nommé Bran¬ dini (Paul-André) a dit que Mattei (Jacques-Philippe) avait promis de le faire accepter comme remplaçant administratif, s'il consentait à voter pour M. Gavini. Dans un rapport qu'il adressait à l'autorité administrative, le Maire de signalait que partout où M. Gavini pas¬ sait il promettait des emplois et remettait des lettres de re¬ commandation aux électeurs qui votaient pour lui. Dans un autre rapport à ses chefs, le Maire de Pielricaggio faisait con¬ naître que les nommés Marchetti (Joseph-Félix) et Poli (Pierre- Toussaint) avaient dit, en parlant de M. Gavini, dont ils étaient les partisans, que ce dernier l'avait emporté, mais que le succès coûtait plus de 30,000 fr. en farine et liquides distri¬ bués dans divers cantons aux électeurs. Anziani (Antoine-François), de Valle, a dit, en présence de Garelli (François-Brando), que son père, Anziani (Paul-Marie), avait reçu pour prix de son suffrage 10 francs de M. Gavini. En présence de Joseph Coralli, de , le nommé Jules Marroselli, de la même commune, a dit qu'd était forcé de vo¬ ter pour M. Gavini, lequel s'était engagé de faire réhabiliter d'abord et employer ensuite son frère, Augustin Marroselli, frappé d'incapacité par suite de condamnation judiciaire. Le Maire de Perelli a lu une lettre par laquelle Massoni (Ber¬ nard) sollicitait un emploi sur les chemins de fer; lettre au bas de laquelle M. Gavini a écrit une chaude recommandation : pour prix de ce service, Massoni et les siens ont voté pour M. Gavini. Avec le Maire de Pioppeta et le sieur Noël Maurizi, de la même commune, le nommé Castellani (Ange-Vincent) a dit : «Je suis malgré moi obligé de voter pour M. Gavini : je suis débiteur de Raffalli, négociant à Stazzona, qui, à cette condi¬ tion, m'accorde un délai. De plus, M. Paoli, Maire de Pie- dicroce, a promis de me faire prendre 4 ou 5 quintaux de fer à la forge de M. Gavini. » Tels sont, monsieur le Ministre, les principaux faits de cor¬ ruption que je signale à votre justice. Si une enquête est ordonnée, beaucoup d'autres seront éta¬ blis à la dernière évidence. Je dois seulement, en terminant, vous faire connaître que la proclamation du scrutin a eu lieu en Corse pour la deuxième circonscription le 15 ou le 16 juin. Si les poursuites n'étaient pas commencées avant le 15 septembre, la prescription de trois mois serait acquise, les coupables resteraient impunis et un grand scandale serait donné, car on croirait que la jus¬ tice n'ose pas frapper des hommes riches et puissants.

Signé : L. Mabinetti. Pièces mentionnées dans l'Annexe A.

N° 1. Lettre adressée au frère du condamné Orsini par le nommé Torre, instituteur à Bastia.

« Mon très-cher Ours-Jean, — J'ai appris avec une bien « vive douleur cjue vous vous soyez déclaré ouvertement et « avec acharnement contre Gavini. Gavini, en effet, s'est t.rès- « mal conduit envers nous, car il nous a, pour ainsi dire, dé- « laissés au moment le plus solennel. Mais tout ce que je puis « vous dire, c'est qu'il a cru que Corsi et Angeli se seraient «très-bien chargés de l'affaire. Tout ce que je puis vous dire « aussi, c'est qu'il a usé de toute son influence auprès des «jurés qu'il connaissait pour que votre frère fût acquitté. Mais, « s'il était resté là au banc de la défense, la condamnation « n'en aurait pas moins été prononcée, car les jurés étaient «tous profondément convaincus que votre frère fut le vrai « coupable. « Je ne veux, ou, pour mieux dire,je ne puis insister davan- « tage sur un souvenir si douloureux et qui me déchire le cœur. « Cependant je vous garantis que, si Gavini est élu député. « comme tout porte à le croire, la première grâce qu'il de- « mandera à l'Empereur et au Ministre sera celle de votre frère. « 11 est décidé à la demander avec toute l'ardeur et toute la « sincérité de son âme. La prochaine occasion que vous vien- « drez à Bastia, je le lui ferai répéter en votre présence et «le promettre formellement, car, soyez-en convaincu, la « condamnation de votre frère l'a profondément affligé. Conte- « nez donc votre juste indignation, soyez prudent dans l'intérêt « de votre frère, et songeons tous à réparer le malheur qui nous « a frappés. « Persuadé que ma lettre vous fera changer d'avis et de ma- « nière de voir,

« Je vous salue, etc.,

Signé : « Torre. » N° 2. Al signor Pietro Paoli,

Maire del Capo-Luogo di Piedicroce, à Bastia.

o Campana, li 26 giugno 1863.

« Stimatissimo caro compare, — Mentre che presentasi l'oc- « casione, vi addirizzo queste poche linee afin che vi sovengate « délia promissione che mi avete fatta di farmi prendere due « cantare di ferro dal signor Gavini. Non altro più a dirvi per « questo momento. »

« Vi saluto e sono il vostro devotissimo compare.

Signé : « Paolo Campana. »

L i. Traduction.

a A M. Pierre Paoli, maire du chef-lieu du canton de Piedi- « croce, à Bastia.

« Campana, 26 juin 1863. — Très-estimé et cher compère, « — Puisqu'il se présente une occasion, je vous adresse ces « deux lignes afin que vous vous souveniez de la promesse « que vous m'avez faite de me faire prendre deux quintaux « de fer chez M. Gavini. Je n'ai pas autre chose à vous dire « pour le moment. Je vous salue et suis votre très-dévoué « compère.

Signe': « Paul Campana. » ANNEXE B.

Monsieur le Procureur impérial,

Les élections qui ont eu lieu les 7 et 8 du mois courant ont été signalées par des faits nombreux de corruption. Les menaces, les promesses, les dons ont tour à tour été em¬ ployés, de faux bruits ont été propagés, l'on n'a même pas reculé devant l'extrême ressource de tripoter dans l'urne pour y opérer des substitutions de bulletins. On prétend que, eu égard à la position des personnes aux¬ quelles les faits de cette nature doivent être imputés, la jus¬ tice se gardera bien d'agir. Je suis persuadé que l'on se trompe, car on commence à s'apercevoir en Corse que cer¬ taines considérations n'y font plus fortune, et que, quelle que soit la position sociale des coupables, il faut de toute né¬ cessité que ces derniers rendent compte de leurs actes à la justice. Après ce préambule, qui peut paraître inutile, je veux ap¬ peler votre attention sur des faits qui sont déjà arrivés à ma connaissance, me réservant de vous en indiquer d'autres au besoin: 1° Les nommés Giorgi (Innocent), Paoli (André), et Ferran- dini (Pierre-Marie), marins de la commune de Tomino, em¬ barqués sur un bâtiment commandé par Mattei (Charles-Félix), de Bastia, étaient occupés à débarquer dans l'anse de Toga, pour l'usine qui porte ce nom, le chargement de leur navire. Pour les faire aller voter pour M. Gavini à Tomino, on a remis à chacun une somme de 12 francs, on leur a payé la — 40 — voiture aller et retour, enfin on les a fait remplacer dahs les travaux du débarquement par trois hommes auxquels on a également donné salaire. [Témoins de ce fait : Mattei (Charles-Félix), capitaine ma¬ rin, à Bastia; Filippi (Paul), propriétaire à Bastia; la femme du précédent, née Ferrandini; Ferrandini (Jean), menuisier à Bastia; Polidori (Philippe), propriétaire à Tomino.] 2° Les nommés Ersa (Félix), menuisier, Pèbre (Jérôme), et un des frères de ce dernier, qui exerce la profession de cor¬ donnier, quoique inscrits sur la liste électorale de Bastia, ha¬ bitaient depuis quelque temps le cap Corse. On les a fait venir à Bastia pour y voter pour M. Gavini, et le sieur Tardi, négociant, a remis à chacun d'eux une trentaine de francs. Le lundi 8, ces trois ouvriers reparlaient pour le cap Corse par la diligence qui fait le service de Macinajo. Une discussion s'est élevée entre eux, parce qu'ils se sont aperçus que l'un d'eux avait touché 10 francs de plus que les deux autres. Ces trois individus interpellés, sans qu'ils aient le temps de con¬ férer entre eux, révéleront ce fait, surtout si on leur rap¬ pelle la discussion qui a eu lieu en voiture où se trouvaient des témoins. Le nommé Mariani (Noël), menuisier à Bastia, est à même de déposer de ce fait. 3° Le nommé Remoti (Antoine), dit Setteculi, qui vend du charbon dans les rues de Bastia, a reçu des frères Orenga, pour prix de son suffrage en faveur de M. Gavini, une veste et un pantalon. Il en a fait lui-même l'aveu avec Colombani, sergent de ville, et le nommé , dont la femme est re¬ vendeuse de fruits près de la fontaine qui est à l'entrée de la citadelle. 4." Collari, facteur des postes, a déclaré qu'on avait offert à l'un de ses beaux-frères une somme de 10 francs s'il voulait voter pour M. Gavini. Collari en a fait l'aveu avec Casile, gar¬ dien des prisons, lequel en a parlé le 8 juin avec Bian- chi (François), clerc d'avoué, et Marinetti (Louis), ancien militaire. 5° Le nommé Fasci, frère de François, a dit avec Boco- gnano (Sébastien), marchand de liquides, qu'on lui avait payé — 41 — la voiture pour venir du cap Corse, aller et retour, afin de le faire voter à Bastia. Bocognano a rapporté le fait à Louis Ma- rinelti, à Mariani Noël et à Deneri (Etienne), ces deux derniers menuisiers. 6° Ces trois témoins tiennent également du même Boco¬ gnano le fait suivant : Felicelli, cordonnier de , et un ancien cantonnier de la même commune, ont dit dans le ma¬ gasin de Bocognano que les Gavini donnaient de l'argent aux chefs de parti pour payer les électeurs qui venaient de l'inté¬ rieur votera Bastia. Il a été, à cette occasion, question d'une somme de 300 francs envoyée de Nice ; et enfin que M. Ga¬ vini envoyait chaque semaine quinze livres de viande et du pain de première qualité à des électeurs de Prunelli et de Ca- saconi. 7° Dans le canton de Rogliano, le bruit a été répandu que " M. le baron Mariani s'était désisté de sa candidature, et que les dépêches et circulaires attribuées à M. le Ministre de l'in¬ térieur étaient fausses. 8° MM. Piccioni, médecin, Valeri (Joseph) et Gavini ont offert chacun une somme de 8,000 fr. pour des travaux au port de Macinajo si les électeurs du canton de Rogliano vo¬ taient pour le candidat de l'opposition. 9° M. le médecin Piccioni, le jour des élections, a établi une buvette où les électeurs ont, pendant toute la durée du vote, consommé à ses frais. 10° Le môme médecin a visité un enfant malade, qui est le petit-fils du nommé Borgo (Jean); il a remis 10 francs en nu¬ méraire et des ordonnances pour prendre, sans payer, des médecines dans une pharmacie de Bastia. 11° Des ordonnances de la môme espèce et une somme de 12 francs ont été remises par le même médecin Piccioni au nommé Giorgi (Dominique). Ces divers faits peuvent être attestés par les nommés An¬ toine Luigi, Louis Franceschi, Dominique Piovanetti, Magna (Michel), Salasca (Pierre), et autres que les précités pourront désigner. 12° M. l'avocat Gavini devait défendre un nommé Orsini, de Rutali, accusé d'assassinat. Au moment du jugement de l'af- _ 42 —

faire, cet avocat a abandonné son client, parce que, dans la bibliothèque du barreau, M. l'avocat lui a dit en pré¬ sence d'autres avocats : « Si tu plaides pour cet accusé, nous perdons le plaignant Gorrazzi et ses parents, qui ont promis de voter pour toi. » Après un pareil trait, le frère d'Orsini s'est plaint dans la commune de de la conduite tenue-par M. Gavini, et il s'est même mis à chercher des suf¬ frages pour le candidat du Gouvernement. Alors le sieur Torre, qui tient à Bastia une institution avec M. l'abbé Cas- telli, a écrit à Ours-Jean Orsini une lettre dans laquelle il lui disait que s'il renonçait à combattre la candidature de M. Ga¬ vini et à l'appuyer, au contraire, cet avocat prenait l'engage¬ ment de solliciter^ et d'obtenir de l'Empereur la grâce du malheureux Orsini. On peut entendre à ce sujet le précité Ours-Jean Orsini et l'obliger à communiquer la lettre qu'il a reçue et dans laquelle il est question de démarches actives que M. l'avocat Gavini aurait faites auprès des jurés. 13° Quarante électeurs de la commune d'Olmo sont prêts à déclarer qu'ils ont voté pour M. le baron Mariani, tandis qu'on n'a trouvé au dépouillement que 25 bulletins portant le nom de ce candidat. Évidemment les membres du bureau ont fait des tripotages. Comme ils étaient surveillés par l'é¬ lecteur Falcucci (Charles-Joseph), ils ont prétendu que ce der¬ nier faisait du bruit, et ils l'ont fait expulser. Pendant que les gendarmes accompagnaient Falcucci hors de la salle, les membres du bureau sont restés seuls, et ils en ont profité pour substituer les bulletins de M. Gavini à ceux de M. Ma¬ riani. Comme ils étaient un peu pressés, ils n'ont pas bien fait leur compte, et il est arrivé qu'on a trouvé dans l'urne plus de bulletins qu'il n'y avait eu de votants. On prétend même qu'on a émargé sur la liste des électeurs décédés ou absents. 14° Le nommé Guerini (Jean-Gavino), de Piano, avait an¬ noncé qu'il voterait pour le candidat du Gouvernement. Dans les derniers jours de mai, il a dit au Maire qu'il était obligé de voter pour M. Gavini, auquel il avait des obligations. Le lendemain il a été plus explicite et il a dit en présence de Giuliani (François-Marie), Guerini (Laurent), Toscani (Amédée), et Agostini (Antoine-Félix), que M. Gavini lui avait donné - 43 —

34 fr., à condition que ledit JeanGuerini et les siens auraient voté pour lui. Les faits qui précèdent seront tous établis, si vous faites faire une enquête. Yous en découvrirez d'autres, notamment dans les cantons de Brando, San-Martino, Murato, Vescorato, Campile et Porta. J'espère que je pourrai en signaler quel¬ ques-uns, et je suis convaincu que vous savez faire bonne jus¬ tice.

J'ai l'honneur d'être, monsieur le Procureur impérial,

Votre très-humble serviteur,

Signé : Romani.

ANNEXE C

29 mai.

Monsieur le Sous-Pkéfet,

La vérification du registre de l'état civil m'a fourni l'occa¬ sion de parcourir le canton et de juger par moi-même de la situation électorale. Quoique M. l'avocat Gavini compte de nombreux adhérents dans ce pays, il n'en est pas moins vrai qu'il y a dans chaque commune une fraction assez respectable décidée à voter pour le candidat du Gouvernement. Je regrette d'être obligé de vous dire de nouveau que l'attitude de MM. les Maires n'est pas ce qu'elle devrait être, à part le maire d'Or- tiporio, car ces messieurs ne font rien pour favoriser la can¬ didature de M. le baron Mariani; nous serions fort heureux s'ils n'employaient pas tous leurs efforts pour la combattre. Leur conduite est de nature à nous donner cette conviction... C'est ainsi que M. l'adjoint municipal de Campile, faisant les fonctions de maire, n'a pas craint d'aller à Monte chercher des suffrages pour M. Gavini. Il a été vu le 17 du courant au hameau de Devina. J'ai parlé moi-même avec un électeur qu'il a essayé d'enlever à M. lé baron Mariani. M. l'adjoint a en outre négligé volontairement d'afficher la dépêche que vous lui avez adressée le 27 du courant. Il a aggravé sa faute en disant hier qu'il n'avait rien reçu. Or je sais positivement, d'après les renseignements qui m'ont été fournis par la gen¬ darmerie, qu'il a dit luLmême au distributeur des postes avoir reçu, le 27, une dépêche expliquant celle du 19 mai. — 46 —

M. le Maire de Prunelli a déclaré devant votre serviteur qu'il ne ferait rien ni pour ni contre M. Mariani. J'ai acquis hier la preuve du contraire : un électeur m'a raconté que le 17 mai il s'est présenté chez lui pour le prier de légaliser la signature d'un médecin, à propos d'un certifi¬ cat de maladie. M. le Maire a refusé d'abord la légalisation de¬ mandée ; il ne l'aurait donnée que sur la promesse formelle que l'électeur voterait pour M. Gavini. D'ailleurs, ne pouvant pas agir par lui-même aussi librement qu'il le désirait, M. le Maire fait connaître, à l'aide de son garde champêtre Agostini (Pompée), les intentions dont il est animé; ce dernier a répété en présence de plusieurs personnes que, pour le mo¬ ment, il y avait armistice, mais que bientôt il tombera sans pitié sur tous ceux qui ne voteraient point dans le sens de M. Gavini. Je tiens ce fait de deux électeurs de Prunelli. On vient de m'annoncer que le Maire d'Olmo est allé hier à Loretto à la rencontre de M. l'avocat Gavini. Déjà M. Vallicioni vous a été signalé pour avoir tenu des propos hostiles au candidat du Gouvernement. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne procurera pas un seul suffrage à M. Mariani. J'ai eu un entretien avec les Maires de Monte et de Prunelli, et je suis convaincu qu'ils imiteront parfaitement l'exemple de leur collègue d'Olmo. Il se répand un bruit dans le canton, monsieur le Sous-Préfet, que je crois à propos de vous faire connaître : on prétend que toutes les voix données à M. Mariani ne lui seront pas comp¬ tées par MM. les Maires. Je crois que l'administration trou¬ vera les moyens nécessaires pour éviter un pareil inconvé¬ nient. Ce bruit pourrait aussi n'être qu'une manœuvre : on espère peut-être ainsi empêcher les électeurs de voter pour le candidat du Gouvernement. A quoi bon, en effet, s'exposer au ressentiment d'autrui, si l'on doit voter en pure perte?

Signé : Agostini, Juge de paix. ANNEXE D.

Monsieur le Procureur impérial ,

Les soussignés électeurs de la commune de Campile ont l'honneur de vous adresser copie du Mémoire qu'ils adres¬ sent à M. le Sous-Préfet, pour demander la nullité des élec¬ tions qui viennent d'avoir lieu. Ils dénoncent des faits de fraude, et ils espèrent que vous voudrez bien poursuivre les délinquants. Trente-deux électeurs de la commune de Campile, canton de ce nom, arrondissement de Bastia, département de la Corse, ont l'honneur de protester contre la validité des élec¬ tions qui ont eu lieu hier et aujourd'hui à Campile pour la no¬ mination d'un député. Les faits suivants, qu'ils vous exposent avec le plus profond respect, serviront à éclairer votre religion et à vous donner une idée de l'audace avec laquelle les membres du bureau de Campile, et M. l'adjoint municipal Cacciaguerra en particu¬ lier, n'ont pas craint d'employer la fraude contre le candidat du Gouvernement. Malgré toutes les manœuvres que l'on a mises en usage pour détourner les électeurs de voterpourM. le baron Mariani, malgré les promesses et les menaces dont on s'est servi pour empêcher la libre manifestation de la volonté des électeurs., trente-deux d'entre eux avaient résisté à toutes les sollicitations et s'étaient promis de voter pour M. Mariani. Ils avaient malheureusement compté sans la malice des mem¬ bres du bureau : le deuxième jour des élections, vers huit _ 48 —

heures du matin, les exposants se sont rendus à l'assemblée. M. le juge de paix avait eu la bonté de l'aire lui-même trente- deux billets sur du papier très-blanc et ne portant aucune marque extérieure. II les a remis devant la porte de l'assem¬ blée au sieur Vechioni (Raphaël) ; celui-ci s'est placé devant ladite porte et les a distribués presque aussitôt, au fur et à mesure que les électeurs étaient appelés. Les électeurs, traversant la salle sous les yeux du public qui les observait, refusaient le billet que leur offrait un adhé¬ rent de M. Gavini et remettaient le leur entre les mains de M. l'adjoint Cacciaguerra, par qui le Maire avait jugé prudent de se faire remplacer. L'attitude de M. Cacciaguerra a frappé plusieurs des exposants; tout en s'assurant si le papier ne contenait pas deux billets, il le serrait avec les doigts d'une certaine façon qui a été remarquée. Ceci n'était pas fait au hasard ; en effet, lors du dépouille¬ ment, quelle n'a pas été la surprise des électeurs en voyant quatorze billets sur trente-deux portant des marques exté¬ rieures de couleur rouge ! D'où viennent ces marques rouges empreintes sur les bil¬ lets? Ce n'est certainement pas le juge de paix qui a voulu annuler les suffrages qu'il a tâché de procurer au candidat du Gouvernement. Elles ne viennent pas non plus des élec¬ teurs, qui n'avaient aucune possibilité détromper personne, en supposant qu'ils eussent une pareille pensée, ce qui aurait contrasté singulièrement avec leur attitude calme et impas¬ sible à l'épreuve de l'intrigue. Les empreintes de couleur rouge n'ont pu être faites que par M. Cacciaguerra, qui a seul reçu les billets, au moment où il les a déposés dans l'urne. Ces propos, tenus par deux adhérents de M. le Maire peu avant les opérations du scrutin, ne font que confirmer les soupçons graves qui s'élèvent contre M. l'adjoint et les autres membres du bureau : comme le sieur Mariotti faisait obser¬ ver à deux électeurs que M. Mariani obtiendrait au moins une trentaine de suffrages, un individu très-attaché au parti Gavini, le sieur Baptiste Pasqualini, a répondu que les suf¬ frages déposés ne sortiraient pas tous. Les exposants sont tout prêts à affirmer par serment devant qui de droit qu'ils ont - 49 — voté pour M. le baron Mariani. Leurs adversaires ne leur contestent pas ceci. A part ce fait de la fraude la plus manifeste, qui doit être reproché aux membres du bureau et spécialement à M. l'ad¬ joint Cacciaguerra, plusieurs autres circonstances sont de na¬ ture à amener l'infirmation des élections. La liste électorale était grossie d'une foule d'électeurs dé¬ cédés, absents, et n'ayant pas la qualité de citoyens français. Toutes les réclamations faites au bureau par M. le greffier Mariotti et le juge de paix pour avoir communication de la liste définitive et de la liste rectificative ont été d'abord re¬ poussées. Le bureau a répété à plusieurs reprises que ces ré¬ clamations n'étaient pas fondées. Ce n'est qu'après les protestations réitérées du juge de paix que la liste a été communiquée. Quatre électeurs qui figurent sur la liste rectificative ont été indûment inscrits au dernier moment, puisque leur inscrip¬ tion ne résulte d'aucune décision judiciaire. A ces causes, M. le Procureur Impérial, les électeurs sous¬ signés, agissant aussi au nom de ceux qui ont voté pour le candidat du Gouvernement, vous supplient d'adresser le pré¬ sent mémoire à qui de droit pour que les élections de la com¬ mune de Campile soient annulées pour cause de fraude. Ils espèrent en outre que la justice ne tolérera pas des faits de cette nature, et qu'elle punira ceux qui ont violé la loi aussi impudemment.

Veuillez agréer, Monsieur le Procureur impérial, l'expres¬ sion des sentiments respectueux de vos très-dévoués servi¬ teurs.

Signé : F. Mosorelli, T. Vechioni.

d

ANNEXE E.

Monsieur le Préfet,

Les nommés Micaelli (Jacques-François) et Mattei (Fran¬ çois), tous les deux propriétaires de la commune de Monte, canton de Campilo (Corse), ont l'honneur de vous exposer très-respectueusement : Que les jours du 7 et 8 courant se sont présentés au bu¬ reau des élections pour donner leurs suffrages, étant portés sur la liste électorale et ayant reçu leurs cartes d'entrée. Ayant examiné le nom qui existe sur ladite liste électorale, n° 159, égale à ma carte d'entrée, laquelle était paraphée, et quelqu'un avait voté pour moi, et mes observations ont été rejelées. La même manœuvre a été faite au susdit Mattei (François), voyant que nos suffrages étaient en faveur du can¬ didat du Gouvernement. A l'entrée de la salle des élections, par ordre de M. le Maire, on avait placé une table contenant les billets de M. Mariani et de M. Gavini, avocat. Plusieurs électeurs se sont présentés en demandant des billets en faveur du candidat du Gouverne¬ ment; mais il paraît qu'ils aient été manœuvres, en disant : Voilà des billets; mais ils contenaient le nom de M. Gavini. A cette offrande, les nommés Pancrazi (Charles-François) et Micaelli (Jacques-Mathieu) ont refusé le billet, disant que leurs suffrages étaient pour le candidat du Gouvernement; alors le fournisseur des billets, Franceschi (François-Antoine), répondit : «Les bulletins de M. Mariani sont finis.» C'est vrai qu'ils — 52 —

étaient finis, Monsieur le Préfet, car ils en avaient dispersé aux fumeurs pour allumer leurs pipes, et à des petits enfants pour les amuser. En outre, Monsieur le Préfet, on fait voter un fou en sa fa¬ veur, et on refuse un sourd de voter en faveur de M. le ba¬ ron Mariani. M. le Maire de Monte, craignant le contrôle des électeurs favorables au candidat du Gouvernement, a fait évacuer la salle où l'assemblée se composait pour n'y laisser entrer que des personnes en sa faveur. Voilà, Monsieur le Préfet, les ma¬ nœuvres qui existent dans la commune de Monte. Le garde champêtre, Vinciguerra, se tenait à la porte de la salle des élections, menaçant les électeurs de les accabler de contraventions s'ils votaient en faveur de M. le baron Ma¬ riani. Nous recourons à vous, Monsieur le Préfet, père magna¬ nime de la Corse entière, afin de mettre un terme à cet abso¬ lutisme qui règne dans notre commune.

En attendant, Monsieur le Préfet, votre impartiale justice, nous avons l'honneur d'être vos fidèles et humbles servi¬ teurs.

Mtcaelli (Jacques-Mathieu), Pancrazi (Carlo-Fran- cesco), Micaelli (Giacomo-Francesco ), Mattei (Francesco).

Monte, 9juillet 1863 ANNEXE F.

A MONSIEUR LE SOUS-PRÉFET DE RASTIA.

Monsiedb le Sous-Pbéfet,

Les électeurs de la commune de Monte, canton de Campile, ont l'honneur de vous exposer avec respect : Que les élections qui ont eut lieu le 7 et le 8 courant ne se sont pas accomplies d'une manière régulière. M. le Maire de Monte, craignant le contrôle des électeurs favorables au candidat du Gouvernement, a commencé par faire évacuer la salle où se tenait l'assemblée. Plus tard, il a, de concert avec le bureau, permis à un fou de voter, et il a refusé cet avantage à un sourd. 11 a, en outre, refusé, sans motif aucun, de laisser voter trois électeurs ins¬ crits sur la liste. Enfin, il a fait voter quelques conscrits qui étaient, comme lui, pour le candidat de l'opposition, mais il s'est bien gardé de porter ceux qu'il savait devoir être favorables au candidat du Gouvernement. La personne placée à l'entrée de la salle où se tenait l'as¬ semblée, par ordre de M. le Maire, présentait des billets por¬ tant le nom de M. Gavini à ceux qui lui demandaient des bil¬ lets pour M. le baron Mariani. Tous ces actes d'absolutisme commis par M. le Maire nous paraissent, Monsieur le Sous-Préfet, de nature à vicier les élections. C'est pourquoi nous vous prions de vouloir bien faire par¬ venir nos réclamations à qui de droit, pour qu'elles soient an¬ nulées.

Veuillez agréer, Monsieur le Sous-Préfet, etc.

Signé : Micaelli (Jacques-Mathieu), Pancrazi (Char¬ les-François), Micaelli (Jacques-Antoine), Mattei (Mathieu), Giafferi (Raphaël), Micaelli (Jacques- François), Micaelli (Jacques-André), Gaspari (don Charles); un nom illisible. ANNEXE G.

A MONSIEUR LE PROCUREUR IMPÉRIAL

DE L'ARRONDISSEMENT DE CORTE.

Monsieur le Procureur impérial,

Bien qu'il soit avéré pour tout homme de bon sens que le succès apparent du candidat de l'opposition est dû principale¬ ment à de nombreuses manœuvres pratiquées dans son inté¬ rêt, on s'efforce cependant de donner le change à l'opinion publique, sinon en Corse, où tout se sait parfaitement, du moins sur le continent. Pour mieux atteindre ce but, les partisans de M. Gavini se sont posés en victimes de la pression exercée sur les électeurs de cet arrondissement au profit de M. le baron Mariani; ils ont môme osé provoquer l'action de la justice. Puisqu'ils se sont engagés dans cette voie, que la vérité soit connue, et, en vérifiant les faits énumérés dans un mémoire que M. le Ministre de la justice à dû vous communiquer, j'ai l'honneur d'appeler votre attention, et de solliciter des inves¬ tigations sur ceux qui suivent. Il en résultera que, si une pression a été exercée sur les électeurs, s'il a été employé des moyens de corruption et des manœuvres déloyales, ce n'est certainement pas dans l'intérêt du candidat officiel. — 56 —

I. — Canton de Gliisoni.

Le nommé Dono Rossignoli, garde à Ghisonaccio, a obligé plusieurs électeurs dont il n'avait pas pu obtenir le vote en fa¬ veur de M. Gavini, à s'abstenir de voter, les menaçant, s'ils en agissaient autrement, de les faire mettre en prison et de les persécuter à outrance. Ces électeurs, qui ont dû s'abstenir, ont révélé ces menaces au faisant fonctions de maire de Ghi¬ sonaccio. Ce fonctionnaire et le nommé Ristorucei peuvent déposer de ce fait.

II. — Canton de Moïta.

1° Jean-François Santucci, de Perelli, berger communal à Matra, sollicité par le Maire de cette commune et par d'autres partisans de M. Gavini, à voter pour ce candidat, sous peine de se voir enlever le troupeau confié à sa garde, a dû s'abste¬ nir de voter, ne pouvant le faire au gré de ses désirs, pour le candidat officiel, pour ne pas perdre une modeste position qui constituait son unique ressource. 2° L'enquête à laquelle a procédé M. le Juge de paix du canton de Moïta établit que l'ajournement des opérations dans la commune de Pianello est le résultat de manœuvres em¬ ployées par le Maire de cette commune, de concert avec le sieur Marsili, maire de Matra.

III. — Canton de

1° Le nommé Sansonetti (Bastien), sergent en retraite, a propagé le faux bruit que la dépêche du Ministre de l'inté¬ rieur, annonçant la candidature officielle de M. Mariani, était fausse. [Témoins : Giovannoni (Antoine), fils de feu Pascal; Giovannoni 'Laurent), Favalelli (Pierre),Raffalli (Jh-Marie).]

i 2° Le jour des élections, dans le but d'empêclier le scrutin, le nommé Bernardi, don Simon, armé d'un gros bâton et de pierres, voulait faire irruption dans la salle. Rangiconi (Domi¬ nique) poussait la foule vers la salle, en s'écrianl : Je serai le premier à souffleter le Président, et nous nous emparerons de l'urne, que nous casserons sur la tête des membres du bureau. Mathieu Ferrandi, porteur de contraintes, voulait, à la même occasion, pénétrer de force dans la salle de l'assemblée, pour prendre la boîte et la jeter dans la rue. Plusieurs voix parties du groupe dont ces trois individus faisaient partie di¬ saient : Il faut mettre en pièces le Président et les membres du bureau. 3° Le second jour des élections, le dépouillement n'a pas eu lieu; il a été renvoyé au lendemain, pour donner le temps à de nombreux adhérents de M. Gavini d'arriver à Valle, et de peser, par leur attitude menaçante, sur la population de la commune. Ces faits, exposés dans un mémoire adressé à M. le Sous- Préfet de Corte par quatre membres du bureau, les nommés Bernard (Jacques), Bruschino (François), Ambrosi (Placide), et Bruschini (Joseph), peuvent aussi être attestés par les nom¬ més Ambrosi (Etienne) et Giovannoni (Martin). •4° L'instituteur, remplissant les fonctions de secrétaire du bureau, a déposé un double bulletin dans l'urne.

IV. — Canton de Piedicroce.

1° La promesse d'une grande quantité de fer à prendre chez M. Gavini, faite par le sieur Paoli, maire de Piedicroce (cir¬ constance mentionnée dans un mémoire que M. le Ministre de la justice a communiqué au parquet), résulte d'une lettre dont l'original se trouve actuellement entre les mains de l'abbé Benoît Angeli, demeurant à Bastia, lequel pourra la produire en justice. 2° Dans diverses communes, sur les listes d'émargement, on aurait paraphé les noms de plusieurs électeurs absents, et ajouté dans l'urne des bulletins au nom de M. Gavini. La preuve de ce fait, signalé par le commissaire de police, peut résulter de la vérification des listes d'émargement. 3° Le Maire de Brustico a menacé de sa colère et de ses persécutions les électeurs ne votant pas pour M. Gavini. (Té¬ moin : le commissaire.) 4° A Piedicroce, le Maire a fait voter : 1° le nommé Chia- relli (Antoine-François), condamné à 10 jours d'emprisonne¬ ment pour vol de fourrages au préjudice de M. Benedetti, directeur del'Arena; 2° trois individus, qui, depuis peu, étaient sortis de prison; 3° un militaire sortant des pionniers; 4° trois mineurs; 5° enfin un étranger. (Tém.oin : le commis¬ saire de police.) 8° Le Maire de Piedicroce a gagné divers électeurs en leur promettant des emplois, s'ils votaient pour M. Gavini. Le commissaire de police pourra, sur ces divers faits, entrer dans de nombreux détails, et désigner les témoins pouvant en déposer. 6°Castellani (Ange-Laurent), de , a déclaré, en pré¬ sence du Maire de cette commune et du docteur Louis Antoine Perelli, qu'il ne pouvait plus voter pour le candidat du Gou¬ vernement, parce que le marchand Raffalli, de Stazzona, à qui il devait 180 francs, l'obligeait à payer immédiatement cette somme, s'il ne votait pas pour M. Gavini.

V. — Canton de Prunelli.

Une enquête administrative faite par M. le juge de paix établit, indépendamment des faits signalés dans le mémoire que M. le Ministre de la justice a communiqué au parquet : 1° Que le Maire d'Isolaccio a proféré des menaces contre ceux qui ne voteraient pas pour M. Gavini, annonçant qu'il les écraserait sous le coup de nombreuses contraventions. 2° Ce même maire a altéré les listes en éliminant plusieurs électeurs qu'il n'avait pas pu gagner à la cause de M. Gavini, et en y ajoutant des mineurs et des condamnés pour vol, tels que les nommés Giacomini (Charles), et Poli (Filippolo); 3° Le garde champêtre d'Isolaccio, agissant de concert avec le Maire, voulait contraindre les électeurs à voter pour M. Ga¬ vini, ou tout au moins à s'abstenir; 4° Le juge de paix Laurelli, fds du maire, a qualifié don Joseph Poli de coquin et de mauvais sujet, parce qu'il ne voulait pas voter pour Gavini. II a menacé de se venger d'une manière 011 d'une autre des électeurs qui ne voteraient pas avec lui pour Gavini. Il a réalisé ses menaces en expulsant de ses terres de son Labazia colon Ours-Félix Leandri, et en poursuivant, pour une somme de 12 francs, à l'encontre de Dominique Colombani, une sentence obtenue contre le père de ce dernier en 1848; b° Le jour des élections, François-Dominique Santoni, mari d'une bâtarde du maire, a donné des coups de bâton à don Grassi Michaëli, parce que celui-ci avait voté et fait voter son frère pour M. Mariani. Le juge de paix Belisari, et les témoins qu'il a entendus, peuvent édifier la justice sur toutes les manœuvres pratiquées par des membres de la famille Laurelli, dans le but d'altérer la sincérité du scrutin et d'en paralyser la liberté.

VI.— Canton de Saint-Laurent.

1° A Cambia, Grégoire Moracchini, de Saint-Laurent, pro¬ mettait des emplois à l'usine de Toga aux électeurs qui s'en¬ gageraient à voter pour M. Gavini. 2° Le greffier Salvarelli, lils du Maire de Lama, a promis à un électeur de sa commune de faire admettre son frère dans la gendarmerie, si lui et les siens votaient pour M. Gavini. Ces faits peuvent être attestés par le Maire de Cambia. 3° Le Maire de Lama et son gendre Rinaldi, instituteur, ont déclaré à l'électeur Salvarelli, Antoine Guérin, de ladite com¬ mune, octogénaire, que, s'il ne votait pas pour M. Gavini, ils l'auraient empêché de toucher à l'avenir 100 francs, que le — 60 —

Gouvernement lui accorde comme ancien soldat de la Répu¬ blique et du premier Empire. Après les élections, Salvarelli, s'étant présenté au Maire, afin de lui faire signer le certificat nécessaire pour la percep¬ tion du second semestre de son secours, ce fonctionnaire a refusé sa signature et a renvoyé ce vieillard en l'accablant d'injures.

VII. — Canton de Sermano.

1° Dans le courant du mois de mai, à Rustanico, les nom¬ més Michel Angeli de , Moracchini (Grégoire), ex¬ maire de Saint-Laurent, et Salvarelli, greffier, après avoir parcouru le canton de Sermano, comme émissaires de M. Ga- vini, ont tenu des propos de nature à établir que la société secrète la Mariane s'agitait pour combattre la candidature officielle du baron Mariani. Michel Angeli, affilié à cette so¬ ciété et condamné comme tel, a dit, en présence du desser¬ vant Pieri et du curé Croce : « Nous ne pouvons pas voter pour le candidat du Gouvernement et de l'Empereur; il est temps que nous nous vengions et prenions notre revanche, nous qui avons été poursuivis pour la Mariane. » Malgré les observations de ces deux ecclésiastiques sur l'inconvenance et le scandale d'un pareil propos, Michel Angeli a ajouté : «Enfin, que voulez- vous? nous ne pouvons pas voter pour l'Empereur, puisque nous avons voté pour son exil. » 2° Le 30 mai, le nommé Defranchi (Antoine-François), de Rustanico, armé d'une hache, menaçait d'en frapper l'élec¬ teur Grimaldi Toussaint, de la même commune, si celui-ci ne renonçait pas à voter pour le baron Mariani. (Témoins : Mar- celli, Noël et Taddei Earthélemi de .)

VIII. — Canton de Valle.

1° Le nommé Giudicelli (Antoine-André), de Pielricaggio, a dit à l'électeur Orsini (Ange-Louis), de la même commune, que s'il ne votait pas pour M. Gavini, il lui en coûterait 300 francs. [Témoins : Le maire Reginensi, Luporso (Charles- Joseph), Santini (Louis-Sauveur).] 2° Le même Giudicelli et Marchetti (CharlesMathieu), de , ont proféré publiquement des menaces de mort contre les électeurs qui ne voteraient pas pour M. Gavini; ils ont spé¬ cialement menacé l'électeur Saravalle de lui arracher et lui manger les entrailles et le cœur. ( Témoins : Ledit Saravalle de , le Maire de cette commune.) 3° Mathieu Marchetti, de Zuani, a propagé la fausse nouvelle que M. Gavini venait d'être accepté comme candidat officiel du Gouvernement. 4° Plusieurs électeurs de Pietricaggio ont été enivrés, et, lorsqu'ils avaient perdu la raison, on les a fait voter pour M. Gavini, ce qu'on n'aurait pas obtenu sans cette manœuvre. Ces deux faits peuvent être attestés par le docteur Louis- Antoine Perelli, inspecteur des eaux de Pietrapola et d'Orezza. 5° Giudicelli (Antoine-André), de Pietricaggio, et Marchetti (Charles-Mathieu), demeurant à Zuani, ont influencé le vote de l'électeur Joseph-Marie Saravalle, de Pietricaggio, en le me¬ naçant de le faire expulser d'un moulin qu'il exploitait, an¬ nonçant que, pour atteindre ce but, ils auraient remis 200 francs au propriétaire de ce moulin. (Témoins : Ledit Sara¬ valle et le Maire de Pietricaggio.)

ANNEXE G bis.

A MONSIEUR LE SOUS-PREFET

DE L'ARRONDISSEMENT DE GORTE.

Monsieur le Sous-Préfet,

Le nommé Savarelli (Antoine-Guérin), de la commune de Lano, canton de Saint-Laurent, a l'honneur de vous exposer avec respect ce qui suit : C'est depuis l'année 1858 que je jouis d'un petit traitement de 100 francs, à titre de secours annuel et viager, par décret du 14 décembre 1851, accordé par S. M. l'Empereur comme me trouvant du nombre des anciens militaires de la Répu¬ blique et de l'Empire où j'ai toujours fait partie. Pour toucher mon mandat, il me fallait un certificat de vie délivré par M. le Maire de cette commune, et, toutes les fois que j'ai eu recours à lui pour faire viser ma pièce, je n'ai eu besoin qu'à me présenter. Mais dans le mois de juin der¬ nier, c'est-à-dire peu de temps avant les élections, l'instituteur de Lano, gendre de M. le Maire, m'a fait appeler, et tous les deux, M. le Maire et son gendre, M. Rinaldi, m'ont demandé mon suffrage pour M. Gavini. Moi j'ai répondu que je ne pouvais absolument me décider à voler contre le candidat du Gouvernement, M. le baron Mariani, parce qu'il me semblait, en quelque sorte, me dé¬ clarer contre celui qui était le soutien de ma vieillesse. Tous les deux alors, de concert entre enx, m'ont répondu que, par la suite, M. le Maire se refuserait de viser mon cer¬ tificat de vie, et que tous les moyens possibles seraient em¬ ployés pour, me priver du petit traitement, unique espérance de ma vie, me trouvant vieillard de 84 ans. Et, peu de temps aprè?, m'étant présenté pour lui faire signer le certificat du deuxième trimestre, il s'est refusé en m'accablant d'injures. Le plaignant, Monsieur le Sous-Préfet, fait recours à votre inaltérble justice, afin qu'il me soit fait signer la pièce dont il s'agit pour avoir le secours susdit, qui est le plus grand aliment de ma vieillesse, et, de plus, de punir le Maire de Lano, autant que la justice l'exige, des mauvais traitements qu'il abuse envers les malheureux.

Dans l'espoir qu'il me soit fait justice, le plaignant a l'hon¬ neur d'être de vous, votre très-humble et très-obéissant, serviteur.

Signé : G. Savarelli.

Lano, 13 août 1863. ANNEXE H.

A MONSIEUR LE SOUS-PREFET DE CORTE.

COMMISSARIAT DE SERRAGGIO (CORSE).

Monsieur le Sous-Préfet,

Un fait qui mérite d'être porté à votre connaissance, le voici : Il y a quelques jours, je me trouvais dans le magasin du nommé Baltesti (Jean-Antoine), où se trouvaient aussi MM. Mattei, médecin, Stefani (Jules), membres du conseil municipal, et d'autres, tous de Serraggio, lorsque sont arrivés les nommés Guglielmi (François-Marie) et sa fille Catherine, et, comme l'on parlait des dernières élections, le négociant Battesti, à la vue de la mère et la fille Guglielmi, les aborda en disant : « Comment se fait-il que Louis, votre fils, a voté con¬ tre le candidat du gouvernement? » La mère et la fille reprirent immédiatement à haute et intelligible voix que la cause en avait été à M. le curé Graziani ; qu'ayant été mandé un jour ou quelques jours avant les élections par la famille de désigner un jour pour donner la bénédiction à son troupeau de chèvres pour crainte de maladie, il s'y est rendu avant les élections, et arrivé sur les lieux, revêtu de son habit sacerdotal, il a" — 66 — demandé avant tout à l'électeur Guglielmi (Louis), pour qui il avait intention de voter; celui-ci ayant répondu qu'il dé¬ pendait de son père, étant fds de famille, le curé reprit : « Si tu me promets de voter en'faveur de M. Gavini, je donne la béné¬ diction à ton troupeau de chèvres, sinon, je m'en vais immé¬ diatement sans les bénir. » [Le pauvre enfant insistait toujours qu'il ne pouvait pas promettre avant de consulter son père, mais le curé persistant dans son premier langage, le pauvre enfant fut obligé de promettre, malgré la volonté de son père et celle de toute sa famille; il ne manqua pas à ses promesses. Le curé, content de la promesse du jeune homme, donna sa bénédiction aux chèvres et s'en alla tout content d'avoir gagné un électeur.

J'ai l'honneur, etc.,

Signé : A. Tozza, Commissaire de police cantonal. ANNEXE I.

COMMISSARIAT DU CANTON DE SERRAGGIO (CORSE).

Serraggio, le 28 juin 1868.

Monsieur le Soïïs-Préeet,

J'ai l'honneur de vous adresser un rapport général et dé¬ taillé des faits qui ont pu être portés jusqu'ici à ma connais¬ sance, relatif aux dernières élections, pour la 2e circonscrip¬ tion de notre département. Ainsi que j'ai eu occasion de vous le dire dans les différents rapports que j'ai dû vous fournir jusqu'ici, le curé de Serrag¬ gio, M. Graziani, s'est rendu coupable de certains faits fort peu digues du caractère sacerdotal, et qui ont été de nature à soustraire au candidat du Gouvernement les suffrages qui ne lui auraient pas manqué sans les manœuvres illicites du susdit curé. Vers les commencements du mois de mai, M. Valeri, ayant fait une apparition dans mon canton, s'est trouvé dans la com¬ mune de Serraggio une buvette toujours ouverte pour tous ceux qui voteraient ou qui promettaient de voter pour M. Ga- vini, où j'ai remarqué moi-même maintes et maintes fois des réunions très-souvent présidées par le susdit curé, et d'où, après avoir bu assez considérablement, ils se rendaient à ^ 68 — la suite du chef de la horde pour se rendre dans le pres¬ bytère, où l'on se livrait à de nouveaux excès de boisson jusqu'à une heure très-indue de la nuit. C'est de là que par¬ taient les électeurs les plus sincères pour aller avertir secrè¬ tement les individus, soit de Serraggio, soit de Lugo, et au¬ tres qui avaient été désignés par le curé, afin de les attirer dans le presbytère et les engager à donner leurs suffrages pour leur candidat, M. Gavini, en promettant des sommes d'argent, comme il résulte avoir fait aux sieurs Stéfani (Jean) et Fabiani (Pierre), promesse qui est reconnue cons¬ tante par la déclaration que ces derniers ont faite en présence de MM. Battesti (Mathieu), adjoint, faisant fonction de maire, et des sieurs Anibali, garde forestier, et Fabiani (Jules). Je puis encore ajouter à ces faits qu'il a donné la somme de 10 francs au nommé Bona (Antoine), ce qui peut encore être prouvé par le garde forestier Anibali. On dit ici publiquement que ce M. Yaleri, pendant sa tournée dans mon canton, a déposé entre les mains de divers individus des sommes d'argent pour être employées à procurer des suffrages pour son beau-frère M. Gavini. Parmi ces dépositaires, on reconnaît d'une manière certaine le nommé Césari, Nonce (Martin), de Riventosa, joint au sieur Rinési (Jean), débitant de liquides à Serraggio, dont il a été question plus haut, d'après le dire même de la voix pu¬ blique, et surtout de ceux qui prenaient part à ces bamboches et réjouissances qu'il faisait, tantôt à Riventosa, tantôt à Saint- Pierre, et tanlôt à Poggio. Ces faits, concernant le susdit Ce- sari, peuvent être parfaitement attestés même par la seule gênante position dans laquelle il se trouve. Père d'une nom¬ breuse famille et privé de ressources, il lui aurait été impos¬ sible de faire les fortes dépenses qu'il se trouve avoir faites sans un secours étranger. En outre, quelques jours avant les élections, la dépêche du 19, sur laquelle on lit : L'Empereur connaît les manœuvres gui tendent à diviser les votes..... étant parvenue entre les mains de M. le Maire, celui-ci l'afficha sans perte de temps près de la porte du magasin du sieur Battesti (Jean-Antoine), où je me trouvais moi-même, accompagné de M. Battesti, faisant fonction de maire, de.Stefani (Jules) et Battesti (Jean-Antoine), — 69 — d'où nous avons pu entendre prononcer ces paroles de la bou¬ che de M. le curé Graziani, après avoir pris connaissance de ladite dépêche : Non si scrive che falzie et bucie (1). M. Battesti, faisant fonction de maire, le reprit avec aigreur, en lui disant qu'il aurait écrit à Sa Majesté l'Empereur pour prouver à M. le curé que la dépêche en question était une émanation de sa propre volonté impériale. En outre, le 16 du mois de juin, me trouvant dans le magasin du sieur Battesti (Jean-Antoine), accompagné de MM. Marti, médecin, Stefani (Jules), membres du conseil municipal, Salvadori (Jean) et autres, nous avons tous entendu les nommés Guglielmi (François-Marie) et sa fdle Catherine, quand elles disaient que le curé Graziani, après avoir été prié par son fils, Louis Guglielmi, pour donner la bénédiction à son troupeau de chèvres, qui se trouvait alors ravagé par une maladie, n'acquiesça à ses instances que sous la condition qu'il aurait voté infailliblement en faveur de M. Gavini, et le jeune Guglielmi (Louis),' malgré même la vo¬ lonté de sa famille, se crut obligé en conscience de tenir à la promesse faite à M. Graziani. En outre, quelques jours avant l'élection, le susdit curé ap¬ pela chez lui la demoiselle Paoli (Ursule-Marie) pour l'exciter à demander le suffrage en faveur de M. Gavini au sieur Sal¬ vadori (Jean) avec lequel il avait pu apprendre, par de longues recherches, je présume, qu'il existait entre ces deux jeunes gens des relations amoureuses. La jeune fdle, désireuse d'être agréable à son confesseur, céda aux prières qui lui furent faites et demanda le suffrage à Salvadori, qui lui répondit ces propres mots : « Si lu veux que je donne le suffrage à M. Gavini, il faut que tu cèdes aux élans de mes amours. » Cette demande et cette réponse furent par deux fois renouvelées, mais la jeune fdle n'ayant pas voulu céder à la satisfaction de sa déshonnête pas¬ sion, ne voulut lui non plus correspondre à sa demande, et finit par voter pour M. le baron Mariani. Ce fait est reconnu constant d'abord par l'aveu qui en a été fait par la jeune fille elle-même à son parent l'instituteur de la commune de Ser- raggio, lequel l'a communiqué avec moi peu de temps après.

(1) On n'écrit que faussetés et mensonges. Ce fait a été confirmé par elle-même en présence de M. Bat- testi, faisant fonction de maire, et de moi-même. Avant de terminer ce rapport, il me reste encore à vous parler de la conduite peu louable du sieur Ottaviani, maire de Saint-Pierre. Il m'a été rapporté par le maire de Lugo, le sieur Mariani, que son collègue, le susdit Ottaviani, s'est rendu à Lugo pendant la nuit pour voir quelques bergers qui condui¬ saient leurs troupeaux sur le territoire de sa commune, pour les engager à voter en faveur de M. Gavini, et ces pauvres bergers, bien que malgré eux, craignant d'être chassés du ter¬ ritoire de la commune, et même d'être poursuivis, ont voté pour M. Gavini. On dit en surplus que ce même maire a forcé son garde- champêtre, le sieur Olivieri à voter pour M. Gavini, et, lui aussi, craignant sa révocation, finit par céder à ses sollicita¬ tions. Presque la totalité des personnes respectables du canton, bien dévouées au candidat du gouvernement, ont été bien sur¬ prises de voir, chose inouïe, que l'effet de leurs forces n'ait pas été conforme à leurs espérances, et ceci ne peut s'attribuer à autre cause sinon qu'à toutes ces manœuvres souterraines faites par les susdits et autres. Voici, M. le Sous-Préfet, ce que j'ai de plus pressant à vous dire, pour le moment, touchant les dernières élections; si je pouvais découvrir d'autres faits, je me ferais le devoir le plus scrupuleux de vous les signaler sans retard.

J'ai l'honneur d'être, avec le plus profond respect,

Monsieur le Sous-Préfet,

Votre très-humble et très-dévoué serviteur.

Le commissaire central à Serraggio,

A. Tozza. ANNEXE L.

A MM. LES ÉLECTEURS DE LA 2° CIRCONSCRIPTION

du département de la corse.

Mes chers Compatriotes,

Il y a six ans, à pareille époque, vous me confériez le plus grand honneur qu'un homme puisse ambitionner, celui de représenter son pays au sein du Corps-Législatif. Je n'ai pas oublié, et chacun de vous s'en souvient sans doute, à quelle auguste influence, homme nouveau dans la vie politique, j'avais dû votre confiance. — Pénétré, dès ce moment, des obligations que m'imposait cette double faveur, je prenais vis-à-vis de moi-même le solennel engagement de consacrer toutes mes forces à servir, en loyal et fidèle dé¬ puté, l'Empereur et mon pays. Le Gouvernement impérial, en me continuant, pour les prochaines élections, son bienveillant appui, vient, après six années de contact et d'épreuve, déclarer, en quelque sorte, que j'ai rempli vis-à-vis de lui tous mes engagements. C'est à vous maintenant, mes chers Compatriotes, qui êtes mes juges en dernier ressort, de prononcer si ma* conduite politique a répondu à vos espérances. J'attendrai, quant à — 72 —

moi, votre verdict avec respect, mais aussi avec la conscience du devoir accompli. Si vous renouvelez le mandat que je tenais de votre con¬ fiance, je continuerai comme par le passé, mais peut-être avec un peu d'expérience acquise : D'une part, à provoquer la mise en pratique de toutes les mesures destinées à faire avancer de plus en plus notre pays dans la voie du progrès moral et matériel, sans négliger, dans la limite du possible, les intérêts privés ; D'autre part, à donner au Gouvernement le concours d'un dévouement inné, sans doute, mais fortifié aussi par l'appré¬ ciation du passé et par La foi dans l'avenir; à le seconder har¬ diment dans le développement des idées de libre discussion et de contrôle inaugurées par l'Empereur lui-même ; à pour¬ suivre enfin l'œuvre signalée dans la dernière adresse du Corps-Législatif (à la rédaction de laquelle je m'honore d'avoir participé) et « dont l'unique but a toujours été l'alliance de la dynastie impériale et de la liberté. » Telle sera, en peu de mots, ma règle de conduite si j'ai de nouveau le bonheur de mériter vos suffrages. S'il devait en être autrement, en rentrant dans la vie privée, j'y conserverais le souvenir précieux du témoignage de con¬ fiance qu'il vous plut de m'accorder à un jour donné, et, me considérant toujours comme l'obligé de mon pays, je lui con¬ sacrerais mes plus chères pensées et mon inaltérable dé¬ vouement.

Baron Mariani.

Paris, 1U mai 1863. ANNEXE M.

Paris, le 11 mai 1863.

Mon cher Monsieur Mariani,

Je regrette que votre indisposition m'ait empêché de vous voir ces jours derniers pour vous dire que l'Empereur, comme je l'avais prévu, a maintenu et entend maintenir votre candi¬ dature contre n'importe quel concurrent. Vous avez donné trop de gages de fidélité et de dévouement à l'Empire, pour que le Gouvernement ne vous soutienne pas de son concours le plus actif.

Mille amitiés dévouées,

F. de Persigny.

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