Ne tirez pas sur le guitariste !

Dans les pays de l’Est et ailleurs avec The Irradiates «En route,

Le jour assouvi n’est jamais le plus beau jour. Le plus beau jour est un jour de soif.

Notre voyage a bien un sens, un but sans doute- mais c’est la route, qui vaut la peine.

La meilleure destination c’est le repos d’une nuit, où le feu est allumé et le pain est rompu à la hâte.

Dans les endroits où l’on ne dort qu’une fois, le sommeil est confiant, les rêves remplis de chants.

En avant, en avant ! Voilà que le jour point, notre grande aventure est sans fin.»

Karin Boye

«Cette tournée va nous coûter des millions ? Et Alors ? Les millions nous les avons.»

Gene Simmons

«Clear eyes, full heart, can’t lose!»

Eric Taylor Quoi ? Encore des histoires de tournée ? Ils en ont pas marre ces zicos de res- sasser les anecdotes de leur groupe pas franchement notable toujours pour la même la paroisse ? De nature relativement positive, je pense malgré tout que ça reste utile à quelque chose... Ça peut intéresser un peu de monde, bien que la première personne concernée quand on écrit, c’est quand même soi-même, peu importent les motivations. Le moi ! le moi ! le moi !... Encore et toujours ces bonnes vieilles questions d’ego, de nombrils scrutés en permanence, ça tourne en boucle… Pas toujours percutant, j’ai fait de mon mieux pour rendre ce texte agréable. Oui, j’ai passé du temps à l’écrire. Je me suis appliqué. Peut-être trop par rapport au sujet, au contenu qui va par moment manquer cruellement d’épaisseur pour une partie d’entre vous. On est jamais à l’abri d’être trop bavard, de s’attarder sur des détails, des futilités – bref d’être chiant à mourir. J’ai donc élagué comme j’ai pu… La matière brute, c’est un cahier de brouillon avec des notes, des phrases grif- fonnées chaque lendemain de concert sur des routes souvent tortueuses, jonchées de nids de poules. Un cahier par endroits illisible, raturé à l’excès mais qui m’a servi de base solide à la retranscription de ce qui va suivre. J’ai décidé d’opérer jour par jour, simplement, en essayant d’être honnête par rapport à ce que j’ai vu, sans dénigrer mes émotions brutes tout en évitant – lorsque possible – les généralités et me méfiant du prisme déformant du voyageur. La période couvre six mois, regroupe deux tournées et un petit week-end, soit 34 jours, 28 concerts, 11 pays et un peu près 15 715km. Je n’étais jamais allé aussi loin avec un van en traversant autant de pays. C’est un peu pour cette raison que j’ai décidé d’écrire ce report. Beaucoup de concerts se déroulent en Ukraine. Là-bas, il ne faut pas trop es- pérer croiser la route de groupes suédois, américains, allemands ou français et échanger d’autres potins de tournée… Nous avons joué principalement avec des groupes locaux, quand il y avait d’autres groupes, dans des petits lieux parfois appropriés, parfois insolites. Du rock’n’roll sans les paillettes, avec beaucoup de sueur, des cachets filiformes, des mo- ments d’angoisse, d’autres vraiment exaltants et surtout de longues phases d’attente dans le camion, dans la rue, dans les bistrots, partout ! Bref le lot d’un grand nombre de grou- pes …. Beaucoup sont déjà partis bien plus loin d’ailleurs et bien plus longtemps. Je suis conscient que tout ça n’est qu’une petite rigolade, une formalité pour certains, mais c’est notre expérience. Une expérience avant tout humaine, plus que musicale. Un petit hom- mage rendu aux personnalités croisées le long du périple, aux gens bizarres, aux travailleurs de l’ombre...

Merci à Virginie pour son temps précieux et ses judicieux conseils.

Bonne lecture,

Slim Buen

Je tiens à préciser que la rédaction de ce texte a été achevée bien avant le début des évènements politiques concernant l’Ukraine, il n’en sera donc nullement fait référence. Première partie

Vendredi 20 avril 2012, Mudd Club, Strasbourg

C’est le grand départ. Préparés comme des trappeurs la veille d’une expédition arctique, on se briffe une dernière fois sur le parking du Bastion concernant les choses à ne pas oublier, passeports en tête de liste. Il y a aussi des petites nouveautés matérielles sur cette tournée censées nous rendre la vie plus facile : des cartes détaillées de toute l’Europe et deux lits de camps ! Exagéré ? Pourtant je vous garantis que lorsqu’il n’y a pas assez de place pour tout le monde et que le plancher est imbibé de pisse de clébards, se retrouver à quarante centimètres du sol sur une toile tendue par une arma- ture métallique, c’est l’hôtel Hilton à la portée des bichons frisés. Qui plus est, c’est facile à monter, pas très onéreux et ça prend peu de place dans le coffre, un service rendu à la communauté ! De l’extérieur, on sent les mecs organisés – de l’extérieur… Le mental du groupe est au plus haut, rien ne semble pouvoir freiner cet élan fougueux à la veille d’entamer deux semaines de tournée hors du territoire. Arrivé devant le Mudd Club à Strasbourg, tout semble si familier, si facile, déjà acquis, que chacun relâche la garde. L’assurance des musiciens plus ou moins « expérimentés » plane dans l’air avec une arrogance à peine dissimulée. Première erreur... avec un line-up tout neuf qui n’est jamais passé par l’érosion commune de la route, il y a un moment d’adaptation. Il faut prendre le temps de se connaître, de trouver un rythme de croisière, d’adopter des réflexes de sécurité, bref rester vigilants et attentifs. La réalité du terrain ne se fit pas trop attendre : au premier concert, premières galères… Après des va-et-vient réguliers entre le van et le club, une porte du camion s’est retrouvée malencon- treusement ouverte. Faut dire que le système de fermeture est vraiment pérave, il faut tout re-vérifier à chaque fois que l’on ouvre une porte... et ce moment d’égarement a profité à des voleurs furtifs. Ils devaient nous reluquer depuis un moment et bien ricaner en voyant cette bande de pieds nickelés sortir le matos en sifflotant sans surveillance. Ni une ni deux et sans que personne n’y voit rien, deux sacs ont été chipés contenant chacun un ordinateur. Comme des bleus ! Chaque sac a été scrupuleuse- ment épluché, ils sont allés à l’essentiel, le matos informatique, photographique et les clopes ! Le gros problème, c’est que dans l’un des sacs se trouvait le passeport de Dick Den’s et sans passeport pas d’Ukraine où six concerts nous attendent, le gros morceau du tour. L’inquiétude s’installe, le moral est plombé. On tourne dans le quartier, on retourne les poubelles, on arpente les ruelles au cas où les faisans se seraient débarrassées du portefeuille, en vain. Direction la police pour faire une déposition, les balances attendront, l’objectif c’est d’avoir un papelard qui nous permettra de traverser l’Europe sans encombre. Les flics nous fournissent un simple procès verbal justifiant du vol des papiers et du matériel mais rien qui ne puisse faire office de document légal pour voyager à l’étranger. Demain c’est samedi et toutes les administrations sont fermées jusqu’à lundi. Deux solutions : rester en France pour refaire un passeport – ce qui implique l’annulation de trois concerts (Prague, Čadca et Košice) – ou tenter le coup sans papiers et, s’arrêter lundi matin à l’ambassade la plus proche sur la route pour faire un passeport d’urgence. L’option n°2 est vite approuvée par tout le monde. On regarde la carte et on décide de tenter notre chance à Bratislava. Assez tergiversé. A peine sorti du commissariat, il est temps d’aller jouer car au Mudd, ça commence tôt. On se règle à la va vite et malgré un enthousiasme dans les socquettes, on entame cette tournée avec un set correct. Les gens présents sont réceptifs, la distro tourne pas trop mal. Il faut blinder le larfeuille au max car les futurs cachets ne semblent pas garantir de façon systématique le beurre dans les épinards mais plutôt le Canderel dans la tasse de déca ! D’ailleurs, c’est simple : ce sera de très loin la plus grosse distro de la tournée. Notre cher ami et dévoué chercheur tonton Fredo qui a construit les premiers robots du groupe nous apporte avec Aurélie un panier garni de survie, histoire de nous redonner un peu de baume au cœur…

Samedi 21 avril 2012, Final Club, Prague, République Tchèque

A peine la frontière passée, une voi- ture de police allemande nous arrête. “Premier frisson”. Contrôle général d’identité. Le papelard délivré par le commissariat leur suffit, ils nous laissent filer. Je me suis aménagé un bureau de fortune à l’arrière du siège conducteur où je peux écrire, faire les comptes et bouquiner. En plus des nombreux fanzines et magazines que j’ai pris pour faire passer la pilule des kilomètres, j’alterne Hom- mage à la Catalogne de George Orwell, à peine ouvert et La Révolution Russe d’Orlando Figes. Du lourd ! L’histoire des révolutions m’intéresse toujours autant, même si c’est à dose thérapeutique. J’aime leur complexité, loin des raccourcis parfois trop simplistes qu’en font certaines personnes. C’est sur de longs trajets que l’on peut se permettre ce genre de fantaisies littéraires où la concentration est à son maximum. Tout au long du périple, je ferai référence intérieurement à l’ouvrage colossal de Figes, en fonction de certaines discussions, des villes traversées... Sur ce, je referme la parenthèse intellectuelle. Je relaie Lucien sur les deux cents der- niers kilomètres. La super organisation montre encore des signes de faiblesse ; cette fois, c’est le GPS qui fait des siennes. Acheté il y a plus de trois ans, les cartes n’ont jamais été réactualisées une seule fois. Passé la frontière allemande, le bitonio se met au vert. Plus la peine de lui demander quoi- que se soit avant le 6 mai date du retour ! On le range donc dans la boîte à gants et on dégaine les cartes de Lulu. Arrivé à Prague, je m’enfile dans le centre ville et me fait stopper net par le premier flic venu. Il m’apostrophe dans sa langue natale usant d’un ton peu chaleureux puis en vient à l’anglais. Le motif de mon arrestation ? Pénétration d’une zone piétonne, bien que je ne sois pas le seul à y circu- ler. Forcément, on doit passer à la caisse illico ! Je veux bien que notre camion attire l’œil, surtout avec les plaques d’isolants argentées fixées aux fenêtres, mais la parano me guettant toujours de son œil le plus vif, j’opte pour le délit de plaque d’immatriculation... Personne ne cherche à négocier, Pinot sim- ple flic gonflé aux hormones de croissance paraît déterminé, le regard belliqueux, les babines qui se retroussent à chaque mot qu’il prononce. On va retirer sans traîner les 500 couronnes (21 euros) qu’il nous demande. On est déjà bien à la bourre et l’organisateur envoie message sur message... Mister Kepi mais pas gouli me file un reçu et on redémarre aussitôt. J’arrive devant le club une poignée de minutes plus tard et je bloque la boîte à vitesse en me garant. Impossible de reculer, le camion est immobilisé en plein milieu de la route. La guigne nous colle à la bask sans vouloir nous laisser de répit ! Un passeport en moins, un camion en rade, cette fois c’est cuit, on brûle tout et on rentre à la maison ! Voilà grosso modo ce qui traverse l’esprit de chacun. On décharge quand même le matos… Après une demi-heure d’acharnement, Macst arrive enfin à débloquer la boîte... Le bar se divise en deux parties et c’est logiquement en bas que ça passe. Il y a une scène pas très haute et des tapis au sol. Le club s’étend en largeur avec plusieurs petites pièces qui dégagent une ambiance plutôt cosy, relaxante. Je dirais qu’on peut mettre 70 personnes et qu’il y en a 25. La première partie, c’est le groupe de l’organisateur. Une grosse base de Washington DC mixée avec des trucs plus indie/pop bricolés. De bonnes idées dans les lignes de guitare mais un niveau un peu trop faible pour l’ensemble. J’apprendrai en fin de soirée que le groupe en est à ses débuts et qu’ils n’ont même pas de nom ! Guère plus de monde pour notre concert. Notre set reflète assez notre moral taché par l’incertitude de rentrer à la maison plus tôt que prévu. Le public c’est à quelques curieux près, les potes de l’organisateur. Trois semaines plus tard, le même organisateur fera joué Red Fang, j’imagine que la jauge sera légèrement différente... Il nous propose une petite visite guidée des bars de nuit et vu la pression qui s’est accumulée ses dernières 24h, la peur de finir la tournée à tout moment sur un simple contrôle d’identité ou à cause du van qui refait de siennes, on profite de l’escale à Prague pour s’enfiler une ou deux canettes à 1,2 euros ! Sur le chemin, je découvre que notre hôte a fait jouer énormément de groupes français et, dans le lot, pas mal de bonnes connaissances. Arrivés dans un bar, on retrouve une partie de ses potes et je tombe directement assis à côté d’un francophone. Il lance une première ébauche de discussions généralistes sur les élections françaises, la vie à Prague et les groupes qu’il a vu. Le gazier bosse à Rock&Pop, équivalent de Rock&Folk chez nous. Il a mon âge et son boulot c’est d’interviewer Slash, Motley Crüe, Television, New York Dolls... bref il aurait pu piger pour Rock&Folk ! Il enchaîne sur Patrick Eudeline qu’il connaît mais je lui fais vite part de mon manque d’intérêt pour le personnage que ce soit le « musicien » ou le romancier. Par contre, beaucoup plus palpitant, il me dit être ami avec Nick Tosches. Je ne suis pas spécialement people et je n’ai d’ailleurs jamais côtoyé le gratin pro du rock, juste les petites gens, mais quelques mots sur le tonton Nick, vas-y mon pote, tu m’intéresses ! Entre temps on bouge de crèmerie et je me retrouve à nouveau à côté de mon acolyte alcoolisé. Il parle de mieux en mieux français et de mon côté, je n’arrive plus à dégoiser un fifrelin de syllabe. L’énergie me manque pour répondre, trop d’informations, trop de groupes célèbres... la fatigue me pressure le cervelet, il est grand temps d’aller se coucher, le lit de camp n’attend plus que ma grande carcasse... pas des masses de monde dans les rues, assez étrange cette capitale, on rentre, telles des ombres furtives longeant les murs mal éclairés.

Dimanche 22 avril, Déjà vu, Čadca, Slovaquie

Après un petit déjeuner pas avalé et une demi-tasse de café obtenue à l’arraché on replie les lits et on détale. Il fait super beau, le quartier à l’allure sinistre d’hier soir s’avère un peu plus charmant ce matin. L’activé humaine reprend vie. On ne s’attarde pas pour autant car on est attendu à 18h. Dimanche oblige, le concert commence tôt. Finalement on arrive un poil en avance, l’occasion de trouver un café et le wi-fi. Il y a encore deux dates off, et Lucien s’attèle à la tâche. Il veut une tournée sans un jour de repos, ce qui est encore possible... Tant mieux, va-y Lulu ! Se reposer, c’est mourir un peu surtout quand on est loin de chez soi. Faire de la route c’est avoir une dynamique et la freiner, c’est jamais trop bon pour le rythme cardiaque du groupe. Čadca c’est 15000 habitants, pas un chat dans les rues et des bâtiments tristounets avec de grandes plaques de béton. Une ville qui aurait certainement inspirée Philip K Dick ou Rod Serling. La porte du club s’ouvre enfin. A peine garé devant le club pour décharger, une voiture de police s’arrête et nous demande de ne pas rester là. On négocie les dix minutes réglementaires nécessaires au déchargement. Elles sont accordées sans supplément. C’est dimanche, personne ne circule, les gens sont terrés chez eux mais on gêne le trafic, normal... Le club est assez chaleureux, avec des banquettes tout autour et le bar juste en face. Il n’y a pas de scène et un tout petit système son. Pas besoin de plus, nos amplis vont largement combler ce manque comme on nous le fait remarquer trop souvent... A 20h, je tourne la tête en direction de l’écran fixé au dessus de ma batterie et je vois les faces cabotines des deux présidentiables, avec émission spéciale toute la soirée. La France attire tous les regards de ses voisins européens et ça j’ai pu le vérifier tout au long du périple. Mais ce soir, mal- gré un étrange sentiment d’éloignement, je suis content d’expérimenter l’exil pendant cette période d’hystérie collective. Le concert se passe sous les meilleurs hospices, le public est ultra-réceptif et en redemande. Il semblerait qu’on ne soit pas venu pour déposer un bulletin blanc ! Arno a trouvé son fan club, et il est à Čadca ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, plusieurs personnes viennent lui parler de son album solo qu’ils connaissent par cœur ! La fin de soirée est clairement sur le ton de l’alcool, les langues se délient, il faut juste se méfier de l’ukrainien expatrié qui nous parle un peu trop de son passage en prison et qui alterne sourires et gros yeux. Ça picole sec et les trois quart du public rentrent chez eux, rognés en bonne et due forme. Le genre d’atmosphère qui peut vite déraper, mais on ne tarde pas... L’appart est minus mais fera largement l’affaire malgré l’odeur infâme du clébard qui habite les lieux... lit de camp déplie toi ! Le cachet aussi est modique : 25 euros. Je vous rassure, on ira pas en dessous durant ces deux semaines. L’entrée était gratuite ce soir. On savait que c’était le plan « très dépannage » de la tournée. S’il faut faire un choix entre ça ou rien, on préfère ça. Jouer, garder le cap, appendre à se connaître sur scène et peaufiner le set. Mais 25 euros !… avec ses caissons d’alcool ingurgités... même si la bière n’est pas chère, les alcools forts ont fait sensation me semble-t-il... Avant d’aller me coucher, je bloque un instant sur l’affiche d’un festival punaisé dans les chiottes avec une quarantaine de groupes slovaques, principalement : grind, black, brutal... J’arrive à décrypter un nom sur cinq.

Lundi 23 avril 2012, Colloseum Club, Košice, Slovaquie

Coucher 2h00, départ 6h00, today is the day, on saura après l’étape ambassade si la tournée s’arrête là. Comme nous le fait remarquer un pote par mail : « Y a une fois un type qui s’est pris une balle en pleine tête en conduisant son groupe, balle perdue, et un autre membre du même groupe qui a disparu (…) Mais vous c’est différent, vous c’est juste de l’administratif (…) Les assurances seront là, prenez un max de photos, pèter une vitre ou deux sur le van (...) Les gars, je vous tire mon chapeau, mes pensées vous accompagnent encore et tout et tout, mais votre calvaire me semble léger par rapport à mon dimanche d’hier passé au Moulin Rouge (boîte de nuit du Pays de Montbéliard) à filmer des grasses qui font de la Zumba en croyant devenir sèches, sveltes et gracieuses.» Mmhh... certes, nos problèmes sont de moindre mesure comparés à d’autres groupes, on s’en amusera très vite, mais sur le moment, annuler une tournée au bout de trois dates, ça la fout quand même méchamment mauvaise, même si on est que des petits français « en balade » dans les pays de l’Est... Čadca-Bratislava : 230 km ; Bratislava-Košice : 400 km, 630 km à faire au lieu de 230 ini- tialement prévus, autant dire qu’avec cette misérable histoire, on se paie une tour de la Slovaquie à l’œil ! Arrivé dans la capitale Slovaque vers 11h00, on trouve l’ambassade française assez facilement. Située sur la place principale de la vielle ville, elle rayonne des quatre coins avec en sus, un Napoléon en bronze grandeur nature pile devant, appuyé contre un banc qui subit l’assaut des touristes désireux de prendre une photo à ses côtés. Que feraient les touristes sans ce genre de distraction ? Nous, on est pas là pour prendre la pose, mais on fait quand même le pied de grue devant l’entrée le temps que notre guitariste ressorte avec un passeport flambant neuf. Les horaires administratifs sont les même que chez nous, fermeture à midi et réouverture à 14h30. On arrive trop tard, notre sans-passeport ressort pour faire des photos d’identité, imprimer des documents qu’il a recueillis via sa boîte mail et mis sur sa clef USB. A l’ambassade, on ne met pas n’importe quelle clef dans l’ordinateur pour éviter tout piratage informatique. Mme Nathalie C. qui se charge de notre dossier, doit contacter la mairie de Besançon, afin de vérifier les informations fournies. Ces dernières doivent d’abord transitées par l’ambassade de Vienne, la matrice des ambassades française d’Europe centrale. Si le bureau bisontin ne répond pas, Vienne, ne donnera pas suite et on est bon pour passer la nuit à Bratislava. Kafkaïen vous avez dit ? Qui plus est, la préposée aux passeports s’interroge : « Mais votre procès verbal est écrit en français... vous ne vous êtes pas fait voler votre passeport en Slovaquie ? Vous avez traversé l’Europe sans pa- piers ? Quoi ? Une tournée ? Vous avez un contrat de travail ?... » On risque d’être sérieusement à la bourre avec toutes ces conneries ! Pendant ce temps, je scrute la place ensoleillée où il ne se passe rien. Le calme plat. Les ca- fés sont trop beaux, les rues trop propres et les touristes continuent de se faire photographier devant Bonaparte. Je fais le tour du bâtiment et je remarque qu’il y a une médiathèque affiliée à l’ambassade pour les francophones. Je regarde les bouquins et les DVDs en vitrine et je me dis que dans la caté- gorie jobs bien planqués, celui de bibliothécaire à la médiathèque française de Bratislava y est à coup sûr très bien placé. Trois heures plus tard, Dick Den’s ressort avec un beau passeport vert appelé dans le jargon « passeport d’urgence ». Merci tout de même à Madame Nathalie C. pour son efficacité. A deux doigts de saluer la République, on reprend notre envol direction Košice. Notre pote n’avait pas si tort, juste un problème administratif après tout ! On constatera par la suite, que pour d’autres personnes qui veulent voyager, tout n’est pas aussi simple... On arrive sur place vers 20h. Le lieu est immense. La salle de concert principale peut contenir 1000 personnes. Sepultura, Agnostic et d’autres poids lourds sont déjà passé par là… Nous, on joue en haut, dans le petit bar. Le Colloseum c’est une sorte de club à « l’allemande », avec une déco foncièrement , qui sent le vécu, et des mini pubs à thème. Un genre de Wild at Heart géant, avec un personnel très aimable, souriant, pas blasé et heureux de recevoir des étrangers. Le concert s’enchaîne dans la foulée, pas des masses de monde, des curieux et quelques personnes plus concernées par le style qui nous conseillent de revenir un vendredi, quand il y a plus de monde... C’est noté ! Sinon, une autre partie du publique s’enfuie progressivement car apparemment c’est trop fort et trop brouillon. L’ingé nous demande de baisser à plusieurs reprises pendant le concert, alors qu’il a lui même décidé de sonoriser la batterie, ce qui n’était pas vraiment utile vu la taille de la pièce... Pourquoi s’obstiner à recycler les fûts et ensuite demander de baisser les guitares ? En attendant, le mec était souriant et volontaire. Si un tiers des ingés que l’on a déjà croisé, ne possédaient rien qu’une seule de ces deux qualités, ce serait déjà très bien. Autre point fort du lieu, un superbe appartement à l’étage pour les groupes. Peu de kilomètres demain, l’occasion de se reposer un peu...

Mardi 24 avril 2012, Angel’s Pub, Bardejov, Slovaquie

Le bar est une grande cave voûtée et humide mais bien entretenue. La patronne parle parfaitement anglais, elle a vécu aux Etats-Unis. Je l’interroge sur sa programmation. Le samedi, elle accueille des groupes de blues, et le reste de la semaine c’est plutôt Death et Black Metal. Le metal extrême semble dominer largement l’underground en Slovaquie. Pas de souci, le lieu s’y prête : déco médiévale, cathédrale gothique en face et télé géante qui diffuse un live d’Immortal. J’avais vu ce groupe de Bergen au festival des Artefacts à Strasbourg en 1997. Ils avaient joué en plein après-midi sous un soleil de plomb, le maquillage qui coulait sur leur visage. Des conditions pas vraiment idéales mais de toute façon j’y connaissais rien au Black à l’époque – et encore maintenant d’ailleurs... Deux heures plus tard, SOIA avait envahit les lieux, sans peinture de guerre sur le visage mais avec un Pete Koller déjà tatoué à mort et tous avec le feu de Vulcain qui irriguait leurs veines. Quand on a 17 ans, ça marque ce genre d’expérience... Passons sur ses souvenirs de jeunesse... Quelques minutes plus tard, Mister Ferro, l’organisateur, nous rejoint. Un très bon zigue ce Ferro. Il va assurer la première partie avec son groupe nommé sobrement Posledné Decembrové Dni. La salle met du temps à se remplir mais le public est bien au rendez-vous. On prête une grosse partie de notre matos. Vu les dégaines des musiciens, je m’attendais à un groupe crusty/punk mais finalement il s’avère que musicalement, ça tire plus vers du Sonic Youth chanté en slovaque. A notre tour d’empoigner les manches. Le public bouillonne et au bout de trois notes, c’est l’ébullition, l’opposé d’hier soir. Les gaziers du premier rang sont en pleine forme, sautent comme des cabris, se jettent des bancs et portent Dick Den’s en plein solo ! Les gens veulent s’éclater, passer du bon temps, transpirer et se marrer. Une partie du public plus calme s’oriente vers la danse. L’ambiance est au beau fixe bien que c’est toujours triste de voir ceux et celles qui veulent se trémousser tranquillement au rythme de la musique se faire bousculer crûment. Je ne veux pas faire mon moralisateur à deux balles, surtout que la question est déjà bien usée mais il devrait y avoir de la place pour tout le monde sans faire chier son voisin ou sa voisine, non ? La danse, c’est un complément de la musique popu- laire. Même si elle a évolué jusqu’à devenir parfois de l’anti-danse, ça fait partie d’un concert de rock. Je suis un piètre danseur, mais j’aime regarder les autres danser pendant un concert. Je ne les trouve pas futiles ou ridicules, en tout cas pas plus qu’un autre avec les bras croisés et le regard moqueur. Au risque de tomber dans les raccourcis, quelqu’un qui danse c’est quelqu’un qui fait un effort physique, pour lui mais aussi pour vous. Une communication s’installe. C’est un moyen d’échange universel, ça prouve que les gens se sentent bien, qu’ils évacuent en toute confiance. On joue une musique relati- vement dansante, je n’en ai pas honte. Je n’ai pas envie que les gens se taillent les veines pendant mon concert ! Pas de quoi rougir : c’est notre job, et on tente de le faire le mieux possible. Lucien regarde ses mails en fin de soirée et nous annonce qu’un club à Sarajevo nous propose de jouer pendant un off. Les 16 dates sans pause sont en bonne voie ! On finit chez Ferro dans une maison perdue au milieu des bois, le chemin est boueux, le camion patine... Je bois presque d’affilé les trois verres de prune qu’il me tend et je vais me coucher.

Mercredi 25 avril 2012, Cubanska Squat, Lviv, Ukraine

Après cinq petites heures de sommeil, on se lève, les genoux un brin caillouteux. Ferro et sa femme ont préparé un petit dej’ digne de ce nom. Du grand standing à base d’aliments variés : des légumes du jardin, de l’ail sauvage, du fromage, deux sortes de pain, quelques sucreries et la trinité liquide des champions : café/thé/jus d’orange... Certaines personnes savent vraiment recevoir et connaissent les besoin primaires d’un groupe sur la route : un repas copieux au réveil qui permet de tenir éventuellement jusqu’au soir et économiser de l’argent. On stock au max des capacités que notre estomac le permet et on décolle laissant le couple et leur fille derrière nous. Une jolie petite famille qui respire le bonheur et nous apporte un peu de chaleur humaine. Réconfortant et générateur d’ondes positives quand on est loin de chez soi et que l’on ne sait jamais trop où on va tomber. Pourtant le réveil dans une famille inconnue n’est jamais évident. On sent parfois lourdement peser le poids du dérangement causé par sa propre présence dans le cocon familiale. Ou pire, à l’inverse, tombé dans une famille trop accueillante voire envahissante qui nous engloutit tout entier dans sa vie privée (qui devrait le rester), et pour laquelle on était pas préparé à y pénétrer d’une manière aussi brutale. Le genre de situation toujours délicate... Au premier arrêt dans une station polonaise, on tape un coup dans le ballon que Lucien a acheté avant hier. Rien de tel pour se dégourdir les jambes et croire que l’on fait encore partie de l’espèce des marcheurs. Notre vitesse moyenne de croisière est de 70km/h. On se traîne sous la cha- leur qui commence à poindre le bout de son nez dans toute L’Europe de l’Est. Les vêtements chauds resteront bien planqués au fond du sac... Je me replonge dans Hommage à la Catalogne, alternant avec des chroniques ciné du zine Delivrance #2 et des paragraphes de Continental Divide. Rien de tel que de lire en tournée des carnets de route et celui du Nasty vaut son pesant de noix de pécan. Dense mais stimulant avec toujours la référence musicale qui tombe à pile en fonction de l’endroit où il se trouve. Mes pensées reviennent souvent sur Orwell. Je ne me rendais pas compte de la dimension du personnage. Le témoignage de son engagement en pleine guerre civile est addictif. Considéré parfois d’un œil réducteur comme un révolutionnaire romantique, l’homme reste surtout un exemple de courage et de dignité. A la description des geôles espagnoles ou de son premier bain après des semaines passées sans jamais changer de vêtements, on se dit qu’avec une douche tout les trois jours, on est vraiment des rigolos. Une réflexion très personnelle, par moment au delà des idéologies qui se détachent du récit de guerre classique à la Barthas ou du roman à la Barbusse. La douane ukrainienne se rapproche et on dégaine le passeport. On suit la voie réservée aux Européens. L’attente est de courte durée puisqu’il n’y a tout simplement personne ! On arrive directement au poste et là, coup de chance (ou pas) le douanier parle français. Il fait du zèle et en pro- fite pour pratiquer un peu... Il regarde nos papiers, on dirait qu’il veut nous faire passer rapidement. Erreur ! C’est sans compter sur cette organisation disparate ou chacun y va de sa petite ritournelle. Certains ukrainiens appellent ça l’ancien système... celui des bureaux, de la paperasse, du protocole de l’attente et des services superposés. Ici un douanier peut vous prendre votre passeport, vous le redonner, son collègue arrive derrière, le reprend, le donne au guichet qui le tamponne et vous le remet. Vous ne pouvez toujours pas partir pour autant. Vous poireautez et on vous le redemande une demi-heure plus tard... c’est sans fin ! Qui est qui ? Qui fait quoi ? Peut-on y aller ? Doit-on rester ? Tout ça reste bien nébuleux et le demeurera. Un brassage de vent hallucinant ! On reste deux heures et demie à la douane. On nous dira plus tard que c’est rien du tout et qu’on a été veinard. Un autre groupe français est apparemment resté dix heures ! L’état de la route n’est pas trop mal pour se rendre à Lviv, un point bénéfique de l’euro 2012 ? Arrivé dans la ville c’est pas la même : des pavés complètement en vrac, plus rien d’aligné, ça secoue de tout les côtés, sans parler des trompes d’eau un peu partout. Un chien traverse devant nous avec un rat dans la gueule... Le promoteur met la pression, il nous a déjà envoyé trois SMS. La soirée attaque à 18H30. Après une série d’esquives entre les tramways de l’air soviétique et les voitures qui déboulent de tous les côtés, on arrive au squat alors que le deuxième groupe est déjà en train de jouer. Une grosse maison retirée dans la ville avec des kids partout. Une version ukrainienne des seigneurs de Dogtown ! Le groupe joue du punk/hardcore dur et moderne. Les kids sont déjà remontés à bloc, ça secoue dans tous les sens à l’intérieur de la salle à manger ! On va prendre un jus en ville car il n’y pas de café dans les loges, d’ailleurs il n’y pas de loges et rien à boire nulle part. Nous on est vieux (en tout cas par rapport à 100% des gens ici présents) et on a besoin de café pour se mettre en jambe. Une étudiante à l’allure sportive nous accompagne au centre ville pour commander nos cafés car selon elle, si on est étranger on va se faire arnaquer... A notre retour le groupe Curie à déjà commencé. On change radicalement d’ambiance. Trio féminin en robes noires coupées à l’asiatique qui joue de l’électro-pop coquette et minimaliste, so fresh ! L’af- fiche est très éclectique, on a plus de chances de trouver notre place auprès du public. Il est déjà 22h et la soirée devrait se terminer, mais le groupe n’a pas encore fini. Doit-on déballer ? 22H10, les flics déboulent quand on sort le matos du van... L’organisateur négocie avec eux, et obtient une prolongation d’une demi-heure. On s’installe à la va-vite, et on enchaîne dans la foulée. Une partie du public est partie, restent, semble-t-il, les plus « chauds »... Pas la peine de faire trop de manières, aux premiers ac- cords, c’est la bousculade... très bonne mise en jambe ! Deux vidéos traînent même sur You Tube... Du monde vient pour taper la causette après le concert. On nous explique qu’ici il n’y a pas énormément de concerts indépendants à part dans ce genre de lieux principalement organisés par le milieu estudiantin. En gros les concerts rock c’est Green Day en stade ou les maisons squattées. On fait aussi la connaissance de l’excel- lent Shura, un jeune activiste de premier ordre en Ukraine qui organise le Crash Test Fest à Kiev. Avant de rentrer, on passe au supermarché car nos hôtes vont nous préparer à manger. Je vais avec eux. On dirait le LIDL de Sochaux en trois fois plus glauque. Yava, qui nous héberge ce soir, me demande si j’ai peur. Je lui réponds que non, même si on traverse tout un pâté de maison dans le noir absolu, et qu’elle me raconte qu’à cette heure-ci de la nuit, seuls les criminels et les poivrots vont au supermarché... Je la soupçonne fortement de s’amuser à me foutre les jetons... On arrive chez elle dans un quartier lugubre, les rues sont en terre battue et les arbres exempts de photosynthèse. L’appartement est grand. Yava et son ami nous font à manger. On recroi- sera ce dernier avec Macst un an plus tard, sans s’y attendre au . On s’enfile une méga-dose de Varenyky à la crème (sorte de ravioli farcis à a la pomme de terre) et on se plonge directos dans nos sacs de couchage.

Jeudi 26 avril 2012, Matador Club, Khmelnytskyï, Ukraine

Pas énormément de kilomètres à faire aujourd’hui mais les routes sont tellement mauvaises qu’on passe quand même une après-midi entière à rouler. Il fait assez chaud pour faire une petite lessive à la main et laisser sécher deux trois chaussettes dans le van. J’aime partir de plus en plus léger, on oublie moins de choses avec un sac peu rempli. A mi-chemin, on se fait arrêter par un flic en pleine cambrousse. Il nous fait de grands signes au milieu de la route. Ses collègues sont de l’autre coté plantés devant un commissariat im- probable au centre de nulle part... Lucien fait demi-tour pour les rejoindre et se gare devant eux. A peine le temps d’ouvrir sa fenêtre qu’un képiteux à tête de poupard nous hurle dessus en ukrainien... Lulu tente un « Speak english? », en vain... Il s’en tape, il rebeugle de plus belle dans cette magnifique langue quelque peu effrayante tout de même... Il se dirige vers moi. J’ouvre ma fenêtre, je décale les chaussettes de l’archiduchesse pas encore sèches qui me cachent le visage et je lui tends mon passe- port, histoire de faire un peu de zèle et montrer de la bonne volonté. Mais face de poupard s’en tape et m’aboie sur la truffe. On pige rien évidement, il retourne vers Lucien et lui fait comprendre qu’il a traversé une ligne blanche. Ici, quand on t’arrête, tu dois stopper le véhicule sur le bas côté et attendre que l’agent vienne te chercher. En aucun cas il ne faut essayer de le rejoindre. Il nous dit que l’on se doit de connaître les règles du pays, point barre, c’est pas la colo de vacances quoi... Il ouvre la por- tière conducteur, fait descendre Lucien et l’emmène dans son bureau. « L’interrogatoire » dure une bonne vingtaine de minutes. Nous, on poireaute dans le camion en plein cagnât, en imaginant une flopée de scénars..... Quand Lucien ressort, toujours en compagnie de l’affreux jojo, il nous demande: « Hé les gars, vous avez des clopes ? » On chope un paquet et on lui apporte. Le flic demande de quelle pays elles proviennent car les clopes ukrainiennes c’est pas la panacée, mais plutôt la fête de la paille... Il veut des françaises et nous laissera repartir. On en a plus mais il nous reste des clopes slovaques, il en prend deux et nous fait signe de filer en ricanant. Lucien nous raconte après coup, qu’il à tenté de lui mettre la pression dans le bureau puis c’est détendu rapidement quand il lui a dit qu’il voulait appeler l’ambassade... Il lui a même demandé si on avait du vin ! Forcément, c’est bien connu, les français qui voyagent ont toujours une caisse de Bordeaux dans le coffre, des baguettes de pain congelées et un stock de bérets noirs... Deux clopes, on s’en sort pas si mal... Quelques kilomètres plus loin, on s’arrête manger dans un resto plutôt classe en bord de route. Pour l’endroit, les prix défient toute concurrence : trois euros pour une assiette de spaghettis garnie de légumes et un café, le tout servi dans une petite guitoune sur pilotis au milieu des bois. Nos voisins de tonnelle sont une sorte de pré-couple, propres sur eux. On arrive à deviner de loin toutes les roucoulades initiatiques forcées que l’homme se sent obligé de faire pour arriver à son but. Il dégaine même la bouteille de champagne, so cliché !... La panse repus, on arrive à Khmelnytskyï en fin d’aprem. La ville est bien triste, que dis-je, déprimante, maussade, morose comme filtrée par un voile gris qui déteint à la longue sur le visage des habitants. Je regarde les voitures, j’ai l’impres- sion de ne voir que des vieilles Lada Jigouli (majo- ritaires) ou des Lexus (minoritaires). Les voitures intermédiaires n’existent-elles pas dans cette ville ? Genre celles des classes moyennes... On va à la re- cherche d’une boutique d’électronique pour ache- ter un fusible, mais on revient bredouille... Sur le chemin du retour, on achète des clopes, 1,50 euros le paquet de Marlboro !... mais attention à la gorge qui flambe au bout de deux taffes. On retrouve Pavel l’organisateur dans le café. Un mec droit dans ses pompes, accroc au Free Fight ! Le lieu semble être un des rares endroits rock de la ville avec une photo de Kurt Co- bain accroché au mur. Il y a une petite scène ; par contre, les chiottes ne marchent plus depuis un an d’après Pavel. Un pote à lui envoie du gros metal-core dans la sono depuis son lecteur MP3. Il a le logo de Black Flag tatoué sur l’épaule. Totalement anodin chez nous, ici c’est le seul que j’ai vu, d’ailleurs dans les concerts, les gens me paraissent beaucoup moins tatoués. Notre ami nous fait un topo rapide sur sa ville. Beaucoup de chômage, quelques riches qui ont su tirer profit de l’ouverture des marchés (d’où les Lexus ?) et une police facilement corruptible si on sait mettre la main au por- tefeuille. Il m’évoque quelques faits divers. Des actes criminels impunis où les auteurs aisés ont pu acheter leur tranquillité… Le premier groupe met du temps à s’installer. Il balance pendant une heure. Ils font peut être bien parti des groupes les plus «extrêmes» avec qui j’ai joué. Leurs morceaux font quinze minutes. Ils jamment. En ressort une bouillie fusionesque guidée par un bassiste qui se prend pour Flea. Ils m’avoueront en fin de soirée qu’ils ne répètent jamais et qu’ils n’en ont pas besoin. On va boire un coup dans la cafétéria située au dessus afin d’utiliser les toilettes. En haut c’est un peu ambiance bar de bowling. Aquariums, lumière tamisée, toilettes nickels, et des groupes d’amis qui doivent se retrouver après le lycée. L’antithèse de ce qui se passe en dessous ! Ce moment de repos est de courte durée, Lucien vient nous chercher, c’est à nous. L’envie de jouer n’est pas très marquée. L’ambiance dans le café frôle le zéro degré... La plupart des gens sont assis, certains ont même réservé une table ! J’ai peur de casser l’ambiance. « Mais ils vont halluciner ! » me dit Arno avant d’attaquer. Parfois on se demande ce qu’on fait là. Pourquoi tant d’énergie dépensée, se démener à répéter, enregistrer des disques, rouler des heures… Pourquoi ? Froid de canard dans la salle, on attaque timidement le set. Au bout de quatre morceaux, trois per- sonnes se lèvent et les autres suivent, Dick Den’s va les chercher bien loin. Les gens sont parfois juste timides.

Vendredi 27 avril 2012, Dans un garage..., Tchernihiv, Ukraine

On décolle vers 9H00. La route est jonchée de vendeurs de fruits et légumes locaux. On passe à proximité de Tchernobyl. Macst et Luch n’ont pas arrêté depuis le début du périple : « Yutug par ci, Yutug par là, visiblement l’organisateur qui nous fait jouer ce soir leur a fait forte impression la dernière fois avec Lost Boys. Ils nous le décrivent comme une figure nationale de la scène punk ukrainienne vivant avec sa mère. Visiblement, elle participe elle aussi à soutenir la scène... Le trajet dure à peu près dix heures et demi. 10H30 de sueur, de moiteur, d’état végétatif et de jambes en bois. Les quelques pauses que l’on s’accorde n’arrangent pas grand chose, j’ai l’impression d’être une bête qu’on conduit à l’abat- toir! On arrive sur le lieu par un petit chemin de terre vers 19H30... début des concerts dans une demi-heure. On se gare devant une rangée de garages, ou plutôt de containers. À droite, un couvent protégé par un immense mur d’enceinte. Un monument colossal et historique. Pour les toilettes, c’est au fond du bois à droite ! Pas mal de monde attend devant. Certain-e-s arrivent à pied, d’autres en taxi, seul-e- ou en groupe, parfois par des sentiers insoupçonnables, tels de vrais petits poucets... On attendra que le premier groupe ait terminé de jouer pour décharger le matos. Je vais prendre la batte- rie qu’il y a sur place, plus simple, on ne fera pas de balance non plus, brut de brut ! D’ailleurs, on en fera très peu sur cette tournée, on est vraiment pas des acharnés de la balance... Le premier groupe commence pile poil à l’heure. Au programme : Iroquoises et chaos punk chanté en ukrainien. Morceaux ultra rapides tout comme leur set qui dure une demi-heure. La musique doit stopper à 22h00, c’est le deal de Yutug avec la police locale. Ici, tout est toujours dealé d’avance avec la police. On ne fait rien sans prévenir la police. Même pour des concerts de punk sauvages, au risque de s’attirer de grosses emmerdes... A 21h on est prêt. Le matériel est installé, les guitares autour du coup, les baguettes en mains. Tout à coup on voit le public s’agiter, des gens sortent précipitamment. On entend des cris et des bruits bizarres style tasers... c’est les fachos qui débarquent ! Les Lost Boys nous avaient prévenus. La même chose leur était arrivée il y a deux ans. Ils n’avaient même pas pu jouer. Yutug et ses potes sont préparés à ce genre d’incident : barre de fer, chaîne de vélo, réserve de canettes vides pour en faire des tessons, à l’ancienne quoi... La chose semble fréquente quand ils organisent des concerts. Ici, tout le monde sait quand il y a un concert, ce genre de descente, ce n’est pas spontané. Nous, on reste sur scène ; on voit rien, on ne sait pas combien ils sont mais on a entendu dire qu’ils étaient nombreux dans le secteur. Il y a encore beaucoup de monde dans le garage et on ne peut pas sortir de scène, il n’y qu’un seule issue. On est piégé au fond du caisson ! S’ils arrivent jusqu’à nous, on aura que nos guitares pour se défendre, comme disait Woody « This machine kill facsist »… mouais, en tout cas ça faisait joli écrit sur la guitare... En cinq minutes, les flics rappliquent. Pas du genre à traîner dans ce pays. Ils virent les fouteurs de merde, et Yutug revient nous faire signe que l’on peut attaquer. Deux trois bourre pifs ont volé, quelques coups de triques aussi mais pas de gros bobos, juste une ou deux faces un peu rougeaudes... Ces accrocs du stade - ils revenaient d’un match - et disciples spirituels d’Einrich Himmler n’ont pas causé de grands dégâts mais ont quand même fait fuir un bon quart du publique. Ce dernier est assez varié ce soir : Des mecs plus âgés que la moyenne avec T Shirt MC5, des jeunes punk débraillés, des étudiant-e-s bien mis-es-, des gens du coin, des curieux... Niveau mixité, rien à redire, je dirais 50/50. L’ambiance est électrique. Le schéma classique se reproduit : Trois, quatre personnes bougent devant avec virulence. Ils dessinent de gros cercles autour d’eux avec leurs bras et leurs jambes. Les plus calmes, ceux et celles qui veulent mater le concert tranquillement ou danser un petit peu se retrouvent compressés sur les côtés. Ici on ne danse pas, on balance des coups de lattes... Dommage pour 95% du publique... On termine le concert à 21H45 et on enchaîne sur une séance de photos collective.Une demi-heure plus tard presque tout le monde a quitté les lieux. Je demande où ils sont allés. On me répond qu’ils sont rentrés chez eux, pour boire ou étudier. On se retrouve une petite dizaine dans le garage à ranger le matos – et pas des gros bras. On angoisse un peu à l’idée que les apprentis SS reviennent mais on ne les reverra pas. Une fois chez Yutug, un repas colossal nous attend. C’est sa mère qui a tout préparé. La demeure est très modeste, mais l’accueil plus que chaleureux. On regarde nos mails, il faut en profiter car ce n’est pas possible tous les soirs. Il nous reste une date à booker pour le samedi 5 mai. On envoie un message au Chef, on décide de la faire à Montbéliard même si on est à Zagreb la veille. On a voulu nos 16 dates sans off, on les aura coûte que coûte !

Samedi 28 avril 2012, Izbushka, Kiev, Ukraine

Une...deux...trois et quatre heures de repos suffiront à faire le bonheur de notre convoi pas exceptionnel. La fatigue s’accumule et les heures de sommeil rétrécissent. On repasse par la case assiette de légumes au petit déj’, le chou c’est peu commun à 8h du matin mais au moins le ventre est plein. Merci encore madame. Je m’assieds dans le van et m’endors. Lucien prend le volant toujours présent, toujours vaillant pour nous amener à l’étape suivante, la capitale ukrainienne. Après une sieste courte mais réparatrice, je mets dans la trousse le cachet d’hier soir : 590 grivnajs soit 59 euros. J’empoigne ensuite En Chine avec Green Day de Cometbus, première mouture de la version française que Lucien m’a prêtée. Ouais, c’est vraiment bonnard de lire ce genre de truc quand on est sur la route. Le journal de bord d’un zineu mythique qui part en avion avec Green Day pour une tournée asiatique. Les réacteurs de l’engin crament des milliers de dollars alors que l’on voyage à six en Peu- geot Boxer pour des cachets de survie ! Le décalage est plutôt comique… Je m’envoie le book d’une traite. On y parle de musique, de batterie, d’amitié, de pays exotiques, d’hôtels avec piscines privatives, et de prises de têtes débiles… Le carburant mental idéal pour cultiver le goût du paradoxe dans ce genre de situation. On arrive à Kiev vers 16H. Comme toutes les capitales, cette ville est un aspirateur à indivi- dus. L’air y est suffocant, fini les petits vendeurs de patates en charrette au bord de la route... Ici l’éco- nomie de marché et la finance a repris ses droits, les grosses enseignes (McDo, Apple, Mercedes... ) défilent sous nos yeux. On stoppe dans une rue bien fréquentée pour que notre contact vienne nous chercher. En attendant, j’achète des lunettes low cost car je n’arrive pas à garder les yeux ouvert, fati- gue + soleil = face de caniche mal entretenue. Aujourd’hui, j’en profiterais bien d’être dans la capitale pour chiner quelques disques. Aucune occasion ne s’est présentée jusqu’alors. En plus, notre stock de musique s’épuise. Les CDs et les clefs USB ont tourné plusieurs fois. Et j’ai oublié la mienne à la maison. Depuis le début de la tournée on a vendu très peu de disques. On a baissé les prix au max. On vend les CDs 4 euros, et les tshirts 6 euros. On a pris une poignée de vinyles qui se vendent au compte gouttes. Ici, pour de raisons économiques évidentes, c’est la culture du téléchargement avant tout. Notre guide arrive. Comme on a du temps devant nous, il nous propose de visiter la ville. Dès les dix premières minutes on se rend compte que l’énergumène est un caqueteur de premier ordre. Rarement entendu un débit aussi dense. Il nous a déjà fait l’inventaire de ses groupes préférés, un descriptif de chacun de ses tatouages et nous fait partager son point de vue sur à peu près tout ce qui lui passe par la tête. Je lui demande s’il peut m’indiquer un bon disquaire. On marche sur trois kilomètres avant de tomber sur l’endroit. « C’est le meilleur magasin de disques de Kiev ! » A l’intérieur, une trentaine de vinyles et de CDs, principalement du hardcore des 90’s. C’est affreusement cher… Qui peut se permettre d’acheter de l’occas à ce prix là ? C’est l’heure de rejoindre la salle qui se trouve dans une grande zone désaffectée. A l’inté- rieur, la scène est assez propre. Elle fait également office de salle de répète. Les groupes qui ouvrent pour nous sont tous des groupes de screamo. On dénote… Le public s’en fout un peu, c’est de loin un des moins bons concerts de la tournée. Pas dramatique. On ne s’éternise pas. On doit juste atten- dre qu’un portier obtus daigne nous ouvrir la barrière. C’est l’heure du dodo. On loge chez un pote de notre guide, pas tout près d’ici. Mais avant, il veut nous emmener manger un truc. On opte pour le supermarché. On va à l’essentiel : pain, fromage et pizzas surgelées. Je demande à notre pygmalion si son pote à un four, il me garantit que oui. Une fois à la caisse, c’est une queue immense qui se forme. Il est minuit pile et c’est l’heure du comptage de caisses. Il y en a pour une demi-heure. C’est long. Nous nous armons de patience aux côtés de notre causeur de première qui n’a pas ralenti une seconde sa diarrhée verbale. Devant nous, un couple nous regarde avec curiosité dès que l’on ouvre la bouche ; derrière, une femme détruite par l’alcool tient une bouteille de vodka. On se tait, j’essaie de rentrer en méditation mais je n’y arrive pas. On retrouve enfin les autres qui trépignent d’impatience dans le camion et on décolle. Arrivés devant la porte de l’appartement, on sonne, tout est fermé, personne à l’intérieur. Notre com- pagnon de fortune n’a évidement plus de batterie et donc pas de numéro de téléphone. De nouveau on se retrouve en position veille, cette fois-ci sur un palier. Le pote en question se pointe trois quart plus tard, visiblement pas informé que l’on arrivait et sincèrement gêné. On déballe les courses et là en regardant les pizzas, il nous balance : « Les gars, désolé mais je n’ai pas de four ! ». Des amis venus avec lui se proposent de nous héberger et ils ont un four. Une partie d’entre nous décide de les suivre. Au moment de sortir, impossible d’ouvrir la porte d’entrée, elle est bloquée. Après plusieurs tentati- ves, j’empoigne un marteau et un tournevis et défonce le pêne de la serrure en faisant un boucan de tout les diables, on se relaxe comme on peut…On dort tous sur le sol dans la chambre de sa coloc qui rentre tard dans la nuit…chelou… Dimanche 29 avril 2012, Koza, Ternopil, Ukraine

Une grosse dizaine d’heures et on arrive à Ternopil. Ah ! Ter-no-pil ! Avec un nom comme ça, on imagine de gros bâtiments soutenus par des colonnes doriques, de grandes places pavées or- nées de fontaines néo-classiques et des petits jardins bien entretenus et bien, c’est un peu près ça. La ville est propre, très verte ; comparée à tout ce que l’on a pu voir avant, ça change pas mal. On attend le promoteur sur un parking une bonne demi-heure. Il arrive nonchalamment, lunettes de soleil tape à l’œil sur le nez et porte un T shirt Karl Lagerfeld, si, si je vous jure ! A sa manière quelque peu hautaine de dire bonjour, je sais d’avance qu’il nous sera d’aucune utilité à part peut-être celle de nous agacer, nous foutre les nerfs en pelote sous ses airs de victime de la mode. Vous me trouvez trop présomptueux et agressif ? Sorry les amis, je voulais pas casser l’ambiance mais parfois il faut se fier à son flair si on veut se protéger des gens qui risquent de nous absorber trop d’énergie. Il nous conduit quand même au lieu et arrivés là-bas on comprend mieux son style : c’est la fashion week ! Un bar immense avec un sol tout en tek, des serveurs aux corps sculpturaux, des clients impeccables, triés sur le volet, parés pour se faire shooté à tout moment, le diktat des magazines a frappé un grand coup ! La beauté mise sous cellophane, sous vide d’air, cristallisée à jamais dans ce haut lieu de la parade. L’antithèse de villes comme Khmelnyts- kyï, plus populaire et désœuvrée. Les filles sont belles et standardisées, soucieuses du détail, garde robe soignée, lunettes de soleil stylées, cheveux qui tombent en bas du dos, talons hauts, jupes et sacs à main pas plus gros qu’un portefeuille. Les mecs sont à l’image de leurs amies, des modèles en her- bes, maillots près du corps, muscles rutilants, regards de marbre et coupe de cheveux de footballeurs. Bienvenue à Gattacca ! Cela dit, j’aime cultiver les expériences variées. Entre le garage de Yutug en plein milieu de la cambrousse et des lieux comme celui-ci, la marge est impressionnante. Oui, j’aime ça la surprise, le brisage de routine, il faut juste le prendre comme un nouveau défi. Pourtant, sous ces airs de ville modèle de la cleanitude tel un grand jeu Playmobil qu’on vient de déballer pour noël, l’envers du décor est bien là : employés qui bossent comme des tarés, finissent tard le soir reprennent très tôt le matin, prostitution dissimulée mais bien présente, racolage rapide au bar sous prétexte d’un verre, lac magnifique - en surface - où personne, vraiment personne ne se baigne... Le promoteur nous montre la scène et nous demande de balancer tout de suite. Est-ce utile ? Ne devrait-on pas attendre le début du concert avant de faire rentrer ces jeunes gens dans leur catalogue La Redoute ? Je pose quelques questions pratiques et organisationnelles à notre cher « La- gerfeld addict », mais j’ai l’impression de l’ennuyer profondément. Il part et nous dit à tout à l’heure, on ne le reverra plus jamais... était-il payé pour faire ça ? Il y a une petite scène bien équipée et un sonorisateur très cool, que demander de plus ? On s’installe à l’étage sur une mezzanine pour manger. Le repas est très correct. Depuis notre départ, aucun souci majeur pour avoir de la nourriture végétarienne. Pas de bout de thon qui traîne dans la salade, ni de mauvais taboulé en barquette, de vrais repas cuisinés, originaux sans être trop compli- qués non plus. La France serait-elle vraiment l’ennemi public numéro un des non-bidochards ? Des gens qui étaient au concert à Lviv on fait le déplacement pour nous voir une seconde fois. L’un d’eux nous dit : « Ca change pas mal du squat ici ? », tu m’étonnes. On fait également la connaissance d’un couple avec leurs potes qui jouent dans un groupe garage/psyché, mais malheureusement je n’ai pas noté le nom, et comme on a pas de facebook... Tout ça pour spécifier qu’il y a quand même quelques personnes concernées venues pour le concert. Le premier groupe est une formation Rock FM variété chanté en ukrainien. Ils nous dédicacent une reprise d’Alizée – et personne n’en savait rien ! C’est bientôt notre tour. On est remonté comme des accus à pleine puissance et vu que l’on à strictement rien à perdre, on va la jouer sauvage, histoire d’accentuer un peu plus le contraste avec le lieu... étrangement ça fonctionne. La bande venue de Lviv est déchaînée. Rarement vu autant de tricks différents en un seul concert. Les mecs sont à plat ventre et font la danse du dauphin, mou- vement ondulatoire de tout le corps et sans les mains s’il vous plait ! D’autres montent en haut de la mezzanine, là où on mangeait et se jettent à la renverse dans la foule ! Énergie communicative comme on dit, interaction avec le public, ça marche. Nous ne sommes pas en reste pour donner le meilleur de nous-mêmes à ces courageux ayant fait autant de kilomètres. Je dirais que ce soir on a joué pour à peine trente personnes. Trente personnes attentives, et heureuses d’être là, tant mieux, on est là pour ça...

Lundi 30 avril 2012, Public Bar, Tchernivtsi, Ukraine

Même si je préfère oublier certains lieux dans lesquels j’ai joué, j’apprécie la diversité. Et comme j’ai pu le faire constater un peu plus haut, un avantage de cette tournée et d’avoir vu plusieurs facettes d’un même pays. Ce soir, on joue dans une zone commerciale. Le bar est à l’étage entre une salle de sport et une salle de jeux. Plus impersonnel tu meurs. On doit prendre un ascenseur pour monter le matos. Un écran géant diffuse toute la soupe possible de la planète. Une fois installés, on va faire une partie de palets. Pas mal pour se détendre et se chauffer les poignets… On revient tout juste pour jouer. Il y a un peu de monde mais le bar est grand. Encore une fois, Dick Den’s va chercher les gens pour qu’ils s’approchent. Ça fonctionne. Le public est novice, le concert pas mémorable. Juste un de plus…

Mardi 01 mai 2012, La Gazette, Cluj-Napoca, Roumanie

Après les routes cabossées d’Ukraine, se succèdent celles de Rou- manie, plus lisses mais guère plus rapi- des, souvent limitées à 70km/h. C’est encore un dix heures de route qui nous attend. A peine 100km après avoir passé la frontière et on se fait déjà arrêter pour excès de vitesse. Forcément, ça déman- ge de titiller avec plus de vigueur l’accé- lérateur à cette cadence de tracteur. La police nous demande de payer immé- diatement ou ils gardent les papiers du Un peu d’enrobé ne ferait pas de mal... conducteur. On s’exécute comme de bonnes vaches laitières... Le club s’appelle la Gazette, nom francophone comme beaucoup d’enseignes en Roumanie. Un bar de quar- tier rock, étroit mais assez long, avec un petit jardin et une terrasse. On peut suivre la trace d’autres groupes français déjà passés ici grâce à une bonne série de stickers. Presque tout le monde parle anglais. J’ai l’impression que ce sont les nerfs qui me tiennent éveillé comme on dit vulgairement. Mes réserves sont presque vides et ce soir on a juste droit à une salade. Malgré tout, le corps semble stocker une barrette d’énergie de secours, celle de la dernière chance qui permet de jouer avant de lâcher définitivement la pression. Il n’y a pas plus de trente personnes pendant le show. Le publique semble apprécier sans pour autant être très démonstratif. On boit un coup après avoir remballé et on rentre directement se coucher chez l’organisateur. Son appartement est probablement l’un des lieux les plus fournis que j’ai vu dans ma vie. Je me remémore pour l’occasion quelques logis surprenants où j’ai passé une seule nuit : Un chalet suis- se squatté par une famille avec une rampe de skate en bois en plein milieu d’une pièce, l’appartement d’un avocat anarchisant avec la plus grosse bibliothèque panoptique que j’ai vu dans ma vie ou celui d’un coiffeur italien raffiné, véritable esthète du bon goût et grand maniaque complètiste de toute sorte de compilations 60’s, punk, de 45tours, de livres originaux avec un imposant télescope posé en plein milieu du salon. Ici c’est la biologie, la paléontologie, l’astrophysique, le rock, le punk et le métal qui sont à l’honneur. Il n’y a pas un centimètre de mur qui ne soit pas recouvert ; on vous a déjà dit que c’était trop chargé chez vous ? Au milieu des posters de groupes, des affiches de concerts, de ci- néma, trône des maquettes de dinosaures, des coupes de cerveaux, la réplique d’un squelette humain à vocation anatomique et du matos de chimie... La cerise sur le gâteau c’est une pièce exclusivement ré- servée à la NASA et à la conquête de l’espace avec photos d’équipages, de voyages spatiaux, plusieurs ouvrages sur le sujet et d’autres tas de babioles en rapport avec la science. Un nerd ? si vous le dites… mais plus que tout, un passionné, un scientifique, une tronche qui brûle dix fois plus de combustible cérébral que nous six réunis ! Une tête pensante, un professeur, un mec qui va probablement passer les trois quart de sa vie à l’école. Dormir dans ce genre de lieux est aussi excitant que le jour où je suis allé voir Jurassik Park au cinéma à 14 ans ! J’en toucherais deux mots plus bas… Il y a tellement de logements sans âme où tout est caché, clinique, sans bouquins, sans vie… Aussi déprimant qu’un appart dégueux, livrés au rythme quotidien et aux besoins naturels de ses occupants… Des refuges plus que des lieux de vie. Dommage, ce soir pas le temps de tout décortiquer. On ne se couche pas trop tard, à moi la suite spatiale !

Mercredi 02 mai 2012, KC Grad, Belgrade, Serbie

Je vous passe les habituelles plaintes dues aux conditions de circulation. Lucien commence à en avoir ras le bol de la route. Te démonte pas Lulu, tu fais un super job ! On remet de l’essence avant de quitter la Roumanie et c’est déjà plus l’Ukraine niveau taros, clairement, on y prend vite goût aux pleins à 75 euros contre 120 chez nous. On s’égare un moment dans un village. On tombe sur une route en travaux. Je me fie à mon instinct et je prends la déviation même si c’est un chemin de terre en plein milieu d’un bois. De la caillasse partout, des branchages... On roule sur 15km en seconde sans croiser une seule fois un véhicule, même pas une charrette, rien… On arrive à Belgrade vers 18h. On retrouve Alexender l’organisateur chez lui et on passe directe- ment à table. C’est sa maman qui a cuisiné, on mange en famille ! Bernadette des Gee Strings m’avait déjà parlé de lui car il avait joué là-bas avec Sonny Vin- cent. Alexender organise des concerts depuis un bail en Serbie et dans toute l’ex Yougoslavie. Le lieu est classe. Intérieur béton, petite boutique de sapes, une grande scène, du bon matos et une énorme terrasse avec lampions et table de ping-pong. The Threesome – groupe surf rock proche de Man Or Astro Man ? – partage l‘affiche avec nous. Très bonne surprise. Les morceaux sont bons, les arrangements bien foutus et la batteuse a un super Threesome de Belgrade style. Ils sont sympas et font un bon set. Macst arri- vera à les faire jouer chez nous quelques temps plus tard en première partie de . Affiche étrange sur le papier mais le public n’a pas été déstabilisé pour autant, comme quoi, mettons de côté de temps en temps ses putains d’étiquettes et laissons la chance à deux styles de se confronter. On dort dans une auberge de jeunesse riche en affiches de concerts et en voyageurs polo- nais.

Jeudi 03 mai 2012, Fis Kultura, Sarajevo, Bosnie-Herzégovine

Passage laborieux à la douane bosniaque. Grosse fouille et questions multiples. On doit parcourir des routes coupées de nombreux virages en lacets avant d’arriver dans la vallée qui abrite la capitale. Sans vouloir faire de jeux de mots de mauvais goût, le nom de Sarajevo résonne comme un bruit de canon dans ma tête, tellement la guerre de Bosnie-Herzégovine a été médiatisée à l’époque et m’évoque directement le conflit armé et ses nombreux massacres. A peine quinze ans en arrière, après la fin du siège, la ville était en grosse partie détruite. De l’eau a coulé sous les ponts depuis me direz- vous, et ce serait complètement stupide de se fixer là-dessus. Mais, lorsqu’on y passe pour la première fois, je pense que tout le monde se fait la même réflexion : On ne s’attend pas à ça ! A notre arrivée, il fait déjà nuit mais on a pu observer le long de la route beaucoup de grosses maisons en constructions. Puis au centre, des ponts très « design », des buildings modernes, des logements collectifs récents et beaucoup d’édifices religieux principalement musulmans et orthodoxes … On en a vu qu’une petite partie mais certaines rues sont beaucoup moins clinquantes, il reste encore du chemin à faire… On sent quand même une ville en pleine régénérescence. On trouve le club assez facilement. Il est composé d’une petite pièce centrale pour les concerts et d’un bar à droite. Il y a déjà du matos sur scène, du fait maison ! La sono crash Dead Kennedys et les Sonics à répétition. Comme si c’était juste pour faire une « ambiance ». Un quart d’heure avant d’attaquer, il n’y a toujours personne. Ça sent la glauquitude à plein naseaux. Le patron vient me voir et me balance « Qu’est-ce qui se passe, vous n’avez pas de fans ? » Quel humour ! Non mon pote, très peu en général et encore moins à Sarajevo ! Le type nous fout tous un peu les jetons, il est mi-figue, mi-raisin, genre tu sais pas s’il est dégoûté pour toi ou s’il veut te faire la peau. On s’installe sur scène en douceur, limite à reculons. Encore cette sensation du « Pourquoi je suis là, pourquoi je fais ça ! A quoi bon tout ça ?…» Je me rappelle d’une date à Toulon avec Hawaii Samurai, où il n’y avait per- sonne. Enfin si, le boss du bar, Clovis notre ingé son et Ed des Unco qui s’était glissé dans le camion la veille (hey mec encore désolé !) et c’était tout ! On avait fait trois morceaux et on avait remballé. Là, il y a dix personnes, donc on va jouer. Ils sont venus, on fera le taf, coûte que coûte ! Je regarde Lucien derrière la distro – pourquoi on s’obstine à la déballer celle là ? Il sourit en coin et se replonge dans la lecture de Motel Life de Willy Vlautin. J’avais vu cet écrivain à la bibliothèque de Saint- Vit, un bled proche de Besançon, aux côtés de Dan Fante, une classe naturelle indéniable… Dès le début du concert les amplis Fender sifflent de tous les bouts. Les gens restent au fonds, certainement agressés par le son. Après le concert, on a pas vraiment envie de s’éterniser. On demande au patron où on dort. Il nous répond chez lui de la manière la plus froide qu’un être humain est en capacité de s’adresser à un autre être humain. On a l’impression de l’emmerder autant qu’une invasion de moustiques une nuit de canicule, que toute information qu’il nous fournit lui coûte 500 euros. On sort et on l ‘attend dans le camion. Il nous rejoint 15 minutes plus tard. Il monte dans sa voiture accompagné de deux filles avec de gros sacs à dos et démarre en trombe. On le suit. Le chemin est long et sinueux. On ne croise pas un chat. Il habite tout en haut d’une colline à l’orée d’un bois, c’est tout simplement la dernière maison sur la gauche ! La baraque est immense, dotée d’une vue imprenable sur Sarajevo. Le mec reste silencieux à notre descente du camion. Il nous montre les piaules et on redescend dans le salon. On prépare le trajet du lendemain soir. On devra partir de Zagreb directement après le concert pour arriver à l’heure à Montbéliard. Les deux filles redescen- dent aussi un peu plus tard accompagnées par la petite copine du patron. Elles viennent toutes les trois de Pologne. L’ambiance se détend un peu bien que je ne sois pas super à l’aise. Le mec se met à nous parler pour la première fois de la soirée. Il organise des concerts depuis 1981 et a construit cette maison lui même. Je crois que j’ai pas envie d’en savoir plus sur lui, il nous fait flipper. Le lendemain matin, tout le monde se lève en même temps. On a toujours pas été payé. Personne n’ose demander quoique ce soit. Je me sacrifie et quémande un billet pour le mazout… Le plan a été dealé à l’arrach’, mais il peut bien faire un petit effort non ?… Il me regarde avec son air suspect qui commence à m’être familier et sort une soixantaine de mark convertible, à peut près 30 euros. On n’en demande pas plus, on prend le cash et le large avec....

Vendredi 04 mai 2012, Spunk, Zagreb, Croatie

Le bar est divisé en deux. J’ai déjà joué ici deux ans auparavant avec Scott Deluxe Drake mais dans la plus petite partie mieux adaptée pour un concert. Ce soir, nous sommes comme dans une fosse. Pas de scène, un système son trop petit et une fréquentation où 2/3 des gens sont venus juste pour boire des coups. Les personnes présentes pour le concert se compressent autour de nous, ambiance floor show pas désagréable. Le son est crado, mais on fait ce que l’on peut pour sauver les meubles. Le guitariste des Bambi Molesters vient faire une apparition pour le rappel… On prend la route vers minuit et demi. Ce soir on dort dans le camion et on se relaie derrière le volant toute la nuit, condition obligatoire si on veut arriver à l’heure à Montbéliard. Je m’endors peu de temps après. Je me réveille à 6 h du matin en Autriche. Je prends le volant et enquille mon tour de bornes…

Samedi 05 mai 2012, Route 66, Montbéliard

Les amis sont là, c’est l’occasion pour eux de nous voir sous cette formation inédite : Arno à la deuxième guitare et Julio aux claviers. Le chef nous attend tel un maître de Cérémonie, le M dans James Bond. La saga se termine. On récupère 300 euros, le plus gros cachet de la tournée, celui qui nous permet de ne pas finir dans le rouge... En effet, grâce à cette somme, les comptes sont bouclés de justesse, au poil près… Deuxième partie

Samedi 18 août 2012, Nostalgia Music Pub, Humenne, Slovaquie

La salle est encastrée dans un tout petit centre commercial. Grand bar, grande scène, pos- ters de classic rock partout et pinte de bière à 90 centimes d’euros. Le bar est clairsemé de groupes d’ados qui restent assis tout le long du concert. Ca fait plus de deux mois qu’on a pas joué, et pas répété avec Arno. Notre clavier a déclaré forfait, on se retrouve donc à quatre. On joue un concert de «chauffe », pas folichon, il faut le temps que la machine se mette en route. Après le concert, deux trois jeunes viennent nous parler, la seule bande un peu « lookée » du lieu, avec badges des Boys, Stiff Little Fingers... Ils me disent qu’ils voient rarement des concerts de groupe garage, punk et pour la première fois un groupe surf ! L’organisateur vient s’asseoir vers nous et nous raconte trois fois la même chose : Il a des plans pour nous au Mexique, et bla bla bli… Pourquoi certaines personnes s’obstinent-t-elles à raconter tant de bobards ? On s’en fout, pas besoin d’en faire des caisses ! On dort dans un hôtel bétonné avec des chambres spartiates, proche du dortoir pour l’union de la jeunesse tchécoslovaque des années 50. Au rez-de-chaussée, il y a un mariage. La guide qui nous a conduit à l’hôtel nous propose d’aller boire un coup là-bas, car selon elle : « In Slovakia, people are very friendly, especially for weddings » On la suit naïvement. Arrivés sur place, tout le monde danse sans excep- tions au rythme d’un orchestre folklorique. Les hommes en chemises blanches, les femmes en robes de soirée façon Grace Kelly. Je me sens trop en décalage, qu’est ce que je fous là ? Je veux remonter de suite. Je tourne alors la tête et vois notre accompagnatrice s’emparer d’une bouteille de vodka et la mettre dans son sac. Au même moment, le chanteur de l’orchestre tourne la tête et voyant toute la scène se dérouler sous ses yeux, stoppe net le concert. Tout le monde s’arrête de danser. Les invités fixent dans un premier temps le groupe puis regardent de notre côté. Le chanteur se met alors à hurler sur la petite voleuse pendant que toute la salle a les yeux rivés sur nous. Le temps s’est arrêté. J’ai l’impression d’être un spectateur de cette scène ridicule. Je compatis avec les invités ve- nus fêter cet événement dans la joie et l’allégresse. Comme si je faisais partie moi-même du mariage, tel un cousin très proche de la jeune épouse, outré par le manque d’éducation de ces malotrus. J’ai en- vie de la prendre dans mes bras, la rassurer, lui dire que son mariage restera le plus beau des mariages auquel j’ai assisté… Pourtant, à ses yeux, je suis l’ennemi, l’intrus, la fauteur de trouble, la raclure de bidet sorti de nulle part pour faire exploser en mille morceaux l’ambiance de cette cérémonie sacrée. J’aimerais qu’elle voit dans mon regard que je suis de son côté… que la conduite de cette bande de vauriens est inadmissible ! Mais tout ça est bien inutile, c’est le moment de fuir. On sort furtivement, et une partie de l’assemblée nous suit. Je me retourne et vois un homme juste derrière moi. Moustache stalinienne, chemise grande ouverte, poil de poitrail apparent et chaîne en or éclatante. Si on cherche une définition de la représentation de la virilité dans un dico poussiéreux, à coups sûr, on y voit sa tronche. Et bien sûr, il veut se battre avec moi ! Comment en suis-je arrivé là ? A mon âge ? C’est lamentable. Moi, le père de famille ! Tout ça pour une bouteille de vodka que je n’ai même pas volée et que j’aurais à peine goûtée... Il me semble avoir à nouveau 16 ans, l’époque où ce genre de scènes m’arrivait régulièrement. Je lui parle français, il me parle slovaque, on pourrait se faire des signes pendant des heures mais je me tire au bout de 30 secondes, avant qu’il me frappe. Je vais me coucher, bonne nuit. Je suis sincèrement navré de vous faire perdre votre temps avec cette histoire sans aucun intérêt…

Dimanche 19 août 2012, Cactus Club, Oujhorod, Ukraine

Le passage à la frontière ukrainienne se fait en douceur, juste une heure et demie d’attente, plus que raisonnable. A peine arrivés, on achète une carte SIM pour appeler nos contacts sur place. La dernière tournée nous a tous valu des notes de hors-forfaits particulièrement corsées. Quatre euros les cent minutes, ce sera bien suffisant pour notre petit séjour. En plus, on cherche encore des dates, c’est un vrai gruyère ce calendrier... Un des avantages dans les pays de l’Est, c’est que l’on peut toujours dégoter des plans de dernière minute. On cherche un café équipé de wi-fi. Lucien allume son ordi, et hop, bingo une date pour Timisoara en Roumanie vient de tomber. Elle sera annulée, trois jours plus tard ! De retour au bar pour décharger, de nombreu- ses personnes sont déjà là. On en reconnaît certaines qui étaient à Lviv quatre mois plus tôt et qui on fait presque 300 km pour nous revoir. Et la plupart bossent demain matin ! De jeunes punk rockers, des apprentis psycho/ rockers, des hardcore kids... La scène est mi- nus, et le bar confiné : tout pour faire un set hypernerveux ! La première partie est impro- bable. Il est seul, il s’appelle Alex et il joue de la cornemuse accompagné par son ordinateur qui diffuse des progs métal lourdes et pataudes comme sait affreusement le faire Ramnstein. A côté de ça, Alex, très simplement nommé Alex «Bois pas toutes les réserves d’eau lulu !» the Bagpiper, est très sympa. Il se lie d’amitié avec nous. Notre concert se passe bien : beaucoup de monde, bonne ambiance, quelques disques vendus et l’animateur d’une radio locale vient nous proposer un passage dans son émission de demain. On a deux jours pour se rendre à Yevpatario (1350km), on devait partir tôt, mais ce serait bête de refuser : live show + interview avec public ! On dort dans l’appartement des grands-parents de la copine de l’organisateur. Il n’y a pas d’eau, la ville en limite l’usage de 20h à 6h du matin. On se lave les mains grâce aux stocks de bouteilles de 10 litres. Nous ne sommes pas habitués, pourtant ce genre de restrictions sont assez courantes dans de nombreux pays. Je ne pense même pas au 40% de la planète qui vivent sans eau potable...

Lundi 20 août 2012, Radio Show, Oujhorod, Ukraine

Nous voici devant l’immeuble abritant la station. Le portier a du mal à nous laissé rentrer, il chipote. On dirait qu’il a été oublié là depuis 30 ans ! Certains métiers se perdent : portiers, pom- pistes... En Ukraine ces boulots existent encore, d’ailleurs rares sont les stations sans pompistes. On devrait imposer aux grands groupes pétroliers de réintroduire les pompistes dans les stations ! Il nous ouvre une fois que l’animateur lui a expliqué qui nous étions. Selon ce dernier, il ne faut pas faire attention à cet excès de zèle, ce sont les restes de l’ancien système. Ca va, on en a déjà entendu parler... Le bâtiment est chouette, le local de la station spacieux et bien insonorisé. Je regarde les vieillies photos affichées dans le couloir des anciennes équipes dans les années 50. Une fois notre matos monté, le technicien installe les micros. Deux statiques russes des années 80. Le public arrive doucement. Beaucoup de monde qui était là hier soir. Alex The Bag Piper est de la partie également. Cette session tombe à pile, on avait rien de mieux à faire aujourd’hui. On joue cinq morceaux entre- coupés de questions des animateurs et animatrices ou d’auditeurs : Musique, comics, cinéma fantasti- que, tournée, vie du groupe et politique, surtout sur ce qui se passe en France. On dirait qu’une bonne partie de la jeunesse est plutôt concernée par la politique et s’intéresse à ce qui se passe à l‘ouest. Un auditeur russe nous interroge sur les Pussy Riots. On est en plein dedans à ce moment, l’époque où le verdict allait être rendu. On se sent à juste titre coincés entre L’Europe et la Russie. Nos rapports avec la police ukrainienne semble aussi les préoccuper. Ils veulent savoir si on a été souvent arrêté. Une jeune journaliste nous sollicite pour une nouvelle interview, cette fois-ci pour la télé locale. On se plie encore à l’exercice et on décolle… Fidèle à mon poste derrière le siège conducteur, je déballe le dernier Continental Magazine. J’attaque par une interview du guitariste des Los Twang Marvels. Très bon groupe surf piloté par un couple originaire d’Amérique du sud qui mélangeait subtilement riffs twangy et mélodies latines. On avait partagé la scène avec eux à l’époque d’Hawaii Samurai. On avait sympathisé rapidement et croisé leur chemins plusieurs fois. J’apprends qu’ils ont divorcé, et que le groupe n’existe plus. Chaque chose a une fin comme on dit…

Mercredi 22 août 2012, Z-Games, Yevpatoria, Ukraine, Crimée

Après 1300 kilomètres parcourus en deux jours, on arrive à cet étrange festival nommé Z Games. La dernière tournée était une rigolade question température. En plein mois d’Août, il fait plus de 30 degrés et pas de clim dans le camion. C’est l’organisatrice de Koktebel qui nous a dégoté ce plan. A la base, elle nous avait trouvé quatre dates ; trois sont tombées à l’eau. Histoire pas claire… Finalement, la veille de renoncer à partir, elle nous propose ce concert plutôt bien payé par rapport à tout ce que l’on a eu précédemment. Par contre, on ne sait pas du tout où on met les pieds. Il sem- blerait que se soit un événement sportif, mais les infos sont difficiles à dénicher sur le net. Le site est une immense plage privée au bord de la mer noire. Il faut montrer patte blanche pour y pénétrer. La sécurité est assurée par une boîte indépendante sur la- quelle l’organisation n’a aucun pou- voir. Les vigiles portent des unifor- mes militaires et possèdent un char pour se déplacer sur la plage. Ils ont tous les droits. Au risque de tomber dans la critique facile et primaire, je dirais qu’ils sont pour la plupart ar- rogants, bêtes et vicieux. Ils mettent des plombes à nous ouvrir le portail. L’un d’eux est déjà torché en plein milieu de l’après-midi. Une des organisatrices vient nous récupérer. On doit aller faire des photos pour nos passes à reconnaissance faciales. C’est la première fois que je vois ça. Le principe est assez simple. Un code barre sur une carte plastifiée. A chaque passage au scanner, un agent de sécurité voit notre visage apparaître sur un écran. On doit traverser un petit tunnel décoré façon vaisseau spatiale, avec câbles, machines et hublots aux murs. Je suis à bord du Nostromo, il manque juste le huitième passager ! Sur la plage c’est encore plus impressionnant : des araignées métalliques géantes, un globe monumental qui abrite la scène où l’on va jouer, une piscine couverte, des paillotes et plusieurs abris en béton faisant office de bars et de restaurants. Des jeunes gens font des acrobaties sur des modules en bois et des structures en acier. L’art du déplacement me semble-t-il… En tout cas, ils n’arrêteront pas de se déplacer de la journée. On va faire un tour dans notre logement. Une maison splendide avec un grand jardin et plusieurs dépendances. Pas mal de monde loge ici. La chambre est en marbre, flambant neuve. On a rarement été habitué à autant de confort. On se repose un petit peu avant de faire une balance. Celle-ci est chaotique. Problèmes techniques, extrême lenteur des ingénieurs. Des personnes viennent même nous insulter car on fait trop de bruit ! La balance terminé, on va se promener sur la plage. La dernière fois que je suis parti en vacances sur la côte d’Azur, j’avais 17 ans. La mer ne m’a jamais vraiment attiré. En ce moment, j’y suis pour une autre raison que les vacances, donc je joue le jeu. On va se baigner un petit coup et ensuite j’ouvre un livre sous un coin d’ombre. C’est très étrange de se dire que l’on va faire un concert ce soir. La nuit commence à tomber, on va se préparer. Devant la scène il y a un dance floor gigantes- que avec des DJs qui balancent de l’electro sous ses nombreuses formes : trance, house, dubstep, drum’n’bass... Je peux avancer sans aucun doute que nous avons vraiment atterri là par hasard. On va jouer pour mettre du mazout dans le camion. On s’installe et je vois dans le public des pailles fluos épar- pillées un peu partout. Dès le premier morceau tout le monde se met à gesticuler, comme si rien n’avait changé. On pourrait faire n’importe quoi, les gens apprécieraient. Après tout, où est le mal ? On s’en tape de jouer pour l’élite de la surf ! Nous ne sommes que de basiques rock’n’roll entertainers ... même si le public se fiche pas mal de cette musique de grand-père… leur but c’est spring breaker un maximum pendant trois jours. L’événement sportif n’est qu’un prétexte. Tout le monde peut s’es- sayer à un peu de jet-ski, d’escalade, de BMX, de yoga, ou à des cours de break-dance, mais il n’y a pas de compétition. Un grand parc d’attraction pour les jeunes de l’ancien bloc soviétique ; principale- ment Ukraine, Russie et Biléorussie. La fin de soirée est moins fun. Les vigiles attrapent violemment Dick Den’s et le séquestre dans leurs locaux, sous prétexte d’un pipi derrière un buisson dans un coin retiré. Ils ne veulent pas le relâcher. Hallucinant, ces mecs agissent pire que les flics ici. Négociation entre leur chef et la boss de l’orga. Ils finissent par céder, le laissent partir mais nous gardent à l’œil… drôle d’ambiance quand même. Une enclave « paradisiaque » où tout le monde se balade vêtu du plus simple apparat, cocktails à la main, jeux et concours toute la journée mais scruté en permanence par des mecs en tenue camouflage, prêts à vous tomber dessus au moindre écart… Comme si le Village dans les Nuages était surveillé par L’Armée Impériale de Dark Vador !

Samedi 25 août 2012, Koktebilly Festival, Koktebel, Ukraine, Crimée

Koktebel, c’est le Cap d’Adge de Crimée avec de nom- breux bars en bordure de plage et des terrasses gigantes- ques. Celui dans lequel on joue ne déroge pas à la règle. Un demi chapiteau avec piste de danse et une multi- tude de petites paillotes pour boire un coup. Premier incident : encore et toujours ces pénibles vigiles. Ils ne veulent pas nous laisser rentrer car Arno transporte de l’insuline. Ils ne veulent pas de junkies ! Même le gé- rant n’arrive pas à les convaincre de nous faire rentrer, alors qu’il nous avoue que sa mère souffre également du diabète, aberrant. Ces gars là semblent toujours plus stupides et surtout maîtres absolus des lieux. Il faudra passer par derrière pour rejoindre la scène, étrange tout de même… C’est la première fois que l’on joue en Ukraine avec une affiche « ciblée » : psycho/surf/ rockabilly. Même principe que pour les Z Games, on reste 2 jours, un soir en tant que spectateurs, l’autre comme musiciens. On est hébergés dans une petite bicoque en bois pour vacanciers. La pre- mière journée, on traîne en bordure de mer. Stand de bouffes à tire-larigot, vente de gadgets sur les trottoirs… Je pose un instant mes yeux sur une scène à peine croyable. Tout les gens ici sont blancs, excepté deux hommes avec des lances, vêtus de peaux de bêtes de la savane qui proposent aux touris- tes de se faire photographier entre eux sur une chaise haute en tissu zébré ! Je n’oserais pas comparer ça à une exposition universelle au début du siècle dernier car eux n’ont pas été amenés ici de force pour se faire photographier, mais ça reste très étrange ce délire colonialiste. Qui voudrait poser sur une photo pareille ? Je reste scotché un moment, hébété par ce que je vois, aucun promeneur autour de moi ne semble interloqué. Le multiculturalisme, une simple curiosité à certains endroits du globe... Les autres sont loin devant, il faut que je les rejoigne. Je fais l’impasse sur les autres détails touristiques insignifiants de cette première journée. A l’affiche du premier soir, un très mauvais groupe de psycho avec une chanteuse à la voix de crécelle, affreux. Un groupe de surf traditionnel, genre chemise à fleur et reprise de Pipeline, un groupe que j’ai oublié et pour terminer, un combo de Kiev nommé Руки’в Брюки – désolé je n’ai pas la traduction ! Des musiciens expérimentés, avec un super feeling, qui mélangent wild rockabilly/jive/garage 60’s, l’ensemble chanté en Ukrainien ! La particularité qui fait tout son charme. Notre concert du lendemain se passe bien à part une scène trop haute et un DJ particulièrement con. Je fais les balances en short, pieds nus avec vue sur la mer. Je pense alors à tous ces groupes de surf californiens des années soixante qui vivaient ça quotidiennement. On a tout le temps de bavasser avec les groupes et des russes venus pour le concert. Fin de soirée, une grosse voiture noire se gare à côté du chapiteau. De grands gaillards en costumes noirs accompagnés d’une femme-mannequin rejoignent la paillote du patron, restent une trentaine de minutes et repartent...drôle de scène... Nous, on termine sur la plage avec nos potes Shura et Yutug qui sont venus nous voir. Ils nous font comprendre qu’ils n’apprécient pas trop l’endroit. Encore une fois, ça change du container !

Dimanche 26 août 2012, Stage Club, Odessa, Ukraine

On arrive en avance. On profite de l’occasion pour gravir les fameux escaliers du Potemkine et au pas de course, s’il vous plaît ! En haut, des enfants portent des aigles ficelés à leur bras et proposent aux touristes de les tenir le temps d’une photo contre quelques piécet- tes. On redescend les marches toujours en petites foulées et on part pour le club. L’endroit est clean, bien équipé, l’accueil chaleureux et le bar présente un vaste choix d’alcool. On a même droit à des affiches grand format imprimées spécialement pour la soirée. Une bonne soixan- taine de personnes est présente pour le concert. Certaines étaient déjà là à Oujhorod . La première partie, c’est le groupe du patron. Mélasse funk/rock fusion que l’on peut entendre facilement en bas de chez soi un 21 juin en fin d’aprèm. Quant à notre concert, il n’est pas si mauvais… le public en redemande même encore un peu. Je me fais rincer par le boss et sa femme en fin de soirée. Elle parle parfaitement français, et m’inonde de ques- tions. On mange une salade copieuse avec des frites. Repas typique servi en tournée pour les végétariens par des non-végétariens. C’est bon mais anormalement salé. On dort dans un appartement qui n’a pas été retouché depuis les années 50. Les tons tendent vers le mauve et le doré, kitchissime à souhait, bien qu’on s’en fiche pas mal !

Lundi 27 août 2012, Underworld Club, Bucarest, Roumanie (Annulé)

La journée la plus extrême de tous mes souvenirs de tournée. Je m’explique et tente de faire vite. Lucien est formel. Aujourd’hui, on a trois frontières à passer, ça va être extrêmement long, il faut impérativement décoller à 4h du mat. Le réveil sonne et je me sens pas bien... Je mets ça sur le compte de la nuit raccourci. Arno lui est très mal. Il vomit depuis 2h du mat. On arrive au camion et j’ai une boule nauséeuse récalcitrante au milieu de la gorge. Étrange... Ça ne m’arrive jamais. Macst commence également à montrer des signes de faiblesses. On en vient vite tous à la même conclusion : la bouffe d’hier soir. L’abondance de sel était-il volontaire pour masquer une quelconque avarie ou était-ce un hasard ? On ne le saura jamais… La route excessivement longue, couplée à la chaleur suffocante d’un mois d’août, risque de virer au calvaire dans cet état. On passe la frontière ukrainienne assez rapidement. Le douanier nous balance : « Good Luck ! » On est pas habitués à ce genre d’encourage- ments... Quelques minutes plus tard, on arrive à la douane Moldave. « Nous somme juste en transit pour rejoindre la Roumanie », explique Lucien au douanier. Peu importe, il lui demande de le suivre. On s’arrête une quinzaine de minutes. A côté de nous des gens regardent la télé dans un Algeco. Une jeune femme passe le balai sur le palier, à moitié dans la terre. Ses habits sont vétus- tes et poussiéreux. Que fait-elle là ? Travaille-t-elle pour la douane ou vit-elle entre deux frontières ? Je n’arrive pas bien à cerner… Lucien revient. Mauvaise nouvelle, il faut payer 15 euros par personne plus un supplément pour le matos si on veut passer, sinon c’est demi-tour. Il ne se rappelle pourtant pas avoir été taxé la dernière fois qu’il est venu. Contourner la Moldavie par l’Ukraine pour rejoindre la Roumanie est totalement inconcevable, on sert les dents et on passe à la caisse. On roule une vingtaine de bornes et là on se retrouve à un poste fixe de police. L’agent parle à peine anglais mais suffisamment pour nous faire comprendre que l’on doit sortir la bourse à nouveau. C’est quoi cette putain de blague ! On demande des explications. Deux fois à un quart d’heure d’intervalle … ça fait beaucoup. Enfin le mystère se dénoue : ce n’est pas un poste de police mais une « frontière ». Ici, nous sommes en Transnistrie, plus exactement dans la République Moldave du Dniestr. Un état non reconnu par la communauté internationale en conflit avec la Mol- davie pour son indépendance depuis 1991. Bref, c’est la merde et on a rien à foutre ici. Rien de tout ça sur notre carte, pas de GPS, on y est allés en vrais touristes. Ca nous apprendra ! Pour info, voilà ce qu’indique le site France diplomatie – que j’ai lu bien plus tard – à ce sujet : «Les voyages en Transnistrie (région sécessionniste, située à l’est de la Moldavie) sont déconseillés, y compris les transits entre la Moldavie et l’Ukraine. Cette région, où la sécurité n’est pas assurée, est hors du contrôle du gouvernement moldave. Par conséquent, l’ambassade de France ne peut assurer l’assistance aux Français de passage en difficulté dans cette région. Il est fréquent que des voyageurs - pourtant en possession des documents appropriés - qui ont traversé la Transnistrie depuis la Moldavie ou l’Ukraine, signalent avoir rencontré des difficultés auprès des «gardes frontières» transnistriens (refus de passage, exigence de paiement d’une «amende»). Quelques rares cas de violences ont également été signalés. L’Ambassade de France n’a pas la possibilité d’intervenir lors d’incidents de ce type.» Pile poil dans ce cas de figure, il faut déguerpir d’ici au plus vite ! On ressort les liasses, pas le choix et franchement pas envie de faire un scandale là haut milieu, si vous voyez ce que je veux dire... Niveau taro, c’est du même acabit que pour entrer. Coup total des opérations : 150 euros, un vrai racket ! Le cachet d’hier soir y passe entièrement... J’ai la rage... ce sera long à digérer. On arrive cette fois réellement en Moldavie. Une première douane militaire nous accueille. Deux soldats dont un homme très jeune, la Kalach en bandoulière, nous font stopper. Derrière eux, un tank qui n’est pas là pour décorer trône fièrement. Ils jettent un œil au chargement du van et nous laisse avancer. Cent mètres plus loin, la seconde douane. L’agent Moldave nous demande ce que l’on transporte et si on a de l’argent. Il ouvre l’arrière du camion et voit que nous sommes musiciens. Il nous demande un CD. On lui en donne un. Il le prend et va le mettre discrètement dans sa voiture. Ok, si c’est ça le bakchich, ça roule pour nous... Peut-être que les gosses apprécieront… Notre traversée du territoire Moldave est faite de nombreuses pauses, car ça dégueule de tous les côtés ! La maladie elle, se fiche pas mal des frontières ! Arrivés en Roumanie, on est lessivés. Trois personnes sur six sont mal en point, surtout Arno qui n’a rien avalé depuis hier soir, même pas de la flotte. Son état ne s’améliore pas. Il nous reste encore beaucoup de bornes avant Bucarest, et là c’est clair, même si par miracle on arrive juste à temps pour poser les amplis, on serait tout bon- nement incapables d’aligner trois notes. On appelle le lieu pour annuler. Le promoteur est désolé et nous aussi ! Ca fait toujours très mal ce genre de plan, surtout après tant de kilomètres pour rien, sans parler du pillage qui n’arrange pas les finances mais on doit se soigner. Les médicaments achetés à proximité de la douane ne font pas effet. On vote à l’unanimité un arrêt dans l’hosto le plus proche. Ce sera un petit centre de soins de cambrousse. Arrivé dans le hall, un chien quinze fois bâtard rôde dans le couloir. Il a la dalle et vient chercher de la nourriture. C’est un errant comme beaucoup de ses milliers de compatriotes canins de Roumanie. Ils se mettent à plusieurs médecins pour le chasser ! A peine croyable, le clebs a eu le temps de visiter tous les boxes, de passer deux trois coups de langue sur les mains des toubibs et des patients avant de reprendre tranquillement le chemin de la rue. Une famille de quatre/cinq personnes était là avant nous. Les urgences c’est partout pareil, il faut attendre. Blancs comme des linges, on s’assoit dans l’entrée sans piper mot, trop faibles pour jacasser ou lever le bras si un chien venait nous quémander un morceau de banane. On s’occupe enfin de nous. Une infirmière nous prend la température et inscrit notre nom dans son registre. Trois quarts d’heure plus tard, on nous amène à tour de rôle dans un bloc. Je suis en deuxième position. La dernière fois que j’ai vu un tel matériel ça devait être dans une film de S-F avec John Carradine. On me pose des électrodes sur le ventre. Il y a quatre femmes en blouse blanches autour de moi, je ne sais pas si elles sont médecins, infirmières ou aides-soignantes. L’une d’elle parle français et tente de me rassurer. La batterie de tests commence. Prise de sang, échographie… Elle me demande si je veux une piqûre. Je lui dis que non. Elle insiste lourdement : -« Ca va vous faire du bien, c’est bon pour ce que vous avez ! ». Mais qu’est-ce que j’ai au juste et qu’est-ce qu’il y a dans la piqûre ? Je ne suis pas chaud mais je dis oui quand même, je dis oui à tout ! Avant, je dois signer une déclaration au cas où… Elle me tend le papier, je le griffonne, puis on me plante l’aiguille dans la fesse… Je remplis à nouveau une fiche avec nom, prénom, adresse et au moment de payer, on ne me demande rien. Je m’attendais à recevoir une facture un jour, elle n’arrive jamais. On nous a offert les soins gracieusement. Merci encore mesdames pour ce geste de solidarité. Je ne saurais jamais exactement ce qu’il y avait dans la piqûre ni dans mon ventre ; selon elles, un virus qui me bouffait l’estomac, mais leur traitement nous a remis sur pied. Au moment de quitter l’hôpital, tout le personnel fait son apparition comme s’il s’était donné le mot. Des gens que je n’avais pas encore croisés viennent nous saluer. Ils nous souhaitent un bon rétablissement et bonne chance pour la suite. Toute cette amabilité me fait chaud au cœur. La solidarité n’est pas un vain mot, mais quand on vomit tripes et boyaux, elle prend une forme toute particulière. Pendant ce temps, un adolescent appuie une compresse sur son crâne qui a triplé de volume. Il geint. Un docteur le fait patienter et revient pour nous serrer la paluche. J’ai l’impression que chaque box est vide, que tout le personnel s’est regroupé autour de nous dans le hall d’entrée et que Dino Risi n’est pas loin avec sa caméra… Bucarest, c’est donc bien mort. On se trouve un hôtel classe et pas cher pour passer une vraie nuit de repos. Je me couche directement, sans manger, épuisé et encore bien malade. Cette tour- née nous aura coûté, financièrement mais aussi physiquement. On a peut être trop voulu tirer sur les distances sur ce coup ; tant pis, c’est comme ça qu’on apprend à connaître ses limites…

Mardi 28 août 2012, Pub Rock, Campulung Muscel, Roumanie

Un petit troquet géré par un travailleur social et orné de fresques colossales d’Iron Maiden, de Metallica, de Judas Priest et d’AC/DC sur chacun des quatre murs, vous y croyez ? Et bien, ça se passe à Campulung Muscel, en plein cœur de la Roumanie. Les habitués viennent y siroter des bières en écoutant du bon vieux hard rock. C’est pas la date de l’année mais on dirait que le vieux loup de l’assemblée arborant un t-shirt Judas a apprécié les solos de guitares de Dick Den’s et Arno. On est bien reçu, on mange au restac et on dort dans une auberge de jeunesse. Le patron semble très impliqué dans la vie collective de cette petite ville. Il connaît beaucoup de choses sur l’histoire de sa région et de son pays. Il nous parle de la vie sous Ceausescu – le régime s’est effondré quand il avait 21 ans – et de sa passion pour le hard rock. Il balaie quelques idées reçues et demeure assez lucide aussi bien sur la période pré que post république socialiste... Son bar est un lieu où la jeunesse locale qui n’a pas envie de boire des canettes dans les arrêts de bus peut se retrouver. Ça respire le bon esprit, l’ambiance est très familiale. Sur certains points, ça me fait penser au Pinky Bar, pas loin de mon bled natal où je passais mes vendredi et samedi soirs avec mes potes. Son fils fait de la batterie et répète au sous-sol. Quand le concert se termine, notre hôte branche la télé sur la sono et fait péter un concert de Metallica, à donf !

Vendredi 31 août 2012, Sham Rock, Liège, Belgique

On a roulé deux jours au taquet, dormi dans des routiers et écouté tout notre stock de musique. Des longues journées assis dans le cametard sur les routes roumaines interminables et dé- sertées accompagné aussi bien par Jessie Mae Hemphill, Daikaju ou Converge. Tout y passe. Avant dernière étape de cette deuxième tournée dans les pays de L’Est. Comme vous l’avez remarqué, cette tournée était criblée de trous. Seize jours, neuf concerts dont un d’annulé. Le Shamrock n’est pas gros, il y a une petite trentaine de personnes : beaucoup de gens que l’on connaît. C’est assez timide dans l’ensemble, plus réservé, peut-être plus blasé, le public belge étant habitué à recevoir tous les groupes en tournée. On se sent déjà à la maison, on papote avec la bande des Pirato Ketchup qui nous ont fait jouer plusieurs fois dans leur ville.

Samedi 01 septembre 2012, Our Black Heart, Londres

Après notre petit périple dans des lieux parfois improbables, c’est pas mal de finir dans la capitale européenne du rock. Ici, en plein Camdem en face de l’Underworld, beaucoup de monde porte le t-shirt d’un groupe, les concerts s’enchaînent à la pelle, les programmations des clubs sont folles. L’argent reprend aussi pleinement ses droits. Le prix de la pinte a sextuplé, les logements attei- gnent des sommes pharaoniques et les gens déboulent de tous les côtés de la rue à vitesse maximale. Dès que l’on gratte un peu, on constate que les anglais sont minoritaires, en plus de nos amis français qui vivent à Londres, on croise des gens qui viennent de Californie, d’Autriche, de Suède… Le mec au son connaît son affaire. La balance se goupille rapidement. Notre pote Russ assure à mort comme d’habitude. Il nous reçoit avec les verres à pied et la bouteille de vin français. Ce mec organise des concerts depuis plus de 20 ans. Un daron du rock’n’roll anglais respecté et tou- jours fun. On joue avec The Zipheads, psychobilly mélodique et tonique. Des mecs qui ont la petite vingtaine et un bon état d’esprit, très agréable sur scène. L’ambiance est donc détendue, pour une capitale – me tenterais-je à préciser. C’est la troisième fois que l’on passe à Londres et à chaque fois, ça se déroule plutôt bien. J’aime jouer dans cette ville, j’aime le public, connaisseur mais qui ne se regarde pas en coin. Tout le monde est là pour passer un bon moment. On prend du plaisir à jouer. Je papote un petit peu en fin de soirée avec le californien. Il me parle des nombreuses fois où il a vu Dick Dale, des concerts à L.A. et de bécanes, sujet que je maîtrise beaucoup moins. J’ai jamais été dans la kustom kulture. Mon truc c’est la zique, les livres, les films quand j’ai le temps et les aventures humaines. « Faut venir jouer là-bas » me dit-il. Ouais mec, avec plaisir, mais là on a grillé toutes nos cartes pour un petit moment. Demain c’est ferry et retour au turbin. Pas de plage, pas de boissons exotiques ; juste des éviers à déboucher, des plaques électriques à changer, des lits à réparer… bref, la vrai vie comme se plaisent à dire certaines personnes qui préfèrent vous voir les deux pieds dans la mouise plutôt que la tête dans les étoiles….

Supplément

Vendredi 21 septembre 2012, Zoro Fest, Leipzig, Allemagne

Le Zoro Fest c’est un gros rendez-vous punk pas fermé (crust, garage, hardcore, noise...) dans le squat mythique de Leipzig. Depuis plus de 20 ans, le lieu a vu défiler un nombre démesuré de groupes. Le gars qui nous héberge habite dans l’enceinte du squat. Il nous montre nos quartiers. Il porte une casquette cloutée, une dread mullet et une veste en jean noire déchenaillée avec entre autre de patchs de Doom, Tragedy ou Capitalist Casualties, comme une grosse partie du public ce soir ! Une bonne représentation de l’uniforme crust/punk. Ce dernier en est conscient. Avec beaucoup d’humour il me dit : « Si vous me chercher ce soir, adressez- vous à l’entrée, sinon vous ne me retrouvez jamais, on est tous habillés pareil ! » Il y a au moins 700 personnes dans le squat. C’est blindé dans tous les recoins, une masse humaine impressionnante. On partage la petite scène avec Kids of Zoo, combo noise/ punk australien. On mange aux côtés du chanteur. Il connaît bien les Digger and the PussyCats, groupe avec lequel on avait fait une mini tournée en Bretagne au temps d’Hawaii Cherchez pas, on est pas sur l’affiche ! Samurai, mais aussi les excellents Six FT Hick et Seb de Beast Records, la référence française ultime dans tout ce qui touche au rock australien… Il y a un super buffet vegan à volonté et un frigo rempli de boissons, réapprovisionné jusqu’ 3h du mat. La salle à manger est ouverte en perma- nence et pas un seul moment à ma connaissance un intrus n’a tenté de se faufiler et faire une razzia dans les canettes. Une place nous est réservée pour la distro sans que l’on ait à quémander un bout de table. Trois personnes sont là pour nous aider à décharger. Le concert se passe bien, la salle est pleine, le public positif. On se dirige un petit coup vers la grosse scène, c’est Terrible Feelings qui joue. Pas mal. De bons morceaux pop/punk rock 70’s/ 80’s. Très revival, dans le look également, pas de faute de goût comme savent bien le faire les groupe suédois. Agréable, même si la chanteuse n’a pas un feeling terrible avec sa voix ce soir… On voit aussi un bout de White Lung, de Ruidosa Inmundicia et d’un groupe japonais très violent. C’est en jouant dans ce genre de lieux que l’on se rend compte qu’une motivation à long terme couplée à une organisation scrupuleuse, permet en grande partie à une structure de perdurer. Autogestion, sponsoring ou subvention ; si ça ne suit pas derrière, rien de bon en sortira. Dans un genre diamétralement opposé, le Cosmic Trip est un bel exemple de réussite. Des aides financières externes mais surtout une tripotée de bénévoles fans de musique, une bonne communication interne, une super ambiance et un vrai respect des musiciens et du public. Que ce soit dans l’un ou l’autre mode de gestion, si les personnes ne croient pas en ce qu’elles font, ça capotera tôt ou tard. Je fais un peu dans la simplification, c’est vrai, mais c’est toujours bon de saluer le travail des personnes qui le méritent.

Samedi 22 septembre 2012, Le Moloco, Audincourt, France

On termine encore une fois avec nos amis du bled et la structure qui nous soutient depuis tant d’années : les Productions de l’Impossible. Ce sont eux ce soir qui organisent la soirée. A l’af- fiche : Mad Sin, Power Solo, Hellbats, nous et The Napoleons. Le Moloco c’est un ancien cinéma, le Lumina. De bons souvenirs cinématographiques, mais surtout des souvenirs d’enfance. Celui des séances le mercredi aprèm avec les connaissances du collège, surtout avec les filles. Si on allait au cinéma accompagné, c’était avec l’espoir qu’il se passe quelque chose. Un baiser, une séance de pelo- tage dans l’obscurité, quoi de plus magique ! Quasiment de la préhistoire... J’ai quand même vu dans cette salle de vieux Walt Disney, Batman – obnubilé par le sourire de Jack Nicholson des jours entiers – Jurassik Park, Un Monde Parfait, Scream, Alien 4…. Les blockbusters de l’époque, normal quand on habite à la cambrousse, l’art et essai c’est un terme obscur et très lointain, mais quels moments de rêverie, d’évasion… Le recyclage est donc allé dans le bon sens en quelque sorte. Toujours mieux que le rasage du Cube où j’ai vu mes premiers concerts... Pourtant la magie n’est pas la même. Le Cube avait une identité, une âme, le Moloco reste une salle de musique actuelle, un peu froide comme beaucoup de ses petites cousines partout en France avec toute la logistique organisationnelle qui va avec. C’est clair ça change d’hier soir, encore une belle expérience contrastuelle… Mais les personnes qui l’habitent peuvent malgré tout inverser la tendance et de ce point de vue là, on est servi. Une ribambelle de potes est présente, et le Chef aux premières loges s’est plié en quatre pour nous accueillir. De ce côté, aucun problème, c’est nickel. Niveau concert, rien de neuf ; que des groupes que j’ai déjà vu. C’est la deuxième fois qu’on joue avec Mad Sin. Je garde un bon souvenir des gaziers quand on avait ouvert pour eux à Londres, mais musicalement c’est pas ma came. Hellbats, j’ai pas le droit d’en parler, trop incestueux ! Power Solo, grande maîtrise de la scène, groupe atypique et surprenant même si je décroche sur la fin et Napoleons, nous sommes arrivés un poil à la bourre, pas le temps de les regarder – désolé les gars. Je vais faire un tour dans la salle pour retrouver ma mère. C’est la première fois qu’elle me voit sur scène. Une grande première pour moi et pour elle. Apparemment, elles se sont fait refuser l’entrée aux loges avec sa vieille copine, comme deux groupies presque septuagénaires. Ce ne sont donc pas elles qui ont sifflé toutes les bières ! La première fois que je suis venu ici, j’avais 7/8 ans et c’était déjà avec ces deux femmes là. Encore une boucle de bouclée…