Ne Tirez Pas Sur Le Guitariste !

Ne Tirez Pas Sur Le Guitariste !

Ne tirez pas sur le guitariste ! Dans les pays de l’Est et ailleurs avec The Irradiates «En route, Le jour assouvi n’est jamais le plus beau jour. Le plus beau jour est un jour de soif. Notre voyage a bien un sens, un but sans doute- mais c’est la route, qui vaut la peine. La meilleure destination c’est le repos d’une nuit, où le feu est allumé et le pain est rompu à la hâte. Dans les endroits où l’on ne dort qu’une fois, le sommeil est confiant, les rêves remplis de chants. En avant, en avant ! Voilà que le jour point, notre grande aventure est sans fin.» Karin Boye «Cette tournée va nous coûter des millions ? Et Alors ? Les millions nous les avons.» Gene Simmons «Clear eyes, full heart, can’t lose!» Eric Taylor Quoi ? Encore des histoires de tournée ? Ils en ont pas marre ces zicos de res- sasser les anecdotes de leur groupe pas franchement notable toujours pour la même la paroisse ? De nature relativement positive, je pense malgré tout que ça reste utile à quelque chose... Ça peut intéresser un peu de monde, bien que la première personne concernée quand on écrit, c’est quand même soi-même, peu importent les motivations. Le moi ! le moi ! le moi !... Encore et toujours ces bonnes vieilles questions d’ego, de nombrils scrutés en permanence, ça tourne en boucle… Pas toujours percutant, j’ai fait de mon mieux pour rendre ce texte agréable. Oui, j’ai passé du temps à l’écrire. Je me suis appliqué. Peut-être trop par rapport au sujet, au contenu qui va par moment manquer cruellement d’épaisseur pour une partie d’entre vous. On est jamais à l’abri d’être trop bavard, de s’attarder sur des détails, des futilités – bref d’être chiant à mourir. J’ai donc élagué comme j’ai pu… La matière brute, c’est un cahier de brouillon avec des notes, des phrases grif- fonnées chaque lendemain de concert sur des routes souvent tortueuses, jonchées de nids de poules. Un cahier par endroits illisible, raturé à l’excès mais qui m’a servi de base solide à la retranscription de ce qui va suivre. J’ai décidé d’opérer jour par jour, simplement, en essayant d’être honnête par rapport à ce que j’ai vu, sans dénigrer mes émotions brutes tout en évitant – lorsque possible – les généralités et me méfiant du prisme déformant du voyageur. La période couvre six mois, regroupe deux tournées et un petit week-end, soit 34 jours, 28 concerts, 11 pays et un peu près 15 715km. Je n’étais jamais allé aussi loin avec un van en traversant autant de pays. C’est un peu pour cette raison que j’ai décidé d’écrire ce report. Beaucoup de concerts se déroulent en Ukraine. Là-bas, il ne faut pas trop es- pérer croiser la route de groupes suédois, américains, allemands ou français et échanger d’autres potins de tournée… Nous avons joué principalement avec des groupes locaux, quand il y avait d’autres groupes, dans des petits lieux parfois appropriés, parfois insolites. Du rock’n’roll sans les paillettes, avec beaucoup de sueur, des cachets filiformes, des mo- ments d’angoisse, d’autres vraiment exaltants et surtout de longues phases d’attente dans le camion, dans la rue, dans les bistrots, partout ! Bref le lot d’un grand nombre de grou- pes …. Beaucoup sont déjà partis bien plus loin d’ailleurs et bien plus longtemps. Je suis conscient que tout ça n’est qu’une petite rigolade, une formalité pour certains, mais c’est notre expérience. Une expérience avant tout humaine, plus que musicale. Un petit hom- mage rendu aux personnalités croisées le long du périple, aux gens bizarres, aux travailleurs de l’ombre... Merci à Virginie pour son temps précieux et ses judicieux conseils. Bonne lecture, Slim Buen Je tiens à préciser que la rédaction de ce texte a été achevée bien avant le début des évènements politiques concernant l’Ukraine, il n’en sera donc nullement fait référence. Première partie Vendredi 20 avril 2012, Mudd Club, Strasbourg C’est le grand départ. Préparés comme des trappeurs la veille d’une expédition arctique, on se briffe une dernière fois sur le parking du Bastion concernant les choses à ne pas oublier, passeports en tête de liste. Il y a aussi des petites nouveautés matérielles sur cette tournée censées nous rendre la vie plus facile : des cartes détaillées de toute l’Europe et deux lits de camps ! Exagéré ? Pourtant je vous garantis que lorsqu’il n’y a pas assez de place pour tout le monde et que le plancher est imbibé de pisse de clébards, se retrouver à quarante centimètres du sol sur une toile tendue par une arma- ture métallique, c’est l’hôtel Hilton à la portée des bichons frisés. Qui plus est, c’est facile à monter, pas très onéreux et ça prend peu de place dans le coffre, un service rendu à la communauté ! De l’extérieur, on sent les mecs organisés – de l’extérieur… Le mental du groupe est au plus haut, rien ne semble pouvoir freiner cet élan fougueux à la veille d’entamer deux semaines de tournée hors du territoire. Arrivé devant le Mudd Club à Strasbourg, tout semble si familier, si facile, déjà acquis, que chacun relâche la garde. L’assurance des musiciens plus ou moins « expérimentés » plane dans l’air avec une arrogance à peine dissimulée. Première erreur... avec un line-up tout neuf qui n’est jamais passé par l’érosion commune de la route, il y a un moment d’adaptation. Il faut prendre le temps de se connaître, de trouver un rythme de croisière, d’adopter des réflexes de sécurité, bref rester vigilants et attentifs. La réalité du terrain ne se fit pas trop attendre : au premier concert, premières galères… Après des va-et-vient réguliers entre le van et le club, une porte du camion s’est retrouvée malencon- treusement ouverte. Faut dire que le système de fermeture est vraiment pérave, il faut tout re-vérifier à chaque fois que l’on ouvre une porte... et ce moment d’égarement a profité à des voleurs furtifs. Ils devaient nous reluquer depuis un moment et bien ricaner en voyant cette bande de pieds nickelés sortir le matos en sifflotant sans surveillance. Ni une ni deux et sans que personne n’y voit rien, deux sacs ont été chipés contenant chacun un ordinateur. Comme des bleus ! Chaque sac a été scrupuleuse- ment épluché, ils sont allés à l’essentiel, le matos informatique, photographique et les clopes ! Le gros problème, c’est que dans l’un des sacs se trouvait le passeport de Dick Den’s et sans passeport pas d’Ukraine où six concerts nous attendent, le gros morceau du tour. L’inquiétude s’installe, le moral est plombé. On tourne dans le quartier, on retourne les poubelles, on arpente les ruelles au cas où les faisans se seraient débarrassées du portefeuille, en vain. Direction la police pour faire une déposition, les balances attendront, l’objectif c’est d’avoir un papelard qui nous permettra de traverser l’Europe sans encombre. Les flics nous fournissent un simple procès verbal justifiant du vol des papiers et du matériel mais rien qui ne puisse faire office de document légal pour voyager à l’étranger. Demain c’est samedi et toutes les administrations sont fermées jusqu’à lundi. Deux solutions : rester en France pour refaire un passeport – ce qui implique l’annulation de trois concerts (Prague, Čadca et Košice) – ou tenter le coup sans papiers et, s’arrêter lundi matin à l’ambassade la plus proche sur la route pour faire un passeport d’urgence. L’option n°2 est vite approuvée par tout le monde. On regarde la carte et on décide de tenter notre chance à Bratislava. Assez tergiversé. A peine sorti du commissariat, il est temps d’aller jouer car au Mudd, ça commence tôt. On se règle à la va vite et malgré un enthousiasme dans les socquettes, on entame cette tournée avec un set correct. Les gens présents sont réceptifs, la distro tourne pas trop mal. Il faut blinder le larfeuille au max car les futurs cachets ne semblent pas garantir de façon systématique le beurre dans les épinards mais plutôt le Canderel dans la tasse de déca ! D’ailleurs, c’est simple : ce sera de très loin la plus grosse distro de la tournée. Notre cher ami et dévoué chercheur tonton Fredo qui a construit les premiers robots du groupe nous apporte avec Aurélie un panier garni de survie, histoire de nous redonner un peu de baume au cœur… Samedi 21 avril 2012, Final Club, Prague, République Tchèque A peine la frontière passée, une voi- ture de police allemande nous arrête. “Premier frisson”. Contrôle général d’identité. Le papelard délivré par le commissariat leur suffit, ils nous laissent filer. Je me suis aménagé un bureau de fortune à l’arrière du siège conducteur où je peux écrire, faire les comptes et bouquiner. En plus des nombreux fanzines et magazines que j’ai pris pour faire passer la pilule des kilomètres, j’alterne Hom- mage à la Catalogne de George Orwell, à peine ouvert et La Révolution Russe d’Orlando Figes. Du lourd ! L’histoire des révolutions m’intéresse toujours autant, même si c’est à dose thérapeutique. J’aime leur complexité, loin des raccourcis parfois trop simplistes qu’en font certaines personnes. C’est sur de longs trajets que l’on peut se permettre ce genre de fantaisies littéraires où la concentration est à son maximum.

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